La découverte de la terre. - L'or des Indes. L'Espagne ! Rien qu'à prononcer ce nom, comment ne verrait-ou pas la puissance de ce pays s'élevant soudainement comme un nuage doré sur l'horizon, au XVIe siècle et au début du XVIIe siècle ? Si cette péninsule, écartée de la vie internationale durant le moyen âge, absorbée qu'elle était par sa lutte contre l'Islam, était devenue si vite la maîtresse du monde, si elle faisait planer sur l'humanité le nouveau péril d'une domination universelle, si, pour n'envisager que le sort de la France, l'Espagne avait encerclé le Royaume par les terres et par les mers, installée qu'elle était sur les Pyrénées, mer esse. du Portugal et du détroit de Gibraltar, pénétrant, par l'Italie soumise, jusqu'en Valteline et jusqu'à Gênes, ayant attaché à sa fortuné l'Autriche des Habsbourgs et l'Allemagne catholique, atteignant même, par Waldstein, les rivales de la mer du Nord, faisant de son héritage belge le pivot du grand mouvement tournant par les Flandres, par la Lorraine, par la Franche-Comté, contre Paris, n'étaient-ce pas les trésors des Indes qui se trouvaient à l'origine de cette autorité mondiale ? N'était-ce pas le nouveau monde qui avait alimenté, de ses richesses inouïes, les desseins, les ambitions, les rêves mystiques de l'homme de l'Escurial, du chef de la cause catholique, assez habile pour aller rechercher jusque dans la protestante Angleterre une alliance de famille l'aidant à en venir à ses fins ? L'or du Pérou avait fait ce miracle et il avait bouleversé, en même temps que l'économie, la politique de la vieille Europe. On savait bien que, de cette avalanche imprévue du métal jaune, disproportionnée à la production et à la consommation, était résultée la crise formidable qui désaxait l'humanité féodale et propriétaire et qui emportait les maigres ressources de l'Europe terrienne dans son formidable courant. C'était le cri universel et c'était le mot de l'énigme, tel que l'avait prononcé Launay Razilly dans le mémoire adressé à Richelieu en 1626 : Quiconque est maitre de la mer a un grand pouvoir sur terre. Voyez le roi d'Espagne. Depuis qu'il a conquis la mer, il a tant conquis de royaumes que jamais le soleil ne se couche sur ses terres. L'Espagne et le Portugal. La recherche de la route des Indes d'Asie avait été l'objet des grands voyages antérieurs à Christophe Colomb et l'avait mis lui-même en mouvement. Mais l'appel de l'or avait été aussi l'un des grands, stimulants de l'illustre découvreur. N'ayant pas rencontré les Indes, il avait trouvé l'or. Ajoutez l'esprit d'aventure ; je ne sais quelle curiosité de l'inconnu suscitée par l'élan de la Renaissance, et vous apercevrez les mobiles de cette impulsion magique projetant les puissances européennes et, au premier rang, la péninsule ibérique, dans cette extraordinaire odyssée. Comme un vol de gerfauts... Partis de ce même rivage, les Portugais avaient fait les premiers pas et recueilli les premiers fruits. Ce qu'accomplit ce petit Portugal est déjà chose incroyable. Ses marins avaient positivement inventé la navigation mondiale, reconnu la forme de la planète et entrepris la mensuration du ciel. Par eux les sombres océans s'étaient soudain illuminés. Mais la puissance sur mer ne tient pas, si elle n'a pas une puissance sur terre où s'appuyer. Le Portugal n'était ni assez solidement enraciné dans le sol ni assez entraîné aux procédés des grandes affaires pour porter le poids d'une telle richesse. Sa fortune trop prompte amena son rapide déclin. L'Espagne fut l'inévitable héritière. Elle ramassa, avec les découvertes, les découvreurs, les richesses du Portugal et le Portugal lui-même. Pareille au bernard-l'hermite, elle se logea dans la carapace aux tentacules immenses projetées prématurément sur le monde. Mais l'Espagne, gratifiée à son tour de cette pluie d'or, pouvait-elle, par sa propre énergie, supporter un gain si excessif ? On affirme que, rien que dans le cours du XVIe siècle, elle avait reçu cent soixante-dix millions de livres sterling des mines américaines. Les Espagnols n'étaient pas entraînés plus que les Portugais au maniement de pareils capitaux ; ils : n'avaient pas en eux les moyens de faire travailler à leur profit un pareil enrichissement. On tente, en ce moment, de réhabiliter les procédés de la colonisation espagnole en Amérique, et on a raison. Une fois passées les heures de la conquête, la catholique Espagne a su vivre parmi les peuples indigènes, les faire vivre et les gagner, à la civilisation. Que l'on compare les résultats de la colonisation mercantile dans les autres parties du nouveau continent, dont les deux méfaits indéniables sont d'avoir détruit les races indigènes par l'alcool, non sans les avoir abruties par la traite ! Mais, si cette justice doit être rendue à l'Espagne, on ne peut nier que, par des fautes économiques énormes, le Roi Catholique a gaspillé le bénéfice de la fortune soudaine qui lui était advenue. Philippe II fut le plus chançard des héritiers qu'il y eût jamais dans le monde. Or il laissa à ses propres héritiers un royaume épuisé, disloqué, accablé de cent quarante millions de- ducats de dettes[1]. Et cependant les mines de l'ultramar produisaient toujours du métal en abondance, jusqu'à douze millions six cent mille piastres annuellement. Les galions apportaient cette manne[2]. Les premières tentatives françaises. La jeunesse de Richelieu avait été éblouie par l'horizon aux lueurs dorées, émerveillement de son temps. Qu'avait fait la France cependant ? La France, avec cette rapide conception des choses qui est la sienne, s'était alertée de bonne heure. Le fameux rhétoriqueur Jean Chastelain, mort en 1475, avait signalé dans ses Merveilles advenues de mon temps[3] la richesse et les métaux précieux des terres nouvellement découvertes, avant même qu'elles eussent, pour le public, un lieu, un nom : J'ai vu deux ou trois îles Trouvées en mon temps Et dont les habitants Sont, d'étranges manières, Sauvages et velus. D'or et d'argent minières Voit-on en ces palus. Il s'agit sans doute des Canaries ; abordées et occupées par Béthencourt de 1402 à 1422 ; peut-être aussi des îles Madère, découvertes en 1418. La possession de ces archipels avait été l'objet d'un long débat au concile de Bâle en 1435. Les esprits étaient donc en éveil. La France avait depuis longtemps une vague notion de l'existence de terres inconnues par delà l'Atlantique. Ses pécheurs du nord avaient touché les côtes du Groenland, peut-être atterri sur le continent ; on faisait à Rouen un commerce mystérieux de bois dit de Brasil. La navigation sur les côtes africaines jusqu'en Guinée et, par la Méditerranée, dans tout l'orient, avait habitué ses marins à se risquer sur le grand espace des mers. Un Pinçon, marin de Christophe Colomb, avait, assure-t-on, des attaches avec les ports de la Manche. En 1530, Jean Ango faisait la guerre, pour son compte particulier, aux Portugais qu'il allait attaquer jusqu'aux Indes. Quoi d'étonnant si Guyon Le Roy, amiral de François Ier, aïeul de Richelieu, avait fondé le Havre en vue des nouvelles navigations, et si François Ier lui-même avait eu la prescience des destinées de ces terres atlantiques vers lesquelles la Bretagne était tendue comme un bras ? La France, donc s'était mise sur les rangs. Mais les guerres de Religion avaient brisé ce premier élan. De nouveaux champions étaient entrés en lice avant qu'elle eût repris baleine : c'étaient la Hollande et bientôt l'Angleterre. Les Gueux de la Mer et la grandeur hollandaise. Dans la conquête de la terre, la Hollande avait remporté des succès aussi prodigieux que ceux du Portugal, elle était devenue sou plus redoutable adversaire. S'étant substituée d'abord sur le continent, à la Ligue hanséatique, elle l'avait réduite à la faillite, en 1624, l'année même où Richelieu devenait ministre. Ainsi ce rivage maresqueux s'était assuré une base solide dans les grandes affaires européennes. Les Gueux de la Mer s'étaient alors déchaînés sur les océans et ils avaient visé comme proie l'Espagne, dont ils avaient rejeté la souveraineté. La France leur était devenue une alliée continentale qui les protégeait contre l'encerclement. Le plus beau coup de dés pour les Pays-Bas fut la domination sur l'Inde, conquise par le gouverneur général Piéterszoon Koën, de 1618 à 1623. Ainsi la grande période de l'expansion hollandaise coïncide exactement avec le ministère du cardinal de Richelieu. Un enrichissement prodigieux résulta, pour ces heureux révoltés autant de l'assaut donné aux galions espagnols que de la conquête des Indes sur le Portugal. Du cap de Bonne-Espérance au Japon, le commerce et les transports leur appartinrent. Protestants-républicains, herbagers-mariniers, briquetiers-charpentiers, ingénieurs-gazetiers, propagandistes-soldats, ils transformaient la face des affaires comme le cours des idées et ils allaient révolutionner l'Europe et le monde nouvellement découvert. La triple crise, crise d'intérêts, crise de pensée, crise de conscience, se trouvait déchaînée[4]. Mais, par l'un de ces retours surprenants de l'histoire, c'est un autre pays protestant, le pays où, avant la fin du siècle, devait régner un Nassau, qui était appelé à couper les ailes à cette ascension inouïe. Tel fut le résultat de l'Acte de Navigation voté par le Long Parlement, en 1650, décision qui eut pour suite l'avènement de la puissance anglaise sur les mers. L'expansion anglaise au XVIIe siècle. Un premier mouvement s'était manifesté en Angleterre dès la nouvelle des grandes découvertes. En 1562, Hawkins portait des nègres à Saint-Domingue. Mais les Anglais prennent leur temps. La grande entreprise, en son caractère général, attendit le règne d'Élisabeth. En 1600 seulement, fut fondée une Compagnie des Indes à limitation des compagnies hollandaises. Soudain, on voit les Anglais apparaître partout. Hommes du nord, c'est d'abord le nord qui les attire ; car, autre trait, ils aiment à travailler seuls. Les voilà qui se mettent à chercher eux aussi la route des Indes, mais une route qui serait à eux, bien à eux ; ils pensent la trouver par les eaux boréales. A cette recherche ils perdront leur temps, mais non leur argent, car les pêcheries des mers septentrionales, le commerce des pelleteries, des huiles leur seront longtemps un fructueux monopole. D'où, aussi, leur installation en. Amérique du Nord, leur pénétration profonde dans les terres, à la recherche du passage vers le Pacifique, puis les grands détours par le détroit de Magellan d'une part, par le cap de Bonne-Espérance de l'autre. Leur flotte est sans rivale. Au siège de La Rochelle, Richelieu ne pourra la battre qu'à coups de moellons, en construisant la digue. Sur les grandes eaux, ils ont rencontré l'Espagne, et leurs corsaires commencent la chasse aux galions. Sur le continent européen, les Stuarts s'accrochent à la cause du, Palatin, et y trouvent un motif à leur hostilité contre la monarchie austro-hongroise et une entrée dans les affaires de l'Allemagne. Leurs marchands s'imposent à la faiblesse portugaise (traité de 1642), à l'inertie continentale, en attendant que leur puissance navale jette ses filets sur les coreligionnaires et bons amis de Hollande. En 1617, les fonds de la Compagnie britannique des Indes étaient montés à 203 pour cent et les bénéfices pendant les dernières années, à 87 et demi pour cent[5]. Et maintenant, que restera-t-il pour la France ? Le Portugal au déclin, l'Espagne en délabre, la Hollande à l'apogée, l'Angleterre à l'essor, les choses en étaient là tandis que Richelieu, avec ses grands projets sur la puissance de la mer, interrogeait l'horizon. Est-il nécessaire de rappeler les raisons pour lesquelles il médita si profondément sur ces problèmes ? La France, partie l'une des premières, s'est laissé distancer. Pourquoi le monde, qui s'est ouvert pour les autres, resterait-il fermé pour elle ? Pourquoi l'essor pris par les affaires universelles ne provoque-t-il plus ni l'intérêt ni l'émotion de cotte France initiatrice des croisades ? La fille aînée de l'Église va-t-elle abandonner sa mission ? Le cardinal de Richelieu écrit dans son Testament Politique : Les François sont capables de tout, pourvu que ceux qui les commandent soient capables de leur bien enseigner ce qu'il faut qu'ils pratiquent. Leur courage, qui les porte à chercher la guerre aux quatre coins du monde, vérifie cette proposition. S'ils vivent dans ce Royaume sans discipline, ce n'est pas tant leur faute que celle des chefs qui les commandent, qui se contentent d'ordinaire de faire des ordonnances et n'ont pas le soin de les faire observer. C'est chose certaine que l'opinion, qui s'est répandue par tout le monde, que les François sont incapables de règle et de discipline, n'a aucun autre fondement que l'incapacité des chefs, qui ne savent pas choisir les moyens nécessaires aux fins qu'ils se proposent[6]. Richelieu entend ne pas être de ces chefs-là. Il a réfléchi ; il a consulté. Son premier regard s'est porté vers la Hollande, l'Angleterre : Pour se rendre maître de la mer, il faut voir comme nos voisins s'y gouvernent, dit-il encore. C'est leur exemple qui l'excite, l'entraîne. D'abord créer une flotte nombreuse, assurant la sécurité du commerce ; ensuite avoir une politique de grande navigation, pour faire connaître et respecter le nom de la France dans l'univers ; enfin reprendre l'idée d'une expansion coloniale de nature à donner aux navigateurs des points d'atterrissage, aux affaires de solides établissements. Le président Molé, qui fut le confident de ses desseins (car on désirait éclairer par lui les oppositions parlementaires), Molé écrit dans ses Mémoires : M. le Cardinal, voulant présenter à l'assemblée des notables (1627) des édits nouveaux concernant la marine, le commerce et la navigation pour justifier le titre qu'il prenoit alors de Réformateur général du Commerce du Royaume, s'arrêta d'abord à l'édit pour l'entretènement perpétuel de quarante-cinq vaisseaux, qui, disoit-on, suffiroient pour rendre à la marine de France son ancienne splendeur. Il voulut ensuite créer de grandes compagnies auxquelles en donneroit de grands privilèges...[7] La première de ces compagnies, dont les statuts furent soumis à l'examen de Mathieu Molé ; La Nacelle de Saint-Pierre fleurdelysée, avait à sa tête un conseil composé d'un Hollandais, Nicolas Witte, d'un Flamand, d'un Breton et d'autres François et Flamands. La compagnie, dont les statuts comportaient un vrai capharnaüm d'entreprises bigarrées, ne réussit pas ; et Richelieu reçut là une leçon, qui ne fut ni la première ni la dernière, sur les difficultés des alliances et des partages. Nous n'entreprendrons pas de donner ici un tableau des créations coloniales du grand ministre : — cet exposé, pour être complet, réclamerait des volumes, et l'histoire des Colonies françaises ayant été le sujet d'un ouvrage considérable, il nous sera permis d'y renvoyer —, essayons seulement de dégager les principes selon lesquels le cardinal dirigea l'activité du pays vers cette large expansion commerciale et coloniale[8]. La marche des faits et des réalisations révèle l'existence d'un plan d'ensemble dont les grandes lignes seraient les suivantes. Le champ ouvert à la France se trouve être, d'après sa situation géographique, d'abord les mers riveraines, la Méditerranée et l'Atlantique, puis les mers lointaines, océan Indien, océan Pacifique. Or l'attention de Richelieu se porta, avec une simultanéité et une ampleur frappantes, en ces diverses directions. On pourrait jalonner les entreprises du cardinal en suivant plusieurs grandes lignes englobant l'ensemble de la sphère terrestre : 1° Un circuit méditerranéen, en particulier africain. 2° Un circuit oriental, visant l'Asie centrale avec une tendance très singulière à éviter, par un détour continental, la Turquie, de manière, en partant de la mer du Nord, et de la mer Baltique, à atteindre les Indes par la Moscovie et la Perse. 3° Un circuit atlantique, s'accomplissant du nord au sud et s'appuyant, comme aux arches d'un pont, sur les îles Antillanes pour gagner le continent sud-américain et pénétrer par les grands fleuves vers l'Eldorado, en direction du Pérou. 4° Enfin un circuit doublant le cap de Bonne-Espérance, prenant terre à Madagascar et aux Mascareignes, pour déboucher dans l'océan Indien, vers le golfe Persique et les Indes d'une part, d'autre part, vers les masses jaunes de l'Extrême-Orient, but antique des entreprises européennes. Pour mettre sur pied un tel programme, Richelieu avait consulté des hommes compétents et sûrs. Il avait vu Champlain et ses compagnons ; il avait, durant le siège de La Rochelle, vécu au milieu de l'élite des marins et des navigateurs ; surtout, il avait appelé auprès de le les deux frères Launay Razilly, dont la mémoire devrait rester étroitement unie à la gloire du grand Cardinal. En écoutant ces hommes d'une expérience réelle et non scolaire, et d'un idéalisme resté chevaleresque, il avait combiné ses projets selon une doctrine supérieure, appartenant en propre aux colonisateurs français. Ceux-ci, à l'encontre des profiteurs du fabuleux métal, s'étaient, d'un élan commun, portés vers un système d'accord amical avec les habitants des terres nouvelles : on aborderait ces populations non pour les exploiter et les avilir par les premiers contacts avec la civilisation, mais, au contraire, pour les élever, les éduquer et pour les appeler, selon les lois de l'Évangile, à prendre leur place dans la grande famille humaine. A la suite de Jacques Cartier, Champlain avait déjà exprimé ce sentiment à Henri IV, — si bien fait pour le comprendre. — Les véritables richesses coloniales, disait-il, sont la culture du sol et la sympathie des indigènes, et non les mines d'or et une odieuse fiscalité. Poutrincourt, ancien ligueur, vice-roi du Canada sous le même roi Henri IV, dans son admirable lettre au pape Paul V, affirmait le principe avec une précision et fine énergie extraordinaires : Il me parait profitable pour la religion chrétienne, écrivait-il, de diriger nos efforts vers ces vastes contrées qui s'ouvrent sur les plages occidentales et d'en gagner les habitants à la connaissance du vrai Dieu. Ce n'est pas par la force des 'armes qu'il faut lés amener à la religion, mais bien plutôt par la persuasion et la prédication du dogme et de la morale. Et il conclut : Pour ceux qui craignent Dieu, tout aboutit au bien[9]. C'est le même sentiment que Razilly exposait, un demi-siècle plus tard, au cardinal on ramassant l'expression dans une formule d'une simplicité frappante : La croix et les lys. Nous avons, mes amis et moi, écrivait-il, avancé cinquante mille écus pour le commencement de cette œuvre (il s'agit de la Nouvelle Guyenne ou Acadie), sans en avoir retiré aucun profit, sinon des bâtiments et forteresses munis de vingt-cinq canons en batterie, en fort bon état de défendre la croix et les lys[10]. La devise est celle de ces vaillants hommes. Richelieu, ayant auprès de lui le Père Joseph, transfère immédiatement la pensée de la formule aux' actes. En 1628, devant La Rochelle, il signe la déclaration approuvant les statuts de l'association, cette fois bien française, ayant à sa tête le cardinal lui-même, puis le maréchal d'Effiat, le vice-amiral de Razilly, Champlain, etc. L'association prend en charge la colonisation de la Nouvelle-France. L'article 16 de la charte stipule que les descendants des François qui s'habitueroient audit pays, ensemble les sauvages qui seroient amenés à la connaissance de la foi et en feront profession, seront désormais censés et réputés naturels François et, comme tels, pourront venir habiter en France quand bon leur semblera et y acquérir, tester, succéder, accepter dons et legs, tout ainsi que les vrais régnicoles et naturels. François, sans être tenus de prendre aucune lettre de déclaration ni de naturalité. Il est, à remarquer, comme suite de cette position prise par les fondateurs, que le commerce se plaignit vivement du fait que l'Eglise s'élevait avec une énergie persistante contre la vente des liqueurs fortes, affirmant ainsi un sentiment nettement opposé à ce qui se passait dans les autres colonies européennes. Ces mesures ; cette direction morale éminente devaient permettre au Père Charlevoix d'écrire vers le milieu du XVIIIe siècle, la source de toutes les familles canadiennes est pure. Et elle reste pure après deux autres siècles parce qu'elle fut humaine. Sur de tels principes, les établissements fondés par Richelieu paraissaient avoir les plus grandes chances de durée ; mais certains procédés de colonisation, empruntés aux pratiques du temps et venant aussi de la médiocrité des moyens, devaient, dans un avenir plus ou moins lointain, les précipiter vers leur ruine. Ces erreurs sont surtout de caractère économique. La plus grave fut de confier à des compagnies marchandes l'exploitation des terres nouvelles. Ainsi le mercantilisme s'introduisait en maître dans une œuvre de civilisation et de rayonnement humain : il allait la dégrader. Il est à remarquer que certains conseillers de Richelieu avaient exprimé, à ce sujet, après une première expérience, le sentiment que ces entreprises de longue haleine devaient être, en leur constitution et leur conduite générale, œuvre d'État. En 1631-1632, alors que la Nouvelle-France, après avoir subi une première conquête anglaise, était en péril de mort, Isaac de Razilly exposait au cardinal, dans un mémoire sur la colonisation du Canada, que c'étoit au Roi d'en assumer le souci et d'en prendre la charge, ajoutant que les douze bâtiments de guerre affectés à ce service, couvriroient leurs frais d'entretien en échangeant au retour pelleteries et poissons contre les produits. des rives méditerranéennes[11]. La plaie des compagnies subsista jusqu'à la fin de l'ancien régime. Dupleix fut leur suprême victime, et là perte des Indes leur désastreux aboutissement. Encore faut-il tenir compte d'autres causes de ruine, remontant également aux origines le système de l'exploitation des colonies au profit exclusif de la métropole, adopté alors par tous les pays colonisateurs, eut les mêmes conséquences. La terre coloniale était toujours et partout chasse gardée. La fameuse Flotte de Montmorency, compagnie fondée en 1615 pour la navigation des Indes orientales, avait obtenu l'insertion dans ses statuts d'une clause interdisant à tous les sujets du Roi, autres que les intéressés de la compagnie, d'entreprendre aucune navigation du côté du Levant par delà le cap de Bonne-Espérance, durant le temps et l'espace de douze années. Prétendre fermer le grand espace des mers pour douze années, alors qu'on se faisait une gloire de l'ouvrir à l'activité maritime et commerciale ! Le monopole fut la plaie du système colonial sous l'ancien régime et les monopoleurs furent les exploiteurs les plus audacieux de ces magnifiques découvertes. Exclusivisme, presse et chaines de convicts, travail forcé, traite des noirs, alcoolisme, tout cela tenait au système. Et, à la suite, la fiscalité, la piraterie, la flibuste des boucaniers, les droits de bris et naufrage, tous ces chancres nés du commerce et meurtriers du commerce. Ainsi l'héroïsme et l'esprit d'entreprise des initiateurs se trouvaient détournés au profit d'une rapine désordonnée. D'autres maux enfin se cumulèrent sur de telles erreurs : les divisions, les dissensions entre Français : des colons, transportés de force, subissant, dans une misère profonde, dans une attente douloureuse, le retard des flottes ; l'incurie des gouverneurs ; l'obstacle permanent des combinaisons particulières et des concurrences sans pitié. On se détestait. Les partialités jetaient les moins sûrs ou les plus subtils dans l'émeute, dans la rébellion, dans la trahison et l'on vit la Nouvelle-France, à peine créée, livrée à l'Angleterre par des Français allant d'un camp à l'autre, bien reçus partout et parfois couverts de récompenses. fi en fut de même aux Antilles, où des dissentiments de famille finirent par devenir des drames d'État. Tableaux bien tristes pour l'histoire, mais auxquels l'histoire oppose le contraste des admirables vertus, de l'énergie, de l'héroïsme d'une génération qui, malgré tout, fonda, organisa, développa cette vaste France d'outremer que le génie de Richelieu, secondé par ses gens de main, put transmettre à la sage administration de Colbert. Voyons, maintenant, l'œuvre elle-même dans sa rapide création et dans son étonnante audace. Le commerce et les établissements méditerranéens. En ce qui concerne les grandes affaires méditerranéennes ; et en particulier le commerce de Marseille avec le levant, la sécurité, d'ailleurs fort précaire, des relations, dépendait des rapports généraux avec l'orient musulman et surtout avec la Turquie. François Ier, en signant, avant tous les princes européens, lès capitulations avec le Sultan, avait placé la France dans une situation éminente. Mais les autres puissances avaient, l'une après l'autre, suivi cet exemple et, profitant de l'affaiblissement de la politique française au cours des guerres de Religion ; avaient gagné ce que la France perdait. Les pays protestants, l'Angleterre, la Hollande, de concert avec la République de Venise, assiégeaient la Porte de leurs revendications, de leur concurrence, et se disputaient ses faveurs à la folle enchère. Au même moment, les événements qui s'accomplissaient en Hongrie, dans l'Empire germanique, en Moscovie, renouvelaient sans cesse la menace d'une guerre entre les puissances chrétiennes et l'Empire Ottoman : la question d'orient commençait à se, poser avec ses éléments contrastés. Ces complications accroissaient encore, pour la France, les charges qu'elle avait assumées comme protectrice des Lieux Saints ; de ce fait, elle avait à lutter contre les Grecs, les Arméniens, les Levantins orthodoxes. Des querelles de moines, aussi ardentes que mesquines, prenaient le Sultan pour arbitre et l'attiraient, non sans blessures, dans ce fourré d'épines que sont ces infinies affaires religieuses de l'orient. Sur un plan plus élevé, la lutte acharnée, engagée entre la Perse et la Turquie pour la possession de Bagdad, de la Syrie, du golfe Persique, grand chemin des Indes, était à son point culminant sous les règnes du Grand Shah Abbas, d'une part, et bientôt, d'autre part, du sultan Mourad IV. Cette lutte, en introduisant la Perse dans les préoccupations européennes du moment, permettait d'entrevoir, pour le trafic des Indes et de l'Extrême-Orient, d'autres voies que celles du transit par la Turquie. Comment échapper aux exigences turques ? Le projet d'expédition qui s'inspirait de l'esprit des Croisades et qui avait conduit dans le Magne le duc de Nevers, conseillé par le Père Joseph, avait présenté le problème de l'orient sous une face nouvelle et, il faut bien le reconnaître assez risquée. On avait examiné avec le Saint-Siège et avec les puissances catholiques l'idée imprévue d'une nouvelle croisade contre le Turc. La campagne préparée et même commencée avait piteusement échoué. On peut y découvrir, à la rigueur, le premier prodrome des guerres qui devaient aboutir, par la suite, à la délivrance des provinces chrétiennes soumises au joug des Turcs. Richelieu ne semble pas s'être détaché tout à fait de cette entreprise, chantée d'avance par son confident le plus cher, le Père Joseph, dans la Turciade. On tint le projet en suspens comme une arme au fourreau. En octobre 1636, Mazarin, envoyé à Rome par Richelieu pour mettre au point les diverses questions pendantes avec le Saint-Siège au début de la guerre, lisait dans ses instructions la recommandation suivante : Quant au mémoire qui a été envoyé ci-devant à M. Mazarini sur le sujet d'une guerre sainte, il s'en servira comme il jugera à propos, selon le cours des affaires, avec les circonspections exprimées audit mémoire[12]. On faisait même un pas de plus en d'autres instructions données à in religieux, le Père Bach, provincial des Minimes, envoyé vers les cours de l'Europe avec une mission très secrète pour faire connaître les conditions de la France en vue de la paix avec l'Espagne. Il y était dit qu'il y avoit beaucoup de bonnes choses à faire contre les Turcs, lesquelles ne seroient pas difficiles à faire réussir s'il y avoit bonne intelligence entre le Comte-Duc (Olivarès) et le Cardinal[13]. Relations avec la Turquie. Harlay de Césy. Sur les lieux mêmes, à Constantinople, la situation de l'ambassadeur de France était des plus difficiles. Harlay de Césy, de la grande famille des Harlay, avait été chargé de Ces fonctions sous la régence de Marie de Médicis. Richelieu lui écrivait déjà sous son premier ministère, en mars 1617, pour lui faire des observations sur la façon dont il gérait l'ambassade[14]. L'ambassadeur avait rencontré les plus grandes difficultés, ayant eu à lutter contre les orthodoxes, au sujet de la nomination du patriarche Cyrille, et aussi contre les représentants des autres puissances au sujet de certaines exactions, qu'ils l'accusaient d'avoir provoquées au détriment de leurs nationaux. Le sultan Mourad étant, sur ces entrefaites, parvenu au trône, tout enfant encore, la Sublime Porte avait pris parti contre Césy ; la querelle s'était envenimée et l'un des serviteurs de l'ambassade aurait subi le supplice du pal, tandis que l'ambassadeur lui-même aurait passé par la bastonnade[15]. Sous le règne de Mourad IV, qui, de 1624 à 1640, coïncide exactement avec le ministère de Richelieu, la France et la Turquie se trouvèrent finalement en grave désaccord. L'orgueil, la tyrannie, la cruauté inouïe de ce sultan, qui, d'autre part, s'était assuré une autorité exceptionnelle en rétablissant les frontières, en conquérant Bagdad, en refoulant la Perse, en domptant les rebelles, en reconstituant l'intégrité et la grandeur de l'Empire, avait été une offense presque constante à la dignité et aux intérêts de la France. Négociations en Moscovie et en Perse. Le commerce français avait grandement souffert de cette situation et. les commerçants rendaient responsable l'ambassadeur qui, parmi tant d'affronts divers, avait fini par être emprisonné pour dettes. Les relations étaient ainsi au plus mal. Une sorte de guerre larvée s'était installée sur les eaux méditerranéennes et les deux parties l'acceptaient comme un fait avec ses suites inévitables. Au cours de l'année 1636, alors qu'on était en pleine guerre avec l'Autriche et que la politique d'alliance avec la Turquie eût été toute naturelle, des centaines de Turcs captifs étaient condamnés à ramer sur les galères du Roi[16]. Quant aux Français, c'est par milliers qu'ils étaient détenus comme esclaves dans les divers pays musulmans de la Méditerranée. D'autres querelles, plus spécialement maritimes et qui devaient être d'un grand avenir dans les destinées coloniales de la France, se rattachaient à ces violences déchaînées. Nous allons y revenir. Mais il y a lieu d'insister d'abord sur les raisons qui portaient Richelieu à délaisser, du moins momentanément, la politique de François Ier et à chercher d'autres voies pour l'expansion commerciale de la France. Il s'agissait de sauter, en quelque sorte, par dessus l'Islam et de rattacher l'Asie centrale, l'Asie des Indes et de la Chine, à l'Europe occidentale, au moyen d'un vaste détour continental qui rejoindrait là France par la Baltique et les mers du nord. L'idée n'était pas nouvelle. Elle hantait certains esprits autour du Saint-Siège depuis l'époque des Croisades. Innocent IV, ayant le sentiment qu'il fallait, pour la sûreté de l'Europe comme pour la civilisation de l'Asie, évangéliser, si possible, les Tartares, leur envoya coup sur coup plusieurs ambassades de Franciscains et de Dominicains[17]. Les ordres religieux ne s'étaient jamais désintéressés de ces vastes desseins. Il n'est pas étonnant qu'on les ait retrouvés dans l'entourage
de Marie de Médicis et du Père Joseph sous la Régence. Deshayes, baron de
Cormenin ; voyageur et fils de grand voyageur, s'offrit pour les réaliser.
Dans le mémoire qu'il adressa à Richelieu, il attribua même une certaine
initiative, non seulement aux commerçants français, mais au shah de Perse
lui-même : Les
marchands français, disait-il, ont le commerce des soies, drogueries, pierreries, épices et
autres marchandises des Indes et de Perse par les États du Turc, lequel
trafic se monte par an ordinairement à six millions de livres. Les caravanes
qui apportent ces marchandises arrivent à Alep, où les François les achètent
et les apportent dans leurs navires à Marseille. Maintenant le roi de Perse
fait difficulté de laisser passer les caravanes pour venir en Turquie ; à
cause que le trafic enrichit les Turcs, ses ennemis[18]. Les marchands
français, d'ailleurs, sont troublés en leur commerce par les pirateries de
Barbarie ; de sorte que, par l'avis du roi de Perse et du conseil du roi de
France, ils veulent faire venir les marchandises de Perse par la Moscovie, ce
qui se peut faire aisément, car en sortant de Perse, elles peuvent venir par
la mer Caspienne jusqu'à la ville d'Astrakan en Moscovie. Lorsque les
marchandises passent par la Turquie, il faut les faire porter sur ses
chameaux, l'espace de quarante-six jours, à Alep. La dépense de la voiture de
Turquie est à peu près égale à celle de Moscovie[19]. Richelieu avait été saisi de l'affaire dès son origine : Depuis cinq ou six ans, écrit-il dans ses Mémoires, les marchands avoient proposé plusieurs fois une compagnie en Moscovie et de faire passer les soies par la mer Caspienne, la rivière de Volga et celle de la Moscova jusques à la ville de Moscou, et de là à Narva, avec peu de frais et, de Narva par le Sund, en France. Il ajoute que le Roi avoit désigné, en 1628, le sieur Deshayes pour aller voir si cela étoit possible. Ce même Louis Deshayes de Cormenin, fils du gouverneur de Montargis, avait été chargé d'entamer des démarches dans ce sens auprès du Danemark et des pays du nord, dès l'année 1624[20]. Une nouvelle mission, ayant pour objet de conclure un accord général avec toutes les puissances intéressées, lui avait été confiée en 1629 et il avait réussi partout. Les Mémoires de Richelieu s'expriment en ces termes : Tandis que le Roi étoit en Italie (pour l'affaire de Casal), le cardinal n'étoit pas si empêché par tant d'affaires que Sa Majesté avait dedans et dehors le Royaume qu'il ne pensai à l'enrichissement d'icelui par l'augmentation du commerce. Il proposa à Sa Majesté d'envoyer quelqu'un de sa part en Moscovie, pour traiter avec le prince[21] et obtenir liberté aux François d'y trafiquer à conditions raisonnables. Deshayes eut cette commission..... Du Danemark passant en Moscovie, il y fut bien reçu et, en novembre (1629), il obtint de ce prince pleine liberté aux François d'aller trafiquer en ses États, avec liberté de faire profession de la foi catholique et tenir près d'eux des prêtres pour leur administrer les sacrements, pourvu qu'ils ne fissent leurs fonctions en public. Il permit aussi que les François exerçassent entre eux la justice, sans que ses juges s'en mêlassent, et leur donnoit liberté de faire passer des courriers dans ses États pour envoyer en Tartarie ou en Perse les marchandises ordinaires de ces pays, lesquelles, néanmoins, il feroit donner à si bon marché par ses sujets qu'on n'auroit point lieu de les y envoyer quérir[22]. Ces origines lointaines de l'alliance russe ne furent pas absolument vaines. Nous voyons que Richelieu fit venir de ces pays les ables et agrès dont il avait besoin pour l'armement de ses vaisseaux. Mais, soit en raison des difficultés rencontrées par le commerce pour mettre à prédit ces accords, soit en raison de la guerre qui éclata entre la Pologne et la Russie, ou bien encore par suite des effets de la guerre de Trente ans dans les pays du nord et en Allemagne, les relations si heureusement établies ne semblent pas avoir duré[23]. Peut-être faut-il aussi tenir compte du parti que prit leur négociateur, Deshayes de Cormenin, de se jeter dans l'intrigue de Monsieur, qui l'avait chargé de recruter des troupes en Allemagne. Charnacé, son rival de carrière, le fit surprendre et arrêter ; ramené en France, Deshayes fut condamné pour haute trahison et exécuté à Béziers, le 12 octobre 1632. Les relations franco-persanes se maintinrent, mais, comme nous allons le voir, par les routes nouvelles de la mer. Le circuit de la Méditerranée. - Les États barbaresques. Revenons vers la Méditerranée et suivons le développement des difficiles rapports de la France avec les populations musulmanes. ['ne plainte indéfiniment répétée est le leitmotiv du commerce de Marseille et de toute la côte française dans la première moitié du XVIIe siècle. La piraterie rendait l'usage de ces eaux à peu près impraticable. Richelieu, en conseillant au Roi, dans son Testament politique, la construction d'une Botte de galères, écrit : Cette force ne tiendra pas seulement l'Espagne en bride, mais elle fera que le Grand Seigneur et ses sujets, qui ne mesurent la puissance des rois éloignés que par celle qu'ils ont sur la mer, seront plus soigneux qu'ils ne l'ont été jusques à présent d'entretenir les traités faits par eux. Alger, Tunis et toute la côte de Barbarie respecteront et craindront votre puissance, au lieu que jusques à présent ils l'ont méprisée arec une infidélité incroyable[24]. Telle était la situation : traités, capitulations, protectorat catholique, mission, commerce, tout était soumis au caprice de la Porte et des princes africains, sur lesquels le Sultan réclamait une autorité d'ailleurs discutée par eux-mêmes et sans responsabilité. Tunis, Alger, le Maroc, c'est-à-dire les régions musulmanes à demi indépendantes qui faisaient face à Marseille, considéraient les eaux de la Méditerranée et les rivages chrétiens comme un champ livré à leur rapine. Depuis des siècles, les échanges entre les deux côtes se poursuivaient, renouvelés sans cesse par le besoin, contrariés non moins constamment par des sentiments hostiles. Sans remonter aux Croisades, ni au temps de saint Louis, ni même jusqu'aux époques où des alliances momentanées établissaient une sorte de pacification précaire, il suffit de rappeler, qu'au début du XVIe siècle, sous le règne et même après la mort de Henri IV, grâce aux efforts de l'ambassadeur Savary de Brèves et de quelques adroits Marseillais, la pêche, l'exploitation du corail, les échanges avaient créé entre la France et les pays barbaresques, non sans de nombreuses protestations d'amitié verbale, une certaine tradition de vie commune, quoique dangereuse, acceptée par les intéressés à leurs risques et périls. La piraterie était, pour ainsi dire, entrée dans les mœurs. Tunis et Alger. Au temps de Cervantès, Alger se vantait de détenir vingt-cinq mille esclaves chrétiens. Et comment étaient-ils traités ? Mon maitre, dira l'un des personnages de Don Quichotte, pendait chaque jour son homme ; il empalait l'un, essorillait l'autre, et cela pour des motifs si minces ou pour si peu de motifs, que les Turcs reconnaissaient qu'il ne le faisait que pour le plaisir et parce que son humeur naturelle le portait à être le meurtrier de tout le genre humain[25]. Richelieu ressentit profondément ces atteintes cruelles à l'honneur chrétien et français. Cette hantise ne le quitta jamais et si, accablé d'autres soucis, il ne put conduire à bonne fin des projets destinés à assurer la sécurité de la Méditerranée, ses écrits et ses actes témoignent de sa volonté persistante d'en venir aux solutions énergiques préludant aux grandes œuvres coloniales futures. A Tunis, un homme d'expérience et de remarquable activité, Sanson Napolon, s'était installé au cap Nègre et, approuvé par le cardinal, il avait conçu le dessein d'établir dans l'île de Tabarca, un poste permanent, analogue à ce qu'était, en Algérie, le fameux Bastion de France. Cette fondation eût reçu, comme la future création du cardinal Lavigerie, le nom de Saint-Louis ou encore de La Fleur de Lys. On avait même obtenu du Grand Seigneur des commandements à ce sujet : d'autant que nous entendons, disait le firman, que ceux qui sont logés dans l'île de Tabarca sont Génois et nos ennemis jurés. L'entreprise ne réussit pas. Sanson fut trahi peut-être par ses ennemis de Marseille et assassiné à Tabarca dans la nuit du 10 au 11 mai 1633. Fin héroïque du plus remarquable agent que la France ait eu dans ces pays au début du XVIIe siècle[26]. Richelieu se décida à imposer par la force, simultanément
aux deux Régences, des traités de commerce et d'établissement et le respect
de ces traités. En février 1638, une expédition puissante fut préparée à
destination des côtes barbaresques. Quinze galères et dix-huit vaisseaux
ronds furent groupés en escadre sous les ordres du comte d'Harcourt, le
vainqueur des fies Lérins, et reçurent l'ordre d'attendre
aux îles
d'Hyères un vent favorable et, dès que l'armée seroit en état de faire voile, de s'en aller de
droite route sur Alger et, sans rien hasarder, à la faveur du canon,
d'obliger les habitants à demander la paix et se repentir de l'insolence
qu'ils avoient commise au Bastion de France ; et, s'ils témoignoient en avoir
regret, de traiter avec eux ; et que, de là ils essayassent
d'aller faire de même à Tunis... Ce grand projet est exposé dans les Mémoires
du Cardinal : Les ordres furent donnés,
ajoute mélancoliquement le rédacteur des Mémoires ; mais ils ne furent pas suivis, ou manque d'argent, ou par
quelques autres accidents qui survinrent ; l'armée tarda tant à faire voile que
le temps ne permit plus d'exécuter le dessein en Barbarie[27]. Richelieu n'était pas homme à se décourager. Le dessein
fut repris sous une autre forme. Le 2 décembre 1639, en présence de certaines
avances faites à la France par Morats Dey, chef de la milice de Tunis, qui
offrait de rétablir la liberté du commerce, de recevoir un consul français,
etc., on résolut d'envoyer chez les Barbaresques un négociateur expérimenté,
Jean-Baptiste Cosquiel. Il fut muni d'instructions conciliantes, visant
notamment le rachat des esclaves et la restitution du Bastion de France, qui avait
été détruit par les Arabes. Ce négociateur n'était pas démuni d'arguments
capables d'entraîner la conviction des Barbaresques : il était accompagné
d'une flotte que commandait Sourdis, archevêque de Bordeaux, et qui devait
partir dès le début de l'année 1640. L'archevêque, retenu sur les côtes
d'Italie et de Catalogne, se fit remplacer par le vice-amiral de Montigny.
Nouveaux retards. L'entreprise fut reportée d'une saison à l'autre. Cependant
Cosquiel avait gagné Alger et il avait obtenu un traité, d'ailleurs peu
satisfaisant, mais qui pouvait servir de base de discussion. L'archevêque de
Bordeaux reçut, le 2 janvier 1641, l'ordre de se porter en force sur la côte
barbaresque pour obtenir l'amélioration de certains articles et l'exécution
du traité. Richelieu lui écrivait alors, à propos de l'échange des Français
captifs à Alger et des Turcs prisonniers aux galères de Toulon : En vertu du traité conclu par le sieur du Cosquiel, M. de
Bordeaux consultera sur les lieux tant pour la délivrance des chrétiens que
pour l'affermissement du bastion. Il fera tout ce que la charité et la raison
requerront, la réputation du Roi étant conservée. Je lui déclare, en mon
particulier, que s'il ne tient qu'à donner quelque somme raisonnable d'argent
pour aider à retirer tous nos Français esclaves, j'y donnerai volontiers du
mien jusqu'à vingt mille livres..... Si ceux
d'Alger ne le font pas de bonne volonté, il faut le leur faire faire de force
l'année prochaine[28]. Richelieu persévéra : Quant au voyage de Barbarie, écrit-il encore, le sieur Des Gouttes, qui est le père de la mer, dit qu'il n'est plus temps d'y penser cette année ; on verra l'année qui vient ce qu'il faudra faire et les moyens qu'il faudra tenir pour réformer le traité d'Alger. Richelieu ne devait pas voir la fin de cette affaire ni profiter des dispositions, d'ailleurs assez satisfaisantes, du bey de Tunis. Le poste du cap Nègre subsista, mais, pour assurer un commencement d'ordre sur les eaux de la Méditerranée, il fallut attendre le règne de Louis XIV et l'expédition du duc de Beaufort, qui, en 1665, imposa, du moins à la Régence de Tunis, le respect d'un accord intervenu pour le commerce et la libération des esclaves. La question d'Alger resta en suspens[29]. Le Maroc. Des trois pays barbaresques, celui avec lequel la navigation et le commerce français entretinrent, au début du XVIIIe siècle, les relations les plus fréquentes sinon les plus faciles, c'est le chérifat du Maroc. Il y avait à cela deux raisons : la première que les seigneurs de cette côte mi-partie méditerranéenne mi-partie atlantique se trouvaient en désaccord, tant au point de vue religieux qu'au point de vue politique, avec le sultan de Constantinople ; la seconde qu'ils étaient les ennemis nés de l'Espagne. Il convient de signaler une circonstance particulière, à savoir que les conseillers de Richelieu en matière d'expansion maritime et coloniale, les frères Launay Razilly, étaient, en quelque sorte des spécialistes de la question marocaine. A remonter jusqu'au moyen âge, ou trouverait des relations établies par les navigateurs et marchands normands qui avaient jeté les premiers coups de sonde et inauguré ces anciennes traditions. Henri IV ne les avait pas négligées. Son imagination de Béarnais s'était amusée à certaines visions qui ne deviendraient réalités que des siècles plus tard, par l'action d'un Lyautey. Le roi Henri comptait tirer parti de la mort du roi de Fez, dont les enfants étaient divisés, pour entreprendre chaudement en l'abordant par le Maroc, la conquête d'Alger : Quant à moi, écrivait-il, j'irai cette année en Provence pour donner ordre de plus près à mes affaires sur ces occurrences, bien marri de n'être aussi puissant par mer que par terre pour tenir mon rang et faire tenir mon parti ce qu'il mérite. Je remédierai à ce défaut par les meilleurs et plus prompts moyens dont je pourrai chevir et disposer[30]. Ravaillac mit fin à ces projets. Les dispositions eussent sans doute été plus favorables, si un incident des plus fâcheux ne s'était produit. En 1610, un vaisseau espagnol s'était emparé d'un vaisseau français, Notre-Dame de la Garde, porteur des richesses que le sultan Moulay Zitane avait confiées au consul français, Castellane. L'Espagne garda le profit et la France eut la responsabilité de la perte. Pendant des années, on n'entendit parler que de la réclamation du Sultan. Le commerce était interrompu, les captifs souffraient, périssaient dans les fers, la piraterie marocaine reprenait sur les mers. Les frères Razilly avaient de grands projets sur la colonisation de l'Afrique par la France. Ils avaient saisi l'intérêt que présentait la navigation des rivages occidentaux pour aborder les terres équatoriales et prendre, par le cap de Bonne-Espérance, les voies de l'Extrême-Orient. Dans .le fameux mémoire adressé à Richelieu, ils disaient que l'occupation de Mogador avec une batterie de six pièces donneroit pied dans l'Afrique pour aller s'étendre plus loin ; et ils ajoutaient que l'îlot de Mogador avoit une telle importance qu'une faible garnison pouvoit tenir en échec toutes les forces de l'Afrique[31]. Auprès de Richelieu, le Père Joseph, inspiré lui-même par cette passion missionnaire, l'une des grandeurs de l'Église française, poussait à de rapides exécutions. Le cardinal se saisit de ces vastes projets, non sans les modérer cependant. Une expédition placée sous les ordres d'Isaac de Razilly partit en novembre 1624. Elle n'avait ni les forces navales ni une tenue de mer suffisantes pour s'installer sérieusement sur les côtes marocaines, sans abri contre les hautes vagues de l'Atlantique, et, encore moins, les troupes de débarquement nécessaires pour dominer les dispositions malveillantes du Sultan. Les Razilly furent rappelés et servirent devant La Rochelle, en 1625. Aussitôt après le siège (1629), la tentative fut renouvelée. La flotte transportait trois des Capucins du Père Joseph, qui devaient travailler à la délivrance des captifs. Nul résultat, cette fois encore : à peine arrivée, la flotte disparaissait, ne pouvant tenir ces durs rivages. Nouvelle expédition, l'année suivante. Razilly est accompagné d'un homme réputé pour connaître le Maroc, Du Chalard. Deux sultans mieux disposés s'étaient succédé depuis Moulay Zitane, Moulay Abd El Malek et Moulay El Qualid. Un traité fut conclu qui passait le linge sur le passé et rendait l'espoir d'un avenir meilleur (1631). Du Chalard ramena en France trois cent quatre captifs, .non sans prendre l'engagement de verser des sommes considérables, qu'il ne put réunir. Difficultés et intrigues de recommencer. Les admirables efforts des Trinitaires et de l'ordre, fondé par saint Jean de Matha, des Mercédaires, ordre espagnol, — ces deux ordres rivalisant, non sans aigreur, pour le même objet charitable, — obtinrent de nombreuses libérations. Après de persévérantes interventions de Razilly et de Du Chalard la situation s'était améliorée, sans cependant effacer toutes les conséquences de la malheureuse affaire Castellane. Le Maroc n'était plus hostile ; mais la pénétration était toujours empêchée. Sa côte elle-même ne devait être pendant longtemps encore qu'un point d'atterrissement, n'offrant qu'une escale pour le grand circuit africain. Telle était, d'ailleurs, la pensée de Richelieu et c'était celle qu'il avait indiquée dans une lettre à Razillly, dès le mois de juin 1629. En février, alors que la paix n'était pas encore faite avec l'Angleterre au sujet de La Rochelle, le ministre avait donné pour instructions à la flotte de mettre le cap sur la colonie anglaise de Virginia pour l'attaquer et sur le Canada pour le défendre. Maintenant il s'agit d'appliquer ce plan à un rayonnement sur l'Atlantique, soit vers le Nord soit vers le Sud, Mogador jouant le rôle que l'avenir réservait à Dakar[32]. L'historien du Maroc conclut : En somme, le règne de Louis XIII se signale, quant aux rapports de la France et du Maroc, par un très remarquable esprit de suite. On avait renoué des rapports officiels avec le Sultan et la république de Salé ; on avait installé des consuls dans les principales villes du Maroc. Cependant le commerce français n'avait pas regagné ses positions[33]. Le circuit par le cap de Bonne-Espérance. Le grand dessein de Richelieu ayant pour objet de longer la côte occidentale africaine en vue de gagner le cap de Bonne-Espérance et de déboucher dans l'océan Indien, n'en allait pas moins s'exécutant grâce à l'énergie persévérante des marins et des compagnies maritimes et commerciales. Ces régions lointaines ne leur étaient pas, d'ailleurs, inconnues. Si haut que l'on remonte dans l'histoire, on recueille les traces de la présence des navigateurs français sur les longs rivages du Sénégal, de la Guinée, du Gabon, de l'Angola., En 1434, Louis XI envoyait des navires à la découverte ; en 1488, le Dieppois Cousin trouvait un Français nommé Jean-Baptiste installé aux îles du Cap Vert ; les Saintongeais, les Normands, dont le fameux Parmentier, fréquentaient la côte de Guinée, fertile en poivre et en malaguette. On rencontrait sur les points de débarquement, c'est-à-dire le grand et le petit Popo, des nègres parlant quelques mots de français. Razilly fut chargé le premier de relever ces anciennes traditions. Il fonda, pour la Compagnie du Sénégal, un poste à l'embouchure du fleuve et s'installa sur une île qui reçut le nom de Saint-Louis. Malgré les difficultés que présentait la concurrence des Portugais d'abord, puis des Anglais, des Hollandais, le trafic était profitable. Des compagnies marchandes se succédaient ; leurs agents pénétraient peu à peu dans les terres. On peut dire que, dès 1638, la colonie française du Sénégal existait et était en voie de développement. L'érudit Peiresc traduisait l'opinion de son temps au sujet de l'avenir de l'Afrique, quand il écrivait en 1633 : Il ne tiendra qu'à nous d'y prendre pied, et d'y maintenir un commerce fort fréquent et fort commode, au lieu d'aller nous attacher dans l'Amérique, où la barbarie est plus grande, les esprits plus volages, les traverses des Espagnols plus capables de détruire en peu d'heures les travaux de plusieurs années. On dirait vraiment que le savant conseiller avait le pressentiment que les peuples de l'Amérique du Nord disparaîtraient au contact des établissements européens et que ce serait l'Afrique qui livrerait au Nouveau continent (au prix de quelles souffrances !) les travailleurs moins volages qui arracheraient à son sol tant d'infinies richesses. Pressentait-il aussi que l'Afrique deviendrait, un jour, le champ ouvert à la France pour son admirable entreprise de colonisation et de civilisation et pour la création d'une France africaine ? En tout cas, Richelieu, avec une clairvoyance non moins
extraordinaire, agissait en ce sens. Il répartissait entre les diverses
provinces maritimes françaises les territoires du continent noir. Après que
Razilly eut occupé le Sénégal, le sieur Rosée et ses associés, marchands de
Rouen et de Dieppe, fondèrent la Compagnie du Cap Vert avec, pour
représentant, un homme de mer choisi parmi les plus vigoureux, le capitaine
normand Emery de Caen. En janvier 1634, Saint-Malo créa la compagnie qui
obtint pour dix ans le privilège du trafic sur la côte de Guinée depuis
Sierra Leone jusqu'au cap Lopez, création qui donna lieu à cet écho
pittoresque dans la Gazette de France du 28 octobre 1634 : Arrivée à Dieppe, venant de la côte d'Afrique au delà du
Cap Vert, de quatre vaisseaux français chargés de gommes, cuirs, ivoire,
singes, guenons et autres richesses et raretés de cette zone torride, pour
apprendre à notre nation que nul climat ne lui est non plus inaccessible
qu'aux autres. En 1635, c'est le Parisien Pierre de La Haye qui obtient pour trente ans le privilège de trafiquer sur les côtes d'Afrique depuis le Cap Blanc jusqu'à Sierra Leone, exception faite des territoires attribués aux compagnies du Cap Vert et de Guinée, Et nous ne savons pas tout. Le commerce, là encore, avait son secret. Il ne dévoilait ni ses moyens, ni ses points d'attache, ni ses succès : le silence est d'or. On voit pourtant que, par la Guinée, les missionnaires et les marchands pénétrèrent jusqu'au Niger. Partout où ces hardis précurseurs ont mis le pied, la colonisation moderne s'est donné pour tâche de relever leurs traces et de reprendre la suite de leur labeur. Il n'est pas jusqu'au Gabon qui n'ait été pratiqué par nos trafiquants. Les Portugais avaient, comme on le sait, pris les devants[34] : les Hollandais les avaient suivis ; mais on avait noté antérieurement, et dès le XVIe siècle, les voyages faits jusqu'à l'Angola par les navires marchands partis des ports français. Au XVIe siècle, la Compagnie de Guinée poussait jusqu'à la côte d'Angola ou Côtes nouvelles. Il en fut de même plus tard des navires de la Compagnie des Indes Occidentales gagnant le cap de Bonne-Espérance. La troque, la pacotille se disputaient le commerce licite, c'est-à-dire celui qu'on avouait, y compris le bois d'ébène, la traite des Nègres. Ainsi se découvrait peu à peu le continent noir, plus noir encore de cet odieux trafic. Deux siècles après le Gabon et le Congo devaient, avec Brazza, connaître des découvreurs plus humains. Le circuit atlantique. Les mers boréales. Avant de doubler le cap de Bonne-Espérance, suivons l'exécution des desseins de Richelieu sur l'autre rivage atlantique. Quand les puissances du nord ; se sentant devancées par le Portugal et par l'Espagne, se décidèrent à entrer en lice, elles portèrent naturellement leurs regards vers les eaux qui leur étaient familières, celles des mers septentrionales. Entrainées déjà par la poursuite des baleines et des bancs de poissons migrateurs venant des côtes du Groenland et des mers arctiques, elles se convainquirent qu'il était possible de trouver par le nord le plus court chemin pour gagner les Indes. L'histoire de la marine a enregistré, pour la réalisation de cette utopie, les plus admirables efforts et les plus héroïques déceptions. La France, avertie par ses vieilles traditions, prit sa place dans la course, les Basques au premier rang. C'est ainsi qu'un capitaine de Saint-Jean de Luz, prenant texte du traité de commerce passé le 12 novembre 1629 avec la Moscovie, offrit à Richelieu de mener de front la pêche de la baleine et la recherche du passage par le nord. Encouragé et secondé par le ministre il aboutit à la côte occidentale du Spitzberg, qu'il dénomma hardiment France arctique, et il distribua à son gré, sur une carte qui a survécu, les noms français : Port-Louis, île de Richelieu (île Jean Mayen), etc. L'entreprise se heurta aux flottes hollandaises, danoises, anglaises ; son succès fut disputé et précaire. A la fin du règne de Louis XIII, la compagnie havraise de Vrolicq dut se transformer en Compagnie du Nord, établie pour la pêche de la baleine, sous les auspices d'abord de Maillé-Brézé, grand-maître de la Navigation, et ensuite du cardinal Mazarin. Le nom de Richelieu se trouva ainsi attaché à la réussite séculaire des grandes pêches du nord et à l'entreprise des découvertes arctiques[35]. Isaac de Razilly était d'avis que la France évitât de
s'engager dans les entreprises d'Extrême-Orient : Quant
aux Indes orientales, écrivait-il dans son mémoire, il ne faut s'imaginer y planter des colonies. Les voyages
sont trop longs, les Espagnols et les Hollandais sont trop forts. Il
insistait pour qu'on se saisit de ce que l'on avait, en quelque sorte, sous
la main : Il faudroit les borner le plus proche que
l'on pourroit, disait-il encore, sans tabler
sur les marchands impropres à dresser des colonies parce qu'ils sont
uniquement préoccupés du profit présent et indifférents à ce qui arrivera
dans l'avenir. Le circuit atlantique. Les rivages américains. Depuis près d'un siècle, sur l'autre rivage atlantique, un circuit français était en voie d'accomplissement. Sans remonter aux passages des baleiniers et pêcheurs de morues vers les Terres Neuves, il suffit de rappeler que, dès 1524, le Florentin Verazzano, commissionné par François Ier, avait fait flotter la bannière aux fleurs de lys tout le long des rivages de la future république des États-Unis. En 153 !ê, Jacques Cartier avait pénétré dans l'estuaire du Saint-Laurent et, en 1535, il avait planté la croix fleurdelysée à Gaspé. Au cours de ses voyages, il s'était emparé, pour ainsi dire, de la grande fissure qui, en remontant le fleuve et par le chapelet des mers douces, pénètre au cœur du continent. Plus au sud, nos corsaires, en bourlinguant aux passages de l'archipel des Antilles, faisaient le guet vers la porte des Iles du Pérou. Car, si on ne pouvait atteindre le pays de l'or, jalousement gardé par les Espagnols, on entendait, du moins, le surveiller au plus près. En 1530, Pierre du Péret, parti de Marseille, avait mis le pied sur le continent méridional, au Brésil, et Villegagnon avait fondé Henryville dans la baie de Rio de Janeiro. En 1562, les protestants de Coligny s'étaient installés en Floride et avaient imposé aux cours d'eaux de la région les noms de leurs chères rivières de France, la Seine, la Somme, la Loire. Déjà des découvreurs intrépides ou cupides avaient pressenti la proximité d'un autre océan qu'on pouvait aborder en franchissant les terres étroites de l'Amérique centrale, fallût-il, selon l'extraordinaire suggestion du père de la colonisation française, Champlain, couper l'isthme au moyen d'un canal. Par le Saint-Laurent, rejoindre le Mississipi et créer ainsi un empire aux deux rivages, aux espaces et aux espoirs illimités, c'était une idée qui naissait d'elle-même sous la plume et le crayon de nos premiers géographes. Les guerres de Religion avaient rogné les ailes à ce magnifique essor. Dominique de Gourgues, le dernier défenseur de la Floride, n'avait pu, comme, plus tard, tant d'autres colons français, se résigner à être abandonnés par la métropole : Il n'y a endroit au monde, écrivait ce vaillant découragé, ni plus riche ni plus ample ni plus aisé à conquérir. La dixième partie des hommes qui sont morts en la moindre de nos guerres civiles eût été plus que suffisante pour y conquêter l'étendue de plusieurs royaumes tels que celui-ci. Que ces paroles servent d'avertissement aux incroyables négligences et discordes acharnées des Français, qui, de tous temps, ont si cruellement piétiné la France ! L'ordre était à peine rétabli par la conversion et l'avènement d'Henri IV, pie la France reprenait l'œuvre de la colonisation interrompue. Car une parole énergique et claire suffit souvent pour refaire une troupe débandée. Des semences éparses, jetées presque au hasard, avaient, durant l'attente, pris racine, aux lieux favorables. L'année 1600, seize hommes s'étaient établis sur la rive du Saint-Laurent à Tadoussac, confluent du fleuve Saguenay. Et ce fut le premier poste français de la Nouvelle France ! En 1604, un marin, agent d'une compagnie normande, Pierre du Gua de Monts, à la tête d'une troupe de quelques vaillants hommes, parmi lesquels une de ces belles natures qui ne manquent jamais à la France, Champlain, avait pris possession d'un point sur la côte d'Acadie qu'il avait nommé Port-Royal ; il y avait fondé la deuxième ville de l'Amérique septentrionale, la future Annapolis. Champlain, mis à la tète du poste, tandis que son chef était resté en France, avait eu le temps de mûrir les pensées d'avenir qui germaient en lui. L'idée de passer d'un océan à l'autre le poursuivait. Par le nord, le chemin était comme ouvert : c'était cet estuaire du Saint-Laurent, dont Jacques Cartier avait pris possession au nom du roi de France. Champlain était renommé comme grand voyageur et bon marin. Il avait des amis dans l'entourage de Henri IV, qui lui faisait une pension. Il revint en France. Il persuada. En 1608, il repartait pour le Saint-Laurent et il remontait le fleuve jusqu'à un point nommé Québec (c'est-à-dire, en langue indigène, étranglement). Ce n'était plus seulement un poste, c'était la Nouvelle France qui était fondée[36]. Elle vécut vaille que vaille durant la minorité de Louis XIII, passant des mains du comte de Soissons à celles du prince de Condé. On parlait d'elle à la Cour. Les entourages de Marie de Médicis, où les moines et les prêtres abondaient, s'intéressaient au sort de ces populations lointaines, dénuées de religion et qui n'attendaient que la parole divine et le sang des martyrs. Richelieu était aux écoutes. Il avait près de lui des conseillers renseignés et ardents, le Père Joseph, la protectrice de ses débuts, Mme de Guercheville, les frères Launay Razilly par la suite, sa nièce, la duchesse d'Aiguillon, si ardente pour les œuvres missionnaires, on lui amena Champlain. Celui-ci parla avec sa belle verve de marin et sa grande imagination convaincante. Richelieu prit le vol. Éloigné du pouvoir en 1616, il ébauchait en silence le programme politique de son retour aux affaires : Il lui fallait des tâches, des hommes, du rêve. Champlain lui promettait de faire de Québec une ville pareille à Saint-Denis. Quelque temps avant sa mort, il écrivait au cardinal, de Québec, le 13 août 1635 : La beauté de ces terres ne saurait être trop prisée ni louée, tant pour la bonté des terres, prairies, diversité des bois comme nous avons en France, comme la chasse des animaux, gibier et poissons en abondance d'une monstrueuse grandeur, tout nous tend les bras, Monseigneur, et semble que Dieu vous ait réservé et fait naître par dessus tous vos devanciers, pour y faire un progrès agréable à Dieu, plus que aucun n'a fait. Razilly insistait pour que la première des œuvres navales fût la Nouvelle France. Comme Champlain, il apportait un programme colonial nouveau, non pas l'exploitation des mines et des hommes, mais la culture du sol, l'évangélisation des indigènes, les pêcheries, les pelleteries, la civilisation douce, la conquête honorable, sans violence ni alcool, sans l'âpreté des marchands qu'il considérait, affirmait-il avec insistance et avec tant de raison, comme impropres à dresser des colonies[37]. Richelieu fut convaincu. Avec sa résolution habituelle, une fois revenu aux affaires, il agit. Décision extraordinaire dont le mobile est surtout d'ordre moral. Prêtres et religieuses, Récollets d'abord, Jésuites bientôt, puis Sulpiciens ; dans les ordres féminins, Mme Bourgeois, Sœur Marie de l'Incarnation, tous se présentent de partout : coureurs du divin, marchant de front avec les coureurs des bois. Convertir d'abord ; la paix et le profit viendront après. Le génie français agit avec son désintéressement habituel, le génie latin avec sa passion civilisatrice. L'Amérique du Nord sentait ce souffle se répandre sur ses plaines immenses. Nous avons dit avec quelle fermeté le cardinal s'exprima dès les premières séances du Conseil royal auxquelles il participa, pour la construction d'une marine d'État ; nous avons dit ses déclarations à l'assemblée des notables, son projet de la Compagnie du Morbihan, rejeté par les États de Bretagne, qui inauguraient ainsi le malentendu éternel entre la métropole et l'essor colonial. Mais la conception supérieure reste fixée dans la tète et le cœur de quelques-uns. Laissons Richelieu parler lui-même dans le préambule des lettres patentes fondant la compagnie nouvelle, substituée à celle qui avait été projetée dans l'édit de Morbihan : Le Roi, continuant le même désir que le roi Henri le Grand, son père de glorieuse mémoire, avait dû faire rechercher et découvrir ès pays, terres, et contrées de la Nouvelle France dite Canada, quelque habitation capable pour y établir colonies... Monseigneur le Cardinal de Richelieu, grand maitre... par devoir de sa charge de faire réussir les saintes intentions des dits seigneurs Rois, ayant considéré... Le premier point est de disposer les peuples à la connaissance du vrai Dieu... Puis, après un blâme sur le désordre et l'incapacité des premiers colonisateurs, les lettres patentes énumérèrent les obligations de ceux qui se chargeaient maintenant de coloniser, ainsi que les engagements de toutes sortes pris par le gouvernement à leur égard. Après la signature du Roi, venait une ordonnance de Richelieu pour l'exécution des Lettres patentes[38]. Rien de plus sérieux, de plus grave, de plus voulu. Les habitations qui vont s'échelonner le long du Saint-Laurent, toutes rurales, recevront les premiers colons français : ce ne sont ni des chercheurs d'or, ni des convicts, ni des boucaniers, ni des marchands d'esclaves, ni des pilleurs d'épaves ; ce sont des forestiers, des trappeurs, des laboureurs, des hommes de la terre. Eux, leurs femmes et leurs enfants, ils resteront tels. Est-il croyable que, dans cette Nouvelle France à peine naissante, déjà la fidélité à la mère lointaine fût si ferme qu'elle résistât avec un courage héroïque à la première bourrasque, prélude de la tourmente éternelle qui sera sa vie même ? Le siège de La Rochelle avait eu pour conséquence la guerre avec l'Angleterre. La nouvelle parvenait au Canada le 8 juillet 1628. Le 9 juillet, une sommation de l'amiral anglais David Kirke mettait Champlain en demeure de céder le Canada et l'Acadie. Après un combat inégal, livré par une escadre française que commandait Claude de Roquemont, Champlain, sans armes, sans vivres, dut capituler. La paix étant signée en Europe, Champlain regagna la France. Dans les négociations de la paix, Richelieu avait sur le cœur l'injure faite aux couleurs françaises. Le retour des terres neuves à la France fut exigé, à la grande surprise du négociateur anglais. Au printemps de 1632, deux escadres françaises, l'une commandée par Raymond de La Rade, l'autre par Isaac de Razilly, reprenaient possession de la Nouvelle France et de l'Acadie. Champlain est donc réinstallé dans son gouvernement. Le 18 août 1634, il écrit à Richelieu : J'ai fait relever les ruines, accru les fortifications, dressé deux nouvelles habitations ; l'une, à quinze lieues au-dessus de Québec, tient toute la rivière en échec ; mon devoir m'a obligé de lui donner votre nom. Mais, parmi ces vicissitudes, la compagnie a été cruellement éprouvée ; elle se décourage, elle renonce. Richelieu, comme toujours, tient bon. Suivant les conseils de Razilly, il donne à la colonie un caractère plus strictement gouvernemental. Le 24 janvier 1634, un acte notarié constate que M. de Lanson, l'un de ces hommes de main du cardinal, est désigné comme conseiller d'État, intendant de la Nouvelle France[39]. En 1635, une compagnie nouvelle est constituée sur des bases plus larges et avec de nouveaux privilèges. Mais cette année 1635 sera funeste à l'empire colonial naissant. Champlain meurt à Québec, et la guerre qui éclate en Europe va retenir l'attention du cardinal, employer les ressources dont il dispose. Heureusement, au Canada, de premiers résultats sont obtenus : Québec, Montréal et Trois-Rivières sont fondées. Une organisation d'État s'est esquissée. Montmagny est nommé gouverneur en remplacement de Champlain. Les hurons, soutenus contre les dangereuses entreprises des Iroquois, sont devenus de fidèles alliés. De grandes découvertes s'accomplissent vers l'intérieur. Un coureur des bois, Jean Nicolet, a vécu de longues années parmi les indigènes du haut fleuve. Compagnon du Père Brébeuf, il parvient jusqu'à la rivière Ouisconsin, qui se jette dans le Mississipi. Il va de l'avant croyant trouver la mer. En fait, c'est la plaine, mais c'est la plaine dont les eaux s'écoulent vers le golfe du Mexique et qui seront le véhicule du grand empire français : Le sieur Nicolet, écrivait six ans plus tard le Père Lejeune, lui qui a le plus avant pénétré dedans ces pays éloignés, m'a assuré que, s'il eût vogué trois jours plus avant sur un fleuve qui sort du second lac des Hurons (le lac Michigan), il auroit trouvé la mer. Or j'ai de fortes conjectures que c'est la mer qui répond au nord du Nouveau Mexique et que de cette mer on auroit entrée dans le Japon, la Chine... Toujours le rêve ! Mais voilà qu'on touche à des résultats imprévus et réels. Le grand empire français d'Amérique n'attendra plus, pour se construire, que le voyage de Cavelier de Lassalle. Constatons l'œuvre profondément morale et civilisatrice des missions catholiques. Par la volonté du gouvernement, le catholicisme seul est admis dans la France d'outre-mer. Richelieu s'est bien gardé de transporter là-bas la querelle européenne et les dissensions affreuses qui viennent de déchirer la France et de la mettre sur le penchant de la ruine. L'unité et l'ordre avant tout. Voici les résultats. Dans la Nouvelle France de 1635, d'avenir encore problématique, la population sédentaire, disséminée sur le cours du fleuve, n'atteint pas deux cents personnes. Cependant, cette année-là les habitants de Québec bâtissent une maison d'école. Les Jésuites commencent d'y enseigner, étonnés, comme ils le disent, de se voir environnés de tant de jeunesse en ces commencements. Le 1er août 1635, le Père Lejeune écrit à Richelieu qui, parmi des affaires si accablantes se tient toujours au courant : Quelques personnes, très honnêtes gens, déclarent nettement aux Pères que jamais elles n'auroient passé l'océan pour venir en Nouvelle France, si elles n'eussent eu connaissance qu'il y avoit des personnes... capables d'instruire les enfants en la vertu et connaissance des lettres. Les ordres religieux, un bas clergé admirable, des instituteurs ambulants ont répondu à l'appel. Le la est donné : l'esprit de la colonie sera français, catholique, méditerranéen : Grandeur pathétique de cette orientation venue de si loin et qui engagera la navigation vers tant de voies périlleuses, en surmontant de si rudes tourments, mais qui durera au delà des siècles. L'épreuve, les luttes contre un ennemi acharné avaient fortifié en ces hommes leur enracinement spirituel. Ils appartenaient à la première période du Grand Siècle. Ils savaient comment on restaure l'ordre et la discipline sociale. En l'âme de ces gentilshommes et de ces paysans, vibrait la fierté de se rattacher à la meilleure race, au plus beau royaume du monde. L'école est un témoignage. Ce peuple voulait savoir le
français, parler français. Ainsi, par le langage et par la religion, la
France se perpétuait en eux. Cent ans après, la fortune des armes se sera
prononcée, la faillite de la métropole sera définitive. La terre sera
conquise. La Nouvelle France appartiendra à l'Angleterre. Mais, sur les rives du Saint-Laurent, il subsiste un petit
peuple de gueux sans bâtiments de ferme, sans foyer souvent, voire sans
instruments aratoires, sans un sol en son porte-monnaie. Son unique avoir, le
seul que n'ont pu atteindre ni le feu ni la banqueroute, c'est sa part du sol
conquis sur la forêt ; c'est la vigueur inentamée de ses bras et de sa
volonté ; c'est l'inaltérable gaieté française que la misère n'empêche pas de
sourire au travail ; c'est, enfin et surtout, la poussée de son histoire qui
en fait une race d'invincibles recommenceurs[40]. Précisément en cette année 1635, où Richelieu fondait l'Académie française, il avait ouvert sur l'autre rivage atlantique un champ immense au parler françois. C'était, avec le culte catholique, la plus forte des traditions au service de la plus jeune et de la plus vivace des énergies, qui se trouvait transportée au delà des mers et qui, selon le rêve de Champlain, devait gagner les rivages de l'autre océan. Une nouvelle immortalité était assurée au génie français. Le circuit se développe vers le sud. Cependant, le circuit atlantique se prolongeait vers le sud et il gagnait, par étapes maritimes d'abord, ce golfe du Mexique qu'il devait atteindre d'autre part en descendant le cours du fleuve ; il se portait en même temps vers la péninsule méridionale du Nouveau continent. Aux portes de la Nouvelle France sur cette large façade détachée qui, entre l'île du Cap-Breton et le cap Sable se porte en avant et constitue comme une façade projetée vers l'Europe, une province privilégiée a attiré depuis longtemps les préférences d'Isaac de Razilly ; il l'a nommée Nouvelle Guyenne. Les Français la nommeront l'Acadie et les Anglais l'appelleront la Nouvelle Écosse. Isaac de Razilly avait reconnu 'son excellente situation, la richesse de son sol, la commodité de ses ports. Il avait volontairement cédé le gouvernement du Canada à Champlain pour venir lui-même s'établir là Richelieu lui faisait la plus entière confiance et le soutenait de ses deniers. Mais Isaac de Razilly meurt la même année que Champlain ; son tombeau est au fort de la Hève, gardant cette terre qu'il avait choisie. Après sa mort, l'une des plaies du caractère français et l'une des misères permanentes de l'entreprise française accablent cette colonie à peine née : la discorde intestine détourne administrateurs et colons de l'œuvre nationale. L'Acadie périclite. Un Français, Latour, se met au service de l'Angleterre. Ce peuple, prédestiné à tant de souffrances, est arraché à sa nationalité, traqué dans sa foi. Mais lui aussi est un recommenceur. Il renaîtra. Aujourd'hui deux cent cinquante mille Acadiens parlant français se sont regroupés en Acadie. Ils s'attachent énergiquement à la douce France en chantant leur hymne national : Ave Maris stella[41]. Les Antilles françaises. Les Iles antillanes ont été, au temps de la découverte, les arches du pont qui reliait l'Amérique française du Nord à l'Amérique méridionale. Cette histoire est encore vivante et la France en célèbre, cette année même, le troisième centenaire. La grande île de Saint-Christophe fut abordée la première. Le 31 octobre 1626 était signé l'acte stipulant que le sieur d'Énambuc, Dieppois, et le sieur du Rossey pouvoient habiter les îles de Saint-Christophe, Barbades et autres, situées à l'entrée du Pérou depuis le 11e degré jusqu'au 18e de la ligne équinoxiale. Richelieu était, là encore, un fondateur. Il s'inscrivait sur la liste des associés pour six mille livres. Les Anglais s'installaient en même temps dans file. Après un certain temps de bon accord, des dissentiments se produisirent. Mais une escadre française, commandée par Cussac, imposa la paix en même temps qu'une politique d'efforts communs contre les Espagnols. Les concurrences et rivalités commerciales eurent le même résultat qu'en Acadie. La compagnie, périclitant, fut dissoute. Une nouvelle Compagnie dite des Iles d'Amérique la remplaça, toujours sous les auspices du cardinal de Richelieu et fut constituée par lettres patentes du 12 février 1635[42]. Cette société, plus fortement organisée, jouissait d'une autorité absolue ; les colons devaient être français et catholiques, les indigènes convertis à la foi catholique. C'est alors que furent fondés les établissements de la Martinique et de la Guadeloupe. Déjà le sieur de Caen avait obtenu du cardinal la propriété de cinq petites îles au nord de Saint-Dominique. D'Enambuc étant mort à Saint-Christophe en 1637, Philippe de Longvilliers de Poinci fut désigné comme gouverneur général, le 15 février 1638. La lutte contre les Caraïbes fut une chose atroce. Mais le bruit des profits immenses à recueillir aux Iles du Pérou se répandit ; les colons affluèrent. L'accroissement de notre domaine colonial, écrit l'historien de la Marine française, nécessita la création d'une lieutenance des Iles d'Amérique, dont Richelieu eût voulu étendre le ressort sur tout le continent. L'année 1638 fut décisive. Poinci était un homme énergique. Installé à Saint-Christophe, où il avait fait construire un magnifique hôtel du gouvernement, il remplissait les fonctions de vice-roi. L'autorité coloniale de -la France s'étendait sur tout l'archipel. C'est à ce moment que Marie-Galante fut prise à bail par Constant d'Aubigné, père de Mme de Maintenon. En mars 1642, le privilège de la compagnie était renouvelé pour vingt années. On comptait aux Iles du Pérou cinq mille colons. Richelieu mourut peu après le renouvellement de la charte laissant cette réussite si éminemment sienne à sa destinée. Le circuit prolongé en Amérique du Sud. On sait quelle attraction l'El Dorado, c'est-à-dire le Pérou, exerça sur l'opinion européenne après les découvertes portugaises et espagnoles : une contrée lointaine, mystérieuse, inabordable où les rivières roulaient sur un lit d'or, où les tabernacles, les statues, les meubles étaient en or, où sous terre affleuraient de véritables carrières du précieux métal. Tout et, par-dessus tout, l'arrivée des galions, excitait une convoitise universelle. Laissons parler le fils des conquistadors : Ils savaient que, bravant ces illustres périls, Ils atteindraient les bords où germent les béryls ; . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Et que, suivant toujours le chemin inconnu Des Indes, par delà les îles des Épices Et la terre où bouillonne au fond des précipices, Sur un lit d'argent fin, la Source de Santé, Ils verraient, se dressant en un ciel enchanté, Jusqu'au zénith brûlé du feu des pierreries, Resplendir au soleil les vivantes féeries Des sierras d'émeraude et des pics de saphir Qui recèlent l'antique et fabuleux Ophir. Les Espagnols et les Portugais s'étaient attribué le monopole de ces richesses et en avaient fait arbitrer le partage par le Pape lui-même. Mais la Réforme avait surgi, suscitant de redoutables compétiteurs. Hollandais et Anglais s'étaient jetés sur la proie. Les Français, une fois leurs querelles apaisées, étaient entrés dans l'arène. Si l'on regarde la carte, en essayant de se mettre dans l'esprit de ces hommes anciens, avec le sentiment qu'ils avaient dos difficultés de la navigation, en tenant compte de leurs très vagues notions sur les directions et les distances, on peut s'imaginer les raisons pour lesquelles furent choisies par eux les voies diverses qui devaient les conduire au trésor si énergiquement défendu par ses détenteurs. Partant de la côte européenne, leur première idée devait être de marcher droit à l'archipel des Antilles découvert par Christophe Colomb. Et ce fut, en effet, la première étape. Cette antichambre du Pérou avait en outre l'avantage d'être une excellente embuscade pour assaillir au passage les galions. Une fois en possession du chapelet d'étapes que forme l'archipel, on pouvait, sans risques graves, gagner d'île en île la péninsule méridionale, la terre même où se cache le Pérou. D'autre part, les navigateurs habitués des mers africaines pouvaient se détacher des rivages qui avoisinent le plus le nouveau continent, prenant leur vol soit des fies du Cap Vert, soit de l'embouchure du Sénégal. Ils avaient reconnu dès lors l'avantage que trouvent nos avions à se lancer de Dakar. Du temps de François Ier, ils avaient compris la valeur de la base splendide que pouvait fournir Rio de Janeiro et y avaient fondé un premier établissement. Ainsi se trouvaient-ils au point où, sur le continent, la côte atlantique se rapproche le plus de la côte du Pacifique. Des hommes entreprenants eurent concevoir le rêve d'arriver par le Brésil au Pérou. Mais, dès qu'on eut sur ces immenses contrées des données plus précises, on se rendit compte que la masse continentale était infranchissable. En même temps, on explorait l'embouchure des fleuves dont les flots puissants révélaient l'étendue, l'Orénoque, les Amazones, le Para. On se persuada que, si on remontait leur cours, le chemin des eaux permettrait d'approcher la région convoitée. On affirmait même, comme le répète Raleigh, que le dernier des Incas, fuyant devant Pizarre, était venu jusqu'au royaume de Guyane, en la grande ville de Manao, pour y ensevelir les trésors de ses ancêtres. La communication était donc possible et même assurée par là avec l'El Dorado[43]. Ces raisonnements, ces hypothèses, ces vagues divinati6ns où se ramassaient des bruits plus ou moins exacts, des convoitises aveugles, des audaces effrénées, attirèrent l'attention du roi Henri IV et de ses conseillers, qui devinrent, après sa mort, ceux de la Régente et de Richelieu. Deux hommes avaient présenté à Henri IV un projet d'établissement sur ces terres nouvelles. L'un était le Champlain de l'Amérique du Sud, La Ravardière, qui d'ailleurs, avait eu pour compagnon Champlain lui-même, et comme associés les frères Razilly, l'autre était un parent du cardinal, Claude du Plessis. Ce projet avait été pris en considération et, malgré la mort du Roi, par lettres patentes datées du 7 septembre 1611, une compagnie avait été constituée et une puissante mission était partie après que ses membres eurent signé ce pacte digne de mémoire : Nous soussignés, portant volontairement nos biens et nos vies pour l'établissement de la compagnie française au delà de la ligne équinoxiale pour le service du Roi, reconnaissant qu'il n'y a que l'obéissance due à nos chefs, l'union entre nous et le bon gouvernement entre les Indiens, qui nous puisse faire parvenir à une si généreuse intention,- protestons de faire tout ce qui dépendra de nous pour entretenir en pais et union une bonne société, etc. On voit, dans ce texte, que la leçon des discordes civiles était présente aux esprits. Mais l'autre danger, celui qu'avait signalé Sully et qui le fut de nouveau par Isaac de Razilly lui-même s'opposait au succès de ces belles entreprises. Les Espagnols, les Portugais et les Hollandais sont trop forts, disaient-ils. Et, en effet, avoir affaire, non seulement à l'inconnu, aux indigènes, aux difficultés du ravitaillement et des communications avec la métropole et se heurter, en outre, à la résistance acharnée des occupants européens, cela était au-dessus des forces humaines. Malgré l'enthousiasme que suscitait ce mot de si puissant attrait, El Dorado, malgré les nombreux enrôlements, malgré les concours pécuniaires, toutes les entreprises françaises sur le continent méridional étaient destinées à péricliter et à périr. En fait, les missions d'exploration qui pénétrèrent dans le haut bassin des fleuves n'atteignirent jamais le but et leurs découvertes ne profitèrent qu'aux Portugais, aux Hollandais, aux Anglais. La Ravardière, ayant pris pour point d'appui l'île de Maragnan et ayant bâti sur la côte le fort Saint-Louis, s'était enfoncé dans le continent pour explorer le Haut-Para. Mais l'amiral portugais Géronymo di Albuquerque, survenant en son absence, avait menacé ses relations avec Maragnan. La Ravardière était accouru. Après une admirable défense, tant sur terre que sur mer, où il fut secondé par Razilly, il dut capituler. Prisonnier, il fut emmené en Portugal, où il resta écroué pendant trois ans à la Tour de Belem. Il sollicita et obtint en 1621i, le renouvellement de ses pouvoirs de lieutenant-général en Amérique, des Amazones à la Trinidad. Cc fut en vain : ses associés protestants se révoltèrent contre le Roi lors du siège de La Rochelle ; la colonie de Maragnan était perdue[44]. La Ravardière avait embrassé dans ses visées tout le Royaume de Guyane, tant célébré par Raleigh ; il comptait mener de front la campagne d'exploration par les grands fleuves du nord de la péninsule. En sautant des Antilles sur le continent et en remontant le cours de l'Orénoque, on devait trouver le chemin vers la Nouvelle Grenade et gagner le Pérou. Mais, si, de ce côté, on n'avait plus affaire aux Portugais, on se heurtait aux Hollandais. Richelieu s'intéressa encore personnellement à cette expédition. On le voit délibérer à ce sujet avec la fleur de ses hommes de main : Mantin, le fameux Des Gouttes, le père de la mer, le fidèle Razilly. La commission de La Ravardière avait été renouvelée, nous venons. de le dire, en 1624. Après son échec, un nouveau contrat fut passé en 1633 avec la Compagnie rouennaise du Sénégal. En 1638, ce fut Jacob Bontemps qui obtint pour trente ans le privilège du commerce du cap Nord, entre les Amazones et l'Orénoque[45]. Mais Richelieu venait de mourir. Ce fut un désastre pour ces établissements, par eux-mêmes si précaires. Sous l'administration funeste d'une sorte d'aventurier, Ponat de Brétigny, les Hollandais engagent contre la colonie une rude guérilla ; les colons se divisent ; les indigènes se révoltent ; les derniers Français se réfugient dans l'île Saint-Louis et s'embarquent pour gagner les Antilles. L'œuvre cependant ne périra pas tout entière. Le nom de Guyane restait avec quelques attaches sur ses ruines. Mais il faudra des années pour que la France puisse ressaisir le fruit de ses efforts en Amérique du Sud. Razilly avait vu clair : dans les projets d'expansion, il fallait tenir compte du fait que, sur d'immenses parties de la planète, la place était prise par de premiers occupants. L'avenir de la France était vers les Terres Neuves.' En Amérique du Sud notamment, l'avenir de la latinité était assuré. Par la suite, la France devait exercer sur des terres amies une influence tout autre que celle de l'occupation et de la conquête mercantile. N'ayant laissé, sur le Nouveau Monde, le souvenir d'aucun méfait, elle avait pour mission d'y répandre les semences de la haute culture et de la liberté. Suite du grand circuit : par le cap de Bonne-Espérance. Dans l'œuvre de l'européanisation du Nouveau Monde, la France s'était laissée distancer. Restait un autre champ d'action ouvert à ses entreprises depuis des siècles et qui menaçait de se fermer si l'on n'agissait pas promptement, l'orient et l'Extrême-Orient. De ce côté s'était établi et développé depuis des siècles un trafic considérable, en partie occulte, remontant d'ailleurs à la plus haute antiquité, le commerce des Indes[46]. Marseille, de même que les républiques italiennes, était grièvement atteinte par ce grand fait : la planète se retournant pour ainsi dire, sur son axe traditionnel. La destinée de la France, au double front, est d'être sans cesse partagée entre son seuil méditerranéen et ses horizons atlantiques. Ce Commerce des Indes, disputé désormais entre tant de compétitions diverses, il fallait le ressaisir, le rattacher à nos voies maritimes, à nos débouchés, à nos marchés. Mais quel parti prendre ? Se lancer à la poursuite des premiers occupants, les Portugais, les Hollandais, déjà les Anglais ? Ne valait-il pas mieux persévérer sur les routes méditerranéennes traditionnelles, maintenir les voies éprouvées par la mer Rouge, le golfe Persique, quitte à les débarrasser des obstacles dont certaines circonstances occasionnelles les avaient récemment encombrées ? Le proche orient, nous l'avons dit, ne présentait, à ce moment, nulle sécurité soit par la faute des gouvernements, soit par la faute de leurs représentants, soit par la faute des marchands, ou même des missionnaires. Les deux systèmes étaient en présence. Il semble que, sous l'impression des faits extraordinaires qui venaient de s'accomplir, la tentation de la circumnavigation par le cap de Bonne-Espérance l'ait d'abord emporté. De ce côté même on pouvait relever les traces de traditions non négligeables. Les marins normands, bretons avaient longé par étapes les côtes de l'Afrique. Dès le règne de François Ier les flottes du fameux Ango, ou bien encore des hommes comme ce hardi Jean Parmentier, avaient pénétré jusque dans l'océan Indien ; ils avaient reconnu les routes de mer permettant de prendre à revers l'énorme continent asiatique par la Perse et Ormuz, par Calicut, Ceylan, Malacca, Sumatra, les îles Maldives. Quelles perspectives éblouissantes ! Mais voilà ! De ce côté aussi on retrouvait partout les Portugais, les Hollandais. Et puis, on manquait de bases d'opération, de points d'atterrissage ; les forces s'amenuisaient, se réduisaient à néant par la longueur des voyages, les difficultés de la navigation, les maladies, etc. De graves problèmes politiques et même géographiques restaient sans solution. Dans la métropole, un parti anticolonial s'élevait contre le gaspillage lointain des forces indispensables en Europe. L'argent et l'intrigue de l'étranger entretenaient à l'intérieur une polémique religieuse, politique, économique, contrecarrant des projets à longue échéance, sans résultats tangibles, nécessitant des sacrifices considérables, épuisant l'élan des hommes d'action. Sully écrivait en 1608 au président Jeannin : Notre rôle est de bouleverser la domination espagnole sans prétendre édifier sur ses ruines. Nous ne pourrions conserver de telles conquêtes comme trop éloignées de nous et par conséquent disproportionnées au naturel et à la cervelle des François, que je reconnois, à mon grand regret, n'avoir ni la persévérance ni la prévoyance requises pour telles choses, mais qui ne portent ordinairement leur vigueur, leur esprit et leur courage qu'à la conservation de ce qui leur touche de proche en proche[47]. Ces objections sont de tous les temps ; elles se sont répétées hier. Leur tort est de calfeutrer dans une médiocre pusillanimité l'énergie nationale et de faire d'elle, trop souvent, l'instrument de passions aveugles ou de dangereux calculs étrangers. Richelieu, Razilly pesaient le pour et le contre. Sans dédaigner les objections, ils les emportaient comme lest dans leur activité même. Henri IV ne s'était pas laissé arrêter par elles. Le génie français pas davantage. Les dissensions religieuses une fois apaisées, une volonté d'expansion ardente, et trop méconnue, ennoblit les débuts d'un siècle si tourmenté. Rappelons quelques noms et quelques faits : c'est Charles de L'Hôpital, qui, dès 1607, projette de faire le tour du monde ; c'est Balthazar de Moucheron, associé de Harlay de Sancy, qui frète une flotte chargée de faire un établissement en Afrique centrale ; c'est le capitaine Diable, dont les vaisseaux prennent, pour la première fois, ce nom de tant d'avenir les transatlantiques ; c'est la Compagnie malouine des Indes, qui échange à Sumatra et à Abjeh des toiles et des merceries d'Europe, des cotonnades de l'Inde contre des pierreries, des lingots d'or, des barres d'argent, de l'ambre, de l'indigo, des tapis, du satin, des coffres de Chine. Mais ces entreprises, comme tant d'autres, sont en proie à la piraterie des indigènes, à la tyrannie des Portugais, des Hollandais, qui les entourent d'une guerre d'embûches, d'une guerre de forbans sans merci et sans responsabilité. Henri IV meurt. L'entreprise magistrale qu'il a conçue lui survit. La flotte de Montmorency, qui a pris le nom de l'amiral du Ponant, a pour organisateur de Caen, et pour vice-amiral Augustin de Beaulieu-Persac qui en a laissé la relation dans ses curieux Mémoires. Une première expédition doublait le cap de Bonne-Espérance, le 30 octobre 1616. Une deuxième expédition partait de Honfleur le 2 octobre 1619. Celle-ci est marquée par un fait considérable : le 21 mai 1620, elle jette l'ancre dans les eaux de Madagascar, à la baie de Saint-Augustin. Le reste du voyage n'est plus qu'un héroïque échec. Une vaste circumnavigation qui relève les côtes de l'océan Indien, subit des assauts terribles, des échouements catastrophiques et ne peut que constater la difficulté d'un monde qui se ferme partout, alors qu'on le croit ouvert. Le 1er février 1622, la flotte de Montmorency quitte les îles de la Sonde, ayant perdu la plus grande partie de ses équipages et elle rentre en France avec un cinquième au plus de sa cargaison normale. Mais on savait, maintenant, qu'il fallait, à l'orée de ces mers lointaines, une base d'opération solide et bien munie ; à cet effet, on avait reconnu les Mascareignes et Madagascar. Des marins normands ont, dès 1616, poussé jusqu'aux abords de l'Indoustan. Montés sur le Saint-Michel et le Saint-Louis, ils ont fait escale à l'entrée de la mer Rouge, puis au golfe Persique avant de cingler vers Sumatra. D'autres, en 1620, ont longé les côtes du Malabar et s'y sont vus, près de Madgalow, assaillis par des pirates. D'autres, le Dieppois Gilles de Rezimont et Alonze Goubert ont, à leur retour en France, contribué par leurs récits à entretenir parmi les populations maritimes le prestige et même la fascination de ces pays de l'Extrême-Orient[48]. On voit à ces traits particuliers que los navigateurs français n'avaient pas perdu de vue l'idée, entretenue pat' les missionnaires, de chercher au delà de l'Empire ottoman, les moyens de développer, par les voies continentales, los relations avec l'Asie centrale. Le golfe Persique était l'un des principaux attraits de ce périple si aventuré. Une minutieuse enquête parmi les Turcs, les Arabes et les Hindous qui fréquentent Bantam apprit quels énormes profits réaliserait une croisière à l'embouchure de la nier Rouge ou à l'entrée du golfe Persique. Une promenade de ce côté eût même dispensé de mettre la main à l'argent apporté de France. Diamants de Bagalate, rubis de Ceylan, émeraudes de la Perse, perles d'Ormuz, muscades de Bantam, clous de girofle des Moluques, poivre de la Taprobane et gingembre de l'Inde eussent fourni un commerce sur place des plus rémunérateurs. Les Français et, en particulier, les Capucins installés en Perse, qui confirmaient ces avis, n'avaient ni dédaigné, ni oublié les propositions du Shah, qui concédait à la France le nord d'Ormuz pour en faire l'entrepôt des affaires commerciales en Asie, avec le bénéfice du trafic en mer Rouge, sur la côte d'Arabie dans le pays du Prêtre Jean. C'était remuer beaucoup de choses à la fois. Richelieu écoutait, se renseignait, réfléchissait. Sa pensée restait fidèle à la conception générale de trouver une voie d'accès spécialement française pour le commerce des Indes. Il s'était saisi surtout de l'intérêt que- présenterait la création d'un établissement solide à l'entrée de ces vastes mers. Enfin, il se décida. Au début de l'année 1642, la Compagnie des Indes orientales fut créée, mais, avant tout, elle devait prendre possession de la grande île de Madagascar et des îles environnantes. L'homme le plus qualifié pour rendre compte de ce qui se passa, le futur gouverneur de Madagascar, Flacourt, raconte la chose en ces termes : L'an 1642, le sieur Ricaut, capitaine de la marine, obtint de feu Monseigneur l'Éminentissime Cardinal de Richelieu, pour lui et ses associés, la concession et privilège d'envoyer seuls en l'île de Madagascar et autres îles adjacentes, pour là y ériger colonies et commerce, ainsi qu'ils aviseront bon être pour leur trafic, et en prendre possession au nom de Sa Majesté Très chrétienne, laquelle concession leur fut octroyée pour dix années, à l'exclusion de tous autres ; et la concession fut confirmée derechef par Sa Majesté à présent régnant (Louis XIV, après la mort de Louis XIII)... Le mois de mars, la Compagnie française de l'Orient envoya un navire dont étoit capitaine le sieur Cocquet... Cocquet arriva dans l'île au mois de septembre et, en passant, alla aux îles Mascareignes et Diego-Rais, desquelles îles le sieur Pronis et Foucquembourg, leurs commis, avec douze François pour y demeurer, prirent possession au nom de Sa Majesté Très Chrétienne... Les sieurs Pronis et Foucquembourg s'établirent au port de Sainte-Luce nommé Mangbafia, sous la hauteur de 24° sud[49]. Deux commis et douze hommes, tels furent les fondateurs. Ils furent rejoints quelque temps après (1er mars 1643) par les soixante-dix hommes que les seigneurs de la Compagnie avoient loués pour ledit pays. Le poste de Sainte-Luce parut bientôt insalubre. On se heurta aux deux grands ennemis que l'occupation européenne devait rencontrer en permanence dans l'île : le général La Fièvre et le général La Forêt. A la fin de 1643, la petite troupe alla s'installer en un point sera la véritable première pierre de la colonie de Madagascar, et, qu'en l'honneur du fils aîné de Louis XIII, dont on ignorait encore l'avènement au trône de France, on nomma : Fort Dauphin. Par la main de Richelieu la France orientale, était fondée. Deux cent cinquante ans après, lorsque le général Duchesne prit le commandement' de l'expédition qui allait établir la souveraineté de la France dans la grande île, le ministre des Affaires étrangères lui remit, à titre d'heureux présage, la médaille gravée par Varin et qui porte, à l'avers, l'effigie du cardinal, un vaisseau toutes voiles déployées, avec la devise : FRANCIA ORIENTALIS. Madagascar ! Sur cette réalisation d'un si haut avenir, s'achève le circuit de l'œuvre coloniale de Richelieu. Un trop rapide exposé a permis, du moins, d'en apercevoir l'ampleur. Tous les problèmes posés par les nouvelles découvertes ont hanté le cerveau du ministre, ont suscité son effort, ont été traités par lui en rapport avec la grandeur de la France et l'expansion sublime de la civilisation chrétienne. En lui, par lui, les desseins, les œuvres, les hommes se sont rencontrés. Il entoura la planète d'une ceinture d'intelligence et d'activité. Les eaux boréales sont explorées à la recherche du passage vers l'Amérique. Le continent asiatique est tourné par le nord ; et la Moscovie rattache l'Asie centrale à l'Europe occidentale. Sur ces mêmes eaux, l'avenir de la grande pèche est assuré. Par un coup de barre vers le sud, le Nouveau continent est abordé. L'Amérique du Nord est pénétrée en ses profondeurs inconnues ; elle reçoit les premières semences de cette civilisation humaine que le langage français conservera si précieusement. Le chapelet des îles Antillanes le recueille et l'égrènera sur ces mers par lesquelles la latinité règne sur la péninsule méridionale. L'autre péninsule triangulaire, l'Afrique, présente à Marseille sa face septentrionale, meurtrie, lacérée par l'invasion musulmane. Bientôt les États barbaresques seront lavés de ce nom indigne. Le circuit français commence par eux et la pénétration française arrache le bloc africain à la stérilité turque et à la barbarie millénaire. Du Maroc au Congo, la terre aux longs rivages et aux trop rares embouchures est longée, explorée, semée de factoreries, en attendant Faidherbe et Brazza. L'Afrique centrale est dévoilée, le Cap doublé. Le pied de la France est posé sur Madagascar, bouclant la boucle du grand circuit. Il se déplace encore pour s'avancer jusqu'à la mer Rouge. Il pousse jusqu'à l'isthme de Suez, qui attend Lesseps. La mission précède le trafic et lui ouvre les portes en gagnant les âmes. En Perse et au golfe Persique, à Ormuz, elle rejoint l'accolade prodigieuse qui, du nord, par la Moscovie, embrasse l'Asie jusqu'aux Indes. Ni les Capucins du Père Joseph, ni les Jésuites des missions n'ont déserté les voies ouvertes dès le moyen âge par la chrétienté vers l'Extrême-Orient. Le Père Alexandre de Rhodes parvient en Indochine l'année 1625 et, montrant la route à l'évêque d'Adran, il est, en 1627-1630, au Tonkin de Jules Ferry et de l'amiral Courbet. Ainsi la planète entière est entourée de la chaîne des jeunes créations que la Royauté développera et consolidera, tant qu'elle restera fidèle à la pensée de l'initiateur ; elle ne les perdra que lorsqu'elle aura abandonné les ,principes et renversé les alliances du précurseur. Il faudra ensuite tout un siècle pour que le fil soit rattaché, pour que le programme soit repris et rempli par la troisième République. Richelieu avait devancé ces magnifiques résultats. Sa trace est restée gravée partout sur la planète. C'est qu'il savait ce qu'on peut demander à la France. Il ne doutait pas de la hardiesse, de la vigueur, de la ténacité de son peuple pourvu que ses efforts soient dirigés. Pour les œuvres de la mer comme pour les œuvres de la terre, il sentait la Franco frémissante sous sa main, il trouvait, se présentant à lui et même le précédant, ces gens de main, ces hommes de Corneille qui lui font cortège dans l'histoire. Nous les avons nommés : c'est La Ravardière, c'est Champlain, c'est Sanson Napolon, c'est de Caen, c'est Des Gouttes, Mantin, Augustin de Beaulieu, par-dessus tous, les frères Launay Razilly. Et ce sont aussi ces Pères, ces missionnaires qui s'offriront au martyre en Amérique, en Asie, chez les Caraïbes, sur ces terres qui ne sont que désordre et qui attendent l'ordre. Ces Français s'attaquent à l'impossible : ils l'atteindront de leur effort ensanglanté. Ils savent qu'il y a derrière eux une France forte, une France terrienne, qui laboure et qui sème, une France protectrice, protectrice des Lieux Saints, fondatrice des protectorats. Tout se tient. On ne travaille pas à moitié, on n'aime pas à moitié, on ne se donne pas à moitié. Vouloir, c'est pouvoir. Le-possible, dit le philosophe antique, habite auprès du nécessaire. Faire de nécessité vertu ! Quand il faut, on fait, on agit, on crée. Tout dépend de la volonté et de l'amour, dont l'union engendre l'ordre ! L'ordre c'est la tête, l'amour c'est le cœur : en un seul mot, l'homme. Il faut un homme ! Car les hommes ne suffisent pas. Il faut un homme, un chef ! Tel est le sens profond de cette histoire où quelques nefs fouettées du vent, roulant sur les eaux par le souffle d'une volonté unique, s'en allèrent au hasard de la mer pour rapporter les épices et exporter, avec la parole du Dieu unique, la civilisation et la charité[50]. |
[1] Ces chiffres se rapportent à
l'évaluation de la monnaie saine, vers le milieu du XIXe siècle. Voir Jacob, De
la production et de la consommation des métaux précieux, t. II, p. 27, cité
par Duesberg, Histoire du Commerce, d'après l'ouvrage d'Hoffmann, 1849,
in-8°, p. 490.
[2] Sur l'expansion coloniale
portugaise et espagnole, voir l'ouvrage si complet de Charles de Lannoy et de
H. Vanderlinden : Histoire de l'Expansion coloniale des peuples européens,
t. I. Portugal et Espagne, Bruxelles, Lamertin, 1907, in-8°.
[3] Publiées, après sa mort, par
Molinet, en 1531.
[4] La plupart des ports et même
des châteaux qui ont été construits à la fin du XVIe et au début du XVIIe
siècle ont été bâtis en briques de Hollande par
des maçons hollandais. Dès le XIVe siècle ces étrangers construisaient, en
Picardie, le château de Beauvoir. Nous avons les devis de construction de La
Rochelle, du Havre, etc. en briques de Hollande, par
les maçons de Hollande (peut-être francs-maçons, en tout cas semant
partout les idées libérales). — Ce serait toute une histoire à écrire que celle
de la brique, histoire qui, au point de vue archéologique et sans doute
politique, présenterait le plus grand intérêt.
[5] Voir Hoffman et Duesberg, loc.
cit., p. 543-545.
[6] Edit. 1689, p. 516.
[7] Mémoires de Mathieu Molé,
t. I, p. 424.
[8] Voir Histoire des Colonies
françaises et de l'Expansion de la France dans le monde, publiée sous la
direction de Gabriel Hanotaux et de A. Martineau. Société de l'Histoire
Nationale et Librairie Plon, six volumes in-4° illustrés, 1919-1933.
[9] Voir le texte de la lettre
dans Ad. Huguet, Jean de Poutrincourt, vice-roi du Canada sous Henri IV,
Picard, in-8°, p. 28 et suivantes.
[10] Lettres de Razilly à Richelieu,
dans La Roncière, t. IV, p. 643.
[11] Mémoire rédigé à la demande du
cardinal de Richelieu et du maréchal d'Effiat. Cité par La Roncière, op. cit.,
t. IV, p. 840. — Voir aussi Garneau, Histoire du Canada, 7e édition. Félix
Alcan, in-4°, p. 544. — Challes, dont les curieux Mémoires sont trop peu
connus, raconte comment, contre la volonté de Colbert, la colonie du Canada fut
livrée au mercantilisme à la suite d'une intrigue, tramée autour de Louis XIV
par la gouvernante des enfants de France, la maréchale de la Mothe à laquelle
les intéressés avaient promis cinquante mille écus. Citons seulement la conclusion
de ce curieux récit : Malgré ce que M. Colbert avoit
représenté au Roi, la maréchale de La Mothe, qui ne vouloit pas perdre les
cinquante mille écus, employa tant d'insistances et d'intrigues que Louis
accorda le domaine du Canada à une Compagnie et, sur une autre remontrance que
M. Colbert lui fit, ou plutôt lui voulut faire, il lui ferma la bouche par un :
Je l'ai promis et je le veux ! M. Colbert fit donc le traité, mais il a
toujours dit qu'il n'en avoit jamais signé plus à contrecœur. — Mémoires
de Robert Challes, publiés par M. Augustin Thierry, Plon, p. 87.
[12] Lettres du Cardinal de
Richelieu, t. V, p. 607.
[13] Lettres du Cardinal de
Richelieu, t. V, p. 742.
[14] Voir Lettres du Cardinal de
Richelieu, t. VII, p. 360, et le récit des incidents concernant l'élection
du patriarche dans la Gazette de France de Théophraste Renaudot du 27
juin 1636.
[15] Il est très difficile de se
débrouiller dans la carrière de ce Harlay de Césy, où se trouvent mêlés Henri
IV, sa maitresse, Mme de Moret, l'Église, la diplomatie et qui se couronne par
l'indulgence que témoigna toujours à ce diplomate évêque le cardinal de
Richelieu, jusqu'à lui confier le soin de mettre sur pied ses propres Mémoires
(Voir J.-H. Mariéjol, Marguerite de Valois, p. 169, et Lettres de
Richelieu, t. VIII, p. 193). Césy garda l'ambassade jusqu'en 1634 et eut
avec son successeur, M. de Marcheville, des querelles d'une extrême violence
(Voir l'historiette de Tallemant des Réaux : La Comtesse de Nord et M. de
Césy, Édit. Techener, t. I, p. 107).
Hector
de La Ferrière, au cours des recherches faites par lui dans les bibliothèques de
Saint-Pétersbourg en 1863-1864, a rencontré une correspondance des plus
importantes adressée à Césy par Bouthillier, le Père Joseph et Richelieu
lui-même. Elle porte principalement sur les questions relatives au protectorat
catholique, aux dissentiments avec les orthodoxes, à l'établissement d'ordres
religieux et notamment des Franciscains dans l'Empire ottoman (Voir Hector de
La Ferrière, Deux années de mission à Saint-Pétersbourg, Imprimerie
impériale, 1868, in-8°, p. 80 et suivantes). Le Père Joseph parait avoir eu
l'ambassadeur en particulière estime. Il lui écrit : Votre
prudence nous guide et votre protection est notre bouclier. Et encore : Ce n'est pas une flatterie si je dis que votre action tient
quelque chose de la ressemblance de celle de Dieu, puisqu'il en est l'auteur ;
ce qui ne diminue pas plus votre gloire... etc. Il semble bien que
l'intimité des Bouthillier, du Père Joseph et de l'entourage intime dut
contribuer à la faveur dont le cardinal honora (non sans un grain de sel) ce
Césy devenu évêque de Saint-Malo. C'est par erreur que M. Avenel fait mourir
celui-ci en 1632. La date exacte parait bien être celle qui est donnée par
Lalanne, 1646.
[16] Lettres du Cardinal de
Richelieu, t. V. p. 965, 987, etc.
[17] Voir les textes cités dans
Gabriel Hanotaux, Histoire des colonies Françaises et de l'expansion de la
France, Préface, p. XXV, et suivantes.
[18] Ce sentiment n'est pas
surprenant chez le souverain qui, bientôt après, livra de plein gré le
privilège du port d'Ormuz à la France pour lui assurer une étape dans le golfe
Persique sur la route des Indes.
[19] Voir Caillet, op cit.,
2e édition, t. II, p. 82.
[20] Voir Mémoires de Richelieu,
t. X, p. 167, 175, 413 et Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p.
241, 299, 350 ; t. V, p. 940 ; et surtout la très importante note de M. Avenel,
t. VIII, p. 82, qui débrouille avec une grande clarté la confusion qui s'est
faite jusqu'ici entre les voyages du père, Deshayes de Cormenin et ceux du
fils.
[21] Michel Romanow (1613-1645).
[22] Voir Mémoires du Cardinal
de Richelieu, t. X, p. 414, note.
[23] Sur les événements qui se
passèrent entre la Pologne, la Russie, la Turquie, voir Levassor, Histoire
de Louis XIII, t. IV, p. 541, et suivantes.
[24] Ed it. ehévirienne, p.357.
[25] Cité par Paul Hazard, Don
Quichotte et Cervantès, Mellotée, in-12°, p. 18. — Il n'est peut-être pas
inutile de rappeler à nos temps calmes que l'historien de l'Empire ottoman,
Hammer, évalue à cent mille le nombre des innocents massacrés par le fameux
sultan Mourad (on Amurat) rien que pour satisfaire son
goût du sang. L'histoire de la captivité de notre saint Vincent de Paul
est dans toutes les mémoires. — Voir Pierre Ceste, Monsieur Vincent,
1932, t. I, p. 43.
[26] Voir Discours au vrai de
tout ce qui s'est passé au voyage de Sanson Napolon, à Constantinople, Tunis,
Alger dans Archives curieuses d'Histoire de France, 2e série, t. IV,
p. 96 ; l'étude de M. Léon Bourgnès sur Sanson Napolon dans Revue de
Marseille et de Provence, année 1886. — G. Hardy, La Tunisie, dans Histoire
des Colonies Françaises, p. 36. — Enfin, les brochures publiées à Alger par
la société Le Bastion de France, présidée par M. L. Filipi, à l'occasion du
tricentenaire, 1933. Ces publications intéressantes, consacrées à l'œuvre du Bastion de France, ont éclairci, pour la première
fois, le rôle de Sanson Napolon en Afrique du Nord et les atroces querelles
entre corses et Marseillais qui se sont opposées à toute solution équitable et
profitable des affaires barbaresques. V. les lettres de Sanson Napollon au
cardinal de Richelieu et à l'évêque de Saint-Malo, publiées dans le quatrième
bulletin, 172-178, etc.
[27] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, édit. Petitot, t. VIII, p. 308. — Voir aussi Lettres de
Richelieu, t. V, p. 1031, 1041 ; t. VI, p. 39, etc.
[28] Lettres du Cardinal de
Richelieu, t. VII, p. 275 et VIII, p. 182. Voir encore sur ces projets
avortés : Correspondance de Sourdis, publiée par Eugène Sue, t. II, p.
426 et suivantes.
[29] Voir Hardy, Histoire des
Colonies françaises, t. III, La Tunisie, p. 365 et suivantes. Pour
les détails spécialement maritimes, voir La Roncière, op cit., t. IV, p.
692 et suivantes.
[30] Cité par Hardy, Histoire
des Colonies Françaises, Le Maroc, p. 42.
[31] Cité par La Roncière, op.
cit., p. 681.
[32] Voir les textes cités par La
Roncière, op. cit., t. IV, p. 682, note.
[33] Pour l'exposé des affaires
marocaines sous Louis XIII, voir G. Hardy, Histoire des Colonies Françaises,
p. 44, 72, et La Roncière, Histoire de la Marine, t. IV, p. 690-692. —
Pour la bibliographie détaillée, Les Sources de l'histoire de France,
par Louis André, t. VI, p. 31 et suivantes.
[34] Voir Gaillet, t. II, p. 117 ;
et J. Bensaube, Découvertes maritimes des Portugais, Coïmbre, 1931.
[35] Les documents relatifs à ces
diverses tentatives peu connues sont cités dans La Roncière, op. cit.,
t. IV, p. 675.
[36] Voir le curieux document : Relation
du voyage fait en Canada pour la prise de possession du fort de Quebek,
dans Collection des manuscrits, lettres, mémoires, etc., sur la Nouvelle
France ; publication officielle, Québec 1883, in-4°, vol. I, p. 97 et p.
112.
[37] Isaac de Razilly, Mémoire
au Roi cité dans La Roncière, t. IV, p. 194. — Voir aussi : Commission du
sieur de Razilly, 10 mai 1632, dans Collection des manuscrits, etc., t.
I, p. 110.
[38] Voir Lettres du Cardinal de
Richelieu, texte d'après le manuscrit des Affaires étrangères, octobre 1626
; et note de M. Avenel, t. VII, p. 587.
[39] Lettres de Richelieu,
t. VII, p. 907. Jean de Lauzon était, en 1627, président de le Compagnie des
Cent associés. La Roncière, t. IV, p. 630-641.
[40] L'abbé Groulx, professeur à
Université de Montréal, Les Français au Canada, Delagrave, 1932, in-8°,
p. 10-31. — Voir aussi John Finlay, Les Français au cœur de l'Amérique, traduit
par Mme Émile Boutroux, préface de Gabriel Hanotaux.
[41] Voir les excellents travaux de
M. Lauvrière, surtout La Tragédie d'un peuple, Paris, 1923 ; pour l'état
actuel, voir G. L. Jaray, La France en Acadie, publié par le Comité
France-Amérique, 1935. Le nom de Razilly, l'une de nos gloires les plus pures,
n'est cité nulle part. La France se doit à elle-même de célébrer la mémoire des
deux frères, excellents serviteurs du pays.
[42] Voir les documents dans
Caillet, op. cit., t. II, p. 109, et la notice de Louis de Saint-Pierre
dans le Temps du 23 juillet 1985.
[43] La Roncière, op. cit.,
t. IV, p. 344.
[44] Les papiers de la Colonie
furent remis, en 1664, par le sieur Dodu à Colbert. Voir Bibliothèque
Nationale, fonds Clairembault, v. 1016, folio 638.
[45] Voir Histoire des Colonies
françaises, t. I. La Guyane, par Charles de La Roncière et Joannès
Tramond, p. 377 et p. 587.
[46] Voir A. Kammerer, La mer
Rouge, l'Abyssinie et l'Arabie depuis l'antiquité. Préface de Gabriel
Hanotaux, Les routes, p. 5.
[47] Cité par La Roncière, t. IV,
p. 277.
[48] Histoire des Colonies
françaises, L'Inde, par Henri Froidevaux, p. 5 ; et La Roncière, t.
V, p. 299.
[49] Voir Histoire des Colonies
françaises, Madagascar, par Froidevaux, p. 21.
[50] L'attraction puissante que la partie inconnue de la planète exerçait sur les esprits des navigateurs n'était pas seulement économique et commerciale. Un problème d'une importance capitale se posait pour tout ce qui pensait, celui de l'existence d'un continent austral, où s'entretenaient les vertus primitives données à l'homme par le Créateur. C'est la thèse du bon sauvage, lancée dès le rue siècle et reprise plus tard par Jean-Jacques Rousseau, ne laissant nul esprit indifférent, elle exaltait les cœurs. — Voir l'exposé de l'attraction exotique dans l'étude de G. Chinard, Le Supplément au Voyage de Bougainville, par Diderot (Droz, 1935, in-8°). Il cite ce passage du président de Brosses, dans son Histoire des Navigations aux Terres Australes, publié en 1756 et qui, même à cette date, se reporte encore vers l'aspiration universelle, toujours insatisfaite : La gloire d'une telle découverte (le continent inconnu) dépasserait celle des plus grandes conquêtes pour le roi qui y attacherait son nom ; ni la science ni la philosophie n'y perdraient ; car on y trouverait certainement des peuples fort différents entre eux et très dissemblables à nous pour la ligure, les mœurs, les usages, les idées, le culte religieux... On doit trouver un nouveau genre de monde tout à fait neuf, des branches entières d'un nouveau commerce et de merveilleux spectacles physiques et moraux... Tant il est vrai que l'humanité n'a jamais pu se satisfaire de son sort et de son étroite prison.