HISTOIRE DU CARDINAL DE RICHELIEU

 

L'ORGANISATION DES FORCES NATIONALES

CHAPITRE DEUXIÈME. — RICHELIEU ET LA MARINE. - LE GRAND DESSEIN NAVAL DE RICHELIEU. - LA PUISSANCE SUR LA MER.

 

 

Tirer quelque chose de rien.

De toutes les parties de l'œuvre de Richelieu, il n'en est aucune qui ait été plus personnelle, plus voulue, plus sienne, que la création d'une force navale capable d'assurer à la France la puissance sur la mer. Les origines poitevines du cardinal, son ascendance d'hommes de mer[1], ses premières expériences politiques dans les provinces océanes, tous ces éléments qui contribuèrent à sa formation éveillèrent en lui, dès sa jeunesse, des aspirations peu communes alors chez les Français. Mais le vaste dessein qu'il conçut fut surtout le fruit de ses réflexions profondes sur les conditions faites à la France en face de ses deux voisins redoutables, l'Espagne et l'Angleterre. Si la France n'était pas en mesure de leur tenir tête sur les deux mers qui la baignent, elle risquait de périr ou d'être reléguée à un rang secondaire.

L'équilibre des forces et la liberté des peuples exigeaient, avant tout, que la domination austro-espagnole, maîtresse de l'univers, fût contenue.

Or le cardinal, à peine arrivé au pouvoir, constatait que, pour réaliser ce dessein, tout était à faire. Tirer quelque chose de rien, tel était le problème.

C'est pourquoi Richelieu appliqua à cette entreprise la pleine tension de ses facultés et cette énergie indomptable qui était son caractère même. Hardie dans sa conception, urgente dans sa réalisation immédiate, magnifique dans son avenir, l'œuvre, quoiqu'il l'ait laissée inachevée, a ouvert à la France les voies de sa grandeur totale et a assuré au monde une équitable pondération dans la juste harmonie des races, des conditions géographiques et des mœurs sociales. Qu'eût été la civilisation européenne si, parmi les dissensions latine, anglo-saxonne, germanique et slave ne se fussent trouvées, de toute antiquité, la sociabilité, la belle humeur celtiques ?

Le tableau de ce que Richelieu a fait pour la marine française a été présenté récemment avec une grande richesse de documentation et une véritable maîtrise d'exposition. Aussi nous bornerons-nous à reprendre dans ses grandes lignes ce qui est désormais connu[2].

Pour l'action sur les mers, comme pour la puissance sur les terres, le système féodal avait tout localisé : c'était à une poussière de forces qu'avaient affaire, le cas échéant, les adversaires qui n'éditaient quelque entreprise navale contre la France. La moindre felouque turque ou barbaresque insultait sans risque ses rivages.

Il subsiste encore, sur nos côtes, un grand nombre de ces postes de guette, de ces torracas qui, à la première apparition d'une voile sur l'horizon, sonnaient la cloche d'alarme, allumaient des feux pour rameuter les populations des campagnes dans les centres fortifiés : Quel cauchemar, dès qu'un signal paraissait sur la haute tour du monastère de Lérins ; qu'une tramée de feux courait de cime en cime, de pointe en pointe, à Sicyé, au cap de l'Aigle, partout où il y avait des guetteurs en vigie dans leurs logettes ! Il suffisait d'une heure pour donner l'alarme au littoral entier depuis Antibes jusqu'à la tour de Boué [3]. Et, si le signe était trop tardif ou non obéi, c'était une rafle, une razzia qui s'abattait sur les populations paisibles, les femmes et les enfants enlevés pour le recrutement au sérail. Le rapt, l'esclavage des riverains étaient des faits si habituels qu'on en faisait des sujets de romans et de comédies. Pas un bateau marchand s'aventurant sur la haute mer, qui ne courût le risque de se voir attaqué à l'abordage par les pirates et, après le massacre de ses défenseurs, d'être traîné à la remorque pour revenir sous le pavillon du Croissant, contre ses constructeurs.

Et le mal ne se limitait pas aux eaux méditerranéennes ; il sévissait dans les mers atlantiques. Anglais, Espagnols, Portugais, Hollandais se livraient à la piraterie, soit tolérée, soit même encouragée par les gouvernements[4]. Il ne s'agissait pas seulement de rapine et de gain par violence ; il y avait, là aussi, une politique suivie. On prétendait divertir l'affection des Français de plus trafiquer sur l'océan et faire cesser entièrement le cours de notre navigation. Il n'y a rien qui nuise tant aux voyages au long cours que de se voir meurtrir, piller, voler impunément[5].

A ce mal endémique, que pouvait opposer la France vers la fin du XVIe siècle et le début du XVIIe ? Une résistance impuissante parce qu'elle était incroyablement dispersée, disséminée, fragmentée. Il n'existait pas de flotte nationale. Tradition féodale, esprit provincial, municipal, individualisme, chaque coin, chaque côte, chaque port ou havre, chaque pêcheur ou marin, ne comptait que sur soi-même, ne consentait que de mauvais gré à recevoir une direction, à se subordonner à une discipline quelconque. Chacun n'en faisait qu'à sa tête ; tout capitaine s'intitulait amiral ; des centaines de gros mariniers, vaillants, nourris dans l'eau de mer et la bouteille, se paraient de ce titre. La marine était un ordre à part en .ce temps de privilège ; pour y entrer, il fallait avoir passé la ligne et en avoir reçu le baptême ; d'où prétentions insupportables, compétitions, gaspillage, anarchie. Les ressources étaient comme le reste localisées, et, pour l'œuvre commune, réduites à néant. D'affreuses coutumes comme le droit de bris et naufrages, qui s'abattaient sur le désastre maritime pour en tirer la dernière substance, les droits de passage, d'entrée et de sortie, les confiscations, les prohibitions multipliées à plaisir comme pour rendre impossible tout commerce, entretenaient des sentiments hostiles à l'égard des entreprises maritimes et avaient fini par marquer d'un pli le caractère national : Ne changez jamais votre lance, votre cheval de bataille ni vos éperons dorés à une voile, bourlingue ou trinquet, car à la vérité, ce n'est pas le fait des François que la marine....[6]

 

Premières esquisses d'organisation navale.

Il ne serait pas juste de penser que la préoccupation de créer une marine (on peut dire surtout une marine de guerre) n'ait pas été comprise par les conseils de la Couronne et par nos grands Rois. Le Père Anselme a pu mentionner, au premier rang sur sa liste des amiraux, Florent de Varennes, qui, en 1270, conduisit saint Louis à Tunis. Sans essayer de débrouiller ici quelle part fut celle des particuliers et quelle fut celle du suzerain dans les guerres navales du moyen âge et, pour en venir tout de suite aux événements qui purent agir sur la formation et les déterminations de Richelieu, nous remonterons seulement au règne de François Ier et nous n'oublierons pas ce Guyon Le Roy, aïeul de Richelieu, qui remplit les fonctions .de vice-amiral et qui eut un rôle si considérable sur les destinées navales et coloniales de la France par la fondation du Havre.

Guyon Le Roy, des Le Roy de Chavigny, seigneur de Chillon et de Mondon, était Poitevin. Il avait voyagé, visité l'Italie, habité Gènes et Toulon. Ayant acheté à Gaston de Brézé la seigneurie d'Orcher, il devint maréchal-hérédital de Normandie et capitaine d'Honfleur. C'est ainsi qu'il comprit, — intuition digne de son arrière-petit-fils, — l'importance que pouvait avoir, pour la France, un grand port maritime à l'embouchure de la Seine, en ce lieu presque inhabitable et maresqueux et dedans la mer, pour y être plus commodément. Construire là où les eaux du fleuve se heurtent aux flots de la mer, telle était l'idée géniale que le seigneur d'Orcher soumit à l'amiral de Bonnivet et au roi François Ier ; et, ce qui est plus extraordinaire encore, c'est que, par l'ordre du Roi, elle se réalisa. Le n octobre 1518, la nef du Roi L'Hermine entrait dans le nouveau port. C'était le premier vaisseau qui y reçût l'abri. Il était commandé par François Du Plessis de Richelieu, gendre de l'amiral Guyon Le Roy et grand-père du cardinal de Richelieu[7]. Les Richelieu furent et restèrent pendant plusieurs générations gouverneurs du Havre de Grâce. Richelieu le fut et il parlait de cette ville avec une sorte de tendresse. Il y dépensa beaucoup d'argent et en fit construire les murailles en briques de Hollande. Cette ville était pour lui, disait-il, un lieu de repos, de confiance et de joie.

Le même roi François Ier, en signant avec le sultan les fameuses capitulations, avait assuré à la France une situation éminente dans la mer Méditerranée ; il avait maintenu au Royaume des Lys, comme un héritage des croisades, ce rôle de nation missionnaire qui devait caractériser la nouvelle expansion française, non seulement sur les bords de la mer intérieure, niais sur les terres apparues au même moment, sur la planète entière. La fameuse réplique de François Ier aux revendications de l'Espagne et du Portugal, prétendant exclure la navigation française de ces nouveaux continents, imposait à la Royauté et à la nation elle-même une politique navale mieux ordonnée et plus efficace. Une certaine pensée de centralisation, coïncidant avec l'accroissement de l'autorité royale, commença à se dessiner. Au mois de juillet 1517, le roi François Ier publiait les Ordonnances royaux sur le fait de la Marine pour remédier aux innombrables maux, pilleries, larcins et meurtres qui par chacun an ont été commis et se commettent chaque jour sur la mer tant par nos sujets mêmes que sous ombre-de nos guerres. L'exécution de ces ordonnances. est confiée à notre bien-aimé et féal cousin Louis de la Trémoille... amiral de-Guyenne et de Bretagne[8].

Une ordonnance de Charles IX, du 6 avril 1562, avait réglé les fonctions et les prérogatives du général des Galères entretenues à Marseille et à Toulon, sans toutefois porter la hache sur les prétentions abusives des amiraux de province. En 1579, Charles de Gondy, marquis de Belle-Île, est qualifié chef et capitaine des galères, galiotes, brigantins tant des mers du Levant que du Ponant. Un fait célèbre dans l'histoire navale est le salut imposé à coups de canon par l'amiral anglais au navire qui portait Sully, le ministre de Henri IV, chargé de mission auprès de la reine Élisabeth. Cette violence humiliante perça, au dire de Richelieu lui-même, le cœur de tous les François[9]. Au même moment, le cardinal d'Ossat, dont les lettres, nous l'avons démontré, étaient lues attentivement par Richelieu, traduisait en ces termes le sentiment de tout ce qui avait le sens des intérêts et de la dignité de la France[10] : C'est une grande honte au premier royaume de la chrétienté, flanqué de deux mers presque tout de son long, de n'avoir pas en provision des vaisseaux de guerre, ni moyen de se défendre de quatre méchantes galères du duc de Florence, ni d'empêcher qu'elles mettent à la France les chaînes au cou et les fers aux pieds.

L'attribution aux plus hauts personnages du Royaume, Coligny, Biron, Montmorency, du titre et des fonctions d'amiral de France prouve qu'il y eut comme un premier effort pour remédier à l'éparpillement de l'autorité et des ressources en matière navale[11].

Dans les premières années du règne de Louis XIII, la situation se précise ainsi qu'il suit : Henri II de Montmorency, âgé de dix-sept ans, est nommé, en 1612, grand amiral de France, de Guyenne et de Bretagne. D'autre part, comme récompense de sa soumission, le duc de Guise a reçu, avec le gouvernement de la Provence, le titre d'amiral du Levant.

Mais ces titres, de grand profit au point do vue personnel, étaient de bien médiocre efficacité au point de vue national : les vaisseaux, construits soit par ordre des amiraux soit au risque des particuliers, appartenaient aux constructeurs et ne relevaient qu'indirectement de l'autorité royale. Ces hauts personnages n'apportaient au service de la nation le concours des forces placées sous leur autorité que dans la mesure de leur fidélité.

 

Premières résolutions de Richelieu.

Telle était la situation lorsque Richelieu fut appelé, pour la deuxième fois, aux affaires. Dans les temps qui avaient précédé son avènement, il s'était tenu en relations avec une famille de marins, ses voisins de campagne et même ses lointains alliés, les frères de Launay *Razilly, hommes de grande expérience et de hautes vues, qui, ayant pris part à la découverte du continent occidental, déploraient la faiblesse navale de la France quand de si grands devoirs s'imposaient à elle, auprès et au loin. Le chevalier Isaac de Razilly avait certainement élaboré les éléments du mémoire qu'il devait rédiger à la demande de Richelieu, en novembre 1626, et qui se résumait en ces deux phrases : Quiconque est maitre de la mer a un grand pouvoir sur la terre... Voyez le roi d'Espagne depuis qu'il a armé par mer, il a tant conquis de royaumes, que jamais le soleil ne se couche sur ses terres. Après avoir lu ces avis autorisés, après avoir pris conseil du Père Joseph — celui-ci, entièrement absorbé alors par le projet d'une nouvelle croisade, avait suivi, de ses vœux ardents, les entreprises du comte de Nevers dans le Péloponnèse —, Richelieu s'était convaincu de cette nécessité : il fallait à tout prix que le pouvoir royal eût à sa disposition une force navale puissante.

Le ministre s'inspirait, en outre, de l'exemple de la Hollande qui, par ses Gueux de Mer avait mis en échec la fortune de l'Espagne. Même, il avait conçu d'abord le projet de recourir aux deux puissances protestantes, la Hollande et l'Angleterre, pour obtenir l'aide de leur marine dans la lutte qu'il prévoyait devoir s'engager fatalement. Cette pensée avait contribué grandement au conseil donné par lui au Roi de conclure le mariage d'Angleterre, de même que l'on .se portait au renouvellement de l'alliance avec les Pays-Bas.

Mais Richelieu s'était bientôt aperçu du danger qu'il y avait à se mettre, le cas échéant, entre tes mains de ces puissances protestantes, notamment s'il s'agissait d'agir contre des sujets protestants révoltés, comme Soubise, la ville de La Rochelle.

La question se posa, d'ailleurs, devant lui et devant le Conseil royal, par le simple développement des faits. En juin 1625. Soubise, chef de la rébellion huguenote, entre dans la rivière de Bordeaux avec soixante-quatorze voiles recrutées en Angleterre et en Hollande et il débarque à Castillon du Médoc. Il s'agit de le repousser. Comment faire ?

La proposition soumise au Conseil est de recourir aux vaisseaux anglais selon l'accord récemment intervenu ; et l'on pense aussi à faire appel à la flotte hollandaise. Mais le cardinal s'y, oppose énergiquement ; car il sent bien que l'Angleterre ne donnera pas au Roi autorité sur sa flotte, s'il s'agit d'agir non pas contre l'Espagne, mais contre les protestants français : Ce seroit, dit-il, pour ruiner les affaires du Roi et non pour y servir... Si les vaisseaux anglois viennent, il n'y a qu'à les renvoyer et faire entendre clairement que le Roi aimoit mieux ne les avoir point que de les avoir en sorte qu'il n'en fût pas le maitre. Du côté de la Hollande, la même difficulté se présentait, à peine atténuée par le besoin absolu que les Pays-Bas avaient du secours et des subsides de la France pour assurer leur indépendance contre l'Espagne[12].

Il ne restait qu'une solution : à la France, il fallait une flotte française. Cette proposition, formulée devant le Conseil, fut accueillie par une adhésion silencieuse. Richelieu n'en alla pas moins droit aux conséquences.

Le 18 novembre 1626, un mémoire, minutieusement élaboré et où l'on trouve l'écho des conseils du chevalier de Razilly, est adressé par le cardinal au garde des Sceaux. Ce mémoire appartient à l'histoire, car il est la déclaration solennelle de la nouvelle politique française en ce qui concerne la puissance sur la mer[13].

Ç'a été jusqu'à présent une grande honte que le Roi, qui est aimé de tous les princes chrétiens, ait été, en ce qui est de la puissance de la mer, inférieur aux moindres princes de la chrétienté. Sa Majesté, voyant le mal qui en arrivoit à son Royaume et à ses sujets, s'est résolue d'y mettre ordre en se rendant aussi puissante en mer comme elle l'est en terre. Sans cette résolution, il ne falloit plus faire état d'aucun trafic ; les sujets du Roi restoient tous les jours non seulement privés de leurs biens, mais de liberté. Nos voisins pensoient avoir droit de nous vendre leurs denrées à leur mot et prendre les nôtres pour ce que bon leur sembloit. Maintenant ces misères cesseront, Sa Majesté s'étant résolue d'entretenir trente bons vaisseaux de guerre pour tenir les côtes nettes, ses sujets dans les bornes où ils doivent demeurer et ses voisins en la considération qu'ils doivent avoir d'un grand État. La dépense de cet armement sera d'un million cinq cent mille livres par an. M. le Garde des Sceaux verra s'il faut parler de la suppression de la connétablie et de l'amirauté, qui épargne plus de quatre cent mille livres par an, et s'il faut dire un mot du soin que le Roi a voulu que le cardinal prit du commerce, soins attachés à une charge à laquelle lui-même n'a pas voulu qu'on attribuât de gage, ni aucune utilité qui tombât sur les coffres du Roi. En vérité, je ne sais s'il sera à propos de dire cela. Je m'en rapporte à ce que M. le Garde des Sceaux avisera[14].

Au moment où il écrivait ce Mémoire, Richelieu préparait les considérations qu'il allait présenter à l'assemblée des notables : Il faut, disait-il, par nécessité ou laisser ce royaume aux entreprises et mauvais desseins de ceux qui en méditent tous les jours l'abaissement et la ruine, ou trouver quelques expédients assurés pour l'en garantir.

 

Richelieu et l'Espagne. - La lutte sur la mer.

Ces indications générales visaient l'Espagne, et tout le monde comprenait à demi-mot. Richelieu savait que la puissance de l'Espagne, n'ayant guère d'autres ressources disponibles que les trésors des Indes, dépendait entièrement de ces arrivages et que, si elle n'était plus maitresse de la mer, sa puissance s'écroulerait. Dès l'année 1624, Richelieu écrivait sur ses carnets l'observation suivante : Cette année, à peine le roi d'Espagne pourra-t-il mettre armée en campagne pour la Flandre, la flotte n'étant pas venue[15].

Quelque temps après, il dut être renseigné d'une façon absolument précise sur la situation économique du grand adversaire de la France, par une lettre que le peintre Pierre-Paul Rubens, diplomate au service de l'Espagne, — d'ailleurs fort médiocre diplomate, — adressait, le 12 novembre 1626, à un érudit français, familier de Richelieu, P. Dupuy : Point de nouvelles encore de la flotte du Pérou, sinon qu'elle porte vingt millions en or, dont huit seulement sont pour le Roi. Cette énorme quantité d'or ne doit pas surprendre, puisque, les envois ayant été contremandés précédemment par la crainte des Anglais, celui-ci a été doublé, et c'est pourquoi il n'est pas arrivé au ternie dernièrement passé. Il porte la fortune de l'Espagne ; car tous les paiements ont été remis jusqu'à son arrivée et, partant, nous avons mis en gage jusqu'à notre chemise... Les Anglais ne peuvent que causer une perte énorme à l'ennemi sans faire le moindre profit pour eux-mêmes ; car les capitaines des galions ont reçu l'ordre, s'il n'y a pas de moyen de sauver le bâtiment, de mettre le feu aux poudres et, afin qu'ils puissent le faire la conscience tranquille, ils portent au col la dispense que leur a donnée le pape pour pouvoir se tuer légitimement[16].

L'assemblée des notables avait été frappée de l'importance des vues de Richelieu, développées et défendues devant elle par un de ces évêques politiques groupés autour de lui, d'Estampes de Valençay. Elle avait supplié le Roi de consacrer un fonds annuel de un million deux cent mille livres à la création d'une flotte de quarante-cinq vaisseaux de guerre et à l'entretien de ses galères. Mais ces résolutions, ainsi que les prescriptions édictées par le Code Michau, furent toutes platoniques. L'opinion se détournait vite de ces problèmes.

Richelieu ne les perdait pas de vue.

Le commandeur de La Porte, oncle du cardinal, avait été chargé de présider un conseil de la Marine chargé de rendre compte de l'état des choses en matière navale. L'ordre de construire des vaisseaux était donné partout. Les frères de Launay Razilly et M. de Chaulieu en Bretagne, du May en Normandie, réunissaient l'argent nécessaire pour hâter le travail. Richelieu écrit à Isaac de Razilly : Je serai bien aise que M. de Launay, votre frère, s'en revienne ici, ayant toujours besoin d'avoir près de moi quelqu'un qui m'instruise aux affaires de la mer[17].

Le cardinal s'aperçut bientôt que ces efforts en ordre dispersé ne pouvaient aboutir aux résultats massifs qu'il entendait obtenir. Les provinces, les magistrats locaux, les Parlements se mettaient en travers de la moindre initiative.

 

La leçon de La Rochelle.

Le siège de La Rochelle lui fut, à ce point de vue, une leçon qui fut une véritable torture. Les sujets du Roi avaient des vaisseaux en nombre, et le Roi n'en avait pas ! Les concours promis, au début, par la Hollande parurent frappés d'inertie à l'heure décisive. Nous avons dit comment la flotte espagnole resta plus inerte encore, quand elle fut envoyée pour combattre la flotte britannique. Le duc de Guise remporta une victoire navale de peu de suite. Finalement, le succès fut dû aux ingénieurs de la digue, non aux marins[18].

Là comme partout, les résultats dépendaient de l'unité dans l'action, c'est-à-dire d'une administration active et centralisée. Richelieu savait désormais à quoi s'en tenir sur ce sujet : dès le mois d'octobre 1626, il s'était fait investir par le Roi de la charge de Grand Maitre, chef et surintendant général de la Navigation et Commerce de la France. Les obstacles habituels s'opposèrent naturellement à cette création ; en fait, ce titre n'eut son plein effet que peu à peu. Le duc de Montmorency, amiral de France, avait bien remis entre les mains du Roi sa démission de cet emploi vers le commencement de 1626, mais la charge d'amiral de France, grand office de la Couronne, n'avait été supprimée que par un arrêt du mois de janvier 1627[19].

Nous avons vu quelles graves conséquences ces mesures entrainèrent. En Provence et en Languedoc elles donnèrent lieu aux troubles qui aboutirent à l'exil du duc de Guise et à la condamnation à mort de Montmorency[20].

La surintendance, concentrant tous les droits et pouvoirs de l'amirauté royale et des amirautés provinciales, faisait de la marine le domaine des Richelieu. Pour être tout à fait chez lui, le ministre installa à ce poste son oncle, le commandeur de La Porte, d'ailleurs homme compétent ; il fit de son neveu Pont-Courlay, le capitaine des galères ; tout à la fin son autre neveu, le marquis, plus tard duc de Brézé[21], considéré à juste titre comme excellent homme de mer, prit le commandement des flottes royales en remplacement de Sourdis.

 

L'offensive espagnole dans la Méditerranée. - L'occupation des îles de Lérins.

En somme, pendant de longues années, la poursuite hâtive du but que s'était proposé Richelieu dès son arrivée au pouvoir, à savoir la constitution d'une force navale française, ne fut guère qu'une assez vaine improvisation.

Le gouvernement espagnol, sentant bien que la puissance sur mer dont s'emparaient peu à peu ses ennemis vouait son vaste empire à un risque de séparation mortelle, avait pris les devants. La guerre à peine déclarée (septembre 1635), il envoya une flotte et un corps de débarquement s'emparer des îles de Lérins (Sainte-Marguerite et Saint-Honorat), visant à mettre le pied sur le continent à la Croisette, pour tenir sous sa loi la côte de Provence. Ce fut sous le coup de cette offensive imprévue que l'exécution des projets de Richelieu dut prendre ce caractère fébrile et trépidant qui anima sans doute, mais contraria aussi jusqu'à la fin l'entière réalisation du plan élaboré par le cardinal.

Le Conseil de la Marine, présidé par le commandeur de La .Porte, et ayant pour membres, des gens de réel mérite, d'Infreville, le futur collaborateur de Colbert, Séguiran, chargé spécialement de l'enquête en Provence, poursuivait ses recherches, accumulait des rapports. Mais ces hommes de confiance ne pouvaient que constater une négligence invétérée, une apathie générale, l'abandon universel du devoir dans l'incurable éparpillement des ordres et des responsabilités. C'est par l'étude des rapports de cette commission[22], qu'on peut se rendre compte de l'état de délabrement où se trouvaient les forces maritimes de la France.

En ce qui concerne les côtes de Picardie, de Normandie, de Bretagne, voici les faits : Le sieur de Quéralain est capitaine garde-côtes de l'évêché de Vannes en Cornouailles ; la garde s'est faite, durant la guerre, par ordre de M. de Brissac on quelques lieux et, aux environs d'Auray, par l'ordre du sénéchal et, à Vannes, par le président du présidial (un juge !) quoique le sieur de Vieuxchatel qui commande à Vannes, prétende ladite capitainerie et s'y opiniâtre... Donc querelle d'attribution, anarchie !

En Provence, d'après M. de Séguiran, c'est pis : Tout y est en voie de ruine.

Sourdis, chef des Conseils du Roi en l'armée navale, arrive à Toulon, et voici ce qu'il trouve : Le plus important des forts, écrit-il à Richelieu, c'est une vieille tour, où il y a deux batteries, dans lesquelles on pourrait mettre cinquante canons et cinq cents soldats ; il y a du bon canon dedans, mais il est tout démonté et :nulles munitions que celles qui ont été mises par ordre de Votre Éminence, il y a quinze jours. Un bonhomme de gouverneur, qui n'a pour toute garnison que sa femme et sa servante, y est, y ayant vingt ans qu'il n'a reçu un denier, à ce qu'il dit[23].

Il fallut tout relever, tout remettre en ordre, non sans de grands retards et de multiples erreurs. Bien que la direction des constructions navales eût été confiée à un ingénieur hollandais, la première série des bateaux fabriqués en France sombra à la sortie du port. Un bon système de recrutement des équipages ne fut jamais mis au point. Le cardinal dut s'appliquer à former des techniciens, des pilotes, des canonniers, des capitaines, un État-major. Le haut commandement fut son constant souci. Richelieu n'eut pas la chance de trouver, pour les choses de la marine, une collaboration à la fois active et dévouée, telle que l'était, pour les choses de la guerre, celle de Sublet de Noyers.

 

Les ports de mer sous Richelieu.

Rien ne prouve mieux l'espèce d'isolement où se trouvait le Surintendant de la Navigation juché sur son haut poste de vigie, que l'impossibilité où il fut de créer deux véritables ports de guerre, l'un sur la Méditerranée, l'autre sur les mers océanes. Dans la Méditerranée, Toulon, qu'il avait choisi, d'après les rapports de ses intendants et de la commission d'enquête, était encore dans le même état de délabrement lorsqu'il fut visité en 1642 par le commissaire Arnoux.

Nous avons dit l'intérêt que Richelieu portait au développement du Havre, fondé par son grand-père et dont il était le gouverneur. En mars 1632 il délègue, pour surveiller les travaux du port et. de la forteresse, Sourdis, archevêque de Bordeaux, qui était charge aussi comme nous l'avons vu, de la surveillance des travaux de Brouage et de Richelieu. Avec quelle minutie, le cardinal fait libeller les ordres qui doivent être exécutés : M. de Bordeaux fera faire, s'il lui plaît, le toisé général du Havre, en y observant toutes les formalités requises ; en sorte que l'on voie nettement tous les travaux qui sont faits, ceux dont on a rendu compte... et ensuite ceux qui sont nécessaires à parachever pour la force de la citadelle et ceux qui restent pour son ornement. D'autre part, il faut voir tout l'argent qui a été dépensé au Havre, celui qui a été fourni par le Roi et partant celui qui a été avancé par M. le Cardinal ; et ensuite celui qu'il faudra dépenser encore en ladite citadelle... Suit un détail infini pour ce qui concerne la garnison, sa solde régulière : Il fera mettre en bon ordre tous les canons et les armes qui sont dans le Havre, dans les magasins, la citadelle et la tour, en sorte que le tout soit non seulement conservé comme il faut, mais soit vu avec plaisir. Il verra à mettre ordre que les magasins de poudres soient bien assurés et que les salpêtres qui y arriveront de Hollande, s'ils n'y sont déjà soient conservés et le soufre mis séparément, le tout avec bon ordre.

La mission de l'archevêque de Bordeaux ne se bornera pas aux travaux du Havre : il visitera le Pont-de-l'Arche et prendra les mêmes précautions pour la mise en état et pour l'armement du port. Ensuite il se rendra à Brouage, Ré et Oléron, afin qu'on voie tout en bon ordre[24].

L'activité, l'insistance du ministre et de ses délégués n'aboutirent qu'à des résultats tout à fait insuffisants. Le Havre, à la construction duquel le cardinal gouverneur avait consacré des sommes immenses, ne put, de longtemps, en raison de l'ensablement, recevoir de véritables navires de guerre. Brest était un choix admirable dont l'avenir passionnait Richelieu ; il disait mon Brest. Mais, en raison des oppositions locales, du manque d'argent, des incompréhensions de toute nature, l'œuvre ne fut achevée que cinquante ans plus tard. Brouage enfin, que l'on avait désigné en vue de relier en quelque sorte les deux mers, fut un échec complet. Le pauvre village actuel, désert, ruiné, ensablé, demeure comme un témoin à faire pitié, de la vanité des entreprises humaines. Le règne se terminera sans que la flotte française dispose d'un port de mer qui soit un abri sûr[25].

 

Difficultés rencontrées par Richelieu pour la réalisation de ses vues en matière navale.

Malgré tout, Richelieu ne perd pas de vue sa grande pensée : sa correspondance en témoigne.

La véritable raison de l'impuissance où il fut de réaliser son grand rêve naval, se trouve aussi dans les brusques et terribles vicissitudes de la guerre continentale. Il fallait courir au plus pressé. Dès la seconde année des hostilités, l'ennemi est à Corbie. Il faut pourvoir à la sécurité de Paris, à la conservation ou à la reprise de ces provinces du nord et de l'est qui sont le rempart de la France, Arras, Saint-Omer, Lons-le-Saunier, Nördlingen, Brisach, La Mothe, La Marfée : ce sont des à-coups constants, des gouffres pour les hommes et pour l'argent, des nécessités pressantes, urgentes. Les armées réclament ; les flottes, les ports, les mers attendront.

Malgré tout, le plan général est suivi avec une foi, une persévérance, une obstination qui ne quitteront jamais, même sur le bord de la tombe, ce visionnaire de la grandeur française, dans la certitude où il est, que la partie engagée contre l'Espagne dépend de la mer et que la prospérité totale de la France tient à la puissance sur la mer. Mais les exigences multipliées de la guerre aux cinq fronts l'appellent de toutes parts, sans compter le front intérieur, la Cour, l'intrigue, qui ne lui laissent pas une nuit de sommeil, pas une minute de repos.

L'affaire des îles de Lérins lui avait été, nous l'avons dit, un coup de poignard dans le cœur. Que faire ? Quels moyens ? Quelles ressources et quels hommes ? quand le ministre n'a sous la main pour le seconder que des gens d'Église et, comme amiral, comme chef de la mer, ce Sourdis, un évêque !

Le cardinal se fait-il des illusions sur le mérite, même quand il compte sur la fidélité ? Écoutons-le : M. de Chavigny dira à Sa Majesté les grandes difficultés que je trouve pour faire réussir l'armement naval, faute de trouver un chef propre à le commander..... Trois mois après qu'il sera parti, il se dissipera et, d'autre part, s'il n'est bien commandé, il ne fera rien. Ces MM. les Évêques qui ont travaillé des deux côtés (sur les deux mers) représentent que tout au plus quand ils auront fait partir l'armement des ports, ils auront satisfait à leur devoir, à leur charge et à ce qu'ils peuvent..... Quant à ce qui est du commandement, je ne vois que trois personnes qui puissent être mises en jeu sur ce sujet ; encore y en a-t-il deux qui ne savent du tout rien à la mer et qui ne peuvent servir que de leur nom ; il plaira à Votre Majesté de choisir le meilleur qu'elle estimera à cette occasion. De Rueil, 21 mars 1636[26].

Ce sentiment profond qu'avait Richelieu de ne pouvoir compter même sur ces évêques qu'il employait à tout, n'était que trop justifié. Finalement, il commit à l'archevêque de Bordeaux, le soin de soutenir, par des vaisseaux amenés de l'Océan, la flotte des galères en vue de la reprise des lies de Lérins. Ce prélat ne sut pas refréner son tempérament violent et, à la suite d'une querelle de préséance avec le non moins fameux Vitry, — l'homme qui avait assassiné le maréchal d'Ancre, — l'affaire fut sinon manquée, du moins considérablement retardée.

Les lettres du Roi, les lettres du cardinal, les lettres de Sublet de Noyers accablent le malheureux et inconsistant archevêque amiral : Monsieur l'Archevêque de Bordeaux, écrit le Roi, je ne pouvoir recevoir un plus sensible déplaisir que d'apprendre qu'il ne faut plus rien espérer de l'entreprise des îles. Le manquement est si éloigné de ce que je m'étois promis de votre vigilance et affection et de la grande opinion que chacun avoit conçue de ce dessein sur le bruit et l'éclat que vous et tous ceux qui s'y devoient employer en avoient fait, et est si contraire aux espérances que vous m'aviez tous données depuis trois mois de l'exécution, que je ne puis vous celer le mécontentement que j'ai, après cela, de voir mes armées et des préparatifs demeurer sans effet et que tout le monde sache que ceux auxquels je confie de si importants desseins, aient consommé le temps en querelles et contestations pour des intérêts particuliers et pour des avantages imaginaires de charges, où il n'y en a point de véritables et de solides que dans le service... Et Sublet de Noyers, en manière de conclusion d'une autre lettre non moins vive : Au nom de Dieu, Monsieur, autant que je suis votre serviteur, surmontez les difficultés que vous rencontrerez en cette occasion, afin de donner contentement à Son Éminence et de fermer la bouche à ceux qui ne vous aiment point.

Ce sont des fautes que le cardinal n'oubliera jamais, et, quand l'affaire de Barcelone aura mis le comble, ce prélat, son ami, son confident des jeunes années, sera brusquement disgracié[27].

Pour le moment, on ménage encore le prélat amiral. Tout en lui laissant le commandement général des forces navales dans la Méditerranée, on envoie auprès de lui un capitaine dont on loue la hardiesse et l'esprit d'entreprise, mais qui est de ceux dont parlait Richelieu, qui ne connaissent pas du tout la mer, le comte d'Harcourt (Cadet la Perle) qui, lui, réussira, en mars 1637, à réoccuper les îles.

Sourdis, dans sa Relation adressée au Roi, est bien obligé de reconnaître que tout l'honneur du combat est dû au comte d'Harcourt. Mais son esprit pointilleux et irrésolu sait mal tirer parti de ce succès si joliment enlevé. Après sa querelle avec Vitry, il se brouille avec le neveu de Richelieu, Pont-Courlay, bombardé capitaine des galères. Celui-ci est, d'ailleurs, un caractère désespérant, dont le cardinal lui-même s'épuise à calmer la violence, à mater l'orgueil et les prétentions : Quand vous avez quelque brouillerie avec quelqu'un, écrit l'oncle, je crains d'abord que vous ayez tort, connaissant votre humeur. Et, le 6 août 1636, alors qu'on préparait l'attaque des îles[28] : J'ai tant de honte de votre conduite que, vous priant de ne penser jamais que vous m'appartenez, je vous promets d'oublier toujours ce que vous êtes. Et encore : Votre mauvaise conduite fait qu'on ne sait si vous pouvez avoir un commandement à la descente des îles. Le Roi vous commande d'y obéir. Les bêtes d'attelage sont pires encore dans les armées de mer que dans les armées de terre.

Et il faut toujours attendre, toujours patienter, toujours fermer les yeux sur les désordres, le gaspillage, l'inertie, la dépense sans fruit, trop souvent la concussion. On surveille tout ces gens de guerre de la manière la plus désobligeante, en les faisant surveiller les uns par les autres. C'est une perpétuelle délation.

Richelieu enverra par la suite un autre prélat, Gabriel de Beauvau, évêque de Nantes, promu chef des conseils dans l'armée navale du Levant, le 6 juin 1636. Mais, avec un rouage de plus, la machine n'en marche que plus mal. Personne ne veut obéir, tout le monde veut commander[29]. Bientôt l'évêque de Nantes est rappelé. Le grand projet du cardinal, à savoir de séparer l'Espagne de l'Italie en barrant aux flottes du Roi Catholique le golfe du Lion, sera-t-il longtemps retardé ?

 

Résultats de la ténacité de Richelieu.

Avant la reprise des îles, on a manqué une tentative destinée secourir le duc de Parme, notre allié, de telle sorte que celui-ci en a été réduit à capituler devant l'Espagne ; on a manqué une autre entreprise sur la Sardaigne, que l'on considérait comme une contrepartie de l'occupation des îles.

Richelieu ne se décourage toujours pas. Peu à peu les constructions nouvelles, qui se multiplient et s'améliorent, l'expérience acquise, une énergie qui ne laisse rien passer et une patience -qui sait tout supporter finissent par imposer un meilleur ordre qui commence à conquérir dans les eaux de la Méditerranée un certain ascendant.

Pont-Courlay lui-même obtient un succès, disputé mais incontestable, devant Gênes (1er novembre 1638). Sourdis a été prendre le commandement de la flotte du Ponant pour seconder l'attaque du prince de Condé sur la Bidassoa et sur Fontarabie ; Launay-Razilly le seconde à bord de la fameuse Couronne, le plus magnifique, mais le moins maniable des vaisseaux de la nouvelle flotte française.

Sourdis a sous ses ordres vingt vaisseaux et seize pataches ou brûlots. L'escadre de Galice, qui lui est opposée, compte quatorze galions et quatre frégates. L'amiral espagnol a reçu l'ordre de forcer le blocus de Fontarabie. Le combat s'engage dans la baie de Guetaria et c'est, pour les armes françaises, un nouveau succès (22 août 1638). L'escadre de Galice est détruite. Cette victoire parait garantir la chute prochaine de Fontarabie. L'Espagne est à bout de souffle. Elle n'a plus qu'une bien vague chance de victoire, la disgrâce ou la mort de Richelieu.

 

Ascendant maritime des puissances du nord : Hollande, Angleterre.

Il convient de reconnaître que cet écroulement de l'Espagne n'est pas uniquement l'œuvre du cardinal. La France ne faisait que suivre, à pas plus lents, les progrès accomplis sur la mer par les Pays-Bas d'abord, puis par l'Angleterre.

Voyons les choses dans leur ensemble : les dissentiments religieux, la volonté des peuples protestants de revendiquer à la fois la liberté de penser et leur autonomie politique et sociale, sont comme on le sait, à l'origine du grand mouvement antiespagnol qui se produisit, au XVIe siècle, dans la partie septentrionale de l'Europe.

Mais les peuples acharnés à cette querelle n'avaient de moyens d'atteindre leur puissant adversaire que par l'Allemagne et par la mer. En Allemagne, ils se heurtaient à une autre grande puissance catholique, alliée de l'Espagne, l'Autriche impériale. La mer était donc le seul champ d'action ouvert par la nature aux puissances protestantes du nord.

En Hollande, les Gueux de la Mer, préparés par leur génie, leur habitat et leur activité commerciale, avaient assailli les flottes espagnoles et les avaient refoulées des mers du nord après la bataille d'Eckhuysen. Ils en poursuivirent les débris jusque sur l'océan. Le vaste espace des mers devint ainsi un lieu d'embuscade, de piraterie, de coups de main incomparablement fructueux. Les Hollandais, déjà maîtres des pêcheries du nord, assumèrent bientôt, par tout l'univers, ce rôle de transporteurs, qui devait revenir par la suite à l'Angleterre. Ils furent ainsi les commissionnaires et les banquiers du commerce indéfiniment accru à suite des découvertes et des circonstances économiques qui renouvelaient la face du monde.

On affirme que la flotte de la seule province de Hollande disposait de mille navires avec cent soixante-dix-huit mille hommes d'équipage, et que la valeur des cargaisons embarquées sur les bâtiments hollandais dépassait un milliard de francs[30].

Un développement de richesse incalculable résultait de la mainmise sur les terres nouvelles. Partout où se récolte une épice, le trafic hollandais s'implante : Moka, Le Cap, les Mascareignes, Batavia, les îles de la Sonde, les côtes de Malabar et de Coromandel, le Japon, ce monde qui s'accroit au fur et à mesure qu'on le découvre, alimente les comptoirs des riches marchands d'Amsterdam. D'abord aux mains de compagnies particulières, l'entreprise commerciale et coloniale est concentrée par Oldem Baruevelt sous la direction d'une seule compagnie, la Compagnie générale des Indes Orientales, qui, née en 1602, aura en 1621 sa complémentaire dans la Compagnie des Indes Occidentales, celle-ci ayant son champ d'action dans les fies Atlantiques, sur le continent américain, au Brésil, en Guyane, sur les rivages des futurs États-Unis. La capture des galions espagnols fut, parmi tant d'heureuses opérations, l'une des plus faciles et des plus fructueuses.

Pour défendre une si énorme machine à pomper la richesse du monde, pour assurer sa grandeur et ses bénéfices, pour être en mesure de dominer tous les passages des mers, il fallait une marine militaire nombreuse, active, puissamment armée, disposant de tous les perfectionnements techniques. Elle est créée par ce petit pays, qui regorge de richesses, de moyens et d'hommes. Tromp, à la bataille des Dunes (21 octobre 1639), aura raison de la dernière armada, forte de soixante-dix grands bâtiments, ayant à bord quatorze mille hommes.

La politique navale européenne a désormais son modèle et sa loi dans l'apogée inouï des anciens Gueux de la Mer. Compagnies, comptoirs, colonies, transports, navires d'escadre, tactique navale, tout fut désormais et partout à l'imitation des Hollandais. Les capitaines de la mer, comme les capitaines de la terre, allaient se former là-bas. Les républicains insurgés portaient des coups décisifs à la grandeur de l'Espagne monarchique et catholique, alors que, enfoncés dans leurs marécages, ils étaient eux-mêmes inattaquables derrière leur ceinture liquide. La Hollande devint une sorte de Laputa, planant au-dessus de l'Europe et y répandant, avec le sens des perspectives lointaines, les idées nouvelles, le libre arbitre individuel et social. L'esprit moderne, à leur exemple, s'engageait, non sans imprudence, dans ces espaces ouverts à l'infini.

L'Angleterre, avec son sens pratique, avec sa force ramassée, son esprit d'entreprise, son goût de la lutte et son ambition de la richesse, ne pouvait laisser au petit peuple maresqueux, acheteur de ses laines et de ses blés, l'exploitation du domaine qu'elle avait de tous temps réclamé comme lui appartenant, la mer. Le désastre de l'armada donna aux marins anglais le signal de l'élan et les projeta sur le corps, flottant, demi-mort de l'Espagne. Le plus grand des Anglais de ce temps, le Shakespeare de la politique, Bacon, disait : La maîtrise de la mer, c'est l'alpha et l'oméga de notre politique.

Le sursaut de l'Angleterre ayant en vue ce but unique sut créer, en quelques années, la haute organisation navale qui a régné dès ce temps et qui règne toujours sur le monde britannique, l'amirauté. A partir du règne d'Élisabeth, l'Angleterre relève ses manches en vue du grand sport mondial, dont le moteur nouveau sera l'Acte de Navigation, édité par Cromwell le 9 octobre 1651.

Une telle initiative fixera les destinées de l'Angleterre tandis que, vient de s'achever, en France, le règne de Louis XIII. L'archipel britannique fonde sa puissance navale et mondiale au moment où Richelieu et Mazarin étendent le modeste pré carré de la France. Et le triomphe de l'Angleterre se complétera, de 1650 à 1670, par la mise en échec de la puissance hollandaise, destinée à s'étioler peu à peu entre ces deux grandeurs nouvelles, surgies l'une sur le continent, l'autre sur la mer.

Richelieu doit beaucoup à la Hollande.

Laissant à son successeur, Mazarin, la tâche de tirer parti de l'alliance anglaise, au temps de Cromwell, c'est à la Hollande qu'il achète des navires, des canons, de la poudre, du salpêtre, des armes de toute nature ; c'est à la Hollande qu'il emprunte ses ingénieurs et ses constructeurs. L'activité de ses ambassadeurs et de ses agents, officiels ou non (en particulier ce marane de Lopez), tous sont employés à lever ou à tourner les difficultés que la méfiance toujours en éveil des Messieurs des États à l'égard d'une puissance catholique, oppose à l'exécution de ses desseins. Car, si l'on touche les subsides de la France, on n'a nulle envie de la voir si forte, surtout comme puissance maritime. On met l'embargo sur les bateaux et les fournitures de diverses sortes, en partance pour ses ports. Avec des dépenses et des efforts énormes la France n'obtient ce dont elle a besoin qu'au compte-gouttes.

Et, cependant la Hollande sait donner la main et surtout tendre la main à Richelieu pour abattre la puissance espagnole. Lopez raconte dans ses lettres au cardinal que l'amiral Tromp lui a raconté, lui-même, la bataille de Douvres du 21 octobre 1639 et il ajoute : C'est un homme d'effet et de grand courage, de basse naissance et condition. Il montre ambition, depuis que le Roi lui fit l'honneur de le gratifier, de l'anoblir, croyant qu'il le mérite. J'ai pris la hardiesse de le proposer à Votre Éminence, si eussiez agréable d'ajouter de le faire chevalier de l'ordre de Saint-Michel avec la chaîne d'or. Lequel n'est pas incompatible avec la Religion, puisque Wicquefort, qui est marchand et d'autre condition, l'a obtenue[31].

Le goût des décorations n'est pas incompatible chez les marins de la République avec l'embargo mis sur les navires, les bois, les cordages destinés au Roi de France, les salpêtres, etc. Les alliances, si solides qu'elles soient, ne sont jamais sûres. Rien de tel que de gagner les batailles soi-même.

Richelieu ne s'y trompe pas. Il prend exemple sur la Hollande, mais c'est pour développer la puissance de la France sur la mer.

 

L'élan de la France.

Cette puissance il la développera ; et il amorcera en même temps, revenant sur les traces de François Ier, une large politique d'expansion coloniale, commerciale, économique. Conseillé par le Père Joseph, il rendra à la France l'activité missionnaire que l'Espagne et le Portugal- laissent péricliter et réalisera ainsi, dans la mesure de ce qui lui est accordé de survie, cette devise que lui a transmise Launay-Razilly : La croix et les lys.

Cette volonté énergique, si elle ne donna pas immédiatement à la France ce haut rang naval qu'elle sut si rarement atteindre au cours de son histoire, lui permit cependant de tenir tête à l'Espagne sur l'une et l'autre mer et de s'assurer, à la fin, des succès tels que la politique d'encerclement que l'Espagne poursuivait depuis. un siècle contre la France se trouva brisée. En 1642, quelques mois avant la mort de Richelieu, les forces navales du Roi Très. Chrétien comprenaient quatre-vingt-cinq unités, soixante-trois vaisseaux et vingt-deux galères, tous bâtiments qui méritaient les épithètes bien outillés et bien équipés, que Richelieu leur donne dans son Testament politique. L'ensemble de ces forces imposantes était mouillé, à cette date, dans le port de Toulon ; le cardinal venait de faire procéder à une grande concentration navale-en Méditerranée[32].

Voyons comment Richelieu sut employer cette force navale si grandement développée et si habilement concentrée.

 

L'Espagne succombe sur la mer.

La longueur d'une lutte sans issue, la pénurie financière affreuse que constatait Rubens dès 1626 et qui ne faisait que s'accroître depuis que le passage était, pour ainsi dire, interdit aux galions d'Amérique, le fléchissement de tous les ressorts dans le gouvernement, dans l'administration, dans la production de la péninsule cette misère cachectique décrite par tant de contemporains avaient réduit l'Espagne à une sorte de désagrégation spontanée. Le corps social et politique, dans cette contrée que sa formation géographique divise naturellement, ne se tenait plus.

A l'ouest et à l'est, les parties du territoire ayant gardé les racines toujours vivantes de leur autonomie se séparaient. La Catalogne, le Portugal s'insurgeaient contre la Castille, obligée elle-même, par les événements, d'exercer une autorité rigoureuse, parfois abusive. L'ambassadeur vénitien écrit dans sa Relation de 1630, à propos de la Catalogne, cotte phrase d'une si constante actualité : La Catalogne, ayant un gouvernement en quelque sorte républicain, n'admet pas que l'on déroge en quoi que ce soit à ses franchises et privilèges.

Dès 1639, les Catalans, se refusant à payer les nouveaux impôts levés par le comte-duc d'Olivarès, se mirent sous la protection du roi de Franco. En 1641, leurs ambassadeurs furent admis à la cour de Louis XIII ; l'année suivante, ils firent appel aux anciennes traditions qui les rattachaient au Royaume.

Au même moment, le Portugal, incité par les agents français, revendiquait son indépendance et faisait appel à la dynastie nationale de Bragance. La France avait désormais le grand avantage de prendre à revers son puissant adversaire et d'avoir des portes ouvertes sur son territoire. La campagne de pénétration par la frontière pyrénéenne se trouvait secondée par une double action navale sur l'océan et sur la Méditerranée.

Richelieu avait fait étudier à fond les conditions de cette intervention. La flotte du Ponant, commandée par son neveu &gé de vingt ans, Armand de Maillé, marquis de Brézé, s'était rendue dans les eaux de Cadix. Elle y rencontrait la flotte de la Nouvelle-Espagne et, après un dur combat, ce qui restait des galions

espagnols s'enfuyait vers Cadix. Dans ce combat, un capitaine de la mer, un jeune, un Enghien naval se révélait. Sans que le succès fût décisif, un premier résultat était obtenu : le 15 décembre 1640, le duc de Bragance était proclamé roi de Portugal.

En Catalogne, les Espagnols étaient restés maîtres de plusieurs ports sur la côte : Collioure, Roses, Tarragone. Tandis que Monsieur le Prince assiégeait Perpignan, Sourdis avait reçu l'ordre de venir l'appuyer en se portant sur Tarragone.

Les conditions de cette offensive étaient assez mal calculées. Toutes les escadres espagnoles de la Méditerranée, de Naples, de Gênes, de Sicile, accoururent et se regroupèrent pour attaquer la flotte de Sourdis, obligée de tenir la haute mer, sans aucun mouillage le long d'une plage sauvage de douze à quinze milles[33]. La première journée (4 juillet 1744) fut heureuse pour Sourdis ; mais, le 18 août, les flottes espagnoles ayant fait leur jonction et prenant à tâche de faire pénétrer un convoi vers Tarragone, le prélat amiral voulut leur barrer le passage. Sa manœuvre ne réussit pas : sans avoir perdu un seul vaisseau, il dut laisser les Espagnols maîtres du champ de bataille, pour aller se refaire à Toulon. L'armée française fut obligée de lever le siège de Tarragone (29 août 1641).

Telle fut la cause de la disgrâce de Sourdis et du jugement si sévère que Richelieu porte sur lui dans le Rôle de quelques capitaines[34]. Le Roi lui écrivait le 9 septembre : Monsieur l'Archevêque de Bordeaux, j'ai reçu avec beaucoup de déplaisir les différents avis qui m'ont été donnés de toutes parts de votre mauvaise conduite dans l'exécution des commandements que je vous avais donnés..... Il n'est pas à propos que vous demeuriez dans la Provence. Je vous écris cette lettre pour vous dire, qu'aussitôt icelle reçue, vous aurez à vous acheminer en la ville de Carpentras, pour y demeurer jusqu'à nouvel ordre. Et Richelieu écrivait dans une lettre du même jour, qu'il y auroit lieu de connoître la vérité de ce qui s'étoit passé devant Tarragone entre les armées de France et du roi d’Espagne[35].

Le mal fut réparé. Mais il était besoin d'un chef général qui sût agir et qui fût obéi. L'affaire de Cadix désignait le jeune Brézé. Il quitta Brest le 22 avril pour se rendre dans la Méditerranée. En même temps, Cangé avait l'ordre de quitter Toulon avec les galères pour aller au-devant de lui. La flotte française atteignait un total de quarante vaisseaux et vingt-cinq galères, en plus une dizaine de bâtiments empruntés aux Anglais et aux Hollandais. Le 30 juin, toutes forces réunies, en vue de Montjuich, qui domine Barcelone, la rencontre se produisit. Après deux jours du plus rude combat, la flotte espagnole se repliait sur les Baléares.

La victoire de Barcelone décidait du sort de Perpignan. La ville capitula le 19 août. La nouvelle fut reçue par Richelieu le 9 septembre 1642. Le 12, il écrivait à Louis XIII : Votre Majesté aura tout à la fois deux nouvelles bien différentes : l'une est la reddition de Perpignan qui est la plus belle et la plus considérable place de la terre pour la France. L'autre est la condamnation et l'exécution de M. le Grand et de M. de Thou, qui se sont trouvés si coupables, au jugement de tous leurs juges, qu'il ne se vit jamais un procès si clair. Ces deux événements font voir combien Dieu aime Votre Majesté. Je le supplie qu'il continue à verser ses bénédictions sur Elle et qu'il me renvoie la santé, que je désire pour la servir.

Ce dernier vœu ne devait pas être exaucé. Le cardinal mourut le 4 décembre.

La grande pensée de Richelieu en ce qui concernait la puissance sur la mer, telle qu'il l'a exposée dans les passages souvent cités du Testament Politique, n'avait pas obtenu, on le voit, sa pleine et entière réalisation. Cependant, le cardinal avait pu, dès 1638, adresser au Roi cette page, que le même Testament politique légua, en quelque sorte, aux futurs chefs de la France : Si Votre Majesté eût été aussi faible que ses prédécesseurs, elle n'eût pas réduit en cendres au milieu des eaux toutes les forces que l'Espagne put ramasser, en 1638, sur l'océan. Cette superbe et altière nation n'eût pas été contrainte do souffrir l'abaissement de son orgueil, aux yeux non seulement de toute l'Italie, mais aussi de toute la chrétienté, qui, voyant attaquer de ses mains par pure force les îles de Sainte-Marguerite et de Saint-Honorat, dont elle ne s'était rendue maîtresse que par surprise, a vu au même instant la honte de cette nation insolente et la gloire et la réputation de la vôtre..... Si Votre Majesté a toujours dans ses ports quarante bons vaisseaux, bien outillés et bien équipés, prêts à mettre en mer aux premières occasions qui se présenteront, elle aura suffisamment pour se garantir de toute injure et se faire craindre dans toutes les mers par ceux qui jusqu'à présent y ont méprisé ses forces[36].

Ces paroles ne s'en tenaient pas seulement au succès remporté sur l'Espagne : elles visaient aussi les hautes utilités de la paix. La puissance sur la mer, la mer rendue libre, — mare liberumpar la force de ceux qui occupent ses rivages, c'était, aux yeux du ministre qui succombait à la tâche, outre l'indépendance métropolitaine assurée, l'expansion coloniale et la prospérité commerciale pour le Royaume assis sur les deux grandes mers européennes. Ainsi s'élargissait dans l'espace et dans le temps le grand dessein conçu par l'homme qui eut, peut-être de tous les hommes d'État français, le plus d'avenir et le plus de solidité dans l'esprit.

 

 

 



[1] Sur les ancêtres de Richelieu, hommes de mer, voir ci-dessus, Histoire du Cardinal de Richelieu, t. I, p. 23.

[2] Voir Ch. de La Roncière, Histoire de la Marine française, t. IV, 1909 et t. V, 1920, Plon, in-8°. — J. Tramond, Manuel d'histoire maritime de la France, Challamel, 1916, in-8°. — Commandant Vivielle, La charge d'amiral dans la Marine Française jusqu'au Cardinal de Richelieu, Chapelot, in-8°. — Lacour-Gayet, La Marine militaire de la France sous les règnes de Louis III et de Louis XIV, in-8°, Champion, 1911.

[3] La Roncière, IV, 399. — Ricolfi, Vauban dans les Alpes maritimes, p.27.

[4] A la prise de l'Écluse, en 1604, le prince Maurice de Nassau trouva quatorze cents galériens, dont bon nombre de Turcs et Maures qu'il renvoya dans leur pays pour rendre leurs souverains favorables au commerce des Provinces-Unies. Histoire générale des Provinces-Unies, par D. et J., 1770, t. VII, p. 20.

[5] Factum pour Jacques de Bar et Charles de Fleury, capitaines de marine, 1613, B. N., fonds Dupuy. t. 464, f° 56, cité par La Roncière. — Voir la liste des forbans anglais opérant en Méditerranée et le désordre affreux régnant sur les mers à la fin du règne de Henri IV, dans Ch. de La Roncière, op. cit., t. IV, p. 378, d'après les mémoires de Beaulieu-Persac. Pour ce qui se passe dans l'Atlantique sous le règne de Louis XIII, voir le récit des horreurs auxquelles se livrent les pirates et les équipages des vaisseaux anglais et hollandais, ibidem, t. IV, p. 290 et suivantes.

[6] M. de Viellevigne au maréchal de Saint-André, cité par Vivielle, op. cit., p. 6.

[7] Toute la famille continua à s'occuper des choses de la mer. Le père de Richelieu achetait des vaisseaux. Le commandeur de La Porte, oncle du cardinal, avait une compétence incontestable et qui fut des plus utiles à celui-ci. — Voir Gabriel Hanotaux : Un port, Le Havre, dans L'Énergie française, Flammarion, 1904, p. 260 et suivantes.

[8] Voir le texte de ces prescriptions, aussi sévères que minutieuses, dans Ordonnances du Très Chrétien Roy de France, François, Ier de ce nom. Lyon, par Pierre de Tours, in-4°, 1356, f° 101 et suivante.

[9] Flassan (t. I, p. 158).

[10] Les lettres du cardinal d'Ossat sont citées par Richelieu dans Maximes d'État, p. 741 et p. 768. — Sur l'incident naval rapporté par Sully et par Beaulieu-Persac, voir ibidem, p. 721.

[11] L'état anarchique de la navigation française au XVIe siècle et dans les premières années du mie siècle ne doit pas faire oublier les beaux faits d'armes que les particuliers, comme Beaulieu-Persac, Guillaume de Beauregard et tant d'autres, ou bien encore les communautés, les villes, comme Marseille, Saint-Malo, multiplièrent sur l'une et l'autre des deux mers. M. Charles de La Roncière en a donné le tableau très vivant dans sa belle Histoire de la Marine Française, t. IV. Mais, dans l'ensemble, ce qui frappe, c'est l'incohérence et l'impuissance de ces magnifiques efforts. Il n'en est pas de preuve plus frappante que l'échec lamentable de la fameuse entreprise d'une nouvelle croisade conçue par le duc de Nevers, chantée par le Père Joseph, stipendiée par la cour de France, tout cela en vain. Voir le récit qu'a donné de ces circonstances, G. Fagniez dans son livre, le Père Joseph et Richelieu, t. I, p. 175 et suivantes.

[12] Cf. Histoire du Cardinal de Richelieu, t. III, p. 133. Jamais l'alliance néerlandaise ne fut, pour la France, absolument sûre ni dénuée de réserves obscures. Voir les correspondances de nos ministres à La Haye, Charnacé, d'Estampes de Valençay, etc. Archives des Affaires étrangères, Hollande, t. XX et XXI. Pour le détail, parfois comique, parfois troublant, voir la correspondance de Lopez dans Henri Baraude, op. cit., p. 115-116.

[13] Voir la note d'Avenel dans les Lettres du Cardinal de Richelieu, t. II, p. 290.

[14] Voir dans Avenel la lettre qui suit, p. 292, établissant la part éminente des Razilly, ainsi que les titres supérieurs de ces admirables organisateurs et marins dans cette circonstance de notre histoire.

[15] Voir, sur tous ces points, l'ensemble des documents groupés dans les Lettres de Richelieu, t. II, loc. cit., et Maximes d'Etat, p. 741.

[16] Voir Max Rooses, Correspondance de Rubens, in-4°, t. IV, p. 18. Sur Rubens diplomate, voir Richelieu et Rubens dans les Chemins de l'Histoire par Gabriel Hanotaux, t. Ier, p. 284. — Sur la situation financière de l'Espagne, voir : Sottomayor, De tertiis debilis catholicis et invectissimis legibus Hispania. Extypograpbia regia, 1634, in-4° et Hauser, La prépondérance espagnole, p. 318.

[17] Lettres de Richelieu, t. II, 292, et suivantes.

[18] Voir Histoire du cardinal de Richelieu, t. III, p. 182.

[19] Voir Correspondance de Sourdis, publiée par Eugène Sue, t. I, p. XXIV.

[20] Voir ci-dessus, Machault en Languedoc.

[21] Il devint duc de Frossac, mais on l'appelait le duc de Brézé.

[22] Voir leur publication par Eugène Sue dans la Correspondance de Sourdis, t. I.

[23] Correspondance de Sourdis, t. I, p. XXXII, XXXV, etc. — Sur ces enquêtes confiées à d'Infreville, à Séguiran, sans parler de Sourdis, consulter les documents cités par Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. VIII, p. 211. Voir aussi Ricolfi, Vauban dans les Alpes-Maritimes, p. 27 et s.

[24] Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 265-266. — En ce qui concerne le Havre, voir le curieux rapport que remet au cardinal sou factotum Lopez, en 1627, pour organiser le port de commerce : Au long du canal on établira des manufactures, surtout des raffineries de sucre. L'intention qu'avait Richelieu d'attirer en France les raffineries de sucre est manifeste. Voir Baraude, op. cit., p. 71.

[25] Joannès Tramond, Manuel d'Histoire maritime de la France, p. 155.

[26] Lettres du cardinal de Richelieu, t. V, p. 432.

[27] Voir sur cette affaire, les documents réunis par Eugène Sue, op. cit., t. I , p. 230 et suivantes.

[28] Lettres du Cardinal de Richelieu, t. V, p.556.

[29] La Roncière, t. V, p. 22.

[30] Tramond, op. cit., p. 104. — Voir aussi sur l'essor des Pays-Bas : La Richesse de la Hollande, ses origines, sa puissance, etc. A Londres, 1778, 2 vol. in-8°.

[31] Henry Baraude, Lopez, p. 153.

[32] G. Lacour-Gayet, La Marine militaire de la France sous les règnes de Louis XIII et de Louis XIV, 1911, in-8°, p. 58.

[33] Correspondance de Sourdis, citée par La Roncière, op. cit., t. V, p. 74.

[34] Sourdis avait eu, depuis une année au moins, le pressentiment de cette disgrâce. Sans doute des avis lui étaient venus de Paris. Le 16 novembre 1640, Richelieu lui écrivait : Quant aux bruits que vous me mandez qui croient que vous êtes en ma disgrâce, terme que je répète après vous, je n'en ai ouï parler à qui que ce puisse être. Mais il ajoute : Si vous me croyez, vous penserez deux fois à ce que vous voudrez dire à l'avenir. C'était suffisant. Lettres de Richelieu, t. VI, p. 733.

[35] Correspondance de Sourdis, t. III, p. 71.

[36] Testament politique, édit. Elzévir, p. 350 et suivantes.