HISTOIRE DU CARDINAL DE RICHELIEU

 

L'ORGANISATION DES FORCES NATIONALES

CHAPITRE PREMIER. — RICHELIEU ET L'ARMÉE.

 

 

Les nécessités militaires à l'avènement de Richelieu.

L'État le plus puissant du monde ne sauroit se vanter de jouir d'un repos assuré, s'il n'est pas en état de se garantir en tout temps d'une invasion inopinée[1]. Ces paroles, tilles de l'expérience, prennent toute leur force si on les rapproche du Conseil que le Cardinal de Richelieu donna à Louis XIII pour le bien de son État peu après qu'il fut entré aux affaires : Puisque Votre Majesté me fait l'honneur que je lui parle de ce que j'estime le plus considérable maintenant dans les affaires, je ne crois pas me tromper, si je lui dis que j'ai remarqué quatre causes principales qui donnent de la langueur et de la foiblesse à cet État. La première est étrangère et n'est autre que l'ambition effrénée de l'Espagnol, qui, le faisant aspirer à la monarchie de l'Europe, le fait entreprendre sur les États de nos voisins, qui sont comme les dehors du Royaume, dont même il prétend s'emparer un jour aisément. Les autres sont internes et domestiques, qui servent d'appui à toutes les révoltes et qui sont comme un lion nourri dans le Royaume : l'une est l'excessive licence des grands ; l'autre est le défaut des troupes aguerries ; et la dernière est le manquement d'un fonds considérable dans l'épargne, pour entreprendre la guerre dans les occasions et la faire subsister autant qu'il est besoin... Les guerres civiles, que les Princes renouvellent presque tous les ans, réduisent Votre Majesté dans l'impuissance de rien entreprendre au dehors, nourrissent les peuples dans la désobéissance et donnent moyen aux grands de partager avec vous l'autorité qui n'appartient légitimement qu'à votre sceptre. D'ailleurs, les conquêtes que la maison d'Autriche fait sur tous les voisins de la France, lui donneront enfin moyen de s'en faire le maitre si Votre Majesté ne s'y oppose. Bref, le peu de troupes aguerries qu'on entretient sur pied pour l'ordinaire et le peu de fonds qu'il y a dans l'épargne réduisent Votre Majesté à l'impuissance absolue de s'opposer aux étrangers ou à ceux qui se révoltent. Aussi est-ce à quoi principalement mon avis seroit qu'elle fit donner ordre, m'assurant qu'elle verroit bientôt la France changer de face et se rendre redoutable aux étrangers qui l'ont hardiment offensée[2].

On le vit au siège de La Rochelle : la France n'avait pas d'armée ; il fallut tout improviser[3]. Et, un peu plus tard, quand, en raison de la situation générale de l'Europe engagée dans les alternatives de la guerre de Trente ans, la France se trouva obligée de prendre parti, ses chefs durent se demander quelles forces elle opposerait aux armées nombreuses et exercées qui la menaçaient de toutes parts.

Fils et petit-fils de soldats, Richelieu dont la première éducation avait été celle de l'Académie, — l'Académie du sieur de Pluvinel, où l'on apprenait la perfection du cavalier, avait eu dans ses attributions, lors de son premier ministère, les choses de la guerre. Il avait vu le mal et le désordre de près.

Aussi sa pensée instante, dès qu'il eut été mis à la tête des affaires, fut-elle d'assurer au Royaume une puissance militaire capable de faire face aux difficultés intérieures et extérieures qu'il prévoyait[4]. Là encore, selon un mot fameux, le cardinal eut les intentions de tout ce qu'il fit.

Mérite qui lui est, d'ailleurs, reconnu par l'histoire : Pour nous, dit l'auteur de l'Histoire de l'armée et de tous les régiments[5], Richelieu est l'admirable génie qui tira la France de l'anarchie ; c'est l'administrateur qui organisa l'armée, qui y rétablit l'ordre et la discipline. Après la mort de Henri IV, les ressources de l'État étaient épuisées, les troupes disciplinées lui manquaient, les chefs avaient vieilli. Il fallait tout créer sur une échelle immense. Il forma plusieurs armées qui combattirent constamment sur nos frontières et à l'étranger, enrôla à sa solde les armées suédoises, fournit à toutes les exigences de ses guerres...

Juste louange, mais qui ne fut véritablement méritée qu'au fur et à mesure des événements et quand les intentions eurent trouvé quelque jour à se réaliser dans les faits, après tant d'essais vains et infructueux ; car cette entreprise d'État, la création d'une armée, fut la grande affaire de Richelieu.

Pour comprendre quelle peine fut la sienne, il faut considérer le problème sous ses faces diverses. Après quelques observations d'ordre général, nous examinerons successivement les résultats de l'activité du cardinal en ce qui concerne le recrutement des armées, leurs cadres, leur entretien, la discipline, finalement en ce qui touche à l'art militaire et au commandement.

 

Observations générales.

Il faut se garder avant tout de donner aux mesures législatives et administratives, prises sous e ministère du cardinal de Richelieu, le caractère de décisions obéies, de réglementation généralisée et durable. Le nombre même de ces mesures, incessamment renouvelées, prouve leur peu d'efficacité.

Le Code Michau, rédigé en 1629, après La Rochelle et avant les grandes guerres, contenait, nous l'avons vu, des prescriptions nombreuses relatives aux choses de l'armée. La plupart d'entre elles étaient formulées d'avance dans les projets de réforme étudiés par Richelieu aux premiers temps de son ministère. L'inspiration émane donc de lui et on peut constater, par ce rapprochement, son intention de mettre sur pied une organisation militaire solide, puissante, disciplinée, assurant le bien-être du soldat, et ménageant les ressources du pays.

L'ensemble du système, développé dans les articles 221-343 de l'ordonnance, forme un véritable code militaire dont nous citerons seulement les premiers articles, pour qu'on en apprécie le caractère :

Art. 221. — Premièrement, en ce qui concerne l'infanterie : en quelque lieu que ce soit, ou de campagne ou d'armée ou de garnison, elle fera dix mois de montre[6] pour chacun an à trente-six jours par mois (donc règlement de la solde favorable au soldat).

Art. 292. — Elle sera payée par avance (règlement plus favorable encore).

Art. 223. — Les paiements se feront à la banque par prêts réglés et sans discontinuation.

Art. 224. — Le pain de munition sera toujours fourni aux soldats, capitaines et officiers dans les armées et ès garnisons aux soldats seulement, suivant l'ordre prescrit, etc.

Les règlements militaires du Code Michau sont ainsi d'une minutie extrême, entraînant des engagements formels de la part de l'État, édictant même des sanctions pour en assurer l'exécution.

Or ces prescriptions furent sans effet : l'État se déroba à ses propres engagements. Qu'il s'agisse de la solde, des vivres, des étapes, des logements, des hôpitaux, le tout continua à aller au gré des événements, parfois de mal en pis. Nous savons, d'ailleurs, que l'Ordonnance Michau, dans son ensemble, ne fut pas appliquée ; elle tomba avec la faveur des Marillac. Il en fut de même de la plupart des mesures concernant l'organisation militaire, qui se multiplièrent jusqu'à la fin du règne.

Le cardinal lui-même ne se fait aucune illusion à ce sujet. Un document officiel, conservé aux Archives de la Guerre, et écrit quelques mois avant sa mort, en est une preuve ; il est date du 18 décembre 1641 : Sur l'avis donné à Sa Majesté que les gens de guerre sont accoutumés depuis quelques années de vivre dans une telle licence qu'il est impossible de faire observer les règlements par elle faits pour les étapes — voir en particulier les articles 225 et suivants de l'ordonnance de janvier 1629 —... Sa Majesté a enjoint expressément aux maires et échevins des villes d'arrêter aux portes, ponts et passages d'icelles, ou en tel lieu qu'ils estimeront à propos, le corps d'infanterie ou de cavalerie qui aura fait quelque désordre, pour saisir et punir les auteurs... C'est comme si l'on disait au magistrat civil : Nous n'y pouvons rien ; fais-toi justice à toi-même[7].

Donc, pour avoir une vue exacte des réalités, il faut considérer les faits et la vie journalière. Les progrès lentement développés de l'organisation militaire, Richelieu les accomplit par une volonté, une énergie soutenues, une attention minutieuse, vétilleuse, par un déploiement d'autorité jamais lasse et toujours débordée par la grandeur de la tâche[8]. C'est seulement après sa mort que la victoire de Rocroi, couronnement de ses efforts, consacra la supériorité des armes françaises sur ses puissants adversaires, l'Autriche et l'Espagne.

Une autre observation rend sensibles, en quelque sorte, les difficultés auxquelles se heurte la volonté du cardinal.

A l'époque où Richelieu reçut la charge des affaires, le Roi lui-même n'avait pas un plein pouvoir de décision en ce qui concernait la formation et la conduite des armées. Du système féodal, il restait, entre autres survivances, ce fait traditionnel que l'autorité s'exerçait par l'intermédiaire de personnes jouissant de situations acquises ou de délégations plus ou moins arbitraires, le tout constituant un véritable partage de la souveraineté. Par exemple, le connétable, haut personnage inamovible, avait des droits de commandement et un pouvoir de décision dont il fallait tenir compte, soit en temps de paix, soit en temps de guerre ; de même pour les choses de la marine, une autorité analogue appartenait aux deux amiraux commandant l'un dans les mers du Levant, l'autre dans les mers du Ponant. Le Roi n'était véritablement le maitre que s'il commandait en personne, et encore s'il était assez fort pour se, faire obéir. Il suffit d'évoquer le souvenir des entreprises du connétable de Bourbon, de Biron, amiral de France, des Guise, des Montmorency, pour donner la mesure de l'obstacle que présentaient ces situations, d'autant plus gênantes qu'elles étaient plus mal définies.

Quand Richelieu arriva au pouvoir, il dut ménager les prérogatives de Lesdiguières, et c'est seulement après la mort de celui-ci, qu'ayant, par un véritable coup d'autorité, fait supprimer la charge de connétable, il put se faire attribuer à lui-même, durant le siège de La Rochelle, une délégation de l'autorité royale sur les choses du militaire pour cette campagne, se la faire renouveler, par la suite, pour la campagne d'Italie, et même pour le cours des grandes guerres européennes. Ce fut au prix d'une guerre civile qu'il arracha au duc de Guise et au duc de Montmorency les fonctions d'amiral qu'ils exerçaient sur l'une et l'autre mer, de façon à faire créer pour lui, par une innovation cruellement blâmée, les fonctions de surintendant général de la navigation ; sans quoi, aucune des grandes pensées qui couvaient en lui au sujet de la puissance navale et de l'expansion coloniale de la France n'eussent pu se réaliser.

Dans l'armée, les officiers, jusqu'aux grades inférieurs, exerçaient, de même, leurs fonctions comme un office. Ils recevaient, à cet effet, une commission qu'ils achetaient à beaux deniers comptants[9]. On possédait un grade comme, aujourd'hui, une étude de notaire ou un greffe de tribunal. Des hommes qui se consacraient à la carrière des armes, tel Fabert ou Guébriant, ne pouvaient être officiers qu'en y mettant le prix et nous les voyons se ruiner, eux 'et les leurs, pour servir le Roi dans ses armées. Le Roi n'avait guère d'autre façon de reconnaître leurs services que de les aider par un concours pécuniaire, sous forme de gratification ou de pension. Tout en se conduisant bravement, ces hommes de carrière n'oubliaient pas de pourvoir au revenu de la charge et, le cas échéant, au profit.

Chaque province, chaque partie de l'ordre social avait ses droits, ses privilèges, et entendait les faire valoir, fût-ce à l'encontre des volontés royales. Ces droits étaient fondés soit sur des pactes écrits, soit sur la coutume. Dans ce fourré d'épines qu'était la constitution du Royaume — sans parler des épines des Parlements — un ordre général ne s'était pas encore établi et, une mesure d'ensemble ne descendait que par lente pénétration jusqu'aux couches inférieures. Il y avait toujours quelque joint par où se glissait l'esprit de localisation et d'indiscipline. En un mot, l'unité n'était qu'en expectative. Le caractère particulier de chaque province survivait dans le dévouement commun à une cause commune, entrevue dans un devenir encore éloigné et au nom d'une réglementation royale toujours discutée.

Par exemple, il était de tradition chez le soldat français qu'il ne prit pas ses quartiers en Allemagne ; si l'on prétendait l'y contraindre, il désertait[10]. On vit, à certains moments, les conscrits bretons regagner leurs foyers parce qu'ils se considéraient comme spécialisés, en tant que Bretons, pour le service contre l'Angleterre et que les autres guerres n'étaient pas leur affaire.

Il est impossible de concevoir les difficultés financières auxquelles Richelieu se heurta et qu'il ne parvint jamais à surmonter. C'est une véritable tragédie que la persistance acharnée du grand ministre, sentant la terre se dérober sous ses pas au fur et à mesure qu'il avançait plié sous le fardeau. Un seul trait entre mille. Le cardinal de La Valette, commandant l'armée d'Italie, lui écrit en pleine guerre (1638) : L'argent est rare au point que l'on ne peut faire une seule montre ; si tout me manque, je préfère mourir plutôt que de voir périr ce pays à mes yeux et d'être déchiré par un mal auquel je ne puis remédier. Et quelques jours plus tard[11] : Le débandement commencé de nos troupes me fait craindre qu'elles n'achèvent de se dissiper entièrement. On croit, ou on me veut persuader, que nous avons plus d'argent qu'il nous en faut pour payer l'armée... Notre cavalerie fuit à cinquante chevaux ensemble et notre infanterie se va vendre aux ennemis avec des sergents et des caporaux. Les capitaines même d'infanterie s'en vont sans qu'il soit possible de les retenir... Lorsque nous avons de la peine à trouver huit cent mille livres pour l'année, les Espagnols ont trois cent mille écus par mois, pour l'ordinaire.

Quels efforts, quelle vigueur, quelle foi ne fallait-il pas à Richelieu, assailli de tous côtés par de telles supplications, pour ne pas perdre pied ! Une plainte perpétuelle monte des armées au Roi et à ses ministres ; et c'est pour barrer ce courant de désespérance trop justifiée, que le cardinal, par une juste appréciation du progrès accompli malgré tout, fait bonne figure et, à la fin de sa carrière, la face fournée vers le Roi dont on devine le visage morose, lui adresse cet Avis dont l'optimisme est véritablement un acte de haute vertu politique : Les préparatifs de l'armée étonneront sans doute la postérité. Toutes les dépenses des guerres, qui avaient été faites, les années précédentes, par extraordinaires, furent converties, cette année, en ordinaires ; toutes les troupes, qui avaient été auparavant levées sur la fin des campagnes... eurent quartiers d'hiver comme les autres pour être en état de servir au printemps. Ainsi, vous eûtes, dès le commencement de l'année, cent et tant de régiments d'infanterie en campagne et plus de trois cents cornettes de cavalerie ; vous doublâtes cette année le secours que vous aviez accoutumé de donner aux Hollandais, etc.

Ces paroles d'un homme qui continuait à lutter sans trêve, alors que la mort rôdait autour de lui, avaient le double mérite de soutenir les courages et d'ouvrir les voies de la victoire. La fortune de la France était en marche.

Il s'agit maintenant de montrer comment le ministre abordait les nombreux problèmes concernant l'armée et la puissance militaire du pays.

 

Le recrutement.

L'époque de Richelieu n'a pas connu d'armées permanentes. Tout au plus subsistait-il, des guerres antérieures, une sorte d'armée de cadres, dont il importe d'exposer le fonctionnement.

En des temps de grand péril national, sous Charles VII, sous François Ier, on avait bien tenté d'organiser des milices, des légions ; mais ces organisations n'avaient guère survécu aux circonstances qui les avaient fait naître[12].

En vertu du droit féodal, le suzerain pouvait convoquer le ban et l'arrière-ban ; mais, avec la désagrégation du système, ce genre de service était d'un bien médiocre rendement. Les guerres de Religion avaient porté un coup mortel aux institutions du moyen âge[13].

Durant les guerres et lei mouvements qui se produisirent pendant les premières années du règne de Louis XIII, les armées étaient d'effectifs extrêmement restreints. Des campagnes célèbres, des faits d'armes glorieux n'ont mis aux prises que quelques milliers, quelques centaines d'hommes ; le plus souvent une campagne n'était marquée que par des rencontres de cavalerie ou par les sièges indéfiniment multipliés de villes, de châteaux ou de simples bicoques, la tactique ayant surtout en vue les voies d'accès et les subsistances.

L'infanterie n'était pas, tant s'en faut, la reine des batailles. Quant à l'artillerie, elle existait à peine : quelques canons tramés péniblement, alourdissant les convois et souvent inutiles, faute de munitions. La cavalerie a, en somme, la plupart du temps, un rôle décisif.

Dans les temps qui précèdent la participation de la France à la guerre de Trente ans, c'est à peine si les armées ont une tendance à accroître peu à peu leurs effectifs. En 1634, Charles de Lorraine, excellent général, engagé dans une lutte à mort contre la France, ne dispose que d'une troupe de huit mille hommes. On considère comme un trait de l'exceptionnelle puissance militaire de l'Espagne, ce fait que le cardinal-infant ait pu amener sur le champ de bataille de Nördlingen une armée de quinze mille hommes. Quand il eut fait sa jonction avec l'ensemble des forces impériales, l'armée catholique n'atteignait pas cinquante mille combattants, — sur le papier bien entendu. En face d'elle, l'armée suédoise, par la jonction de Horn et de Saxe-Weimar, s'élève à vingt-cinq mille hommes (seize mille fantassins, neuf mille cavaliers).

En 1635, lorsque le roi de France jette ses forces dans la lutte contre la maison d'Espagne-Autriche, il ne s'engage à fournir à ses alliés que des contingents ne dépassant pas douze mille hommes de pied et deux mille chevaux ; et encore ne seront-ils mis à la disposition des chefs étrangers qu'après de longs retards, par petits paquets, au compte-gouttes[14].

Ces chiffres ne sont en rien comparables à ceux que la France mettra en ligne quelques années plus tard, sous l'impulsion que le cardinal donne au recrutement et à la mobilisation. Malgré les pertes cruelles causées par la guerre elle-même, par la mortalité, suite des combats, des privations, des fatigues, des maladies épidémiques, du manque d'hôpitaux, des massacres de prisonniers, de civils, etc., les armées françaises compteront jusqu'à cent cinquante et deux cent mille hommes. Un tel résultat est d'autant plus frappant que les procédés de recrutement en usage lorsque Richelieu arriva au ministère ne se trouvaient pas sensiblement modifiés.

 

Ces procédés se réduisent à trois : la levée par enrôlement plus ou moins forcé, l'engagement volontaire, le recours à des contingents étrangers. Ils donnent des résultats suffisants parce qu'ils dérivent d'un état de choses consacré. En France comme hors de France, le service militaire est considéré comme un métier, une profession, une carrière, non seulement pour les officiers, mais pour les soldats. Le pays doit au Roi des combattants comme il doit des ouvriers à la terre et à l'industrie ; à défaut, on en recrute au dehors : la guerre était nationale, l'armée ne l'était pas. Il y avait partout dans le Royaume et dans les pays voisins, ou même éloignés, une population flottante prête à répondre à l'appel des recruteurs commissionnés à cet effet, et à prendre service soit dans un camp soit dans l'autre. La commission, délivrée par le Roi ou par des chefs qualifiés, était le nœud de tout le système.

Ici intervient la notion de l'armée de cadres. Autour du Roi lui-même et autour des hommes autorisés soit par leur situation, soit par la confiance royale, soit par leur expérience et leurs fonctions, il existait une certaine permanence de service militaire, constituant un noyau autour duquel la pulpe du recrutement pouvait se dilater ou se dessécher selon les circonstances.

Constituant ce noyau central, le régiment des Gardes. Il se tenait auprès du Roi pour l'honneur en temps de paix, pour l'exemple en temps de guerre, formation d'élite à laquelle toute âme militaire aspirait. Auprès d'elle, les régiments d'ancienne création, les quatre vieux, Picardie, Champagne, Navarre, Auvergne, commandés par les plus grands seigneurs de la Cour et du Royaume. Puis venaient les régiments de formation plus récente, Cadenet, Rambures, Nérestang, Vaubecourt, Saint-Luc, etc., du nom d'un de leurs chefs. Enfin des régiments en quelque sorte occasionnels, créés ou licenciés, multipliés ou réduits en nombre selon les besoins, portant les noms de leurs colonels et leur appartenant, selon le mot courant.

On voit à quel point cette constitution militaire était élastique, ramenée au minimum en temps calme, proliférant soudainement dans la perspective d'une guerre. Le soldat ou l'aspirant soldat subsistait dans le pays en attente de l'appel, choisissait son chef ou bien était choisi par lui. Il y avait le plus souvent entre eux connaissance réciproque, quelque chose de familial : les Dauphinois, les Bretons s'offraient par paquets à un chef dauphinois, breton et suivaient son sort ; des hommes ayant servi sous tel ou tel, se faisaient maintenir et engageaient des recrues à se faire inscrire, il y avait une sorte de ventilation par cooptation. On s'engageait pour six mois, pour trois mois, pour une campagne ; on escomptait les profits de la guerre, les qualités du chef, son savoir-faire pour le paiement de la montre, le partage du butin ; si le chef était généreux, sa réputation lui assurait une force d'attraction proportionnelle[15].

Sans nous attarder à des détails d'ordre technique, ce qui importe, c'est de faire apprécier la force et l'élasticité d'un système formant un bloc bien lié de toute la virilité nationale, épargnant à l'État des charges accablantes durant les longues années de paix tout en lui assurant rapidement, en cas de guerre, les contingents nécessaires.

Mais quels sont les instruments de cette organisation si souple, si alerte ? Quels sont les hommes qui, la figure tournée d'une part vers le Roi et d'autre part vers le peuple, communiquaient de l'un à l'autre ce fluide d'obéissance circulant sans cesse, soit excité soit amorti ?

Ces hommes, ce sont ces gens de main dont Richelieu parle toujours avec une sorte d'émotion et d'attendrissement. Ils sortent de la petite noblesse et de la bourgeoisie des offices, parfois du peuple, avec à peine une étape intermédiaire dans l'armée. Nourris dans la fidélité, ils ont le sens de l'État : on pourrait les appeler par excellence, selon un vocable du temps, les bons François.

Jean Gangnières, futur comte de Souvigny[16], appartenait à cette partie de la bourgeoisie dont les sentiments catholiques avaient fait des Ligueurs. Né à Jargeau sur la Loire, il était l'aîné de six frères, dont le cadet embrassa l'état ecclésiastique ; les cinq autres furent soldats. Laissons-le parler — dix mille, vingt mille de ses contemporains auraient pu tenir le même langage — : J'avois une inclination naturelle d'aller trouver M. de Beauregard, mon oncle (qui était alors enseigne au régiment de Bourg). Mon père en faisoit de grandes difficultés au commencement ; mais, voyant ma persévérance, il me donna congé avec sa bénédiction, et nia mère aussi. Ainsi, je partis de Jargeau à la fin du mois d'avril 1613 (il avait juste treize ans) et me rendis, le 10 mai ensuivant, au château de Thizy en Beaujolais, auprès de mon oncle, qui y commandoit. Auparavant que de m'y recevoir, il m'interrogea si j'y avois inclination, assez de courage et de forces pour supporter les fatigues de la guerre. Lui ayant répondu que oui, il me fit bailler une petite arquebuse, et me voilà soldat assez bon en temps de paix...

Suivons seulement quelques étapes de cette carrière, qui finira par faire de lui un lieutenant général des armées du Roi, gouverneur de Monaco, et qui lui vaudra des lettres d'anoblissement sous le nom de comte de Souvigny.

D'abord, en ce qui concerne l'entraînement physique et la discipline : à peine était-il admis au régiment de Bourg, que son corps reçoit l'ordre de partir pour se rendre à l'armée de Mantoue. Les souffrances du jeune soldat furent grandes ; ses pieds étaient meurtris ; les forces lui manquant, il pouvait à peine suivre ; il écrit dans, ses Mémoires : Cette mortification m'étoit nécessaire pour m'humilier, étant un petit orgueilleux ; ce qui fut cause que mon oncle me fit mettre de l'escadre (escouade) d'un caporal sévère, et il se faisoit que les soldats me querelloient quand je m'imaginois valoir plus qu'eux. Il a fallu que l'âge et le temps, avec les salutaires avis de mon oncle, m'en aient corrigé. Voilà ce qui s'appelle prendre bien les choses : c'est que la première formation du soldat doit porter sur le caractère et la discipline.

Vieilli dans les combats, il donnera, plus tard, ces sages conseils à ses fils : Si vous avez de l'inclination aux armes, il faut bien considérer si vous avez assez de force et de vigueur pour vous acquitter dignement de votre devoir, l'âme assez forte pour surmonter la faiblesse de nature dans les plus grands périls... Quand vous serez hors de garde, employez votre temps à apprendre l'histoire, toutes sortes de règles d'arithmétique, à dessiner des plans des places et attaques, former des bataillons, et même les ordres de bataille et campements. Auparavant que de commencer aucun exercice, ne' manquez pas d'entendre la messe tous les jours... En quelque lieu que vous vous trouviez, soit à la Cour, à l'armée, au palais, à la ville ou aux champs, souvenez-vous de ces cinq choses : la première de vous maintenir incessamment en la grâce de Dieu ; la seconde de vous acquérir un fidèle ami capable de vous donner bon conseil, et de cultiver son amitié par vos services ; la troisième de porter toujours une bonne épée à votre côté, dont vous puissiez vous servir ; la quatrième de n'emprunter jamais rien de personne qu'en cas d'une extrême nécessité ; la cinquième d'avoir toujours cent pistoles à votre disposition, dont vous porterez ordinairement cinquante sur vous et baillerez les cinquante mitres à garder, sans y toucher qu'alors qu'il plaira à Dieu que vous soyez blessé, malade ou prisonnier des ennemis, ce que Dieu ne veuille !

Nous ne pouvons laisser ces Mémoires sans y puiser encore quelques traits plus pénétrants que n'importe quel récit ou statistique.

Voici pour les conditions du recrutement : quand la guerre des Princes fut terminée, le régiment, n'étant composé que d'une partie du corps des officiers et des recrues, fut licencié comme les autres. Il y restoit peu de soldats, la plupart étant morts de fièvres chaudes malignes et d'une maladie d'armée qui s'était communiquée aux personnes chez lesquelles ils logeoient et en fit mourir une grande quantité. Les capitaines et officiers (c'est-à-dire les cadres) allèrent joindre les vieilles compagnies en Lyonnais.

A la suite de la guerre des Princes, commencent les guerres des protestants. On reconstitue le régiment : Il étoit en fort bon état, poursuit Souvigny, parce que nous avions fait des recrues, au peu de temps que nous séjournâmes en Guyenne, de plus de deux cents braves Gascons... Après la prise de Saint-Antonin, le Roi marcha avec son armée vers le bas Languedoc et donna ordre aux vieux régiments de faire des recrues. Je fus un des officiers du nôtre commandés à cet effet. Nous partîmes de Carcassonne pour en faire une partie en Lyonnais. Quand j'arrivai à Lyon, j'appris qu'on y avait levé sept ou huit régiments nouveaux, et la difficulté d'y trouver des soldats. Mais je la surmontai bientôt en leur donnant plus que les autres.

Un passage de ces Mémoires nous montre sur le vif la discipline en usage dans les armées d'alors : Pour en revenir à notre régiment, qui s'acheminoit à petites journées vers notre garnison, nous le fortifiâmes de près de trois cents hommes. Passant par la Normandie, cette nouvelle recrue se fit bientôt connoître par les plaintes extraordinaires que nous en eûmes... La première justice que nous fîmes, ce fut la restitution de ce que les plaignants dirent que les soldats leur avoient rançonné. Après cela nous en finies dégrader et punir d'autres châtiments, dont la noblesse et le peuple furent bien satisfaits. Cette action de justice si solennelle eût encore été plus estimée, si nous eussions fait pendre quelques-uns des coupables. Néanmoins, après cela, nous eûmes fort peu de plaintes...

Les Mémoires de Souvigny[17] nous montrent enfin comment la noblesse s'approchait du Roi et dans quelle familiarité le Roi vivait avec elle : Il y en avoit peu dans ses armées que le Roi ne connût bien et dont il ne sût à quoi ils étoient propres. Il employoit chacun selon ses capacités, quand il y avoit des charges vacantes, sans qu'il fût nécessaire de se presser pour les aller demander, de sorte que c'étoit faire sa cour que de bien servir. Outre les charges et offices à quoi chacun pouvoit prétendre selon sa portée, l'on étoit souventes fois prévenu par des bienfaits extraordinaires et des brevets de pension, en quoi M. le Cardinal secondoit fortement les intentions du Roi... et élevoit les gens de service, qui étoient heureux de servir sous un si bon Roi et un si grand ministre. Tous deux croyoient s'acquitter dignement de leur devoir en faisant monter certaines personnes aux plus hautes dignités de l'État sans faveur ni autre recommandation que leurs propres mérites.

Ces détails de la vie militaire, exposés avec une si naïve sincérité, se retrouvent dans les carrières les plus illustres de ce temps. Ils évoquent les figures d'un Fabert, d'un Guébriant, d'un Pontis, d'un Gassion, d'un Chouppes, d'un Noailles, d'un Puységur.

Ajoutons un passage des Mémoires de Chouppes, qui se calque exactement sur celui qui vient d'être cité : A peine avois-je treize ans que mon père me fit entrer dans les pages de la petite écurie de Louis XIII. Je fus assez heureux pour que le Roi me distinguât de nos camarades. Je reçus dès lors des marques particulières de sa bienveillance. En 1628 (il avait seize ans), Sa Majesté voulut que je quittasse les pages pour servir en qualité de volontaire dans son régiment des Gardes[18].

Ces gens qui gagnaient ainsi les honneurs du bout de la pique s'inspiraient des services rendus par leurs pères, leurs familles. Le vieux maréchal de La Force, le compagnon de Henri IV, écrivait à sa femme, en 1605, au moment où son fils aîné, — qui devint en 1652 le second maréchal de La Force, — allait commander un régiment en Flandre : Quant au péril, je vous dirai librement que j'aime fort mes enfants, mais jamais cette considération ne me feroit les priver de ce qui les peut faire parvenir et acquérir honneur et réputation ; nous devons croire que partout ils sont entre les mains de Dieu ; au reste, il est certain qu'en la guerre que nous avons vue en France, l'on y couroit plus de péril en quatre jours que l'on fait en celle de Flandre en quatre mois[19]. Et, à propos de son troisième fils Jacques de Caumont, sieur de Masgezir, alors âgé de vingt-cinq ans environ, et qui fut tué au siège de Juliers en 1610, le vieux maréchal déclarait : Notre cadet Masgezir aura recours à une pique où il faudra qu'il bâtisse sa fortune et que nous laissions gouverner à Dieu[20].

A donner de tels soldats, les femmes elles-mêmes dans toute l'Europe s'appliquaient. C'était le temps des Chimènes. Gilles de Hase, fils d'un maçon de Gand, embrassa d'abord la profession de son père. A vingt ans, il s'éprit de la fille d'un riche marchand. Il était agréable, vigoureux, spirituel. La jeune personne lui promit de l'épouser, s'il parvenait à se pousser à une fortune plus considérable par les armes, et lui accorda un délai de trois ans. Hase employa si bien son temps qu'avant l'expiration du délai il était capitaine fort considéré[21]. Général de l'Empereur il fut créé baron de Hase, devint l'émule des Tilly et des Jean de Wert.

Une anecdote sur Fabert, lui aussi soldat à quatorze ans : On le raillait sur sa petite taille. Le voilà si chagriné, raconte M. Paul Renaudin, qu'il obtient d'être associé à un camarade et de porter avec lui, à tour de rôle, la lanterne et la hallebarde. Un soldat du régiment de Champagne le rencontre et plaisante cette moitié de soldat. Fabert est en service ; il retient sa colère. Mais le soir, il va trouver le soldat et lui dit qu'il eut le voir l'épée à la main. On dégaine dans une rue déserte... Soudain voici des passants. Les duellistes sont séparés, Fabert enfermé dans un cachot au fond d'une tour. Et quand, en raison de son âge, on lui permet d'aller passer la nuit dans son lit, il refuse une faveur qu'il tient pour une insulte, et il couche sur la paille[22].

Ces hommes n'aspiraient qu'à une vie de dévouement et de sacrifice : partis jeunes, destinés à mourir jeunes. L'époque était, comme l'a indiqué La Fare, portée à l'héroïsme.

Les choses changèrent au cours même du siècle. On tonnait le mot prononcé plus tard par le futur maréchal de Villars : Je suis résolu à chercher tellement les occasions, qu'assurément je périrai ou je parviendrai. Déjà perce un sentiment personnel, un arrivisme impétueux, exigeant. La génération précédente avait dans l'hile quelque chose d'autre, le feu cornélien : Qu'il mourût !

C'est avec une force incomparable que la valeur emportait ces natures dévouées. Enfants qui se voulaient des hommes. On en trouvait de tels à tous les niveaux. Il était défendu aux goujats de faire le métier de soldat ; mais ils se battaient quand même. Comment les empêcher ? Quoi ! dit Arnauld, donnant des coups de canne au valet d'un capitaine qui avait porté la hotte à la tranchée, quoi ! vous êtes un valet de chambre et vous, êtes assez hardi pour faire le métier des soldats, c'est-à-dire celui des princes, puisque les soldats ne font rien que les princes tiennent à honte de faire ![23] L'année de Corbie, le maréchal de La Force faisait appel aux hommes de bonne volonté et les crocheteurs venaient lui toucher la main en disant : Oui Monsieur le Maréchal, je veux aller à la guerre avec vous ![24]

Les Gascons et les Cévenols passaient pour les meilleurs. Mais le régiment recruté en Normandie par le marquis de Portes, prit, assure-t-on, le premier rang[25]. Laissons parler enfin le héros sans tache, le type du soldat-né, du cadet de Bretagne, qui n'avait guère d'autre héritage que d'être de la lignée de Du Guesclin, Guébriant. Richelieu, citant sa devise, disait qu'il n'avait d'autre vaillant que l'honneur. En quel temps, en quel pays se rencontra-t-il jamais plus beau courage, entendit-on plus beau langage ? Les troupes weimariennes se sont débandées ; elles répandent l'alarme dans le camp français. Guébriant se jette au milieu de ses soldats : Il ne s'agit plus, Messieurs, de la paix de Wolfenbuttel et de la conservation de Brunswick, il s'agit de toutes nos conquêtes, il s'agit de notre vie, et nous l'estimons plus que notre honneur. Il y va des affaires générales et de la réputation de nos maîtres et de la nôtre. C'est ici le champ décisif de notre estime et de la sûreté de notre parti ; nous y devons faire en gens de bien, et notre courage y doit chercher une grande victoire ou une mort glorieuse[26]...

Le chef parlait avec feu ; lui-même se portait au premier rang. La troupe se reforma et la victoire s'ensuivit.

Gens de bien ! L'honneur ! ces mots suffisaient. Ainsi faut-il comprendre la parole de Montesquieu : Le principe de la monarchie, c'est l'honneur.

Personne plus que Richelieu, n'avait foi en cette élite à laquelle il appartenait lui-même, où il recrutait ses hommes, ses familiers. Dans l'ordonnance de 1629, il avait pris des mesures destinées à assurer à la petite et à la moyenne noblesse les ressources nécessaires pour les aider à vivre et à se consacrer au service du Roi. Dans son Testament politique, il se montre préoccupé de supprimer la vénalité des emplois militaires.

Et, comme il savait leur tenir à tous le langage, écho de ce qu'ils avaient dans l'âme ! Enfin, Guron, faites paraître que vous êtes Guron ![27] Après le combat de Veillane : Je vous prie de témoigner à M. le Comte de Cramail le contentement que j'ai que ses habits aient eu tant de blessures et que sa personne n'en ait point eu du tout[28]. Au comte de Charost : Brave Charost, l'honneur de ta race ![29]

 

Si grand que fût le dévouement de ces hommes, si puissant leur exemple, si ardent le tempérament guerrier des Français, cela n'eût pas suffi pour que le Roi et son ministre vinssent à bout de ces deux puissants adversaires, l'Autriche et l'Espagne, qui, depuis le temps de Charles-Quint, travaillaient à renverser ou bouleverser le royaume de France pour dominer l'Europe.

Richelieu, s'inspirant encore des leçons des grands Rois, prédécesseurs de Louis XIII, s'efforce d'assurer à la France des contingents étrangers ; il rend ainsi de plus en plus intense le rayonnement de son influence et de son autorité sur l'Europe entière. Non seulement il sut s'y prendre à temps pour préparer dans le Royaume, avec ses propres ressources, des armées nombreuses et bien ordonnées, mais il eut l'art de se ménager, sans se subordonner à elles, des alliances fortes et de se procurer au dehors un recrutement abondant, de nature à renforcer ses propres armées sans épuiser les sources vives du pays.

Il ne manqua pas de garder les vieilles conventions qui maintenaient à la France un recrutement régulier auprès des Suisses, des Ligues Grises, et auprès de ces peuples bigarrés qui, sous le nom de Croates, peuplaient le bassin du Danube, les contreforts des Alpes et ceux des Balkans[30].

De même, il entretint avec l'Écosse des relations assez mystérieuses, tendant au même résultat. Un homme qui fut de son entourage intime, le colonel Hebron (Hepburn), lui était un agent précieux. Richelieu avait en outre auprès de lui deux Écossais, son aumônier, l'abbé La Chambre, et son valet de chambre, Deschambres (tous les deux sans doute, de leur nom d'origine : Chamber), qui se rendaient en Écosse pour certaines missions plus ou moins avouées[31].

Nous l'avons vu, dès le début de son ministère, maintenir, sans se compromettre dans leur cause, l'alliance des Hollandais, obtenir, malgré La Rochelle, certains apaisements du côté de l'Angleterre en ménageant les revendications du Palatin ; nous l'avons vu gratifier de ses subsides l'armée, pour le moment inutilisée, de Mansfeld. Il avait eu ainsi la double habileté de ne pas s'aliéner, en Allemagne et même en Europe, les concours protestants au moment où il abattait en France le parti huguenot, et cela sans rompre non plus, en Allemagne, avec la Ligue catholique. Il ne s'est laissé engager dans des complications générales ni par l'affaire de la Valteline, ni par la succession de Mantoue, et il a tenu bon cependant. Il a su enfin lancer Gustave-Adolphe sur l'Empire, sans engager dans la cause de ce vainqueur d'un jour, la France qui n'était pas prête.

A la fin, pourtant, il faudra prendre parti. Le 16 novembre 1633, Gustave-Adolphe est frappé dans sa victoire de Lutzen. Le chancelier Oxenstiern devient le conseiller suprême de la couronne de Suède, posée sur la tête de la jeune Christine. Le duc de Saxe-Weimar, Allemand, lieutenant préféré de Gustave-Adolphe, prend le commandement et vient à la tête de l'armée victorieuse présenter à la Reine mère, Éléonore de Brandebourg, le corps du roi défunt, tandis que le chancelier Oxenstiern se confie à son gendre le maréchal Horn. Il s'agit de tenir bien en mains ces héritiers rivaux, de ne pas laisser leur force se désagréger, de dominer à la fois l'habileté des civils et le caprice des soldats. La Suède entend garder tout ce que la cause protestante a gagné en Allemagne. Tandis que Bernard de Saxe-Weimar fait une pointe hardie sur Vienne et s'empare de Ratisbonne, le maréchal Horn vient opérer dans le Palatinat et vers l'Alsace, élargissant ainsi la manœuvre suédoise jusqu'aux provinces que la France entend revendiquer pour sa sécurité et son unité.

Les ambitions suédoises, déjà inquiétantes du temps de Gustave-Adolphe, pourraient devenir dangereuses. Elles menacent de gagner Cette frontière du Rhin, éternel souci de la politique française. L'armée du maréchal de La Force reçoit l'ordre de se porter sur le fleuve pour couvrir l'Alsace et la Lorraine et elle doit occuper à cet effet Haguenau, Saverne, Lunéville. Les premières mesures de sauvegarde étant prises, Richelieu s'arrête et cherche encore à gagner du temps : les vues d'ensemble de sa politique générale contiennent une fois de plus ses désirs du moment.

Mais voilà que les puissances impériales, Autriche et Espagne, se sont réveillées et ont décidé de jeter dans la balance le poids de leurs forces réunies. Ratisbonne est reprise aux Suédois. Horn et Saxe-Weimar sont battus à Nördlingen. Bernard de Saxe-Weimar, avec ce qu'il lui reste d'armée, est venu se réfugier derrière le Rhin. Les Impériaux, lancés à sa poursuite, s'emparent de Heidelberg et, à leur tour, menacent la frontière du Rhin, l'Alsace, la Lorraine.

Richelieu a bien fait d'attendre. Ses forces sont intactes ; mais elles ne suffiront pas contre cette reprise de l'offensive impériale, si elles ne peuvent disposer des concours et des recrutements étrangers. Une négociation de large envergure s'engage alors avec tous les adversaires de la Maison d'Espagne-Autriche.

Que veut, au fond, le ministre de Louis XIII ? Protéger ces pays voisins dont il parlait dans le Conseil donné au Roi Louis XIII pour le bien de son État[32]. Mais, pour cela, il faut être en mesure d'agir partout à la fois, il faut des armées immenses composées de soldats entraînés et disciplinés.

Dès le 8 février 1635, le cardinal a renouvelé avec la Hollande, par un traité signé à Paris, l'alliance offensive et défensive ayant pour objet de chasser les Espagnols des Pays-Bas.

Ce traité signé, on se tourne vers la Suède. Le chancelier Oxenstiern, saisi des vues de la France, a fini par prendre son parti. Il vient lui-même auprès du Roi et se trouve à Compiègne le 26 avril 1635. Il a besoin d'une diversion lui permettant de consolider de concert les conquêtes des armées suédoises en Allemagne et, en plus, il lui faut les subsides de la France pour entretenir ses propres armées. Le 28 avril, il signe à Compiègne, avec Chavigny, le traité par lequel les deux Couronnes s'engagent à soutenir les princes confédérés d'Allemagne, tout en laissant aux catholiques le libre exercice de leur culte.

On aborde maintenant la Ligue des princes protestants, dont l'assemblée est réunie à Worms depuis le 20 janvier. Bernard de Saxe-Weimar a conçu le projet de se tailler, en Alsace, une principauté indépendante et même, pour l'obtenir, il s'est prêté à une négociation secrète avec les deux puissances catholiques. Mais l'habile négociation du renouvellement de l'alliance avec la Hollande et avec la Suède va le laisser entre deux selles, s'il ne s'accorde pas avec la France. L'assemblée de Worms lui donne une haute satisfaction d'honneur en le nommant généralissime de la cause. Feuquières a signé avec lui, au nom du roi de France, le 2 avril, une sorte d'accord provisoire par lequel on lui remet le commandement des troupes alliées, dont l'entretien est aux frais du Roi ; une formule quelque peu ambiguë lui laisse la jouissance des revenus du landgraviat d'Alsace et du bailliage de Haguenau, le roi de France se réservant d'exercer à son heure l'autorité souveraine[33].

Les affaires d'Allemagne ne détournent pas Richelieu des affaires d'Italie ; tout au contraire, il a celles-ci particulièrement à cœur, depuis si longtemps qu'elles ont retenu son attention. Il lui faut, de ce côté aussi, des concours à la fois d'alliance et de recrutement. L'affaire de la Valteline est restée en suspens depuis le traité de Monçon ; la France s'est assuré une entrée dans la péninsule par la mainmise sur Pignerol à la suite de ses démêlés avec la Savoie ; enfin, l'affaire de Mantoue a donné au cardinal les moyens d'agir auprès de ces princes Italiens plus ou moins subordonnés à l'influence de l'Espagne. On en est là.

Dès 1631, Richelieu a confié au duc de Rohan, jadis chef du parti protestant et, pour le moment, rattaché au service du Roi, le soin de maintenir l'influence française et surtout l'influence militaire auprès des Grisons. Rohan commande les troupes suisses et grisonnes. Les Suisses n'ont pas voulu s'engager contre la Maison d'Autriche, mais ne sont pas opposés à quelque recrutement dans les cantons protestante ; quant à Venise, elle s'est tenue sur la réserve selon sa prudente coutume de voir venir avant de se prononcer.

Cependant Richelieu a déjà conçu en lui-même le vaste dessein qui doit arracher l'Italie à l'influence exclusive de l'Espagne. Revenant à une politique déjà esquissée par Henri IV, il présente le roi de France comme le défenseur des libertés italiennes, de même qu'il sera bientôt le défenseur des libertés germaniques ; car la France est et sera partout et toujours libératrice. Il lance donc le projet d'une ligue unissant entre eux et à la France les princes italiens et, le 11 juillet 1635, ses ambassadeurs, le président de Bellièvre et Plessis-Praslin, signeront, à Rivoli, le traité constituant cette Ligue entre le roi de France, les ducs de Savoie, de Mantoue, de Parme, et autres princes d'Italie qui voudront y entrer. La ligue aura pour moyen d'action contre la Maison d'Autriche-Espagne une armée de vingt-sept mille hommes, dont Louis XIII fournit la moitié et qui restera sur pied et en action jusqu'à la guerre finie[34].

Avant même que ce dernier traité ait été signé, Louis XIII et Richelieu, pouvant compter désormais sur des concours et un recrutement abondant à l'étranger, ont pris sur les frontières franco-allemandes les premières mesures de sauvegarde. Le 14 avril 1635, le cardinal de Richelieu, alors à Rueil, demande au Roi de l'entendre à Paris ; il lui soumet une série de mesures urgentes et décisives : On dit, écrit-il, que le roi de Hongrie[35] est véritablement dans le Wurtemberg, ce qui fait qu'il est bien nécessaire de remettre le plus promptement quo l'on pourra l'armée de M. de La Force. Le Roi écrit de sa main, sur le mémoire qui lui est soumis par le cardinal : Je crois que le plus promptement qu'on la pourra rassembler sera le meilleur. Autre proposition simultanée : envoyer en Allemagne les troupes qui sont à Nancy sous les ordres de Monsieur le Prince et les remplacer dans Nancy par de nouveaux régiments. Le Roi donne l'ordre d'accomplir ces mouvements de troupes. Un mois après, le 19 mai 1635, Louis XIII déclarait solennellement, par l'envoi d'un héraut d'armes à Bruxelles, la guerre à l'Espagne. Une fois de plus, le recrutement décidait de la guerre ; la guerre allait assurer le recrutement.

 

Une administration militaire.

Mais que vaudront ces armées françaises et alliées, qui, c'est entendu, monteront à une centaine de mille hommes au moins, que vaudront-elles pour atteindre le but, la victoire ? Problème pour ainsi dire insoluble, tant les moyens manquent : argent, transports, discipline, union.

Richelieu verra ces difficultés mettre en péril toute son œuvre en cette funeste année de Corbie, — année de la désillusion, où tous les malheurs s'abattent sur lui à la fois : l'Allemagne reconquise par les armées impériales, la frontière française éventrée, les rives de la Méditerranée polluées par l'occupation des lies Sainte-Marguerite et Saint-Honorat, la Provence menacée par la tentative espagnole sur la Croisette. A l'épreuve, Richelieu s'apercevra que, s'il a dû réunir des troupes, ce ne sont pas des armées.

Bien vite se fixe dans son esprit une conviction que la rigueur des faits lui impose. Il lui manque, pour gagner la guerre : 1° une organisation militaire ; 2° une politique militaire ; 3° des chefs. Penché jour et nuit sur les nouvelles de l'armée, sur les rapports, sur les chiffres, sur les noms, il tente d'abord de suffire à tout par lui-même[36]. Devant La Rochelle, il avait pu s'emparer du commandement et réussir. Mais aujourd'hui il faut agir sur cinq fronts dispersés : les Flandres, les Alpes, l'Italie, la Provence, les Pyrénées. Accablant ses secrétaires à écrire, ses subordonnés à le lire, il lutte désespérément contre la distance, le temps, les mauvaises volontés, l'incompréhension. Tout manque à la fois : un trou est à peine bouché qu'un autre se creuse.

Le ministre, dont les forces s'épuisent, appelle à l'aide, pour soulever la masse passive, toutes les activités du Royaume. Qui le croirait ? Pour mettre au point les choses du militaire, c'est surtout aux civils, aux clercs, aux évêques, aux moines, qu'il recourt, sans doute plus capables d'exactitude et d'obéissance. Le tumulte des camps n'écoute pas, ne lit pas, ne saisit pas ; les soldats n'épargnent pas plus l'argent que leur sang.

Le cardinal sait qu'il peut compter sur le concours de Louis XIII sans relâchement et sans défaillance ; il va donc tenter de dégager de la confusion féodale et du gâchis anarchique ces trois choses indispensables : une administration, un système, un commandement. Encore est-il nécessaire que lui-même personnellement tienne le tout bien en mains. Le moyen de la victoire sera une totale centralisation avec une implacable autorité.

Il n'était pas dans la manière de Richelieu de créer de nouveaux organes administratifs : il s'appliquait surtout à chercher et à découvrir des hommes. Nous avons, de ce grand réfléchi, qui écrivait tout, des notes jetées à la hâte sur le papier, mais singulièrement instructives sur son procédé de gouvernement. Voici, par exemple, des listes qu'il dressait et qu'il intitulait lui-même : Gens de qualité à employer[37]. Il s'agit de ces gens de main qu'il voulait avoir toujours à sa disposition et avec lesquels il se tenait en contact pour recourir à eux, le cas échéant, selon leurs facultés[38]. Nous allons le voir établir des listes analogues avec renseignements et jugement sur les chefs entre lesquels il se réserve de choisir les commandants de ses armées.

 

Mais comment les services de moins d'éclats quoique non moins importants, les services de l'arrière allaient-ils s'organiser ? Depuis les origines de la Monarchie, il existait une procédure, née des circonstances, qui consistait à détacher de la cour du Roi, pour se rendre soit dans les provinces soit aux armées, en cas de trouble ou de guerre, des envoyés spéciaux munis de pouvoirs temporaires et que les âges antérieurs qualifiaient de missi dominici, les temps plus modernes de commissaires royaux. Nous avons dit comment ces commissaires étaient devenus peu à peu des intendants. Or les intendants envoyés aux armées y remplissaient, comme nous l'avons dit également, des fonctions civiles de justice, police et finances[39].

Quelques faits précis feront connaître où en étaient les choses à ce point de vue lorsque Richelieu arriva aux affaires. Le rôle de l'intendant ou surintendant est parfaitement indiqué dans une lettre adressée par Henri IV, le 6 décembre 1597, à nos très chers et bien aimés, les prévôts des marchands et habitants de notre ville de Lyon : Très chers et bien aimés. Il y a longtemps que nous avons dessein d'envoyer à Lyon le sieur de Vic, conseiller en notre Conseil d'État, pour y avoir la superintendance de notre justice et service en la direction de nos affaires. Toutefois nous avons été contraints de le retenir jusqu'à présent à cause de diverses occurrences qui se sont offertes, où son entremise nous a été nécessaire... Et d'autant que le sieur de Vic est personnage de dignité et de beaucoup de mérite, nous vous admonestons et recommandons de le recevoir et de le respecter convenablement à sa qualité et à la bonne intention qu'il a de faire tout ce qu'il lui sera possible pour l'établissement de votre repos[40].

On le voit, nulle prescription spéciale ; le Roi signale le mérite de la personne, demande qu'on lui fasse confiance et qu'on obéisse à la parole royale dont cet agent est l'interprète.

Le titre et les .attributions du commissaire royal ou intendant auprès des armées se précisent sous le règne de Louis XIII.

Richelieu, pendant son court passage au ministère, du temps du maréchal d'Ancre, avait les affaires de la Guerre dans ses attributions. Il recourut fréquemment aux services des intendants, particulièrement des intendants d'armée. Pierre Hurault en Languedoc. Caumartin et d'Ormesson en Champagne, Bochart .de Champigny en Poitou, Ventadour, Montholon, détachés aux diverses armées, étaient dès lors ses hommes de confiance ; il les retrouvera plus tard.

Après que Richelieu eut quitté le pouvoir, ses successeurs se servirent également de ces délégations commodes. Voici, à titre d'exemple, la formule d'une commission délivrée, le 22 mars 1619, à un certain Desfontaines-Bouet ; cet agent est désigné comme intendant dans l'armée commandée par le duc de Mayenne contre les rebelles, c'est-à-dire contre les partisans de la Reine mère, Marie de Médicis. Le Roi s'adresse en ces termes audit Desfontaines-Bouet : Vous avons commis, ordonné et député, commettons... intendant général de nos finances tant ordinaires qu'extraordinaires, ordonnées pour les dépenses qui seront faites en ladite armée près notredit cousin le duc de Mayenne, pour résider auprès de lui, assister à son Conseil et pareillement pour avoir égard et surintendance au maniement et distribution des deniers tant ordinaires qu'extraordinaires qui sont et seront ordonnés pour la dépense, solde et entretènement des gens de guerre, tant de cheval que de pied, artillerie, munitions, pionniers, réparations et fortifications... levées pour la subsistance des armées... ensemble d'ordonner aux trésoriers de l'ordinaire et extraordinaire de nos guerres, cavalerie légère, artillerie et autres comptables étant auxdites armées, de payer à qui il écherra, aussi avoir puissance et autorité de faire venir devant vous toutes et quantes fois que vous aviserez nos comptables desdites dépenses et les contrôleurs d'icelles, ou leurs commis... ensemble les commissaires généraux des vivres, leurs commis...

N'est-ce pas là une pleine et entière délégation royale pour tout ce qui concerne l'entretien de l'armée, ses approvisionnements, ses ressources, ses dépenses, sa comptabilité, en un mot, comme on dit aujourd'hui, sa matérielle ? L'intendant assistera même aux conseils du haut commandement. C'est un personnage. Richelieu, quand il reviendra aux affaires, trouvera donc des habitudes prises et le système depuis longtemps en application. Il n'a qu'à s'en servir ; il s'en sert.

Toutes les armées mises sur pied ou en mouvement dès le début de la grande guerre sont ainsi munies de leurs intendants. Nous relèverions vingt, trente noms d'intendants et davantage, avec le détail de leurs fonctions et de leurs correspondances : d'Argenson, de Thou, Arnauld d'Andilly, Lefebvre, Gobelin, Villarceaux, etc. ; il faut se borner.

Mais voici que le ministre est amené à reconnaître les lacunes, les insuffisances du procédé, traditionnel il est vrai, mais sans suite, sans stabilité, toujours improvisé. Chaque intendant, de même que chaque armée, a un champ séparé, limité, isolé ; nulle action combinée, nul lien administratif, nul ensemble ni concours entre les forces disséminées sur le vaste champ de la guerre. Dans un pays encore disloqué, aux frontières incertaines, sans administration provinciale, sans routes et sans contacts intimes, chacun s'agite en son coin et ne se relie aux autres parties qu'accidentellement.

Qu'il s'agisse des vivres, des moyens de transport, des soins aux blessés, de la discipline dans les camps, dans les garnisons, dans les régions occupées, on tire à hue et à dia. Chefs, commissaires, intendants, commis, Parlements, municipalités, tout le monde suit son idée, cherche son intérêt, s'épuise en querelles vaines, en efforts contradictoires ; on en appelle au centre : le centre est lui-même ignorant, impuissant[41]. Ou bien, s'il intervient, il est accablé du poids de l'inertie et de l'incohérence universelles.

C'est alors que le cardinal, malade, épuisé, qui, au moment le plus aigu de la crise militaire, a dû se faire transporter sur le théâtre des opérations, à l'abbaye de la Victoire, près d'Amiens, s'aperçoit décidément que lui-même et ses entourages personnels, les ministres habitués à son travail et à ses méthodes exigeantes, autoritaires, le Père Joseph au premier rang, puis les Serviez', les Bouthillier le père et le fils, Chavigny le jeune, ne peuvent suffire à tout. Il s'applique à créer un rouage intermédiaire, une équipe d'activité bien en mains et, en même temps, mobile, prompte à partir, prompte à revenir, comprenant les ordres, assurant les exécutions, sachant pénétrer sa pensée, au besoin la prévoir, la deviner, l'interpréter et transportant en quelque sorte son esprit sur toute la surface et jusqu'aux extrémités du Royaume.

Or, chose singulière, nombre de ces distributeurs de volonté, d'activité et de contrôle, au début du moins, sont des clercs. Il n'était nullement hors d'usage que les clercs fussent appelés à rendre des services laïques, soit civils, soit militaires[42]. Richelieu lui-même était une preuve vivante de cette tradition remontant aux grands seigneurs-prélats du moyen âge et de la Renaissance. Les contemporains attestent que le cardinal était glorieux de ses aptitudes militaires et qu'il avait pour émule, dans ce genre de vanité quelque peu imprévue, le fils des Tremblay, le Père Joseph. Personne n'avait oublié, aux années 1630, le fameux libelle, publié en 1615, dont l'auteur était Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran, ami de jeunesse du cardinal de Richelieu, futur propagateur du jansénisme, l'Apologie pour Messire Henry-Louys Chasteignier de La Rocheposay, évêque de Poitiers, contre ceux qui disent qu'il n'est pas permis aux ecclésiastiques d'avoir recours aux armes en cas de nécessité, ouvrage où les raisons étaient déduites surtout au point de vue de l'ordre chrétien et qui se terminait par une suite de quelques cardinaux et évêques qui, en temps de nécessité, ont pris les armes.

En 1638, l'un des prélats militaires les plus actifs et les plus utiles que Richelieu eût auprès de lui, Sourdis, archevêque de Bordeaux, appelé à des fonctions de haut contrôle sur l'armée navale opérant dans la Méditerranée, eut à répondre aux reproches que ses adversaires lui faisaient, de prendre part à des œuvres de guerre nécessitant l'effusion du sang. Il trouva des docteurs pour le défendre. Leur argumentation se résume en ces termes : les prélats sont appelés utilement dans les conseils des princes et ils exercent aussi une autorité judiciaire ; or, en cette double qualité, ils peuvent être amenés à prendre des décisions ou à prononcer des jugements qui ont mort d'homme pour conséquence. Des Papes, comme saint Grégoire, Léon IX, ont dû participer en personne à la guerre, par exemple contre l'invasion des Lombards ; ils suivaient leurs armées et n'avaient d'autre logement que les camps. Léon IX même fut fait prisonnier. Les prélats peuvent donc, en tant que prélats, participer aux luttes de salut pour la défense de la religion ou l'indépendance de leur pays. En particulier, les prélats de France sont tenus à ce devoir : Ils sont obligés d'aller à la guerre en vertu de leurs domaines relevant de la Couronne ; cette pratique n'est pas particulière à ce Royaume, elle est en usage dans d'autres États. A peine est-il besoin de rappeler que le cardinal-infant d'Espagne commandait les troupes impériales à la bataille de Nördlingen. Et pour conclure : Si tous les évêques peuvent aller en guerre et se trouver dans les armées, ceux de France y sont obligés, non seulement pour y être, comme Moise et Aaron, les bras croisés, et ceux que Constantin mena avec lui en guerre de Perse, pour lever leurs mains sacrées au ciel, mais pour y encourager les, soldats et y conduire des troupes pour la défense de la patrie et quand le Roi le leur commande pour la conservation de ses États, en l'urgente nécessité de ses affaires[43]...

Le point de vue du cardinal de La Valette et de l'archevêque de Bordeaux dut être exposé à Rome, sur la demande du cardinal de La Valette, par le gouvernement français : Sa Sainteté, disait l'exposé, en usant ainsi avec le cardinal-infant, Sa Majesté est extrêmement étonnée qu'elle traite différemment avec le cardinal de La Valette et qu'elle fasse paraître cette inégalité entre les deux Couronnes, principalement en un temps auquel les intérêts du Roi se trouvent joints à ceux de l'Église... et qu'elle désapprouve en la personne dudit Sieur Cardinal une chose qu'elle ne blâme point aux autres... etc.[44] On trouve toujours des arguments quand il en est besoin.

Quoi qu'il en soit, Richelieu n'hésite pas à désigner comme les premiers agents de sa volonté, centralisée auprès des armées, des prélats fidèles, dont il connaissait l'esprit de discipline, l'autorité, l'activité. Et il ne s'agit pas ici seulement de ceux qui se distinguèrent à la tête des armées, dont les plus illustres sont le cardinal de La Valette et de Sourdis ; il s'agit de serviteurs plus modestes et de services plus effacés, d'agents que l'on pourrait qualifier de prélats-intendants ou mieux encore prélats-surintendants.

Ils furent, surtout dans la période des essais, les organisateurs qualifiés des services annexes auprès des armées. La théorie du système est exposée dans un mémoire conservé au ministère des Affaires étrangères, qui parait avoir été écrit en 1635 et qui a certainement été inspiré par Richelieu. Ce mémoire expose le rôle de l'agent munitionnaire dans la guerre qui commence : On s'est mal trouvé, en 1631, de n'en avoir qu'un seul pour toutes les armées. Il faudroit qu'à la Cour un homme de grande qualité, demeurant sur place, prit le soin général des vivres. Dans chaque armée, il faudroit désigner un évêque ou un maréchal de camp ayant affection et capacité pour les faire bien aller. Il faudrait adjoindre un prévôt ou lieutenant avec dix ou douze archers, en plus un trésorier particulier des vivres, séparé de l'extraordinaire pour beaucoup de raisons aisées à dire et longues à écrire... Et l'on n'en disait pas plus, car on était obligé, en ce temps-là de supposer comme possible la corruption, ne fût-ce que par le silence, etiam et nutu.

Cette même pensée, Richelieu l'a précisée et exposée dans son Testament politique, écrit probablement vers 1638 : Il se trouve en l'histoire beaucoup plus d'armées péries faute de pain et de police que par l'effort des armes ennemies, et je suis fidèle témoin que toutes les entreprises qui ont été faites de mon temps, n'ont manqué que par ce défaut... Le soin des vivres doit être soumis à des personnes de qualité, dont la vigilance, la fidélité et la capacité soient connues, puisque de là dépend la subsistance des armées et bien souvent celle de l'État. Il n'y a point de gens trop relevés pour être employés en de telles charges[45].

Gens relevés. Voici, en effet, les premiers choix du cardinal : dès le début de la guerre, juillet 1635, on trouve dans sa correspondance des instructions, écrites de la main de l'archevêque de Bordeaux, données à M. du Houssay, envoyé comme intendant en Champagne M. du Houssay se souviendra, s'il lui plaît, que l'intention du Roi est d'acheter ou errer (arrher) pour nourrir trente-huit mille hommes de pied durant douze mois, jusqu'à la récolte de 1636, et de faire incessamment charrier à Metz, Moyenvic, Marsal, qui sont les lieux que le Roi a choisis pour faire les magasins... Ce que vous faites est plus pour remédier à la négligence des munitionnaires et éviter leur tromperie que pour les décharger du soin qu'ils doivent avoir... On confie donc à l'archevêque de Bordeaux une sorte de contrôle sur l'activité et sur les dépenses dés intendants d'armée, avant qu'il reçoive d'importants commandements[46].

En octobre, c'est l'évêque de Mende, Crusy de Marcillac, qui devient l'homme de confiance : Vous aurez reçu soixante-dix-sept mille livres que je vous ai envoyées pour acheter des blés, outre les deux mille pistoles que vous emportâtes. J'ai vu la revue que vous m'avez envoyée de la garnison de Nancy... Faites marché avec le fondeur de cette tille pour faire refondre les pièces éventées... Quant aux poudres... Pour ce qui est des mèches, etc. Il n'y a pas de petits détails qui n'occupent ces hommes d'Église[47]. Et la correspondance qui se multiplie avec cet agent, peut se résumer en deux mots : des blés ! des blés ! Il a reçu la fonction d'un véritable surintendant des vivres. Mais, pour lui, le vent tournera bientôt[48].

Voici maintenant l'évêque de Nantes, envoyé d'abord à Mézières pour l'approvisionnement des vivres, ensuite en Provence pour mettre sur pied l'armée navale et surveiller la conduite des chefs[49].

Puis c'est l'évêque de Chartres, qui part avec M. de Fontenay. Le cardinal appelle joliment ce couple, ministres ecclésiastique et militaire, et il lui confie le soin de faire parachever tous les travaux dans la Toussaint[50].

N'insistons pas : car il semble bien que le système improvisé ne fonctionna pas longtemps à la satisfaction du cardinal. Les noms qui viennent d'être relevés disparaissent peu à peu de la correspondante. Celui qui avait paru, de tous ces affidés, le plus actif, le plus en main, Marcillac, évêque de Mende, est tombé en disgrâce dès le mois d'août 1638. Appelé fort opportunément à Paris par la nécessité de se faire tailler, il lit, dans une lettre que lui écrit le cardinal, ces quatre mots : Travaillez à votre guérison. Conseil un peu sec. L'évêque de Mende guérit lentement, lentement. Il pousse, le 15 novembre 1639, ce cri de désespoir : M. de Mende implore la mort, puisqu'il est assez malheureux pour avoir encouru l'indignation de Son Éminence... Il est accusé de n'avoir pas rendu compte de plusieurs sommes de deniers et de grandes quantités de blés. Peut-être y a-t-il autre chose : le cardinal est un maitre dangereux.

 

En tout cas, le système fonctionne mal. Il faut en trouver un autre et d'autres hommes. Un seul, peut-être, suffirait ; mais on le veut capable, laborieux, dévoué, affidé au premier chef et, surtout, hors de toute intrigue, — rara avis. Cet homme, on le cherche alors qu'on l'a déjà trouvé : c'est Sublet de Noyers.

Ce nom est inscrit dans l'histoire de France comme celui de l'organisateur de l'administration de la Guerre. En réalité, c'est un commis. Mais quel commis !

François Sublet, de Noyers en Bourgogne, baron de Dangu dans le Vexin normand, avait débuté dans les affaires à Rouen. Fin comme un Bourguignon, matois comme un Normand, ambitieux, sage et dévot, il devait plus tard, après son veuvage, s'affilier à la Compagnie de Jésus. Tallemant dit qu'il fut introduit auprès de Richelieu par l'évêque de Mende, non pas notre Marcillac, mais son prédécesseur, La Mothe-Houdancourt, celui-ci, frère du maréchal, après avoir rendu quelques services au siège de La Rochelle, était mort en 1629.

Sublet de Noyers, très petit personnage, sut attirer l'attention de Richelieu par son assiduité, son zèle, son talent de rédacteur, sa compréhension rapide et sûre, son extraordinaire qualité de fait tout. Une fois que le cardinal voulait faire venir un notaire : Il n'est pas besoin, Monseigneur, lui dit Sublet ; je suis secrétaire du Roi ; je ferai bien ce qu'il faut... Le cardinal rompit un jour par hasard une petite canne fort jolie qu'il aimait assez ; le petit bonhomme la prend, la rajuste et la rapporte à Son Éminence. Il devint bientôt l'homme indispensable.

Il avait aussi un goût qui devait lui assurer la sympathie du cardinal, le goût des arts et des collections. Grand bâtisseur et grand amateur d'arrangements, nous le verrons dans ce rôle, où le petit homme effacé *et secret sut prendre une sorte d'autorité : On le trouve en 1632 attaché au Conseil d'État. Il y rend de grands services ; — à ce qu'il semble, de ces services d'affidé qui ne laissent guère de traces sur les papiers des archives.

Le 1er mai 1632 ; il est désigné comme intendant de l'armée commandée par le maréchal d'Effiat, qui marche au secours de Trèves. Sa fonction parait être surtout de voir et de rendre compte. Le maréchal est très malade et va bientôt mourir. Sublet de Noyers est là ; il écrit à Paris, dit son mot sur les hommes de guerre qui pourraient être appelés à la succession : MM. les Maréchaux de camp ne travaillent pas assez de correspondance. M. d'Arpajon, qui est l'ancien et qui parait plus actif que M. de La Suze, en veut avoir le commandement ; l'autre n'y consent. Quant à lui, sa profession de foi est toute faite, et il l'écrit pour que nul n'en ignore à Paris : Survient-il un changement dans les ordres, l'armée et le pays s'en étonnent ; ce sont des effets de l'ignorance, qui s'émeut de tout ce qu'elle n'entend pas ; car nous ne doutons pas qu'il n'y ait eu ordre, et raison de le faire. Puisque l'on nous l'a commandé, il faut obéir[51]. Modèle des serviteurs : voir, savoir, rapporter, comprendre, obéir.

Sublet de Noyers continue d'être intendant de la même armée sous le maréchal d'Estrées. Il est nommé ensuite, au mois de septembre 1633, intendant de l'armée de Lorraine, commandée par le maréchal de La Force[52]. Le voilà donc en connaissance intime avec les armées et avec la frontière, avec les hommes et avec les choses. Or Richelieu ne pense plus dès lors qu'à préparer la grande guerre.

Quelle opportunité, quelle chance d'avoir sous la main ce factotum docile, qui ne s'en fait pas accroire, qui sait voir, prévoir et pourvoir ! Sublet de Noyers est envoyé dans le nord d'abord, puis dans l'est, avec ce titre nouveau et qui révèle à la fois le dessein secret et la confiance dans l'agent secret : conseiller du Roi en son Conseil d'État, intendant de ses finances et commissaire député par Sa Majesté pour les fortifications et envictuaillement des places de la province de Picardie. — On n'ignorait pas, dit M. Schmidt, qu'il était incompétent en matière de fortifications, que jamais il n'avait tracé un plan ; aussi on lui avait adjoint, au grand regret de Du Plessis-Besançon, le sieur d'Argencourt, connu par son habileté et la science d'ingénieur.

Une lourde erreur, lancée par les mécontents d'alors, répétée par les romanciers de l'histoire, a été accréditée par cette phrase de Michelet citant Fontenay-Mareuil : Richelieu fit visiter nos places du nord par un homme qu'il croyait très sûr, par Sublet de Noyers... Ce commis ne connaissait rien aux places de guerre. Il rapporta à Richelieu ce que désirait le ministre, que tout était en bon état. Et celui-ci, tranquille sur le nord, regarda au sud-est. La vérité, connue depuis que les archives se sont ouvertes, est tout autre : Sublet de Noyers sut se rendre compte et il sut avertir ; mais on ne l'écouta pas, sans doute parce que le cardinal se surchargeait lui-même d'un travail excessif et qu'autour de lui les ministres, — Chavigny, Bullion, Servien, surtout Servien étaient dépassés par une telle tache et continuaient à marcher de ce bon train-train tranquille qui est celui des bureaux. Nous l'avons bien vu en 1914.

De toutes les lettres adressées au cardinal par Sublet de Noyers se dégage un continuel avertissement, écrit M. Schmidt, les places n'ont pas de fortifications, ou ce qui existe est en mauvais état ; les villes n'ont pas de garnison, ou si elles en ont une, elle est insuffisante ; les officiers ne font pas leur voir ; l'argent manque ; les vivres font défaut ; et ce sont sans cesse les mêmes demandes : Envoyez des hommes, du pain, des armes, des munitions ; la frontière ne saurait tenir contre un coup de main.

En 1634, à la veille de la guerre, après un effort aussi tenace que vain, Sublet de Noyers écrit d'Abbeville au cardinal : L'état de la ville est inquiétant ; elle ne pourrait soutenir de grands efforts si elle était vivement attaquée ; j'ai fait garantir le fort par des demi-lunes, mais les habitants ne veulent pas une citadelle... Quand je considère qu'il n'y a que Beauvais entre Paris et Abbeville et que des Pays-Bas à Abbeville il n'y a que sept lieues, j'estime que Votre Éminence jugera qu'il s'en faut bien assurer en la mettant en état de se bien défendre ; je ne doute pas de la fidélité des habitants, mais de leur vigilance... Hélas ! c'est toute l'insouciance française dénoncée en un seul mot. Et dans quelque dix-huit mois, ce sera l'année de Corbie !... Notre homme n'a même pas manqué de visiter Corbie. Voici ce qu'il écrit : Corbie a six cent cinquante hommes de garnison, Rue en a deux cent soixante. La Capelle cent quarante, Le Catelet soixante-dix ; Corbie n'est armée que d'un canon, deux coule-mines, deux bâtardes, trois moyennes[53].

Tant de zèle d'une part, des fautes et des erreurs si graves d'autre part émeuvent Richelieu. Rien ne va. Il faut, pour soutenir le fardeau de si grandes affaires, un ressort, un entrain, un allant qui font défaut. Intendants, évêques, chefs d'armée, ministres, tous passables peut-être en temps de paix, mais, en temps de guerre, insuffisants. La première nécessité est d'ordonner et coordonner cet état-major inconsistant, éparpillé, de le regrouper, de lui faire sentir la main du maitre.

Servien surtout ! Servien est secrétaire d'État à la Guerre. Né dans la robe, il fait carrière, sous le ministère de Richelieu, dans les affaires de Savoie et d'Italie. Intendant et diplomate, il se montre intelligent, ferme et de bon sens, mais en même temps dur, sec, tranchant, avantageux. Il est bien le fils de ce XVIe siècle, où toutes les ambitions étaient permises, mais où les chutes étaient aussi rapides que les ascensions. Il devait ara envoyé plus tard en qualité de plénipotentiaire au congrès de Westphalie, où sa mésintelligence avec d'Avaux devait affaiblir gravement la cause française. Le duc de Longueville écrira alors : D'Avaux saigne et Servien coupe.

Richelieu avait d'abord considéré Servien comme un homme à lui et lui avait confié les fonctions de secrétaire d'État à la Guerre. Mais, dans les circonstances tragiques du début des hostilités, l'homme avait paru inférieur à sa tâche. On dit qu'une cabale avait été montée contre lui par Chavigny, familier intime de Richelieu, et par Bullion, qui le considérait comme un bourreau d'argent. Ce qui est certain, c'est que Richelieu avait dû assurer une bonne partie du travail relatif aux armées et que Servien le secondait mal. Les armées mouraient de faim.

Le 16 janvier 1636, le cardinal adressait encore à Servien un long mémoire, écrit de la main de Cherré, où l'immense détail des affaires exigeant des solutions urgentes était exposé. Or Servien avait, de sa main, écrit nonchalamment en face de chaque paragraphe ce simple mot : fait, fait, fait, sans autre explication ni commentaire. On dormait sur le dossier.

Le 21 février suivant, ces Messieurs du présidial d'Angers avaient la surprise de recevoir une lettre du cardinal ainsi conçue : Messieurs, quelques considérations particulières ayant fait résoudre le Roi à donner récompense à M. Servien de la charge de secrétaire d'État dont il l'avait honoré et à l'éloigner de ces quartiers, je vous fais cette lettre pour vous dire que Sa Majesté a trouvé bon qu'il s'en allât passer le temps aux vôtres et qu'il demeurât dans votre ville, afin que vous ne fassiez point difficulté de l'y recevoir et de le voir aux occasions qui s'en présenteront[54]. Servien devait rester un habitant d'Angers jusqu'à la mort du cardinal et du Roi.

Il n'y avait eu, d'ailleurs, nulle lacune dans le service : Sublet de Noyers était nommé secrétaire d'État dès le 12 février. Le petit homme docile qui avait fait preuve de souplesse, allait maintenant faire preuve d'activité et d'autorité. Le cardinal se sentait bien soulagé en faisant reposer sur lui cette partie énorme du fardeau qu'acceptaient ses épaules frêles[55].

En plus, le cardinal avait l'espoir d'être désormais entendu et obéi. Il n'attend que quelques jours pour mettre au pas la nouvelle organisation, telle qu'il l'a réalisée une fois pour toutes : Bullion aux finances, Sublet de Noyers à la guerre et aux fortifications. Il écrit à tous deux, le 5 avril de cette funeste année 1636, où l'invasion sera la rançon de la longue négligence apportée aux chosés de la guerre dans un pays menacé de toutes parts : Il y a des affaires auxquelles on perd cent pour cent à les différer et les remettre... On ne peut ne pourvoir pas promptement à vider les intérêts des villes de Colmar, Schelestadt et Haguenau sans s'exposer à perdre l'Alsace, d'où dépend le bon succès de la guerre ou de la paix, — l'Alsace, la grande affaire, en effet, l'éternelle affaire de la France. — Je conjure Messieurs les Surintendants de vaquer, dès aujourd'hui, à tout ce que dessus, prenant la prière que je leur en fais non comme une sollicitation ordinaire, mais comme celle d'une affaire qui est du tout importante et fort pressée...[56]

Sublet de Noyers n'a pas besoin d'être stimulé. Il se charge et surcharge au delà de ses forces. Bientôt il jouera auprès de Richelieu un rôle beaucoup plus considérable que celui qui lui est reconnu par l'histoire : administrateur, écrivain, diplomate, homme de cabinet et homme d'action, il se mêle de tout et on le mêle à tout. Les armées sont mises sur pied dès le 12 mai : L'armée d'Italie entre en campagne, lisons-nous dans la correspondance du cardinal... Elle sera de vingt mille hommes de pied et trois mille chevaux... On envoie cent mille francs à M. de Rohan, pour le pain... Mon cousin de La Meilleraye est parti... le duc Bernard s'en doit aller après-demain... le cardinal de La Valette suivra bientôt après[57]. Les vivres sont assurés, le chancelier est mis en demeure d'arrêter les désordres des gens de guerre.

On saura parer à cette affreuse sédition du Périgord et de l'Angoumois, qui immobilise des forces importantes. Sublet de Noyers envoie des troupes, change les chefs. S'il s'agit de faire partir des espions pour les pays étrangers, c'est à lui qu'on s'adresse ; s'il s'agit de soulager les régions dévastées et de les dispenser du sol pour livre, c'est lui qui incline vers ce peuple éprouvé la largesse royale. Il écrivait à Richelieu : Trois années de peste ont ruiné les populations de la Picardie ; le commerce d'Amiens a renvoyé plus de trois mille ouvriers... Nous ne sommes pas en saison où il faille maltraiter les peuplés sans sujet ; la misère où ils sont nous oblige plutôt à compassion qu'à leur faire sentir des rigueurs inutiles, qui leur arrachent de l'aine ce qui leur reste d'affection pour le Prince[58].

Paroles, non de commis, de chrétien.

Au cours des entretiens prolongés avec le cardinal, on les voit, tous deux, penchés sur les cartes, faire le tour des frontières de la France, le tour de l'Europe, calculer sur leurs doigts le nombre des régiments, des pièces d'artillerie, des chariots, les forces de l'ennemi, celles qu'on peut leur opposer. Sublet de Noyers prend la plume et les ordres sont confiés aux courriers qui attendent. Grandi peu à peu par l'autorité qu'il a su prendre, Sublet de Noyers se glisse dans le secret des grandes affaires, dans la confusion des intrigues, dans les broussailles de la négociation avec les partisans de Gaston, avec les femmes, les maîtresses, jusque dans l'intimité des relations du Roi et de la Reine.

Bientôt sa puissance est consacrée. Richelieu écrit au Roi, le 10 mars 1637 : Le service de Votre Majesté requiert que vous défendiez à tout autre secrétaire d'État que M. de Noyers, de se mêler des ordres de la guerre[59].

La sévérité n'est pas abolie, tant s'en faut ; elle s'exerce maintenant contre les chefs qui manquent à leur devoir de discipline : le procès et la mort de Saint-Preuil en seront un exemple mémorable[60]. La plaie saignante que l'on a au cœur, les maux que la guerre fait endurer aux populations des campagnes, voilà ce qui devient le souci de tous les instants. On craint la désaffection des peuples, on craint les suites de la polémique engagée au dehors et qui fait retomber ces misères sur l'ambition du cardinal et de la France. Le texte des instructions adressées aux généraux en chef résonne d'un accent nouveau : Sa Majesté ne veut pas omettre de recommander audit Sieur Maréchal d'établir de toutes parts le bon ordre nécessaire aux étapes des troupes sur toutes leurs routes et d'empêcher par tous les moyens le débandement des soldats et la foule du peuple, faisant suivre les gens de guerre non seulement par les prévôts des maréchaux et toutes leurs compagnies d'archers, mais aussi par la compagnie de ses Gardes, avec ordre bien exprès de -faire prendre et punir sévèrement tous les déserteurs et libertins et surtout de faire châtier selon la plus grande rigueur des ordonnances de Sa Majesté les premiers fuyards des troupes et ceux qui commettront' quelques notables excès en violences, soit dans les quartiers soit en marchant, en sorte que l'exemple de leur punition empêche les autres de tomber dans les crimes si préjudiciables au service de Sa Majesté...[61]

Les plus graves questions que Sublet de Noyers aura à résoudre, après celles de la vie même des armées, se rapportent aux fortifications, c'est-à-dire, en somme, au système militaire en usage jusqu'à lui et qui, par lui, va se transformer peu à peu ; et aussi, à d'autres non moins graves qui concernent le haut commandement c'est-à-dire au choix des hommes.

 

Abordons maintenant ces deux sujets, car c'est là en vérité, que l'action de Richelieu, aidé par cet adroit second, fut décisive.

Les fortifications d'abord. On a vu que, sans autre compétence, un certain goût de la bâtisse avait désigné l'intendant pour l'inspection de la frontière du nord. La guerre était surtout, en ce temps-là une guerre de sièges, héritage des temps féodaux, où la France entière n'était qu'un vaste réseau de crêtes hérissées de donjons et de tours. Il y avait, à cette conception militaire, des raisons tenant à la nature des choses : la nécessité de protéger le plus possible la terre nationale, indispensable pour assurer les vivres aux hommes et les fourrages aux chevaux. Les routes et les moyens de transport manquant, le ravitaillement ne pouvait se faire que sur place et la guerre à la française n'était autre chose, nous l'avons dit, qu'une mainmise sur les contrées les plus capables de fournir la subsistance. Par suite, de chaque côté des frontières, ces pays, plus menacés encore qu'éprouvés, devaient être défendus ou gagnés pied à pied, morceau par morceau. Aucune motte de terre n'était négligeable.

C'est ce qui explique, tout d'abord, le parti pris de lutter pour protéger le sol national partout où l'ennemi trouvait une porte d'entrée ; c'est ce qui explique encore l'éparpillement de la guerre sur les multiples frontières du Royaume quand il s'agissait d'un pays entouré, encerclé, assailli de toutes parts, comme l'était la France : frontière du nord, frontière de l'est, frontière des Alpes, de l'Italie, d'Espagne, frontières maritimes, embouchure des fleuves, La Rochelle, Bretagne ; il fallait être sur ses gardes et en force en tous lieux, également et simultanément. Comment songer à concentrer des armées sur un point unique pour frapper un coup décisif, quand le centre était partout et la circonférence nulle part ?

De là vient cette infinie multiplication des forteresses, cet énorme' appareil de murailles édifié méthodiquement pour protéger les campagnes, les fermes, les villages, les villes, les magasins. Que l'on s'en rende compte : pour affamer l'ennemi, on eût été réduit à raser le pays que l'on n'eût pas su défendre.

Ajoutons que l'occupation, soit par l'une soit par l'autre des armées, était, pour le plat pays, un malheur affreux. Le soldat était le plus cruel non seulement des envahisseurs, mais aussi des défenseurs. Quelques précisions, empruntées aux notes d'un témoin, donneront, avec les estampes de Callot, une idée bien affaiblie de ces misères de la guerre : Les troupes rôdaient au delà de l'eau de Somme par logements importuns et ruineux, fatiguaient les gens de ces pays à l'égal de ceux des frontières ; les cruautés des gens de guerre, tant gens de pied que gens de chevaux, faisaient pitié ; ils brûlaient, violaient force femmes et force filles, tuaient les hommes, composaient et tyrannisaient les pauvres paysans en leur rôtissant et grillant la plante des pieds au feu...

Et encore : Les troupes qui avaient hiverné en France en plusieurs endroits, s'assemblèrent vers la mi-mars dans les 'villages situés au delà de la rivière de Somme, où elles causèrent le plus affreux désordre, lequel ne se peut honnêtement réciter ; les soldats pillèrent, violèrent femmes et filles, démontèrent les moulins, bref, tout ce qu'on peut imaginer de pire. Et enfin : Quatre régiments d'infanterie, commandés par M. Lambert, restèrent pendant sept jours à Franqueville, où ils causèrent les plus grands dégâts, ils se livrèrent au pillage et démolirent les maisons, les granges et les étables. A Houdancourt, ils démontèrent la maison de M. de Boispronier. A Saint-Ouen, à Bettencourt, il y avait au moins sept mille hommes de pied et de chevaux ; ils scièrent les blés, les firent paître et démolirent les maisons[62].

D'autre part, les armes du temps, se trouvant, en somme, d'effet bien médiocre pour abattre ces défenses multiples, les sièges, avec leurs travaux immenses, imposaient aux populations voisines, des corvées atroces en des lenteurs infinies : tranchées, circonvallations, redoutes, mines, escalades ; on ne pouvait qu'à grand peine s'emparer des bicoques. Ajoutons ce détail que, la plupart du temps, la garnison, si elle n'était pas massacrée, passait à l'ennemi. On perdait tout même les hommes.

Les quartiers d'hiver étaient de non moindre nécessité, en raison de l'insuffisance des ressources localisées et de la difficulté des transports. Pour le siège d'Arras, on mobilisa quatre-vingt mille charrettes et, en dépit des efforts qui consumaient Richelieu, les troupes, le plus souvent, mouraient de faim. On campait donc pour se reposer et surtout pour manger : mais, durant ces longs repos, les murailles hostiles se relevaient et il fallait recommencer. Tout est à la va-vite aujourd'hui ; tout jadis était au temps perdu.

On donne en exemple, dans l'enseignement militaire moderne, les surprises de la manœuvre napoléonienne : le coup de massue asséné sur la tête d'un empire par des armées nombreuses que projette loin de leurs bases d'opération la randonnée audacieuse, dictée par une conception géniale. Mais, n'avons-nous pas vu renaître, pour brider ces entreprises aventureuses, les lignes de tranchées, la fortification des sites, le terrain armé jusque dans son moindre pli ? Et n'en est-on pas arrivé à se demander si l'abandon à l'ennemi de grandes parties du territoire national n'est pas une faute lourde, soit si la guerre se prolonge, soit en 'vue des discussions de la paix ?

Quoi qu'il en soit, les choses étant ce qu'elles étaient, la guerre, au cours du XVIIe siècle, fut surtout l'affaire des ingénieurs. Elle sel faisait au ralenti, toute fragmentée et disloquée, s'installant en quelque sorte à l'état chronique.

Et c'est parce qu'on désespérait de voir la fin de ces hostilités larvées, que peu à peu naquit dans l'esprit des chefs une conception nouvelle, visant à des résultats plus rapides : on prit le parti de détruire systématiquement les petites forteresses et les châteaux, d'agglomérer les forces défensives dans des places puissantes qui devenaient ainsi des armées statiques, combinant les hommes et les pierres par l'art perfectionné des ingénieurs. Et, finalement, on fut amené à confier le maniement total des forces à un commandement unique, désigné, non plus en vertu d'un rang social ou par la faveur du Prince, mais par une supériorité technique reconnue et éprouvée.

Aux premières phases de cette transformation la collaboration de Richelieu et de Sublet de Noyers présida. Fille de l'expérience et d'une réflexion assidue, elle jaillit de la. pratique même de la guerre. Une élite d'ingénieurs, formée à l'école des maçons et des maîtres de Hollande, sortit de terre pour fleurir un jour /Jans le génie de Vauban.

Pompeo Targone avait commencé à La Rochelle. Il fut bientôt dépassé par ses successeurs. Qu'il suffise de nommer d'Argencourt, camarade d'équipe de Sublet de Noyers, Du Plessis-Besançon, grand favori de Richelieu, Pagan, qui fortifia Saint-Quentin, des Aguets, Destouches, Fabre.

Ouvrons le livre du célèbre chevalier de Ville pour voir à quel point s'était développée, jusqu'à atteindre le style et l'élégance, cette géométrie de la pierre, destinée à s'opposer à la puissance du bombardement. Tout se trouve réuni, dans ce splendide in-folio, depuis les considérations avant que fortifier jusqu'à ce qu'on doit faire quand l'ennemi lève le siège.

Considérons l'une de ces planches, chefs-d'œuvre d'un art aussi inventif que mesuré, s'inspirant, au dire de l'auteur lui-même, du fameux siège de Breda : la ville en légère saillie sur la plaine avec sa citadelle surélevée et ceinturée de rochers, le dôme de la cathédrale, les toits en écailles de tortue des maisons, les arbres verdoyants des jardins et, protégeant le tout, la croix du Christ ; puis, en dévalant vers la campagne, les faubourgs, leurs chapelles, leurs portes, les murs d'enceinte ; puis, en un cercle plus élargi encore, les retranchements et les redoutes commandant les accès ; au delà un espace laissé libre pour tenir au loin l'armée qui assiège ; et, au delà encore, d'autres retranchements bien plus forts que ceux qui sont du côté de la place, pour lesquels flanquer et défendre sont bâtis d'autres forts et, si l'on veut, quelques demi-lunes pour les sentinelles et soldats en garde ; aux abords enfin, vêtus de costumes â. la Callot, des paysans amenant des convois et les introduisant dans la ville. Ainsi l'on aura comme une vision de ces nouvelles guerres plus promptes, où le génie des maîtres arrachait au sol lui-même les moyens de l'attaque et de la défense.

Nous emprunterons à ce précurseur les termes dans lesquels il dégage la doctrine qui s'imposera au siècle : Bâtir et fortifier des villes sont ouvrages de princes à cause de la grande dépense qu'il y a à les faire et à maintenir les garnisons ordinaires qui sont nécessaires à leur conservation. La France, avant que de les entreprendre, doit avoir plusieurs considérations. On ne doit les bâtir qu'aux lieux nécessaires. Comme, dans un grand État, il faut seulement fortifier les places frontières polir empêcher les voisins d'entrer sans frapper à la porte, de même les passages, où l'on fait le plus souvent des châteaux ou forts aux endroits plus avantageux. Les ports de mer, qui sont tenus pour frontières, doivent être aussi fortifiés. Les autres lieux ne doivent plus l'être ; car il seroit plus nuisible de bâtir dans le corps de l'État des places fortes, puisque d'aucune part on ne craint l'ennemi, il seroit à craindre qu'elles ne donnassent sujet de rébellion aux séditieux, lesquels s'en étant emparés, le Prince auroit beaucoup à faire de les mettre à la raison.

Toute la politique militaire de Richelieu est dans ces lignes pleines de sens : c'est le Discours de la méthode de l'École classique, élevant simultanément toutes les branches de la pensée humaine[63].

Il n'est pas superflu d'indiquer ici comment Sublet de Noyers, de même que son maitre, le Grand Cardinal, prit part au mouvement qui entraînait le siècle vers le goût du noble et du beau. Nous l'avons montré, dès ses jeunes ans, porté à la bâtisse. Sans doute l'inspection des fortifications du nord en compagnie du sieur d'Argencourt avait développé en lui cette tendance initiale. En 1638, il obtenait du cardinal la surintendance des bâtiments ; et ce ne fut pas pour lui une sinécure. Il S'était fait la main en élevant à Paris, rue du Pot-de-fer, le noviciat de ses amis, les Jésuites. Bientôt son attention se porta sur le Louvre, quelque peu délaissé sous le règne de Louis XIII.

Par une intuition vraiment extraordinaire de ce que le palais des Rois devait être un jour, il avait eu 'idée d'en faire une sorte d'hôtel des Beaux-Arts. Inspiration plus extraordinaire encore, il avait conçu le dessein de confier la décoration d'ensemble au plus grand des peintres français, qui alors vivait à Rome et qui n'avait nulle envie d'en sortir, Nicolas Poussin. Le surintendant écrivit au grand artiste, l'assurant 'de l'estime royale, lui promettant, dès son arrivée à Paris, un brevet de peintre du Roi, mille écus pour ses frais de voyage, mille écus d'appointements annuels, un logement commode dans la maison du Roi, soit au Louvre, à Paris, ou à Fontainebleau à son choix, logement meublé honnêtement. On ne l'obligerait à peindre ni plafonds ni voûtes ; on lui demandait seulement, en échange de ces avantages, un engagement de cinq ans : Vous ne peindrez pour personne que par ma permission, disait textuellement le secrétaire d'État ; car je vous fais venir pour le Roi, non pour des particuliers ; ce que je ne vous dis pas pour vous exclure de les servir, mais j'entends que ce soit par mon ordre. Après cela, venez gaiement et vous assurez que vous trouverez ici plus de contentement que vous ne pouvez en imaginer.

On a raillé cette initiative ; on la trouve au-dessus du génie du petit homme. Pourquoi ?... Peut-on blâmer le ministre d'avoir inspiré à Louis XIII une décision qui sent son Grand Siècle ? Et le choix de Poussin n'a-t-il pas une autre allure que celui de Lebrun ?

L'affaire, comme on le sait, ne s'arrangea pas facilement. Nicolas Poussin ne céda qu'après une longue résistance. Il ne pardonna pas au surintendant qui l'avait arraché à ses commodités romaines ; à Paris, il ne sut pas s'arranger avec Lemercier, architecte du Louvre. Et pourtant on lui laisse toute liberté ; il peint pour le Roi ; il peint pour Richelieu ; il peint pour les Jésuites ; il peint pour les amateurs ; mais il a, fiché dans le cœur, le regret de Rome. Il n'est pas compris à Paris ; l'intrigue, les jalousies s'en mêlent ; d'où les froissements réciproques. Poussin regagnera Rome dès qu'il le pourra, peu de temps avant la disgrâce du sous-secrétaire d'État (5 novembre 1642)[64].

 

Transformation de l'art militaire.

Il ne faut rien exagérer, pas même les services rendus au pays par cette génération intermédiaire qui, au lendemain de la Ligue, sut pour mission de créer une France mieux équilibrée, plus forte, et de substituer l'ordre à l'anarchie, l'économie des forces au gaspillage. Organiser, centraliser, discipliner, c'était une tache que la courte vie d'un homme ne pouvait, de toute évidence, accomplir en entier.

Quand on entre dans le détail, on voit bien, qu'en matière militaire, un esprit nouveau se dégageait, mais on voit aussi que le progrès se heurtait au poids des traditions, à la résistance de la matière et des hommes. Même à la veille de Rocroi, les lacunes, les abus, les malfaçons, soit volontaires soit involontaires, sont tels qu'on se demande par quelles voies, secrètes la victoire a pu se dégager et couronner tant d'efforts en apparence infructueux. On sent, pourtant, qu'une volonté éclairée, tenace détermine peu à peu des courants, inaugure des méthodes nouvelles, suscite des capacités inespérées.

Bref, l'art militaire évolue. Ce n'est pas chose inutile, même pour la leçon de l'histoire, de dire par qui et comment s'accomplit cette évolution.

 

Dans la lutte vitale engagée entre l'Espagne et la France et qui durait depuis les guerres du XVIe siècle, suites elles-mêmes de cet héritage de Bourgogne dont Louis XV disait qu'il était à l'origine de tous nos maux, dans cette guerre qui renaissait toujours, les deux adversaires poursuivaient leur but par des moyens très différents.

L'Espagne voulait Paris pour avoir la France, la France entière ramassée d'un seul coup de filet. N'est-ce pas la grande tentation de tous nos adversaires, et cela en raison du peu de distance qui sépare la capitale de la frontière ? Paris pris, tout semble devoir succomber. Le coup de main parait si facile ! Les Anglais l'avaient réussi sous Charles VI, et les Espagnols, qui ne l'avaient manqué que de bien peu après la bataille de Saint-Quentin, avaient fini par occuper Paris lors des guerres de la Ligue. Les alliés ont joué la même partie sous la Révolution, lorsqu'ils prirent Verdun ; ils ont cru la gagner à la fin des guerres napoléoniennes et, en 1871, les Prussiens entrèrent dans la ville après Sedan.

Richelieu et ses contemporains savaient parfaitement que la guerre de Trente ans n'était qu'un acte dans ces longues hostilités s'éternisant entre les deux pays. N'allait-on pas voir, une fois encore, les Espagnols, que les peuples qualifiaient si justement alors de Bourguignons[65], à Corbie c'est-à-dire aux portes de Saint-Quentin, comme du temps de Coligny ?

La France, au contraire, n'avait qu'un seul but, conquérir des territoires tout proches, Artois, Flandre, Lorraine, Alsace, pour reculer sa frontière et élever un retranchement de plus en plus profond, de plus en plus puissant devant Paris. Elle attachait une grande importance à créer autour d'elle un faisceau d'alliances, de voisins, comme dit Richelieu, la couvrant contre ses grands adversaires. Elle entendait ainsi empêcher l'Espagne d'envoyer par terre de la Méditerranée vers la mer du Nord des troupes qui renforceraient les armées d'invasion pesant sur la frontière, depuis ces Pays-Bas que le Roi catholique avait hérités des ducs de Bourgogne par l'une des plus singulières surprises de l'histoire.

La difficulté s'aggravait, pour la France, du fait que l'établissement de cette frontière n'offrait de sécurité que si elle était poussée jusqu'au Rhin, mais qu'alors, elle soulevait l'opposition irréductible d'une autre puissance, surveillante attentive des ports de ce même héritage de Bourgogne, l'Angleterre.

L'expérience des siècles, avec ses alternatives de luttes et d'épuisement, prouvait que la bataille de France, — bataille des Ardennes et des Pyrénées, bataille de Charlemagne, de Roland et des Quatre Fils Aymon, — ne pouvait avoir chance de réussir que si la France achevait son unité politique, faisant de son sol, toujours menacé, une enceinte militaire fortement munie et subordonnée à une seule volonté. A cette tâche de l'unité, ses grands Rois s'étaient consacrés, et c'est pourquoi ils avaient transporté leur séjour, durant plusieurs siècles, à Bourges ou sur la Loire, laissant Paris exposé plutôt que de renoncer à ce midi qui a toujours été et sera toujours la suprême ressource de la vie nationale française.

Une telle et si vaste entreprise d'unification ne pouvait s'achever que par une lutte pied à pied, motte à motte, chaque parcelle du territoire ayant l'ambition d'être elle-même un centre, la féodalité lui accordant ce privilège, ses tours et ses donjons lui donnant les moyens de le défendre. La campagne commence par la prise de Montlhéry, sous Louis le Gros, et elle s'achève par la prise de La Rochelle, sous Louis XIII : deux sièges ! L'art militaire français a donc procédé par occupation lente ; sa méthode consiste à s'incruster sur le sol en le creusant pour avancer.

On voit comment les deux systèmes militaires opposés l'un à l'autre différaient l'un de l'autre : la puissance espagnole agissant par masses pour frapper, en une offensive soudaine, un coup décisif, la tactique française procédant par prises de possession progressives, tenaces, soutenues, enfonçant de puissantes racines dans le sol.

Les choses en étaient là lorsque le siège de La Rochelle acheva l'unité intérieure et brisa les résistances locales, soit politiques soit religieuses. La Royauté quitta Plessis-Lès-Tours, Blois et Chambord pour s'installer aux abords de Paris, à Saint-Germain et à Versailles.

 

L'Espagne, en vertu d'un système contraire, ayant ramassé l'Italie par conquête, l'or du monde par l'occupation des Indes et la maison d'Autriche par alliance de famille, se décidait à s'ouvrir de nouveau le chemin de Paris, par Saint-Quentin comme Emmanuel de Savoie, ou par Amiens comme le fameux duc de Parme. Sous peine de périr, la France avait à opposer des forces largement accrues et des méthodes nouvelles à ces armées d'invasion, groupées sur la frontière des Flandres et placées sous les ordres des généraux espagnols, allemands, flamands, italiens, — ceux-ci les premiers tacticiens du temps[66].

L'Espagne disposait de ces incomparables ressources en hommes et en argent qu'elle prodiguait, sur la mer en armadas et sur la terre en ces troupes aguerries, installées partout avec leurs smalahs comme chez elles. Son expérience de la guerre s'était raffinée, à l'école de ces intelligents techniciens, héritiers des condottières. Par l'Autriche, elle s'assurait le concours de l'inépuisable recrutement allemand.

Il faut étudier, dans le livre du confident de Spinola, le Jésuite Hermann Hugo, qui avait assisté au siège de Breda et qui mourut dans les camps, les procédés de cet art militaire qui se développent sans cesse dans la préparation de la puissance de choc,  pour bien comprendre à quel péril la France était alors exposée. Celui que lui fit courir l'Allemagne en 1914 peut en donner l'idée.

Les estampes de l'ouvrage font vivre sous nos yeux ces formations où la cavalerie et l'infanterie, artistement déployées, se soumettent, avec une majesté insigne, à une sorte de pas de parade bien réglé. La pistolade, destinée à briser le carré adverse par un véritable jeu de carrousel, l'ordre massif soit pour l'offensive, soit pour la défensive, tant d'autres mouvements, prévus et raisonnés, donnent l'idée d'une force irrésistible[67].

Le noyau de ce fruit arrivé à sa pleine maturité était ces fameux tercios viejos, formés d'Espagnols naturels, dont le duc d'Aumale a dit : Vigoureuse dans les attaques, sachant tirer parti du feu, ayant surtout la tenue du champ de bataille, cette infanterie manquait de mobilité et de souplesse, exagérait les formations compactes... Fiers, fatalistes, violents, impitoyables, se montrant à l'occasion sans frein dans la débauche et, au lendemain d'un pillage, reprenant leur vie de misère avec la même résignation, tous se croyaient et se disaient gentilshommes, hidalgos, vieux chrétiens pour le moins. Brantôme rapporte ce mot qui les peint : Combien de soldats étiez-vous en cette armée ? demandait-on à l'un d'entre eux. — Senor, répondait-il, je vais vous le dire : il y avait trois mille Italiens, trois mille Allemands et six mille soldats. Ces six mille c'étaient des Espagnols. Telles ces magnifiques bandes du comte de Fontaine[68], célébrées dans l'oraison funèbre de Bossuet : Restait cette redoutable infanterie de l'armée d'Espagne dont les gros bataillons serrés, semblables à autant de tours, mais à des tours qui sauraient réparer leurs brèches, demeuraient inébranlables !...

Partant des Pays-Bas, cette force marchait d'un pas assuré à la conquête de la France : Les Espagnols se vantent, écrit un auteur contemporain[69], de vouloir hiverner dans Paris, sur le fondement de leur premier exploit en Picardie.

Que vaut, en présence d'un tel adversaire, l'armée française de 1635 ? En vérité, elle n'était pas prête, ni matériellement ni intellectuellement. L'année 1636 devait être, après l'heureux succès d'Avein, une année de désillusion, de revers, de panique. Le système militaire traditionnel était fait pour neutraliser le génie des chefs. Ceux-ci vivaient au jour la journée, sans dessein, sans : vues, sans plan arrêté. Des troupes mal recrutées, mal vêtues, mal nourries, mal armées, non instruites, révélaient cette négligence et légèreté des Français que le cardinal dénonce si rudement dans ses Mémoires et dans ses lettres. Petites étapes, longs campements, formations instables, régiments encombrés de passe-volants au moment de toucher la solde, se vidant pour les marches et pour la bataille. Avec des coups d'éclat et de beaux mouvements d'héroïsme, des souffrances indicibles vaillamment supportées, dés abandons soudains, d'inexplicables découragements,

La tradition militaire, inculquée par la coutume à des chefs sans formation technique, était justement à contresens des qualités françaises, à savoir l'élan, la souplesse, l'intelligence du terrain, l'imagination de la surprise, en un mot la manœuvre.

On avait bien le sentiment que quelque chose de nouveau allait naître : mais comment ? dans quel sens ? par quels hommes ? Telles étaient les questions qui agitaient l'esprit de Richelieu et de son adroit compère, Sublet de Noyers.

Tout le monde reconnaît aujourd'hui la part qui, dans cette évolution en voie de s'accomplir, revient au roi Louis XIII. Il avait le goût du militaire et, s'il prenait le militaire un peu trop par le détail, il s'y donnait d'une telle et si consciencieuse application, que son sens pratique, son sens-soldat, avait une action efficace qui ne tenait pas seulement à son autorité royale. Dans telle circonstance, lors du siège de Saint-Mihiel, par exemple, sa décision enleva le succès et Richelieu lui adressa, à ce sujet, des éloges qui n'étaient nullement de complaisance. Il commande et on lui obéit ; il surveille et on le craint. Sa sévérité soutint toujours et parfois aggrava celle de Richelieu[70]. Sa vigilance à elle seule était une force, si la discipline est la force principale des armées.

Richelieu ! On a assez raillé sa cuirasse vert d'eau et son plumet au chapeau[71]. Il se piquait de connaissances militaires : il s'y appliquait, en tout cas. Son activité invraisemblable permettait à son puissant esprit de donner des avis, des ordres, des directives qui marquaient, en général, une tendance à exiger eus d'aisance et de mouvement aux formations nouvelles allégées, à traquer l'esprit de dispersion reçu du passé. Les généraux avaient toujours de bonnes raisons pour s'isoler et faire bande à part ; il regroupait leurs armées avec une vue très claire du principe moderne : la bataille ne doit être livrée que toutes forces réunies[72].

On ne peut que constater aussi la sagesse avec laquelle le ministre laisse toute liberté d'agir au chef qui commande sur place. Cette expression de sa volonté réfléchie devient, dans ses lettres, une sorte de leitmotiv. Non pas qu'il fût question de décliner les responsabilités : personne n'allait avec plus de courage au-devant d'elles. C'est par une vue claire des choses, qu'il dit et répète qu'on ne peut juger ni prendre un parti dans les affaires et surtout dans les affaires militaires, si l'on ne juge pas les circonstances de près et sur place[73].

En allant au fond des choses, l'on voit que tout, pour lui, dans l'action, dépendait du choix des hommes. De l'argent, des hommes, tel fut son perpétuel tourment. N'écrivait-il pas dans l'Avis adressé au Roi, alors que celui-ci avait pris, en personne, le commandement de son armée de Lorraine : Ceux qui sont auprès du Roi se souviendront qu'il y a grande, différence entre ordonner simplement les choses qu'il faut faire et les faire exécuter. Il faut bien se donner de garde de se contenter de simples ordres, puisque c'est l'exécution qui fait tout.

L'exécution fait tout. Donc, des hommes d'exécution. Voilà ce qu'il lui faut. S'il ne s'en trouve pas, il les cherchera et les découvrira. Des méthodes nouvelles, oui ; mais des hommes de guerre pour les concevoir et pour les appliquer !

Richelieu, en se consacrant au travail de ce choix des hommes, qui était aussi une œuvre de création, répondait d'ailleurs au sentiment du pays et de cette génération classique dont l'horreur du désordre et la passion de l'ordre réclamaient des hommes de bon sens, d'énergie et d'équilibre.

Ce sentiment est exprimé avec une justesse et une netteté parfaites dans l'ouvrage déjà cité de l'ingénieur de Ville, qui savait parfaitement que ni les murailles ni la bravoure même ne suffisent, si le commandement fait défaut : Surtout, écrivait-il, il faut choisir un général, lorsque le Prince ne commande pas en personne, qui puisse conduire le tout prudemment, qui soit courageux, de bon esprit et de jugement rassis, bien expérimenté aux choses de la guerre, hardi aux entreprises, mûr au conseil, prompt aux actions. Surtout qu'il ne soit point avare ; car ceux qui ont ce vice sont hais des soldats et sont sujets à trahir leur maitre. Qui préfère Futilité à l'honneur est indigne d'aucune charge...

De tels hommes, Richelieu les chercha toute sa vie. Il finit par les trouver et sut les mettre à la place où ils devaient rendre les plus grands services à la France. Il faut dire comment il procéda.

 

Comment Richelieu choisit ses généraux.

Napoléon demandait, au moment de désigner un chef d'armée : A-t-il fait la guerre ? Avec une même imperatoria brevitas, Richelieu écrivait en août 1638 : Le mal des affaires consiste à ne pas avoir de gens entreprenants ; et, considérant le manque de chefs qualifiés, il disait encore : Il n'y a point de commandement[74].

Ce n'est pas que la France n'eût pas d'hommes de guerre distingués ; mais la flamme, le génie inventif, le feu divin leur manquaient. La pratique seule devait les former et les présenter, en quelque sorte, à l'ardeur inquiète qui les cherchait.

Les papiers secrets de Richelieu le montrent dressant des listes de gens de qualité aptes aux différents emplois. Le ministre écrit les noms, les familles, les états de service ; il surcharge, élimine, reprend, toujours anxieux, jamais satisfait. D'année en année, ces listes se précisent, s'améliorent, confirmant les exclusions et les choix. L'on voit ainsi le cardinal procéder à une constante ventilation des chefs, qu'il placera, déplacera, remplacera dans les commandements.

Nous avons sous les yeux un document qui nous fait pénétrer dans l'intimité de son travail personnel et de sa réflexion surtendue, qui nous le montre passant en revue les hommes de guerre qui ont servi le Roi, depuis le commencement de la guerre, pesant et contrepesant leurs services, leur capacité, leur fidélité et dressant enfin, a la veille de sa mort, la liste de ceux à qui il confiera, pour les luttes suprêmes et décisives, le commandement des armées.

Essayons de voir ces hommes comme il les voyait lui-même. Ce sont ces soldats qui l'aidèrent à réaliser le programme de son action, la constitution d'une France unie, centralisée, disciplinée, élargie jusqu'aux limites où elle devenait un bloc de civilisation indestructible au milieu de l'Europe. Quand il eut dressé cette liste pour l'améliorer par des choix ultimes, la France de Henri IV donnait la main, par lui, aux gloires du Grand Règne.

 

RÔLE DE CEUX QUI ONT ÉTÉ EMPLOYÉS AU COMMANDEMENT DES ARMÉES DEPUIS LE SIÈGE DE LA ROCHELLE[75].

Pendant tout le temps que la guerre a duré soit au dedans soit au dehors du Royaume, le plus grand soin qu'ait eu le Roi et son Conseil a été de commettre le commandement et la conduite des armées ceux qui avoient la réputation de s'en pouvoir mieux acquitter, ainsi que l'état de ceux qui ont les principaux emplois le justifiera. Par ce moyen, le Roi et le public ont reconnu la capacité de ceux qui ont été employés telle qu'elle est remarquée ci-après.

M. le Maréchal de Châtillon fut employé à l'ouverture de la guerre en 1635, mais il ne fit pas bien au voyage que les armées du Roi firent en Flandres, mal à Saint-Omer, et encore pis à Sedan, ce qui a fait que le Roi, de son propre mouvement, n'a pas voulu se servir davantage de lui avec grand raison, vu que, bien qu'il soit vaillant au dernier point, il est, si présomptueux, paresseux et si opiniâtre qu'il n'y a rien à espérer de sa conduite.

Il s'agit ici de Gaspard III de Coligny, petit-fils de l'amiral de Coligny. Maréchal en 1622, duc et pair après la mort de Louis XIII. Il était dans l'héritage de nos guerres civiles. Au dire de Tallemant des Réaux, personne de plus de considération dans le parti protestant ; au premier signal, il pouvait mettre quatre mille gentilshommes à cheval. On ménageait en lui un membre de la Religion qui s'était attaché fermement à la dynastie. Et puis, on manquait d'hommes : le choix qu'on avait fait de lui en est la preuve. On le savait bon soldat et cela suffisait. Comme dit Tallemant : Il fut un temps où il n'y avoit que lui et le maréchal de La Force ; car on étoit si ignorant, qu'à Saint-Jean d'Angély (1621) personne ne sayoit comment on faisoit des tranchées. Il était calme, brave, énergique, mais lourd et de peu d'imagination, ne jouant point du tout de la tête[76] ; le type même de l'ancien soldat. Son mot, quand on lui annonçait l'approche de l'ennemi, était : Laissez-les venir ; et on avait toutes les peines du monde à le faire monter à cheval. Il était tombé dans une disgrâce trop justifiée, après son échec devant Saint-Omer, en juillet 1628. Richelieu, qui fut navré de cet échec, écrivait, accusant les tristes conditions du commandement à cette époque : Beaucoup croient que la mésintelligence d'entre M. de Châtillon, M. le Maréchal de La Force, qui l'avoit joint, et les autres officiers des armées en est la 'principale cause ; pour moi, je ne puis qu'en dire ; mais il est certain que la lenteur de M. le Maréchal de Châtillon est la première origine de notre mal. On le reprit cependant, et il rétablit sa réputation militaire par un succès important, la prise d'Arras en 1640.

L'année 1641 mit le comble à sa disgrâce devant l'opinion et le perdit auprès du cardinal et du Roi : il fut battu à La Marfée, le 6 juillet, dans des conditions où il pécha à la fois par défaut d'intelligence et par manque de résolution. D'où le jugement si sévère du cardinal. Dans une lettre du 9 juillet, peu s'en faut que Richelieu ne l'accuse de grivèlerie et de ce péché d'avarice que de ; Ville donnait comme la plus dangereuse disposition chez les chefs. Par le même courrier, il lui retirait son commandement en lui écrivant : Dieu a voulu châtier le comte de Soissons (tué, comme on sait, dans la mêlée) et nous donner un coup de fouet ; nous l'avons tous bien mérité pour nos péchés et vous pour l'irrésolution que vous avez, de longtemps, à faire ce que vous savez bien devoir et pouvoir en votre conscience[77].

 

M. le Maréchal de Brézé, qui fut employé avec lui, fit bien à la bataille d'Avein, qu'il gagna avec son corps ; depuis, pour avoir témoigné qu'il désiroit plus le repos en sa maison que tels emplois, il en a été privé pour un temps.

Urbain de Maillé, marquis de Brézé, reçut le bâton de maréchal de France avec le gouvernement de Calais et pays reconquis, le 28 août 1632. Il commande l'armée d'Allemagne en 1634, gagne la bataille d'Avein le 20 mai 1635. Il est gouverneur de l'Anjou au lieu de Calais en 1636, vice-roi de la Catalogne sur la fin de 1640[78]. Veuf, le 30 août 1635, de Nicole du Plessis, sœur du cardinal de Richelieu, il mourut à cinquante-deux ans, le 13 février 1650[79]. Richelieu, qui soutenait pourtant les siens avec tant d'ardeur, lui tint rigueur à la fin. Il lui écrivait au temps de la rupture : ...En quittant vos quartiers, vous avez voulu quitter mon amitié. Je consens, quoique mal volontiers, à la rupture que vous faites avec moi et sans me repentir des biens que vous ne reconnaissez pas et dont vous jouissez, bien que je ne veuille plus avoir de commerce avec vos inégalités et vos boutades. — C'était, dit le cardinal de Retz, un extravagant qui se permettoit souvent auprès de Sa Majesté des tirades contre les plus grands personnages. Il ne ménageait pas le Roi lui-même[80].

 

M. le Maréchal de La Force, âgé de quatre-vingt [deux][81] ans, s'est trouvé si usé, qu'excepté le siège de La Mothe, où il n'eut pas d'armée à combattre, les armées périssoient entre ses mains.

Jacques-Nompar de Caumont, duc de La Force, né le 29 décembre 1558. On sait comment, jeune enfant, il échappa à la Saint-Barthélemy. On sait aussi qu'il était dans le carrosse de Henri IV, lorsque le Roi fut assassiné. Ses services pendant tout le règne de Louis XIII sont éclatants. Richelieu lui écrivit, lors de la prise de La Mothe : Sa Majesté avoit besoin, pour faire réussir une entreprise pareille à celle-là d'une prudence et d'une conduite comme la vôtre[82]. Le cardinal eut recours à lui dans les circonstances les plus graves, en particulier après la prise de Corbie. L'âge vint de la retraite, quoique le maréchal, si l'on en croit certains traits rapportés par Tallemant des Réaux, eût gardé toute sa vigueur. L'allusion au siège de La Mothe en Lorraine donne l'occasion de citer ce couplet qu'on attribue à Tallemant des Réaux :

Je crois que la France radote,

N'en déplaise à ses partisans,

D'envoyer pour prendre La Mothe

Un homme de quatre-vingts ans.

D'après l'auteur des Historiettes, quand M. d'Enghien gagna la bataille de Rocroi, le maréchal dit qu'il souhaiteroit de mourir comme étoit mort le comte de Fontaine, qui, fort âgé, fut tué à cette bataille[83].

 

Monsieur le Duc d'Angoulême, esprit adroit [mais fort intéressé[84]], entendu aux ordres de la guerre, mais accoutumé à la pratique du passé, où les vieux capitaines n'avoient d'autre soin que de vivre dans leur commandement sans rechercher les occasions de faire de grands effets, s'est trouvé pour ces raisons et pour ses gouttes peu propre aux emplois des armées.

Charles de Valois, duc d'Angoulême, pair de France, comte d'Auvergne, fils naturel du roi Charles IX et de Marie Touchet, né le 18 avril 1573, mort à Pau le 14 septembre 1650. Sa vie aventureuse présente un tableau animé de ce que fut l'histoire de France pendant près d'un siècle. Diplomate, lettré[85], général parfois heureux, il est dépeint admirablement par Richelieu, comme l'image du vieux capitaine. Ces quelques lignes donnent tout l'esprit de la réforme du haut personnel telle que la concevait le cardinal

 

Monsieur le Maréchal de Vitry, courageux, mais si intéressé, si brutal et si incompatible que le Roi n'a pas eu seulement sujet de ne lui pas donner d'emploi dans la guerre, mais a été contraint de le priver de son gouvernement.

Ce Vitry (Nicolas de L'Hôpital, marquis, puis duc de Vitry) est, comme on le sait, le meurtrier du maréchal d'Ancre ; il dut à cet exploit les honneurs de sa carrière militaire. Le jugement porté ici par Richelieu est confirmé notamment par le cardinal de Retz, qui l'avait connu lorsque tous deux étaient commensaux d'un commun maître à la Bastille : Il avoit peu de sens, dit le coadjuteur, mais il étoit hardi jusqu'à la témérité et l'emploi qu'il avoit eu de tuer le maréchal d'Ancre lui avoit donné dans le monde, quoique fort injustement à mon avis, un certain air d'affaire et d'exécution. Il n'est pas démontré que Richelieu n'eût pas gardé un de ces plats de vengeance qui se mangent froids, contre l'homme qui avait chassé du pouvoir le premier ministère dont il eût fait partie. Vitry, d'ailleurs, prêtait le flanc : se croyant assuré de la faveur de Louis XIII, il se montrait partout le plus important et le plus insupportable des hommes.

L'incident qui donna lieu à la mesure prise contre lui est connu. C'est la querelle avec Sourdis, archevêque de Bordeaux, qu'il traita de cagot et de bréviaire et qu'il frappa de son bâton (comme l'avait déjà fait le duc d'Épernon à Bordeaux) dans un conseil tenu le 6 décembre 1636, au moment où, se conformant, aux ordres exprès du cardinal de Richelieu, la flotte allait procéder à l'attaque des files de Lérins. En réalité, on se disputait, sous des prétextes divers, l'honneur du commandement. Vitry souleva, par cette violence, l'indignation générale. La reprise des fies, que Richelieu avait tant à cœur, fut manquée[86].

On trouve là uni exemple caractéristique des difficultés que les disputes et les dissentiments entre les bêtes d'attelage apportaient au succès des entreprises militaires. Nulle conscience morale ou professionnelle ne réprimait ces accès d'ambition et de jalousie personnelles, qui entravaient si cruelle ment l'œuvre de Richelieu[87]. Vitry passa les dernières années du règne de Louis XIII à la Bastille, où il complota avec rage contre Richelieu. Il fut libéré après la mort du Roi, et mourut en septembre 1644.

 

Monsieur le Duc de Chaulnes : autant reconnu de tout le monde affectionné à l'État que peu propre aux emplois de l'armée.

Honoré d'Albert, sieur de Cadenet, frère du connétable de Luynes, portant le nom et les armes de Chaulnes par suite de son mariage avec Charlotte d'Ailly, héritière par sa mère du comté de Chaulnes. Il fut fidèle à la Royauté et au cardinal. D'un caractère aimable et sûr, il devint gouverneur de Picardie et maréchal de France. Il commanda à diverses reprises les troupes qui opéraient dans sa province, mais, ainsi que l'indiquent les lignes ci-dessus, sans que lui ait jamais été reconnue une valeur militaire quelconque. Dans l'étude que lui a consacrée M. A. Ledieu[88], les lettres de blâme à lui adressées par Richelieu abondent. Le plus singulier, c'est que, portant sur lui ce jugement, Richelieu l'ait encore désigné, en avril 1640, pour commander, simultanément avec le maréchal de Châtillon, une armée de vingt mille hommes environ, qui devait agir en Flandre[89]. Rien n'indique mieux l'embarras où se trouvait le cardinal pour ces désignations, et le prix qu'il attachait à la fidélité.

 

Monsieur le Maréchal de Créqui : grand cœur, peu de conduite, sans secret, homme peu appliqué, paresseux, capable le cul sur la selle ; n'est sorti des emplois que par la mort.

Charles Ier de Blanchefort Créqui, sire de Créqui et de Canaples, duc de Lesdiguières, était héritier de la maison de Créqui. Par son mariage avec Madeleine de Bonne, fille du connétable, il devint duc de Lesdiguières, lieutenant du Dauphiné C'était encore un de ces hommes que leur naissance, leur autorité dans l'une des importantes provinces du Royaume et, d'ailleurs, un courage incontestable rendaient en quelque sorte intangibles. Il s'était attiré, en novembre 1635, le mécontentement du duc de Savoie (dont l'alliance était si nécessaire à la France) et, par suite, de la cour de France, en raison de son manque de jugement et de son entêtement au siège de Valenza, qu'il avait dû lever finalement. Cependant Richelieu le ménageait ; on le voit dans la lettre qu'il lui écrivait le 18 novembre de cette année. Chavigny, de son côté, écrivait à Particelli d'Hémery, ambassadeur à Turin : Il est important de laisser Créqui en Italie, parce que l'armée est composée, en grande partie, de soldats de son gouvernement... Si, après cela, vous voyez que la mésintelligence avec le duc de Savoie est sans remède, vous pouvez dire à Son Altesse Royale que le Roi donnera un autre emploi au duc de Créqui et le remplacera par un autre maréchal[90]. Créqui continua à commander en Italie ; il fut tué d'un coup de canon, au siège de Turin, alors qu'il se portait à la défense du fort de Bremo, le, 17 mars 1638.

 

Monsieur de Montmorency : beaucoup de cœur, peu de capacité, infidèle sur la fin.

Cette note, si brève, prouve que la blessure qu'avait laissée dans l'Aine de Richelieu la mort de Montmorency, était encore saignante. On a raconté que Louis XIII, à son lit de mort, avait dit au prince de Condé son regret de n'avoir pas montré plus d'indulgence[91]. Ce sentiment, s'il a été exprimé, s'explique par le mouvement de réaction qui se manifesta, même du vivant de Louis XIII, contre les sévérités du cardinal. Mais le Roi avait beaucoup à se faire pardonner. En somme, le jugement porté ci-dessus par le cardinal reste juste. Montmorency n'avait d'autre qualité militaire que son courage. Poussé par ses origines, par sa femme, par son entourage, il fut le héros de l'infidélité. Ce sont les exigences de l'unité française, plus encore que ses fautes, qui l'abattirent.

 

Monsieur le Maréchal de Schomberg : fidèle, courageux, heureux et qui n'est sorti des emplois que par la mort.

Il s'agit du premier des deux maréchaux de ce nom qui prirent du service sous le règne de Louis XIII, Henri, duc de Schomberg, né en 1583 à Paris. Richelieu ne pouvait pas oublier le soldat de toute fidélité qui avait contribué à la prise de Pignerol, délivré Casai, assiégé et vaincu Montmorency. Il le juge en ces termes dans ses Mémoires : C'étoit un gentilhomme qui faisoit profession d'être fidèle et tenoit cette qualité de sa nation. Il avoit moins de pointe d'esprit que de solidité de jugement. Il le montra en la charge de surintendant des finances en laquelle, sans s'être enrichi d'un teston et ayant toujours conservé l'intégrité ancienne, néanmoins les financiers sous lui n'abusèrent pas peu de sa facilité. Il étoit homme de grand cœur, de générosité et de bonne foi... Richelieu l'avait appelé auprès de lui dès son arrivée au ministère en 1624. Schomberg mourut d'apoplexie, le 1er septembre 1632.

 

Monsieur le Maréchal de Marillac : déloyal et infidèle jusques au point auquel il a paru par son procès, qui lui a ôté les emplois en lui ôtant la vie.

Il suffit, pour expliquer ce jugement sévère, de renvoyer au tome III de l'Histoire du Cardinal de Richelieu, où se trouve exposée toute la carrière du maréchal, frère du garde des Sceaux. Ces deux hommes furent, pour Richelieu, les types mêmes de l'infidélité.

 

Monsieur le Maréchal d'Effiat : fidèle, courageux, à hauts desseins, bien que déréglé en iceux ; n'est sorti des emplois que par la mort.

L'un de ces hommes d'exécution que le cardinal sut grouper autour de lui, et l'un des plus dévoués, financier, gouverneur de province, diplomate, toujours excellent. Il assura au gouvernement de Richelieu des finances saines après le grand gaspillage de la première partie du règne. Il servit à La Rochelle, en Piémont, en Alsace. Maréchal de France le 1er janvier 1631, il commanda l'armée envoyée pour rétablir l'Électeur de Trèves dans ses États ; il avait alors auprès de lui Sublet de Noyers. Il était en passe du plus bel avenir militaire, lorsqu'il mourut des fièvres, le 27 juillet 1632, âgé de cinquante et un ans. La réserve que Richelieu glisse dans l'éloge qu'il fait de lui, — à hauts desseins, bien que déréglé en iceux, — vient sans doute, du parti qu'avait pris d'Effiat de se retirer de la Cour, en 1629, parce qu'on lui faisait attendre le bâton de maréchal. Il fut, comme on sait, le père de Cinq-Mars[92].

 

Monsieur le Cardinal de La Valette : a toujours témoigné une extraordinaire affection, beaucoup de cœur, moins de fortune et d'expérience en la guerre que de zèle, bien qu'il ait eu grand part à la ruine de l'armée de Gallas, qui périt en Bourgogne par ses soins et ceux de M. de Weimar.

Il se montra également un des plus sûrs et plus fidèles amis de Richelieu, ayant à cela bien du mérite, puisque, par son père le fameux duc d'Épernon, par son frère le duc de La Valette, il était entouré d'adversaires plus ou moins déclarés du cardinal. Il appartient à cette série de prélats qui furent employés aux armées, faute d'autres assurément. Le jugement que Richelieu porte sur ses aptitudes militaires résume assez bien sa carrière dans le commandement des armées. Mais, en dépit de certaines insuffisances, il fut employé toujours, partout et jusqu'à la fin. Il y eut des circonstances où son mérite et même, on pourrait dire, sa fortune dépassèrent ce qu'on attendait de sa fidélité : au combat de Vaudrevanges, le 27 septembre 1635, lui et le duc de Saxe-Weimar réunis repoussèrent victorieusement deux attaques successives des Impériaux commandés par Gallas, et quoique ceux-ci fussent supérieurs en nombre, les mirent en une déroute complète[93]. Le jugement formulé ici par Richelieu est rendu apparemment sous l'impression de la lenteur que montra le cardinal de La Valette et du peu de succès qu'il obtint dans la campagne du Piémont (1638-1639). On lui envoya Turenne pour le seconder. Richelieu lui écrivit alors : Souvenez-vous, je vous supplie, que la diligence, la fermeté aux résolutions et la hardiesse à exécuter sont l'âme des affaires de la guerre... Mais il ajoutait gentiment : Ce que je remarque d'autant plus volontiers que je sais que votre naturel vous porte à ce que je propose[94]... Richelieu n'oublia jamais le service que le cardinal de La Valette lui avait rendu lors de la journée des dupes. Il lui écrivit, après l'échec de Verceil : Si je pouvois me mettre en quatre, je le ferois de bon cœur pour vous secourir ; vous connaissez mon affection et le feu avec lequel je sers non seulement mon maître, mais mes amis[95].

En septembre 1639, La Valette, affecté par ses propres difficultés et plus encore, peut-être, par l'affaire de Fontarabie, qui amenait une rupture décisive entre le duc son frère et Richelieu, fut pris de fièvre. ; il allait mourir le 28. La nouvelle de la maladie affecta vivement Richelieu qui lui envoya un médecin de Lyon. Il lui écrivit encore le 18 septembre et, quand la nouvelle de la mort fut parvenue à Paris, quoiqu'il fût au plus mal avec le duc d'Épernon, il écrivit à celui-ci une lèttre qui nous découvre un Richelieu peu connu : Si on pouvoit racheter un tel ami par son sang, j'en donnerois beaucoup du mien pour le recouvrer[96]. Les services militaires rendus par le cardinal de La Valette ont été exposés dans le plus grand détail et avec la plus abondante clarté dans l'un de ces excellents livres que le vicomte de Noailles a consacrés aux grands généraux du règne de Louis XIII[97].

 

Monsieur le Duc de Longueville : plein de cœur et de fidélisé, mais de santé si faible qu'il s'est retiré lui-même de ses emplois.

Il semble que Richelieu reporte sur la santé du duc de Longueville certaines réserves réciproques qui marquèrent, en tout temps, les relations du cardinal avec le plus grand seigneur du Royaume après les princes du sang.

Henri II d'Orléans, duc de Longueville, descendant du fameux Dunois, était, dans toute la force du terme, un grand, par conséquent de ceux dont le cardinal avait pris à tâche d'ébranler la situation dans le Royaume. Longueville, jeune encore (il était né en 1595), avait pris, d'abord, position parmi les mécontents, et, en 1626, il était entré, assure-t-on, dans un complot contre le cardinal. Mais son tempérament ne le portait pas à l'intrigue et il prit le parti d'une sorte de docilité, qu'on ménageait parce qu'elle n'était peut-être pas tout à fait sûre. Il se distingua à la tête des armées qu'on lui confia en Italie, en Allemagne. On le retira doucement des emplois militaires pour lui confier de hautes missions diplomatiques.

Comme on le sait, il fut mis, sous la Régence d'Anne d'Autriche, .à la tête de la délégation des plénipotentiaires de la France négociant la paix de Westphalie. Victor Cousin, qui a écrit sur sa femme, la célèbre duchesse de Longueville, sœur du prince de Condé, un livre fortement documenté, peint le duc en ces lignes qui confirment, en somme, le jugement de Richelieu. : Le duc de Longueville était un vrai grand seigneur. Il était brave et même militaire assez habile, libéral jusqu'à la magnificence, d'un caractère noble, mais faible, facile à entraîner dans des entreprises téméraires pourvu que les apparences en fussent belles, mais en sortant avec encore plus de facilité[98]. Deux phrases achèveront le portrait : l'une du cardinal de Retz. C'étoit l'homme du monde qui aimoit le plus, le commencement de toutes les affaires ; et l'autre du duc de La Rochefoucauld : Il entroit facilement dans les partis opposés à la Cour et il en sortoit avec encore plus de facilité.

 

Monsieur le Duc [de Rohan][99] homme d'affaires, de peu de cœur et de nulle fidélité.

Ces quelques mots, violents et injustes, ne font que traduire le sentiment du cardinal au sujet du plus redoutable adversaire qu'il ait rencontré à la tête du parti protestant. Il s'agit du fameux Henry de Rohan, auteur des Mémoires (dont Brienne, entre parenthèses, attribue la rédaction .à Benjamin Priolo), du Parfait Capitaine, de L'Intérêt des Princes et États de la chrétienté, etc., l'un des hommes les plus marquants de cette génération. Richelieu avait conçu le dessein de recourir à ses hautes facultés militaires quand il s'appuya, en Allemagne, sur le parti protestant, et il lui confia le commandement de l'armée opérant en Valteline, en y ajoutant les pouvoirs pour traiter avec les cantons suisses protestants et avec la République de Venise. Mais après quelques succès, Rohan se considéra comme isolé, abandonné ; il se plaignit d'être laissé sans argent et sans ressources. Les Grisons traitaient avec l'Espagne. Rohan se rendit à Genève et la Cour considéra ce départ comme une faute grave, une sorte de trahison : d'où l'accusation de nulle fidélité (mars 1637). Un ordre secret fut même donné pour arrêter le duc[100].

Voici comment Richelieu, dans ses Mémoires, exprime son opinion sur la conduite du duc de Rohan : Ce qui le condamne, c'est de s'être retiré du service du Roi, de n'être point venu commander l'armée en la Franche-Comté et d'être demeuré à Genève... Pourquoi ne vouloir absolument point venir en ladite armée ? Il ne peut y en avoir aucune raison sinon qu'il craignoit qu'on se saisit de sa personne.... D'alléguer qu'on lui avoit mandé de Paris qu'on le vouloit arrêter, c'étoit un dire — un dire qui avait son fondement puisque l'ordre a été donné. Bref, continue Richelieu, c'était lui-même qui se jugeoit coupable ; ce que nous avons marqué pour faute passoit pour crime d'État en son opinion, qui, ayant de très grandes lumières des choses du monde, savoit assez connaître ce qui étoit bien ou mal.

Rohan finit par prendre du service, à titre de simple volontaire, dans l'armée du duc de Saxe-Weimar et il mourut le 13 avril 1638, des suites d'une blessure reçue en combattant héroïquement à la bataille de Rheinfelden[101].

 

Monsieur, frère du Roi : de si haute qualité et si peu appliqué que, bien qu'il ait beaucoup d'esprit et de connoissance, ce n'est pas son fait de s'abaisser aux emplois militaires, ainsi qu'il parut particulièrement au voyage de Corbie.

A diverses reprises, Richelieu avait poussé le frère du Roi vers le commandement des armées, à La Rochelle, en Picardie, lors de la campagne de Corbie. Mais ce fils de Henri IV n'aimait pas les camps. D'autres plaisirs l'attiraient et, d'abord, le compagnonnage de ses familiers : comme Louis XIII, comme Louis XVIII, ce prince ne pouvait se passer de favoris. Sa jeunesse avait pris, parmi les gens qui l'entouraient, de mauvaises habitudes d'esprit, le libertinage, la grossièreté du langage et des mœurs, les tares de la désoccupation[102].

La jalousie du Roi l'éloignait aussi des fonctions où il y aurait eu des devoirs à remplir, des services à rendre et de la gloire à acquérir. On le vit bien sous la Régence d'Anne d'Autriche, où se découvrirent certaines qualités de sa nature qui n'avaient pas échappé à Richelieu. Sous peine de donner l'éveil aux soupons du Roi, Richelieu le prenait le plus souvent, avec Monsieur, sur un ton de badinage et même de légère grivoiserie qui donnait comme la mesure des rapports autorisés ; car, trop soutenus, ils eussent pu devenir dangereux pour l'un comme pour l'autre. Mais, les distances une fois observées, les querelles politiques n'allaient jamais, à ce qu'il semble, jusqu'à une haine profonde. Coulas et Montrésor ont raconté comment, à Amiens, Monsieur, par manque de résolution, se refusa à faire le signe qui aurait décidé de l'assassinat du cardinal

Au fond, Monsieur fut dangereux tant qu'il fut héritier. A la naissance d'un Dauphin, ses ambitions et son esprit de rébellion se noyèrent dans des torrents de larmes[103]. Le prince ressentit une douleur extrême, à ce coup qui ruinoit toutes ses espérances, et, ayant joué excellemment plusieurs jours de suite, et ne se pouvant plus contraindre, il s'en alla à Limours, où, se découvrant à ses confidents, il se plaignit de son malheur avec mille larmes qui lui couloient le long des joues comme deux ruisseaux. En somme, c'était un être assez mal venu ; le sang de la grosse banquière avait singulièrement alourdi et gâté le sang vif du Béarnais. Les Mémoires attribués à Gaston et publiés par Cl. Barbin en 1685, ne sont certainement pas rédigés par lui. L'auteur parait être le sieur de Martignac (Étienne Algay de Martignac), qui semble s'être inspiré de documents émanant du prince, car le récit repose sur des données exactes et curieuses.

 

Monsieur le Comte : prince de beaucoup d'apparence et de peu de subsistance, du tout mal intentionné et contre le Roi et contre son État, ainsi qu'il l'a fait voir jusqu'à sa mort.

Celui-ci est un véritable héros de roman et il fut, en effet, le héros de l'ouvrage anonyme : Les Amours du Comte de Soissons et de Madame la Duchesse d'Elbœuf, publié en 1639, chez Westein et Smith à Amsterdam et, de nouveau, par M. de Maricourt, sous un titre un peu différent. Ballotté entre ses origines quasi royales, ses ambitions, ses intrigues, ses dons, ses entourages, ses chances et ses malchances, sa vie offre des traits dont les uns seraient de Corneille, d'autres d'Honoré d'Urfé, d'autres de Cyrano. Il manqua la fortune à tous les tournants de son action, y compris le dernier, puisqu'il mourut en pleine victoire, à La Marfée.

Il avait hérité de son père, Charles de Bourbon, comte de Soissons, dernier des fils du prince Louis Ier de Condé, les avantages et les inconvénients d'être le cadet d'une branche cadette qui pouvait être appelée au trône et qui n'en put jamais toucher même le premier degré. Il était né en 1604 et portait, comme son aïeul, le nom de Louis. Son père étant mort après une vie, elle-même très agitée, il fut lancé tôt et avec l'inexpérience d'une jeunesse impétueuse dans les intrigues de la Cour. Robuste et adroit, il fut soldat ; prince, il commanda ; sa belle mine et son courage le distinguèrent ; le Roi l'aima ; Richelieu le surveilla Gaston l'attira ; les femmes se le disputèrent. Cette fortune parait l'avoir enivré. Richelieu, le voyant avec le vent dans les voiles, aurait conçu le dessein de le gagner comme il en avait gagné tant d'autres et de lui faire épouser sa nièce, Mme de Combalet, duchesse d'Aiguillon : Monsieur le Comte, dit le cardinal de Retz, avoit donné beaucoup de jalousie au ministre par son courage, par ses manières gracieuses et par sa dépense ; il avoit surtout commis le crime capital de refuser le mariage de Mme d'Aiguillon.

On n'avait pas pu ne pas lui donner un commandement lors de la grande guerre en 1635 et on l'avait mis à la tête d'une armée en Picardie, lorsque les Espagnols, ayant envahi cette province, enlevèrent Le Catelet et Corbie. L'année suivante, Monsieur le Comte exerçait le commandement sous Monsieur dans la campagne pour la reprise de Corbie et c'est alors que, Richelieu jouant une partie suprême, le comte de Soissons s'était joint au complot qui avait pour but l'assassinat du cardinal, complot qui n'échoua que par le manque de décision du duc d'Orléans. Les deux princes quittèrent l'armée précipitamment et Soissons se réfugia pendant quatre ans à Sedan près du duc de Bouillon.

Là se trafiqua la grande conjuration qui regroupait tous les adversaires de Richelieu et qui comptait bien en finir cette fois avec lui. La bataille de La Marfée fut une journée aussi extraordinaire, mais plus tragique que la journée des dupes. L'armée royale, commandée par le maréchal de Châtillon, fut battue, et Soissons fut tué en pleine victoire, d'une manière aussi mystérieuse que Gustave-Adolphe à Leipzig. Ainsi périt ce héros de roman, qu'un roman du temps et de l'école de Mme de La Fayette peint en ces termes : Jamais prince ne fut recommandable par tant de belles qualités que le feu comte de Soissons, qui fut tué à la bataille, de Sedan. Tout répondoit en lui à l'éclat de son rang. Il joignoit à une taille belle et avantageuse un visage doux et majestueux et un esprit fin et délicat... Sa libéralité étoit excessive et, malgré ses grands biens et la plus belle charge de la Cour, il étoit souvent hors d'état de satisfaire le goût qu'il avoit de donner. Plusieurs ont prétendu que ces belles qualités furent ternies par une trop grande ambition... Le roman embellit les choses et ses héros. Soissons avait été du complot de Chalais et on attribue précisément à Chalais ces paroles plus dures et plus vraies peut-être, qu'il aurait prononcées au moment de mourir : M. le Comte de Soissons en pleurera avec sa mère ; mais ce n'est qu'un zéro.

 

Monsieur le Prince : affectionné, intéressé, nulle capacité, nulle expérience au fait de la guerre et malheureux en ses entreprises.

Si l'on voulait faire un exposé des relations d'Henri de Bourbon, prince de Condé, avec Richelieu, — ne fût-ce qu'au point de vue militaire, — il faudrait reprendre l'histoire entière du règne. De naissance douteuse[104], peu estimé, peu estimable ; avare et cupide, ayant fait argent de tout, même de sa fidélité, ce prince n'avait ni instinct, ni éducation, ni capacité militaires. Le duc d'Aumale, .qui ne peut être sévère pour ce membre d'une famille d'où venait à la sienne Chantilly, fait le portrait de ce singulier général par petites touches : Il manquait d'élan, il négligeait le combat, il administrait la guerre. Les soldats le voyaient rarement, il se tenait loin des troupes.... Les rapports avec lui n'étaient pas sûrs... Et l'historien conclut, apologiste discret : En somme, s'il a été trop sévèrement jugé, il est certain qu'il fut, comme soldat, en dehors des traditions de sa race ; ce n'est pas sa conduite militaire qui .mérite l'attention de la postérité [105].

Il faut demander à Richelieu lui-même comment les nécessités du régime le forçaient en quelque sorte de confier le commandement des armées à cette incapacité notoire : Le Roi, dit le cardinal, ayant reconnu qu'il est très important au bien de ses affaires que les armées soient commandées par des personnes dont la dignité et l'autorité puissent contribuer à mettre toutes choses en bon état et obliger chacun à faire son devoir, Sa Majesté a choisi mondit Sieur Prince... Ces lignes sont en tête d'un mémoire daté de 1639 — par conséquent elles précèdent de peu la présente note où Condé est si sévèrement jugé —. Elles concluent à donner le commandement en Guyenne, Béarn, Navarre, Pays de Foix et Languedoc au prince de Condé. Les graves événements de Fontarabie et de la frontière d'Espagne confirmèrent, dans l'esprit du Roi et de son ministre, la fâcheuse impression que laissaient du prince l'insuccès du siège de Dôle et tant d'autres circonstances antérieures. On connaissait l'homme, mais ce qu'on payait si cher, c'était sa fidélité ou mieux l'étalage, le chantage de sa non-infidélité. Au même moment, Richelieu lui dispensait largement le blâme, tout en se réservant de mettre un baume sur la blessure : S'il vous eût plu croire vos amis, vous eussiez été bien plutôt en état de réparer les malheurs passés et correspondre à l'attente que l'on doit avoir de vous cette année ; telles longueurs donnent tant de temps aux 'ennemis de se préparer que, si on les avertissoit de ce qu'on veut faire, ils n'auroient pas plus de commodité de se disposer à rendre nos entreprises vaines[106]...

Pour cette fois, on avait flanqué le prince, commandant en chef du maréchal de Schomberg (le second du nom) ; mais Condé traitait son adjoint de telle façon que le cardinal, pour ne pas laisser les choses s'envenimer jusqu'à une rupture, crut devoir prier instamment Schomberg de tout supporter : Je vous prie de ne prendre point garde à certaines humeurs promptes de Monsieur le Prince, qui n'est pas maître de certains mouvements, dont sa constitution naturelle et l'affection qu'il a au service du Roi sont la source. Vous savez bien que je vous ai toujours été ce que je vous suis... Le cardinal ne manquait pas de faire tinter aux oreilles du prince le son agréable des écus. Voulant obtenir de lui un effort considérable pour le siège de Saint-Sébastien, il lui écrivait[107] : Après cela votre campagne sera glorieuse et vos amis, entre lesquels vous trouverez bon que je nie mette à la tête, n'oublieront pas vos intérêts et conjureront le Roi, qui aura beaucoup gagné par la prise des vaisseaux, que vous ayez lieu de vous louer de ses libéralités.

En retour, Henri de Bourbon-Condé paya largement : il eut pour fils le Grand Condé.

 

Monsieur le Maréchal d'Estrées : plus capable de brouilleries de cour que d'emplois de guerre, auxquels il est très malheureux et desquels, pourtant, il n'est sorti que par désertion, ayant quitté l'armée d'Allemagne sans avoir eu ordre (d'une autre main) et sans avoir son congé.

C'était encore un de ces grands que l'on ménageait, tantôt ami, tantôt adversaire du cardinal. Marquis de Cœuvres, protestant d'origine, tenant sa place à la Cour, il s'était d'abord consacré aux armes et il avait rendu quelques services militaires sous la Régence de Marie de Médicis : c'est lui qui commandait en Valteline et qui battit l'armée pontificale, placée sous, les ordres du cardinal Bagny ; ce facile succès lui valut le bâton de maréchal. On lui donna ensuite un commandement à Mantoue et il servit, à diverses reprises, en Italie. On l'avait mis auprès de la Reine mère consignée à Compiègne. Mais il s'était mêlé à la cabale de Châteauneuf et de la Chevreuse, et voilà ce que Richelieu ne lui pardonna point. Le maréchal d'Estrées était à la tête d'une armée en Allemagne et il venait de prendre Trèves lorsque Châteauneuf fut disgracié ; il eut peur et quitta Trèves[108] ainsi que son commandement, sans congé, pour s'abriter en lieu sûr ; et cela aussi, Richelieu ne l'oublia pas. D'Estrées demanda et obtint son pardon, mais sans reprendre d'emploi militaire. Il avait été, une première fois, ambassadeur à Rome et il avait contribué à l'élection de Grégoire XV. On le nomma de nouveau à la même ambassade. Mais ses exigences, sa hauteur, son caractère fantasque finirent par le rendre insupportable à la cour d'Urbain VIII et aux Barberins, qui demandèrent avec insistance son rappel à l'occasion d'une histoire d'assassinat assez mystérieuse[109]. Richelieu, après avoir hésité quelque temps, finit par donner à d'Estrées l'ordre de rentrer à Paris. Mais, pour la seconde fois, celui-ci se méfia ; il aurait dit alors qu'il y avoit déjà deux maréchaux de France à la Bastille (Vitry et Bassompierre) et qu'il n'avoit pas envie d'être le troisième. Il gagna Parme et se mit à l'abri près de son ami, le duc. Il ne devait rentrer en France qu'après la mort de Richelieu. Plus diplomate que soldat, c'était un homme prudent.

 

Monsieur le Maréchal de Toiras : artificieux, ambitieux, brouillon dans la Cour, dont la conduite fut déloyale au fait de Casal et de Monsieur, n'est sorti des emplois que par la mort.

Ces lignes surchargent une page des plus obscurés et des plus pénibles de la vie de Richelieu. Tout porte à croire que ce génie supérieur, pour une fois, fut jaloux, — jaloux de Toiras. Jean du Caylar de Saint-Bonnet[110], maréchal de Toiras, était un homme de haut mérite, résolu, réfléchi, digne, brave jusqu'à l'héroïsme, à qui l'on ne pouvait reprocher qu'une confiance excessive en soi-même, et des emportements de vivacité et de colère au cours desquels il ne se possédait plus. Soldat, né d'une famille de soldats, gascon, ayant cette ardeur et cette finesse du midi, il avait su gagner, dès sa jeunesse, la faveur du Roi, comme on la gagnait alors, par la familiarité des chasses et des écuries : il fut capitaine de la volerie royale, ce qui évoque le souvenir de la carrière d'un Luynes. Levassor, dont le témoignage est souvent suspect, écrit : Le cardinal craignait que Sa Majesté, dégoûtée de Baradas, n'appelât Toiras auprès d'elle et que celui-ci, d'un mérité supérieur, ne se rendit maitre de l'esprit du Roi[111]. Quoi qu'il en soit, Toiras fut éloigné et, en raison même de ses mérites reconnus, on l'envoya où il y avait des services à rendre : il fut nommé gouverneur du fort Louis, près de La Rochelle. Son éloignement le grandit : il repoussa. Soubise, qui tentait une descente dans l'île de Ré. Au siège de La Rochelle, il se couvrit de gloire en défendant file contre les Anglais.

Ayant obtenu ces grands succès à La Rochelle, il est l'homme indispensable. Il s'enferme à Casai et s'y distingue par son énergie, sa constance, son savoir-faire, et finalement il sauve la place. Il est fait maréchal de France. Richelieu l'accable de louanges et de faveurs, non sans le surveiller du coin de l'œil. Deux frères de Toiras, dont l'un évêque de Nîmes, se portaient vers la cause de Marie de Médicis et du duc d'Orléans. La méfiance, la jalousie peut-être, voulurent voir là un double jeu du maréchal lui-même.

Toiras se tint sur la réserve, son attitude générale restant froidement correcte. Il écrivit au cardinal : Vous savez, Monseigneur, que ma plus grande ambition est de donner des preuves de mon inviolable fidélité dans toutes les occasions où l'honneur et le bien du service de Sa Majesté m'appellent. Une lettre du Roi, confirmée par une lettre de Richelieu, prend acte de la déclaration sur un ton de confiance, quelque peu nuancée : Encore que je sache bien que vous ne prenez aucune part dans la rébellion de l'évêque de Nîmes et du sieur de Restenclaires, vos frères... j'aurai soin de votre fortune et de vos intérêts[112].

Mais, dans le même temps, si l'on s'en rapporte aux amis de Toiras, le cardinal montait l'esprit du Roi contre le maréchal ; Servien, qui lui était associé pour la tractation des affaires d'Italie, procédait par voie de délation secrète. Ainsi excité, Richelieu, d'après les mêmes ouï-dire, poursuivait sa campagne auprès du Roi : L'orgueil et l'ambition sont ses deux passions dominantes, disait-il du maréchal ; il aspire à une plus grande fortune ; mais le point d'honneur l'arrête... M. Servien vous rendra témoignage que le maréchal a confessé plus d'une fois que le dessein de se faire souverain — sans doute comme on le savait de Saxe-Weimar et comme on le disait du maréchal d'Ancre et de Richelieu même — lui a souvent passé par la tête, etc.[113]

Toiras signa, en qualité de plénipotentiaire, au traité de Cherasco. Il attendait la récompense de ses nouveaux services. Or on commença par lui enlever le gouvernement de Casal, sous prétexte qu'on ne pouvait laisser une place de cette importance aux mains d'un homme toujours mécontent et qui avait deux frères dans le parti du duc d'Orléans. Cependant on le couvre de faveurs, un peu pour le satisfaire, un peu pour l'éloigner : le gouvernement d'Auvergne vacant par la mort du maréchal d'Estrées, la grâce de ses frères, la promesse du cordon bleu, il obtient tout, mais à une condition, c'est qu'il reviendra à Paris. Toiras, averti d'autre part, ne crut pas devoir se jeter dans la gueule du loup. Il parlait d'aller chercher fortune en Allemagne. Richelieu lui écrivit : Au nom de Dieu, soyez circonspect, et faites en sorte que ceux qui ne vous connoissent pas aussi bien que moi, ne s'imaginent pas que vous êtes capable de certaines choses, éloignées de votre pensée... Tout cela n'était pas absolument rassurant. Toiras fit comme Guise, connue d'Estrées et tant d'autres : il resta loin de la Bastille.

Par la suite, il fut autorisé à prendre du service dans les armées du duc de Savoie, alors allié de la France, qui lui confia les fonctions de lieutenant général. Il fut tué d'une mousquetade au siège de Fontanette dans le Milanais, le 14 juin 1636. Son biographe écrit d'un style lapidaire : Né gentilhomme, a vécu dans les vertus héroïques, est mort glorieux, les armes à la main, au service de son Roi.

Une lettre de Louis XIII, écrite au moment où Toiras mourait si noblement. témoigne de l'indifférence royale : La mort du maréchal de Toiras n'empirera pas nos affaires en Italie ; au contraire, je crois que M. de Savoie, n'ayant plus un tel esprit avec lui, sera plus aisé à gouverner[114].

Le sort et la mort de Toiras fournirent un thème aux adversaires du cardinal, de son vivant et surtout après sa mort. On souffre de sentir séparés de tels serviteurs de la France.

 

Monsieur de Candale : a été reconnu, par l'épreuve qu'on en a faite, de fort petit talent.

Peu intéressant, certes, mais encombrant comme fils aîné du duc d'Épernon et frère du cardinal de La Valette et du duc de La Valette. Le cardinal de La Valette essaya de lui faire un sort dans les armées royales opérant sur la frontière du nord en 1637 ; on lui adjoignit Turenne pour commander sa cavalerie. Chavigny écrivait au cardinal de La Valette : M. de Candale passe ici pour être un bon soldat et tin bon capitaine. Cette dernière action n'a rien diminué de sa réputation. En un mot, on est très content de lui... Mais, finalement, cette campagne fut un échec. Candale avait pris du service dans l'armée vénitienne ; on le renvoya en Italie auprès de son frère. Il est célèbre surtout par ses amours avec la fameuse d'Olonne, avec la marquise de Castellane. Il serait mort à Casal en 1638.

 

Monsieur le Duc de La Valette : non seulement incapable, mais mal intentionné et traître.

Autre fils du duc d'Épernon, mais d'un tout autre mérite et dont l'histoire est un épisode significatif dans la vie de Richelieu. Ce qui est en cause, c'est la haute situation qu'occupe le père de ces trois enfants : Candale, le cardinal de La Valette et le duc de La Valette. Le duc d'Épernon est l'un des hommes les plus considérables du Royaume depuis le règne d'Henri III ; il a assuré la Régence à Marie de Médicis, qu'il a arrachée à la captivité de Blois. Il est le chef du parti catholique ; il commande sur la frontière des Pyrénées, comme Lesdiguières sur la frontière des Alpes. Le sort de la France, de la Royauté, de Louis XIII, de Richelieu peut dépendre de lui dans les grandes crises intérieures et, notamment, dans la conjuration qui dresse contre le Roi et contre son ministre Marie de Médicis, Gaston de France, appuyés sur le concours de la haute aristocratie, sur le parti catholique, sur Rome et sur l'Espagne. La rébellion assiège le duc d'Épernon et voudrait se l'assurer. On fait pression sur lui par ses fils et surtout par .le duc de La Valette, déjà phis ou moins engagé, tandis que le cardinal de La Valette est dévoué à la Cour et à Richelieu.

Déjà une fois, lorsque le. vieux d'Épernon s'était mis en faute jusqu'à lever la canne sur l'archevêque de Bordeaux, le duc de La Valette s'était en quelque sorte sacrifié et, pour éviter les suites graves qu'eût pu entraîner un tel scandale, avait répondu, par une déclaration solennelle, de la fidélité de la famille. Même pour essayer de l'établir une fois pour toutes, il avait consenti à épouser une Pontchâteau, parente du cardinal.

On croyait le tenir. Mais, sans doute, il était lui-même plus mécontent que satisfait de la solution conjugale. Quoi qu'il en soit, il avait certainement donné des mains à la conjuration de Gaston et du comte de Soissons au moment où Montrésor et Saint-Ibal montèrent à Amiens le complot qui avait pour but l'assassinat du cardinal. La Valette se trouva dégagé par l'indécision de Gaston ; et le père, le duc d'Épernon, protesta auprès du chancelier Séguier dans des termes qui, il est vrai, ne donnèrent entièrement satisfaction ni à Richelieu ni au Roi, mais qui laissaient les choses dans le doute. Quant au duc de La Valette, qui se montrait sans empressement dans ses relations avec le cardinal ministre et notamment dans l'affaire du jugement d'un de ses amis, le Bec-Crespin, qui avait capitulé un peu hâtivement à La Capelle, il restait buté en une sorte de réserve froide où il y avait aussi un calcul.

Il crut avoir gagné la partie, lorsque la prolongation des hostilités entre la France et l'Espagne mit en péril la frontière des Pyrénées. Le sort de la guerre pouvait dépendre maintenant de l'attitude que prendraient les d'Épernon. Le vieux mignon de Henri III vivait toujours. Lui et son fils, le duc, pouvaient, selon leurs intérêts ou leurs ambitions, décider du concours que le midi de la France apporterait à la défense de cette frontière. Richelieu crut faire un coup de maitre en donnant à Condé, premier prince, du sang, le commandement de l'armée qui, après avoir pris Fontarabie et Saint-Sébastien, devait pénétrer au cœur de l'Espagne, et en lui adjoignant pour lieutenant général le duc de La Valette. C'était, une fois de plus, le fameux jeu, aussi indispensable qu'impraticable, des bêtes d'attelage : deux grands liés pour se surveiller l'un l'autre, et qui ne pensaient qu'à se quereller !

Il faudrait suivre dans le détail cette affaire de Fontarabie, qui pesa d'un poids si lourd sur les dernières années de- Richelieu. C'est un drame où toutes les péripéties se succèdent : la confiance, le doute, les fautes, les sentiments contraires, la fortune et l'infortune, la justice et les injustices et, finalement, une sanction qui frappe le duc de La Valette et dont la rigueur reste un problème.

Quelques précisions seulement pour indiquer sur quels points portent les reproches et faire comprendre les motifs de la sévérité déployée à l'égard du duc de La Valette. Le siège de Fontarabie, qui a donné tant d'espérance, qui a gonflé d'espoir le cœur de Richelieu, va échouer. Monsieur le Prince accuse le duc de La Valette de n'avoir pas pressé les levées de Guyenne telles qu'il les avait promises, et d'avoir trompé sur les effectifs ; il l'accuse d'avoir manqué de courage, de fermeté, à l'heure décisive du siège. A sa demande, on a chargé Sourdis de remplacer le duc de La Valette dans son commandement. Le siège n'en va pas mieux. Aura-t-on la honte d'être obligé de le lever ? Le cardinal écrit, le 14 septembre 1638, à Chavigny : M. de La Valette vient d'envoyer ici son écuyer pour me faire connoître le plaisir qu'il a de l'ordre que Monsieur le Prince lui a donné de quitter son attaque et d'aller faire tête aux ennemis après avoir réduit Fontarabie aux abois, représentant que M. de Bordeaux ne le prendra pas par d'autres moyens que ceux qu'il a proposés et qui sont de l'ordre de la guerre... Ces Messieurs, ajoute Richelieu, sont admirables en beaux discours et si peu effectifs que j'en ai honte... Et, le 17 septembre, la nouvelle de la levée du siège étant confirmée, le cardinal éclate : Ayant vu ce que Monsieur le Prince mande sur le sujet de Fontarabie, je suis hors de moi. Cette affaire est de grande considération. Je vous prie me mander les sentiments de Sa Majesté et de vous autres, Messieurs, qui êtes auprès d'elle. Je prie Dieu de tout mon cœur que les mauvais François puissent être châtiés comme ils le méritent. Et encore, le même jour : La douleur de Fontarabie me tue. Sa Majesté verra une lettre que lui envoie Monsieur le Prince et la conservera, s'il lui plaît, jusqu'à mon retour... Revenant à Fontarabie : On n'a jamais vu qu'un lieutenant général (il s'agit du duc de La Valette), voyant le quartier de son général attaqué, ne l'ait pas soutenu....

Voilà l'accusation formelle contre La Valette, qui prend corps. Richelieu saisit-il l'occasion de lâcher la bride à sa vieille rancune ? Ne pense-t-il qu'à ménager Monsieur le Prince, qui se trouve le vrai responsable, mais avec qui il ne peut être question de se brouiller ? Est-ce simplement sévérité, colère ? En tout cas, c'est pour lui un coup au cœur, le renversement de ses plus beaux espoirs : La douleur de Fontarabie me tue.

Il fallait pour l'exemple, une victime. Elle était trouvée : La Valette. Celui-ci fut jugé par autorité royale, jugé et condamné. Richelieu écrit, le 26 mai 1639, à Chavigny, qui était à ce moment près du cardinal de La Valette opérant dans le Piémont : Le procès de M. de La Valette fut jugé hier tout d'une voix. Le Roi trouva bon que je n'y fusse point à cause de l'alliance. Étant condamné à mort, comme il l'a été, son bien est confisqué ; mais il sera réservé pour M. le Cardinal de La Valette, comme il peut croire. Cette affaire s'est trouvée plus sale que nous ne pensions... La Valette s'était enfui en Angleterre, d'où il continua ses intrigues. Il ne fut autorisé à rentrer en France qu'après la mort de Louis XIII[115].

 

Monsieur de Feuquières : homme de capacité, grand cœur et grande fidélité, mais si malheureux dans son premier emploi qu'il y perdit l'armée qu'il commandoit, la liberté et la vie.

Feuquières fut un illustre diplomate, l'un de ceux qui, avec Charnacé, ont rendu les plus grands services à Richelieu et qui étaient des plus dignes de servir sous lui. Mais sa qualité en tant que militaire reste discutable. Il n'a pas eu le temps de faire ses preuves, et il semble bien que c'est faute d'expérience technique, qu'il s'est laissé surprendre par une marche de nuit de Piccolomini alors qu'il assiégeait Thionville, en juin 1639. Sans doute, le titre qui l'avait fait choisir était ce mérite que Richelieu met toujours si haut, la fidélité. Le cardinal fut grandement touché par la défaite de Feuquières, sa captivité et finalement sa mort. Un an après la bataille, le vaincu, amené à Thionville, y mourut dans les plus grandes souffrances. Richelieu avait écrit à La Meilleraye, sur la première nouvelle de la bataille : M. de Feuquières n'est pas mort ; il est prisonnier à Thionville, avec un bras rompu d'un coup de mousquet. Il a fait merveille de sa personne, ayant combattu plus d'une demi-heure après être blessé[116].

 

Monsieur l'Archevêque de Bordeaux : reconnu artificieux, malin, incapable, envieux et médisant, fanfaron, peu de cœur, incompatible et de nulle fidélité ; est sorti de l'emploi parce qu'on ne pouvoit plus douter de ses mauvaises qualités.

Quelles étaient les aptitudes militaires de ce prélat, Henri d'Escoubleau de Sourdis ? quels ses services ? quelle sa fidélité ? quelles ses ambitions ? quelles les raisons de sa chute ? Tout cela se rapporte surtout aux choses de la marine et nous retrouverons l'ensemble du problème. A la fin, Richelieu sacrifia, semble-t-il, cet incompatible à Sublet de Noyers et à Bullion. Mais sans doute il y avait aussi, dans ces abandons un peu cruels, le sentiment qu'une nouvelle génération arrivait et qu'il fallait écarter les vieilles ambitions mal sûres et indéracinables, pour lés remplacer par les jeunes arrivismes, plus dociles, plus souples et mieux préparés[117].

 

Monsieur le Duc d'Halluin : brave et courageux, mais peu capable d'une grande conduite, des prévoyance et vigilance qu'il faut pour un grand emploi.

Charles de Schomberg, duc d'Halluin, second maréchal de Schomberg, fils du premier. Si l'on veut s'imaginer les titres et la puissance que pouvait détenir un simple gentilhomme et à quel point Richelieu avait à le ménager, il suffit de donner la liste des honneurs qui furent reconnus à celui-ci lors de son mariage avec Marie de Hautefort, celle qui avait été la passion platonique et pathétique du roi Louis XIII : Charles de Schomberg, duc d'Halluin, pair et maréchal de France, comte de Nanteuil, marquis de Magdelives, comte de Durtal, gouverneur et lieutenant général pour le Roi des évêchés de Metz, Toul et Verdun, ville et citadelle de Metz et Pays messin, seul lieutenant général pour Sa Majesté du haut et bas Languedoc, gouverneur particulier de la ville et citadelle de Pont-Saint-Esprit, chevalier des ordres, capitaine lieutenant des chevau-légers de la garde, colonel et maréchal de camp général des troupes allemandes, liégeoises et wallonnes, et capitaine de cent hommes d'armes de ses ordonnances. Ajoutons que Mine de Hautefort qu'il épousait avait pour frère Charles François de Hautefort, qui se qualifiait, seigneur d'un quart et demi du Limousin. Dans la vie de Mme de Hautefort[118], Charles de Schomberg est ainsi dépeint : Il y avoit alors à la Cour un héros, M. le Maréchal de Schomberg, qui étoit d'un mérite et d'une valeur extraordinaires. Il avoit les premières charges de la Cour ; il ne voyoit que les princes au-dessus de lui. Il étoit fait à peu près comme l'on dépeint les héros de roman : il étoit noir ; mais sa mine haute, guerrière et majestueuse inspiroit du respect à ses amis et de la crainte à ses ennemis... Sa mine étoit pleine de majesté... Il étoit fier, audacieux à la guerre, mais doux et galant auprès des dames : il chantoit bien, il faisoit des vers et on pouvoit dire qu'il possédoit à la fois les vertus guerrières et la galanterie[119].

Les lignes écrites dans notre document par Richelieu, prouvent que les yeux de l'amour ne sont pas ceux de la politique. En fait, Schomberg avait, comme nous dirions aujourd'hui, de bons états de service : il avait remporté à Leucate, en octobre 1637, une belle victoire sur les Espagnols, à la suite de quoi il avait été nommé maréchal de France. Richelieu lui écrivit alors une lettre où le souvenir du père était évoqué : Je ne saurois vous témoigner la joie que j'ai du succès qui vous est arrivé en la journée de Leucate. Forcer un retranchement, secourir une place et gagner une bataille, ce sont effets visibles de la main de Dieu, qu'il ne départ pas à tout le monde...[120] Il paroît, par là que votre courage et votre fidélité ne sont pas accompagnés de moindre bonheur que celui qu'a toujours eu M. de. Schomberg votre père. On dirait qu'à la fin, alors que la faveur de Cinq-Mars ébranlait les plus fidèles, Richelieu se soit méfié de ce second Schomberg, qui pourtant lui devait tout. Le duc d'Halluin était un brave soldat, un brave homme, un bel homme ; mais avait-il ce haut génie Militaire que Richelieu décrit ici même en trois mots : conduite, prévoyance, vigilance ?

 

Monsieur Darpajoux (D'Arpajon) : vaillant, résolu, changeant, Amadis et visionnaire en ses desseins.

Personnage de second ordre qui rendit quelques services près de Monsieur le Prince dans la campagne du Roussillon. Il sut se pousser, sous la Régence, jusqu'à devenir duc et maréchal de France ; même il eut, par la suite, assez d'adresse et d'influence pour faire changer le nom de sa terre de Châtres en Arpajon. Mais c'est tout. Cette mauvaise langue de Saint-Simon ne dit que du bien de lui à propos de son élévation à la duché-pairie. Par contre, Montrésor écrit dans ses Mémoires : Pour ce qui est de la Guyenne, si les ennemis y font une descente, M. d'Arpajon n'est point capable de soutenir cet effort[121], ce qui confirme en somme le jugement de Richelieu_

 

Monsieur le Marquis de Sourdis : homme qui s'est rendu ridicule dans les armées.

Ce jugement sur un homme insignifiant dispense de tout commentaire.

 

Monsieur le Comte de Cramail : chassé de la Cour par les cabales qu'il y avoit faites pendant la Régence de la Reine mère, rappelé à la prière du cardinal, ne demeura pas deux mois dans l'emploi auprès du Roi, parce que Sa Majesté reconnut elle-même ses mauvois desseins.

Adrien de Montluc, descendant du maréchal ; comte de Cramail par sa femme, Jeanne de Foix. Ce n'est pas un homme de guerre : un simple intrigant, et cela fait pitié de voir Richelieu obligé de donner quelques minutes d'attention à ce genre de politiciens, pareils à ceux que tous les régimes voient même dans tous les temps. Cramail avait tâté de la Bastille après la journée des dupes. On l'en fit sortir et le Roi parait s'être, un instant, intéressé à lui ; car il l'emmenait à sa première campagne de Lorraine et au siège de Saint-Mihiel. Là ses conseils furent tels que Louis XIII, averti par Richelieu, s'en débarrassa d'un coup d'épaule qui le renvoya à la Bastille. Le courtisan désabusé devait y tester jusqu'à la mort de Richelieu[122].

 

Les sieurs Montausier, Canisy, Rambures, Bussy-Lamet, marquis de Coislin, comte de Tallari, marquis de Praslin, Frézelières sont sortis des emplois par la mort.

Rien de particulier. Il suffit de se reporter aux histoires générales. Frézelières, dont le nom est peut-être le moins connu, était un homme des plus dévoués à Richelieu et que celui-ci payait de retour. Il mourut en juin 1639. La mort de Frézelières achève de m'accabler, écrivait le cardinal le 29 juin au maréchal de La Meilleraye ; cependant je me conforme à la volonté de Dieu et le prie de vous conserver[123].

 

Monsieur de Saint-Preuil : brave, courageux et chaud, mais si peu réglé que la justice et la discipline d'un État n'ont pu permettre qu'il demeurât en charge.

Il s'agit ici d'une victime fameuse de la sévérité, — les adversaires ont dit de la cruauté, — de Richelieu. François de Jussac d'Ambleville, sieur de Saint-Preuil, était certainement un héros Louis XIII, s'il en fut ; de grande allure, de haute envergure, un d'Artagnan ; bravoure, panache, on lui passait tout même la violence. Les amateurs, de pittoresque et d'outrance ont cité et fait réciter à satiété la fameuse lettre, trop romantique pour être authentique, que Louis XIII lui aurait adressée : Brave et généreux Saint-Preuil, vivez d'industrie, plumez la poule sans la faire crier ; faites comme les autres dans leurs gouvernements. Vous avez tout pouvoir dans notre Empire ; tout vous est permis.

Or Saint-Preuil, que son courage et ses exploits avaient rendu si justement populaire, fut condamné par la commission où siégeait l'intendant Bellejambe, pour avoir manqué aux règles de la discipline et au respect de la parole due à des adversaires honorables, en laissant attaquer et piller la garnison espagnole de Bapaume, qui sortait de la ville sur la foi de la capitulation. A considérer les choses de sang-froid, il semble bien que Saint-Preuil, avec ses gasconnades, ses prétentions, ses incartades[124], avait abusé de la bienveillance et des attentions qu'avaient pour lui le Roi et le cardinal. Il sn croyait tout permis et, pour le moins, il laissa faire. Comme il était en rupture déclarée avec La Meilleraye et avec Sublet de Noyers, cela ne fut pas sans contribuer grandement à la sévérité du jugement prononcé par Richelieu. Ajoutons qu'on faisait peser sur Saint-Preuil quelque soupçon d'intelligence avec les partisans de Monsieur. Or c'est ce que Louis XIII par passion et Richelieu par prudence ne pardonnaient pas. Saint-Preuil condamné par jugement, mourut bravement, non sans quelque gasconnade, le 9 novembre 1641, à Amiens. Comme on le faisait attendre pour monter à l'échafaud, il dit à son confesseur : Voici le reste de ma fortune qui s'achève de bâtir. Puységur dit de lui : C'étoit un des plus braves et des plus hardis gentilshommes qui aient été en France depuis plusieurs siècles et l'un des plus laborieux et des plus généreux... Mais aussi l'un des plus désordonnés et des plus pillards. Il fallait mettre un terme à tout cela. Et la mort de Saint-Preuil, tant reprochée à Richelieu, fut encore un exemple.

 

Le Roi même a bien voulu commettre ses armées à des princes étrangers, quand il a pensé par ce moyen avancer ses affaires.

Monsieur le Prince d'Orange fut si mal en 1635 qu'avec cinquante mille hommes de pied et une bataille gagnée il ne sut rien faire.

Cette constatation que la France, manquant de capitaines signalés, était dans la nécessité de recourir à des généraux étrangers ayant l'expérience de la grande guerre, parait avoir été, au début, l'un des principaux soucis de Richelieu. En 1633, au moment où on hésite encore à entrer en guerre avec la Maison d'Autriche, le cardinal dit, dans son Avis au Roi : La difficulté qui doit être plus considérée en cette affaire est le peu de gens capables de faire la guerre qui sont en France... Sur quoi, on pourroit prendre un expédient qui consisteroit à confier le commandement au prince d'Orange[125].

Il est à croire que cette considération, qui touchait si vivement Richelieu à cette époque, accrut le vif désir qu'il eut, avant tout, de renouer l'alliance avec les Hollandais ; probablement aussi, elle agissait sur lui lorsqu'il s'efforçait de détacher Waldstein du service de la Maison d'Autriche. C'est ce que l'on voit bien dans un des passages de la réponse de son agent, Tillières, aux premières propositions de Kinsky : Son Altesse (Waldstein) peut assez considérer si, après avoir fait une action si importante, le Roi Très Chrétien pourroit ou devroit souhaiter la puissance des armes en une autre -main que celle de Son Altesse, qui a toutes les conditions que Sa Majesté pourroit désirer, tant pour la capacité, générosité et religion qu'à cause de son extrême crédit ; etc.[126]

D'un côté comme de l'autre, Richelieu ne récolta que désillusion et dépit. La négociation avec Waldstein n'aboutit pas ; et le prince d'Orange (Frédéric-Henri de Nassau), chef de ces armées hollandaises qui étaient alors l'école des généraux, lui manqua d'une façon pour lui inexplicable. En l'année 1635, la léthargie du prince ne sut tirer aucun parti de la victoire d'Avein et fit perdre à la France et à l'alliance le bénéfice qu'on eût pu tirer d'un si brillant début.

Il en fut à peu près de même dans les années suivantes. M. Avenel, parlant des faits et gestes du prince d'Orange en septembre 1638, s'exprime ainsi : On était tombé d'accord que le prince d'Orange attaquerait Dunkerque. Les accords une fois établis, la France donna l'exemple. Le maréchal de Châtillon assiégeait Saint-Omer ; Monsieur le Prince ; entrait en Espagne. On en informa le prince d'Orange, qui trouva des raisons pour se dispenser d'attaquer Dunkerque... L'année était perdue[127]. Richelieu ne savait que penser de cette étrange attitude des Hollandais, qui, pendant si longtemps, avaient imploré l'alliance et l'intervention de la France.

Une chose surtout le choquait, l'accueil fait en Hollande, à Marie de Médicis. Il écrivait à Chavigny le 29 août 1638 : Je vous avoue que j'ai peine à digérer que le prince d'Orange, ait reçu et favorisé le passage de la Reine sans en donner avis au Roi, ni savoir si Sa Majesté l'agréerait. L'état où sont les affaires requéroit bien, ce me semble, qu'il en usât autrement ; mais, bien que cette humeur soit étrange, il la faut dissimuler. Cependant il est bien difficile de prendre ses mesures avec des esprits qui n'ont point de sincérité et de franchise[128]... Et, dans une autre lettre datée du 12 septembre : Le Coigneux (confident de Gaston) a mandé à Bruxelles qu'il feroit voir, par effet, que le passage de la Reine mère par ces quartiers-là ne seroit pas inutile à l'Espagne, ce qu'il ne peut prétendre que par l'une de ces deux façons : ou par quelque proposition de trêve (se négociant en arrière de la France entre la Hollande et l'Espagne) connue de M. le Prince d'Orange... ou par quelque faction et monopole que ces beaux esprits pourroient faire, donnant des impressions à quelques-uns de MM. les États contre les intentions de M. le Prince d'Orange... On devait retrouver ces obscurités et ces tiraillements, avec les divergences finales, jusque dans les soubresauts des longues négociations de la paix : car telle est la misère des alliances !

 

Monsieur le Duc de Savoie : bien que la raison d'État obligeoit le Roi à prendre garde aux actions de Son Altesse, Sa Majesté lui avait confié ses armées et la seule mort l'a retiré de ses emplois.

Les relations de la France et de la Savoie sont l'un des objets principaux des préoccupations de Richelieu durant tout son ministère. La maison de Savoie, mère de l'Italie moderne, verra toujours son existence et sa grandeur dépendre de sa situation entre la France et l'Autriche, entre les Alpes et la Méditerranée. Continentale et maritime, ayant les avantages et les inconvénients de sa forme allongée et de son extension péninsulaire, très riche et très pauvre, admirablement située pour ses grandes ambitions, dangereusement exposée pour ses entreprises, héritière d'un passé magnifique, entraînée vers un avenir brillant jusqu'à en être chimérique, elle balance sans cesse, dans sa double destinée, entre les deux puissances installées sur le demi-cercle de sa frontière alpestre, l'Allemagne et la France.

Le règne de Louis XIII vit, en Savoie, deux princes d'esprit différent et de valeur opposée : Charles-Emmanuel, qui mourut en 1630, et Victor-Amédée, mari de Christine de France, qui mourut à cinquante ans, le 6 octobre 1637 ; l'un le plus inquiet et le plus ambitieux des hommes ; l'autre prudent, modéré, mais opprimé entre le double héritage de ses alliances françaises et de la menace espagnole. Attaché plus étroitement à la France par le perpétuel tourment de conséquences qui pouvaient devenir vitales ; se donnant, tout en se réservant ; portant sur ses épaules trop étroites et avec des ressources trop restreintes le poids écrasant des ambitions et des complications léguées par son père ; il n'eut pas le temps de donner sa mesure et de recueillir tout ce que son sens pratique, son jugement sain et ses aptitudes militaires lui eussent permis de réaliser au profit de sa maison.

C'est Victor-Amédée qui est visé dans les quelques lignes dictées par Richelieu. Comme il s'était tourné beaucoup plus franchement que son père vers l'alliance française, Louis XIII, son beau-frère, lui confia la capitainerie générale des armées du roi de France en Italie. Il avait pour adjoint dans le commandement le duc de Créqui. Ni leurs situations ni leurs esprits ne s'accordèrent. Au siège de Valenza, en 1635, de graves divergences éclatèrent entre eux. Le duc de Savoie, approuvé par Richelieu, prit en personne le commandement de l'armée confédérée et, quoiqu'il eût, en cette mission de confiance, remporté quelques succès, en somme les affaires d'Italie ne prospérèrent pas. Richelieu, obligé de ménager une situation délicate, était embarrassé pour prendre parti, lorsque la mort du duc de Savoie arrangea momentanément les choses en retirant celui-ci de ses emplois.

 

Monsieur le Duc de Weimar : excellent capitaine ; mais tellement à lui qu'aucun autre ne s'en pouvoit assurer.

Il ne peut être question d'exposer ici le rôle du fameux Bernard de Saxe-Weimar au cours de la guerre de Trente ans, avant et après la mort de Gustave-Adolphe. Un livre excellent a été consacré à cette grande figure historique : Bernard de Saxe-Weimar (1604 à 1639) et la réunion de l'Alsace à la France, par le vicomte de Noailles[129]. C'est un peu malgré le duc que l'Alsace a été réunie à la France ; mais, ceci dit, les hautes capacités militaires du prince allemand ont servi grandement à maintenir la cause de la France dans la période troublée qui a précédé la victoire de Rocroi.

Il suffira d'indiquer ici, d'après les documents contemporains, les raisons qui portent Richelieu à s'exprimer, sur cet allié de la France, en ces termes réticents. Nous avons déjà indiqué l'ambition qui avait été celle du duc, de se tailler à lui-même une principauté indépendante, précisément dans la région alsacienne, et l'habile conduite par laquelle Richelieu sut s'opposer à la réalisation de ce projet dangereux, tout en gardant à la France l'indispensable concours de l'armée de la Ligue protestante. En avril 1636, Louis XIII traitait encore de la façon la plus prévenante et la plus amicale ce grand personnage, aussi susceptible qu'ambitieux[130]. Mais les préoccupations sur les visées du prince subsistaient au fond, et Richelieu soumettait au Roi, vers la fin du mois de juin 1639, un mémoire intitulé : Raisons pour lesquelles le Roi ne peut donner à M. de Weimar les places que Sa Majesté tient en Alsace. Ce mémoire s'achevait en ces termes : Partant, il faut demeurer ferme à ne point donner lesdites places et prétendre toujours du duc de Weimar ce qu'on lui a demandé par d'Erlach, sans toutefois le poursuivre avec tant de chaleur (au cas qu'il demeure en sa mauvaise humeur) que cela puisse produire un mauvais événement. Seulement faudra-t-il lui représenter, en tel cas, qu'il pensera une autre fois plus mûrement à ce qu'il doit au Roi, et que, maintenant, il faut travailler aux intérêts de la cause publique, employant cette campagne utilement.

Et, au même moment, l'Instruction donnée au Sieur Baron d'Oysonville s'en allant trouver M. le Duc de Weimar de la part du Roi abordait une question plus grave encore, le traité que les ennemis se vantaient d'avoir fait avec ce prince. Si l'on pouvait mettre le duc à la raison par une autre voie, Richelieu estimait qu'il ne fallait pas lui en parler. Si au contraire l'on touchait ce point délicat, il fallait persuader à M. de Weimar qu'il était important pour sa réputation de dissiper les mauvais bruits[131]. On voit de quels ménagements le cardinal usait avec l'homme de guerre dont il mettait si haut la capacité.

Toute la suite des rapports entre la France et le duc est exposée dans le mémoire du sieur d'Avaux, ambassadeur en Allemagne, qui se trouve aux Archives des Affaires étrangères[132]. Voici une phrase du jugement porté sur le duc par cet agent distingué de la politique française : Jusques à présent l'on impute le mauvais procédé du duc à la dureté de son naturel, qui est fort attaché à ses intérêts particuliers ; mais deux choses empêchent de croire qu'il le peut porter à changer de parti : l'une sa réputation, qui lui est chère, et l'autre les grandes sommes de deniers qu'il a tirées du Roi, lesquelles l'Empire et l'Espagne ne lui sauroient donner. D'Avaux n'en revient pas moins sur la crainte que le duc ne crée, en Allemagne, entre l'Espagne et la France, un tiers parti dont il eût été le chef et qu'avec ses forces il ne fasse la loi au pays. Ni les espoirs, ni les craintes ne se réalisèrent : le mémoire est du 12 juillet 1639, Bernard mourut le 18[133].

En somme, comme son maitre Gustave-Adolphe, il disparut à temps pour Richelieu. Le 27 celui-ci adressait à son parent, le maréchal de La Meilleraye, ces paroles, que l'on peut croire sincères, au sujet de cette mort : Toutes les bonnes nouvelles, qui seront suivies, Dieu aidant, d'autres, nous réjouiroient extrêmement sans la mort de M. de Weimar, qui nous a bien surpris. Le pauvre prince est mort de peste en trois jours à Neufbourg, entre Brisach et Bâle. Le Roi et toute la Cour en prennent le deuil. J'espère que ses troupes demeureront fermes dans le service du Roi. Je ne saurois vous dire le regret que j'ai, en mon particulier, de la perte de ce prince[134]. A la suite de cette lettre se trouve celle que l'on adressa d'urgence aux colonels pour garder l'armée dans le service du Roi ; des précautions sont prises, d'autre part, pour occuper les places d'Alsace et, sur ces divers points, confiance entière est faite à Guébriant.

Aussitôt après ce décès subit, des bruits d'empoisonnement ne manquèrent pas de se répandre, comme on avait répandu des bruits analogues visant Richelieu, au sujet de la mort de Gustave-Adolphe et comme on devait en répandre encore au sujet de la mort du comte de Soissons. Le procureur général Molé, dans une lettre à son ami F. Dupuy, en parle comme d'un fait qu'on ne met pas en doute : Si vous savez des particularités de l'empoisonnement du duc de Weimar, vous m'obligeriez de m'en faire part[135]. La magistrature et la police ont, pour pli professionnel, le soupçon, parfois la crédulité.

 

Monsieur le Duc de Lorraine : le Roi ne peut mieux justifier comme il cherche de tous côtés ceux qu'il a pensés être le plus utiles à ses affaires que par l'emploi qu'il a voulu donner au duc Charles de Lorraine dans le commandement de ses armées, après qu'il l'avoit desservi notablement et, s'il n'a eu ledit emploi, sa légèreté et son réitéré manquement de foi en ont été cause.

L'affaire lorraine fut, ainsi que l'affaire alsacienne, le grand souci de Richelieu. Le mariage de Lorraine, suite de la révolte de Monsieur, fut l'accident qui devait déclencher les conséquences du fait permanent. Charles de Lorraine était, comme le duc de Savoie, coincé entre les deux expansions française et allemande. Mais, serré plus étroitement encore du côté de la France, il n'avait, pour ainsi dire, pas le choix : il devait subir ce qu'il craignait le plus. Tout le portait vers les Habsbourgs : sa famille, ses alliances, sa volonté d'indépendance. Mais la France, plus proche, pesait sur lui et sur son peuple de tout son poids ; il fut accablé de cette pression jusqu'à essayer de se protéger contre la conquête française en se soumettant à ses exigences et en entrant au service de son Roi. Or cela même lui était en quelque sorte interdit par sa destinée, et, quoiqu'il fût excellent général, — l'un des meilleurs parmi ceux sur qui Richelieu eût pu porter son choix, ils furent contraints, lui et le cardinal, par une nécessité supérieure, de se trouver opposés l'un à l'autre[136].

Rohan, Toiras, Lorraine, ce sont de bien hautes valeurs et supériorités que Richelieu, qui les appréciait, ne pouvait pas ne pas avoir pour adversaires. Le cardinal fait allusion, en ces quelques mots où il vise un commandement des armées françaises, à une offre qui avait été faite à Charles de Lorraine. Cette offre figurait parmi les conditions de la paix que le duc finit par signer le 29 mars 1641, avec Richelieu[137]. Mais Charles rompit le traité en se retirant à Mirecourt ; il n'exerça de commandement que dans les armées impériales, contre la France.

 

Monsieur de Rantzau : brave et vaillant, si sujet au vin qu'il ne peut s'assurer de lui-même, ainsi que la perte de sa jambe le justifie.

Rantzau, originaire du Holstein, vint en France à la suite du chancelier Oxenstiern et prit du service dans l'armée française. Son courage était légendaire. Richelieu attribue à son goût pour le vin la perte de sa jambe, qui fut emportée, en 1640, au siège d'Arras ; le même coup de canon lui emporta une main ; Rantzau avait déjà perdu un œil au siège de Dôle, ville dont il fut nommé gouverneur quand elle eut été reprise. Il devint maréchal de France et mourut en 1650.

 

Monsieur de Chaumont[138]. — Sur le manuscrit B. N. 4.092, ancien Cangé 51, on lit : Monsieur de Saint-Chamont et, d'une autre main : de fort médiocre capacité.

Melchior Mitte de Chevrières, marquis de Saint-Chamond, négociateur de la paix de Wismar avec la Suède ; plutôt diplomate que soldat. Tallemant rapporte qu'à la crise de Lyon le Roi composa un conseil et fit Saint-Chamond ministre d'État : car il ne voulait pas, remarque le médisant, de gens bien forts... Gordes, ajoute-t-il, capitaine des gardes du corps, entre chez le Roi en riant à gorge déployée et parlant au Roi : Sire, Saint-Chaumont dit que Votre Majesté l'a fait ministre d'État. Qui croiroit cela ? Saint-Chaumont fut disgracié pour avoir laissé la princesse Marguerite de Lorraine s'échapper de Nancy.

 

Ainsi on a été contraint de donner le commandement des armées ainsi qu'il s'en suit :

Monsieur le Comte d'Harcourt,

Monsieur de La Meilleraye,

Monsieur le Comte de Guiche,

Monsieur de Guébriant,

Monsieur de La Mothe [Houdancourt],

Monsieur de Bouillon,

Monsieur du Hallier.

Le Père Griffet établit ainsi qu'il suit la liste des commandants d'armées qui furent désignés pour la campagne de 1642 :

Roussillon : le Roi et Richelieu, La Meilleraye, avec Turenne comme lieutenant général.

Catalogne : La Mothe-Houdancourt et le marquis de Brézé.

Flandre : Comte d'Harcourt.

Champagne : Comte de Guiche.

Italie : Duc de Bouillon.

Allemagne : Guébriant, Du Hallier.

Cette liste est, on le voit, la même que celle qui fut dressée par Richelieu. Elle permet de préciser l'époque où fut rédigé le document que nous publions. Le duc de Bouillon figure, dans l'une et l'autre liste comme pouvant être mis à la tête d'une des armées. Or le traité conclu avec Bouillon, — traité dont nous parlerons dans la note qui va lui être consacrée, — avait été signé le 6 août 1641. Le duc vint à Paris au début de l'année 1642, sans qu'on lui parlât du commandement de l'armée d'Italie [139]. Peut-être ce silence le confirma-t-il dans le sentiment qui le portait à lier partie avec Cinq-Mars. Il resta huit ou dix jours à Saint-Germain et quitta Paris fin janvier 1642. Si le document admet l'éventualité de désigner le duc de Bouillon comme l'un des chefs des armées royales, c'est qu'il a été rédigé entre décembre 1641 et fin janvier 1642. On n'avertissait pas encore l'intéressé, mais on désirait lui être agréable pour le retenir dans le service du Roi et dans le parti du cardinal. Il fut nommé, en effet, et il alla prendre le commandement de l'armée d'Italie. C'est alors que son infidélité s'avéra et il fut arrêté à Casai le 20 juin 1642.

 

Les noms inscrits sur cette liste forment un résumé, un panorama de l'histoire militaire sous Louis XIII. Les faits avaient confirmé ou ont confirmé, en général, les jugements formulés d'un trait si ferme et si vivant par le cardinal. Seul un grand ministre, un grand esprit peut prendre ce ton net et tranchant, de supérieur à inférieurs, si élevés et si considérables que soient les hommes dont il parle. Comme le pense et l'écrit Richelieu, l'armée comptait peu de bons chefs. Il fallait tout créer ; il fallait tout mobiliser, tout entraîner, choses et hommes, mais les choses par les hommes. Par conséquent, il fallait peser, juger, rapprocher hommes et choses. D'où le texte dicté aux secrétaires pour mûrir en quelque sorte le fruit d'une si longue expérience et de tant de réflexions.

Lorsque la France fut précipitée dans la guerre par des circonstances européennes — n'était-ce pas en Allemagne qu'avait germé et mûri cette affreuse guerre de Trente ans ? — rien n'était prêt et Richelieu en était encore à savoir où il trouverait dans le Royaume, dans le gouvernement et en lui-même, les ressources et les forces nécessaires. M. Avenel écrit, condensant l'impression que lui laisse la lecture des lettres de Richelieu : La guerre était déclarée depuis plus de six mois et l'on se laissait surprendre par les événements. On ne peut pas accuser le cardinal d'imprévoyance, mais la bonne organisation faisait partout défaut[140].

Richelieu avait donc le sens profond des difficultés parmi lesquelles il avait à agir. Lui, le grand adversaire des grands, il savait que ses choix ne pouvaient écarter, de parti pris, tous les grands, qui, pour la plupart, disposaient encore d'une partie des forces du pays. Mais ces grands, il connaissait leurs sentiments ; et c'est pourquoi nous le voyons peser dans la balance, plus encore que leur capacité, leur fidélité. Fidélité combien douteuse ! Et combien exigeante !

Richelieu est ainsi conduit par la nécessité des situations à placer à la tête de chacune des armées, non pas un général, un chef unique, mais deux ou trois .personnages, souvent rivaux, pour qu'ils se surveillent les uns les autres. Alors, autre difficulté. On a remarqué l'une des épithètes employées à plusieurs reprises par Richelieu dans ses jugements : incompatible : En fait, ces hommes ne pouvaient guère se supporter et, au préjudice des intérêts publics, ils donnaient l'exemple de l'indiscipline, du mauvais vouloir obstiné, de la hargne. Des difficultés de rang, de famille, de préséance s'entremêlaient avec les exigences de la guerre et la complexité de la politique intérieure. La Cour et les, partis étaient alors ce qu'ont été, dans les guerres récentes, les partis et les Parlements. Toute l'autorité de Louis XIV ne pouvait pas, — longtemps après la mort de Richelieu, — imposer à tels ou tels maréchaux de servir sous le grand Turenne.

Sur ce point encore, Richelieu avait la vue très nette des difficultés qui l'attendaient. Et c'est pourquoi son esprit toujours tendu, sa clairvoyance et prévoyance extraordinaires s'attachaient avec une si énergique rigueur à résoudre ce problème de la dispersion, parfois de l'antagonisme des forces nationales, problème que le siècle posait devant lui ! Le 30 août 1635, dès le début des hostilités, il adressait au Roi un mémoire, modèle de clairvoyance, de fermeté et de souplesse, où il cherchait, en ce qui concernait particulièrement le choix des chefs, les moyens de se tirer d'embarras, vaille que vaille : Sa Majesté n'entrant pas dans le pays ennemi — il s'agissait seulement alors d'une occupation plus ou moins pacifique de la Lorraine —, il est de sa prudence de voir à qui il voudra donner le commandement de l'armée qui doit exécuter le contenu ci-dessus. On estime qu'il ne faut en aucune façon séparer M. de La Force de M. le duc d'Angoulême pour plusieurs raisons trop longues à écrire (on sent bien de quoi il s'agit), entre lesquelles une qui paroît les contenter tous deux, en ce qu'il pourroit arriver qu'il seroit nécessaire de séparer leur armée. On voit que Richelieu était obligé de ménager les deux vieillards au point de leur laisser entrevoir comme possible ce qu'il appréhendait par dessus tout : ne pas tenir toutes leurs forces réunies. Il croit que M. de Châtillon est celui à qui le Roi peut donner cet emploi plus utilement, tant à cause de sa qualité et de son voisinage que du fait que ledit sieur ne pourroit compatir (incompatible) avec le comte de Cramail, qu'il hait à mort... que le sieur de Thianges n'est pas mieux avec lui ; que Vaubecourt est en même catégorie pour ses blessures et ses gouttes... Et la litanie continue !... Finalement, on s'arrête à un arrangement billard : le prince de Condé prendra le commandement, mais sera surveillé par La Meilleraye et d'Arpajon. Les bêtes sont attelées. Tireront-elles à plein collier[141] ?

Or les mêmes difficultés se présentaient encore au début de cette année 1642, qui précéda la mort de Richelieu. Incompatibilité, infidélité, nécessité de recourir aux gens de grande autorité, c'est-à-dire aux hauts seigneurs en opposition plus ou moins latente avec la faveur et avec 'l'autorité du cardinal lui-même. Les hommes des premières équipes ont été écartés peu à peu par la destinée, la mort ou la volonté du Prince. Tout l'art va consister à les remplacer par des hommes nouveaux, plus dociles, plus sûrs et devenus, par l'expérience de la guerre, plus capables de leur mission et plus attachés à leur devoir.

Passons donc en revue, à notre tour, ces noms choisis, comme équipe suprême, par l'homme que rien ne décourage, même ail 'Comble du tourment et quand ses forces commencent à l'abandonner. Nous y verrons apparaître, préparée et désignée par sa prescience et ses leçons, une élite nouvelle digne de lui, digne de la France : Gassion, Guébriant, Turenne, bientôt le jeune Brézé et le jeune Enghien.

 

Les commandants d'armée désignés pour la campagne de 1642 par le cardinal de Richelieu.

Monsieur le Comte d'Harcourt. — Encore un grand ! Il appartenait à cette illustre maison de Lorraine, étant cadet des Lorraine-Elbeuf, et on l'avait baptisé d'un sobriquet tout militaire : Cadet la perle, parce que, affirmait-on, il portait une boucle d'oreille avec une perle en pendant : mais, aussi, parce que c'était un soldat, un vrai soldat, une perle. Après une brillante éducation dans les Camps et dans les armées, il avait tiré Richelieu d'un grand souci en reprenant, en qualité de chef d'escadre, les fies Sainte-Marguerite et Saint-Honorat, entreprise où Sourdis et Vitry avaient échoué. Il est victorieux en Piémont, à ce Casai qui tenait tant au cœur du Roi et qu'il ravitailla. En 1642, aidé de Turenne, il prit Turin à la barbe de Thomas de Savoie ; bientôt, nouveaux succès sur le cardinal de Savoie. Désigné par Richelieu pour les Flandres et l'Artois, il réussit encore. Soldat heureux, chef populaire et ami du soldat ; mais en somme, rien de plus. Richelieu, pour se l'attacher, lui avait fait épouser, non sans qu'il fit quelque résistance, sa propre nièce, veuve de Puylaurens[142].

Mazarin abusa plus tard de cette fidélité en chargeant d'Harcourt de conduire au Havre le prince de Condé prisonnier. Cadet la perle ne voulut point passer pour le recors du cardinal, et il se jeta dans le parti des princes. Après s'être réconcilié avec la Reine Régente, il mourut en 1666 dans l'abbaye de Royaumont.

 

Monsieur de La Meilleraye, grand maître de l'artillerie en 1634, maréchal de France en 1639, duc et pair en 1642. — C'est l'un de ces- hommes de guerre à qui le cardinal de Richelieu confia les entreprises les plus importantes, pour une raison des plus délicates, étrangère à la valeur militaire, le fait qu'ils étaient ses parents. Il faut bien le reconnaître, vers la fin de sa vie, la plupart des commandants d'armée sont des membres de sa propre famille : La Meilleraye, Brézé, le comte d'Harcourt, le comte de Guiche, le duc de La Valette, bientôt après le marquis de Brézé, enfin, le duc d'Enghien. On dirait que le ministre cardinal n'avait de nièces et de cousines que pour les marier aux personnages du Royaume ambitieux des hautes charges militaires. N'en doutons pas : pour lui, un titre prime tous les autres, la fidélité. C'est, d'ailleurs, un trait habituel au gouvernement des prêtres : lés faveurs à la famille. Le célibat cherche parmi les siens la sécurité du dévouement garantie par l'intérêt. Le régime royal français ne repose-t-il pas lui-même, comme le système féodal, sur le privilège du sang, la loi du système étant le groupement familial résultant de l'hérédité ?

Les faits sont là et la fortune de La Meilleraye est un symbole. Charles de La Porte, petit-fils de l'avocat La Porte, est le cousin de Richelieu. Sa fortune grandit avec celle du cardinal : capitaine des gardes de Marie de Médicis, chevalier de l'ordre, gendre du maréchal d'Effiat, héritant de celui-ci la charge de grand-maître de l'artillerie... et le reste. Parenté et alliance décident de tout.

Bon militaire, d'ailleurs, et qui en valait un autre : Grand assiégeur de villes, dit Tallemant, mais n'entendant rien à la guerre de campagne, brave, fanfaron, mais violent à un point étrange[143]. Le plus incompatible de tous les hommes, sans doute parce qu'il se sentait appuyé, il trouva moyen de se brouiller à mort avec les autres commandants, même avec le plus sûr des amis de Richelieu, le cardinal de La Valette. On le soutenait envers et contre tous.

Le beau moment de cette vie fut la prise de Hesdin en 1639. La ville, assiégée par l'armée que commandait La Meilleraye, avait capitulé en présence du Roi. Celui-ci décida qu'il entrerait par la brèche : Il monta à cheval, écrit Puységur, et nous tirâmes droit à la ville, où, étant parvenus, il descendit de cheval et, s'appuyant de la main gauche sur mon épaule et da la droite sur M. de Lambert, nous passâmes le pont et il monta par la brèche, sur laquelle l'attendoit M. le Grand Maitre, qui le prit sous les aisselles et l'aida à monter, tandis que nous le soutenions, M. de Lambert et moi ; où étant, il se tourna vers moi et prenant la canne que j'avois entre mes mains, il dit à M. le Grand Maitre : La Meilleraye, je vous fais maréchal de France ; voilà le bâton que je vous en donne ; les services que vous m'avez rendus m'obligent à cela ; vous continuerez à me bien servir. Le Grand Maitre, ayant reçu la canne, se jeta aux pieds du Roi et lui dit qu'il n'étoit pas digne de cet honneur, qu'il ne l'avoit pas mérité... Trêve de compliments, reprit le Roi ; je n'en ai pas fait un de meilleur cœur que vous[144].

La correspondance de Richelieu adressée à La Meilleraye prouve avec quel soin le cardinal guidait son parent parmi les difficultés de la Cour et 'de la carrière. Curieux manuel de l'art de se pousser en famille. Le ton est paternel, quelque peu familier et parfois rude ; grandes précautions pour éviter les ruades de susceptibilité ombrageuse auxquelles l'homme se livre à la moindre piqûre. On voit que Richelieu a reconnu en lui de la fougue, un grand orgueil avec une capacité médiocre. Il le câline, le tempère, le guide, l'assagit, le flatte en le morigénant : Souvenez-vous que la gloire d'un général est à prendre les villes, à subsister longtemps avec gloire dans le commandement, et non pas à faire des actions téméraires qui payent leur hôte tout d'un coup.

C'était le contrepied des idées de Richelieu, qui se plaignait plutôt, nous l'avons vu, du manque d'hommes entreprenants ; mais le cardinal savait ce qu'il pouvait attendre du preneur de villes, bon à mener un siège[145].

Ce conseil de ne pas se risquer à des coups de main mal réfléchis, le cardinal le renouvelle sans cesse : Je vous conjure de nouveau de faire le général d'armée et non le soldat et, qui plus est, un mot plus court que vous pouvez deviner sans que j'écrive (sans doute le fol). Ayez soin de vous : je vous recommande encore une fois, et pour la conservation de votre personne et pour votre honneur, que vous perdriez aussi bien en vous faisant tuer mal à propos, que d'autres le perdent en conservant leur vie sagement. Ces conseils vont jusqu'à une sorte de naïveté, qui était à la mesure de l'homme auquel ils s'adressaient. Au cours d'une longue instruction, où le plus minutieux détail est abordé, il observe : Une des choses à quoi il faut autant prendre garde, est à prendre si avantageusement son champ de bataille que le canon des ennemis n'y puisse offenser nos gens, et loger si bien notre artillerie que les ennemis ne s'en puissent garantir. Je sais bien que cela est difficile en beaucoup de lieux ; mais je le remarque seulement afin que, s'il se peut, M. le Grand Maitre ne s'en oublie pas[146]... Si, après cela, le grand maitre ne sait pas se servir de ses canons !

En l'année 1642, La Meilleraye, flanqué de Turenne comme lieutenant général, commande l'armée du Roussillon en la présence du Roi et du cardinal ; ensuite on lui donne le maréchal de Schomberg comme adjoint. Ce ne fut pas sans humeurs et cris de l'homme incompatible. Dans l'ensemble, la campagne réussit. Le grand preneur de villes prit Collioure, Perpignan, Salces, qui restèrent finalement à la France.

 

Monsieur le Comte de Guiche. — Antoine de Gramont ; encore un allié de Richelieu. Le 28 novembre 1634, au Petit-Luxembourg, le cardinal maria trois de ses cousines, Mlles de Pontchâteau[147] et Mlle Du Plessis-Chivray. Les deux premières épousaient, l'une le duc de La Valette, l'autre le duc de Puylaurens[148], ce Puylaurens dont elle devint veuve dès l'année suivante et qu'elle remplaça par Henri de Lorraine, comte d'Harcourt. La troisième épousait le comte de Guiche. Celui-ci, qui reçut le bâton de maréchal en 164.1 et fut créé, sous Louis XIV, duc de Gramont et pair de France, n'était, certainement pas un de ces capitaines habiles et expérimentés sur lesquels pût s'appuyer efficacement le cardinal. L'histoire n'a guère retenu son nom qu'au sujet de la malheureuse bataille d'Honnecourt, qu'il perdit le 26 mai 16162. Il commandait alors l'armée d'Artois-Picardie, qui lui avait été confiée pour secourir La Bassée, et le comte d'Harcourt en commandait une autre dans la même région. Les contemporains se sont étonnés de la perte de cette bataille et se sont demandé si Guiche n'était pas de connivence avec le cardinal pour prolonger la guerre et faire en sorte que le Roi ne pût pas se séparer de son ministre, au moment où la lutte était engagée contre Cinq-Mars. Cette insinuation n'est assurément pas fondée. On a cité, il est vrai, une lettre de Richelieu datée du 6 juin, si pleine d'indulgence pour le comte de Guiche qu'elle peut, à la rigueur, éveiller quelque doute. Tout bien pesé, il est plus naturel d'admettre que Richelieu avait pour parti pris de ne pas abandonner les siens, même et surtout dans le malheur[149].

 

Monsieur de Guébriant. — Guébriant ! Le premier apparu de l'équipe nouvelle. Nous avons dit ses origines bretonnes, ses débuts si pénibles, son caractère si noble, sa distinction si française. Pour les hauts emplois, c'est Richelieu qui l'a deviné, choisi. Louis XIII, mal impressionné par des riens, ne l'aimait pas.

Jean de Budes de Guébriant avait trente-cinq ans, lorsque en mars 1637 il fut question de remplacer par lui, en Valteline, le meilleur général du temps, le duc de Rohan. Richelieu écrivit à Chavigny : En faisant le tour de ceux qui peuvent utilement remplir ces charges, je ne vois pas de gens qui puissent mieux y faire que Dannevoux et Guébriant... Peut-être le Roi aura-t-il quelque aversion en ce qui regarde Guébriant, mais, après avoir réfléchi, on trouvera certainement qu'il est fort bon à servir là et qu'il a ambition pour cela.

Cette vie exemplaire a été écrite par le vicomte de Noailles[150]. A peine est-il nécessaire d'en relever quelques étapes, quelques traits significatifs. Guébriant est un des premiers généraux qui commencent à manœuvrer. Il prévoit, organise, accumule d'avance des ressources, artillerie, vivres, transports, aux points où il sait qu'il doit agir. La part glorieuse qu'il prend à la conquête de Brisach le met en pleine lumière. Quand Bernard de Saxe-Weimar vient à mourir, Guébriant assure à la France la fidélité des troupes de la Ligue. En 1640, il est mis à la tête de l'armée d'Allemagne. Inutile de le flanquer d'un surveillant : sa fidélité est assurée. Sublet de Noyers lui écrit, le 25 avril 1640, sur un ton affectueux et libre : Je dois cette marque de souvenance à votre chère amitié pour vous dire que vous êtes aimé et estimé par deçà autant que vous pouvez le désirer, et que j'ai vu des sentiments si avantageux pour vous dans l'esprit de. Son Éminence qu'il n'y a rien à désirer.

La victoire, terriblement disputée, qu'il a su gagner (29 juin 1641) à Wolfenbuttel en décidant les troupes à se battre, est la consécration de son mérite vraiment unique. Ce fut, à l'adresse du vainqueur, un concert de louanges : De ce grand combat, il est revenu avec autant de gloire que d'utilité. — On lui a obéi par pure estime de ses mérites. Sublet de Noyers écrit encore : Ç'a été M. de Guébriant qui a commandé l'armée de Suède et la nôtre le jour du combat de Wolfenbuttel où, par sa valeur et sa bonne conduite, les alliés du Roi ont remporté les avantages que vous savez. Les chefs les plus estimés de la ligue protestante, Wrangel en tête, se prononcent pour que lui soit remis le commandement unique sur les troupes alliées. Au moment où tout parait perdu en Allemagne, tout est maintenu par lui. Chavigny lui adresse, en octobre 1641, une lettre où la raison des nouveaux choix se précise : non plus la faveur, mais le mérite ; non plus une fidélité douteuse, mais la solidité du devoir accompli.

Guébriant est mis au premier rang, mais le solide Breton ne se paye pas de mots. Il ne conservera son commandement que si on lui assure les troupes et les ressources nécessaires pour achever cette campagne si lestement redressée par lui. On lui donne satisfaction, et il gagne la bataille de Kempen. Il reçoit le bâton de maréchal. Nouveaux éloges du Roi (30 mars 1642).

Autres lettres, mais signées psi. Mazarin. Richelieu est mort. Le nouveau ministre fait part en ces ternies, de la triste nouvelle : Il m'est impossible de vous exprimer l'excès de regret que j'ai, comme je ne doute point aussi que le vôtre soit extrême. Il est certain que le Roi ayant estimé ses services au dernier point et ayant eu pour lui une affection telle qu'il le méritoit, a ressenti tout le déplaisir possible de cet accident ainsi qu'il a témoigné à tout le monde de vive voix et par écrit...[151] Je ne puis, écrit ensuite le nouveau cardinal ministre, tourner les yeux du côté de l'Allemagne que je ne vous considère comme celui qui commande une armée qui est le bras droit de Sa Majesté et le rempart de ses États.

Le Roi meurt ; le règne s'achève. Le 24 novembre 1643, Guébriant tombe à son tour, frappé d'un coup de canon devant Rothweil. Avant d'expirer il a demandé : La place est-elle prise ?... Elle capitule au moment où il succombe.

D'Avaux lui avait écrit après Kempen : Vous avez plus assuré la paix que moi. Rappelons sa devise déjà citée : D'autre vaillant que l'honneur !

 

Monsieur de La Mothe-Houdancourt. — Un soldat de la vieille école ; ainsi le définit le cardinal de Retz, qui l'avait approché au plus près pendant la Fronde : Le maréchal de La Mothe, dit-il, avoit beaucoup de cœur. Il était capitaine de la seconde classe ; il n'étoit pas homme de beaucoup de sens. Il avoit assez de douceur et de facilité dans la vie civile. Il étoit très utile dans un parti parce qu'il y étoit très commode. Ce que dit Retz par un retour sur sa propre querelle, on peut le dire des affaires en général : La Mothe était un serviteur très commode. Richelieu le connaissait, le jugeait, le retenait et l'employait en raison de sa commodité.

Il fit presque toutes ses campagnes en Italie et en Espagne, là où les manœuvres ne furent possibles qu'au génie de Bonaparte. Sur l'un et l'autre terrain, il suffisait, dans les circonstances ordinaires, d'avancer pied à pied, ville à ville. Il s'agissait surtout de tenir, de ne pas reculer. Soutenu par Sublet de Noyers, La Mothe-Houdancourt se tirait de ces taches très honorablement. Il se fit une spécialité des affaires de Catalogne et, nommé vice-roi en 1643, il s'accrocha à ce terrain militaire et politique mouvant, — aussi bien et mieux peut-être, que ne firent, cent cinquante ans plus tard, les lieutenants de Napoléon. On le désignait donc, tout naturellement, pour y commander l'armée en 1642. Mais cette année ne lui fut pas favorable il eut son désastre, Lérida. Comble de l'infortune, on le chansonna et, finalement, on l'emprisonna à Pierre-Encise, d'où il ne sortit qu'après quatre ans par un jugement qui lavait son honneur sans grandir sa capacité. Il fut quelque peu mécontent, à juste titre ; il se jeta dans la Fronde, mais sans s'y attarder ; et bientôt se rangea à son devoir. Calmé par l'expérience et le malheur, il fut nommé de nouveau gouverneur de Catalogne et se rendit utile jusqu'en 1657, année de sa mort.

 

Monsieur de Bouillon. — Frédéric-Maurice de La Tour d'Auvergne, duc de Bouillon. Il était le fils de ce maréchal de Bouillon, grand personnage dans le parti calviniste et dont nous avons dit le rôle dans la première partie du règne de Louis XIII[152]. La principauté de Sedan était entrée dans la famille par le mariage du maréchal avec une La Tour d'Auvergne. On assure que le père, en mourant, aurait fait à ses deux fils, le nouveau duc de Bouillon et le vicomte de Turenne (notre grand Turenne), cette recommandation en trois points n'abandonner jamais la souveraineté de Sedan, demeurer fidèle à la religion réformée, ne se brouiller à aucun prix avec le roi de France.

Frédéric-Maurice, homme intelligent, instruit, appliqué, excellemment préparé à l'art militaire par son oncle, le prince d'Orange, mais passionné, sentimental, influençable, versatile, se trouva prendre exactement, au cours de sa vie, le contrepied des conseils de son père : il se convertit à la religion catholique ; il participa aux intrigues, aux complots, aux conjurations contre le Roi et le ministre ; et finalement il perdit Sedan.

Le fait que Richelieu le désigne en 1642 pour commander l'armée d'Italie relève du système adopté par le cardinal à l'égard des princes voisins de la France, reliés à la France par des liens soit de vassalité, soit de nécessité politique ou économique, et qui, malgré tout, se maintiennent en état de demi-hostilité à l'égard du Royaume : tels les Savoie, les Lorraine. Confier les armées royales à ces voisins suspects et boudeurs lui paraissait tille nécessité d'État. Faisait-il ce calcul profond que, pour gagner. Sedan et Nancy, il fallait jouer les deux jeux, caresser et sévir, user à la fois de la douche chaude et de la douche froide ? Pensait-il qu'il fallait courber ces princes pour les réduire, les combler pour les séduire ?... Ces combinaisons à longue évolution et à brusque détente étaient dans la manière du temps, dans la manière surtout de ce prodigieux intuitif qu'était le cardinal. Le temps entrait dans ses calculs. Ajoutons qu'une telle procédure ne manquait pas de hardiesse : en approchant de lui ces hostilités voilées mais farouches, il jouait sa vie, la dague près du cœur.

Sans revenir sur les circonstances antérieures, il suffit de rappeler le rôle double que Bouillon avait joué au temps où le comte de Soissons et le duc de Guise s'étaient réfugiés chez lui, à Sedan et, appuyés sur lui, avaient monté contre Richelieu cette  machination redoutable qui avait eu sa catastrophe à La Marfée. Au lendemain de cette journée tragique, Bouillon était venu à Paris se jeter aux pieds du Roi et, après un émouvant dialogue, avait signé en pleine liberté, à Sedan, la formule du pardon demandé et consenti : M. le Duc de Bouillon étant venu très humblement supplier le Roi de vouloir lui pardonner la faute qu'il a faite de se séparer de la fidélité et de l'obéissance naturelle qu'il lui doit, traitant avec les Espagnols et prenant avec eux les armes contre son service en considération de Monsieur le Comte de Soissons, déclare : Je promets au Roi de satisfaire fidèlement aux conditions exprimées ci-dessus, en considération desquelles il plais à Sa Majesté de me pardonner. Fait à Sedan, cinquième jour d'août 1641[153].

Le Roi avait accordé les lettres d'abolition et c'est alors qu'on avait offert à cet homme, plus que suspect, le commandement de l'armée d'Italie. Il avait accepté, le tout se passant de part et d'autre fort galamment.

Or, au même moment, le duc s'engage dans la conjuration de Cinq-Mars. Il n'ignore rien des tractations avec l'Espagne. Il n'en prend pas moins en Italie son commandement ; il s'applique à préparer son armée ; il rétablit la discipline ; en digne capitaine, il entraîne ses troupes à la prochaine campagne contre cette puissance dont, au même moment, il réclamait l'appui. Quelles étaient ses intentions ? ses calculs ? Le parti spéculait-il sur la maladie du Roi, sur la mort qu'on disait prochaine du cardinal, mort que l'on était prêt à hâter par un assassinat ?... Et c'est parmi ces affreuses traîtrises que vivait, que se mourait le grand cardinal !

La mystérieuse révélation du traité avec l'Espagne décide le Roi, incertain jusque-là Il ordonne l'arrestation des coupables. On met la main sur Bouillon. Cinq-Mars est décapité. Bouillon rachète sa vie par la cession de Sedan. Mazarin prendra possession de la principauté au nom du Roi le 20 septembre.

Richelieu meurt. Le duc impénitent, se jette dans la Fronde. Il jouera de nouveau la partie et la perdra de nouveau : Sedan appartiendra à la France.

 

Monsieur du Hallier. — François de Vitry, comte de Rosnay et du Hallier, plus tard maréchal de L'Hôpital. Il était le frère du maréchal de Vitry, l'exécuteur du maréchal d'Ancre ; il dut sa fortune à la faveur de Louis XIII, qui n'oublia jamais le service à lui rendu par ce coup, auquel François avait d'ailleurs participé. Il fut fait capitaine des Gardes à -cette occasion.

Du Hallier se distingua, au cours du règne, par de bons services militaires, sans rien de véritablement supérieur. Tallemant, qui l'a connu, le peint en passant, à propos des étranges aventures arrivées à sa femme, Charlotte des Essarts : C'est, dit-il, un homme d'humeur douce, sévère à ceux qui s'en font accroire et qui a empêché le désordre quand il a eu l'autorité... Vieillard qui n'a pas mauvaise mine, mais qui ne l'a pas fort relevée ; génie assez médiocre en toutes choses.

Richelieu l'inscrivait sur la liste de 1642, avec l'intention de le donner comme second à Guébriant aux armées d'Allemagne ; mais le projet ne se réalisa point. Peu s'en fallut que du Hallier ne fût enveloppé dans la disgrâce de sa femme, Charlotte des Essarts, qui avait été jadis la maîtresse de Henri IV, dont elle avait eu deux filles qui devinrent, l'une abbesse de Fontevrault, l'autre abbesse de Chelles. Maîtresse par la suite du cardinal de Guise, dont elle avait eu aussi plusieurs enfants, elle restait attachée à la maison de Lorraine, affirmant que le mariage avait eu lieu. Toujours dans les mêmes sentiments, elle était à la cour l'avocate de la maison de Lorraine, en particulier du duc Charles, et c'est sur les avis de cette femme que le dût, après avoir signé son traité avec le Roi, s'était soudainement dérobé.

Cette intrigue de cour, d'ailleurs des plus embrouillées, eut, comme tant d'autres, de l'influence sur les affaires générales et sur les choix des personnes, même dans le militaire. La fortune toujours inquiète de Richelieu, ne reposant que sur la faveur du Prince, devait tenir compte de tout.

C'est sans doute après s'être assuré de la fidélité de M. du Hallier et pour le compromettre à jamais aux yeux de ses adversaires, que le cardinal l'avait mis à la tête de l'armée opérant en Lorraine contre le duc Charles. Mission de confiance, s'il en fut. Du Hallier avait à enlever toutes les places du Duché et notamment cette forteresse refuge de La Mothe, après la prise de laquelle il ne restait plus au duc, selon la parole de Richelieu, même une motte où reposer sa tête !

 

Les choix suprêmes de Richelieu.

Les dernières années de la vie du ministre furent un temps d'épreuves sans précédent. Le nom de M. du Hallier clôt la liste des chefs élus pour le commandement des armées en vue de la campagne de 1642. Il semble bien que le cardinal tient en réserve, pour la partie décisive qui va se jouer, d'autres noms présents en son esprit ? C'est ce qu'il faut essayer de découvrir maintenant.

La guerre ne finissait pas ; la victoire fuyait insaisissable ; l'argent ne rentrait plus ; les peuples étaient à bout ; les provinces se soulevaient[154]. Le complot de Cinq-Mars, le nombre des conjurés, l'inquiétant silence du Roi, quel terrible avertissement. Quelle issue incertaine à tant de travaux !

Les hommes et les choses, tout se dressait contre le ministre ; la misère publique et la conjuration partisane poussaient ensemble à sa chute, sans que la fin eût couronné son œuvre. Les armées fondaient sur le vaste cercle qu'elles s'épuisaient à maintenir. Les ennemis attendaient leur triomphe de la chute imminente du ministre. Chavigny écrivait que partout, en Angleterre, en Hollande, en Espagne, on croyait le cardinal perdu et la France perdue avec lui[155].

Richelieu, malade à Tarascon, loin des affaires, loin du Roi ! Et le Roi malade aussi à Fontainebleau ! Point de lendemain assuré, sous un ciel noir d'un orage de calamités !

Que faire ? Frapper un coup, obtenir à tout prix un succès éclatant, retourner la fortune et les esprits. Un miracle ! Un miracle ! cela n'était pas au-dessus de l'optimisme de ce tenace mourant. Le cardinal écrivait, le 22 juillet, à ses confidents : Il semble que Dieu dispose toutes choses à un grand bien pour la France.

Des hommes qui avaient été les compagnons de sa vie, le plus grand nombre, amis et adversaires, avaient disparu. La Reine mère, Marie de Médicis, venait de mourir à Cologne, le 3 juillet L'esprit de la nation, sinon celui de la Cour, se transformait. Pourquoi n'espérerait-on voir apparaître un autre courant apportant avec lui des hommes nouveaux, des jeunes ? En effet, ils arrivent. Mais, à qui seront-ils ? A qui s'attacheront-ils ? Que vaudront-ils pour ce qui importe le plus, la fidélité ?

La campagne de 1643 doit être décisive. Il faut qu'elle soit menée à fond. Ne se tromper ni sur les choix ni sur le but. L'Espagne succombe.

Le cardinal, cloué sur son lit de douleur[156], avait profondément réfléchi à tout cela : s'attacher des fidélités rajeunies, si possible des hommes frais, éloignés de l'intrigue, telle était sa pensée suprême. L'affaire de Cinq-Mars, en mettant les dévouements à l'épreuve, lui avait été à lui-même un sanglant coup de fouet.

Dès le mois de septembre 1642, il demande au Roi de mettre toute son application à former des armées pour la campagne prochaine et à leur choisir des chefs.

Ces chefs sont, d'ailleurs, sous sa main. Il les tonnait à fond ; il les a d'ores et déjà signalés[157].

Une place unique est faite à Guébriant. Il a succédé à Bernard de Saxe-Weimar ; il commande l'armée d'Allemagne. Et de quel accent le cardinal s'adresse à lui dans une de ses dernières lettres, écrite le 23 juillet de Tarascon : Il le remercie des témoignages d'affection qu'il a reçus de sa part, l'assure de son estime, de son amitié. On compte sur lui. On peut compter sur lui.

En Catalogne et en Roussillon, c'est Brézé neveu du cardinal ; c'est La Mothe-Houdancourt, son parent, flanqué de La Meilleraye et du fidèle Schomberg. On enverra bientôt un homme nouveau, Turenne. En Italie, il n'y a rien à changer, écrit le cardinal au Roi : le duc de Longueville, homme pondéré, homme sûr, a remplacé Bouillon, dont la cause est pendante. Ce n'est pas là d'ailleurs, que la grande partie se décidera.

Reste à pourvoir aux deux commandements dont tout va dépendre. Il y faut à la fois le courage, la capacité, mais surtout, surtout, la fidélité. Or on s'est assuré de longue date un homme d'un mérite supérieur, dont il n'a pas pour ainsi dire été question jusqu'ici, mais dont Richelieu a fait un homme à lui, Gassion.

 

Gassion. — On connaît la vie de ce Béarnais, qui, en plus de ses qualités militaires à la Henri IV, eut le mérite rare d'une haute tenue morale faisant de lui le modèle des soldats, Mais ce que l'on tonnait moins, c'est le discernement avec lequel Richelieu l'attira vers le service du Roi et le nourrit, en quelque sorte, pour les circonstances décisives. Il le recueillit des mains de Gustave-Adolphe et du duc de Weimar, qui l'avaient formé, et il échangea dès lors' avec lui des propos d'homme à homme par lesquels ils s'attachèrent l'un à l'autre pour toujours.

En 1635, il l'envoie près de La Meilleraye avec cette note de Chavigny dictée par lui : C'est un homme qu'il faut bien traiter, parce que c'est presque le seul qui existe dans l'armée. Richelieu a envoyé auprès de Gassion un sous-ordre, M. de Roche, pour lui demander son dévouement ; Gassion a répondu : J'ai atteint le comble de la félicité, puisque j'ai appris que Votre Éminence me faisait l'honneur de me prendre entièrement à soi... Je proteste à Votre Éminence avec mûre délibération que j'ai attaché tous mes soins et mes services à ses intérêts et que je me dépouille de toute autre passion pour suivre celle que j'ai pour lui en donner les preuves infaillibles[158].

Ajoutons que l'union de ces deux natures supérieures fut sans défaillance. Richelieu écrivait au maréchal de Chatillon, après la perte de la bataille de La Marfée : Le Roi apprend toujours de nouveaux exploits de Gassion ; il en aura sans doute toute la reconnaissance possible ; moi, qui ne suis pas moins bien intentionné pour lui, j'en suis ravi. Et il avait coutume de dire : Gassion en viendra à bout ; il a trouvé le secret des choses qui semblent impossibles aux autres[159].

Quand éclata la terrible insurrection des Va-nu-pieds, qui mettait la Normandie à feu et à sang et Paris même en péril, ce fut à Gassion que l'on confia la cruelle et difficile mission de réprimer et de pacifier.

Cette lente incubation va fleurir et porter fruit en 1642.

Pour enlever le succès décisif qui est son aspiration suprême, l'homme mourant appelle Gassion. D'abord on l'enverra à Perpignan pour en finir avec ce siège qui ne finit pas. Mais, soudain, une autre urgence l'emporte sur celle-ci : Les affaires de Flandre et de Picardie exigent impérieusement votre présence, lui écrit le Roi... Vous vous rendrez incessamment auprès de ma personne pour apprendre mon intention et recevoir mes ordres. Sublet de Noyers ajoutait : Il y a des missions imprévues... M. le Cardinal m'a commandé de vous écrire et de vous conjurer, de sa part, de venir descendre chez lui pour vous les faire savoir. Il faut qu'elles soient bien fortes pour l'avoir fait changer ainsi, et très secrètes pour qu'il ne me les ait pas dites...

Il s'agissait d'un appel adressé à cette haute capacité, a ce sûr dévouement. L'affaire de Cinq-Mars battait son plein. Gassion a été mis au courant de tout. Il prend un commandement au point le plus exposé sur la frontière du nord, auprès du comte d'Harcourt : on l'a sous la main en cas d'accident.

A peine la campagne d'été finie, Gassion est de nouveau appelé à Paris. C'est alors que le dessein mûri de longue date se découvre : Son Éminence désire vous voir, lui écrit Sublet de Noyers ; hâtez-vous et ne perdez aucun moment. Mon cher ami, vous n'en avez pas de meilleur que moi ; je le cède toutefois à Son Éminence. Et il m'a parlé déjà plusieurs fois de vous avec tant de tendresse et de bonne volonté que je doute s'il en a plus pour qui que soit. Gassion, arrivé aussitôt, est reçu le 18 novembre par Richelieu. On lui confie le commandement sur cette même frontière, sous les ordres du jeune duc d'Enghien. Richelieu a pris toutes ses précautions ; la prochaine campagne sera le couronnement : Rocroi.

 

Fabert. — Le lieu, sinon le plus important, du moins le plus vulnérable, de conquête toute récente et encore bien précaire, c'est Sedan. On y envoie Fabert. Fabert, homme de peu par ses origines, est, tout comme Gassion, un homme de fidélité. Il avait été lié par le plus absolu dévouement à la famille du duc d'Épernon. Mais c'était un soldat : avec lui pleine et entière sécurité.

 

Turenne. — L'affaire de Sedan avait pu mettre en doute les sentiments de la plus haute valeur militaire du temps, Turenne.

Richelieu le connaît ; il l'a distingué depuis longtemps. Il ne doute pas que ses vertus ne soient justement à l'opposé des défauts de son frère Bouillon. C'est un esprit calme, réfléchi, pondéré, une haute conscience. Cependant il y a crise et tout peut arriver.

À peine était-il sorti de page, que le jeune Turenne, déjà remarqué, avait été envoyé dans les endroits où il fallait courage et capacité : auprès du duc de Weimar, que son arrivée va bien fortifier, auprès du maréchal de Brézé, car il a cœur et esprit. On veille à ce qu'il ne manque de rien, car on le sait pauvre[160]. Le cardinal lui adresse des lettres pleines d'affection et le fait assurer de sa tendresse quand il est malade : Monsieur, je suis extrêmement fâché de la maladie de M. de Turenne, l'estimant et l'aimant comme je le fais ; je vous puis assurer que son mal m'est plus sensible que je ne puis vous dire. Ses services le mettent au pinacle... Mais, encore une fois, sera-t-il fidèle ?

C'est alors qu'éclate la triste affaire du complot de Cinq-Mars : Bouillon engagé, arrêté, emprisonné, en passe du billot, comme Marillac, comme Montmorency, comme Cinq-Mars, comme de Thou... Turenne, qui n'a pas trente ans, est pris dans l'angoissant dilemme : d'une part, la cabale, son frère, Sedan ; d'autre part, la France, le Roi, Richelieu.

Second du comte d'Harcourt en Italie, il était malade, ayant épuisé ses forces au siège d'Ivrée. Par hasard il avait près de lui un conseiller admirable, Mazarin. Mazarin rentre à Paris et il apporte au cardinal de Richelieu, de la part de Turenne, les assurances d'un zèle et d'une fidélité à toute épreuve : J'apprends ici tous les jours comme les affaires du côté de Sedan s'aigrissent extrêmement et je vous supplie très humblement, Monsieur, de témoigner à Monseigneur le Cardinal combien je lui suis sensiblement obligé de l'honneur qu'il lui plan me faire de prendre tant de confiance en moi en une chose si importante. Je puis lui assurer que je servirai tant qu'il lui plaira, avec la même fidélité que j'ai toujours eue, sans que rien me puisse ébranler. Et Richelieu de répondre : Monsieur, l'état où M. de Bouillon s'est mis sans qu'on ait pu le divertir, me fait prendre la plume pour vous dire que sa mauvaise conduite ne peut préjudicier qu'à sa personne et que votre mérite m'est tellement connu que je n'ai point craint de m'en rendre caution envers le Roi, particulièrement sur les assurances que M. Mazarin m'a données de votre part. Je vous conjure de croire qu'il n'y a personne qui fasse plus de cas des qualités qui sont en vous que moi et qui désire davantage que vous en ajoutiez une nouvelle qui me donneroit tout lieu de vous témoigner par effets avantageux que je suis, etc.[161]

Turenne était, pour le moment, dans l'impossibilité de servir. Cependant on le destine pour la Catalogne, où il fera partie du groupe de généraux qualifiés qu'attire la présence du Roi et du cardinal. Le cap difficile est franchi : Turenne est acquis à la France.

En deux points de l'immense champ de bataille, la lutte entre la France et l'Espagne pouvait se décider soudainement : sur la frontière nord-est et sur la mer. Le cardinal avait réfléchi à cette double éventualité avec cette intensité de vue qui était la sienne : par la frontière du nord-est, l'ennemi, après les défaites subies par la France à La Marfée et à Honnecourt, pouvait renouveler la surprise de Corbie. En effet, on sut bientôt que Francisco de Mello, contournant les places du Nord, attiré sans doute par la proximité de Sedan, massait ses troupes pour pénétrer en Champagne par Rocroi, de manière à frapper la France au cœur par une marche sur Soissons et Paris. Redoutable offensive. Mais si on la brisait la victoire serait décisive.

D'autre part, la grandeur de l'Espagne dépendait, plus que jamais, de sa puissance sur la mer. Extrêmement appauvrie elle ne pouvait plus soutenir un effort militaire quelconque si les galères n'arrivaient pas, si le commerce avec les Indes et avec le reste du monde était suspendu, si les communications navales avec les Flandres et avec l'Italie étaient empêchées. Détruire les flottes de l'Espagne, c'était lui couper les veines.

Sur ces deux points vulnérables, l'un au nord, l'autre au sud, le moment était donc venu de foncer avec toutes les forces et toutes les ressources dont la France pouvait disposer. L'heure des lenteurs et des tergiversations était passée. Agir et réussir à tout prix ! Mais, pour agir, pour réussir, il fallait des chefs, des chefs résolus, entreprenants et sûrs, des hommes décidés à risquer, à jouer le tout pour le tout, des hommes ayant secoué cette demi-léthargie de la guerre larvée qui n'aboutissait à rien et qui devenait désespérante.

Ces chefs, Richelieu les avait discernés dans la foule des capitaines qui l'entouraient ; il se les était attachés, les avait préparés de longue main. Pour la fidélité, — moyen le plus sûr, — il les avait introduits dans sa famille. Parents, alliés, doublement hommes à lui et, en plus, hommes jeunes, hardis, tels ils étaient, tels il les avait triés sur le volet, mis en vedette, proposés au Roi. L'heure de ces hommes est sonnée.

 

Le Duc d'Enghien. — Toute sa vie, le cardinal avait vu se serrer contre lui, jusqu'à en être parfois gênant, le plus proche parent du Roi après Gaston, ce prince de Condé qui avait pris à honneur de se déclarer son partisan et qui, quels que fussent ses sentiments de fond, ne lui avait jamais manqué.

Henri de Bourbon, prince de Condé, était un militaire médiocre ; mais son fils, le duc d'Enghien, paraissait bien avoir hérité des vertus militaires de la race. Richelieu s'était penché sur cet adolescent au visage fin, aux yeux brillants, au masque aigu, au tempérament ardent.

Lors d'un voyage que le Roi fit en Bourgogne, dont Condé était gouverneur, on put apprécier le fils de Monsieur le Prince. Chavigny écrivait au père, en août 1639 : Je vous assure, sans flatterie, que ce sera un des plus honnêtes hommes du monde. Sublet de Noyers écrit en septembre : C'est une mûre jeunesse que celle de M. le Duc d'Enghien ; sa conduite a été toute pleine de prudence et de grâce ; je ne puis vous souhaiter rien de plus important que la conservation de ce jeune prince. Richelieu, enfin, au même moment : Je commencerai cette lettre par les bonnes qualités de M. le Duc d'Enghien, qui sont telles que vous en devez demeurer content. Il a beaucoup d'esprit, de discrétion et de jugement. Il est crû de plus de deux doigts et croîtra encore, autant qu'on peut juger, de beaucoup...

Évidemment, il y avait anguille sous roche. Six mois après, le il février 164.0, le prince de Condé lui-même écrivait à Richelieu, après un long éloge des services rendus par le cardinal à la Couronne : Ces raisons m'ont, depuis cinq ou six ans, fait désirer votre alliance et vous me la promîtes pour l'exécuter lorsque les âges seraient convenables. J'ai attendu ce temps avec impatience et, puisqu'il est accompli, je vous supplie de me faire l'honneur, avec la protection du Roi, que mon fils aîné recherche en mariage Mlle de Brézé votre nièce... Richelieu avait donc eu l'art de se faire prier. En fait, son vœu s'accomplissait.

Le 28 mai 1640, il mandait de Soissons à sa nièce, Mme d'Aiguillon : Je prie Mme d'Aiguillon de dire à Madame la Princesse que M. d'Enghien se conduit dans l'armée avec tout le témoignage d'esprit, de jugement et de courage qu'elle sauroit désirer... Vous lui direz encore que la guerre ne l'empêche pas de songer à l'amour ; il a sa maîtresse et avoit envoyé un gentilhomme pour l'aller trouver, lequel j'ai arrêté ici, me contentant de lui envoyer la lettre, ce que j'ai fait.

Le mariage fut célébré le 11 février 1641. En juillet 1642, le jeune prince était près de Richelieu à Tarascon. Il fut envoyé à l'armée qui assiégeait Perpignan. A la tête des milices du Languedoc, il s'y conduisit admirablement sous les yeux du Roi. Louis XIII aurait dit lui-même que le fils de Condé ne tarderait pas à gagner des batailles, quand on lui en donneroit les moyens.

N'est-ce pas là le général tout indiqué pour la frontière du nord ? Le 27 septembre, lorsqu'il est question d'arrêter les choix

pour la campagne de 1643, Richelieu est à Bourbon-Lancy, l'une des étapes de son voyage de retour. Avant de reprendre la route de Paris, il adresse cette lettre urgente à Chavigny et à Sublet de Noyers, qui sont auprès du Roi : M. d'Enghien étant parti d'ici pour s'en aller à Paris, j'estime qu'il est du service du Roi que MM. de Chavigny et de Noyers fassent souvenir à Sa Majesté de lui faire bonne chère, témoignant lui savoir gré de l'amas qu'il a fait de six cents gentilshommes pour Perpignan.

Sublet de Noyers entend à demi-mot. On s'arrange de façon que le Roi se souvienne. Le prince, qui a ses vingt et un ans, sera flanqué du maréchal de L'Hôpital et de l'incomparable Gassion, — Gassion la guerre ! Le choix de Richelieu décidera de la victoire sur lai frontière du nord-est.

 

Le marquis de Brézé, grand maitre des galères. — Maintenant, les affaires de la mer, importantes par dessus tout ! Déjà l'Espagne était prise à la gorge : la Catalogne occupée, la frontière des Pyrénées crevée des deux côtés. Et voilà — faveur imprévue de la fortune — que le Portugal entre en guerre pour ressaisir son indépendance : L'Espagne se trouve prise à revers. La grande offensive est en voie de réussite, quoique suspendue encore par quelques échecs cuisants : Tarragone, Lérida.

Tout, de ce côté, dépendait de la mer. La flotte française est reconstituée ; elle est prête à frapper les derniers coups. Que lui manque-t-il ? Un homme, un homme d'attaque, un chef entreprenant.

Ce Sourdis qui n'avait pas su reprendre les îles de Lérins, avait perdu tout le fruit de sa victoire de Guettari en se faisant battre à Tarragone. La flotte française, surprise, avait reçu de cruelles blessures. Est-ce qu'on allait en revenir aux lenteurs, à ce sommeil tactique dont on avait eu tant de peine à se réveiller ? Sublet de Noyers, Bullion menaient une campagne ardente contre cet étrange amiral, coutre cet archevêque de Bordeaux, l'homme le plus bâtonné de France.

Richelieu, secoué par une impatience fébrile, avait hâte de se débarrasser de tout ce vieux personnel, — pas sûr au fond. Et puis, la marine, c'était sa chose : le bénéfice des droits de bris et naufrages, l'ivresse des expéditions lointaines et profitables, la capture des galions, les grandes ambitions planétaires rivales des conquêtes espagnoles, anglaises, hollandaises, tout excitait son imagination de grand homme d'État qui ne négligeait pas ses propres affaires.

Or il avait sous la main ce jeune neveu, le marquis de Brézé, — futur duc de Fronsac et superintendant général de la navigation, — élevé, nourri par lui pour être un marin, non pas un marin de cour, un marin de fleuve ou d'évêché ; mais un marin

de liante nier. Et c'est ce que Brézé était en effet : dur, hautain, n'ayant peur de vent ni de tempête. Ses jeunes ans étaient un gage d'héroïsme. Sourdis fut sacrifié et Brézé prit le commandement de la flotte. La puissance sur nier allait être rendue à la France, sans sortir de la famille de Richelieu.

 

Richelieu sur son lit de mort assure le résultat de guerre.

Richelieu était en proie aux plus affreuses douleurs ; ses chairs coulaient par son anthrax au bras ; mais son cœur restait ferme, plus ardent, 'plus inquiet, plus impatient que jamais. Cependant, l'opposition, vaincue, refoulée, enragée contre ce moribond, ne désarmait pas. Il savait qu'elle attendait sa mort, prête à la hâter par un assassinat.

Averti de tout, surveillant tout, il bâtissait mille projets, tendu vers l'avenir, l'étreignant de sa main impuissante, s'emparant de l'espace et du temps. Mourant, il pensait à tout, sauf à la mort.

La prolongation épuisante et sanglante de la guerre était devenue contre lui, dans les mains de ses adversaires, une arme terrible ; la campagne de l'ennemi intérieur prolongeait, éternisait la campagne de l'ennemi extérieur. L'Espagne ne voulait pas s'avouer vaincue. Au cours de cette année qui ne finissait pas, il fallait se tenir debout et, dût-on risquer le tout pour le tout, en finir.

Cinq-Mars, exécuté depuis des mois ; ne voulait pas mourir. Il avait laissé derrière lui une queue d'intrigants, les Tréville, les Beaupuy, les Tilladet, les des Essarts, dont Louis XIII (pourquoi ? pourquoi ?) ne voulait pas se séparer. La faveur du Roi serait donc, jusqu'au bout, le tourment de cet homme qui n'avait été que l'homme du Roi ! Il n'obtiendrait donc jamais cette sécurité à laquelle il avait aspiré toute sa vie et qui seule lui mettrait en main l'achèvement certain de son œuvre et serait la fin de ses peines ! L'embûche était là encore, qui l'attendait à ce tournant, toujours la même !

Et le Roi, malade lui aussi ! S'il allait mourir ? Et la minorité ? Et la Régence ? Et cette Reine ?- Et ce Gaston ? Que d'amertumes pour les proches lendemains ! Et, autour du ministre moribond, ces parents maintenant riches, mais d'autant plus cupides, toujours quémandeurs, et qui ne veulent pas lâcher leur proie !

Et tout cela n'était rien. Il y avait la grande chose, la chose de toute une vie, la justification et le couronnement de cette dure et longue guerre : l'œuvre ! Devait-on désespérer de la mener à bonne fi m, alors qu'on la voyait presque achevée et qu'on sentait bien que le crépuscule allait se changer en aurore ?

N'y tenant plus, le cardinal-ministre prit son parti : à l'article de la mort, il joua auprès du Roi mourant le tout pour le tout et risqua une fois encore, le coup de la démission.

Quatre fois, cinq fois il dicta, corrigea, fit copier et recopier la note qui posait au Roi l'ultime dilemme : moi ou mes adversaires, l'effort suprême ou la paix d'abandon. Il s'agissait, en apparence, de cette suite de Cinq-Mars dont le Roi ne voulait pas se laisser épouiller ; en réalité, ce qui était en question, c'était la pensée de toute une vie, l'œuvre !

Donc, procès de la coterie de Cinq-Mars ; nouveau procès de ce mort, Cinq-Mars ; procès du Roi, car, c'est le Roi lui-même, qui est interpellé ; c'est à sa conscience, à sa foi que l'on s'adresse : Après avoir fait trancher la tête à M. le Grand (ce sont les propres termes de la sommation), retiré Sedan des mains de M. Bouillon, privé Monsieur de l'autorité dont il a plusieurs fois abusé et avec laquelle il pourroit se rendre très préjudiciable à l'État, il est de la prudence du Roi d'affermir tellement la subsistance de son conseil dans l'esprit des peuples et pareillement des étrangers, que tous perdent la pensée qu'ils ont eue qu'il puisse arriver du changement en la conduite de la France (27 octobre 1642)[162].

Cest donc bien la question politique générale qui est en cause. Le Roi fléchira-t-il au dernier moment ? Succombera-t-il sous la pression de cet effort prolongé ? Se ralliera-t-il au parti de la coterie survivante, au parti de l'Espagne, au parti de la Reine, au parti qui, depuis dix-huit ans, n'a travaillé qu'à renverser le cardinal et à pousser la France dans l'anarchie, dans l'abîme ? L'œuvre ! L'œuvre !

Le Roi reçoit le mémoire et ne répond pas.

Le papier, litron sur le manuscrit, fut présenté au Roi par le cardinal cinq jours avant la Toussaint. Sa Majesté le reçut sans aigreur ; et cependant, parce qu'elle différoit d'y prendre une bonne résolution avantageuse à son service, le cardinal fut contraint de lui faire présenter, le lendemain de la Toussaint, celui qui s'ensuit. Nouveau mémoire par lequel le cardinal fait connaître au Roi, qu'il n'est pas obligé de désirer la continuation d'un emploi où il ne sauroit bien faire, ni de demeurer en un lieu où il n'auroit pas sûreté de sa personne.

Silence du Roi.

Le 13 novembre, nouveau mémoire au Roi. Et l'on aborde la vraie question : l'œuvre ! L'œuvre sera-t-elle abandonnée, oui ou non ? Que veut le Roi ? Où va le Roi ? Sa Majesté est très humblement suppliée de mettre franchement ses intentions au pied de ce mémoire. Elle est aussi suppliée d'y vouloir ajouter les conditions auxquelles elle se veut relâcher pour faire la paix, afin que, si la guerre continue parce que les Espagnols ne seront pas assez raisonnables pour y consentir, il y ait de quoi justifier que leur seule injustice empêchera la paix et non pas la conduite du cardinal, qui suivra toujours très religieusement les intentions du Roi.

Bref, le cardinal entend qu'il soit déclaré, par parole royale, si c'est lui, comme on l'en accuse, qui veut la prolongation de la guerre pour lui-même ou s'il la veut pour la France ?...

A la troisième sommation, le Roi consent à sortir de son mutisme et il répond par écrit.

Pour ce qui est de la paix, il faudroit que je m'exposasse à la risée du monde et que je donnasse lieu à mes ennemis de me faire de nouveau la guerre quand bon leur sembleroit, s'ils ne payoient les dépens de celle qu'ils m'ont contraint de leur faire.

Il ne faut point parler de rendre la Lorraine, Anvers, Hesdin ni Bapaume, Perpignan et le Roussillon, Brisach et les places de l'Alsace qui conjoignent la Lorraine. J'ai acquis Pignerol à titre trop légitime pour penser jamais à le rendre. Le rétablissement de mon neveu le duc de Savoie est trop juste pour que jamais je puisse consentir à la paix sans qu'il soit fait.

Ces conditions accordées, je serai bien aise qu'on trouve toutes les inventions qui se pourront pour faciliter une paix générale en laquelle je ne puisse, en aucune façon, me séparer de mes alliés.

Paroles vraiment royales. La guerre n'a pas été en vain. Le cardinal peut aborder avec confiance cette année1t643, qui tranchera le nœud gordien. Sûreté du côté du Roi, bannissement des derniers survivants de la coterie, déclaration des plus sévères contre Gaston, fidélité aux alliés !

C'est l'œuvre, l'œuvre tout entière confirmée, assurée, accomplie ! L'abaissement de l'Espagne, la ruine des grands, l'achève-nient des frontières françaises, la Lorraine, l'Alsace, le Roussillon... Richelieu peut, enfin, laisser tomber cette phrase : IL FAUT QUE L'ITALIE SENTE, AUSSI BIEN QUE TOUS LES AUTRES ÉTATS DE LA MAISON D'AUTRICHE, QUE LE CHAPELET DE L'ESPAGNE EST DÉFILÉ[163]. Cette année 1643, l'année des jeunes chefs qu'il a su choisir, l'année de Rocroi, va décider...

Le cardinal ne la verra pas. Le 4 décembre 1642, il était mort.

 

 

 



[1] Testament politique, IIe partie, section IV. Édition elzév., p. 308.

[2] Avis adressé au Roi après la révolte de Soubise, publié dans Les sentiments illustres de quelques grands hommes d'État et de très prudents ministres, Paris, Pierre Le Gros, 1686, petit in-12°.

[3] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. I, p. 489 et suivantes. — Même en 1630, au début de l'affaire de Pignerol, Richelieu se plaint qu'il n'y ait aucune organisation militaire pour le temps de guerre. Ibid., t. III, p. 683, 731, etc.

[4] Voir les études approfondies dont le ministre fit un recueil conservé aux Archives des Affaires étrangères, et publiées ou analysées dans Lettres du Cardinal de Richelieu, par M. Avenel.

[5] Adrien Pascal, t. II, p. 13.

[6] La montre était la revue où se faisait le paiement de la solde, par extension elle désigna la solde due à chaque homme.

[7] Archives de la Guerre, t. LXVI, n° 497, cité par Gaillet, 2e édit. t. II, p. 151. Le passage et le logement des gens de guerre étaient de véritables calamités pour le peuple au temps de Richelieu. Rien de plus précis à ce sujet que le travail de M. Meignan : Les anciens registres paroissiaux, paru dans la Revue des questions historiques, année 1879, p. 157. Nous ne donnerons qu'un court extrait, de cette précieuse documentation empruntée au Registre du curé de Thorigny (Yonne), pour les années postérieures à l'ordonnance de 1629 : 1632, Régiment du marquis d'Arnault. Il incendie Grandie, paroisse voisine et brûle vingt-deux maisons et douze granges. — 1635. Deux compagnies de cavalerie à Thorigny, ils ont logé deux nuits, fait grande dépense. Ils avoient-deux aumôniers, quantité de noblesse, quantité de harpaille et mange-pain. — 1637. Ils ont logé ici, fait bonne chère, battu et menacé leurs hôtes et, encore, a-t-il fallu donner cent vingt-cinq écus. — Le 9 juin, on refuse d'ouvrir les portes aux soldats : ils gâtent quantité de blés par malice, ils entrent dans la ville et les habitants pour leur désobéissance, donnent cent cinquante écus. Les gendarmes volent partout... Mêmes notes pour 1639, etc.

Voir aussi, entre mille autres faits significatifs, le récit que fait Campion, dans ses Mémoires, de l'incident entre sa troupe demandant le logement à Bu, dans les environs d'Anet, et les bourgeois de la ville le refusant. On faillit en venir aux mains et les choses ne s'arrangèrent que grâce à la sagesse de Campion. Le général de Grimoard apprécie l'incident en ces termes : Cette affaire embarrassante prouve qu'il n'y avait alors ni subordination ni police ; qu'on n'obéissait à une autorité quelconque que quand on ne pouvait faire autrement et que le peuple n'était pas moins porté à la mutinerie que les grands. Cet ordre de choses, auquel les historiens ne font pas assez d'attention, ne laissait d'autre moyen au cardinal de Richelieu, pour rétablir la paix publique, que de faire dominer l'autorité royale ; et, comme il jugea que les expédients doux échoueraient, il crut devoir en employer de terribles, surtout à l'égard des grands, dont la plupart étaient, d'ailleurs, ses mortels ennemis. Mémoires d'Henri de Campion, Edit. 1807, p. 77.

[8] Pour attester cette application de tous les instants, on pourrait multiplier indéfiniment les renvois aux papiers d'État de Richelieu. — A titre d'exemple, voir au tome V des Lettres, p. 3, l'Abrégé du contrôle général de toutes les années du Roi qui est ci-après tout au long, avec les annotations précises, toutes de la main du cardinal, notamment le paragraphe si important relatif aux vivres, cinq cents chariots pour quinze mille hommes, etc., qui se trouve à la page 6. — Voir aussi : Contrôle général pour 1636, p. 723 et suivantes.

[9] Prenons au hasard les étapes de la carrière militaire de Puységur : Le Roi me promit de me donner la première enseigne ; ce qu'il fit dix-huit mois après que je fus entré dans la compagnie des mousquetaires. J'ai demeuré dans cette charge d'enseigne depuis l'an 1621 jusqu'en 1631... Je vendis l'enseigne à M. de Commines en l'année 1631 pour acheter la compagnie de M. d'Anton, capitaine au régiment de Piémont et la charge de major au même régiment, que j'achetai de M. de La Roche, capitaine des gardes de M. d'Épernon. Mémoires de Puységur, édit. Tamisey de Larroque, 1883, t. I, p. 48.

[10] Voir, entre autres preuves, le passage si formel de la lettre de Richelieu à l'abbé de Coursan, qu'il envoie, en juin 1635, porter ses instructions au maréchal de La Force : L'appréhension d'aller en Allemagne aux nouvelles troupes est telle qu'on ne les y peut conduire sans en perdre la moitié. Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. V, p. 45. — Cfr. Vicomte de Noailles, Le Maréchal de Guébriant, p. 280.

[11] Vicomte de Noailles, p. 437. — Voir, ci-dessus, le chapitre : Les Finances.

[12] Voir sur les origines : La France en 1614, dans l'Histoire du Cardinal de Richelieu : Les instruments de la domination, L'armée, t. I, p. 261-282.

[13] Voir le Testament politique de Richelieu, IIe partie, section IV in fine. Ce discours me donnant lieu de parler du ban et de l'arrière-ban, je ne puis que je ne dise que c'est une assemblée de noblesse qui, n'ayant point de chef qui ait autorité, se conduit sans règle et vit sans discipline... etc. — Cf. Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. V, p. 88, 91, 92, etc. — Sur l'attitude de la noblesse, même quand le Roi était à l'armée, il faut citer, parmi tant de témoignages, celui-ci qui donne le ton des autres une fois pour toutes ; c'est un extrait d'une lettre que Chavigny adresse de Bar-le-Duc à Richelieu, le 8 octobre 163i : Son Éminence aura peine à croire les lâchetés de toute la noblesse qui est ici. Aussitôt qu'on leur a dit qu'il fallait aller à l'armée de MM. d'Angoulême et de La Force, tous les corps ont branlé pour s'en aller... On a dépêché à tous les passages de Marne et d'Aube afin d'arrêter tous ceux qui s'en iraient. Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, V. p. 384, note. — Les gentilshommes de l'arrière-ban se réclamaient des coutumes féodales, qui ne les obligeaient à servir, en dehors de leur province, que trente ou quarante jours par an.

[14] Vicomte de Noailles, Bernard de Saxe-Weimar, p. 170 et suivantes.

[15] Le Roi, disait la commission donnée à un sieur Renard, le 3 août 1638, pour lever des troupes en Touraine, Anion, Berry, Orléans, a estimé qu'il y avoit, deux voies pour faire les levées, l'une par le moyen des soldats ci-devant enrôlés et qui se sont retirés des armées, l'autre par ceux qui peuvent être de nouveau engagés à son service. Les soldats qui avaient servi un an devaient s'enrôler sous peine d'élire punis comme déserteurs. Document cité par Caillet, op. cit., t. II, p. 133.

[16] Voir Mémoires du Comte de Souvigny, édités par le baron de Contenson, Société de l'Histoire de France, t. I, p. 1-16.

[17] T. I, p. 213.

[18] Mémoires du Marquis de Chouppes, publiés par M. Moreau, pour la Société d'Histoire de France, 1871, in-8°.

[19] Mémoires du Duc de La Force, Maréchal de France, t. I, p. 419.

[20] Duc de La Force, Le Maréchal de La Force, t. I, 169.

[21] Vicomte de Noailles, Le Maréchal de Guébriant, p. 169.

[22] Paul Renaudin, Le Maréchal Fabert, p. 12.

[23] Voir Mémoires de Robert Arnauld, édit. 1734, p. 48. Arnauld fit donner, secrètement quelques pistoles à ce valet de chambre, dont il était, en son cœur, fort satisfait.

[24] Tallemant, Historiettes, t. I, p. 227.

[25] Vicomte d'Avenel, Richelieu et la Monarchie absolue, t. III, p. 11.

[26] Le Laboureur, Histoire de Guébriant, cité par le vicomte de Noailles, p. 170.

[27] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. I, p. 367.

[28] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. III, p. 752. Cramail était un Montluc, petit-fils du maréchal.

[29] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, p. 759. Louis de Béthune, comte de Charon, mestre de camp du régiment de Picardie.

[30] Voir E. Rott, Histoire de la représentation diplomatique de la France auprès des Cantons suisses, etc. Alean, 1900, in-8°.

[31] Voir les Instructions données au sieur Deschambres, s'en allant en Angleterre et en Ecosse, le 1er septembre 1637 ; et la note de M. Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. V, p. 847.

[32] Dans Les Sentiments illustres, op. cit., p. 4.

[33] Il semble qu'à un moment Richelieu aurait consenti à laisser cette importante création d'un État indépendant au profit du duc de Saxe-Weimar sur la frontière de la France. Voir lettre de Richelieu à Feuquières, chargé de la négociation, dans Lettres et Négociations du marquis de Feuquières, édit. de 1753, t. III, p. 201.

[34] Voir le projet de traité, le traité lui-même et tout l'exposé de la négociation dans Lettres de Richelieu, t. V, p. 103 et suivantes.

[35] Il s'agit de Ferdinand, fils de Ferdinand II, qui sera l'empereur Ferdinand III, à la mort de son père, en 1637.

[36] Remarquer l'activité fébrile de la correspondance dans la plus grande partie du tome V.

[37] Voir Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. V, passim.

[38] Il ne faudrait pas que le mot gens de mains donnât l'idée d'une qualité militaire quelque peu rude et uniquement portée vers l'action. Campion, dans ses Mémoires, écrits avec une naïveté si persuasive, dit comment ces hommes d'élite employaient les longs loisirs des camps, et cela, même en présence de l'ennemi ; il avait pour compagnons d'armes le chevalier de Sévigné (oncle du mari de la marquise), Le Brouilly, Marcillac d'Alimar (un gascon), d'Alvimar (un parisien) : C'étoient là, explique-t-il, les trois hommes avec lesquels je passois mes heures de loisir. Après avoir raisonné ensemble sur les sujets qui se présentoient, sans dispute aigre ni envie de paroître aux dépens les uns des autres, l'un de nous lisoit haut quelque bon livre, dont nous examinions les plus beaux passages pour apprendre à bien vivre et à bien mourir selon la morale, qui étoit noire principale étude. Campion met au premier rang trois auteurs, Plutarque, explique-t-il, apprend à bien vivre, Montaigne apprend à nous bien connoître et Sénèque à bien mourir, p. 7 et 115. Campion dit encore qu'il eut grand peine à se guérir du jeu, qui était la maladie des camps.

[39] Voir G. Hanotaux, Origine de l'institution des Intendants, Champion, 1884, in-8°, p. 10 et suivantes.

[40] Lettres de Henri IV, publiées par Berger de Xivrey, Collection des Documents inédits, t. IV, p. 885.

[41] Pour donner l'idée de cette impuissance où ce trouvait le centre, — c'est-à-dire le cardinal, — d'obvier par lui-même au mal qui débordait son activité et ses forces, il suffit de citer, parmi tant d'autres, cette lettre adressée, le 2 juillet 1633, au marquis de Sourdis, mestre de camp de la cavalerie légère et maréchal des camps et armées du Roi : Sa Majesté désire que vous alliez en l'armée de M. de La Force, où il y a tant de désordre dans la cavalerie qu'il faut un homme d'autorité pour y porter remède. Les compagnies de trente et quarante maîtres ont assez d'impudence et d'artifice pour vouloir passer pour complètes (au lieu de cent cavaliers). La plupart des chefs ne sont pas présents ; il n'y a aucune obéissance... Ces désordres sont capables de ruiner l'État, étant impossible de faire la guerre avec tant de tromperie comme il s'en fait au monde... Le cardinal le prie de faire l'impossible pour tout remettre en ordre... Vous acquerrez grande réputation dans l'esprit du Roi. Publié par Menet, d'après l'original du fonds Dupuy, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. V, p. 923.

[42] Sur les nombreux moines employés par la politique et les affaires d'État, tant du côté espagnol que du côté français, voir une intéressante note de M. Avenel, citant les noms des Pères Caussin, Bach, Carré, etc.., pour la France. — Laffemas a fait un rapport sur les Minimes Récollets qui vont de Florence, de Rome à Bruxelles et sont la plus grande force de l'Espagne. Lettres du Cardinal de Richelieu, t. V, p. 738. Richelieu appelait le Père Carré le capitaine des moines errants par le monde, Ibidem, t. V, p. 806.

[43] Voir : Le Prélat dans les armées, Mémoire théologique trouvé dans les papiers rassemblés par M. de Bordeaux pour sa justification au temps de sa disgrâce, publié par Eugène Sue dans : Correspondance de Henri d'Escoubleau de Sourdis, archevêque de Bordeaux. Collection des Documents inédits, 3 vol. in-4°, 1839, t. III, p. 117.

[44] Mémoire pour faire une dépêche à Rome sur le sujet du bref que le Pape a envoyé à Monseigneur le Cardinal de La Valette. Archives de M. C. Hanotaux.

[45] Testament politique, Remarques pour faire subsister les armées et pour faire utilement la guerre, édit. Elzévir, p. 338.

[46] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. V, p. 124.

[47] 30 octobre 1635. Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. V, p. 337.

[48] Sur ce personnage, en particulier, voir l'intéressant ouvrage du général Legrand-Girarde, L'arrière aux armées sous Louis XIII, 1927.

[49] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. V, p. 523, 558, 573.

[50] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. V, p. 645.

[51] Faits et textes empruntés à l'excellente étude sur la jeunesse de Sublet de Noyers, par M. Ch. Schmidt, inspecteur général des bibliothèques et des archives, 1900, in-8°, p. 3.

[52] La minute de la commission est aux Archives de la Guerre, (vol. XIV, pièce 113).

[53] Voir les précisions minutieusement relevées dans les Archives des Affaires étrangères, par Schmidt, p. 10.

[54] La minute de cette lettre a été rédigée à la hâte. On l'avait terminée par un passage à l'éloge de Servien, qui a été effacé, sans doute sur l'ordre de Richelieu, à la signature. Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. V, p. 420. — Sur les négligences, causes de la disgrâce de Servien, voir encore Ibidem, p. 865-966.

[55] Sur les circonstances de la disgrâce de Servien et de l'avènement de Sublet de Noyers, voir Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. V, p. 397-420.

[56] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. V, p. 440.

[57] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, V, p. 445, 439, 485.

[58] Lettre tirée des collections de Russie, citée par M. de La Ferrière, L'Histoire de France en Russie ; et Schmidt, op. cit., p. 14. — Voir la lettre du cardinal à de Noyers dans Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. V, p. 559.

[59] Avenel, Lettres du Cardinal de. Richelieu, t. V, p. 760.

[60] Voir, ci-dessous, le chapitre sur les chefs militaires choisis par Richelieu.

[61] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. VI, p. 292.

[62] Voir sur ces méfaits et ceux qui provenaient de la lutte pour les vivres et de l'offensive de la famine, le Mémorial d'un bourgeois de Dessert, publié par Alcide Ledieu, 1896, p. 57 et passim. La méthode usitée pour affamer l'ennemi consistait à tuer les animaux domestiques, à scier les blés en herbe, etc.

[63] Les Fortifications du chevalier Antoine de Ville... le tout représenté en cinquante-cinq planches avec leurs plans, perspectives et paysages ; le Discours prouvé par démonstrations, expériences, raisons communes et physiques avec les rapports des Histoires modernes et anciennes. A Lyon, chez Irénée Barlet, à l'image Saint-Irénée, in-f°, MDCXXVIII.

[64] Voir le récit complet de cette partie de la vie de Poussin dans Émile Magne, Nicolas Poussin, premier peintre du Roi, 1928, in-12°, pp. 132-194. — Inutile de nous attarder sur une anecdote accusant Sublet de Noyers d'avoir, par convenance morale, fait altérer une Léda de Michel-Ange conservée au château de Fontainebleau, potin sans valeur colporté par quelque cicérone du palais. Voir, à ce sujet, la note dans Tallemant, Historiettes, t. II, p. 143.

[65] Voir Journal du bourgeois de Domart, passim.

[66] Sur la situation sans égale qu'occupait en Europe le cardinal-infant, frère de Philippe IV, lorsqu'il arrivait à Bruxelles après avoir remporté, avec le roi de Hongrie, la victoire de Nördlingen (6 septembre 1634) voir : Le voyage du prince Don Ferdinand, Infant d'Espagne, cardinal... jusqu'au jour de son entrée à Bruxelles, traduit de l'espagnol de Don Diego de Aldo et Gallart, par Jules Chifflet, Anvers, 1635, illustré par Rubens.

[67] De militia equestri antiqua et noro, ad regem Philippum IV, Libri quinque aurtore Hermanno Hugone e Societate Jesu, Anvers, Baltazar Moret, 1630, p. 267-272. Les gravures sont attribuées à Callot.

[68] Paul-Bernard Fontaine, maréchal de camp général, fils d'un maître d'hôtel du duc de Lorraine, fut créé comte en 1626 par l'empereur Ferdinand. On l'a souvent confondu avec Pedro Enriquez de Acevedo, comte de Fuentes, petit-neveu du duc d'Albe, qui était né en 1526 et fut capitaine général des armées d'Espagne. Voir Duc d'Aumale, Histoire des Princes de Condé, t. IV, p. 28.

[69] Le Laboureur, Vie de Guébriant, cité dans le passage consacré aux troupes espagnoles par le duc d'Aumale, dans l'Histoire des Princes de Condé, t. VI, p. 25 et suivantes.

[70] Voir, à ce sujet, une note très précise de M. Avenel : Le Roi n'était pas moins sévère que le cardinal pour les fautes contre la discipline, etc. — Voir aussi les preuves citées dans Lettres du Cardinal de Richelieu, t. V, p. 140.

[71] Mémoires de Brienne, t. I, p. 220.

[72] Les preuves surabondent dans la correspondance et dans les ordres émanant du cardinal. Citons seulement les instructions importantissimes données, au sujet du voyage du Roi aux armées en septembre 1635. Tout le génie de Richelieu, fait de clarté et d'autorité, s'y découvre dans les conseils qu'il donne pour la prochaine campagne. Le paragraphe de la page 195, relatif à l'emploi combiné des armées commandées par le cardinal de La Valette, par le duc d'Angoulême et par le maréchal de La Force, montre la clairvoyance du cardinal au point de vue de l'appui mutuel que les forces opérantes doivent se donner.

[73] Rien de plus précis, de plus net que les deux lettres émanant du cardinal et publiées par Avenel, t. VIII, p. 288 : Sa Majesté ne peut prescrire de loin aux lieutenants généraux de ses armées les résolutions qu'ils doivent prendre ; mais elle leur recommande certaines mesures de prudence et quelques préceptes généraux pour les armées en campagne... Et encore : Après avoir bien considéré l'état des choses el le caractère impétueux des Français, le Roi expose la direction qu'y conviendrait de donner aux opérations ; toutefois, comme, à la guerre, il se présente des occasions imprévues, le Roi ne prescrit rien à MM. les Généraux, qui sauront bien saisir leur avantage (22-23 octobre 1635).

[74] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. VI, p. 190. — L'écho de la pensée de Richelieu se trouve dans le Supplément à l'Histoire, élaboré, comme on le sait, par Lepré-Balain, d'après les papiers du Père Joseph : La France paraissoit lors stérile en personnes de commandement ; et ceux qui avoient de la capacité, ou étoient trop mols ou manquaient de fidélité. — Tallemant des Réaux dit, dans le même sens : Au commencement de la guerre, il étoit aisé de faire fortune ; pour peu qu'on eût ouï parler du métier, on étoit recherché, car personne ne le savoit. Historiettes, édit. Monmerqué, t. I, p. 446.

[75] Cette note manuscrite, qui se trouve à la Bibliothèque nationale, n° 15 644 des Manuscrits français (ancien fonds Saint-Germain-Harlay, vol. 349, pièce 46), est de la main d'un secrétaire de Richelieu, les corrections sont de la main de son secrétaire intime, Le Masle. Il a été signalé par Aubery, par le Père Griffet (t. III, p. 378) et par Avenel (t. VIII, p. 1056), comme émanant de Richelieu. Son authenticité ne peut être mise en doute. — On en trouve deux autres copies, l'une à la Bibliothèque nationale, Manuscrits français, n° 20 867 (ancien fonds Saint-Victor) et idem. n° 4 092 (ancien fonds Cangé, 51). Nous donnons le texte du n° 15 644, avec quelques corrections ou variantes intéressantes provenant des autres manuscrits. — Nous avons ajouté, après chaque paragraphe, les renseignements permettant d'expliquer les jugements du cardinal sur chacun des hommes de guerre visés dans le document.

[76] Tallemant, Historiettes, édit. Monmerqué, t. V, p. 225.

[77] On trouvera un exposé de la carrière du maréchal de Châtillon dans A. Ledieu, Esquisses militaires de la Guerre de Trente ans, p. 55.

[78] Voir le P. Anselme, VII, 496.

[79] Voir Gazette de France, année 1635, p. 514.

[80] Voir Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. VI, p. 85.

[81] Variante ajoutant deux d'après le manuscrit 15.644, ancien Saint-Germain-Harlay. Cette variante ajoutée donne la date de la rédaction du document : 1641.

[82] Mémoires du Duc de La Force, Maréchal de France, t. III, p. 148.

[83] Voir Le Maréchal de La Force, par le duc de La Force, de l'Académie française et aussi l'étude de M. A. Ledieu dans Esquisses militaires de la Guerre de Trente ans (p. 1-55).

[84] Ajouté de la main de Le Masle sur le manuscrit 15.644.

[85] Il a écrit, à la demande de Richelieu, pour sortir de la Bastille, des Mémoires particuliers... sous les règnes de Henri III, Henri IV, régence de Marie de Médicis, Louis XIII, Didot, 1756.

[86] Voir tout le détail de la querelle et les pièces officielles échangées à ce sujet, dans Correspondance de H. d'Escoubleau de Sourdis, publiée dans la Collection des Documents inédits, par Eugène Sue, 1839, in-4°, t. I, p. 191 et suivantes. — Voir aussi le chapitre ci-dessous sur la Marine de Richelieu.

[87] Sur le tourment que ces querelles entre les chers d'armée donnaient à Richelieu et sur les raisons qui l'avaient poussé, au début, à ne pas recourir toujours en commandement unique, voir les renseignements fournis par Auber, dans l'Histoire du Cardinal Duc de Richelieu, édit. Pierre du Marteau, in-16, t. II, p. 367.

[88] Ouvrage cité, p. 128.

[89] Voir aussi Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. VI, p. 681.

[90] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. V, p. 349.

[91] Voir Histoire du Cardinal de Richelieu, t. III, p. 401.

[92] Les lettres patentes de maréchal de France données au marquis d'Effiat sont à la Bibliothèque nationale, manuscrits français 3856, pièce 63. Le Vassor observe qu'elles contiennent un détail généalogique ridicule, Effiat étant dubiæ nobilitatis.

[93] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. V, p. 268 note.

[94] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. VI, p. 471.

[95] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. VI, p. 65.

[96] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. VI, p. 631.

[97] Le Cardinal de La Valette, lieutenant général des armées du Roi, 1635-1639, Perrin, in-8°, 1906.

[98] La Jeunesse de Mme de Longueville, édit. in-12°, p. 203.

[99] De la main de Le Masle.

[100] L'instruction donnée à l'intendant d'Estampes pour cette arrestation est publiée par le vicomte de Noailles dans son volume, Le Maréchal de Guébriant, p. 60, où l'affaire de cette rupture entre Rohan et Richelieu est l'objet d'une étude approfondie. — Il faut voir aussi l'explication donnée par Rohan sur les faits qui lui étaient reprochés, dans Manifeste du duc de Rohan sur les dernières occurrences arrivées au pays des Grisons et de Valteline. Édition des Mémoires du Duc de Rohan, publiée en 1646 par les Elzévirs, petit in-12°, 2e partie, p. 123.

[101] La vie du duc de Rohan a été écrite, à l'aide des documents d'archives, par M. Auguste Laugel : Henry de Rohan, son rôle politique et militaire sous Louis XIII, Firmin-Didot, 1886, in-8°.

[102] Voir le chapitre des Mémoires de Nicolas Goulas : Monseigneur quitte la demoiselle de Blois et s'embarque avec Louison de Tours ; ses galanteries, etc. (Soc. Hist. de France, t. I, p. 321).

[103] Société Hist. de France, t. I, p. 329.

[104] Voir l'étude de M. René La Bruyère, Henri IV, Charlotte de La Trémouille et son page, relatant les circonstances mystérieuses qui accompagnèrent la mort d'Henri, prince de Condé et la naissance du nouveau prince Louis, édit. Roger, in-4°.

[105] Histoire des Princes de Condé, t. III, p. 417.

[106] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. VI, p. 349.

[107] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. VI, p. 68.

[108] V. Histoire du Cardinal de Richelieu, t. III, p. 414.

[109] Voir le document trouvé par Stendhal et publié par les éditeurs de Tallemant, Historiettes, t. I, p. 390.

[110] Première baronnie de l'évêché de Lodève en Languedoc.

[111] Tome III, p. 81.

[112] Histoire du Maréchal de Toiras, par Michel Baudier, gentilhomme de la maison du Roy, chez Sébastien Cramoisy, avec privilège du Roy, grand in-4°, illustré, 1644, p. 235. Le livre est dédié à Chrétienne de France, duchesse de Savoie, sœur de Louis XIII, et le privilège est daté d'octobre 1643.

[113] Levassor, Histoire de Louis XIII, t. IV, p. 278 ; et Vittorio Siri, Memorie recondite, t. VII, p. 357.

[114] Marius Topin, Louis XIII et Richelieu, p. 308.

[115] Pour de plus amples détails sur l'affaire de Fontarabie, voir Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. V, p. 53-372. — Le jugement rendu contre le duc de La Valette est du 25 mai 1639. Voir, en outre, la Relation du siège de Fontarabie dans les Mémoires de Montrésor ; et aussi Bib. Nat., fonds français, n° 2881, 3743, et le jugement à la suite du procès, fonds français, vol. 10.794.

[116] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. VI, p. 380.

[117] Sur les appréciations diverses au sujet de la bataille navale de Tarragone, qui amena le remplacement de Sourdis, voir un exposé des événements, favorable à celui-ci, dans La Roncière, Histoire de la Marine française, t. V, p. 80.

[118] Mlle de Hautefort était appelée Mme de Hautefort depuis qu'elle avait hérité la charge de dame d'atour de la Reine qui appartenait à sa grand mère.

[119] Cité par Victor Cousin, Mme de Hautefort, p. 122, 123, note.

[120] Aubery, Histoire du Cardinal Duc de Richelieu, t. III, p. 111, note. Il n'est pas impossible, qu'en écrivant ces lignes, Richelieu ait eu quelque ressouvenir de ces beaux vers du Cid :

Reposer tout armé, forcer une muraille

Et ne devoir qu'à soi le gain d'une bataille...

[121] Mémoires de Montrésor. Édit. Elzev. 1723, t. I, p. 157.

[122] Voir sur lui Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. V, p. 305-330 et deux lettres, l'une de Louis XIII, l'autre de Bouthillier, dans Marius Topin, Louis XIII et Richelieu, p. 264 et p. 270, 271 ; et, aussi, le Père Griffet, Histoire du Règne de Louis XIII, t. II, p. 623.

[123] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. VI, p. 406.

[124] Voir les curieux documents cités par Avenel, t. VIII, p. 209.

[125] Mémoires du Cardinal de Richelieu, année 1633.

[126] Aubery, Histoire du Cardinal-Duc de Richelieu, t. I, p. 401.

[127] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. IV, p. 160.

[128] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. VI, p. 122. — L'accueil fait à Marie de Médicis en Hollande fut plus qu'empressé, presque enthousiaste : des tableaux furent commandés aux peintres officiels pour commémorer l'événement. Voir au Musée de La Haye, le tableau de Théodore de Reyser : Les bourgmestres d'Amsterdam auxquels on annonce l'arrivée de Marie de Médicis. Cf. C. Vossnaer, Les Précurseurs de Rembrandt, 1803, in-8°, p. 79. Voir aussi une curieuse lettre d'un Hollandais, Julien Lanson, datée du 6 septembre 1638 et adressée au factotum de Richelieu en Hollande, l'espagnol Lopez. La lettre de Lanson donne d'intéressants détails sur cet accueil vraiment extraordinaire, qui ne pouvait que froisser grandement le cardinal : La Reine fut logée en la maison du Prince. Mme la Princesse d'Orange l'accompagna partout. Voir Henri Baraude, Lopez, agent financier de Richelieu, p. 145.

[129] Perrin, 1908, in-8°.

[130] Voir Marius Topin, Louis XIII et Richelieu, p. 300.

[131] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, tome VI, p. 409-410.

[132] Allemagne, t. XV, pièce 125, copie annotée de la main de Richelieu.

[133] Voir Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. VI, p. 427.

[134] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. VI, p. 450.

[135] Bibliothèque nationale, fonds Dupuy, vol. 792, lettre 70.

[136] Ne pas oublier que, par arrêt de la Cour du Parlement, daté du 5 septembre 1634, le duc de Lorraine et consorts, pour réparation du rapt exercé par eux, sur Monsieur, avaient été condamnés à titre de complot, trahison et conspiration, au bannissement perpétuel du Royaume de France, confiscation des biens, le Roi étant supplié d'employer sa puissance et sa souveraine autorité pour, par la voie des armes, se faire raison à soi-même, etc. Voir l'arrêt imprimé à Aix, chez Etienne David, 1634.

[137] Voir Vicomte de Noailles, Le Maréchal de Guébriant, p. 224.

[138] Le nom usuellement adopté est Saint-Chamont.

[139] Père Griffet, Histoire du Règne de Louis XIII, t. III, p. 407-409.

[140] Lettres, t. V, p. 363.

[141] Voir Méritoires du Cardinal de Richelieu, début de 1635.

[142] Voir tout l'épisode, révélateur de la manière de Richelieu, dans Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. VI, p. 16 et p. 263.

[143] Historiettes, t. II, p. 219.

[144] Mémoires de Jacques de Chastenet, seigneur de Puységur, t. II, p. 227.

[145] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. VI, p. 364.

[146] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. VI, p. 395.

[147] Filles de Charles du Cambout, marquis de Coislin et baron de Pontchâteau.

[148] Antoine de L'Age, duc de Puylaurens, favori de Monsieur.

[149] Voir la lettre dans Le Vassor, t. VI, p. 481, et dans Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. VI, p. 926 note.

[150] Le Maréchal de Guébriant, Perrin, in-8°, 1914.

[151] Lettre autographe, catalogue Eggimann.

[152] Voir Histoire du Cardinal du Richelieu, t. II, p. 362.

[153] Voir l'ensemble de l'accord dans Lettres du Cardinal de Richelieu, t. VI, p. 851.

[154] Voir la lettre de Bouthillier au cardinal datée du 14 août 1642, dans Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. VII, p. 109, note : N'étant plus du tout possible de régler ni trouver les fonds selon les dépenses faites en l'année passée et en la présente.

[155] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. VII, p. 10.

[156] Il avait écrit, le 8 juillet, à Sublet de Noyers et à Chavigny : L'ancienne plaie du pli du bras, dont les chairs sembloient prêtes à cicatriser s'est rouverte et il s'est trouvé ce matin qu'elle étoit pleine de chairs fangeuses, dans lesquelles mettant la seringue, l'injection a passé par la plaie d'en haut. Maintenant ils font état de m'y mettre un séton, à quoi je me résous tant j'ai envie de guérir et d'être en état de servir le Roi. Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. VII, p. 22.

[157] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, p. 143.

[158] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. VII, p. 735.

[159] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. VII, p. 848.

[160] Voir Le Mariage de Turenne par le duc de La Force dans Revue des Deux Mondes, 1er juillet 1985.

[161] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. VII, p. 866-867.

[162] Voir l'ensemble des documents relatifs à cette crise suprême dans Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. VII, p. 170-181.

[163] Avenel, Lettres du Cardinal de Richelieu, t. VII, p. 916.