Six mois plus tard, en septembre 1629, le cardinal revenait de Languedoc. Embarqué sur l'Allier, il avait gagné la Loire. C'était une véritable flottille qui s'avançait entre les deux rives, où deux pelotons de gardes à cheval marchaient à la nième allure que les bateaux. Eu avant, une frégate, pour faire la découverte des passages resserrés entre les dangereux bancs de sable, puis un bateau de mousquetaires, puis deux autres montés par des gardes et des gentilshommes, enfin, peuplé de gardes à la proue et à la poupe, le navire à voile où Richelieu s'était installé avec ses familiers et ses domestiques. Une chambre et une antichambre, tendues de tapisseries, formaient l'appartement du cardinal, dont les hardes et l'argenterie suivaient en deux barques, sur lesquelles veillaient des mousquetaires. Richelieu s'acheminait vers Fontainebleau, où le Roi l'avait précédé. Retour triomphal, mais à quel prix ! Que de travaux, en effet, que de fatigues depuis ce avril où le Roi l'avait laissé à la tête de l'armée de Piémont ! Ceux qui savent le particulier état des affaires, songeait-il, n'estiment pas à petite merveille d'être sorti à souhait d'avec ledit duc de Savoie, dont la malice et l'industrie surpassent celles de Lucifer, qui n'a jamais fait état de sa parole, de sa foi et de son seing qu'en tant que ses affaires le requéraient, et qui, depuis cinquante ans qu'il règne, ne s'est étudié à autre chose qu'à se tirer par art, par ruses et par tromperies des mauvais pas où son injustice et ambition l'avaient porté[1]. Vers le début de mai, le cardinal avait commandé au maréchal de Créqui de rester à Suse avec six mille cinq cents hommes et cent cinquante chevaux et de n'évacuer la citadelle que sur une déclaration signée du Roi, établissant que le traité du 11 mars était exécuté. Cette précaution prise, il avait passé à Valence avec neuf mille hommes et treize cents chevaux, franchi le Rhône et rejoint Louis XIII sous les murs de Privas. Il y était arrivé le 10 mai, fort du traité qu'il venait de conclure avec la Grande-Bretagne et qui allait être rendu public le lendemain. Dans ce traité, suite logique de la prise de La Rochelle, le roi d'Angleterre décidait qu'il était résolu à ne plus se mêler de la religion des sujets protestants du roi de France. Or un tel engagement décevait cruellement tous les adversaires de la politique française et, en particulier le duc de Savoie, qui avait déployé tous ses artifices Polir l'empêcher de se conclure. La ville fortifiée de Privas restait aux mains des
protestants. Richelieu avait le dessein arrêté d'en finir avec toutes les
place l'orles tenues par les réformés. Privas est investie : elle capitule au
bout de dix jours. Mais par un de ces malheurs que les mœurs militaires du
temps n'excipent pas, la ville est, livrée au pillage, ses maisons brulées,
ses défenseurs passés au fil de l'épée, réservés pour la potence ou les
galères. Richelieu s'était levé du lit où il était malade, pour arrêter le
désordre[2], mais le carnage
était déchaîné. Le ministre, dont la mémoire n'est pas sortie sans atteinte
de cette rigueur, s'explique en ces ternies sur l'événement : Dieu m'a fait la
grâce, écrivait-il le 30 mai 1629 à la Reine, que je n'ai point vu cette tuerie ; et
il ajoutait : Cette rigueur non volontaire qui est arrivée, et la bonté dont le
Roi usera envers les villes qui se rendront volontairement, devra faire
connaître à beaucoup l'avantage qu'ils auront à se mettre de bonne heure en
l'obéissance, sans attendre qu'on les y contraigne[3]. Si le dessein
n'y était pas, le résultat n'en parut pas moins favorable. En fait,
Saint-Ambroix, La Gorce. Bar se rendirent aussitôt, villes non grandes par leur quantité
d'habitants, constate Richelieu, mais redoutables par leurs fortifications,
chacune étant capable d'arrêter une armée royale. Le Roi et le cardinal ne se trouvaient qu'à trois lieues d'Alais, qui fut sommée aussitôt de se rendre. Rohan, posté à Anduze, à deux lieues d'Alais, au pied des Cévennes, avait essayé de secourir la ville assiégée par l'armée du Roi. Richelieu avait fait charger les troupes de secours par trois cents cavaliers. La nouvelle de la prise de Privas, disent les Mémoires, abaissa les cornes à M. de Rohan, qui, découragé par la paix de Suse, par celle d'Angleterre, par les lenteurs de Madrid, se sentait perdu. Le 17 juin, Mais, épouvantée par la pendaison de quelques soldats protestants enlevés au duc de Rohan, avait capitulé. Cependant, mandait Richelieu à la Reine, tous nos maréchaux de France sont hors de combat. Il y a quinze jours que M. de Schomberg a la fièvre et la goutte, M. de Bassompierre a la colique et M. de Marillac une mousquetade dans le bras[4]. Rohan avait fait prier le Roi de lui permettre de réunir à Anduze, pour y discuter de la paix, les députés des Églises qui étaient assemblés à nues. Sur le conseil de Richelieu, Louis XIII avait consenti et, le 28 juin, il avait accordé la fameuse paix d'Alais, moins paix qu'abolition et grâce. Les protestants perdaient toutes leurs places de sûreté, et devaient en détruire les murailles à leurs dépens ; le duc de Rohan sortait du Royaume. On lui versait cent mille écus, pauvre compensation, qui n'était pas la moitié des ruines des bâtiments de ses maisons et du rasement de ses forêts[5]. Autrefois, écrivait Richelieu à Condé, on faisait des traités !avec les huguenots, maintenant le Roi leur accorde grâce. Autrefois les chefs du parti des rebelles avaient des établissements particuliers et M. de Rohan sort du Royaume et va à Venise[6]. Antithèses glorieuses, dont ne manquent pas de s'inspirer un disciple de Malherbe et de Corneille, le poète tragi-comique Charles de Beys : Mais la paix qu'il accorde en cette extrémité, Est pour eux une grince et non pas un traité. Il traitait autrefois, maintenant il ordonne : Alors il excusait, à présent il pardonne[7]. Rohan avait été conduit à Venise par Toulon et Cènes, et chacun, voyant ledit Rohan, observe Richelieu, était obligé d'avouer qu'il n'y avait plus de corps d'hérétiques en France, puisqu'il avait été décapité et que l'on voyait le chef comme porté en triomphe par les ports d'Italie. Le Roi, accablé par les chaleurs du Languedoc, était rentré au Louvre. Quant au cardinal, il avait voulu achever lui-même une œuvre si bien commencée. Montauban, dont Monsieur le Prince n'avait pu que dévaster les campagnes, tenait encore ; le maréchal de Bassompierre avait reçu l'ordre de l'investit.. L'approche du cardinal changea les dispositions des assiégés ; des délégués se portèrent jusque dans Albi : Montauban, après quelque débat, accepta la grâce du Roi, ses portes s'ouvrirent et le 20 août 1629, Richelieu fit son entrée dans cette ville, qui était, nous dit-il fièrement, compagne de La Rochelle et qui, en 1621, avait infligé au connétable de Luynes un si lamentable échec. Il se montra dans les rues à cheval : le peuple, enthousiaste, mais ignorant, demandait à voir Mme la Cardinale comme la femme la plus heureuse du monde pour avoir un si digne mari[8]. Les ministres protestants encensèrent le cardinal, comme s'ils eussent été des catholiques. Richelieu écrivit au Roi : On peut dire maintenant avec vérité que les sources de l'hérésie et de la rébellion sont taries. Tout ploie sous le nom de Votre Majesté[9]. Une fois ces dernières et dangereuses flammèches de la rébellion éteintes, le cardinal avait pris le chemin de Fontainebleau et de Paris. Ses forces étaient à bout : cinq accès de sa fièvre tierce l'avaient arrêté à Pézenas, où mille lettres étaient venues lui exprimer la louange, — sincère ou feinte, — de la Cour. Celle de Marie de Médicis n'avait pas été la moins caressante. Mais le cardinal n'en était plus à ignorer les véritables sentiments de la Reine qui l'avait porté au pouvoir. Dès le 24, mai, dans une lettre datée du camp de Privas, il s'était enhardi à lui écrire : En vérité je voudrais de bon cœur avoir tous les maux qui peuvent travailler Votre Majesté ; et, pour ce qui est de sa disposition à mon endroit, je lui avoue que j'ai tant de confiance en sa bonté et tant de connaissance, non pas de mes services, mais dé l'affection sincère que j'ai toujours eue de lui en rendre, que je ne puis croire qu'il y puisse avoir aucun changement en elle à mon préjudice. Cependant je confesse que les bruits en sont fâcheux. Aussi offrait-il une fois de plus de se retirer : Je la supplie, de me faire savoir sa volonté et de croire que, quelque chose qu'on lui puisse avoir dite ou qu'elle puisse avoir pensée, elle trouvera enfin que je n'ai jamais eu d'autres désirs que ceux qu'elle eût pu souhaiter... Je ne sais qui sont les auteurs de ces bruits ou des inventions qui en causent l'effet, s'il est véritable, mais je ne les veux point connaitre, pour n'en avoir aucun ressentiment ; ainsi je prie Dieu qu'il les bénisse et leur fasse la grâce de vous être aussi utiles comme je le leur serai assurément, si la perte de rua vie me peut reluire tel. Une protestation si humble semblait devoir faire merveille sur l'esprit de la Reine. Il parut au porteur (le cardinal de La Valette) que la Reine n'avait point été de si bonne humeur depuis son arrivée auprès d'elle. Mais, les ennemis de Richelieu avaient aussitôt redoublé leurs efforts. Il y avait dans tout cela une intrigue de cour désespérée, mais il y avait aussi un grave dissentiment sur les affaires européennes. Gaston avait appris, dans sa principauté de Dombes, que le due de Mantoue rappelait sa fille : il avait aussitôt fait dire à Marie de Médicis que, résolu à ne pas laisser Marie de Gonzague regagner les États de son père, il se disposait la à l'enlever du château de Coulommiers, où elle se trouvait avec sa tante la duchesse de Longueville. Marie de Médicis, non moins opposée au mariage mantouan que Louis XIII, avait envoyé au château de Coulommiers plusieurs carrosses, escortés de cent vingt chevaux, pour conduire les deux princesses au Bois de Vincennes, où elles furent installées dans l'appartement du Roi. Louis XIII avait approuvé cette sage précaution et déclaré, par a plume de Richelieu, qu'il supporterait la faute de son frère comme un père celle de son enfant[10]. Mais la Reine, plus tendre que ce frère si paternel, n'avait pu supporter davantage la douleur et les lamentations de son second fils : Richelieu avait appris, vers le 9 mai, que la Reine avait relâché les deux prisonnières, sans exiger que la jeune fille Mt reconduite en Italie. Le cardinal n'avait guère approuvé la prompte et inopinée liberté des oiseaux qui étaient en cage ; moins encore le désir de la Reine, qui voulait que Monsieur reçut, en guise de satisfaction un gouvernement de province et l'entrée au Conseil[11]. Monsieur n'ayant rien obtenu, la mère prit fait et cause pour son fils préféré. Sa colère maternelle avait éclaté, quand le bruit était venu jusqu'à elle que le cardinal favorisait en sous-main le projet de mariage combattu seulement en apparence. Au début de cet automne 1629, Monsieur avait chargé son confesseur d'aller dire au Roi qu'il ne se sentait plus en sûreté dans le Royaume, et il avait passé la frontière pour se réfugier en Lorraine. Richelieu avait donc hâte de se retrouver au centre des affaires. Quittant sa flottille le II septembre à Briare, il avait couché Montargis le 13. La Cour presque tout entière avait franchi 1 quatre lieues qui séparent Fontainebleau de Nemours : les cardinaux de Bérulle et de La Valette, MM. de Longueville, de Chevreuse, de Saint-Nul, de Montbazon, de La Rochefoucauld, s'empressaient auprès du ministre, à la fois glorieux de son succès et inquiet de l'accueil qu'il allait recevoir de la Reine mère. Déjà Richelieu s'est aperçu de quelque changement en l'esprit ces Messieurs, reconnaissant, à leur entretien, qu'ils ne pari plus avec la sincérité et confiance ordinaire et qu'ils sont agita et comme en perplexité de quelque grand dessein[12]. L'interminable cortège s'allonge sur la route de Paris, au cœur de la forêt de Fontainebleau, déjà rouillée par le premier souffle de l'automne ; au bout d'une heure, on est au château. Après avoir rendu ses devoirs à Louis XIII. le cardinal, dans l'appartement de Marie de Médicis, fait sa révérence aux deux Reines. La Reine mère le reçoit si froidement, que tous les témoins de cette scène sont plongés dans la stupeur. D'un air glacial, elle lui demande comment il se porte. Il répond, le front haut, les yeux étincelants, le nez affilé et les lèvres tremblantes : Je me porte mieux que beaucoup de gens qui sont ici ne voudraient. Marie de Médicis rougit, puis soudain elle se met à rire, amusée par le spectacle imprévu qui attire tous les regards : le cardinal de Bérulle vient d'entrer, vêtu d'un habit court et chaussé de bottines de cuir blanc, le tout jurant si drôlement avec sa calotte rouge. Richelieu s'est approché et dit sourdement à la Reine : — Je voudrais être aussi avant dans vos bonnes grattes que celui dont vous vous moquez. Dissimulant cette seconde picoterie, Marie de Médicis répond que l'estime qu'elle fait d'un cardinal ne diminue point les sentiments avantageux qu'elle a toujours eus pour l'autre[13]. Richelieu se tait. Il présente à la Reine les héros de la campagne, les maréchaux de Schomberg, de Bassompierre et de Marillac. Marie de Médicis n'a de paroles que pour Marillac. Richelieu éclate à la fin. Par un détour, il s'en prend aux deux amies de la Reine, la princesse de Conti et la duchesse d'Elbeuf, qui se sont bien gardées d'être là Il sait que la cabale des dames a mis tout en jeu pour irriter la Reine contre sa nièce. Marie de Médicis ne se laisse pas mettre en défaut sur ce sujet, qui l'atteint au vif. Elle déclare froidement à son ancien favori qu'il se rend insupportable et, comme le Roi parait, Richelieu demande la permission de lui parler dans la chambre voisine. Seul avec h. Roi, il ouvre son cœur : depuis que La Rochelle a succombé, il est en hutte à l'inimitié de toute la Cour : il supplie Sa Majesté de permettre qu'il se retire. Le lendemain il fait appeler Mme de Combalet et M. de La Meilleraye, ses parents, placés par lui dans la maison de Marie de Médicis, et il leur enjoint de se retirer avec lui. Louis XIII arrange encore une fois les choses malgré un tel éclat : le cardinal écrira une lettre d'excuse. Il l'écrit et la porte lui-même en la baignant de ses larmes, ces larmes que Marie de Médicis connaissait bien. Louis XIII pleurant, à son tour, amèrement, — car on pleurait beaucoup, même avant le romantisme, — était parvenu à faire plier l'échine au cardinal. Le 15 septembre, à trois heures et demie de l'après-midi, trois carrosses quittaient le grand perron de Fontainebleau, tournaient dans la cour du Cheval-Blanc et gagnaient le bourg. Ils se dirigèrent vers l'église, où Louis XIII se trouvait déjà pour jurer, avec l'ambassadeur britannique, les articles de la paix d'Angleterre. Dans le premier carrosse, les deux Reines, la princesse de Conti et leurs dames d'honneur : dans le deuxième, les duchesses douairières de Montbazon et d'Halluin et la comtesse de Tresmes. Dans le troisième, le cardinal de Richelieu avec le garde des Sceaux Marillac, rapprochement qui symbolise une paix fourrée. Mais huit jours se sont à peine passés qu'éclate un nouvel orage. Richelieu a prié la Reine de rétablir la pension d'Alexandre Sardini, vicomte de Buzançais, fils de ce Scipion Sardini, baron de Chaumont-sur-Loire, partisan italien qui s'était gorgé au service de Catherine de Médicis. La princesse répondit qu'elle avait supprimé cette pension à la demande du cardinal lui-même, mais que, s'il était content de M. Sardini, elle voulait qu'on lui donnât satisfaction, le surintendant de sa maison n'ayant pas qualité pour gouverner en maitre. La condescendance ironique de la Reine ranima une flamme mal éteinte : Vous le pouvez faire payer de votre tête, s'écrie violemment le cardinal, aussi bien que vous avez donné de votre mouvement et sans me demander avis, une abbaye à Vautier, votre médecin. Vautier ! le vrai maniganceur de la brouille ! La Reine bondit : Vous vous abusez, si vous me croyez votre esclave. Et elle tourne le dos. Et le cardinal voit bientôt arriver un valet de chambre, qui lui apporte son congé signifié par écrit. Ainsi traité, il n'a plus qu'à quitter la Cour. En vain le Roi averti promet de le rétablir dans sa charge de surintendant de la maison de la Reine, Marie de Médicis est inflexible. Elle déclare à son fils que son intention n'est point de le prier d'ôter la connaissance des affaires de son État au cardinal, s'il le juge utile à son service, mais de permettre qu'elle ne s'en serve plus dans les siennes, pour ne pas être obligée de traiter avec cet insolent ailleurs qu'en la présence du Roi et dans ses conseils. De quelles confidences, de quelles supplications la mère accabla-t-elle son fils ? Toujours est-il que le cardinal croit devoir s'humilier de nouveau. Il écrit au Roi : Sire, mon intention était ignorante et, à l'heure que mes mains écrivaient ce qui a déplu à Votre Majesté, mon cœur pensait à la servir. L'humeur de celle avec qui j'avais à traiter excuse mon action. Je pensais que toutes sortes d'insinuations m'étaient permises pour vous servir en vos contentements, que je ne pouvais aider par d'autres voies ; car bien souvent, donnant le tort à Votre Majesté et la raison à elle qui en était privée, son opiniâtreté, vaincue de mon consentement, se tournait à vos volontés. Votre Majesté se souviendra que, m'ayant fait l'honneur maintes fois de me vouloir pour juge de vos différends, elle l'a refusé, disant que j'avais trop de passion à votre service[14]. Flèche du Parthe qui devait laisser son venin au cœur du Roi. Quelques semaines après cette lettre, Louis XIII, alors à Malesherbes, mandait au cardinal : Je ne manquerai de me rendre à Fontainebleau vendredi (19 octobre), à midi, auxquels jour et heure, j'espère vous y trouver. Assurez-vous toujours de mon affection, qui durera jusques au dentier soupir de ma vie. Et, comme pour lui en donner un témoignage, le Roi chasseur voulait bien lui envoyer des nouvelles de Monseigneur, le cheval barbe que le ministre venait de faire acheter quelques semaines plus tôt et d'offrir à son maître[15] : Monseigneur s'est mis un chicot dans le pied, j'ai envoyé chercher mon maréchal pour le lui ôter[16]. Mais qui ôtera jamais du cœur du Roi la flèche empoisonnée décochée par le cardinal ? Réconciliation apparente ; départ. Tout parut s'arranger encore : Monsieur le Cardinal fit un superbe festin au Roi et aux Reines avec comédies, ballets et musiques excellentes. Le maréchal de Bassompierre nous a laissé ce bref compte rendu de la fête qui se déroula vers la Noël 1629, dans l'hôtel de Rambouillet, que Richelieu avait acheté en 1624 et qu'il devait bientôt détruire, pour édifier son Palais-Cardinal. Richelieu, passionné de musique comme Louis XIII et qui se sentait quelquefois ému jusqu'aux larmes par certains airs italiens, peut goûter, plus encore que les sanglots des violons, la joie du triomphe. Non seulement, à la prière du Roi, la Reine mère a fini par lui rendre la surintendance de sa maison, mais elle a dû consentir à l'expédition de lettres patentes en vertu desquelles son ingrat protégé est nommé principal ministre d'État. Il possède officiellement le titre des fonctions qu'il exerce depuis le 13 août 1624. Ses pouvoirs sont immenses : Le Roi ne s'est réservé que celui de guérir les écrouelles, murmurent à l'oreille les plaisants. Louis XIII est rentré à Paris, Richelieu lui ayant persuadé, non sans raison, que la présence royale était nécessaire au Louvre, tant que Monsieur intriguerait à la cour de Lorraine avec les ennemis de l'État. Le cardinal peut se passer quelques jours de la présence royale, il ne craint plus de laisser les gens qui le haïssent profiter de son éloignement pour travailler à sa perte : Je sais, a-t-il déclaré à Louis XIII, que les plus raffinés courtisans ont pour maxime d'être le moins qu'ils peuvent absents de leur maitre et jugent que les grands sont esprits d'habitude, auprès desquels la présence fait beaucoup. Ils croiront qu'ayant été mai avec la Reine, je puis aisément retomber en pareil malheur, ce qui enfin pourrait m'attirer la disgrâce de Votre Majesté. Je sais enfin que je m'expose à plusieurs accidents, dont les moindres sont ceux que l'on considère d'ordinaire à la guerre, mais puisqu'un serviteur n'est pas tel qu'il doit d'être, s'il ne sacrifie tous ses intérêts à ceux de son maitre, lorsque l'occasion le requiert, toutes ces considérations ne m'empêcheront pas de marcher[17]. Cette occasion c'étaient les nouvelles d'Italie qui l'avaient amenée. Richelieu avait gardé les fonctions de lieutenant général du Roi représentant sa personne aux armées d'Italie. Or, dès le mois de mai précédent, deux armées impériales et une espagnole avaient menacé les États du duc de Mantoue : la première, commandée par le comte de Mérode, s'était emparée de Coire, avait emprisonné Mesmin, ambassadeur de France auprès des Ligues grises, occupé les passages de Sturk ; la seconde sous le comte de Collalto, rejoignait bientôt la première. Une troisième animée de six mille hommes et trois mille chevaux, à la tête desquels marchait le marquis de Los Balbazés, qui avait remplacé don Gonzalès de Cordova comme gouverneur de Milan, s'apprêtait à investir Casal. La ville était assurément bien fortifiée, mais l'on n'y avait laissé sous le maréchal de Toiras qu'une garnison de trois mille soldats. Ce n'étaient pas les représentations de Sabran, gentilhomme ordinaire du Roi, dépêché à Vienne pour se plaindre de l'invasion germanique en Valteline et obtenir au duc de Mantoue l'investiture de ses États, qui pouvaient arrêter l'avance des armées allemandes. La cour de Vienne avait répondu que le premier devoir du duc de Mantoue était de mettre les duchés en séquestre et d'attendre que Sa Majesté Impériale eût pris connaissance du droit des parties. A Suse, malgré l'insistance du maréchal de Créqui, pressant le Savoyard d'unir ses troupes aux siennes, conformément au traité, pour chasser les envahisseurs, les Allemands n'avaient eu qu'à se montrer pour être maîtres du Montferrat : les villes ouvraient leurs portes et l'armée de Collalto campait sous les murs de Mantoue. Richelieu se décide à aller voir les choses lui-même. Le 29 décembre 1629, il monte en carrosse vers les trois heures de l'après-midi et se dirige sur Fontainebleau. Il ne faut pas imaginer le prélat guerrier lisant son bréviaire en voiture, tandis qu'une centaine de seigneurs le suivent à cheval. Richelieu vient justement de recevoir de Rome la dispense écrite de la récitation du saint office : Je la désire avec passion, avait-il confié au Père Bertin deux mois plus tôt, de laquelle Sa Sainteté ne fera, je m'assure aucune difficulté puisque déjà elle l'a accordée de vive voix. J'ai aussi besoin qu'elle trouve bon qu'en ne publiant pas cette grâce qu'elle m'accorde, je ne la tienne pas cachée à tout le monde, afin que ceux qui connaissent le plus l'accablement auquel je suis, ne pensent pas que j'omette à satisfaire à une obligation comme est celle de l'office, sans en avoir licence[18]. Le cardinal de La Valette, le due de Montmorency, le maréchal de Schomberg sont assis dans le carrosse aux cotés de Richelieu[19]. A cet entourage de choix, il manque le cardinal de Bérulle, qui est mort depuis plus de deux mois. Les méchantes langues ont répandu le bruit que Richelieu l'avait empoisonné : Je suis extrêmement fâché des calomnies qu'on a fait courre et à Rome et en France, écrivait le cardinal au lendemain de la mort de Bérulle. Je fais tout ce qu'il m'est possible pour les dissiper, faisant voir à tout le monde que la grande vertu du défunt et la façon avec laquelle nous avons toujours vécu ensemble, Mc tout lieu de croire ce que les faux bruits ont répandu avec si peu d'apparence. J'honore la mémoire du défunt et ferai toujours un cas particulier de ceux qui le touchent, et notamment de la compagnie qui a pris naissance sous sa conduite. En être réduit à ce genre d'explications, quand on est le grand ministre d'un grand Roi ! Non pas que le cardinal ait à regretter la disparition du saint fondateur de l'Oratoire. Ils étaient dans deux camps différents, ce qui est permis, et ils ne s'aimaient plus, ce qui est conforme aux mœurs de la politique. Richelieu, dans ses Mémoires, prend la peine d'excuser son dévot collègue, qui ne goûtait ni l'alliance anglaise ni les Jésuites : Cette bonne âme, dit-il, ne se portait pas à ces extrémités par animosité aucune ; il n'en avait contre personne, mais bien se rendait-il si ferme en ses pensées, parce qu'il croyait qu'elles étaient conformes à la volonté de Dieu. Son erreur n'était pas vice de volonté, mais d'entendement, qui croyait volontiers voir dans les secrets de la Providence divine, qu'il ne voyait pas[20]. Au cours des négociations entamées depuis quelques mois pour réconcilier Monsieur avec le Roi, Bérulle avait réclamé pour Gaston le gouvernement des provinces frontières, Champagne ou Bourgogne ; en l'absence de Richelieu, il avait conseillé au Roi d'accorder à Monsieur une augmentation d'apanage. On pense si le maladroit conseiller s'était heurté à une volonté arrêtée et à un sec refus : confier les entrées de la France à ce poltron rebelle ! Et Bérulle ayant insisté auprès de Richelieu, celui-ci lui avait répondu plaisamment qu'il se trouvait fort heureux lui-même, quand on voulait bien suivre les avis qu'il donnait. Le Roi offrit à son frère Amboise, le gouvernement d'Orléans et cent mille livres de rente sur le domaine de Valois et en plus cinquante mille écus comptant, ce qui fut accepté avec empressement le 2 janvier 1630. Le carrosse de Richelieu a franchi la porte de la ville, l'immense train du cardinal est là qui attend l'arrivée du maitre. Les gardes à cheval, l'épée à la main, out le pot en tête et la taille serrée dans le corselet, le mousqueton avec son bassinet plein de poudre, placé en travers de la selle, la mèche allumée entre les têtières[21]. Les carrosses de la suite sont attelés ainsi que le fourgon où les serviteurs du cardinal ont chargé ses hardes et son argenterie. L'escadron des pages caracole sur le pavé, tandis que huit compagnies des gardes, parties trois jours auparavant[22], s'échelonnent au loin vers Fontainebleau. Richelieu veut y dire la messe le 1er janvier. On annonce un courrier d'Italie : c'est le sieur Bachelier, envoyé de Suse au cardinal par le maréchal de Créqui. Richelieu lit la dépêche et commande à Bachelier d'aller au Louvre : que le courrier du maréchal explique à Sa Majesté que l'abbé Scaglia et Mazarin sont venus pour la seconde fois à Turin proposer de la part du Saint-Siège une suspension d'armes. Le cardinal décide de continuer sa route et, enfoncé dans son carrosse aux mantelets fermés, il médite, tout joyeux de la bonne nouvelle[23]. Richelieu descendit le 18 janvier à Lyon, chez son frère
aîné, l'ancien Chartreux dom Alphonse, qu'il avait arraché au cloître en 1626
pour le faire nommer archevêque d'Aix, puis de Lyon (1628). L'archevêque de Lyon, cardinal depuis la lin de
l'année 1629, était allé au Louvre recevoir la barrette des mains de Louis
XIII. Le cardinal ministre ne se trouva pas bien à l'archevêché. Le 27, il
était installé aux jardins d'Ainay, dans une maison sise au confluent du
Rhône et de la Saône. C'est là qu'il convoqua le duc de Montmorency, les
maréchaux de La Force, de Schomberg et de Bassompierre et le marquis
d'Alincourt, lieutenant général. Il avait reçu la veille le comte de
Saint-Maurice, qui lui avait apporté un message du duc de Savoie :
Charles-Emmanuel offrait à l'armée française le passage sur ses terres ; le
prince de Piémont avait franchi le petit Saint-Bernard en plein hiver, pour
venir à Turin ; il était prêt à s'aboucher avec le cardinal, en territoire
neutre, au pont de Beauvoisin. Richelieu doit-il accepter cette entrevue ?
Alincourt n'y voit pas d'inconvénient ; Schomberg et La Force sont d'avis
qu'on refuse et qu'ou marche. Bassompierre penche pour l'entrevue[24] : il sera
toujours temps de refuser à Beauvoisin les propositions de M. de Piémont.
Richelieu se prononce dans le sens de Schomberg et de La Force. Il sait par
une dépêche du maréchal de Créqui, datée du 13, que M. de Savoie cherche à le
divertir de passer les monts avec l'armée du Roi ou
au moins à faire les conditions avec lui, avant qu'il soit le plus fort dans
ses États ; il sait trop qu'on ne lui accordera le passage que par des
chemins impraticables, de véritables routes d'ours.
Il a reconnu la façon accoutumée de Savoie à
traiter, qui est de cacher le serpent sous les fleurs. Et il se méfie
d'autant plus, qu'étant resté enfermé trois heures durant avec Jules Mazarin,
gentilhomme attaché à Panzirolo, nonce extraordinaire à Turin, il a reconnu
en lui le plus beau génie qu'il ait jamais
rencontré, l'esprit qui entre le plus heureusement
dans les négociations et dans les affaires. Le cardinal refuse à
l'insinuant Italien, qui sera quelque quinze ans plus tard son successeur, la
suspension d'armes qu'il demande : il déclare que la France veut une paix prompte et assurée et par conséquent sans suspension[25]. Dès le
surlendemain 29 janvier, il quitte Lyon, tant il craint de perdre le temps, qui est le plus précieux trésor non
seulement de la guerre, mais de toutes les glorieuses entreprises[26]. Et connue il ne cesse point de songer aux mauvais offices que peut lui rendre la Reine mère, comme il espère toujours désarmer sa haine, il ne part pas sans lui écrire : Madame, M. le Général d'Avignon m'ayant envoyé un morceau de la vraie croix, que je lui avais demandé il y a quelque temps pour Votre Majesté, je n'ai pas voulu manquer de le lui envoyer aussitôt. L'été précédent, c'étaient des chapelets qu'il avait la hardiesse de lui envoyer de Pézenas, comme s'ils étaient dignes d'elle. Inutiles présents. En vain, il supplie Mme de Combalet d'obtenir que les lettres que lui écrira la Reine, soient du génie de Sa Majesté aimant mieux, dit-il, trois lignes en ce genre que des feuilles entières du style 401619221927 (Denis Bouthillier, seigneur de Rancé, secrétaire de Marie de Médicis), qui est bon pour d'autres, mais non pour une ancienne créature[27]. Peine perdue. Sa politique en Italie suffit à exaspérer la dangereuse ennemie qu'il a laissée à Paris : J'ai bien peur, ajoute-t-il, qu'elle ne me canonisera point pour lui prédire la paix, ne voyant pas, à mon grand regret, que les affaires s'y disposent. Richelieu s'arrête à Grenoble, puis à Embrun, la ville la plus haute de France. Le 27 février, il se retrouve à cinq lieues de Suse, à Oulx, le vilain petit village qui lui a fait si mauvaise impression l'aimée précédente à pareille époque. Dans cette bourgade perdue des Alpes, Richelieu est attentif aux bruits qui lui arrivent de la Cour. Le Roi écrit que le duc d'Elbeuf est venu lui parler du cardinal avec une insolence qu'il ne supportera plus à l'avenir[28]. Richelieu est souvent mien informé que le Roi. Il écrit à Bouthillier en langage chiffré : Je vous dirai de plus sur le sujet d'Amadeau (le cardinal), — mais je supplie 515239100 (le Roi, la Reine mère et Bouthillier) qu'aucun autre ne le sache, — je sais d'un homme de très grande qualité qui a ouï de ses oreilles 57 (le duc de Guise) proposer de faire une union entre certains grands pour mettre par terre 67 (le cardinal) et qu'il était nécessaire d'en chercher les moyens. Je sais bien que ce personnage n'est pas homme à faire tout ce qu'il dit, tuais il est hardi à proposer tels desseins et puis il s'en retire, s'il peut : témoin l'union des grands qui fut faite contre le maréchal d'Ancre, dont il fut auteur. Il dit que j'abats les grands et que les grands doivent avoir même dessein de moi. Richelieu estime que les grands n'ont point tort de le haïr, il est fier des haines qu'il soulève. C'est alors qu'il dicte cette phrase magnifique de fermeté et de concision, la plus simple et la plus belle justification de toute sa vie : Ce m'est gloire d'être en butte à tout le monde pour le service du Roi ; grâces à Dieu, ce qui me console est que je n'ai pas un seul ennemi pour mon particulier, que je n'ai jamais offensé personne que pour les services de l'État, en quoi je ne fléchirai jamais, quoi qui me puisse arriver[29]. Il ne fléchit pas non plus dans ses négociations
incessantes avec le Savoyard et, si parfois il semble plus accommodant, c'est
pour gagner du temps. Le duc de Savoie lui fait demander par le maréchal de
Créqui la restitution de la vallée de Cisery. Le cardinal ne la refuse pas, à
condition (pie le prince rompe avec l'Espagne dans les affaires concernant
l'État de Milan. II n'ignore pas que cette vallée de Cisery est tellement
ouverte du côté de la France, qu'elle est à sa merci[30]. Le duc de
Savoie désire que l'on juge son différend avec le duc de Mantoue : accordé.
Il veut, s'il entre en campagne, que la France lui paye les gens de guerre qu'il aura au-dessus de dix mille
hommes et douze cents chevaux jusque au nombre de vingt mille hommes et deux
mille chevaux : accordé. Il désire qu'on lui permette d'attaquer Gênes
: on examinera cette proposition avec le prince de Piémont. Mais le cardinal,
si conciliant, est bien résolu de ne pas augmenter inutilement les ennemis du
Roi en laissant le Savoyard offenser la République ligurienne. A trompeur, trompeur et demi. Pendant tous les voyages du maréchal de Créqui et ces pourparlers infinis, Casal, songe-t-il, se remplit de vivres, que le Roi paye très cher, alors que les princes de Savoie les réquisitionnent pour rien sur leurs sujets. Tout se ramène à la question d'argent et, sous prétexte de livrer passage à l'armée française, ces gardiens des Alpes prétendent devenir ses munitionnaires, ses voituriers, bref faire tomber tout l'argent dans leurs coffres[31]. Vers Pignerol. Cependant les troupes royales avancent. L'armée du maréchal de La Force a passé le Mont-Cenis malgré le froid, incroyable à qui ne l'a ressenti, mande à la marquise de La Force le 24 février 1630, au lendemain du passage, le marquis de La Force, fils aîné du maréchal : j'avais ma hongreline fourrée, un capuchon sous le chapeau doublé de pane, des gants fourrés et un manchon de loutre et une peau d'agneau, qui me fit grand bien, et trois bits de laine ; je n'eus incommodité qu'au visage, car le vent lève la neige en sorte qu'elle vous aveugle presque, et le vent est si tranchant, qu'il vous coupe le visage Mon cheval me tomba deux fois, mais sans mal, Dieu merci ; je pouvais encore moins me tenir à pied qu'à cheval, car la montagne est si droite et si glissante, que, quand ou pensait avancer un pas, on eu reculait deux, ce qui vous met incontinent hors d'haleine, et, si vous vous arrêtez, vous êtes incontinent gelé[32]. Mais voici que, de nouveau, La Savoie et son duc sont pleins de précipices. Entre en scène, en effet, un des plus curieux personnages du drame diplomatique : le père Monod. Cet entreprenant supérieur des Jésuites de Turin, a prié le cardinal de lui accorder une audience. Il est reçu et que propose-t-il ? de marier Mme de Combalet au cardinal de Savoie et il exhibe une lettre de ce prince de l'Église, cardinal laïque de trente-sept ans, pourvu du chapeau depuis l'âge de quatorze. Richelieu hausse les épaules et soudain, plus Jésuite que le Jésuite, il feint de mordre à la pomme. Un tel honneur ne pourrait s'obtenir que par le consentement et le commandement du Roi et de la Reine sa mère. Le Père Monod, au dire des Mémoires du cardinal, se remit sur les échanges dont il avait été parlé l'année de devant. Sur quoi le cardinal fit autant à froid qu'il était besoin pour l'échauffer en ce point et commença à faire connaître par lui au duc que son Veillane[33] et l'armée qu'il y tenait commençaient à nous importuner l'esprit de telle sorte qu'il était impossible de le souffrir davantage et demeurer en bonne intelligence[34]. Le 1er mars il écrivait au cardinal de Savoie : Monsieur, j'ai reçu à beaucoup de faveur le témoignage que vous me rendez de votre souvenir, par la lettre que m'a rendue de votre part le Père Monod. Je fais tant d'état de toute votre maison que, témoignant son affection, comme je ne doute point qu'elle ne le fasse, au consentement du Roi et à ses affaires, qui seront toujours les siennes, je n'oublierai rien de ce qu'il me sera possible pour le servir en toutes occasions. Je ne m'éloignerai point de la paix, dont il vous plan de me parler, pourvu qu'elle soit prompte et sûre, mais je doute que ceux qui troublent le repos de l'Italie la veulent ainsi[35]. D'après cet amphigouri on pourrait croire que Richelieu Mordit à la pomme avec un certain appétit. Dans ses
Mémoires, il raille le Père Monod et sa proposition : Tant les esprits sont merveilleux, qu'ils forgent tous les jours
nouvelles chimères et croient que tous
les hommes sont des sots excepté eux[36]. Mais le Jésuite
était un homme de ressources et peut-être avait-il, plus que le cardinal ne
l'avoue, pénétré l'impénétrable. Voici de nouveau le prince de Piémont. On le trouve le 4 mars à Brezoles près de Turin, le 8 à Bussolin. Les civilités sont grandes de part et d'autre[37], plus grande encore l'habileté du ministre. Il fait miroiter aux yeux du prince de Piémont tout ce que le duc de Savoie a désiré toute sa vie : et la restitution de la vallée de Cisery avec le Pont-de-Crésin, et le jugement du partage du Montferrat, et la possession des places qui seront prises au duché de Milan, et la conquête de Cènes. Mais il demande que le duc de Savoie joigne ses forces aux troupes du Roi, fournisse à l'armée royale tout le blé nécessaire, et cesse de faire travailler aux murailles de Veillane. Le prince répond évasivement, assure u qu'il le voudrait pouvoir faire, mais qu'il ne le peut n. Le cardinal finit par se lasser. Ni les hommes ni les chevaux ne se nourrissent de belles paroles. Richelieu voit bien que Charles-Emmanuel voudrait embarquer l'armée du Roi dans un pays étranger, sans vivres et la tenir à sa merci entre les forces d'Espagne, de l'Empereur et les siennes. Le 13, il quitte Suse en compagnie des maréchaux de La Force et de Schomberg, ses lieutenants. Son carrosse avance, au milieu de l'armée, dans la plaine de Montolins. Il avait pris dans sa voiture un fort joli enfant qui parfois descendait, allait folâtrer dans toute l'armée et courait redire au cardinal tout ce qu'il avait entendu, grand disciple, malgré son jeune âge, d'un si grand maître[38]. Le cardinal s'arrête à Caselette à trois lieues au nord de Turin. Eh quoi, va-t-il foncer sur la capitale du Piémont ? M.M. de Savoie se le demandent. Conférences sur conférences, ambassades sur ambassades. Rien n'aboutit. Le cardinal s'apprête à passer la Poire, et l'armée du Savoyard à lui disputer le passage, mais lorsque, la nuit du 18 au 19 mars, le cardinal et ses gardes arrivent aux gués reconnus dès la veille, les troupes de Savoie ont déguerpi, elles sont allées s'enfermer dans Turin. La Doire et la campagne sont libres. L'infanterie fait un détour à la recherche d'un pont, la cavalerie descend dans les gués. L'un des gentilshommes, M. de Pontis, regarde avec surprise, précédé de deux pages à cheval, qui portent l'un les gantelets, l'autre l'habillement de tête de leur maître, Richelieu, également à cheval, s'avançant dans son habit feuille morte, brodé d'or, la taille prise dans une cuirasse couleur d'eau, une belle plume à son feutre. Le cortège entre dans la rivière. A droite et à gauche du cardinal, deux autres pages montés tiennent par la bride le coureur de grand prix sur lequel chevauche le prélat. Derrière lui, son capitaine des sardes. Richelieu gagne l'autre rive, l'épée au côté, les pistolets à l'arçon de la selle. D'un geste impérieux, il écarte les pages et soudain fait voltiger son coureur[39], comme s'il goûtait un plaisir raffiné à montrer à tant de gentilshommes qui le contemplent, qu'il est un des leurs, que le cardinal-évêque, généralissime de l'armée du Roi, fut jadis l'un des meilleurs élèves de l'Académie et apprit comme eux la perfection du cavalier. Un fort beau temps, moins beau cependant que celui de la
veille, où il semblait à chacun que l'été fût venu[40], ajoutait encore
à l'intérêt du spectacle. Mais vers trois heures de l'après-midi, le ciel se
couvrit de lourds nuages noirs et la plus effroyable des averses de pluie, de
grêle et de neige creva sur l'armée, qui se hâtait vers le bourg de Rivoli.
Les soldats courbaient le dos sous ce déluge et donnaient
le cardinal et tous ses gens au diable. Richelieu, qui était remonté
en carrosse, ne perdait rien de ces aimables propos. Voyant passer M. de
Puységur, qui remplaçait ce jour-là le major des gardes, il l'appela et lui
dit : Les soldats des gardes sont fort insolents,
n'entendez-vous pas bien ce qu'ils disent de moi ? — Oui, je l'entends bien, répondit Puységur, mais, pour l'ordinaire, quand les soldats souffrent ou ont
du mal, ils ne manquent jamais de donner au diable tous ceux qu'ils en
croient les causes. Quand ils sont à leur aise, ils disent toujours du bien
du général de l'armée et s'enivrent souvent en buvant à sa santé. — Il faudrait pourtant, reprit le cardinal, leur défendre de dire tant de sottises. M. de
Puységur et dit : Je le ferai et ne manquerai pas de
leur commander d'être plus sages, en leur donnant l'ordre. Le carrosse arrivait au bourg de Rivoli. Une partie de l'année s'y trouvait déjà bien au sec dans les maisons et faisant bombance. Tandis que la voiture roulait dans le village vers le château qui couronnait l'une des trois collines de Rivoli, à généralissime entendait les soldats se réjouir et boire à la santé de ce grand cardinal de Richelieu. Le soir, nous confie Puységur, allant pour recevoir l'ordre de lui, parce que les gardes en ce temps-là ne le prenaient que du seul général de l'année du Roi, quand il commandait en personne, et jamais des lieutenants généraux, quoiqu'ils fussent maréchaux de France, il me dit que nos soldats avaient bien changé de discours et me demanda si cela venait de ce que je les avais avertis. Je dis que non et que j'attendais à leur défendre de mal parler de lui dans le temps que je leur donnerais l'ordre. Il trouva bon que je n'en parlasse point, mais que je ne manquasse pas de faire avertir les gardes de se tenir prias de grandissime matin[41]. Nul ne connaissait le dessein pour lequel Richelieu allait devancer le soleil, le duc de Savoie moins que personne. La Doire à peine traversée, le cardinal lui avait envoyé Servien, secrétaire d'Etat, pour lui dire que son intention n'était pas de Licher à lui faire du mal, mais seulement d'empêcher qu'on n'en fit à l'armée du Roi. Le duc n'avait voulu ni recevoir Servien, ni permettre qu'il vit Madame, ni le nonce, ni l'ambassadeur de Venise[42]. Rien n'avait pu le faire revenir sur sa résolution. Mais il avait consenti à demander un passeport pour un ambassadeur qui viendrait traiter en son nom avec le cardinal. Rien n'était venu. Cependant un millier d'hommes, détachés de l'armée de Son Altesse, étaient partis pour secourir Pignerol. On était au 20 mars, le cardinal marchait sur Turin. Avant-garde et canons s'approchaient à une lieue des remparts. Peu rassuré dans sa capitale, quoiqu'elle fût protégée par un circuit de murailles si étendu qu'il fallait une heure et demie pour le parcourir, le Savoyard fit revenir les mille hommes en route pour Pignerol. C'est la faute qu'attendait Richelieu. Il tourne subitement son arrière-garde vers Pignerol, s'y achemine avec le gros des troupes. Le 21, il parait à l'improviste devant la ville et l'investit. Les tranchées se creusent rapidement sous une pluie torrentielle, l'eau monte aux assiégeants jusqu'à mi-jambe : le 22, attaquée par les maréchaux de La Force et de Créqui, la place capitule et le fort voisin de La Pérouse se rend sans résistance. Le comte Urbain de Lescalangua, qui commandait Pignerol, s'était retiré dans la formidable citadelle dominant la ville. Huit jours plus tard, le samedi 28 mars, à six heures du matin, le cardinal, qui se préparait à gagner La Pérouse, adressait au maréchal de La Force un billet où frémissait toute sa passion de vaincre : Monsieur, vous me donnez la vie, quand vous vous résolvez de pousser vertement l'attaque du bastion qui prendra la citadelle assurément. Je vous supplie d'y faire l'impossible, car de là dépend le tout... Je vous prie que je sache ce soir le travail que vous pensez faire cette nuit et quand vous serez attaché au bastion, car cela me console et je me promets qu'il vous réussira quelque chose de bon, si l'on y est bientôt[43]. On y fut le lendemain. Ce dimanche 29 mars, jour de Pâques de l'année 1630, la citadelle ouvrait ses portes. Richelieu ne craignait plus que, du côté de Suse, Veillane lui coupât les communications avec la France. Pignerol et La Pérouse lui permettaient de recevoir aisément les vivres du Dauphiné. Adossé aux montagnes, à huit lieues de Turin, il était en situation d'inquiéter le duc de Savoie et de lancer des pointes à travers la vaste plaine du Pô. Il pouvait même se dispenser d'aller au secours de Casal : si le duc de Mantoue perdait cette ville, le cardinal avait d'assez bons gages entre les mains pour se la faire rendre. Le garde des Sceaux contre le cardinal. Je prends la plume pour vous conjurer de dire franchement au Roi quand vous estimerez qu'il le faille purger, et ne lui celer point ce que vous estimerez nécessaire pour sa santé. Il est prince si bon et si judicieux, que si votre procédé lui t'épiait d'abord, il en sera bien aise en effet. C'est au médecin de Louis XIII, à M. Bouvard, que Richelieu écrit de Pignerol en cette fin de mars, ce fameux Bouvard qui, assure-t-on, ordonna quarante-sept saignées en une seule année à son infortuné client. Le cardinal est également pour les remèdes énergiques, il continue à dicter : Mieux vaut en ce point lui déplaire un peu pour lui aire utile que de se rendre complaisant à son préjudice. Si vous pensez qu'alléguer nia considération porte Sa Majesté à vous croire et. à user des remèdes que vous lui ordonnerez, vous pouvez vous servir de nies lettres et les lui montrer, étant certain qu'elle me pardonnera volontiers le conseil que je vous donne de la presser pour sa santé, qui me sera toujours en plus singulière recommandation que ma propre vie. Cependant vous me ferez un plaisir indicible de me mander toujours l'état de sa disposition[44]. Le cardinal a besoin d'un roi bien portant, car il désire par-dessus tout que Louis XIII vienne se mettre à la tête de son armée d'Italie. Monsieur, revenu à Paris, est rentré dans le devoir, d'assez mauvaise grâce d'ailleurs. Louis XIII a devancé le désir du cardinal et déjà il est en route. II séjourne à Troyes, pour prendre en main l'armée que Monsieur commandait en Champagne ; il veut, selon l'occurrence, contenir le duc de Lorraine, ou gagner la Savoie et le Piémont. Les conseils de Bouvard ont fait merveille. Le 6 avril, M. de Saint-Simon, le premier écuyer, écrit au ministre : Le Roi doit prendre ce soir un lavement par précaution, il s'accoutume petit à petit à user de ces petits remèdes, qui lui font grand bien[45]. Et Bouvard en personne prend sa plume, pour laisser espérer au cardinal un réconfort autrement précieux l'espoir d'un héritier qui écarte à jamais du trône l'indésirable Gaston. Voilà un bulletin de santé que Richelieu lit sans déplaisir. Et en voici un autre du inique Bouvard, plus circonstancié, accueilli avec non moins de satisfaction : Depuis la hardiesse que nous avons prise de toucher au Roi le fait que tant de fois vous m'avez recommandé, depuis sa purgation, il y a dix ou onze jours, et depuis la bonne nouvelle de votre part, jamais Sa Majesté ne fut si gaie, si joyeuse, si contente, jamais plus d'attraits de douceur et d'amour. J'espère qu'en ce temps qui y est bien propre, l'esprit étant éloigné de chasse, l'effet tant désiré de tout le monde et de vous particulièrement réussira. Une chose me peine, l'interruption de cette douce conversation par le voyage et surtout en ces montagnes où les Reines à peine pourront-elles aller[46]. L'excellent docteur a la médecine courtisane. Louis XIII est arrivé à Lyon et il y laisse les Reines. Richelieu de son côté, confiant Pignerol aux maréchaux de La Force et de Schomberg, va au devant du Roi et, le 10 mai, est près de lui à Grenoble. Pignerol à peine conquise, les envoyés du Pape demandent que cette ville soit restituée au duc de Savoie. Richelieu, à Pignerol, avait repoussé les prières du nonce Panzirolo, Louis XIII, à Lyon, celles de Mazarin. A Grenoble, Roi et ministre refusent de plus belle. Le conseil s'assemble avec les maréchaux de Créqui, de Châtillon et de Bassompierre, les maréchaux de camp Contenant et du Hallier. Louis XIII écoute le rapport que lui fait le cardinal sur la négociation pour la paix. Créqui et Bassompierre, favorables à la paix, jugent cependant qu'elle est impossible et concluent à la continuation de la guerre. Chatillon et les maréchaux de camp estiment que les conditions offertes sont irrecevables[47]. Comment consentir que l'investiture soit donnée au duc de Mantoue trois semaines seulement après la signature d'un traité ; que la garnison française soit chassée de Casal ; que les prétentions du duc de Savoie sur le Montferrat soient satisfaites ; que Suse, Pignerol, toutes les conquêtes du Roi soient restituées le jour où l'Empereur rendrait les passages des Grisons ? Comment admettre que les infractions au traité de Monçon ne soient pas réparées ? L'intérêt et l'honneur du Roi s'y opposent. Richelieu va saluer Marie de Médicis à Lyon. Louis XIII lui commande de lire son rapport à la Reine mère et de prendre son avis. La Florentine semblait n'avoir conservé nul ressentiment contre le cardinal : Elle vit fort doucement, écrivait un mois plus tôt à Richelieu le Père Suffren, je viens tout maintenant de l'entretenir selon l'ordinaire des samedis ; ce n'a pas été sans parler de vous et la porter toujours à reconnaitre les obligations que l'Église et la France vous ont et à oublier toutes les appréhensions du passé. Je n'ai pas eu en cela beaucoup de peine, son bon sens naturel ne pouvant choquer de si claires vérités[48]. Si la Reine mère eut alors parlé sous le sceau de la confession, sans doute, ainsi que l'observe M. Avenel, eût-elle donné un acquiescement moins complet aux paroles du bon confesseur. Richelieu sait à quoi s'en tenir et c'est l'âme inquiète qu'il fait sa révérence. Premier accueil convenable ; lecture du rapport à la Reine en présence du garde des Sceaux Marillac et dit due de Montmorency. Le cardinal ajouta que la question était s'il valait mieux laisser tomber Casal, dont la perte n'était pourtant pas assurée, et prendre en même temps la Savoie pour contre-échange et garder Pignerol et tout ce qu'on avait dans le Piémont, ou faire une paix à mauvaises conditions pour sauver Casal, dont la sûreté dépendrait plus que jamais de la volonté et de la foi des Espagnols, et ainsi perdre par un traité faible et honteux la réputation que le Roi avait acquise par tant d'actions, dont il s'ensuivrait bien d'autres maux[49]. Lorsque Richelieu eut achevé sa lecture, le chancelier se mit à lire un mémoire qui certainement avait été rédigé de connivence avec la cabale de la Reine mère : La paix certainement est nécessaire. Le Roi, que son courage expose aux fatigues, hasards et incommodités ordinaires de la guerre, la Reine et tous les fidèles sujets désirent de faire cesser des occasions si dangereuses. Les misères et afflictions du peuple de France, qui languit sous de très grandes et incroyables pauvretés, font un devoir au Roi de se porter vers cette fin rapide de toutes les hostilités. Les villes sont en proie à des émeutes, les armées françaises ont été vaincues en Italie sous les prédécesseurs de Sa Majesté. Verra-t-on cette fois M. de Savoie se revêtir des dépouilles de M. de Mantoue ; l'Empereur et les Espagnols garder à jamais les passages des Grisons, d'où s'écouleraient et s'étendraient par toute l'Italie des inondations d'Allemands ? Pignerol et Suse aux mains de la France ne sauveraient pas M. de Mantoue. La passion rend ingénieux : Marillac ose rappeler que jadis la prière des dames et le bon accueil fait (dans Turin) à l'un de nos rois (Henri III) ont fait rendre ces bonnes villes que nous tenions et possédions (alors) paisiblement et justement. Les Français ont si peu de persévérance en leurs desseins, que la inique faute est toujours à craindre. La France court donc risque de demeurer dépouillée des passages des Grisons et se dépouillerait de Suse et de Pignerol[50]. Le cardinal regardait le vieux garde des Sceaux à la face congestionnée, déjà envahie par l'herpès. Il prenait en pitié cet homme de soixante-sept ans, qui se laissait entrainer par l'ambition et par les vieux bouillons d'un autre âge, dans une intrigue sans issue et si dangereuse pour le bien public. Ce qui était en cause, c'était la grandeur de la France et la gloire du Roi. Comment ne pas secouer du pied toutes ces misères ? Le garde des Sceaux achève sa lecture : La piété et la justice, qui sont deux colonnes qui soutiennent les États, sont encore en une grande débilité, travaillent beaucoup à se remettre et ne le peuvent faire qu'en paix. Sur ces déclarations à double sens, Marie de Médicis prend
la parole : et que déclare-t-elle ? qu'on ne peut
faire la paix en excluant les Français de Casal, ni en donnant le partage de
M. de Savoie comme il le demande, de même sans
vider les différends d'entre les Valtelins et les Grisons[51]. La Reine
désirait la paix avec passion, mais non au prix de l'honneur. Richelieu savait que le sentiment de la Reine était juste
à l'opposé de ces déclarations ; mais qu'elle n'osait manifester sa véritable
opinion, de peur de se ruiner en l'esprit du Roi et celui de toute la France[52]. Ces
déclarations étaient donc un jeu pour entretenir la discussion, rien autre
chose. Le duc de Montmorency pense comme la Reine. Le cardinal reprend les
points par lesquels on a essayé d'ébranler son propre système et son procédé
prudent : Toutes les raisons mises en avant par M.
le Garde des Sceaux, dit-il, font clairement
paraître que la paix est à désirer : je l'ai toujours souhaitée pour ces considérations
et n'ai rien omis de ce que j'ai pu imaginer pour la procurer. Votre Majesté
et M. le Garde des Sceaux savent bien que, par une dépêche que je fis au Roi
après la prise de Pignerol, je n'oubliai point à représenter les
inconvénients qui arriveraient de la continuation de la guerre, et les
raisons qui pouvaient porter à acheter la paix au prix de la restitution de
Pignerol. Vous savez aussi qu'on ne me lit autre réponse à cette dépêche,
sinon que le Roi avait pris le parti le plus généreux et venait attaquer la
Savoie. Nonobstant, pour ne pas fermer la porte aux négociations de la paix, le cardinal a écrit en partant une nouvelle lettre à la princesse de Piémont. Tout ce qu'on peut faire pour obtenir la paix a été fait. A qui incombe maintenant la responsabilité de la guerre ? Les raisons apportées par M. le Garde des Sceaux, continue Richelieu, font encore voir qu'on ne peut faire la guerre sans de grandes incommodités : ce qui n'est pas seulement en cette occasion particulière, mais en toutes autres, la guerre étant un des iléaux par lesquels il plait à Dieu d'affliger les hommes. Mais il ne s'ensuit pas pour cela qu'il faille se porter à la paix à des conditions faibles, liasses et honteuses. Et le cardinal de formuler, en haussant la voix, cette maxime, juste en tous les temps : L'aversion que les peuples ont de la guerre n'est pas un motif pour porter à une telle paix, vu que souvent ils sentent et se plaignent aussi bien des maux nécessaires comme de ceux qu'on peut éviter, et qu'ils sont aussi ignorants à connaître ce qui est utile à un État comme sensibles et prompts à se douloir des maux qu'il faut souffrir pour en éviter de plus grands[53]. Pour la seconde fois, mais non sans regret, Marie de Médicis accepte comme une nécessité la continuation de la guerre. Le cardinal sort donc victorieux de l'attaque ambiguë menée contre lui. Mais le dernier mot n'est pas dit : le garde des Sceaux va s'efforcer de regagner avec la Reine le terrain perdu. Richelieu ne se fait aucune illusion sur ces agissements. Il rejoint le Roi. Mais, au bout de trois semaines de réflexions, il s'adresse de nouveau à Marie de Médicis : Madame, se présentant plusieurs affaires de très grande importance, comme la résolution de la paix ou de la guerre, du secours de Casal et autres de grande conséquence, qui ne se peuvent écrire, Sa Majesté a cru que vous ne trouveriez point désagréable qu'il vous conjurât de venir jusques à Grenoble avec la Reine, les princesses et M. le Garde des Sceaux. Les affaires sont de tel poids, que j'ai cru que Votre Majesté ne trouverait pas mauvais de prendre cette peine. Je vous avoue, Madame, que j'ai une extrême joie d'espérer d'avoir par ce moyen bientôt l'honneur de recevoir les commandements de Votre Majesté, qui me seront toujours des lois inviolables. Je crois qu'il est à propos et nécessaire qu'elle se rende à Grenoble vers le 15 de ce mois. Je vois des choses que je ne lui puis écrire qui le requièrent ainsi à mon avis. Le Roi ne se porta jamais si bien et ne fut jamais mieux disposé pour Votre Majesté qu'il est. Pour moi, Madame, je suis et je serai jusqu'au tombeau, de Votre Majesté, le très humble, très obéissant, très fidèle et très obligé sujet et serviteur, le cardinal de Richelieu[54]. Le Roi se trouvait avec son ministre à Conflans sur l'Isère. Il avait toute satisfaction d'avoir suivi les conseils du cardinal. Il était entré en vainqueur dans Chambéry le 17 mai. Le 23, il avait pris Romilly. Annecy, Charbonnières, Montmélian étaient en son pouvoir. A Chambéry, Mazarin était venu pour connaître les intentions du Roi au sujet de la paix, qui maintenant semblait probable, puisque Louis XIII condescendait à restituer Pignerol. Marie de Médicis et le garde des Sceaux avaient écrit qu'on ne fit point la paix, si elle n'était avantageuse au service du Roi et qu'elle ne tranchât les racines d'une guerre à l'avenir[55]. La Reine n'était pas plus sincère dans ses lettres que dans les discours. L'amour naturel et non assez considéré qu'elle avait vers sa fille la princesse de Piémont, nous dit Richelieu, sa haine à la maison de Mantoue et le désir de son propre repos et de pouvoir demeurer à son aise en son palais du Luxembourg, — son beau palais florentin tout neuf, — délivrée de l'embarras de tels voyages, lui faisaient désirer impatiemment qu'on fit ce qu'elle n'osait exprimer ni dire qu'elle désirât, mais voulait être entendue sans parler et servie sans qu'on osât même lui faire paraître qu'on eût compris son dessein[56]. Tels sont les dessous des affaires de cour, si difficiles à débrouiller pour l'histoire. Ce n'est pas tant pour avoir son avis que Richelieu appelle la Reine auprès du Roi : c'est pour avoir les deux complices près de lui, sous ses veux auxquels rien n'échappe. Il tremble que Marie de Médicis ne refuse et il ajoute à sa lettre cet alléchant post-scriptum : Si Votre Majesté n'a Grenoble agréable, Vizille (à quatre lieues de cette ville) est un fort beau lieu, où il y a belles eaux, bon air, beaux promenoirs, grands logements et tout ce bourg est fort grand et est plus proche de Montmélian que Grenoble. Louis XIII écrit lui-même, Richelieu insiste : la Reine ne vient pas. Le cardinal explique de loin à l'opiniâtre Florentine que si Casal se perd, il ne faut point espérer de paix, les Espagnols étant trop insolents pour y songer seulement, et que la ville se perdra si, dès la fin de juin, elle n'est secourue puissamment en effet et encore davantage en apparence... Si le Roi va à Lyon, Spinola verra bien qu'il n'a point à craindre sa venue ; si la Reine vient à Grenoble, tout à monde croira que le dessein du Roi est de s'avancer[57] et Casal sera sauvée. Marie de Médicis se butte : elle ne veut pas venir. Le garde des Sceaux poursuivait son double jeu. Il obsédait la Reine, nous disent les Mémoires de Richelieu, par les n fréquents et longs entretiens qu'il avait avec elle contre son Éminence[58] : il condescendait à toutes ses inclinations et affections. Et plus il rendait de mauvais services au cardinal auprès de la Reine, plus il lui écrivait avec d'extraordinaires honnêtetés : tantôt il lui mandait que les calomnies et les traverses briseraient toujours contre le rocher de la protection du cardinal tantôt qu'il ne se départirait jamais de la fidélité que devait une âme généreuse et chrétienne à tant d'obligations qu'il lui avait. Tantôt enfin il ne se contentait pas de l'assurer de son service, il y ajoutait celui de son frère et de toute sa maison[59]. Suivant la piquante remarque de Richelieu, on a beau écrire, les dépêches ne parlent point : il faut s'expliquer de vive voix. La Cour se transporte donc de Grenoble à Lyon. Marillac fait connaître son opinion à savoir que le Roi doit y rester. Cet avis, observent avec indignation les Mémoires, provenant d'un homme qui n'était pas si grossier qu'il ne sût bien connaître qu'il apportait une ruine certaine aux affaires de France, montrait bien que l'intention de celui qui le donnait, n'était pas le bien public, mais sa passion particulière, ni le service du Roi, mais la ruine du cardinal, sur lequel, connue il avait déjà dès le commencement, essayé de rejeter toute la cause de la guerre, il eût encore ensuite voulu rejeter celle de son mauvais événement. Louis XIII, toujours si fier de jouer un rôle militaire, se tient à l'avis du cardinal. Il quitte Lyon le 21 juin 1630. Le 21, il était à Grenoble. Le cardinal, à peine arrivé, reçut une lettre de ce Bullion, alors conseiller de la Reine et que, dans ses Mémoires, il a traité d'habile courtisan : Marie de Médicis se montrait admirablement disposée pour le cardinal. Étant hier déjà chez la Reine, expliquait Bullion , elle m'appela d'elle-même et me dit qu'elle me pouvait dire avec vérité qu'elle avait l'esprit très content et que maintenant elle m'assurait que jamais elle n'eut plus de bonne volonté et d'affection qu'elle avait pour vous et qu'en dépit de tous les brouillons, cette affaire était au point qu'elle avait toujours souhaité ; qu'elle priait Dieu de bon cœur que la paix fût bientôt faite, afin qu'elle, le Roi et vous ne fussiez plus séparés. Elle m'avoua que la Cour était terrible et qu'il y avait des gens artificieux qui ne demandaient qu'à brouiller. Sa Majesté me dit encore : Je me souviens que m'avez parlé d'un avis, c'est chose que je veux entreprendre et principalement pour M. le Cardinal. Je lui dis que j'estimais que cette affaire se ferait très assurément à Paris, Dieu aidant. J'ai dit à Sa Majesté que d'un côté vous aviez eu de l'affliction, à votre départ, de vous éloigner maintenant de Sa Majesté, quoique ce fût pour affaire si importante au service de Leurs Majestés, mais que vous aviez l'esprit fort soulagé d'avoir reconnu l'affection de Sa Majesté en votre endroit. Je n'estime pas que la Reine puisse jamais are en meilleure humeur qu'elle est pour vous. L'auréole (M. de Marillac) fut hier près de deux heures dans son cabinet, seul avec elle. Pourvu qu'il vous rende compte de si longues conférences, il n'y a sur ce sujet rien à dire. Ledit L'auréole me parla, comme il sortait, de quelque sédition survenue à Angers et à Tours. Je n'estime pas qu'il ait pouvoir de changer l'esprit de la Reine et, à mon avis, son épée est trop courte. M. de Bellegarde fut aussi longtemps avec Sa Majesté et, à diverses reprises, lui parla avec grande affection. En écrivant la présente, j'ai su que la Reine avait été très contente des nouvelles que lui avez données de M. de Mazarin[60]. Ce 24 juin 1630, tandis que Bullion composait pour Richelieu cette lettre d'habile courtisan, le cardinal envoyait à la Reine d'autres extraits des dépêches de Mazarin, qui devaient lui être agréables. Le cardinal Bagni, arrivé depuis peu à Grenoble, avait communiqué ces dépêches à Richelieu. Mazarin disait qu'il se trouvait bien des difficultés relativement à la paix dans la négociation[61], il montrait Casal pressée par l'ennemi, Mantoue en peine, les Vénitiens en confusion. Cela étant, mandait Richelieu à Marie de Médicis en un mémoire destiné à être communiqué au seul Marillac, je ne crois pas qu'il y ait personne assez hardi pour dire son avis tout seul ; et partant, l'affaire étant de conséquence et n'y fallant pas perdre un moment, on estime à propos que M. le Garde des Sceaux parte mardi (25) expressément, pour venir à Grenoble, où le Roi séjournera deux jours et peut-être davantage. Tant y a que le plus loin qu'il y ait à aller, sera jusqu'à Charbonnières, qui est à huit lieues d'ici, ne voyant point d'apparence que le Roi passe plus loin. Richelieu ajoutait avec complaisance et une humilité des plus louables : On envoie la lettre que le Roi écrit à M. le Garde des Sceaux, à la Reine, afin qu'elle soit donnée si elle le trouve à propos, et non donnée en cas qu'elle jugeât qu'il dût demeurer là où il est. Cependant Sa Majesté considérera, s'il lui plait, la peine en laquelle se trouve sa créature, qui estime avoir besoin de seconds en une occasion si importante[62]. Le garde des Sceaux devint extrêmement
pensif, lorsque, le 26 juin, la Reine lui eut remis la lettre du Roi :
il se rendit chez Bullion, voulut savoir pourquoi on le mandait à Grenoble,
et s'empressa d'écrire au cardinal qu'il partirait dès que sa santé et ses
équipages le lui permettraient. Les maladies semblent fondre tout à coup sur
lui, pour le retenir à Lyon. Il prend enfin congé de la Reine le 27 en un
entretien d'une heure et demie[63], où la politique
du cardinal et même sa personne ne sont pas épargnées : Et pour ne laisser le cardinal en aucun doute de
refroidissement de son affection envers lui, nous disent les Mémoires,
la Reine lui écrivait avec des paroles qui en
étaient remplies, le conjurant soigneusement de se conserver le plus qu'il
pourrait[64]. Le Roi et le cardinal n'avaient pas attendu Marillac. Le 3 juillet 1630, Louis XIII s'était arrêté au petit village d'Argentine, Richelieu à La Chambre, le premier à huit lieues, le second à trois de Saint-Jean-de-Maurienne. Subitement indisposé, Louis XIII annonça qu'il n'irait point en Italie. Richelieu comprenait toute la portée de cette déclaration inattendue. Il écrivit à Bouthillier, conseiller du Roi et secrétaire de ses commandements : C'est un grand malheur que l'indisposition du Roi ne lui ait permis de déclarer son dessein deux jours plus tard. Mazarin l'eût trouvé à la Maurienne et il eût eu la réputation d'aller secourir Casal en personne. Je dirai à Mazarin que nous avons contraint, par supplication, le Roi d'attendre un corps de troupes qui vient de France et que nous allons seulement comme avant-garde du Roi. Mais Dieu veuille que tout le monde parle ainsi. Il sera bon, tant qu'il sera près du Roi, de lui donner. sans faire semblant de rien, quelque personne affidée qui empêche que quelques malins ne lui parlent à l'oreille[65]. L'émotion de Richelieu ne demeura pas sans effet, car
Louis XIII écrivit le jour même à sa mère : Je
pensais me faire saigner ce soir, comme j'ai reçu une lettre de mon cousin le
cardinal de Richelieu, qui m'a fait connaitre qu'il était nécessaire que je
m'avançasse à Saint-Jean-de-Maurienne, parce que Mazarin arrive demain, qui
est la cause que j'ai remis la saignée à quand j'aurai le loisir, bien que
j'en aie besoin, y ayant quatre ou cinq jours que j'ai douleur de tête et un
peu d'émotion et une défluxion qui m'est tombée sur la joue droite avec
douleur de dents. Je vous supplie de ne vous mettre point en peine de moi et
croire que ce ne sera rien. Je vous ai voulu mander ceci, afin que l'on ne
vous fît point à mal plus grand qu'il n'est là. La politique a
toujours eu de grands rapports avec la santé des princes. Les ennemis du
cardinal prenaient soudainement un soin extraordinaire des souffrances de cet
infortuné Roi, succombant sous le poids des affaires et dont la faiblesse était exposée par les cruels desseins de
son ministre aux risques d'une campagne dans un pays désolé par la peste. Le
garde des Sceaux, qui était venu, à son corps défendant, jusqu'à Grenoble et
qui tremblait de s'aventurer dans les montagnes, envoyait à Bouvard une
lettre pleine des plus sinistres présages, demandant que le Roi quittât
Saint-Jean-de-Maurienne au plus vite ! Je vous prie,
gémissait Marillac, de faire tout ce que vous
pourrez pour détourner Sa Majesté de demeurer davantage en ce lieu-là et en
parler de ma part à Monsieur le Premier, qui y a plus d'intérêt qu'il ne
pense pas ; et le danger est plus grand que nous ne l'imaginons. Le Roi m'a
grandement obligé de me commander de demeurer en ces limbes, et je vous confesse que s'il m'eût commandé de
passer plus avant, je m'y fusse préparé comme pour mourir[66]. Dans sa joie de
rester à Grenoble, Marillac avait lu lui-inique au Père Suffren la lettre que
lui avait écrite le cardinal, et il avait manifesté
une extraordinaire satisfaction[67]. Pressé par Marillac, consulté par Richelieu, Bouvart
rédigea une réponse des plus embrouillées, s'efforçant de ne mécontenter ni
l'un ni l'autre. Le cardinal, après avoir lu le rapport du médecin, écrivit aussitôt
à la Reine mère. Il ne lui fit grâce (n'est-ce
pas dû à une mère) d'aucun détail : 3
juillet. Le Roi a pris hier un remède ; ce soir il a promis de prendre de la
casse. 14 juillet. Depuis huit jours le Roi s'est baigné et a pris trois
lavements, à quoi il ne se rend pas difficile. Mais il n'y avait pas eu moyen
de le résoudre à prendre une médecine jusqu'à hier que, lui représentant la
peine en laquelle vous seriez, il s'y résolut par votre seul respect[68]. 19 juillet. Je dépêche ce courrier à Votre Majesté pour
lui dire que le Roi eut hier quelque sentiment d'émotion. Il avait pris de la
tisane deux jours auparavant, qui l'avait extrêmement purgé, particulièrement
de quantité de colles et matières brillées, dont M. Bouvard a eu grande
joie[69]. Richelieu lui-Inique est malade. Il l'annonçait au Maréchal de La Force dès le 5 juillet : L'incommodité à laquelle j'ai été sujet autrefois m'ayant repris depuis deux jours, m'a contraint de demeurer ici pour quelque temps[70]. La maladie n'empêchait point le Roi et Richelieu de s'entretenir avec le Mazarin, mais le cardinal n'eut pas de peine à s'apercevoir que l'Italien était plutôt venu pour espionner que pour traiter[71]. Richelieu reçut un sérieux réconfort de la nouvelle du combat victorieux de Veillane (10 juillet). Le duc de Montmorency et le marquis d'Effiat, à la tête d'une armée, avaient voulu joindre le maréchal de La Force, qui se trouvait à Javenue (cinq lieues au nord-ouest de Turin). Ils avaient atteint le village de Saint-Ambroise, ils n'étaient séparés de Javeline que par une lieue à peine. Négligeant les sages conseils du maréchal, ils s'étaient laissé surprendre dans les délités par les dix-huit mille hommes du prince de Piémont : mais ils les avaient taillés en pièces. Ils avaient fait six cents prisonniers, ils s'étaient emparés de dix-sept drapeaux. Et Richelieu, oubliant ses douleurs et ses inquiétudes, quittant le style de Diafoirus pour celui de fleuri IV, troussait deux billets cavaliers, à l'adresse de deux gentilshommes dont l'un s'était distingué par d'incroyables prouesses. Il disait à Adrien de Montluc, comte de Cramait : Moins de lignes que vous n'avez reçu de coups vous témoigneront la joie que j'ai que les ennemis aient donné plus tic besogne à votre tailleur que d'emploi à votre chirurgien[72]. Il disait à Louis de Béthune, comte de Charost, — et l'on croit entendre sa voix trembler d'émotion, — Brave Charost, l'honneur de ta race, ces trois mots te feront connaître l'estime qu'on fait de deçà les monts du courage qu'en ces dernières occasions tu as témoigné au champ de Mars, et te donnera lieu de faire savoir de ma part à la valeur de Rambures qu'il n'y a personne qui en fasse plus de cas que moi, ni qui désire plus vous témoigner à tous deux que je suis véritablement esclave de votre vertu martiale[73]. Victoires d'autant plus nécessaires que Marillac et les
autres défaitistes qui conseillent Marie de
Médicis, tablent sur le premier échec. Ils brillent du désir de voir Louis
XIII accepter les propositions de paix de Mazarin, qui comportent la restitution
de Pignerol. Par respect pour la Reine et peut-être aussi, comme le croit M.
Avenel, pour contraindre le garde des Sceaux à montrer qu'il n'est pas la
hauteur des difficultés qui se dressent devant lui, Richelieu prie Marillac
de dire son opinion. Et le garde des Sceaux envoie de Grenoble, où il se
tient loin du feu et de la peste, un amas de phrases naïves et creuses,
auquel il donne le caractère d'un avis sur les affaires d'Italie. Cet avis
est lu le 18 juillet à Saint-Jean-de-Maurienne, en présence du Roi, du
cardinal, du maréchal de Schomberg et de Bouthillier. C'est un discours
perfide où Marillac semble tisser les accusations qu'il ne manquera pas de
développer en cas de revers. Voici le résumé, fait par M. Avenel, de ce
réquisitoire hypocrite, que Richelieu ne manque pas de graver au plus profond
de sa mémoire : Si la guerre est devenue nécessaire,
c'est qu'on s'v est étourdiment aventuré ; il faut bien la faire maintenant,
mais il ne faut engager ni la dignité ni la personne du Roi ; sans doute la
présence de Sa Majesté double les forces de son armée, toutefois il faut se
souvenir que
c'est Spinola qui commande l'armée ennemie et Spinola a pris Breda,
nonobstant l'opposition de trois rois. Quels seraient les résultats d'un
revers ? A quoi bon compromettre un si grand prince dans une guerre si mesquine ? Le Roi ne doit être nommé que pour de grandes
conquêtes ; le non-succès ferait mourir Sa Majesté de déplaisir et serait
grand reproche à ceux qui l'auront conseillé. C'est une double faute, c'est
un double péril d'exposer le Roi en Italie et de l'éloigner de France, où sa
présence est si nécessaire. Le principal est de conserver la personne et la
réputation du Roi et qu'il revienne en France le plus tôt qu'il se pourra,
pour ruiner les factions qui se réveillent, empêcher les émotions qui sont si
fréquentes, qu'il n'y a si petite ville qui n'en prenne la hardiesse ;
établir en Languedoc et en Dauphiné la paix et l'assurance contre beaucoup de
désordres qu'il y faut craindre, et surtout pourvoir à la nécessité des
finances, qu'il faut appréhender avec grande raison et qui doit être un des
plus grands motifs de ne négliger aucun moyen de sortir honorablement de
cette affaire[74]. L'avis du garde
des Sceaux est fort net : il faut se tirer le plus tôt possible d'une guerre
entreprise à l'étourdie. Connue pour envenimer la blessure, quelques jours plus tard, un nouveau conseil arrive de Grenoble, un conseil religieux que ce dévot Marillac ose donner à Son Éminence : Cette heureuse guérison du Roi, écrit-il, semble vous obliger à le presser de sortir de là et rentrer dans son Royaume, prenant ces accidents fréquents... comme avertissements que Dieu vous donne qu'il ne le veut pas en ce lieu-là et lesquels, à mon avis il ne faut pas négliger[75]. Sur quoi Richelieu fait réflexion : Les dévots savent donner de belles paroles aussi bien que les autres ; avec cette différence qu'il y a plus de déguisement et qu'on le connaît moins, parce qu'on s'y fie davantage[76]. Cependant Mantoue était surprise par les impériaux le 18
juillet, occupée, pillée durant soixante-douze heures. Ce désastre, atténué
bientôt par la mort subite du vieux duc de Savoie, fut vite connu à
Saint-Jean-de-Maurienne. Richelieu n'y pouvait croire : Chose prodigieuse à tous ceux qui connaissent la situation
de Mantoue, observait-il, qu'une ville de sa
grandeur, au milieu d'un lac dont nous sommes les maîtres, que l'on n'aborde
que par de très longs ponts, ait été prise d'un seul coup de pétard, qui y a
fait entrer toute la cavalerie et l'infanterie ennemie, et que soixante-dix
soldats, descendus par barques, l'aient appliqué sans empêchement. Le
Cardinal cacha cet événement le plus longtemps qu'il put. Mais à Grenoble,
Marillac triomphait : Il ne laissa pas de dire tout
haut, en présence de plusieurs, remarquent les Mémoires, que c'était un commencement de mauvaises nouvelles et que
nous en devions attendre de jour en jour beaucoup d'autres ; qui était une
parole bien éloignée de celles qui devaient sortir de la bouche d'un homme
élevé en la dignité en laquelle il était, son devoir étant d'encourager un
chacun au service de son maître ou de relever les esprits qu'il voyait
abattus, non pas de les étonner davantage qu'ils étaient, mais il avait une
intention particulière qui le faisait parler ainsi[77], l'intention de
jeter le blâme sur le ministre, de le compromettre et de prendre sa place.
Richelieu écartait ces misères avec dédain : S'il y
a, disait-il, des sots qui pensent que les
affaires du Roi aient reçu un échec en cette occasion, ils témoignent de leur
peu d jugement. Ce n'est point le Roi qui perd Mantoue[78]. Louis XIII, à cette heure, se croyait en danger de mort.
Le 21 juillet, à l'évêché de Saint-Jean-de-Maurienne, où il logeait, il avait
déclaré qu'on le ferait mourir, si on l'obligeait à
demeurer plus longtemps dans cette ville[79]. Parti dès le
25, il prenait la route d'Argentine, de Banaux et de Grenoble, s'acheminant
vers Lyon. Une sorte de dysenterie ravageait tout le pays. Le Roi dut coucher
plus d'une fois en pleine campagne dans des maisons isolées. Un soir, on
avertit son favori Saint-Simon que l'hôtesse venait d'être prise du terrible
mal. La nouvelle courait de bouche en bouche, rembrunissait les visages des
courtisans debout dans la chambre du Roi. Louis XIII remarquant les mines
consternées de ces gentilshommes, voulut connaitre la cause qui figeait tous
les sourires : Retirez-vous, dit avec
sang-froid le fils de Henri IV, et priez Dieu que
vos hôtesses ne soient pas attaquées de la peste comme la mienne ; qu'on tire
les rideaux de mon lit, je tâcherai de reposer et nous partirons demain
tranquillement et de bon matin. A Saint-Jean-de-Maurienne, le cardinal l'avait vu avec désespoir s'éloigner. Il avait prié le Père Suffren, confesseur de Leurs Majestés, qui s'en allait avec son pénitent, de calmer Marie de Médicis très mécontente. Il tremblait que Louis XIII ne retombât sous l'influence de sa mère. Ce fut avec un soupir de soulagement qu'il ouvrit la lettre du Père Suffren écrite à Lyon, le 8 août. Je vous écrivis de Barraux, mandait le religieux au cardinal ; la satisfaction avec laquelle à Roi s'est séparé de vous à Saint-Jean-de-Maurienne, ayant reconnu le soin particulier que vous aviez de sa conservation et, quoique étant à Barraux, il eût parfois ses ordinaires ennuis et quelque désir de venir à Lyon, néanmoins il n'a jamais voulu en sortir qu'il n'eût appris par celle que vous avez écrite à M. Bouthillier que Sa Majesté pouvait librement aller à Lyon ; je crois que, quand vous eussiez jugé nécessaire pour le bien de ses affaires qu'il n'en partit de quelques jours, il relit trouvé bon et gaiement exécuté[80]. C'était donc toujours à Louis XIII qu'il fallait à Richelieu. Il ne manquait plus au Roi que la santé. Et bientôt le médecin Bouvard, annonçant l'entier rétablissement du jeune prince, attribuait la gloire de la guérison au cardinal, qui avait été le principal auteur du changement d'air. Il exaltait son royal client : La gaieté l'accompagne à présent, disait-il, et lui a dissipé tout le chagrin de son esprit... Que jamais sa santé ne soit altérée par les affections de rame, qui lui sont ses plus fâcheux ennemis ![81] Le Père Suffren, toujours un peu bénisseur, vantait non
moins les bonnes dispositions de Marie de Médicis : J'ai
entretenu en particulier une couple d'heures la Reine et n'ai pas été sans
employer une bonne partie de ce temps à parler de vous, selon ce que je vous
avais promis à Saint-Jean-de-Maurienne. J'ai reconnu son cœur en la même
disposition et résolution que quand nous partîmes d'ici et crois que vous le
reconnaîtrez non seulement par ses lettres ou par ses paroles quand nous
aurons le bien de vous voir ici, mais aussi par les effets de la continuation
des témoignages de bonne affection[82]. Richelieu avait
quelque peine à se laisser convaincre et il faisait part de ses doutes au
confesseur. S'il y a, répondait le religieux,
quelque chose en l'esprit de la Reine qui ne soit
tout à fait à votre entendement, elle le cache, car parlant de vous à moi et
aux autres, elle en parle en façon qu'on ne reconnaît rien et c'est une des
raisons qui me font désirer votre présence pour dissiper tous ces nuages, si
quelques-uns y restaient, que les plus clairvoyants, qui vous en ont donné
avis, remarquent mieux que moi[83]. Tous les amis
et serviteurs du cardinal entourent Marie de Médicis pour tâcher de tirer
d'elle quelque chose. Bouthillier écrit du noviciat des Jésuites de Lyon. Il
a donné lecture à la Reine de la plupart des lettres que Richelieu écrit au
Roi et particulièrement des passages qui parlent d'elle. Sa Majesté en est fort aise, car les plaintes même qu'elle fait sont
obligeantes. Mais que pense le Roi ? Tandis que, la veille de
l'Assomption, la Reine se confesse au Père Suffren, le Roi, ayant donné le bonsoir et prié
Dieu, fait approcher Bouthillier et, le
remettant au lendemain pour lire, lui commande néanmoins de lui dire la
substance des dépêches du cardinal : Je
croirais ces circonstances inutiles, continue Bouthillier, mais elles vous marquent la raison pour quoi vous n'aurez
point pour ce coup de lettres de Leurs Majestés, qui, ayant su l'accident
arrivé au laquais du sieur Dumont (atteint
de la peste), m'ont commandé très
expressément de vous faire leurs recommandations de leur part et de vous
conjurer de fuir le mal et revenir près d'elles le plus tôt qu'il vous sera
possible. La férie les a empêchés de vous écrire aujourd'hui et j'ai cru que,
nonobstant cela, je ne devais pas laisser de vous renvoyer votre dernier
valet de pied, de peur que vous ne fussiez en peine ne recevant pas assez
souvent de nouvelles[84]. Le cardinal dut être en peine en effet, lorsque, à la fin de ce même mois d'août, il fut averti d'une conversation que Louis XIII venait d'avoir avec sa mère. La princesse de Conti l'avait communiquée à son frère le duc de Guise, qui haïssait le cardinal, et le duc de Guise, à Paris, l'avait racontée à M. de Bullion, qui s'était empressé de la redire à Richelieu. Le Roi à Lyon, ayant instruit la Reine de l'état des affaires, Marie de Médicis s'était écriée : Voilà les bons conseils qu'on vous donne ! Louis XIII avait répliqué : Le cardinal n'est pas Dieu et n'y a que lui seul qui ait pu empêcher ce qui s'est passé ; mais, quand ce serait un ange, il n'a pu avec plus de prévoyance et prudence pourvoir à toutes choses comme il a fait, et faut que je reconnaisse que c'est le plus grand serviteur que jamais la France ait eu[85]. Belles paroles, mais qui ne rassuraient pas trop Richelieu, car Bullion ajoutait dans sa lettre : A ce discours, la sœur de Guise n'osa ouvrir la bouche, qui était près de la Reine, et, si le maitre eût lâché en façon du monde le pied, elle était préparée avec d'autres pour calomnier[86]. De moins fermes que Richelieu, — et que le Père Joseph, conseiller de Richelieu[87], — n'auraient pas continue la lutte. Le Père Suffren s'imaginait que l'incertitude, la lassitude, le dégoût allaient avoir raison du cardinal. Il le poussait doucement à la chute en faisant mine de le retenir : Votre absence me confirme en mon opinion de ne consentir jamais à l'exécution de la résolution qu'avez prise et qu'avez daigné me communiquer. Dieu s'est servi, se sert et se servira de vous pour le bien de l'Église et de cet État ; il faut coopérer à ce dessein de Dieu et non l'empêcher[88]. Le cardinal était résolu à coopérer à ce dessein de Dieu plus que ne croyait le bon Père. Jouant à son tour au plus fin, il prenait pour confident le confesseur dans l'espoir que celui-ci, ne saurait pas cacher à son royal pénitent la nouvelle de la retraite possible de Son Éminence et donnerait ainsi au Roi, involontairement, l'inquiétude de se voir abandonné par un ministre dont la présence lui était nécessaire. Les ambassadeurs étrangers commençaient à prévenir leurs gouvernements que le cardinal ne se voulait plus mêler que de la direction du Conseil et que le maréchal de Créqui aurait le commandement absolu en Italie. Au fond, le Roi tout en écoutant les uns et les autres, ne pouvait se passer dl- Richelieu et supportait très mal son absence. Dès le 15 août, il mandait son ministre à Lyon et Marie de Médicis adressait au cardinal le billet le plus gracieux : Mon Cousin, le Roi Monsieur mon fils écrivant par ce courrier qu'il est à propos que vous retourniez ici, la contagion étant à Saint-Jean-de-Maurienne, je vous fais ce mot pour vous dire que vous ne devez pas différer quitter ce lieu-ci, où il fait très dangereux. Je vous prie de croire que je serais très aise de vous voir de retour et de vous témoigner de vive voix que je suis, mon Cousin, votre bien bonne et affectionnée cousine Marie[89]. Le 23, Richelieu arrivait à Lyon et le 25 il écrivait au marquis d'Effiat : Je fusse volontiers demeuré à Saint-Jean-de-Maurienne, mais inutilement, la peste étant partout et n'ayant plus de gens de guerre, joint qu'entre vous et moi, il était bien à propos que je vinsse ici... Tout y va fort bien grâces à Dieu[90]. Casal et Ratisbonne. Il n'en allait pas de même dans Casal. Transportons-nous
dans la charmante cité italienne, dont l'historien du maréchal de Toiras
écrit d'une plume enthousiaste : Toutes ses grâces
et ses puissants attraits ont donné de l'amour aux Espagnols et ceux-ci ont
sué en vain à la conquête de ses beautés[91]. Voici les collines délicieuses et fertiles en fruits qui,
d'un côté, entourent la ville aux trois portes. Voici le Pô qui, en plus d'un
endroit, baigne ses murailles, — de méchantes murailles armées d'une
vingtaine de canons et munies de mauvais fossés qui n'ont point d'eau. Voici
le château : quatre grosses tours qui, vers l'occident, flanquent les
remparts. Trente pièces de canon défendent ces tours, que protègent des
fossés profonds revêtus de maçonnerie. La ville est couverte au midi par la
citadelle, une des meilleures de l'Europe, dont les six bastions, pourvus
d'une nombreuse artillerie, menacent la campagne couverte de vignes. Mais la
citadelle n'a ni fossés ni dehors. Toiras a
remédié à ce défaut, tant qu'il a pu. Au début du siège, le marquis de Los
Balbazès n'avait que mépris pour cette forteresse : C'est
un corps sans membres, avait-il remarqué dédaigneusement. Dans la
plaine il pousse ses dix-huit mille hommes contre Casal, dont il aperçoit au
loin, émergeant de l'amas confus des toits de tuiles roses, les cloches et le
dôme. En dépit du canon des assiégés, le sûr et lent cheminement des
tranchées est prés d'atteindre le pied de la citadelle. Il y a longtemps que le trésor de M. de Toiras, qui commande la place, est vide : il y a longtemps que pour le remplir, M. de Toiras a reçu du cardinal une lettre de change de trente mille écus, tirée par Limagne et Mascarany, banquiers à Lyon, sur Georges Rossi, marchand à Casal. Georges Rossi ne pouvant la payer ; on a fait fondre une pièce de canon hors de service, converti le bronze en cent dix mille livres de monnaie de cuivre. Cette monnaie, les habitants de Casal ne veulent l'accepter que pour sa véritable valeur, bien que Georges se soit engagé à la rembourser en or et argent. Mais que valent les monnaies obsidionales ? Voici maintenant que la fièvre chaude et la peste déciment les soldats. Toiras, dans des lettres que des femmes dissimulent sur elles avec une adresse et une audace incroyables, fait savoir à Richelieu qu'il manque de vivres. On peut espérer que l'homme de l'île de Ré tiendra jusqu'à la limite de ses forces. Dieu veuille aussi qu'il ne se laisse pas leurrer par de fausses lettres de Richelieu. La cour de Savoie est fort capable d'user de cet ingénieux stratagème et la nouvelle duchesse, Christine de France, sœur de Louis XIII, met le cardinal en garde contre ce danger. Le duc vient en effet d'ouvrir une lettre que son Éminence écrivait à la duchesse : Il a ôté le cachet, explique Christine à Richelieu, et ne croyait pas que je m'en apercevrais, et ne m'en a mandé rien, ce qui me fait croire qu'il s'en veuille servir à quelque chose contre le service du Roi ; mêmement qu'ils ont pris un paquet de M. de Toiras, qui sollicitait le secours, disant qu'il ne peut plus tenir que quinze jours. J'ai peur qu'il ne se veuille servir de ce racket qu'ils ont pris à votre lettre, pour serrer quelques lettrés pour envoyer audit M. de Toiras pour le tromper, car ils ont un secrétaire qui contrefait si parfaitement bien toute sorte de lettres, qu'il n'y a personne qui n'y fût attrapé, ou vraiment pour ouvrir les vôtres[92]. Par bonheur, le nouveau duc de Savoie désirait la fin des
hostilités. Le cardinal, toujours en correspondance avec Mazarin, travaillait
à obtenir une suspension d'armes. Il comptait sur l'extrême désir que le
Savoyard avait de la paix, sur son avidité, que l'on pourrait contenter aux
dépens des Espagnols. Il écrivait à d'Effiat : Si le
prince a des yeux, il est plus que temps qu'il pense à lui. Je désire la paix
connue ma vie ; pour cet effet, on offre des conditions fort raisonnables.
Mon appréhension est que la ville de Casal soit prise et qu'en ce cas les
Espagnols soient plus difficiles... Mais il y
aurait un expédient, qui serait de consigner le petit château, M. de Toiras
gardant seulement la citadelle[93]. Et le cardinal
avait envoyé à M. de Schomberg, qui venait de quitter Saint-Jean-de-Maurienne
avec deux mille hommes, un pouvoir en blanc pour la
paix. On estime, ajoutait Richelieu
dans sa lettre à d'Effiat, que la négociation doit
être tenue secrète entre vous et M. de Schomberg, qui êtes du conseil de Sa
Majesté ; mais, sil est besoin de venir à une signature, le traité doit être
signé de MM. de Montmorency, de La Force, Schomberg et de vous, celui signant
le premier qui sera en semaine. Il n'était point aisé de garder le
secret sans blesser les autres généraux. Le cardinal s'en remettait à M.
d'Effiat et, plaisantant sur le caractère conciliant du Père Suffren, dont le
nom se prononçait comme un
participe présent, il adjurait ainsi d'Effiat : Au nom de Dieu ménagez tous ces esprits avec adresse et
rendez-vous Père Souffrant[94]. Le 8 septembre 1630, un bruit se répandait dans Casal, grandissait de minute en minute, soulevait l'enthousiasme des habitants, qui n'avaient d'yeux que pour leurs vignes : une suspension d'armes venait d'être signée. L'armée française occupait alors Rivoli et Rivalta ; elle était à trente lieues de Casal. A vingt lieues de la ville assiégée, elle tenait par son avant-garde le pont de Carignan sur le Pô, qui avait été enlevé de vive force, mais elle se trouvait trop faible pour continuer sa marche. C'est alors que Mazarin était venu proposer une suspension d'armes, et lorsque Schomberg, à la tête de ses renforts, avait joint l'armée à Rivoli et constaté que la maladie avait terrassé douze cents hommes en un seul jour, tous les généraux avaient été d'avis d'accepter les propositions de l'adroit Italien. La trêve devait durer jusqu'au 15 octobre. La ville était remise à Spinola. Toiras conservait la citadelle, où Spinola devait le nourrir aux frais du Roi. Si la citadelle était secourue avant la fin du mois, Spinola rendait la ville. à Toiras ; dans le cas contraire, Toiras rendrait la citadelle à Spinola. La nouvelle de la trêve n'avait pas atteint à Lyon le cardinal. Richelieu espérait encore que cette trêve serait inutile : Si Dieu permet que Casal soit secourue de force, écrivait-il à Schomberg, il veut combler la France de gloire. Si la trêve se fait, il faut buter à conclure promptement la paix et, s'il se peut, l'avoir faite devant le 15 octobre[95]. Cependant les généraux, qui regrettaient d'avoir signé la suspension d'armes, avaient envoyé M. de Brézé à Casal, pour engager Toiras à ne pas l'accepter ; mais Toiras, à bout de ressources, avait repousse les conseils des généraux. Richelieu, qui connaissait les nouvelles, s'indignait contre d'Effiat, et bien davantage contre Toiras : Je suis très fâché à présent, mandait-il Schomberg le 23 septembre, de ce que l'occasion s'est perdue de faire la plus glorieuse action qui eût jamais été faite au monde, en secourant Casal[96]. Spinola n'était pas moins taché que Richelieu ; il ne pouvait se consoler d'avoir échoué devant la ville qu'il assiégeait. Gravement malade, il mourut le 15 et fut remplacé par le marquis de Santa-Cruz. Toiras était venu le voir sur son lit de mort et l'illustre Génois lui avait dit ces nobles paroles : Je ne doute point que tout le monde ne me blâme. Je n'avoir pas pris Casal, mais j'ai eu moi-même la satisfaction d'en avoir été empêché par votre brave résistance[97]. Richelieu avait volupté qu'après la rupture de la trêve le Savoyard, fi qui il offrait de restituer tout ce qu'il avait conquis en Piémont et en Savoie, joindrait ses troupes fi celles du Roi pour saisir Casal, si les Espagnols refusaient de la rendre. Mais le duc ne se prononçait point. Les généraux ne s'inquiétaient guère de cette hésitation ; si l'on délivrait la ville au moyen d'une bonne paix conclue avec l'Espagne et l'Empereur, le duc, ayant une armée presque complètement composée de sujets de l'Empereur et de l'Espagne, ne ramènerait que sa personne et quelques villes ruinées, toutes choses qu'on lui paierait beaucoup trop cher en lui rendant le reste de ses États. On pouvait penser, en effet, qu'une négociation plus générale, engagée au même moment sur un autre terrain, assurerait un règlement plus favorable aux intérêts français. Tandis que les généraux, arrêtés pour quelques semaines par la trêve, prenaient leurs dispositions pour reprendre la lutte, des pourparlers visant l'ensemble du problème se développaient à la diète de Ratisbonne en Allemagne. La négociation de Ratisbonne. La campagne d'Italie, née à l'improviste de la succession de Mantoue, avait été, pour Richelieu, comme une porte se rouvrant vers la grande affaire qu'il n'avait jamais perdue de vue malgré tant de contrariétés intérieures : libérer l'Europe et la France de la prépondérance de la maison d'Espagne-Autriche. La succession de Mantoue avait mis face à face inopinément le roi de France, se portant à la défense de l'héritier, le dur de Nevers qui était son sujet, et le roi d'Espagne, vigilant gardien de sa situation éminente en Italie. D'autre part, l'empereur Ferdinand, obéissant à la solidarité qui réunissait les deux branches de sa maison, s'était introduit dans le débat en revendiquant ses droits de suzeraineté sur le duché de Mantoue et tenant en suspens la reconnaissance du duc de Nevers. Les trois puissances s'étaient trouvées ainsi en état d'hostilité et l'Italie était retombée dans une situation qui n'était pas sans analogie avec celle d'où Richelieu l'avait tirée tant bien que mal (plutôt mal que bien) lors de l'affaire de la Valteline et des passages. Mais, cette fois, il n'avait plus à craindre une diversion protestante à l'intérieur du Royaume. Et, puisque la partie se trouvait de nouveau engagée, il était prit à la jouer à fond. A Casal donc, les généraux cherchaient la solution de l'incident local les armes à la main à Ratisbonne, la Diète impériale étant réunie, le problème européen se posait dans son ensemble : la guerre on la paix. Et c'est pourquoi le Roi avait envoyé auprès de la Diète et de l'Empereur ses représentants, l'ambassadeur en Suisse, Brûlart de Genlis, prieur de Léon, avec un homme que le cardinal considérait connue de beaucoup le plus habile et le plus sûr, son confident intime, le Père Joseph. Nous avons dit l'union étroite des deux personnages et des deux carrières à partir de leurs premières rencontres dans le Poitou, à Coussay, à Fontevrault, autour de la conférence de Loudun et dans les affaires du temps de Luynes et de La Vieuville. Le Père Joseph ne quittait plus le cardinal qu'il avait tant contribué à élever à la pourpre et au ministère. Personne assurément n'avait sondé plus à fond dans tous leurs replis, la nature, les desseins et les ambitions du cardinal-ministre que ce Capucin, baptisé par son grand ami lui-même : tenebroso cavernoso. Toute gonflée, en effet, de ténébreux mystères, cette robe de hure poursuivait son propre dessein d'union catholique contre le Turc en prenant les chemins tortueux de la politique du cardinal : selon une maxime chère à son maitre, le Capucin allait au but, comme les rameurs, en lui tournant le dos. Son intelligente fidélité mettait au-dessus de tout, le maintien au pouvoir du grand homme d'État. Dans cette détermination, faite d'héroïsme et d'enthousiasme, d'humilité et d'esprit de sacrifice, il appliquait toute sa perspicacité à surveiller la dangereuse intrigue ,les cours et des sacristies, où il était passé maitre, où tout était piège et chute au moindre faux pas, à la moindre négligence. De Marie de Médicis et de Richelieu, il savait tout ; la cour et l'opinion n'avaient pas de secrets pour lui : cavalier et moine, professeur et missionnaire, diplomate et publiciste, âme loyale, esprit compliqué, idéaliste et subtil, n'ayant son pareil ni pour inspirer confiance ni pour se tenir en méfiance, ni pour parler ni pour se taire ; il pénétrait les affaires et les esprits par son ardeur, sa piété et son désintéressement. Grand politique et grand chrétien, se plongeant dans les misères du monde pour les élever à Dieu. Après avoir lu les renseignements recueillis par
Lepré-Balain dans la Vie du Père Joseph et dans le Supplément à
l'Histoire, on ne peut douter ni de l'influence que l'Éminence grise avait eue sur la décision
prise d'assiéger La Rochelle, ni de l'intérêt et du zèle avec lesquels il
avait collaboré au succès de cette entreprise, qui n'était qu'un des points
de son programme politique. Plus d'une fois, avant le siège et au cours du
siège, il avait soutenu le cardinal de son ferme courage. Une des lettres
qu'il adressait à ses vraies confidentes, les femmes pieuses dont il était le
directeur, nous découvre le singulier mélange de foi, d'onction et de
ténacité avec lequel il tient son rôle près de son ami : Compatissez, écrivait-il à ces dames de toute
sûreté, aux travaux publics que cause la longueur de
l'affaire qui me tient occupé ; priez Dieu qu'il la finisse pour sa gloire.
Le prélat qui a en ce lieu la conduite principale des affaires, sert avec
courage et fidélité. L'oraison humble et persévérante avec obéissance et
amour du Fils de Dieu peut beaucoup envers lui. Louez-le de ce qu'il vous
donne ce moyen avec facilité, tandis que nous voyons sans cesse l'image de
l'enfer. L'image de l'enfer, c'était tout ce monde où il vivait : pire que l'enfer, disait-il encore quand il pensait à la Cour, à la Reine, aux obstacles où se heurtaient sa grande idée et la politique de l'homme d'État seul capable de la conduire à bonne fin. L'opposition de plus en plus ardente que celui-ci rencontrait de hi part de la famille royale, du parti catholique, de la Cour, se superposait à tant d'autres soucis, lorsque, sortant d'une maladie, qui l'avait tenu à l'écart pendant quelque temps, le Père s'apercevait que la prise de La Rochelle n'avait pas aplani les voies et que, tout au contraire, elle avait mis au comble la fureur des adversaires, qui ne songeaient qu'à ruiner le trop heureux ministre dans l'excès de son triomphe. Le péril d'une politique qui s'était retournée brusquement coutre les entreprises risquées du Pas de Suse et de Casal, les sentiments désormais déclarés de la Reine mère, la lourde bouderie de Monsieur, l'opposition insolente des Marillac et de la cabale, tout cela avait décuplé encore son anxiété et son zèle, lorsque, soudainement, ces difficultés s'étaient aggravées par l'intervention de l'empereur Ferdinand dans les affaires d'Italie. Là le Père était sur son terrain propre : car, dans la politique extérieure, il était chargé en particulier des affaires d'Allemagne, et précisément il avait toujours rêvé de réaliser l'union de l'Empire et de la France pour l'exécution de son fameux dessein d'une croisade contre le Turc. Et voilà que les deux puissances étaient en guerre ! Il fallait prendre un parti, tenir tête ou céder, se déclarer soit pour l'Autriche, soit contre l'Autriche, se rapprocher des catholiques ou des protestants d'Allemagne ! Tels étaient les problèmes qui se posaient à Ratisbonne en même temps que les autres débats qui se rattachaient à la grande difficulté européenne : la liberté des passages. Succession de Mantoue, offensive du roi de Danemark et du roi de Suède dans l'Allemagne du Nord, affaire du Palatin, alliances hollandaise, vénitienne, savoyarde, helvétique, influence espagnole en Italie, Ligue catholique en Allemagne, rôle de Waldstein, politique bavaroise, succession à l'Empire... tout à la fois sur le tapis. Ratisbonne déciderait de l'avenir de l'Italie en décidant de l'avenir de l'Allemagne et du sort de l'Europe. Et ces mêmes négociations, en orientant pour longtemps la politique de la France, décideraient aussi de la carrière ministérielle du cardinal ; car ses adversaires fonçaient, comptant bien en finir avec lui dans ces terribles conjonctures, tandis que l'étendue et la grandeur du problème, provoquant l'émotion universelle, ameuteraient le monde pour le perdre. Richelieu envoie donc le Père Joseph à Ratisbonne. Mais le plus singulier, c'est que dans cette importante, importantissime mission, le Père était sans pouvoirs définis, sans mandat déterminé, sans instructions précises, et qu'on lui adjoignait, avec pleins pouvoirs officiels, un agent quelconque, le prieur de Léon, homme de peu d'autorité réelle, cousin des Sillery, ambassadeur en Suisse, diplomate de carrière (comme nous dirions aujourd'hui), ayant toutes les capacités du métier, mais en ayant aussi les susceptibilités, les pusillanimités, avec, tout au plus, un certain savoir-faire : bon pour signer, propre à être désavoué, d'autant moins disposé à douter de son mérite qu'on recourait à lui pour l'envelopper dans une manœuvre à double fond, dont il ne connaîtrait jamais que les apparences. Avec une patience et une érudition admirables, M. Gustave Fagniez a éclairci le détail de cette affaire si complexe. En voici les lignes principales : au fond, que voulait Richelieu à l'heure où il se portait vers cette nouvelle et grande négociation, dont il confiait le soin à deux hommes qu'on pourrait qualifier : la finesse et la routine ? En gros, il voulait, par l'Allemagne, s'ouvrir une porte d'entrée en Italie. Aussitôt après son succès de La Rochelle, il se retournait vers les affaires européennes, où il se trouvait simultanément en face de l'Empire et de l'Espagne. Ne se sentant pas tout à fait prêt pour pousser les choses à fond, il ne désirait nullement en venir à une guerre déclarée, du moins avec l'Empire il tâchait plutôt à désunir ses adversaires, n'étant pas dans sa manière de s'engager dans deux grandes exécutions à la fois. La paix était, d'ailleurs, réclamée en France, la violence ordinaire des pacifistes s'appuyant sur un incontestable mouvement de l'opinion : en quel temps les peuples n'ont-ils pas réclamé la paix ? Le Roi était malade, incertain, le cardinal mal assuré. Il avait un intérêt capital à enlever aux adversaires l'argument de la paix. Mais la paix, il fallait l'obtenir avantageuse, honorable, bien orientée pour l'avenir ; sinon, l'arme se retournerait entre les mains de l'opposition. Or, pour que la paix apportât le succès indispensable, indiscutable, il fallait qu'on la tint en suspens jusqu'à la dernière seconde et qu'on en améliorât les conditions jusqu'au moment précis où l'on sentirait qu'elle allait échapper, de façon à profiter des dernières circonstances favorables : c'est l'art de la diplomatie. Et c'est pourquoi Richelieu pensait que la négociation de Ratisbonne devait être large et compréhensive ; il était bon qu'elle soulevât les diverses questions pendantes pour permettre de tâter l'adversaire et de lui arracher les ultimes avantages ; il était désirable que, touchant à tant de problèmes, elle laissât partout des ouvertures en vue des complications ultérieures ; il fallait, qu'elle pesât sur la puissance autrichienne de manière à montrer au Inonde la force nouvelle de la France, et finalement qu'elle réussit à détacher l'Empire de certains intérêts plus spécialement espagnols par appréhension de la guerre et de complications intérieures en Allemagne ; il fallait que la paix générale fût subordonnée, en fait, à l'expédition qui s'achevait en Italie, où les armes du Roi devaient avoir leur récompense. Casal pèserait sur Ratisbonne en même temps que Ratisbonne pèserait sur Casal. Le Père Joseph se sépara du cardinal le 2 juillet à Grenoble. Il emportait avec lui de grand secret. Il joignit Léon le 9 à Soleure, et lui remit les pouvoirs officiels. En Allemagne, les deux envoyés furent reçus d'abord par le fameux Waldstein dans son camp auprès de Memmingen, le 23 juillet. Entraînés par un commun attachement à la cause catholique et dans le même idéal à la croisade contre les Turcs, à général et le Capucin se parlèrent avec une ouverture telle, qu'il semble bien que Waldstein ait laissé percer quelque chose de son désir de se créer une situation indépendante en Allemagne : confidence que le Père enfouit dans un coin de sa mémoire. La mission arrivait à Ratisbonne le 19 juillet. Elle fut reçue par l'empereur Ferdinand le 2 août, et la négociation fut ouverte avec les commissaires impériaux. Elle devait s'achever le 13 octobre par un traité qui fut expédié aussitôt au Roi. Il ne fut connu en France, — par un résumé de Léon adressé au Roi, — que le 20 octobre à Lyon, et le cardinal n'eut le texte entre les mains que le 22 octobre à Roanne. Les articles à peine lus, le ministre, au milieu d'une Cour qui acclamait la paix, leva les bras au ciel et déclara très haut son intention de désavouer les négociateurs, et de se refuser à la ratification. Le Père Joseph était en route pour Paris : il eut ordre de s'arrêter à Meaux ; il ne devait être reçu par le cardinal à Paris que le 19 décembre. Quant à Léon, il était envoyé à Vienne pour les discussions protocolaires qui devaient suivre le refus de ratification. Ainsi s'accomplit brutalement ce fameux désaveu de la paix de Ratisbonne qui, sans rompre en aucune manière l'intimité entre le Père Joseph et le cardinal, permit de reprendre l'affaire, d'eu finir plus avantageusement avec la succession de Mantoue et d'orienter plus fermement la politique que les deux amis devaient suivre désormais en commun, dans les grandes questions qui se solderaient en Europe. Revenons sur les articles du traité et suries raisons qui déterminaient cette audacieuse manœuvre exécutée sous les yeux de l'ennemi. Les principaux points débattus avec les commissaires impériaux et les solutions apportées à ces points par les articles de Ratisbonne étaient les suivants : D'abord, sur le fait urgent, Casal, il était convenu par le texte du traité, qu'en attendant un règlement de l'affaire par la chambre impériale, on laisserait s'écouler une période intérimaire de deux mois pour permettre à l'Empereur de faire connaître sa décision : cependant les Espagnols se retireraient immédiatement de la ville : les troupes de l'Empereur se retireraient du Mantouan et ne garderaient que Mantoue : les troupes françaises se retireraient de Casal, puis de la Savoie, du Piémont, de l'Italie en général à l'exception de Pignerol, de Veillane, de Suse et de Briqueras. Le duc de Mantoue, reconnu comme prince légitime, prendrait possession de Casal sans la fortifier ni l'occuper dangereusement pour ses voisins. L'Empereur jugerait le règlement de la succession ainsi que les compensations et indemnités, qu'il arbitrerait en faveur des cohéritiers et coprétendants, assurant l'investiture au duc, qui la solliciterait par une lettre de respect ; le duc de Savoie recevrait Trino dans le Montferrat et une rente de 18.000 écus sur le duché. Quant aux affaires d'Allemagne et an règlement général de la question de paix et d'équilibre entre les puissances, certains accords étaient libellés, d'autres laissés dans le vague ou passés sous silence. Il était dit, en substance, que le roi de France n'attaquerait pas l'Empire, l'Empereur, les Etats héréditaires ni per soi-même, id par autrui, directement ou indirectement, et qu'il n'assisterait ni de conseil, d'argent, d'armes, de vivres, de munitions, ni en quelque autre manière que ce fut, les ennemis de l'Empereur et de l'Empire, soit déclarés, soit qui viendraient à se déclarer ; il était entendu, d'autre part, que Sa Majesté Impériale tiendrait la même conduite à l'égard de la France. L'article 15 du traité visait, sans modifier la situation, cette affaire des Trois Évêchés, placés, depuis le traité de Cateau-Cambrésis, sous la protection de la France, affaire toujours traînante dans les dossiers impériaux et qui n'eut mérité que le silence et le mépris. L'article 16 comprenait le duc de Lorraine dans la pacification générale où il n'avait que faire, lui attribuant ainsi une sorte de protection impériale ; sur d'autres points, le texte, examiné à la loupe, fournissait d'autres arguments pour motiver soit la suspension soit le refus de ratification. Mais le point de difficulté le plus délicat était la possibilité laissée à l'Empereur de se dérober sur le sort de Casal, en vertu du délai reportant à une date ultérieure et à un examen juridique la décision dernière du litige. Cela dit, il convient de reconnaître que, dans l'ensemble de la négociation, la politique de la France avait obtenu de réels avantages. Pour expliquer l'imbroglio de la rupture suspensive, il est nécessaire d'avoir présent à l'esprit, non seulement les textes qui sont connus et écrits, mais tout ce qui reste à l'état flottant, exprimé par gestes et par silence, comme il se fait dans ces délicates communications de gouvernement à gouvernement et de diplomates à diplomates. Rendons-nous bien compte que les représentants de la France avaient reçu pour mission secrète, et comme nous dirions, verbale, de toucher avec la plus grande prudence à la question générale des rapports de la France et de l'Allemagne autrichienne, de laquelle dépendaient le sort de l'Europe et, par sa liaison avec la maison l'Espagne, le sort du monde. Ni Richelieu ni le Père Joseph n'avaient effacé de leur mémoire la haute vue historique développée en 1627 par Fancan, véritable testament politique du malheureux pamphlétaire : Quand les Indes seraient épuisées ou que ces deux maisons alliées les auraient perdues, l'Allemagne est encore battante pour leur dessein, comme le plus ample, riche et puissant royaume de la chrétienté, auquel sont de puissants princes, villes impériales, la plupart marchandes, opulentes et sises sur de grandes rivières : le tout au milieu de l'Europe, qui leur sera un grand avantage pour y établir le siège de la monarchie... Ils auront moyen d'y dresser et équiper flottes et navires pour tenir en bride le septentrion, incommoder le midi, non seulement pour empêcher le commerce des Danois. Anglais et Français, mais aussi pour conquérir ce qu'ils n'ont pas et recouvrer ce qu'ils ont perdu. C'est pourquoi on les voit si âpres et si animés à attaquer de toutes leurs forces le roi de Danemark et les villes et pays de la basse Saxe, de laquelle ils ont occupé une bonne partie ; et peu s'en faut qu'ils ne soient les maîtres du total, si on les laisse faire et que ledit roi (de Danemark) vieillie à succomber. Ainsi toute l'Allemagne subjuguée leur servira de marchepied pour monter, ou plutôt de fondement ferme et assuré pour y élever leur bernent monarchique et triompher de toute la chrétienté. De cela nul ne parle dans les entretiens solennels, mais tout le monde y pense. Or il y a une difficulté dans l'Empire : la crise religieuse, cette division entre nord et sud, inhérente à la constitution même de l'Allemagne. Cette difficulté, comment l'a-t-on résolue à Ratisbonne ? Bien des questions épineuses étaient posées : relations de la France avec l'empereur Ferdinand et les siens ; relations avec la Diète et les Électeurs réunis pour régler certaines affaires intérieures et pour se prononcer sur l'élection du fils de l'empereur Ferdinand comme roi des Romains ; relations avec les puissances, soit catholiques, soit protestantes qui, en Allemagne et hors d'Allemagne, agissaient en faveur de la cause impériale ou contre elle ; en particulier, relations avec la ligue catholique ayant à sa tête le duc de Bavière, relations avec le duc de Friedland, Waldstein, étant donné son projet de dissidence ; relations avec les puissances du nord, Gustave-Adolphe marchant dans le moment même au secours du Danemark et engageant une campagne destinée à refouler l'autorité de la maison d'Autriche dans les provinces méridionales de l'Empire. De tels problèmes ne sont pas de ceux qui se règlent en quelques semaines. Voici comment ils avaient été abordés et quels champs d'action ils avaient ouverts à la diplomatie du Père Joseph et, ultérieurement, à celle du cardinal de Richelieu. L'accueil fait par l'Empereur lui-même au Père Joseph avait été confiant et, pour ainsi dire, intime. Un sentiment chrétien partagé les avait rapprochés : dans l'espoir d'une croisade qui réunirait un jour les puissances catholiques contre les Turcs. C'était donc, entre la France et l'Empire, une sorte de détente, du moins personnelle, taudis qu'une manœuvre souterraine, conduite par les amis de la France, avait fait échouer la candidature tin fils de Ferdinand au titre de roi des Romains. L'Empereur n'avait pas senti le coup ; du moins il avait cru préférable de ne pas le marquer. Avec les Électeurs, qui, pour la plupart, en raison de certains sentiments ou calculs particuliers, s'étaient opposés à cette élection, le Père Joseph avait négocié secrètement, et les Électeurs n'avaient pas écarté l'idée d'une entente avec la France en vue de la défense des intérêts communs ; ils avaient en général manifesté des dispositions contraires, sinon hostiles aux ambitions de la maison d'Autriche, qui tendaient à rendre la couronne impériale héréditaire. Pour la première fois, on avait prononcé cette grave parole la défense des libertés germaniques, parole destinée à un si grand avenir dans les relations de l'Europe avec l'Allemagne. Et, résultat non moins appréciable, on avait pu discuter pied à pied (sans aboutir, il est vrai, mais pourtant la plume à la main), avec à duc de Bavière ; on avait pu lui parler de l'indépendance de la ligue catholique et des armées de la Diète vis-à-vis de l'Empereur, étudier les moyens de séparer, le cas échéant, les deux causes, celle du prince et celle de la confédération. A tout cela le duc de Bavière avait prêté l'oreille ; il s'était montré sensible aux avances des plénipotentiaires français encourageant la création d'un tiers-parti en Allemagne. Là aussi, certaines idées semées par Fancan avaient porté fruit. Enfin, en ce qui concernait les relations du Roi Très Chrétien avec les puissances protestantes, soit extérieures à l'Allemagne (Hollande, Angleterre, Suède. Danemark), soit intérieures, la France avait bien souscrit certaines promesses de non-coopération avec eux, qui, jusqu'à un certain point, pouvaient porter ombrage aux alliés du Roi et inquiéter leur confiance. Mais les ternies inclus dans le traité étaient de rédaction si imprécise, qu'on saurait bien, si les circonstances le rendaient nécessaire, trouver le moyen de s'en dégager par quelqu'une de ces arguties qui sont le pain quotidien de la diplomatie. En somme, si les plénipotentiaires français n'avaient pas, tant s'en faut, obtenu une entière satisfaction, l'Empereur, par crainte sans doute de complications plus grandes, s'était montré coulant. Sur le fait immédiat et le plus sensible, la succession de Mantoue, le traité consacrait le résultat de l'intervention française en faveur du duc de Nevers sous la seule réserve du délai réclamé par la chambre impériale pour prononcer son verdict. Cet avantage incontestable, joint à celui de la paix accueillie avec enthousiasme par l'opinion, paraitrait-il suffisant à Richelieu ? Avait-il même paru suffisant à son confident, le Père Joseph, au montent où il signait ? N'y avait-il pas quelque dessous, précisément dans cette signature apposée si rapidement au bas d'une rédaction un peu hâtive, sans qu'on eût attendit les dernières instructions ?... On pourrait le penser, si on réfléchissait à l'insistance avec laquelle les deux négociateurs français avaient déclaré que leur adhésion n'engageait pas leur gouvernement : ils avaient dit et répété que le ministre français les blâmerait de leur promptitude ; ils avaient ajouté qu'ils ne comptaient pas sur la ratification pleine, entière, immédiate, des articles tels qu'ils les soumettaient au cardinal. Le cardinal venait de recevoir ces articles à Roanne : tandis que la Cour et les entourages entonnaient le cantique de la paix, il se recueillait, réfléchissait et finalement se prononçait pour le refus de ratifier. Désavouer son confident le Père Joseph, brutalement se dérober à Ce grand bienfait de la paix, à ce succès acclamé ! Mais que prétendait-il ? Où allait-il ? Quelles seraient les suites ?... Les raisons de Richelieu ? Tout d'abord, les circonstances étaient changées. Revenons en Italie et rapprochons-nous des généraux qui traitaient l'affaire non par des paroles, mais par des actes. Un exemplaire du traité avait été envoyé à Schomberg et lui avait été reluis dès le I5 ; le maréchal était alors à Canelli[98]. Selon les ordres que Richelieu lui avait envoyés sept jours avant la signature du traité, il avait rompu la trêve et ses troupes marchaient sur Casal. Il jette un coup d'œil sur l'article qui concerne l'Italie et il comprend aussitôt que cet article ne sera pas accepté et que lui-même n'a rien à changer aux dispositions prises. Le traité portait, en effet, que l'investiture serait donnée par l'Empereur au duc de Mantoue dans six semaines, et que dans deux mois seulement les duchés seraient évacués par les Impériaux, Casal et les autres villes du Montferrat par les Espagnols. Le maréchal sait que ses troupes, impatientes de combattre, menacées par la peste, n'attendront pas si longtemps. Décimées par la maladie et la désertion, elles fondront à vue d'œil. Et, comme les Espagnols n'ont pas signé le traité, connue l'Empereur s'est engagé seulement à le leur taire ratiner, lui Schomberg se trouvera dans deux mois joué par l'Espagne, qui aura gagné Casal sans coup férir. Le 17 octobre, les trois maréchaux, La Force, Schomberg, Marillac, — ce dernier est venu remplacer le marquis d'Effiat, que la maladie a contraint de rentrer en France, — rassemblent toute l'armée dans une vaste plaine, près de Raconigi, à vingt-trois lieues de la citadelle où Toiras les attend. Mazarin les presse sans relâche d'arrêter leur marche ; entre le quartier général français et celui des généraux ennemis, l'agent pontifical fait la navette en un effort désespéré. Plus il insiste, plus les maréchaux refusent de l'entendre : ils assurent qu'ils feront entrer des vivres dans la citadelle par-dessus les moustaches des Espagnols. Le duc de Savoie écrit : il propose de rester neutre, mais les maréchaux se méfient de cette neutralité enfarinée. Et si le Savoyard, ligué avec l'Espagne, vient donner sur la queue de l'armée du Roi ? Ils avancent en dépit de Mazarin. Près de Cavale (quinze lieues environ de Casal), ils prennent toutes mesures pour ne pas être surpris : On disposa notre armée en trois colonnes, écrit Pontis : l'avant-garde faisait la colonne droite, le corps de bataille faisait la colonne du milieu et l'arrière-garde faisait la colonne gauche. Entre la colonne droite et la colonne du milieu marchaient tout le canon et l'attirail. Entre la colonne du milieu et la colonne de gauche marchait l'équipage de MM. les Généraux et de toute l'armée ; de sorte que tout était enfermé. La cavalerie était sur les ailes, à la tête et à la queue, en forme de bataille. En cet ordre, on continua les marches durant toutes les plaines, nos troupes étant toujours en état de combattre soit l'armée de Savoie, qu'ils avaient en queue, soit celle d'Espagne qui était en tête[99]. Deux cents mousquetaires, sous les ordres de MM. du Plessis Besançon et de Vignoles, soutenaient les travailleurs, qui ouvraient dans les champs des chemins nouveaux aux gens de guerre, pour leur permettre d'avancer (au moins dix hommes de front), afin que les chemins ordinaires ne servissent qu'aux vivres, à l'artillerie et aux bagages[100]. Le 23 octobre, l'armée n'est plus qu'à quatre milles de Casal et bientôt, le 26, à un mille. Les maréchaux découvrent au loin les fortifications et les murailles. Devant eux se dresse la place de guerre, qui est au pouvoir de l'Espagne, et, dominant la ville, la citadelle défendue par Toiras. Nec vi nec fraude, selon la fière devise qu'il a gravée sur sa monnaie de bronze, Toiras ne se laissera bouter dehors ni par la force ni par la ruse. Les maréchaux n'attendent que le signal qui doit paraitre au-dessus de la citadelle, une fumée épaisse s'échappant de l'une des tours... Et voilà de nouveau le Mazarin : pour la dernière fois il représente avec une éloquence et une mimique supérieures, la puissance de Farinée d'Espagne, la résolution qui l'anime, les dispositions de ses chefs, la force des retranchements. L'agent du Pape n'a point exagéré la difficulté de secourir Casal. Comme l'a écrit le maréchal de La Force dans ses Mémoires, c'était une haute entreprise. Jamais, constate le maréchal de Schomberg, il ne fit un si beau jour et semblait que le soleil eût redoublé sa lumière, pour faire voir plus distinctement les particularités d'une si grande et si importante action. Déjà le peu de chemin qui restait à faire pour joindre les ennemis, permettait à tout le monde de voir leur ordre ; qui paraissait fort beau[101]. Derrière leur grande circonvallation, les troupes espagnoles comptent huit mille hommes de plus que celles du Roi. Il faut, en cas d'échec, faire onze journées de marche en pays ennemi sans aucune retraite ni faveur et porter avec soi ses vivres. Mazarin attend. Congédié, il part, non sans jeter, avant de regagner les retranchements espagnols, un regard inquiet sur les troupes françaises qui se préparent à attaquer. Sortant de la citadelle, Toiras aligne deux cent cinquante maîtres et cinq ou six cents hommes, n'attendant, pour donner, que le commencement du combat. Le nuage de fumée vient enfin de s'élever sur les tours de la citadelle de Casal. Les troupes du Roi marchent rapidement aux tranchées espagnoles. Le maréchal de La Force conduit l'aile droite, le maréchal de Marillac l'aile gauche et le maréchal de Schomberg le centre, parce que c'est son tour de commander[102]. A demi-portée de canon (deux ou trois cents toises), on fait halte pour la prière. Un coup, de canon retentit dans le profond silence, c'est le signal. Les troupes s'élancent à l'attaque. Une ardeur indicible les jette en avant. Et cependant elles semblent, selon l'énergique expression de Pontis, se mirer dabs l’embouchure des pièces qui, pointées le long des retranchements ennemis, ne peuvent manquer de produire un terrible carnage. Les hommes marchent, résolus et serrés, avec un silence, observe Schomberg, que la liberté française n'a point accoutumé de pratiquer en pareilles occasions[103]. Déjà plus avancée, l'aile gauche va atteindre l'ennemi. Soudain un cavalier sort du camp espagnol. Il vient au galop, brandissant une feuille de papier, que le soleil éclaire. Il l'agite : il s'approche. On entend sa voix : Halte, Halte ! crie-t-il, arrêtez, arrêtez ! Les maréchaux arrêtent à grand'peine les troupes ; quelques hommes exaspérés déchargent leurs mousquets dans la direction du trouble-fête. C'est Mazarin ! Mazarin est heureux. Il passe à travers les balles ; il est admis à parler aux maréchaux. Les généraux d'Espagne lui ont remis cette feuille en blanc pour que les généraux de France y dressent eux-mêmes les articles de paix. Une conférence s'ouvre bientôt entre les chefs des deux armées et se déroule sur le terrain qui sépare Espagnols et Français : Il faisait fort beau voir, nous dit le maréchal de Schomberg, cette entrevue de tant de gens de qualité, armés de toutes pièces, à la vue de deux grandes armées, pour décider un différend le plus important de la chrétienté. Embrassades, compliments, échange de paroles et de signatures : Casal sera remise au duc de Mantoue : la garnison française de la citadelle sera remplacée par une garnison montferrine commandée par un gouverneur montferrin. L'armée du Roi quittera le Montferrat, lorsque tout le canon et tout l'équipage des Espagnols auront été embarqués sur le Pô. On raconte, qu'au plus beau moment de cette conférence eu pleine campagne, une perdrix s'envola du milieu de l'armée et, ne sachant où se mettre, se posa sur le chapeau de M. le Maréchal de Schomberg[104]. Cela parut un augure. Les troupes françaises se retirèrent à un quart de lieue et les Espagnols rentrèrent dans leurs retranchements. La nuit tombait. Une pluie diluvienne noyait les belligérants réconciliés, éteignait les mèches des mousquets, gâtait les armes, transperçait les habits. Les soldats français, qui avaient bravé la décharge des canons, se réfugièrent par crainte de la pluie dans les bourgs du voisinage. Vers onze heures du matin, les maréchaux dînaient avec M.
de Toiras, qui était venu saluer ses libérateurs. On annonce : Messieurs les Généraux d'Espagne. Ce sont
Piccolomini et Collalto. Ils ont traversé le camp avec leur suite sans la
moindre difficulté. Sans plus de cérémonie, ils entrent dans la salle : Messieurs, je suis bien fâché de n'en avoir pas été averti,
leur dit Schomberg en se levant de table, puisque
j'aurais monté à cheval pour aller au-devant de vous. — Monsieur, répond Piccolomini en souriant, nous avons voulu vous surprendre au moins dans la paix, ne
l'ayant pu faire comme ennemis ; mais il faut que je vous
avoue que j'ai été moi-nième un peu surpris en passant dans votre camp.
Et Piccolomini s'étonne d'avoir trouvé un camp désert, les armes des soldats en confusion et en désordre de tous
côtés, car les libertés françaises
contrastaient alors, connue aujourd'hui, avec la rigidité germanique. Tout en
faisant signe de l'œil à ses officiers, pour qu'ils aillent rassembler leurs
hommes, Schomberg répond à Piccolomini : Cela ne
doit nullement vous surprendre, Monsieur ; car, moi, qui suis Allemand de
nation, lorsque je vins m'établir en France et que j'entrai au service du
Roi, je fus à la vérité d'abord aussi étonné que vous de cette humeur dans
les Français, mais, lorsque j'eus commandé quelques temps et que je me fus
accoutumé à l'air du pays, je reconnus que les soldats français étaient les
plus courageux et les plus ardents lorsqu'il s'agit de combattre et les plus
portés à se donner du bon temps lorsqu'ils n'ont plus d'ennemis. Ce qu'il y a
de commode avec eux, c'est que, s'ils mettent promptement les armes bas, ils
les reprennent aussi promptement ; et, afin que vous soyez vous-même
témoin de la vérité de ce que je dis, je veux tout présentement vous faire
voir quelle est l'humeur de nos Français. Je ferai battre le tambour par tous
les quartiers et je vous donne ma parole qu'avant que nous ayons traversé le
camp, vous verrez toute l'armée en ordre. Cependant les officiers sortent en foule et montent à cheval, les roulements glu tambour résonnent et se prolongent au loin. Le maréchal de Schomberg retient le plus possible les généraux d'Espagne. Accompagné de La Force et de Marillac, il finit par les reconduire à travers le camp. Stupeur de Piccolomini et de Collalto : comme le flot à l'heure de la marée, les troupes sont revenues : les officiers, la pique à la main, et les soldats, avec leurs armes, font tous bonne mine. Piccolomini, plus étonné encore au départ qu'à l'arrivée, ne cache pas son admiration et dit, en prenant congé des trois maréchaux, qu'il ne peut y avoir que de l'honneur à être vaincu par tant de braves soldats conduits par tant de grands capitaines[105]. Ces grands capitaines
mesuraient la grandeur du succès qu'ils venaient de remporter : Je ne doute point, écrivait au cardinal le maréchal
de La Force, que ne jugiez très bien sur l'état
auquel étaient les affaires, que ni la paix de Ratisbonne ni l'exécution qui
s'en devait faire n'eussent rencontré de bien plus grandes difficultés sans
votre prudente résolution à faire valoir les armes du Roi. Les artifices et
longueurs qu'ils y ont apportés de tous côtés, pouvaient laisser les choses
en grand doute. Mais, ayant suivi les commandements du Roi, nous sommes venus
jusque devant Casal, sans que les allées et venues du Mazarin nous aient
retardés d'une heure. Ce qui nous avait toujours été désiré, nous a été
accordé à la tête de l'armée de Sa Majesté, toute en bataille, à la portée du
mousquet de la leur, prêts à faire sonner la charge : action véritablement fort avantageuse à la
réputation des armes du Roi, car outre qu'elle donne un grand avancement et suite aux affaires, c'est avec tant d'honneur et de
gloire, qu'il n'y a guère d'exemple de pareille chose[106]. Le refus de ratifier. L'accord des généraux avait eu lieu le 26 octobre 1630. Il
y avait alors déjà près d'une semaine que Richelieu avait lu les articles du
traité de Ratisbonne. Or Richelieu avait pris son parti : il ne ratifierait
pas le traité. Quelle raison plus forte pour s'en tenir à l'accord des
généraux, que la magnifique exécution accomplie à Casal ? Déjà le 22 octobre,
il avait fait écrire, au nom du Roi, par le secrétaire d'État Bouthillier,
une lettre à Brûlart de Léon, qui affirmait catégoriquement sa volonté : Je ne vous remarquerais pas tous les défauts de ce traité
par cette lettre, elle serait trop longue... Je
vous dirai seulement ce qui m'a été le plus sensible, puisqu'il semble
blesser ma foi, que j'ai gardée et que je garderai toujours inviolable. C'est
le premier article, par lequel vous me feriez perdre tous nies alliés (me les faisant en effet abandonner) et leur ôteriez la confiance qu'ils peuvent avoir en moi.
Au quinzième article, vous remuez une pierre et remettez en jeu les questions
de Metz, Toul et Verdun, assoupies depuis près d'une centaine d'années. Au
seizième, vous parlez du duc de Lorraine, comme compris en cette paix, bien
que l'on n'ait eu aucune guerre avec lui. Et, en tout le reste du traité, il
n'y a que désavantage et incertitude, soit pour moi soit pour mes alliés. Le
duc de Savoie aurait plus de la moitié du Montferrat, si l'article qui le
concerne était exécuté selon les termes auxquels il est conçu. Vous m'obligez
à une dépense indicible pour la subsistance de mon urinée pendant un long
temps qu'elle me demeurerait inutile. Vous me faites retenir tous les
passages pour y tenir ; ceux au contraire qui en doivent restituer de leur
côté, les ont en leur puissance, quand bon leur semblerait.... Bref il n'y a presque ligne au traité, où il n'y ait à
redire[107]. Le cardinal, il est vrai, avait laissé les négociateurs sans instructions du 5 septembre au 8 octobre : sans doute il attendait de connaître la délivrance de Casal, qu'il avait tout fait pour préparer et biller. Ils auraient dei ne rien signer avant d'avoir connu la dernière pensée du cardinal[108], qui leur avait été apportée par mi courrier quatre jours après la signature. Et puis, d'autres événements non moins graves s'étaient produits. Ce même 22 octobre, il deux heures après-midi, le cardinal avait reçu une lettre de Bouthillier : La Reine m'a commandé de vous dire, lui écrivait-il (jouant sur le mot de Rancé, qui était le nom d'une seigneurie des Bouthillier), qu'elle vous envoyait une Rancée, ne pouvant elle-même vous écrire de sa main, parce qu'elle était encore dans le lit, et, qu'a vous dire vrai. Sa Majesté s'est encore un peu ressentie de son mal, qui n'a pas été petit. La Reine eut d'abord un éblouissement, ne voyant goutte, suivi à l'instant d'un sifflement d'oreille et d'un frisson si grand, qu'elle demeura froide comme marbre, ne pouvant se remuer. Il la fallut porter dans une chaise en son lit. Et le mal prit fin lors par des larmes, Sa Majesté ayant pleuré abondant-tuent, sans pouvoir dire pourquoi. Elle s'est résolue de ne partir que demain (23 octobre)[109]. Marie de Médicis n'en était pas moins partie le jour mérite[110]. Elle était arrivée à Roanne le 24 et Richelieu avait délibéré avec elle sur les mesures à prendre : entretien orageux, où le débat s'était engagé sur la ratification du traité et le retard apporté à la paix. Richelieu n'avait pas cédé un point dans la discussion, et la victoire lui était restée. Mais dans quelle mesure et pour combien de temps ? Le 26 octobre, il recevait une lettre de Schomberg. Le maréchal assurait que si M. de Léon lui notifiait le traité de Ratisbonne, il ne s'y conformerait qu'après avoir vu les Espagnols en retraite, Casal sauvée et ravitaillée : Votre lettre du 18 de ce mois me donne la vie, répondait le cardinal. En effet, Richelieu, depuis la fin de septembre ne vivait plus : le traité l'avait consterné, tandis qu'il renaissait à peine de l'anéantissement où l'avait plongé la maladie qui avait failli emporter Louis XIII et, avec lui, l'œuvre de son ministre, encore si loin d'être achevée. Comme il l'avait écrit au marquis d'Effiat, lorsqu'il était venu à Lyon le 25 août, il était bien à propos qu'il y vint. Le cardinal avait trouvé la Reine changée à son égard, assurément pas en bien. De quels détours infinis ses ennemis s'étaient servis pour le perdre ! Il en soupçonne quelques-uns, disent les Mémoires ; il en découvre quelques autres ; il essaie de remédier à tout par bonnes et solides raisons. Il persuade Marie de Médicis ; il est maitre de son intelligence ; il ne l'est ni de son cœur, ni de sa volonté. La Reine feint de le regarder de bon œil, reçoit ses devoirs et ses respects à l'ordinaire et lui témoigne autant de bienveillance qu'elle fit jamais[111] ; au fond, elle le liait et voici que les circonstances vont peut-être servir sa haine. Le samedi 21 septembre, le Conseil vient de finir à
l'abbaye d'Ainay, dans la chambre de la Reine. Le Roi sort avec le cardinal,
il semble fort mal à son aise. Tous deux montent rapidement en carrosse ; ils
passent bientôt la Saône dans une barque[112] et le Roi se
fait conduire à l'archevêché, où il va droit à sa chambre. Accablé il se met
au lit. Un grand frisson le secoue la nuit même, la fièvre le saisit et la
dysenterie se déclare. Le mardi 30, le Père Suffren prépare Louis XIII à la
mort. Le mourant communie des mains du cardinal de Lyon, qui célèbre la messe
dans sa chambre ; puis, d'une voix languissante, il commande qu'on ouvre la
porte. Il y a dans la pièce et dans celle qui la précède une centaine de
personnes : Je suis marri, murmure Louis
XIII, de n'avoir la force de pouvoir parler. Le Père
Suffren parlera pour moi et vous dira ce que je voudrais vous dire, me
trouvant ici au lit de la mort. Je vous demande pardon à tous de ce en quoi
je vous ai offensés, et ne mourrai pas content si je ne sais que vous me
pardonnez et vous prie d'en dire autant à tous mes sujets de ma part. —
Pardonnez-nous Sire, c'est à nous de vous demander
pardon ; jamais vous ne nous avez offensés[113], répond la voix
des assistants. A genoux près de son frère le cardinal de Lyon ; près d'Anne
d'Autriche, près des officiers de la maison du Roi, près du due de
Montmorency, Richelieu en larmes. Je ne sais si je suis plus mort que vif, écrivait-il quelques heures plus tard au maréchal de Schomberg, pour avoir vu ce matin le plus grand et le plus vertueux des Rois et le meilleur maitre du monde en tel état, que je n'espérais pas le voir vivant le soir. Il a pin à bien par sa bonté de nous délivrer maintenant de cette appréhension par un abcès qui s'est ouvert, lequel il avait dans le corps, ce qui ut tellement changé l'état auquel il était, que les médecins répondent maintenant de sa guérison. .le vous avoue que, quelque parole que donnent les médecins, mon esprit n'est point encore revenu des appréhensions incroyables que j'ai eues. Je prie Dieu que ceux que j'aime comme vous ne se trouvent jamais en des accidents semblables, dont par la grâce de Dieu nous sommes maintenant garantis[114]. Or, en cette fin de septembre, on était, à Ratisbonne, sur le point de conclure. Ce n'était pas seulement pour le Roi que Richelieu avait eu des appréhensions incroyables, mais pour lui-nième. Il savait que la mort de son maitre entrainait sa chute et peut-titre pis. Ses ennemis ne se contenteraient pas sans doute de sa disgrâce. Résolu de leur refuser une satisfaction aussi complète, il songeait à se retirer en Avignon, sous la protection du Saint-Père. Le duc de Montmorency, que Louis XIII avait fait prier de veiller sur le cardinal, avait offert de donner pour refuge à Richelieu son gouvernement de Languedoc ou de conduire Son Éminence, sous bonne escorte, dans le port qu'elle possédait à Brouage. Montmorency ne soupçonnait pas que, deux ans plus tard, le ministre, de nouveau tout puissant, toujours impitoyable, ferait dresser pour lui un échafaud à Toulouse. Lorsque le Roi avait paru si près de la tombe et son frère si près du trône, d'autres lettres et d'une autre portée avaient franchi, dans les sacoches des courriers, les cent seize lieues qui séparent Lyon de Paris. La comtesse du Fargis, dame d'atour d'Anne d'Autriche, avait écrit à Gaston, pour lui proposer, le cas échéant, d'épouser la veuve de Louis XIII. M. de La Ville-aux-Clercs, secrétaire d'État, avait écrit aux bons serviteurs du Roi pour les rassurer. Les deux parts, tout était en suspens. Car l'amélioration constatée le 30 septembre n'éloignait pas absolument le danger. Louis XIII, transporté dans le quartier Bellecourt, sur la rive gauche de la Saône, dans l'hôtel de Mme de Chaponay[115], connut encore des heures de souffrance et les ennemis du cardinal des heures d'espérance. C'est alors que se tint le mystérieux conseil où le maréchal de Marillac, à la veille de partir pour l'Italie, le duc de Guise et le maréchal de Bassompierre, qui venaient d'arriver à Lyon, délibérèrent sur le sort que l'on devait réserver au cardinal. si Gaston ceignait la couronne. Marillac opina pour la mort, offrant de tuer le cardinal de sa propre main : Guise opina pour l'exil et Bassompierre pour la prison perpétuelle. Richelieu apprit par sa police secrète le sort qui l'attendait et vit aussi ce qu'il aurait à faire, le cas échéant. de ces adversaires sans merci : il ne devait pas tarder à appliquer à ces Messieurs les peines qu'ils avaient choisies eux-mêmes. Il ignorait cependant que les deux Reines avaient tenté un suprême assaut contre lui auprès du Roi. La chambre où Louis XIII se croyait sur son lit de mort, où veillait Anne d'Autriche, avait été le théâtre d'une grande scène d'attendrissement entre les deux époux : Louis XIII faisant de grandes excuses à la Reine de n'avoir pas bien vécu avec elle, promettant de suivre ses conseils à l'avenir ; Aime d'Autriche énumérant tous les dégoûts qu'elle avait éprouvés au sujet du cardinal, suppliant le Roi de le congédier. Le malade aurait promis de la satisfaire, dès que la paix serait signée avec l'Espagne[116]. A la Reine mère qui, à ses heures, n'était pas moins pressante, il avait dit qu'il n'était ni en lieu ni en état où l'on pût prendre résolution sur une chose si importante et qu'il fallait attendre d'être à Paris. Cependant Richelieu descendait le cours paresseux de la Loire : il emportait en lui-même le secret des paroles que Louis XIII lui avait dites avant qu'il quittât Roanne. Le Roi l'avait averti que la Reine sa mère était mal satisfaite de sa conduite, il lui avait conseillé de se réconcilier sincèrement avec elle[117]. Aussi le cardinal, qui voyageait sur le même bateau que la Reine, se multipliait-il auprès d'elle. Nul mieux que lui ne savait organiser un voyage, fixer les meilleures étapes, obtenir en chemin le minimum de fatigue, et, le soir, à la couchée, lorsque les coffres étaient ouverts, les meubles installés, les lits dressés, les tapisseries tendues, le maximum de confort[118]. Il a raconté lui-même ses empressements auprès de la Reine : Il n'y a honneur, disent les Mémoires, qu'il ne rende à sa personne, ni soin qu'il ne contribue à ce que tous les siens, chacun selon sa condition, soient logés et traités selon qu'ils le peuvent désirer[119]. M. de La Ville-aux-Clercs a bien mérité de la postérité, lorsqu'il nous a dépeint les deux irréconciliables ennemis aux petits soins l'un pour l'autre sur le bateau qui les emportait. Le cardinal, y mit en usage tout son jeu, écrit-il, et examina la contenance de toutes les daines qui y étaient : ce qui lui fut très inutile, car la Reine, qui était née Florentine, lui fit voir que, quoiqu'elle rait passé trente années en France, elle n'avait pas encore oublié l'art de dissimuler, qui s'apprend dans tous les pays du monde, mais qui est naturel à l'Italie[120]. Maintenant le Roi, l'abcès une fois percé, se croyait proche de la guérison ou du moins le paraissait. Le 28 octobre 1630, tandis que les navigateurs arrivaient à Digoin, Louis XIII, qui la veille avait eu à Montargis une entrevue avec Monsieur, écrivait au cardinal : Nous nous sommes séparés fort bons amis, mais j'ai peur que cela ne dure guère. Il s'en est retourné a Paris et moi je suis venu coucher en ce lieu (Linas près Montlhéry) et ai fait quatre lieues à cheval, de quoi je me porte fort bien, Dieu merci. Vous vous pouvez assurer que, quand mon frère me parlera de vous, je vous soutiendrai toujours comme il faut[121]. Vers le même temps, Richelieu vit Louis XIII à quelque vingt lieues au nord-est de la Loire et nota dans son Journal : Le Roi découvrit au cardinal à Auxerre tout ce que la Reine mère lui avait dit coutre lui de plus diabolique et les inventions dont elle s'était voulu servir pour lui persuader[122]. Le traité non ratifié, la paix en suspens, Casal occupée, le Roi guéri : les circonstances étaient chan rées. Tout s'explique : le cardinal avait eu à la fois le coup la résolution et la chance de savoir attendre. Si, à Ratisbonne, les négociateurs avaient attendu quatre jours ! Et cependant, qui sait ? n'avaient-ils pas été sages de ne pas attendre et de fournir au cardinal la possibilité de faire la paix, solution qui eût, en cas de péril, répondu à tout. Leur hâte rendait maintenant son triomphe personnel plus éclatant. |
[1] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, t. IX, p. 230.
[2] Mémoires pour servir à l'Histoire
du Cardinal-Duc de Richelieu, recueillis par le Sieur Aubery, avocat au
Parlement et aux Conseils du Roi, t. I, p. 105-106.
[3] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. III, p. 327-328.
[4] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. III, p. 350.
[5] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, t. IX, p. 292.
[6] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. III, p. 363.
[7] Les Triomphes de Louis le
Juste.
[8] Lepré-Balain, année 1629.
[9] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. III, p. 410-411.
[10] Avenel, Lettres du cardinal
de Richelieu, t. III, p. 269.
[11] Avenel, Lettres du cardinal
de Richelieu, t. III, p. 310.
[12] Lepré-Balain, année 1629.
[13] Voir Mathieu de Morgues et Mémoires
de M. de Chizay, p. 177-179. — Voir aussi Levassor, Histoire de Louis XIII,
t. III, p. 379-381.
[14] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. III. p. 437.
[15] Maximin Deloche, La Maison
du Cardinal de Richelieu, p. 309.
[16] Marius Topin, Louis XIII et
Richelieu, p. 143.
[17] Père Griffet, Histoire du
Règne de Louis XIII, t. I, p. 687-688.
[18] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. III, p. 459.
[19] Père Griffet, Histoire du
Règne de Louis XIII, t. I, p. 688.
[20] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, éd. Petitot, t. V, p. 76.
[21] Maximin Deloche, La Maison
du Cardinal de Richelieu, p. 452.
[22] Levassor, Histoire de Louis
XIII, t. III, p. 409.
[23] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, éd. Petitot. t. V, p. 355.
[24] Mémoires du Maréchal de
Bassompierre, I. I, p. 73-74.
[25] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, éd. Petitot, t. V, p. 386.
[26] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, éd. Petitot, t. V, p. 374.
[27] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. III, p. 526.
[28] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, éd. Petitot, I. V, p. 397.
[29] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. III, p. 547.
[30] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, éd. Petitot, t. V, p. 419, 422.
[31] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, éd. Petitot, t. V, p.423.
[32] Mémoires du duc de La
Force, t. III, p. 315.
[33] Village situé dans la vallée
de la Doire Ripuaire à sept lieues de Suse, six de Turin.
[34] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, éd. Petitot, t. V, p. 452.
[35] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. III, p. 552-557.
[36] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, éd. Petitot, t. V, p. 452.
[37] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. III, p. 561.
[38] Mémoires du Sieur de
Pondis, t. II, p. 2 et 3.
[39] Mémoires du Sieur de
Pontis, t. II, p. 4.
[40] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, éd. Petitot, t. V, p. 485.
[41] Mémoires de M. de
Puységur, I. I, p. 83-85.
[42] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, éd. Petitot, t. V, p. 485-486.
[43] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. III, p. 597-598.
[44] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. III, p. 608-609.
[45] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. III, p. 608, note.
[46] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. III, p. 609, note.
[47] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, éd. Petitot, t. VI, p. 84-85.
[48] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. III, p. 679, note.
[49] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, t. VI, p. 85, éd. Petitot.
[50] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, éd. Petitot, t. VI, p. 86-89.
[51] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, éd. Petitot, t. VI, p. 90.
[52] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, éd. Petitot, t. VI, p. 90.
[53] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. III, p. 664-665.
[54] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. III, p. 684-685.
[55] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, éd. Petitot, t. VI, p. 96.
[56] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, éd Petitot, t. VI, p. 96-97.
[57] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, éd. Petitot, p. 126-129.
[58] Le pape Urbain VIII venait de
décider, le 10 juin 1630, que l'on dirait en parlant aux cardinaux, au lieu de Votre Seigneurie Illustrissime, Votre Éminence.
[59] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, éd. Petitot, t. VI, p. 129-130.
[60] 23 juin 1630, Affaires
étrangères, France, 794 bis, f° 186 et suivants.
[61] Si
trorano motte difficolto nella pace con la negoziatione.
[62] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. III, p. 707-708.
[63] Bullion à Richelieu, 23 juin
1630. Affaires étrangères, France, 794 bis, f° 186.
[64] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, éd. Petitot, t. VI, p. 134-136.
[65] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. III, 723-725.
[66] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. III, p. 746, note.
[67] Le Père Suffren à Richelieu,
Affaires étrangères, 10 juillet 1630.
[68] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. III, p. 763.
[69] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. III, p. 768.
[70] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. III, p. 728.
[71] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. III, p. 726, note.
[72] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. III, p. 757.
[73] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. III, p. 759.
[74] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. III, p. 775-776.
[75] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. III, p. 776.
[76] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, éd. Petitot, t. VI, p. 204.
[77] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, t. VI, p. 193-199.
[78] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. III, p. 773.
[79] P. Griffet, Histoire du
Règne de Louis XIII, t. V, p. 91.
[80] Le Père Suffren, à Richelieu.
Affaires étrangères, France, 796, f° 217.
[81] Bouvard à Richelieu, 13 août
1630. Affaires étrangères, France, 796, f° 25.
[82] Le Père Suffren à Richelieu,
Affaires étrangères, France, 796, f° 296.
[83] Le Père Suffren à Richelieu,
18 août 1630. Affaires étrangères, France, 796, f° 238.
[84] Bouthillier, Richelieu, 13
août 1630, Affaires étrangères, France 295, f° 273.
[85] Bullion à Richelieu, 26 août
1630, Affaires étrangères, France, 295bis, f° 288.
[86] Bullion à Richelieu, 26 août
1630, Affaires étrangères, France, 295bis, f° 288.
[87] Voir Lepré-Balain.
[88] Le Père Suffren à Richelieu,
18 août 1630, Affaires étrangères, France, 796, f° 238 et suivants.
[89] Archives des Affaires
étrangères, France, 250, f° 39.
[90] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. III, p. 885.
[91] Baudier, Histoire du
Maréchal de Toiras, t. II, p. 106-109.
[92] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. III, p. 857, note.
[93] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. III, p. 874.
[94] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. III, p. 885.
[95] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. III, p. 904.
[96] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. III, p. 907.
[97] Baudier, Histoire du
Maréchal de Toiras, t. II, p. 208. — Sur l'arrivée de Spinolla sur
Champs-Elysées et sur sa déception de n'avoir pu prendre Casal, voir l'Entretien
des Champs-Elysées, dans le Recueil de Hay du Chatelet, édit. 1637.
[98] Mercure français, t.
XVI, p. 703.
[99] Mémoires du Sieur de
Pontis, t. II, p. 16.
[100] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, édition Petitot, t. VI, p. 325.
[101] Père Griffet, Histoire du
Règne de Louis XIII, t. III, p. 718.
[102] Mémoires de M. de
Puységur.
[103] Père Griffet, Histoire du
Règne de Louis XIII, t. III, p. 720.
[104] Mémoires de M. de
Puységur, p. 93.
[105] Mémoires du Sieur de
Pontis, t. II, p. 26.
[106] Archives de La Force, 27 octobre
1630.
[107] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. III, p. 962.
[108] Fagniez, Le Père Joseph et
Richelieu, t. I, p. 517-519.
[109] Bouthillier à Richelieu,
Affaires étrangères, France 795 bis, f° 515 et suivants.
[110] Avenel, Lettre du Cardinal
de Richelieu, t. III, p. 943, note.
[111] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, éd. Petitot, t. VI p. 426-427.
[112] P. de Vaissières, l'Affaire
Marillac, p. 44.
[113] Mercure français, t.
XVI, p. 794.
[114] Avenel, Lettres du Cardinal
de Richelieu, t. III, p. 912.
[115] Éléonor de Villars, femme
d'Humbert de Chaponay, seigneur de l'Islemeau, lieutenant général de la
sénéchaussée de Lyon.
[116] Mémoires du Comte de
Brienne, p. 52.
[117] Mémoires du Comte de
Brienne, p. 52.
[118] Maximin Deloche, La maison
du Cardinal de Richelieu, p. 447-460.
[119] Mémoires du Cardinal de
Richelieu, éd. Petitot, t. VI, p. 427.
[120] Mémoires du Comte de
Brienne, p. 52.
[121] Comte de Beauchamp, Louis
XIII d'après sa correspondance avec le Cardinal de Richelieu, p. 83.
[122] Journal du Cardinal-Duc de Richelieu, p. 5.