Du traité d'Angoulême à la bataille des Ponts-de-Cé (1619-1620)[1]. I Autant qu'il est donné aux esprits du commun de pénétrer dans le secret de ces intelligences supérieures qui vont si loin et qui se couvrent si soigneusement, on peut essayer de s'imaginer le tumulte des pensées et des émotions qui agitaient l'âme de Richelieu, au fur et à mesure que, sur l'ordre exprès du Roi, il s'éloignait d'Avignon et s'approchait d'Angoulême. L'heure était unique dans sa vie. Pris du frisson de joie et d'angoisse que donne la victoire prochaine, il était cependant plein d'activité, plein d'entrain et, avec la fièvre de l'action, d'une lucidité merveilleuse. Il allait revoir la Reine ! Au premier regard, les yeux dans les yeux, sa fascination s'exercerait, il le savait, il connaissait son pouvoir... Mais il y avait l'entourage, ignorant encore la décision prise par le Roi et où la survenue de l'évêque allait jeter un beau désarroi. Il y avait surtout le parti politique auquel Marie de Médicis s'était livrée en se confiant à d'Épernon : les Grands, les protestants, en un mot les adversaires du pouvoir royal. Or, Richelieu, tout en jouant le jeu de la Reine, qui plus que jamais était son jeu à lui, songeait déjà à ne rien faire qui pût contrarier sa destinée de futur chef du gouvernement. Ainsi, il embrassait d'un coup d'œil les difficultés venant soit de la cour de Paris, soit de la cour d'Angoulême. A Paris, c'étaient ses adversaires, c'était Luynes, qui le ramenaient et qui comptaient sur lui ; à Angoulême, c'étaient ses amis et presque ses complices qui étaient ses plus dangereux adversaires. Tout va dépendre de sa première démarche. Du pied dont il va partir, il s'engage dans le chemin qui, d'étape en étape, le conduit au cardinalat, au pouvoir, à la domination définitive sur l'esprit du Roi et finalement à l'apogée de sa carrière politique. La scène est préparée, les perspectives se dessinent, et déjà on reconnaît autour des principaux acteurs tout le personnel des crises lointaines, et même celui qui accompagnera la reine mère jusqu'à la journée des Dupes. Les réflexions de l'exil n'avaient pas été perdues pour Richelieu. Il avait pesé tout ce monde au milieu duquel il allait vivre et qui devait servir d'instrument à son ambition : ce que valait Marie de Médicis, et dans quelle mesure il pouvait compter sur elle, son jugement froid l'avait discerné ; ce que valaient les hommes qui entouraient la Reine, quelles étaient leurs idées, leurs ambitions, où ils prétendaient mener leur maîtresse et le pays, il le savait ; ce qu'il fallait dire et ce qu'il fallait taire, à quoi il fallait se prêter et mi il convenait de se retenir ; il le savait ; et ce n'est pas le moindre mérite de cette étonnante capacité politique que d'avoir pu conduire sa barque dans le présent sans engager l'avenir. Douze ans de luttes cachées étaient en germe dans les décisions de cette heure unique. Il se plongeait dans le, parti pris d'une si longue contrainte : on dirait que les tempéraments de cette trempe se plaisent à ce qui ferait l'amertume et le désespoir d'une vie ordinaire. Le résultat de ces pensées rapides, Richelieu le fixa, en cours de route, sous la forme d'instructions rédigées en hâte et destinées un émissaire qu'il envoya vers la Reine pour préparer son arrivée[2]. Tout d'abord, il pose nettement à Marie de Médicis la question qui s'agite dans son esprit : doit-on subordonner l'intérêt de l'État à celui de quelques particuliers ? La reine a-t-elle assez d'empire sur elle-même pour dominer de vaines rancunes et s'écarter de conseils qui ne sont pas tous désintéressés ? Elle recevra divers conseils... Plusieurs s'offriront à lui servir. D'autres fomenteront les méfiances et les haines, et tout cela pour tirer des avantages particuliers au profit du tiers et du quart... Certes, la Reine doit conserver ses serviteurs : mais adviser s'il y en a qui la poussent à choses par lesquelles les jalousies et des hommes et de l'État prissent nouvelles racines : éviter et rejeter cela, considérant les conséquences, par lesquelles elle se rendrait odieuse. La position est donc bien nette à l'égard de la cabale qui entoure Marie de Médicis. Celle-ci est avertie. Il faut qu'elle choisisse entre le bien public et les appétits qui l'entourent. Elle est prévenue de l'attitude nouvelle, toute de prudence habile et de réserve profitable, que Richelieu voudrait voir prendre à l'égard de la Cour. C'est la pensée qui domine la rédaction du mémoire. L'évêque ne présente pas chat en poche. Si la Reine veut marcher avec lui, fort bien ; mais, alors, qu'elle se décide à le suivre jusqu'au bout. Voyons maintenant les faits. Ils se déroulent conformément au programme qui vient d'être tracé et qui, en somme, est accepté. Arrivé aux portes d'Angoulême, le 21 mars, jour du mercredi saint 1619, Richelieu fit sa première visite au duc d'Épernon, gouverneur et maitre de la place ; celui-ci le reçut poliment, si l'on en croit son propre secrétaire, et il le conduisit lui-même chez la Reine. Quoique avertie, celle-ci était en Conseil. Richelieu, donc, fit antichambre, pendant qu'à l'intérieur on annonçait la nouvelle à Marie de Médicis et qu'on épiait l'effet sur son visage. Mais elle savait parfaitement dissimuler quand il y allait de son service. Elle put se contenir et laissa les esprits incertains[3]. L'hésitation qu'on crut remarquer encouragea les plus hardis. Les insinuations se glissèrent. On dit à la Reine qu'elle devait se méfier de ce singulier revenant, envoyé par Luynes ; qu'elle serait sage en le tenant en dehors de ses conseils. La séance finie, la Reine reçut l'évêque. Seuls, ce fut l'heure des épanchements. La Reine ne songeait qu'à la situation de son ami. Elle prenait telle part à mes intérêts, dit-il lui-même, qu'elle trouvait bon de me donner conseil. Elle raconta, en hâte, tout ce qu'elle savait, tout ce qui se passait. Très froid, maitre de lui, il dit qu'il n'avoit nul goût de se mêler des affaires qui étoient lors sur le tapis, parce qu'il étoit raisonnable que ceux qui les avoient commencées les missent à leur perfection. Marie de Médicis entra dans ces vues, s'amusant beaucoup d'avance de la surprise des autres. Le lendemain, elle leur transmit l'avis émis par l'évêque. Jamais gens ne furent si étonnés. Ils n'eurent pas de peine à deviner la manœuvre : l'homme prétendait rester en dehors du conseil pour critiquer, à son aise, tout ce qui se ferait, sans prendre aucune responsabilité. Alors, par une volte-face subite, ils prêtèrent les mains à leur propre défaite, et supplièrent la Reine d'obtenir de l'évêque qu'il voulût bien assister à leurs délibérations. Il poussa sa pointe avec une implacable ironie : Le lendemain, l'heure du conseil étant venue, j'y entrai comme les autres et, pour montrer ma modestie, je faisais état de parler fort peu. On le supplia de donner son avis. Il se fit prier, puis leur dit bonnement que, quant à lui, il aurait conseillé juste le contraire de ce qu'ils avaient fait jusqu'ici et de ce qu'ils prétendaient faire ; que, selon lui, il fallait s'arranger avec la Cour et non la piquer, parce qu'on n'avait pas les forces pour lui résister. Par cette seule et tranquille parole, il obtenait un double résultat : d'abord, il renversait tout ce que ces gens avaient échafaudé depuis des semaines et, ainsi, il les renversait eux-mêmes. En outre, il rendait, de bonne foi, le service que la Cour attendait de lui. Ruccellai, qui, depuis l'affaire de Blois, avait tout fait pour conquérir la Reine, sent qu'elle lui échappe. Il veut brusquer la partie. En beau joueur, il met, à Marie de Médicis, le marché à la main : Deux jours après, le duc d'Épernon vint trouver la Reine pour lui dire que Rousselay, ayant su que Sa Majesté m'avoit donné ses sceaux — ce qui n'étoit pas vrai, bien qu'elle me les eût destinés dès Blois —, étoit résolu de la quitter, si elle continuoit en cette volonté. La Reine ne répondit rien. Ruccellai était battu. Il est vrai que d'Épernon lui-même était encore hésitant. Un moment, il avait eu l'idée d'opposer à l'évêque de Luçon un homme à lui, et il croyait l'avoir sous la main, dans la personne de l'habitant d'Angoulême chez qui, justement, Marie de Médicis était descendue, Guez de Balzac. Oui, Balzac l'écrivain, Balzac l'épistolier, par qui d'Épernon faisait tourner son gascon en français, eut cette singulière fortune de se croire, un instant, le rival possible de Richelieu. Les hommes de lettres ont de ces belles confiances. La présence de l'évêque de Luçon remit bientôt les choses en place, et Balzac fut renvoyé de la politique à la littérature, pour le plus grand profit de la littérature et de la politique[4]. D'Épernon, fatigué de l'insolence de Ruccellai,- qui, après avoir pris bruyamment son congé, n'en finissait pas de partir, se décida enfin à admettre que l'évêque de Luçon était une autre espèce d'homme et il se rallia au dessein, désormais commun à tous, de pousser l'Italien par les épaules. Les choses, d'ailleurs, se gâtaient. La cour, tout en négociant, se préparait à agir, et même ses troupes se mettaient en mouvement. On avait confié le commandement de la petite armée qui opérait dans la région d'Angoulême à un homme de sens et de résolution, Schomberg. Sans s'arrêter aux négociations en cours, il marchait droit sur les rebelles et s'emparait, par surprise, d'Uzerche, sur le chemin d'Angoulême[5]. D'Épernon n'avait pas cru à tant de décision ; il n'avait rien préparé. Il était abandonné par tous ceux des Grands sur lesquels il comptait. Les protestants ne bougeaient pas. Du Nord et de l'Est, on recevait de mauvaises nouvelles : Boulogne, défendu par un lieutenant de d'Épernon, avait capitulé. Metz était menacé. Depuis plusieurs semaines déjà — depuis le 10 mars, -- les deux commissaires envoyés par le Roi pour traiter avec la Reine, Béthune et Bérulle, étaient arrivés à Angoulême[6]. Philippe de Béthune, frère du Sully de Henri IV, était un homme de sens, d'une capacité médiocre, mais sûre ; le Père de Bérulle, dont nous rencontrerons désormais le nom joint à celui de Marie de Médicis et de Richelieu, est célèbre, en qualité de fondateur de l'Oratoire. Il avait une réputation de piété. C'était un prêtre à la figure ronde, aux yeux vifs, dont le charme insinuant et fleuri exerçait une réelle action sur les âmes pieuses, sur les femmes ; par une activité extraordinaire, il suffisait aux bielles multiples dont il se chargeait volontiers. On eût dit que, dans la retraite, il s'ennuyait parfois du monde ; il est vrai que, dans le monde, il songeait sans cesse à la retraite. Sans être un grand négociateur, il négocia toute sa vie, et sans être un intrigant, il fut mêlé à bien des intrigues. En somme, il devait s'agiter beaucoup, faire beaucoup de choses et même beaucoup de bien[7]. Ces cieux hommes, le diplomate et le Père, paraissaient aptes à tirer la reine-mère de son obstination. L'un était la douceur et l'autre, la patience même. Cependant, jusqu'à l'arrivée de l'évêque de Luçon, ils n'avaient pu rien obtenir. La reine se perdait en récriminations infinies et dissimulait, sous ses plaintes, des calculs qu'elle n'osait dévoiler[8]. D'ailleurs, la coterie de Ruccellai la retenait. Dès que Richelieu fut arrivé, les choses changèrent[9]. La Cour, fatiguée des lenteurs de la négociation, ne demandait qu'à finir. Le Père de Bérulle faisait la navette entre Paris et Angoulême. Il suppliait qu'on anal au-devant des désirs de la reine mère. En signe de bonne volonté, on résolut d'adjoindre aux deux négociateurs un personnage ecclésiastique plus important encore, le cardinal de la Rochefoucauld. Il quitta Paris vers le 10 avril, et vint renforcer de son intervention onctueuse l'autorité du comte de Béthune et du Père de Bérulle. Il était muni d'instructions très conciliantes[10]. Le 19, il était à Angoulême. La Rochefoucauld et Bérulle savaient qu'ils n'avaient qu'un appui et un espoir, l'évêque de Luçon. Ils se confiaient en lui, lui disaient tout, lui montraient leurs pouvoirs. Il jouait les deux jeux à la fois et conduisait lentement la partie au point où il croyait devoir la gagner. Il maniait l'esprit de la reine, l'arrachait à l'influence de Ruccellai, l'entretenait clans la crainte des troupes royales en marche et du vigoureux Schomberg ; il tirait grand parti d'une entreprise dirigée contre la poudrière du château d'Angoulême. Marie de Médicis, pressée, décontenancée, alarmée, dut céder. Elle comprit qu'elle agirait habilement en prenant au mot les envoyés du Roi qui, de leur côté, avaient été au bout de leurs instructions et qui même les avaient dépassées. Le Père de Bérulle avait fait, une fois de plus, le voyage de Paris. Il rentra à Angoulême, le 4 mai, juste à temps pour assister à un revirement complet de la reine qui, soudain, accepta toutes les conditions de la Cour, annonça partout la paix, lit sonner les cloches et chanter le Te Deum[11]. C'était un succès pour l'évêque de Luçon[12]. La Cour elle-même fut prise au dépourvu par l'assentiment soudain de la reine mère. Sous la pression du Père de Bérulle, on s'était laissé entrainer, de concession en concession, à accorder à la reine des avantages qui, dans le passé, justifiaient à la fois sa conduite et celle du duc d'Épernon et qui, dans le présent, lui assuraient tout le bénéfice moral et le prestige de la conclusion de la paix. Richelieu sortait de cette négociation singulièrement grandi. Dans des circonstances graves, il était apparu comme l'homme nécessaire. La Cour et l'opinion, avec la promptitude et la mobilité d'impression qui agitent sans cesse le monde politique, s'engouèrent tout à coup du mérite que les habiles seuls avaient discerné jusque-là Le concert de la louange et de l'admiration s'élève soudain, autour de lui, avec une unanimité qui entraîne jusqu'à ses adversaires. Dès lors, la supériorité de l'intelligence chez cet homme est reconnue et proclamée par tous. C'est Bentivoglio — qui, certes, n'est pas suspect — écrivant au cardinal Borghèse : Vous connaissez les éminentes qualités de l'évêque de Luçon et, dans cet accommodement, vous ne pouvez croire quelle louange il a méritée. C'est l'abbé de La Cochère qui, bientôt, écrira de Rome : Cet évêque, la fleur de nos amis, est, sans controverse, tenu ici pour le plus accompli et le plus digne prélat de France. C'est l'autre nonce, l'archevêque de Tarse, écrivant à son tour : le ottime qualità di lei. De partout, on se tourne vers lui, et sa correspondance s'enrichit des signatures les plus illustres. Le prince de Condé s'adresse à cet évêque d'un évêché crotté pour le remercier des services qu'il lui rend près de la Reine ; le duc d'Épernon, ce glorieux, prend la plume lui-même pour lui écrire des compliments parfaits et pour lui demander de rendre compte de son dévouement à la reine ; l'archevêque de Toulouse, fils du duc d'Épernon, pose, dans une correspondance active, les premiers jalons d'une amitié et d'un dévouement qui ne cesseront qu'avec la vie ; puis, c'est ce vieux et rogue duc de Sully, l'ancien ministre de Henri IV, qui, confit dans l'aigreur de la disgrâce, envisage comme une heureuse fortune, le projet d'une alliance entre sa famille et celle de Richelieu, — de si petites gens, pourtant[13]. Bientôt, Richelieu verra se retourner vers lui ceux qui, un instant, ont osé se déclarer ses adversaires. Et de quel ton fier et assuré il les reçoit ! À Hurault de Cheverny, évêque de Chartres, premier aumônier de la reine, qui n'avait pas su prendre parti à l'heure de la disgrâce, il écrit : J'ai fait savoir à la Reine le désir que vous avez de revenir auprès d'elle... On vous a prêté des charités. Vous savez trop le cours du monde pour ignorer combien on m'a voulu rendre de mauvais offices, tant auprès du Roi qu'auprès de la Reine sa mère... Cependant j'aurai à faveur de rencontrer les occasions de vous pouvoir témoigner par les effets que je suis votre très humble confrère et serviteur. C'est sec ; et Cheverny se résigne à laisser la place de grand aumônier à l'ami de cœur de Richelieu, Bouthillier La Cochère[14]. Voici l'évêque de Béziers, Bonzi, le malencontreux ami de
Ruccellai et de Tantucci, qui fait, à son tour, amende honorable. Comme les
autres, il part, il quitte une cour où il n'a plus que faire, résolu de se détacher de tout ce qui peut, tant soit peu, ou aigrir le repos de son esprit ou troubler
l'exercice de sa charge. Mais, avant de partir, il bat sa coulpe aux
pieds de son rival : Puisque Dieu m'en a fait naître
l'occasion, je l'embrasse de tout mon cœur, vous protestant que je ne retiens
du passé que ce que j'ai eu de pures résolutions à votre service, et que je
vous honorerai toujours à l'égal de votre qualité et, pour dire tout en peu
de mots, à l'égal de votre mérite[15]. Pourquoi ces concours, ces protestations, cette génuflexion universelle ? C'est que tout le monde sent maintenant, ou plutôt voit que l'avenir est à ce jeune homme, que, quels que soient les espaces et les délais qui le séparent du but, il est, dans toute la force du terme, — cinq ans avant de rentrer au ministère, — le soleil levant ; c'est qu'on découvre clairement en lui la résolution arrêtée d'arriver au pouvoir et la capacité d'y parvenir : Déjà, dit Fontenay-Mareuil, on soupçonnoit qu'il vouloit gouverner et qu'on n'auroit point de repos que cela ne fût. Et voilà l'intérêt de la lutte déclarée qu'il soutient désormais contre Luynes : il s'agit du pouvoir. L'un a pour lui la faveur du Roi, la cour, les emplois, les pensions, les gouvernements et ce qu'il reste d'armée dans la France de fleuri 1V ; l'autre n'a guère d'appui que la confiance de la reine mère ; car tout ce qui environne celle-ci lui est ennemi ou suspect. Il doit donc s'employer uniquement à conserver, à fortifier et à manier, avec une habileté suprême, l'instrument qu'il a en main. Autour de la Reine, de rares amis seulement lui sont dévoués : le marquis de Richelieu son frère, la marquise de Guercheville, Bouthillier La Cochère et, dans l'ombre, le Père Joseph et quelques prêtres ; il va s'efforcer de consolider ce petit groupe, de le grossir et, en éliminant ses adversaires, de les remplacer par sa famille et ses amis. La reine est brusque, fantasque, à la fois irrésolue et violente : il assure à sa conduite plus de tenue et une suite qui lui manque naturellement. Les autres éléments hostiles ou hésitants qui tournent autour de la reine mère, il les opposera les uns aux autres, les maintiendra et les contiendra en même temps. A l'égard de la Cour, il se gardera d'un double péril : celui de se rapprocher trop, de peur d'être absorbé par elle ; celui de s'éloigner trop, de peur de perdre toute action sur elle. Son opposition est à la fois hardie et féline. Dangereuse pour ses adversaires, elle peut devenir dangereuse pour lui-même ; car elle l'entraîne à des compromissions où l'on s'étonne de voir figurer un tel nom. Pour éliminer son rival, pour s'imposer lui-même, ce grand serviteur des rois courra le risque d'affaiblir irrémédiablement la royauté, et un Richelieu pactisera avec la rébellion. Cette difficile partie se joue au lendemain du traité d'Angoulême. Trois points sont en suspens, même après la signature de l'accord, et motivent des discussions qui en prolongent, pour ainsi dire, la négociation, plusieurs semaines après qu'il est conclu : la reine mère restera-t-elle en province, ou rentrera-t-elle à la cour, près de son fils ? — Le Roi rendra-t-il la liberté au prince de Condé ? — L'évêque de Luçon obtiendra-t-il le chapeau de cardinal ? Ce fut la question du rapprochement effectif entre le Roi et la reine qui se posa tout d'abord. Sur ce point, Richelieu avait exprimé sa manière de voir dans les instructions remises à l'émissaire envoyé près de la reine, avant même qu'il fût arrivé à Angoulême : Chercher tous bons moyens pour approcher le Roi et aider à ses bonnes intentions et pour guérir les jalousies, la Reine jouissant d'une demeure où elle soit assurée, et en laquelle elle évite de donner ni prendre nouvelles défiances... Ainsi que j'ai dit, la Reine ayant choisi une demeure sûre et libre, et elle la doit posséder dans ses limites sans la rendre odieuse à l'État, sans en faire un siège de nouveautés, un réceptacle de brouillons et brouilleries... son but est d'approcher le Roi, mais avec amour et confiance de l'un et de l'autre... Or, il faut du loisir et du temps pour réparer le mal qui s'est fait. Tout ceci est très clair, quoique très fin. La reine doit faire entendre qu'elle veut se rapprocher du Roi. Mais, avant tout, elle doit garder sa liberté d'action, dans une demeure sûre et libre. Cette phrase avait déjà dicté toute la conduite de Marie de Médicis durant la négociation qu'elle avait menée elle-même avec le comte de Béthune. Bans ses conversations, elle avait appuyé sans relâche sur la sûreté qu'elle réclamait du Roi. Sûreté, qu'est-ce à dire ? Béthune insistait. Il voulait la faire parler. Mais elle ne sortait pas de sa formule ; elle voulait qu'on la comprit à demi-mot, qu'on lui fit des propositions. C'est ce à quoi la Cour, de guerre lasse, avait fini par se résoudre : dès le 8 avril, au moment où le cardinal de La Rochefoucauld, envoyé vers elle, recevait des instructions catégoriques sur ce point : Sa dite Majesté considérant que, jusqu'à présent, la qualité que la Reine a eu, en sa personne, de gouverneur de la province de Normandie, a été plutôt pour en porter le nom que pour en faire aucune fonction, Elle lui veut commettre effectivement la charge du gouvernement d'une province à laquelle elle puisse commander sous Son autorité et même lui donner dans icelle la charge de quelques places pour s'y retirer quand bon lui semblera. Pour cet effet, M. le cardinal lui proposera, qu'en remettant ès mains de Sa Majesté le titre qu'elle a de gouvernante de Normandie, Elle lui fera bailler le gouvernement do la province d'Anjou, ou, avec le château d'Angers, pour le faire garder par telles personnes qu'elle voudra nommer à Sa Majesté... et néanmoins Sa Majesté donne à M. le Cardinal le pouvoir de lui offrir encore, avec cela, la garde des Ponts-de-Cé sur la rivière de Loire, ou, si elle estime peu ledit Pont-de-Cé, il pourra se relâcher, au lieu d'icelui, de lui bailler la garde de la ville et du château de Chinon, pour le tenir en la même forme que celui d'Angers. Et si elle ne se contente desdites places d'Angers et de Chinon ensemble, il y pourra encore ajouter celui des Ponts-de-Cé. Une fois que la négociation avait pris cette tournure,
elle devait aboutir rapidement. Béthune dit lui-même qu'il était aidé
sous-main par des personnes approchant la reine et
auxquelles elle a beaucoup de confiance, qui souhaitent contribuer comme des
gens de bien pour le succès d'un prompt accommodement de toutes les affaires.
Il s'agit évidemment de Richelieu. Celui-ci avait un double intérêt à voir se conclure une négociation qui devait constituer à la reine une sorte de domaine indépendant, à distance respectable de la Cour, et, le cas échéant, un point d'appui pour résister par la force. Il savait, en effet, d'ores et déjà ayant pris possession de l'esprit de la reine, que lui et les siens seraient les détenteurs de ce domaine et qu'on les visait, quand on parlait, dans les instructions de La Rochefoucauld, des personnes auxquelles Sa Majesté la Reine devait en confier la garde. Il avait la promesse formelle de Marie de Médicis, et c'est par là que se manifestaient les premiers résultats de ce travail de captation dont l'évêque enveloppait la reine mère[16]. Richelieu était même si sûr de son affaire, que lui et son frère — avant de faire signer par la reine le traité d'Angoulême — avaient cru devoir délibérer sur la question de savoir si l'on ne pourrait pas obtenir de la Cour une place plus forte et plus avantageusement située que celle d'Angers, même avec le complément des Ponts-de-Cé et de Chinon. Dans un mémoire présenté à la reine et très longuement déduit, les deux frères ne cachaient pas leur préférence pour Nantes. Ils reconnaissaient les mérites de l'Anjou, à ne considérer que la beauté du site, l'agrément du climat, la force du château ; ils ajoutaient même une considération qui leur était propre : Étant Angevins et ayant Angers, ce serait commander en notre pays et en avoir la plus belle et principale charge. Mais, malgré ce motif de convenance personnelle, ils insistaient auprès de la reine sur l'avantage d'un port de mer riche et peuplé comme Nantes, surtout si l'on obtenait de la cour un autre passage sur la Loire, Amboise, par exemple. A cette double demande, on voit se révéler l'esquisse d'un plan stratégique qui consiste à maintenir la communication entre les pays d'en deçà et d'au delà de la Loire, tout en se tenant, au besoin, eu contact avec l'étranger par la mer[17]. De telles vues étaient suspectes. La cour avait, pour refuser Nantes et Amboise, les mêmes raisons que les Richelieu avaient pour les réclamer. Cette exigence faillit tout rompre. Mais quand Boulogne et Uzerche furent pris, quand Schomberg eut menacé Angoulême et qu'il fallut traiter précipitamment, Marie de Médicis avait cru habile de se contenter, en ce qui concernait les places de sûreté, d'une indication générale et d'une promesse verbale de La Rochefoucauld. Le traité d'Angoulême proprement dit, c'est-à-dire l'acte qui fut signé le 12 mai, ne contenait, à ce sujet, qu'une vague allusion : Le Roi accorde à la Reine sa mère qu'Elle dispose de sa maison ainsi qu'il lui plaira, appelant et retenant à son service telle personne qu'Elle voudra. Tout le reste du traité était consacré à confirmer la situation antérieure de la reine mère, au point de vue des charges, des pensions, et à accorder une abolition de ce qui s'était passé depuis le départ de Blois tant à elle qu'à ses serviteurs, y compris le duc d'Épernon. Des places de sûreté, pas un mot. Marie de Médicis, s'en tenant aux paroles de La Rochefoucauld, avait déclaré qu'elle n'aspirait d'autre sûreté que le cœur de son fils. La reine, en signant ce traité incomplet et en brusquant la proclamation de la paix, avait eu surtout pour objectif d'interrompre la campagne de Schomberg. Elle avait obtenu ce résultat. Mais elle n'entendait nullement renoncer aux promesses qu'on lui avait faites. En revanche, Luynes, ayant la signature de la reine, traînait, à son tour, les choses en longueur. Il cherchait, visiblement, quelque moyen d'échapper à l'engagement pris par La Rochefoucauld, par Béthune et par Bérulle au nom du Roi, sur le sujet des places de sûreté. Ainsi se prolongea, pendant plusieurs semaines, une négociation des plus complexes et des plus pénibles, pleine de reproches et d'aigreurs réciproques, et qui n'était que la suite du malentendu d'Angoulême. Les deux camps jouaient au plus fin autour des deux questions qui étaient, pour ainsi dire, la contrepartie l'une de l'autre : rapprochement effectif du Roi et de la reine, désignation des villes réclamées par celle-ci. Richelieu consentait au rapprochement ; mais il voulait les places. Il consentait au rapprochement pour un temps ; mais il voulait les places pour toujours. Il lui plaisait que la reine ne fût plus traitée en ennemie, parce qu'il avait besoin de la cour. Mais il ne lui plaisait pas qu'elle se fixât à la cour, parce qu'il savait bien que Luynes ne cesserait pas de le traiter en adversaire. On finit par s'accorder sur le texte des propositions primitives. Le 11 juin, Marie de Médicis reçut un brevet royal lui remettant la disposition des gouvernements d'Angers, de Chinon, des Ponts-de-Cé. La négociation fut ainsi définitivement conclue. Richelieu pouvait se déclarer satisfait. Dans l'entourage de Marie de Médicis, il avait été le véritable agent de cet accord. Son frère, le marquis de Richelieu, avait été désigné d'avance, par Marie de Médicis, pour le gouvernement de la place d'Angers. Les deux frères, appuyés l'un sur l'autre, tenaient ainsi les deux situations prééminentes auprès de la Reine, l'un le conseil et l'autre la force armée : obtenir un pareil résultat, tout en s'assurant de la gratitude de la cour, c'était un coup de fortune et d'habileté extraordinaire. L'évêque de Luçon éprouvait, au dedans de lui-même, l'espèce de joie grave que donne la réussite d'une belle opération heureusement conçue et habilement menée : Jamais accord ne fut conclu plus à propos, écrit-il, car Annibal étoit aux portes. La fortune l'attendait là ; et elle le frappa d'un coup soudain qui toucha son cœur, ébranla son courage et faillit détruire toutes ses combinaisons. La désignation du marquis de Richelieu en qualité de gouverneur d'Angers avait été, pour lui, une grande joie. Il aimait ce frère tendrement. Le marquis était, d'ailleurs, un homme de mérite ; cavalier brillant, militaire expérimenté, homme de jugement clair et souple. Pas un contemporain qui n'ait parlé de lui sans faire son éloge et sans reconnaître qu'il avait de l'avenir dans l'esprit et dans la conduite. Par une circonstance rare et singulière, les cieux carrières, celle du soldat et celle de l'évêque, se complétaient et se confondaient, et maintenant, autour de la reine, la famille occupait toutes les avenues. Naturellement, la faveur dont le marquis venait de recevoir une marque si haute n'avait pas été sans exciter des jalousies et des mécontentements. La coterie battue par les Richelieu ne se résignait pas facilement. A cette époque, les parties s'engageaient à fond et chacun, comme enjeu, mettait au besoin sa vie il n'y a guère d'intrigue qui n'ait fait couler du sang. Thémines, fils de celui qui avait donné à la reine mère une si grande preuve de dévouement en arrêtant le prince de Condé, Thémines convoitait le gouvernement d'Angers. Vivement déçu par le choix de Richelieu, il s'exprima vertement sur le compte de ces gouverneurs improvisés : son langage mit été autre s'il eût profité de l'improvisation. Le propos revint aux oreilles du marquis. Deux ou trois projets de rencontre n'aboutirent pas. L'affaire fut, un moment, arrangée par l'intervention personnelle de la reine mère. Mais les deux hommes se cherchaient. Le 8 juillet, un lundi, ils se retrouvèrent, à demi fortuitement, près de la citadelle. Ils mirent pied à terre. Au premier engagement, Richelieu blessa son adversaire. Mais celui-ci, qui n'avait qu'une épée courte, se baissa, passa sous la lame du marquis de Richelieu et le frappa en plein cœur. Le marquis ne put dire que quelques mots : Mon Dieu, pardonnez-moi ! Le Père de Bérulle qui, de hasard, passait par là, arriva à temps, dit-on, pour lui donner l'absolution. Cette mort fut une émotion dans la petite cour et, de Paris même, le Roi écrivit à sa mère une lettre de condoléances au sujet d'une pareille perte[18]. Mais, pour l'évêque de Luçon, ce fut une catastrophe, qui lui arracha un cri de désespoir. Que de deuils accumulés dans cette funeste année ! Sa belle-sœur, son neveu mort presque en naissant, puis son frère. II faisait un triste retour sur ce qu'il appelait lui-même ses malheurs continuels. Ce frère lui était cher. C'était son nom, l'espoir de sa race, l'appui de son ambition, le confident de toutes ses pensées. Si, au cours d'une vie en proie à la plus desséchante des passions, il est une circonstance où le cœur se fondit et où des larmes humaines coulèrent, c'est assurément à cette heure ; il écrit au Père Coton : La douleur de la perte de mon frère me tient tellement saisi qu'il m'est impossible de parler et d'écrire à mes amis. Longtemps après, il dira dans ses Mémoires : Je ne saurois représenter l'état auquel me mit cet accident et l'extrême affliction que j'en reçus, qui fut telle qu'elle surpasse la portée de ma plume et que, dès lors, j'eusse quitté la partie, si je n'eusse autant considéré les intérêts de la Reine que les miens m'étaient indifférents. Et, sur le coup même, dans des carnets intimes que personne ne devait voir, ni lire, il s'épanchait en de courtes réflexions qui respirent une forte et grave émotion : La séparation du corps et de l'esprit ne se peut faire sans un grand effort de la nature, et celle de deux esprits qui ont toujours vécu ensemble en étroite amitié ne se fait pas avec moindre peine. — Il y a certaines choses à l'événement desquelles toute sorte de prudence ne peut pourvoir, parce qu'il n'est pas permis de les prévoir. — Celui qui doit et veut rendre sa vie à un autre ne pense pas volontiers à sa mort. — Jamais je ne reçus une plus grande affliction que par la perte de ce personnage. Ma propre perte ne m'eût pas causé plus de déplaisir[19]. Richelieu eut, toute sa vie, le ressentiment de cette peine. Elle resta fixée dans son cœur et, chaque fois qu'il eut à chercher, autour de lui, une capacité sûre et dévouée, il en revenait au regret de ce frère enlevé à la fleur de l'âge. Il pensait aussi à tant de familles françaises, frappées alors et décapitées par cette manie sanglante des duels. Puisque la noblesse n'était pas assez sage pour réformer elle-même l'abus qui la décimait, il se promettait, il se jurait d'y mettre un terme, l'heure venue, par l'intervention de l'État. La mort du marquis de Richelieu jetait, en même temps, l'évêque de Luçon dans l'embarras d'une fortune particulière très compromise. Il parait s'être trouvé, à ce point de vue, dans une passe des plus pénibles. Pour vivre, il s'était fait avancer, par ses fermiers, plusieurs années du revenu de l'évêché de Luçon. Son frère mourait pauvre, ou, plus exactement, couvert de dettes et réduit aux expédients, disposant, en outre, par un testament irréfléchi, de ressources qu'il ne laissait pas dans sa succession. Nous avons vu, par le testament d'Avignon, que l'évêque n'avait pas les mêmes illusions ; s'il n'était pas plus riche que son frère, du moins il connaissait sa misère. Après la mort du marquis, il dut, avec son esprit précis et pratique, s'appliquer au règlement d'une situation qui, remontant probablement à son père, menaçait, de s'invétérer parmi les siens. Comment il s'en tira, comment il fit casser le testament de son frère, comment il désintéressa, apaisa ou découragea les créanciers, c'est un point sur lequel ses ennemis insistent dans des termes fort déplaisants pour lui. Il dut souffrir beaucoup, à cette époque, du manque d'argent. C'est à partir de celte date que, les circonstances aidant, il jeta les premiers fondements de l'immense fortune qu'il devait amasser rapidement dans les affaires publiques[20]. Une fois sa résolution prise de ne pas se laisser accabler par ce coup, il n'en mit que plus d'énergie et de vigueur au service de son ambition. Il avait besoin d'un homme sûr : à défaut de son frère, il le chercha dans la personne de son oncle, le commandeur de La Porte, qui ne le quittera plus désormais. Ce fut cet oncle que la reine Marie de Médicis nomma immédiatement gouverneur d'Angers[21]. On désigna pour le gouvernement des Ponts-de-Cé un homme dévoué aux Richelieu, Bettancourt, et celui de Chinon servit à satisfaire quelque peu la cabale adverse : on y mit Chanteloube, que l'évêque croyait peut-être gagner par cette générosité. D'autre part, le marquis de Thémines ayant quitté la petite cour où il ne pouvait plus vivre, la reine confia la charge de capitaine de ses gardes au marquis de Brézé, beau-frère de l'évêque de Luçon, moyennant 30.000 écus que celui-ci paya au précédent titulaire. Ainsi, malgré la disparition du marquis, la reine reste entourée de toutes parts. Richelieu veut, avant tout, la garder sous sa main. Si l'on essaye de découvrir le fond des pensées de
l'évêque, au lendemain de la conclusion du traité d'Angoulême et de l'accord
relatif aux places de sûreté, on le trouve dans les instructions
confidentielles, et j'allais dire familières, qu'il donne à son oncle La
Porte, au moment où celui-ci se rend à la cour pour prêter serment en qualité
de gouverneur d'Angers. On savait le bon oncle un peu bavard et de libre propos.
On s'applique surtout à brider sa langue et, par ces précautions, on se découvre
soi-même sans y songer : Monsieur le Commandeur dira
à Sa Majesté, comme la Reine a commandé de lui baiser les mains de sa part, l'assurer
de son affection et de son service, avec toutes les belles paroles qu'il
pourra, en peu de mots... Sur quelque chose
qu'on puisse lui demander, j'estime que le meilleur est de répondre peu...
Si on lui demande ce qu'il estime touchant le voyage
de la Reine à la Cour, savoir si elle n'y doit pas aller, il répondra, en
général, que tous les gens de bien l'y désirent. Si on l'enquiert pour savoir
ce qu'estime l'évêque de Luçon sur ce sujet, il dira que c'est le lieu où la
Reine doit être, mais que c'est un conseil qui doit venir d'elle. Si on
l'enquiert plus outre de ce qu'il estime qu'il en est, il dira les choses
qu'il sait bien : que la Reine aime et honore le Roi et veut le repos et la
paix. — Du reste, vous savez bien que je
suis bourgeois qui ne me soucie pas de grandes nouvelles... Partout, s'il me croit, le Commandeur doit parler peu et
brider sa liberté[22]. De ces réponses générales et évasives, dictées à un homme qui était plutôt porté à la franchise, il ressort nettement que Richelieu continuait à jouer double jeu et que, malgré l'obtention des places de sûreté, il n'était pas encore satisfait. Que voulait-il donc de la cour, au moment même où il lui donnait de nouveaux gages, où il lui rendait de nouveaux services ? Car c'est justement l'heure où, sous son influence, la reine mère se débarrassait définitivement des chefs de la cabale intransigeante. En effet, à la nouvelle de la conclusion définitive, Ruccellai, qui, la veille de l'accord, détenait ou croyait détenir encore le secret de la reine, mit, lui-même, un terme à ses propres lenteurs. Après avoir imaginé mille moyens plus extravagants les uns que les autres pour essayer de reprendre quelque autorité sur la femme qu'il avait tirée d'embarras et qu'il croyait aimer, le malheureux, se voyant repoussé par une volonté désormais inflexible, ne se sentit plus d'autre courage que celui de la fuite. Perdu de douleur et de, dépit, il ne sut ni préparer sa retraite ni la vendre, la faire ni honorable ni profitable. Il posa des conditions qu'on n'accepta pas et n'accepta pas à temps les offres qu'on lui lit. Il partit, et cet esprit désespéré, par une troisième, trahison, — que peut-être son désespoir explique, — alla droit à la cour offrir brutalement ses services contre celle qu'il avait si bien servie. Son adversaire dit négligemment : Sa retraite, qui avait été précédée de celle du marquis de Mosny... fut suivie de quelques autres personnes de peu de considération[23]. Donc Richelieu restait le maître de la place contre ceux qui avaient poussé la Reine à la rupture. Et maintenant, il ne se pressait nullement d'achever la réconciliation et de la rendre manifeste par l'entrevue du Roi et de la reine mère. Luynes désirait vivement cette rencontre publique, tandis que Richelieu, libre à présent de choisir l'heure, entendait faire paver à son prix cette nouvelle concession. La lutte se précise entre le favori et l'évêque. Si l'on en croit leur correspondance, jamais ils ne se sont approchés de plus près. Mais c'est quand on s'approche qu'on se heurte. Tout, entre eux, est politesse, empressement, patte de velours ; on sent la griffe : N'ayant jamais rien désiré avec tant de passion, écrit l'évêque, que de voir une étroite intelligence entre le Roi et la Reine sa mère, il m'est impossible de vous exprimer la joie que j'ai de voir qu'elle s'avance tous les jours, de telle sorte qu'on doive espérer de la voir bientôt à sa perfection. La Reine est tellement portée par son inclination à voir le Roi qu'il n'est pas besoin d'aucune persuasion envers elle... Je vous supplie de croire que, de mon côté, je ne manque jamais de rendre au Roi et à l'État ce à quoi je suis obligé par mon honneur et ma conscience, les plus forts liens qui soient au monde. Ces paroles, à la fois réservées et vigoureuses, indiquent à quel point notre homme se sait libre de toute contrainte[24]. Luynes, au contraire, est toujours inquiet. Il sent qu'un danger nouveau le presse. Tout en négociant avec la cour, l'évêque de Luçon noue artificieusement une entente secrète entre tous les ennemis du favori. Ce parti d'opposition dont Ruccellai avait pressenti la formation et la puissance, il est en train de le rendre possible, parce qu'il n'escompte pas son appui. Les protestants, le duc du Maine, les Soissons et tant d'autres qui auraient vendu chèrement leur concours à la reine mère, si elle l'eût sollicité, viennent vers elle, maintenant qu'ils craignent qu'elle ne leur manque. Fontenay-Mareuil dit, en propres termes, que cette attitude est due aux conseils de Richelieu. En tout cas, quel avantage, pour lui, d'aborder la cour, ayant en main, une pareille force, ou, du moins, sur les lèvres une pareille menace ! La cour voudrait montrer aux peuples la réconciliation du Roi et de la reine comme un spectacle de concorde, fût-il apparent et momentané, afin de l'opposer aux éléments de division et de désorganisation qu'elle sent s'agiter, de toutes parts, dans le royaume. Cette entrevue, Richelieu la retarde ; mais il ne la refuse pas. De sorte que toutes les passions restent en éveil et tous les esprits en suspens. En un mot, plus l'opposition de la reine mère est sage et modérée, plus elle se fait redoutable ; et plus la cour lui cède, plus elle doit lui céder. Certes, ce sont là des affaires conduites ! Et Luynes, pris dans l'engrenage où il s'est engagé lui-même, doit s'apercevoir que les choses allaient tout autrement, quand il avait affaire à d'autres personnages. Le favori éprouve le besoin de s'assurer du renfort. Or, il subsiste dans le royaume une influence qui a été et qui peut redevenir considérable, celle du prince de Condé. Pour le moment, l'homme est au repos sous les verrous du fort de Vincennes. La reine Marie de Médicis l'avait fait arrêter par Thémines, du temps du maréchal d'Ancre. Depuis trois ans, il était prisonnier. Long délai pour le premier prince du sang. Il ne manquait ni d'amis ni do partisans. Il faisait dire que la prison l'avait calmé et qu'il était plus raisonnable. Peu à peu, son régime s'adoucit. La porte s'entrouvre : sa femme, Charlotte de Montmorency, oubliant tant de misères qu'il lui avait fait endurer, était près de lui et, captive volontaire, avait distrait sa solitude de l'espérance réitérée, et plusieurs fois déçue, d'un héritier du nom. Dès la fuite de Blois, Luynes s'était rendu compte que l'influence du premier prince du sang pouvait, le cas échéant, être opposée à celle de la reine mère. Le Roi avait fait rendre au prince son épée (16 avril 1619), en accompagnant cette décision gracieuse d'une lettre aimable. Vincennes devenait, pour le prince de Condé, une sorte de villégiature un peu rude. Il était très visité[25]. Luynes, cependant, ne se décidait pas. Le rappel des disgraciés ne lui réussissait guère. Une fois remis, ils oubliaient le bienfait et en revenaient à leurs penchants. Un homme du tempérament du prince du Condé n'était pas fait pour rester longtemps inactif à la Cour. D'ailleurs, le simple fait de sa réapparition suffisait pour refouler au second plan les vaniteuses prétentions du favori. Le prince jurait, bien entendu, qu'il était désormais son plus féal ami et serviteur. Aucune promesse verbale ou écrite ne lui coûtait. Il aurait voulu que Luynes épousât sa sœur, qui, heureusement pour le nom des Bourbons, mourut à temps. L'opinion, avec sa mobilité ordinaire, se retournait vers lui. Elle s'attendrissait sur sa longue détention, sur une grave maladie qu'on attribuait au séjour entre ces murailles sombres, sinon à un empoisonnement. On plaignait sa femme, dont les grossesses successives et malheureuses faisaient couler des larmes. Et puis, le va-et-vient des choses est tel, qu'en ce temps-là en France, on s'éloignait sans raison de certaines personnes, et qu'on se rapprochait d'elles sans motif. Le prince de Condé profitait, pour le moment, d'une de ces sautes de vent. Il lui vint bientôt un appui d'un côté où il ne l'attendait guère. Marie de Médicis, comprenant que l'heure de la délivrance approchait pour le prince, crut qu'il était de bonne guerre de ne pas laisser à Luynes tout le profit de la mesure. Dans le manifeste qu'elle avait publié en quittant Blois, elle avait fait amende honorable l'égard de Condé ; elle avait rejeté l'odieux de l'arrestation sur le défunt maréchal d'Ancre ; elle s'était plainte de la détention prolongée et avait demandé franchement la mise en liberté. On reconnaît là l'ingénieuse subtilité de notre évêque. Luynes était embarrassé. Prétendait-on lui forcer la main ? Il fallait prendre un parti. Mais le rusé favori voulut du moins s'assurer, par une feinte, le bénéfice de la décision ultime. Sa résolution arrêtée, il attendit en se taisant. L'évêque de Luçon avait épuisé à peu près tous les arguments dilatoires lui permettant de retarder l'entrevue du Roi et de la reine mère. Luynes le pressait, dans les termes les plus affectueux. Il envoyait près de Marie de Médicis ses propres parents, Montbazon et Rohan, avec mission de hâter les choses et de tout promettre au besoin. Ceux-ci mettent bravement leur signature au bas d'un document où ils se portent caution de la volonté du Roi d'exécuter ses engagements et d'accorder à la Reine toutes les satisfactions qu'elle réclame dans l'exécution du traité d'Angoulême. Au milieu du désordre universel, on en était là que les sujets répondaient pour le Roi[26]. Cependant Richelieu tardait toujours. Qu'attendait-il ? Il faut dire franchement les choses : l'évêque n'était pas content. Il y avait un point dont il n'était plus question et auquel il pensait toujours : c'est la promesse, qu'il avait cru saisir à demi-mot, d'un chapeau de cardinal. Sous quelle forme cette promesse s'était-elle produite ? Avait-on parlé ? Avait-il bien compris ? Avait-il cru comprendre ? Certes, il y avait eu quelque chose, un mot, un mouvement d'épaules. Et vif comme il était, trop vif, il avait deviné, souri ! Il aimait autant ne pas insister, de peur de dissiper l'illusion ou d'éclaircir le malentendu qui, par le temps, devenait presque un titre. Cependant, il tramait la négociation en longueur, curieux de savoir si on y reviendrait. On se taisait[27]. A la fin, il ne peut plus y tenir. Il veut se rendre compte par lui-même et part, soi-disant en fourrier, pour préparer le voyage de la reine. Il rejoint la Grau à Tours. Nous ne savons rien de ce qui se fit ou se dit pendant ces cinq jours où il fut là seul, parmi ses adversaires. Il est permis de penser, cependant, que ce voyage fut une faute : Luynes comprit probablement, à cette démarche précipitée, qu'il le tenait[28]. Quoi qu'il en soit, on se mit d'accord pour décider que l'entrevue si désirée, aurait lieu, sans autre délai, au petit château de Couzières, appartenant au duc de Montbazon, à quelques lieues de Tours. La Reine devait partir d'Angoulême et le Roi la rejoindre, venant de Tours, le 5 septembre. De part et d'autre, on fut fidèle au rendez-vous. La maison était si petite que, dans ce beau pays de Touraine, parmi les grâces d'un automne naissant, la rencontre eut lieu dans le jardin. La reine avait couché la veille au château. Le Roi arriva, le 5, à onze heures et demie du matin. M. de Montbazon vint au-devant de lui et le conduisit, par le bois, dans les allées où la reine se promenait en attendant. Ils s'embrassèrent ; ils pleurèrent tous deux, la mère et le fils ; mais ils ne trouvèrent que quelques mots banals à se dire. Bientôt, embarrassés, ils se turent. Au fond ils ne s'aimaient pas. Les deux serviteurs qui menaient les deux maîtres, Luynes et l'évêque, étaient là et regardaient[29]. Le soir, on partit, tous ensemble, pour Tours, où la cour devait passer quelques jours. Luynes tenait son succès. Aussitôt, d'un coup brusque et perfide, il s'arracha aux engagements qu'il avait pris ou qu'il avait paru prendre. Un courrier exprès partit de Tours, le 6 septembre, pour faire connaître à Condé sa mise en liberté. Et, quant au chapeau de cardinal, le favori se hâta de faire écrire en cour de Rome que le Roi le réclamait pour l'archevêque de Toulouse, La Valette, fils du duc d'Épernon, un des meilleurs amis de l'évêque de Luçon, et compromis d'ailleurs, autant qu'il était possible, dans l'affaire de Blois. Richelieu était joué. Il ne devait pas pardonner à Luynes. Parmi les congratulations universelles, il enrageait de voir que tout était à recommencer. L'entrevue de Couzières avait été triste. Le séjour commun à Tours fut maussade. Il faisait une chaleur torride. Le Roi passait son temps au bain ou à la chasse. Il s'en allait par les plaines qui bordent la Loire, s'absentant le plus possible pour échapper à des entretiens qu'on multipliait pour le public, mais qui étaient pleins de récriminations et de larmes. La reine mère n'avait devant les yeux que des figures qui lui rappelaient tous ses malheurs : Luynes, avec lequel elle avait en une explication brève et amère : Luynes, dites-moi ce qui s'est passé à la mort du maréchal d'Ancre ? le favori, interloqué, n'avait pu que bredouiller une réponse embarrassée ; — Vitry, dont la main, encore toute sanglante du meurtre, tenait maintenant le bâton de maréchal de France. A celui-ci, la Reine avait dit avec une ironie résignée : Monsieur, vous avez toujours été très obéissant et très fidèle envers le Roi. Puis d'autres, comme Modène, qui avait rempli auprès d'elle le rôle de surveillant et presque de geôlier ; Thémines, Mosny, transfuges récents d'Angoulême[30]. Cette cour hostile épiait les moindres mouvements de la Reine. Elle se serait crue, de nouveau, à Blois. Tout l'irritait : Les favoris ont l'œil sur le Roi, autant qu'ils peuvent ; s'il va chez la reine, un d'entre eux y est toujours présent ; s'il s'approche d'elle, ils y accourent incontinent... Toute la Cour remarque cette procédure, s'en offense et la blâme... La Reine trouve qu'on avait tellement prévenu son fils, qu'elle pouvait dire ce que Perséus Macédoine disait de son frère Démétrius : que les Romains avaient retenu son esprit et ne lui avaient rendu que le corps[31]... Parmi tant d'épreuves, rien ne fut phis pénible, pour la mère et pour l'ancienne régente, que de voir sa belle-fille, la reine Anne d'Autriche, prendre partout le pas sur elle, entrer la première en, carrosse, et la recevoir du haut du perron, sans aller au-devant d'elle. Probablement, on avait fait la leçon à la jeune Reine. On tenait à ce que Marie de Médicis comprit que le temps de la régence était passé. L'autre avait, d'ailleurs, assez de morgue espagnole pour agir spontanément. En outre, dans le ménage royal, un changement s'était produit. Le Roi, excité par Luynes, avait enfin dompté une sorte de timidité farouche qui l'avait arrêté, jusque-là au bord du lit conjugal. La Reine, nubile depuis peu de temps, fière de sa jeunesse, de son éclatante beauté, de cette gloire qui vient à la femme de la première possession, étalait son triomphe récent et éphémère, aux yeux d'une belle-mère chagrine que l'âge, la politique et la volonté de son fils rejetaient au second plan[32]. Richelieu était plus mécontent encore. Les promesses qu'on lui avait faites se dissipaient peu à peu parmi les caquetages et les sourires. La cour, nombreuse et animée, avait toujours le visage et les ambitions tournés vers le favori du jour. Celui-ci louvoyait, nageait entre deux eaux, caressait tout le monde et n'était, avec personne, plus aimable qu'avec ses adversaires. Ces allures exaspéraient l'exigeant et rigoureux prélat : Jamais personne ne fut trompeur au degré de M. de Luynes ; sa bouche ne s'ouvroit jamais à faire quelque promesse que sa volonté ne fa résolue à ne la pas observer et que son esprit ne méditât les moyens de n'en rien faire. Au temps même des protestations de fidélité et de service qu'il fait à la Reine, la délivrance de Monsieur le Prince étoit sur le tapis. Cette délivrance était, pour l'évêque de Luçon, un coup sensible. Il avait été un des conseillers de l'arrestation. C'étaient, encore une fois, les affaires du temps du maréchal d'Ancre qui revenaient sur l'eau et ces souvenirs ne lui étaient pas agréables. I/ était trop clairvoyant pour ne pas deviner que la rentrée à la Cour d'un personnage aussi influent et aussi actif qu'Henri de Bourbon serait un obstacle et un délai de plus pour sa propre carrière. Pour le moment, ce qui lui tenait au cœur, c'était ce dont il ne pouvait pas parler : le chapeau. La reine Marie de Médicis avait présenté elle-même au Roi le dangereux concurrent qu'on lui avait découvert dans la personne de son excellent ami, La Valette. Il s'inclina de bonne grâce et il rédigea même la lettre par laquelle le Roi recommandait instamment l'archevêque de Toulouse au Saint-Père. Sa correspondance avec La Valette parait même indiquer une certaine disposition à prendre son parti des événements et à se contenter de figurer au second rang sur la liste des candidats français. Mais il faut reconnaître que, si ces dispositions étaient sincères, elles s'exprimaient dans un style singulièrement pénible : Vous n'attendez pas, écrivait l'évêque de Luçon à l'archevêque de Toulouse, de paroles de moi qui vous témoignent mon affection : aussi n'entreprends-je pas de vous en donner, les meilleurs effets n'étant pas trop bons pour cela. Mon malheur est que, si je remets à vous la faire voir par ces moyens, vous serez longtemps sans la connaître, étant, quoique bon catholique, inutile à tout bien comme les Huguenots, etc. Quel pathos ! La Valette, dont les réponses sont claires, simples et affectueuses, prenait-il ces déclarations pour argent comptant ? Je ne sais. En tout cas, le vieux d.'Épernon ne s'y trompait pas, et, à quelque temps de là il écrivait à son fils, en son gascon : Mon boun et cher fils, je vous fes ses mots pour vous dire que je souis en peine de savouer de vos nouvelles... Quant à la Royne-Mère, il y faut vivre de la sorte qu'elle n'aye nul subject de se plaindre de nous... Je seay que M. de Lusson vous traverse autant qu'il peut, quelque bonne mine qu'il face, ny quelques bonnes paroles vous donne ; non que je sois d'avis que vous viviez avec luy que comme vous avez accoutumé ; mais, que vous parliez à M. de Luynes pour éviter les inconvéniens, vous pouvez, à mon opinion[33]. On le voit, la Cour n'était qu'intrigue. Les positions changeaient du soir au matin. Selon le mot de saint François de Sales, tombant, de ses Alpes candides, dans cet étrange lieu : C'est un amas de guêpes acharnées sur un corps mort, et il ajoute que, s'il se sert de ces expressions, c'est pour en parler honnêtement. Richelieu, ne se sentant pas le maître à Tours, ne s'y plaisait pas. Tout le monde était las de ce séjour prolongé. Enfin, on le rompit et le Roi reprit le chemin de Paris par Amboise, tandis que la reine prenait celui d'Angers par Loches et que Richelieu cédant, parait-il, aux conseils de saint François de Sales, retournait dans son diocèse[34]. Chacun rentrait chez soi, à la vive satisfaction de tous et de chacun. En quittant Loches, Marie de Médicis passait par Chinon. Ce détour n'était pas une simple promenade. Peut-être était-elle attirée dans ces parages par le voisinage du château de son cher Richelieu ; mais sûrement, elle n'était pas fâchée de donner à la cour quelque tablature en s'approchant de Loudun. En effet, les protestants y tenaient alors une assemblée où commençaient à percer les premiers germes de leur prochaine rébellion. De part et d'autre, on se cherchait, comme d'instinct, sans en venir pourtant à l'entente déclarée. Dans le même esprit, la reine fit en sorte d'assurer à son entrée à Angers le caractère d'une manifestation imposante et quelque peu menaçante. Elle y arriva par les Ponts-de-Cé, le 16 octobre 1619. Dix mille hommes en armes, dont huit cents gentilshommes à cheval, ayant à leur tête le gouverneur sortant Boisdauphin et le nouveau gouverneur La Porte, s'avancèrent au-devant d'elle, et la reçurent avec une immense acclamation. La municipalité, qui lui était dévouée, avait aménagé pour elle une résidence magnifique et affecté à son usage l'un des plus beaux hôtels de la ville, le Logis Barrault, dont le cloître, soutenu par un portique en anse de panier, les tourelles minces, les escaliers à vis et les pignons fleuris exprimaient, dans l'éclat de leur construction récente, tout le charme de la vie que l'on menait alors dans ces heureuses contrées. C'est dans les salles longues et surbaissées, sous les poutrelles de cette jolie demeure, c'est au coin de ces cheminées en auvent que la reine vit peu à peu s'achever l'automne et l'hiver, parmi l'empressement d'une cour de plus en plus nombreuse, mais aussi parmi les déboires accumulés des nouvelles qui lui arrivaient de Paris[35]. Avant même de quitter la Loire, Luynes avait fait nommer gouverneur de Monsieur, frère du Roi, un homme qui lui était tout dévoué, le colonel d'Ornano, et cette nomination avait eu lieu sans qu'on prit la peine de consulter la reine, — alors qu'il s'agissait de son plus jeune fils, de cette jeune tête où elle commençait à reposer ses espérances. Dès le retour du Roi à Paris, M. le prince sortait de Vincennes, et le Roi lui accordait une entrevue des plus cordiales, le 16, octobre, à Compiègne. Bientôt cette délivrance était suivie d'une lettre cavalière de Condé à Maria de Médicis et d'une déclaration du Roi, enregistrée au Parlement, qui, en revenant sur les causes de l'arrestation, incriminait rétrospectivement le gouvernement de la Reine-Régente, la conduite de ceux qui, abusant de notre autorité... ont porté toute chose à une grande et déplorable confusion, et enfin les artifices et mauvais desseins de ceux qui voulaient joindre, à la ruine de notre dit État, celle de notre dit cousin. Pour la reine et pour ses conseillers, ces paroles prononcées et sanctionnées solennellement, au lendemain de l'entrevue de Couzières, étaient une grave offense. D'Angers, on se plaint très haut. Le Roi, qui n'a jamais été plus abondant en épîtres filiales, admet ces plaintes, les enregistre complaisamment, promet d'y pourvoir et s'en tient là Sa correspondance, toute mielleuse, dictée par Luynes, couvre un nouvel affront. En décembre, la reine apprend qu'on vient de procéder à une promotion de soixante membres de l'ordre du Saint-Esprit. Non seulement on ne lui a pas soumis cette liste, sur laquelle Luynes inscrit ses parents, ses amis, ses complaisants, ceux qui lui sont acquis et ceux qu'il veut gagner ; mais on écarte avec soin tout ce qu'elle avait appuyé et recommandé[36]. La coupe déborde ; depuis des semaines déjà on est, à Angers, en de longues conférences sur les résolutions à prendre. Le mécontentement de la reine mère donne prise à la cabale intransigeante. Elle s'était reformée autour du gouverneur de Chinon, Chanteloube : C'était chez lui le bureau des nouvelles, dont les moindres figuraient, à la reine, le Roi irréconciliable, mettaient sa liberté en compromis et ne lui faisaient voir que mépris pour elle dans la Cour, et salut dans les armes[37]. Comme on le voit, ce parti poussait à la guerre. La tentation était forte. Tout le royaume semblait prendre parti contre Luynes. Celui-ci abusait étrangement de sa situation. Lui et les siens mettaient la France au pillage. Les temps du maréchal d'Ancre étaient revenus. Que Luynes fût duc et pair, son frère Cadenet maréchal de France, tous ses parents et amis inscrits dans la promotion du Saint-Esprit, passe. Mais, par un plan audacieux et d'ailleurs servilement copié sur celui de son prédécesseur, il travaillait à s'assurer dans le royaume, pour le cas de disgrâce, les moyens de lutter contre l'autorité royale. Par le traité d'Angoulême, il avait repris à la reine mère, en échange de l'Anjou, le gouvernement de la Normandie. Il le troque contre la Picardie qui était héréditairement aux Longueville, et obtient par différents moyens les places de Ham et d'Amiens sur la frontière. En outre, il achète Boulogne à M. d'Épernon et Calais à M. d'Arquien. Je crois, dit Fontenay-Mareuil, que, s'il eût vécu davantage et qu'il fût toujours demeuré en faveur, il eût voulu avoir toutes les places de la France[38]. Richelieu assiste, avec une colère où il y a autre chose que de la rivalité personnelle, aux manifestations incessantes de cette extraordinaire gloutonnerie : Vous diriez, écrit-il, que la France n'est que pour eux seuls ; que pour eux, elle est abondante en toutes sortes de richesses. Les gouvernements et les places qu'ils ont déjà acquises leur semblent peu proportionnées à ce qui leur est dû ; il n'yen a aucun qu'ils ne marchandent, qu'aux dépens du Roi, ils ne mettent au double prix de sa valeur. Si elles ne sont pas à prix d'argent, ils les ravissent par violence, jusque-là qu'ils en prennent par ces voies jusqu'à dix-huit des plus importantes... On détourne à ces traités particuliers les deniers qui se lèvent sur les peuples pour le bien public. En un mot, si la France était tout entière à vendre ils achèteraient la France de la France même. Cette rapacité n'allait pas sans faire au favori de nombreux ennemis. La direction générale qu'il imprimait aux affaires du royaume lui en faisait d'autres. Soit qu'il fût porté par ses origines avignonnaises, soit qu'il subit l'influence du nonce du pape, Bentivoglio, soit qu'il considérât les Huguenots comme des adversaires et qu'il cherchât un appui contre eux, il s'était fortement lié au parti catholique et il lui avait donné un gage décisif, en octroyant, en février 1618, à la compagnie de Jésus, l'autorisation, jusque-là sollicitée vainement, de rouvrir à Paris le collège de Clermont, et en la soutenant vivement contre les ai taques do ses détracteurs. Du même coup, il s'était attiré la méfiance du Parlement, l'hostilité de l'Université et la haine du parti protestant[39]. Il avait suivi la même politique dans les grandes affaires qui divisaient alors l'Europe. Ce n'est pas le moment de les exposer en détail. Il suffit de rappeler qu'au moment où l'Autriche, la Hongrie, la Bohême et les pays allemands traversaient une crise décisive, et où le sort de l'Europe paraissait dépendre de l'arbitrage du roi de France, une ambassade spéciale, envoyée par Luynes en Allemagne, avait reçu le mandat de prendre position en faveur de la maison d'Autriche contre les protestants, adoptant ainsi, selon les expressions de Fontenay-Mareuil, une ligne de conduite contraire à toutes les anciennes maximes établies comme lois fondamentales du royaume. En agissant ainsi, Luynes n'avait songé probablement qu'aux liens qui unissaient les protestants du dehors avec ceux du dedans. Mais, du coup, il irritait ceux-ci et les arrachait à l'espèce de demi-neutralité où ils s'étaient maintenus, depuis quelque temps, sur les conseils de Bouillon, de Rohan, des Duplessis-Mornay ; il rejetait le parti tout entier vers la politique intransigeante des sectaires et des pasteurs exaltés. Le mal est contagieux. Si les protestants s'agitent, l'agitation naturelle aux grands ne peut tarder à se manifester. C'était là surtout que la faveur de Luynes excitait les jalousies et les haines. Ses listes de promotions, la distribution, si savante qu'elle fût, des deniers publics et des charges, avaient le défaut de tous les bienfaits intéressés, qui développent des exigences nouvelles chez ceux qui les reçoivent et exaspèrent ceux qui en sont exclus. Enfin la délivrance du prince de Condé avait donné pour ennemis à Luynes les autres princes du sang, à commencer par les Soissons. Le mécontentement gagne les plus hauts personnages, les Mayenne, les Longueville, les Vendôme, les Rohan. A Paris, la bourgeoisie frondeuse, les parlementaires, les Sorbonistes, gens d'humeur critique et toujours abondants en conseils qu'on ne leur demande pas et qu'on n'écoute guère ; dans les provinces, les grands seigneurs, les gouverneurs, les ambitieux, les agités, tous ceux qu'une paix un peu prolongée réduisait à la maigre pitance de leur gentilhommière ; brochant sur le tout, le parti protestant, les partisans de la reine mère, les âmes sensibles, les femmes, ceux et celles qui s'attendrissaient au spectacle de la mère séparée du fils par l'ambition de quelques favoris gorgés de places et de richesses ; enfin, au-dessus de ces agents de désordre, des hommes sérieux, des politiques réfléchis, déplorant l'état de choses où l'on vivait, inquiets de la tournure des affaires publiques, tant au dedans qu'au dehors, et cherchant un terme è ce maquignonnage de places, d'honneurs et d'argent, tous ces éléments réunis constituaient une force. Rien donc d'étonnant à ce que les esprits fussent en éveil, autour de Marie de Médicis, et que l'évêque de Luçon, toujours en peine de son cardinalat, plus que jamais impatient du pouvoir, en délibérât longuement avec lui-même, les ongles à la barbiche, en faisant les cent pas dans le corridor du logis Barrault. A Angers, Richelieu était, plus que jamais, maitre de la place. En septembre 1619, il avait fait enlever la charge de secrétaire des commandements et finances de la reine-mère à M. de Villesavin qu'il considérait comme un adversaire caché, et lui avait substitué le plus ancien et le plus sûr de ses amis personnels, Claude Bouthillier, c'est-à-dire qu'il avait la haute-main sur toutes les affaires privées de Marie de Médicis. Un autre de ses amis, Marillac, qui était, en quelque sorte, son homme de confiance pour les choses de la guerre, avait été nommé intendant de la justice en Anjou, prenant ainsi la direction de l'autorité judiciaire et de la police dans la région. L'évêque avait pu craindre un instant que le plus dangereux peut-être de ses concurrents ne revint près de la reine mère : c'était ce Barbin qui avait tant contribué aux débuts de sa carrière. Malgré la prison qui avait suivi, pour Barbin, la mort du maréchal d'Ancre, il était resté en relations constantes avec son ancienne maîtresse. A l'occasion de l'accord d'Angoulême, la Reine avait demandé la mise en liberté de Barbin. A. force d'instances, elle l'avait obtenue. Mais il avait été décidé aussi qu'il quitterait immédiatement la France. En somme, il était condamné à l'exil, sans jugement. Comment cette décision fut-elle accueillie par l'évêque de Luçon ? Fut-il satisfait ou peiné de cet éloignement ? Ce sont de ces replis obscurs de l'âme où il est difficile de pénétrer. L'homme qui l'avait introduit près de la reine mère et dans le ministère, son ami, son protecteur, — un rival possible, — était écarté de la scène. Richelieu écrit à Barbin des lettres affectueuses ; cependant, celui-ci se plaint très haut. Sa vie s'écroule au moment où celle de son ami s'élève. L'évêque de Luçon connut ces plaintes : il dut s'expliquer. Nous avons ses lettres : Monsieur, je ne sais de quels artifices on a pu se servir envers vous pour tâcher à faire en sorte que vous me crussiez autre que je ne suis en votre endroit, mais non seulement sais-je bien avoir apporté tout ce que j'ai pu, mais tant que certaines personnes dont vous avouerez la conscience irréprochable et le jugement fort bon ont souvent estimé que je passois les bornes de la prudence du monde pour mes amis. Dieu m'est à témoin si je n'ai fait pour vous la même chose que j'eusse faite pour moi-même... Je vous dirai que l'affection de la Reine est telle envers vous que vous le sauriez désirer, qu'elle a fait ce qu'elle a pu pour avoir permission de vous ravoir et que si votre retour auprès d'elle avoit dépendu de sa volonté, vous y seriez à son contentement... On touche à une matière bien délicate. Ce pauvre Barbin a des grands besoins d'argent. Il en demande : Pour ce qui concerne l'argent, bien que mes affaires soient en plus mauvais état qu'elles n'étaient quand je suis entré au monde... je vous offre de bon cœur toute l'assistance que vous pourriez désirer d'une personne qui s'estimera toujours heureuse de partager avec ses amis le peu qu'elle aura au monde... Il parait que, même sur ce dernier point, Barbin eut à se plaindre. C'est à peine croyable, mais l'évêque semble avoir lésiné. Barbin écrivit encore. Ses lettres font pitié. Richelieu répondit par des protestations de plus en plus froides. Barbin alla végéter dans l'exil. Singulière destinée que celle de cet homme dont tous ses contemporains s'accordent à reconnaître le mérite et la probité. Il fut, quelque temps, le maitre de la France. Le peu que l'on connaît de ses actes et de ses intentions lui fait honneur : il exerça le pouvoir avec autorité et sang-froid, et supporta le malheur avec courage. Il avait deviné l'homme qu'était Richelieu et l'avait donné généreusement à la France : peu de traits marquent mieux la hauteur de l'âme. Cependant, sa carrière est brusquement arrêtée. La Bastille, l'exil, l'abandon, voilà son lot. Son protégé monte, grandit, emplit l'univers de son nom, de ses services, de sa gloire. Au comble des honneurs et de la puissance, il ne se souviendra guère, plus tard, de la promesse qu'il faisait, en 1619, de partager avec ses amis le peu qu'il aura au monde. Le pis est que, pour le vaincu de la vie, l'histoire elle-même ne sait si elle serait juste, en se montrant plus miséricordieuse que la destinée. Elle ne sait ce qu'elle doit penser de cet homme trop tôt disparu, de cette carrière si vite brisée, de cette existence qui n'a pas rempli son mérite. Elle suspend son jugement, même devant les douleurs imméritées, même devant les ingratitudes, peut-être nécessaires, qui ont écarté un Barbin pour laisser la place à un Richelieu[40]. Quoi qu'il en soit, Richelieu restait le maître, le maître unique et incontesté, et, à l'heure décisive où l'on est arrivé, au moment où la question qui se pose pour lui et pour Marie de Médicis est de savoir si on recourra aux armes, si on ameutera, contre la cause royale, tous les partis d'opposition, si on jettera, une fois de plus, la noblesse dans la désobéissance et le pays dans les misères de la guerre, c'est de lui que tout dépend ; il est., plus que nul autre, responsable. Il s'en défend. Plus tard, quand il écrit, ses Mémoires
et qu'il eût expliqué les singuliers événements de l'année 1694 il rejeta sur
d'autres le blâme des mauvais conseils. Il se fait petit, et attribue à ses
rivaux, aux gens de la cabale intransigeante, une influence que nous avons de
la peine à discerner, aujourd'hui, dans les documents, pourtant si nombreux,
qui nous sont parvenus Les raisons qui poussoient la
Reine à prendre les armes, dit-il, ne
manquoient pas d'apparence et n'eurent pas faute d'appui ; elles furent
soutenues des grands qui espéroient profiter des divisions politiques, et de
mes ennemis qui pensoient, par ce moyen, me dérober la confiance de ma
maîtresse ; si bien que je fus, par prudence, contraint de revenir à leurs pensées,
et, à l'imitation des sages pilotes, de céder à la tempête : n'y ayant point
de conseil si judicieux qui ne puisse avoir une mauvaise issue, on est
souvent obligé de suivre les opinions qu'on approuve le moins[41]. Cette résignation n'est guère dans le caractère de l'homme. Du moins, convient-il de remarquer qu'il s'inclina bien promptement. Au fond, quoiqu'il dise exactement le contraire dans ses Mémoires, il était apposé à l'idée de voir la reine rentrer à la Cour. Tant que Luynes serait là il n'avait rien à y gagner. Voulait-il aller jusqu'à la rupture et jusqu'à un conflit armé ? C'est peu probable. Il était trop clairvoyant pour ne pas deviner l'issue. Mais, par un plan très souple, très fin et toujours modifiable selon. les circonstances, il prétendait se tenir en équilibre entre les deux politiques, suivre l'arête du toit, armer pour négocier, négocier pour éviter le recours aux armes et, par une habile mise en œuvre de tous les intérêts engagés, conduire les choses au point où il déciderait en dernier ressort, précipiterait les événements, ou interviendrait en sauveur et en pacificateur. L'acuité de son esprit pénétrant, sa psychologie profonde et attentive, son instinct et je dirai presque son extrême sensibilité pour les choses de la politique le guidaient dans ce dangereux défilé. Il s'y engageait, un peu contraint, mais peut-être satisfait, ménageant d'avance ses portes de sortie et ses alibis ; heureux — qui sait ? de côtoyer le péril, de risquer, en joueur sûr de son jeu et confiant aussi dans son étoile, ou, mieux encore, dans son coup d'œil, dans son esprit de résolution, pour se tirer d'affaire au dernier moment et pour arracher un succès inespéré à la fortune tentée et provoquée jusque dans ses plus chancelantes et obscures hésitations. L'un et l'autre parti l'accusèrent soit de défaillance, soit de trahison. Les hommes qui se taisent sont suspects. Les bavards et les agités n'aiment pas ces gens froids, qui savent où ils vont et ne disent rien. En réalité, Richelieu ne confia son secret à personne. Il suivait son idée, bouche close, escomptant la légèreté, l'imprudence et les passions, non seulement de ses adversaires, mais de ceux qui croyaient pouvoir se servir de lui Luynes était assez fin pour jouer au plus fin. Ce ne sont, de sa part, que protestations, missives secrètes et publiques, paroles dorées, lettres de respect et d'affection ; Paris ne peut plus vivre sans Angers : Ils [les Luynes] firent semblant de désirer que la Reine vint à la Cour ; quand ils la voyoient sur le point de vouloir partir, ils l'en détournoient et lui faisoient savoir qu'elle ne seroit plus la bien venue. La Cour d'Angers avait, aussi, deux paroles et deux visages. Aux intermédiaires, aux pacificateurs, aux donneurs de conseils bénins, les évêques, les confesseurs, on écrit que la reine n'a d'autre désir que de revoir son fils et de vivre en repos auprès de lui. Cependant on intrigue, on cherche des alliances, on arme. Richelieu prononce lui-même cette parole à double tranchant, mère de toutes les méfiances : Qui offense ne pardonne jamais[42]. L'hiver se passe en ce chassé-croisé de démonstrations et de tromperies. II. — La bataille des Ponts-de-Cé. Vers la mi-mai, quand la sève monte et que le sang confluence t bouillonner dans ces veines de gentilshommes, on se met en campagne. Le premier esclandre vint de là où on l'attendait le moins : de la cour nième. Un très haut personnage, très noble, très sympathique, ayant hérité, auprès des Parisiens, de toute la popularité de la famille de Guise, le duc du Maine, avait à se plaindre de l'autorité croissante du prince de Condé. Il était poussé par la comtesse de Soissons, dont il était amoureux ; d'ailleurs, d'esprit assez léger et d'intelligence courte ; un beau jour il se crut menacé. Il monta Sur un de ses coureurs et sortit de Paris pour se rendre, à franc étrier, dans son gouvernement de Guyenne. Ce fut comme un signal. Luynes s'aperçoit alors que la cour était toute minée autour de lui. Une femme habile avait, sans bruit, accompli ce travail. C'était Anne de Montafié, comtesse de Soissons, veuve du grand ami de Henri IV et mère du jeune comte de Soissons, dont la carrière, déjà turbulente, devait plus tard s'achever si tragiquement à la Marfée. Ces Soissons étaient Bourbon, Bourbon-Vendôme. Immédiatement après les Condé, ils étaient les princes du sang les plus proches. La légitimité du prince de Condé, fils posthume du petit Condé des guerres de religion, n'avait jamais été sans contestation. Les Soissons étaient les premiers intéressés à la mettre en doute. Anne de Montafié était fière, ambitieuse. Elle se mirait dans le caractère de son fils, âgé de vingt ans à peine, et qui s'était déjà montré d'humeur à tenir tête à qui que ce fût dans le royaume, et notamment à son rival, le prince de Condé. Tant que celui-ci était resté sous les verrous de la prison de Vincennes, Anne de Montafié s'était tenue coite. Mais dès que le premier prince du sang eut repris sa place à la cour, la cour lui devint insupportable et, sans même prendre l'avis de la reine mère, elle se mit à cabaler pour elle. Ce fut la comtesse de Soissons qui décida le duc du Maine à la fuite. Elle agit de même auprès de son beau-fils, Longueville, un balourd, très mécontent du marché qui lui avait attribué le gouvernement de la Normandie en échange de celui de la Picardie ; auprès des Vendôme, bâtards très arrogants, blessés par quelque manque d'égards de Luynes, et toujours prêts, d'ailleurs, à mettre au plus haut prix, dans les temps de crise, les velléités d'indépendance de leur fougueuse Bretagne. Donc, le duc du Maine en Guyenne, le duc de Longueville en Normandie, le comte de Soissons dans le Perche, d'Épernon en Angoumois, les Vendôme en Bretagne, tout cela formait les cadres d'un parti redoutable qui se constituait, pour ainsi dire, en dehors de la reine mère et qui s'offrait à elle[43]. J'ai déjà indiqué l'évolution des chefs du parti protestant. Malgré l'attitude réservée des principaux d'entre eux, Bouillon, Lesdiguières, Duplessis-Mornay, le mouvement s'accentuait. Un des chefs du jeune parti, d'âme inquiète et dont l'esprit remuait de grandes choses, le duc de Rohan, s'était fatigué de la sagesse et de la neutralité. Il était venu, à Angers, voir la Reine ; il lui avait conseillé de n'en demeurer là de se rendre à Bordeaux, et, faisant déclarer le Parlement pour elle, s'appuyant sur du Maine, sur d'Épernon, sur lui-même, Rohan, attirant probablement dans sa querelle Montmorency et Châtillon, de lever une armée et, au besoin, de tenir la campagne[44]. Ainsi, pressée de toutes parts, poussée par Chanteloube, par Mathieu de Morgues, par son médecin Vanillier, mollement déconseillée par Richelieu, la reine cédait à la tentation. Elle entrait peu à peu dans le complot qui se tramait autour d'elle. De la cour, on gardait le contact avec Angers, par l'envoi incessant d'émissaires chargés de bonnes paroles, do protestations et de promesses. Mais il est difficile de démêler, parmi ces démarches embrouillées et parfois contradictoires, les véritables sentiments de Luynes. Autour de Marie de Médicis, on ne mettait pas en doute sa duplicité : Le bon duc, dont le style a toujours été de baiser à la joue ceux qu'il avait l'intention de trahir... C'est dans ces sentiments qu'on accueille les différents envoyés du Roi, qui accourent, l'un après l'autre, durant tout l'hiver et le printemps. D'abord, en janvier et février, le propre frère de Luynes, Brantes ; en février encore, un confident habile et sûr, Marossano, qui proteste contre l'interprétation donnée à la délivrance de Condé ; puis le beau-père de Luynes, Montbazon, un digne homme, qu'on emploie à ces corvées quand sa maîtresse, la fameuse Choisy, lui laisse congé de quitter Paris : puis un très habile et rusé diplomate, capable de fonctions plus importantes, Blainville, qui fait le voyage trois fois, coup sur coup ; puis le grand écuyer Bellegarde, ancien amoureux transi de Marie de Médicis, qui maintenant fait sa cour à la faveur et ménage les cieux partis ; puis ce sont les ecclésiastiques, l'archevêque de Sens, le Père de Bérulle, le cardinal de Sourdis. Ces négociations, qui se succèdent et s'entrecroisent, pendant tout l'hiver, ne font guère avancer les choses. Luynes affirme qu'il voudrait de tout son cœur voir la reine rentrer à la cour. Luçon jure qu'elle n'a pas d'autre désir ; mais il y a toujours quelque détail qui accroche, et, le manque de sincérité faisant le manque de confiance, chacun cherche à rejeter sur l'autre la faute du retard quand, au fond, personne ne désire le retour[45]. Pour l'évêque de Luçon, le double jeu résulte de la contradiction entre les affirmations si nettes de ses Mémoires et les déclarations non moins nettes, mais en sens contraire, contenues dans les instructions remises au commandeur de La Porte et dans une lettre à Marillac : Conserver à la Reine une demeure sûre et libre. — Je crois qu'on peut différer le voyage, mais non point qu'on le doive rompre. Luynes n'est pas plus franc, et il a certainement donné au Père de Bérulle, pour ligne de conduite secrète, de retarder le voyage de la Reine à la cour ; car celui-ci lui écrit : Même, il me semble reconnoître qu'il n'y a pas ici, — c'est-à-dire à Angers, — un si grand attachement au retour à la Cour, que l'affaire ne puisse être ménagée... Il y a, ici, des esprits pénétrans, défians et agissans qui se persuadent que je suis ici pour quelque sujet plus particulier que le général ; ce qu'ils soupçonnent d'autant plus, que moins ils le découvrent. Donc, il y avait quelque chose à découvrir. Bérulle se croyait indéchiffrable. Mais Richelieu lisait dans l'esprit du bon Père, comme celui-ci croyait lire dans le sien[46]. Rien n'est plus complexe que cette intrigue ; si les chefs sont à double fond, les intermédiaires paraissent sincères ; de sorte qu'il est difficile de faire le départ exact entre la bonne foi et la duplicité. Un groupe d'ecclésiastiques, que nous avons déjà vu en mouvement lors du traité d'Angoulême, s'emploie, avec une activité qui n'est pas toujours heureuse, à arranger les difficultés dont leur ingénuité ne perçoit pas tous les dessous. Ils travaillent ensemble et semblent d'accord ; ils le sont pour le moment. Plus tard, cependant, ils se diviseront, et il n'est pas impossible qu'il y ait, même dans leur collaboration présente, le germe des futures discordes. Tous ces personnages tournaient autour de Richelieu, dont la robe ne pouvait s'isoler de la leur ; chacun d'eux présumait, selon ses convenances, les dispositions de l'évêque et les escomptait à son profit. C'était le Père Arnoux, le bon jésuite, zélé et maladroit, qui l'accablait d'une correspondance extraordinairement optimiste. Le retour est sans péril, souhaité, bien reçu de tous... Richelieu prend la plume pour lui répondre et il n'est pas en reste de propos bénins : Le zèle que vous avez au bien public et la faveur que vous me faites de m'aimer me font croire que vous aurez agréable que je vous témoigne, par cette lettre, la résolution que la Reine a prise de s'en aller bientôt à Paris voir le Roi... Je ne vous dis point la joie que j'en ai, estimant que c'est le bien de l'Église, de l'État et de Leurs Majestés[47]. C'est le cardinal de Retz qu'on paie de la même monnaie, non sans une allusion fine aux véritables sentiments de la Cour : Je ne puis vous dire la joie que j'ai d'avoir appris par la lettre qu'il vous a plu m'écrire, la Reine être désirée aux lieux où vous êtes. Je me promets que vous la verrez bientôt à la Cour, s'il plan à Dieu, étant tellement affermie en la résolution qu'elle a prise de s'y acheminer, que je ne vois aucune chose qui puisse la divertir... C'est, de nouveau, le Père de Bérulle, qui agit sous la direction du nonce Bentivoglio, et qui est, au fond, plus dévoué à Luynes qu'il ne veut le laisser paraître ; c'est l'archevêque de Sens, Du Perron, qu'on met maintenant en avant 'et qu'on substitue au cardinal de La Rochefoucauld, jugé décidément trop incapable, depuis sa mission d'Angoulême[48]. Puis, ce sont des amis particuliers de Richelieu : Bouthillier, abbé de La Cochère, séduit par les belles paroles de Luynes, et enfin, celui de tous qui a le plus d'influence sur Marie de Médicis et sur l'évêque, le Père Joseph. Quand on vint le trouver, sur l'ordre du nonce, le capucin hésita. Son instinct ou sa déférence pour son ami le tenaient en suspens. On invoqua l'intérêt qu'il y avait à réunir toutes les forces catholiques du royaume contre l'hérésie. Cet argument le décida : Je vous assure, écrivait-il lui-même, qu'aucune des pensées que j'ai jamais ressenties n'est comparable à ce que m'a fait éprouver cette considération de l'hérésie aggravée et perpétuée par la discorde. Mais, dans l'intensité de mes tourmens, je me sentis tout à coup soulagé dans la certitude que Dieu s'apaisoit en me choisissant comme un instrument de salut. Il est vrai qu'il me falloit, pour cela, jeter dans le péril sans réserve, et j'y courus, sur cet appel du prophète : Tollile me in mare et cessabit mare a vobis[49]. Heures d'angoisse, scrupules, doutes amers qui ne sont que le prélude des autres tourments où la confiance dans l'homme attendu et choisi jettera plus tard ces mêmes âmes passionnées, ces mêmes esprits pénétrants. Les fidèles de Richelieu, les fidèles pour la vie, commencent à s'imposer le plus dur de tous les sacrifices, celui de suivre sa robe partout où elle les conduira. En ce moment précis, il est sinon en accord, du moins en sympathie avec ce groupe qui se réclame de lui. Il les réunit encore d'un geste affectueux, quand il écrit au Père Arnoux : Nous avons tous pour but la gloire de Dieu, le bien de la France et le contentement de Leurs Majestés... Vous en recevrez un témoignage, ainsi que les bons Pères Suffren, Bérulle, Joseph et moi avons décidé... Voilà le groupe. Malgré ces paroles touchantes, Richelieu dès lors regarde ailleurs ; et cela le Père Joseph ne peut l'ignorer. Cependant il ferme les yeux, il va, il s'engage, à la suite de son héros, dans la voie douloureuse qui conduit à l'alliance avec les protestants en Europe, et qui n'aura de station bénie que la prise de la Rochelle. Mais si Richelieu ménage tout ce monde et s'il parle leur langage, il ne leur découvre pas ses desseins. La rupture complète avec la cour n'étant pas sa politique, il se dit qu'un jour ou l'autre, ces gens, qui sont les pacifiques, des intermédiaires-nés, lui serviront. En attendant, leur caution lui permet de pousser plus avant sa dangereuse partie. Il est une circonstance, toutefois, où son jeu se découvre : c'est quand sa passion parle, face à face avec son rival, Luynes. Alors les épées se croisent ; point de feintes ; des traits nets et des coups droits. Tout l'hiver, une correspondance active est échangée entre les deux hommes ; ils se pressent ; ils se heurtent, le corps à corps les enlace, jusqu'à faire entendre leur souffle, dans ces palpitantes étreintes. Au début, l'évêque y met encore quelque ménagement ; en octobre 1619, moment où Luynes envoie son frère, Brantes (bientôt duc de Luxembourg), l'évêque remercie. La peine est contente ; elle a été grandement touchée ; même, il dissimule : La Reine a grandement approuvé le choix du colonel d'Ornano, eu qualité de gouverneur de Monsieur, tandis qu'en réalité, elle est furieuse. Dans une première rédaction de cette lettre, l'évêque avait été jusqu'à louer la délivrance du prince de Condé. Mais il réfléchit ; une pareille déclaration est trop importante ; elle engage. Aussi supprime-t-il la phrase déjà écrite, et la remplace-t-il par de vagues protestations d'amitié. Cette simple rature en dit long[50]. Six semaines après, en décembre 1619, Richelieu constate
que les forces se groupent autour de la reine ; il parle déjà un autre
langage : Je ne doute point, comme il vous plaît me
mander, qu'il ne se trouve partout des gens qui voudroient brouiller les
cartes ; mais, ainsi que vous êtes sûrs de votre part, assurez-vous aussi,
s'il vous plaît, de la nôtre... Je vous ai
dit plusieurs fois, Monsieur, qu'il se peut bien rencontrer des occasions qui
ne plaisent pas à la Reine, mais que rien ne peut détraquer du bon chemin, je
vous le dis encore, il est chose vraie... J'espère
que nous nous verrons bientôt, et, toutefois, je ne puis encore vous mander
de temps préfixe[51]. Les choses se
gâtent. A la fin du mois, le ton a encore changé : Au
commencement, la Reine a été très satisfaite et très contente et a cru
fermement que vous vouliez prendre confiance en elle ; ensuite de quoi, ce
qui s'est passé a troublé son contentement et lui a fait appréhender de
s'être méprise... Vous savez, Monsieur, que
je ne suis ni d'humeur ni de condition de tromper personne (quelle ironie !) et
que, désirant passionnément le service du Roi et de la Reine, je suis
véritablement votre serviteur. Le but de la Reine est de vivre en paix et en
repos ; rien ne peut apporter de changement en ce dessein. Je vous supplie de
m'en croire, car je le sais. Mais il est impossible qu'elle n'ait de
ressentiment des actions qu'elle estime se passer à son préjudice[52]. Ce sont là des lettres que ceux qui sont au pouvoir
n'aiment pas beaucoup à recevoir. Luynes, qui sait, au fond, ce qu'on lui
veut, fait trêve aux compliments et emploie, à son tour, les grands moyens.
En juin 1620, quand on envoie près de la reine le duc de Montbazon, celui-ci
reçoit, au sujet de l'évêque, une instruction des plus catégoriques. Il avoit charge de dire au sieur de Luçon que le Roi
trouve fort étrange la procédure de la Reine et que l'on n'en peut attribuer
la cause qu'à lui seul. La Reine n'a que deux moyens de se justifier vers le
Roi, ou de venir promptement à la Cour ou, n'y venant point, de publier au
dedans et au dehors du royaume le contraire de ce qu'on y fait entendre en
son nom... Qu'il appartenoit à l'évêque de
Luçon de lui représenter toutes ces choses et lui persuader d'ajouter foi à
la parole du sieur de Luynes... Faisant le pas décisif et mettant le
marché à la main, Luynes ajoute que, ce faisant,
l'évêque de Luçon pourra tout espérer de Sa Majesté, et qu'il n'y a rien de
grand qui soit convenable à sa qualité qu'il ne puisse attendre du Roi...
Que si les choses alloient autrement qu'on ne
désireroit, on lui imputeroit tout, sachant bien la créance que la Reine a en
lui[53]. L'évêque doit être satisfait, en lisant cette instruction, que le duc de Montbazon, par une naïveté de commande, lui communique. Enfin, on en parlait, de ce chapeau tant convoité. L'allusion est claire. Cependant, avec des gens comme Luynes, les paroles ne suffisent pas. Il faut quelque chose de plus positif. Et l'évêque pousse sa pointe : Je ne lui fis autre réponse sinon que j'étois assuré qu'en servant la Reine, je ne mériterois jamais que la louange qui est due à ceux qui font leur devoir ; que je ne savois pas si je pourrois me garantir du mal, en bien faisant ; mais que je le pouvoir assurer que ces menaces ne me feroient aucune peur et ne produiroient autre effet en moi que de me redoubler le courage de bien faire. Luynes, cette fois, est au bout de ses moyens. Il l'écrit lui-même dans un langage vulgaire où sa passion perce à chaque ligne : Je n'ai plus rien à vous mander ; vous avez le fond de mon sac par M. de Blainville ; apportez ce que vous pouvez et devez pour l'accommodement de cette affaire, et que le Diable emporte ceux ou celui qui n'y fera pas ses efforts... Quittons tout prétexte, puisque nos cœurs et nos desseins sont d'égale façon ; j'engage ma vie pour cette vérité... le Roi la confirme : tout dépend de vous ; car, pour la Reine, nous sommes trop assurés de ses bonnes et saintes intentions, pourvu que ces vérités aillent à ses oreilles. Nous avons, jusqu'à cette heure, cru de vous ce que l'on doit d'un homme de bien. On avait déjà rappelé à l'évêque qu'on l'avait tiré d'Avignon pour rendre ce genre de services. Rien ne pouvait être plus blessant qu'un tel langage[54]. Aussi, il ne sort plus de son froid mutisme. A bout de
ressources, Luynes en vient aux dernières plaintes : Si
nous pensions, en envoyant la chasse de sainte Geneviève, pouvoir vous
toucher le cœur, nous le ferions, tant nous désirons la paix... Pour moi, après avoir fait ce que j'ai fait, j'en suis
quitte devant Dieu, justifié devant mon Roi et hors d'accusation devant les
hommes... Je prie Dieu qu'il mette la main à
l'œuvre. Cette lettre est écrite en août 1620. Pour en être arrivées
là les choses avaient marché. Tout, en France, est affaire de mode et de courant. La mode était maintenant à l'hostilité contre Luynes. La reine Marie de Médicis bénéficiait de cet état des esprits. Il y avait trois ans qu'on avait fait une sorte de révolution pour l'écarter. Elle n'avait eu qu'à vivre, pour voir les esprits se rapprocher d'elle. Pendant l'hiver de 1620, Angers fut un centre de gouvernement. Une cour nombreuse, brillante, pleine d'intrigues, — en un mot une cour, — entourait la Reine. Fontenay-Mareuil voit encore, ici, la main de Richelieu. Pourtant, tel n'était pas son intérêt, ou du moins il n'avait pas intérêt à ce que les éléments qui se pressaient autour de la reine mère devinssent prépondérants. Son autorité personnelle ne pouvait qu'y perdre. Cette préoccupation ne le quitte pas. Si sa politique consiste à tenir la reine mère éloignée, momentanément, de Paris pour rester maitre de cet esprit incertain, il doit craindre, d'autre part, l'influence des grands personnages qui l'entourent. A choisir, ce serait plutôt vers la cour que l'évêque pencherait. Il n'a jamais perdu de vue la maxime, désormais gravée dans son esprit, que tout, en France, dépend du Roi. Or, à Angers, on voit des seigneurs, des aventuriers, des étrangers, des protestants, rien qui porte l'estampille royale. Ces gens-là ne sont point pour plaire longtemps à un homme qui, par nature, déteste la cohue des assemblées. Mais il pense qu'il n'est pas temps encore. Il ne les attire pas, sans croire non plus devoir les écarter. La reine mère, au contraire, passionnée et vaniteuse, ne pouvait qu'être sensible à tant d'hommages, d'empressements, de dévouements qui s'offraient à elle. Elle se plaisait au murmure flatteur qui l'entourait, si différent du silence et de la solitude du château de Blois. Le printemps répandait, sur les bords de la Loire, la neige fleurie des vergers. Une tiédeur parfumée et délicate invitait à la joie de vivre et à l'espérance. Tout s'éveillait, et l'année s'annonçait sous d'heureux auspices. La cour d'Angers s'animait et voyait arriver chaque jour de nouvelles recrues. Enfin, on se décide, et après l'escapade du duc du Maine[55], après qu'on eut considéré l'étendue du mouvement qui s'affirmait par tout le royaume et l'importance des forces dont on croyait pouvoir disposer, après que la reine mère s'en fut fait répéter, une fois encore, par Marillac, l'orgueilleux dénombrement, on prend le parti de la rupture et de l'action militaire. Richelieu dit, en propres ternies, que cet avis ne fut pas le sien, et que, dans le conseil où fut arrêtée cette résolution, il engagea la Reine à ne pas pousser les choses à l'extrême. Le mémoire où il aurait exposé ses vues et dont il nous donne l'analyse, contient en effet les meilleurs conseils : Que Luynes, en sa conduite, a l'avantage d'être à l'ombre de l'autorité royale ; que la raison est inutile contre la puissance ; que les peuples, qui souffrent le plus des maux de la guerre, se déclareront contre ceux qui la déchaineront sur le pays ; que c'est souvent une grande prudence de n'user pas de l'excès de sa puissance ; que, pour éviter un tyran, en la personne de Luynes, elle en rencontreroit plusieurs parmi ceux qui la serviroient ; qu'en toute affaire, avant d'y entrer, il falloit considérer comment on en pourvoit sortir. Tout cela était la sagesse même. Mais Richelieu ne devait
pas ignorer que ces conseils ne seraient pas suivis ; en effet, parmi les
confidents de la reine mère, trois seulement, Marillac, le Père Suffren et
lui, se prononcèrent contre la prise d'armes ; et il se rallia lui-même bien
promptement à un autre système, qui parait beaucoup plus conforme à ses
propres intentions et qu'il expose en ces termes : Faire
armer ses amis et Elle, de tous côtés, pour faire montre de ses forces,
donner au Roi les conseils qu'Elle juge nécessaires ; étonner ses ennemis par
la crainte de ses armes, et, à l'extrémité, souffrir plutôt le mal que
d'en venir aux mains. Voilà donc le dernier mot de cette politique
à la fois si fine et si téméraire. L'évêque était-il sûr de dominer jusqu'au
bout les passions et les événements[56] ? En tout cas, il ne voulut rien laisser au hasard et, puisqu'on armait, il ne se refusa pas à devenir l'organisateur de la puissance militaire qu'il s'agissait de constituer. Il manifesta cette résolution par deux actes qui l'engagent. Tandis que la plupart des grands, notamment le duc de Rohan, conseillaient à la Reine de quitter les bords de la Loire et de prendre son point d'appui dans les provinces du Midi, où elle serait à la fois plus éloignée et mieux soutenue, Richelieu, qui craignait par-dessus tout de la mettre sous la dépendance de ses rivaux, la décide à rester en pointe et en péril, à Angers, là où lui et les siens étaient les maîtres. En outre, il fait confier les fonctions de maréchal-général, c'est-à-dire de chef d'état-major, à M. de Marillac, homme de guerre de peu d'expérience et de peu d'autorité, mais son intime confident. Ainsi il tenait tous les fils, et dirigeait tout. C'est ce qui résulte d'ailleurs de cette phrase de la relation à lui adressée, beaucoup plus tard, par ce même Marillac : Tout ce qui peut se faire de préparatifs se fit sous le soin de M. de Lusson... Il avoit, pour la conduite générale des affaires et pour le maniement des bons et mauvais esprits, tout le faix sur les épaules[57]. Sous l'impulsion de Richelieu et de son lieutenant, l'action militaire se dessine, ayant son centre à Angers, et menaçant de loin la capitale comme d'un immense croissant insurrectionnel[58]. La pointe septentrionale de ce croissant est aux portes mêmes de Paris, à Rouen, où, sur l'initiative du gouverneur de la province, Longueville, un fort parti s'est formé, ayant à sa tête le président Leroux de Bourgtheroulde. Le même Longueville, par Dieppe, maintenait les communications avec la nier. A l'arrière, la ville de Caen, aux mains du grand prieur de Vendôme, offrait le point d'appui de son formidable château. Dans la basse Normandie, un lieutenant de Longueville, Thorigny, occupait Granville, Cherbourg et Saint-Lô. Par le Havre, Villars dominait la basse Seine. Dreux, la Ferté-Bernard et le Perche, avec une partie du Maine, étaient aux Vendôme. Derrière, toute la Bretagne était un vaste réservoir d'hommes dont le duc de Vendôme disposait ; il était, en outre, le maitre des passages de la rivière du Loir. Le maréchal de Boisdauphin avait les avenues des rivières de la Sarthe et de la Mayenne pat la possession de Sablé et de Château-Gontier. Enfin, sur la Loire même, la reine mère assurait le passage, par Angers et les Ponts-de-Cé. Presque toute la noblesse du pays s'était déclarée pour elle. L'autre corne du croissant s'étendait sur la rive gauche de la Loire. Elle était peut-être plus puissante, plus résistante encore. Toute la rivière de Vienne, avec Loches, était au due d'Épernon, qui tenait, en même temps, l'Angoumois, la Saintonge et la rivière de Charente. En avant, Chinon était à la reine mère sous la capitainerie de Chanteloube. La Trémoille, duc de Thouars, et le duc de Retz étaient les maîtres du Poitou qui avoisine la Loire et donnaient la main à la Bretagne. Le duc de Rouanès avait sa force principale à Poitiers et aux environs, où il levait des troupes. Plus on s'avançait vers le sud, plus la puissance du parti s'affirmait. Derrière le duc d'Épernon, il y avait le duc du Maine qui, aussitôt rendu dans son gouvernement de Guyenne, s'était assuré de Bordeaux, en mettant garnison dans le Château-Trompette, de l'embouchure de la Gironde, en s'entendant avec d'Aubeterre, gouverneur de Blaye, et enfin du cours de la Dordogne, par un accord avec le comte de Saint-Paul, oncle du duc de Longueville. Le duc de Rohan, gouverneur de Saint-Jean-d'Angély, surveillait le bas Poitou. Non loin, la Rochelle était en armes et aux écoutes. Plus au sud encore, la reine mère entretenait des relations actives avec le duc de Montmorency, gouverneur du Languedoc, par l'intermédiaire du duc du Maine, et avec le groupe protestant des Châtillon et des La Force, par l'intermédiaire du duc de Rohan. Il est vrai que, pris en masse, le parti protestant, maintenu par les Bouillon et les Lesdiguières, n'avait pas remué encore. Mais il menaçait le Midi tout entier[59]. En dehors de ce vaste demi-cercle, la coalition insurrectionnelle ne manquait pas de points d'appui. M. de La Valette, fils du duc d'Épernon, commandait dans Metz et pouvait, au besoin, ouvrir la porte aux renforts venus d'Allemagne et des Flandres. Barbin, toujours actif, s'était chargé de recruter, dans le pays de Liège, des troupes destinées à prendre ce chemin. Le duc de Nemours avait envoyé son secrétaire faire des levées de gens de guerre dans le pays genevois ; enfin, la reine mère entretenait des émissaires à la fois près des protestants d'Allemagne et près du roi d'Espagne. Le conseil des ministres espagnols supputait les chances que lui offrait une situation qui n'était pas sans quelque analogie avec celle qui s'était produite au début de la Ligue. Voilà l'état du parti de la
Reine-Mère, qui tenoit une filière de provinces, depuis Dieppe en Normandie,
jusqu'au delà de la Garonne, c'est-à-dire près de deux cents lieues de long :
parti où l'on voyoit les plus grands du Poitou, de la Religion prétendue
réformée et plusieurs bons capitaines avec de fortes places sur toutes les
rivières ; parti qui, sans se presser de prendre et assiéger des villes,
devoit, avec une grande armée, aller droit à Paris pour réformer les abus
qu'on disoit être en État : croyant la chose si facile qu'on la tenait comme
faite[60]. L'évêque de Luçon, Richelieu était l'âme de ce vaste complot. Auprès de lui, il avait les Grands ; en face de lui, le Roi. Le Roi, telle était la force de Luynes, celle qui ralliait les hésitants, les amis de la paix, et, il faut le dire, les braves gens, qui n'étaient pas plus satisfaits que les autres mais qui s'en rapportaient tout uniment au principe, désormais établi, du respect de l'autorité monarchique. Un courtisan avisé et expérimenté, Bassompierre, s'en explique en termes clairs et savoureux : Se tenir toujours au gros de l'arbre, suivre, non le meilleur et plus juste parti, mais celui-ci où la personne du Roi se trouve, et où il y a le sceau et la cire. La discipline nationale pénétrait déjà assez profondément les esprits et les cœurs pour que ces raisons l'emportassent auprès des bons Français. Ceux qui s'y attachaient n'avaient pas besoin de prétextes pour justifier leur conduite ; or, rien n'affermit les hommes comme cet apaisement des consciences[61]. Nicolas Pasquier, fils d'Étienne, écrivait, à cette date,
des lettres où l'opinion des gens sages est exposée avec bonne humeur et entrain.
J'estime qu'il y a rien plus malheureux en un royaume
que les auteurs des ligues, factions et conjurations, puisqu'ils sont les
vrais nourriciers de toutes sortes de misères, de maux et de calamités...
mais soyez assurés que cette Ligue, en son
progrès.et en sa fin, enfantera elle-même sa défaite... Il est impossible, quelque précaution qu'ils y apportent,
que la division ne se loge parmi eux et, à la suite, leur ruine... Le Roi n'a qu'à lever une grosse et forte armée avec
laquelle il lui sera aisé, les trouvant séparés, de les réduire, les uns
après les autres, sous le joug de sa domination... car, quant à ce qui est du royaume, toutes choses y
marchent avec l'ordre qui est nécessaire pour maintenir un État en bonne paix
: les gens de guerre sont payés de leur solde, les officiers de leurs gages,
le peuple de ses rentes, le gentilhomme vit sans alarmes en sa maison, le
citoyen doucement avec sa famille, le marchand vigilant trafique librement et
hazardeusement, l'artisan gagne sans contrôle sa vie à la sueur de ses bras,
et l'actif et ménager laboureur sollicite sans crainte, de ses innocentes
mains, la terre laquelle nous fournit, avec une usure redoublée, les
commodités de la vie humaine en nous ouvrant et son sein et son lait...
Toutes ces raisons me font juger que cette ligue ne
sera qu'un mauvais vent qui portera, quelque temps, un triste et
préjudiciable dommage au peuple, mais qui, après, se résoudra en rien[62]. Quel réconfort de telles paroles, écho de mille autres qui se faisaient entendre par tout le royaume, ne devaient-elles pas donner à ceux qui défendaient la cause royale ! Le plus ardent de tous était l'ancien rebelle, le prisonnier de la veille, Henri de Bourbon, prince de Condé. A peine rentré à la cour, il avait voulu y jouer un rôle, et ce rôle, il l'avait exposé avec beaucoup de netteté, dès octobre 1619, à l'ambassadeur vénitien : prendre partout et toujours le contre-pied de la reine mère ; par conséquent, se montrer catholique, si elle s'appuyait sur les protestants ; s'attacher fortement au parti royal, si elle faisait dissidence ; se lier d'autant plus étroitement avec Luynes que celui-ci était plus détesté et combattu[63]. Ce programme avait été rempli, de point en point ; Condé n'avait cessé d'accabler Luynes des témoignages d'une amitié un peu trop empressée et surtout trop supérieure pour ne pas être gênante. Dans les conseils, il avait toujours soutenu l'avis le plus rigoureux à l'égard de la reine mère. Il avait, de tout temps, préconisé le recours aux armes ; il le prenait d'un ton d'autorité qui n'était pas sans embarrasser le favori lui-même. Chose curieuse, en effet, dans ce combat qui se livrait autour de la personnalité de Luynes, celui-ci représentait la prudence, la patience et la modération. Luynes incline à la paix, dit Bentivoglio ; mais Condé veut la guerre et d'une ardeur telle que le premier finit par en avoir de l'ombrage. Cette conduite était conforme au caractère de Luynes, et puis, il sentait qu'il y allait de sa peau. On est volontiers téméraire pour le compte des autres : c'est ce que le favori disait, fort justement, à un autre de ces donneurs d'avis énergiques, Bassompierre : Vous parleriez peut-être autrement, si vous teniez la queue de la poêle. Ainsi, dans les conseils, il était le temporisateur et le modérateur. Il jouait la partie, à peu près avec les mêmes procédés et avec la même retenue que son adversaire, l'évêque de Luçon. Ils étaient si près l'un de l'autre, qu'à certains moments on eût pu croire qu'ils allaient s'unir. Mais la division de fond était entre leurs personnes. C'est pourquoi ils ne pouvaient s'entendre, tout en se cherchant toujours. De là ces missions incessamment renouvelées durant tout le printemps et qui faisaient hausser les épaules au prince de Condé : la mission de Montbazon, les trois de Blainville, celle du cardinal de Sourdis et le va-et-vient des prêtres et des moines, portant de l'un à l'autre des paroles de conciliation et des propositions d'entente qu'on écoutait toujours avec complaisance, sans se décider à y adhérer une bonne fois[64]. De là ces hésitations si frappantes dans la conduite de Luynes et dans celle de la cour. Vers le milieu d'avril, le Roi quitte Fontainebleau pour s'avancer sur la Loire jusqu'à Orléans. On peut croire qu'il s'agit d'une mesure d'intimidation à l'égard de la reine mère : celle-ci s'alarme, tout d'abord. Mais rassurée bientôt par des avis secrets de la Cour, elle s'enhardit jusqu'à demander des explications. Montbazon, au nom de Luynes, affirme que le but du voyage du Roi est de témoigner à la Reine son amour filial... Votre absence lui semble avoir déjà duré dix siècles. Il ne peut plus davantage patienter sans vous voir. La réponse du bon duc fut accueillie par un éclat de rire. D'ailleurs, le Roi, à peine arrivé à Orléans, s'en retourne et rentre à Paris. Condé, furieux, s'en va bouder en son château de Bourges. Luynes, libéré, s'enfonce de nouveau dans ses hésitations ; il consulte tout le monde, et, les ongles aux dents, écoute sans répondre. Le 29 juin, Bassompierre lui apprend une grave nouvelle : il a appris, de source sûre, que la comtesse de Soissons, accompagnée de son fils, du grand prieur de Vendôme et du comte de Saint-Aignan, devait, le soir même, quitter Paris pour rejoindre la reine mère. Pas de doute : ce départ, après l'échec des missions de Blainville, était le signal de la rupture définitive. Que fallait-il faire ? Arrêter les dissidents, dont l'exode, imité de celui de Mayenne, allait donner l'éveil à tous les partisans de la reine mère et jeter, dans le royaume, la contagion de la révolte ? C'eût été le parti le plus énergique, le plus sage peut-être. Luynes, qui a une journée pour se résoudre, hésite encore. IL va de l'un à l'autre, conte son histoire et son embarres. Il interroge les vieux ministres, depuis longtemps si délaissés, et se rallie avec empressement au conseil du président Jeannin, qui en a vu bien d'autres, et qui, conformément aux tendances de son âge, déclare qu'il vaut mieux laisser faire, fermer les yeux et s'en remettre au temps. Les Soissons partent sans être inquiétés (1er juillet). Le coup est monté ; car, trois jours après, on apprend à Paris que le duc de Longueville, gendre de la comtesse, agite son gouvernement et que la faction se soulève en Normandie. Le président de Bourgtheroulde est chef du parti à Rouen, et le grand prieur expédie à Caen son lieutenant Prudent, pour préparer la défense de la citadelle. Va-t-on temporiser, encore une fois, et va-t-on attendre que l'armée des rebelles, qui s'organise hâtivement, s'avance sur Paris, comme on l'annonce à grand bruit, pour s'emparer de la personne du Roi jusque dans sa capitale ? Condé accourt de Bourges. Un nouveau conseil est tenu, le 4 juillet. Le Roi y assiste. Condé se prononce, avec chaleur, pour l'action, et pour l'action immédiate : Le Roi ne connaît pas sa force : qu'il marche ; qu'il se montre en Normandie ; tout pliera devant lui. Les vieux ministres inclinent toujours vers la procrastination : Quitter Paris, exposer la personne royale, sans troupes et sans préparation sérieuse, aux entreprises d'un parti puissant et audacieux ; s'enfoncer dans une province soulevée, laisser derrière soi la capitale du royaume remplie de gens sans aveu et prêts à tout : c'est bien risqué. On ne pourra peut-être pas reprendre la Normandie ; et on perdra tout, si on perd Paris. Luynes hésite toujours. C'est alors que l'adolescent bègue, silencieux d'ordinaire, le roi Louis XIII, après avoir écouté tout le monde, fait effort sur lui-même et parle. Roi, il parle en roi : Parmi tant de hazards qui se présentent, dit-il, il faut marcher aux plus grands et aux plus prochains, et c'est la Normandie. Je veux y aller tout droit et n'attendre pas, à Paris, de voir mon royaume en proie et mes fidèles serviteurs opprimés. J'ai un grand espoir dans l'innocence de mes armes. Ma conscience ne me reproche aucun manque de piété à l'égard de la Reine ma mère, ni de justice à l'égard de mon peuple, ni de bienfaits à l'égard des grands de mon royaume. Par conséquent, allons ! Ce petit discours, tombant d'une bouche qui n'était pas prodigue de paroles et venant d'une tête qui n'avait pas beaucoup d'idées à la fois, produisit un effet prodigieux. Toutes les objections cessèrent. Le conseil fut unanime. On ne songea plus qu'au voyage du Roi. Tant est grande l'autorité d'une décision quand elle émane de celui qui a la responsabilité ! On dirait que les événements se rangent d'eux-mêmes, pour faire place à une volonté arrêtée. C'est avoir réussi que de savoir ce qu'on veut[65]. Le Roi n'avait qu'à marcher. Tous les vœux l'accompagnaient dans sa brave et généreuse entreprise. On recueillit encore, de lui, un mot qui se répandit rapidement et qui inspira confiance à tous. Au moment où it sortait du Conseil, le sieur de Raullet, grand prévôt de Normandie, se présente à lui, et lui dit qu'il ne devait point aller en ladite province, qu'il n'y trouverait que la révolte et le déplaisir. Le Roi lui répondit : Vous n'êtes pas de mon conseil. J'en ai pris un plus généreux. Sachez que, quand les chemins seraient tous pavés d'armes, je passerois sur le ventre de tous mes ennemis, puisque je n'ai offensé personne. Vous aurez le plaisir de le voir. Et vous vous en réjouirez ; car je sais que vous avez bien servi le feu roi mon père. Tout cela avait bonne allure ; les actes suivirent les paroles. Le 7 juillet, trois jours après la décision prise, à cinq heures trois quarts du matin, le Roi montait en carrosse et partait pour Rouen. It avait avec lui son frère, Gaston, et le prince de Condé ; tout autour, quatre cents hommes de sa garde ; en arrière, une petite armée improvisée, comptant, tout au plus six mille hommes, que commandaient les maréchaux de Schomberg, de Praslin et de Créqui. Le temps était pluvieux. A deux heures, on était à Pontoise. Le 8 au matin, les fourriers du Roi entrèrent tranquillement dans Rouen, pour marquer les logis. Cela se fit sans la moindre difficulté. Le duc de Longueville, qui avait fomenté la révolte, et qui avait introduit quelques centaines d'hommes dans la ville pour résister au besoin, fit venir les fourriers. Il leur demanda si le Roi arrivait réellement ; quand ils eurent dit qu'il serait, le lendemain, à Rouen, il déclara qu'il n'avait, donc, qu'à lui céder la place. Il s'enfuit piteusement et tous les chefs de la conspiration, Bourgtheroulde, Saint-Aubin et autres, disparurent en même temps. Le 10 juillet, le Roi fit son entrée à Rouen, sans nulle solennité et avec une simple et naïve confiance dans ce peuple qu'on lui avait dépeint comme si redoutable. Son armée était restée en arrière. Il n'avait pas cinq cents hommes avec lui. La foule l'acclamait et bénissait sa présence avec une cordialité qui répondait aux sentiments du Roi lui-même. Il prenait contact, pour la première fois, avec son peuple ; de part et d'autre cette rencontre dissipait l'inquiétude et assurait pour longtemps la paix royale ; on était heureux. Il s'établit parfois entre les foules et ceux qui ont la charge de leurs destinées, de ces communications fugitives qui créent le plus fort des engagements. Il en fut ainsi à Rouen, en ce mois de juillet 1620. Le roi dut sentir en lui-même la satisfaction d'avoir su se résoudre, la joie de l'action, la fierté d'un succès qui lui appartenait bien et qui lui faisait connaître la douceur de son métier de Roi. Par l'occupation de Rouen, la basse Seine était conquise. Mais le second centre de la résistance, en Normandie, était Caen. Le grand prieur de Vendôme en avait confié la défense à un capitaine énergique et tenace, nommé Prudent. Le château était fort, bien muni ; la ville, au début, ne paraissait pas hostile aux rebelles. Cependant, le Roi envoya sans hésiter deux de ses lieutenants, Arnauld et Mosny, annoncer qu'il serait à Caen dans quelques jours. Un moment, les gens de la ville hésitèrent. Finalement, ils députèrent quelques-uns des leurs au-devant du Roi, à Pontoise. Je ne vous perds pas de vue, leur répondit-il, mais laissez-moi pacifier ma ville de Rouen et, dans deux jours, je serai à vous. Prudent avertit son maitre, le grand prieur ; celui-ci,
qui était sur le chemin de Vendôme à Angers, fit mine, un instant, de vouloir
s'enfermer dans Caen. Mais, comme le duc de Longueville, il préférait ne pas
se trouver face à face avec le Roi, et, après un mouvement en avant, il se
replia sur Angers. Prudent fit savoir qu'il tiendrait jusqu'au bout. On
conseillait au Roi de laisser à ses généraux la conduite et la responsabilité
du siège : J'irai, dit-il ; si je suis repoussé, on plaindra mon malheur ; mais on ne
me reprochera pas ma lâcheté, comme on feroit si nous temporisions davantage.
Péril deçà péril delà péril sur terre, péril sur mer ; allons droit à Caen. Le 14, il passait la Seine, à Honfleur. Le 15, il franchit, d'une traite, l'étape de douze lieues entre Rive et Escouville ; il s'arma et mit son hausse-col, pour la première fois. Il prit un verre de vin clairet et moins trempé qu'à l'ordinaire, disant gaiement qu'il le falloit ainsi, puisqu'il alloit à la guerre. A trois heures, il était en vue de Caen et recevait une députation de la ville : Je ne veux point de cérémonie, leur dit-il ; continuez à me bien servir et je vous serai bon Roi. Son père, Henri IV, n'eût pas mieux dit. A trois heures et demie, après avoir reconnu la place, il faisait sommer, par le sieur Cailleteau, accompagné d'un trompette, le château de se rendre. Prudent essaya de résister. Mais son lieutenant, ses officiers, ses soldats se prononçaient contre lui et menaçaient de lui faire un mauvais parti, tant était grande l'autorité du nom du Roi. Le surlendemain, Prudent battait la chamade et rendait le château : Si le Roi est là en personne, dit-il à son tour, j'aimerois mieux mourir que de m'opposer au premier triomphe de ses armes et suis prêt à lui ouvrir les portes sans capitulation (17 juillet)[66]. Ces nouvelles s'abattaient, coup sur coup, sur Angers. On
y était déjà fort troublé. Ceux des Grands qui avaient récemment quitté Paris
étaient arrivés, l'un après l'autre, et leur présence avait, selon le mot de
Richelieu, chargé et incommodé la Reine. Le
duc de Vendôme, la comtesse de Soissons, son fils, le comte de Soissons, le
maréchal de Boisdauphin, le duc de Retz, Marillac, tous prétendaient
commander. Le spectacle de cette cour tumultueuse est décrit par l'homme qui
devait le plus souffrir du désordre : Étant venus,
la division se mit dans les conseils : ils en vouloient tous être les
maitres. Ils s'opposoient tous qu'on fit venir Monsieur du Maine à la réputation
duquel ils auroient été obligés de céder... Tous
vouloient de l'argent et promettoient des merveilles ; ils prirent l'un,
manquèrent à l'autre et ne trompèrent personne, parce qu'on n'avoit rien
attendu d'eux[67]. On se plaignait de ceux qui étaient là présents ; mais on se plaignait plus encore des absents. D'Épernon, qui n'aimait pas les cohues, ralentissait sa marche ; le duc de Rohan de même ; le duc du Maine également ; Montmorency et les Chaillons ne se prononçaient pas et se confinaient dans leurs Pyrénées. Le mouvement sur lequel on comptait ne se dessinait que mollement. Chacun, avant de se risquer attendait que les événements prissent tournure. Sous la direction de l'évêque de Luçon, Marillac avait tracé un plan magnifique. Il l'appelait emphatiquement l'état général. A le lire, le succès de la Reine était assuré. Le duc du Maine devait fournir 6.000 hommes de pied et 500 chevaux, M. de Montmorency 4.000 hommes et 300 chevaux ; M. de Chatillon 2.000 hommes et 100 chevaux ; M. de Bouillon 3.000 hommes et 300 chevaux ; M. de Longueville 4.000 hommes et 1400 chevaux, et ainsi de suite. La reine était inscrite pour 8.000 hommes et 800 chevaux. C'était, au total, une armée de 50.000 hommes et de 5.000 chevaux, qui n'avait qu'à marcher sur Paris, et s'emparer de la capitale sans rencontrer aucune résistance[68]. Au début de juillet, quand on avait appris les nouvelles de Paris, c'est-à-dire la fuite de la comtesse de Soissons et la décision du conseil royal, ç'avait été un premier émoi. On s'aperçut qu'on avait perdu du temps. On s'agita beaucoup. On envoya des ordres et des émissaires de toutes parts. On délivra des commissions. On tint conseil sur conseil. Le moment parut bien choisi pour rédiger un manifeste qui proposait une refonte générale de tout le royaume[69]. L'évêque de Luçon, qui met peut-être quelque affectation à dire qu'il n'y fut pour rien, eut toutes les peines du monde à empêcher qu'on ne publiât, en même temps, un autre mémoire où la liberté et l'aigreur dépassaient vraiment ce qui était permis, dans l'état de faiblesse où l'on était. Si on l'en croit, il avait dès lors peu de part aux conseils. Il se retirait sous sa tente et laissait les autres s'empêtrer à plaisir. Il est certain, en tout cas, qu'à partir de ce moment, il prend l'attitude d'un homme qui se ménage une porte de sortie. Il avait compris la portée de la décision émanant du Roi lui-même. Dès que celui-ci marchait, la partie était perdue. Il n'y avait plus qu'à sauver ce qui pourrait être sauvé. Le 3 juillet, il prononça devant la Reine un discours qui serait le plus sage des avertissements, si l'on pouvait se fier à une rédaction qui n'a été imprimée qu'après les événements[70] : Madame, lui aurait-il dit, il y va de votre conscience ; il ne se trouvera aucun de vos fidèles sujets qui vous conseille de vous bander contre votre fils, ni de maintenir les mécontents en leur opinion ; les plaintes qu'ils vous peuvent former sont de peu de poids... Voici, Madame, ce que mon devoir avoit à vous communiquer et, puisqu'il a plu à Votre Majesté de m'élire en sa personne, il lui plaira vouloir me pardonner et considérer que les armes ni la force ne triompheront jamais d'un Roi qui a les anges de Dieu pour garde, et que votre contentement ne dépend que de votre unanime consentement afin que tous deux, en une même intelligence, vous puissiez régner heureusement et longuement en paix. Donnés ou non, ces conseils n'étaient pas suivis ; et pourtant Luynes, de son côté, malgré le succès des armes royales, ne se montrait pas plus fier et était toujours tout disposé à traiter. Évidemment, il appréhendait que par un triomphe, trop prévu et maintenant trop facile, les militaires, et Condé à leur tête, ne s'emparassent de l'esprit du Roi et que Louis XIII lui-même ne prit, à l'user, quelque velléité d'indépendance. Aussi Luynes ne sait qu'inventer pour décider la Reine à conclure la paix, avant qu'on en vienne aux dernières extrémités. Il lui fait écrire, par le nonce Bentivoglio, une lettre où il met en jeu l'autorité du Saint-Siège. Les ecclésiastiques ne la quittent pas et s'emploient de leur mieux. Au fur et à mesure que l'armée royale s'avance vers l'Anjou, par la haute Normandie et le Maine, les pourparlers se poursuivent de plus en plus activement. Des personnages de la plus haute situation, le président Jeannin, le duc de Bellegarde, l'archevêque de Sens, sont à Angers et prennent part à tout ; ils mettent un projet d'arrangement sur pied. On n'est plus séparé que par une clause portant sur l'amnistie à accorder à tous les partisans de la reine mère[71]. Cependant, le Roi, entraîné par ses capitaines et par son succès même, continue sa marche vers la Loire, en héros et en pacificateur. Rien ne lui résiste. Il apprend que Verneuil, Vendôme et Dieux ne sont pas sitôt sommées que rendues. Le dimanche 2 août, il est au Mans et assiste à la messe et aux vêpres. Il reçoit, dans cette ville, Bassompierre accouru à la tête de l'armée improvisée qu'il a levée en Champagne. Le mardi fg., le Roi part de la Suse, à neuf heures et demie, monte à cheval et fait arborer la cornette blanche pour la première fois, — la fameuse cornette quo son père avait déployée à Fontaine-Française. Le même jour, près de la Flèche, dans la plaine du Gros Chasteigner, il fait la montre des troupes de Bassompierre : Le Roi se présente à la tête de ses troupes avec un visage qui déroba le cœur de toute son armée. Bassompierre avait amené huit mille hommes de pied et six cents bons chevaux, sans compter quelques autres compagnies. Alors les deux armées se sont jointes en un même corps, et le roi fit quatre maréchaux de camp sous Monsieur le Prince général, et Monsieur le Mareschal de Praslin, lieutenant-général, qui furent le marquis de Tresnel, Créqui, Nérestan et moi[72]. Voici donc cette belle armée de 12.000 hommes et 1.200 chevaux qui, ayant vu tout plier devant elle et ayant forcé les troupes de la reine, avancées en pointe à la Flèche, à se rabattre sur Angers, se trouve, à son tour, campée à la Flèche, le dos à Paris, la face à Angers. Dans le camp du Roi, on voit arriver encore les parlementaires,
Bellegarde, l'archevêque de Sens, et le président Jeannin, qui font la
navette entre les deux camps, tandis qu'à l'autre bout, l'archevêque de
Bordeaux, Sourdis et l'évêque de Luçon traitent pour la reine[73]. L'entêtement
était tel, du côté de Marie de Médicis, qu'ils n'avaient pu conclure et
qu'ils n'apportaient encore qu'une espérance. L'évêque de Luçon, peut-être
par finesse de négociateur, n'en parait pas trop fâché. Il écrit, en effet,
le 2 août, au cardinal de Sourdis, une lettre qui, sans révéler le moindre
doute sur le résultat final, n'indique non plus aucune envie de capituler à
tout prix : Le Roi est au Mans avec ses troupes et
fait état de nous venir épousseter comme il faut. Toute espérance de traiter
est rompue ; ces messieurs n'en veulent point ouïr parler. En cette
extrémité, nous sommes résolus de faire ce que doivent faire des gens à qui
la nécessité apprend à se défendre et qui y sont confirmés par la justice de
la cause d'une si grande et bonne princesse comme est la Reine. Je crois que
vous devez mettre le meilleur ordre qu'il vous sera possible à Loches et,
cela étant, je me promets que vous voudrez être de la fête, tout en venant
ici[74]. Par un effet qui se produit presque immanquablement, cette vigueur, devinée chez l'adversaire, ébranlait le favori du Roi : au milieu de ses succès, Luynes était plein d'alarmes. Quand les négociateurs, à La Flèche, eurent rendu compte de leur mission, en promettant de conclure sous un très bref délai, il était d'avis que l'on suspendit les opérations pour leur laisser le temps d'achever leur œuvre. Ce fut encore le Roi qui intervint pour trancher de son autorité propre. Il dit : Je ne vous demande pas de résoudre présentement si je dois attaquer ou laisser Angers ; il faut, premièrement, que je sache si la Reine, ma mère, y demeurera ou si elle s'en ira. Si elle quitte Angers et qu'elle se retire en Poitou, il faut jeter le fourreau de nos épées dans la Loire ; si elle y demeure, nous aurons la paix bientôt. Et il ordonna les quartiers, pour le surlendemain, à trois lieues d'Angers. Du côté de la reine mère, la vanité des préparatifs et la fatuité des chefs militaires apparaissaient au fur et à mesure qu'on en venait aux actes. C'était bien là ce qu'un véritable homme de guerre, Rohan, qualifie d'un mot expressif, une défense tremblante dans une ville qui ne valait rien[75]. La Reine n'avait pas autour d'elle plus de quatre à cinq mille hommes. C'était à cela qu'aboutissaient l'agitation et les discours de ce beau parleur de Marillac. Les contingents du duc d'Épernon et du duc du Maine étaient toujours annoncés ; mais on les attendait toujours. Près de la reine mère comme sur le terrain, autant de têtes, autant de commandements. Et puis, ceux d'entre eux qui pouvaient être des hommes d'action, avaient dans le dos le froid regard de cet évêque qui était leur maitre à tous et qui négociait toujours, quand les autres risquaient leur peau : cela n'avait rien d'engageant. Le comte de Soissons, jeune et brave, n'avait ni autorité ni expérience. De ses lieutenants, Vendôme n'avait pas de cœur, Nemours pas d'esprit, Boisdauphin était tombé en enfance, Marillac parlait toujours et en était encore à expliquer les mérites de son fameux plan. Angers est situé un peu au-dessous du confluent de la Mayenne et de la Sarthe, à cinq kilomètres environ de la Loire. La ville est reliée à la Loire par un chemin aboutissant au grand pont sur le fleuve : le Pont, ou plutôt les Ponts-de-Cé. C'est un point stratégique d'une importance capitale : entre Nantes et Amboise, il n'y avait pas, au XVIIe siècle, d'autre passage sur la Loire. Sa possession décidait donc des communications entre le Nord et le Midi, pour tout l'ouest de la France. Entre Angers et les Ponts-de-Cé, le pays est plat, légèrement bossué par les pentes qui séparent la vallée de l'Authion, petite rivière qui se jette dans la Loire aux Ponts-de-Cé, en faisant un angle très aigu, sur la rive droite du fleuve. Au delà de la Loire, le pays est mamelonné, couvert de vignes, avec des moulins tournant leurs bras sur les coteaux. Dans le fond de la vallée, la Loire coule paresseusement et, après avoir reçu l'Authion, traîne, parmi les Iles sablonneuses, ses eaux endormies : c'est sur ces îles que sont construits les Ponts-de-Cé[76]. C'était, à cette époque, deux ponts d'inégale longueur, l'un du côté d'Angers, le plus court, et l'autre du côté de Brissac et de la campagne, sur le bras méridional de la Loire, plus long d'un tiers. Le passage pouvait être intercepté par une sorte de pont-levis. Les Ponts-de-Cé étaient défendus par un vieux château, une bicoque à tour carrée, coiffée d'ardoises, et à mâchicoulis très accusés, soutenue par deux tours en poivrière et entourée de murailles crénelées, le tout dominant d'assez haut, et non sans quelque fierté, les bras du fleuve et la basse plaine. Au pied de ce donjon en miniature, commence la principale rue de la petite ville des Ponts-de-Cé qui, s'éloignant de la Loire, se dirige au Nord, vers Angers : rue étroite, bordée de maisons de bois à tourelles et à encorbellements, laissant apercevoir, au-dessus de leurs silhouettes inégales, le clocher d'ardoises de Saint-Aubin, et, plus loin, la masse imposante du château d'Angers. L'armée royale, arrivant du Nord, s'enfonçait dans l'angle que font la Mayenne, la Loire et l'Authion ; elle avait Angers à droite, les Ponts-de-Cé à gauche et, juste en face d'elle, le long chemin plat qui relie Angers aux Ponts-de-Cé. On avait eu, dans le camp de la Reine, l'idée singulière de fortifier ce chemin et de le couvrir d'une espèce de parapet ayant le château comme réduit. Ce n'était qu'une simple levée de terre, non achevée par endroits, et qui présentait un front de près d'une lieue à défendre par une troupe n'ayant pas quatre mille hommes contre une armée qui en comptait quatorze mille. Richelieu, qui s'est toujours piqué d'une certaine compétence militaire, blâme beaucoup cette disposition. Mais on la lui a aussi reprochée, comme une conception qui sentait plutôt le prêtre que le soldat. Le 6 au soir, le Roi, après avoir passé le Loir à Duretal, coucha au Vergier, à trois lieues d'Angers. La nuit, il tint un conseil de guerre et donna lui-même ses ordres, pour éviter toute surprise. Le 7, il partit du Vergier, à six heures du matin. Il dîna sous un grand arbre, à trois quarts de lieue d'Angers et à une demi-lieue seulement des Ponts-de-Cé. Il était 'Sur une hauteur et voyait se développer devant lui la route fortifiée. A une heure, il revêtit sa cuirasse et commanda qu'on s'armât autour de lui. Il monte à cheval, à une heure trois quarts, sur l'Armérik, cheval d'Espagne, et se porte sur sa gauche, vers les Ponts-de-Cé, ses gardes galopant autour de lui. On avait, en effet, envoyé une forte reconnaissance de ce côté ; les maréchaux de camp de l'armée royale, ayant observé la faiblesse de la défense sur ce point ; avaient décidé de porter là leur principal effort. La manœuvre était habile, puisqu'elle laissait de côté Angers, dont le château eût pu présenter une sérieuse résistance, et que l'attaque visait le point décisif, c'est-à-dire le pont qui assurait le passage sur la Loire. Toute l'infanterie fut ramassée en un seul corps de bataille, quatorze bataillons en une seule ligne, les gardes tenant le milieu, Picardie la droite et Champagne la gauche, et l'on s'avança de front, dans la plaine, vers la route fortifiée, en obliquant un peu vers les Ponts-de-Cé. Les gens de la Reine étaient embarrassés de leur longue levée de terre, qui les protégeait si mal et n'était bonne qu'a gêner leurs mouvements. Une partie d'entre eux avaient franchi le retranchement et formaient, en avant, un gros d'infanterie et de cavalerie mêlées, massé dans la plaine, le dos tourné aux Ponts-de-Cé. L'infanterie royale marcha sur eux, dans la prairie, à pleine vue et à découvert, tandis que la cavalerie entrait dans l'eau, pour prendre les Ponts-de-Cé à revers. Les enfants perdus des régiments royaux courent en avant, se coulant par les haies et les fossés. L'attaque fut vive ; dès la première escarmouche, les gens de la Reine tournent bride, et se replient en hâte derrière le retranchement. A ce moment, un des grands seigneurs du parti et un des chefs de cette armée, le duc de Retz, qui avait sous ses ordres environ 1.500 hommes, entendant parler des négociations qui se poursuivent à Angers, et désireux, peut-être sur les conseils de son oncle, le cardinal, de s'échapper à temps du guêpier, s'écria qu'il en avait assez de s'exposer, si on faisait la paix aux dépens de ceux qui se battaient, et il commanda soudain à tout son monde de quitter le champ de bataille. Sous le regard surpris des deux armées qui se touchaient presque, on vit alors ces régiments abandonner le retranchement et défiler, tambour battant et enseignes déployées, pour se retirer du combat. Cette défection jeta dans le camp de la Reine un désarroi indescriptible. Les enfants perdus de l'armée royale en profitent pour escalader le retranchement et les régiments suivent ; ils gagnent le pont et le traversent, pêle-mêle avec les ennemis qui fuyaient. Cela se fit si vite qu'un soldat du régiment des gardes, Puységur, pénètre dans le château en même temps que les gens de la Reine qui s'y réfugiaient[77]. A partir de ce moment, ce ne fut plus qu'une bousculade sanglante. On se battait tout le long du parapet. Cinq ou six cents hommes restèrent sur le carreau, dont un des chefs de l'armée royale, Nérestan. A sept heures du soir, comme la nuit tombait, le pont et la ville des Ponts-de-Cé étaient pris. Seul, le château tenait encore. Le gouverneur, Bettencourt, blessé à la cuisse, s'y était enfermé avec une douzaine d'hommes. Tout le chemin d'Angers était occupé par des corps de garde. Au bout du pont, face à la ville, on avait élevé une solide barricade pour contenir, au besoin une sortie de ce côté. L'armée du Roi campa dans la prairie. Le Roi, pendant cette exécution, demeura toujours en bataille, recevant, de moment en moment, avis de ce qu'on exécutoit et ordonnant ce qu'il falloit faire. Il faisait une chaleur extrême, et dont on souffrait beaucoup. Cependant il resta jusqu'à onze heures du soir, pour assurer les logis de son infanterie et les quartiers de sa cavalerie. En se retirant en son logis, après avoir été dix-sept heures sur son cheval, il le poussa et lui fit faire quelques passades à la tête de Cornette blanche, ce qui fit juger à ceux qui considérèrent toutes ses actions en cette journée que ses ennemis auroient affaire à un corps infatigable et à un courage sans peur. Tout le monde avait, dans la pensée, le souvenir de Henri IV : On le croyoit mort ; non, il ne l'est pas ; il est ressuscité en la personne de son fils, lequel, en sa grande jeunesse, couvre un sens tout chenu... et dont la piété et la justice marche d'égal avec la valeur. A Angers, le désordre est inexprimable. La reine est au Logis Barrault, au milieu des femmes et des prêtres. On entend le canon ; les cloches sonnent ; ce sont des angoisses, des cris d'effroi, des nouvelles contradictoires. On ne sait à qui entendre. On se bat, on fuit, on parlemente, on délibère, tout cela en même temps, et sans conclure. Le duc de Vendôme se précipite chez la Reine avec un épouvantement épouvantable, et s'écrie : Je voudrois être mort ; sur quoi une fille de la reine lui fait observer, fort à propos, qu'il n'avait, alors, qu'à rester sur le champ de bataille. Un autre dit qu'on aurait dû traiter plus tôt ; un antre est d'avis qu'il faut tenir tête pendant que la reine passera la rivière à la tête de la cavalerie qui est fraiche et n'a pas donné. La comtesse de Soissons, si ardente la veille, n'a plus qu'une crainte : c'est, si l'on se replie sur le sud, de tomber dans les mains du duc du Maine qui l'épousera par force. Elle crie donc qu'il faut traiter sans retard. La peur étoit si absolument maîtresse du cœur que la raison n'y avoit point de lieu[78]. Au milieu de tout cela, l'évêque de Luçon, seul, reste froid et réfléchit. Son plan, en somme, se réalise. Les militaires ont assez encombré les avenues : places aux prêtres maintenant, et aux négociateurs. On n'a pas cessé de parlementer, d'ailleurs, sous le canon. Il est de ceux qui insistent pour que l'on passe la Loire et que l'on fasse, sans perdre pied, retraite sur Angoulême. En bon diplomate, il ne lui plaît pas de paraître à la merci de la partie adverse. Mais les commissaires du Roi insistent, tout autant que l'entourage de la reine. Tout le monde a hâte de voir la fin de cette drôlerie qui tourne au tragique. D'autre part, Luynes veut conclure au plus vite : Condé général en chef et vainqueur des Ponts-de-Cé, le Roi fier du rôle qu'on lui a laissé jouer et glorieux d'avoir découvert en soi-même une sorte d'aptitude ignorée, tout cela l'inquiète. Richelieu saisit toutes ces nuances et en profite. Il jette, séance tenante, avec le duc de Bellegarde, l'archevêque de Sens et le président Jeannin, qui sont revenus près de la Reine et qui ont assisté au désordre de cette malheureuse journée, les bases d'une réconciliation. Le lendemain, la reine l'envoie vers le Roi, avec le cardinal de Sourdis : Le Roi nous reçut fort bien ; grandes caresses de Monsieur de Luynes. Monsieur le Prince tout de même[79]. Mais l'accord ne se signe pas encore. Les députés de la Reine défendent le terrain, pied à pied. Ils discutent, comme si rien ne s'était passé. Richelieu, qui sait la hâte de Luynes, reprend tous ses avantages. Il trahie encore des jours, tandis que l'entourage de la reine tremble de peur, le presse et l'accuse. Enfin, le 10, il conclut ; et l'arrangement est tel, que, dans de telles circonstances, on peut dire qu'il gagne la partie sur toute la ligne. Marie de Médicis obtenait, pour elle et les siens, pleine et entière décharge, le traité d'Angoulême était confirmé de tous points ; tous les p artisans de la reine étaient réintégrés dans leurs fonctions, charges, pensions, etc. ; aucune poursuite n'était exercée contre eux ; les prisonniers étaient délivrés ; la reine recouvrait le château des Ponts-de-Cé, et les grands seigneurs de son parti les places rendues au Roi ; les sommes que la reine et ses partisans avaient prélevées indûment seraient payées par le Roi ; la reine recevrait trois cent mille livres comptant, et trois cent mille livres l'année suivante, pour payer les dettes qu'elle avait contractées. En échange, Marie de Médicis ne promettait guère qu'une chose : c'était de vivre en bonne intelligence avec la cour et, en particulier, avec le favori[80]. L'entrevue qui eut lieu, le 13, entre le Roi et la reine mère fut cordiale. Louis XIII était transformé et humanisé par le succès[81]. Marie de Médicis était heureuse de s'être tirée à si peu de frais de la bagarre ; elle ne pouvait qu'être touchée de l'indulgence qu'on avait pour elle et des égards qu'on lui témoignait. Le Roi alla au-devant de sa mère, qui, venant d'Angers, le rejoint au château de Brissac où il est descendu. Il la rencontre à une demi-lieue ; elle retire son masque, et lui, fendant la foule des courtisans, l'embrasse au saut de la litière. Il lui dit qu'il n'avait jamais eu tant d'impatience de la revoir. La reine pleure. On put croire que, pour cette fois, la paix était faite sincèrement entre la Mère et le Fils[82]. Quant à Richelieu, il assistait avec un sourire à ce qui était, cette fois encore, son œuvre. Luynes, était venu vers lui et avait rendu les armes, en lui annonçant que le Roi mettait, en post-scriptum au traité, la promesse ferme du chapeau ; en effet, dès le lendemain, le Roi dépêchait à Rome un courrier qui portoit ordre à l'ambassadeur de déclarer au Pape que Sa Majesté nommait M. de Luçon au cardinalat, et d'en poursuivre le plus promptement possible la solution[83]. Ce n'est pas tout. Luynes était si convaincu qu'il fallait, à tout prix, désarmer l'opposition de son rival, qu'il lui offrait d'unir leurs deux familles par le mariage de son neveu, M. de Combalet, avec la nièce de Richelieu, Mlle de Vignerod de Pont-Courlay. C'est Richelieu qui, avant d'accepter, se faisait prier, et ne consentait que sur les instances pressantes de la reine mère. Luynes eut alors avec l'évêque une conversation qu'il eût voulue décisive et où, selon l'erreur de ceux qui parlent bien et qui sont habitués à plaire, il crut avoir triomphé. Richelieu fut prodigue de promesses ; mais il fit observer que, pour que l'intelligence proposée fût de durée, il importoit que chaque partie fût en sa place naturelle et qu'il convenoit que ceux qui doivent tenir le rang principal dans l'État l'occupent. Cela signifiait que, si la Reine revenait près du Roi, elle devait reprendre son ancienne influence. Voilà justement la seule chose à laquelle Luynes ne pouvait consentir ; car c'eût été mettre son rival à sa place et se supprimer lui-même de ses propres mains. Il fallait que Richelieu fût bien sûr de soi pour tenir un pareil langage. Il n'avait d'ailleurs qu'à se louer de tout cc qui venait de se passer. On eût dit que, de toutes parts, les événements avaient travaillé pour lui. Sa situation s'améliorait de jour en jour. Le parti des pacificateurs, les moines, les prêtres, les gens de robe tournaient les yeux vers lui, comme vers leur plus chère espérance. Pour tous, à commencer par Luynes, Condé triomphant était l'ennemi. L'évêque avait reçu cette promesse du cardinalat pour laquelle il avait remué le pays : c'était la perspective désormais assurée d'une situation qui le mettrait à l'abri d'un revers de la fortune. Du côté de la reine mère, il avait tout écarté, tout remplacé : Ruccellai, Chanteloube, les grands, d'Épernon, Soissons, Vendôme et les protestants. De son passage dans le camp des rebelles, il lui restait, en outre, une expérience qu'il précise lui-même, avec sa netteté ordinaire : Je reconnus, en cette occasion, que tout parti composé de plusieurs corps qui n'ont aucune liaison que celle que leur donne la légèreté de leurs esprits, qui, en leur faisant toujours improuver le gouvernement présent, leur fait désirer du changement sans savoir pourquoi, n'a pas grande subsistance ; que ce qui ne se maintient que par une autorité précaire n'est pas de grande durée : que ceux qui combattent contre une puissance légitime sont à demi défaits par leur imagination ; que leur imagination, qui leur représente les bourreaux en même temps qu'ils affrontent les ennemis, rend la partie fort inégale, y ayant peu de courages assez serrés pour passer par-dessus ces considérations avec autant de résolution que s'ils ne les connoissoient pas[84]. Bourreaux : voilà le mot terrible prononcé ! Et Richelieu l'écrit à propos de ses amis, les partisans de la reine mère, ses complices dans une aventure dont, seul, il aura tiré profit et qui, pour toujours, lui aura servi de leçon. |
[1] Pour toute cette partie de mon
récit, je dois beaucoup à la communication obligeante qu'a bien voulu me faire
M. PAVIE,
ancien magistrat à Angers, des épreuves de son très érudit ouvrage, paru depuis
: la Guerre entre Louis XIII et Marie de Médicis (1619-1620).
[2] Voir ce document capital dans Correspondance
(t. I, p. 580).
[3] Voir tout le récit dans les Mémoires
de RICHELIEU
(t. I, p. 194), et cf. GIRARD, Vie du duc d'Epernon
(t. III, p. 194).
[4] Le rôle de Balzac dans ces
intrigues n'a pas été mis en lumière. — Il mériterait une étude attentive, à
l'aide des documents empruntés aux Affaires Étrangères. — V. Correspondance
(t. VIII, p. 19). — Voir aussi l'étude de M. Eusèbe CASTAIGNE sur la maison de Balzac, à
Angoulême, et la plaquette de M. P. de FLEURY, Le second séjour de Marie
de Médicis à Angoulême, 1894, in-4°. — Balzac raconte dans son Entretien
VIII : Deux histoires en une, qu'il avait fait, avec le duc d'Épernon, le voyage d'Amadis, c'est-à-dire le voyage de Blois.
— Voir Etude sur la vie de Guez de Balzac, en tête des Œuvres de
Balzac publiées par MOREAU, Lecoffre, 1854, in-12°.
[5] Voir les lettres très
vigoureuses de Schomberg dans le volume si important pour ces événements,
intitulé Négociation commencée au mois de mars 1619 avec la reine Marie de
Médicis par Monsieur le Comte de Béthune, Paris, 1672, in-f° (p. 120 et
suiv.).
[6] Il faut suivre ces événements
dans la correspondance de BENTIVOGLIO, dans le volume des Négociations
de M. de Béthune, dans les Mémoires de RICHELIEU et dans une lettre importante
de l'ambassadeur à Rome, Marquemont, qui rapporte un entretien avec le Pape. Recueil
d'AUBERY
(t. I, p. 56).
[7] Voir la publication très
sérieusement documentée de l'abbé HOUSSAYE sur le Cardinal de Bérulle.
La tendance hagiographique est peut-être un peu trop marquée. Voir notamment Bérulle
et l'Oratoire (Plon, 1874, in-8°), chapitre huitième.
[8] Voir la lettre que Marie de
Médicis adresse à Luynes par l'intermédiaire de Bérulle. Elle dit qu'elle oublie de bon cœur ce qui s'est passé... mais
elle lui rappelle immédiatement qu'elle n'a pas nui
aux commencements de sa fortune... (Correspondance, t. VII, p.
929).
[9] Négociations (p. 117).
Voir aussi la lettre de Béthune (p. 184).
[10] Négociations (p. 142-149).
[11] Voir l'original des
déclarations des commissaires du Roi, qui constituent l'arrangement
entre le Roi et la Reine sa mère à Angoulême, signé BÉTHUNE et LA ROCHEFOUCAULD. Arch. des Affaires
Étrangères, vol. 772, f° 89. Il est daté du 12 mai. Voir aussi, f° 261, le Traité
d'Angoulême entre le Roi et la reine mère.
[12] Contrairement à l'opinion de COUSIN. Voir, notamment, le passage
si formel de FONTENAY-MAREUIL qui fait un grand éloge de
l'habileté de Richelieu pendant le séjour à Avignon et sur les mesures qu'il
prit pour en sortir : Luynes qui n'avait non plus que
les autres, la vue trop longue, tomba dans le piège. Mémoires (p
138). — Voir aussi LEVASSOR (t. II, p. 117).
[13] Sur l'opinion des
contemporains, voir BENTIVOGLIO dans Correspondance (t.
VIII, p. 187) ; l'archevêque de Tarse, dans Correspondance (t. VII, p.
453). — FONTENAY-MAREUIL, Mémoires. — La lettre
du Prince de Condé dans Affaires Étrangères (vol. ; 772, f° 102) ; — celle du
duc d'Épernon dans les Archives de la famille de Richelieu : Papiers du
Cardinal (t. 1, p. 77). — Sur les relations avec Sully, voir Correspondance
(t. I, p. 625, 647).
[14] Correspondance (t. I,
p. 617, 637).
[15] Affaires Étrangères (vol. 772,
f° 129).
[16] Sur toutes ces suites un peu
embrouillées du traité d'Angoulême voir, les originaux de la Correspondance
échangée entre le Roi, la Reine, Luynes et Richelieu dans Affaires Etrangères
(vol. 772, f° 186-200-208 etc.). — Cf. Correspondance (t. VII, p. 462).
[17] Voir le Mémoire sur le choix
de Nantes ou Angers, dans Correspondance (t. I, p. 590).
[18] Voir Mémoires de RICHELIEU (t. I, p. 200) ; — FONTENAY-MAREUIL (p. 139). Le récit complet est
dans le Journal d'ARNAULD qui date le duel du jeudi 4 juillet (p. 435). Cf. cependant le récit de
l'abbé HOUSSAYE qui donne la date du 8 juillet, Bérulle et l'Oratoire
(p. 290). — V. aussi Correspondance (t. I, p.600 et t. VIII, p. 19). — Vie
du duc d'Épernon (t. III, p. 200).
[19] Cette douleur fraternelle a
été, bien à tort, mise en doute ; voir notamment DE MORGUES, Pièces pour la Défense de
la Reine Mère (p. 362), et LEVASSOR (t. II, p. 114). — Cf., par
contre, Correspondance (t. I, p. 602, 603, lettres au P. Coton,
Bassompierre, Schomberg, Praslin, etc.), et surtout les Maximes et Fragments
inédits du Cardinal de Richelieu que j'ai publiés dans la Collection des
documents inédits (p. 772, n° 85-93).
[20] Sur les embarras d'argent de
Richelieu à l'époque de la mort de son frère, voir Mathieu DE MORGUES, Diverses pièces (p.
73-81). — Cf. une note lue par M. Boissonnade au Congrès des sociétés savantes
et insérée dans le Bulletin du Comité des travaux historiques (Histoire,
année 1894, p. 182) — et surtout la lettre signée Adumeau
qui est aux Affaires Étrangères (vol. 772, f° 105).
[21] Voir les Brevets sur parchemin nommant le commandeur de La
Porte à la Capitainerie d'Angers, Chanteloube à celle de Chinon, et Bettancourt
à celle des Ponts-de-Cé, dans Archives des Affaires Étrangères (vol.
772, f° 104 et suiv.). — Le brevet du commandeur de La Porte est daté du 2
juillet, c'est-à-dire qu'il est antérieur à la mort du marquis. On aura
antidaté l'acte pour éviter toute interruption.
[22] Voir le texte des Instructions
au commandeur de La Porte, dans Correspondance (t. VII, p. 463).
[23] Voir Mémoires de RICHELIEU (t. I, p. 198). — Ruccellai ne
quitta la reine qu'en juillet. HOUSSAYE, Bérulle (p. 289). — Il
arriva à la Cour le 11 juillet. Journal d'ARNAULD. — Sur la lutte d'influence
entre Richelieu et Ruccellai, voir la lettre de Marie de Médicis dictée par
l'évêque, dans Affaires Étrangères (vol. 772, f° 193).
[24] Correspondance (t. VII,
p. 466). — Cf., sur tous ces points, la discussion intéressante entre M. Cousin
et M. Avenel, Correspondance (t. VII, p. 444).
[25] La lettre par laquelle le Roi
promet la liberté à M. le prince est du 8 avril ; elle est au fonds Godefroy,
Bibl. de l'Institut (t. CCLXVIII, pièce 136).
[26] Voir les documents originaux
avec les signatures de Rohan et de Montbazon, Affaires Étrangères (vol. 772, f°
115 et suiv.). — Voir deux minutes de lettres de la reine mère au Roy et à
Luynes par lesquelles elle donne les raisons qui l'empêchent de se rendre à
Angers (ibid., f° 198).
[27] Sur cette question si délicate
de la promesse du chapeau, voir le débat institué par M. AVENEL, dans Revue des Questions
historiques, loc. cit., (p. 111). — Cf. Correspondance (t.
VII, p. 414). — Histoire de Marie de Médicis (f, p. 571).
[28] Sur ce voyage, voir Mémoires
de RICHELIEU
(t. I, p. 200 et 204).
[29] Mémoires de RICHELIEU (t. I, p. 204). — Sur les
méfiances réciproques, pendant le séjour à Couzières et à Tours, voir Vérités
Chrétiennes au Roi très chrétien dans le Recueil de Luynes (p. 143).
[30] Sur l'entrevue de Couzières,
voir Journal d'HÉROARD (t. II, p. 236).
[31] Vérités Chrétiennes et Mémoires
de RICHELIEU
(I, p. 501).
[32] Armand BASCHET, Le Roi chez la Reine,
Plon, 1878, in-8°.
[33] Le jeu très intéressant de
l'évêque de Luçon avec les d'Épernon et avec La Valette, archevêque de
Toulouse, est bien clair d'après les correspondances échangées et qui sont aux
Affaires Étrangères, vol. 762, f° 140-153-163-166. — Les lettres de Richelieu
et du duc d'Épernon citées au texte sont conservées dans les Archives de
la famille de Richelieu (t. I, f° 73-85). — Cf. Correspondance (t. I, p.
618, et t. VIII, p. 20). Toutes les dates sont confondues et difficiles à
préciser.
[34] Le saint évêque s'était rendu
auprès de la reine mère à Angoulême où il passa dix jours au plus fort des
négociations qui suivirent l'évasion, après avoir vécu plusieurs mois à la cour
de France. Il avait été chargé, par Charles-Emmanuel, d'accompagner le cardinal
de Savoie envoyé pour demander Marie-Christine de France pour le prince de
Piémont. Saint François de Sales fut, à cette date, en rapport avec Richelieu,
auquel il fit plus d'une pressante exhortation couronnée d'un certain succès,
puisque celui-ci promit de se consacrer désormais tout entier à son diocèse et
à la piété (octobre 1619). — Voyez la lettre inédite de saint François de SALES, citée par Dom MACKEY dans le tome I (p. XV) de l'édition
des Œuvres de saint François de SALES, publiée chez Lecoffre : J'appris à connaître tout plein de prélats et
particulièrement M. révêque de Lusson qui me jura tonte amitié et me dit
qu'enfla il se rangerait à mon parti pour ne plus penser qu'à Dieu et au salut
des âmes. — Je dois cette note à la bienveillance amicale du baron de
Mohrenheirn.
[35] Sur la réception de la reine
mère à Angers, voir l'Inventaire des Archives municipales d'Angers. Sur
le choix du logis Barrault, voir Correspondance
(t. I, p. 628).
[36] Sur la promotion dans l'ordre
du Saint-Esprit, voir dans le Recueil de Luynes les nombreuses pièces
publiées à ce sujet : Les noms des chevaliers ; le Noël des
Chevaliers ; le Pasquil des Chevaliers, etc.
[37] Mémoires de RICHELIEU (I, p. 206).
[38] FONTENAY-MAREUIL (p. 140).
[39] Sur les relations de Luynes
avec la Compagnie de Jésus, voir le livre du P. PRAT sur le Père Coton déjà
cité, et l'Histoire de la Compagnie de Jésus de CRÉTINEAU-JOLY (t. III, p. 323 et suiv.).
[40] Sur tout l'incident de Barbin
à cette date, cf. Mémoires de MOLÉ (t. I, p. 224). — Journal
d'ARNAULD
(p. 453). — Mémoires de RICHELIEU (t. I, p. 205). — Correspondance
(t. VII, p. 472, 931, 932.) — Affaires Étrangères, vol. 772 (f° 147).
[41] Cf. Mémoires (t. I, p.
205) et Correspondance (t. I, p. 637).
[42] Les lettres échangées, la
mission de Toiras (oct. 1619), celle de Bellegarde, sont aux Affaires
Étrangères (vol. 772, f° 140-151). — V. aussi, B. N. Ms Clairembaut
(vol. 1132), f° 3-21.
[43] Sur la cabale de Soissons,
voir notamment la correspondance de BENTIVOGLIO, qui est exactement renseigné,
puisqu'il s'agit des catholiques.
[44] Mémoires de ROHAN, édit. 1646, in-16° (p. 112).
— V. la discussion de M. Cousin sur ce passage. Il ne me paraît nullement
établi qu'il implique une entente formelle entre la reine mère et le parti
protestant ; COUSIN dans Journal des Savants, sept. 1861 (p. 530). Cf.
E. PAVIE,
la Guerre entre Louis XIII et Marie de Médicis (p. 131).
[45] Sur les missions envoyées,
coup sur coup, au printemps de 1619, voir Correspondance (t. VIII, p.
190).
[46] Lettre de Bérulle, datée du 15
juillet. Archives des Richelieu, Papiers du Cardinal (t. I, f° 82).
[47] La correspondance du Père
Arnoux est des plus abondantes. C'était un homme prolixe et bénisseur. — Voir
Bibl. Nat., Cinq-Cents Colbert (vol. 2, P. 53 et suiv.). — Correspondance
(t. VII, p. 468-70). — Affaires Étrangères (vol. 772, p. 122, 162, 195, etc.).
[48] Sur toutes ces intrigues et
sur les véritables sentiments de Richelieu, cf. les textes publiés ou cités
dans Correspondance (t. VII, p. 033). — A la page 485 du même volume, M.
Avenel se demande quelle était la véritable influence de Richelieu dans les
conseils de la reine mère. Il me semble qu'il la diminue trop. Tous les
documents contemporains et les minutes écrites de la main de l'évêque prouvent
que rien ne se faisait tans lui. Il avait intérêt à ce que le conflit fût tendu
à l'extrême pour se prouver indispensable.
[49] Sur le rôle du Père Joseph et
des ecclésiastiques, voir PAVIE (p. 313). — Cf. FAGNIEZ, Le Père Joseph de
Richelieu (chap. III).
[50] Correspondance (t. VII,
p. 931).
[51] Correspondance (t. VII,
p. 473). — Affaires Étrangères, vol. 772 (f° 159).
[52] Correspondance (t. VII,
p. 475).
[53] Correspondance (t. VII,
p. 481). — Cf. lettre de Luynes à Richelieu de mai 1620, dans Affaires Étrangères,
(vol. 773, f° 50).
[54] Correspondance (t. VII,
p. 143 et suiv.).
[55] L'attitude du duc du Maine est
un peu obscure. Il semble qu'il jouait double jeu. Le 8 avril 1620, il écrit au
Roi une lettre où il demande pardon et proteste de sa fidélité (Affaires
Étrangères, vol. 773, f° 34). Et trois jours après, le 11 avril, il prend,
conjointement avec le duc de Retz, l'engagement, à l'égard de Marie de Médicis,
de ne pas se séparer d'elle et de faire tout ce qu'elle jugera nécessaire pour
maintenir l'autorité royale et la tranquillité publique (vol. 773, f° 38). Qui
trompait-il ?
[56] Voir Mémoires de RICHELIEU (t. I, p. 217).
[57] LEVASSOR et de nombreux écrivains ont
accusé Richelieu d'avoir trahi la reine mère en préparant insuffisamment ses
forces au moment où elle se décidait à une rupture. Voir LEVASSOR, Histoire de Louis XIII
(t. II, p. 204-21i). — Voir aussi tonte la discussion dans l'Avis, La Guerre
entre Louis XIII, etc. Mais la documentation considérable que j'ai sous les
yeux me paraît aboutir plutôt à l'opinion que j'ai indiquée ci-dessus. — Voir
la réponse d'AUBERY au reproche qu'on fit à Richelieu d'avoir trahi la reine
mère, dans Histoire (t. I, p. 35).
[58] Voir, pour le tableau des
forces de la reine mère, et pour tous les détails qui vont suivre, Mercure
françois (t. VI, année 1620, p. 273 et suiv.).
[59] On a mis en doute le fait
d'une entente précise entre les protestants et la reine mère. Voici cependant
l'engagement pris par le duc de Rohan, le 30 mai 1620 ; le document est
d'autant plus important qu'aucune allusion n'y est faite ni dans les Mémoires
de Rohan, ni dans ceux de Richelieu qui l'avait conservé dans ses papiers : Nous, duc de Rohan, promettons à la Reyne Mère du Roi sur la
perte de notre honneur de la servir et défendre au péril de notre vie, au cas
qu'elle juge, ce que tout le monde sait, que ceux qui sont portés de mauvaise
volonté envers elle pouvant tout auprès du Roi, la veuillent opprimer en
quelque temps et sous quelque prétexte que ce puisse être. Nous lui promettons
aussi l'assister et servir au péril de notre vie en ce qu'elle jugera à propos
pour garantir le Roi et son État de la ruine dont ils sont menacés, me liant,
dès cette heure, au service de Sa Majesté, pour ne m'en séparer jamais, mais
suivre ses intentions en tontes choses. Sa Majesté nous ayant aussi promis en
parole de Reine de nous garantir du mal qu'on voudroit nous procurer en
considération de ce que dessus. Fait à Angers, le 30e mai mil six cents vingt.
Henri de Rohan. (Affaires Étrangères, vol. 773, f° 49).
[60] Mercure françois, loc.
cit.
[61] Journal de BASSOMPIERRE, édit. Soc. Hist. de France
(t. II, p. 174).
[62] Voir toute la lettre de NICOLAS PASQUIER, à la suite des Œuvres
d'ESTIENNE
PASQUIER,
in-f° (t. II, p. 1358).
[63] Lettre citée par COUSIN, Journal des savants
(Juin 1851, p. 357).
[64] Sur les missions de
Blainville, voir Correspondance (t. VII, p. 932). — Les instructions
données à Montbazon (juillet 1620) sont aux Affaires Étrangères (vol. 773, f°
172).
[65] Sur le conseil et sur
l'ensemble des circonstances qui décidèrent de l'entrée en campagne, voir Mercure
françois. — La déclaration contre ceux qui assistent la Reine, mère du Roi,
datée du 28 juillet 1620, est aux Affaires Étrangères (vol. 773, f° 73). — voir
aussi la lettre du Nonce du Pape à la reine mère pour l'exhorter à la paix,
dans Mercure français (t. VI, p. 271). — Cf. Discours de M. le Chancelier au
parlement, en la présence du Roi avant que S. M. s'en allât à Rouen,
Affaires Étrangères (vol 773, f° 80).
[66] Sur la marche du Roi en
Normandie, voir BENTIVOGLIO. — Mercure françois (t.
VI). — FLOQUET, Histoire du Parlement de Normandie (t. IV, p. 345
et suiv.). — PAVIE, La Guerre de Louis XIII..., chap. IV (p. 252 et
suiv.).
[67] Mémoires de RICHELIEU (t. I, p. 218).
[68] Le plan et les projets de
Marillac sont aux Affaires Étrangères, vol. 773. M. Pavie les a publiés en
partie. — La reine était pleine de confiance. Elle écrivait à Florence en
juillet 1620 : Le Roi est destitué de gens et
d'argent. Il cherche quelque accommodement. Mais tout cela est vain, s'il ne
chasse de la Cour la faveur (c'est-à-dire
les Luynes) et les ennemis de la reine. Affaires Étrangères (vol. 773, f° 182).
[69] Les commissions de la reine
pour lever des troupes sont aux Affaires Étrangères (vol. 773, f° 79). — Le
manifeste de la reine, qui comprend un plan de réformes de l'État, est daté du
12 juillet 1620 ; il est publié notamment dans le recueil des Pièces
curieuses relatives au connétable de Luynes, édit. 1625 (p. 259). — On
voit, dans des lettres interceptées qui sont aux Affaires Étrangères (vol. 773,
f° 70-75), que la reine n'a envoyé ses commissions qu'après la prise du château
de Caen.
[70] Harangue à la Reine, mère
du Roi contre les plaintes de messieurs les princes, faites à S. M. sur les
affaires du temps, prononcée en présence de toute sa cour par messire A. J. D.
P. D. R., évêque de Luçon, au château d'Angers, le 3 juillet 1620. Opuscule
de 12 pages, petit in-8°, imprimé à Paris avec permission, en 1620, chez J.
Mesnier, rue St-Jacques (Bibl. Nat., L. 1673 A K).
[71] Correspondance (t. VII,
p. 933). On était renseigné à la Cour sur les hésitations de l'évoque de Luçon.
Les ministres restés à Paris écrivent au Roi : Quant à
M. de Luçon, M. de Luynes pourra s'éclaircir avec M. de Blainville s'il est
vrai ce qu'on m'a dit que parler haut et ferme avec lui a plus de force et fait
plus d'effet que procéder doucement par promesses et par espérances. Cet avis
vient de bonne part et d'homme qui le pense bien connoitre. — Voir
lettre de Luynes à Richelieu, Archives de Richelieu, Papiers du cardinal
(t. I, p. 89), et Affaires Étrangères, vol. 773 (f° 80 et suiv.). — Les lettres
de Bellegarde des 14, 19, 21, 27 juillet sont au fonds Clairembaut, f° 2 et
suiv.
[72] Mercure françois (t.
VI), et Journal de BASSOMPIERRE (t. I, juillet).
[73] Il est important de constater
que l'évêque de Luçon n'avait nullement perdu la confiance des ecclésiastiques
et des pacifiques. Ceux-ci continuaient à penser que tout l'espoir d'une
entente reposait sur lui. Voir lettre de BENTIVOGLIO, citée dans Correspondance
(t. VIII, p. 187).
[74] Correspondance (t. I,
p. 653).
[75] Voir Mémoires de ROHAN, éd. 1646 (p. 116). — Cf. Correspondance
(t. VIII, p. 188). — Rohan est très sévère pour Richelieu. Peut-être
couvre-t-il ainsi son double jeu. Voir ci-dessus son engagement et cf., sur
l'attitude des protestants et notamment du duc de Châtillon, la correspondance
écrite de Paris, le 1er août 1620. Affaires Étrangères, vol. 773 (f° 84).
[76] J'ai étudié sur les lieux les
détails de la bataille des Ponts-de-Cé et j'ai trouvé le concours le plus
éclairé de la part de mon regretté confrère et ami M. Célestin Port. — Il faut
se servir de l'étude approfondie de M. E. PAVIE dans son livre que j'ai déjà
cité, La Guerre entre Louis XIII et Marie de Médicis (1619-1620),
Angers, 1899, in-8°. — On verra que mon récit de la bataille diffère légèrement
du sien. — J'ai utilisé le Mercure françois (t. VI, p. 319-339), le Journal
d'HÉROARD
(t. II, p. 247-249), et surtout la vue cavalière de la bataille des
Ponts-de-Cé, très intéressant dessin à la plume, conservé au cabinet des
Estampes de la Bibl. Nat. et dont je dois l'indication à l'aimable obligeance
de mon confrère M. Bouchot.
[77] Mémoires de PUYSÉGUR, publiés par Tamisey de
Larocque (t. I, p. 6).
[78] Tout ce récit est emprunté aux
Mémoires de RICHELIEU.
[79] D'Angers, Bellegarde écrit à
Luynes pour lui demander de faciliter l'entretien entre l'évêque de Luçon et le
prince de Condé. B. N., fonds Clairambaut, vol. 1132 (f° 20)
[80] Les documents relatifs à cette
négociation sont conservés avec Affaires Étrangères (vol. 773, f° 103).
Plusieurs des minutes sont de la main de Richelieu. L'original de l'accord est
signé LOUIS, MARIE, POTIER.
[81] Du côté de la cour, on avait
le sentiment que le royaume avait échappé à un grand danger. On craignait une
intervention des archiducs et de l'Espagne ; Barbin, à Liège, enrôlait des
troupes. On avait aussi des craintes du côté de l'Angleterre. — Voir les
lettres écrites de Paris, le 1er août 1620. Affaires Étrangères (vol. 773, p.
83).
[82] Voir les Mémoires de RICHELIEU (t. I, p. 234 et suiv.), reproduisant
une relation de Marillac. Affaires étrangères (vol. 773, f° 88, 96).
[83] AUBERY, Histoire (t. I, p.
37). — Correspondance (t. I, p. 655, et surtout t. VIII, p. 20). 11 y a
une erreur dans la première date.
[84] Mémoires de RICHELIEU (t. I, p. 226).