I. — La Régence de Marie de Médicis. - Les « barbons ». - Première faveur des Concini. Pour la seconde fois, une Médicis régnait sur la France. Henri IV, après avoir rompu son premier mariage avec une fille de France, — cette Marguerite pleine de vices et pleine de charmes, dernière fleur de la race épuisée des Valois — avait, parmi les princesses européennes, choisi une nièce du duc de Toscane, dont l'âge et la santé lui promettaient des héritiers. En épousant la fille des Médicis, le chef de la dynastie des Bourbons ne dérogeait pas. La grand'mère de sa femme était une petite-fille de Charles-Quint[1]. Ces heureux marchands italiens avaient ainsi, peu à peu, imposé l'autorité de l'or et du négoce à l'Europe militaire et féodale. Et pourtant, selon le mot du duc de Savoie, ces femmes florentines, dans tous les États où elles se produisaient, apportaient la confusion et le mauvais gouvernement[2]. Le mariage de Henri IV et de Marie de Médicis n'avait pas été heureux. Si le roi, amateur très renseigné, appréciait, dans sa femme, les formes opulentes et les carnations savoureuses qui devaient s'épanouir plus tard si glorieusement dans les toiles de Rubens, s'il lui était reconnaissant de sa sûre et régulière fécondité, il ne trouvait auprès d'elle ni la séduction sans cesse renaissante de la maîtresse, ni l'affection soutenue et confiante de l'épouse. Henri IV, il est vrai, était un bien mauvais mari. Mais Marie de Médicis avait un bien mauvais caractère. Les hommes, les rois, surtout, ont droit à quelque indulgence. Or, la reine eût été, à tous les rangs de la société, une femme jalouse, colère et vindicative. Elle était, en outre, tellement soumise à un entourage des plus louches qu'on ne pouvait se fier entièrement en elle. C'étaient là de mauvaises dispositions pour retenir un homme de naturel volage comme l'était Henri IV, et les scènes de ménage que nous raconte Sully, où la reine allait jusqu'à lever la main, expliquent assez que le bon roi, très féru de ses maîtresses et fort dégoûté de cette promiscuité italienne, ait songé parfois à renvoyer outre monts une femme dont le rôle était rempli, maintenant qu'elle lui avait donné six enfants[3]. Ce fut Henri IV qui céda la place. La mort arrange bien des difficultés. Sans prêter créance aux commérages des contemporains et aux insinuations de Sully, on peut dire, de Marie de Médicis, que le veuvage lui fut léger. Le deuil extérieur fut bruyant et éploré ; le fond du cœur resta froid. Il semble que tout le monde, et Henri IV lui-même, avait prévu cette mort prématurée. Il avait pris la précaution de faire couronner la reine, la veille de son départ pour l'armée. Si bien que, quelques heures après sa mort, tout était arrangé et la régence de Marie de Médicis proclamée par le parlement, acceptée par la cour, et reconnue par le reste du royaume. A ce moment, on ne dit pas, comme on devait le faire trente ans plus tard, à l'avènement d'Anne d'Autriche : La Reine est si bonne. Marie de Médicis était peu connue et peu aimée. Toujours repliée sur une étroite coterie, parlant mal le français, alourdie par ses couches successives, elle ne suivait guère le mouvement et la turbulence de la cour de France. Mais on était délivré de l'autorité virile du feu roi. La régente avait besoin de tout le monde, et on pensait que chacun pourrait réclamer pour soi une part de l'autorité tombée entre ses faibles mains[4]. La reine était si effacée du vivant de Henri IV, qu'il fallut quelque temps pour voir son caractère se dessiner et ses aptitudes gouvernementales prendre un certain relief. Ce n'était pas une Catherine de Médicis. Elle n'avait de celle-ci ni l'intelligence, ni l'activité, ni le goût des affaires. Elle apparut bientôt comme une femme d'un cœur sec, froidement égoïste, très jalouse de son autorité, de moyens médiocres, paresseuse et obstinée, mais discrète, grave et assez habile dans les petites choses, attachée, sans réflexion et sans fidélité, à ses habitudes et à ses préjugés. Comme il arrive aux natures médiocres que l'urgente nécessité ne presse pas, elle dirigea peu sa vie et elle gouverna autant avec ses défauts qu'avec ses qualités. La paresse aidant, elle ne se sépara pas des hommes expérimentés choisis par le feu roi. Mais, peu à peu, elle versa dans le favoritisme où son indolence était portée naturellement, et laissa prendre aux Concini une autorité dont l'excès prépara sa chute[5]. Il faut parler maintenant des Concini. Tous les biographes de Marie de Médicis les lient intimement à son sort. Cette subordination constante de sa vie à l'influence de ses familiers est un trait de caractère d'autant plus frappant chez la mère qu'il se retrouve, plus tard, chez le fils, Louis XIII. Elle avait connu, de toute date, Léonora Dori (qui se fit appeler ensuite Galigaï), et la mort seule la délivra de la domination que cette femme exerçait sur elle. Léonora était fille de la nourrice de la princesse, par conséquent d'origine populaire, la mère étant, disait-on, blanchisseuse et le père menuisier. Élevée près de Marie de Médicis, elle lui était devenue indispensable, parce qu'elle l'habillait bien et qu'elle savait remplir les heures interminables de la vie de cour par des conversations de toilettes et de futilités. C'était, d'ailleurs, une fine mouche, le nez aigu, les lèvres pincées, la figure chafouine, noire et plutôt laide, mais l'œil vif, et non sans un certain charme qui venait de l'intelligence ; sinon du cœur. Adroite et insinuante, elle devint, sur la fin, imaginative, maniaque et atrabilaire, avec un goût mêlé d'effroi pour les choses de l'autre monde, sorcelleries, influences secrètes et grimoires. Tout cela lui assurait, sur l'esprit de la princesse, un ascendant tel que les contemporains y voyaient quelque chose de mystérieux. Au moment du mariage de Marie de Médicis, on avait voulu les séparer. Mais Marie, vieille fille — elle avait vingt-sept ans — et déjà esclave de ses habitudes, s'y était refusée ; et le duc de Toscane, sachant sa nièce obstinée, n'avait pas insisté. Léonora vint donc en France et, à vrai dire, elle représenta, pour la cour et pour la reine, tout ce qui rattachait celle-ci à son passé florentin. Un conflit assez curieux où le nom des Richelieu est mêlé se produisit même à ce moment. Henri IV, en formant la maison de la reine, avait désigné, pour remplir les fonctions de surintendante, Mme de Guise, pour remplir celles de dame d'honneur, Mme de Guercheville et enfin, pour être dame d'atours, Mme de Richelieu, femme du frère aîné de l'évêque de Luçon. Mais Marie exigea que cette dernière fonction fût réservée à Léonora, et après une intrigue de jupes, où Mme de Verneuil, la maîtresse de Henri IV, soutint les Concini, Mme de Richelieu fut évincée[6]. En habile homme, Concini avait deviné cette fortune et s'y était attaché. Celui-ci était de bonne souche. Ses ancêtres avaient joué un rôle dans les luttes politiques de Florence. Son père avait été ministre de Côme de Médicis. Cependant il était pauvre et il n'avait, quand il vint en France, que la cape et l'épée. C'était un bel homme, — un bel Italien, le teint brun, le visage pâle, la moustache noire, la taille grande, droite, le corps bien proportionné, l'œil de velours et l'air souvent mélancolique. Galant et brave, vaniteux et violent, ambitieux d'argent et d'honneurs, grand joueur et généreux, il était de la race de ces aventuriers qui, à, partir du quinzième siècle, s'étaient répandus sur l'Europe et avaient mis au service des monarchies encore à demi barbares, la souplesse et la pénétration du génie péninsulaire. Sa jeunesse avait été déplorable : Si vous ne m'aviez connu dans ma bassesse, disait-il lui-même à Bassompierre, je tâcherais de vous la déguiser. Mais vous m'avez vu à Florence, débauché et dissolu, quelquefois en prison, quelquefois banni, le plus souvent sans argent et incessamment dans le désordre et la mauvaise vie. Je suis né gentilhomme et de bons parents, mais quand je suis venu en France, je n'avais pas un sol vaillant et devais plus de huit mille écus. A bout de ressources, traqué par le besoin et par l'ambition, il jeta les yeux sur Léonora. Celle-ci était trop intelligente pour se faire illusion sur les motifs qui le portaient à demander sa main. Mais elle était femme : malgré l'opposition de la reine, elle épousa ce décavé[7]. Marie de Médicis obtint elle-même de Henri IV, qui avait probablement quelque folie à se faire pardonner, la promesse d'une somme de 70.000 livres tournois qui devaient leur être versés à l'occasion de leur mariage. Ce fut le premier bénéfice de l'association de convoitises et d'intrigues conclue en pleine cour de France par ces deux étrangers[8]. A dater du jour du mariage, la vie devint plus pénible encore dans le ménage royal. Marie de Médicis, lasse de tout, ne se séparait plus de ses confidents : Elle avait certaines paillasses à terre, où elle se couchait, l'été, durant les chaleurs des après-dînées, avec des habits légers et beaux, et étant ainsi étendue, appuyée sur le coude, montrant ses bras et sa gorge, elle avait des complaignans de cette beauté admirable et admirée de tout le monde, méprisée et délaissée pour les laides et mal faites[9]. Concini était parmi ces assidus. Henri IV, à son tour, montra de la jalousie. La présence constante de ce bellâtre l'exaspérait. Il faisait des sorties bruyantes, juroit qu'il la renverroit en Italie avec son Concini. On dit qu'il avait donné huit jours à l'Italien pour déguerpir, quand il fut lui-même surpris par la mort. Le roi disparu, les Concini restèrent maîtres de la place. Tous les témoignages concordent pour reconnaître qu'au début ils se tinrent plutôt sur la réserve. Ils ne se sentaient pas encore assez assurés du terrain et ne songeaient qu'à gagner une grande fortune, sans viser à une influence directe sur les affaires. Un contemporain donne la note exacte en ces termes : Le Concino se maintient dans sa faveur accoutumée, mais plus comme courtisan que comme conseiller intime[10]. Fontenay-Mareuil nous présente un curieux détail des
habitudes de vie de Marie de Médicis, qui permet de préciser exactement le
rôle des deux favoris dans l'emploi de ses journées : Le matin, la reine tenoit une sorte d'audience où la cour avoit accès
auprès d'elle. De onze heures à midi, elle recevoit ses ministres et parloit
d'affaires avec eux. Après le dîner, elle recevoit encore et parfois tenoit un
grand conseil jusqu'à trois heures. Elle se renfermoit ensuite quelque temps
et enfin tenoit sa cour jusqu'à sept heures... Mais, depuis qu'on avoit donné le bonsoir, qui étoit ordinairement sur
les sept ou huit heures, il se tenoit une autre cour plus particulière et où
il ne se trouvoit que des personnes principales et agréables : pour les femmes,
la princesse de Conti, Mme de Guise, la maréchale de La Chatre et quelques
autres ; pour les hommes : MM. de Guise, de Joinville, l'archevêque de Reims
et le chevalier de Guise, M. Le Grand, MM. de Créquy, de Grammont, de La
Rochefoucauld, de Bassompierre, de Saint-Luc, de Termes, de Schomberg, de
Rambouillet, le colonel d'Ornane, de Richelieu frère aîné de l'évêque de
Luçon, tous fort considérables par l'esprit et la condition... et cela duroit jusque sur les dix heures, après quoi elle
se retiroit pour un peu de temps dans son petit cabinet et puis alloit
souper. Après que la reine avoit soupé, tous les principaux officiers qui s'y
trouvoient ordinairement se retiroient et la signora Conchine, qui ne la
voyoit guère qu'à son lever, quand elle s'enfermoit l'après-dînée et à cette
heure-là, arrivoit et demeuroit assez souvent une heure et deux heures avec
elle, sans lui parler d'affaires d'état ; et tant que la régence dura (c'est-à-dire jusqu'en 1614), ni son mari, ni elle, ne s'en mêlèrent presque point,
mais seulement de leurs intérêts et de ceux de leurs amis... Quant au signor Conchine, il ne parloit à la reine, ni
même ne la voyoit qu'aux heures publiques et qui étoient aussi pour tous les
autres de sa maison[11]. Malgré cette modération apparente, les heures d'intimité de Léonora avec la reine n'en étaient pas moins fructueuses. Quelques mois après la mort du roi, en septembre 1610, Concini reçut, en une seule journée, trois cent trente mille livres pour acheter le marquisat d'Ancre, en Picardie, soixante mille écus pour la charge de premier gentilhomme de la chambre, qu'avait M. de Bouillon, et environ deux cent mille francs pour le gouvernement de Péronne, Montdidier et Roye, qu'avait M. de Créquy[12]. Et ce ne fut qu'un commencement. Les deux époux obtinrent, l'un et l'autre, des dons sans cesse renouvelés, en or, en bijoux, en meubles, en argent comptant. Leur fortune personnelle monta, en quelques années, à une somme de près de neuf millions de livres, c'est-à-dire, en multipliant seulement par cinq — d'après les calculs de M. d'Avenel, on pourrait multiplier par six, — environ cinquante-quatre millions de notre monnaie[13]. Comment s'expliquer cette faveur qui alla toujours croissant jusqu'à la catastrophe finale ? Il est superflu de rappeler que la malignité des pamphlets contemporains et la crédulité toujours un peu prompte de l'histoire anecdotique se sont exercées aux dépens des relations si intimes qui existaient entre Marie de Médicis et Concini. En ces matières, l'affirmation est aisée, la vérification difficile. Le papier des billets doux est le plus rare et le plus fragile des documents d'archives, Nous connaissons Marie de Médicis par des portraits nombreux, par les confidences de ses intimes, par les critiques de ses adversaires : cette épaisse femme blonde, avec ses maxillaires carrés, sa figure empâtée, ses lèvres boudeuses, ses yeux inexpressifs, ne parait pas avoir été d'un sang bien riche, ni bien ardent. Henri IV se plaignait qu'elle n'était pas caressante[14] ; son fils, Louis XIII, tenait encore d'elle sur ce point. Un contemporain nous a dépeint tout à l'heure cette beauté traînante et lourde, abandonnée en des poses nonchalantes que l'amour lui-même ne devait remuer que difficilement. A première vue, on peut donc penser que, si la reine a cédé, ce n'a dû être que par une sorte de passivité que l'accoutumance a surprise. On sait qu'au début, Concini ne lui plaisait pas. Elle s'effrayait même, pour sa chère Léonora, d'une maladie qui était, chez lui, disait-on, la suite de ses folies de jeunesse, et qui causait, ajoutait-on encore, l'étonnante pilleur de son visage. Mais il est certain que ses sentiments changèrent et que le Florentin finit par prendre sur elle un réel empire. La jalousie de Henri IV en témoignerait au besoin. Concini logeait au Louvre près des appartements de la reine, en raison de la charge de sa femme. Plus tard, il fit construire une petite maison adossée au palais, en face l'hôtel de Bourbon. Cette maison communiquait avec l'entresol qu'habitait la reine par un pont que la malignité populaire avait baptisé le pont d'amour[15]. On sait aussi que les relations conjugales entre Léonora et son mari étaient rompues dans les dernières années : c'est elle du moins qui l'assurait, au m'ornent de sa mort. Tous ces détails étaient connus du public, relevés et envenimés dans les pamphlets[16]. On affichait couramment des ordures, — c'est le mot de Malherbe, — sur ce qui se passait au palais[17]. Marie de Médicis ne pouvait vivre sans ses chers confidents. Dès qu'ils s'éloignaient quelque peu, elle les rappelait vite auprès d'elle. Si l'absence devait durer, elle leur écrivait, — au mari et à la femme, — des lettres presque toutes de sa main, remplies de marques d'affection et de tendresse. Quoique le registre qui nous les a transmis soit de caractère peu intime, puisqu'il est copié de la main d'un secrétaire, on y relève pourtant, parmi les détails de la vie de cour, spectacles, comédies, moines et colifichets, quelques traits plus expressifs. En mai 1613, la reine écrit à Concini que, maintenant qu'il va mieux, elle veut qu'il se rende auprès d'elle, à Fontainebleau, et elle ajoute : c'est chose que je désire pour les raisons que je vous dirai à vous-même. Or, le même jour, elle écrit à la marquise d'Ancre, et elle ne la prie nullement d'accompagner son mari. Quelque temps après, autre lettre très affectueuse au, marquis d'Ancre, qui est à Amiens : Continuez votre voyage et vous y entretenez sans vous ennuyer. Au cours du voyage vers Nantes, en 1614, active correspondance avec le maréchal et la maréchale qui n'ont pas accompagné la reine : Je me porte bien, écrit-elle à Concini, et je n'ai de déplaisir que la longueur et opiniâtreté de votre maladie[18]. Celui-ci la traitait, d'ailleurs, assez cavalièrement. En octobre 1616, au retour de Caen, où il était allé se renfermer en un accès de mauvaise humeur et d'inquiétude, la reine le rencontra comme il arrivait. Elle descendit de carrosse pour lui parler. Vous voilà gros et gras, lui dit-elle, et avec bon visage. Il répondit brusquement : Est-ce pour cela que vous m'avez envoyé quérir si vite ?[19] Ce sont là de bien vagues indices. Ils ne sauraient prouver, entre la reine et le maréchal, d'autres rapports que ceux d'une grande familiarité. Le point délicat reste difficile à éclaircir. Je n'ai rien trouvé de' plus direct à ce sujet qu'un mot de Richelieu, un mot de prêtre, où l'on sent percer les inquiétudes rétrospectives du remplaçant. Dans ses Mémoires, il dit de Concini : La passion du jeu était son seul divertissement les dernières années de sa vie : celle de l'amour n'y paraissait point. Il était rompu par deux hernies, de telle façon que la vertu ne faisoit en aucune façon partie de sa chasteté[20]. L'observation, dans sa formule tortueuse, va loin. En présence de ce témoignage, on doit penser, avec l'évêque, qu'entre la reine et le favori, il n'y avait rien[21]. Il faudrait donc attribuer la fortune de Concini surtout à l'influence de Léonora Galigaï. Cette interprétation est d'ailleurs plus conforme aux faits publics. Il est incontestable que la reine, au début, n'accorda aux Concini que des marques de faveur particulière et que leur action sur les affaires ne se fit sentir que plus tard, alors qu'un parti politique organisé s'en empara comme d'un instrument de règne[22]. Durant les premières années de la régence, les affaires furent conduites par les ministres de Henri IV : Sillery, Villeroi, le président Jeannin. Ceux-ci restèrent les véritables chefs du gouvernement, jusqu'en 1615. Rien ne se faisait que par eux. Ils fussent restés les maîtres, probablement, s'ils ne s'étaient divisés et si, par leurs fautes, ils n'avaient prêté le flanc aux attaques de leurs adversaires. Henri IV les avait choisis. Ils avaient, de ce chef, une autorité qui s'ajoutait à leur mérite réel. Mais leurs dissentiments aussi étaient anciens, et cette cause de faiblesse apparut dès le début du nouveau règne. Ils commencèrent par se débarrasser d'un rival dont l'influence brutale et présomptueuse avait suscité bien des haines, Sully. Celui-ci, d'ailleurs, s'y prit mal. Au jour de la mort de Henri IV, il s'enferma dans la Bastille, comme s'il se préparait à soutenir un siège. Il ne vint voir la reine que lorsque ses inquiétudes personnelles furent un peu apaisées. L'intérêt de l'État et les sentiments qu'il devait éprouver pour le fils de son bon maitre n'apparurent pas dans cette circonstance ; cet excès de prudence donna prise à ses adversaires. Se sentant attaqué, il précipita sa disgrâce en ne manquant aucune occasion de la prédire et de quereller ceux que sa mauvaise humeur en rendait d'avance responsables. Sa chute n'en fut pas moins une grande perte aux yeux de tout ce qui mettait le salut de la France dans la continuation de la politique du feu roi. Après Sully, le plus autorisé des ministres de Henri IV était Villeroy. Il fut le véritable chef du nouveau gouvernement. Entré aux affaires, à l'âge de vingt ans, sous Charles IX, ministre de Henri III, puis écarté par une révolution de cour et un moment ligueur, il avait contribué, phis que personne, à la pacification du royaume, par une adhésion éclatante et sincère à la politique et à la personne de Henri IV. Celui-ci l'avait réintégré dans ses fonctions et lui avait confié la conduite des affaires du dehors. Les contemporains ne tarissent pas sur ses mérites. Brantôme l'appelle, d'une expression magnifique, le très grand et le non-pareil de la chrétienté pour les affaires de l'État, M. de Villeroy. — M. de Villeroy, dit l'ambassadeur vénitien, surpasse en mérite tous les ministres du roi : c'est un esprit vaste ; il a une inclination et une aptitude uniques à pénétrer le secret des autres cours ; il les connaît à fond. Voilà quarante ans qu'il exerce la charge de secrétaire d'État. Il l'a remplie sous quatre rois. Ses mérites lui assurent l'estime et la confiance de Sa Majesté, quoique, cependant, il ait compté parmi ses ennemis. Aujourd'hui aux affaires d'État, il est digne de toute confiance. Il n'a peut-être pas 30.000 écus de rente en tout et pour tout, et il supporte les dépenses très lourdes de sa charge... Il est âgé de soixante-six ans environ (ceci est écrit en 1605) ; de complexion délicate et toujours souffrant, il serait mort depuis longtemps s'il ne s'était soumis à un régime très ponctuel et très minutieusement observé[23]. Cet homme de cabinet, ce vieillard valétudinaire avait été le grand exécuteur des volontés du feu roi. Le recueil des Lettres missives renferme les preuves innombrables de son activité : ce sont ces excellentes instructions et dépêches d'État, écrites d'un style à la fois ample et sobre, qui sont les premiers modèles de la belle langue diplomatique du dix-septième siècle. J'ai déjà parlé de Sillery, d'abord élève, plus tard rival de Villeroy, qui avait succédé à Bellièvre dans la charge de chancelier, et dont le savoir-faire ne manquait guère que de probité et de courage. Le quatrième des ministres de Henri IV était le président Jeannin. C'était celui auquel le feu roi témoignait le plus de cordiale confiance[24]. Né en Bourgogne, jurisconsulte savant, élève de Cujas, il avait été, lui aussi, ligueur et chef du conseil particulier du duc de Mayenne. Henri IV sut l'enlever à ses adversaires, et lui dit, avec sa ronde et adroite bonhomie que, puisqu'il avait été fidèle au duc, il serait aussi fidèle au roi. Il l'employa surtout dans les négociations. C'était un esprit humain et grave, avec ce beau langage abondant et fleuri des Bourguignons. Le cardinal Bentivoglio l'entendit, un jour, parler dans un conseil, et dit que la Majesté du Roi rayonnait sur son visage. Il avait une figure vénérable, avec une longue barbe, des yeux doux et, dans tout l'aspect, quelque chose d'étoffé et de chaud, comme les fourrures parlementaires dont il s'enveloppait.. Les dépêches qu'il écrivit, alors qu'il négociait la trêve de Hollande, sont des morceaux remarquables et qui passaient aussi pour des modèles ; Richelieu s'inspira souvent de leur lecture. Henri IV trouvait, pour parler du bonhomme, des expressions tendres et gaies qui font honneur à l'un et à l'autre : Sire, voilà un ministre de notre connaissance, lui dit l'ambassadeur d'Espagne quand il revint à la cour, la paix une fois signée. — Oui, dit le roi, je puis le montrer à mes amis et à mes ennemis[25]. Après avoir rappelé le haut mérite que les témoignages presque unanimes des contemporains attribuent aux ministres de Henri IV, il est impossible de ne pas reconnaître qu'après la mort de ce prince, ces personnages vénérables, rendus à leur valeur propre, parurent diminués. C'est que, pour la conduite des grandes affaires, l'intelligence, le bon vouloir et l'expérience ne suffisent pas. Il faut, en outre, l'entrain, le courage, l'esprit de direction naturel et qui incline autour de lui les obéissances. Les hommes d'affaires consommés procèdent ordinairement par la douceur, par la patience, par un habile calcul des circonstances et des prévisions.. Ils n'ont rien de cette énergie qui violente parfois les volontés inférieures et qui précipite les événements. Quarante ans de subordination sont un mauvais apprentissage du commandement. Ni les vieux soldats, ni les hommes de cabinet n'ont le coup d'aile brusque qui fond au but et ravit la victoire. Ces ministres, que le contact de Henri IV avait animés, celui de Marie de Médicis les refroidit soudain. Rendre des comptes à un esprit médiocre est une servitude qui dégrade les plus nobles esprits. La véritable capacité doute d'elle-même, hésite, chancelle et se perd, dans cette lutte obscure, chaque jour renouvelée. C'est ainsi qu'on vit le mérite des illustres ministres de Henri IV se transformer, sous la régence, en une impuissante pusillanimité. Bientôt, ils n'eurent d'autre pensée que de se maintenir aux affaires en allant au-devant des désirs ou des caprices de la reine. Habiles à colorer cette docilité constante, qui devint la règle de leur politique, ils se firent, eux-mêmes, les théoriciens de leur propre faiblesse, et exposèrent, avec un ensemble de raisons d'opportunité ou de spécieux prétextes, un système politique nouveau qui fut, presque de tous points, le contre-pied de celui qu'avait adopté leur défunt maitre. Dès 1611, aux premiers mouvements des grands et du parti huguenot, Villeroy écrit, de sa plus belle encre, un mémoire où les paroles énergiques abondent encore, mais qui laisse déjà entrevoir les prochaines capitulations. On est toujours un peu l'esclave de son passé, et ces anciens ligueurs avaient présent à l'esprit le spectre de la Ligue. Ce qu'il faut mettre par-dessus tout, écrit Villeroy, c'est la conservation de l'ordre et de la paix publique, jusqu'au moment où le jeune roi sera en âge de prendre lui-même la direction des affaires. Jusque-là, il conseille de louvoyer, de gagner du temps, de procéder par douceur plus que par force et de carguer les voiles tandis que le vent souffle. Il énumère, exagère les dangers que court l'État. Tout l'arsenal de la vieille politique machiavélique doit être mis en œuvre pour les conjurer. Il faut dissimuler, diviser les adversaires par l'intrigue, promettre beaucoup, donner souvent, acheter les consciences Encore qu'il semble que ce soit de la honte d'acheter de nouveau les sujets et de capituler avec eux comme avec des ennemis, la honte en est aux sujets et non à Sa Majesté, laquelle sera plus louée de répandre l'or et l'argent que de répandre le sang de ses parents et principaux officiers. Suivent une série de conseils pratiques : éloigner les grands, les renvoyer dans leurs gouvernements, sauf M. le Prince qu'il vaudrait mieux garder sous la main ; s'assurer de la fidélité des gouverneurs des villes et des parlements, renforcer les troupes étrangères, mettre les finances dans les mains de personnes dont on soit sûr, avoir des gens dans la maison des princes qui avertissent de tout ce qui s'y passe, et, par-dessus tout, conserver les serviteurs et les ministres, s'offenser et se piquer des injures qui leur sont adressées et s'en ressentir comme si la reine elle-même les avait reçues. Après cet exposé, plein de finesses habiles et de savantes réticences, le vieux ministre a beau s'écrier importe à Sa Majesté de faire des actions viriles, de parler haut et commander de même ; on sent que cette rhétorique porte à faux et que le Débiteur, comme l'appelle de Thou, a dévié de la voie où Henri IV s'était avancé d'un pas si sûr et qu'il avait cru pour longtemps ouverte à ses descendants. Pourtant, dans ce premier mémoire, l'influence du règne précédent reste sensible. Les paroles, sinon les actes, montrent encore une certaine fierté. Au dedans, si les princes ne cèdent pas, il est question de les châtier. Au dehors, les alliances espagnoles ne sont pas envisagées comme le but inéluctable ; le nom même de l'Espagne n'est pas prononcé ; tout au contraire, on parle en bons termes des alliances avec les princes voisins, c'est-à-dire allemands, et on conseille particulièrement à la reine d'entretenir de bons rapports avec l'Angleterre[26]. A quelque temps de là, les grands, apaisés d'abord, excités bientôt par les premières concessions, reviennent à la charge. Tel est le faible de cette politique ; elle les comble sans les satisfaire. Le comte de Soissons, notamment, demande la place de Quille-bœuf. Nouveau mémoire de Villeroy. Son avis est toujours le même : tout faire pour sauvegarder la paix jusqu'à la majorité du roi ; ménager les princes pour les diviser ; refuser d'abord ce que. demande Soissons, et finir par céder, si on ne peut faire autrement. Mais, voici que ces alliances espagnoles, ces alliances si chères au cœur de Marie de Médicis, commencent à apparaître et à être glorifiées : Vous avez encore ajouté à toutes ces amitiés et alliances anciennes, celle du roy d'Espagne de laquelle, quand le feu roi décéda, il était peu assuré (voyez cet euphémisme !) et que vous avez exécutée avec tant de discrétion et de prudence qu'elle ne vous a rien coulé[27]. Cependant cette politique de prodigalité et de déférence porte ses fruits. Les finances sont épuisées ; les grands sont insatiables. En mars 1614, le prince de Condé quitte la cour et lève des troupes. Il demande le château d'Amboise pour faire la paix. Villeroy reprend ses arguments et le ton baisse encore : Il faut faire la paix à tout prix ; quels troubles prévus et imprévus n'amènerait pas la guerre ? On touche au terme ; il ne faut rien compromettre et gagner un an, six mois du moins : Madame, votre but est de conserver l'autorité du roi et le royaume en sa réputation et en son entier. Votre régence et le titre de mère du roi vous y obligent ; de quoi Votre Majesté s'est heureusement acquittée depuis le décès du feu roi, et avait sujet d'espérer de pouvoir, en cette prospérité, achever la carrière de sa régence, si elle n'eût été traversée de ces derniers mouvements... et plus loin : ... Cependant Votre Majesté gagnera la fin de sa régence, pourra achever plus commodément les mariages d'Espagne et résoudre ceux d'Angleterre au temps et en la forme que vous jugerez plus à propos pour le bien du royaume et le contentement du roi qui sera alors entré en sa majorité[28]. On sait, pourtant, quel était le véritable succès de cette
politique au jour le jour. En ces quatre années, les ministres avaient
vieilli de vingt ans ; entre leurs mains, l'administration était frappée
d'une sorte de sénilité. La cour, conduite par ces barbons
peu respectés, était toute turbulence, indiscipline, agitation tapageuse et
stérile. Il n'y avait à la cour, dit de Thou,
ni sincérité, ni prudence, ni ordre ; il semblait
que l'on y combattit à l'aveugle ; au lieu d'attaquer l'ennemi, nous portions
les coups les plus funestes à nos amis. Ce n'était que dissimulation et
fourberie. Tout était confusion et impuissance[29]. Personne
n'étant plus digne du pouvoir, personne ne se croyait indigne de l'exercer : Dans cette cour, dit l'ambassadeur vénitien Contarini, la
face des choses change à tout moment, par une quantité de petits incidents
qui se succèdent et qui tantôt flattent les espérances des uns, tantôt celles
des autres[30]. Les ministres
ne se faisaient plus guère d'illusion : on se félicitait seulement d'avoir
vécu. Mais Villeroy lui-même reconnaissait, en 1615, qu'on avait épuisé les
moyens dilatoires : Jusqu'ici, disait-il, on avait gouverné par finances et par finesse, mais on ne
savait ce qui arriverait maintenant qu'on était à bout de l'une et de l'autre[31]. Quand les chefs en sont à ce point de découragement, il y a beau temps que les troupes se sont débandées. Elles erraient à l'aventure, saris trop savoir à qui se donner. L'opposition de la haute aristocratie, guidée par des sentiments étroitement égoïstes, embarrassait les ministres, mais n'était pas assez redoutable pour les contraindre ou les remplacer : Les princes voudraient des réformes dans l'État, dit l'ambassadeur vénitien ; mais l'intérêt des ministres qui sont au pouvoir est de ne faire aucun changement, de peur de découvrir leur faiblesse et leur ruine. Aussi ils ne peuvent trouver aucun moyen d'accomplir une seule réforme ni de chercher à parer aux inconvénients qu'on leur signale[32]. C'est parmi cette impuissance et cette indignité réciproques du pouvoir et de l'opposition, qu'on vit se développer tout à coup la scandaleuse fortune politique des Concini. Elle avait son origine dans là faveur de Marie de Médicis, elle s'accrut de tout ce qui entravait le développement des forces normales du pays. Elle parut si puissante, A un certain moment, que des esprits vigoureux crurent pouvoir s'y attacher et se servir de ce point d'appui pour restaurer en France l'idée gouvernementale. Mais leur calcul était faux, et la chute profonde des favoris italiens entraîna la plupart de ceux qui avaient escompté leur crédit. Jusqu'aux premiers mois de l'année 1615, Concini ne s'était guère appliqué sérieusement qu'à accroître sa fortune particulière. Mais elle était devenue peu à peu si considérable que, pour se maintenir ou pour grandir encore, elle devait dominer l'État. Le roi touchait à sa majorité. L'entourage de Marie de Médicis cherchait les moyens de prolonger, le plus longtemps possible, l'autorité effective de la reine mère. Chacun prenait ses positions en vue d'un lendemain que l'on envisageait comme durable. Concini paraissait si solidement établi qu'on commençait à le respecter : Son esprit, sa nourriture et plusieurs autres qualités — dit un homme, qui n'est pourtant pas suspect de servilisme, Rohan — le font juger digne de grandes faveurs et même font désirer qu'il se. naturalise parmi nous et y établisse une grande maison, ce qui ne peut qu'être honorable à notre nation[33]. Le monde politique, où les espérances et les ambitions sont toujours en mouvement, a pour loi de passer outre au fait accompli. Le vieux Villeroy lui-même avait cru faire un coup de maître en négociant le mariage de son petit-fils avec la fille du Florentin. Élevé si haut, Concini voulait monter plus haut encore. Il entrait dans la période de folie présomptueuse qui termine généralement la carrière de ces aventuriers : il disait qu'il voulait savoir jusqu'où la fortune pouvait porter un homme. Il travaillait à s'assurer une situation personnelle, indépendante, au besoin, de la faveur de la reine et même de l'autorité du roi. On voit cette préoccupation se dessiner à partir de l'année 1614. Il attire, par des générosités habilement répandues, de jeunes gentilshommes ambitieux et avides[34] ; il s'assure une garde composée d'Italiens et de Suisses entièrement dévoués à sa personne. Nommé maréchal de France à la mort de Fervacques, il acquiert ainsi un titre qui lui permet de s'entourer d'un appareil militaire. Enfin, guidé par les conseils d'un homme expérimenté et énergique, le baron de Lux, il comprend qu'il n'y a de force, en France, que pour celui qui peut disposer d'une grande situation territoriale[35]. Aussi ne songe-t-il plus qu'a s'assurer le gouvernement d'une province frontière, de façon à pouvoir, en cas d'accident, s'appuyer sur l'étranger. Tantôt il jette les yeux sur la Bourgogne, d'autres fois sur Sedan ; enfin il se décide pour la Picardie. Déjà il disposait de plusieurs places fortes dans cette région. En obtenant le gouvernement de la province, il était admirablement placé, entre la Belgique espagnole et Paris, soit pour menacer la capitale, soit pour s'assurer un asile en cas d'échec[36]. Le gouverneur de la Picardie était alors un jeune homme, de grande famille, borné et opiniâtre, le duc de Longueville. Concini lui fit faire des ouvertures en vue d'échanger le gouvernement de sa province contre un autre que l'on considérait comme plus avantageux, celui de Normandie. Il eut l'idée singulière de charger Villeroy de la négociation. Le ministre comprit tout le danger des projets de Concini, et s'arrangea de façon à faire échouer la combinaison. Le favori, furieux, jura la perte de Villeroy. C'est ainsi que, peu à peu, il en venait à se mêler directement aux affaires de l'État. Il ne pouvait encore avoir la prétention de les conduire lui-même. Il profita des dissentiments qui existaient entre les barbons, pour les détruire l'un par l'autre. Nous sommés en décembre 1614 ; le chancelier de Sillery avait vu son influence s'accroître, en raison des services qu'il avait rendus pendant la session des États. Il avait une nombreuse famille à caser ; il s'unit au favori. Villeroy, se sentant menacé, fit une fausse sortie : il se retira dans une de ses terres, à Conflans. Il pensait qu'on ne pouvait se passer de lui et voulait se faire prier[37]. Il n'y a pas d'homme indispensable. Villeroy revint, de lui-même, au bout de quinze jours, et alla visiter, le premier, le maréchal d'Ancre, ce qu'on trouva indigne de lui[38]. La reine le gronda amicalement. Mais, au cours de l'entretien qu'elle eut avec lui, Concini, qui se tenait derrière elle, dit à haute voix que Villeroy n'en était pas à sa première trahison. Le vieux ministre se tut. Il reprit ses fonctions ; mais l'autorité réelle lui échappait. L'ambassadeur vénitien écrit : Le pouvoir de Villeroy ne se rétablit pas comme auparavant. La reine n'est pas bien disposée pour lui ; les grands l'abandonnent. Le chancelier est enchanté de le voir abattu. Le maréchal d'Ancre s'est déclaré contre lui, et celui-ci a un pouvoir absolu[39]. On se servait de Sillery, de son fils, Puisieux, de son frère, le commandeur de Sillery, pour faire marcher les affaires. Ils se croyaient les maîtres. Le bon Jeannin continuait à couvrir de son nom le gaspillage des finances, et laissait le coulage s'organiser, en levant au ciel d'honnêtes regards. Cette situation ambiguë dura quelques mois ; le favori s'habituait à l'exercice du pouvoir. Il songeait à se débarrasser de tout l'ancien personnel qui lui portait ombrage ; il était déjà entouré d'un personnel nouveau, composé d'hommes jeunes, actifs, ambitieux et qui, probablement, voyaient plus loin que lui dans son propre jeu. Il semble pourtant qu'au moment de frapper le coup décisif, le maréchal ait douté de la fortune. C'était le temps où la reine se préparait à conduire le roi en Guyenne pour célébrer les mariages espagnols. Cette union devait mettre le comble à la politique personnelle de la régente. L'idée de passer à l'accomplissement la remplissait de joie et de fierté. Mais Condé, ; comprenait que la consécration du mariage ruinerait ses prétéritions et ses espérances. Écarté définitivement du trône, il se confondait dans la foule des princes du sang. Il y eut là une heure critique. Rassemblant dans un manifeste tous ses griefs personnels ; agitant tous les sujets de mécontentement de la noblesse et de la bourgeoisie, excitant les passions populaires contre le gouvernement de la régence et surtout contre les favoris italiens, s'appuyant sur une coterie de jeunes parlementaires, tous fiers d'être invités à ses ballets[40], il prend des airs d'homme résolu à aller jusqu'au bout. Il entraîne dans sa querelle la plupart des princes, les Bouillon, les Mayenne, les Longueville, se retire à Clermont en Beauvaisis, puis à Coucy, dans une place réputée imprenable. Il lève des troupes et tient la campagne. On lui envoie le vieux Villeroy, qui lui est plutôt agréable. Mais il résiste et lance son manifeste, disant que les mariages ne pouvaient avoir lieu tant qu'on n'aurait pas porté des réformes profondes dans l'administration du royaume et tant que le Maréchal d'Ancre serait le maître du gouvernement. Dans ces circonstances, Concini crut prudent de céder au temps et de s'éloigner momentanément de la cour. Les affaires de Picardie ne s'arrangeaient pas. Longueville tenait bon et fomentait contre lui la sédition. Pour se défendre, il avait dû attaquer, et un événement tragique qui avait eu un grand retentissement — le meurtre de Prouville, lieutenant du duc, — l'avait mis en échec devant l'opinion[41]. La reine partait pour le voyage de Guyenne. Elle lui offrit le commandement de l'armée qui devait accompagner le roi et le protéger contre l'armée des rebelles. Un homme plus hardi eût accepté : il eût traversé en triomphateur la France entière ; il eût couvert, de sa présence, l'alliance des deux couronnes. Mais Concini préféra rester dans le Nord, à défendre ses intérêts personnels, et à guerroyer dans les environs d'Amiens sur les derrières de l'armée des princes. Ce refus donne sa mesure. Le commandement de l'escorte qui accompagnait le roi fut confié au duc de Guise, et celui de l'armée destinée à agir contre le prince de Condé fut remis au maréchal de Bois-Dauphin. Léonora Galigaï accompagnait la reine et, en l'absence de son mari, elle veillait à la défense des intérêts communs. Durant ce voyage, l'habile femme sut conserver son influence et, puisque tout était ajourné, préparer les événements décisifs pour l'époque de la rentrée à Paris. Le voyage s'accomplit beaucoup plus facilement qu'on ne l'avait pensé. L'armée du prince de Condé, conduite cependant avec une grande habileté par le duc de Bouillon, n'était pas assez forte pour en venir aux- mains avec les troupes royales. Condé s'était en vain efforcé d'intéresser à sa cause les puissances hostiles à l'Espagne[42]. Le parti protestant, qui avait fait mine de s'associer à la révolte des princes, n'avait pas su s'organiser à temps. D'ailleurs, il était divisé et les plus sages blâmaient ces imprudentes et stériles manifestations[43]. La campagne militaire se borna à quelques escarmouches insignifiantes et, de la part des troupes de Condé, à des violences infinies qui les rendirent odieuses à tout le monde et notamment aux provinces de l'ouest, où elles séjournèrent le plus longtemps[44]. La cour arriva à Bordeaux le 7 octobre 1615. Elle devait y rester jusqu'au 17 décembre. Au cours de ces deux mois, l'échange des deux princesses — celle qui allait régner en Espagne, Élisabeth, et celle qui venait régner en France, Anne d'Autriche — eut lieu, le 9 novembre, sur la Bidassoa, près de Fontarabie. Le mariage du roi fut célébré, dans l'église métropolitaine de Bordeaux, avec une pompe extraordinaire. Le roi et la reine, nés à huit jours de distance, en septembre 1601, entraient seulement dans leur quinzième année. Ils étaient encore, tous deux, des enfants[45]. La reine mère voyait donc son rêve réalisé, et l'enfance prolongée du jeune roi, son esprit distrait et nonchalant, la vénération mêlée de terreur qu'il gardait pour sa mère, — il n'y avait pas longtemps que, au dire d'Héroard, elle le fouettait encore de sa propre main, — tout lui faisait espérer qu'elle garderait longtemps encore l'autorité consacrée à nouveau par ce coup brillant des mariages espagnols. Toutes les raisons qui pouvaient emplir de joie l'âme de Marie de Médicis, devaient au contraire déprimer et abattre le prince de Condé et ses partisans. Aussi, quoique le retour du roi et des reines eût lieu-dans d'assez mauvaises conditions, en plein hiver, dans un pays ruiné, par des chemins boueux et interminables, quoique les troupes royales, épuisées par les fatigues, décimées par la maladie et les désertions ; eussent grand'peine à garder un aspect militaire, Condé, toujours versatile et intéressé, ne songea plus qu'à tirer parti du peu de prestige qui lui restait encore pour traiter le plus avantageusement possible. L'ambassadeur d'Angleterre, par ordre de son roi, et le duc de Nevers, heureux de saisir une occasion de jouer un rôle, s'entremirent, et, le ter janvier 1616, le roi, qui arrivait à La Rochefoucauld, en Poitou, faisait répondre à une première démarche du prince de Condé qu'il consentait à ouvrir une conférence pour régler les conditions de la paix. La reine Marie de Médicis était à l'apogée de son
gouvernement. On entrait dans l'année 1616, dans
cette année bissextile qui a été aussi remarquable par les mutations
extraordinaires de l'air, que par les effets prodigieux qui eurent lieu dans
le royaume durant tout son cours[46]. II. — Disgrâce des vieux ministres. Le nouveau personnel. Au début de cette année 1616, que Richelieu a tant de raisons de trouver remarquable, puisque c'est elle qui le vit arriver pour la première fois aux affaires, le royaume était dans un état de confusion extrême. Le roi s'attardait dans les provinces de l'Ouest, retenu par les lenteurs d'un voyage d'hiver, dont la rébellion d'un grand nombre de ses sujets faisait une pénible campagne. Accompagné de sa mère, il ramenait a Paris la jeune reine espagnole, qui ne savait trop si elle devait s'étonner davantage des rigueurs du climat ou de la froideur de son jeune et taciturne époux[47]. Celui-ci passait tout son temps à galoper autour du cortège, chassant les oiseaux et les bêtes par la campagne. Il ne quittait pas un favori intime, dont les gens perspicaces commençaient à étudier l'horoscope : Luynes. Nominalement, les vieux ministres, les barbons, étaient toujours les détenteurs du pouvoir ; mais ils se disputaient les lambeaux d'une autorité que leurs discordes avaient déchirée. Sillery et les siens avaient fatigué . La reine elle-même de leur convoitise et de leur opiniâtre nullité. Villeroy avait repris une certaine influence, dont il se servait pour détruire ceux qui l'avaient abattu et pour vendre chèrement une retraite prochaine qu'il sentait devoir être définitive. Le prince de Condé avait troublé et dévasté la France entière pour aboutir à la plate demande de soumission qu'il venait d'adresser au roi, par l'intermédiaire d'un étranger, l'ambassadeur du roi Jacques. Dans cette paix de lassitude qui se préparait, chacun, comme dit Richelieu, cherchait, par une émulation de vices, à qui prostituerait sa fidélité à plus haut prix. Princes, gentilshommes, soldats, gens de robe, Français, étrangers, catholiques, protestants, tout le monde était agité, sans qu'on pût distinguer nettement les causes de cette agitation. Chacun cherchait à deviner l'avenir, à prendre une position avantageuse, dans les camps qui se disputaient le succès. Mais les calculs étaient pleins d'erreurs, et les plus attentifs n'étaient pas sûrs de leurs déductions. En gros, cette foule houleuse se divise en deux courants : l'un qui se porte vers les alliances espagnoles et la politique catholique, l'autre qui s'en éloigne. Mais des remous particuliers, des dérivations inattendues, des contre-courants cachés troublent sans cesse ce flot tumultueux. Les sentiments individuels, les passions privées, une étroite et ardente psychologie de cour excitent les esprits, échauffent les courages et mêlent les intrigues. Amours et haines, rivalités et jalousies, points d'honneur et vengeances de famille, rages froides ou colères éclatantes, coups de tête soudains, longs desseins raffinés, bravades imprudentes, malentendus, brouilles, raccommodements, ces impulsions, ces actes et ces gestes s'entrecroisent, se choquent, et l'on voit soudain, dans l'obscure mêlée, surgir, au bout d'un bras, l'éclair d'une épée, sous un panache une figure tragique, ou un sourire resplendir sur un visage de femme[48]. Dans une cour où une reine commande, où la principale actrice des événements est une favorite, où les Italiens ont apporté leur sens aigu du jeu des passions intérieures, dans ce milieu où des prêtres au geste doux, et des vieillards aux paroles ouatées, renouent sans cesse des fils rompus trop souvent par la brutalité des hommes d'action, il n'est pas étonnant que les femmes aient joué un grand rôle. Ou les admettait, à la suite de la reine mère, dans les réunions où les destinées de l'État se discutaient si futilement. On s'était étonné, d'abord, de leur présence. On remarquait que cela n'arrive pas dans les autres pays, où, les femmes étant plus particulières et nourries seulement dans les choses de leur métier, elles ne peuvent pas prendre tant de connaissance des affaires publiques. Mais on se consolait en pensant que, laissées au dehors, elles feraient encore plus de mal : car, étant ordinairement ambitieuses et vaines et ne se trouvant pas assez considérées tant que les choses demeurent dans l'ordre, elles font le plus souvent tout ce qu'elles peuvent pour le troubler[49]. A partir de février 1616, cette agitation a pour centre la petite ville de Loudun. Tous les princes rebelles s'y étaient réunis ou y avaient envoyé leurs représentants. La cour avait délégué ses ministres et ses hommes d'État : Villeroy, Pontchartrain, le maréchal de Brissac, l'illustre de Thou. Tous les mécontents, tous les ambitieux, tous ceux qui avaient à réclamer, à espérer ou seulement à se plaindre, étaient accourus. Les intermédiaires, les officieux, les donneurs d'avis, les inutiles, les agités étaient là On y rencontrait des soldats de fortune, des diplomates, des espions, beaucoup de moines. Tout ce monde était aux écoutes de ce qui se faisait dans la salle de la comtesse de Soissons où les princes et les ministres royaux se réunissaient. Les problèmes qui se traitaient autour de cette table auraient pu donner au débat une haute gravité. Mais l'action se rapetissait à la taille des acteurs et la négociation dégénérait en marché. A ce niveau, elle ne présente pour l'histoire qu'un intérêt restreint, et nous ne retiendrons, des résultats obtenus par la patience et la longanimité des commissaires royaux, que quelques faits précis[50]. Les princes, en somme, étaient vaincus. La rébellion sentait son impuissance, même en présence d'une régence malhabile et d'un gouvernement médiocre. Au contraire, le pouvoir reprenait confiance en lui-même et en ses forces. Le cap était franchi. La reine mère ne considérait plus comme aussi redoutable le péril devant lequel elle avait toujours tremblé, à savoir la coalition de tous les mécontents sous la conduite des grands. Elle commençait à prendre plus de confiance en l'avenir de son gouvernement. Assurément, ce n'était pas le jeune roi, tout à ses chasses et à ses favoris, qui pouvait songer à disputer le pouvoir qu'on exerçait en son nom. Quant aux vieux ministres, leur temps était fini. Villeroy servait encore à Loudun, mais diminué, vieilli, fâcheux aux princes, dont il combattait les convoitises, fâcheux à la cour qu'il soumettait à un régime de concessions de détails et de blessures d'amour-propre plus pénibles peut-être que des sacrifices plus importants. Sillery avait mené, sous main, une intrigue obscure avec les princes. La reine en avait eu vent et elle couvait, en silence, le projet de se débarrasser de lui et de toute sa séquelle. D'Épernon, dépité et malade, restait à, boucler dans sa province. Guise n'avait jamais été qu'un nom et une figure. En somme, il ne restait plus personne debout de l'ancien gouvernement. Tel était le résultat de ce voyage et ]'œuvre de cette astucieuse Léonora que de Thou, narrateur classique de ces intrigues, accable du surnom de Caniche. Elle avait mis à profit l'absence de son mari pour élever à celui-ci un piédestal sur lequel la fatuité de l'Italien n'avait qu'à se dresser[51]. Elle n'était pas seule pour cette tâche. Dès cette époque, elle est entourée d'un groupe d'hommes nouveaux qui la dirigent ostensiblement. On le voit bien à un détail qui marqua l'issue de la conférence de Loudun. Les négociations traînaient, à l'occasion d'une demande des princes, visant directement le maréchal d'Ancre. Coudé, qui avait jeté par-dessus bord nombre de ses amis, n'en avait pu faire autant de Longueville. Celui-ci, homme obstiné, avait déclaré qu'il ne ferait sa paix qu'à la condition que la question des places de Picardie fût réglée en sa faveur. On eut beau lui offrir les compensations les plus brillantes ses amis eurent beau insister et prendre la peine de lui dévoiler ses véritables intérêts ; il dit et répéta qu'il y allait de son honneur, qu'il ne voulait pas manquer à ses chers Picards, et il se buta. Que devait faire le maréchal d'Ancre ? On crut qu'il allait tenir bon de son côté. Maitre de l'esprit de la reine, fort de la lassitude générale, il l'eût emporté. Mais Léonora quitta la cour en toute hâte. Elle accourut à Paris, fit venir son époux et lui conseilla un habile désintéressement. Par là, elle mettait la dernière main à ]'œuvre de captation entreprise depuis si longtemps. La reine mère se montra à la fois touchée et furieuse de l'étendue du sacrifice. Elle s'irrita contre les princes qui, en se montrant si cruellement exigeants, la frappaient dans ses plus chères affections et contre les ministres qui l'acculaient à des concessions humiliantes. Concini adressa à la reine une belle lettre rendue publique où il n'était question que de la paix et, du bien de l'État[52]. Il est superflu d'ajouter qu'il reçut, par ailleurs, les plus généreux dédommagements[53]. Tout cela est trop adroitement combiné pour qu'on n'y reconnaisse pas une autre pensée que celle qui, jusque-là, avait réduit les vues de Concini à un simple travail d'enrichissement personnel. Le choix du moment propice qui assurait à la reine une autorité indiscutée, l'adroite mise en œuvre de la fortune politique du favori, tout indique une main plus hardie, une conception plus ferme. C'est le moment, en effet, où l'on commence à distinguer, auprès des Concini, quelques silhouettes encore obscures, . mais qui bientôt apparaitront en pleine lumière ; parmi elles, on voit se profiler, dans l'ombre, la barbiche pointue de l'évêque de Luçon. Dolé, avocat au Parlement de Paris, était, au début, l'homme d'affaires des deux Italiens ; il devint bientôt leur confident. Sa compétence s'était étendue des intérêts d'argent aux questions politiques. Marie de Médicis, dès qu'elle devint régente, l'avait choisi pour son fondé de pouvoirs général et lui avait donné une place dans le conseil. En 1612, il avait été compromis, avec un certain Magnat, dans une affaire des plus louches, d'où il parut résulter que le duc de Savoie entretenait avec Concini une correspondance où les secrets de la politique française étaient bien mal gardés. L'affaire fut étouffée, grâce à un habile avertissement donné par Bassompierre au marquis d'Ancre. Magnat seul paya pour tous et fut pendu en place de Grève[54]. Il y avait donc, entre l'avocat et le favori, un de ces cadavres qui sont des liens mystérieux et terribles pour ceux qui en partagent le poids. Concini avait fait la fortune de Dolé. En 1613, il l'avait appuyé pour la charge de procureur général au Parlement de Paris. Le chancelier de Sillery s'était mis à la traverse et devait, par la suite, payer cher cette intervention. Villeroy s'était également fait un adversaire de Dolé. En 1614, il l'avait empêché de devenir contrôleur général des finances. Les barbons devinaient-ils, dans ces jeunes ambitieux, leurs futurs successeurs ? Dole était pour les mesures énergiques et, dès 1615, il
avait conseillé, le premier, l'arrestation de Condé. Dans toute la négociation
de Loudun, il s'était montré hostile aux concessions. II était au comble de
la faveur, en mars 1616, quand il mourut subitement, au moment où il touchait
aux plus hautes destinées. Son caractère et. sa courte fortune sont indiqués
eu quelques mots par de Thou, quand il parle de ses emportements
et brutalités, et par Arnauld d'Andilly, qui écrit dans son journal le
30 mai 1616 : Mort de M. Dolé à quatre heures du
matin. Il avoit été malade quatorze jours. Lorsqu'il tomba malade, la reine
se confiait en lui des affaires d'État plus qu'en nul autre... Il était au plus haut point de sa faveur et de ses
espérances. Il se jugea mort le second jour de sa maladie et fit son bonjour.
Il a laissé huit enfants[55]. Claude Mangot était aussi un avocat, mais d'un autre caractère, plus doux, plus souple et plus honnête. Le président Gramond dit de lui : vir probus et, quod in aula rarum, incorruptus. Il appartenait à une excellente famille de robe. Son père était de Loudun et, par cette origine, avait peut-être quelque accointance avec les Plessis-Richelieu. Ce père était un avocat illustre et dont Loysel parle avec éloge dans son Dialogue. Il avait eu un frère aîné, Jacques Mangot, qui était mort jeune et dont la perte fut pleurée dans les termes les plus touchants par l'élite de son temps, les Pasquier, les Loysel, les Du Vair, les d'Espeisses : Il n'avait que trente-six ans lorsqu'il décéda et n'eut eu son pareil soit en probité et intégrité, soit en science et en connaissance de toutes bonnes lettres, s'il eût vécu... En un corps qui semblait assez frêle, il y avait des muscles et des nerfs bien forts et un très bon sang. Son frère Claude avait de ce même sang dans les veines. Pourtant, il avait aussi rendu des services au maréchal d'Ancre. Commissaire dans ce même procès de Magnat, il avait dirigé la procédure de façon que le marquis et Dolé sortissent indemnes. Le favori l'envoya en mission en Savoie, puis le fit nommer premier président au Parlement de Bordeaux ; il devait en faire, bientôt, un secrétaire d'État, un garde des sceaux. Sa capacité ne parait pas avoir été suffisante pour ces grands emplois. Après la chute du maréchal d'Ancre, il devait rentrer au conseil d'État et, dans une situation plus modeste, rendre, toute sa vie, de sérieux services à l'homme qui avait été un instant son collègue dans le ministère, le cardinal de Richelieu[56]. Bullion, autre parlementaire d'origine, était une tout autre espèce d'homme. Bas de jambes, demi-bossu, rabougri, bon vivant, Bourguignon, aimant la table et le bon vin, homme de plaisanterie gauloise et de franche lippée, insinuant, adroit, tout à tous, avec beaucoup de flair, de savoir-faire et de présence d'esprit, c'était, en somme, un drôle assez plaisant, un de ces hommes qui, par les coulisses, finissent par se glisser sur la scène. On le plaisantait ferme. Tallemant nous dit qu'un poète l'avait comparé à un baril bien plein et qu'on l'appelait familièrement le petit cochon. Il parait qu'avec cette sorte de figure, il avait de grands succès auprès des femmes. Il se servait de ce moyen, comme des autres, pour pousser sa fortune. Il était parent de Sillery. Enveloppé dans sa disgrâce, il sut se retourner ; c'est vers cette époque qu'il fit la connaissance de l'évêque de Luçon et qu'il se mit à lui rendre des services obscurs que l'autre n'oublia pas. Il resta, toute la vie, un des plus dévoués serviteurs du ministre, souvent son conseiller, souvent aussi son souffre-douleurs, car le grand homme avait la plaisanterie un peu rude. Placé, plus tard, à l'administration des finances, il prouva que, dans cette tête bizarre, il y avait de l'acquis, de la fidélité, une réelle aptitude aux affaires. Il soutint le fardeau des difficultés financières, suite de la politique de Richelieu, avec une capacité pratique qui fit de lui un auxiliaire utile et, au second rang, un bon serviteur de l'État[57]. De ces divers personnages, le plus intéressant, à coup sûr, était Claude Barbin. De tous, il était le plus mince au début, le plus considérable à la fin. Sorti d'on ne sait où, il était, sous Henri IV, procureur du roi à Melun. Quand Léonora venait à Fontainebleau, il lui portait des fruits de son jardin, lui donnait la collation et la gagnait par mille petits soins. Puis, il avait quitté la magistrature, s'était jeté dans les affaires des partisans, avait manié l'argent et les hommes, s'était approché peu à peu des grands, enfin s'était introduit, par son ancienne amie, dans la faveur de Marie de Médicis. On le trouve, vers 1611, intendant des finances de la reine mère. Il devait l'aider, elle et son entourage, dans les placements d'argent et dans ces espèces de spéculations dont les Italiens, gens âpres et imaginatifs, ont toujours eu le goût. Une fois dans la place, il avait pris, par les qualités de son esprit et de son caractère, un grand empire sur les deux femmes. Il n'y a qu'un avis sur lui. Amis et adversaires, le reconnaissent pour un homme énergique, intelligent et probe. Au milieu de toutes les tentations de la vie de cour et parmi les chemins tortueux qu'il avait dû suivre, il avait conservé de la droiture dans l'esprit et dans le cœur ; comme on disait en ce temps-là, il avait les mains nettes. Brienne dit : Quoique d'une naissance très basse, il avait l'esprit fort relevé. Arnaud d'Andilly dit : Il n'avoit point d'acquis, mais c'étoit un homme de très grand sens et très judicieux, qui avoit les mains très nettes et qui ne se prévenoit point, ce qui est une qualité si rare que je l'ai remarquée en peu de personnes. Richelieu dit à son tour : Barbin, homme de bon sens, mains nettes et courageux. Ce sont là des éloges ! Barbin les méritait ; nous le verrons à ses actes. Il fut, pendant quelque temps, un des hommes les plus considérables du royaume : Son logis était ordinairement plein de financiers, partisans, solliciteurs de pensions et de gens qui avaient besoin d'intervention près des puissances souveraines. Il n'exerçait pas seulement la charge de surintendant des finances sous le nom de contrôleur général, il était plus puissant que nul autre dans les affaires. Cette autorité, il paraît bien avoir eu le dessein de l'employer à la réalisation d'une conception politique mûrement délibérée. Il était l'âme de la petite cour qui s'était servie de l'influence des Concini pour s'emparer de l'esprit de la reine mère. Une fois maître de la place, il voulait, en inspirant confiance, restaurer l'idée gouvernementale, réagir contre la politique de déférence et d'abandon, mater les princes et les rebelles, au besoin par la force, assurer au pouvoir un lendemain. Il se trompait dans ses calculs, puisque ni la reine ni Concini ne lui offraient des appuis assez résistants et qu'il n'avait pas vu qu'au moment où on développait l'autorité monarchique, il fallait, avant tout, tenir compte de la volonté personnelle da monarque. Mais l'attitude qu'il prit, et les indications qu'il laissa eurent, du moins, pour résultat de préparer aux mêmes idées et de former, pour des entreprises analogues, un homme dont son amitié allait bientôt faire un ministre, le jeune évêque de Luçon. Les relations de Barbin et de Richelieu sont un des épisodes les plus curieux et les plus obscurs de la vie du grand cardinal. Ils s'étaient connus chez Denys Bouthillier, quand Barbin était encore procureur du roi à Melun. Leurs ambitions chassaient donc ensemble depuis fort longtemps. Les esprits et les caractères se plaisaient. L'intimité fut telle entre eux que Richelieu aurait voulu faire de Barbin son beau-frère. Barbin eut, le premier, une réelle autorité à la cour. Il prit l'évêque par la main et le présenta à Léonora d'abord, puis à Marie de Médicis. A la première occasion, il fit, de son ami, un ministre. Il ne jalousait ni ne craignait l'incontestable valeur de celui qu'il introduisait ainsi dans les hauts emplois. A la mort du maréchal d'Ancre, Barbin, étant le véritable chef du ministère, fut le plus frappé. On le mit à la Bastille et il perdit tout. Richelieu, moins compromis et plus souple, tomba d'une chute amortie, puis inspira une demi-confiance à Luynes et resta près de la reine mère. Harbin, délivré seulement en 1623, fut envoyé en exil. Louis XIII ne lui pardonna jamais le rôle qu'il avait joué près du maréchal d'Ancre. Richelieu, redevenu ministre, resta- t- il fidèle à son ami ? Les paroles et les protestations, de sa part, ne manquent pas. A diverses reprises, il intervint auprès du roi. Mais on sent, dans son attitude, une sorte de gêne et d'embarras. C'est que la différence entre les deux destinées était grande : l'un pauvre, banni, réclamant, avec une sorte de fierté hautaine, des services que l'autre n'osait ou ne voulait lui rendre. L'hostilité persistante de Louis XIII était-elle le seul motif de ses hésitations ? Richelieu craignait-il seulement de se compromettre ? Cette explication, à la rigueur, peut suffire. Il est inutile de rechercher s'il n'y avait pas, tout au fond, dans cette âme soupçonneuse, comme une sorte de méfiance et d'inquiète ingratitude à l'égard d'un homme dont l'esprit supérieur avait peut-être, au début, étonné le génie de l'élève devenu maitre à son tour[58]. III. — L'évêque de Luçon, de mars 1615 à décembre 1616. Dans le groupe politique qui se pressait autour de Marie de Médicis et de Concini, l'évêque de Luçon lui-même n'apparait qu'assez tardivement ; il faut dire, maintenant, en quelles circonstances il s'y était fait une place. A la clôture des États, qui avait eu lieu le 21 mars 1615, Richelieu était resté sur son beau succès oratoire et sur les éloges qu'il lui avait valus, notamment dans le monde épiscopal. C'était une force, à cette époque, que l'adhésion du haut clergé. Richelieu en conçut un juste sentiment de fierté, une confiance nouvelle en sa valeur et en son avenir. Mais il semble qu'il éprouva, en même temps, comme une sorte de surprise du peu d'empressement que mirent la cour et les ministres à recourir à lui. Le monde politique apprécie mal le genre de mérites dont Luçon se targuait alors : les petites besognes et les petites passions l'absorbent presque toujours ; les grands talents ne l'intéressent que quand ils consentent à se mêler à ses jeux. Une fois les États terminés, personne à la cour ne songea plus à l'évêque de Luçon. Une de ces crises de fatigue et d'abattement qui accompagnent généralement en lui les grands efforts, l'éloigne alors de Paris. Il va chercher un refuge dans son prieuré de Coussay[59]. C'est là que viennent le trouver les protestations de ses admirateurs, — presque tous ecclésiastiques, — et des offres de concours, où il devait pourtant discerner les premiers indices d'une autorité naissante. Ce sont, d'abord, des lettres de Duvergier de Hauranne,
qui, dans un style où le siècle et la théologie se confondent, lui écrit : Je vous prie bien humblement, Monsieur, de croire que je
n'ay point de plus grand dessein que de vous faire paroitre que je participe
autant de l'immobilité des anges en la volonté que j'ay de vous servir, que
je confesse avoir un esprit subordonné au vôtre[60]... C'est ensuite
le propre frère de Richelieu, Alphonse, qui, d'un ton un peu maussade, se
joint au concert : Un de vos amis m'a fait voir la
harangue qu'avez faite à la clôture des États. Je loue Notre-Seigneur qu'elle
vous ait réussi à votre contentement, ayant été assuré qu'elle a été fort
agréée d'un chacun[61]. C'est l'évêque
de Nantes, qui, venu à Paris pour prendre part aux travaux de l'assemblée du
clergé, soumet avec empressement à son collègue les résolutions vigoureuses
prises par un grand nombre d'évêques sur une matière des plus importantes, et
qui avait été traitée dans le discours prononcé devant les États : la
réception en France du concile de Trente. Nous ne
faisons, dit l'évêque, que suivre, en tout,
la trace de l'assemblée des États... Nous
avons fait résoudre entre nous qu'au cas que le roi nous refusât la
publication du concile sur laquelle nous insistons, nous la ferions en nos
conciles provinciaux et tâcherions de la faire observer en nos diocèses. Mais
il s'y trouve bien des difficultés... Je vous
écrirai par le menu tout le progrès qu'aura pu faire cette affaire, la plus
grande et la plus importante qui soit pour le rétablissement de la gloire de
Dieu en ce royaume. Dans cette même lettre, l'évêque de Nantes
témoigne à celui auquel il rend compte du désir qu'a
toute la compagnie de vous gratifier et testifier l'estime qu'elle fait de
vos actions... M. de Bourgueil et moi,
ajoute-t-il, nous sommes vos petits disciples.
Et enfin, il fait l'allusion la plus délicate à l'intimité qui lie l'évêque
d'Orléans, l'Aubespine, à l'évêque de Luçon. Nous allons voir comment celui-ci
en usait avec cette amitié[62]. Vers cette même époque, en effet, il recevait une lettre qui émanait encore d'un ecclésiastique, mais qui devait avoir pour lui, une tout autre saveur. Le signataire était Bertrand d'Eschaux, évêque de Bayonne. Il avait avec lui des relations déjà anciennes. Très lié avec Duvergier de Hauranne, avec Jansénius, avec La Rocheposay, Bertrand d'Eschaux appartenait à cette étroite intimité des amis de la première heure que nous avons vus se grouper autour des deux évêques de Poitiers et de Luçon. Il avait un pied à la cour. Béarnais, de très bonne souche, il était aumônier du roi. C'était un esprit cultivé, mais original, avec des manières et un langage gascons qui prêtaient un peu au ridicule. Il allait être nommé bientôt à l'archevêché de Tours, et ne devait manquer, plus tard, le chapeau de cardinal que par suite de l'opposition qu'il rencontra chez son ancien ami, Richelieu. Il vécut très vieux et resta jusqu'au bout très amoureux des belles-lettres et des belles personnes[63]. Or, c'est lui, dans les circonstances que nous allons dire, qui ouvrit à l'évêque de Luçon le chemin des grands emplois. Celui-ci reçut, en effet, à Coussay, dans les premières semaines du mois d'août 1615, une lettre où le bon évêque de Bayonne se perdait d'abord en compliments infinis : Si ma plume était autant diserte pour vous extoller selon votre mérite que vous êtes bien puissant pour, par une profonde humilité et grande modestie, vous rabattre vous-même jusqu'au centre de la plus grande inanition que l'on peut imaginer, l'odeur de vos rares et singulières qualités serait plus répandue, à tout le moins en notre France... Mais, n'étant pas de ceux que le sort a voulu produire pour éloquens, il faut que je me contente de vous dire, sans cajolerie quelconque, que vous êtes autant aimable qu'estimable... et que tout ce que vous croyez trouver de bon en moi sera toujours employé uniquement à vous témoigner de mon amour et de mon estime... Puis, il en venait au fait, et le fait était au moins des
plus curieux. Il n'était question à la cour que de la prochaine conclusion
des mariages espagnols. La reine mère se préparait à partir pour Bordeaux. On
prenait les dispositions nécessaires pour l'arrivée prochaine de la jeune
reine : on montait sa maison ; on pourvoyait au personnel qui devait
l'entourer ; il fallait, tout d'abord, nommer son aumônier. On avait mis en
avant le nom de l'évêque d'Orléans, Gabriel de l'Aubespine, homme instruit,
distingué, appartenant à une excellente famille et soutenu probablement par
les Villeroy, ses amis et alliés. Les choses avaient été très loin, puisque
le brevet avait été préparé et remis entre les mains de la reine mère. C'est
ici qu'il faut laisser parler l'évêque de Bayonne, en débarrassant un peu son
langage des aspérités béarnaises : Vous avez pu
reconnaître par une précédente lettre que je ne voudrais, en aucun temps,
vous suggérer des persuasions au préjudice de vos amitiés et habitudes, et
que je ne serais jamais, si je ne perds le sens, auteur à qui que ce soit de
commettre une lâcheté : mais là où, sans crime et sans reproche, je pourrai
veiller pour le bien et avancement de mes amis, je serai loué d'une voix
commune. Quand je vous écrivis dernièrement en quel état étaient les affaires
de cour, pour le regard de M. d'Orléans, notre commun ami, c'était lorsque,
contre mon avis, l'on tenait ses affaires (c'est-à-dire
sa candidature) pour ruinées et du tout
perdues, et c'était pour cela que je désirais que vous approchiez de Leurs
Majestés pour voir si l'on ne serait pas autant aise de se servir de vous que
de toute autre personne de notre robe et condition... Assez tôt après ma lettre, ses affaires furent en bon et
désirable train ; on lui expédia même et lui délivra le brevet de retenue du
grand aumônier de la reine qui vient. Mais quelle sorte de fortune maligne
préside à ses destinées ! Car la reine, avec une vivacité non pareille et
colère extraordinaire et bien contraire à sa débonnaireté habituelle, s'est
fait rendre le brevet... Or, moi seul et M.
de Loménie, qui avait expédié et délivré le brevet, nous avons pu constater
la grande satisfaction et, s'il est loisible de le dire, l'apaisement de
colère avec lequel elle le fourra dans sa pochette avec un changement de
visage et un mouvement si prompt qu'il ne peut y en avoir d'autre cause que
ce que dit le poète : Tantæ ne animis cœlestibus iræ. Au récit de cette scène animée, dont la divulgation n'allait pas salis quelque péril pour un courtisan, l'évêque ajoute que le marquis de Richelieu et lui-même ont pensé qu'il y avait là une occasion à saisir pour frayer le chemin à la candidature de l'évêque de Luçon, et il termine par cette phrase, qui est une preuve de la :profonde dissimulation dont Richelieu s'enveloppait même à l'égard de ceux qui travaillaient pour lui : Monsieur de Richelieu et moi, l'un par nature et l'autre par mie ferme résolution de ne mettre jamais à nonchaloir votre service, nous sommes résolus, contre votre humeur par trop, à l'aventure, stoïque, de faire la guerre à l'œil pour voir si nous pourrions donner quelque atteinte utile et honorable pour vous. Et ne m'alléguez pas votre bâtiment de Luçon : nous savons mieux que vous-même, ne vous déplaise, ce qui vous convient pour cette heure. Deux mots suffiront pour faire connaitre l'issue prochaine de cette intrigue. L'Aubespine fut écarté, et Richelieu nommé aumônier de la jeune reine. Il devait se servir de cette situation pour pénétrer auprès de Marie de Médicis et pour prendre sur elle l'ascendant qui régla le cours de leurs destinées. Mais ce sont là des conséquences que le bon d'Eichaux, évidemment, ne pouvait prévoir[64]. Cependant Richelieu persévérait dans sa retraite. Il écrivait peu, sauf aux ecclésiastiques et à des personnes édifiantes ; il était plongé dans de vastes travaux théologiques ; il demandait à son libraire, Cramoisy, des livres d'étude : J'ai apporté deux livres de Parceus contre Bellarmin, l'un De amissione gratiæ et statu peccati, l'autre De libero arbitrio ; il en reste un troisième du même auteur De justificatione contra Bellarminum. Il lui faut ces livres, d'autres encore, tout ce qui parait sur ces matières. C'est un docteur grave, penché sur ses papiers, et qui ne relève pas la tête. S'il se déride parfois, c'est toujours en compagnie peu frivole et sur un ton qui sent son évêque résident. Il écrit à Zamet, évêque de Langres : Je m'imagine que, maintenant, vous ne respirez que sainteté et que tous vos ragoûts sont spirituels... Je souhaite tous les jours que vous soyez si bon courtisan qu'allant à Bayonne, je puisse vous attraper au passage ; mais je crains bien que le zèle d'un bon pasteur vous arrête. Si Mgr le nonce fait ce voyage, je perdrai mon latin ou je le régalerai, non selon son mérite, mais selon la portée d'un misérable pays où je m'assure pourtant qu'il trouvera quelque divertissement[65]. Ou bien encore c'est un terrible coup de boutoir envoyé à
quelque officieux intempestif, futur pamphlétaire à ses ordres, qui lui avait
donné on ne sait quel sujet de mécontentement. Voyez comme le caractère se
découvre et devient brutal avec les inférieurs : Monsieur,
vous auriez raison de vous plaindre de moi et de me comparer aux amis de Job
si vous étiez innocent et patient comme lui ; mais n'ayant ni l'une ni
l'autre de ces qualités, n'appelez pas persécution ce qui n'est que
remontrance charitable et fraternelle... Vous
n'ignorez pas l'opinion, téméraire je le veux bien, qu'un certain nombre de
courtisans ont eue de vos actions, estimant que ce fut maquerellage d'être
ambassadeur du roi Henri IV vers la marquise (de Verneuil), ou de vous entremettre
entre lui et Mme de Moret au temps de ses plus fortes passions... Quoi qu'il en soit, l'opinion que l'on a de votre esprit
et les charges dont il a plu à la reine m'honorer me défendent d'entreprendre
aucune sorte de commerce avec vous, ni de vous en donner avec M. des Roches ;
mais, usant de charité avec vous, comme j'ai toujours fait, et connaissant
que l'humeur peccante qui vous dominait lorsque vous étiez ici abonde encore
par trop en vous, je vous conseille de prendre une dose d'ellébore et d'user
quelque espace de temps de lait clair pour tempérer cette grande chaleur et
rabattre les vapeurs que vos viscères vous envoient au cerveau. La
raillerie est vraiment charmante, et le correspondant de Richelieu devait en
goûter tout le sel[66]. La cour cependant s'acheminait vers Bordeaux. Elle venait d'elle-même au-devant de l'évêque volontairement confiné dans sa province. Il boude encore ; il attend l'effet de certaines promesses, auxquelles il devait faire allusion un peu plus tard quand elles furent réalisées. Cependant, il se décide à quitter son prieuré de Coussay et à venir saluer le roi et la reine, quand ils passent tout près de lui, à Poitiers. C'est là, probablement, vers la mi-septembre 1615, qu'il reçut de la reine mère des paroles décisives pour la charge d'aumônier de la future reine. La cour avait été obligée de s'arrêter assez longtemps dans cette ville, en raison d'une légère maladie survenue à la jeune princesse qui allait vers la frontière pour devenir la femme de l'infant. Le roi et la reine prirent même les devants et laissèrent la convalescente à Poitiers. C'est Richelieu qui donne à la reine mère des nouvelles de sa fille, et il le fait dans des termes qui témoignent d'une certaine intimité dans la famille royale[67]. Mais il n'accompagne pas la cour à Bordeaux, et aussitôt qu'elle a quitté Poitiers, il rentre à Coussay ; des correspondants assidus le tiennent au courant très exactement de tout ce qui se passe dans le. royaume. Son frère était mestre de camp dans l'armée de Bois-Dauphin[68]. Un de ses amis de Poitiers, M. de la Vacherie, réunissait les nouvelles et les lui transmettait, au besoin par courrier exprès. — Je vois, lui écrit-il, le 15 octobre, par celle dont il vous a plu m'honorer, que vous êtes en la même inquiétude à la campagne sur l'état des affaires présentes que nous sommes ici de quel événement on peut espérer ou craindre. Puis, ce sont des détails sur la marche de Condé, sur les protestants, sur M. de Sully, sur les amis de Richelieu, soit ceux qui se trouvent à la cour, soit ceux qui sont à Poitiers, comme Duvergier de Hauranne, dont le nom se retrouve dans ces lettres. Un autre correspondant donne, de Paris, des nouvelles intéressantes sur les événements qui se produisent en Angleterre[69]. Vers le début de novembre, Richelieu est toujours mal satisfait. Il attend avec une visible inquiétude des nouvelles de la cour. Celle-ci est à Bordeaux, depuis le 1er novembre. Le 4 novembre, le fidèle La Vacherie lui écrivait encore, répondant à sa pensée : Vous me mandez que je sais les raisons qui vous empêchent de venir ici, que vous demeurez en votre solitude pour être inutile au public. Je me figure les raisons que vous me dites, et ces mêmes raisons me feraient hésiter davantage (à vous conseiller de venir), vu que les affaires ont changé de face depuis votre départ, si d'autres raisons que vous pouvez avoir, plus particulières, ne me faisaient acquiescer à votre solitude... Je dis ceci, Monsieur, pour savoir ce que vous valez et non que je veuille, par mon insistance, heurter la solidité de vos résolutions... Cependant des nouvelles de la cour sont arrivées directement à Richelieu. Il a obtenu enfin ce qu'il désire : c'est la charge d'aumônier de la jeune reine. La décision a été prise à Bordeaux, dès le début de novembre Le 6 novembre, l'évêque écrit à la reine mère ; il lui donne force détails sur tout ce qui se passe autour de lui ; puis sa reconnaissance éclate, rejetée avec une indifférence affectée à la fin d'une lettre d'affaires : Cependant, je supplierai Votre Majesté de me permettre de lui faire voir en trois lignes que, n'ayant point de paroles assez dignes pour lui rendre grâces de l'honneur non mérité qu'il lui a plu encore me faire en mon absence, résistant de son propre mouvement à ceux qui me voulaient priver du fruit de ses promesses, je dédie toutes les actions de ma vie à cette fin, suppliant Dieu qu'il accroisse mes années pour allonger les vôtres ; que, sans me priver de sa grâce, il me comble de misères pour combler Votre Majesté de toutes sortes de prospérités[70]. Que ces paroles sont ardentes, que ces engagements vont loin, et que tout ce travail serait admirable, si les succès de l'ambition valaient une pareille dépense d'effort sur soi-même, de volonté soutenue, et d'artifice ! Le résultat acquis, rien n'est changé, en apparence, dans
la vie de Richelieu. Cette charge ne lui donne, pour le moment, aucune
autorité politique. D'ailleurs, la cour est toujours par monts et par vaux,
empêtrée dans les difficultés du voyage de retour. Le royaume est dans le
plus grand désordre. Toutes les provinces sont en proie aux hommes de guerre
: Rohan n'a pu résister à la tentation ; les protestants soulevés occupent
tout le Midi ; Condé a passé la Loire, et Bois-Dauphin n'a pas su l'empêcher
de pénétrer dans la région de l'Ouest, d'où il peut donner la main aux
protestants. Le frère de Richelieu, officier dans l'armée royale, trouve,
pour qualifier la conduite du maréchal, des accents où l'on croirait
reconnaître le vigoureux langage de l'évêque J'ai eu
tant de honte et de déplaisir d'avoir vu M. le Prince passer la rivière de
Loire à la vue de notre armée, que, depuis cette heure-là, je n'ai pas eu le
courage de vous écrire... sachant bien qu'il
ne peut y avoir d'excuse valable pour justifier cette action et, qu'en telles
occasions où il s'agit du salut d'un État, de la réputation des armes d'un
grand roi, et de la gloire qu'on y eût particulièrement acquise, les trop
grandes et prudentes considérations doivent être mises sous les pieds...
Malheureusement, les conseils de plusieurs autres
aussi bien que les miens ont toujours été combattus d'une autorité
souveraine, et la volonté que tous avaient de combattre, retenue par ses
commandements absolus[71]. Autorité souveraine,... commandements absolus, ces mots visaient les ordres venus de la cour. Les vieux ministres ne voulaient pas livrer au hasard d'une bataille le sort de leur politique d'atermoiement et de longanimité. Le roi marié, l'opposition des princes du sang, et notamment du prince de Condé, perdait de ses chances et de sa force. Ainsi, au début de l'année 1616, les esprits et les intérêts, tout se portait vers la paix. Les premières propositions du prince de Condé étaient parvenues au roi à Verteuil, chez un ami de Richelieu, La Rochefoucauld. Les conférences s'étaient ouvertes à Loudun, à quelques lieues de Richelieu et de Coussay. L'évêque est évidemment très agité. Les grands intérêts de l'État se débattent autour de lui, si près ! et pourtant. il n'y est pas mêlé directement. Il cherche une entrée, une voie d'accès près de ces chambres secrètes où vont se partager les situations, l'influence ; il ne la trouve pas. Cc sont toujours les vieux ministres qui tiennent la place et qui barrent la route. Villeroy, Pontchartrain, de Vie, de Thou, ont la charge des négociations ; et ils s'occupent bien des ambitions inquiètes de l'évêque, qui, si récemment nommé aumônier de la nouvelle reine, n'est encore un personnage qu'à ses propres yeux ! Avant d'entrer dans le fond du débat, on avait eu beaucoup
de peine à régler les conditions de la trêve. Les troupes de Condé campées
dans le pays se livraient à tous les excès. La mère de Richelieu, restée dans
son château, n'était pas épargnée[72]. Il y a quarante ans que je suis dans cette maison,
écrit-elle à sa belle-fille, et j'y ai vu passer toutes les armées ; mais je
n'ai jamais ouï parler de telles gens ni de telles ruines qu'ils font. A la
vérité, j'ai trouvé cela fort rude, car ils n'en avaient jamais logé en ce
qui m'appartenait. Encore, quand ils n'eussent fait que vivre honnêtement,
l'on ne se fût presque pas plaint ; mais ils rançonnent chacun son hôte et
veulent prendre les femmes par force. Je crois bien que la plupart de cette
armée-là pensent qu'il est un Dieu, comme font les diables. Les biens
personnels de Richelieu sont également mis au pillage. Il saisit cette
occasion, et il écrit aussitôt à Louis Potier de Sceaux, secrétaire d'État,
pour se plaindre, pour demander qu'on l'autorise à venir lui-même défendre
ses intérêts à Loudun : Je vous supplie très
humblement m'obliger tant que de savoir de Leurs Majestés s'ils ne trouveront
point mauvais que j'aille trouver, à Loudun, MM. de Brissac et de Villeroy,
pour leur représenter toutes les contraventions aux articles de la trêve et
faire en sorte que, par leur entremise, je puisse être rétabli en mon bien. C'était se glisser par une porte bien étroite : on ne la
laissa même pas s'ouvrir devant lui. Il y avait à la cour tout un parti qui
commençait à se méfier de lui et qui faisait surveiller ses démarches[73]. Aussi, en
fut-il réduit à envoyer à Tours, où le roi et la reine se trouvaient maintenant,
Charpentier, son secrétaire, qui, sous le prétexte de s'occuper des mesures
de protection réclamées par l'évêque pour ses terres et pour celles de Mme de
Richelieu, devait se mêler aux intrigues et le renseigner, jour par jour, sur
les chances d'arriver aux affaires. Vous qui êtes
sur les lieux, lui écrit Luçon, en langage
convenu, souvenez-vous que, avant de partir, il faut faire le plus d'efforts
que vous pourrez... Je sais que l'on fait une
enquête sur les raisons de votre séjour. Mais vous en avez une plausible qui
doit paraître satisfaisante... On vient de
m'écrire qu'il est question de m'établir en la place d'un grand colosse froid
comme marbre (peut-être Sillery,
peut-être Villeroy). Il faut surveiller cela
de très près. Richelieu fait aussi allusion à des amis qui travaillent
pour lui : l'abbé (probablement l'abbé de la Cochère) et un personnage très
influent qui peut me donner grande consolation en
mon attente... S'il m'écrit aussi chaudement
qu'il le fit de Bordeaux, je tiendrai véritablement l'affaire assurée,
sachant qu'ils la peuvent, s'ils veulent... Il s'agit peut-être de
Concini, ou peut-être aussi de Brienne, jeune ministre qui avait été son
correspondant à Bordeaux. Il est aussi question d'un autre personnage qu'on
appelle, assez irrévérencieusement, la Lunette
ou encore cette barbe, et qui poursuit le patriarcat du lieu où vous êtes. Il me
parait difficile de ne pas reconnaître, à ces indications, Bertrand d'Eschaux
qui, dès cette époque, postulait le siège archiépiscopal de Tours. Richelieu
n'a pas l'air de faire fonds sur l'amitié de ce grand donneur d'eau bénite de
cour[74]. Les vieux ministres étaient condamnés dans l'esprit de la reine mère, et il n'est pas étonnant que Richelieu, renseigné par ses amis, se donnât tant de mal pour attirer l'attention sur lui. Mais l'heure n'était pas encore venue. Villeroy était utile pour mettre le sceau à la négociation de Loudun. Les princes, disposés à en finir, discutaient sur deux ou trois points pour vendre plus chèrement leur adhésion finale : c'était la fameuse question de l'article du tiers, qui traînait toujours, depuis la session des États généraux, et à laquelle Condé avait attaché une importance théorique, destinée à couvrir uniquement ses réclamations d'ordre plus positif. On parla beaucoup autour de cette question avant de trouver un terrain d'entente. Enfin le prince, poussé, dit-on, par le Père Joseph, adhéra à un compromis qui donnait satisfaction au nonce du pape[75]. Nous avons dit comment une autre question non moins débattue, celle des places de Picardie, fut arrangée par l'habile désintéressement des Concini. Le prince de Condé était malade, dégoûté ; son armée se débandait ; ses partisans menaçaient de faire leur paix, l'un après l'autre. Bouillon, satisfait de ce qu'il avait obtenu, n'avait cure de la foule des réclamants qu'il avait engagés dans la querelle et qui frappaient à sa porte en désespérés. Condé signa, le 3 mai : Que ceux qui m'aiment fassent comme moi ! s'écria-t-il. Tous ceux qui l'avaient suivi n'avaient pas les mêmes raisons de conclure. Quoiqu'on eût distribué, en dons et gratifications, plus de six millions de livres, le nombre et l'exagération des de, mandes étaient tels qu'il fallut renoncer à satisfaire tout le monde[76]. Sur les conseils de Villeroy, la reine avait, une fois encore, cédé à toutes les exigences personnelles du prince de Condé. Il obtint la ville et le château de Chinon ; en échange de son gouvernement de Guyenne, celui de Berry, bien plus proche de Paris, avec la Grosse Tour de Bourges, qui passait pour une forteresse imprenable, plusieurs places à sa convenance et quinze cent mille livres d'argent comptant. Mais surtout, — grand succès moral pour lui, — un article secret disposait qu'il aurait effectivement la direction du conseil royal et le droit de signer. Pour décider la reine, hésitante, à faire ce sacrifice qui touchait à l'autorité royale et à l'honneur de la régence, Villeroy lui avait dit : Que vous importe de laisser la plume en main à un homme dont vous tenez le bras ![77] Elle avait cédé. Mais cette concession et celle qui avait été imposée au maréchal d'Ancre à l'occasion des villes picardes l'avaient touchée au cœur. Elle avait soupçonné une connivence entre ses ministres et les princes. Dans le trouble des esprits et des consciences, ces arrangements étaient habituels. D'ailleurs, l'attention de la reine était tenue en éveil par des hommes qui lui donnaient des conseils tout différents. Dolé, il est vrai, venait de mourir ; mais Barbin l'avait remplacé dans la confiance de la reine et des Concini. On commença par exécuter Sillery. La chute du pauvre homme fut lamentable. Ayant appris qu'on faisait venir, de Provence, Du Vair qu'on lui donnait pour successeur, il avait demandé quelque répit ; mais il dut obéir et remettre les sceaux au roi, en présence de la reine, à Tours, le 28 avril. Il entra si étonné et si tremblant qu'il fut contraint de s'appuyer sur Mme Catherine, femme de chambre de la reine ; il se mit à genoux, pleura et fit, en somme, toutes les actions qui peuvent témoigner un extrême défaut de résolution[78]. On le remplaça par ce fameux Du Vair, foudre d'éloquence, grande vertu, grande barbe, et capacité médiocre, qui réservait à ses protecteurs actuels de promptes désillusions. Pour les autres ministres, on attendit encore. Richelieu, qui était aux écoutes, écrit : L'éloignement du président Jeannin et de M. Villeroy était déjà aussi résolu, mais ce dessein n'éclatait pas encore, Harbin, à qui la reine avait donné la charge du premier, ayant cru devoir différer de la recevoir jusqu'à ce que Leurs Majestés fussent de retour Paris et la paix bien assurée[79]. Cette période d'incertitude, imposée par la prudence et le sang-froid de Barbin, dut paraître bien longue à l'évêque de Luçon. La cour s'éloignait lentement des provinces de l'Ouest. Léonora Galigaï était, depuis plusieurs semaines déjà, rentrée à Paris. Luçon n'y tint plus : quoique malade encore, il quitta Coussay et vint à son tour s'installer à Paris, en son domicile de la rue des Mauvaises-Paroles, qu'il avait fait aménager pendant son absence pour une installation définitive[80]. C'est de là que, à peine arrivé, il adresse à la reine mère une lettre où, pour qui sait lire entre les lignes, apparaissent les divers sentiments qui l'agitent. Sûr déjà d'une sorte d'intimité, sachant qu'on apprécie et qu'on recherche ses conseils, il se plaît à les faire attendre, tout en s'excusant, dans les termes les plus humbles, dé ne pouvoir être près de la reine mère et en alléguant des prétextes de santé : Le déplaisir que j'en ai est indicible ; mais ce qui me console est la connaissance que j'ai de ne lui être pas seulement nécessaire (à la reine), mais qui plus est utile, le secours que Votre Majesté tire en ses affaires de sa propre tète étant plus que suffisant et le meilleur qu'il puisse y avoir pour les faire réussir[81]. IV. — Le ministère Concini-Barbin. - L'Évêque de Luçon devient secrétaire d'État. Jamais, au contraire, la reine n'avait eu davantage besoin d'être dirigée. Par la loi fatale de son intimité avec les d'Ancre, elle était amenée à leur abandonner le pouvoir. Mais, en revanche, elle sentait que, partout, la résistance s'organisait sourdement contre ses favoris. Ce n'était plus seulement le parti aristocratique, vieil adversaire dont l'inépuisable prodigalité des deniers publics finissait toujours par avoir raison : c'était l'opinion publique, très montée et dont l'excitation se traduisait par une véritable grêle de pamphlets ; c'était le peuple, dont les sentiments naturellement hostiles aux étrangers étaient surexcités par les bruits de magie et de sorcellerie qui circulaient sur les Concini et sur leur entourage, et par une sorte de campagne mystérieuse où se confondaient la haine du pouvoir, celle des juifs et celle des Italiens[82]. Un incident assez peu important en soi, mais grave par l'état d'esprit qu'il révèle, avait découvert, au moment même où Concini touchait à l'apogée de sa fortune, ces dispositions fébriles et nerveuses du peuple de Paris. Le 2 avril, quelques jours après le retour du maréchal d'Ancre, comme il se rendait en carrosse à sa mai : son du faubourg Saint-Germain, la garde de la porte de Buci l'arrêta, l'ordre étant de ne laisser sortir personne sans passeport. Les gentilshommes de la suite se récrièrent et dirent que c'était le maréchal. Mais la garde tint bon, et le sergent du quartier, un cordonnier nommé Picard, lui dit assez insolemment qu'on ne le connaissait pas et qu'il n'avait qu'à se conformer à la consigne. Concini et ses gens le prirent d'abord de très haut ; mais la foule s'ameuta : elle soutint le cordonnier, et le maréchal dut se retirer dans une mai- son voisine. Richelieu fait observer avec raison qu'un seigneur français, né dans un climat plus bénin, eût oublié cet incident. Concini, lui, garda au cœur le souvenir de l'affront et le désir de la vengeance. A quelque temps de là, le cordonnier Picard fut attaqué par deux estafiers du maréchal, qui le rouèrent de coups et le laissèrent pour mort sur la place. Les deux hommes furent arrêtés. Le maréchal eût voulu les sauver. Mais le peuple s'émut ; les magistrats tinrent bon, et les coupables furent exécutés en place de Grève, le 2 juillet. Depuis cet événement, entre le favori et le peuple de Paris il y avait hostilité déclarée[83]. Des symptômes plus graves encore se produisaient en un point plus dangereux. La reine avait cru reconnaitre à de vagues indices que le roi, son fils, n'était plus le même à son égard. Affectueux, il ne l'avait jamais été. Mais il semblait que, de jour en jour, il perdit quelque chose de son respect et de sa déférence. Il grandissait. L'enfant taciturne devenait un adolescent dissimulé et froid. Pourtant, on avait, avec une application soutenue, écarté de lui tout ce qui pouvait l'inciter à exercer prématurément son métier de roi. Saint-Simon, écho des souvenirs de son père, traduit en quelques lignes, peut-être un peu trop énergiques, l'impression que cette éducation avait laissée à Louis XIII lui-même : Il fallait, à cette régente, un fils qui n'eût que le nom de roi et dont la majorité ne troublât point la puissance de ses favoris. Aussi fut-il élevé avec les précautions les plus convenables à remplir leurs vues et conséquemment les plus nuisibles au prince. On le laissa croupir dans l'oisiveté, dans l'inutilité et dans une ignorance si parfaite de tout, qu'il s'est souvent plaint à mon père, dans la suite, en parlant de son éducation, qu'on ne lui avait même pas appris à lire. On eut soin d'écarter toute cour de lui. C'était un crime si connu et si redouté. d'approcher seulement de son appartement, qu'il ne s'y voyait que quelques valets bien choisis par ceux de sa mère et qu'on changeait dès l'instant que les inquiétudes de ceux qui gouvernaient la reine prenaient le plus léger ombrage[84]. Comme gouverneur et comme précepteur, le roi avait eu, en quelques années, le maréchal de Souvré, vieux soldat loyal et droit, mais qui parait avoir été de peu de moyens et d'influence médiocre ; un poète bel esprit, Vauquelin des Yveteaux, renvoyé de bonne heure ; un vieil helléniste qui lui faisait expliquer l'Institution de l'empereur Basile, et un autre savant modeste, M. Fleurance. Tout ce monde avait reçu un seul mot d'ordre : laisser le jeune roi s'abandonner à des divertissements qui prenaient tout son temps. Sa principale occupation était la chasse. Il chassait le lundi, le mercredi et le samedi ; et s'il n'y avait point d'empêchements importants, il chassait aussi les autres jours, dit naïvement le narrateur des hauts faits de sa fauconnerie, le sieur d'Esparron. Ses oiseaux au poing, ou galopant derrière ses meutes, il battait, par tous les temps, les plaines et les forêts des environs de Paris. Nous pouvons en croire encore le sieur d'Esparron, quand il affirme que jamais on ne chassa si bien au vol en France, et que jamais roi n'eut de si bons oiseaux, que, de toutes parts, on lui apporte, sachant comme il les aime. Dès 1610, Louis, encore dauphin et âgé seulement de neuf ans, écrit à sa petite sœur, Madame, ce billet vraiment bourbonien : Ma sœur, je vous envoie deux piés, l'un de loup et l'autre de louve, que je pris hier à la chasse. Je courray après diner le cerf, et j'espère qu'il sera malmené, et demeurerai vostre bien affectionné frère : Louis. Nous verrons qu'il en écrivait de tout semblables à Richelieu trente ans plus tard[85]. Quand il ne chassait pas, le roi se divertissait à d'autres exercices non moins importants : il attelait ses chiens à de petits canons, il faisait des massepains ou d'autres pièces de cuisine. Nous parlons toujours, bien entendu, du roi majeur et âgé de seize ans. Pour les temps de pluie, il s'était fait organiser tout un vol de petits faucons et de pies-grièches, dressés à prendre les petits oiseaux qu'on lâchait dans les appartements et galeries. On sait que ce fut l'origine de la faveur de Luynes. Il faut laisser parler encore Saint-Simon : M. de Luynes fut l'unique courtisan qui put avoir leur attache (des Concini) pour amuser l'ennui du Dauphin, toujours enfermé dans son appartement, et qui eut assez d'adresse pour se maintenir dans la liberté de l'approcher. Ils ne craignaient ni ses alliances ni ses établissements ; il eut la souplesse de les rassurer sur son esprit et sur l'usage qu'il en pourrait faire ; il fut ainsi très longtemps l'unique ressource du jeune prince dans sa réclusion et les duretés sans nombre qu'il éprouvait. Dans cette enfance prolongée, le roi conservait une douceur, une docilité, une soumission qui eussent trompé des esprits moins prévenus que ceux de la reine et de son entourage, si l'on n'eût déjà vu percer en lui deux qualités royales, que ce système d'éducation avait plutôt contribué à développer : le secret et la dissimulation. On ne savait pas au juste ce qu'il y avait dans ces longues bouderies qui éclataient parfois en des crises de colère allant jusqu'à l'épilepsie. Vers la fin de 1615, l'ambassadeur vénitien résumait sa propre impression dans ce tableau vigoureux où tous les traits sont habilement ramassés : Quant au roi, on s'applique à le porter le moins qu'il se peut aux affaires ; avec des apparences contraires, les ministres le laissent se perdre dans des jeux d'enfants, oiseaux, chiens et autres frivolités ; on lui laisse tout le loisir d'aller à la chasse, qu'il adore... Aussi on remarque qu'il ne favorise que les gens de basse extraction... Tous ceux qui l'entourent dépendent entièrement de la reine mère, qui les choisit, autant que possible, de capacité médiocre et de peu d'esprit, crainte qu'ils ne suggèrent au roi des pensées viriles. Aussi, il reste dans l'obéissance et le respect ; l'autorité de la reine est entière et va plutôt croissant. Son fils ne parle, n'agit, ne commande que par elle. Le roi n'est, d'ailleurs, pas sans mérite ; il a de la promptitude, de la vivacité. Il promettrait beaucoup si son éducation avait été meilleure, et s'il eût eu l'esprit plus enclin aux choses sérieuses[86]... Cependant, cette éducation qui avait été si négligée, cette prolongation de l'enfance ménagée avec tant d'art, cette incapacité de s'appliquer aux choses sérieuses dont on se réjouissait dans l'entourage de Marie de Médicis, abandonnaient le jeune roi à des influences qui, négligées tout d'abord, formèrent bientôt l'écueil sur lequel devait échouer la fortune politique de la reine mère et de Concini. Depuis quelque temps déjà, on se rendait compte que les conseils de Luynes s'étendaient au delà de la petite volerie et des pies-grièches. Cette histoire des Luynes est un véritable conte de fées. Luynes, Brantes et Cadenet, trois frères provençaux, avaient hérité de leur père, brave capitaine dans les troupes du roi Henri, trois choses : une petite seigneurie, située entre Aix et Marseille, nommée Luynes, et elle était si petite qu'on disait qu'un lièvre la franchissait d'un bond, plusieurs fois par jour ; une métairie chétive nommée Brantes, assise sur une roche et où le père avait fait planter une vigne ; enfin une île nommée Cadenet que le Rhône avoit quasi toute mangée et qui disparaissait, de temps à autre, par le cours du fleuve, pour être remplacée par une autre qu'on appelle Limen. A la mort de leur père, les trois frères se partagèrent ce fantastique héritage et vinrent à la cour. Ils étaient très adroits aux exercices, jouaient bien à la courtepaulme et au ballon. L'aîné fut page du comte de Lude, puis introduit auprès du roi Henri IV par un favori propre à tous les services, La Varenne. II plaisait par sa jolie figure, sa tenue modeste, son esprit discret et mesuré. Il obtint une pension de quatre cents écus, sur laquelle il nourrit ses deux frères : ils étaient unis, tous trois, d'une amitié si tendre qu'on ne pouvait s'empêcher de les admirer et de les aimer[87]. Après la mort de Henri IV, quand le nouveau roi vint à grandir, on commença à s'occuper de ses relations journalières ; il les choisissait généralement assez mal : un soldat nommé Haran ; un plat pied de Saint-Germain en Laye, nommé Pierrot qui lui faisoit passer le temps et lui fournissoit des moineaux. Puisque le roi décidément n'avait de goût que pour cet ordre d'amusements, on pensa qu'il fallait en confier le soin à quelqu'un de plus relevé. M. de Vitry, capitaine des gardes du roi, songea à placer là une de ses créatures, un soldat des gardes, nommé La Coudrelle, qui entendait fort bien la fauconnerie. Mais le gouverneur du roi, M. de Souvré, averti à temps, contrecarra cette intrigue, et, pour mettre en cet endroit un homme qui lui aurait toute l'obligation, il jeta les yeux sur Luynes[88]. Le roi avait déjà paru s'attacher à lui. En raison de la grande disproportion des âges, de l'origine modeste, des relations et des moyens médiocres, le personnage ne paraissait point dangereux[89]. Or, justement, les qualités qui avaient dicté le choix de l'entourage de Marie de Médicis furent celles qui gagnèrent le cœur du roi. Ce tempérament calme, prévenant et doux, cette maturité indulgente convenaient à l'enfant qui n'avait pas été élevé et dont la nature, à la fois peu communicative et faible, avait besoin d'être soutenue et dirigée. Il trouvait donc quelqu'un à qui parler, sans avoir à rougir de son bégaiement, qui voulût bien s'amuser de ses amusements, une épaule où s'appuyer tandis qu'il s'acheminait, d'un pas si hésitant, vers la virilité. Il s'abandonna, en toute âme et confiance, à ce seul ami qu'on lui laissait. Son inexpérience ne lui permettait pas de découvrir le calcul qui pouvait se cacher sous ces apparences charmantes. Bientôt, il ne put plus se passer de Luynes. Il l'adorait. La nuit, il rêvait de lui ; il en avait la fièvre : Luynes ! Luynes ! criait-il, à la grande surprise d'Héroard, qui se penchait sur le lit de l'enfant pour suivre, jusque dans le sommeil, les progrès de cette étrange affection[90]. Bientôt ce fut une question pour la reine mère de voir s'il était préférable d'engager la lutte contre Luynes et de le briser avant qu'il fût devenu plus fort, ou bien s'il valait mieux le combler, pour gagner sa gratitude. On prit ce dernier parti ; c'est celui des times faibles, et il vient d'une connaissance bien incomplète du cœur humain : les bienfaits nourrissent les ingrats[91]. En 1614, Luynes reçut le gouvernement de la ville et du
château d'Amboise, qui fut retiré au prince de Condé. Pendant le voyage de
Guyenne, le roi ne le quittait pas ; il marchait, par les chemins, avec ce
seul compagnon, galopait et chassait avec lui. Il l'envoya au-devant d'Anne
d'Autriche, avec mission de présenter à celle-ci, comme
son confident serviteur, les hommages du jeune mari. Au retour, Louis
XIII avait plus d'yeux pour son ami que pour sa femme. Il voulut s'arrêter
trois jours, chez Luynes, à Amboise ; il y parut satisfait et ravi de tout. Le 9 février, il faisait un extrême froid ; le roi
chassait le héron, et tant qu'il était à Amboise, la campagne a été sa
chambre et son cabinet[92]. Après la rentrée à Paris, l'intimité fut plus grande encore, constante. L'habile favori jouait un jeu très couvert, poli, obséquieux auprès de tout le monde. On le voyait, dans les coins, parlant à voix basse avec le roi. Le soir, il restait seul près de son lit et l'entretenait longtemps. Pourquoi ces interminables tête-à-tête ? Que se disaient-ils ? Autour d'eux, des confidents peu nombreux, les deux frères Brantes et Cadenet, des amis très sûrs, s'ils savaient quelque chose, gardaient bien le secret. Ainsi, au moment où la reine se croyait le plus assurée de son autorité, au moment où Concini admis, recherché, entouré, mettait la main sur le gouvernement, au moment où les adversaires de l'un et de l'autre prenaient le parti de désarmer, on sentait remuer dans l'ombre quelque chose de nouveau qui entretenait l'inquiétude dans les âmes. La reine, incapable de dissimuler ses sentiments, étouffait. Ses amis, ses confidents, parmi lesquels Richelieu apparait dès cette époque, lui conseillaient d'en avoir le cœur net[93]. Elle alla donc trouver son fils et lui mit le marché à la main : Elle avait fait de son mieux pour le conduire jusqu'à sa majorité ; maintenant qu'il était majeur, marié, elle se considérait comme hors de charge ; elle demandait an roi de venir avec elle au parlement pour lui donner, en séance solennelle, à la fois le quitus de l'administration du royaume et le congé dont elle voulait jouir pour terminer ses jours dans le repos. Elle avait même fait traiter l'achat de la principauté de la Mirandole où elle disait vouloir se retirer. De la part de la reine, cette offre était un jeu ; elle savait bien que le roi ne la recevroit pas et qu'elle feroit, en son esprit, l'effet qu'elle désiroit qui étoit de lui ôter la créance qu'elle eût un désir démesuré de continuer son gouvernement, quoique au fond, elle y fût portée par ambition particulière, non pour le bien du service, ou que la nécessité publique le requit. Mais le fils fut plus habile que la mère : Quelque insistance qu'elle pût faire, il ne voulut jamais lui accorder de quitter le gouvernement des affaires ; en revanche, il ne s'ouvrit pas à elle du mécontentement qu'il commençait à avoir du prodigieux élèvement du maréchal d'Ancre ; il l'assura qu'il était très satisfait de son administration et il ajouta, en forme de réponse aux reproches indirects qu'elle avait adressés à Luynes, que personne ne parlait d'elle qu'en des termes convenables à sa dignité. Luynes était présent à l'entretien et le roi lisait ses paroles dans les yeux de son ami. La reine ne sut pas pousser à fond son attaque. Au point où en étaient les choses, il eût fallu chasser Luynes d'auprès de la personne du roi. Mais, après s'être découverte, Marie de Médicis ne sut que se plaindre et verser des larmes. Elle fut trop heureuse de se prêter à une réconciliation feinte et de ressaisir cette autorité que le roi, d'autre part, n'osait pas encore lui retirer. Vers le milieu de l'année 1616, tous les personnages du draine qui allait se dérouler étaient présents à Paris. La reine mère y était arrivée le 11 mai ; elle avait fait sa rentrée, à la nuit tom-. hante, sans bruit. Le roi et la jeune reine, au contraire, avaient été reçus avec pompe et au milieu d'un grand concours de peuple, le 16 mai. Les Concini étaient revenus dès le mois de mars et, si le maréchal s'était absenté quelques jours pour se rendre vers ses places de Picardie, il devait regagner Paris le 6 juin. Luçon était parti, en avril, de son prieuré de Coussay et s'était installé dans son domicile de la rue des Mauvaises-Paroles. Quant à Luynes, il ne quittait pas le roi. Avec cette rentrée générale, coïncide la disgrâce des
vieux ministres, si longtemps suspendue, maintenant arrêtée définitivement.
Comme nous l'avons vu, on avait commencé par Sillery. Le 16 mai, jour même de
la venue du roi à Paris, le président Du Vair avait reçu les sceaux. Huit
jours après, ce fut le tour du président Jeannin. On lui laissa sa place dans
le conseil et le titre de surintendant ; mais il fut remplacé dans la
direction effective des finances par Barbin, qui prit le titre de contrôleur
général et qui fut mis à, la tête des intendants. Avec Villeroy, ce fut un
peu plus difficile ; sentant sa disgrâce approcher, décidé à faire tête et à ne
céder que devant un ordre formel, il s'était retiré dans sa maison de
Confions. La reine le fit venir. Il lui représenta qu'il
y avait cinquante-quatre ans qu'il faisait sa charge, qu'il avait encore
assez de force et de courage pour la faire aussi bien que jamais, que c'était
sa charge, qu'il n'était nullement en humeur de se départir. Mais la
reine lui dit, en son italien : Le voglio.
Il répliqua encore très fermement ; puis il partit. Mangot lui succéda ;
Villeroy refusa d'entrer en relations avec lui[94]. de Le ministère ainsi reconstitué était entièrement dévoué à Marie de Médicis et au maréchal d'Ancre. Jamais la reine et son favori n'avaient joui d'une autorité plus absolue. Il ne restait plus qu'une difficulté sérieuse : savoir sur quel pied on traiterait avec le prince de Condé et ses adhérents qui, la paix de Loudun une fois signée, étaient restés à bouder dans leur province. On pouvait hésiter entre deux procédés : ou se maintenir dans l'esprit de la convention de Loudun, les traiter doucement, les attirer à la cour, tâcher d'obtenir leur adhésion aux transformations qui venaient de se produire ; ou user de rigueur, profiter de leur faiblesse actuelle et de la dispersion de leurs troupes pour en finir une bonne fois avec cette opposition toujours renaissante. Parmi les hommes énergiques qui entouraient la reine, plus d'un s'était déjà prononcé pour ce dernier parti. Cependant les conseils pacifiques l'emportèrent et on résolut d'user, encore une fois, des voies de la douceur. L'évêque de Luçon fut envoyé vers M. le Prince, qui était allé en Berry prendre possession de son gouvernement, pour négocier son retour à Paris. Ce fut la première affaire d'État qu'eut à traiter Richelieu. Quelle que fût sa fidélité, et notamment à l'égard de la reine mère, l'évêque s'était toujours ménagé certaines intelligences du côté de M. le Prince. Au début de l'année 1616, alors que les troupes de celui-ci menaçaient ses domaines et ceux de Mule de Richelieu, il lui avait écrit sur le ton le plus déférent et lui avait demandé sa protection pour ceux qui n'ayant que des prières pour armes, n'ont que des armes de paix. Aussitôt la paix de Loudun signée, Richelieu avait encore écrit au prince pour le féliciter des avantages que lui avait rapportés sa rébellion : Je ne puis que vous témoigner la part que je prends au contentement qu'il a plu au roi de vous procurer ; je vous prie de croire que nul n'en a été touché plus profondément que moi, l'affection que j'ai à votre service ne me pouvant permettre de céder à qui que ce soit le titre que je me conserverai soigneusement toute ma vie de votre très humble serviteur. Il entretenait aussi, avec certaines personnes de l'entourage de Condé, des relations destinées probablement à lui concilier l'esprit de celui-ci. Quoiqu'il paraisse avoir été, en ce moment, en rapports moins intimes avec le Père Joseph[95], peut-être recourait-il parfois à l'intermédiaire de Du Tremblay, frère du capucin et confident de M. le Prince. En tout cas, son ami La Vacherie s'était abouché avec un certain Vidard de Saint-Clair, Poitevin, homme besogneux et quémandeur que Richelieu tenait en haleine par des promesses de place et d'argent. On pouvait donc penser que l'évêque serait bien accueilli à Bourges, quand il viendrait y apporter non seulement les paroles de la reine mère, mais aussi les offres de service des Concini. Luçon, en effet, avait reçu mandat de parler au nom du maréchal d'Ancre et de sa femme. Ceux-ci, guidés probablement par Barbin, pensaient qu'Au moment où ils éloignaient les vieux ministres, ils avaient tout intérêt à se rapprocher des princes et à les satisfaire, du moins momentanément, pour donner à la France, fatiguée des dissensions de cour, le spectacle de la paix et de l'union autour du gouvernement de la reine mère. Dès l'époque du retour de la reine, Luçon avait commencé, par lettres, cette négociation où il servait d'intermédiaire entre les deux parties : J'ai communiqué le contenu de vos lettres à la reine et lui ai représenté de nouveau autant qu'il m'a été possible la sincérité de votre affection, écrivait-il au prince. Madame la maréchale ne s'oublie pas de solliciter le règlement des affaires restées en suspens, désirant comme elle le fait, avec passion, votre présence à la cour... Je vous dirai, Monseigneur, sans crainte de m'avancer trop, que vous trouverez Leurs Majestés mieux disposées que vous ne sauriez vous l'imaginer, et vous avouerai que Mme la maréchale vous y a soigneusement et fidèlement servi, comme sans doute elle désire le faire en toute occasion[96]. Sur ces premières indications, Condé se décida à envoyer à Paris sa mère, la princesse de Condé douairière, et son favori Rochefort, pour tâter le terrain. Cependant les choses traînaient en longueur. Les lettres qu'écrivait le prince étaient contradictoires ; ce qui fit, nous dit Richelieu lui-même, que, pour démêler ces fusées, la reine me dépêcha vers lui, croyant que j'aurais assez de fidélité et d'adresse pour dissiper les nuages de la méfiance que de mauvais esprits lui donnaient d'elle contre la vérité[97]. Dans ce rapide voyage, Luçon aborda avec le prince toutes les questions restées pendantes. Il parla au nom de la reine d'abord et donna les assurances nécessaires sur sa bonne foi, son désir sincère de voir le prince revenir à la cour ; il insista sur l'autorité que la présence du premier prince du sang apporterait aux résolutions du conseil. Il parla ensuite au nom de la maréchale d'Ancre, et dit que celle-ci promettait solennellement d'employer l'influence que son mari et elle pouvaient avoir sur la reine à maintenir le prince en ses bonnes grâces ; il exposa les motifs qui avaient décidé le renvoi des vieux ministres. Le prince de Condé, en demandant seulement quelques compensations pécuniaires pour Villeroy, approuva le changement et le choix de Mangot et de Barbin. On régla enfin la question de la présence du prince dans les conseils. Celui-ci s'engagea à garder le secret sur les affaires de l'État ; en échange, on promit de les lui soumettre sans réticence. Toutes les objections de Condé furent écartées ou satisfaites. Il se laissa gagner par ce flux de protestations, de flatteries et de promesses verbales. Sans même consulter ses amis et conseillers habituels, du Maine et Bouillon, il s'engagea à regagner la cour, et, le 17 juillet, il rentrait à Paris[98]. Maintenant on le tenait. Fidèle, il ajoutait, par sa présence, l'autorité restaurée de la reine mère ; insoumis ou seulement incertain, on n'avait qu'à lever la main pour le réduire à l'impuissance. Les nouveaux ministres inauguraient, par ce coup d'adroite politique, l'ère dans laquelle entrait le gouvernement de Marie de Médicis. Quant à l'évêque de Luçon, il gagnait d'emblée ses éperons d'habile négociateur et de politique prévoyant. Une fois Condé à Paris, l'incompatibilité des situations et des caractères apparut, et le duel s'engagea rondement. Le prince réunissait autour de lui toutes les forces de l'opposition. Les concessions qu'on lui avait accordées à Loudun lui donnaient une autorité qui tenaient en haleine tous les esprits insoumis. Il était admis dans le conseil et le dirigeait effectivement. Le garde des sceaux Du Vair le secondait sous main : Le Louvre étoit une solitude, sa maison étoit le Louvre ancien. On ne pouvoit approcher de sa porte pour la multitude du monde qui y abordoit. Tous ceux qui avoient des affaires s'adressoient à lui. Il n'entroit jamais au conseil que les mains pleines de requêtes et mémoires qu'on lui présentoit et qu'il faisoit expédier à sa volonté. Très enflé de son triomphe, Condé se montrait arrogant, bavard, présomptueux ; mais il avait près de lui un lieutenant autrement redoutable pour la cour, un homme qui le modérait, le calmait et donnait quelque fermeté .à son cœur toujours vacillant : c'était Bouillon, conspirateur tenace, esprit adroit et ingénieux, qui passait sa vie à exciter la discorde et qui nageait dans la rébellion[99]. Le duc de Mayenne, le duc de Longueville, étaient ; bien entendu, de la partie. Si le chef des protestants, Rohan, se tenait coi, en revanche on avait trouvé moyen de détacher du parti de la reine jusqu'au duc de Guise. Nevers, toujours fou, se trouvait offensé de l'intérêt poli, mais froid, qu'on portait à son rêve de croisade et se mettait aussi à bouder. Tous les anciens ministres, y compris Sully, fomentaient la discorde et attaquaient le pouvoir qu'ils avaient si longtemps servi. L'opposition avait d'autres appuis non moins redoutables : le Parlement, où des esprits bilieux comme le président Le Jay échauffaient les jeunes têtes ; le peuple de Paris, qui était en train de se faire un héros du cordonnier Picard. Ces dispositions hostiles à l'égard du gouvernement de Concini se répandaient jusque dans les provinces, et, le 15 août, à Péronne, le peuple, chassant le gouverneur, avait remis la cité aux mains du duc de Longueville. Du dehors, les princes étrangers, engagés contre la maison d'Espagne, soutenaient les réclamations de Condé[100]. Ainsi, de toutes parts, venaient vers' celui-ci des encouragements et des secours qui exagéraient sa confiance en ses forces et exaspéraient ses ambitions. Il était le vrai roi de Paris, vivait d'une vie, à la fois désordonnée et crapuleuse, qui ne lui laissait ni le temps de réfléchir, ni la liberté d'esprit nécessaire pour agir au moment opportun. Autour de lui, ses compagnons de débauche criaient à l'étourdir. Dans un de ces banquets, un mot fut prononcé qui, sous une apparence énigmatique, pouvait cacher un sens redoutable : Barrabas. Chacun l'interpréta à sa façon, les.uns se contentant d'y voir une insulte à l'adresse du ministre Barbin, selon le mot de l'Évangile : Erat autem Barrabas latro ; mais le plus grand nombre affirmaient qu'il fallait dire barre à bas, et que ces mots visaient la suppression de la barre qui, dans les armes des Condé, est le signe de la branche cadette : la branche aînée écartée, l'écusson aux fleurs de lys devait appartenir uniquement au prince. Condé lui-même disait sans mystère qu'il ne lui restait plus qu'à ôter le roi du trône et à se mettre à sa place[101]. Cette agitation, ces violences et ces ambitions avaient un point de mire avoué et commode : les Concini. Ceux-ci avaient échoué dans la tentative de rapprochement qui avait suivi la paix de Loudun. De part et d'autre, les haines s'étaient exaspérées. Dans l'entourage de Condé, on parlait couramment de l'assassinat du maréchal d'Ancre[102]. On vivait dans une atmosphère de délations et de menaces réciproques. On s'habituait à l'idée qu'on était à la merci d'un coup de main ; on s'apprivoisait avec le péril. Un jour que le maréchal alla visiter seul le prince de Condé, qui recevait l'ambassadeur d'Angleterre, les hommes du prince voulurent faire le coup. Ils attendaient un signal que leur maitre n'osa donner. Concini, averti, se tira promptement du piège et sortit en narguant assez crânement ceux qui le menaçaient[103]. Au fond du cœur, pourtant, lui et sa femme étaient troublés. Vers le milieu du mois d'août 1616, ils dirent à Barbin qu'ils étaient désespérés, qu'ils voyaient bien que tout était perdu pour le roi et pour eux ; qu'ils voulaient l'un et l'autre se retirer à Caen, et de là, par mer, s'en aller en Italie ; que plût à Dieu ! fussent-ils dans une barque au milieu de la mer pour retourner à Florence. Barbin lui remonta un peu le cœur. Mais, peut-être commençait-il à vouloir se dégager du poids énorme dont l'impopularité du favori entravait sa politique. II conseilla au maréchal et à sa femme de s'absenter pour quelque temps, afin que les princes ni les peuples ne pussent prendre leur prétexte accoutumé sur eux. Le départ fut donc décidé, au moins pour la Normandie. Mais, au moment de monter en litière, la maréchale, — comédie ou faiblesse, — fut prise d'un évanouissement. Il fallut surseoir au voyage. Le maréchal voulait partir quand même ; sa femme le retint et ne lui permit qu'une courte absence. Ils restèrent en France. Parmi toutes ces difficultés, les conseillers de la reine n'avaient, pour se soutenir, que leur courage. Mais leur âme ne faiblit pas un instant. Comme le dit Richelieu, qui était au courant de tout, le conseil était composé de personnes portées, avec passion, à l'affermissement du pouvoir. ils étaient résolus à faire tête jusqu'au bout. Barbin se multipliait, adroit et ferme, avec les princes, tenace et attentif auprès de la reine, rude parfois avec les Concini, l'œil tourné du côté de Luynes, sentant que le péril pouvait venir de là La violence ne lui faisait pas peur. Il se voyait dans une de ces positions désespérées où la sagesse consiste à jouer froidement le tout pour le tout. Une scène étrange fit une grande impression sur la reine. Le vieux Sully vivait, depuis sa disgrâce, dans une demi-retraite où il attendait toujours le signal qui devait le rappeler aux affaires. Quoiqu'on eût pour lui des égards apparents, il affectait une bouderie muette qui, si on lui en eût prêté l'occasion, n'eût demandé qu'à se déverser en plaintes abondantes et amères : en somme, la cour le négligeait et le considérait plutôt comme un adversaire. Or, un beau matin, on le vit arriver aux appartements de la reine, vêtu, comme d'ordinaire, à la mode surannée du roi Henri. Sa figure sévère était plus sombre que jamais. Il demanda à voir la reine. On lui dit qu'elle avait pris médecine. Il insista, disant que le sujet était trop important pour qu'il pût admettre le moindre retard, qu'il y allait de la vie de Leurs Majestés. On le fit entrer. Barbin et Mangot étaient là Le jeune roi survint. Le vieillard fit le tableau le plus effrayant de la situation. Il affirma que tout allait périr et que le roi et le royaume étaient menacés. Barbin lui demanda d'indiquer le remède. Sully fut interloqué. Il n'osait pas dire le fond de sa pensée, qui était de changer les ministres et de le rappeler lui-même aux affaires. Mais il reprit ses prédictions funestes et, comme il partait, revenant sur ses pas, une jambe avec la moitié du corps dans la chambre, il dit : Sire, et vous, Madame, je supplie Vos Majestés de penser à ce que je viens de dire ; j'en décharge ma conscience. Plût à Dieu que vous fussiez au milieu de 1.200 chevaux ; je n'y vois d'antre remède ; puis il s'en alla[104]. La reine ne pouvait plus se contenir. Elle allait de l'un à l'autre, prenant tous les seigneurs de la cour à témoin de sa conduite, de sa longanimité à l'égard des princes. Est-ce que personne ne l'aiderait à défendre. l'autorité du roi ? Puis, elle se retournait du côté de Louis XIII, le suppliait encore de la décharger du fardeau du pouvoir. Tout cela était public. Les hostilités étaient déclarées. Mn se demandait seulement lequel des deux partis oserait faire le premier pas : celui-là était sûr de ]a victoire. Condé, au lieu d'agir, perdit du temps à braver ses ennemis en paroles. Il eut, avec Barbin, une conversation qui commença par des caresses réciproques et qui finit par une rupture. Le ministre avait pris son parti depuis longtemps. Il entraîna la reine. Elle fit prêter un serment particulier de fidélité par les dix-sept seigneurs. On donna des ordres au maréchal de Thémines. Des préparatifs furent faits presque publiquement. On porta des pertuisanes par caisses, chez Barbin, en guise d'étoffes de soie d'Italie et, le 1er septembre, comme le prince de Condé se rendait chez la reine pour assister au conseil, Thémines, lui mettant la main sur l'épaule, l'arrêta. Le jeune Louis XIII, qui avait assisté au début de l'opération, montra une force de dissimulation qui eût dû ouvrir les yeux à ceux qui, ce jour-là, agissaient en son nom[105]. Le coup fait, tout ce qui hésitait courut en foule à la cour pour se montrer et donner des assurances de fidélité. Les plus compromis ne songèrent qu'a se mettre en sûreté. Mayenne, Bouillon, Guise, Vendôme et leurs complices s'enfuirent par toutes les portes. Il n'y eut que la princesse de Condé, mère du prisonnier, qui songea à organiser la résistance. Elle comptait sur le peuple de Paris. Elle sortit de sa maison et s'en alla jusqu'au pont Notre-Dame, criant partout : Aux armes. Chacun l'écoutait avec étonnement et pitié. Mais personne ne bougeait. Ce brave cordonnier Picard put, seul, produire une certaine émotion. Un gros de peuple qui le suivit se porta sur la maison du maréchal d'Ancre, près du Luxembourg, et la mit au pillage ainsi que celle de son secrétaire, Corbinelli. La dévastation fut complète et dura deux jours. On trouva, dans la maison du favori, des robes de la reine, dont l'une valait plus de cinquante mille écus. Ce fut tout. Le prince de Condé trembla tout d'abord pour sa vie. Bientôt rassuré, il prit assez philosophiquement son parti. On le laissa au Louvre pendant quelque temps ; puis on le transféra, sous bonne escorte, à la Bastille. Il put s'y reposer de ses débauches et y cuver tout à loisir ses ambitions. La reine, les favoris, les ministres triomphaient. Il avait suffi de vouloir. Qui pouvait maintenant leur résister ? La haute noblesse était frappée à la tète. Les protestants ne bougeaient pas. En province, les princes échappés essayaient en vain d'organiser la résistance. La plupart d'entre eux finirent par accepter le fait accompli. Le 5 octobre, ils signèrent une déclaration qui fut considérée comme un acte de soumission et qui passait outre à l'emprisonnement du prince. Au fond, pourtant, les grands se sentaient atteints et cherchaient une occasion de témoigner leur mécontentement. Nevers, qui faisait toujours tout à contretemps, la leur fournit. Il apprit l'arrestation de Condé, au moment où il allait en Allemagne pour recruter des adhérents à son fameux projet de conquête de la Terre-Sainte. Il n'était pas content de la cour de France, qui le payait de bonnes paroles et qui, an fond, ne cherchait qu'a se débarrasser de lui et de ses encombrantes sollicitations. Saisissant une occasion de faire sentir sa mauvaise humeur, heureux peut-être aussi d'une circonstance qui retardait un voyage voué d'avance à l'insuccès, il écrivit au roi une lettre fort insolente et se mit à lever des troupes dans sa province de Champagne. Il essaya de s'emparer de Reims, dont La Vieuville lui refusa l'entrée. De plus en plus mécontent, il se mit en relation avec son voisin Bouillon, qui s'était renfermé à Sedan, et qui de là attendait que quelque mauvais vent soufflât. La cour comprit que l'incendie allait se rallumer. On envoya à Nevers plusieurs émissaires chargés de bonnes paroles de la reine. Ils le trouvèrent exaspéré. On recourut alors à l'homme de confiance qui avait eu part aux actes vigoureux qui venaient de s'accomplir, Luçon. On savait que, par le Père Joseph, il avait eu des relations assez intimes avec Nevers. On comptait que son sang-froid et son autorité épiscopale auraient facilement raison de la pieuse et faible imagination du rebelle attardé. Richelieu s'y trompa lui-même. Il crut qu'il réussirait, en promettant au bon duc, dont il flattait la manie, le concours du roi pour la croisade. La reine, conseillée par l'évêque, écrivait : Pour vous faire paraître combien j'affectionne ce qui peut vous apporter du contentement, je veux embrasser plus que jamais le dessein pieux que vous savez, et écrire de nouveau, pour cet effet, au pape et au roi d'Espagne par le chartreux dont vous m'avez parlé plusieurs fois. Précisément à cette époque, le Père Joseph postulait à Rome pour la cause sainte. Les deux amis, séparés pour l'instant, travaillaient donc momentanément dans le même sens, mais avec des vues bien différentes. Richelieu, muni de ces bonnes paroles, alla trouver Nevers. Il crut l'avoir gagné après quelques heures d'entretien et revint à la cour plein de confiance. Mais dès qu'il eut le dos tourné, Nevers lui échappa, et l'évêque, sans s'attarder à d'inutiles tentatives, conseilla lui-même d'employer la force. Il pensait qu'on aurait facilement raison de cette résistance isolée[106]. Cependant, à la cour, Nevers trouvait un secours inattendu. Le garde des sceaux, Du Vair, était resté, au fond, l'ami des princes. Il supportait mal le reproche que lui faisaient ses amis et surtout les parlementaires d'être, au pouvoir, le prisonnier et l'instrument des favoris et des ministres. Cette longue barbe crut bien choisir son moment en faisant un éclat sur l'affaire de Nevers. En plein conseil, Du Vair dit à Barbin qu'il se trompoit s'il pensoit le rendre ministre de ses conseils violens. Barbin ne répondit rien sur l'heure ; mais, le lendemain, le garde des sceaux fut congédié. Il prit, d'ailleurs, la chose en philosophe et en honnête homme. En remettant les sceaux à la reine, il lui adressa un discours du genre stoïque, où il disait, un peu longuement, des choses excellentes et qui furent généralement approuvées. On nomma à sa place Mangot, qui laissait ainsi vacante la place de secrétaire d'État, où il avait d'ailleurs paru insuffisant. C'était le moment de payer les services, déjà nombreux,
rendus par l'évêque de Luçon. On ne pensa à nul autre. Laissons-le
s'expliquer lui-même sur cet événement : Peu de
jours auparavant, j'avois été nommé pour aller en Espagne ambassadeur extraordinaire
pour terminer plusieurs affaires... Par mon
inclination, je désirois plutôt la continuation de cet emploi, qui n'étoit
que pour un temps, que celui-ci, la fonction duquel étoit ordinaire. Mais
outre qu'il ne m'étoit pas honnêtement permis de délibérer en cette occasion
où la volonté d'une puissance supérieure me paroissoit absolue, j'avoue qu'il
y a peu de jeunes gens qui puissent refuser l'éclat d'une charge qui promet
faveur et emploi tout ensemble. J'acceptai donc ce qui me fut proposé en ce
sujet par le .maréchal d'Ancre, de la part de la reine, et ce d'autant plus
volontiers que le sieur Barbin, qui étoit mon ami particulier, me sollicitoit
et m'y poussoit extraordinairement[107]. Ceci se passait à la fin de novembre 1616[108]. Il y avait dix-huit mois que Luçon avait prononcé son discours aux États généraux, huit mois qu'il avait quitté son prieuré de Coussay pour venir s'installer à Paris. En ce court laps de temps, il était devenu successivement aumônier de la reine régnante, conseiller d'État[109], secrétaire des commandements de la reine mère[110] ; il avait été chargé de plusieurs missions importantes, s'était fait attribuer une pension de six mille livres, chiffre considérable pour l'époque[111] ; avait été désigné comme ambassadeur en Espagne[112], et, sans même en avoir rempli les fonctions, devenait secrétaire d'État. Sauf le court intérim de 3Iangot, il succédait ainsi à ce grand colosse froid comme marbre, à ce Villeroy qui, pendant si longtemps, avait été l'homme politique le plus autorisé de la cour de France. Il y avait là de quoi satisfaire et combler ses juvéniles ambitions ; mais il y avait aussi de quoi surprendre tous ceux qui ne le connaissaient pas, de quoi inquiéter ses protecteurs et lui-même sur les conséquences d'une si prompte et si audacieuse ascension. Le souvenir des services rendus par son père avait préparé à l'évêque ses premières entrées à la cour. Son frère, le marquis de Richelieu, son beau-frère Pont-Courlay, étaient, depuis longtemps, admis dans l'intimité de la reine mère. Le marquis, séduisant, brave et généreux, ne se contentait plus de sa charge de mestre de camp du régiment de Piémont ; il se croyait appelé, lui aussi, à un autre avenir : se voyant en état de penser à des choses plus grandes, il vendit son emploi à Fontenay-Mareuil, qui nous donne lui-même ce détail[113]. Dans les relations de sa famille, Richelieu avait trouvé encore d'antres appuis sûrs, des protecteurs influents, notamment Mme de Guercheville, née Antoinette de Pons, sa parente éloignée, femme de haute vertu, dont l'amitié fournissait pour lui caution de bonne race et de bonnes mœurs[114]. Il avait su se créer, de lui-même, des amis et des admirateurs ; on se rappelait ses succès dans la chaire, son discours à l'assemblée des États en 1615, ses vastes études., la bonne administration de son diocèse, ses premiers livres d'édification et de piété. Tout le haut clergé lui était favorable. Du Perron, Sourdis, Chasteignier de la Rocheposay, Gabriel de l'Aubespine, Charles de Bourgueil, Zamet évêque de Langres, chantaient ses louanges. Le Père Joseph qui restait, au fond, son ami avait su glisser, à l'oreille des grands, le mot qui tournait leur attention vers ce jeune homme si sage et si bien doué ; ses amis l'aidaient, mais l'amitié ne l'embarrassait guère ; il savait, au moment opportun, la déposer comme un fardeau gênant. Une correspondance active, engagée de bonne heure avec les principaux ministres, donnait la mesure de son zèle un peu inquiet et de sa capacité. II ne manquait aucune occasion d'étendre ses relations, d'entrouvrir les portes, de se montrer à une heure propice, de rendre un petit service habilement placé, et il cultivait, avec des termes empressés, très polis, jusqu'aux relations les plus banales. Les voies détournées ne le rebutaient pas non plus. Le petit-fils de l'avocat Laporte avait trouvé, dans l'héritage, des accointances bourgeoises qu'il ne reniait pas, pourvu qu'elles lui fussent utiles. Mme de Bourges achetait sa vaisselle et montait sa maison. Les Bouthillier, parmi tant d'autres services inappréciables, lui avaient fait connaître Barbin, robin comme eux, leur confrère de Melun, devenu, par la faveur des Concini, un si grand personnage dans l'État. Ce fut Barbin qui, à son tour, le recommanda à la maréchale d'Ancre. Sur l'origine de ces relations et sur leur nature, les derniers voiles ne sont pas levés. Il est probable qu'on ne les déchirera jamais tous. Un pamphlet contemporain, parlant de la conduite de Léo-fora, dit qu'elle avait publiquement pour amants un prêtre onctueux et deux autres qu'il désigne moins clairement[115]. De Morgues, ennemi juré de Richelieu, mais qui écrivait, en quelque sorte, sous les yeux de la reine mère, dit en 1631 : Il a, en sa jeunesse, aimé les voluptés qui lui ont fait faire des choses non seulement indignes de sa profession, mais tout à fait ridicules. On ne les publie point en cet écrit qui ne doit coter que les imperfections et les fautes préjudiciables à l'État[116]. Nous avons une lettre de l'évêque de Luçon à Léonora dont il est bien permis de remarquer le ton quand on pense qu'elle est adressée à une femme peu séduisante et cela au moment où l'évêque venait de perdre sa mère : C'est savoir obliger vos serviteurs de les traiter selon leur appétit, comme vous m'avez fait cette fois ; car, désirant sur toutes choses l'honneur de votre souvenir, vous m'en avez gratifié... c'est une faveur d'autant plus grande qu'elle m'est départie par une belle clame, au milieu de mes infortunes lesquelles finiront quand il plaira à Dieu[117]. Pour ce genre de compliments, le moment est, tout au moins, bien mal choisi. Dans la Relation de la mort du maréchal d'Ancre, publiée par Dupuy et dont la valeur historique est indéniable, un passage précise encore le genre d'action, en quelque sorte physique, que l'évêque exerçait sur la nerveuse Italienne : Léonora disoit qu'elle ne vouloit pas qu'on la regardât, disant qu'on lui faisait peur quand on la regardoit et qu'on la pouvoit ensorceler en la regardant... Sur la fin de sa faveur, elle avoit même banni de sa chambre, pour ce sujet, MM. de Luçon et Feydeau[118]. Le regard perçant de l'évêque remuait donc cette femme jusqu'à l'importunité. Par la femme, Luçon touchait au mari. Sa correspondance
avec l'Italien, pendant toute cette période de sa vie, donne l'idée de ce que
l'ambition peut faire faire aux hommes fortement doués quand ils mettent leur
énergie dans leur avilissement. Ce favori que Richelieu devait juger bientôt
si sévèrement reçoit de lui les lettres les plus plates. Ce ne sont que
protestations, flatteries, serments d'éternelle gratitude : Cette lettre est un titre authentique de la reconnaissance
que je vous dois et de mon affection inviolable à votre service... Je ne prétends pas pouvoir jamais me décharger de la
moindre des obligations que vous avez acquises sur moi, mais bien de vous
faire paroitre par la suite de toutes mes actions que j'aurai perpétuellement
devant les yeux les diverses faveurs que j'ai reçues de vous et de Mme la
maréchale[119]... L'Italien se
payait-il de cette monnaie ? Il était assez fin peur en savoir le prix.
Cependant, conseillé par Barbin, poussé par sa femme, sachant qu'il avait
besoin de créatures dont la fortune dépendit uniquement de lui, il se vantait
de son choix. Richelieu dit lui-même : Je lui gagnai
le cœur et il fit quelque estime de moi dès la première fois qu'il m'aboucha.
Il dit à quelques-uns de ses familiers qu'il avoit un jeune homme en main
capable de faire la leçon à tutti barboni[120]. L'amitié des Concini mit l'évêque en relations constantes avec Marie de Médicis. De bonne heure, la correspondance qu'il adresse à la reine témoigne d'une sorte d'aisance et de familiarité. Dans les conciliabules des deux femmes, la présence du secrétaire des. commandements paraissait toute naturelle. Il est facile de s'imaginer la nature des entretiens entre ces trois robes : la reine, lourde, massive et boudeuse, cherchant toujours une distraction, un conseil, une impulsion extérieure capable de la tirer de son indolence ; la maréchale, fine, inquiète, mobile, toujours partagée entre ses convoitises insatiables et les terreurs de sa folle imagination ; l'évêque, insinuant, adroit, égoïste, menant déjà les deux femmes au gré de sa froide volonté et les tenant sous le feu de son pénétrant regard[121]. En sortant de ces conciliabules, il pouvait se croire arrivé à ses fins. Il ne manquait guère à son autorité que ce fini, cet achevé qui accompagne l'expérience et qui récompense les grands services... Il y manquait autre chose, à quoi il est vraiment extraordinaire que cet homme si éveillé et si prudent n'ait pas songé : je veux dire l'adhésion du roi lui-même, de Louis XIII. Cette ambition hâtive, absorbée par le présent, ne sut pas deviner l'avenir, un avenir si proche ! Luçon ne parait pas s'être préoccupé de savoir si ce prince de seize ans, que tout le monde négligeait, ne se réveillerait pas bientôt pour parler en maitre. La compagnie et la faveur des femmes lui avaient paru d'accès plus facile et de commerce plus agréable. Il s'en tint là Son sourire, qui ne négligeait personne, négligea celui qui commandait à, tous. Aussi, Louis XIII ne l'aimait pas. Ce prêtre à la fois anguleux et souple, ce scrutateur de conscience, cet homme froid, déplaisait à la nature timide et violente du roi. Richelieu allait bientôt se repentir de sa faute : son impatience du pouvoir devait payer, par huit années d'attente, l'erreur commise par elle en débutant. En somme, sauf par le parti des vieux ministres, la nouvelle de l'avènement de Luçon fut, en général, bien accueillie[122]. Ses adversaires eux-mêmes écrivent : Plusieurs personnes le connaissaient d'un esprit subtil, qu'on ne peut aisément surprendre, parce qu'il est toujours en garde, qu'il dort peu, travaille beaucoup, pense à tout, est adroit, parle bien et est assez instruit des affaires étrangères[123]. Le Mercure françois, enclin, il est vrai, à l'apologie, dit aussi : Celuy qui a été fait secrétaire d'État est un prélat si plein de gloire pour l'innocence de sa vie, pour l'éminence de son savoir et pour l'excellence de son esprit, que tous ceux qui savent quel est son mérite avoueront aisément que Dieu l'a destiné pour rendre de grands et signalés services à Leurs Majestés au milieu des tempêtes de leur État[124]. Des contemporains moins suspects, les diplomates portent aussi des appréciations qui font plus d'honneur à leur confiance qu'à leur perspicacité. Voici d'abord l'avis des ambassadeurs vénitiens : La charge de secrétaire d'État qu'avait Mangot fut offerte à Barbin ; mais celui-ci n'a pas voulu quitter le ministère des finances, où il y a plus de profit et moins de fatigue. La secrétairerie a donc été confiée à l'évêque de Luçon, désigné antérieurement pour aller en Espagne. A notre avis, ce ministre ne peut être considéré comme favorable aux intérêts de Vos Seigneuries. Il nous revient en effet qu'il est du parti espagnol ; d'ailleurs, il est grand aumônier de la reine régnante. Il fréquente habituellement à l'ambassade d'Espagne ; on dit même que l'Espagne lui paie pension[125]. Le 2 décembre, le nonce du pape, Bentivoglio, qui, il est vrai, n'avait pas encore pris possession de son-poste, écrivait de Lyon à la cour pontificale : A la place de Mangot on a mis l'évêque de Luçon, prélat qui, quoique jeune, est, comme le sait Votre Sainteté, un des plus éminents de la France par ses connaissances, son éloquence, sa vertu et son zèle pour la religion. Nous pouvons espérer que ce changement nous sera favorable ; car le garde des sceaux, quoiqu'il fut très instruit et très intègre, n'était pas très attaché aux choses de la religion ; et comme secrétaire d'État, on ne pouvait rien désirer de mieux que l'évêque de Luçon[126]. Il n'est pas jusqu'au duc de Monteleone, ambassadeur de Philippe III, qui ne fasse à son tour l'éloge de l'évêque : C'est mon ami intime, écrivait-il : il n'en existe pas deux, je crois, eu France aussi zélés pour le service de Dieu, de notre couronne et du bien public. Et quand il n'aurait pas toutes ces qualités, son zèle pour le service de la reine infante nous permet de tout attendre de lui. D'ailleurs, j'ai les preuves les plus formelles de son dévouement à notre cause. Le nouveau secrétaire d'État allait avoir beaucoup de peine à se donner pour détruire la trop bonne opinion qu'on avait de lui dans certaines ambassades étrangères[127]. Richelieu fut désigné pour le poste de secrétaire d'État le 25 novembre. Sa mère était morte, à Richelieu, le 14 novembre, âgée seulement de soixante ans. Aussitôt que le marquis de Richelieu apprit la triste nouvelle, il écrivit de Paris à sa sœur Nicole, qui avait assisté aux derniers moments de Madame de Richelieu, pour faire retarder les obsèques : Je vous prie, écrivait-il, de mettre le corps de ma pauvre mère dans la chapelle, le plus honorablement que faire se pourra, jusqu'à ce que M. de Luçon puisse venir, afin que nous le puissions porter en terre tous ensemble... M. de Luçon ne pouvant s'en aller que dans quinze jours, je partirai dans huit, afin de donner quelque ordre à nos malheureuses affaires[128]. Luçon écrivait de son côté à Alphonse de Richelieu une lettre pleine d'une émotion profonde et sincère : J'ai bien du regret qu'il faille que vous appreniez par cette lettre la perte commune que nous avons faite de notre pauvre mère... En sa mort, Dieu lui a départi autant de grâces, de consolation et de douceurs qu'elle avait reçu, en sa vie, de traverses, d'afflictions et d'amertumes... Pour moi, je prie Dieu qu'à l'avenir ses bons exemples et les vôtres me puissent si utilement- toucher que j'en amende ma vie. Bien vous dirai-je que sa mort, jointe aux circonstances d'icelle, m'ont cruellement touché[129]... Le corps de la mère attendit près de trois semaines, dans la chapelle de Richelieu, la venue de l'évêque. Mais la carrière de celui-ci se précipitait. Dès le 29 novembre, il avait pris en main la conduite des affaires du dehors. Outré de douleur, ce sont ses propres expressions, il dut renoncer à son voyage. Dans le tumulte des affaires, sa pensée, du moins, put-elle s'isoler et se reporter vers ce passé déjà si lointain, vers cette province, vers ce château où s'était écoulée son enfance, vers cette modeste église de village, où reposaient les corps des Du Plessis et où sa mère fut déposée, à son tour, le 8 décembre, par les soins du curé de la paroisse de Braye ? |
[1] Alexandre de Médicis fut, en 1531, déclaré prince souverain de Florence par l'empereur Charles-Quint. François, deuxième grand-duc de Toscane, après son père Côme de Médicis, épousa en premières noces Anne d'Autriche, reine de Hongrie, fille de l'empereur Ferdinand. Il eut, de ce mariage, un garçon et deux filles, Philippe, mort en bas âge, Éléonore, qui épousa depuis le duc de Mantoue, et Marie de Médicis, née le 26 avril 1573. — Vie de Marie de Médicis (par la présidente D'ARCONVILLE), Paris, 1784, in-8° (t. I, p. 5).
[2] Cité par PERRENS d'après une dépêche de Brèves, du 3 août 1612. Les Mariages espagnols sous le règne de Henri IV et de Marie de Médicis, Didier, in-8° (p. 431).
[3] Nous avons un document des plus curieux sur les relations conjugales entre Henri IV et Marie de Médicis. Il est intitulé : Les Principaux Sujets de la mauvaise intelligence d'entre le feu roi Henri IV et de la rogne mère du roy, tiré des manuscrits de Béthune, 8944. Il a été publié, sous ce titre, par Mme D'ARCONVILLE dans son livre déjà cité (p. 522). La rédaction de ce mémoire est postérieure à 1632, ainsi qu'il résulte d'une allusion faite (p. 527) à la mort de Mme de Guercheville. Il parait avoir été rédigé dans les circonstances suivantes : après la journée des Dupes, Richelieu réunissait de toutes parts les pièces du procès que ses pamphlétaires à gage avaient engagé contre Marie de Médicis. Quelqu'un de ses familiers, et probablement Bullion, alla interroger Sully dans sa retraite. Celui-ci ne se fit pas prier pour raconter, en les exagérant peut-être, les scènes dont il avait été le témoin. Ce document a certainement été vu par les rédacteurs des Mémoires de Richelieu. Il faut le consulter avec précaution. Mais il respire un vif sentiment de la réalité. Il faut le rapprocher de nombreux passages, d'ailleurs connus, des Économies royales de SULLY. — On trouvera, en outre, toutes les pièces du procès réunies dans l'ouvrage de M. ZELLER, Henri IV et Marie de Médicis, Didier, 1877, in-8°.
[4] Le roi a voulu souvent la faire entrer au Conseil pour qu'elle se mette au courant des affaires et des intérêts du royaume. Mais, indifférence ou incapacité, la reine n'a nullement répondu aux intentions du roi. Elle est, d'ailleurs, d'un caractère peu sympathique ; elle s'emploie uniquement à élever et à enrichir une femme qui a toujours vécu avec elle. Elle préfère la combler que de s'occuper de la cour. Elle n'a aucune attention pour les grands du royaume. Aussi, si elle devenait veuve, pendant la minorité de son fils, elle n'aurait pas le temps de se concilier l'esprit de la noblesse et, parmi celle-ci, elle n'aurait personne à qui se fier. Elle est cependant au mieux avec la maison de Guise ; mais cela n'est pas sans danger. Relation de l'ambassadeur vénitien PIETRO PRIULI, écrite en 1608. Recueil de Barozzi et Berchet (t. I, p. 209).
[5] Voir le jugement d'ensemble, remarquable de tous points, porté sur Marie de Médicis, en 1616, par l'ambassadeur vénitien CONTARINI (t. I, p. 556-558). Il est plutôt favorable. Mais il faut tenir compte de la situation d'un ambassadeur qui sait que ce genre de document, lu devant une assemblée nombreuse, peut toujours être connu du dehors. — Cf. d'autres indications : le mot de Henri IV, cité par Mme D'ARCONVILLE : Vous entière, pour ne pas dire têtue (t. I, p. 87) ; ce détail donné par Arnauld d'Andilly : La Reyne s'étoit trouvée fort mal, la nuit du 27 (juillet 1615), d'un grand flux de ventre qui la mène vingt-cinq ou trente fois avec du sang. On en attribue la cause à une colère qu'elle avoit eue le jour précédent. Journal inédit d'ARNAULD D'ANDILLY publié par ACH. HALPHEN, Techener, 1857 (p. 92) ; un autre mot d'Ubaldini : La reine qui donne toujours raison au dernier qui lui parle. Dans PERRENS, Mar. esp. (p. 340). — Voir aussi les citations extraites des lettres de l'ambassadeur d'Espagne Inigo Cardenas, dans CAPEFIGUE, Richelieu, Mazarin et la Fronde, éd., 1844 (t. I, p. 58 et p. 100), et enfin, pour l'opinion des ambassadeurs toscans, l'ouvrage de BERTHOLD ZELLER, la Minorité de Louis XIII, Marie de Médicis et Sully, Paris, Hachette 1892, in-8°, (notamment, p. 142). Il me parait, écrit Botti, en 1612, que cette grande princesse prend tous les jours un véritablement accroissement de prudence. Elle m'a confié qu'elle commence à entendre son métier... Elle m'a dit qu'il n'est pas vrai que son mari eût pris à cœur de l'initier aux affaires... Pour défendre sa vie, au besoin, elle a une extrême confiance en sa force physique. Lorsque le roi se mit à se promener en tête-à-tête avec Biron, elle lui dit qu'elle voulait être auprès de lui pour se jeter par derrière sur le maréchal, si elle avait vu qu'il voulait faire le moindre mouvement (p. 142). Assurément, si l'on s'en rapporte aux portraits et aux tableaux de Rubens, le maréchal eût eu affaire à forte partie.
[6] Voir cette histoire racontée dans le document intitulé : Les Amours de Henri IV par la Princesse de CONTI, publié, dans le Recueil S (p. 49). — Pour tout ce qui précède j'ai groupé des renseignements pris un peu partout ; voir notamment : Histoire du maréchal et de la maréchale d'Ancre, écrite au dix-huitième siècle et conservée en manuscrit aux Archives du ministère des affaires étrangères. France, vol. 769 (f° 75-160) ; la Vie de Marie de Médicis, par Mme D'ARCONVILLE (t. Ier). — CONTARINI écrit, en 1616 : La maréchale, comme Sa Majesté, est originaire de Florence, de basse extraction, tille de sa nourrice ; elle fut courtisée alors par le cavalier Concini qui, ayant prévu de loin sa grande fortune, la demanda en mariage. C'est une femme de beaucoup d'esprit et de grand air ; elle arrange admirablement ses affaires et accumule de grandes richesses ; elle est détestée du peuple qui sait que la reine ne fait rien que par elle. BAROZZI ET BERCHET (t. I, p. 558). Le ministre de Toscane écrit en juin 1610 : D'après ce que j'ai entendu de la reine elle-même, Sa Majesté aime Léonora d'une façon extraordinaire ; elle est comme énamourée d'elle. ZELLER, Minorité (p. 53). Pour les origines, voir VITTORIO SIRI, Memorie recondite, in Parigi, 1677, in-4° (t. IV, p. 17). — Je ne cite que pour mémoire les nombreux pamphlets contemporains qu'on ne peut consulter qu'avec la plus grande prudence : Le volume de PIERRE MATHIEU, La Conjuration de Conchine, publié en 1618, in-8° ; du même, Œlius Sejanus, Histoire romaine, 1626, in-16°. — V. aussi Histoire tragique du marquis d'Ancre et de sa femme contenant un bref narré de leurs pratiques et desseins depuis le traité de Loudun jusqu'aux jours de leur mort et exécution, 1617, in-12°. — La Médée de la France, dépeinte en la personne de la marquise d'Ancre. — Le Catholicon français, par l'admirable Caillot le Songeur. Aux bons François, 1616, in-16°, etc., etc. Voir aussi l'Historiette de TALLEMANT DES RÉAUX, le Maréchal d'Ancre : C'étoit une petite personne fort maigre et fort brune, mais de taille assez agréable,.. laide à cause de sa grande maigreur... Comme elle était mal saine, elle s'imagina être ensorcelée et, de peur des fascinations, elle alloit toujours voilée pour éviter, disait-elle, i Guardalori. Elle en vint jusqu'à se faire exorciser. Éd. 1865, in-12° (t. I, p. 134).
[7] Sur toutes ces origines et sur les difficultés du mariage, voir le passage déjà cité des Memorie recondite (t. IV, p. 60). VITTORIO SIRI dit que Léonora se maria malgré sa difformité et quoiqu'elle fût beaucoup plus âgée que Concini.
[8] Le contrat de mariage a été passé, le 12 juillet 1601, à Saint-Germain-en Laye, par devant Me Ferrant, notaire et tabellion royal. La somme de soixante-dix mille livres n'a été versée que par à-compte et M. CHARAVAY a publié, dans la Revue des Documents historiques (t. I, p. 39), un reçu, signé Léonora Dori et Concino emportant quitus d'une somme de 13.333 écus, faisant le solde définitif de la somme due par la reine aux deux époux.
[9] Extrait des confidences de Sully à Ruffian. Vie de Marie de Médicis (t. I, p. 526).
[10] Dépêche de MATTEO BOTTI, du 19 juin 1610, citée par ZELLER (p. 54).
[11] Mémoires de FONTENAY-MAREUIL, Éd. Michaud et Poujoulat (p. 34).
[12] FONTENAY-MAREUIL (p. 43) et MALHERBE, Correspondance (t. III, p. 207). — ZELLER (p. 53).
[13] Sur la fortune du maréchal d'Ancre et de sa femme, on trouvera des renseignements précis dans le Journal de BASSOMPIERRE, éd. Chantérac (t. II, p. 109) ; dans la Correspondance des Ambassadeurs Vénitiens (dépêches du 2 mai, du 11 juillet et du 22 août 1617), dans celle du nonce BENTIVOGLIO (t. I, p. 153, 178, 203, etc.). Ces documents ont été publiés, en extrait, par M. COUSIN, dans l'appendice de son livre sur Madame de Chevreuse (p. 335). — Voir surtout la très intéressante brochure de M. R. DE CRÈVECŒUR, Un Document nouveau sur la succession de Concini, qui tient compte de la plupart des éléments indiqués ci-dessus et qui, en outre, fait état d'un arrêt inédit du conseil du Roi, du 31 mars 1618, portant saisie de la succession et règlement de la production faite par les divers créanciers.
[14] C'est aussi le mot de Richelieu : La reine grave de son naturel et peu caressante. Mémoires (t. I, p. 125).
[15] Sully est souvent revenu sur cette matière, soit dans ses Mémoires, soit dans la conversation déjà citée. Il porte même une accusation formelle, quoique voilée, dans le passage de son livre où ses secrétaires lui disent : Concini pouvoit se dire en quelque sorte compagnon de M. de Bellegarde (on disait, en effet, que la reine avait un faible pour le beau gentilhomme de la Chambre) avec lequel il n'avoit jamais été guère bien, mais il y avoit toujours eu entre eux des envies, émulations, jalousies, pour de certaines causes que vous savez mieux que nous et que nous laissons deviner aux autres. (Économies royales.) Il est vrai qu'il faut toujours tenir compte, dans ces appréciations du vieux ministre déchu, des sentiments d'hostilité que, depuis sa disgrâce, il avait conçus à l'égard de Concini et de la reine mère. Cependant les mauvaises dispositions de Henri IV a l'égard des Concini sont confirmées par tous les contemporains et notamment dans cette note manuscrite de Richelieu, citée par M. A. BASCHET : Le roi s'avisa de vouloir abattre les Florentines par les Florentins, et suscita Don Juan de Médicis, bâtard de Florence du même sang que la reine, puissant en sens et en qualité par-dessus les Concines, pour les ruiner dans l'esprit de sa femme. Mémoire d'A. Du Plessis de Richelieu. Appendice (p. 45). — Cf., à ce sujet, ce que raconte MALHERBE, Correspondance (t. 111, p. 49-64) et TALLEMANT DES RÉAUX, loc. cit. (p. 132). — Voir aussi la note de la page 131 : Toutes les médisances qu'on en a faites sont publiques. Un jour, comme la reine mère disait : Apportez-moi mon voile, le comte de Lude dit, en riant : Un navire qui est à l'Ancre n'a pas autrement besoin de voiles.
[16] Journal de ce qui s'est passé à la mort du maréchal d'Ancre, dans l'histoire des plus illustres favoris (par PIERRE DU PUY), éd. de 1669.
[17] Correspondance (t. III, 230).
[18] Voir le registre de la Correspondance de Marie de Médicis conservé à la Bibliothèque nationale, Cinq-cents Colbert, vol. 89. La correspondance est très active en 1612 et 1613. Elle se raréfie les années suivantes. Ce registre, qui est une copie, peut, d'ailleurs, ne pas être complet. Il n'en contient pas moins une quantité de renseignements précieux qui me paraissent avoir échappé jusqu'ici aux recherches des historiens et érudits.
[19] Journal d'ARNAULD D'ANDILLY (p. 217).
[20] Mémoires (t. I, p. 169). Les causes de mésintelligence entre Concini et sa femme sont exposées par Richelieu dans ce passage des Mémoires.
[21] C'est aussi l'opinion de M. ZELLER, après lecture attentive des dépêches florentines : On ne peut guère s'attacher à cette idée (des relations intimes existant entre Concini et la reine mère), lorsqu'on sait que nos médisants diplomates s'entendent unanimement sur ce point que le maréchal d'Ancre n'obtenait rien de la reine qu'en considération de sa femme (p. 105).
[22] C'est l'impression qui se dégage de la lecture des Mémoires contemporains et notamment de ceux du Maréchal D'ESTRÉES. Il montre aussi que les intrigues des grands qui espéraient, l'un ou l'autre, profiter du crédit de Concini, contribuèrent plus à la fortune de celui-ci que le choix même de Marie de Médicis. — Voir aussi Mémoires de RICHELIEU (I, p. 99-109, etc.).
[23] Relation de PIETRO DUODO (t. I, p. 231).
[24] Dans une de ses lettres, MALHERBE nous fait connaître exactement la situation respective des ministres auprès de Henri IV : Vous aurez su comme, depuis huit jours, (octobre 1609), les sceaux ont été sur le point de changer de main, et tient-on que le roi avoit autant d'envie de les donner à M. le président Jeannin comme de les ôter à celui qui les a ; tant y a que les choses ne sont point passées plus avant. Je n'en ai rien su de bien particulier, sinon que M. de Villeroy ayant demandé plusieurs fois son congé au roi, il lui dit enfin : Eh bien, je le vous donne, mais emmenez avec vous ce larron de chancelier et ce fou de Pisieux. Le président Jeannin est fort bien avec le roi, et, tous les soirs, le roi l'envoie quérir pour lui communiquer ce qui s'est proposé au Conseil et s'en résoudre avec lui. Correspondance (III, p. 109).
[25] Voir la notice biographique sur le président Jeannin en tète des différentes éditions de sa correspondance.
[26] Le mémoire en question est intitulé : Advis donné à la Reyne Régente, en 1611. Il est conservé à la Bibl. Nat., Cabinet des Mss. Cinq cents Colbert (vol. XVII, I.° 28). Voir aussi Coll. Fontanieu, Louis XIII (I, pièce 63).
[27] Celui-ci est conservé en manuscrit à la Bibliothèque de l'Arsenal, Fonds Conrart, in-f° (t. XVIII, f° 532 et suiv.).
[28] Cet autre mémoire, daté du 10 mars 1614, est également conservé au fonds Conrart, in-f° (t. XVIII, p. 565). — Voir aussi Bibliothèque de l'Institut, fonds Godefroy, vol. 267. — Sur toute cette politique de la Régence, et en particulier de Villeroy, il faut consulter encore : Extrait de la réponse d'un ancien Conseiller d'État à la lettre du duc de Bouillon. MERCURE FRANÇOIS (t. IV, p. 87) : Le soin principal doit être de conserver le royaume, la paix et l'autorité royale plutôt par prudence en dissimulant et achetant quelquefois l'obéissance... que par les armes qui mettent tout en confusion, content beaucoup plus cher et si n'y est-on pas toujours heureux.... — Voir aussi FONTENAY-MAREUIL (p. 32.) — DE THOU, dans sa lettre sur la paix de Loudun (6 mai 1616), reproche à Villeroy d'avoir été l'instigateur des mariages espagnols. Il ajoute, d'ailleurs, qu'après avoir tout fait pour préparer l'union, Villeroy désirait la retarder. Voir Histoire Universelle, édition française, in-4° (t. X, p. 582). — Voici le jugement porté par RICHELIEU sur la politique suivie par Villeroy et le président Jeannin : ... Cela donne juste sujet de douter si c'est un bon moyen d'avoir la paix de l'acheter avec telles profusions de charges et de dépenses, puisqu'elle ôte le pouvoir de continuer, fortifie la mauvaise volonté des grands et augmente le mal par le propre remède et la précaution qu'en a voulu y apporter. Mémoires (t. I, p. 55).
[29] Op. cit. (t. X, p. 591).
[30] Lettre du 25 février 1615. Bibl. Nat., Cabinet des Mss., Fonds Italien (vol. 1767, p. 284.) — Voir encore sa lettre du 12 mai 1615 (vol. 1768, f° 56).
[31] Mémoires de RICHELIEU (t. I, p. 102). — En janvier 1615, CONTARINI écrit au sénat : Les dépenses de l'année précédente ont été très grandes. Malgré l'argent pris dans les caves de la Bastille et la retentie qui a été faite, d'un quart sur les pensions, la couronne est en dette d'environ 60.000 écus (vol. 1767, p. 264.) — Cf. les remontrances du parlement publiées dans le Mercure François (t. IV, p. 56.) — Voir la discussion de ce budget des finances de 1615, au conseil de l'Entresol, le 10 janvier : M. le président Jeannin lit l'état général des finances ; la conclusion est qu'il y a un million d'or de faute de fonds. Arnauld propose tout un système d'économies pour parer à ce déficit. Journal d'ARNAULD (p. 31).
[32] Loc. cit. (vol. 1768, f° 251).
[33] Mémoires de ROHAN, édit. 1646, in 4°, Discours (p. 268).
[34] Il les payait, mais n'avait pour eux que du mépris : Il était libéral et magnifique et il appelait assez plaisamment ses gentilshommes suivants : Coglioni di mita franchi. C'étoient leurs appointements. TALLEMANT (I, p. 132).
[35] Sur le rôle du baron de Lux et sur les habiles libéralités de Concini, voir FONTENAY-MAREUIL (p. 63-66).
[36] Voir MALHERBE (t. III, p. 457-59.) — Journal d'ARNAULD D'ANDILLY, passim, et notamment p. 16-18. — LEVASSOR, Histoire de Louis XIII (t. I, p. 391-392). — Mémoires de PONTCHARTRAIN, édit. in-12° (t. I, p. 180).
[37] CONTARINI (vol. 1767, f° 246).
[38] Journal d'ARNAULD D'ANDILLY (p. 16).
[39] CONTARINI (vol. 1767, f° 263).
[40] On connaît la boutade de Sully au prince de Condé : Et moi, je tiens vos affaires d'État pour des ballets. C'est une allusion à ces fêtes où la jeunesse parlementaire était si heureuse d'être invitée. — Sur l'attitude du Parlement, très favorable, dans toutes ces circonstances, à Condé, voir le Mercure françois (t. IV, p. 38 et suiv.), et cf. le document manuscrit conservé au fonds Dupuy, vol. 96 : Mémoire de l'État du Parlement (en 1615) et comme il est divisé.
[41] Naturellement, les mémoires contemporains s'étendent très longuement sur ces faits. On en trouvera un récit en quelque sorte officiel, avec les pièces publiques les plus importantes, dans le Mercure françois (t. IV, à partir de la page 79). — Le Manifeste du prince de Condé est publié à la page 129. Il est daté de Coucy, le 9 août. — Voir aussi, dans ce même ouvrage, un récit complet du meurtre de Prouville. Il faut le comparer avec la brochure de M. POUY, Concini, maréchal d'Ancre. Son gouvernement en Picardie, 1611-1617 (Amiens, 1885, in-8°). Cet auteur, par une réaction assez naturelle contre les pamphlets contemporains, se montre, en général, très favorable au maréchal d'Ancre.
[42] Voir, notamment, l'importante conversation qu'eurent le prince de Condé et le maréchal de Bouillon avec l'ambassadeur vénitien Contarini, qui la raconte dans sa lettre du 9 avril 1615. Les princes insistent sur ce fait qu'on abandonne tous les anciens alliés de la couronne pour courir aux mariages espagnols. Dépêches de CONTARINI (vol. 1768, f° 24-31).
[43] Le rôle des protestants et notamment les sages conseils de Duplessis-Mornay et de Lesdiguières sont rappelés avec détail par LEVASSOR (t. I, p. 415-453). — Voir aussi Mercure françois (t. IV, p. 214-220). — La sagesse relative du duc de Rohan, à celte époque, s'explique par ce fait qu'il désirait obtenir la survivance du gouvernement du Poitou, qui appartenait à son beau-père, Sully. Cf. ANQUEZ, Assemblées politiques, etc.
[44] Les hommes politiques étaient moins frappés de ces souffrances-que des qualités de commandement que Condé, guidé d'ailleurs par le maréchal de Bouillon, avait déployé dans cette marche hardie à travers la France. Elles faisaient contraste avec l'impéritie de Bois-Dauphin qui (lié probablement par les ordres de la cour) avait laissé passer toutes les occasions de combattre avec des forces très supérieures. V. Journal de BASSOMPIERRE et Dépêches de CONTARINI (vol. 1768, fr, 274).
[45] Pour toute cette partie si intéressante de la vie de Louis XIII, je ne puis que renvoyer aux Mémoires contemporains et aux Documents mis en œuvre par M. ARMAND BASCHET, dans son curieux livre : Le Roi chez la reine, Paris, Plon, 1866, in-8°.
[46] Mémoires de RICHELIEU (t. I, p, 105).
[47] L'hiver fut extrêmement pénible cette année. L'armée souffrit beaucoup et, comme d'habitude, le Français s'en tira par des chansons :
A peine avons-nous de vue
Cette grande ville (Poitiers) perdue
Qu'un grand vent et furieux
Se levant devers la bise
Nous souffla la neige aux yeux.
Jamais de telles froidures,
Pendant les saisons plus dures,
N'ont vu les peuples du Nord
Et fûmes, plus de quatre heures,
A deux doigts près de la mort.
Les uns se tenaient à peine,
Les autres perdant haleine
Tomboient de froid tout noircis,
Dont moururent bien soixante,
Sans les amoureux transis.
Lassés de mainte aventure
Combattus de la froidure
Nous gaignons Chatelleraut
Et nous disions l'un à l'autre,
Compagnon, je n'ai point chaud.
Masques, beguins de Gascogne
Cabans, bonnets de Pologne
Peaux de veaux à l'advenant
Nous y font faire une entrée
Comme à Carême-prenant.
Le froid s'irrite et s'augmente
La reine n'en est exempte
Et parmi tant de travaux
Nous disions que jamais reine
N'avoit souffert tant de maux.
Voir toute la pièce et les autres détails sur les difficultés du voyage dans Mercure françois (t. IV, 1616, p. 21).
[48] Il y a, au travers de tout cela, des aventures très amusantes. Celle-ci, par exemple, où je mêle les deux récits, l'un d'ARNAULD D'ANDILLY, l'autre de TALLEMANT DES RÉAUX : Combat de MM. de Montmorency et de Portes contre MM. de Retz et de Vitry. — Leur querelle fut pour une écharpe chez la Choisy (fille de Jacques l'Hôpital, marquis de Choisy, de bon lieu, dit TALLEMANT, mais très galante). Montmorency avait dû antérieurement épouser Mlle de Beaupréau que M. de Retz avait pris pour femme par la suite ; aussi Montmorency appelait l'autre, au lieu de duc de Retz, duc de mon reste. Chez la Choisy, on se retrouva rivaux ; mais dans le même ordre à ce qu'il semble ; car Montmorency dit, en parlant à son rival : Vous êtes accoutumé d'avoir mon reste. Duel hors des murs : M. de Montmorency tirant une estocade à M. de Retz pare si fort que l'épée de M. de Montmorency lui tombe ; en même temps, il saisit de la main gauche l'épée de M. de Retz, se jette sur lui et le passe par terre. Ainsi M. de Retz étant dessous, et M. de Montmorency n'ayant point d'épée, comme ils virent qu'ils ne se pouvoient que faire l'un à l'autre, ils s'accordèrent et furent séparer les seconds qui étoient aux prises. Puis M. de Retz baille son cheval à M. de Montmorency et monte en trousse, et tous vinrent déjeuner à l'hôtel Montmorency et dîner à l'hôtel de Retz. Ainsi, après comme avant, Retz venait toujours par derrière.
[49] Je ne me serais pas permis ces réflexions ; je les emprunte au judicieux FONTENAY-MAREUIL, Mémoires (p. 104).
[50] On a beaucoup publié sur cette conférence de Loudun ; non seulement les contemporains : PONTCHARTRAIN qui nous a donné un récit complet des négociations auxquelles il prit part, DE THOU qui ne nous ménage ni les minutieux détails, ni les longues réflexions (op. cit., t. X.) ; le Mercure françois, et tous les auteurs de Mémoires ; mais aussi les auteurs du dix-neuvième siècle, qui ont considéré comme une bonne aubaine le fatras des documents stériles qu'ils ont rencontré dans les bibliothèques, ne nous ont rien épargné. C'est ainsi que M. BOUCHITTÉ a publié, aux frais de l'État, dans la Collection des Documents inédits, un volume in-4° de documents sur cet incident minuscule de notre histoire. — M. FAGNIEZ, après avoir consacré à ce même incident un article dans la Revue historique (1888), a repris la question dans son livre sur le Père Joseph et Richelieu. — Malheureusement, en ces matières, on n'est jamais complet, et aux amateurs, je signale le numéro 268, t. III du fonds Godefroy, où se trouvent encore quelques documents inédits. C'est le cas de dire avec le latin : Difficiles nugæ.
[51] Je suis surtout, pour cette période, les récits de DE THOU (t. X, 607), de PONTCHARTRAIN et de RICHELIEU.
[52] Voici la lettre de Concini, d'après le Mercure François (1616, p. 56) : Madame, il court parmi le peuple le bruit que la conférence qui se tient à Loudun ne se peut terminer en une bonne paix que, préalablement, la citadelle d'Amiens ne soit rasée ou qu'elle change de main... J'offre, par le moyen de la présente, à Sa Majesté Très Chrétienne et à la vôtre de l'abattre moi-même ou de la mettre entre les mains de qui Sa Majesté le commandera... J'ajouterai seulement que Leurs Majestés seront toujours obéies par moi en tout et partout, et sans avoir égard à mon intérêt particulier, me contentant seulement que toute la France reconnaisse cette fidélité en moi que peut-être elle a douté de pouvoir trouver en un étranger et qu'elle-même doit désirer en un bon Français. La lettre est habile et le coup de patte de la fin, à l'adresse des rebelles, sent son Italien.
[53] Et afin que le maréchal d'Ancre ne perdit point en cet échange, mais au contraire trouvât son élèvement en l'abaissement qu'on lui avoit voulu procurer, on lui donna la lieutenance du roi en Normandie, le gouvernement de la ville et château de Caen, dont on retira Bellefond, celui du Pont-de-l'Arche, et peu après Quillebœuf. Mém. de RICHELIEU (t. I, p. 110).
[54] Magnat fut exécuté le 31 mai 1613. — Cf. le récit très complet de BASSOMPIERRE (I, p. 316-355), avec celui des Mémoires de la Régence, éd. de 1756 (t. I, p. 140) et le Mercure François. En somme, l'affaire de Magnat reste obscure et je n'ai pas connaissance qu'elle ait jamais été étudiée d'après les documents diplomatiques ou judiciaires. — Les relations secrètes de Concini avec l'étranger n'en ressortent pas moins de témoignages constants. Le 23 décembre 1614, CONTARINI écrit en chiffres à son gouvernement : J'ai su que le duc de Savoie a, par de grands présents, gagné à sa cause la maréchale d'Ancre dont le pouvoir sur la reine est absolu, et il espère en tirer un grand profit. (Vol. 1767, f° 245.) — Vers la même époque le duc de Monteleone, ambassadeur d'Espagne, écrit au duc de Lerne : Je supplie Votre Excellence de croire que je n'ai rien négligé pour attirer dans nos intérêts la maréchale d'Ancre que je crois bien mieux disposée que par le passé... Pour en revenir à la maréchale d'Ancre, je pense que nous n'avons qu'à continuer les bons rapports dans lesquels nous nous trouvons avec elle, et l'argent que l'on doit m'envoyer arrivera à merveille pour la maintenir dans cette ligne. Archives de Simancas. Citation empruntée à CAPEFIGUE, Richelieu, Mazarin et la Fronde, éd. de 1844, in-12° (t. I, p. 174). — Comme on le voit Léonora prenait des deux mains. Mais il est juste de reconnaître, qu'à cette époque, ces sortes de pensions et de cadeaux tiraient peu à conséquence. C'est le cas de rappeler le propos anecdotique relatif à Talleyrand : Il reçoit du roi de Prusse pour qu'on lui donne la Saxe ; il reçoit du roi de Saxe pour éviter que ce royaume soit réuni à la Prusse, et il garde son opinion.
[55] Sur Dolé, comparer : LEVASSOR, Histoire de Louis XIII (t. I, p. 139, 190, 227, 415, 429, 515). — FONTENAY-MAREUIL (t. I, p. 108). — DE THOU (t. X, p. 598). — ARNAULD D'ANDILLY (p. 152). — ZELLER, op. cit. (p. 29), cite ce passage du secrétaire florentin ANDREA CIOLI, qui prouve que Dolé avait une grande influence dès le début de la régence : On tient, écrit-il le 19 juin 1610, que Villeroy est extrêmement mécontent, parce que la reine, dit-on, chaque fois qu'elle sort du conseil, a une consultation sur les décisions qui y ont été prises, avec trois conseillers secrets, à savoir avec, Concino, avec Duret, qui est un de ses médecins, et avec Dole, son procureur et avocat général...
[56] Sur Mangot, Voir LOISEL, Dialogue des avocats, éd. Dupin (p. 96). — DU VAIR, Traité de l'éloquence française. — PASQUIER, Recherches (liv. IV, ch. 27, p. 409). — GRAMMOND, Historiarum Galliae ab excessu Henrici IV, libri XVIII (éd. 1653, p. 133). DUPLEIX, Histoire de Louis XIII, in-f° (p. 90). — LEVASSOR, Histoire de Louis XIII, (t. I, p. 190 et 581). — L'article du Dictionnaire de MORERI. — Ne pas oublier une note très dure sur Mangot recueillie par M. ARMAND BASCHET dans les papiers de Richelieu et publiés en l'appendice au Mémoire d'A. J. Du Plessis, etc. : Mangot exerça quelques mois la charge de M. de Villeroy où il parut ridicule. Les sceaux lui réussirent mieux et sa charge fut remplie par l'évêque de Luçon, où celui-ci fit paraître dès son orient quel devoit être le reste de sa journée. (p. 45.)
[57] Sur Bullion, et sur son rôle dans les affaires de Loudun, voir DE TIIOU, loc. cit. (X, p. 588, 597) ; — l'Historiette de TALLAMANT DES RÉAUX et la Correspondance de RICHELIEU, à l'Index.
[58] Voir Correspondance de RICHELIEU (t. I, p. 699, t. VII, p. 422, p. 472 et surtout p. 521 et p. 931). — Mémoires de BRIENNE (éd. de 1721, t. I, p. 65). — Journal d'ARNAULD D'ANDILLY (p. 167) et Mémoires du même (p. 369). — Mémoires de RICHELIEU (t. I, p. 66, 72, 188). — DE THOU, loc.cit. (t. X, p. 598).— Relation de Duruy dans l'Histoire des Favoris (p. 75-76). Les détails les plus complets sont dans les Mémoires de MONTGLAT. — AUBERY, qui est un apologiste, relève un trait assez curieux de la reconnaissance que Richelieu aurait gardé pour Barbin : dans son testament, il aurait légué une somme de trente mille livres au baron de Broye, héritier de son ancien ami. Cela a presque l'air d'une restitution. Histoire de Richelieu (p. 10).
[59] Il quitte Paris après le 16 mars 1615 (Correspondance, I, p. 142). Il est à Coussay le 17 mai (p. 143-146) ; il profite de son absence de Paris pour faire faire des réparations à sa maison.
[60] Lettre de DUVERGIER DE HAURANNE, du 19 mai 1615 : Il reconnaît que l'évêque a un esprit très supérieur au sien. Il n'a pas d'autres desseins que de l'imiter ; il loue sa circonspection en toutes ses actions... AFF. ÉTRANG., Mém. et Doc. (t. 770, f° 19). — La note où SAINTE-BEUVE essaye d'expliquer l'origine des relations entre Duvergier de Hauranne et Richelieu est bourrée d'erreurs. Le passage des Mémoires de LANCELOT qui s'y trouve cité n'est qu'un ouï-dire d'après lequel l'illustre auteur de Port-Royal a échafaudé des hypothèses contredites par les faits. Comme nous l'avons prouvé déjà, comme nous le rappelons ici, Duvergier de Hauranne et Richelieu se connaissaient dès le début de leurs carrières, et notamment par Chasteigner de la Rocheposay ; sur un point seulement Lancelot a raison : c'est quand il assure que Saint-Cyran savait quelques particularités fort secrètes de la vie de Richelieu et qui n'étaient pas des plus belles. V. Port-Royal, édit. in-12° (t. I, p. 307).
[61] AFF. ÉTR. (t. 770, f° 41), 29 mai 1615.
[62] AFF. ÉTR. (t. 770, f° 42). Sur les questions relatives au concile de Trente, traitées dans l'assemblée du Clergé, voir Dépêches de CONTARINI, Biblioth. Nat., fonds italien (vol. 1768, f° 175).
[63] Sur Bertrand d'Eschaux, voir l'Historiette de Mme de Chevreuse dans TALLEMANT DES RÉAUX, et la Mme de Chevreuse de V. COUSIN, édit. in-12° (p. 115) ; TAMIZEY DE LARROQUE, Lettres inédites de Bertrand d'Eschaux au secrétaire d'État, Villeroy. Extrait de la Revue de Gascogne, 1864. — Cf. Mémoires du P. RAPIN (t. I, p. 32).
[64] AFF. ÉTRANG., Mém. et Doc. (t. 770, lettre du 30 juillet 1615). — Sur Gabriel de l'Aubespine, ses publications et querelles théologiques, voir TAMIZEY DE LARROQUE, Correspondance de Peiresc (t. I, p. 25).
[65] Lettre à Cramoisy, mai 1615 (Correspondance, t. I, p. 144) ; à Zamet, évêque de Langres, juillet 1615 (ibid., p. 147). — Dans toute cette partie de sa publication M. AVENEL a confondu les lettres provenant du marquis de Richelieu et celles de l'évêque. Il y a là une source d'erreurs qui vient du manuscrit (Bibl. Nat., fonds Sorbonne, 1135), où ces documents ont été conservés en copie par un secrétaire (probablement Le Masle), qui n'a pas su distinguer les lettres des deux frères, probablement parce que les minutes n'étaient pas signées.
[66] Correspondance (t. I, p. 137).
[67] La lettre du t. I, p. 118, est, à tort, datée de juillet, par M. AVENEL ; elle est du milieu de septembre, ainsi que l'indique la mention de la maladie de Madame. — Madame retomba malade, à Poitiers, d'un flux de sang. Cf. Journal d'ARNAULD D'ANDILLY, 14 septembre (p. 116) ; RICHELIEU lui-même, dit : Le 27 novembre, Madame eut la petite vérole, à Poitiers. Mémoires (t. I, p. 102).
[68] Mercure françois (t. IV, p. 211).
[69] AFF. ÉTRANG., vol. 770. Lettre du 29 septembre, adressée à Monsieur, Monsieur l'Evesque de Lusson à Coussay, signée Lavacherie ; lettre du même, du 8 octobre ; lettre du même du 15 octobre ; autre lettre du même jour, détails sur l'attitude de Sully ; autre lettre du 28 octobre 1615 ; autre du 29 octobre ; lettre d'un correspondant de Paris du 1er novembre ; lettre de La Vacherie du 4 novembre 1615 ; du 15 décembre ; lettre de Duvergier de Hauranne du 25 décembre ; de La Vacherie du 26 décembre, etc. — Cette correspondance, qui donne la mesure de l'activité d'esprit de Richelieu, pendant cette retraite affectée de Coussay, contient des détails intéressants sur l'histoire de la campagne des princes et, notamment, sur ce qui se passe en Poitou.
[70] Correspondance (t. VII, p. 9).
[71] Lettre à M. Duperron, Correspondance (I, p. 153). — M. Avenel lui-même hésite à l'attribuer à l'évêque. La première phrase semble indiquer qu'elle émane d'un des officiers de l'armée, c'est-à-dire du marquis de Richelieu.
[72] Lettre publiée par l'abbé LACROIX, Richelieu à Luçon (p. 139).
[73] Voir, dans le tome 770 des Affaires étrangères, la courte correspondance avec de Vic. — Lettres de celui-ci du 6 mars et du 14 mars 1616. On voit bien que Richelieu profite de l'occasion qui lui est fournie pour poser des questions au secrétaire d'État. Mais celui-ci, après s'être étendu sur l'affaire particulière, répond évasivement pour ce qui touche à la politique générale. — Voir aussi la lettre à Sillery, du 8 décembre. Correspondance (t. I, p. 157). Mais celle-ci est probablement du marquis. Si elle émanait de l'évêque, elle serait curieuse à rapprocher de la lettre à Charpentier, du 1er février, où la chute des ministres et notamment celle de Sillery est déjà prévue et escomptée.
[74] Voir Correspondance (t. I, p. 1611). Il faut se méfier de l'annotation de M. AVENEL qui, au moment où il commençait sa publication, était peu au courant des circonstances historiques ambiantes et se trompait souvent. — Cf. Mémoires de BRIENNE : ... Celui-ci oublia pour lors ce qu'il m'avait souvent protesté qu'il vouloit être de mes amis et l'expérience qu'il avoit fait de ma bonne foi, en m'adressant les lettres qu'il adressoit à la Reine pendant le voyage de Guienne... Édit. de 1721 (t. I, p. 64.). — Sur Bertrand d'Eschaux, voir Mém. du P. RAPIN, loc. cit. — Quant à la petite affaire de la protection de ses domaines et de ceux de sa mère, elle ne fournit guère qu'un prétexte plausible à la présence de Charpentier à Tours. Richelieu la régla directement avec les chefs des rebelles, Bouillon, Nevers, Condé, auxquels il écrit à ce sujet. Voir Correspondance (t. I et t. VII).
[75] Cet incident, qui avait passé jusqu'ici inaperçu, a été mis en lumière par M. FAGNIEZ dans un article paru dans la Revue historique et reproduit dans son livre : Le P. Joseph et Richelieu. Peut-être, le rôle de Richelieu dans cette intrigue de confessionnal a-t-il été un peu exagéré. Cf. Mémoires de RICHELIEU (t. I, p. 107).
[76] Ils se plaignoient tous que M. le prince avoit pris tout l'avantage pour lui. Mémoires de RICHELIEU (p. 110).
[77] DE THOU (t. X, p. 598).
[78] Cf. Journal d'HÉROARD (1er mai), et Journal d'ARNAULD D'ANDILLY (p. 161).
[79] Mémoires de RICHELIEU (t. I, p. 109).
[80] La rue des Mauvaises-Paroles est mentionnée dans la Correspondance. Cette rue où a habité Richelieu rejoignait la rue des Lavandières et la rue des Bourdonnais. Elle a été démolie, lors de la construction de la rue de Rivoli. On peut se rendre compte de son aspect ancien en visitant aujourd'hui l'étroite rue des Orfèvres et les rues voisines, qui ont conservé la plupart des vieilles constructions contemporaines des règnes de Henri IV et de Louis XIII.
[81] Correspondance (I, p. 85).
[82] Sur la campagne antisémite, très vive alors et qui prenait surtout à partie les médecins et les astrologues et, notamment, Montalto, médecin de la reine mère et de Léonora Galigaï, et Crame Ruggieri, leur astrologue, voir Mercure françois (t. IV et suiv.). — BAYLE au mot Dacquin (I, 278 A). — Cf. un curieux passage des Dépêches de CONTARINI (vol. 1768, f° 3). — Les Juifs étaient visés dans les remontrances du parlement d'avril 1615 et dans le manifeste du prince de Coudé. Des lettres patentes du 23 avril 1615, leur enjoignirent de vuider le royaume un mois après la publication de ces lettres. Quant à la haine contre les Italiens, elle était si vive, qu'on inséra un article contre les étrangers dans la paix de Loudun. LEVASSOR (I, p. 505.) — Cf. Mercure françois (t. IV, p. 120).
[83] L'incident est très connu. Voir notamment Mémoires de RICHELIEU (t. I, p. 113), et Journal d'ARNAULD D'ANDILLY (p. 153).
[84] Parallèle entre les trois premiers rois Bourbons, publié par P. FAUGÈRE, Hachette, in-8° (p. 8). — TALLEMANT dit que Marie de Médicis n'avait pas embrassé son fils une seule fois pendant toute la Régence. — Voir, en sens contraire, ZELLER, d'après les ambassadeurs florentins, Minorité de Louis XIII (p. 128-130). — Cf. David Rivault de Fleurance et les autres précepteurs de Louis XIII, par l'abbé ANIS, Picard, 1893.
[85] Voir surtout le Journal d'HÉROARD, passim, et ARMAND BASCHET, le Roi chez la Reine (p. 71). Cf. Mémoires de la Régence (p. 17) et ZELLER (p. 130).
[86] Vol. 1768, f° 4.
[87] Mémoires de RICHELIEU (t. I, p. 74). Cf. VICTOR COUSIN, le Duc et connétable de Luynes, dans le Journal des Savants, 1861 et suiv., et Mme de Chevreuse, Didier, in-12°.
[88] MONTPOUILLAN, dans ses Mémoires, imprimés dans le tome IV des Mémoires de LA FORCE, donne une version un peu différente des origines de la faveur de Luynes, à laquelle il prétend avoir eu la plus grande part (t. IV, p. 20 et suiv.).
[89] FONTENAY-MAREUIL.
[90] Journal d'HÉROARD. — Voir aussi ARMAND BASCHET, le Roi chez la Reine.
[91] Je suis le récit de Richelieu, renseigné journellement par les confidences de Barbin (t. I, p. 117). Il est, d'ailleurs, presque toujours confirmé par ARNAULD qui prenait part aux conseils et qui écrit au jour le jour.
[92] ARNAULD D'ANDILLY (p. 166-175).
[93] Mémoires de RICHELIEU (t. I, p. 170).
[94] Journal d'ARNAULD D'ANDILLY.
[95] Ce fait résulte de la lettre par laquelle Richelieu a repris ses relations avec le P. Joseph, après la disgrâce qui suivit la mort du maréchal d'Ancre, et aussi des positions différentes prises par les deux amis : l'évêque de Luçon très dévoué à la reine et aux Concini, les du Tremblay, au contraire, attachés au prince de Condé et au duc de Nevers. Voici le passage de la lettre en question : Mon père, je veux vous témoigner par cette lettre que j'ai de la confiance en vous, puisque, bien qu'il y ait plus d'un an et demi que nous ne nous soyons vus, je veux vous écrire avec la même franchise que si nous n'avions bougé d'ensemble. Plus d'un an et demi ! Cette lettre étant écrite en septembre 1617, cela reporte la dernière entrevue et, probablement, les dernières relations entre les deux amis, en février ou mars 1615. Cette date est antérieure à celle du retour de Richelieu à Paris. C'est la période où il se morfondait dans son prieuré de Coussay. Or, vers le début de mars 1615, le P. Joseph était à Loudun. On peut fixer à peu près sûrement à cette date l'époque du dernier entretien qui avait dû laisser, des deux parts, une impression assez pénible, puisqu'ils restèrent plus de dix-huit mois sans s'écrire et, qu'en reprenant la correspondance, l'évêque de Luçon dit : Je veux témoigner la confiance que j'ai en vous, etc. Il convient d'ajouter, cependant, qu'au moment où Luçon alla à Bourges, il se servit, ainsi qu'il est dit au texte, comme intermédiaire auprès du prince de Condé, d'un certain Vidard de Saint-Clair à qui il écrit : Je ne veux pas oublier à vous dire que quelques-uns sont fâchés de l'entremise bâtie par le bon Père pour l'intelligence et union de Leurs Majestés et de Mgr le prince. AFF. ÉTRANG. (t. 770, f° 148). La main du P. Joseph se retrouve ici, parce qu'il s'agissait d'un rapprochement qui, d'ailleurs, ne fut pas durable ; les deux amis se séparèrent de nouveau jusqu'à l'époque où Luçon, tombé du pouvoir, crut devoir recourir à l'intervention du capucin.
[96] Correspondance (t. VII, p. 319).
[97] Mémoires (t. I, p. 112).
[98] Mémoires de RICHELIEU (t. I, p, 115).
[99] Voir LAUGEL, le Duc de Bouillon, d'après les documents inédits. Revue des Deux-Mondes (déc. 1876, janvier 1877).
[100] Le récit circonstancié de toutes ces intrigues encombre les Mémoires du temps. Il faut être au courant des moindres détails pour goûter l'admirable page de psychologie politique qui se trouve dans les Mémoires de RICHELIEU (t. I, p. t 114). Comme force d'analyse et comme pénétration, cela dépasse de beaucoup ce que l'on vante le plus dans la Chartreuse de Parme ; le passage commence par ces mots : Car, premièrement, ils ruinaient le service de Leurs Majestés... Je crois devoir ajouter que cette indication n'est pas à l'adresse du lecteur superficiel. — Cf., d'ailleurs, Journal d'ARNAULD (p. 188), FONTENAY-MAREUIL (p. 83-85, 105), et la Correspondance de CONTARINI pendant toute cette période. — Pour l'affaire de Péronne, voir Une Révolte à Péronne sous le gouvernement du maréchal d'Ancre, par ALFRED DANICOURT, 1885, in-8°.
[101] Voir Mémoires de RICHELIEU (p. 120) et FONTENAY-MAREUIL (p. 106). Journal d'ARNAULD (p. 191).
[102] Sur toute la série des complots pour tuer Concini vers le milieu de 1616, voir LEVASSOR (t. I, p. 534-537).
[103] Cf. RICHELIEU et ARNAULD (p. 191).
[104] 3 septembre 1616. — Voir RICHELIEU, Mémoires (p. 119) et ARNAULD D'ANDILLY (p. 207).
[105] Mémoires de PONTCHARTRAIN (t. II, p. 239). Journal d'ARNAULD D'ANDILLY (p. 205). — M. le prince se trouva être malade de... qu'il avoit gagnées chez un m... nommé Chercaut, lequel tient des femmes chez lui, et traite en festins... M. le prince avoit été averti, par diverses fois qu'il y avoit un dessein de l'arrêter, et encore le mercredi au soir, allant au b... avec un seul gentilhomme près Saint-Martin-des-Champs, il en eut avis, et répondit : La bête est trop grosse. Journal d'ARNAULD D'ANDILLY (p. 197).
En lisant ces détails, on comprend le mot de Bouillon sur Condé, lorsqu'il apprit l'arrestation : Ce petit brouillon nous a tous perdus. (Ibid., p. 200.)
[106] On peut reconstituer tout l'incident de la négociation avec Nevers en rapprochant les documents suivants : Mémoires de RICHELIEU (t. I, p. 66 et p. 130) ; ARNAULD D'ANDILLY (p. 214), et surtout la correspondance manuscrite, inédite jusqu'ici, de Louis XIII ; de Marie de Médicis, du duc de Nevers et de l'évêque de Luçon pendant cette période, conservée à la BIBLIOTHÈQUE NATIONALE, Cabinet des Mss. (f. fr. vol. 3797, f° 45 et suiv.). En vue de cette négociation, Richelieu écrivit de sa main un court canevas des principales raisons à développer devant Nevers et, après sa première entrevue, un exposé des plaintes du duc de Nevers. A ce moment, il croyait encore que Nevers se rangerait à son devoir ; mais le 23 décembre, il ne conservait plus d'illusions et il écrit à M. de Tresnel, d'un ton où on sent l'homme maitre du pouvoir... Véritablement Leurs Majestés désirent avec passion que mondit sieur de Nevers se reconnaisse et leur donne sujet de n'employer point leurs forces contre lui. Mais s'il ne le fait, ils sont obligés, par raison d'État, de le mettre à la raison. On remarquera que, dans cette négociation, Richelieu, flattant la manie du duc de Nevers, parle beaucoup du projet de croisade, délivrance du Saint-Sépulcre, voyage de Hongrie, entreprise dans laquelle le duc de Nevers, poussé par le père Joseph, mêle ses aspirations pieuses et ses ambitions terrestres. Dans ses Mémoires, Richelieu s'explique durement sur cette chimère : Bien que cette entreprise fût mal fondée et sans apparence à ceux qui étoient tant soit peu versés en la connaissance des affaires du Levant... etc. Voir toute la page (t. I, p. 116). — Rapprocher Mémoire sur une tentative d'insurrection organisée dans le Magne de 1612 à 1619, au nom du duc de Nevers, lu à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, le 9 juillet 1841, par M. BERGER DE NIVRAY. (Bibl. de l'École des Chartes, juillet-août 1841.)
[107] Mémoires (t. I, p. 131).
[108] La commission est du 30 novembre. Elle est publiée dans le Recueil d'AUBERY (édit. de 1660, in-f°, p. 6), d'après les Mss. de Dupuy, vol. 92. Cependant ARNAULD D'ANDILLY dit que Mangot et Luçon prêtèrent serment le 26 novembre, et que Luçon prêta de nouveau serment le 2 décembre (Journal, p. 242).
[109] Je n'ai pas pu déterminer, jusqu'ici, à quelle date il reçut le brevet de conseiller d'État. On doit supposer que c'est au même moment où il fut nominé aumônier de la reine régnante. Ce fut, en effet, avant la disgrâce de Sillery, si nous en croyons ce renseignement donne par AUBERY : Il fut fait conseiller d'État et, la première fois qu'il fut prendre séance au conseil et possession de cette charge, le chancelier de Sillery le reçut et le traita avec beaucoup plus de civilité et d'honneur qu'il n'avoit coutume de faire aux autres, Ce qui, ayant surpris quelques-uns de Messieurs du Conseil, il ne leur cela pas la bonne opinion qu'il avait d'abord conçue de ce nouveau conseiller d'État... Il fut bientôt après destiné ambassadeur extraordinaire en Espagne. Histoire du cardinal-duc de Richelieu, édit. de 1760, in-f° (p. 10). — Il convient d'ajouter, pour ne rien oublier, qu'en sa qualité de conseiller d'État, l'évêque de Luçon touchait une pension de 2.000 livres. (Voir le texte de la commission de secrétaire, d'État publiée dans le Recueil d'AUBERY (loc. cit.).
[110] On ne sait pas non plus à partir de quelle date il remplit ces fonctions. C'est, en tout cas, avant septembre 1616, probablement en juillet, peu après la rentrée de la reine mère à Paris. Correspondance (t. 1, p. 177, note).
[111] Voir le brevet de la pension en considération des bons et recommandables services qu'il a rendus ci-devant et qu'il continue chaque jour, daté du 29 août 1616, dans Correspondance (t. I, p. 189).
[112] Il fut bientôt, après destiné ambassadeur extraordinaire en Espagne, sur le sujet de la guerre d'Italie et des différends entre le duc de Savoie et le roi catholique... Cet emploi, lui eût été agréable dans le dessein qu'il a toujours eu de contribuer de tout son pouvoir à l'affoiblissement de la monarchie d'Espagne, émule depuis un siècle ou environ de celle de France ; d'autant qu'il lui eût été facile, étant sur les lieux, de remarquer avec soin les défauts ou le foible de leur État, et de juger ainsi plus assurément de l'endroit où on le pouvoit attaquer avec succès. (AUBERY, p. II.) — AVENEL a cité une minute, en date du 3 novembre 1016, ainsi libellée : Minute d'ordonnance de 6.000 fr. pour l'entreténement de M. de Luçon : ce qu'il lui faut pour les frais du voyage qu'il va faire par commandement en Espagne, en qualité d'ambassadeur extraordinaire. C'est la seule trace officielle que l'on ait rencontrée jusqu'ici de cette désignation (Correspondance, t. 1, p. 189).
[113] Mémoires (p. 111).
[114] Sur Mme de Guercheville, voir Recueil S (page 47), Mémoires de SAINT-SIMON, édit. Chéruel, in-12° (t. IX, p. 391) ; l'abbé LACROIX, Richelieu à Luçon (p. 202) ; Journal d'ARNAULD D'ANDILLY (p. 299) et une note intéressante dans le Journal de BASSOMPIERRE (t. I, p. 172). — DE MORGUES dit, en parlant de Richelieu : Les lettres ont servi pour subtiliser davantage son esprit et pour le faire entrer dans la cour ; à quoi quelques prédications et les recommandations de Mme de Guercheville servirent beaucoup ; elle en a été récompensée depuis comme chacun sait. Diverses pièces (p. 24).
[115] Catholicon françois (f° CII v°).
[116] Recueil de diverses pièces (p. 23).
[117] Correspondance (t. I, p. 183).
[118] A la suite de l'Histoire des Favoris (p. 84).
[119] Correspondance (t. I, p. 191). Voir aussi ce que dit Victor Cousin sur d'autres lettres tout aussi obséquieuses qui auraient été trouvées chez le maréchal d'Ancre après sa mort et versées au procès. (Journal des Savants, 1865, p. 280, note).
[120] Mémoires de RICHELIEU (t. I, p. 131).
[121] Cette sorte de pouvoir de sorcellerie ou de fascination que Richelieu avait su prendre sur Léonora, s'exerçait aussi sur Marie de Médicis. Cf. ces deux passages du Journal de RICHELIEU, si curieux comme traits de mœurs et de caractères : M. de Bullion m'a dit, écrit Richelieu lui-même, que, du temps de la maréchale d'Ancre, Montalte, médecin juif, avoit tellement empiété non seulement l'esprit de la maréchale, mais encore celui de la reine, qu'il leur avoit persuadé qu'on les pouvoit ensorceler par les yeux en les regardant... (Édit. de 1665, p. 48.) La reine interrogea un moine, qui passait pour grand prophète, sur plusieurs choses dont la première fut ce que le cardinal deviendroit et s'il n'avait point de charmes pour se faire aimer. (Ibid., p. 44).
[122] PONTCHARTRAIN dit qu'on se plaignoit... de l'éloignement des affaires de tous les anciens ministres de l'État et de l'établissement de deux ou trois qui n'ont d'autre mérite et expérience aux affaires sinon d'être ministres des passions du maréchal et de sa femme (qui étoient MM. Mangot, Barbin et Richelieu-Luçon). (t. II, p. 268.) — Voir aussi le passage des Mémoires de BRIENNE cité plus loin.
[123] Recueil de diverses pièces, etc.
[124] Mercure françois, 1617 (p. 44).
[125] Dépêche des deux ambassadeurs vénitiens, OTTAVIANO BON et VICENZO GUSSONI, du 29 novembre, Bibl. Nat. f. Ital., vol. 1770 (f° 140).
[126] La Nunziatura di Francia del card. GUIDO BENTIVOGLIO, édit. de 1863 (t. I, p. 14).
[127] Cf. les citations de CAPEFIGUE, Richelieu, Mazarin, etc. (p. 177), et AVENEL, Correspondance (t. I, p. 192).
[128] Correspondance (p. 181, note).
[129] Le reste de la lettre fait défaut. Correspondance (t. I, p. 180-182).