I. — Les deux Glaives. La religion ne crée pas seulement le lien qui unit l'homme à Dieu. Elle règle et surveille les relations entre l'homme et l'homme. Elle n'est pas qu'une théodicée ; elle est aussi une morale et une politique. L'art de gouverner les hommes est invinciblement uni à la mission de les catéchiser, de les convaincre et de les améliorer. Aussi, dans beaucoup de sociétés, les deux pouvoirs ne se distinguent pas. Ils sont, dès l'origine, réunis dans une seule main ; le prophète est, en même temps, un législateur et un conquérant. Dans le inonde chrétien, au contraire, la puissance religieuse ne se confond pas, en principe, avec la puissance politique. Le Christ, du fond d'une Judée vaincue, mais non soumise, recommandait l'obéissance aux pauvres gens qui le suivaient. Il déclarait que son royaume n'était pas de ce monde. Évitant le piège que lui tendaient les pharisiens, il disait : Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. Mais quand son Église eut triomphé et qu'elle fut devenue une puissance traitant d'égale à égale avec les empereurs, elle ne put échapper aux responsabilités qui incombent aux dominations. On fut frappé alors de l'antinomie inscrite dans la formule divine, et la lutte s'engagea sur la question de savoir ce qu'on doit à César et ce qu'on doit à Dieu. A l'aube des temps modernes, le problème des rapports entre les deux pouvoirs se trouve posé en ces termes : à Rome, une autorité faible, mais vénérée, revendique une double domination spirituelle et temporelle ; dans les autres pays chrétiens, d'une part, des églises locales actives, riches, puissantes, mêlées au siècle, réclament toute l'indépendance compatible avec l'unité du dogme ; d'antre part, des pouvoirs laïques représentant les premières aspirations des nationalités naissantes, nient l'autorité temporelle du Saint-Siège et convoitent les richesses immenses possédées, sous leurs yeux, par les églises locales. La papauté parut l'emporter tout d'abord. Grégoire VII et Innocent III crurent un instant que leur rêve d'hégémonie pouvait se réaliser ; mais, sous leur main tendue pour le saisir, il s'évanouit. Ce fut alors le tour des églises locales. Elles partagèrent l'heureuse fortune du parti aristocratique. Elles prirent une part active au gouvernement des peuples, en donnant aux rois des conseillers et des ministres ; elles étendirent la juridiction ecclésiastique et l'empire du droit canon, sur la majorité des fidèles ; elles s'emparèrent de toutes les branches de l'activité intellectuelle et mirent la main sur l'éducation des peuples et sur celle des princes. En France, l'aristocratie épiscopale touche à son apogée vers le treizième et le quatorzième siècles. Après l'exil d'Avignon, et dans les temps du schisme, elle cite le pape à sa barre dans les fameux conciles de Constance et de Bile ; elle arrache an roi la Pragmatique sanction de Bourges, qui assure, à l'encontre de la papauté, et à l'égard de la royauté, les privilèges, libertés et franchises de l'Église Gallicane. Mais la royauté était déjà trop forte pour laisser se constituer ainsi, auprès d'elle, une autorité rivale de la sienne. A peine sortie de la guerre de Cent ans, elle déchire le contrat que, dans un jour de faiblesse, elle avait signé. Elle s'appuie sur home pour détruire l'autorité épiscopale ; elle se sert en même temps des évêques pour mettre un frein aux ambitions ultramontaines. Louis XI inaugure cette politique de bascule par un coup de vigueur fort mal apprécié d'ordinaire : de la Pragmatique de Charles VII. La papauté avait déjà renoncé à son entreprise de domination universelle. Trop heureuse de se rapprocher des pouvoirs civils, elle avait adopté, depuis Martin V, la politique des Concordats, qui sauvait ce qui pouvait être sauvé, et qui lui assurait du moins l'autorité spirituelle, à défaut des avantages temporels. Le concordat français, esquissé à diverses reprises, sous Charles VII et sous Louis XI, finit par se conclure sous François Ier et remplaça cette Pragmatique que Home qualifiait de détestable. Ce n'était qu'un acte de plus dans la série des transactions par lesquelles le Saint-Siège liquidait la faillite de ses ambitions médiévales. Cet arrangement sauva Home du schisme, et la France de Réforme[1]. II. — La Réforme et les guerres de Religion. S'il y eut, au cours de notre histoire, une époque où notre peuple connut la douceur de vivre, ce fut vers la fin du quinzième et le premier quart du seizième siècle. Le Moyen Age était fini ; l'aube des temps modernes se levait ; une espérance passait sur le monde. Cette heure délicieuse laissait poindre, parmi les grâces languissantes d'une civilisation qui se mourait, les premières ardeurs de celle qui allait surgir. L'art français produisit, en ce temps, sa fleur la plus exquise ; le gothique flamboyant embellit de son luxe assorti, les horizons délicats et les coteaux modérés de notre France. Cette floraison éclatante et comme d'un été soudain, est le témoignage le plus assuré de la richesse et de la tranquillité du pays. Un seul nom suffit pour évoquer ces heureuses années : c'est celui de Louis XII, le Père du peuple. La France resta, pendant des siècles, reconnaissante à ce prince des heures de bien-être qu'elle avait connues sous son règne. Si l'on compare le tableau presque idyllique de ce temps légendaire avec les drames sanglants qui désolent, au même moment, l'histoire de l'Allemagne, ou ne s'étonnera pas de trouver la France moins prompte aux nouveautés et moins disposée à courir les chances d'une révolution. Le pouvoir central en France était, depuis longtemps, constitué et fort. La grande aristocratie laïque avait péri sous ses coups. Le corps de la noblesse n'était ni assez puissant, ni assez uni pour avoir une politique suivie, capable d'arrêter les progrès de l'autorité monarchique. La nation se groupait autour de son roi ; il était aimé et il était craint. Pendant les premières années du règne de François Ici', l'union du peuple et du gouvernement était si naturelle, qu'on n'eut su concevoir quelle cause intérieure pouvait troubler l'équilibre de ce florissant empire. La question des biens ecclésiastiques, cause immédiate de la révolution allemande, était résolue, et résolue en faveur de la royauté ? Tel fut l'effet du Concordat de François Ier : en signant cet acte, le pape et le roi s'étaient attribués l'un à l'autre ce qui ne leur appartenait pas : à celui-là l'autorité sur les évêques, à celui-ci la disposition de la fortune ecclésiastique. Le clergé se trouva ainsi dépouillé, d'un trait de plume, de son indépendance et de ses richesses : la Réforme, par conséquent, devenait inutile. Des historiens se sont demandé ce qu'il serait advenu, si le roi de France s'était fait protestant. Question vaine. C'était un parti que le roi ne pouvait prendre. La rupture avec Rome eut amené la dénonciation du Concordat, c'est-à-dire l'abandon volontaire des avantages que le suces d'une politique séculaire venait d'assurer à la royauté. Qu'on observe l'évolution du protestantisme français, on remarquera à quel point son action a toujours manqué d'étendue et de profondeur. Théodore de Bèze énumère avec complaisance les églises fondées dans la plupart des villes de France, durant les trente années qui vont de 1530 à 1560 mais il se garde bien de faire connaître le chiffre des fidèles. Sauf dans quelques centres populeux, il est presque toujours peu élevé[2]. Paris fut, en tout temps, hostile à la Réforme. Or, qu'est la France, sans Paris ? La capitale était déjà cette tête trop lourde pour le corps, dont parlait Henri III. Théodore de Bèze n'a pas assez d'injures pour la prostituée, la Babylone moderne. Cela veut dire que la Réforme n'y avait que des succès restreints[3]. De même, les femmes restent presque partout en dehors du mouvement. Le protestantisme français fut viril ; il se poussa par la raison, par le courage, par la gravité, mais non par le charme, et le sentiment, par cette séduction féminine, qui, souvent, chez nous, tourne les têtes après les cœurs. Tout au début, on avait bien entendu quelques grandes dames, d'imagination libre, soupirer, sur des airs de danse, la traduction des psaumes de Marot. Ces fantaisies disparurent bientôt. Dans le livre des martyrs, les noms de femmes sont très rares. Enfin le paysan français s'abstint presque partout. Les marchands, les artisans, les tisserands, les colporteurs, les étudiants sont cités presqu'à toute page dans Théodore de Bèze ; les laboureurs, très rarement. Sauf dans les régions voisines de l'Allemagne et des Flandres, les masses rurales furent, au début, indifférentes, bientôt hostiles. C'est ici que la comparaison s'impose avec ce qui se passait en Allemagne. Le tumulte des guerres sociales, les assemblées de paysans dans les bois, les conciliabules du soulier à lacet, les succès effrayants de Muncer, puis les révoltes, la destruction, la dévastation répandues au nom des idées nouvelles, à tel point que Luther lui-même avait été obligé de désavouer ces redoutables auxiliaires, tout cela présente, avec la réserve et le calme du paysan français, un contraste qui découvre, dès l'origine, la divergence existant entre les deux mouvements et qui donne la raison de leurs divers succès. Dès l'année 1560, le protestantisme apparaît, en France, avec tous les caractères d'un parti politique aristocratique[4]. C'est Théodore de Bèze lui-même qui va nous dire comment, au cours de cette année 1560 la cause fut constituée : ... Les façons de faire ouvertement tyranniques (des Guises), les menaces dont on usoit envers les plus grands du royaume, le reculement des princes et grands seigneurs, la corruption des principaux de la justice rangés à la dévotion des principaux gouverneurs (les Guises), les finances du royaume départies par leur commandement et à qui bon leur semblait, comme aussi tous les offices et bénéfices, bref, leur gouvernement, violent et de soi-même illégitime, émut de merveilleuses haines contre eux... Chacun donc fut contraint de penser à son particulier, et commencèrent plusieurs à se rallier ensemble pour regarder à quelque juste défense pour remettre sus l'ancien et légitime gouvernement du royaume[5]. Ce sont bien là des raisons politiques. La dispute religieuse est devenue une affaire d'État, et l'hérésie couve la rébellion. Brantôme dit, en parlant des premiers troubles, qu'il y eut dans tout cela pour le moins autant de mécontentement que de huguenoterie. Catholiques et protestants, tous les témoignages concordent[6]. Aussi, quand on se fut assuré du concours plus ou moins déclaré d'Antoine de Bourbon, quand le prince de Condé et les Châtillon se furent prononcés ouvertement, en un mot, quand on se crut assez fort on se considéra comme suffisamment autorisé et on organisa la résistance politique et militaire. Le royaume se trouva subitement divisé. Cette belle unité des règnes de Louis XII et de François r fut détruite, et le protestantisme mérita, bort gré mal gré, le reproche que ses adversaires lui faisaient, depuis longtemps, d'être un instrument de désordre et de désagrégation non seulement dans l'Église, mais aussi dans l'État. Composé d'hommes vigoureux et décidés à tout, le protestantisme français ne devait pas s'en tenir aux demi-volontés et aux demi-mesures. Quand les dernières violences eurent été consommées contre lui et que les horreurs de la Saint-Barthélemy l'eurent ramené à l'état de défense naturelle, il trouva, dans ces excès, la justification de sa révolte. Aucune barrière n'arrêta désormais ces esprits dépouillés soudain de l'épaisse couche de règles et de préjugés entassée par les siècles. Une école de publicistes nouvelle se dressa en face de la royauté, et, au nom de l'histoire, an nom de la justice, au nom de la raison pure, lui demanda compte de ses actes, l'interrogea sur les origines et sur les droits de ce pouvoir absolu dont elle faisait un si étrange abus. La Boétie, Hotman, Hubert Languet, une foule d'auteurs anonymes répandirent dans le public des pamphlets où la doctrine de la souveraineté populaire était développée hardiment[7]. On décida que le roi n'était qu'un commis de la nation, et que s'il abusait de l'autorité dont il était le dépositaire, on pouvait le déposer comme un tuteur suspect. On s'insurgea contre l'erreur traditionnelle de la politique française, et, en particulier, de la politique légiste. On dénonça Louis XI comme le premier tyran. Empruntant à la bible et à l'antiquité classique des préceptes et des modèles qui s'appliquaient trop directement aux faits contemporains, ces républicains firent l'apologie de l'assassinat politique et ils proclamèrent qu'une conscience honnête et libre, et qui se sent inspirée, peut choisir sa victime parmi ses adversaires, et supprimer l'homme qui est un obstacle à l'avènement de la liberté et à l'établissement du règne de Dieu. Plus audacieuse enfin et plus coupable, la doctrine protestante, après avoir autorisé l'insurrection et l'assassinat, conseille le recours à l'étranger, en cas de discordes civiles pour cause de religion. Cette décision fut acceptée par les meneurs du parti, après qu'ils en eurent mûrement pesé les conséquences. Sur le bord du fossé, les meilleurs hésitèrent longtemps. L'amiral, quelque temps avant le traité d'Hamptoncourt, avait déclaré qu'il aimerait mieux mourir que de consentir que ceux de la religion fussent les premiers à faim venir les forces étrangères en France. — Jusqu'ici, écrivait Calvin à Bullinger (9 juin 1562), on a hésité à demander du secours au dehors. J'ai toujours conseillé aux nôtres de ne pas prendre l'initiative d'une démarche semblable. Mais maintenant que nos adversaires ont enrôlé des reitres d'Allemagne, nous pouvons appeler justement des auxiliaires[8]. Ces hésitations prouvent que, dans le parti protestant, on avait conscience du crime que l'on allait commettre. Quant an prétexte invoqué, l'exemple du roi faisant, comme de coutume, procéder à des enrôlements en Allemagne, pouvait-il justifier ce traité de Hamptoncourt qui, trois mois après, livrait le Havre et la Normandie aux Anglais ? D'ailleurs, il ne s'agit pas ici de dispenser la louange et le Mime et de dire on furent les premiers torts : les catholiques furent tout aussi coupables. Ce que je veux seulement établir, c'est que les discordes religieuses m'aient jeté un tel trouble dans les consciences que le respect de l'ordre antique et le patriotisme naissant furent refoulés. Une religion nouvelle préparait un État nouveau, et, provisoirement, instituait un État dans l'État[9]. L'organisation politique du protestantisme français se dessina, dès 1573, dans l'assemblée de Milhaud[10]. Elle avait pour objet d'étendre sur toute la France le réseau d'une administration distincte, par son principe et son fonctionnement, de l'administration royale. Le système reposait sur la conjuration, c'est-à-dire sur le serment prêté individuellement, par chacun des membres de l'union, de rester comme frères et domestiques en la maison du Seigneur. de s'aider, de ne se départir aucunement de ladite union, quelque commodité et condition qui leur fussent présentées. La France était divisée en diocèses et en généralités. Dans chacune de ces subdivisions, il y avait des assemblées, dont les membres étaient élus parmi les nobles de la région. Sur ce principe, fédéral et aristocratique, reposait une autorité délibérante suprême, celle des États généraux de la Cause qui devaient s'assembler tous les trois mois, et qui se composaient, pour chaque généralité, d'un noble, d'un député du Tiers, et d'un magistrat. Les Conseils de généralité assuraient le recrutement de l'armée et la discipline militaire. Tous les revenus royaux, tous les biens du clergé étaient confisqués. En matière judiciaire, l'autorité des tribunaux royaux était déniée, sauf au civil et en première instance ; les causes criminelles et l'appel étaient portées devant des tribunaux spéciaux avant surtout un caractère arbitral. Cette organisation fut modifiée plusieurs fois, par la suite, et notamment à Nîmes, en 1575, et à la Rochelle, en 1588. Mais elle n'en reste pas moins le type de la constitution des forces protestantes en France, type éminemment délibératif et aristocratique, s'inspirant, par conséquent, de principes diamétralement opposés A ceux sur lesquels reposait l'administration générale du royaume. C'était, selon la remarque de de Thou, une nouvelle espèce de république, séparée du reste de l'État, ayant ses lois propres pour la religion, le gouvernement civil, la justice, la discipline militaire, la liberté du commerce, la levée des impôts et l'administration des finances. Cependant, comme l'existence du parti huguenot était une guerre perpétuelle, il lui fallait un chef. La méfiance des pasteurs fut bien obligée d'en passer par là. On constitua donc un Protecteur des Églises, juge d'Israël, chef, gouverneur général et commandant des armées, au nom, lieu et autorité du roi de France. Mais on l'entoura de mille liens. Il ne put prendre aucune mesure importante sans l'assentiment des corps délibérants. Que ce soit Condé, que ce soit Henri de Navarre, ce chef n'est pas libre. Il est tenu sous le joug par les ministres, ces sévères Nathans, qui ne cessent, de dénoncer publiquement ses erreurs, ses fautes, ses défaillances : Voici le temps de rendre les rois serfs et esclaves, disait un d'eux ; et toute la politique des assemblées était visiblement dirigée de manière à faire contrepoids à la tyrannie protectorale. Henri de Navarre fit, en qualité de protecteur, une dure expérience de la difficulté des corps délibérants ; Henri IV ne devait pas l'oublier. Le parti protestant, appuyé sur les ambitions aristocratiques, spéculant sur la tiédeur des politiques, comptant sur les secours de l'étranger, bénéficiant de l'affaiblissement du pouvoir royal, avait des chances sérieuses de succès. La lutte eut, comme on le sait, ses alternatives. Elle menaçait de se prolonger longtemps, quand, soudain, les chances de la Réforme s'accrurent par la mort inattendue du duc d'Anjou. Le chef de la cause, le Protecteur des Églises, le brillant soldat dont la jeune gloire éclipsait déjà la renommée des plus illustres capitaines, Henri de Navarre, devenait tout' à coup l'héritier présomptif de la couronne ; et au moment où la disparition de son cousin le rapprochait du trône, le roi lui-même se rapprochait de lui. Ce coup de fortune extraordinaire s'acheva par la mort de Henri III. Le roi légitime était assassiné par un catholique, par un moine, au milieu d'une armée où tout ce qu'il restait de royalistes fidèles en France s'était réuni pour assiéger, d'un commun accord avec les protestants, le Paris de la Ligue. Par cette catastrophe, le chef d'une cause où les idées anti-royales avaient fait de tels ravages devenait le Roi. Les catholiques devenaient, à leur tour, des rebelles. Les choses, comme dit Bayle, allèrent soudainement du noir au blanc. Les doctrines se transformèrent avec les intérêts : c'est ce que nous verrons par la suite ; mais il faut, tout d'abord, considérer le rôle du parti catholique dans les années qui avaient précédé cette étonnante péripétie. III. — Le parti catholique et la Ligue. Tous les théologiens, tous les publicistes du XVIe siècle, catholiques ou protestants, sont d'accord pour penser qu'il est loisible au prince et au magistrat légitime, de punir et de détruire les hérétiques. La fameuse devise unitaire une foi, une loi, un roi donnait en France une force singulière à cette théorie. Personne ne pouvait se plaindre si le roi de France, procédant en forme régulière, livrait aux tribunaux ceux de ses sujets qui manquaient à l'autre règle également acceptée par les protestants : cujus regio, ejus religio[11]. Les historiens protestants s'efforcent de prouver que
François Ier hésita, avant d'ouvrir contre eux l'ère de la répression.
Désireux qu'ils sont de rendre la famille de Guise responsable des sévérités
qui les jetèrent dans la révolte, ils gardent quelque ménagement pour la
mémoire de ce roi, et même pour celle de Henri II. Mais les faits parlent
clairement. Malgré son amitié pour sa sœur, Marguerite d'Angoulême, en dépit
des intérêts de sa politique extérieure, François lier. pensa toujours que
c'était pour lui un devoir strict de s'opposer aux progrès de l'hérésie.
Brantôme dit : Cette nouveauté ne lui plut et ne
l'approuva jamais, disant qu'elle tendait du tout à la subversion de la
monarchie divine et humaine[12]. Henri II ne
raisonna pas autrement. Il comprit le danger,
dit l'ambassadeur vénitien, Michel Suriano, et
voyant que ce peuple qui était habitué à tant d'obéissance, en était venu à ce
point d'insolence que, non seulement on ne craignait pas les menaces royales,
mais qu'on prêchait publiquement, qu'on tenait des assemblées où assistaient
un grand nombre de gens de qualité des deux sexes et de tout âge, ce prince,
pour ne pas perdre tout à fait son autorité et l'obéissance de ses sujets,
fut forcé de conclure la paix avec le roi catholique à des conditions fort
désavantageuses, afin de pouvoir éteindre cet incendie qui brûlait de toutes
parts[13]. Ce texte indique une autre conséquence de la Réforme : la France affaiblie par ses divisions intestines était obligée de se replier sur elle-même et de suspendre la lutte contre ses adversaires du dehors. Cette paix hâtive eut un contre-coup imprévu sur le développement de l'hérésie. On ne laisse pas impunément inactifs les éléments militaires d'une grande nation. Tous ces soldats, ces gentilshommes, occupés de la guerre et nourris par elle, se trouvèrent tout à coup sans emploi, en demi-solde, comme on eût dit trois siècles plus tard. Ils refluèrent sur le royaume, vinrent à Paris en grand nombre, battre le pavé, solliciter des pensions, un gagne-pain ; et comme on ne pouvait Tes satisfaire, ils retournèrent dans leurs provinces, déçus, aigris, se ruèrent dans les complots et apportèrent, à la. résistance des réformés, l'appoint de leur turbulente misère. La mort de Henri II affaiblit le pouvoir, au moment di le péril devenait plus menaçant. Les protestants démasquaient leurs projets. Las du rôle de martyrs, pour mieux se défendre, ils attaquaient. Partout, dans les provinces, des conjurations locales se formaient. En Provence, en Dauphiné, à Angers, sur un mot venu d'on ne sait où, le parti s'emparait des citadelles, pillait les églises, mettait la main sur les revenus ecclésiastiques, organisait une manière de gouvernement. Par le roi de Navarre, par les Condé, par les Châtillon, il touchait à la couronne. Par Genève, il s'assurait des appuis au dehors : On affirmait avec toute vraisemblance que les réformés se mettoient devant les yeux l'exemple des royaumes d'Angleterre, de Danemark, de Suède, d'Écosse, de Bohème, des six cantons principaux des Suisses, des trois ligues des Grisons, de la République de Genève, où les protestants te-noient la souveraineté et, qu'à l'exemple des protestants de l'Empire, ils se vouloient rendre les plus forts pour avoir pleine liberté de leur religion, comme aussi ils espéroient et pratiquoient leurs secours du conté des étrangers, disant que la cause étoit commune et inséparable[14]. Dans ce péril, et en présence de l'espèce d'interrègne qui suivait la mort de Henri II, les catholiques, qui formaient, en somme, la majorité du pays, eurent le sentiment que leur salut ne dépendait plus que d'eux-mêmes. Ils pensèrent que l'heure était venue de s'organiser comme l'avait fait le parti protestant. Ils se donnèrent des chefs surs, énergiques, décidés à tout. Avec l'élan qui emporte ce peuple de France vers ceux qui représentent ses aspirations on ses passions du moment, avec l'engouement qui sacre et divinise ceux qu'il aime, il se jeta dans les bras de la famille de Guise. Elle avait à sa tête deux hommes : un général heureux, qui avait défendu Metz et pris Calais ; un politique habile, prêtre et cardinal. Ils étaient riches, généreux, affables ; autour d'eux, des dévouements sûrs, une clientèle dévouée. Il n'en faut pas tant aux Français. Les Guises, qui étaient, la veille, des hommes populaires, devinrent, le lendemain, des hommes providentiels : Le clergé de France, presque toute la noblesse et les peuples qui tenaient la religion romaine jugèrent que le cardinal de Lorraine et le duc de Guise étaient appelés de Dieu pour la conservation de la religion catholique établie en France depuis douze cents ans. — Soudain, tout suit, tout crie : Vive Guise ![15] Le cardinal de Lorraine est investi, par le consentement populaire, d'une sorte de dictature : qu'il sauve le royaume de l'hérésie, c'est ce qu'on veut de lui. Catherine de Médicis sentait bien la force du coup porté à l'autorité de son fils ; mais la prudente Italienne ne peut qu'attendre et dissimuler. Le cardinal de Lorraine est poussé aux mesures extrêmes par son caractère et par le péril de sa situation. Un historien, qu'on peut considérer comme un apologiste, dit : le cardinal, était disposé à prendre une grande et suprême mesure qui aurait sans doute épargné quarante années de guerres civiles à la France... les protestants, quoique déjà nombreux à cette époque, ne formaient pas encore la dixième partie du royaume... Il pensa, qu'en privant la secte de ses principaux appuis et en déployant contre elle toute la puissance royale, secondée par les États généraux, il parviendrait promptement à l'anéantir... Comme on s'attendait à trouver de la résistance, on avait pris de grandes précautions. Indépendamment de la gendarmerie, qui marchait sur Orléans, on avait levé vingt et une enseignes de vieilles bandes avec bon nombre de gens de pied, et si la nécessité l'exigeait, on devait faire venir 4.000 Suisses et autant de lansquenets... Toutes ces forces devaient être partagées entre quatre divisions qui parcourraient les provinces, du nord au midi, pour chasser les huguenots et faire obéir le roi. Tellement qu'on prévoyait qu'en peu de temps le mal, n'étant encore qu'en sa naissance, eût été bientôt étouffé et ceux de cette religion nouvelle étant réduits à l'extrémité, eussent eu plus affaire à combattre contre les juges et à demander pardon qu'à faire la guerre en campagne[16]. Pasquier s'extasie sui la beauté de ce dessein. On ne peut nier qu'il ne soit marqué au coin de la grandeur ; il eût combiné, dans une seule et même entreprise, la Saint-Barthélemy et la révocation de l'édit de Nantes, les arquebusades et les dragonnades. Malheureusement, ces mesures si bien prises ne purent être appliquées : Au moment où le cardinal avait le bras levé pour frapper l'hérésie, Dieu l'arrêta et mit des bornes au pouvoir absolu dont sa maison s'était emparé sous un roi faible et sans expérience. Cet événement imprévu fut la mort de François II. Le lendemain, Catherine de Médicis se crut reine. Elle se sépara des Guises. Laisser de tels gens an pouvoir, c'était eu revenir à l'institution des maires du palais. Mais on s'aperçut bientôt que les frapper c'était atteindre tout le parti catholique[17]. Pour suivre cette politique, il fallait prendre son point d'appui du côté des protestants. Autre péril, et de fièvre on tombait en chaud mal. Tel fut cependant le parti que Catherine de Médicis et le chancelier de l'Hôpital crurent devoir prendre. Les catholiques crièrent f la trahison et l'autorité des Guises s'accrut de leur disgrâce. La royauté n'était plus assez forte pour se tenir seule au-dessus des partis. Elle était acculée au choix des fautes. Penchant alternativement vers les solutions contraires, jouet à la fois des ambitions aristocratiques et des passions populaires, irrésolue ou immodérée, elle signe les édits de pacification ou décrète la Saint-Barthélemy ; et, au fur et à mesure qu'elle avance dans cette voie douloureuse, elle sent grandir autour d'elle la désaffection et le mépris. On sait où les choses en étaient à la fin du règne de Henri III. La série funeste des trois fils de Henri II, la stérile habileté de Catherine de Médicis et l'odieux de son entourage italien, l'amère déception que Henri III avait fait éprouver au parti catholique, d'abord par son départ pour la Pologne, puis par la pusillanimité de sa politique personnelle ; toutes ces causes avaient développé à un point presque incroyable le dégoût pour cette forme de gouvernement autoritaire et centralisé, qui, au début du siècle, avait paru si universellement acceptée et préférée. Toutes les oppositions vaincues, toutes les résistances qu'on eut pu croire brisées avaient repris vigueur. Les vieilles traditions féodales, les souvenirs de l'autonomie provinciale et du particularisme communal, les aspirations confuses des masses populaires soulevaient une nation mobile, amoureuse du bruit, de l'éclat, du changement. La mort du duc d'Anjou mit le comble aux appréhensions des catholiques, à l'incertitude des politiques, et aux espérances des ennemis de la royauté et du royaume. La loi héréditaire appelait maintenant au trône le fils de Jeanne d'Albret, cet Henri de Navarre, déjà deux fois apostat, déjà deux fois vainqueur des catholiques, allié d'Élisabeth, chef et. protecteur de la cause protestante. C'en était trop ; la constitution du royaume, cette constitution traditionnelle, fondée sur l'obscur prestige de la loi salique, ne répondait plus aux nécessités du moment. Elle ne pouvait faire que la couronne fût assurée à un hérétique. Dieu ne le permettrait pas. Il ne se tournerait pas contre lui-même ; quelque chose allait se passer. La tige des rois étant séchée, une nouvelle souche allait refleurir. Pourquoi chercher d'ailleurs ? Le choix n'était-il pas fait ? L'homme prédestiné n'était-il pas là ? Les mains ne se levaient-elles pas d'elles-mêmes pour le désigner ? Les bouches ne s'ouvraient-elles pas pour acclamer le David, le Macchabée, l'élu du Seigneur, Henri de Guise ? Il était là beau, brave, splendide, race de Charlemagne, vainqueur, irrésistible. Son père était mort, martyr de la bonne cause ; il portait lui-même, haut sur le visage, la glorieuse balafre de l'arquebusade hérétique. Sage et vaillant, il était entouré d'une escorte de vaillants et de sages. Qu'attendait-on[18] ? Ainsi, on vit se propager rapidement, au sein du parti catholique, les mêmes sentiments de méfiance et de haine à l'égard de la royauté, le même désir de changement qui avaient jadis animé le parti protestant. Les choses, ici encore, passèrent du blanc au noir. Les théologiens. et les prédicateurs reprirent textuellement les thèses révolutionnaires que les ministres avaient, empruntées à l'antiquité païenne ou découvertes dans la Bible. Ce sont maintenant les Porthaise, les Bouclier, les Benoît, curé de Saint-Eustache, l'auteur de l'apologie de Jean Châtel, les écrivains à gage de la fameuse bibliothèque de Mme de Montpensier, qui développent à satiété la doctrine de la souveraineté populaire. Ils enseignent, à leur tour, que les rois n'occupent le trône qu'en vertu du consentement de tous ; qu'il existe entre eux et les peuples un contrat toujours révisable ; que ceux-ci ne peuvent aliéner leur indépendance pour toujours, et qu'ils sont libres de reprendre ce qu'ils ont donné. On ajoutait que le roi-tyran peut être mis a mort, ou, du moins, relégué dans un couvent, pour laisser la place à d'autres plus dignes ; s'il est ou s'il devient hérétique, ou si seulement il favorise l'hérésie, il est écarté par le concours de l'autorité pontificale et de la volonté des peuples délibérant en assemblée d'États. Cette nouvelle doctrine politique, qui se réclame de saint Thomas et s'appuie sur certaines décisions des papes, est répandue par des pamphlets innombrables, hurlée jusque dans les dernières bourgades par la voix des prédicateurs. Elle finit par pénétrer dans les esprits. Elle déchire le pacte traditionnel et refuse l'obéissance au roi. Tout le peuple du royaume, et principalement celui des villes qui ne reçoivent de la monarchie que le fournir et le servir, n'avoient que la liberté en tête, au cœur que ceux qui leur en fourniraient le plus court et le plus facile moyen. A ce seul mot, on a été ébahi que, comme les forçats des galères, toutes les villes de France ont abandonné les rames du devoir et de l'obéissance[19]. La Ligue naquit de l'impuissance de la royauté. Ceux qui la fondèrent eurent le sentiment qu'en France, il n'y avait plus de gouvernement, et qu'il fallait s'organiser de son mieux pour la tuition commune. Les origines du mouvement sont toutes provinciales. Paris ne suivit l'exemple que longtemps après la création des premières ligues locales. Elles apparurent d'abord dans les régions éloignées du centre et particulièrement exposées aux entreprises des protestants. Elles opposent union contre union, conjuration contre conjuration. Dès 1563, à Toulouse, une association est formée entre l'état ecclésiastique, la noblesse et le commun du tiers état, pour défendre l'honneur de Dieu et de son église catholique et romaine. On trouve d'autres associations semblables à Angers, en 1565 ; à Dijon, en 1567 ; à Bourges et à Troyes, en 1568. Le parti protestant s'étant organisé définitivement, en 1575, à Nîmes, les ligues catholiques se multiplièrent, à partir de la paix de Beaulieu, au cours de cette aimée 1576, qui vit la constitution célèbre de la ligue picarde. A Toulouse encore, à Moulins, en Champagne, en Nivernais, en Normandie, en Bourgogne, partout, on s'unit pour l'honneur de Dieu, service du roi, bien et repos de la patrie[20]. Dans cette première période, ce ne sont pas les éléments violents qui l'emportent ; ce sont, au contraire, les gens raisonnables, les hommes pieux, les patriotes, les corps élus. Beaucoup plus tard, quand Paris se décida à suivre l'exemple, ceux qui jetèrent les bases de l'association étaient encore des bourgeois bien posés : M. de la Rocheblond homme très vertueux, de noble, bonne, ancienne et honnête famille, Hotman, un très riche marchand, quelque chose comme un Rothschild du temps, et qui prêtait de l'argent aux rois ; des hommes qui passent devant l'histoire pour des types de prudence et d'expérience consommées, les Bodin, les Brisson, les Molé. les Jeannin, les Villeroy, n'hésitèrent pas à se déclarer ligueurs[21]. La folie des rois perdait le royaume ; c'était aux bons
Français de sauver la France. Les Parisiens, avec leur beau langage,
s'expliquent très bien en s'adressant au pape... hypocrite
et voluptueux, tel a été le roi ! Alors, du fond de cette situation, est
sortie l'union des catholiques ; il n'y eut là aucun objet combiné par la
prudence humaine ; un mouvement divin a tout à coup enflammé les cœurs, et
leur a fait comprendre que pour empêcher leur ruine, et celle de la religion,
il était temps de s'unir... et ils ajoutent : Nous
sommes jaloux de l'honneur de Dieu, de l'antique gloire de la France ; nous
voulons assurer nos vies et nos fortunes et, après avoir été régis et
gouvernés par les rois droituriers et très chrétiens, nous ne pouvons plus
souffrir ni l'impiété, ni la tyrannie, étant nés Français et non esclaves,
catholiques et non calvinistes ![22] Ce qui est
miraculeux, c'est qu'un parti si puissant, répondant à un besoin si général,
ayant à sa tête des chefs si populaires, préparé et soutenu par des
circonstances si favorables, n'ait pas réussi. Pourtant il a dominé dans la
plupart des provinces, pendant près de dix ans. De 1586 à 1596, la Ligue fut,
en France, un véritable gouvernement. C'est le gouvernement des catholiques au nord et dans les grandes villes, avec le duc de Cuise pour chef, tandis que le gouvernement, la cause des protestants, l'emporte dans l'ouest et le midi, sous les ordres de Henri de Navarre, et que les politiques, oscillant entre les deux, suivent la considération de leurs intérêts du moment : partout, c'est la désorganisation, l'anarchie. Chacun des partis appelle l'étranger à son secours. Soixante mille hommes, venus du dehors, foulent le sol de la France. On ne voit dans l'avenir d'autre perspective que la conquête étrangère et le démembrement. Ces armées espagnole, allemande, anglaise, italienne, savoyarde qui occupent les provinces, ne travaillent pas pour les imprudents qui les ont appelées, mais pour les maîtres qui les payent. Élisabeth réclame Calais et le Havre. Philippe II date des édits de sa bonne ville de Paris. Le duc de Guise, ce duc de Guise tant aimé, est à la fois dupe et complice. Il se débat dans l'angoisse de son inutile trahison, et on dirait qu'il a, par avance, horreur de sa victoire. Car, il sait bien, lui, qu'il est vendu à l'Espagne. Le roi de l'Escurial écrit en marge des lettres qu'il reçoit du Balafré : cette fois, je le tiens bien, il ne peut m'échapper. Il pense que la France aussi est prise, et qu'elle ne lui échappera pas[23]. Le miracle du salut de la France, en partant du point où en étaient les choses en 1589, s'explique par un concours de circonstances presque providentiel. Les unes sont purement fortuites ; mais les autres viennent d'un réveil vigoureux du tempérament national. Le duc de Guise n'était pas l'homme des grandes aventures. Au moment décisif, il hésita. Il ne sut pas en finir avec la royauté légitime, le jour des Barricades. Ce sont des occasions qui ne se retrouvent pas. Il avait manqué Henri III. Celui-ci ne le manqua pas. Les Guises morts, la solution pratique et relativement facile que tout le monde avait entrevue et que beaucoup avaient désirée, se dérobait. Conjuration sans but, corps sans tête, la Ligue ne pouvait plus que se débattre en d'effrayants soubresauts et accabler le royaume du poids de son impuissante agonie. Le désordre sans issue est un état social qui ne peut satisfaire
que les éléments pervers d'un peuple, c'est-fi -dire les moins nombreux et
les moins sûrs. Ces bons bourgeois qui avaient accepté avec joie la
perspective d'un changement de dynastie et s'étaient jetés si allègrement
dans le péril révolutionnaire, changèrent, du tout au tout, quand ils
s'aperçurent que leur passion ne pouvait se satisfaire qu'au prix de leur
tranquillité. Les marchands pensant leurs affaires
ne veulent pas la guerre et conseillent la paix, écrit Mayenne ; parmi les officiers de justice, les uns sont bons
catholiques, mais les autres, politiques et navarristes en secret, ne cessent
d'agiter le bas peuple[24]... La voix de la
Satyre Ménippée raconte pour l'histoire le découragement. les
terreurs, la colère qui s'emparèrent des classes moyennes, quand elles virent
qu'après avoir ouvert le bal, c'étaient elles qui payaient les frais de la
danse. Chacun avait jadis du blé en son grenier et
du vin en sa cave, vont-ils répétant ; chacun avait sa vaisselle d'argent, sa
tapisserie et ses meubles... Maintenant, qui
peut se vanter d'avoir de quoi vivre pour trois semaines, si ce ne sont les
voleurs... Avons-nous pas consommé fi peu
près toutes nos provisions, vendu nos meubles, fondu notre vaisselle, engagé jusqu'à
nos habits pour vivoter chétivement ? Où sont nos salles et nos chambres,
tant bien garnies, tant diaprées et tapissées, où sont nos festins et nos
tables friandes ? Nous voilà réduits au lait d'un fromage blanc comme les Suisses[25]... C'est un
régime qui ne convient pas à notre bourgeoisie. Pleine de remords et
d'appréhension, elle attendait un sauveur, fin chef énergique, un bras assez
fort pour contenir et abattre les instincts mauvais déchaînés par le pays.
Or, ce sauveur était là Roi légitime, Henri de Navarre se présentait avec
l'éclat de la jeunesse, de la victoire, et le panache blanc. L'orgueil patriotique contribua, non moins que le besoin de l'ordre, à l'évolution qui se fit soudain. On était honteux et las de la domination étrangère[26]. On appréhendait cette fin ignoble pour laquelle Philippe II, depuis si longtemps, tissait sa toile. La France voulait rester catholique ; mais avant tout, elle voulait rester France. Quand les ambitions étrangères se démasquèrent, les courages se ressaisirent. On détestait les Espagnols ; de là à saluer celui qui les combattait si glorieusement, il n'y avait qu'un pas. Il fut franchi. Arques ouvrit à Henri IV le chemin de Paris et le chemin des cœurs. Un frisson de joie et d'attendrissement parcourut ce pays qui se sentait renaître. Reprenant, à sa manière, le mot de L'Hôpital, Duplessis-Mornay écrivait : Qu'on n'oie plus entre nous ces mots de papistes et de huguenots ; mais que, pour tout, il ne soit plus parlé que d'Espagnols et de Français ![27] Les imaginations étaient séduites ; elles volaient au-devant de la cornette blanche de celui que Givry avait appelé le Roi des Braves. Et avec la promptitude de jugement qui suit, en France, la mobilité des impressions, chacun se précipitait vers la seule solution qui parût maintenant simple, facile et naturelle : le roi légitime n'avait qu'â se faire catholique. Que l'on considère la situation vraiment extraordinaire dans laquelle se trouvait Henri IV d'une part, il était le chef du parti protestant ; d'autre part, il était l'héritier légitime du trône ; de sorte qu'il réunissait et confondait en sa personne les deux doctrines contraires. Il ramassait en lui tous les éléments du problème qui, depuis cinquante ans, agitait la France. Le caractère personnel de Henri IV s'adaptait, avec une justesse merveilleuse, au rôle qu'un tel concours de circonstances lui réservait. Il était la conciliation vivante, incarnée. Tandis que les opinions diverses se rapprochaient en lui, il avait assez de cœur et assez d'esprit pour les comprendre et les embrasser simultanément. Il avait été, dans sa vie, deux fois protestant et cieux fois catholique. Expert en abjuration, il s'était fait une sorte de croyance très large et eu même temps très sincère : Ceux qui suivent tout droit leur conscience sont de ma religion, écrivait-il, et moi je suis de celle de tous ceux-là qui sont braves et bons. Pensant ainsi, il ne lui coûtait pas de se rendre au vœu populaire et, comme il disait en son gascon, de faire le saut. Seulement, il voulait qu'on lui laissât le temps nécessaire pour que sa dignité fût sauve. Toute cette période de sa vie est un modèle de calme, de savoir-faire et de réserve souriante. Il négocie de cent côtés à la fois et tient d'une main sûre tant de fils enchevêtrés ; il est aux écoutes du moindre pas qui se dirige vers lui et fait volontiers la moitié du chemin. Il ne demande pas mieux que d'aller vite et d'aboutir ; mais il s'arrête au moment précis où le prestige royal pourrait être atteint. Alors, il est inébranlable. Même les conditions qu'on lui impose, il veut qu'on les reçoive comme des grâces. Il finit reconnaître que, dans cette entreprise de réconciliation générale, il fut secouru par tout le monde : d'abord, par la poussée populaire, qui, à Paris même, alors que le siège durait encore, portait sur les pas des envoyés du roi, les niasses criant : La paix ! la paix ! ; par la sagesse des catholiques modérés qui, au lendemain de la mort de Henri III, s'étaient rangés autour de l'héritier légitime, en ne lui demandant d'autre engagement que sa parole ; par le patriotisme des États généraux qui violèrent leur mandat plutôt que de trahir le pays ; par l'énergie du Parlement, qui, à la requête de Molé, signifiait aux États de dénier toute audience au duc de Féria sur les prétentions qui étaient contre les lois du Royaume[28] ; enfin par le courage de l'épiscopat français, qui prit sur lui de donner l'absolution, contrairement ô la volonté du pape, et en bravant la bulle d'excommunication[29]. Mais, ceci dit, il faut laisser au roi la part très large. Ce génie de conciliation qui était en lui éclata surtout dans la solution qu'il trouva aux difficultés religieuses. Ce fut la partie la plus difficile de sa Melle. On avait affaire à des convictions fortes, à des passions violentes, même à des sentiments désintéressés. Il fallait satisfaire tout le monde, en cédant le moins possible de l'honneur et de la prérogative royale. Pour réaliser cette transaction, ce n'était pas trop de la souplesse et de l'expérience acquises dans une vie qui allait de la journée de la Saint-Barthélemy à la cérémonie de Saint-Denis. La pacification religieuse de la France, à la fin du seizième siècle, se résume en ces deux termes : du côté catholique, constitution d'une église gallicane, demi-indépendante ; du côté protestant, application de l'Édit de Nantes et le principe unique de cette double solution est l'abandon entre les mains du roi, par les deux causes rivales, de la partie de leurs prétentions sur lesquelles ni l'une ni l'autre ne voulait céder. IV. — L'organisation ecclésiastique. - Le Gallicanisme ; l'Édit de Nantes. C'est du côté des catholiques que venait le plus pressant (Linger, et c'est de ce côté qu'il fallait porter les premiers remèdes. Il ne manquait pas de villes, dans le royaume, qui juraient comme Amiens qu'elles ne reconnaîtraient jamais le roi de Navarre, pour quelque nécessité qu'il leur advienne, jusqu'à ce que N. S. l'ère le Pape eut levé l'excommunication ! On excitait, dans le peuple, la méfiance à l'égard de la prétendue conversion du Navarrais. Les intransigeants du parti ne voulaient entendre à rien, tant que le roi ne se serait pas mis entre les mains du pape. Les suivre ou leur céder, c'était courir au-devant de complications graves. Car, au fond, la France catholique n'avait jamais été ultramontaine ; si le succès de la Ligue avait pu faire croire à une évolution dans ce sens, c'est que les passions politiques s'étaient emparées des opinions religieuses et les avaient emportées jusque-là Le calme rétabli, les esprits devaient revenir naturellement vers les idées d'indépendance à l'égard de Rome, qui étaient dans les traditions du pays. Henri IV, éclairé par les prélats qui l'entouraient, Vendôme, Lenoncourt, Renaud de Beaune, comprit tout le parti qu'il pouvait tirer du concordat de François Ier, pour jeter les bases d'une alliance durable entre le catholicisme français et la couronne. L'épiscopat, nommé par le roi et recevant de lui les bénéfices et les faveurs, devait être l'allié et le fidèle serviteur de la cause monarchique. Aussi, ce fut à ses évêques et non au pape que Henri IV demanda l'absolution ; c'est avec eux qu'il régla les conditions futures d'existence du catholicisme français, tant au point de vue des personnes qu'au point de vue des biens. Cet accord ne fut pas sanctionné dans un acte formel. Mais il résulte d'un ouvrage publié précisément en 159, et qui eut, pour ainsi dire, force de loi en France jusqu'à la Révolution : c'est le Recueil des Maximes et Libertés de l'Église Gallicane, rédigé par P. Pithou[30]. Les règles du système gallican s'y trouvent codifiées. L'ordre ecclésiastique du royaume repose sur le texte du Concordat interprété dans un sens favorable à la royauté. Le roi dispose, par le droit de nomination, de tous les bénéfices majeurs ; dans les périodes de vacances du siège épiscopal, les revenus du bénéfice reviennent à la couronne, en vertu du droit de Régale : le roi est donc le véritable maitre des biens du clergé. Il en délègue seulement la jouissance aux archevêques et aux évêques ; il choisit ceux-ci, sous réserve de l'approbation du pape pour ce qui touche à la pureté de la doctrine. Le clergé, nommé par le roi, forme, dans l'État, un corps à part qui jouit de privilèges exceptionnels. Il est le premier des trois ordres, et partout, il précède les autres, notamment dans les États généraux et dans les États provinciaux. Une place importante lui est réservée dans les conseils du roi[31]. Les évêques de Laon, Beauvais, Noyon, etc., sont pairs de France. Dans les cours de parlement, des conseillers clercs figurent à côté des conseillers laïques et ont la préséance. Dans les provinces, les archevêques ont le pas sur les gouverneurs, et les évêques ont droit à des honneurs égaux. La constitution de l'État entoure le clergé d'une vénération qui traduit les sentiments profondément catholiques de la grande majorité de la nation. L'Église est exempte des charges publiques. Selon la formule ancienne, le peuple contribue de ses biens, la noblesse de son sang et le clergé de ses prières. Les ecclésiastiques ne payent pas la taille personnelle pour leurs biens. Ils sont indemnes des aides pour les denrées qu'ils produisent sur leurs terres et de tous droits d'entrée et d'octroi pour celles qui sont destinées a leur consommation personnelle. Ils sont exempts de la gabelle et leur domicile est à l'abri de toute recherche à ce sujet. Ils ne sont soumis à aucune corvée, banalité, taxes levées sur les habitants des villes pour la subsistance des troupes, les fortifications, les ponts et chaussées et emprunts des communautés[32]. Leurs ressources se composent : des biens ecclésiastiques, qui représentent, en fonds de terre, un tiers, ou, au moins, un quart de la superficie cultivée du royaume, et dont le revenu monte chaque année à environ cent millions, nets de toutes charges ; du produit de la dime, qu'on évalue — modérément — à trente millions par an. Il faut joindre les dons manuels, les offrandes, les secours de toute sorte, provenant de la piété des fidèles, continuellement tenue en éveil[33]. Par contre, le clergé devait supporter les charges suivantes : l'entretien et la réparation des églises et des édifices destinés au culte, de nombreuses œuvres de charité, des frais assez considérables pour l'enseignement secondaire et primaire, des aumônes, et enfin, comme part contributive aux dépenses du royaume, ce qu'on appelait le don gratuit, c'est-à-dire une somme librement consentie et offerte annuellement an roi. Dans les premières années du règne de Louis XIII, elle montait ordinairement au chiffre de un million de livres par an. Pour la voter et aussi pour veiller aux mille détails de l'administration de ses biens, le clergé était autorisé à se réunir tous les deux ans d'abord, puis tous les cinq ans seulement, en assemblées qui défendaient avec énergie les privilèges et libertés de l'Église Gallicane. Les ecclésiastiques ne devaient pas le service militaire ni aucune des charges connexes, sauf dans le cas de péril extrême. Ils échappaient à la contrainte par corps ; ils étaient dispensés des charges municipales, de la tutelle et de la curatelle. Enfin, ils jouissaient d'un privilège capital, celui de la juridiction ; en vertu du privilège de clergie, tout tonsuré échappait, en principe, aux tribunaux laïques. En échange d'avantages si nombreux et si grands, la royauté demandait au clergé soumission, fidélité et concours ; le clergé ne les lui marchandait pas. A aucune époque de notre histoire l'union ne fut plus intime, la solidarité plus complète entre le Pouvoir et l'Église. Il se constitua, en France, une sorte de religion nationale ayant ses dogmes particuliers[34], ses rites et sa discipline propres, s'appuyant sur la royauté et très fortement attachée au principe monarchique : c'est le gallicanisme qui a, pour clef de voûte, la doctrine du droit divin des rois. Le roi est le représentant, sur la terre, de l'autorité divine dans les choses du temporel, comme le pape l'est en matière spirituelle. Les deux glaives sont égaux. lis pèsent du même poids dans la balance. Ils ne sont nullement subordonnés l'un à l'autre. Le roi est roi par la grâce de Dieu, comme le pape est pape par la désignation de l'Esprit-Saint. Le roi est le fils aîné de l'Église ; il est l'Évêque du dehors. Aucune loi nouvelle, en matière religieuse, ne peut être introduite dans le royaume sans son exprès consentement. Le roi, placé si haut par l'enseignement de l'Église, rend à celle-ci en piété, en déférence attentive, en bienveillance généreuse, ce qu'elle lui offre, chaque jour, en concours dévoué et en obéissance. Il lui doit de la protéger contre ses ennemis. Il jure, à son sacre, de combattre et de poursuivre les hérétiques. Le roi étant, en France, un objet de religion, il y a une religion du roi. Lui aussi peut dire : Qui n'est pas avec moi est contre moi. Il veille non seulement au repos, mais au salut de ses sujets. Il lit dans leurs furies, scrute leurs consciences et les préserve du péché. Son royaume n'est pas seulement de ce monde ; il se prolonge jusque dans l'autre. Si le roi arrête aux limites du territoire français l'inquisition romaine, il se fait lui-même inquisiteur ; il connaît des hérésies et des sacrilèges, muet le bras séculier au service des passions théologiques, force les curés à confesser ses sujets et traîne ceux-ci au confessionnal. Il lit les brefs des papes comme les livres des philosophes, met son exeat sur les uns et sur les autres, les condamne ou les brûle. s'il les juge contraires aux bonnes mœurs, aux doctrines ou aux intérêts généraux du royaume. Le Gallicanisme, complété par le droit divin, s'appuie sur le principe de la nationalité et, en même temps, il l'affirme. Roi, clergé, nation, sont les trois termes d'une formule aussi forte contre les prétentions extérieures, que compacte dans la politique intérieure. De ce côté, la transaction de Henri IV fut des plus heureuses, puisqu'elle résolut, pour deux siècles, ce problème de la concorde des deux pouvoirs posé, dès l'origine de l'Église chrétienne, par la parole de son fondateur[35]. Tandis que l'Angleterre et l'Allemagne allaient se débattre pendant un demi-siècle encore dans les affres des luttes religieuses, la France était pacifiée. L'indépendance de son Église, à l'égard de la Cour de Rome, laissait à sa politique une entière liberté d'action. Puissance catholique, elle pouvait, sans éveiller les susceptibilités de conscience, choisir ses alliances selon les exigences de ses intérêts, s'unir aux protestants et aux Turcs, prendre en Europe le contre-pied de la politique espagnole[36]. An dedans, la royauté gagnait sa noblesse par un habile usage de la feuille des bénéfices : elle satisfaisait les politiques du Tiers par la négation de la suprématie pontificale, par la demi-suspicion où elle tenait l'ordre des Jésuites, par le soin avec lequel elle limitait la juridiction ecclésiastique. Enfin, elle s'assurait l'affection du peuple par la pompe ecclésiastique dont elle s'entourait, et par le soin qu'elle prenait de mêler la, religion à tous ses actes solennels : depuis le sacre, où le successeur de saint Rend oignait le roi de l'huile sainte, jusqu'à cette cérémonie de la guérison des écrouelles, qui, répétée chaque année, donnait au prince et aux sujets, la joie et l'orgueil du miracle toujours renouvelé[37]. La transaction conclue par Henri IV avec le parti protestant ne fut pas aussi heureuse que celle qu'il avait passée avec les catholiques. La politique de l'abjuration et du gallicanisme était tout un système ; celle de l'édit de Nantes ne fut qu'un expédient. La difficulté ne fut pas tranchée ; elle subsista tout entière. Le protestantisme, bénéficiant peut-être de la faveur que lui gardait en secret son ancien chef, resta constitué à l'état de parti militant. Sa foi, ses idées politiques, son attitude, tout en lui est au rebours des principes sur lesquels se fonde l'unité du royaume. Avec ses idées aristocratiques, son génie délibératif, sa fierté individualiste, il reste debout, vaincu, mais non soumis, dans l'attente d'une guerre civile, que le seul fait de son existence rend toujours imminente. On a souvent loué, dans la conception de l'édit de Nantes, une haute pensée de tolérance. Augustin Thierry a dit, dans une phrase complaisamment répétée, que cet acte était la dernière transaction entre la justice naturelle et la nécessité sociale. Il faut en rabattre un peu. Certainement, les idées de tolérance avaient fait un grand progrès. Beaucoup de braves gens s'étaient émus de voir couler tant de sang pour des querelles parfois si futiles. La tentative de L'Hôpital était des plus honorables. L'illustre Bodin, — dont l'esprit vigoureux, traînant après lui des convictions moins fortes, fit le tour des trois religions catholique, protestante et juive, — Bodin avait combattu, à sa façon, la thèse de l'autorité du magistrat sur la conscience des sujets : Le prince est juge souverain, écrivait-il dès 1377 ; s'il prend parti, il n'est plus qu'un chef de parti et s'expose à périr dans la lutte. Sans chercher laquelle des religions est la meilleure, que le prince renonce à la violence. S'il veut attirer ses sujets à sa propre religion, qu'il use de douceur. La violence n'aboutit qu'à rendre les âmes plus revêches ; par elle, on tombe dans les plus grands maux auxquels puisse s'exposer un État : les émotions, troubles et guerres civiles[38]. Au même moment, Montaigne, qui écrivait paisiblement dans son cabinet bondé des exemplaires des philosophes anciens, aiguisait sur l'erreur des jugements contemporains les pointes de sa souple ironie. Des esprits plus pratiques avaient saisi, corps à corps, la dit-henné du moment, et, comme remède aux maux dont on souffrait, avaient réclamé la subordination des religions à l'État. Un pamphlet, paru vers 1589 et intitulé : Discours de la vraie et légitime Constitution de l'État, exposait cette doctrine avec une force et mie lucidité toute moderne : La religion s'appuie sur la douceur, y lit-on, et l'État, sur la contrainte. Si l'on n'usoit pas de persuasion, jamais on ne feroit un bel État en matière de religion, il faut agir tout autrement ; car, par la contrainte on la dissipe et on l'arrache du cœur pour y mêler l'athéisme. Il conclut que l'État doit dominer la religion, l'aider, la protéger, sans user de sa force pour la faire pénétrer dans les âmes[39]. Henri IV ne pensait pas autrement. Il y avait, dans son scepticisme, assez de générosité pour qu'il frit tolérant. Malheureusement, la masse des Français, et surtout les chefs, les meneurs des partis en présence, restaient hostiles à ces idées encore flottantes dans les régions les plus liantes de la philosophie et de la politique. Protestants et catholiques se croyaient en droit de réclamer la destruction de leurs adversaires. ils eussent dit volontiers comme le Parlement de Paris, en 1561 : Quiconque s'attend que, par la permission des deux religions, advienne tranquillité, il a un dessein contraire à toute raison[40]. En 1588, devant les États de Blois, l'évêque du Mans ayant laissé entendre dans un discours que si l'hérésie doit être haïe, les hérétiques peuvent être aimés et ramenés par l'instruction, mie tempête si violente s'éleva dans l'auditoire, que l'évêque ne put aller plus loin ; et comme, le lendemain, il voulut s'expliquer, on l'empêcha, en battant des pieds et des mains, d'être entendu[41]. Du côté des protestants, on n'était pas plus modéré. Ils
s'en prenaient dans les termes les plus insolents au clergé, au dogme
catholique, à la papauté, à ce qu'ils appelaient le Mystère d'iniquité,
la Bête romaine, le Théâtre de l'Antéchrist, la Honte de
Babylone, et si l'un d'entre eux montrait quelque modération, il était
immédiatement dénoncé par les violents, ces fous de
synode, ces fronts d'airain, comme les
appelait Henri IV, par ces ministres dont le cléricalisme laïque distillait
je ne sais quelle humeur âcre propre au protestantisme exacerbé[42]. Les deux partis se trouvaient dans ces dispositions réciproques quand la lassitude de la lutte fit tomber les armes des mains. L'avènement de Henri IV prépara le terrain sinon à une réconciliation, du moins à une trêve de quelque durée. Les chefs du parti protestant, mécontents de l'abjuration, ne montrèrent d'abord que de la froideur. Il fallut négocier longtemps avec eux pour obtenir une sorte d'acquiescement muet au nouvel état de choses créé par la restauration du pouvoir monarchique. L'édit de Nantes n'est pas un acte émanant de la volonté libre du roi, c'est la promulgation d'un traité conclu, après un long débat, avec le parti huguenot en armes ; et ce traité n'est, en somme, qu'une nouvelle rédaction, modifiée selon les circonstances, des traités ou édits de pacification qui avaient antérieurement marqué les étapes de nos guerres civiles[43]. Avec ses 95 articles publiés et vérifiés, avec ses 56 articles secrets, avec son brevet, réglant la somme due annuellement par le roi aux protestants, avec ses seconds articles secrets, au nombre de 23, où il est spécialement question des places de sûreté, il forme la charte du parti réformé en France. Son objet n'est nullement d'établir le règne de la paix et de la tolérance sous un gouvernement unique, mais bien d'attribuer à une partie de la nation des libertés particulières et des privilèges qui la constituent en corps indépendant. L'État n'assure pas seulement aux dissidents la liberté de conscience et l'exercice du culte dans certaines conditions nettement déterminées ; il ne leur garantit. pas seulement, en matière d'état civil, de cimetières, de testaments, une situation à peu près égale à celle des catholiques ; il n'assure pas seulement à l'Église protestante toute une constitution, synodes, colloques et consistoires ; à ses pasteurs et ministres, des revenus fixes ; ii tous, une justice qui, en raison même de son caractère privilégié (chambres de l'Édit et chambres mi-parties), les place dans des conditions particulièrement favorables ; il leur reconnaît le droit de s'organiser et de tenir sa volonté en échec, par l'entremise d'institutions politiques régulièrement constituées, et, au besoin, par le recours à la force. Les rédacteurs de l'édit avaient parfaitement discerné le péril d'une telle concession. Par l'article 83 de l'acte principal, ils s'étaient efforcés de détruire l'existence politique du parti. Cet article décidait, en effet, que ceux de la religion se départiraient et désisteraient dorénavant de toutes pratiques, négociations et intelligences tant dedans que dehors le royaume ; que les assemblées existantes se sépareroient promptement, et qu'il n'en seroit plus réuni d'autres ; enfin, qu'aucun enrôlement de troupes ou levée d'impôts ne pourroit avoir lieu qu'avec l'autorisation du roi ! Mais dix-huit jours après la promulgation de l'édit, le roi avait signé les seconds articles secrets qui laissaient aux mains des protestants, pour une période de huit années, toutes les places et châteaux occupés par eux, au mois d'août 1597. En ajoutant les villes du Dauphiné, les villes dites de mariage et celles qui appartenaient en propre à des seigneurs protestants, la Réforme française disposait d'environ cent cinquante places fortes. La plupart d'entre elles, groupées dans l'Ouest et dans le Sud, commandaient la moitié du territoire et offraient une base d'opération solide à toute tentative de rébellion ou de guerre civile. Le roi s'engageait à payer régulièrement une somme de 180.000 écus pour l'entretien des garnisons et des places de sûreté. En 1608, l'ambassadeur vénitien Angelo Badoer dit qu'il y a 3.500 gentilshommes protestants qui peuvent, rien qu'en France, mettre sur pied une armée de 25.000 hommes, et il ajoute que de ces 3.500 qui tiennent les autres, il n'en est pas 200 qui souffriraient le martyre pour leur religion. Bentivoglio pense qu'il y a eu France plus d'un million de protestants, divisés en sept cents églises[44]. Cette force redoutable, ces cent cinquante places, dont la remise entre les mains du roi avait été prorogée à chaque échéance, ces assemblées fréquentes dont les réunions tumultueuses bravaient l'opinion des catholiques et excitaient les passions, cette polémique acerbe et irritante, en un mot, l'existence d'une opposition méfiante et redoutée, appuyée sur le parti aristocratique et sur le Midi séparatiste, toujours prête à solliciter le secours de l'étranger, était, pour la politique française, une entrave sur laquelle la perspicacité de l'ambassadeur vénitien ne s'est pas trompée : N'est-il pas étonnant, dit-il, que ce roi qui est, d'ailleurs, le plus puissant, peut-être, entre les princes chrétiens, en soit réduit à compter et à temporiser avec ses propres sujets, sans pouvoir bouger, saris pouvoir penser à quelque entreprise au dehors à l'exemple de ses aïeux, et que ses propres sujets lui soient plus redoutables que des ennemis déclarés aux autres nations ? Telle était la conséquence des guerres de religion et de l'édit célèbre qui les avait suspendues plutôt que terminées. La rébellion et la guerre restaient à l'état latent dans le royaume[45]. On le vit bien, au lendemain de la mort de Henri IV. Malgré le soin que prit la régente de confirmer l'Édit, les protestants demandèrent et obtinrent bientôt l'autorisation de se réunir à Saumur. Cette assemblée fut le théâtre d'intrigues et de compétitions qui préludèrent à des troubles plus graves. La Force, Sully, Rohan, se plaignirent vivement, devant leurs coreligionnaires, du gouvernement de la reine. L'influence modératrice de Bouillon et de du Plessis-Mornay contint, il est vrai, les plus ardents. L'assemblée n'en crut pas moins devoir prendre une mesure grave et qui décida de l'avenir du parti huguenot : elle résolut de créer des assemblées de cercle, constituant ainsi, à l'état permanent, dans chacune des régions de la France, un conseil délibératif et exécutif, chargé de surveiller et de défendre les intérêts des protestants. Les membres de ces assemblées prêtaient le serinent du secret et juraient de se soumettre aux décisions de la majorité. Ce n'était plus seulement la lutte à visage découvert, c'était la conspiration latente et je ne sais quelle franc-maçonnerie obscure, poussant, sous le sol national, ses galeries souterraines. Cette fois, la mesure était comble, et Richelieu devait mettre bien tôt, au premier rang de ses griefs contre les protestants, cet empiètement suprême, incompatible avec l'exercice d'un pouvoir régulier dans le pays[46]. Le parti huguenot subissait déjà l'ascendant d'un homme,
dont l'astre brillant et funeste devait précipiter l'heure de la catastrophe
finale : c'est le duc de Rohan. Ses Mémoires débutent. par le récit de
l'assemblée de Saumur. Ce livre, noir d'amertume, reflète l'état d'esprit des
jeunes générations qui, nourries de la légende des grandes guerres du
seizième siècle, se morfondaient dans l'inutilité d'une paix médiocre. Les
conseils des vieux huguenots, las des longues discordes impuissantes,
exaspéraient ces âmes fières, et les anciens souriaient avec tristesse aux
ardeurs d'une jeunesse plus fidèle à leurs exemples qu'à leurs conseils. Vraisemblablement, dit Fontenay-Mareuil, M. de Bouillon eût bien cherché à l'aire trouver aux
réformés leur compte, mais sans en venir aux armes que le plus tard qu'il eût
pu ; parce, peut-être qu'il était vieux et qu'il craignait de n'y pas réussir
aussi bien que l'amiral de Chatillon (Coligny), le zèle n'étant plus pareil à celui de son temps. Mais
M. de Rohan, qui était jeune et se sentait avec des talents fort propres à
gouverner les peuples, pensait dès lors à hasarder tout, et périr, ou faire
une République, comme le prince d'Orange[47]. Ce mot en dit assez sur le péril, qu'un homme énergique, mis à la tête du parti, pouvait faire courir à la royauté et au royaume. Rohan essaya sa force durant les troubles de la Régence. Le prince de Condé se tourna vers l'assemblée de Nîmes, en 1611, et implora son appui. Les protestants deviennent ainsi les arbitres de la paix. ou de la, guerre. Le roi Jacques leur fait savoir, par un délégué spécial, que les édits n'étant pas observés, ils peuvent compter sur lui. On comprend leur orgueil. Ces promesses, selon le mot d'un contemporain, leur avaient enflé le cœur. Après avoir hésité quelque temps, l'assemblée prit la résolution extrêmement grave d'appuyer le prince de Condé. De ce jour (27 nov. 1614), le parti protestant reconstitué en parti d'agression, rompt en visière à la royauté. C'est donc lui qui, pour la première fois, déchire de ses propres mains l'édit de Nantes, et qui rouvre la période des guerres de religion. Sur ce point, les lacunes de l'œuvre de Henri IV apparaissent dès le lendemain de sa mort. Dans son désir de ménager une cause qui avait été la sienne et dont son sentiment intime n'était peut-être pas entièrement dépris, il laisse à ses successeurs une solution bidarde dont ils seront obligés de déchirer l'équivoque. La question religieuse reste pendante, pour la politique française, jusqu'au siège de la Rochelle et, pour la conscience royale, jusqu'à la révocation de l'Édit de Nantes. Le génie français a apporté, dans les choses de la religion, la clarté et lé sens de la réalité qui le caractérisent. Le monde antique s'étant incliné devant la conception monothéiste venue de Judée, la Gaule avait été une des premières conquêtes du christianisme. Il n'existait aucun antagonisme entre les vieilles croyances locales et les dogmes chrétiens. L'esprit d'unité. qui domine la conception pontificale, était en harmonie avec les sentiments d'un peuple fortement imprégné de romanisme. Il accepta la nouvelle religion comme une discipline. Tant que l'unité catholique domina eu Europe, la France, avec son esprit de propagande et d'enseignement, est la maitresse des peuples chrétiens. Elle les conduit aux croisades et les assoit sur le banc de ses universités. Ces services exercent sur l'Église romaine une attraction si forte, qu'elle se déplace et vient, pendant un siècle, s'installer en terre française. Plus tard, quand la corruption du clergé provoqua la catastrophe attendue depuis longtemps, la France, prompte aux résolutions, avait déjà fait sa réforme : elle est inscrite dans le concordat de François Ier. Le contre-coup des révolutions qui se produisaient ailleurs, ne s'en fit pas moins sentir en France. Mais la question religieuse y prit immédiatement un caractère politique. On se disputait le pouvoir et l'influence ; sauf quelques ministres farouches, personne ne songeait à la grâce ou à la présence réelle. Nous avons dit comment ; par la plus extraordinaire aventure, le chef du parti rebelle devint l'héritier du trône légitime et comment la transaction finale se fit en lui d'abord, pour, de là rayonner sur le royaume tout entier. Elle se fit, comme toutes les autres transactions dictées par les rois, sur la base du privilège. Les protestants ont leur charte de privilèges : c'est l'Édit de Nantes. Mais cet acte consacre une indépendance politique et militaire qui retarde la solution du problème unitaire poursuivie. depuis des siècles, par la royauté. L'esprit de discipline, qui est dans la race, ne peut tolérer ce dualisme religieux doublé d'un dualisme politique. On prendra la Rochelle, on révoquera l'Édit de Nantes, avec l'assentiment de la grande masse de la nation. Les avantages réciproques que se reconnaissent mutuellement l'Église catholique et la royauté très chrétienne, sont formulés dans les Maximes, libertés et privilèges de l'Église gallicane. L'autorité politique de l'Église est détruite. Elle ne garde plus que des avantages sociaux, honorifiques ou pécuniaires, dont le poids porte sur les peuples et non sur le gouvernement. La transaction du gallicanisme, appuyée fortement sur l'esprit national, durera autant que la royauté et, parmi des débats théologiques sans portée, elle prolongera sa solution pratique, sinon définitive, jusqu'à la Révolution. |
[1] Pour tout ce qui précède, voir les détails et les preuves que j'ai données dans l'Introduction au Recueil des Instructions données aux ambassadeurs à Rome, Alcan, 1858, in-8° (p. XXXV et suiv).
[2] Voir ce que nous disons ci-dessus de l'adhésion des artisans aux nouvelles doctrines. Presque partout ils étaient dirigés par la petite noblesse, la noblesse besogneuse. MOURIN dit, dans son livre sur la Réforme et la Ligue à Angers : Les chefs de la bourgeoisie n'avaient aucune sympathie pour l'humeur brutale et turbulente des gentilshommes protestants ; et la répugnance qu'ils éprouvaient à se mettre à la suite de pareils meneurs contribua certainement à les retenir dans la religion catholique (p. 20).
[3] TH. DE BÈZE (t. I, p. 94-95).
[4] En Allemagne, Luther avait fait appel et aux princes et aux seigneurs laïcs. On a déjà cite ce texte de Mélanchton : L'Église ne doit pas être une démocratie qui aurait pour caractère de laisser à tous la licence de vociférer et de troubler les dogmes, mais c'est une aristocratie dans laquelle ceux qui sont les premiers, c'est-à-dire les évêques et les princes, prennent ensemble les résolutions et les conseils. Corpus reformatorum (t. III, p. 470), cité par LAURENT, L'Église et l'État (p. 324). Il cite aussi ce passage de JURIEU : La Réforme s'est faite par l'autorité des souverains. Ainsi elle s'est faite à Genève, par le Sénat ; en Suisse, par le conseil souverain de chaque canton ; en Allemagne, par les princes de l'Empire ; en France, quoique la Reforme ait commencé sans l'autorité des souverains, cependant elle ne s'est point établie sans l'autorité des Grands. — Ce point de vue est aussi celui de RANKE, dans son Histoire de la papauté.
[5] Histoire Ecclésiastique des Églises réformées au royaume de France, éd. 1882 (t. I, p. 139).
[6] V. aussi l'opinion de l'ambassadeur vénitien AINISE CONTARINI, qui écrit en 1572. (Collect. Alberi, Ire série, t. IV, p. 245).
[7] Outre les noms illustres que je viens de rappeler, il convient de citer les auteurs des pamphlets recueillis dans les Mémoires de la France au temps de Charles IX, et notamment l'écrivain anonyme du De Jure magistratuum erga subditos et subditorum erga magistratus, qui est un morceau de très haute valeur. — Voir, sur ces questions, la thèse récente de M. G. WEILL : Les Théories du pouvoir royal en France pendant les guerres de religion, Paris, 1891, in-8°.
[8] Revue historique, juillet 1882 (p. 441).
[9] Dès 1569, l'ambassadeur vénitien ANT. BARBARO, écrit : Je ne reconnaissais plus cette France si soumise, si unie, si forte et douée de tant de rares qualités... Qui pourrait contenir ses larmes à voir ce royaume en tel état si regrettable, et pour la France elle-même et pour la chrétienté tout entière. Et un tel changement ne dérive d'aucune autre source que de l'altération de la foi, destinée par la volonté de Dieu à ne pas souffrir de mélange. Voir la brochure partiale, mais documentée, du P. VERDIÈRE, S. J., Réflexions sur l'histoire religieuse des Français et Recherches sur le protestantisme français, 1856, in-8° (p. 39).
[10] Sur tout ce qui suit, voir le livre d'ANQUEZ, Histoire des assemblées politiques des réformés de France (1573-1622), 1859, in-8°.
[11] Voir l'excellent livre de CH. LABITTE, Les prédicateurs de la Ligue (p. 4). Bossuet dit, dans l'Histoire des Variations : Les protestants et les catholiques sont d'accord sur la question de savoir si les princes chrétiens sont en droit de se servir du glaive contre les sujets ennemis de l'Église et de la saine doctrine (liv. X, § 56). — En 1559, un pasteur de Beaugency, du nom de Jean Louveau, est condamné par le Consistoire pour avoir soutenu qu'il n'étoit loisible au magistrat de punir les hérétiques. Il faut voir de quel ton BÈZE raconte cet incident. Hist. des Égl. réformées (t. I, p. 93).
[12] Œuvres, Éd. LALANNE (t. III, p. 83).
[13] Collect. doc. inédits (t. I, p. 523).
[14]
Mémoires de CASTELNAU
(liv. I, ch. VII).
[15] CASTELNAU, liv. I, ch. III, et Mémoires de TAVANNES. — Voir GUILLEMIN : le Cardinal de Lorraine (p. 112).
[16] GUILLEMIN, Le Cardinal de Lorraine (p. 197).
[17] Les ouvrages sur cette partie si intéressante et si complexe de l'histoire de nos troubles civils sont nombreux. Je citerai seulement parmi ceux que j'ai consultés : les Mémoires de Condé, édit. 1743, — L'histoire des ducs de Guise, de RENÉ DE BOUILLÉ, 4 vol. in-8°, 1850. — Les Guises et les Valois, par DE CROZE. — La Contre-Révolution religieuse au seizième siècle, par PHILIPPSON, 1811, — L'histoire de Philippe II, de FORNERON, 4 vol. in-8°. — Les Huguenots et les Gueux (1560-1585), par le baron KERVYN DE LETTENROVE, Bruges, 1883, cinq vol. in-8°.
[18] La popularité se manifeste, dans tous les temps, de la même façon. Dans le voyage fait à travers la France pour venir à Paris, le légat Cajetan observe : On voit partout tant d'images du duc de Guise qu'il est impossible d'exprimer un plus grand amour... L'ÉPINOIS (p. 375).
[19] HURAULT. — Lire surtout le livre de LABITTE, De la démocratie chez les Prédicateurs de la Ligue, 1841, in-8°. — Parmi les pamphlets les plus hardis, je citerai seulement l'Apologie de Jean Châtel (p. 65-70), et le livre de BOUCHER : De Justa abdicatione Henri III.
[20] Sur l'organisation des premières ligues provinciales, voir L'ÉPINOIS, La Ligue et les Papes, chapitre I.
[21] Voir le Dialogue du Maheutre et du Manant dans les pièces justificatives de la Satyre Ménippée. Éd. de Ratisbonne.
[22] Lettres adressées au Pape et au secrétaire d'État, publiées d'après les archives du Vatican par L'ÉPINOIS (p. 326).
[23] Voir les lettres provenant de l'Escurial et maintenant aux archives nationales, publiées par DE CROZE en appendice à son ouvrage, Les Guises et les Valois, 1866, 2 vol. in-8°. — Voir le compte des sommes versées à Henri de Guise, dans FORNERON, Philippe II (t. III, p. 226.)
[24] L'ÉPINOIS (p. 378.)
[25] Voir tout le discours de d'AUVRAY dans la Satyre Ménippée, notamment, p. 129, édit. Ch. Labitte, 1845, in-12°.
[26] On détestait aussi les ministres et agents italiens qui, depuis si longtemps, dirigeaient la politique de la reine-mère. Le légat du pape écrit qu'on disait couramment dans Paris : Après l'hérésie, le plus grand fléau du royaume a été l'étranger italien ; il a butiné et butine cruellement taule la France... si on ne le chasse bientôt, il sera chassé par fureur et sédition populaires. L'ÉPINOIS (p. 250).
[27] Mémoires de la Ligue, in-4° (t. I, p. 102).
[28] Le 23e jour de juin, M. de Marillac, lors conseiller en la cour du parlement, représenta que l'on proposait d'élire un roi et que le parlement s'y devait opposer... Le 28e, M. Molé faisant lors la charge de procureur général, s'écria : Suivez les principes, magistrats très ornés... Je vous exhorte à conserver la loi salique, corroborée par la vétusté et par tant de siècles. Ce fut le signal de la débâcle pour la Ligue et pour les prétentions des princes étrangers.
[29] Pour toute la conduite de l'épiscopat, voir PERRENS, l'Église et l'État sous Henri IV et Marie de Médicis, 1873, 2 vol.,in-8°, et surtout l'ouvrage de L'ÉPINOIS ; cet auteur a eu la bonne fortune de pouvoir consulter les archives du Vatican. Son volume est plein de choses nouvelles. (Voir p. 397-400 et p. 600.)
[30] La première édition, parue en 1591, est dédiée à Henri IV. En 165, il en parut une nouvelle édition avec des preuves. On lit dans le Privilège : Voulant favoriser un ouvrage de si grande importance pour les droits de notre couronne, pour le bien de l'État et pour t'inféra de l'Église de notre royaume... D'AGUESSEAU dit : Quoique cet ouvrage ne soit que l'œuvre d'un simple particulier... il a obtenu une sorte d'autorité, plus flatteuse pour son auteur, que celle des lois mêmes. Le président Hénault, enfla, atteste que les Maximes de PITHOU ont eu quelque sorte force de lois, quoiqu'elles n'en aient pas l'authenticité. Textes recueillis par DUPIN, Liberté de l'Église Gallicane (p. 28).
[31] Un pamphlet du temps expose les raisons qui déterminèrent l'ancien régime à donner une grande place dans ses conseils, aux hauts dignitaires de l'Église : Lorsque les peuples voient leur prince faire estime des prélats, ils conçoivent une grande opinion de sa piété, et le croyant avoir Dieu pour garde et protecteur. ils se contiennent beaucoup plus en obéissance ; ils ne conjurent ni ne monopolent jamais contre sa personne et contre son État. S'il arrive du désordre, de la révolte, de la mutinerie, cette autorité relevée des cardinaux, archevêques, évêques. est toujours interposée entre le Prince et ses sujets pour les rappeler à leur devoir, tant le respect du salut est un fort ciment pour unir toutes sociétés... Quelle suite, je vous prie, peut avoir le lustre et l'éclat du clergé pour être suspect à nos rois ? Cette grandeur va-t-elle de père eu lits pour redouter qu'à la longue il ne s'en forme une faction difficile à rompre ? Il n'y a rien à craindre de ce côte-là. — Le portrait de l'hérésie, 1613 (p. 60).
[32] Sur tous ces points, voir BEAUNE, Droit coutumier français. De la condition des personnes (p. 50-71).
[33] La question des biens du clergé a été examinée avec soin par M. le vicomte D'AVENEL, dans son tome III. Il constate, après d'autres historiens, qu'il est difficile d'arriver à des chiffres précis. Cependant il pense que, rien qu'en biens-fonds, le clergé possédait une fortune qu'on peut évaluer à sept milliards de francs. Voici quelques renseignements dont il n'a pas fait usage : aux États d'Orléans, on estimait le superflu des biens du clergé (déduction faite d'une maison laissée à chacun) à la somme de 120.000 liv. de rentes. — PIETRO DUODO, en 1598, estime la rente des biens du clergé à six millions d'écus d'or et plus, composée de 15 archevêchés, 100 évêchés, 800 et plus d'abbayes, et d'un nombre infini de prieurés et d'autres bénéfices (p. 112-113). — Vers la même époque (1593), le président LE BRET, dans un de ses Plaidoyers (f° 9), dit que les ecclésiastiques possèdent le tiers des terres de la France et les plus beaux fiefs du royaume. — Enfin Bodin, dès 1577, avait écrit, sur la question, une page intéressante dont voici des extraits : Il n'y a pas cent ans qu'on n'eut pas enterré en ce royaume un mort en lieu saint, s'il n'eue laissé quelque chose à l'église par testament... Il ne faut donc pas s'ébahir si l'Estat ecclésiastique avoit tant de biens... Et de faict, en 1563, on lit un estat abrégé des biens qne tenoit l'Église en ce royaume : il se trouva 12 millions 300 mille livres de rentes, sans y comprendre les aumônes ordinaires et casuelles. Mais L'Allemant, président des comptes à Paris, faisoit estat que l'ordre ecclésiastique tenoit, les douze parties du revenu de la France. les sept... Je dis que l'inégalité si grande a peut-être donné occasion des troubles et séditions advenus presqu'en toute l'Europe contre l'Estat ecclésiastique, ores qu'en apparence on faisoit un voile de religion ; car si ceste occasion là n'y fust esté, on en eust trouvé quelque autre, comme on lit anciennement contre les Templiers et contre les Juifs. République (édit. 1629, in-12°, p. 712).
[34] Je crois pouvoir dire ses dogmes, par exemple en ce qui concerne l'immaculée conception, l'autorité indirecte du pape sur le temporel, l'infaillibilité du pape, qui ne purent entrer dans le domaine de la foi, qu'après que l'opposition de l'Église gallicane eut pris fin. — On sait, en tout cas, que le Concile de Trente ne fut pas reçu en France. Sur cette question, voir PHILIPSSON (p. 593), L'ESPINOIS (p. 252). PASQUIER, Lettres (t. II, P. 1271). MIGNOT, Histoire de la réception du concile de Trente, et DUPUY, Instructions et lettres des rois de France sur le Concile de Trente, 1654, in-4°.
[35] Les ambassadeurs vénitiens, avec leur sagacité ordinaire, n'ont pas manqué de discerner les avantages du Concordat pour les rois de France. Voir, notamment, l'intéressante dissertation de PIETRO DUODO dans Alberi (t. XV, p. 83 et suiv.).
[36] Voir PERRENS, l'Église et l'État sous Henri IV (t. I, p. 250). Il y a un tableau très curieux de la renaissance générale du christianisme, au début du dix-septième siècle, dans BARCLAY, De Regno (p. 1). — Voir aussi Essai historique sur l'influence de la religion en France pendant le dix-septième siècle, Louvain, 1821, 2 vol. in-8°.
[37] Sur la guérison des écrouelles, voir MALHERBE (t. III, p. 230) ; très intéressant récit de la cérémonie de visu, par GÖLNITZ (p. 140). — ANDREAS LAURENTIUS, De mirabili strumas sanandi vi, 1609, in-8°. — De ampulla remensi par JAC. CHIFFLET, 1651, in-4°.
[38] République (liv. III, ch. VII).
[39] Imprimé dans les Mémoires de VILLEROY (t. II, p. 10).
[40] Le portrait de l'hérésie (p. 9).
[41] Cet évêque était un politique. Voir LÉPINOIS (p. 234).
[42] Sur toute cette question de la tolérance, aux yeux des fondateurs du protestantisme, il faut lire l'ouvrage si remarquable de M. BUISSON, Sébastien Casteillon, sa vie, son œuvre, 1892, 2 vol. in-8°.
[43] L'édit de Nantes est calqué sur celui qui avait été rendu par Henri III, en 1577. Sur tous ces points, voir ANQUEZ, Assemblées politiques des reformés de France (p. 186-201).
[44] BAROZZI et BERCHET, Francia (t. I, p. 94). — BENTIVOGLIO, Relat. del Ugonol. di Francia, dans ses Relat. (p. 230).
[45] Comme le vent du Midi amasse les nuées, ainsi la cause, les tumultes et les séditions, écrit-on en 1615. Portrait de l'hérésie (p. 38).
[46] La plainte des catholiques bons Français (c'est-à-dire patriotes) contre les protestants était exprimée, en 1623, dans les ternies suivants, par l'auteur d'un livret qui se rattache à l'école de Richelieu : Votre religion n'a-t-elle pas allumé le feu aux quatre coins de la France ? N'avons-nous pas vu (au moins mon père me l'a dit cent fois) depuis l'avènement du roi Henri II à la couronne, tout ce royaume bouleversé de fond en comble pour votre sujet ?... à peine eûtes-vous sucé la doctrine impie de Calvin et de Luther que vous minutâtes dès lors la ruine de cette couronne... La Guienne, le Languedoc, les plaines de Jarnac, de Montcontour, de Dreux et une infinité de Heures en sont encore empourprés de sang... Il s'agissait alors de la religion ; c'était à vous de vous défendre ; mais maintenant que le roi veut protéger tous ses sujets en paix sous l'autorité de ses édits, qu'il ne demande que l'entrée de ses villes et qu'il ne requiert autre témoignage de l'affection et de l'hommage que vous lui devez, que l'obéissance en tous lieux qui sont du ressort de son domaine, ceux de la religion lui ferment les portes, font des assemblées et monopoles contre sa volonté, portant opiniâtrement les armes contre son service, tranchent du souverain en leurs factions, disposent des provinces et deniers royaux, constituent gouverneurs où bon leur semble, partagent ce royaume à leur volonté ; bref se persuadent que la France ne doit plus respirer que par leur moyen.... (Caquets de l'accouchée, p. 81).
[47] Mémoires, MICH. et POUJ. (p. 37).