HISTOIRE DU CARDINAL DE RICHELIEU

 

LA FRANCE EN 1614

CHAPITRE PREMIER. — LA FRANCE EN 1614 ; APERÇU GÉOGRAPHIQUE.

 

 

I. — Les Provinces[1].

Le territoire de la France, en 1615, était d'environ les quatre cinquièmes de ce qu'il est aujourd'hui. Il lui manquait, à l'est, une bande comprenant l'Artois et les Flandres, la Lorraine et l'Alsace, la Franche-Comté, la Savoie et Nice ; il lui manquait, au sud, le Roussillon, et dans la Méditerranée, la Corse. A l'intérieur, plusieurs petites principautés, dont la plus importante était le comtat d'Avignon, restaient indépendantes.

Les Français avaient conscience que leur pays n'était pas encore arrivé à son entier développement et qu'il était en voie de formation ; au fond de leur cœur, résidait le sentiment historique que les limites de la France doivent être celles de l'ancienne Gaule :

Quand Paris boira le Rhin

Toute la Gaule aura sa fin,

disait le proverbe. De même, les géographes : De la Belgique le roi de France ne tient que la seule Picardie, et c'est ici que git une des principales pertes de nos rois sur la possession de leur ancien héritage. Enfin, les hommes d'État observaient que les intentions de Henri IV, si la mort ne l'eût surpris, étaient de rendre le Rhin la borne de la France[2].

Cette France, plus petite, était aussi plus rude. A vol d'oiseau, elle apparaissait, — comme nous la montrent les cartes naïves du temps, — couverte de forêts encore épaisses, hérissée de clochers, de créneaux et de moulins[3]. La vie était plus haut perchée qu'aujourd'hui. Elle s'accrochait aux pentes des montagnes, aux collines, aux côtes escarpées. Dans les pays de plaine, elle s'installait sur des mottes élevées de main d'homme.

Les forêts des Ardennes, de Cuise, de Compiègne, de Fontainebleau, de Montargis, les grands bois du Maine, du Poitou, de la Basse-Bretagne, la forêt de Brancôme en Angoumois, se rejoignaient presque, étendant, sur d'immenses contrées, un mystère continu. Des ours, des loups, des renards, des cerfs à tête noire offraient aux gentilshommes chasseurs un gibier abondant. Sous ces voûtes sombres, se perpétuaient des races de bûcherons et de charbonniers vivant dans l'isolement et gardant, à travers les siècles, les coutumes et les superstitions antiques. L'hiver venu, on entendait leur hache cogner au fond des taillis et, pour faire le charbon, ils allumaient, dans les clairières, les tertres mystérieux dont la lente cuisson couronne de fumée la cime ondulée des bois[4].

La terre était encore toute barbare. Quoique Henri IV dit entrepris le desséchement des marais, il n'en restait pas moins en Poitou, en Provence, dans les Dombes, en Sologne, des terrains immenses, couverts par les eaux, perdus pour l'agriculture. Des populations misérables, rebut de l'humanité, objet d'horreur plus encore que de pitié, colliberts, cagots, crétins, goitreux croupissaient dans leurs miasmes[5].

Les rivières non endiguées débordaient plus souvent et leurs rives, fréquemment envahies, étaient malsaines. Pourtant elles étaient les grandes voies de communication. Les villes becs dans leurs lies ou sur les collines avoisinantes, apparaissaient de loin, ceintes de murailles et de tours, fermées de portes étroites, déchiquetant le ciel de leurs édifices pointus[6].

Dans la campagne, les châteaux étaient nombreux, trop nombreux même, suivant le proverbe : En France, trop de châteaux[7]. La plupart d'entre eux avaient gardé l'aspect renfrogné et les hautes murailles du moyen âge. Les fossés, les tours, les mâchicoulis, les créneaux avaient été réparés pendant les guerres de la Ligue. Ou avait seulement percé quelques embrasures par où passait la tête des coulevrines.

Cependant le règne de Henri IV ayant ramené la paix, les constructions neuves se multipliaient. Sous les toits d'ardoises des pavillons symétriques, elles étalaient les façades de briques encadrées de pierres, les vastes perrons à balustrades, et les fenêtres à vitres où se brisent les rayons du soleil : De Paris à Étampes, dit un voyageur, on voit, des deux côtés de la route, une infinité de belles maisons qui semblent autant de palais sur les collines[8].

Au pied de ces demeures seigneuriales, à l'orée d'un bois, au gué d'une rivière, des chaumines serrées comme des poussins près du toit modeste des églises rurales, formaient ce qu'on appelait des paroisses. Derrière l'église, le cimetière ombreux et moussu ; devant, une place avec les ormes, le crucifix et l'abreuvoir où les bestiaux viennent boire ; le long d'une route herbue, des maisons basses presque enfoncées dans la terre et couvertes de longs toits de chaume où pendent les gouttes de pluie[9], sur le pas des portes, des commères en cotte et jupe de futaine, la tête couverte d'une coiffe à la Catherine de Médicis, faisant, trois pointes, une sur le front, deux sur les oreilles ; des enfants demi-nus ; un pauvre loqueteux et béquilleux ; un valet de ferme avec le grand chapeau, les larges braies et les jambes ballantes sur un cheval étique, c'est ainsi que le burin d'Israël nous montre une de ces agglomérations rurales. Moins denses, moins peuplées que nos villages, elles montaient, d'après les évaluations des premiers statisticiens, au chiffre de 23.000. On comptait, en France, 44.000 clochers, et on évaluait la population totale du pays à environ 16 millions d'habitants[10].

Pas ou peu de chemins. Les larges roues des chariots creusaient dans la terre les ornières qui marquaient les routes. En été, cela passait encore ; eu hiver, on ne pouvait circuler. Aussi les voyages par eau étaient en grand honneur. Les coches très fréquentés faisaient un service assez régulier. Et puis on allait à cheval, à pied, en chaises, en brancards. Le temps ne comptait pas. Pourtant quelques routes pavées, sur lesquelles galopaient les postes du roi, reliaient entre eux les grands centres.

Une vie nomade active, que la régularité de l'existence moderne a tuée, peuplait ces chemins, si mauvais qu'ils fussent. L'humeur voyageuse de nos pères revit dans les pages du Roman Comique ou dans les images de Callot : cavaliers de fortune se rendant à la cour avec deux laquais armés jusqu'aux dents ; dames ou prélats en carrosse et, derrière, les mulets portant les bagages ; comédiens en troupe étalant le débraillé de costumes où tous les âges et toutes les modes se mêlaient grotesquement ; compagnons du tour de France allant, de ville en ville, apprendre le métier et poussant, à la rencontre, le hurlement des dévorants ; colporteurs courbés sous le poids de leurs hautes caisses aux tiroirs précieux ; étudiants français ou étrangers dissertant par les chemins comme l'écolier limousin ; longs convois de chariots aux jantes épaisses, gémissant sous le poids du blé et de la farine ; marchands de bestiaux avec le manteau agrafé par le collet[11] ; et enfin autour d'une charrette tramée par un cheval étique, ces étranges familles venues d'Égypte avec la marmaille dépenaillée, les pères aux mines suspectes, les grandes filles demi-vêtues dardant des regards luisants, oiseaux de passage que le paysan regardait avec une terreur superstitieuse et qui allaient, cherchant par le monde un repos qu'ils ne trouvaient jamais :

Ces pauvres gueux pleins de bonaventures

Ne portant rien que les choses futures ![12]

I

Les voyageurs qui entraient dans le royaume par la frontière du Nord traversaient d'abord une région cruellement éprouvée par les guerres récentes. La Picardie étalait encore les vestiges du long séjour des armées espagnoles : des églises basses et sans ornement, relevées à la hâte entre deux destructions ; des villages fortifiés, des souterrains et des retraites profondes dans les bois, où le peuple se réfugiait à l'approche de l'ennemi[13].

C'était le pays des places fortes et des sièges célèbres. Depuis Calais, qu'une bande étroite rattachait à Amiens, jusqu'à Sedan, qui n'était pas encore français, on comptait Ardres, Montreuil, Abbeville, Amiens, dont la surprise et la reprise, sous le règne de Henri IV, étaient dans toutes les mémoires ; puis Corbie, Péronne, Ham, Le Catelet, Saint-Quentin, La Fère, pressées l'une contre l'autre, dans le Vermandois ; puis, dans la verte Thiérache, Guise, Vervins et La Capelle, couvrant Laon, Soissons et Reims.

Depuis que la paix avait été signée à Vervins, le laboureur s'était remis à son champ et le vigneron à sa vigne. Les Picards sont laborieux, francs et braves ; ils ont toujours passé pour mutins et mobiles. Pourtant leur loyalisme n'a jamais fait défaut à la cause des rois. Les étrangers les trouvaient rudes et de mœurs peu hospitalières[14].

En avançant vers Paris, les voyageurs remarquaient une activité toujours croissante. Le mouvement de la batellerie sur l'Oise et sur la Marne les étonnait. Ce sont, disaient-ils, les deux mamelles qui donnent la nourriture à Paris. De véritables !tôt-tilles de bâtiments descendaient ou remontaient sans cesse leur cours. A partir du pont de Beauvais, un service de chevaux était organisé qui trainait les convois jusqu'à Paris[15]. L'Île-de-France, le Beauvaisis, le Clermontois, se ressentaient plus encore que la Picardie du voisinage de la capitale : Les collines environnantes sont fertiles en vignes, les vallées pleines de moissons et de vergers ; de nombreux troupeaux dans les prairies font un spectacle vraiment très agréable[16].

Les villages étaient mieux bâtis. Ils avaient presque tous conservé la vieille église romane avec le campanile élevé sur la tour fortifiée du portail. Au-dessus des villes, les cathédrales gothiques dressaient le dos énorme de leurs nefs et levaient vers le ciel les deux bras des tours trop souvent dépareillées. Les hôtels-de-ville s'égayaient du carillon des provinces belgiques. Derrière de bonnes murailles, Laon, Saint-Quentin, Noyon, Senlis, Beauvais gardaient précieusement les traditions des vieilles libertés bourgeoises.

Du côté de l'est, Paris n'était séparé de la frontière que par la Champagne, haute et basse, le Barrois, le Bassigny et les Trois-Évêchés. La Champagne, comme l'Île-de-France, était un des anciens domaines de la couronne. Mais les Trois-Évêchés étaient dans une de ces situations ambiguës, fréquentes alors en Europe. Le lien qui les avait rattachés à l'Empire n'était pas tout à fait brisé. Pour qualifier cette sorte d'annexion incomplète, on disait qu'ils étaient sous la protection du roi de France. On cherchait, par tous les moyens, à étendre ce droit et, selon la propre expression de Richelieu, à rendre le pays messin aussi assuré à la France que le comté de Champagne[17].

Au contraire, la Lorraine, quoique indépendante, était, à l'égard de la France, dans une sorte de subordination. Les membres de la famille ducale vivaient dans l'orbite de la cour. Le duc était sans cesse dans les transes ou d'une alliance trop étroite, ou d'une rupture redoutable. Sa capitale, Nancy, prise entre Toul et Metz, étouffait. La place forte de la Mothe était, à la moindre alerte, son plus sûr abri[18].

On entrait en France, de ce côté, par Monzon, Bar-le-Duc et Langres. La Champagne, avec sa face blanche, donnait une pauvre idée du royaume : C'est ici que l'on voit de vastes campagnes blanchissantes comme de la craie, dégarnies d'arbres. sans aucun pré ni eau courantes, ce qui fait qu'on n'y trouve pas les vivres et commodités qu'il faudrait pour les voyageurs. Pourtant les vins .du pays étaient déjà renommés et les villes étaient belles. Troyes, avec sa riche vêture d'églises et de palais, et avec ses cloches, sans cesse brimbalantes, Reims, qui est grande, entourée de murailles fort blanches, dont les hautes tours se font voir de loin, et que la garde de la Sainte-Ampoule rendait illustre parmi toutes les villes du royaume, Châlons, Vitry, Chaumont-en-Bassigny étaient les places fortes ou les villes importantes de cette frontière. Selon le proverbe fameux, les Champenois passaient pour peu avisés ; mais ils étaient soumis, fidèles, et payaient bien la taille[19].

En quittant la Champagne, on traversait la Brie, plus fertile, et, par les coteaux élégants qui bordent la Marne, on arrivait à Paris. Quoique Paris n'eût pas encore dévoré la France, c'était déjà une grande ville qui demande une description à part. Quand on l'avait visitée avec soin, puis ses environs : Saint-Germain, où avait été élevé le jeune roi Louis XIII[20], Saint-Denis gardien des tombes royales, Vincennes à la fois demeure de plaisance et prison d'État, Rueil que venait de faire construire le financier Moysset[21], et surtout Fontainebleau que l'on considérait comme le plus beau château de France, Allemagne, Belgique, Angleterre et Italie[22], on se hâtait vers les provinces dont l'air était plus doux et la langue plus pure.

On entrait dans la Beauce, cette grande plaine fourmentière, par la belle route pavée de Paris à Orléans. Cette province, dit un voyageur, n'a ni montagnes, ni fleuves, ni forêts, ni vignes, très peu de prés et si peu d'eau que les habitants de Blois appellent leurs puits des sources. C'est à peine s'il y a des arbres, et le peu qu'on en voit sont tout rachitiques à cause de la nature du sol. Mais c'est la contrée la plus féconde en froment. Aussi l'appelle-t-on le grenier de Paris[23]. Visible de partout, la cathédrale de Chartres surgissait, dominant de loin des guérets mornes ou les vagues d'un océan de moisson.

Quoique les étapes principales de la contrée fussent célébrées dans un refrain populaire :

Orléans, Beaugency

Notre Dame de Cléry

Vendôme, Vendôme[24].

un autre proverbe en traitait fort mal les chemins : En Beauce, bonne terre, mauvais chemins, disait-il, et il était répété à l'envi par les voyageurs. L'habitant avait l'esprit adroit et caustique ; les chats de Beaugency en disputaient le prix aux guépins d'Orléans et aux habitants de Châteaudun dont on disait : il est de Châteaudun ; il entend à demi-mot.

Autour d'Orléans, on retrouvait une fertilité moins uniforme, les collines ombragées, la vigne. Les vins du pays avaient une grande réputation ; l'Orléanais était l'un des principaux celliers de France ; mais ses vins passaient pour corrosifs. On ne les vendait pas à Paris ; il était interdit de les servir à la table du roi. Orléans ville sans pair, abrégé de France, attirait les étrangers et surtout les Allemands. Les privilèges accordés à la nation germanique, qui faisait partie de l'Université, les y retenaient. Ils prétendaient aussi qu'Orléans était la patrie du beau langage, de l'orléanisme, — comme on disait en Grèce l'atticisme. Ils trouvaient ses habitants opuleutissimes, ses monuments admirables, ses rues bien alignées et bien pavées, ses maisons élégantes avec leurs salles garnies de nattes. Ils étaient d'avis qu'il y avait à Orléans plus de jolies femmes que nulle part ailleurs[25]. En un mot, c'était la plus belle ville de France, selon le mot de Charles-Quint, qui disait avoir vu, dans ce royaume, cinq choses dignes de remarque : une maison, La Rochefoucauld ; un pays, le Poitou ; un jardin, la Touraine ; une ville, Orléans, et un monde, Paris.

Outre ces mérites, la situation d'Orléans, au sommet du coude de la Loire, lui donnait une grande importance. Dans les guerres civiles, la possession de son pont de pierres, garni de tours, avait été sans cesse disputée par les deux partis.

Bientôt commençait la Touraine, qui, par la grâce souriante du paysage, la richesse des constructions, la délicate fertilité des jardins, passait pour la fleur du royaume : C'est un pays d'assez grande étendue et composé d'une infinité de belles et agréables villes, un pays tout plein de biens et tout comble de délices. On passe la Loire à gauche, dit un voyageur, le chemin devient charmant parmi les arbres, les vignes, les villages, au bruit agréable des eaux qui courent vers la Loire. C'est une grande plaine qu'on a nommée avec raison le jardin de la France. — Nulle part, dit un autre, je n'ai eu un plus délicieux spectacle que du haut du château de Saumur, d'où l'on voit la Loire, la plaine qui s'étend au loin et toute la campagne en fleurs[26].

Ce qui ajoutait au charme du paysage, c'était la beauté et la variété des châteaux. A l'exemple des rois, toute la noblesse s'était ruinée, sur ces bords, en constructions somptueuses. Depuis les masses imposantes de Langeais et de Luynes, jusqu'aux délicatesses exquises de Chambord et d'Azay-le-Rideau, le génie architectural de la renaissance avait épuisé ses conceptions à embellir ces contrées. Tourelles en poivrières, mâchicoulis ornementés, arcs brisés, anses de paniers, fenêtres à meneaux, escaliers à jour, fleurons, coupoles, pignons, galeries, toits, belvédères, tout cela s'entassait, s'étageait, s'élançait dans un luxe inouï où fleurissait couramment l'arabesque sculpturale.

Après trois siècles de ruines, il en reste assez aujourd'hui pour fatiguer l'admiration. On peut deviner quel spectacle c'était alors, parmi les beautés des avenues bien alignées, des fontaines jaillissantes, des jardins épanouis. Une nombreuse aristocratie, entourée de serviteurs, de pages et de poètes, y menait l'existence élégante et pondérée qui a donné une note si savoureuse à la culture de cette province :

Tourangeaux, Angevins,

Bons fruits, bons esprits, bons vins.

En suivant la Loire, on atteignait Amboise, gracieuse en séjour ; puis Saumur, défendue par des murailles épaisses, couronnée par un château qui passait pour très fort et qui abritait la vieillesse inquiète du pape des protestants, Duplessis-Mornay. Pour assainir et purifier en quelque sorte cette citadelle du protestantisme, on avait mis en vogue, au début du règne de Louis XIII, le pèlerinage de Notre-Dame des Ardilliers. Puis on gagnait les Ponts-de-Cé, qui étaient pour la Basse-Loire ce que le pont d'Orléans était pour le cours moyen ; enfin on atteignait la poissonneuse Nantes, par où l'on entrait en Bretagne.

La Bretagne était, à beaucoup de points de vue, différente des autres provinces. Elle se sentait elle-même à peine française, et se réclamait volontiers du temps de la reine Anne. Sa langue, sa misère, sa noblesse besogneuse, ses états provinciaux toujours turbulents, lui assuraient une indépendance conforme à sa situation géographique et à son passé. Les hommes, les animaux et les arbres sont plus petits ici que nulle part ailleurs, dit Laetius. Près de l'Océan, la population est dense, abondante, par la facilité que produit la nier pour l'arrivée de toutes les marchandises. Dans le centre, au contraire, ce sont des champs déserts, des landes infertiles qui ne servent qu'à la nourriture des troupeaux. Près de la mer, les lépreux abondent.

Toute repliée sur elle-même, la Bretagne prolonge, jusque dans les temps modernes, le rêve d'idéal et de superstition qui fut celui du moyen âge. En plein xvii0 siècle, elle continue à sculpter les hauts clochers ajourés que les marins suivent de l'œil, loin des côtes: elle poursuit, dans les veines du bois, le caprice d'un art enchevêtré qui emprunte ses motifs à une sorte de géométrie végétale. Ses tailleurs sorciers piquent dans le drap les broderies éclatantes auxquelles s'attache un sens mystérieux. Elle se berce de ses légendes mélancoliques, de ses chansons monotones, et s'endort, parmi les genêts, dans un sommeil qui mêle les lassitudes de l'indolence à la crapule de l'ivrognerie.

Pourtant elle est brave ; elle est entreprenante et s'élance hardiment dans les entreprises hasardeuses. Elle se vante de ses hardis marins et de ce grand et illustre pilote, Jacques le Cartier, souks le règne du grand roy François, descouvrit le pays et isles du Canada et autres terres en la mer septentrionale, avec honneur et gloire immortelle[27].

Dans les dernières guerres, avec son instinct catholique, ses aspirations séparatistes, ses mœurs brutales, la Bretagne s'était jetée dans la révolte, puis dans les bras de l'Espagne. Le duc de Mercœur avait positivement régné sur elle. La résistance s'était prolongée là plus que nulle part ailleurs. Il avait fallu que Henri IV vint en personne pour rétablir l'ordre ; et c'est ainsi qu'il avait daté de Nantes l'édit qui avait donné la paix religieuse au royaume. La Bretagne avait été longue à s'apaiser tout à fait. Elle restait toujours menaçante, et, au moindre vent de rébellion, les Vendôme, qui la gouvernaient maintenant, comptaient sur elle pour soutenir leurs ambitions de cadets illégitimes et insoumis.

La Normandie formait avec la Bretagne un parfait contraste. Elle était la province la plus riche du royaume, comme l'autre en était la plus pauvre ; elle comptait parmi les plus soumises. Elle avait pour le commerce, pour l'industrie, pour les travaux et le bien-être de la vie pratique, un goût qui manquait complètement à son antique rivale. On la comparait à l'Angleterre. Ses habitants ne passaient pas pour aimables. Ils étaient grands, sérieux et rudes. On citait traditionnellement, au sujet de cette province, le portrait si expressif de Robert Gaguin : La Normandie a une métropole, six villes, quatre-vingt-quatorze places fortifiées et nombre de bourgs bâtis comme des villes. Il faut au moins six jours pour la traverser de part en part. Elle est d'une richesse prodigieuse en poissons, en troupeaux et en blé. Les poiriers et les pommiers y poussent en telle abondance qu'on fait de leurs fruits une boisson, le cidre, dont les habitants sont grands buveurs. Ils sont, de leur naturel, trompeurs, très attachés i leurs coutumes et à leurs mœurs, s'entendent parfaitement aux dols et aux procès. Aussi les étrangers craignent d'entrer en relations avec eux ; d'ailleurs, amis de la science, religieux, excellents dans la guerre, où ils ont remporté sur d'autres nations de très grands succès[28].

Depuis le moyen âge, la Normandie était considérée comme une des grandes ressources du royaume tant en argent qu'en hommes. Elle payait, à elle seule, un cinquième des tailles. On disait :

Si bonne n'était Normandie

Saint Michel n'y serait mie.

Très attachée à ses traditions, surtout en matière de jurisprudence, elle entourait de vénération son parlement, qui jugeait d'après les vieilles coutumes de la province[29]. Les cités étaient pleines de magistrats et de prêtres.

Rouen, malgré ses rues étroites, passait pour une belle ville, sise en lieu commode et bien marchande. Son admirable palais de justice était le monument élevé à la gloire de la basoche par ces gens fameux en procès. Le manteau de sculpture jeté sur la ville par les architectes et les tailleurs de pierre du moyen-âge, lui donnait vraiment l'air royal, et l'on observait que, si elle n'avait pas été détruite successivement par quatorze incendies, elle eût pu être l'égale de Paris.

Caen était l'ancienne capitale et la seconde ville de la duché. Le château est haut élevé sur la ville et est situé sur un roc et fortifié de son donjon. Au milieu, il y a une tour fort haute et grosse, flanquée aux quatre coins de quatre autres grosses tours et armée de fossés profonds[30]. Avec son bailli, ses tribunaux, sa chambre des généraux, ses hommes de loi, son université, ses abbayes, ses collèges, Caen marquait bien le caractère doctrinaire et grave du pays de sapience.

II

Quand on laissait la France pour pénétrer dans les régions d'outre-Loire, on sentait immédiatement que le pays était autre : De l'Orléanais à la Guyenne par le Berry, le Poitou, l'Angoumois et la Saintonge, on ne quittait pour ainsi dire pas les forêts. C'était comme une vaste marche forestière qui séparait le pays d'oc du pays d'oïl[31].

La Sologne, vêtue de bruyères et de brandes, sans villes et sans routes, croupissait dans l'eau et la boue[32] ; le Berry offrait un aspect meilleur. On louait surtout son activité industrieuse, et les moutons du Berry donnaient une laine à la réputation proverbiale. L'Université de Bourges, où avaient enseigné les Alciat, les Baudoin, les Hotman, les Cujas, avait étendu au loin le renom de la ville. Les Allemands, tout en regrettant que le langage y fût moins pur qu'à Orléans, s'y rendaient en grand nombre et y séjournaient. Bourges était considérée comme une place très forte, la citadelle et le réduit de toute la Gaule. On montrait, non loin de cette ville, un arbre qu'on disait être placé juste au centre du royaume. On prétendait aussi que la fameuse grosse tour, ronde en sa figure et si haute qu'elle découvre trois ou quatre lieues de pays et à laquelle on ne pouvait comparer que celles de Carcassonne et de Nuremberg, avait été bâtie par Vercingétorix[33].

Un passage du voyageur allemand Gœlnitz donne une impression très nette de l'aspect que présentaient ces contrées : En allant de Bourges à Lyon, dit-il, comme la route royale était rompue par les pluies, le cheval qui portait nos bagages s'égara dans les marais... Nous étions nous-mêmes en péril de la vie par une nuit très noire et un vent impétueux qui nous empêchait de nous entendre. Nous dûmes marcher à pied, tâtant le sol avec les mains, car il n'y avait pas trace de route. Notre guide allait en avant au milieu de l'eau. Nous suivions à la file, par derrière, sans voir, sans entendre. Enfin, au milieu de la nuit, après nous être plusieurs fois perdus, nous arrivâmes, trempés jusqu'aux os, les bottes pleines, à l'auberge. Nous y trouvâmes Philémon et Baucis et les secouâmes un peu pour obtenir un bon feu, sécher nos vêtements, mettre de la paille dans nos bottes, du pain et du vin dans nos estomacs. Une fois séchés et rassasiés, nous allâmes nous coucher.

Le lendemain, la pluie ayant un peu cessé, nous marchons, par un chemin empierré, jusqu'à un bourg nommé Couleuvre[34]. Triste logis, et qui paraissait toujours sur le point de prendre feu : le bois mis dans le foyer vomissait des flammes par la cheminée, qui traversait justement un grenier plein de foin. Il fallut nous mettre à jeter de l'eau sur le feu pour jouir de sa chaleur sans trop de péril. Ce remarquable logis s'appelait l'Écu de France. A peine séchés, et le repas fini, nous. repartons sous la pluie et nous avançons lentement, jusqu'à la tombée du jour, pour gagner, au village de Franchesse[35] l'auberge du Cheval blanc. Tout y était ouvert, portes et fenêtres. Pas de fermeture, pas de vitres ; et il y avait, là-dedans, des hommes de fort mauvaise mine, occupés à travailler le lin. L'idée de manger et de dormir sous le même toit. n'était pas sans nous donner quelque inquiétude pour nos bagages. Nous veillâmes une partie de la nuit, et, grâce à ce soin, tout se passa sans accident[36].

Pour aller vers le sud-ouest, on passait par Châtellerault et Poitiers. Le Poitou, moitié nord et moitié midi, conservait encore quelque chose de l'abondance de la Touraine. La terre, cependant, devenait plus maigre. Poitiers, comme Bourges, comme Orléans, était un centre d'études important. Elle s'appelait elle-même l'Athènes de la France.

La Brenne, le Bas-Poitou, enfiévrés par leurs marais, étaient d'affreux pays. La Marche, le Limousin, tout rugueux de collines boisées, ne valaient guère mieux. Les voyageurs parlent de ces contrées avec un sentiment d'horreur et de pitié. Les habitants sont d'une sobriété extraordinaire, gloutons seulement de pain[37], ignorants de tous autres délices... Dans leurs affaires, ils se montrent assez adroits et réfléchis, très entêtés. Ils sont sordides dans leur nourriture et dans leurs vêtements... Si l'on pénétrait dans les horribles chaumières, faites de torchis, qui leur servaient de demeures, on trouvait des enfants nus sur de la paille, grelottant devant un feu de bousat de vaches. Ils vivent de châtaignes, qu'ils exportent même au loin. On ne voit dans la campagne que des chênes et des châtaigniers. La terre est couverte de pierres que les paysans ont la paresse de ne pas enlever : sinon, elle ne serait pas mauvaise. Nais la stérilité vient surtout de la barbarie des habitants. Peu de villages, quelques rares chaumières ; dans les champs pierreux, quelques moutons, peu de vaches.

A travers l'Angoumois et le Périgord, le pays gardait à peu près le même aspect jusqu'aux portes de Bordeaux. Angoulême avait beaucoup souffert des guerres de religion. La peste s'y était installée presque à l'état endémique. Sur la fin du XVIe siècle, Étienne Pasquier, se rendant à Cognac, traversa l'Angoumois et passa, dit-il, par tel grand bourg dans lequel il n'y avait que quatre ou cinq pauvres ménages, et dans lequel on ne trouvait pas de quoi manger. En 1613, la ville était poursuivie pour dettes, et des huissiers s'étaient installés aux portes qui saisissaient les habitants et les mettaient en prison, faute du payement d'une somme de deux mille cinq cents livres due par la communauté. On n'avait pas l'argent nécessaire pour acheter un tombereau à enlever les ordures[38].

Les bourgeois de la ville n'en étaient pas moins fiers, gens de bon esprit, tenant quelque compte de leur réputation, assez hauts à la main, se vantans volontiers, se plaisans peu au trafic, la plupart vivans de leurs revenus et faisans les gentilshommes. Ils aiment les lettres, sont hospitaliers et courtois et se plaisent à choses nouvelles[39]. Quant aux gens du plat pays, ils sont grossiers et rudes, se ressentant de la lourderie, de leurs voisins, adonnés au travail, opiniâtres et têtus, au reste propres aux armes, de grand courage et fort hardis.

Le Périgord, quoique pierreux et rocailleux, était un peu meilleur. On citait ses forges à fer et à acier, ses fabriques d'armes et de couteaux, ses moulins à eau. Rien que la Conze, qui n'a qu'une lieue de cours, fait néanmoins moudre six vingts moulins, tant à bled qu'à papier.

Périgueux, disait-on, avait autrefois porté le nom de Japhet, d'où l'on peut voir qu'elle est très ancienne et que les enfants et arrière-neveux de Noé, venant en Gaule peu après le déluge, la bâtirent et lui donnèrent ce nom. Elle avait été érigée en évêché dès le temps des apôtres, et son église de Saint-Front passait, avec raison, pour l'un des plus anciens et des plus beaux bâtiments du royaume.

Le Périgord était plein d'une noblesse innombrable, prompte, dure, aimant les querelles, avide de nouveautés et toujours prête à se mettre en mouvement pour le moindre objet. — Quant aux gens de condition inférieure, ils sont vains, dispos, fort gaillards et de longue vie pour leur naturelle sobriété... Ils sont fort affables, accorts, propres à toutes honnêtes actions et exercices, soit aux lettres, armes, arts mécaniques ou autres perfections[40].

Au delà du Poitou et du Périgord, joignant l'Océan, venait le pays de Saintonge, le comté d'Aunis et La Rochelle. C'était le centre du protestantisme français. Installé sur le bord de la nier, en relation constante avec l'Angleterre et la Hollande, il s'implantait, avec une gravité tenace, dans ces pays-bas de la France. Ce n'était pas le protestantisme cavalier et à la soldade de la Gascogne, rêvant les grands coups d'épée, le pillage des églises et la confiscation des biens du clergé ; c'était un protestantisme noir, austère, et de figure très longue ; un protestantisme de ministres et de marchands.

Il y avait quelque chose de fier dans l'établissement de cette république municipale de La Rochelle, qui aurait voulu étendre sur la France, divisée en États confédérés, son esprit indépendant et sectaire. Elle vantait sa richesse, la hardiesse de ses marins, l'activité de ses commerçants. Elle obéissait orgueilleusement à son maire, qui ne marchait jamais qu'entouré d'une garde. La Rochelle entretenait soigneusement ses murailles, ses fossés, ses bastions, auxquels travaillaient les ingénieurs hollandais et que l'on citait comme le modèle de la défense des places. On assurait que la ville était imprenable et elle portait, en avant de son havre d'étroite embouchure, les deux grosses tours de la Chaine et de Saint-Nicolas, veillant, comme deux sentinelles, sur le repos de la cité[41].

La Guyenne avait beaucoup perdu de son antique réputation. Dans son humeur ombrageuse, elle regrettait peut-être l'époque où, sous la domination lointaine des Anglais, elle était à demi indépendante. Un voyageur donne au Médoc cette louange restreinte que le pays n'est pas aussi mauvais qu'on le dit. On remarquait, il est vrai, que la vigne y poussait bien et que le vin était généreux ; mais on ajoutait que les autres cultures y étaient peu prospères[42].

Bordeaux n'avait pas encore pris le grand élan que bientôt le commerce des Antilles et des Indes allait lui donner. Elle n'avait pas revêtu le manteau somptueux dont, au XVIIIe siècle, le marquis de Tourny devait l'orner. Cependant, c'était déjà une belle ville dont on célébrait la structure, ordre, symétrie, le tout d'une élégance universelle[43], avec ses châteaux du Hâ et de Trompette, avec ses huit abbayes, son université et son collège de jésuites, avec ses deux collégiales et ses douze paroisses, avec ses clochers aigus, bâtis par les Anglais, avec ses longs quais que les vaisseaux de commerce garnissaient à perte de vue, durant les deux grandes foires de mai et d'octobre. Elle s'adonnait principalement au commerce des vins, qui descendaient le long de la Garonne et de la Dordogne pour, de là être exportés en Angleterre et dans les pays du Nord, sous le nom de claret.

La Guyenne était renommée pour l'esprit agréable et ingénieux de ses habitants, pour la culture de la noblesse et de la haute bourgeoisie. La fin du XVIe siècle avait connu le célèbre évêque d'Aire, François de Candale, parfait alchimiste, inventeur de l'eau de Candale, très expert arquebusier et qui, disait-on, avait trouvé la pierre philosophale ; Michel de Montaigne, homme grandement docte, franc, ennemi de toute contrainte, fort instruit des affaires, principalement celles de la Guyenne, qu'il connaissait à fond ; la sœur du moraliste, Mme de Lestonac, femme grandement savante, et qui parlait bon grec et bon latin ; le directeur du collège, Vinet, ami des Muret, des Turnebe, des Buchanan.

Le parlement se recrutait dans une aristocratie de robe nombreuse, riche, éloquente, instruite. Il aimait à parler haut en s'adressant aux rois, et, comme la modestie gasconne s'en mêlait, on répétait volontiers, dans la ville, un propos attribué à Henri IV : que, s'il n'était roi de France, il eût voulu être conseiller au parlement de Bordeaux[44].

De Thou, qui au sortir de Bordeaux, a fait tout le voyage de Gascogne, rapporte que les Landes étaient loin de présenter alors l'aspect misérable qu'on peut leur supposer. On trouve sur la route, dit-il, de grandes landes et des bruyères pleines d'abeilles et de tortues, avec des villages fort écartés les uns des autres, mais très peuplés. Les paysans y sont plus riches que dans tout le reste de la Gascogne.

Bayonne, sans cesse menacée par les terribles inondations de l'Adour, était pourtant un port de nier actif et important. Les vaisseaux qui en partaient pour la grande pèche étaient des plus renommés pour leur esprit d'entreprise et la hardiesse de leurs équipages.

On entrait dans le Béarn, dont le caractère si marqué frappait les voyageurs : Le langage de ces peuples est fort singulier et les habits de leurs femmes ne le sont pas moins ; elles en ont pour chaque âge et pour chaque état, pour le deuil, pour le mariage et pour les prières publiques. Si l'on voyait ailleurs des gens vêtus de cette manière, ou croirait qu'ils se sont déguisés exprès pour faire rire on pour monter sur un théâtre. Tout ce pays, d'ailleurs très turbulent, très divisé, soutenu par les prétentions du Béarn et de la Navarre, se sentant déjà de la morgue espagnole, jouissait d'une sorte d'indépendance. L'action du pouvoir royal ne s'y faisait sentir que mollement et seulement dans les temps où les populations, lassées des dissensions locales, l'imploraient. Un voyageur observe que, dans toute cette région, les paysans ne sortaient jamais sans armes[45].

Le pays de Gascogne, résonnait d'un langage nouveau :

Lo no es bon guasconet

Se no sabe dezi

Higue, bogue, hagasset[46].

Le cours de la Garonne était bordé d'une infinité de bourgades, de grands châteaux et de maisons de plaisance. Agen, situé dans un pays riche, agréable, fertile, était comme une seconde capitale pour le Midi. Elle s'illustrait du séjour qu'y avait fait Scaliger.

Mais la vraie reine du Midi, c'était Toulouse. Son influence rayonnait sur tout ce qui parlait le vigoureux et sonore langage que les puristes du temps étaient eu train de reléguer au rang d'un patois méprisé. Des hauteurs de l'Auvergne, du Velay, du Quercy, de la Guyenne, de la Navarre, de l'Espagne, l'élite de la jeunesse descendait vers son université. Ils recueillaient, sur les lèvres des professeurs, le suc de la tradition romaine et scolastique. Ils s'y séchaient au feu d'une doctrine âpre et autoritaire qui faisait de tous ces Gascons les plus redoutables serviteurs de l'autorité royale. Dès longtemps, on disait de l'université de Toulouse qu'elle était des plus grands magistrats et des premiers hommes d'État, et le proverbe répétait à son tour :

Paris pour voir,

Lyon pour avoir,

Bordeaux pour dispendre

Et Toulouse pour apprendre.

La ville elle-même, toute construite en briques, était plutôt remarquable par l'antiquité que par la beauté de ses édifices. Saint-Sernin, la vieille église, était couronnée de canons pour foudroyer la cité en cas de rébellion. On rebâtissait Saint-Étienne, qu'un incendie avait détruit, en 1609. On montrait encore l'hôtel de ville qui avait recueilli le nom glorieux de Capitole, le parlement avec la salle d'audience, la table de marbre, les prisons des Hauts-Murast, enfin les collèges parmi lesquels venait de s'insinuer celui des jésuites, appelé à de hantes destinées.

L'impression produite par Toulouse sur les voyageurs était résumée, par l'un d'entre eux, en ces termes : Située dans une belle plaine, arrosée par la Garonne, c'est la première ville du royaume après Paris et même, si l'on compte la beauté et le nombre des églises, la dignité du parlement, la fréquentation des écoles, la richesse des citoyens, la splendeur des édifices publics et privés, elle n'est pas loin d'être la première. On pourrait, comme Athènes autrefois, l'appeler la ville de Pallas.

Toulouse règne sur le Languedoc, soit comme chef-lieu de gouvernement, soit comme lieu de réunion des états, soit comme siège de l'archevêché, soit comme séjour du parlement. Tout le pays, administré par lui-même, peu chargé d'impôts, était riche ; Bodin donnait sa constitution en exemple. Il y faisait bon vivre ; on remarquait surtout la variété de ses productions, fruits, vins, froments, poissons, gibier ; celui-ci si abondant, parait-il, que, tous les jours, on sert des perdreaux et des cailles pour le déjeuner et le dîner.

Les habitants étaient curieux, insolents : Ils regardent fixement les étrangers, comme des bêtes inconnues récemment amenées d'Afrique et ils s'interrompent de manger pour les considérer. En traversant les bourgs de la province, on rencontrait parfois un enterrement où les assistants poussaient de grands cris et de bruyants gémissements. Ou bien, au contraire, on voit les filles danser, au milieu des rues avec des gesticulations étonnantes ; c'est toute l'exubérance méridionale. Les Languedociens sont catholiques, ardents, faciles à émouvoir, dit un autre voyageur ; ils ont de l'esprit et veulent qu'on les croie. Il ne dit pas s'ils méritent toujours d'être crus[47].

Carcassonne et Narbonne étaient les deux places fortes qui protégeaient cette frontière du côté du Roussillon, encore espagnol. Les tours rondes de Carcassonne, les tours carrées de Narbonne donnaient à ces deux villes un aspect très imposant. Les voyageurs devaient remettre leurs armes entre les mains des gardes, avant de franchir les portes[48].

Montpellier, avec son air salubre, l'agrément du climat, ses fortes études de médecine, était un lieu de séjour très apprécié. On s'y piquait de belles manières : La place de la Canourgue, où se viennent rendre par bandes toute la noblesse et mille beaux visages pour y pratiquer d'honnêtes galanteries et y entendre les concerts et les sérénades, est la marque trop visible de la belle humeur des habitants, et notre auteur ajoute galamment : Le beau sexe ne contribue pas peu, de ce côté, à la gloire de Montpellier qui est rempli d'une infinité d'habitants si bien mis et si bien couverts, qu'ils témoignent par là qu'ils sont les nobles membres d'une des premières cités de la France[49].

A travers un pays sablonneux, parmi des terres ingrates où bleuit l'ombre fine des premiers oliviers, on gagnait Nîmes, la dernière ville du Languedoc, en allant vers le Rhône. Mmes répandait un parfum d'antiquité qui charmait le cœur de tous ces excellents latinistes. Ils vantaient l'amphithéâtre, le phis grand, disait-on, qui fût resté de toute l'antiquité romaine ; on célébrait la Maison Carrée, bâtie par l'empereur Adrien, en l'honneur de sa femme Plotine. On s'étonnait devant la tour Magne, dont on ne peut savoir le dessein de celui qui l'a bâtie, si ce n'est pour éterniser sa mémoire par un si grand ouvrage, comme voulut faire Nemrod pour la haute tour de Babylone, à qui la tour Magne a beaucoup de ressemblance[50].

Mais la merveille des merveilles, c'était le pont du Gard. Ses trois rangées d'arches indestructibles étaient contemplées, examinées, mesurées avec un respect pieux. De pareilles œuvres, si supérieures par leur utilité, par leur simplicité, par leur force à tout ce qu'avait laissé le moyen âge, évoquaient, dans des esprits encore tout imbus de la tradition, le souvenir écrasant de la grandeur romaine ; et cet enthousiasme pétrissait, presqu'à leur insu, les esprits et les aines ; il imposait l'imitation directe et efficace de l'antiquité aux efforts nouveaux du siècle qui commençait.

III

La Provence était la plus noble partie de l'ancienne France. Tout, jusqu'à son nom, rappelait la domination romaine. Elle avait, dans ses mœurs, dans sa constitution, dans l'aspect de la campagne, quelque chose qui la distinguait des autres provinces du royaume. Sèche, rouge, poussiéreuse et venteuse, elle était peu fertile en blé, mais abondante en fruits et surtout en fleurs. Ses champs répandaient, en toutes saisons, l'arome acre des orangers, des citronniers, des roses et des jasmins. C'étaient ces divines senteurs dont l'obsession fatiguait Mme de Grignan[51].

La Provence était moins prônée qu'aujourd'hui. Son ciel si pur, la douceur de ses hivers, la beauté de la mer, trouvaient nos pères moins sensibles que nous. Déjà cependant, on voyait poindre quelque aube de ces saisons hivernales que la facilité des voyages a tant multipliées. Un voyageur observe que, dans tous ces petits ports de mer de Provence, on mange à table d'hôte chair et poisson, où chacun pour une pièce de vingt sols est traité délicieusement et proprement. On boit ordinairement à la glace et c'est la coutume du pays, chaque fois que l'on sert à boire, de fringuer le verre et le présenter à demi plein d'eau qu'on verse toute, ou peu, ou point à sa volonté, avant que de remplir de vin qui est très brûlant en Provence et malsain, si on le boit sans eau[52].

Cette côte délicieuse était loin d'offrir un tranquille séjour. Les Turcs et les Barbaresques l'infestaient. Leurs vaisseaux arrivaient brusquement et faisaient, dans les villages et jusque dans les villes, de terribles razzias. Il fallait être sur ses gardes et, malgré tout, les prisons de Tunis et d'Alger regorgeaient d'esclaves enlevés sur les côtes méditerranéennes.

Outre ces maux, aujourd'hui disparus, la Provence en connaissait d'autres qu'on réunissait dans ce dicton :

Le Parlement, le Mistral et la Durance

Ont fait la ruine de Provence.

Tout en se plaignant de son parlement, la Provence en était fière. Il l'avait régie souverainement durant les guerres de la Ligue, et la turbulence méridionale se vantait de l'avoir vu tenir tête simultanément à la France, à l'Espagne et à la Savoie. En 1614, les cœurs s'étant apaisés, la Provence était gouvernée pacifiquement par l'héritier des Guises, devenu le fidèle serviteur des rois. Elle cherchait son illustration dans la renommée des hommes de lettres : Du Vair, cette aigle de l'éloquence française, Peiresc, Malherbe, qui avait fait de la Provence son pays d'adoption. On notait déjà que les Provençaux étaient grands parleurs et vantards. Mais on s'arrêtait là ; on ne pouvait prévoir que, dans des temps de révolution, leur génie oratoire et tumultueux aurait sur les destinées générales du pays une plus hante influence.

La Provence commençait, du côté de l'Italie, entre Nice et Antibes. Toulon, récemment fortifié par Henri IV, prenait quelque importance. Marseille gardait une réputation de vieille ville républicaine et on étudiait ce qui restait debout de son antique organisation municipale.

Les voyageurs, montés à Notre-Darne de la Garde, observaient que, vue de haut, la ville avait l'air d'une harpe, penchée vers la mer. Ils en trouvaient les rues étroites, les monuments peu imposants, niais le port très beau, avec ses trois châteaux de Saint-Jean, d'If et de Ratonneau. Ils énumèrent complaisamment les produits si divers que ses marins allaient chercher dans les pays du Levant ; et, en revanche, les vins, les huiles et les autres objets de négoce qu'ils exportaient au loin. On consacrait toujours une visite aux galères du roi et on s'attardait à écouter le chant des forçats, penchés sur la rame[53].

Aix, capitale de la Provence, s'enorgueillissait de son nom latin, de son parlement, de sa chambre des comptes, de son université, de son archevêché et de son gouvernement. Avec tout cela, elle sentait la vie s'éloigner d'elle. Elle en était réduite à étaler quelques édifices anciens, une grande vanité, et un nombre considérable de noblesse et de personnes de qualité très propres en leurs habits et très polis en leurs mœurs[54].

Avignon et le Comtat-Venaissin formaient une petite principauté indépendante. C'était une république italienne transportée au milieu de la France. Avec son gouvernement ecclésiastique, son dôme et son palais du vice-légat, Avignon ressemblait, parait-il, à Bologne. On n'y entendait guère parler que la langue italienne et de nombreuses familles péninsulaires s'y étaient installées. Elle était gouvernée par des prêtres ; mais on y voyait surtout des ruffians et des juifs. Les voyageurs mettent leurs successeurs en garde contre les services dangereux des premiers et ils dépeignent avec détail le curieux aspect des seconds. Tolérés par l'adroite politique du clergé, vêtus et coiffés de jaune, ils vivaient là dans l'ordure et le mépris. Ils se jetaient sur les étrangers et leur offraient des marchandises de toutes sortes avec une insistance qui eût été désagréable si elle n'eût été si facilement repoussée.

Pétrarque attirait les poètes à Vaucluse. Orange et sa petite principauté, placée sous la suzeraineté du roi de France, offraient quelque curiosité pour le politique. Enfin on laissait le Rhône, dont la rapidité et les violences étaient célèbres :

Rhodanus raptum velocibus undis

In mare fert Avarim...

et l'on entrait dans le Dauphiné.

Le Dauphiné, province frontière abritée et écrasée tout à la fois par les contreforts des Alpes, était resté, jusqu'à un certain point, distinct du royaume de France. En vertu de l'acte qui l'avait réuni à la couronne, il donnait son nom au fils aîné des rois. Cette demi-autonomie, affirmée encore par l'esprit indépendant, ferme et fier des Dauphinois faisait, de cette province, un objet perpétuel de tentation pour le duc de Savoie. Profitant de la minorité de Louis XIII, ce fin renard, Charles-Emmanuel, employait sa redoutable habileté à persuader à ses chers voisins qu'il fallait reconstituer l'ancien royaume des Allobroges : La nature, disait-il, a fait des Dauphinois et des Savoisiens un seul et même peuple ; quand vous lui aurez donné un même maitre, ils seront encore ces redoutables Allobroges qui furent la gloire des Celtes et la terreur de Rome. Renouez la chaise des temps ; rattachez à vous l'ancienne dynastie de vos rois[55].

On ne pouvait faire un usage plus heureux des exemples historiques. Les Dauphinois pourtant se méfiaient. Ils restaient attachés, sinon à la France, du moins à leur gouverneur, le brave et habile Lesdiguières. Connétable de France, gouverneur du Dauphiné, chef reconnu du protestantisme français, celui-ci était le véritable roi du pays. Sa puissance même n'était pas sans donner quelque ombrage au roi de France, son maitre. Mais, comme on ne pouvait l'abattre, on le ménageait. Il répondait de la sûreté de cette frontière et intervenait, pour son compte personnel, dans les querelles des princes italiens[56].

Sage administrateur, il s'attachait à développer le commerce et l'industrie, couvrait le pays d'édifices somptueux et de constructions utiles. Il était comme le Henri IV dauphinois. Dans son magnifique château de Vizille, on comptait cent vingt chambres, et notamment une belle galerie de tableaux et de sculptures. L'arsenal, rangé dans un ordre admirable et tenu avec la propreté la plus méticuleuse, contenait six cents armures, deux mille piques et dix mille fusils. C'en était assez pour tenir en respect les ambitions qui s'agitaient autour de la province[57].

Le Dauphiné présentait, dans la nature de son sol et dans le génie de ses habitants, les mêmes contrastes que dans l'ordre politique : il y avait des contrées extrêmement fertiles, qui donnaient même d'excellents vins ; il y en avait d'autres absolument stériles où ne poussait guère que le noyer. De même, on remarquait une opposition absolue entre la lourdeur et la stupidité des paysans, la politesse et la vivacité des citadins.

Grenoble, ville bien située et bien fortifiée, était le siège du parlement et le lieu de réunion des états provinciaux. Vienne avait lut archevêque qui se disait le primat du primat des Gaules. Le fort Barraux, récemment reconstruit par Lesdiguières, Embrun, Briançon haut perché dans la montagne, étaient les places fortes de la région. A Valence, sur le Rhône, existait un péage qui faisait le désespoir des commerçants et dont tout le profit allait au duc de Lesdiguières. Avant de quitter la province, on ne manquait pas de visiter la Grande-Chartreuse qui attirait les étrangers par sa situation au milieu du site le plus sauvage et par le renom d'hospitalité des bons pères.

Voici comment notre excellent Gölnitz entonne les louanges de la ville de Lyon. Cette ville est le principal boulevard de la France, la première de toutes les Gaules au point de vue spirituel, la boutique du commerce universel et enfin, ce qui est à son éternelle louange, s'il y a au monde un endroit où se trouvent rassemblés tous les vénérables débris de l'antiquité, statues de dieux et de princes, inscriptions, tombeaux, théâtres en ruines, bains, thermes, aqueducs, canaux, égouts, temples, colonnes de toutes formes, obélisques, pyramides, tableaux, vases, urnes, lampes, emblèmes, poteries,cet endroit, c'est Lyon.

Monté sur ce ton, le dithyrambe ne s'arrête pas. Pour rehausser la gloire de Lyon, on attribuait sa fondation à un certain Lugdus, roi des Celtes, qui vivait l'an du monde 2335, longtemps avant la naissance de Moïse. Par cette antiquité fabuleuse, par son passé romain, par son admirable situation et par l'activité de son commerce, Lyon prenait, aux yeux des étrangers, une importance exceptionnelle. Que l'on vint d'Italie ou que l'on vint d'Allemagne. c'était toujours l'étape nécessaire. C'était dans cette ville que se faisait le commerce de l'argent. Sa place était peut-être la plus importante du monde. On disait, vers le milieu du XVIe siècle, que Lyon était comme une Florence ultramontaine. On eût pu ajouter qu'elle était comme un Francfort français. C'était la ville des affaires et de l'activité cosmopolite.

L'espace occupé par Lyon était immense. Sa muraille enveloppait de vastes terrains, dont une partie en culture et en jardins. Pour pénétrer jusque dans la cité, il fallait passer successivement par trois portes. A la troisième, un portier demandait d'où l'on était, et ce que l'on venait faire dans la ville. Il donnait ensuite un billet, sans lequel on n'aurait été admis dans aucun hôtel.

Trois châteaux : Pierre-Encise, Saint-Sébastien et Sainte-Claire gardaient la ville. Sous la régence de Marie de Médicis, Nicolas de Neufville de Villeroy, gouverneur de Lyon, faisait de grands frais pour la réparation de ces forts et pour leur mise en état de défense.

L'intérieur de la ville n'offrait qu'un aspect assez médiocre. Les rues étaient étroites, sales et pliantes. Les maisons, très élevées, interceptaient la lumière et l'air ; du haut de leurs toits, des gargouilles de bois déversaient les eaux de pluie sur les passants. Aux fenêtres, des carreaux en papier huilé étaient les seules fermetures et ajoutaient à l'aspect délabré des maisons. Il n'y avait guère de beau quartier que la place Bellecour.

Le système municipal de la ville était, disait-on, tourné vers l'aristocratie. On racontait les luttes de la plèbe contre le sénat, comme s'il se fut agi des plus grands événements de l'histoire romaine. Lyon, avec son esprit original, sérieux, mystique, avait joué un grand rôle dans les guerres de la Ligue. Depuis la soumission de 1594, elle était tout à fait rentrée dans le devoir. Comme disait un contemporain, on avait vu refleurir une des trois fleurs de lys de l'écusson de France. Les Lyonnais, après s'être abandonnés à leur passion séparatiste et catholique, s'étaient, suivant les conseils du prudent Bellièvre, portés au-devant d'un roi qui ramenait l'ordre et la prospérité dans le royaume : au bruit des trompettes et des clairons sonnants, des salves tant d'artillerie que de toutes sortes de canons, son peuple avait, durant huit jours de suite, fait feux de joie par toutes les places et crié haut et clair : Vive le roi !

C'est qu'en effet les maîtres de Lyon, au fond hommes sages, avaient compris que, si l'anarchie ne pouvait profiter à personne dans le royaume, elle était particulièrement factieuse pour les intérêts de leur industrie et de leur commerce.

La situation de Lyon, au confluent des deux rivières qui relient le Nord au Midi, était particulièrement favorable en un temps on presque tout le transport des marchandises se faisait par eau. Par la Saône, descendaient le blé, le vin, les charbons de la Bourgogne ; par le Rhône, remontaient, venant du Dauphiné, de la Provence, du Languedoc, les vins généreux, les fruits, les citrons. les oranges, les produits de l'Espagne, de l'Italie et de l'Orient. On trouvait à Lyon tout ce qu'on pouvait désirer en soieries, drap, vêtements, et aussi tout ce qui pouvait intéresser les savants et hommes de lettres. Lyon était un grand marché de livres, et on les expédiait de là par toute l'Europe[58].

Si le Lyonnais était prospère, le Forez, qui le borde, n'avait pas encore pris le grand essor qu'il doit au progrès de l'industrie moderne. Cependant, les voyageurs mentionnaient déjà ses charbons naturels. Près de Saint-Étienne, dit un géographe, il y a trois montagnes au-dessus desquelles il y a toujours un jet de flammes qu'elles soufflent : l'une s'appelle Mina, l'autre Viala, la troisième Buta. Dans leurs flancs, on trouve des charbons de pierre naturels. Les habitants s'en servent chez eux, au lieu de bois et de charbon ordinaire, et les brillent dans leur foyer ; cela fait un feu très fort et très ardent. Dans ce charbon, on taille aussi des grès d'excellente qualité[59].

Plus on s'enfonçait dans l'Auvergne, plus le voyage devenait rude. Nos aïeux avaient peu de goût pour les paysages de montagnes. Ils trouvaient les chemins durs, rocailleux, les pentes raides, les bois sombres et mal hantés. L'Auvergne passait pour un affreux pays. Aussi les voyageurs se pâmaient-ils d'aise lorsque, après avoir franchi les défilés des montagnes, ils débouchaient sur l'exquise et florissante Limagne : Pour moi, dit Gölnitz, j'attribue volontiers aux habitants de cette région ce que Salvien a écrit des peuples de l'Aquitaine, à savoir que leur pays est, non seulement la moelle de toute fécondité, niais encore, ce qui vaut mieux, le vrai séjour du bonheur et de la beauté. Cette contrée est, à tel point, entrecoupée de vignobles, de prairies émaillées de fleurs ; les cultures y sont si variées, les jardins et les bosquets y sont si nombreux ; elle est arrosée de tant de fontaines, sillonnée de tant de rivières, couverte de moissons si abondantes, que ses habitants semblent avoir reçu en partage un morceau du paradis.

Au sud de l'Auvergne, les derniers contreforts des Cévennes et des Causses, dans le Valais, dans le Vivarais, dans le Gévaudan, abritaient des peuples durs, âpres, tenaces, qui avaient, en grande partie, embrassé le protestantisme. Montauban était leur capitale. Privas, Rodez, Mende, Aubenas, Pamiers, Millau, étaient leurs places fortes. C'est le vieux pays hérétique. Au-dessus du Rhône, il donnait la main aux protestants du Dauphiné et constituait ainsi une puissance redoutable qui, pour le moment, vivait en paix sous le connétable de Lesdiguières, mais qui allait bientôt servir d'instrument à la fortune. politique et militaire des Rohan.

De Lyon à Paris, le chemin se faisait assez rapidement par eau. La Bourgogne française était fertile, opulente ; ses vins étaient célèbres, notamment celui de Beaune, qui passait pour un des meilleurs de France : Il n'est pain que de froment, vin que de Beaune, disait le proverbe et l'on ajoutait que notre Saint-Père le Pape, monseigneur le roi et plusieurs autres seigneurs, gens d'église et talitres avoient coutume d'en faire leur provision.

La Bourgogne n'avait pas oublié tout à fait le grand rôle qu'elle avait joué dans les derniers temps du moyen âge. On retrouvait, dans son organisation, bien des vestiges de son ancienne indépendance. La Duché n'avait pas absolument séparé son sort de celui de la Comté, qui continuait à s'appeler Franche. Les États de Bourgogne se tenaient, tous les trois ans, à Dijon, et défendaient avec vigueur les privilèges de la province, notamment en matière d'impôts.

Dans la ville même, à côté de la Maison du Roy, dont la forte et haute tour était à demi ruinée, on voyait les logis des seigneurs qui avaient été les premiers vassaux des ducs de Bourgogne : Orense, Le Vergi, Ruffé, Conches, Saulx, Luc, Tavannes, Ventoux, Senecey, Rothelin, Pleuvot. Le maire, nommé chaque année A la pluralité des voix, prenait le titre de Vicomte-Maïeur : C'est à la requête du maire de Dijon que les rois, entrant en cette ville, jurent, en l'église Saint-Bénigne, de conserver et confirmer les privilèges inviolables de ladite ville, et, réciproquement, icelui maire jure au roi fidélité et secours pour et au nom de tout le pays ; en signe de quoi, ce Maïeur lie une banderole ou ceinture de tafetas blanc à la bride du cheval du roi et le conduit jusques à la Sainte-Chapelle, étant accompagné de vingt et un échevins.

Autun, la vieille cité, était bien diminuée de son antique splendeur ; mais Mâcon, Chalon, Nevers, étaient des villes fortes et opulentes. Le duché de Nivernais recommandé par les trois belles rivières qui l'arrosent, Yonne, Allier et Loir, fécond en toutes commodités, contenait onze villes closes, et Nevers, sa capitale, onze paroisses.

Auxerre aux vignerons diligents, Sens avec sa cathédrale aux chantres célèbres, Montereau avec son ait-Lean fort superbe et ses murailles, laissant à l'œil de grands ressentiments d'antiquité n. étaient les dernières étapes avant d'arriver à Paris[60].

La proximité de la capitale se faisait sentir par l'étonnante activité de la batellerie. Dans un rayon de quarante lieues, les rivières étaient encombrées. Les bois flottés partaient du Nivernais, du Morvan, et soit à bûches perdues, soit en trains, gagnaient la ville[61] ; puis c'étaient les chalands portant le charbon, les foins et les vins de Bourgogne, les blés et le laitage de la Brie ; puis c'étaient les coches couverts de monde, tirés par des haridelles qu'il fallait dételer à chaque obstacle. Mais on prenait patience ; car Paris était au bout, et ce n'était pas sans émotion que le voyageur apercevait enfin, de loin, par-dessus le plat pays, les tours de Notre-Dame et qu'il venait débarquer en Grève, au plein cœur de cette, ville qui, depuis si longtemps, l'attirait[62].

 

II. — Paris en 1614[63].

I

Avoir vu les villes d'Italie, d'Allemagne et des autres royaumes, ce n'est rien, dit un Allemand contemporain de Louis XIII ; ce qui frappe, c'est quand un homme peut dire qu'il a été à Paris[64].

S'il en croyait les guides, l'étranger descendait À la Croix de fer, rue Saint-Martin[65]. Il était là au centre de la ville, à deux pas de la Cité, non loin du Marais, qui tendait à devenir quartier à la mode. Une fois le marché fait avec l'hôtelier pour le gîte, le couvert, les laquais, les porteurs et les chevaux, le voyageur pouvait descendre dans la rue et se diriger vers la Seine. Il était saisi, immédiatement, par le tourbillon d'une foule affairée se pressant dans des rues étroites, sur un pavé glissant, sans autre abri que les bornes servant de marchepied aux cavaliers[66].

Le jour et l'air, interceptés par la hauteur des maisons, par ]es toits en pignons, par les étages surplombant, par la multitude et la diversité des enseignes, étaient assombris encore et empuantis par les horribles exhalaisons de la boue parisienne : pour peu qu'on eût le nez délicat, il fallait se munir d'un bouquet ou d'un flacon d'odeur[67].

Des édifices très vieux, très noirs, serrés dans la gaine des maisons champignonnant à leurs pieds, découpaient, de place en place, l'ombre humide de leur masse. Des ruelles en coupe-gorge, aboutissant à l'arche difforme de quelque ancien logis, des carrefours biscornus avec des croix ou des poteaux placés de guingois, des tourelles en saillie, des bouts d'arcades affaissés sous le poids de maisons ventrues, une infinité de boutiques, d'échoppes, d'auvents encombrant des passages déjà trop étroits, des cris, des appels, des disputes, des rixes et, par-dessus tout, le bruit sempiternel des cloches appelant la pieuse population parisienne à la prière, tout cet ensemble baroque et confus, suant l'histoire et respirant la vie, frappait le visiteur d'étonnement. Pour les contemporains ce n'était pas tant une belle ville, qu'une grande ville, un monde. Par la saleté, par l'enchevêtrement des rues, par le bariolage des costumes et par le roulement pédestre de la foule, le Paris de 1614 devait présenter une figure assez semblable à celle qu'ont gardée, aujourd'hui, les grandes villes de l'Orient[68].

Le voyageur cherchait la Seine, mais il ne la trouvait pas facilement. La ligne des quais étant à peine commencée, les maisons s'avançaient jusqu'au bord et trempaient dans l'eau leurs pieds de bois. Elles encombraient les ponts et dégringolaient jusque sur la berge. On se perdait dans un dédale de rues baptisées de noms grotesques par l'esprit naïvement hilare du badaud parisien : rue Tire-Boudin[69], rue Trousse-Vache[70], rue Jean-Pain-Mollet[71], rue Trop-Va-Qui-Dure[72], rue du Chat-Qui-Pèche[73]. Le premier monument qu'on rencontrait, en descendant vers la Seine était le Grand-Châtelet. Jadis centre et réduit de la forteresse parisienne, ce bâtiment antique, avec ses hautes murailles sombres, ses tours mal coiffées, sa voûte étroite, survivait, en plein cœur de la ville, comme un témoin de la vie âpre et soupçonneuse qu'avait menée le moyen âge. Ce n'était plus une citadelle, mais c'était encore une prison. On énumérait avec terreur les noms sinistres de ses cachots : les Chaînes, les Boucheries, la Grièche, la Barbarie, les Oubliettes, la Chausse d'hypocras où les prisonniers avaient les pieds dans l'eau et ne pouvaient se tenir ni debout, ni assis ; la Fosse où l'on descendait le condamné par une corde, comme un seau dans un puits, et la Fin d'aise qui était remplie d'ordures et de reptiles[74].

Le Châtelet était le centre de la police et de la justice municipales. Le prévôt, représentant l'autorité du duc de France, comte de Paris, y siégeait. II avait pour assesseurs le lieutenant civil et le lieutenant criminel: Une infinité d'hommes de loi bourdonnaient autour de cette juridiction locale. La Basoche du Châtelet était aussi nombreuse que la Basoche du Palais. Les clercs de notaire et de procureur allaient et venaient sous ces voûtes sombres, gluantes d'humidité, infectées de l'odeur de la marée, mais qu'il fallait franchir pour aller de l'Apport-Paris au Pont-Marchand[75].

Non loin du Châtelet, en longeant la Vallée-de-Misère, qui suivait la Seine, on rencontrait le For-l'Évêque, autre prison, autre vestige du moyen âge[76] ; et tout à coup, derrière l'église Saint-Germain-l'Auxerrois, dont les cloches avaient sonné la Saint Barthélemy on débouchait, en pleine lumière, sur le Pont-Neuf. De là on découvrait Paris. A droite et à gauche, en amont et en aval, il profilait la silhouette dentelée de ses tours, de ses clochers et de ses toits.

Le clos tourné à la Cité, le spectateur avait sous les yeux un tableau semi-urbain, semi-villageois :

Sans sortir de la ville on trouve la campagne,

dit Boileau, et le graveur, commentant avec son burin le vers du poète, nous montre des ânes et des chèvres paissant sur la berge, entre les Tuileries et la Seine.

Dans le lointain, on distinguait les hauteurs de Chaillot, mornes, crayeuses, tachées des plaques d'un gazon pelé ; parmi quelques rares vignes et des champs labourés, on n'y voyait guère d'autre construction que le castel italien bâti par Catherine de Médicis, et dont Bassompierre venait de faire un vide-bouteilles. Le Cours-la-Reine n'était pas encore planté ; tout le terrain, depuis Chaillot jusqu'aux remparts, était en prés et en cultures maraîchères[77].

Le jardin des Tuileries venait d'être aménagé en carrés taillés à la française, en dessins de broderies, comme on disait alors. Il renfermait, au fond, une garenne à proximité de laquelle on avait placé le chenil et les bêtes féroces chi roi. Le palais, commencé par Catherine de Médicis, repris par fleuri IV, venait d'être achevé. Ses pavillons italiens, reliés par des corps de logis tout battants neufs, faisaient, de ce côté, une assez belle façade de Paris sur la campagne. On travaillait aux galeries du Louvre. Le long du jardin des Tuileries, pas de quai ; rien qu'une grève sablonneuse en été, boueuse en hiver, longée par une muraille médiocre. Deux portes donnaient, de ce côté, accès dans la ville : la Porte de la Conférence, située à l'extrémité du jardin, et la Porte Neuve, touchant le Louvre.

Sur l'autre rive, le spectacle n'était pas plus animé : depuis le coude que fait la rivière à partir de l'îlot qu'on nommait alors l'île Maquerelle et que, depuis la fin du XVII° siècle, on nomme plus poétiquement l'Île des Cygnes, jusqu'au droit de la rue de Seine, c'étaient des champs, des marais, des potagers[78]. La reine Marguerite venait pourtant de faire construire, sur le bord de l'eau, un somptueux hôtel et d'aménager des jardins qui allaient, après sa mort, être livrés au public des barrières et aux filles du faubourg Saint-Germain[79]. Tout ce terrain appartenait aux moines de Saint-Germain-des-Prés, qui, en attendant la réforme de Saint-Maur, étonnaient le monde par leur richesse beaucoup plus qu'ils ne l'édifiaient par leur dévotion. Leur principale occupation était de se défendre contre les empiétements d'une vieille rivale, l'Université. Le monastère fortifié était beau, avec sa vieille nef romane et ses trois tours carrées surmontées de trois clochers pointus[80].

On s'était mis aussi à bâtir dans les Prés-aux-Clercs ; mais c'était peu de chose, et Paris, en réalité, ne commençait, par ici, qu'à la porte de Nesle, comme il s'ouvrait, sur l'autre rive, par la porte de Bois. Une chaîne tendue sur la rivière, entre ces deux. portes, à peu près à la hauteur de notre pont des Arts, pouvait intercepter le cours de la navigation. L'une et l'autre tour appartenaient à l'ancienne fortification de Philippe-Auguste et de Charles V ; et c'était une belle entrée de Paris qu'elles faisaient, toutes deux presque pareilles, élancées, avec leur tourelle accotée, leur couronne de créneaux et la potence de la tour de Nesle, tendue sur l'eau comme un bras.

La rivière qui baignait leurs fondations, était sale, gâtée par les ordures de toute la ville, qui n'avaient pas d'autre déversoir[81]. Le long des berges, déchirées en petites flaques, elle s'attardait, coupée en fossés putrides, en abreuvoirs où les chevaux et les animaux de ferme venaient boire parmi les disputes des laquais et des valets[82]. Tout le long de la Seine, des bateaux sans nombre montaient et descendaient lentement, les uns longs et hauts, halés par des chevaux et chargés de voyageurs, les autres plats et larges, couverts de foin et de fumier ; d'autres sanglés dans des bâches et portant le blé venant de Soissons ou de Corbeil, le pain fait à Melun, les légumes, le bois, le charbon, le vin dont s'alimentait la grande ville.

Toute une population spéciale s'occupait de ce qui concernait la navigation. Elle avait à sa tête les officiers de la marchandise de l'eau qui, de tout temps, avaient tenu une grande place dans la vie municipale de Paris : mesureurs de grains, déchargeurs de blés, farines et grains, courtiers de greffe, mesureurs d'oignons, marchands de poissons, courtiers de vins, vendeurs, jaugeurs, crieurs, déchargeurs pour les vins ; puis ceux qui s'occupaient du chauffage, 'compteurs et mouleurs de huches, déchargeurs de bûches, d'échalas et de treilles, mesureurs et porteurs de charbon ; puis les mariniers proprement dits : maitres de pont, chableurs de pertuis, bateliers ou débâcleurs, courtiers de chevaux, manouvriers, hommes de peine, débardeurs, Baigne-deniers, — tous organisés en corporation, avec leurs mœurs propres, leurs coutumes, leurs saints, leurs insignes et leurs bannières, laborieux et paisibles en temps ordinaire, mais, dans les époques de trouble et de disette, force redoutable, capable de faire trembler les rois[83].

Sur la rive gauche, l'enceinte de Philippe-Auguste, remaniée et complétée par Charles V, séparait l'Université des faubourgs environnants. S'amorçant sur la Seine par le massif de la tour de Nesle, elle décrivait un demi-cercle qui, par les portes de Bucy, Saint-Germain, Saint-Michel, Saint-Jacques, Saint-Marcel et Saint-Victor, rejoignait la porte Saint-Bernard, située à peu près au droit de notre pont des Tournelles. Cette enceinte était composée de fossés assez larges, d'une muraille crénelée, restaurée durant les sièges de la Ligue, et fortifiée, à des distances assez rapprochées, par des tours coiffées en poivrières[84].

Elle séparait de la ville elle-même des faubourgs immenses, qui avaient les mêmes noms que les portes, et qui, pour la plupart, étaient aux mains des moines. Presque toutes les grandes villes étaient ainsi entourées d'une ceinture de béatitude, de mendicité et de prière. Ceux de Saint-Germain des Prés étaient solidement fortifiés dans leur abbaye ; non loin, les Carmes réformés, à la rue de Vaugirard ; puis les Chartreux sur l'emplacement du Luxembourg ; les Carmélites étaient au faubourg Saint-Jacques, les Cordelières au faubourg Saint-Marcel, et les moines de Saint-Victor avaient une belle abbaye, célébrée par Rabelais, sur l'emplacement actuel de la halle aux vins.

Les couvents du dehors n'empêchaient pas les couvents du dedans. Sur la montagne Sainte-Geneviève, à travers toute l'Université, ils foisonnaient. C'étaient les augustins, les mathurins, les cordeliers, les jacobins, les carmes, les bernardins, tous monastères munis de beaux bâtiments, grands réfectoires, vastes jardins, riches chapelles, églises imposantes, tours massives, flèches élancées, rivalisant entre eux de luxe et d'attraits ecclésiastiques, disputant les fidèles aux églises ordinaires[85].

Celles-ci ne manquaient pas non plus. On les construisait, non pas selon les besoins de la population, mais en raison du saint qu'on voulait honorer. Aussi elles se touchaient ; Saint-André-des-Arcs, Saint-Cosme, Saint-Sulpice, Saint-Jacques-du-Haut-Pas, Saint-Étienne[86], Sainte-Geneviève, Saint-Benoist, Saint-Jean, Saint-Hilaire, Saint-Séverin, Saint-Nicolas ; c'était une forêt de clochers qui répandait sur Paris le tumulte incessant d'un tonnerre pieux.

A côté des églises, se pressaient, dans ce pays de la science, les collèges : collège d'Harcourt, du Cardinal-Lemoine, de Montaigu, du Plessis, de Calvi, de Lisieux, du Fortet, de La Marche, des Grassins, de Navarre, de Beauvais ou de Clermont, de Notre-Dame-des-dix-huit, des Bons-Enfants, des Cholets, de Bayeux, de Laon, de Narbonne, de Cornouailles, de Tréguier et de Léon, d'Arras, de Bourgogne, de Tours, d'Herbaut, d'Autun, de Cambrai, de Mignon ou de Grandmont, de Boissy, de Maitre-Gervais, de Danville, de Saint-Michel, de Reims, de Séez, du Mans, de Sainte-Barbe, des Écossais, des Lombards, de Boncourt, de Cluni, des Danois. J'en passe assurément. Mais cette énumération suffit pour montrer avec quelle profusion étaient ramassés, sur ce seul point du royaume, les éléments d'une instruction d'ailleurs extrêmement courte. La plupart de ces collèges contenaient peu d'élèves, quelques boursiers entretenus par des fondations ; en revanche, ils nourrissaient un état-major de maîtres, vivant oisivement et se disputant le maigre revenu des prébendes[87].

Malgré l'abondance des institutions et des édifices religieux, la jeunesse du temps n'en était pas plus sage. Grâce aux privilèges de l'Université, tout ce quartier lui appartenait, et les lieux de débauche y coudoyaient les églises. Ces jeunes gens, pour la plupart venus de loin, pauvres, nécessiteux, vivaient comme ils pouvaient. La tradition des repues franches n'était pas perdue : Il n'y a fils ni petit-fils de procureur, notaire ou avocat qui ne veuille faire comparaison avec les enfans des conseillers, maîtres des comptes, maîtres des requêtes, présidents et autres grands-officiers. L'on ne les peut distinguer ni en habit ni en dépenses superflues ; ils hantent les banquets à deux pistoles pour tête.... Ils empruntent à usure des Traversier, de Dobillon, de l'Italien Jacomeny, qui sont les receleurs de la jeunesse ; et puis qu'en advient-il, enfin ? Ils sont contraints de faire l'amour à la vieille ou d'enjôler la fille d'une bonne maison, lui faire enfant par avance, afin d'être condamnés à l'épouser On ne voit que bâtards, que filles débauchées, et toutes les autres, qui sont honnêtes, demeurent en friche et n'ont pour toute retraite que la religion[88].

Cette jeunesse, toujours turbulente, se transportait en armes dans les lieux publics, dans les foires, aux pèlerinages, et elle se livrait impunément à des plaisanteries brutales qui étaient souvent une menace pour la paix publique. Elle avait fait le coup de feu sur les barricades, en 1588. La violence de ses passions emportait souvent le corps même de l'Université et les graves docteurs dont le renom et l'autorité étaient encore, à cette époque, respectés par tout le monde chrétien.

II

L'Université, déployée en éventail sur la rive gauche, communiquait avec la Cité et avec la rive droite par trois ponts, — encore l'un d'entre eux, le Pont-Neuf, était-il de construction récente. Les deux autres, le pont Saint-Michel et le Petit-Pont, se touchaient presque. De sorte que, le mouvement de la population s'étant, de toute antiquité, dirigé vers ce point central, les rues importantes y aboutissaient naturellement : c'était la rue Saint-André-des-Arcs, avec son prolongement, par la rue de Bucy, vers la porte du même nom et vers le faubourg Saint-Germain ; c'était la rue de la Harpe, gagnant la porte Saint-Michel ; puis la rue Saint-Jacques, artère principale de tout le quartier, débouchant directement sur le Petit-Pont, mais étranglée, à son issue, par la construction massive et encombrante du Petit-Châtelet[89] ; enfin la rue Galande, qui, par la place Maubert, gagnait le faubourg Saint-Marcel. Aux approches des ponts, les constructions étaient nombreuses, les rues petites, entassées, obscures, les maisons élevées, inégales, avec une infinité de fenêtres étroites et basses trouant le délabrement des façades.

Le XVIIe siècle devait bâtir beaucoup dans ces régions. Mais c'est ô peine si l'on avait commencé par l'hôtel de la reine Marguerite, hors des murs, par l'hôtel de Nevers, beau palais inachevé[90], par la rue des Poitevins et la rue Hautefeuille, par la. rue Dauphine, qui continuait le Pont-Neuf, et enfin par le Pont-Neuf lui-même, œuvre magnifique conçue sur un plan grandiose, soutenue par des quais larges et bien aménagés. Méritant véritablement son nom, il étalait alors, au milieu de Paris, la blancheur de ses tours et de ses parapets, et il portait le fameux cheval de bronze du haut duquel le roi fleuri IV contemplait son peuple de Paris coulant à ses pieds.

A peine achevé, le Pont-Neuf était devenu la grande voie de communication entre les deux rives. Il suffisait de se mettre il l'abri dans un des balcons demi-circulaires qui le bordaient pour avoir sous les yeux le spectacle incessant et bariolé de la foule parisienne,... foule infiniment moins monotone et moins réglée que celle d'aujourd'hui. Quelque chose du tumulte de la Ligue circulait encore en elle.

L'activité affairée du bourgeois, la flânerie éveillée du badaud, la vanité tapageuse du cadet à l'Espagnole, l'insolence des filles publiques, la morgue des seigneurs marchant en grande compagnie, l'empressement des courtisans se rendant vers le Louvre, la hôte des médecins courant à cheval de client en client[91], cavaliers, piétons, carrosses, chaises à porteurs, tout cela se pressait dans une circulation interminable. Les charlatans, diseurs de bonne aventure, vendeurs d'orviétan, faiseurs de tours, tondeurs de chiens et marchands de faucons, y avaient élu domicile et y attiraient les flâneurs, les voleurs, les gens portant rapière, les tireurs de laine et les coupeurs de bourse :

Ce pont est rempli de filous,

dit un contemporain, et le proverbe était qu'ou ne traversait jamais le Pont-Neuf sans y rencontrer trois choses : un moine, une fille et un cheval blanc.

La chaussée du pont était mal entretenue et comptait, comme dit un autre poète, plus d'étroites que de pavés. L'ordure s'entassait au pied du cheval de bronze. Une foule de petites boutiques portatives se pressaient sur les trottoirs. La grande distraction pour le flatteur, c'était, tout d'abord, la Samaritaine, pompe hydraulique, construite sur le second pilier, du côté du Louvre. Sa façade, qui regardait le pont, était assez richement décorée. Le principal motif représentait Jésus en conversation avec la Samaritaine, auprès du puits de Jacob. Ce groupe, l'horloge, le carillon qui sonnait des airs variés, le Jacquemart qui frappait les heures, furent, pendant deux siècles, un fécond sujet de plaisanterie pour la causticité parisienne.

Le badaud pouvait ensuite s'arrêter, soit à l'audition des marchands de chansons nouvelles, soit au récit des poèmes de carrefour[92], soit à la loterie des tireurs à la blanque, soit à la parade des arracheurs de dents, qui dirigeaient souvent de véritables troupes de comédiens. Toute la littérature orale et familière du temps se rattache au Pont-Neuf, depuis Tabarin jusqu'à Brioché, depuis Cormier, un instant rival de Molière, jusqu'à Dassouey, depuis Francion jusqu'au Roman Bourgeois. Bon ou mauvais, c'était là que battait le cœur du Paris populaire. Dans ce pays du rire, le quolibet de Tabarin, la chanson du Pont-Neuf, la plaisanterie de Gaulthier Garguille, eurent souvent une force de pénétration et une puissance d'opinion qui tinrent en échec la volonté du prince et l'autorité des lois[93].

Du Pont-Neuf on entrait immédiatement dans la cité, par la place Dauphine, dont le dessein avait fait partie du même plan que, le pont lui-même. Bâtie en triangle, avec ses maisons blanches et ronges et ses toits égaux, c'était une des belles places de Paris. Ses deux entrées, situées en regard l'une de l'autre, servaient de passage pour la circulation qui s'établissait naturellement entre le Pont-Neuf et le Palais.

Le Palais complétait admirablement le Pont-Neuf. Si celui-ci était, toute proportion gardée, ce qu'est le boulevard actuel, l'autre représentait à peu près ce que fut, pendant longtemps, le Palais-Royal : la bonne compagnie, les gens d'affaires et les hommes de lettres s'y donnaient rendez-vous. Paris qui raillait et riait au Pont-Neuf achetait, raisonnait et disputait au Palais.

Reconstruit par saint Louis et par Philippe le Bel sur l'emplacement d'un vieux babillent gallo-romain, le Palais de la Cité avait été longtemps habité par les rois. Ils l'avaient peu à peu délaissé pour le Louvre. Mais tout, dans sa construction, rappelait le souvenir du seigneur féodal. Il formait un quadrilatère, présentant à la rivière une façade imposante, hérissée des quatre tourelles de l'Horloge et de la. Conciergerie. Du côté de la Cité, au contraire, l'aspect était médiocre : c'était une rangée de maisons et de boutiques, coupée par deux portes garnies de tours, donnant accès dans une cour carrée, au milieu de laquelle s'élevait la Sainte-Chapelle. Celle-ci était à peu près telle que nous la voyons aujourd'hui. Le clocher primitif avait été remplacé par un autre beaucoup moins élégant. La Sainte-Chapelle était reliée aux deux côtés du carré, d'une part par le charmant édifice de la Cour des Comptes, malheureusement détruit au XVIIIe siècle, et, d'autre part, par les bâtiments servant de séjour au Parlement.

Bâtie sur l'emplacement de la salle actuelle des Pas-Perdus, la fameuse grande salle gothique était considérée comme un des plus beaux monuments de Paris, et elle provoquait l'admiration des visiteurs par sa grandeur, par les statues de tous les rois de France dressées le long de ses colonnes et par la fameuse Table de marbre, symbole de l'autorité du suzerain sur ses vassaux. C'était derrière cette table que siégeaient les cours féodales et c'était autour d'elle que se donnaient les festins royaux. L'affectation primitive de la salle elle-même avait été la réception de l'hommage et la célébration de toutes les cérémonies seigneuriales, Aussi elle avait été, de tout temps, un des centres historiques de la vie parisienne. C'était là que le Dauphin Charles avait dû s'incliner devant la fureur populaire. C'étaient là que s'étaient passées les scènes les plus déplorables de la Ligue. Sous Louis XIII, elle était réservée aux discussions et aux disputes paisibles des avocats, des marchands et des nouvellistes. C'est à peine si, parfois, la grossièreté d'un laquais en troublait le calme bourdonnement.

Corneille a placé, dans la Galerie du Palais, le lieu d'une de ses comédies familières. Le libraire, la lingère, l'orfèvre, s'y entretiennent avec leurs nobles clients. Une estampe d'Abraham Bosse nous montre, en effet, les boutiques ouvertes devant les élégants, du jour. Ils donnent la main aux dames de la cour et choisissent avec elles des éventails, des bijoux, des points de Cènes, de Venise et du Saint-Esprit ; les libraires leur offrent les volumes qui viennent de parai-tac : les poésies du sieur de Malherbe, les satires de Régnier, les pamphlets que provoque la réunion des États-Généraux : le Caton français, l'Image de la France représentée à messieurs des États, la Lettre du perroquet aux enfants perdus de la France, la Harangue de Turlupin le souffreteux. C'était la presse du temps ; ces libelles alimentaient la conversation des curieux, qui, rassemblés sur les dalles du Palais, colportaient, parmi quelques vérités, des récits chimériques dont se repaissait la crédulité populaire. Ils disputaient entre eux du succès des événements récents : le départ du prince de Condé, les fiançailles du roi, la faveur de Concini auprès de la reine-mère.

Derrière la grande salle, se tenait la cour du Parlement. C'était là qu'il siégeait, depuis qu'il était fixé à Paris, dans la Grande Chambre, la Chambre de la Tournelle, les trois chambres des enquêtes et une chambre de requêtes : J'y ai vu, dit l'Anglais Thomas Coryate, j'y ai vu de vieux juges à l'air grave, assis en robes rouges, à côté de plusieurs hommes de loi en robes noires, revêtus de pèlerines et autres insignes qu'ils portent les jours de séance, comme les marques de leur profession. Le plafond de la salle est très riche ; il est magnifiquement doré et sculpté et l'on y voit suspendus de longs culs-de-lampe également dorés[94].

La Cité échouée, comme un bateau, au milieu de la rivière, était rattachée à la rive gauche et à la rive droite par une double et une triple amarre ; c'étaient les ponts : Pont Saint-Michel et Petit-Pont d'un côté ; de l'autre, Pont-aux-Marchands, Pont-au-Change, Pont Notre-Dame, tous maintes fois détruits, maintes fois reconstruits à la hâte, emportés souvent par une crue soudaine des eaux. Ils étaient généralement d'accès difficile avec leur chaussée en dos d'âne et les logis dont ils étaient couverts.

Un imité de maisons et de ruelles obscures, encombré de deux ou trois églises anciennes, occupait, entre le Palais et Notre-Dame, le carré dont ces ponts faisaient les angles. C'était là vraiment le vieux Paris. L'activité du commerce y était grande : les rôtisseurs sur le Petit-Pont et autour du Petit-Châtelet ; les changeurs, les orfèvres avec leurs forges bruyantes sur le Pont-au-Change ; non loin de là les marchands de papeterie et de parchemins ; puis les marchands de volailles du Pont-Marchand, enfin les belles boutiques du pont Notre-Dame, élevées sur un plan uniforme et décorées de cariatides de pierre dont l'heureuse disposition faisait l'admiration des étrangers[95].

Notre-Daine, la vieille cathédrale, élevait sa masse noire au milieu d'un fouillis de constructions incohérentes. C'était la vraie paroisse de Paris, la mère des églises. Sa façade, à peine visible en raison de l'étroitesse de la place, était ornée des statues des rois de France, et sur le parvis on voyait celle du bon saint Christophe que le peuple nommait familièrement le grand jeûneur ou Monsieur le Gris. On n'avait pas, pour Notre-Dame, à cette époque, l'admiration exclusive que l'école romantique a mise à la mode. Elle passait pour moins belle qu'Amiens, Reims et Chartres[96].

En face de l'église, le vieil Hôtel-Dieu découvrait la lèpre de ses bâtiments gothiques. L'hôpital lui-même était trop étroit ; les malades, entassés les uns sur les autres, y couchaient quatre ou six dans le même lit, s'empoisonnaient mutuellement et mouraient comme des mouches, faisant, de tout le quartier environnant, un foyer d'épidémie ; la peste décimait régulièrement la population parisienne[97].

Derrière la Cité, trois îles, l'île Notre-Dame, l'île aux Vaches et l'île Louviers, n'étaient rattachées aux deux rives que par des passerelles de bois ou des ponts de bateaux. Les Parisiens s'y rendaient volontiers, le dimanche, pour s'amuser dans les guinguettes et pour voir l'eau couler. Cependant, l'espace commençant à manquer dans l'intérieur des murs, on songeait à utiliser ces terrains vagues. Précisément en 16 i !e, on posait la première pierre du pont Marie et du pont des Tournelles. La construction régulière de l'île Saint-Louis était entreprise[98].

Paris hésitait encore pour savoir dans quel sens il se développerait. Le mouvement qui le porte aujourd'hui vers l'ouest ne s'était pas dessiné. Tout au contraire, en ce moment, l'oscillation se dirigeait plutôt vers l'est. On avait été sur le point de construire le Pont-Neuf en arrière de la Cité, et Du Cerceau avait conçu un fort remarquable projet dans ce sens[99]. La conception de la place Royale indiquait la même tendance, qui, souvent reprise, toujours abandonnée, remontait traditionnellement au temps du roi Charles V et de l'hôtel Saint-Pol[100].

III

Mais nous avons mis le pied sur la rive droite ; nous sommes dans la Ville proprement dite. Elle formait, comme l'Université, un demi-cercle dont la corde s'appuyait sur la Seine ; seulement elle était beaucoup plus grande.

line double enceinte la protégeait. La première muraille, qui remontait à l'époque de Charles V, s'amorçait, en face de l'île Louviers. Fortifiée, de ce côté, par le réduit épais de la Bastille, elle englobait l'Arsenal et suivait ce que nous appelons aujourd'hui la ligue des boulevards, par la porte Saint-Antoine, la porte du Temple, la porte Saint-Denis ; c'était là qu'elle se dédoublait. Une enceinte intérieure gagnait la porte Montmartre et la porte Saint-Honoré, pour venir buter sur les galeries du Louvre, en face la Tour-de-Bois ; une autre enceinte extérieure, plus récente et construite avec des contrescarpes et des bastions, coupait le faubourg Montmartre, laissait en dehors la ferme nommée Grange-Batelière, protégeait le couvent des Capucines, englobait le Palais et le jardin des Tuileries, et, à l'extrémité de celui-ci, venait se terminer, sur le quai, par la porte de la Conférence. Chacune de ces portes faisait très réellement partie du système de défense ; ce n'étaient pas des monuments d'apparat. Munies de ponts-levis et de tours, elles avaient servi, tout récemment encore, durant les sièges de la Ligue[101].

Une grande artère, parallèle à la Seine, allait de la Bastille à la porte Saint-Honoré, portant successivement les noms de rue Saint-Antoine, rue des Balais, rue du Roi-de-Sicile, rue de la Verrerie, rue des Lombards, rue de la Ferronnerie, Croix du Trahoir et rue Saint-Honoré. Elle était coupée perpendiculairement par cieux autres artères qui formaient avec elle ce qu'on nommait la croisée de Paris : c'était la rue Saint-Denis, qui partait du Pont-aux-Marchands ; la rue Saint-Martin, qui débouchait au pont Notre-Dame. Ces voies étaient à peu près droites et on les appelait grandes, par comparaison ; tout le reste n'était qu'un confus mélange de ruelles étroites, tortueuses, malsaines, de coupe-gorges infâmes dont la direction et le nom changeaient à tout instant.

Cependant, dans certains quartiers, l'influence des siècles modernes commençait à se faire sentir. On éprouvait le besoin de respirer et de voir clair. On avait un peu plus confiance dans la police. On ouvrait des cours, on perçait les murailles, on osait déployer le luxe des ornements extérieurs. L'influence italienne se manifestait non-seulement dans les palais des rois, mais dans les hôtels particuliers. Aux murs crénelés succédaient les grilles à jour, et aux vitraux les vitres[102].

Le Marais, notamment, se couvrait de somptueux hôtels. La négligence ou plutôt le vandalisme de notre siècle dédaigne ou détruit les restes précieux d'un art plein de grâce et de majesté, qui a été, pourtant, le triomphe du goût français ; l'hôtel Barbette dans la rue de ce nom, cache l'élégance de sa colonnade circulaire sous la crasse et les oripeaux, et personne ne songe à le préserver de la ruine obscure dans laquelle il va périr.

Il n'y avait pas de contraste plus significatif que celui que faisaient, fi l'extrémité-est de Paris, la Bastille de Charles V et la place Royale d'Henri IV. Celle-là massive et farouche, avec sa couronne de mâchicoulis et ses canons tournés vers la ville ; celle-ci, élégante dans sa robe de briques et de pierres, régulière, classique, un peu froide et roide, mais toute civile, non militaire et laissant la grâce alignée des charmilles verdoyer dans l'espace carré qu'elle délimitait[103].

L'Arsenal lui-même, tel que Sully l'avait aménagé, avec ses grandes cours, ses boulingrins, ses jeux de paume et son mail, était autrement abordable que la vieille forteresse du moyen-âge. Non loin de la place Royale, le Temple, propriété de l'Ordre de Malte, profilait, au-dessus des bâtiments du grand-prieuré, son haut donjon aux quatre tourelles accotées, autre reste d'une civilisation qui se mourait[104].

Plus on se rapprochait du centre de Paris, plus les rues se rétrécissaient, plus les maisons de torchis, aux charpentes apparentes, aux pignons aigus, se serraient, les unes contre les autres. En descendant vers l'Hôtel de Ville, c'était un dédale qui ne laissait guère de vide que l'étroite place de Grève. L'Hôtel de Ville, commencé vers le milieu du XVIe siècle, sur les plans de l'architecte italien Dominique de Cortone, modifiés par l'un des Chambiges, n'était achevé que depuis neuf ans. Il était encore dans l'éclat de sa fraîche nouveauté et il faisait contraste avec la confusion noire des bâtiments environnants.

Malgré les vicissitudes nombreuses qui, déjà, l'avaient frappée, cette maison était le centre de l'existence traditionnelle de la ville. De toute antiquité, Paris a été partagé entre sa double mission de commune autonome et de séjour du gouvernement. Son régime municipal n'a jamais été identique fi celui des autres villes du royaume. Elle a toujours été l'objet d'une faveur particulière et d'une surveillance spéciale. Sous Henri IV, après les folies de la Ligue et le rôle joué par les Seize, Paris était suspect. On le tenait très serré. Son prévôt des marchands, chef du parlouër aux Bourgeois, ses échevins, ses seize quarteniers, son conseil, étaient bien encore élus par le suffrage des habitants ; mais le roi avait toujours l'œil dans les élections et souvent la main dans l'urne. Il désignait lui-même les candidats, et, le vote une fois émis, il félicitait son peuple d'avoir bien voulu se conformer à sa royale et paternelle volonté. En 1604, Henri IV avait fait nommer, sans autre forme de procès, un fonctionnaire royal, le lieutenant civil, François Miron, à la charge de prévôt des marchands.

Ce magistrat était le véritable maire de Paris : Gérer le domaine de la ville, assurer l'approvisionnement, fixer le taux des denrées débarquées sur les ports, vérifier les poids et mesures, construire, réparer ou entretenir les remparts, portes, ponts-levis, ponts, fontaines, en général tout ce qui regardait la décoration et la salubrité de la ville ; commander la milice, surveiller les quarteniers, maintenir l'ordre, de concert avec le prévôt de Paris, réglementer la police du fleuve, prendre soin des pauvres, délivrer les lettres de bourgeoisie, veiller aux intérêts commerciaux ou industriels, présider aux délibérations importantes des grands corps de marchands et donner son avis au parlement sur les affaires concernant les métiers, garantir le payement des rentes de l'Hôtel de Ville, organiser les cérémonies publiques, telles étaient les principales fonctions du prévôt des marchands[105].

On le voyait figurer dans les fêtes solennelles, vêtu de rouge cramoisi, avec ceinture, boutons et cordon d'or, le manteau et la toque mi-partie rouge et brun, monté sur un cheval dont la bride était d'or, selon le privilège des chevaliers. Les échevins étaient également en robe de velours mi-partie, avec bonnet à cordon d'or. Les conseillers portaient la robe de satin noir et les quarteniers la robe de damas noir. Les sergents, en robe mi-partie avaient, brodé sur l'épaule, le vaisseau d'argent, blason de la ville. Et c'est ainsi que le corps municipal marchait, dans les processions, réceptions et entrées des princes, précédant le défilé des syndics de métiers, qui, eux aussi, en costumes de miniatures, faisaient assaut de dépenses pour honorer à la fois leur corporation, leur ville et le roi dont ils étaient les dévots et fidèles sujets[106].

On pense bien que dans la Ville, tout comme dans l'Université et dans la Cité, les églises ne manquaient pas ; tous les saints du calendrier y passaient. II y en avait beaucoup de petites, de simples chapelles ; mais il y en avait aussi de très vénérables et de très imposantes[107]. C'était Saint-Paul-aux-Liens, près de la Bastille, dans le cimetière rie laquelle Rabelais était enterré, Saint-Gervais qui avait encore sa façade gothique ; en face, Saint-Jean-en-Grève avec sa tour amortie par un clocher de pierre et dont les bâtiments se confondaient presque avec ceux de, l'Hôtel de Ville ; Saint-Merry, reconstruite sous François Ier dans le gothique flamboyant ; le Saint-Sépulcre, dont le portail finement ciselé était un ouvrage d'orfèvrerie ; Saint-Leu et Saint-Gilles aux tourelles inégales ; Saint-Julien où siégeait la corporation des Ménétriers, dont les membres avaient seuls le droit de faire entendre dans Paris le son de la trompette et du violon[108] ; Saint-Nicolas-des-Champs, faisant l'angle des bâtiments de l'imposante abbaye de Saint-Martin entourés d'une muraille crénelée et garnie de tourelles ; Saint-Jacques-la-Boucherie, dont nous avons heureusement conservé la tour[109] ; Saint-Leufroy à l'ombre du Grand-Châtelet ; Saint-Germain-le-Vieil, Saint-Germain-l'Auxerrois, les Saint-Innocents, avec leur charnier pestilentiel et leur fanal toujours allumé ob reverentiam fidelium ibi quiescentium ; enfin Saint-Eustache, qu'un dernier effort de l'art gothique élevait près des Halles[110].

Ce qu'on appelait les Halles ne formait pas un édifice spécial ; c'était tout un quartier ; les noms des rues, — rue de la Toilerie, rue de la Cordonnerie, rue de la Poterie, rue de la Friperie, — indiquaient la nature des divers commerces qui y étaient exercés. Autour d'une place triangulaire ménagée à l'arrière de la pointe Saint-Eustache, la halle au blé, la halle aux draps, les vieilles halles de Philippe-Auguste abritaient, sous leur antique arcade, une population active, bruyante, qui tenait une grande place dans la vie ordinaire du Paris d'alors et qui dessinait un des traits de son caractère. A peu près au milieu de cette place, le pilori des Halles était le symbole un peu rude de la police et de l'autorité royales. On y mettait les banqueroutiers, les vendeurs à faux poids, les blasphémateurs, les courtiers de débauche, et surtout les Macettes, qu'on y conduisait assises à rebours sur un âne pour y être fustigées publiquement. Et c'était un beau spectacle pour la foule grossière, que les nécessités de l'existence, la recherche d'un emploi, la présence de la foule elle-même, attiraient sans cesse dans ces rues étroites, encombrées de chalands, de marchands et de marchandises et où se pressait le plus dense de la population parisienne[111] !

IV

Sur un fond de bas peuple loqueteux, misérable, dépenaillé, vêtu, chez le fripier, d'habits et de chapeaux étranges importés des pays éloignés, étalant, le long de bouges infectes, la curiosité pittoresque d'une misère à la Callot, sur ce fond, sans cesse renouvelé par l'afflux de tous les échappés de la province, de tous les éclopés de la guerre, de tous les fainéants de la ville, la population laborieuse se distinguait peu à peu.

C'était d'abord, dans les carrefours, les groupes mouvants des hommes de peine, débardeurs, crocheteurs et gaigne-derniers, beaucoup plus nombreux à cette époque qu'aujourd'hui, parce que beaucoup plus de travaux se faisaient de main d'homme. La plupart de ceux qui sont maintenant enfermés dans les ateliers vivaient alors en plein air ; ils formaient cette populace affamée et mobile qui préoccupait encore si vivement l'abbé Galiani à la veille de la Révolution. Ils se tenaient par bandes au seuil des échoppes, le grand chapeau sur les oreilles, le bâton à la main ; ou bien ils marchaient dans la presse, par cieux, par quatre, portant des sacs, des tonneaux, des paquets énormes pendus aux perches croisées qui reposaient sur leurs épaules[112].

Au milieu de cette foule, circulait l'orchestre vivant des cris de Paris, glissant le long des murailles sa complainte aérienne : c'étaient les marchands de châtaignes bolducs toutes chaudes ; la cerise, douce cerise ; l'argent des glands ; le chaudronnier, argent des réchauds ; le foyfre, nouveau foyfre ; l'argent des chapperons ; l'argent des fusils ; l'argent des houçois ; l'argent des celles ; l'argent des manchons, manchettes et rabas ; la mort aux rats et aux souris ; l'argent des gâteaux, des dariolles et des ratons tout chauds ; puis le marchand d'eau-de-vie pour réjouir le cœur, avec le flacon et le verre à la main ; puis le marchand de vinaigre, bon vinaigre, poussant sa brouette devant lui ; puis le gagne-petit, avec sa meule roulante et le cri strident du couteau usé sur le grès ; enfin, quand tombait la nuit, la cliquette du marchand d'oublies son chant : Oublies, oublies, où est-il ? et sa lanterne promenant sur le pavé une errante et pâle lumière[113].

Un enterrement passait, allant vers le charnier des Innocents, le prêtre en tête, marmonnant des prières, l'enfant de chœur faisant tinter sa sonnette ; et derrière, le mort, sans cercueil, porté sur les épaules de ses parents et de ses amis, salué d'un signe de croix par la foule superstitieuse. Tous les étrangers remarquent la piété de la population parisienne, le luxe du service divin dans les églises, la beauté de leur décoration intérieure, le bruit éternel des cloches, le grand nombre de prêtres, moines, nonnes, circulant dans les rues[114]. Il ne faut pas oublier que Paris s'était battu dix ans, sous la Ligue, pour rester catholique ; qu'il avait eu alors, pour tribuns et pour capitaines, ses curés et ses moines. Il régnait encore beaucoup de cet esprit dans la foule, et il n'eût pas été prudent à un hérétique de ne pas s'agenouiller devant le Saint-Sacrement, qui passait par les rues et que les longues processions suivaient lentement. Il se fût exposé à la fureur d'un peuple mobile, qui ne saisissait que trop volontiers les occasions d'attroupement et de divertissement violent[115].

Les laquais y tenaient le premier rang, par le nombre et par l'insolence. La domesticité n'ayant pas, alors, le caractère servile qu'elle a pris depuis, c'était, pour les fils venus de la province, une façon comme une autre de commencer la vie que de se mettre aux gages d'un grand, d'un gentilhomme, d'un bon bourgeois. habillés de gris, les laquais se réunissaient armés, malgré les ordonnances. Ceux qui servaient les courtisans copiaient leurs allures fanfaronnes et provoquaient les citadins paisibles ; ils hantaient les maisons de jeux et de débauche, bravaient le guet et prêtaient la main à n'importe quel mauvais coup[116].

Ils s'accompagnaient de la tourbe non moins tumultueuse des écoliers, clercs de procureurs et serviteurs de dame Basoche, gens râpés, vêtus de noir, aux figures pâles et aux dents longues. Dans un temps où les charges de robe étaient excessivement nombreuses, où la manie des procès sévissait, c'était une autre façon de s'ouvrir une carrière, qui s'arrêtait trop souvent, hélas ! à cette première étape. L'aigreur des gratte-papier était toujours de partie avec la misère des va-nu-pied et le brigandage des coupeurs de bourse[117]. La classe des marchands se distinguait au costume étoffé et ample avec le pourpoint et le haut-de-chausses en drap sombre garni seulement de quelques aiguillettes, le col de linge tuyauté à la Sully, les bas de laine retenus par un nœud de jarretière, le soulier carré au talon plat, le balandran pour l'hiver, et, sur la tête, couvrant la chevelure longue et droite, le large chapeau à ailes des peintres hollandais. C'est le costume regretté, vers le milieu du siècle, par Sganarelle.

Je yeux une coiffure, en dépit de la mode,

Sous qui toute ma tête ait un abri commode ;

Un beau pourpoint très long et fermé comme il faut,

Qui, pour bien digérer, tienne l'estomac chaud ;

Un haut-de-chausse fait justement pour ma cuisse ;

Des souliers où mes pieds ne soient point au supplice,

Ainsi qu'en ont usé sagement nos aïeux.

Le bourgeois de Paris, né dans cette ville, appartenant à une bonne souche connue et classée, faisait partie d'un monde infiniment plus sédentaire, plus confiné, plus petite ville que ce que nous voyons aujourd'hui. Il ne sortait guère de la capitale, tout au plus pour quelque partie au Pré-aux-Clercs, à l'île Louviers, à Vincennes. On appelait cela faire carrousse. Un voyage à Saint-Cloud, à Pontoise, à Fontainebleau était un événement[118]. La nature n'éveillait en lui que des sentiments très simples, à peu près ceux qu'exprime le mot d'Orgon :

La campagne à présent n'est pas beaucoup fleurie.

Le voilà bien, revenant de sa maison des champs, de Suresne ou de Vaugirard. Orgon, puisqu'Orgon il y a, était pieux, rangé, économe, sacristain, marguillier de sa paroisse, vénérateur de Notre-Dame et de la bonne Geneviève, patronne de Paris. Il bridait un cierge à chaque anniversaire et promenait dévotement la chasse de la sainte, parmi la ville, dans les temps de sécheresse[119].

Cent cinquante métiers ou professions diverses dûment classées et délimitées, se partageaient la population marchande. Chacune de ces corporations, — maitres et ouvriers, — luttait énergiquement pour le maintien de ses droits, de ses privilèges, de ses honneurs et préséances. Les rôtisseurs étaient en procès avec les poulaillers, puis avec les cuisiniers, avec les cabaretiers ou taverniers ; les merciers luttaient contre les gantiers ; les brodeurs avec les découpeurs, égratigneurs et gauffreurs. Au-dessus de ces cent cinquante corporations, avec l'honneur et gloire que, dans un système tout traditionnel, donnait l'antiquité de l'institution, dominaient les grands corps de marchands : drapiers, épiciers, merciers, pelletiers, bonnetiers et orfèvres. Ils formaient l'aristocratie des métiers parisiens, et marchands de grosserie non mécanique, ne mettant pas eux-mêmes la main à la pâte, ils étaient aptes aux fonctions municipales[120].

Enrichie par le commerce, la classe bourgeoise s'élevait peu à peu jusqu'aux charges de robe qui, elles-mêmes, touchaient à la noblesse et en facilitaient l'accès. Les grandes familles parisiennes, les Damour, les Sanguin, les Flecelles, les Villebichot, les Mesmes, les Molé, gardaient encore les mœurs traditionnelles et simples de leurs ancêtres. Ils portaient la barbe pleine à la Henri IV et revêtaient le jupon, la simarre, le bonnet carré, le linge uni et la moire lisse. Passé la jeunesse, ils affectaient une grande gravité, et les plus âgés étaient, en effet, dé vie décente et même austère. Ils se groupaient autour de Saint-André-des-Arcs, dans la rue des Poitevins, la rue Hautefeuille, ou bien encore, pour rester à proximité du Palais et des collèges, dans la rue Galande, la rue du Fouarre, jusqu'à la place Maubert. Les familles se mariaient entre elles, et se transmettaient, de père en fils, ces demeures solides et commodes qui ont, pour la plupart, duré jusqu'à nous[121].

On construisait beaucoup justement à l'époque dont nous parlons, et, en même temps, le goût du luxe se répandait. On pouvait gagner de grosses sommes dans les parties et les affaires de finances. La haute bourgeoisie parisienne y mettait la main. Selon le mot de Montesquieu, la profession lucrative des traitants parvenait, par sa richesse, à être une profession honorée. Si la dignité des anciennes mœurs en était atteinte, le commerce y gagnait. Les carrosses se multipliaient[122] ; ce n'était plus le temps où le président de Thou s'en allait à la messe sur une mule, sa femme en croupe, la cotte relevée. Les jeunes magistrats des enquêtes se lassaient du visage gourmé et de la figure barbative de leurs pères. Ils enviaient la dentelle, les moustaches et les bottes à grands revers de messieurs les courtisans[123].

Cependant la différence entre les deux classes restait encore nettement marquée : rien qu'à voir passer dans la rue ceux-ci, tout plumes, soie et dentelles, ceux-là habillés de noir, tout laine et en bonnet carré, on eût cru deux mondes à part. Il y avait, en effet, dans la nation, deux sortes d'hommes : l'homme de robe et l'homme d'épée.

J'ai dit le civil, avec ses habitudes de prudence, de gravité, de réserve, d'économie étroite et de dignité un peu contrainte. Voici maintenant le militaire tout chaud encore des grandes guerres de Flandre et d'Allemagne, exagérant dans son costume, dans son attitude, dans toute sa façon d'être, les qualités et les défauts de l'homme d'action, très brave, très chatouilleux, très à la main et ferré sur le point d'honneur, toujours gonflé de ses exploits réels ou imaginaires : jamais le héros n'a frisé de plus près le matamore.

Pourvu qu'on soit morgant, qu'on bride sa moustache,

Qu'on frise ses cheveux, qu'on porte un grand panache,

Qu'on parle baragouin et qu'on suive le veut,

En ce temps d'aujourd'hui, on n'est que trop savant[124].

En voici un qui passe sur son cheval de guerre à la tête courte, à la crinière tressée ; le pot en tête, la poitrine couverte de la cuirasse, les chausses vastes, l'épée épaisse et large, les longs pistolets dans des fontes qui battent l'étrier, les jambes enveloppées dans d'immenses houseaux de cuir garnis d'éperons rouillés. Celui-là a fait ses premières armes du temps du roi Henri ; il garde toute la rudesse des vieilles coutumes militaires ; il a dormi sur la terre ; son visage est bronzé et couturé ; il porte la barbe pleine, en coup de vent, selon la mode du Béarnais, et il se vanterait volontiers, comme son défunt maitre, de sentir le gousset.

En voici un autre : c'est un cavalier du bel air, sortant de l'Académie : chapeau de feutre rejeté en arrière, plume au vent, œil clair et teint frais, moustache blonde relevée en croc, barbe en pointe ; le collet à double rang de dentelles, le petit manteau garni de fourrures, relevé par l'épée, le haut-de-chausses ample et plissé, le mollet hardi sur le soulier aux larges oreilles et les éperons sonnants.

Voici maintenant une troupe nombreuse, bien montée, armée jusqu'aux dents. Elle bouscule devant elle les marchands et les carrosses qui, dans la rue étroite, s'arrêtent et se rangent. C'est un homme de condition, c'est un seigneur qui se rend au Louvre. Lui et sa suite étalent, dans un flot de dentelles, de plumes, d'étoffes éclatantes, de broderies d'or et d'argent, un luxe étincelant. Ce groupe reluit, sur le fond sombre de la population citadine, comme le capitaine, vêtu de blanc, éclaire le premier rang des arquebusiers dans la Ronde de Rembrandt.

En tête, le maitre, monté sur un fin genet d'Espagne, habillé à la dernière mode de 1614: chapeau rond à bords étroits,

garni d'un crêpe fin

Bouffant en quatre plis et moitié de satin ;

fraise petite et petit collet garni de dentelles, en forme de rondace ; pourpoint serré, en satin rouge ou cramoisi, laissant bouffer par les fentes la doublure de taffetas bleu ou jaune, gants en satin vert allant jusqu'à mi-bras et garnis de dentelles, ceinturon en broderie ou en soie ouvragée, chausses de velours froncées à la ceinture et sur les genoux, garnies de gros boutons sur le côté ; bas de soie, avec jarretière enrubannée de dentelles ; la botte en cuir de Russie et les éperons dorés ; en travers de la poitrine, une écharpe de taffetas bleu ou vert et, au côté, le cimeterre à la turque, avec la garde luisante d'or ou d'émail. Par-dessus le tout, un manteau court, tombant à mi-cuisse, en taffetas doublé de velours rouge.

Un habit de cette sorte, avec les accessoires, chemisettes, collets de dentelles, sachets, plumes, bijoux, valait quelque trois ou quatre mille francs, et il n'était pas nécessaire d'être grand seigneur pour en changer souvent. La cour se ruinait en vêtements, et, à l'imitation de la cour, toute la noblesse du royaume, selon le mot de Louis XIII, était fondue de luxe[125].

Autour du grand seigneur qui s'avançait en si bel équipage, une troupe nombreuse de parents, d'amis, de pages, de laquais se pressait pour lui faire honneur. C'était, en effet, un trait caractéristique des mœurs du temps que cet usage de l'accompagnement. On ne laissait jamais un ami aller seul, soit dans une affaire, soit dans une fête, soit dans une visite de cérémonie. Le vrai signe de l'influence était le nombre de personnes que l'on tramait après soi. Quand un homme de qualité approchait d'une ville, beaucoup de gens allaient au-devant de lui pour lui faire cortège. S'il devait rencontrer quelque personnage plus puissant, sa suite le quittait, en partie, pour aller grossir l'autre troupe. La cour n'était rien autre chose que la compagnie, la mesnie du roi, et tout gentilhomme avait de même sa maison[126].

Ce seigneur marchait donc vers le Louvre au milieu d'une foule nombreuse, sans cesse grossie par les gentilshommes que l'on rencontrait. Quittant Saint-Eustache, il laissait derrière lui l'hôtel Soissons, célèbre par la tour de Jean Bullant, suivait la rue de la Tonnellerie, réservée aux fripiers juifs[127], traversait la rue Saint-Honoré, prenait l'étroite rue des Poulies, habitée par la plus haute aristocratie et, passant devant l'hôtel de Longueville, il entrait au Louvre par la porte qui s'ouvrait en face l'hôtel de Bourbon, du côté de Saint-Germain l'Auxerrois.

Mais, avant de pénétrer avec lui dans le palais, arrêtons-nous un instant encore et jetons un dernier coup d'œil sur ce Paris si animé, si populeux, déjà si complexe, dont la silhouette dentelée apparaît par l'ouverture que la rue de Bourbon fait sur la Seine.

Nous n'avons pas tout dit, en effet, et il faudrait des volumes pour tout dire. Nous n'avons parlé que de la population masculine, et pourtant les femmes tenaient une grande place dans la vie de Paris. Non seulement celles qui, dans la rue, femmes du peuple vêtues de serge de Reims, harengères au langage épicé, marchandes des quatre saisons, servantes, chambrières et chambrillons en cotte simple et bavolet, augmentaient le tumulte et le désordre ; mais, sur le pas de leurs portes, les bourgeoises, de tenue discrète, avec la robe sombre, la large coiffe blanche, la mante noire à plis réguliers et, si elles sortaient, le manchon et le manteau garni de fourrures ; ou bien la damoiselle montée sur une mule, une plume dans les cheveux, ceux-ci poudrés à la poudre de Chypre et parfumés de fleur d'oranger, faisant de gros bourrelets sur les oreilles, la figure masquée du mimi, la gorge découverte, entourée d'un large collet plat de dentelle ajourée, les bras perdus dans des manches très bouffantes et tailladées, les mains couvertes de gants de soie, avec de riches revers de guipures très évasés, enfin la taille haute et roide, dans un corset étroit faisant pointe sur le ventre, et le bas du corps engoncé dans l'armature hanchue du vertugadin[128].

Nous avons dit le tumulte du centre de la ville: mais nous n'avons pas dit le silence des longs faubourgs, avec les murailles infinies des couvents, laissant échapper, par-dessus, la rare verdure des jardins ; nous n'avons pas dit la Bièvre, renommée par la qualité tinctoriale de ses eaux, mais dont les terribles débordements ravageaient le quartier Saint-Marcel[129] ; nous n'avons pas dit le faubourg Saint-Antoine, avec ses ouvriers brodeurs ; la rue Saint-Jacques, avec ses libraires ; le faubourg Saint-Germain, avec ses académies de jeux[130] ; les marais du Temple, avec leurs filles de joie[131].

Nous avons dit les rues, mais nous n'avons pas pénétré dans l'intérieur des maisons et nous n'y avons pris montré la vie citadine commençant à s'organiser dans les salles des nouveaux hôtels, claires et garnies de nattes. L'ère des précieuses va bientôt s'ouvrir, et c'est l'époque où Catherine de Vivonne, marquise de Rambouillet, dessinant elle-même les plans, apprenait aux architectes à mettre les escaliers dans un coin du bâtiment, à construire une grande enfilade de chambres, à exhausser les planchers, à faire des portes et des fenêtres hautes et larges et vis-à-vis les unes des autres ; c'est elle aussi qui s'avisa la première de faire peindre une chambre d'autre couleur que de rouge ou de tanné, et c'est ce qui a donné à sa grande chambre le nom de chambre bleue[132].

Dans ces nouvelles constructions s'introduisent déjà l'air galant, les conversations raffinées, les pointes à l'italienne. Les collations, les concerts, les danses s'organisent[133], et dans les tableaux des mitres contemporains on voit, près d'une table couverte d'un tapis de Turquie, une jeune dame fraiche et claire jouant du luth, tandis qu'un cavalier l'écoute, l'œil attendri, et oublie de boire l'hypocras dans le verre allongé qui vient de lui être servi[134].

Nous n'avons pas montré, non plus, l'attraction exercée sur la France entière, et déjà sur le reste de l'Europe, par cette ville où se rencontraient les cadets de Gascogne, les poètes de Normandie, les savants de l'Écosse, les soldats de l'Allemagne, les capitaines de la Hollande, les comédiens, les ruffians et les politiques de l'Italie, tous parlant leurs idiomes propres ou communiquant entre eux par une sorte de sabir dont le latin et le français italianisé faisaient le fond. Nous n'avons pas dit, enfin, la grande admiration et la grande envie que Paris inspirait déjà aux étrangers par son climat tempéré, sa bonne humeur, sa vie facile, la sociabilité aimable et polie de ses habitants.

Il aurait fallu, dans un tableau de cette sorte, animer ce Paris sans pair dont parle le proverbe[135], célèbre par ses soldats, par ses professeurs, par ses théologiens, par ses marchands, se reprenant à la vie, après les fureurs civiles qui venaient de le déchirer, orné par Henri IV, embelli par le goût italien[136], s'accoutumant à la douceur d'une existence plus paisible et mieux ordonnée, s'ouvrant à la lumière, s'éclairant le soir de lanternes bien entretenues, s'arrachant à la crasse et à la houe du Moyen âge, ordonnant mieux sa police et sa voirie, et méritant de plus en plus, malgré tant de misères et de pauvretés subsistantes, l'ardent amour qu'il inspirait à Montaigne : Elle a mon cœur dès mon enfance et m'en est advenu comme des choses excellentes ; plus j'ai vu depuis d'autres villes belles, plus la beauté de celle-ci peut et gagne sur mon affection. Je l'aime pour elle-même et plus en son être seul que rechargé de la pompe étrangère ; je l'aime tendrement, jusques à ses verrues et à ses taches. Je ne suis Français que par cette grande cité, grande en peuples, grande en félicité de son assiette, mais surtout grande et incomparable en variété et diversité de commodités, la gloire de la France et l'un des plus beaux ornements du monde[137].

 

III. — Le Louvre, la Cour, le Roi.

Le Louvre, séjour ordinaire du roi à Paris, présentait, du côté de Saint-Germain l'Auxerrois, une face rude et barbare : de hauts logis percés d'étroites fenêtres ; dans les deux coins, des tours rondes, couvertes de toits de tuiles et toutes lépreuses de vétusté ; au milieu, une porte basse et sans ornement, précédée d'un pont-levis ; c'était tout ce qui restait de la vieille forteresse de Philippe-Auguste et de Charles V.

Au contraire, du côté de la Seine, le palais déployait l'élégante gaîté de sa construction moderne. Pour élever cette façade, François Ier avait démoli la Grosse Tour, orgueil des rois, ses prédécesseurs. Plus près de la rivière, on avait construit le bâtiment carré nommé Pavillon du Roy. Henri II, Charles IX, Henri III poursuivirent l'œuvre, et commencèrent les deux Galeries : la Petite et celle du Bord de l'Eau. Henri IV, averti par la journée des Barricades et voulant se ménager une sortie sur la campagne, avait continué le travail des Galeries qui, enjambant l'enceinte de Charles V, rejoignaient les Tuileries.

L'œuvre présentait encore des lacunes. Cependant des morceaux exquis étaient achevés. La frise de Jean Goujon illustrait déjà le Louvre de Henri IL Le pavillon, qu'on a nommé depuis Lesdiguières, portait sa lanterne ajourée au-dessus de la ligne de faite ; enfin, les pilastres et les frontons d'Androuet du Cerceau, dessillaient, gravement, tout le long de l'eau, leurs motifs corrects et froids qui rejoignaient les nouvelles Tuileries[138].

Du bord de la rivière, on ne voyait guère que les toits, car les échafaudages n'étaient pas enlevés, et le pied du bâtiment était obstrué par un fouillis d'échoppes et de constructions provisoires où l'on entendait grincer la scie des tailleurs de pierres. Du côté des cours, la construction était moins avancée encore. De vieilles bâtisses infâmes, habitées par la lie de la population parisienne venaient buter contre le palais neuf. La rue Saint-Thomas du Louvre, partant de la rue Saint-Honoré, pénétrait comme un coin dans les cours intérieures, où le gazon poussait, et où les pierres verdies attendaient l'ouvrier. Au-dessus des galeries à l'italienne, on distinguait les clochers de trois ou quatre chapelles ou églises gothiques qui se trouvaient là : Saint-Thomas du Louvre, Saint-Nicaise, les Quinze-Vingts[139].

En somme, demi-ruiné, demi-construit, mi-antique, mi-moderne, tout enserré dans la gaine du Moyen âge, dont il essayait de se dégager depuis des siècles, le palais des rois était encore à l'état d'ébauche, et, justement, il donnait assez bien l'idée de ce qu'était le Royaume lui-même : bâtiment séculaire sur les substructions duquel un édifice nouveau était en train de s'élever[140].

Le jeune roi Louis XIII, successeur de Charlemagne, descendant de Hugues Capet et de saint Louis, héritier des Valois, fils de Henri IV, habitait d'ordinaire le Pavillon du Boy. Après avoir franchi l'étroite porte située presque en face l'église Saint-Germain l'Auxerrois, on traversait de biais la cour carrée, on montait à droite le grand escalier, on suivait tout le long de la salle des gardes, et on arrivait enfin à l'antichambre du Roi. C'était là ce qu'on appelait la Cour[141].

Tout ce qui avait à Paris figure de courtisan était admis. Fæneste, qui est pourtant un pauvre hère, y entre comme au moulin. Son gascon nous la décrit en termes si expressifs qu'il faut le laisser parler : Étant ainsi, couverts de broderie, avec trois laquais plutôt loués, un bidet plutôt emprunté, vous voilà dans la cour du Louvre. — Tout à cheval, dit Enay. — Non pas, non. On descend entre les gardes, entendez. Vous commencez à rire au premier que vous rencontrez ; vous saluez l'un, vous dites le mot à l'autre : Frère, que tu es brave, épanoui comme une rose ! Tu es bien traité de ta maîtresse ? cette cruelle, cette rebelle. Rend-elle point les armes à ce beau front, à cette moustache bien troussée ? et puis cette belle grève, c'est pour en mourir ? Il faut dire cela en démenant les bras, branlant la tête, changeant de pied, peignant d'une main la moustache et d'aucune fois les cheveux... et puis nous causons de l'avancement en Cour, de ceux qui ont obtenu des pensions, quand il y aura moyen devoir le Roi, combien de pistoles a perdu Créqui ou Saint-Luc ou, si vous ne voulez point discourir de choses si hautes, vous philosophez sur les bas de chausses de la Cour... Quelquefois nous entrons dans le grand cabinet, dans la foule de quelque grand ; nous sortons sous celui de Beringhen[142], descendons par le petit degré et faisons semblant d'avoir vu le Roi... c'est alors qu'il faut chercher quelqu'un qui aille dîner[143].

Dans l'entourage du Roi, les hommes d'épée tenaient le liant bout. En se pressant aux antichambres, ils faisaient, autour du prince, ces confusions de France dont parle Fontenay-Mareuil. Avec le bruit, les rires, les querelles, les grandes hallebardes des soldats, les panaches, les bottes éperonnées, c'était un bourdonnement vivant et animé qui rappelait les camps[144].

Pourtant, on voyait passer des figures devant lesquelles les portes s'ouvraient : des têtes graves et barbues d'hommes d'État, d'ambassadeurs, de cardinaux[145] ; des robes noires aussi, très nombreuses. Sous la régence de Marie de Médicis, l'élément ecclésiastique dominait. Le Nonce du pape avait ses entrées à toute heure ; les jésuites confesseurs et prédicateurs, même les capucins, pieds nus et robe de bure, se glissaient aux chambres closes, aux couloirs secrets, poursuivant, dans les dédales du palais, l'intrigue catholique et la politique des mariages espagnols[146].

Il y avait ainsi une petite cour silencieuse dans la grande cour bruyante. Au fond de ces entresols retirés dont parle Sully, elle se tenait tapie et comme murée[147]. La Reine y vivait dans sa nonchalance italienne, caressée par les propos insignifiants de ses femmes et de ses favoris, bercée par la musique de ses joueurs de luth, laissant le poids des affaires aux ministres Villeroy, Sillery, Jeannin, soucieuse seulement de vivre et de gagner du temps[148].

La robe du magistrat se mêlait à la robe ecclésiastique et lui disputait le pouvoir. Les secrétaires d'État, hier encore personnages effacés et discrets, sortaient de leur réserve et, dépouillant le manteau, l'habit noir et le rabat, prenaient leur vol vers de plus hautes destinées. Cependant, cette autorité des ministres n'était pas encore si fortement établie qu'elle ne fût obligée d'user de ménagement. La Cour restait une puissance chatouilleuse et susceptible. A côté des conseils secrets, on laissait subsister le Conseil du Roi, plus nombreux et plus tumultueux que jamais. La Reine le tenait dans la salle voisine de l'antichambre, assise sur une chaise, entourée de princes du sang, avec les Conseillers debout autour d'elle ; elle laissait entrer toutes les personnes de condition et faisait même approcher ceux qui avaient intérêt à ce qu'on disait.

C'est par là que les Grands retenaient quelque part de l'exercice du pouvoir ; c'est par là que les cabales se soutenaient, se poussaient. En s'approchant de l'antichambre, les officieux finissaient par savoir quelque chose des affaires publiques, par se mêler à quelque parti de finance, par décrocher quelque pension. Aussi la Reine, obligée de ménager la noblesse, tenait, avec une certaine régularité, ces conseils, auxquels le Roi assistait rarement[149].

Henri IV, plus libre et plus cavalier, s'était moins astreint. De son temps, les affaires les plus importantes se traitaient dans une galerie, dans un jardin, les gens de son conseil allant et venant avec lui, les secrétaires d'État suivant de loin et s'approchant sur un signe, pour prendre note, une fois la décision arrêtée[150]. Cette mobile familiarité était le caractère distinctif de la cour de France et elle étonnait les étrangers, notamment les Espagnols, habitués à la grave étiquette de l'Escurial. Mais les Français se plaisent ainsi dans un perpétuel mouvement.

La Cour était loin d'être fixée à Paris. Elle suivait partout le Roi, pour un rien, comme lui à cheval. En ce temps-là le pouvoir sentait l'écurie et non pas le bureau. Le Roi disait le matin à son lever : Messieurs, nous partirons tantôt, et tout le monde troussait bagage : courtisans, gardes, pages ; les femmes sur des haquenées, les secrétaires sur des mules, avec leurs sacs et leurs écritoires, quelques carrosses pour les vieillards et les dames âgées, des charrettes pour le lit et le couvert. On se mettait en route sans savoir toujours où l'on coucherait[151] ; le Roi avait le droit de gîte dans son royaume, et il en usait : tantôt dans une abbaye, tantôt dans un château, tantôt dans une bonne ville. On arrivait à l'improviste et on mettait tout au pillage. Le Roi, d'ailleurs, avait des habitations à lui un peu partout dans les provinces. Un jour, c'était Fontainebleau, puis Monceau, puis St-Germain, puis Blois, puis Amboise, puis Chambord : ou bien il chassait, ou bien il visitait un ami, ou il allait surveiller une province, maintenir un grand seigneur, calmer une sédition. Les courriers porteurs de dépêches se fatiguaient à poursuivre les ministres, qui, obligés d'accompagner le Roi, fuyaient sans cesse devant eux[152].

Depuis des siècles, le Roi circulait ainsi à travers le pays, et le royaume s'était comme fixé et coagulé autour de cet embryon sans cesse en mouvement. La maison du roi, sa mesnie, sa cour s'était accrue jusqu'à devenir un royaume. Le mince seigneur féodal, maitre d'une ville bien située et de quelques châteaux fortifiés dans l'Île-de-France, avait lentement reculé jusqu'à des distances éloignées, les limites de sa domination. Le fils des Capets était devenu l'un des plus grands princes de la chrétienté.

Ce roi-soldat entouré d'officiers, de prêtres et de magistrats, de courtisans, d'artistes et de poètes, vivant dans l'éclat d'une cour, dès lors, l'une des plus raffinées de l'Europe, ramassait dans sa personne dix siècles d'histoire et les volontés de quinze millions d'hommes. Sur les habitants du royaume qui se reconnaissaient ses sujets, il exerçait une puissance de fait et jouissait d'une autorité de droit.

La royauté, fière de son passé, était forte dans le présent ; un avenir brillant s'ouvrait devant elle. Au seuil du dix-septième siècle, au moment où le futur cardinal de Richelieu entrait dans la vie publique, elle atteignait sou apogée ; elle avait entrepris de grandes choses, il lui restait à les achever. Il est naturel de s'arrêter à ce point culminant pour essayer de démêler les causes anciennes de sa grandeur et les premiers symptômes de sa lointaine décadence.

Dans l'ordre politique, dans l'ordre social, dans l'ordre religieux, une étude attentive peut relever les principales conditions du développement de la civilisation française. De l'examen de ces différents sujets, se dégagera le programme politique imposé aux ministres des rois, par les nécessités de l'histoire, quatre ans après la mort de Henri IV.

 

 

 



[1] Il serait superflu de citer ici en note les témoignages contemporains sur lesquels s'appuie ce que la description de la France en 1614 peut contenir de nouveau. Qu'il suffise de dire qu'on a fait grand usage des récits des voyageurs, de Thou, Abr. Gölnitz, Jod. Sincerus, Th. Coryate, Jouvin de Rochefort, les ambassadeurs vénitiens, le Voyage de France, par de Varenne ; des livres des géographes, Papirius Masson, Merula, Pontalus, André Duchesne, François des Rues, J. Le Clerc. On a toujours eu sous les yeux les recueils d'estampes, ceux de Châtillon, de Chiquet, d'Israël, de Perche, de Méryan, les séries d'Abraham Bosse, Callot, Della Bella ; on a cru devoir emprunter plus d'un trait aux proverbes qui condensent en quelques mots l'expérience populaire. Enfin on pourrait citer nombre de monographies locales, d'histoires des provinces et de livres modernes ; il faut du moins mentionner le livre de M. BAREAU, les Voyageurs en France depuis la Renaissance jusqu'à la Révolution, et l'ouvrage de M. le vicomte G. D'AVENEL, Richelieu et la Monarchie absolue.

[2] LEROUX DE LINCY, Le livre des Proverbes français (I, 830). — Le Voyage de France (éd. 1617, p. 3). — Mémoires de RICHELIEU, Coll. Michaud et Poujoulat (t. I, p. 12). — Cf. Mémoires de TAVANNES (Coll. Petitot, t. XXV, p. 250). — M. ALBERT SOREL a réuni la plupart des textes historiques relatifs à la frontière du Rhin, dans un des chapitres de son beau livre, l'Europe et la Révolution française, Plon, 1882, in-8° (t. I, p. 241 et suiv.).

[3] D'après le Tasse, les grandes plaines de la France sont battues par les vents, de telle sorte qu'on voit s'y dresser, surtout en Franche-Comté et en Champagne, de nombreux moulins à vent : l'inconstance du climat, ajoute-t-il, est en grande partie cause de l'inconstance des habitants. (Cité par BABEAU, les Voyageurs en France depuis la Renaissance jusqu'à la Révolution, Didot, 1885, in-12°, p. 41.)

[4] Voir ALFRED MAURY, Histoire des grandes forêts de la Gaule et de l'ancienne France, Paris, Leleux, 1850, in-8°. L'auteur donne les détails les plus curieux sur la longue permanence des forêts de l'ancienne Gaule. Elles disparurent plus tôt dans le Sud que dans le Nord, pour diverses raisons qu'il expose également. On commença à défricher avec excès à partir du seizième siècle. Henri IV lui-même, pousse par le besoin d'argent, à faire de nombreux déboisements, malgré le mot de Sully que la France périrait faute de bois. — Voir encore, dans MAURY, de curieux détails sur les nombreux fauves qui habitaient, les forêts ; sur les habitants qui se perpétuaient dans les vastes clairières et se consacraient aux travaux des bois ; sur les agglomérations sylvestres qui donnèrent naissance par la suite à des villages et à des bourgs. Il y a là tout un côté de la vie de la vieille France que seules quelques traditions ou quelques souvenirs locaux permettent de reconstituer et auquel se rapportent les merveilleuses légendes de la forêt d'Ardenne. — Sur les forêts de France, voir encore un bon passage dans Voyage de France (par D. VARENNE), édit. 1687, in-8° (p. 7).

[5] V. l'ouvrage du COMTE DE DIENNE, Histoire du dessèchement des lacs et marais en France avant 1789, Paris, Champion, 1891, in-8°.

[6] Voir les recueils de gravures et notamment ceux de Perelle qui rend si bien ces profils de villes toutes hérissées de clochers. Ce trait frappe aussi les étrangers: Voir LE TASSE cité par BABEAU (p. 48) ; et le joli croquis de LA BRUYÈRE : J'approche d'une petite ville, et je suis déjà sur une hauteur où je la découvre. Elle est située à mi-côte : une rivière baigne un mur, et coule ensuite dans une belle prairie.... Je la vois dans un jour si favorable que je compte ses tours et ses clochers ; elle me paroit peinte sur le penchant de la colline. (Édit. des Grands Écrivains, I, p. 233.)

[7] Trop de châteaux en France et de là trop de pauvres. Adages français du seizième siècle. Cité par LE ROUX DE LINCY, Le Livre des proverbes français, Delahaye, 1859, in-8° (t. II, p. 348).

[8] Sur le sommet d'une colline, au milieu d'un parc magnifique, un splendide palais, construit en belle pierre de taille blanche avec un grand nombre de tourelles élevées. Cet endroit se nomme Écouen... Il appartient à M. de Montmorency le connétable de France. Dix-sept villes et paroisses relèvent de cette seigneurie S laquelle elles sont presque contiguës. CORYATE, Voyage de Paris en 1608 (Mém. Soc. Hist. de Paris, t. VI, p. 87). — Cf. L'Ulysse François ou le Voyage de France, de Flandre et de Savoie, par le SIEUR COULON, Paris, chez Gervais Cloutier, 1653, in-8°.

[9] Les chaumières des paysans étaient souvent sans cheminée et sans fenêtre, le jour, l'air et la fumée passant par la porte unique. Dans le voyage qu'elle fait en France avec la cour, la Grande Mademoiselle ne trouve plus d'une fois d'autre logement dans les villages : A Perpignan, il n'y a pas de cheminée dans les chambres... Ici elle est forcée de coucher dans un cabinet sans cheminée ; là elle est installée dans une vieille maison qui tombe ; au-dessus de son lit, il y a un Iras dans le plafond... En Franche-Comté, elle a pour logis une petite maison de village sans fenêtres. Elle est forcée de se coiffer par le jour de la porte... Cité par BABEAU, Voyageurs (p. 126). — Il n'y a personne qui ne fit touché de compassion si je racontais qu'étant entrés dans une de leurs petites chaumières (des paysans du Bas-Poitou), nous vîmes six petits enfants tout nus, la plupart sans chemises, auprès d'un feu de bouzats de vaches... Leur lit n'était que de la paille sur des ais qui faisait le plus beau meuble de la maison, avec une huche où il n'y avoit rien dedans. Les murailles de cet appartement, les toits et la porte même n'étoient que de la paille où le vent par les temps d'hiver passe tout outre et le parterre leur servoit de sièges. Le Voyageur d'Europe, par Jouvin de Rochefort (édit. de 1672, p. 194). — Il y avait, bien entendu, des régions où l'habitation des paysans était moins primitive et moins misérable ; mais c'est l'exception, et une aisance générale ne commença à se répandre dans les campagnes que vers le milieu du dix-huitième siècle.

[10] On n'a aucune statistique précise permettant d'évaluer le chiffre de la population au début du dix-septième siècle. On peut consulter, à ce sujet, le mémoire de M. LEVASSEUR sur la Population de la France depuis la période féodale jusqu'au dix-huitième siècle. (Comptes rendus de l'Académie des Sciences morales et politiques, 1881, 2e semestre) ; et aussi une note très précieuse de FOURNIER dans les Variétés Historiques et Littéraires, (VI, p. 90). — Il faut, tout d'abord, écarter une erreur qui s'est glissée dans presque tous les auteurs anciens et qui, delà a passé chez quelques auteurs modernes et d'après laquelle le nombre des paroisses, au quinzième siècle, aurait été de 1.700.000. On trouve ce chiffre pour la première fois dans le Calcul et Dénombrement de la valeur et du royaume de France, de Jacques Cœur ; puis dans MACHIAVEL ; dans les ambassadeurs vénitiens (ZACHARIO CONTARINI, 1492) ; PIETRO DUODO dit 130.000 paroisses, c'est encore excessif ; et enfin dans CHÂTEAUBRIAND, etc. — Dans le document publié par FOURNIER (loc. cit.) ce chiffre est ramené à celui beaucoup plus plausible de 23.140 ; c'est celui que nous adoptons. — Voici quelques autres indications : PIETRO DUODO évalue, en 1598, la population totale du royaume à 16.000.000 de personnes formant 3.500.000 familles. (Coll. ALBERI, t. XV, p. 78 et 79). En 1608, ANGELO BADOER, autre ambassadeur vénitien, donne le chiffre de 15.000.000 d'habitants. (Collect. BANOZZI, Francia, t. I, p. 85). — Dans sa Relatione de gli Ugonotti di Francia, BENTIVOGLIO évalue la population de la France à 15.000.000 d'âmes, sur lesquelles, dit-il, il y a un million de Huguenots ou un peu plus. (Édit. 1646, in-12°, p. 250-281). — Enfin DES RUES, qui écrit en 1611, s'exprime ainsi : Auquel royaume, le peuple a toujours été catholique et zélateur de l'honneur de Dieu, eu égard qu'il y a 17 archevêchés ou églises métropolitaines et 115 évêchés, 132.000 clochers on paroisses ; ce qui démontre que la France est bien peuplée. Comme aussi, il y a 3.500.000 familles ou maisons, 12 pairies, 12 généralités, 70.000 fiefs et arrière-fiefs ou environ. DES RUES, Description... du Royaume de France, à Rouen, chez Jean Petit, 1611, in-8° (p. 342).

[11] V. MICHEL ET FOURNIER, Histoire des Hôtelleries et Cabarets, etc., 1859, in-4° (t. II, p. 56).

[12] Vers inscrits sur une des eaux-fortes des Bohémiens de CALLOT.

[13] Dans le parcours, entre Amiens et Breteuil, dit TH. CORYATE, en 1608, je n'observai que deux choses : un village complètement ruiné et saccagé par les guerres civiles et des vignobles, les premiers que j'eusse vus. Mémoires de la Soc. de l'Histoire de Paris (t. VI, 1879, p, 26).

[14] ... La Picardie, ainsi dite ou de l'invention des piques que l'on attribue à ce peuple, ou du mot Picra-cardia qui signifie promptitude et soudaineté, comme qui dirait (et le dit-on vulgairement) que les Picards ont la tête chaude. Promptitude toutefois que j'attribue volontiers à une générosité et grandeur de courage qui leur a autrefois fait tenir rang honorable parmi les plus braves et belliqueux peuples de la Gaule. ANDRÉ DUCHESNE. Les Antiquités et Recherches des villes, chasteaux et places les plus remarquables de toute la France, 4e édition, Paris, 1629, in-12°.

[15] LAETIUS, Gallia, sive de Francorum regis dominiis et opibus Commentarius. Elzevir 1629. in-16° (p. 10 et 11). Voir aussi l'édit de mars 1597, cité par PIGEONNEAU, Histoire du Commerce de la France (t. II, p. 295).

[16] V. ABRAH. GÖLNITZ, Dantisc. Ulysses Belgo-Gallicus, Amsterdam, Elzevir, 1655, in-16° (p. 197).

[17] RICHELIEU, Maximes d'État et fragments inédits, Collect. des Doc. inédits de l'Histoire de France (p. 742).

[18] Au point de vue spirituel, la Lorraine relevait des sièges de Metz, Toul et Verdun. Il n'y avait qu'une primatiale tout récemment créée à Nancy. — V. la curieuse analyse de la situai ion de la Lorraine à l'égard de la France dans Mémoires de BASSOMPIERRE, Édit. de la Soc. de l'Hist. de France (t. I, p. 242 et suiv.) ; et surtout l'ouvragé de M. D'HAUSSONVILLE, Histoire de la Réunion de la Lorraine à la France.

[19] Voyage de France par de VARENNE (p. 9-15). — On parlait de la Champagne et qu'il ne s'y trouvoit pas seulement un arbre qu'aux Trois-Maisons, hôtellerie allant à Troyes ; qu'on n'y fait du feu qu'avec de la paille... Journal d'HÉROARD, Ed. Barthélemy (t. I, p. 429). — Sur Troyes, il faut citer le joli proverbe : D'où viens-tu ?Je viens de Troyes. — Qu'y fait-on ?L'on y sonne. Livre des Proverbes français (II, p. 402.) Le carillon perpétuel des cloches en France étonnait beaucoup les étrangers. Voir Relation de PIETRO DUODO (Collec. Barozzi, t. XV) ; Voir aussi GÖLNITZ (loc. cit., p. 51). Quand le cardinal de Médicis visita Saint-Quentin, en 1596, il fut tellement surpris du son continuel des cloches qu'il s'écria : Urbs ista aut semper cantat aut semper pulsat. Il y a d'ailleurs un proverbe qui dit : On carillonne à Saint-Quentin. V. CH. NORMAND, Saint-Quentin et la Royauté, Champion, 1881, in-8° (p. 8). — Au sujet du caractère champenois, voir la dissertation de GROSLEY sur le proverbe : Quatre-vingt-dix-neuf moutons... dans Mémoires de l'Académie des Inscriptions et belles-lettres de Troyes, 1756. (in-12, t. II, p. 10.)

[20] Voir Louis XIII avant Richelieu, extrait d'une histoire inédite du château de Saint-Germain par C. ROSSIGNOL, Paris, Aubry, 1869, in-8°.

[21] Ce château construit par Moysset (autrement dit Montauban), passait pour le dernier effort du luxe et de la richesse architecturale. Les jardins surtout en étaient admirables. V. GÖLNITZ (p. 161). — Lettres de MALHERBE dans la Collect. des Grands Écrivains (t. III, p. 30), et enfin Rueil, le Château de Richelieu, par JUL. JACQUIN et J. DUCHESNE, 1896 (in-8°, p. 31).

[22] GÖLNITZ (p. 150). — ANDRÉ DUCHESNE, à propos de Fontainebleau, embouche la trompette héroïque : C'est l'un des séjours les plus délicieux du roi (Henri IV). C'est là qu'il il donnait le plus souvent audience aux ambassadeurs étrangers ; c'est là que la Reine a fait ses couches ordinaires ; c'est là qu'ont nourris les fruits de la fleur royale ; c'est là que se trouvent les troupes et magnificences françaises, et c'est là que se voit tout ce qu'il y a de plus beau à la cour du premier et plus grand roi du monde. Antiquités (p. 309). — Sur Fontainebleau, au temps de Louis XIII, ce qu'il y a de plus complet est la notice publiée par MM. EUG. MÜNTZ et EM. MOLINIER, Le château de Fontainebleau au dix-septième siècle, d'après les documents inédits. — Mém. de la Société de l'histoire de Paris (1885, t. XII, p. 255-358.) Cf. l'ouvrage du P. DAN, le Trésor des merveilles de Fontainebleau.

[23] J. LAETIUS, Gallia sive de Francorum Régis dominiis et opibus. Elzevir, 1629, in-16° (p. 21).

[24] Déjà cite dans le Roman comique (IIIe partie).

[25] C'est une constatation des voyageurs, confirmée par le proverbe d'une galanterie un peu rude : Qui n'a couché à Orléans ne sait que c'est que femme.

[26] DUCHESNE, Antiquités (p. 495). — GÖLNITZ, loc. cit. (p. 242).

[27] DES RUES.

[28] Robert Gaguin cité par MERULA, Cosmographia generalis libri tres, Plantin, 1605, in-4 (p. 523).

[29] Aux états généraux de 1789, la Normandie, par l'organe d'un de ses députes Achard de Bonvouloir, résista plus vivement qu'aucune autre province à l'abrogation des coutumes locales. —Voir De la Constitution du Duché ou État souverain de Normandie... et des droits, immunités, privilèges, et prérogatives de ses habitants et citoyens, 1789, in-8° (notamment p.225 et suiv.).

[30] DES RUES.

[31] ALF. MAURY, Histoire des grandes forêts (p. 287.)

[32] JOD. SINCERUS, Itinerarium Galliæ, Janson, édit. 1619, in-12° (p. 34) — Cf. LAVERGNE, Assemblées provinciales (p. 168-169).

[33] ANDRÉ DUCHESNE, op. cit. (p. 482). Cf. GÖLNITZ (p. 277).

[34] Allier, arrondissement de Moulins.

[35] Également dans l'Allier, arrondissement de Moulins.

[36] GÖLNITZ, op. cit. (p. 276).

[37] Cf. le proverbe : Manger du pain comme un Limousin et GÖLNITZ (p. 580). Il peint les habitants de Limoges comme particulièrement rudes et grossiers, vêtus à l'antique et si peu accoutumés aux modes nouvelles, qu'une femme qui viendrait de Paris dans le costume qui se porte en ce moment passerait ici pour impudique et de mauvaise vie.

[38] V. LIÈVRE, Angoulême au seizième siècle.

[39] Cette psychologie des habitants d'Angoulême donnée par DES RUES au dix-septième siècle, est curieuse à rapprocher de celle qu'a exposée BALZAC en tête du roman : Un grand homme de province à Paris. Les principaux traits concordent.

[40] DES RUES, op. cit. — LAETIUS, op. cit. (p. 61).

[41] Voir la description que LAETIUS donne d'après de Thou (Hist., lib. 5, anno 1573), op. cit. (p. 43). — La Rochelle était une des curiosités de la France pour le voyageur. On célébrait la force de ses murailles, ses privilèges, son commerce, les sièges qu'elle avait subis. GÖLNITZ dit, dans une expression énergique : Urbs fortis non indignos alit incolas (p. 574) et toute sa description, qui suit de près le siège de 1628, est intéressante. — La description de JOD. SINCERUS est au contraire antérieure à cette date. Il insiste sur l'insolence des habitants. Ils sont bons matelots, dit-il, avides et pleins de superbe, et rendus plus audacieux encore par les sucres qu'ils ont remportés dans les guerres récentes. Aujourd'hui si on passe les portes de la ville, on y trouve couché à terre, un gros de la lie du peuple qu'il nuit saluer chapeau bas ; sinon, ils vous jettent à bas de cheval. Il y a des Allemands très connus qui ont prouvé ce que je dis. Cependant j'ai observé, ajoute le voyageur, que les premiers de la cité ne sont pas aussi mal appris. Personnellement, j'ai reçu le meilleur accueil du maire à qui nous avions été recommandés ; il vint nous saluer entouré de quatre sénateurs et de sa garde ordinaire, et nous lit dignement les honneurs de la ville. Op. cit. (p. 82).

[42] LAETIUS, op. cit. (p. 67).

[43] ANDRÉ DUCHESNE (p. 750).

[44] Mémoires de la Vie de Jacques-Auguste de Thou. Édit. de Rotterdam, 1711, in-4° (p. 58). — Chronique Bordeloise, par JEAN DE GAUFRETEAU, Bordeaux, 1877, in-8° (t. I, p. 321).

[45] DE THOU, op. cit. (p. 60). — En 1600, le Père Castella, partant de Bordeaux pour se rendre à Marseille, fut attaqué auprès de Toulouse par des laboureurs armés qui se livraient au métier de voleurs de grands chemins ; grâce à un de ses compagnons qui tira l'épée, il échappa à ce danger. Le Saint Voyage de Hiérusalem, Bordeaux, 1003, cité par BABEAU, Voyageurs en France... (p. 166). — La présomption des Béarnais est signalée par TALLEMANT DES RÉAUX, éd. Techener, in-12° (t. VI, p. 70). Il cite les proverbes : Li Béarn y sont sù l'autre gent, couine l'or est sù l'argent. Et encore : Qui a bist Pan n'a mai bist un tan. — Qui a bist Oléron a bist tout le mond : — Ortez grand cose es. — Qui a bist Morlas pe ben dire : Hélas ! Et ce sont toutes bicoques, observe Tallemant.

[46] Proverbe cité par PAPIRE MASSON : Descriptio flummun Galliæ, Paris, Jacques Quesnel, 1618, in-12° (p. 536). — Il parait qu'il faut lire pour être correct :

Lu non es bon Gasconet

Que no sab dize :

Higue, bogue, hagasset.

Voir l'échange d'observations qui s'est produit, à l'occasion de la publication de ce proverbe, dans la Revue des Deux-Mondes, entre la Revue de Gascogne, n° de septembre-octobre 1890 (p. 457), et les Annales du Midi, n° de janvier 1891 (p. 77).

[47] Sur Toulouse et les environs, cf. LE ROUX DE LINCY (t. I, p. 379). LAETIUS, op. cit. (p. 77). GÖLNITZ (529-540). JOD. SINCERUS (p. 106) ; celui-ci se plaint des tuteurs déréglées des étudiants. Il reconnait d'ailleurs l'importance de l'Université : Hodie jurisprudentiæ maxima nutrix. Cf. BABEAU, Voyageurs... (p. 72). — Sur l'école de Toulouse, au point de vue de la diffusion des idées absolutistes, voir nos Études historiques sur le seizième et le dix-septième siècle en France, Hachette, 1886, in-12°, (p. 9).

[48] GÖLNITZ (p. 527).

[49] JOUVIN DE ROCHEFORT, Le voyageur d'Europe, Paris, 1672, in-12°, p. 153. — V. aussi l'impression favorable que Montpellier fit sur le landgrave de Hesse : Correspondance inédite de Henri IV avec Maurice le Savant, publiée par DE ROMMEL, Paris, Renouard 1840 (p. 59). — Tous les voyageurs qui venaient à Montpellier demandaient à voir la loge et le bonnet de Rabelais qui y étaient pieusement conservés. — V. GÖLNITZ (p. 513).

[50] JOUVIN DE ROCHEFORT (p. 148).

[51] Personne n'a mieux parlé de la Provence que Mme de Sévigné qui, au fond, ne l'aimait pas : Je crois de votre Provence toutes les merveilles que vous en dites, écrivait-elle à sa fille ; et si ce beau pays pouvait vous témoigner les obligations qu'il vous a, je suis assurée qu'il n'y manquerait pas. Je crois qu'il vous diroit aussi félonnement où il doit être de votre dégoût pour ses divines senteurs... Lettres de Mme de Sévigné, édit. des Grands Écrivains, Hachette, 1873, in-8° (t. III, p. 86.) — L'air de ce pays subtilise toutes choses. (III, 229). — Ce que vous dites des arbres qui changent est admirable ; la persévérance de ceux de Provence est triste et ennuyeuse ; il vaut mieux reverdir que d'être toujours vert. (III, 474) — Que vous êtes excessifs en Provence ; tout est extrême, vos chaleurs, vos sereins, les bises, vos pluies hors de saison, vos tonnerres en automne : il n'y a rien de doux ni de lymphe. Vos rivières sont débordées, vos champs noyés et abîmés, votre Durance a quasi le diable au corps. (VI, p. 69) ; et enfin, car il faut finir : M. le coadjuteur fit bien valoir la beauté de la Provence, et  comme tout y est vif, et passant, et brillant à cause de ces vaisseaux et de ces galères et de ceux qui vont et qui viennent d'Italie. (VII, 27).

Après cela les vers de Godeau paraitront bien plats ; je les citerai cependant ; car il connaissait trop la gueuse parfumée étant, un peu à son corps défendant, évêque de Grasse :

J'habite des rochers, mais que d'heureux destins

Ont partout parfumés de roses, de jasmins.

Du pied jusqu'aux sommets des arbres les tapissent,

Les riches orangers dans les plaines fleurissent,

L'émeraude en leur feuille étale sa couleur,

L'or brille sur le fruit et l'argent sur la fleur.

Cité par DE RIBBE, Les Familles et la Société en France avant la Révolution, Aubanel, 1873, in-12° (p. 127).

[52] JOUVIN DE ROCHEFORT, op. cit. (p. 119).

[53] Le Landgrave de Hesse vit avec admiration, dans le port de Marseille, soixante grands vaisseaux, sans compter plus de cent navires et les autres embarcations. ROMMEL (p. 58). Cf. GÖLNITZ (p. 469).

[54] Si les habitants étaient propres, la ville ne l'était pas : Aix a seulement ce défaut-ci que l'usage des fosses de privés n'y étant point reçu, il faut aller faire ses affaires sur le toit des maisons, ce qui empeste fort le logis et même toute la ville, principalement lorsqu'il pleut, l'eau entraînant dans les rues toute cette ordure, de sorte qu'il fait fort mauvais cheminer en ces temps-là ; aussi dit-on qu'à Aix il pleut m.... comme aussi à Marseille et à Arles. On voit que la réputation de saleté des villes du Midi n'est pas nouvelle (Voyage de JEAN BOUCHARD, p. 119).

[55] Cité par SAINT-GENYS, Histoire de la Savoie (t. II, p. 194).

[56] Sur l'attitude de Lesdiguières, souvent suspect, et sur ses relations avec la maison de Savoie et les princes italiens, voir : Maximes d'État et Fragments politiques du cardinal de Richelieu, publiés dans Collection des documents inédits, Mélanges (p. 801, note 4). — Voir aussi Rohan, Mémoires, éd. de 1636, in-4° (p. 120).

[57] GÖLNITZ, qui décrit avec soin le château de Vizille, appelle Lesdiguières : l'Antipater de Henri IV (p. 395). Cf. l'Histoire de Lesdiguières, par M. DUFAVARD (p. 271-278).

[58] Voir GÖLNITZ, op. cit., p. 283-336. La description que cet auteur donne de Lyon est particulièrement intéressante. Il y a inséré plusieurs documents curieux pour l'histoire de la ville et notamment des inscriptions latines. — Cf. JODOCUS SINCERUS (p. 161-181). — DES RUES. — ANDRÉ DUCHESNE, Antiquités... qui définit assez bien Lyon d'après Strabon, un fort et propugnacle situé bien à propos sur les trois advenues regardant l'Italie (p. 636). — PÉRICAUD, aîné, Notes et documents pour servir à l'histoire de Lyon sous Henri IV. — Id. sous Louis XIII, Lyon, 1846, in-8°. — Discours sur la réduction de la ville de Lyon à l'obéissance du Roy, par ANTOINE DU VERDIER, Lyon, 1594, in-12°, réimpression moderne.

[59] LAETIUS, Descriptio Galliæ (p. 57).

[60] Sur Auxerre, Livre des Proverbes français (II, p. 310), à propos du proverbe : Il est midi en Auxois. — Sur Sens, ibid. (p. 396), à propos du proverbe : chanteur de Sens. — Sur Montereau, AND. DUCHESNE, op. cit. (p. 356).

[61] Sur le flottage du bois, voir FRÉDÉRIC MOREAU, Histoire du Flottage des trains ; Jean Rouvet... etc. Paris, Dauvin et Fontaine, 1843, in-8°. L'auteur discute les titres de Jean Rouvet, bourgeois de Paris et marchand de bois, au titre d'inventeur du flottage en train, il pense que le premier train de bois à brûler à flotte qui ait suivi le cours de l'Yonne pour gagner Paris, a été organisé par un certain Charles Lecomte, en 1546. Un monument a été élevé à la mémoire de Jean Rouvet sur le pont de Clamecy, en 1828.— Voir aussi CH. NISARD, Étude sur le langage populaire ou patois de Paris et de la banlieue, Chap. 1er et chap. 2. Des Voies de communication, Paris, 1872, in-8°.

[62] Ce sont les sentiments de GÖLNITZ : Festinavimus ad insignem Parisiorum urbem.... Urbs quod in vallem depressa est propinquum quoque viatorem fallit ; eapropter suspiria et desideria evocat, auget iis qui, multum molestiæ in via devorarunt, priusquam dicere possunt :

Urbs orbi similis, toto et celeberrima mundo,

Musarum sedes, regina Lutetia, salve.

Francigenæ tu metropolis pulcherrima gentis,

Hospitio Regem grato, regisque ministros

Excipis et reliquas das jura supra urbes. (p. 146.)

[63] On s'est servi principalement, pour cette description de Paris, des plans de Vassalieu, de Mérian, de Tavernier reproduits dans le bel Atlas des Anciens plans de Paris et la Collection des documents publiés par la Ville qui fait partie de l'Histoire générale de Paris, notamment de la Topographie historique du vieux Paris par Berty. Une quantité de détails ont été puisés dans les monographies publiées par la Société de l'Histoire de Paris ou dans les collections de Carnavalet, éclairées par l'obligeante érudition de M. Cousin. Nous ne citons que pour mémoire le Dictionnaire de Hurtaut et Magny, les ouvrages de l'abbé Lebeuf, Jaillot, de Dulaure, de Hoffbauer, de Ménorval, et de Fournier : notamment la curieuse compilation des Variétés historiques et littéraires, les monographies historiques et en particulier la savante étude de M. Miron de l'Épinay, François Miron et l'Administration municipale de Paris sous Henri IV.

[64] Cité par BABEAU, Voyageurs... (p. 27).

[65] C'est du moins là que descend GÖLNITZ, chez Milton homme juste, dit-il, et de bonne réputation (p. 146).

[66] Le roi m'a dit pendant mon ambassade à Paris qu'il avait fait recenser la population de Paris et qu'on y avait constaté une augmentation de 100.000 âmes. CAREW, loc. cit. (p. 424). — Jean Cecil FREY dans son Admiranda Galliarum, évalue la population de Paris à 800.000 habitants (éd. Paris, 1628, in-12°, p. 30). — Rien n'est moins sûr d'ailleurs que ces chiffres : Dans son étude sur Paris en 1572, M. le baron. Alphonse de Ruble fait un calcul, assez douteux il est vrai, qui le conduit à prononcer le chiffre de 250.000 habitants. Tout ce qu'on peut dire de certain c'est que la ville comptait, à cette date, 25.000 feux imposés. — Les ambassadeurs Vénitiens donnent des chiffres beaucoup plus élevés. Navagio, dès 1528, parle de 3 à 400.000 habitants ; Cavalli, en 1526, de 500.000 ; Lippomano, en 1577, de un million ; F. d'Ierni, en 1596, ramène le chiffre à 350.000, (600.000, dit-il, avant les dernières guerres). — V. Mémoires Soc. Hist. de Paris (t. XIII, 1886, p. 3) et Bulletin, idem (1885, p. 169). — Le premier aspect, à la fois populeux et boueux de Paris est exprimé par les vers latins d'un voyageur contemporain :

De tous côtés circulent des groupes de bourgeois ; on croit pouvoir avancer et ou est, à chaque pas, arrêté par un encombrement ; de même que la ville est pleine de inonde, les rues sont pleines de boue... Mém. Soc. Hist. Paris, 1886 (p. 277).

[67] Les boues de Paris étaient célèbres. Il suffit de citer les proverbes : Les pots de chambre de Paris empoisonnent les rues. Les crottés de Paris, ce sont les étudiants ; — SAUVAL dit : Il n'y a rien de si puant, et de plus elles sont si noires qu'elles tachent toutes sortes d'étoffes ; d'où le proverbe : Il tient comme boue de Paris. — MALHERBE nous apprend, qu'en 1608, on avait pris des mesures pour enlever les boues ; mais il craignait que cela ne durât pas. (Édit. des Grands Écrivains, t. III. p. 79.) — MONTAIGNE malgré son admiration pour Paris, dit : Ces belles villes, Venise et Paris, altèrent la faveur que je leur porte par l'aigre senteur l'une de son marais, l'autre de sa boue. (Essais, édit. Charpentier, t. II, p. 65.)

[68] Sur l'état des rues à Paris, sur leur étroitesse et leur encombrement, voir ALFRED FRANKLIN, Estat, noms et nombre de toutes les rues de Paris en 1636... précédé d'une étude sur la voirie et l'hygiène publique à Paris depuis le douzième siècle, Paris, L. Willelm,1873, in-12°.

[69] Devenue rue Marie-Stuart, en 1809.

[70] Devenue rue de la Reynie, (décision du 27 juin 1822).

[71] Comprise, en 1851, dans la rue des Écrivains.

[72] A la descente de la Vallée-de-Misère ; supprimée en 1813.

[73] Supprimée. Elle allait du quai à la rue de la Huchette.

[74] THÉODORE DE BÈZE parle à diverses reprises des prisons du Châtelet où les protestants furent enfermés au début des persécutions : Florent Venot, dit-il, souffrit incroïables tormens en diverses prisons, l'espace de quatre ans et neuf jours Paris, jusqu'à estre l'espace de six semaines en une basse fosse appelée la chausse ù l'hypocras, pour la figure étant au bas estroite tellement qu'un prisonnier n'y peut estre ni couché ni debout, sinon sur le bout des pieds, trempant en l'eau et en l'ordure arec le corps courbé ; de sorte qu'au rapport de ceux qui ont la charge des prisons, il ne s'estoit jamais trouvé criminel qui eût pu endurer ce tourment quinze jours, sans en être à la mort ou transporté en son sens. Histoire ecclésiastique des Églises réformées de France (édit. Toulouse, 1882, in-4°, t. I, p. 47 ; voir encore p. 68).

[75] Consulter : le Châtelet de Paris, son organisation, ses privilèges... par CHARLES DESMAZE, Paris, Didier, 1870, in-8°. Sous les murs du Châtelet se vendait le poisson sur les pierres du roi, où étaient inscrits les noms de chaque espèce de poisson : la carpe, la raie... avec l'inscription suivante : Veiz ci li pierres à poissons ou jus nos murs la grand boucherie vent li poisson de mer et d'iaue doulce par congié de Philippe-Auguste. M. CLXXXII (p. 12). — Sur les prisons du Châtelet, voir le même auteur (p. 334-345).

[76] Voir DESMAZES, loc. cit. (p. 313) et ED. FOURNIER, Variétés historiques et littéraires (Bibliothèque Elzévirienne) Jeannet, 1855, in-12° (t. II, p. 109). La maison portant le n° 65 de la rue des Fossés Saint-Germain-l'Auxerrois occupe une partie de l'emplacement de la prison.

[77] Sur les vignes de Chaillot, voir Mém. Soc. Hist. Paris, 1886 (p. 165).— La gravure d'ISRAËL SILVESTRE reproduisant la vue de la Seine, vers Chaillot, a pour légende :

Venant à cette porte on a cet avantage

Qui ne se trouve pas aisément autre part :

C'est d'y voir tout d'un coup la ville et le village

Les traits de la nature et les effets de l'art.

[78] Voir la vue panoramique restaurée d'après le plan de Mérian dans Topographie historique du vieux Paris. Région du faubourg Saint-Germain (p. 169).

[79] L'hôtel de la Reine Marguerite occupait l'espace compris entre la rue de Seine et la rue des Saints-Pères, le quai et la rue Jacob. Il en reste encore aujourd'hui des fragments importants dans la cour du n° 6 de la rue de Seine. Après la mort de la Reine, en 1615, les jardins devinrent un lieu de réjouissance et de fêtes publiques. (Voir Variétés historiques et littéraires, t. I, p. 207 et 219). On trouvera au tome IV du recueil de M. ED. FOURNIER (p. 175), une note donnant l'état du palais, en 1614, avec ses trois corps de logis et son dôme.

[80] Le principal travail à consulter sur l'abbaye de St-Germain des Prés est la monographie de BERTY dans Topographie historique du Vieux Paris. Région du Bourg St-Germain, Paris, 1876. — Voir aussi Mémoire touchant la seigneurie du Pré aux Clercs, appartenant à l'Université de Paris (par EDME POURCHOT, 1694), réimprimé dans les Variétés historiques et littéraires (t. IV, p. 87-216). Les notes de M. ED. FOURNIER exposent la question en litige entre l'Abbaye et l'Université et citent les principales sources. — Voir aussi BOUILLART, Histoire de Saint-Germain des Prés et J. QUICHERAT, Les trois Saint-Germain de Paris (Mémoires de la Soc. des Antiquaires de France, 3e série, t. VIII, p. 156-180).

[81] La ville de Paris en vers burlesques, par le sieur BERTHOD (1652), réimprimé dans le Paris ridicule et burlesque au XVIIe siècle de P. L. JACOB (PAUL LACROIX), Delahays, 1859, in-12° (p. 97).

Vous, Seine, l'égout des privés

d'une si grande et sale ville.....

[82] Voir l'amusante plaquette : Combat de Cyrano de Bergerac avec le singe de Brioché, au bout du Pont-Neuf, en présence d'une nombreuse troupe du régiment des gens de l'arc-en-ciel c'est-à-dire de laquais et de gueux vêtus de toutes les couleurs. Var. Hist. et Litt. (t. I, 283).

[83] voir la curieuse collection des types et des costumes conservée au musée Carnavalet. — Sur les fonctions des officiers inférieurs de la marchandise parisienne, voir LE CARON, Les origines de la municipalité parisienne, 2e partie, dans Mém. Soc. Hist. Paris, t. VIII (p. 201 et 227).

[84] Voir BONNARDOT, Dissertations archéologiques sur les anciennes enceintes de Paris, 1852, in-4° et l'Appendice aux dissertations, publié en 1877.

[85] Voir dans le Roman Bourgeois de FURETIÈRE la description de l'église des Carme à la place Maubert : C'est le centre de toute la galanterie bourgeoise du quartier et elle est fréquentée à cause que la licence de causer y est assez grande. C'est là que sut le midi arrive une caravane de demoiselles à fleur de corde... suivies de leurs muguets ou galants... Cette assemblée fut bien plus grande que de coutume, un jour d'une grande fête qu'on y solennisait. Outre qu'on s'y employoit par dévotion, les amoureux de la symphonie y étoient aussi attirés par nn concert de Vingt-quatre violons de la grande bande ; d'autres y couraient pour entendre un prédicateur poli... avec la barbe retroussée, les cheveux fort frisée et affectant de parler un peu gras pour avoir le langage plus mignard. (Éd. Jannet, 1878, t. I, p. 9.)

[86] La première pierre de la façade de St-Étienne-du-Mont avait été posée, le 2 août 1610, par la reine Marguerite de Valois. L'élégante tourelle qui donne une figure si originale à cette façade triangulaire a une origine qui mérite d'être signalée : un acte publié par COCHERIS nous apprend qu'en 1609, l'abbaye de Ste-Geneviève, autorise, à titre de transaction, la fabrique de St-Etienne, à construire le grand portail de l'église sous la réserve qu'au coin du mur qui sera rebâti de nouveau sur le grand cimetière sera fait et construit une petite tourelle, retranchée en cul de lampe, pour marque de la seigneurie de Ste-Geneviève, contre laquelle tourelle seront mises et gravées les armoiries de la dite abbaye, qui sont trois fleurs de lys avec une crosse traversant l'écusson. Cf. BOURNON, Rectifications et additions à l'histoire de l'abbé Lebeur, Paris, Champion, 1891, in-8° (p. 194).

[87] Voir JOURDAIN, Histoire de l'Université de Paris au XVIIe et au XVIIIe siècle, Paris, Didot et Hachette, 1888,— et CH. DESMAZE, l'Université de Paris, 1876, in-12°. — Chacun des collèges de la Montagne Ste-Geneviève a été l'objet d'une étude intéressante dans l'ouvrage de l'ABBÉ LEBEUF (t. 150 et suiv.) — Voir en outre QUICHERAT, Histoire de Ste-Barbe, 1861, 3 vol. in-8°. — JOANNIS LAUNOII CONSTANTIENSIS, Regii Navaræ gymnasii Parisiensis Historia, 1677, 2 vol. in-4°. (Histoire du collège de Navarre). — EMOND, Histoire du collège Louis-le-Grand.

[88] Les Caquets de l'accouchée, édition Jannet (page 27.) Le cabaret où les étudiants faisaient de si bons repas et si chers était probablement celui de la Boisselière qui était le plus fameux de ce temps-là.

[89] Le petit Châtelet était un des monuments les phis curieux de l'Ancien Paris. Il avait été bâti par Hugues Aubryol en 1369 ; à demi-brûlé au XVIIe siècle (voir le tableau conservé à l'hôtel Carnavalet), il devait être démoli par suite des nécessités de la voirie, en 1782. M. BOURNON cite ce passage de Guillebert de Metz : Là est petit Chastelel, si espès de murs qu'on y meuroit bien par dessus une charrette. Si sont dessus ces murs beaux jardins ; là est une vis double, dont ceulx qui montent par une voie ne s'apperçoivent point des autres qui descendent par l'autre voie (loc. cit., p. 84).

[90] Le plan de Merlan donne l'hôtel de Nevers comme terminé ; en réalité, il ne le fut jamais. Mais le pavillon d'angle, construit sur le quai, était d'une grande beauté, si beau même que Henri IV en montra quelque jalousie : Un jour, dit Tallemant, en causant avec M. de Nevers et lui montrant son bâtiment : Mon neveu, lui dit-il, j'irai loger chez vous quand votre maison sera achevée. Cette parole du roi, peut-être aussi le manque d'argent firent arrêter l'ouvrage. (TALLEMANT, Historiettes, édit. in-12°, t. I, p. 91.)

[91] BOILEAU, Embarras de Paris.

Guénaud sur son cheval en passant m'éclabousse.

Guénaud était médecin.

[92] REGNIER parle de ces :

. . . tiercelets de poète,

Qui par les carrefours vont leur vers grimassans

Et par leur action font rire les passans.

Et SAINT-AMANT dit de lui-même :

J'ai vu notre fou de poète

. . . . . sur le Pont-Neuf

Tout barbouillé d'un jaune d'œuf

Faisant sa cour au roi de bronze

Depuis sept heures jusqu'à onze

. . . . . . . . . . . . . . . . .

Ses pauvres vers estropiés

Ont des ampoules sous les pieds

A force de courir les rues.

(t. I, p. 162.)

[93] La construction du Pont-Neuf fut commencée, le 31 mai 1578, sous Henri III. Interrompue pendant toute la période de la Ligue, elle fut reprise, sous Henri IV, en 1601, et poussée très activement. Le gros œuvre était achevé en juin 1603. Le 20 de ce mois le roy passa des Augustins au Louvre par dessus le Pont-Neuf qui n'était pas encore assuré, dit l'Étoile. La statue de Henri IV dont la maquette avait été faite, à Paris, par Franqueville, avait été fondue en bronze, à Florence, par Tacca, élève de Jean de Bologne, puis envoyée à Paris où elle n'était arrivée qu'après bien des vicissitudes ; elle avait été érigée, cheval et cavalier, sur l'emplacement actuel, le 23 août 1614. Mais le monument n'était pas complet. Il y manquait les bas-reliefs, les inscriptions et les quatre esclaves enchaînés qui devaient être mis aux coins du piédestal. Ce fut Richelieu qui, en 1635, fit compléter le tout. On sait que la statue a été détruite, le 12 août 1792. Voir E. FOURNIER, Histoire du Pont-Neuf, en 2 parties in-12e, Dentu, 1862 ; de LASTEYRIE, Documents inédits sur la construction du Pont-Neuf, dans les Mémoires de la Société de l'histoire de Paris, t. II, 1882 (p. 1 et suivantes). L'estampe de La Belle est le document le plus précis et le plus amusant sur la circulation qui se faisait par le Pont-Neuf, sous le règne de Louis XIII.

Sur la littérature spéciale du Pont-Neuf, voir Le Paris ridicule et burlesque au XVIIe et XVIIIe siècle du Bibliophile JACOB (PAUL LACROIX). — Les Chansons de Gaultier Garguille avec Introduction et notes par ED. FOURNIER, Paris, Jannet, 1858, in-12°. — Sur Tabarin, V. Farces Tabariniques dans le Théâtre Français au XVIe et au XVIIe siècle, publié par ÉDOUARD FOURNIER (t. I, p. 498), et les Œuvres de Tabarin, publiées par GUSTAVE AVENTIN, dans la Bibliothèque Elzévirienne de Jannet, 1858. 2 vol. — Cf. Mondor et Tabarin seigneurs féodaux par LE PAULMIER, Soc. Hist. de Paris (t. X. p. 179), et enfin les Œuvres de SAINT-AMANT publiées par CH. L. LIVET (t. I, p. 161 (notamment La Gazette du Pont-Neuf à M. de Boisrobert).

[94] Voir les documents réunis dans l'Incendie des Palais de Paris en 1618. Relation de RAOUL BOUTRAY réimprimée par HIPPOLYTE BONNARDOT, Paris, Willem, 1879, in-12°. Voir également Accident merveilleux et espouvantable du désastre arrivé le 7e jour de mars... d'un feu irrémédiable lequel a bruslé et consommé tout le palais de Paris... réimprimé dans Var. histor. et litt. (t. II, p. 139). — Cf. le Mercure François de 1618 (t. V, p. 25). — Sur la Galerie du Palais, voir la notice insérée en tête de la pièce de Corneille dans l'édition des Grands Écrivains, hachette, 1862, in-8° (p. 5). La gravure d'Abraham Bosse, qui est de 1637, s'y trouve reproduite. — Ajouter des entraits de la relation de TH. CORYATE dans les Mélanges de la société de l'histoire de Paris (t. VI, p. 32) et enfin LA ROCHE-FLAVYN, Treize livres des parlements de France, Genève 1621, in-4°. Belle description du Barreau et grand sale de l'audiance du Palais à Paris ; Discours des fleurs de lys desquelles les sales de l'Audiance du Palais sont tapissées, etc., p. 375 et suiv.

[95] Sur la difficulté d'accès aux ponts, voir un passage curieux de DULAURE, édit. 1856, in-4° (t. II, p. 14-16). — Le pont au Change avait été reconstruit dans d'assez mauvaises conditions à la fin du XVIe siècle. Il devait être à moitié entraîné par un débordement de glaçons, en 1616, et entièrement brûlé, en 1621. BOURNON applique ce dernier détail au Pont Marchand. On y trouvait surtout les boutiques de marchands d'encre et autres fournitures de bureau ainsi que les forges d'orfèvres et les boutiques de changeurs. V. Variétés historiques et littéraires (t. I. p. 209 ; t. II, p. 23). — Le Pont aux Oiseaux avait été détruit, en 1596, par une inondation ; il avait été reconstruit en 1606 (BOURNON dit 1604), par G. BOURNON, dit Charles Marchand dont il portait aussi le nom. On l'appelait encore Pont-aux-Meuniers. Il était entre le Pont-au-Change et le Pont Neuf et débouchait en face le for l'Évêque. (Var. hist. et litt., t. II, p. 276.) — Le Pont Notre-Dame était couvert de trente-quatre maisons décorées de statues colossales représentent de grands termes d'hommes et de femmes, ibid. (II, 41). Voir l'admiration qu'il inspire à Thomas Coryate. Il le trouve plus beau que le Pont-Neuf (loc. cit., p. 30). — Sur la construction du Pont Notre-Dame, en 1499, voir le mémoire de LEROUX DE LINCY dans Bibliothèque de l'École des Charles (2e série, t. II, p. 32 et s.).

[96] Les vers qu'un auteur déjà cité, Antoine de Rombise, consacré à Notre-Dame, expriment assez exactement le genre d'intérêt que cette église éveillait chez les contemporains de Louis XIII :

Non loin de là sur l'autre rive, se trouve l'église de Notre-Dame qu'un zèle pieux a décoré richement. Tout y est admirable : sa masse n'a pas d'égale eu France ; ses fondations sont baignées par l'eau et cent vingt colonnes portent sa nef ; dans son immense façade s'ouvrent six larges baies ; plus haut deux tours pareilles se dressent. Au-dessus de l'entrée, les vieilles statues des rois sont rangées les unes auprès des autres Cet édifice a été commencé par un évêque qui vivait au temps où Charlemagne répandait la loi chrétienne dans le monde. Mém. Soc. Hist. de Paris, 1836, p. 278.

[97] Sur la fréquence des épidémies à Paris, notamment de 1606 à 1631, voir les Ordonnances faites et publiées à son de trompe... pour éviter le danger de la peste, (avec la liste des épidémies), par le Dr ACH. CHÉREAU, 1863, in-12°. — Cf. Mesures prises contre le choléra à Paris (Bulletin Société Histoire de Paris, 1874, p. 86.)

[98] Sur les parties des bourgeois de Paris à l'île Louviers, voir Var. hist. et litt. (I, 219). — Sur la construction des ponts Marie et des Tournelles ou de la Tournelle, voir DULAURE (t. II, p. 14-16) et surtout l'étude de M. BERTY, Les trois Rois de la Cité.

[99] Voir le très curieux Guide archéologique dans Paris, de M. CH. NORMAND, à qui Paris doit tant pour la conservation des monuments historiques.

[100] Voir l'importante monographie. que M. F. BOURNON a consacrée à l'Hôtel Royal Saint-Pol dans Mém. Soc. Hist. de Paris (t. VI, p. 54-179).

[101] Voir les Dissertations déjà citées de BONNARDOT sur les enceintes de Paris. En ce qui concerne les divers noms et les diverses explications du lieu dit : La Grange-Batelière, voir BOURNON, Rectifications (p. 45). — Sur le plan de Mérian, la Grange Batelière est représentée comme un monument assez imposant, mais à demi ruiné.

[102] Voir BERTY, Fouilles du Louvre (t. I, p. 125, note).

[103] La place Royale, commencée sous Henri IV, fut achevée, en 1615, à l'occasion des fêtes qui accompagnèrent les fiançailles de Louis XIII et d'Anne d'Autriche. Voir la description de ces fêtes données sur la place Royale dans le Journal de BASSOMPIERRE, édit. Soc. Hist. de France (t. I, p. 300-408). Cf. Le Camp de la place Royale par LAUGIER DE PORCHÈRES, 1612.

[104] Voir l'excellente notice de M. DE CURZON, La Maison du temple de Paris, Paris, 1888, in-8°.

[105] François Miron et l'administration municipale de Paris sous Henri IV, de 1604 à 1606, par A. MIRON DE LPINAY, Plon, 1885, in-8° (p. 170).

[106] Ibid., p. 282. — Cf. Procession sur le sujet des États Généraux de 1614, extrait des registres de l'Hôtel de Ville. Bibliothèque Nationale, Cabinet des Mss. Cinq Cents Colbert, vol. 143 (f° 101 à 107). — Voir aussi le Traité de la Police de DELAMARE, t. I.

[107] Pour les églises de Paris, je ne puis que renvoyer à l'ouvrage de l'abbé LEBEUF, Histoire de la ville et de tout le diocèse de Paris, réimprimé en 1883 ; aux Rectifications et additions de M. FD. BOURNON, Paris, Champion, 1890, in-8°, un demi-volume ; à l'ouvrage de JAILLOT, à celui de M. BORDIER, les Églises et monastères de Paris, paru en 1856, in-12°, etc.

[108] Voir le mémoire de M. BERNHARDT sur les Corporations des Ménétriers dans Bibliothèque École des Chartes (t. III, p. 390).

[109] Cette tour, commencée en 1510, fut terminée eu 1522. L'église fut vendue et démolie en l'an V.

[110] L'église Saint-Eustache, malgré son vaste vaisseau d'apparence gothique, est un monument relativement moderne. La première pierre en a été posée en 1532 ; mais la construction fut très lente, car l'inscription commémorative de la consécration est de 1637, seulement. Encore le portail, dont les proportions et l'architecture sont d'ailleurs si peu en rapport avec le reste de l'édifice, n'a-t-il été commencé qu'en 1751. Quoiqu'à demi achevée, l'église de Saint-Eustache n'en avait pas moins an début du dix-septième siècle, une grande réputation, et ses curés étaient très populaires. Pendant la Ligue, la conduite de l'un d'entre eus, René Renon, avait accrédité le proverbe que personne ne peut être curé de Saint-Eustache s'il n'est fou. F. BOURNON, Rectifications et additions (p. 28).

[111] Sur l'emplacement des anciennes halles ce que nous avons de plus précis est l'étude de M. VITU : La maison des Pocquelins aux piliers des Halles, dans Mém. de la Soc. Hist. de Paris (t. XI, p. 219-206). On y voit que le périmètre des halles était délimité au sud par la rue aux Fers et la rue de la Ferronnerie ; à l'ouest par la rue de la Tonnellerie, section dite des Grands-Piliers, dont le tracé était identique, du côté du sud, à celui de la rue actuelle du Pont-Neuf ; au nord par la rue de la Tonnellerie, section dite des Petits-Piliers, absorbée par le tracé actuel de la rue Rambuteau ; à l'est par la rue Mondétour et la rue de la Lingerie ; (p. 270). Sur les différentes halles, halle aux blés, halle à la marée, poterie d'étain, halle aux poirées, etc., voir ibid., p. 271, et pour lire de curieux détails sur les trois monuments élevés sur la place des Halles : le Pilori, ou on ne piloria plus guère à partir de 1633, la Fontaine des Halles rebâtie en 1601 et alimentée d'eau par François Miron en 1604-1605, et enfin la Croix où les débiteurs insolvables venaient faire cession de leurs biens et recevoir le bonnet vert de la main du bourreau (p. 275).

[112] La Chronique scandaleuse du Paris ridicule, par CLAUDE PETIT, réimprimée dans Paris ridicule et burlesque (p. 55).

Quel plaisir de voir dans la rue

Les porteurs aux goussets puants

Et ces laquais aux pieds suants

Se promener à pas de grue...

— Voir L'ABBÉ GALIANI, Dialogues sur le commerce des blés (éd. 1770, in-8°, p. 44).

[113] Voir la série des Cris de Paris de Brébiette et celle d'Abraham Bosse à l'hôtel Carnavalet. — Cf. Les Cris de Paris dans Paris ridicule et burlesque (p. 299) ; — et le volume de VICTOR FOURNEL, Les Cris de Paris, types et physionomies d'autrefois, Paris, Firmin-Didot, 1888, in-8°.

[114] L'ambassadeur Vénitien, Pietro Duodo, donne des détails bien curieux sur l'enterrement des morts à Paris, sans cercueil ni caisse, le corps dans un simple linceul, porté sur les épaules des plus proches parents et au bruit des cloches payé par ceux même qui n'ont pas de quoi manger. V. Rel. deg. amb. Ven., X, t. XV (p. 113).

[115] V. la description de la Fête-Dieu à Paris dans le Voyage de TH. CORVATE. Il dit : Si quelque protestant sincère, ennemi des superstitions se trouvait là quand tout le monde s'agenouille et qu'il manqua d'honorer le Sacrement comme les autres, je crois qu'il serait massacré ou tout au moins fort maltraité. (Loc. cit., p. 38).

[116] Sur l'insolence des pages et laquais et sur les mesures qu'on est obligé de prendre contre eux, sous Louis XIII, voir DULAURE, Histoire de Paris, édit. Dutertre, 1836 (t. III, p. 50). Les laquais étaient habillés de gris, ce qui les faisait appeler grisons. Var. hist. et litt. (t. I, p. 283).

[117] En 1614, des bandes de voleurs, notamment celle des Manteaux-Rouges, désolaient Paris. On en prit vingt-deux en une seule rafle. (Var. hist. et litt., t. I, p. 198.) — Fournier observe aussi que les gens de justice, même avocats et procureurs, passaient pour piliers de taverne et brelans :

Mais vous ne dites pas qu'ils sont fort débauchés

Et que tout leur étude est de jouer aux billes,

A la houle, à la paume, aux caries et aux quilles.

Voir la Réponse et la misère des clercs de procureurs, par MM. Choiselet et consorts ses disciples... 1638. Ibid., (p. 190). — En 1623 une bande d'assassins désolait le faubourg Saint-Germain. Aussi le Parisien n'osait sortir le soir : Ils ont cette particularité, écrit Davity, qu'ils ne bougent point de leur logis, la nuit... de sorte qu'une personne qui se trouve parmi les tireurs de manteaux ne doit espérer, après Dieu, qu'en ses mains ou en ses pieds. DAVITY, Les États, Empires, etc., in-fol., 1635 (p. 75).

[118] Voir le Voyage d'un bourgeois de Paris à Fontainebleau dans Mém. Soc. Hist. de Paris, et aussi Dialogue fort plaisant et récréatif de deux marchands : l'un est de Paris et l'autre de Pontoise..., etc. 1573, réimprimé dans Variétés historiques et littéraires (I, 75).

[119] Voir le très rare opuscule : Ordre et cérémonie observée tant en la descente de la citasse de Madame Saincte Geneviefre patronne de Paris qu'en la procession d'icelle, par L. LELIEPVRE. A Paris, chez Jean du Carroy, imprimeur, demeurant en la rue de Rheims, près le collège, 1611, in-8°.

[120] Voir notamment le livre de M. FAGNIEZ, l'Industrie en France sous Henri IV, Paris, 1883, in-8°. — Cf. le Calendrier des confréries de Paris, par J.-B. LE MASSON publié par M. l'abbé VALENTIN DUFOUR, Paris, Willem, 1875, in-12°, avec, en appendice, la liste des soixante et une bannières établies par ordonnance de Louis XI. — Voir encore Registre des délibérations et ordonnances des marchands merciers de Paris, 1590-1696, publié par S.-C. SAINT-JOANNE, Paris, Willem, in-8°. — V. enfin le Guide des corps de marchands, Paris, 1765, in-12°. — La question des corporations parisiennes est traitée avec des détails nouveaux dans l'étude de M. ALFRED FRANKLIN : Les Armoiries des corporations ouvrières de Paris, dans Mém. Soc. Hist. de Paris, t. X, 1883 (p. 127-178) et dans A. FORGEAIS, Numismatique des corporations parisiennes... d'après les plombs historiés trouvés dans la Seine. — L'ordre officiel des six corps de métier, en 1611, est le suivant : drapiers, épiciers, merciers, pelletiers, bonnetiers, orfèvres et, on plus, les marchands de vins qui sont reconnus par le Roi, mais non acceptés par les autres corps. ALF. FRANKLIN : Armoiries et corporations (p. 116).

[121] L'esprit de la bourgeoisie parisienne à l'époque dont nous parlons n'est nulle part exprimé avec plus de précision pittoresque que dans le curieux pamphlet intitulé Les Caquets de l'accouchée et réimprimé de nos jours dans la Collection Jaunet. Ce petit livre, qui a une importance politique très réelle et ni, je ne suis pas éloigné de chercher la pensée de Richelieu avant son arrivée aux affaires, a paru d'abord en opuscules séparés dans le courant de l'année 1622. On ignore le nom de l'auteur ; mais c'était un homme de beaucoup d'esprit et de bon sens et qui connaissait à fond les mœurs et le tempérament de la bourgeoisie parisienne. — Voir notamment, sur la façon dont le commerçant parisien s'enrichit et monte aux charges : Je ne sais si vous savez qu'un apothicaire a quitté la moitié de sa boutique pour acheter un office de secrétaire ; et qui plus est, savez-vous que femme et fille pleurent ses pertes tous les jours... Mais que dirai-je pas des chirurgiens qui donnent des offices de contrôleurs ou semblables qui valent quinze à seize mille francs à leurs filles ; il ne leur manque que le masque qu'on ne les prenne pour des damoiselles... etc. (p. 98). Voir encore l'Anti-Caquet (P. 242). — Sur les résidences de la bourgeoisie sur la rive gauche de la Seine. Voir Jacques Sainte-Beuve, in-8°, et surtout A. BERTY et TISSERAND, Topographie historique du vieux Paris. Région du bourg Saint-Germain, région du faubourg Saint-Germain et région occidentale de l'Université (p. 433 et suivantes).

[122] Sur l'usage des carrosses en 1618, on trouve des détails curieux dans Var. hist. et littér. (t. II, p. 282-284). Le bon Panurge autrefois, chez M. François Rabelais, avait appelé cette ville, la ville des bouteilles et des lanternes ; j'ajoute et des carrosses... Plaisant Galimatias, etc. (p. 284).

[123] Voir Caquets de l'Accouchée (p.99). J'étois en fort honnête compagnie l'autre jour, où il arriva un jeune muguet vêtu à l'avantage, avec l'habit de satin découpé... etc. Après qu'il fut sorti je m'empestais qui c'était : l'un me dit qu'il était fils d'un chirurgien.

[124] RÉGNIER, Satires, III, v. 56.

[125] Voir Discours nouveau sur la Mode. A Paris, chez Pierre Ramier, 1613, in-8°. Réimprimé à part par M. Castaigne, en 1830, et ensuite dans les Variétés histor. et litt. (t. III. p. 211), sons le titre : le Satyrique de la Court. — Cf. le Courtisan à la mode (t. IX, p. 351). N'en déplaise à MM. nos courtisans, ils aiment les choses petites : le chapeau petit, la barbe petite en queue de canard, le petit manteau à la clistérique, la petite épée, et foi de Platon. le plus souvent la bourse petite... Diogène François, réimprimé, ibid. (t. I, p. 12). — Voici un costume de page très élégant décrit par Malherbe : le duc de Nevers était accompagné... de dix ou douze pages fort bien vêtus de capots, jupes et chausses de drap jaune, en broderie de blanc et noir, fort bien et richement ; ils avaient tous des bonnets de velours à la façon de ces chapeaux d'Espagnols qui ont une pointe plate et de fort grandes fraises et tous des bas, attachés, avec l'épée au côté. Lettres de MALHERBE (t. III, p. 463). — Turenne, écrit, en 1631: Mon frère avait trouvé nécessaire que je me fisse encore faire un habit, n'en ayant que deux à porter, mon noir et le mien rouge en broderie que je porte fort et qui passe ; on reconnaît bien toutefois que ce n'est pas un habit fait cette heure. Tout le inonde jusqu'aux moindres dépensent prodigieusement et ils s'imaginent que cela est honteux de porter deux fois, dans les grandes assemblées, des habits qui leur coûtent deux ou trois mille francs. C'est une grande folie de se ruiner au point qu'ils fout pour des choses qui mettent si peu un homme en réputation. V. Correspondance de Richelieu (t. IV, p. 296, note). — On racontait qu'un peintre romain, ayant voulu représenter chaque nation dans son costume spécial, avait dû figurer le Français tout nu avec une pièce d'étoffe sous le bras et une paire de ciseaux à la main pource qu'il n'y a que le Français pour changer journellement de mode et façon de se vestir et habiller, ce que les autres nations ne font jamais. Var. hist. et litt. (III, 212, et IX, 355) — Malherbe dit : les Espagnols sont habillés à leur mode tandis que les Anglais le sont à la nôtre : aussi ne distingue-t-on ceux-ci que par le langage (t. III, 206). — Pour les costumes décrits au texte, je me suis servi des Suites de Courtisans et de Dames de JACQUES CALLO.

[126] Un joli proverbe du midi de la France fait allusion à ces politesses obséquieuses qui allaient parfois jusqu'à la lassitude : Nous allons faire, dit-il, comme les consuls de Belvezet, qui en moururent se raccompagnant. Belvezet est dans le Gard.

[127] Sur les Juifs de Paris et notamment sur les fripiers de la rue de la Tonnellerie, voir Var. hist. et litt. (t. I, p. 151).

[128] Sur les costumes de femmes, voir dans les Variétés historiques et littéraires l'index au mot Modes. Le masque et le vertugadin étaient les traits caractéristiques du costume féminin, selon le quatrain :

Les masques et vertugades

D'un tel crédit se sont ornés

Que les femmes seroient malades

Sans leurs culs et leur cachenez.

A la réception du duc de Longueville la reine était masquée qui fut cause qu'on ne put rien juger de sa passion par son visage. MALHERBE (III, 131). Cependant le masque était réservé aux daines de la cour. (V. Caquets de l'Accouchée, p. 96), et le chaperon n'était plus porté que par les femmes de la petite bourgeoisie (ibid., p. 20). — Sur les odeurs dont on se parfumait et sur les huiles de lieur d'oranger dont on se frottait les cheveux pour y arrêter la poudre, voir MALHERBE (III, p. 31).

[129] Sur la Bièvre et sa puanteur qui rend la Seine malade, sur la qualité tinctoriale de ses eaux, d'ailleurs mise en doute, sur ses débordements, voir Var. hist. et litt. (II, 226). Discours sur l'inondation arrivée au faubourg Saint-Marcel-lès-Paris... en 1625.

[130] Les Académies de toutes sortes au faubourg Saint-Germain. (Var. hist., II, 271 et IV, 188.)

[131] Ainsi on peut dire que le lieu naturel des filles de joie à Paris est les marais du Temple et le faubourg Saint-Germain, comme le vrai lieu de la comédie est l'hôtel de bourgogne. Var. hist. et litt. (t. II, p. 316).

[132] TALLEMANT DES RÉAUX. Ed. Techener, in-12° (t. II, p. 262).

[133] Sur les danses du temps, voir Miroir du Contentement réimprimé par Fournier dans les Var. hist. et litt. (t. II, p. 17) et, notamment, son commentaire sur le passage suivant :

Jean sait la pratique

De toute sorte de musique,

De rondeaux, ballades, chansons,

Les voltes de toutes façons,

Les courantes, la sarabande

Et des branles toute la bande,

Même celui des bons maris

Qu'on vouloit danser à Paris.

Des Bretons la drue carole

Et la pavane à l'espagnole.

S'il faut danser les matassins

Il n'a les pieds dans des bassins,

Dispos pour danser la sissaigne

Autant qu'une chèvre brehaigne.

[134] C'est Bassompierre qui donne le mieux la note des façons plus raffinées que réellement polies, qui étaient celles de la société française au lendemain de la mort de Henri IV. — En matière de civilité, on en était encore au petit livret d'Érasme sur la Civilité morale, au Quod decet et au traité de la Civile Honnêteté, paru en 1560. Courtin n'avait pas encore publié son traité de la Civilité Françoise qui a en tant de succès et de si nombreuses éditions. L'imitation des Italiens était de mode plus que celle des Espagnols qui ne pénétra qu'un peu plus tard, à ce qu'il me semble. En 1614, on ne rencontrait quelque chose des mœurs espagnoles que chez les militaires. A ce point de vue, les œuvres de Brantôme offrent un témoignage intéressant de l'état d'esprit des premiers français hispaniolisés. Il écrivit, vers l'an 1600, son livre des Rodomontades espagnoles dédié à la reine Marguerite et qui, malgré une nuance d'ironie, laisse percer une admiration sincère pour les qualités de l'ennemi héréditaire d'alors. — On commençait aussi à lire, en France, le Courtisan, de BALTHAZAR GARCIAN, les Apophtegmes sur Tacite qui étaient le fond de la littérature politique espagnole à cette époque, et le Traité de la Cour ou Instruction des Courtisans, de M. DU REFUGE. — Pour en revenir aux conversations galantes, la lecture de l'Astrée, paru en 1610, donnait le ton et mettait une note pastorale assez bizarre dans le langage passionné de ces cavaliers un peu rudes. Un curieux livre, paru, il est vrai, en 1632 seulement, nous donne une idée de ce langage précieux : ce sont Les Compliments de la Cour, publiés à la suite du Courrier des Affaires publiques, par le sieur DU PERIER, Paris, Jean Corrozet, 1632, in-12°. Le cavalier s'excuse de ne pouvoir écrire à sa dame parce qu'il est en voyage, dans les termes suivants : Je manque à mon devoir, ma belle, mais cette faute a une parfaite excuse qui me garantira, s'il vous plait, de tout crime, c'est l'inconstance de mon séjour. J'appelle à témoin lues volontés devant la divinité de votre bel esprit et invoque les cieux pour vous dire si jamais autre soin a touché mon cœur que votre souvenir... La France doit une grande reconnaissance aux esprits vigoureux qui ont réagi contre cette tendance et qui l'ont ramenée au bon sens simple et à l'élégance mesurée.

[135] Autre proverbe sur Paris :

Paisible domaine,

Amoureux verger,

Repos sans danger,

Justice certaine.

[136] Si vous revenez à Paris d'ici deux ans vous ne le connaitrez plus, écrivait Malherbe à Peiresc, le pavillon du bout de la galerie est presqu'achevé ; la galerie du pavillon au bâtiment des Tuileries est fort avancée : les fenêtres à l'étage du bas sont faites ; l'eau de la rompe du Pont Neuf est aux Tuileries ; mai ; le plus grand changement est à l'ile du Palais, où l'on fait un quai qui va du Pont-Neuf au Pont aux Meuniers (ou Pont Marchand), comme l'autre va du Pont-Neuf au l'ont Saint-Michel. On fait, en cette tem ile, une place que l'on appellera Dauphine à ce que l'on dit. et qui sera très belle et bien plus fréquentée que la Royale... Il y a à cette heure grand ordre à Paris pour les boues... etc. Lettres (t. III, p. 79).

[137] Le passage de MONTAIGNE est dans les Essais. Édit. Charpentier, in-12° (t. IV, p. 95) — Comment ne pas citer, en terminant, le mot touchant du poète MAYNARD :

J'aime Paris et cette amour

M'a fait souvent verser des larmes.

Œuvres poétiques publiées par Gaston Garrisson. Lemerre, 1855, in-12° (t. Ier, p. XIII). — Sur un ton tout différent, le sonnet comique de Scarron vaut une longue description :

Un amas confus de maisons,

Des crottes dans toutes les rues ;

Ponts, églises, palais, prisons,

Boutiques bien ou mal pourvues ;

Force gens noirs, roux et grisons,

Des prudes, des filles perdues ;

Des meurtres et des trahisons ;

Des gens de plume aux mains crochues ;

Maint poudré qui n'a point d'argent,

Maint homme qui craint le sergent,

Maint fanfaron qui toujours tremble ;

Pages, laquais, voleurs de nuit ;

Carrosses, chevaux de grand bruit :

C'est là Paris. Que vous en semble ?

[138] Toutes ces indications et celles qui suivent sont empruntées soit aux estampes contemporaines, soit à l'excellente étude de BERTY : Topographie historique du Vieux Paris : Région du Louvre et des Tuileries (t. II, p. 58-108). Voir notamment (p. 104) la reproduction d'un dessin contemporain : s Vue du Louvre comme il était en 1615. — Le poète Maynard parle dans un de ses poèmes :

De ces superbes galeries

Dont l'incomparable longueur

A joint le Louvre aux Tuileries.

[139] Voir Mémoires Société Histoire de Paris (t. XIII, p. 175).

[140] Ce rapprochement entre la grandeur du palais et celle du royaume était déjà dans l'esprit des Français du dix-septième siècle. TAVANNES a dessiné, dans ses Mémoires, le plan idéal du Louvre, tel que l'avait conçu Henri IV. Le passage de cet auteur est aussi curieux pour l'historien que pour l'archéologue : Si le roi Henri IV eut vécu, dit-il, aimant les bâtiments comme il faisoit, il pouvoit en faire un remarquable, achevant le corps de logis du Louvre, dont le grand escalier (celui de Henri II) ne marque que la moitié et, au bout d'icelui, faire cette nième galerie que celle qui est à la sortie de sa chambre (la galerie de Charles IX) en tirant sur la rue St-Honoré et, depuis là faire une pareille galerie que celle qui regarde la rivière qui allait finir entre le pavillon des Tuileries qui n'est pas fait, et l'écurie... et, ruinant toutes les maisons, entre les deux galeries du Louvre et les Tuileries, se fut trouvée une grande cour admirable... il faudrait aussi ôter la chapelle de Bourbon et tous les bâtiments qui sont entre le Louvre et St-Germain l'Auxerrois... se contentant de cette grande place qui serait depuis le Louvre jusqu'à St-Germain... Mais à la vérité, pour faire de tels bâtiments, il faudrait que le roi de France frit au moins seigneur de tous les Pays-Bas et bornât son État de la rivière du Rhin, occupant les comtés de Ferrette (Alsace), de Bourgogne, de Savoir, qui seraient les limites envers les montagnes d'Italie et, d'autre part, le comté de Roussillon et ce qui va jusque proche des Pyrénées. Mémoires du sieur de TAVANNES, coll. Petitot, t. XXV, p. 203. Citation empruntée à BERTY (II, p. 97).

[141] Le roi, pour les réceptions solennelles, se mettait sur un perron au bout de la galerie dorée ; aujourd'hui la galerie d'Apollon. Journal de JEAN HÉROARD sur l'enfance et la jeunesse de Louis XIV (Paris, Firmin-Didot, 1863, in-8°, t. II, p. 140, note). — La chambre du conseil est en la salle du vieil corps d'Hôtel, à main droite en entrant ; son entrée et sortie est par le bas du grand escalier ; le logement du roi est dans le grand pavillon ; ceux des Reines sont au côté gauche, en entrant, la Reine régnante, en haut, et la Reine-mère aux salles basses et aux chambres d'entresols... Mercure françois, 1611, t. IV, p. 195.

[142] C'était le valet de chambre du Roi.

[143] Œuvres complètes d'AG. D'AUBIGNÉ. Édit. RÉAUME ET CAUSSADE, Lemerre, 1877, in-8° (t. II, p. 390). — L'assiduité était la première qualité du courtisan : M. le maréchal Desdiguieres dit qu'un bon courtisan ne doit jamais passer un jour sans voir le Roi. Plaisant Galimatias, dans l'ar. hist. et litt. (t. II, p. 299). — Richelieu croit qu'on peut y mettre plus de retenue. Il y en a qui ont coutume de voir le Roi tous les jours et j'estime que c'est chose qui agrée à gens d'épée qui ne sont à la Cour que pour cela... pour ce aux premiers jours de mon arrivée à la cour, je me présenterai tous les jours jusqu'à ce que je connaisse qu'il est content ou de m'avoir parlé ou écouté... après, c'est assez de se faire voir à Paris une luis la semaine et à Fontainebleau, de deux jours en deux jours. Mémoire d'A.-J. DU PLESSIS DE RICHELIEU, publié par A. BASCHET, 1831, in-8°. (p. 12). — La physionomie générale de la cour dans les premières années du règne de Louis XIII, ressort particulièrement de la lecture du Journal de BASSOMPIERRE et des Lettres de MALHERBE. Il faut aussi consulter les Mémoires de BEAUVAIS-NANGIS.

[144] Au baisemain du Roi d'Espagne et de l'Infante, il paraissait si peu de gens que nous qui étions accoutumés à ces confusions de France dans les moindres cérémonies, nous en trouvions surpris, cela ne répondant pas, ce nous sembloit, à la grandeur d'un tel Roi. FONTENAY-MAREUIL, Coll. Mich. et Pouj. (p. 53). — Il y a quelques jours, le roi fit une ordonnance que tout le monde, même en son absence, fût tête nue en son cabinet ; et, à une heure de là tout y étoit couvert jusqu'aux garçons de la chambre. Lettres de Malherbe (t. III, p. 53).

[145] Sur le rang des cardinaux à la Cour, voir Lettres de Malherbe (t. III, 456). La situation de Cardinal, dépendant de la Cour de Rome, n'emportait pas nécessairement la préséance en cour de France. Notamment les évêques pairs leur contestaient le pas : M. le cardinal de Joyeuse ne fut point à la cérémonie (de la majorité du Roi). Il s'en était allé aux champs, parce qu'il doutoit de n'avoir pas le rang qu'il désiroit et que les cardinaux ne perdissent leur rang contre les pairs. Monsieur l'évêque de Beauvais (Potier de Blancménil) la débattit fort jusques à dire qu'il savoit mieux que tout ce qu'il y a voit de cardinaux en la chrétienté, que c'étoit qu'être cardinal ; et s'adressant à M. le cardinal de la Rochefoucauld, lui dit : Monsieur, je vous honore, j'honore votre personne et votre mérite ; mais pour votre dignité je n'en fais pas grand cas. Tout cela fut fort débattu. Mais enfin les cardinaux l'emportèrent.

[146] Cette influence ecclésiastique et le rôle particulier du nonce du pape ont été étudiés, d'après les dépêches du nonce Robert Ubaldini, par M. F.-T. PERRENS, dans ses deux ouvrages : Les Mariages espagnols sous le règne de Henri IV et la Régence de Marie de Médicis, Paris, Didier, in-8° et l'Église et l'État en France sous le règne de Henri IV et de Marie de Médicis, Paris, 2 vol. in-8°. — Il faut lire aussi le livre si curieux d'ARMAND BASCHET : Le Roi chez la Reine, Paris, Plon, in-8°.

[147] SULLY dépeint, en traits vifs, le contraste qui existait, après la mort de Henri IV, entre les appartements de réception slasion et logement accoutumés pour la Royauté et les appartements de la Reine : ... Mais quant aux étages de dessous que l'on nommoit entresols tout y étoit magnifiquement meublé et paré. Là aussi résidoit la vraie cour, là se tenoient les conseils pour l'administration de l'État, tant ceux qui étoient secrets et cachés et desquels néantmoins dépendaient les conclusions que les publics et apparents, seulement pour la mine et le faste... Le conseil secret et caché qui, en effet, pou-voit tout, étoit composé de la Reine, de Conchine, de sa femme, du nonce du pape, de l'ambassadeur d'Espagne, du chancelier Sillery, duc d'Épernon, Villeroy, du président Jeannin et Arnauld suffragant de Conchine, du médecin Duret pour un temps, de Dolé et du Père Cotton. Économies Royales, édit. Petitot (t. VIII, p. 387).

[148] La Reine fait donner la comédie Italienne presque tous les jours dans ses appartements. Voir Journal d'HÉROARD (t. II, passim, notamment p. 131) ; Cf. A. BASCHET, Les comédiens Italiens en France, Plon, in-8°. — Musique de voix et de luths... HÉROARD (p. 133). La Reyne étoit au bout de la grande allée où elle oyoit chanter Villars (p. 140), etc. — Sur les détails de la vie intime. de Marie de Médicis, sur les artistes qu'elle pensionnait, sur les femmes qu'elle faisait venir de l'Orient pour tisser ou broder des tapis et des étoffes, sur les marbres et les tableaux qu'elle achetait en Italie, sur ces grands chiens qui l'accompagnaient partout et que Rubens n'a pas oubliés dans les tableaux de la galerie du Luxembourg, il faut consulter la correspondance manuscrite de Marie de Médicis, conservée à la Bibliothèque Nationale, cabinet des Mss. Cinq cents Colbert, vol. 83 et suiv.

[149] Pour la tenue des conseils et la vie ordinaire de la Cour sous la Régence, le renseignement le plus complet est un passage des Mémoires de FONTENAY-MAREUIL, loc. cit. (p. 35). — Il faut joindre le passage des Économies Royales de Sully cité ci-dessus. — Sur l'établissement du Conseil, en 1610, au lendemain de la mort de Henri IV voir le projet autographe de Villeroy : Bibliothèque de l'Institut, fonds Godefroy (vol. CCLXVI, pièce 11) et enfin la relation des ambassadeurs vénitiens ANDREA GUSCONI et AGOSTINO NANI, Barozzi (t. I, p. 470).

[150] FONTENAY-MAREUIL (p. 18).

[151] Ces absences fréquentes du Roi étaient un grand sujet de plaintes de la part des Parisiens : Pour mon regard, dit une marchande du Palais, c'est une étrange chose que nous ne faisons plus rien... depuis que le Roi est parti nous n'avons fait aucun trafic ; la boutique qui souloit être remplie est vague ; les courtisans et la noblesse s'en sont allés avec le roi, de sorte que nous perdons infiniment. (Caquets de l'Accouchée, ED. JANNET, p. 54). — Voir, en outre, les documents cités en note de ceux qui ont été réunis par ED. FOURNIER dans Variétés historiques et littéraires (t. II, p. 132), notamment L'affliction des dames de Paris sur le départ de leurs serviteurs et amis suivant la Cour, avec la consolation qui leur est faite sur ce sujet, par CLÉANDRE.

[152] Voir, l'Itinéraire et séjour de Henri IV depuis son avènement jusqu'à sa mort, dans Lettres missives (t. IX, p. 427-504) et Cf. pour Louis XIII, le Journal d'HÉROARD. — Ce continuel mouvement, des rois de France était dans les traditions de la dynastie capétienne. Pour les origines, M. LUCHAIRE s'exprime en ces termes : Le déplacement continuel et les séjours successifs du prince sur tous les points soumis au droit de gite étaient pour la dynastie capétienne, non seulement ore habitude, mais une véritable nécessite. Ainsi s'expliquent le grand nombre des cours tenues dans chaque ville du domaine oui se transportait la famille régnante, et le perpétuel renouvellement des barons et des prélats qui s'y donnaient rendez-vous. Institutions monarchiques de la France sous les premiers Capétiens, 1883 (t. Ier, p. 258).