Le diocèse de Luçon avait besoin d'un bon évêque. Au XVIIe siècle, le pays était pauvre, stérile, fiévreux. Un voyageur contemporain nous le décrit dans les termes suivants : Luçon ne devroit pas être mise au rang des villes, si on ne considéroit la qualité qu'elle porte d'évêché. Elle est située dans le Bas-Poitou, sur un petit ruisseau, au milieu de grands marais qui s'étendent principalement du côté par où nous arrivâmes, étant éloignée de la mer seulement de deux lieues... Aux environs, les chemins y sont entre deux fossés où souvent, si on ne prend garde à soi, on peut s'égarer par la quantité des chemins qui ne sont pas frayés et qui se dispersent en plusieurs endroits de ces marais, pour aller à de petites chaumières qui sont la retraite de pauvres gens, qui ne vivent que d'un peu de blé qu'ils sèment sur la terre qu'ils ont tirée des canaux et des pâturages où ils nourrissent quelque peu de bétail ; et n'y ayant point de bois pour se chauffer, ils usent des bousats de vaches séchés au soleil qui brûlent comme des tourbes. En un mot, je ne sais point de gens plus pauvres dans la France, que dans les marais du Bas-Poitou[1]. Ce voyageur, Jouvin, de Rochefort, écrivait à une époque de prospérité relative. On peut s'imaginer ce qu'étaient le séjour de Luçon et l'aspect de l'évêché dans les années qui suivirent les misères de la Ligue ! Richelieu rencontrait, du premier coup, une tâche digne d'exercer sa piété et son génie. Il était pauvre, nous l'avons dit. Mais il était fier et comptait sur lui-même. Il avait vingt-trois ans. Il se mit à l'œuvre avec la décision qui était dans son caractère et qui est, d'ailleurs, si naturelle à cet âge. Il fallut d'abord s'installer commodément. A ce point de vue, il avait tout à faire[2]. Laissons-le parler lui-même : Je suis extrêmement mal logé, car je n'ai aucun lieu où je puisse faire du feu à cause de la fumée ; vous jugez bien que je n'ai pas besoin de grand hiver, mais il n'y a remède que la patience. Je vous puis assurer que j'ai le plus vilain évêché de France, le plus crotté et le plus désagréable ; mais je vous laisse à penser quel est l'évêque ! Il n'y a ici aucun lieu pour se promener, ni jardin, ni allée, ni quoique ce soit, de façon que j'ai ma maison pour prison[3]. Cette prison, il s'efforce d'en faire un réduit sortable, et même honorable. La pointe de vanité qui se mêle à toutes ses actions se montre surtout par le soin avec lequel il s'applique à s'installer, à se procurer des domestiques faisant figure, du mobilier d'apparat, de la vaisselle plate. On sent qu'il est flatté de pouvoir écrire, après quelques mois de séjour, qu'on le prend pour un grand monsieur dans le pays. — Je suis gueux, comme vous savez, écrit-il encore, dans un mouvement d'un joli tour, je suis gueux ; mais toutefois, lorsque j'aurai plat d'argent, ma noblesse en sera fort relevée[4]. On trouve, dans toute la correspondance de l'évêque avec une bonne amie, Mme de Bourges[5], les traits curieux d'une application aux détails, d'une précision méticuleuse, et un souci du qu'en dira-t-on, qui sont comme les premiers linéaments provinciaux du genre de génie qu'il devait consacrer à la conduite de sa propre fortune et à la direction des affaires publiques. On y rencontre aussi des renseignements intéressants sur tout ce qui touche aux facultés d'administration du jeune prélat. Ses intérêts, en tant qu'évêque et baron de Luçon, sont l'objet de ses vives préoccupations[6]. Sa sollicitude s'étend d'ailleurs à tout son troupeau. Dans la grande misère qui accable ses administrés, il essaye, par tous les moyens, de leur venir en aide. Il s'efforce d'obtenir des secours ou du moins des dégrèvements d'impôts, et, pour cela, s'adresse un peu à tout le monde, aux personnes chargées de faire l'assiette de la taxe, aux habitants des villes voisines qui doivent supporter une part des charges communes[7] ; même au surintendant des finances, au tout puissant Sully, près duquel il agit par l'intermédiaire du marquis de Richelieu, resté à Paris. Il faut souligner, en passant, cette première trace des relations qui bientôt se noueront plus étroitement entre le ministre de Henri IV et celui qui devait être le ministre de Louis XIII. Actuellement, Richelieu est le solliciteur. C'est dans les termes du plus humble respect qu'il s'adresse au favori du roi. Plus tard, les rôles changeront, et les attitudes changeront avec les rôles[8]. La famille de Richelieu était, on s'en souvient, engagée
dans un procès avec le chapitre de Luçon, au sujet de l'emploi des revenus de
l'évêché pendant la vacance du siège. Armand du Plessis prend en main cette
affaire et la règle par une transaction où, pour parler avec un des historiens
de l'évêché de Luçon, un prélat jeune encore et âgé
seulement de vingt-quatre ans fit la loi à son chapitre et donna des preuves
de la supériorité de son esprit sur tout ce qui l'entourait. L'une des
conditions de cet arrangement fut la réparation, faite en commun, de la belle
cathédrale de Luçon dévastée et à demi-ruinée par les guerres des protestants[9]. Richelieu ne s'occupe pas seulement du temporel ; il donne au spirituel tous ses soins. Il met sa gloire à arracher, de son diocèse, l'ivraie qui l'obstrue. Selon les prescriptions des Conciles, il fait, à Pâques de l'année 1609, sa tournée épiscopale. Il organise partout des prédications de capucins, des oraisons et des neuvaines pour échauffer à la dévotion et à la piété les âmes qui se sont refroidies[10]. Il met un zèle particulier au choix de ses curés. Tandis que, partout ailleurs, ils sont nommés par la simple faveur, ou sur la recommandation de personnes influentes, il décide que, dorénavant, toutes les cures à sa collation seront données au concours, et, malgré son désir d'être agréable à ses amis, il écarte ceux de leurs protégés qu'il considère comme incapables[11]. La difficulté du recrutement le frappe, comme elle touche tous ceux qui ont à cœur les intérêts de l'Église. Il prend sa part dans ce grand mouvement qui va faire, du XVII' siècle, le siècle catholique par excellence. Un des premiers, parmi ses confrères, il songe à établir chez lui un séminaire. Henri IV lui recommande les Jésuites. Le père Cotton s'adresse à lui, invoquant la particulière bienveillance dont il honore la Compagnie[12]. Richelieu se tient, il est vrai, sur la réserve, en ce qui concerne ces messieurs ; mais il n'en poursuit pas moins son entreprise, et elle aboutira bientôt par le concours de Bérulle et des pères de l'Oratoire[13]. Ce devoir de bon pasteur, Richelieu le remplit, en assistant aux conférences alors si à la mode, où les apologistes de la foi catholique joutent contre les ministres protestants[14]. Il s'efforce d'arranger les querelles qui divisent les gentilshommes de son voisinage et considère comme un devoir de sa profession d'empêcher, par ses conseils, les duels contre lesquels il dirigera, plus tard, toute la rigueur des ordonnances royales[15]. Il adresse aux grands, ou à ses amis de la Cour, quelquefois mémo à de simples connaissances, des lettres de condoléance. écrites dans un style bizarre et contourné qui montre tout l'embarras de la raison aux prises avec les sentiments[16]. Rien de plus curieux, cependant qu'une longue épitre à une pénitente inconnue, qui, sur le point de quitter le monde et ne se sentant pas la force de s'appliquer à la méditation religieuse, s'était adressée au jeune évêque. Elle lui faisait part du trouble de son âme, et de la lassitude, même physique, que produisaient en elle l'oraison et la contemplation prolongées. Il l'aide, la relève, la soutient avec les marques d'une attention plus forte encore que tendre. Il la supplie d'écarter tout effort, toute peine de l'œuvre de son salut. Il lui trace une ligne de conduite sage, modérée, adaptée à la faiblesse du sexe et à la médiocrité de l'entendement humain. Ses paroles sont claires, vives, pressantes ; elles ne s'embarrassent d'aucune érudition subtile, d'aucun élan mystique. Ce n'est pas .le docteur qui parle au disciple ; mais ce n'est pas non plus l'âme qui parle à l'âme. C'est plutôt le bon sens sain qui s'adresse à un sens fatigué et qui tâche de le réconforter avant de le lancer dans la voie pénible du salut et de l'amour de Dieu. On peut se demander si ces conseils, dans leur sécheresse, convenaient à l'âme blessée qui les implorait. On y trouve des prescriptions pour l'hygiène normale du cœur, mais non des remèdes pour le soulagement d'une âme défaillante. Le miel de François de Sales et le sucre de Bérulle eussent été plus efficaces. Cependant, il faut croire que, dans ce siècle vigoureux, il y avait, en France, des femmes pouvant entendre un tel langage. Les fidèles de Port-Royal et les pénitentes de Bossuet l'eussent accepté probablement. Elles eussent écarté les épines d'une parole un peu rude pour atteindre les fleurs de sens et de droite raison qui s'y trouvent cachées[17]. La réaction d'une personnalité aussi forte que celle de Richelieu sur les choses de la foi mérite d'être étudiée avec soin. Poussé par le hasard vers la carrière ecclésiastique, il trouvait, dans la religion, le repos de l'esprit tel que le désirait un honnête homme de son temps ; il recherchait, dans le triomphe de l'Église, l'accomplissement d'un devoir professionnel ; enfin, il rencontrait, dans l'organisation de la hiérarchie catholique et dans l'autorité qu'elle exerçait sur le monde, un secours puissant pour sa carrière A l'époque où il vivait, les croyances religieuses étaient, si l'on peut dire, le tout de l'homme. Hors quelques rares esprits indépendants n'avant à répondre que d'eux-mêmes et des caprices de leur propre entendement, à part quelques sceptiques, les Montaigne et les le Vayer, tout membre d'une société politique se sentait tenu d'avoir une foi. Depuis un siècle, l'Europe s'agitait autour des questions religieuses. Non seulement on avait vu les États se jeter les uns sur les autres au nom de ces idées, mais, dans chaque État, chaque citoyen avait dû prendre position et s'engager dans une croyance, non pas seulement avec sa conscience, mais avec ses intérêts, ses passions, sa vie tout entière. Le XVIe siècle avait établi cette maxime que le citoyen doit professer la religion de l'État auquel il appartient (cujus regio, ejus religio), et, de bonne foi, on en était venu à confondre les hérétiques avec les rebelles : seulement, en pays protestant, ce nom s'appliquait aux catholiques, et aux protestants en pays catholique. Croire était un devoir civique. D'ailleurs, l'hésitation ne pouvait guère naître dans les esprits. Ils étaient ainsi faits qu'ils acceptaient la foi docilement. à peu près comme nous faisons aujourd'hui l'idée de patrie. Le caractère individuel ne se marquait que, dans la nuance des opinions théologiques ou dans le choix des arguments invoqués pour défendre chacun la sienne Au début du XVIIe siècle, la lutte était encore ardente entre protestants et catholiques. Un peu plus tard, elle se transforme et porte, en France du moins, sur les débats du gallicanisme et de l'ultramontanisme ; c'est le temps des Richer, des Duval et des Bellarmin. Un peu plus tard, la querelle se raffine encore et c'est le jansénisme qui s'insurge contre le molinisme. On dispute sur les pro-Mêmes, pour nous si fastidieux, de la grâce, de la contrition et de l'attrition. Nous faisons un effort pour essayer de comprendre l'intérêt que nos pères portaient à ces questions. Il n'y avait pas alors un homme du monde, une femme qui ne se passionnât pour leur solution. Les Provinciales de Pascal devaient être le grand livre du siècle. La vie sociale et l'existence individuelle, le jeu des passions et celui des intérêts aboutissaient là, comme ils aboutissent, de nos jours, aux dissentiments politiques. Les problèmes qui nous remuent seront pour l'avenir un sujet d'étonnement, comme nous nous étonnons des passions d'un siècle, pourtant si rapproché du nôtre[18]. Le sentiment religieux était donc le grand ressort de la scène politique : les ecclésiastiques y jouaient naturellement les premiers rôles. On citait les exemples du chancelier-cardinal Duprat, du cardinal de Tournon, du cardinal de Lorraine, du cardinal Renaud de Beaune, du cardinal d'Ossat, du cardinal du Perron, et de combien d'autres ! Non seulement une grande autorité morale, la familiarité des princes, une sorte de situation cosmopolite mettant à l'abri des revers de la fortune, appartenaient à ceux qui avaient reçu les liantes dignités de la cour romaine ; mais ils obtenaient en même temps la fortune, les riches prébendes, les abbayes, le rang et le pas sur les dignitaires du royaume. Il fallait donc être croyant ; il était bon d'être ecclésiastique ; pour les hommes qui n'appartenaient pas à la haute aristocratie domaniale, la suprême ambition était la pourpre. Un homme comme Richelieu, lancé dans cette voie, prétendait aller jusqu'au bout. Il avait sous les yeux la carrière du cardinal du Perron, dont la capacité médiocre, débutant dans l'obscurité de la polémique théologique, avait fini par s'emparer de l'attention publique, de la confiance du monarque, d'une autorité exceptionnelle à Rome et dans le royaume. La fortune du cardinal du Perron eut, sur la première partie de la vie de Richelieu, la plus grande influence. Nous l'avons déjà vu sollicitant les bonnes grâces de ce cardinal ; nous le verrons bientôt implorant son aide et se réjouissant de son approbation. Il l'admire et il l'imite. Comme lui, il aspire au mérite et à la louange de la chaire et de la polémique. L'évêque de Luçon prêche et le docteur de Sorbonne écrit. Il le fait avec ardeur, avec courage, avec bonne foi. Il faut connaître la suite de sa destinée pour deviner, dans ce premier élan d'un zèle si pur, la préoccupation invisible, mais toujours présente, de ses ambitions d'homme d'État. Il avait déjà prêché à la cour. Les avis des contemporains diffèrent sur la valeur de Richelieu comme orateur de la chaire. On peut dire, en gros, que tant qu'il ne se trouva pas mêlé à la politique, ses sermons furent goûtés. Dès l'année 1608, le cardinal du Perron, en sa qualité de grand aumônier de France, le désignait pour dire l'office et prêcher le jour de Pâques devant le roi ; par les termes mêmes de la lettre que Richelieu lui écrit pour s'excuser, on voit que celui-ci considérait déjà la chose comme toute naturelle[19]. Les personnes compétentes avaient, eu général, une bonne
opinion des mérites oratoires de l'évêque de Luçon. Lors de la mort de Henri
IV, le doyen de Luçon, Bouthillier, de séjour à Paris, regrette qu'on ne lui
ait pas confié le soin de prononcer l'oraison funèbre du défunt : eussent esté actions dignes de vous, lui écrit-il, si vous
vous fussiez trouvé ici. A la même époque, ce même doyen, écrivant à Richelieu,
lui parle avec joie de la réputation que ses mérites
lui ont acquise par toute la France[20]. C'est l'avis de
du Perron lui-même, et le complaisant abbé ne manque pas d'en prévenir son
cher évêque : M. le cardinal du Perron fait paroitre
en toute occasion l'estime qu'il fait de vous... Quelqu'un étant venu à vous nommer parmi les jeunes
prélats et à vous louer, selon la réputation que vous avez acquise, M. le
cardinal dit lors qu'il ne vous falloit point mettre entre les jeunes prélats
; que les plus vieux devoient vous céder et que, pour lui, il en désiroit montrer
l'exemple aux autres... Il faut rappeler enfin, que l'ordre du clergé
réuni, en 1614, en l'assemblée des états-généraux, confier bientôt à l'évêque
de Luçon la mission de parler au nom de tout le corps ecclésiastique. La haute idée que l'on se faisait généralement des mérites oratoires de Richelieu parait donc sérieusement établie. Mais il faut reconnaître que le goût de l'époque était loin d'être épuré. Il restait encore assez de la barbarie du moyen âge et du pédantisme de la renaissance, pour qu'un bon orateur du temps de Henri IV bit très éloigné de la perfection du genre. Lingendes n'avait pas encore paru. Du Perron, Richeome, Cotton, tenaient les oreilles de la cour et de la ville. La plus grande louange était pour les plus compliqués, les plus chargés d'érudition fastueuse on de pointes ridicules. La vigueur grossière et parfois acérée des prédicateurs de la Ligue avait fait place à une sécheresse pénible et ampoulée. L'abus des citations mêlait la mythologie profane à l'hagiographie chrétienne, la médecine à l'histoire, Pline à saint Augustin. Nous voyons, dans un seul et même sermon, Jupiter, Sémélé et le colosse de Rhodes accourir à l'appel du prédicateur, pour expliquer aux fidèles le mystère de l'Incarnation[21]. (Tétait la mode. Richelieu n'échappe pas à cette influence. Il nous est resté de lui quelques rares serinons. Si ce n'était la bouche qui les prononça, on ne songerait pas à les lire. Ils sont pourtant sensiblement meilleurs que la plupart de ceux que nous a laissés cette époque. Ce sont bien encore les concetti, le gongorisme, le pédantisme et l'étalage presque dégoûtant de la comparaison scientifique ou médicale. Mais il semble qu'on y trouve parfois autre chose. Écoutons le jeune évêque s'adressant, le jour de Noël, aux fidèles de son diocèse. Verbum taro factum est. Nous lisons dans le texte de notre Évangile que, lorsque l'ange annonça la naissance de Jésus-Christ, les pasteurs furent les premiers auxquels il s'adressa et commit cette sainte nouvelle pour, après, l'épandre par le monde. J'ai cru, peuple catholique, que la divine providence, qui conduit toutes choses avec une infinie sagesse, en avait ainsi usé pour nous apprendre que c'est particulièrement à ceux que Dieu a établis pasteurs de son église à qui il appartient de faire entendre au peuple que le Fils de Dieu est venu au monde voilé de notre humanité pour nous ôter le voile du passé, qu'il est sorti du ventre d'une vierge pour nous faire sortir de nos misères,... etc. Voilà pour les pointes ; toute la partie théologique du sermon en est ainsi hérissée. Mais tout à coup, le style s'échauffe, s'anime, prend vie, force et clarté. Le prédicateur se dépouille de son apparat théologique. Il se souvient qu'il parle au peuple, que ce peuple souffre, et que, pour oublier ses souffrances, il a besoin d'être soutenu, conduit, dirigé. Il se souvient que lui-même, comme évêque, a une mission d'autorité et de direction. Il s'exprime en phrases brèves, nettes comme des axiomes, claires et vives comme des ordres. Dieu, par sa bonté, a tellement favorisé les armes de notre roi, qu'apaisant les troubles, il a mis fin aux misères de son État. Nous ne voyons plus la France, armée contre soi-même, épancher le sang de ses propres enfants. La paix est dans ce royaume, mais ce n'est point assez pour inviter le doux Jésus à venir faire sa demeure en nous. Il faut qu'elle soit en nos villes, en nos maisons et principalement en nos cœurs. La paix publique s'entretient par l'obéissance que les sujets rendent à leur prince, se conformant entièrement fi ses volontés, en ce qui est du bien de son État. La paix se maintient aux villes, lorsque les personnes privées se maintiennent modestement dans le respect qu'elles doivent aux lois et aux ordonnances de ceux qui ont autorité. La paix est aux maisons, quand ceux qui demeurent ensemble vivent sans envie, sans querelle, sans inimitié les uns contre les autres. La paix est en nos cœurs, lorsque la raison commande comme reine et maîtresse ; que la partie inférieure, qui contient le peuple séditieux de nos appétits, obéit ; et que toutes deux se soumettent à la raison éternelle, de laquelle la nôtre emprunte ce qu'elle a de lumière. Ne voilà-t-il pas, en quelques traits, le futur cardinal-ministre, le contemporain de Descartes et de Corneille ? Mais il n'oublie pas que ce peuple qui doit obéir, a besoin de tendresse et de miséricorde. Il se penche sur lui, et, avec lui, élève vers Dieu une supplication d'une belle venue, touchante et attendrie. Je proteste que j'emploierai si peu que j'ai d'esprit, si peu que j'ai de force pour maintenir l'union, de laquelle dépend notre conservation. Je vous conjure d'en faire autant ; je vous conjure de me seconder en ces saintes intentions. Le Tout-Puissant bénira nos desseins, principalement si nous l'en supplions avec émotion... Seigneur ! toute cette assemblée se prosterne à vos pieds, pour vous supplier humblement de nous vouloir donner la paix ; la paix en son âme, la paix avec son prochain, la paix avec vous ; elle dresse ses vœux vers Votre Majesté ; elle implore votre aide, sachant que vous êtes le père de la paix, sachant que vous êtes celui qui la donne, qui la maintient et qui l'augmente. Bon Dieu, regardez cette troupe de votre œil de pitié ; exaucez ses prières !... Ce sermon, où se remarque déjà une si ferme conscience du. rôle que devait remplir le ministre de Louis XIII, fut prêché probablement en décembre 1609, quelques mois avant la mort de Henri IV[22]. Dix-sept ans plus tard, dans un autre sermon prononcé en des circonstances autrement' solennelles, nous retrouvons le même contraste entre l'affectation embarrassée du théologien et la fermeté éloquente du politique. C'était en 1626, trois jours après la condamnation, quatre jours avant l'exécution du malheureux Chalais. Le cardinal-ministre s'était senti, pour la première fois, sérieusement menacé par les intrigues de la cour. Le jeune frère de Louis XIII, Gaston, était le confident du complot qui venait d'être découvert et qui allait être puni. S'exerçant à sa première lâcheté, il avait lui-même dénoncé et livré les coupables. Il était encore incertain sur son propre sort. Il tremblait. C'est alors que, à l'occasion de la fête de l'Assomption, Richelieu, se souvenant de son caractère ecclésiastique et cherchant à terrifier, une bonne fois, l'âme pusillanime du jeune prince, Richelieu, avant de donner lui-même l'eucharistie au roi, à la reine-mère et à Gaston, réunis auprès de la sainte-table, monte en chaire. C'est un sermon d'abord ; mais bientôt c'est une harangue politique, c'est une plainte hautaine, c'est une menace : Dieu descend non-seulement en vous, Sire, mais qui plus est, en la reine votre mère et en Monsieur, votre frère, qui vont le recevoir avec vous. Bien qu'il ne soit qu'un, il descend en vous trois, pour vous montrer que, tous ensemble, vous ne devez être qu'un en lui. Il vous unit en terre : vous, Sire, et votre mère, et celui que vous tenez et traitez comme votre fils, — fils qui vous doit aimer, respecter et craindre toute sa vie, non-seulement comme son vrai roi, mais comme son vrai père, et qui ne peut faire autrement sans avoir lieu d'appréhender une seconde descente du grand Dieu sur sa personne, non en manne, comme celle d'aujourd'hui, mais en feu et en tonnerre ![23] C'est ainsi que tous les moyens sont bons à ce vigoureux ouvrier de sa propre carrière et de notre unité politique. La religion est une arme dont son ambition dispose, que ses calculs utilisent et que son esprit, si réellement moderne, met, comme instinctivement, au service de sa politique. Évêque assidu, bon administrateur, prédicateur renommé, Richelieu accepte sans hésitation les diverses charges que sa fonction lui impose. Il ne s'en tient pas là et son activité emploie ses loisirs à la rédaction de livres édifiants qui ne sont pour lui qu'une des formes du devoir épiscopal. Deux des écrits théologiques qu'il publia se rattachent à, celte époque de sa vie et nous renseignent sur les graves délassements de ce prêtre solitaire que la fortune réservait à une si haute destinée. L'évêque de Luçon lit paraître tout d'abord, en 1613, les Ordonnances synodales à, la suite de l'Instruction pour les confesseurs de son grand vicaire J. H. de Flavigny[24] ; puis en 1618, les Principaux Points de la foy de l'Église catholique, en réponse aux ministres de Charenton[25]. En 1619, l'Instruction du Chrestien dont la rédaction parait remonter, en réalité, aux premiers temps de son épiscopat[26]. En mentionnant immédiatement le Traité de la perfection du chrestien, publié en 1646[27] et la Méthode pour convertir ceux qui se sont séparés de l'Église[28], nous aurons cité tout ce qui a paru de l'œuvre théologique de Richelieu. Mais il convient d'ajouter qu'il avait écrit beaucoup sur ces matières, et les éditeurs de la Méthode parlent de plusieurs autres ouvrages qu'il avait composés[29]. Ceux que nous avons suffisent amplement pour faire connaître la direction qu'il donnait lui-même à ses études sur ce sujet. D'une part, elles avaient un caractère catéchiste et tendaient à l'instruction religieuse des chrétiens et, en particulier, des fidèles de son diocèse ; d'autre part, elles avaient un caractère polémiste et se donnaient pour objet de vaincre ou de ramener les prétendus réformés. Ce double trait rattache immédiatement les études théologiques de Richelieu à l'ensemble de sa carrière. Il est un évêque assidu, gouvernant, prêchant, enseignant. Il se sert de la plume comme de la parole pour diriger, éclairer, conduire son troupeau. Mais la Rochelle n'est pas loin ; les protestants sont à Saumur, à Fontenay, à Luçon même. Il lutte contre leurs ministres dans des conférences solennelles ; plus tard, il détruira leur force politique, ou bien il essayera de les faire rentrer dans le giron de l'Église, poursuivant cette chimère de la réunion qui a séduit tant de grands esprits. Sa vie tournera ainsi, sans cesse, autour de ce laborieux problème que la politique du dix-septième siècle dispute à la religion. Il indique lui-même l'unité de son existence à ce point de
vue, alors qu'au début de sa Méthode, il embrasse, dans une seule
phrase, les diverses préoccupations qui, pendant si longtemps, l'avaient
absorbé. Il y a plus de trente ans, dit-il, qu'étant attaché aux fonctions de l'épiscopat dans le
diocèse de Luçon, près la Rochelle, je pensais souvent, dans une profonde
paix, aux divers moyens de ranger cette place dans l'obéissance du roi. Ces
pensées passaient alors dans mon esprit comme des songes ou de vaines
imaginations ; mais Dieu ayant voulu depuis que l'on entreprît ce qui ne
m'avoit semblé autrefois que des chimères et que l'on attaqua cette place
pour la réduire à son devoir, je pensois durant ce siège a retirer de
l'hérésie par la raison, ceux que le roi retirait de la rebellion par la
force. On voit ce qu'il y avait encore de politique, au fond de cette activité livresque que l'on est de prime abord, tout surpris de rencontrer, à ce degré, chez un pareil homme. Il aimait la théologie, soit pour la subtilité des problèmes qu'elle débat, soit pour l'autorité avec laquelle ses décisions s'imposent, soit pour l'étalage de science qu'elle autorise. Curieux de tous les genres de gloire, il ne dédaignait même pas l'espèce de dilettantisme qui détourne un homme d'État de ses occupations ordinaires pour exercer sa vigueur dans les jeux de l'esprit ou la détendre dans le repos des lettres. On ne peut reconnaître à la courte publication des Ordonnances synodales le caractère d'un livre théologique. En les écrivant, Richelieu remplissait tout simplement son devoir d'évêque. S'adressant au clergé et au peuple de son diocèse, il lui donnait des conseils et des ordres pour une conduite chrétienne, lui enseignait les préceptes de la morale particulière et de la discipline publique, dans des termes qui montrent combien l'une et l'autre étaient oubliées dans ces malheureux temps[30]. L'évêque de Luçon défend aux prêtres, sous peine d'amende, d'entretenir des concubines au logis, de boire et de faire la débauche, de se rendre en bandes dans les lieux publics, pour prendre part aux réjouissances populaires : et d'autant que nous avons reconnu à notre grand regret que plusieurs souvent se trouvent en bandes ès foires et marchés des plus gros bourgs voisins de leurs demeures, comme Mareuil, Saincte-Hermine, Puybéliard, Chantatmay, les Essards, les Herbiers, Talmond, Montaigu et autres, nous enjoignons aux curés des lieux sus-dits d'y prendre garde, et nous les dénoncer on à notre official, sur peine de nous en prendre à eux-mêmes[31]. A ces mêmes prêtres, il recommande une tenue décente, et qui les distingue des laïcs, le soin des vêtements et des ornements ecclésiastiques, l'attitude respectueuse durant la célébration des offices, la lecture du bréviaire : et afin que nul ne puisse prendre excuse sur la grosseur des bréviaires de Poitou, nous convions un chacun de prendre l'Office du Concile, tant pour ce qu'il s'imprime en volume plus portatif que parce que cet usage est préférable à tous les autres[32]. Il exhorte le peuple à assister, ai moins de trois dimanches l'un, à la messe paroissiale, à communier au moins quatre fois l'an, à éviter les occasions de débauche, comme les fiançailles célébrées après le coucher du soleil : les ténèbres et le vin ôtant tout le respect[33]. Selon les ordres du Concile, Richelieu veille particulièrement à empêcher les mariages clandestins. On voit dans un passage des Ordonnances qu'il n'est pas loin de partager sur certain point des rapports conjugaux, les croyances populaires : d'autant que nous craignons que l'ignorance de quelques-uns ne les porte à quelque superstition, nous déclarons n'être point licite de repousser de nouveau ceux qui, par quelque maléfice, sont troublés en la consommation de leur mariage et défendons aux curés de se laisser aller en ce, au désir que la simplicité pourroit faire naître en plusieurs âmes moins instruites que de raison[34]. Les Ordonnances règlent encore les fêtes qui doivent être chômées et la liste, ainsi dressée, n'est pas moindre de cinquante par an, sans compter les dimanches ; elles établissent des conférences où les prêtres s'enseigneront les uns aux autres la bienséance en la célébration du divin service ; elles recommandent aux fidèles quelques saintes lectures, notamment la Guide des Pécheurs, composée par Grenade et, pour ceux qui ne savent pas lire, les prêtres leur enjoindront d'avoir des chapellets et leur en apprendront l'usage. On voit à quels besoins devait pourvoir l'évêque de Luçon. Le désordre et l'ignorance chez les fidèles, même chez les prêtres, étaient la suite de longs troubles civils. Sur le champ restreint où il agissait, Richelieu s'exerçait à la même œuvre de restauration qu'il devait, par la suite, étendre à tout le royaume. Son zèle ne se borne pas à la rédaction et à la publication des Ordonnances synodales. Il étend à l'ensemble du public chrétien le fruit de son expérience épiscopale. Pensant que les mêmes maux régnaient ailleurs, il crut bon de répandre l'usage du remède qu'il avait lui-même employé. Il parait avoir été frappé surtout du manque de livres facilement lisibles et maniables, faits pour les simples d'esprit et de cœur. C'est pour eux qu'il écrivit son Instruction du Chrétien, publiée seulement en 1618, mais dont la rédaction remonte certainement à l'époque du long séjour dans l'évêché de Luçon : Le plus grand soin de l'auteur, dit-il lui-même, en débutant, a été de s'abaisser, son but étant plutôt de paître les colombes que les aigles... Pour cet effet, il a laissé tout ornement et omis plusieurs choses qui eussent pu marquer quelque érudition en lui et plaire aux doctes. Cette simplicité fait tout le mérite, mais le mérite presque extraordinaire, de ce petit livret. C'est un catéchisme très clair, tout usuel, qui met les vérités de la foi à la portée des âmes les plus naïves. Il y avait peu de tels écrits à cette époque, et je doute qu'on en ait beaucoup publié, depuis lors, répondant mieux à la pensée de venir en aide aux humbles et aux ignorants. Une explication et un court commentaire du Credo, des commandements de Dieu et de ceux de l'Église, de l'Oraison dominicale et de la Salutation angélique, c'est la tout le livre, et c'est tout ce qu'il faut à la grande masse des chrétiens. Pas de doctrine, un soin particulier d'éviter les discussions oiseuses et les difficultés stériles, peu de chaleur, de la clarté et de la lumière. Il y a quelque chose de véritablement touchant dans le zèle avec lequel un esprit si vigoureux s'abaisse vers les faibles et se met à leur portée. Faut-il signaler quelques passages particulièrement frappants, ou seulement piquants pour la curiosité moderne ; quelques traits échappés à un esprit qui se surveille toujours ? Pour expliquer la puissance de Dieu, il ne trouve rien de mieux que la comparer à celle du Roi : Un Roi souverain en France témoigne qu'il n'y a personne qui soit égal à lui, et que tous ceux qui y sont, sont ses inférieurs : ainsi Dieu, souverain Roi du monde, témoigne qu'il n'a point d'égal et qu'il est unique. Tout un long passage consacré aux diverses superstitions du temps prouve encore que Richelieu n'avait pas su se dégager de toute erreur à cet égard. Il condamne ceux qui, par le moyen des magiciens et sorciers invoquent les démons, eu quelque façon et pour quelque fin que ce puisse être, qui se servent de tels monstres ou de leur art pour découvrir les choses cachées,... ceux qui, par sortilège, empêchent l'effet du mariage ou après l'avoir empêché défont ou font défaire le maléfice dont ils avaient usé par même voie au lieu de recourir au remède de l'Église. C'est bien là le langage de l'homme qui devait laisser poursuivre Urbain Grandier. Un autre trait des mœurs du temps mérite d'être noté : Richelieu reconnaît qu'un homme doit le mariage à une fille qu'il a mise à mal sous prétexte de l'épouser, si ce n'est, ajoute-t-il, qu'elle soit de condition tout à fait inégale, auquel cas il suffit de la dédommager par argent et lui donner mariage (c'est-à-dire la faire épouser par un autre). C'est le même sentiment qui lui fait écrire ailleurs : que celui qui épouse une femme non de sa condition contre la volonté de son père pèche mortellement : si elle est de sa condition, il ne pèche que véniellement. Enfin, je ne mentionnerai qu'en passant la réserve parfaite et la discrétion avec lesquelles Richelieu aborde certains sujets délicats sur lesquels s'étendait beaucoup trop complaisamment la dialectique des casuistes contemporains[35]. Ce livre eut, paraît-il, un grand succès. Il fut très répandu en France et fut traduit en plusieurs langues. On peut le louer d'un seul mot que répètent plusieurs contemporains : il fit beaucoup de bien[36]. Dans cette première partie de son œuvre théologique, Richelieu, comme on le voit, ne se mélo nullement à la controverse. Il vivait cependant dans une société qui frémissait encore des grandes luttes du seizième siècle, et qui sentait s'agiter en elle les brillantes et bruyantes polémiques du gallicanisme et du jansénisme. Nourri dans la Sorbonne, fier de sa rapide annexion à ce grand corps, l'évêque de Luçon ne pouvait se tenir bien longtemps à l'écart de la lutte. Comme le dit un écrivain contemporain, la haute réputation du cardinal du Perron lui était à peu près ce qu'étaient autrefois à Thémistocles les trophées de Miltiades. Les ouvrages de polémique qu'il publia par la suite furent certainement préparés dans ces laborieuses années de l'évêché ; sans entreprendre de les analyser ici, il faut du moins essayer d'indiquer la direction que, dans cc genre d'études se donnait à lui-même ce puissant esprit. Dans une nature aussi entière et si j'ose dire aussi compacte que celle de Richelieu, il est impossible de séparer les dis-erses manifestations du génie. Tout en lui concourt au même but. Ce serait mal connaître le grand politique que d'ignorer le catholique et le théologien. |
[1] Le Voyageur d'Europe où sont les voyages de France, d'Italie et de Malthe, etc., par M. A. JOUVIN, de Rochefort, Paris, 1672, in-12°. Voyage de France (t. I, p. 190)
[2] LA FONTENELLE DE VAUDORÉ, Évêques de Luçon (t. Ier, p. 318-348).
[3] Correspondance (I, p. 24).
[4] Correspondance (I, p. 23, 27).
[5] M. AVENEL a cherché en vain à identifier cette Mme de Bourges, qui fut la correspondante assidue et l'amie particulière de Richelieu, alors qu'il était encore évêque de Luçon. Tout ce que l'on sait d'elle, c'est qu'elle demeurait rue des Blancs-Manteaux, et qu'elle vivait encore en 1629. (Correspondance, I, 612). M. AVENEL indique cependant qu'en 1698, un sieur de Bourges, docteur régent en la faculté de médecine, était premier échevin de la ville de Paris. Grace aux renseignements qui nous ont été obligeamment fournis par la famille de Bourges, encore existante, nous pouvons ajouter que ce de Bourges se nommait Jean, qu'il était déjà échevin en 1642 et docteur en médecine, dès 1620. La famille des de Bourges, originaire du château de Chauvigny. en Poitou, vint s'établir à Paris vers le milieu du seizième siècle, y exerça la médecine et, depuis lors, fut mêlée activement à la vie municipale de Paris. Il y eut trois échevins de ce nom. L'origine poitevine de la famille et la profession médicale qui la rapprochait des Pidoux, grands amis des la Porte, peuvent expliquer les relations intimes des de Bourges avec les du Plessis. — Dans un des tableaux de Philippe de Champagne, conservés au Louvre, salle Las-Cazes, un de Bourges est représenté en costume d'échevin de Paris. C'est probablement le nôtre.
[6] Correspondance (I, 17 décembre 1608).
[7] Correspondance (I, p. 18-19), et passim.
[8] Correspondance (I, p. 90, lire la note de M. Avenel).
[9] FONTENELLE DE VAUDORÉ, op., cit. (p. 369). — Les armes de Richelieu figurent sur la face principale de l'évêché, celle qui regarde le chœur de la cathédrale. Cette partie du monument est certainement du quinzième siècle. Cependant on dit à Luçon que les appartements qu'occupa Richelieu se trouvaient en retour d'équerre sur le jardin et qu'ils n'existent plus. On peut conclure de là que Richelieu avait habité un bâtiment plus ancien construit probablement à la suite et dans le style du gros pavillon qu'une voile relie à la cathédrale. Ce bâtiment aura été démoli après la reconstruction, par Richelieu, de l'évêché actuel. — La cathédrale est un beau monument des quatorzième et quinzième siècles dont les vastes proportions et la flèche hardie dominent la petite ville et la campagne au loin. On y a dépensé beaucoup d'argent du temps de Richelieu ; les motifs modernes et le style Louis XIII se marient sans cesse, d'une façon qui n'est, heureusement, pas trop choquante au beau gothique élancé de cette région de la France. Le cloître si coquet, du quinzième siècle, est intégralement conservé. Je n'ai pas pu découvrir, dans les clefs de voûte de l'église, les armes de Richelieu ; mais on montre encore la vieille chaire en bois, où, dit-on, il a prêché. Ses panneaux sont décorés de lieurs peintes dans la manière hollandaise.
[10] Correspondance (t. I, p. 21-22 et p. 78). — Cf., sur une conférence tenue à Châtellerault, en 1611, CH. READ, Daniel Chamier, Paris, 1858, in-8° (p. 319).
[11] Correspondance (t. I, p. 29). — Cf. Testament Politique, ch. 2. (édit. Foncemagne, p. 159).
[12] PRAY, La Compagnie de Jésus au temps du P. Cotton (t. II, p. 330). En mai 1610, nous trouvons encore Richelieu en correspondance avec le P. Cotton. L'abbé de la Cochère écrit à Richelieu qu'il a remis au révérend père les lettres à lui adressées : il m'a dit qu'il vous avoit voué beaucoup de service. Archives des Affaires Étrangères. Mémoires et documents, France (vol. 767, f° 205).
[13] On montre encore à Luçon, une vieille porte datée de 1612 et qui, dit-on, est celle du séminaire que Richelieu a fait construire. — Sur cette question du séminaire qui occupa très longtemps l'attention de l'évêque, il faut rapprocher : Correspondance (t. V, p. 85) ; LA FONTENELLE DE VAUDORÉ (t. I, p. 398) ; et Mémoires de Richelieu, édit. Petitot, t. V, (p. 61). La fondation n'eut lieu effectivement qu'en 1661. — V. Une maison du dix-septième siècle à Luçon, dans Revue de la Société littéraire de la Vendée, 1886 (p. 136).
[14] Correspondance (I, 79).
[15] Correspondance (I, 114).
[16] A sa sœur (p. 46 et p. 74) ; à la comtesse de Soissons, sur la mort de son mari (p. 93) ; à M. de Villeroy, sur celle de sa fille (p. 112). Voir encore p. 20, p. 92, p. 109. — Il faut citer un exemple de ce style obséquieux qui fut, pendant quelque temps, celui de Richelieu, quand il s'adressait aux grands. Il écrit à Sully : Monsieur, si j'avais autant de moyen de vous servir, comme j'ai d'occasion de vous importuner, je vous rendrais les preuves de mon affection et de mon devoir avec autant de contentement que je prends la plume avec déplaisir pour mendier les témoignages non-mérités de votre bienveillance ; ce que je n'eusse jamais osé, si je n'eusse su que ceux qu'avec vérité on peut dire grands, plus encore pour les qualités qui sont en eux que pour leurs charges, sont bien aises d'avoir l'occasion d'obliger leurs inférieurs pour faire paroitre que si leur pouvoir les rend recommandables, leur bonne volonté le fait encore davantage... et cela est écrit en 1612, deux ans après la mort de Henri IV, alors que la faveur de Sully avait pris fin, et que l'évêque de Luçon commençait à s'assurer de son rang et de son mérite. La première moitié du premier volume de la Correspondance est pleine de lettres de ce style qui ne laissent guère deviner le ton sec et impérieux qui domine dans les derniers volumes de la publication de M. Avenel.
[17] Correspondance (t. I, p. 38).
[18] La conversation du maréchal d'Hocquincourt avec le Père Canaye, racontée si spirituellement par SAINT-ÉVREMONT, lève un coin du voile qui recouvre les intérêts pratiques dissimulés sous les luttes théologiques des Jésuites et des Jansénistes. — Voir aussi l'ouvrage, d'ailleurs partial, de VARIN : la Vérité sur les Arnauld, 1847, 2 vol. in-8°.
[19] Correspondance (t. VII, p. 317).
[20] Affaires Étrangères, France (vol. 767, f° 205).
[21] Bibliothèque nationale, Cabinet des Manuscrits, fonds français, n° 22.661, (f° 139) : Discours à Monseigneur le révérend évêque de Luron pour le jour de Noël. Ce discours doit être de le Masle.
[22] Ce sermon est conservé à la Bibliothèque Nationale, cabinet des Manuscrits, f. fr. vol. 25,666. Il nous a été transmis par Le Masle, secrétaire de Richelieu, qui, par une note manuscrite, l'attribue à l'évêque de Luçon. — Sur nos indications, ce sermon a été publié par le P. INGOLD, de l'Oratoire, dans la Semaine catholique de Luçon du 22 décembre 1855.
[23] Ce second sermon de Richelieu est conservé également dans le vol. 25.666 du f. fr. à la Bibl. Nationale. Il a été publié dans les Mélanges de la Collection des documents inédits. Voir le recueil des Maximes d'État et Fragments politiques du cardinal de Richelieu, in-4° (pages 809 et suiv.).
[24] On doit à M. AVENEL la découverte de ce rarissime opuscule. Voir ce qu'il en dit : Revue des Questions historiques, 3e année (I- VI, p. 190). Briefee et facile instruction pour les confesseurs, composée par Maistre J. H. Flavigny docteur en théologie et grand vicaire de Mgr l'évêque de Luçon, à Fontenay, chez Pierre Petit-Jean, 1613. Petit in-12° de 78 feuillets. Les ordonnances synodales suivent immédiatement sans feuille de titre, sans interruption de pagination, cotées 79-98 ; et si on ne lisait en tête ces mots : Nous Armand-Jean du Plessis de Richelieu par la grâce de Dieu évêque de Luçon au clergé et peuple de nostre diocèse, salut, il semblerait que c'est la suite du livre de Flavigny. M. Avenel fait observer fort justement qu'il est peu probable que Richelieu, qui aimait tant alors à écrire sur ces matières, ait laissé à son grand vicaire le soin de parler en son nom.
[25] Voici le titre de la quatrième édition luxueusement imprimée en 1629 : Les principaux poincts de la foy de l'Église catholique défendus contre l'escrit addressé au Roy pur les quatre ministres de Charenton, par Armand Jean du Plessis, cardinal de Richelieu, alors evesque de Luçon. Quatriesme édition. A Paris, chez Sébastien Cramoisy, rue Sainct-Jacques, aux Cicognes. Avec privil. du Roy. — Une édition plus luxueuse encore est sortie des presses de l'imprimerie du Louvre, en 1652, in-f°. J'ai entre les mains l'exemplaire qui a appartenu au cardinal Mazarin.
[26] Instruction du Chrestien par R. Père en Dieu, messire Armand Jean du Plessis, cardinal de Richelieu. A Paris, chez Nicolas de la Vigne, près la porte Saint-Marcel, M. D. C. XXII. Avec approbation. La préface est datée d'Avignon, le 1er septembre 1618. Les réimpressions de cet opuscule sont nombreuses. J'ai sous les yeux les éditions de 1642 et celle de 1667, avec la mention revue, corrigée, augmentée et remise en meilleure ordre par S. E. peu de temps avant sa mort.
[27] Traité de la perfection du Chrestien par le CARDINAL DE RICHELIEU, Paris, Antoine Vitré, M. D. C. XLVI, in-4°.
[28] Traitté qui contient la méthode la plus facile et la plus asseurée pour convertir ceux qui se sont séparés de l'Église, par le CARDINAL DE RICHELIEU, Paris, Sébastien Cramoisy, M. D. C. LVII, in-4°. La première édition est de 1631, in-f°.
[29] On trouve à la Bibliothèque Nationale, dans les manuscrits qui viennent de LE MASLE, une collection très importante de registres contenant des extraits de lectures, pour la plupart théologiques. En marge de ces manuscrits, on lit des renvois qui semblent indiquer que ces morceaux ont dû servir à d'autres travaux. J'inclinerai à croire qu'on se trouve en présence des extraits que Richelieu faisait faire, par le plus ancien et le plus intime de ses secrétaires, pour les œuvres théologiques, politiques ou littéraires qu'il méditait (f. fr, volumes 22.960 et suivants).
[30] Ordonnances synodales (f° 81).
[31] Ordonnances synodales (f° 82, 84).
[32] Ordonnances synodales (f° 88, 89).
[33] Ordonnances synodales (f° 90).
[34] En note, Richelieu ajoute : Quand une chose produit un effet et que nous reconnoissons qu'elle n'a point cette vertu par sa nature ; et que d'autre part Dieu n'a point promis de lui en donner la force surnaturellement, telle chose doit rester condamnée comme diabolique. Exemple : ceux qui nouent l'esguillette ou la denouent ou font denoüer ; voir la lune à gauche, estimer les jours heureux ou malheureux, avoir confiance en certains nombres de chandelles, etc.
[35] Page 157.
[36] Voici comment le P. SENAULT s'exprime sur les ouvrages théologiques de Richelieu et notamment sur l'Instruction du chrétien, dans l'Épître dédicatoire qu'il a mise en tête de son livre l'Usage des passions : Nous lisons vos ouvrages avec respect, nous y allons chercher la pureté du langage et nous y apprenons avec quelle majesté il faut traiter les mystères de la religion et de l'État. Quelles vérités comprend notre créance qui ne soient autrement expliquées en ce divin catéchisme que vous composâtes autrefois pour l'instruction de votre diocèse ? Sous un nom humble, il cache de hantes pensées. et, dans un entretien familier, il enseigne toute la théologie...