HISTOIRE ILLUSTRÉE DE LA GUERRE DE 1914

 

CHAPITRE XVIII. — LA FRANCE EN FACE DE LA GUERRE.

 

 

La Veillée des armes. — L'Opinion publique et la guerre. — Assassinat de J. Jaurès. — La Mobilisation générale. — La Séance du 4 août. — L'Unanimité nationale.

 

CHAQUE peuple va révéler, dans cette crise, où sa vie et les causes de sa vie sont en question, sa nature propre, son tempérament particulier, sa façon de sentir, de penser et d'agir : l'Allemagne fonce sur l'obstacle selon sa méthode audacieuse et rusée ; la Russie accepte, conformément à son instinct mystique et résigné ; l'Angleterre s'en remet à l'évolution du sens propre chez chaque citoyen, lent à ébranler, inébranlable une fois debout ; quant à la France, elle manifeste son aptitude singulière à se gouverner elle-même ; elle est si naturellement centralisée et façonnée à la coopération nationale, qu'elle se passerait de chefs, s'il le fallait, et tirerait, de sa propre résolution, sa hiérarchie et sa discipline.

Les premières journées de la crise sont, à ce point de vue, véritablement symboliques. Le pays est jeté dans le plus grave des conflits qu'ait connus son histoire, à une heure où il n'y avait, à Paris, pour ainsi dire pas de gouvernement. Les Chambres étaient en vacances ; le président de la République et le président du conseil naviguaient, ayant quitté

Cronstadt la veille pour se rendre en Suède et de là en Norvège et en Danemark ; le chef temporaire du cabinet était M. Bienvenu-Martin, ministre des Affaires étrangères par intérim.

Aussitôt qu'il eut reçu les visites successives de l'ambassadeur d'Allemagne et de l'ambassadeur d'Autriche-Hongrie, M. Bienvenu- Martin réunit ses collègues et un conseil de cabinet eut lieu, au quai d'Orsay, le 25, à 6 heures 3o du soir. Y assistaient MM. Malvy, Noulens, Messimy, René Renoult, Gaston Thomson, ministres ; Abel Ferry, Lauraine et Dalimier, sous-secrétaires d'Etat. M. Maurice Raynaud, Fernand David, Couyba, Jacquier ne purent être touchés par la convocation.

A la suite de cette délibération, M. Messimy, ministre de la Guerre, confère avec les chefs de l'armée ; des ordres sont donnés aux préfets et aux hauts fonctionnaires de ne pas quitter leur poste.

Le compte rendu de cette émouvante journée est télégraphié au président de la République et au président du conseil, à Stockholm. M. Viviani fait annoncer qu'il abrégera son voyage pour reprendre la direction des services du quai d'Orsay.

L'opinion ne s'attarde guère aux espérances pacifiques que lui prodiguent la presse et les cercles officieux. Immédiatement, on a le sentiment très net des responsabilités nationales ; on ne s'attarde pas à discuter sur le point de départ de la crise. Les affaires serbes posent la question européenne : cela suffit ; l'union se fait dans les esprits avant que le mot soit prononcé. Toute la France pense de même. Elle se prépare à assumer de lourdes tâches. L'Allemagne veut étendre sur le monde entier les conditions de vie subalterne qu'elle a imposées à la France depuis quarante-cinq ans : mais quarante-cinq ans de silence ne se sont pas écoulés en vain.

On est frappé de ce fait que la démarche comminatoire allemande ne s'est produite qu'à Paris. L'Allemagne applique son système de la France otage. La France ne se laissera pas faire. Une partie de la presse n'hésite pas à se prononcer, sans attendre le résultat des négociations engagées.

L'Echo de Paris, par son article, La Menace allemande, amène une explication de l'ambassadeur Schœn qui vient protester, au quai d'Orsay, de la bonne foi et des excellentes intentions de l'Allemagne. L'opinion française, extrêmement simpliste, veut des faits, non des paroles.

Une seule résolution dans les esprits : s'il faut marcher, on marchera ; une seule préoccupation : que fera l'Angleterre ? Les côtes de la mer du Nord sont dégarnies et sans défense contre un coup de main de la flotte allemande si l'Angleterre s'abstient. Les avertissements de M. Humbert ont jeté quelque doute sur les conditions de la préparation militaire. Mais, quand même, on a confiance.

Le 28 juillet, au matin, une note officielle annonce que le président de la République, interrompant son voyage, a pris la décision de revenir immédiatement en France. Il débarquera à Dunkerque avec M. Viviani, le mercredi 29. Le président s'excuse auprès du roi de Danemark et du roi de Norvège qu'il devait visiter :

La gravité des événements m'impose l'impérieux devoir de rentrer directement en France où je suis rappelé par le conseil des ministres, interprète de l'opinion publique. Je suis confus, etc.

On avait préparé de grandes fêtes pour le retour du président à Dunkerque : ces fêtes n'auront pas lieu.

Le 29, au matin, un conseil des ministres est tenu sous la présidence de M. Bienvenu-Martin, M. Poincaré ne devant arriver qu'à 1 heure 30. A l'issue du conseil, M. Bienvenu-Martin reçoit M. Iswolsky, ambassadeur de Russie.

Une note, parue dans l'Echo de Paris du 30 juillet, indique que les grandes résolutions ont été prises à cette date :

J'ai appris qu'à la suite de ce conseil des ministres, le 29 au matin, les membres du gouvernement, ministres et sous-secrétaires d'Etat, étaient pleinement d'accord avec M. Poincaré et M. Viviani, alors qu'ils étaient encore en mer, sur l'attitude du gouvernement dans le conflit actuel et surtout sur ce point que la France serait, elle aussi, elle surtout, fidèle à ses alliances et à ses amitiés. Le président de la République et le président du conseil ont pleinement approuvé toutes les initiatives prises et tout ce qui a été fait par le gouvernement présidé, à titre intérimaire, par M. Bienvenu-Martin.

Les conseils militaires sont en permanence au ministère de la Guerre. A Toulon, conférence d'amiraux présidée par l'amiral Boué de Lapeyrère à bord du Courbet — sans doute, on prépare les mesures de rapatriement du 19e corps d'Algérie.

De Nancy, on signale que les troupes du 20e corps, dispersées par les manœuvres, reprennent leurs cantonnements ; les officiers en congé sont rappelés, les gares et voies ferrées disposées en cas de mobilisation. Il n'est pas jusqu'à la circulaire invitant les jeunes soldats et les réservistes appelés sous les drapeaux à se munir de chaussures qui ne soit prise comme un garde-à-vous individuel, adressé à chaque Français en état de porter les armes.

A Paris et en province, la foule se porte vers les caisses d'épargne où l'on paye à guichet ouvert. La Bourse, agitée, dès le 24 juillet, par un premier vent de panique, ne se relève pas. Les offres affluent et pas d'acheteurs. On commence à s'apercevoir que la situation est minée par tout un travail préparé de longue main. Une manifestation violente se produit contre un certain baron O.-A. Rosenberg, qui paraît avoir représenté depuis plusieurs années, en diverses circonstances, le coup de la spéculation allemande sur le marché de Paris. Il est sifflé, hué, et descend les marches du monument sous la protection de la police.

Le soir, une manifestation, organisée contre la guerre par la Bataille Syndicaliste, se produit sur les boulevards. Elle coïncide avec un mouvement analogue à Berlin. On évalue les manifestants à 3.000 environ. Ils crient : A bas la guerre ! Vive Jaurès ! L'échauffourée est assez vive depuis le Gymnase jusqu'au carrefour Drouot. La police reste maîtresse de la place vers minuit, tandis qu'un attroupement en sens contraire, criant : Vive l'armée ! est dissipé place de l'Opéra.

Le président de la République et M. Viviani arrivent le mercredi 29. M. René Renoult et Abel Ferry vont au-devant, à Dunkerque.

Le train présidentiel entre en gare de Paris à 1 heure 30. M. Maurice Barrès, dans un article publié par l'Écho de Paris, a invité la population parisienne à venir, en signe d'union, saluer le président. Le président de la République et le président du conseil sont debout dans la voiture, tandis que Paris, en un sentiment unanime, crie : Vive Poincaré ! Vive la France ! Vive l'armée ! Il y a des larmes dans les voix.

A la Chambre, les réunions de groupes ont lieu, malgré les vacances parlementaires. Le groupe socialiste unifié, tandis que MM. Jaurès, Sembat, Vaillant, J. Guesde se rendent à Bruxelles pour assister à la réunion du bureau socialiste international, publie un manifeste signé de cent députés :

La France, qui, depuis quarante ans, a subordonné aux intérêts suprêmes de la paix sa revendication sur l'Alsace-Lorraine, ne peut se laisser entraîner à un conflit dont la Serbie serait l'enjeu... C'est prêter le flanc au germanisme impérial le plus agressif... La France seule peut disposer de la France...

Le groupe radical et radical-socialiste qui forme l'axe de la majorité ministérielle, et qui a le sentiment de ses responsabilités, se réunit et délibère sous la présidence de M. Métin. Là, sont réunis MM. Daniel Vincent, Simyan, Bouffandeau, Tissier, Deshayes. Une délégation, composée de ces membres du groupé, ainsi que de MM. René Besnard, Monestier, Dalbiez, J. Chaumié, André Hesse, Pottevin, général Pedoya, est chargée de communiquer au président du conseil l'ordre du jour voté par le groupe :

Le groupe radical et radical-socialiste reconnaissant la fermeté et la sagesse du gouvernement de la République, dans les circonstances extérieures actuelles, se solidarise étroitement avec lui, dans un sentiment de patriotique con fiance.

La commission du Sénat, chargée, à la suite du discours de M. Humbert, de l'enquête sur le matériel de guerre, et qui s'est réunie plusieurs fois sous la présidence de M. Cochery, s'ajourne en déclarant :

Les renseignements fournis par les différents chefs de service entendus, au sujet notamment de l'artillerie et des approvisionnements en vivres et en chaussures, ne justifient pas les préoccupations récentes.

La Ligue des Patriotes, par l'organe de M. Maurice Barrès, affirme d'abord que le bloc Londres-Pétersbourg-Paris ne doit pas être dissocié... Le manifeste ajoute :

On ne doit plus connaître de partis, mais seulement la France... Nous ne sommes plus qu'une grande armée, grave et résolue, dont tous les hommes se massent coude à coude...

M. S. Pichon, évoquant toute la grandeur du problème, écrit dans le Petit Journal :

Qui sait si l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie n'ont pas choisi l'heure présente comme la moins défavorable pour engager une lutte qui marquerait une des plus grandes catastrophes de l'Histoire ?

Survivant d'un âge qui s'achève, M. d'Estournelles de Constant télégraphie à M. Abel Ferry :

Au nom du groupe parlementaire de l'arbitrage. je me permets de vous rappeler qu'en cas de conflit aigu entre deux puissances signataires les neutres se sont expressément engagés, par l'article 43 de la convention de 1907, à considérer l'intervention amicale, non pas comme un droit, mais comme un devoir dans l'intérêt supérieur de la paix.

Cependant, des combats sanglants ont lieu au Maroc. Le général Gouraud, opérant contre les dissidents Riattas, perd, dans un seul engagement, 5o tués et 88 blessés. Chez les Zaïans, un détachement de la colonne Claudel est, un instant, en péril.

Adrien Hébrard, directeur du Temps, meurt le 29 juillet au soir. Dans le tumulte, la disparition de cet homme d'esprit, de ce manieur d'opinion, de ce Parisien du Midi, qui personnifia une époque, passe presque inaperçue. Il avait parlé, une fois, à la tribune, excellemment. On l'invitait à recommencer : Non, non, répond-il, pour qu'ils me nomment ministre ! non !

A peine rentré de son voyage, le 29, le président de la République préside les conseils des ministres presque en permanence. M. Viviani reçoit les ambassadeurs, les parlementaires notoires au quai d'Orsay. Les entretiens se traînent encore dans une sorte d'incertitude.

L'artillerie autrichienne bombarde Belgrade ; la Russie se déclare ; l'Angleterre est hésitante ; quel sens donner au revirement réel ou apparent de la diplomatie austro-hongroise ? Les avis sont partagés. Une sorte de voile pèse sur les âmes, de même que l'anxiété étreint les cœurs.

On apprend qu'en province, l'émotion est au comble. M. Herriot, maire de Lyon, fait appel au sang-froid des citoyens pour collaborer au maintien de l'ordre public. La foule se presse aux caisses d'épargne où l'on commence à se sentir débordé ; en présence de la situation aventurée de la place de Paris, la liquidation de la fin du mois peut amener un effondrement.

En somme, l'opinion qui s'affirme, le 30 juillet, au sujet de l'éventualité d'un conflit européen, a quelque chose de résolu, de grave et de généreux.

Le Figaro résume cette impression :

Ce que nous pouvons dire, quoi qu'il arrive, c'est que la France n'a aucune responsabilité directe ou indirecte dans le casus belli actuel, qu'elle n'a provoqué, attaqué ni excité personne, qu'elle a le cœur pur et les mains nettes... La France se sent fortement unie dans la main de ses chefs, loyalement attachée à ses amis et à ses alliés. Elle veut la paix, mais si on lui force la main, si on lui impose la guerre, elle l'acceptera avec résolution, avec sang-froid, avec ténacité, avec courage... La France est résolue à soutenir, avec ses alliés et amis, une cause qu'elle a servie si souvent au cours des siècles, celle de la liberté du monde. Puisqu'elle est ainsi décidée et prête à se battre s'il le faut, n'est-ce pas une situation excellente pour défendre passionnément, et jusqu'à la dernière minute, la paix ? (G. Hanotaux.)

M. Clemenceau écrit dans l'Homme libre :

C'est une force de savoir qu'on lutte pour l'existence même de la patrie. Nous sommes dans ce cas, précisément, et ceux qui ont triomphé de nous 'avec tant de peine, quand nos armées étaient anéanties et que tous les moyens d'action nous manquaient à la fois, vont apprendre ce que nous pouvons faire, quand il n'y a plus d'autre moyen que la victoire pour sauver notre pays.

Le jeudi 30, on dément encore officiellement que des mesures de mobilisation générale soient prises par les ministères compétents.

Aux caisses d'épargne, les remboursements à vue sont supprimés. Les déposants n'obtiendront que 50 francs par quinzaine et sur demande écrite.

A la Chambre, les couloirs se sont soudain animés, les groupes se forment, s'agitent : L'Allemagne mobilise, la France va mobiliser ! M. Jaurès arrive de Bruxelles. Il est optimiste. Les choses peuvent encore s'arranger ; on veut le croire.

Les républicains de gauche votent un ordre du jour exprimant la confiance dans le gouvernement. Les socialistes décident de manifester en faveur de la paix. Les directeurs des journaux de Paris sont convoqués au ministère de l'Intérieur et prennent, auprès de M. Malvy, l'engagement de ne publier qu'à bon escient les nouvelles intéressant la Défense nationale. Le Journal Paris-Midi, qui annonce l'appel de quatre classes de réservistes, est déféré à la justice. M. Gustave Hervé publie un article très remarqué : Le Patriotisme révolutionnaire, qui est comme une réponse à la démarche du camarade Muller :

Une grève générale unilatérale, faite seulement eu France, pourrait livrer la frontière et le pays à l'état-major allemand ; le parti socialiste et la C. G. T., en silence, y renoncent... Aujourd'hui comme en 1792... notre patriotisme révolutionnaire serait, le cas échéant, le grand ressort et la suprême sauvegarde de la patrie en danger...

Les trois sociétés de la Croix-Rouge se mettent en mesure de mobiliser leur personnel et leur matériel sur toute l'étendue du territoire.

La guerre serait acceptée, avec ses terribles aléas, si on n'avait encore quelque doute sur le parti que prendra l'Angleterre. Sans l'Angleterre, répète-t-on partout, la guerre est une folie. Ceci dit, si on doit se battre, on se battra.

A mesure que paraissaient les éditions spéciales des journaux, des groupes se for-niaient autour des kiosques. Des passants parlaient sur un ton calme, se reconnaissant les mêmes sentiments. Pas un cri malséant, pas une manifestation. Tous se décidaient, dans leur cœur, à l'exécution du devoir. On remarque, dès lors, que Paris n'a plus de nerfs. Il prend une attitude de résolution et de tranquille sérénité !

LA VEILLÉE DES ARMES.

Le vendredi 31 juillet assiste à la débandade de la paix. Les dernières espérances s'évanouissent.

Le gouvernement se décide à prendre le pays pour confident de ses angoisses et de ses résolutions. L'Agence Havas et le Temps publient une sorte de relevé des préparatifs militaires allemands qui sont de nature à révéler les intentions de son gouvernement.

Deux conseils des ministres ont lieu, le 31 juillet : Le gouvernement, en attendant l'issue des négociations diplomatiques engagées, continue à prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la protection de nos frontières.

L'affiche suivante est placardée à la gare de l'Est : Les trains se dirigeant sur l'Allemagne sont limités : à Lunéville par la voie d'Avricourt, à Belfort par la voie de Mulhouse. La circulation des trains sur les lignes d'Alsace-Lorraine est interrompue.

Des bruits circulent sur l'arrestation et l'expulsion d'Allemands soupçonnés d'espionnage. Une foule énorme d'Allemands et d'Autrichiens se porte aux gares. On apprend que les garnisons de Vincennes et de Versailles sont sur pied. Des régiments d'infanterie et de cavalerie traversent la ville, la nuit, silencieusement.

On attend toujours des renseignements précis sur l'attitude de l'Angleterre. La confiance est générale, mais on voudrait une déclaration positive : la froide déclaration de M. Asquith tombe comme une douche dans la soirée.

Vers onze heures, le bruit se répand, dans la ville enfiévrée, que Jaurès vient d'être assassiné. Jaurès dînait avec quelques amis au restaurant du Croissant, rue Montmartre ; il était assis sur une banquette adossée au mur, tout contre la fenêtre entr'ouverte. Il regardait une photographie d'enfant qu'un des convives venait de lui passer. Un homme armé d'un revolver s'arrête sur le trottoir, passe le bras par l'ouverture et tire trois fois. Jaurès, frappé à la tête de deux balles à bout portant, s'affaisse sans proférer une parole, sans pousser un cri. On s'empresse autour de lui ; vainement. Au bout de quelques minutes, il expire.

L'assassin fut arrêté immédiatement ; il refusa d'abord de parler et de dire son nom. Mais, vers minuit, il répondit aux questions du commissaire de police. Il déclara s'appeler Raoul Vilain, né à Reims en 1885, fils du greffier du tribunal civil, élève à l'Ecole d'archéologie du Louvre. Pourquoi avez-vous tué ? lui demandèrent les magistrats. — Parce que Jaurès était un ennemi de la loi de trois ans et qu'il nuisait à la patrie ; j'ai voulu faire justice.

Il déclara n'avoir pas de complice et n'appartenir à aucun parti politique.

Dès la nouvelle de l'assassinat de Jaurès, le gouvernement prit des mesures pour assurer l'ordre. Une proclamation fut adressée par le président du conseil, M. Viviani, à la population parisienne :

Je me découvre personnellement, disait le président du conseil, devant la tombe si tôt ouverte du républicain socialiste qui a lutté pour de si nobles causes et qui, en ces jours difficiles, a, dans l'intérêt de la paix, soutenu, de son autorité, l'action patriotique du gouvernement.

Dans les graves circonstances que la patrie traverse, le gouvernement compte sur le patriotisme de la classe ouvrière, de toute la population, pour observer le calme et ne pas ajouter aux émotions publiques, par une agitation qui jetterait la capitale dans le désordre.

Tous les journaux s'associèrent à ces paroles et au deuil public ; l'Action Française déclara que, contrairement au bruit qui avait couru, Raoul Villain n'était pas un camelot du Roi.

Ces appels furent entendus. La mort de Jaurès, connue dès le vendredi soir, cause une vive émotion dans Paris, mais nul trouble. Une brève manifestation se produisit aux cris de Vive l'Internationale ! Vive Jaurès ! Elle se dissipa d'elle-même.

Ce n'est pas sur une tombe qu'il est permis de juger une vie. Jean Jaurès, fils de famille bourgeoise, élève distingué de l'Ecole Normale Supérieure, philosophe, professeur, député, grand orateur, puissant dialecticien, parlementaire souple et persévérant, politicien de mœurs pures, de cœur vaste et de pensée subtile, tenta, avec des fortunes diverses, l'adaptation d'un programme socialiste assez vague aux formes électorales et parlementaires établies par la Constitution de 1875. Par sa naissance comme par son temps, il fut enfermé dans un cadre trop étroit que ses larges épaules ne furent pas assez puissantes pour rompre.

Il assista, sans envie, mais sans joie, à la fortune politique de ses brillants contemporains de la bourgeoisie radicale et radicale-socialiste. Il pouvait dire à un des chefs d'équipe, le fameux : Pas cela et pas vous ! Il médita toute sa vie une ascension et un programme qu'il ne sut ni préciser ni réaliser.

Il fut la figure la plus expressive de son temps par la prodigieuse puissance verbale. Dans le testament politique surabondant et sonore qu'il laisse, on trouve, au milieu d'un fouillis voué à l'oubli, de quoi faire une gerbe que retrouvera l'avenir.

Il voulait la paix, mais il n'entendait nullement désarmer la nation. Son œuvre, l'Armée nouvelle, le prouve ; mais son rêve à ce sujet, comme sur tant d'autres points, manquait d'actualité.

Il avait confiance dans une paix de modération et de sagesse ; peut-être se confiait-il un peu trop à la fidélité ou à l'autorité de ses camarades socialistes d'outre-Rhin.

Jaurès n'était pas un adversaire de l'alliance russe. Il sentait qu'elle apportait à la France une garantie contre une attaque brutale de la part de l'Allemagne. Il reconnaissait que la France, en saluant le drapeau de la Russie, n'abaissait pas le sien. Mais il voulait que cette alliance fût purement défensive ; il signalait les complications séculaires de la politique russe en Orient, comme pouvant ouvrir brusquement des conflits où nous serions entraînés. On donne, comme une preuve de la solidité et de la continuité de la pensée chez Jaurès, ce fait désormais historique de sa dernière intervention ; quelques heures avant sa mort, auprès des pouvoirs publics, dans le but de sauvegarder l'indépendance souveraine de la politique française vis-à-vis de l'alliance franco-russe[1].

Si Jaurès eût vécu, il eût, sans doute, développé, avec sa fougue ordinaire, les conséquences de l'attitude adoptée par lui à cette heure suprême. Il eût été, pour le pouvoir, une grande force, s'il en eût fait partie, une grande gêne si on l'en avait tenu éloigné, et, peut-être, pour la France, une grave cause de trouble, si, après avoir collaboré avec le gouvernement, il se fût séparé de lui.

Le corps de Jaurès devant être porté dans le Tarn, les obsèques eurent lieu, le 4 août, au milieu d'un immense concours de peuple : il fut conduit à la gare du quai d'Orsay, dans le silence ému de la ville, entouré de délégations ouvrières et politiques, accompagné d'une pompe officielle qu'il n'avait pas prévue. Sa disparition soudaine ouvrait, par un drame, le drame de la guerre. La douleur était réelle, quoique distraite par la grandeur des événements.

Le président du conseil, M. Viviani, rendit hommage à l'orateur et à l'ami :

Je l'avais reçu vendredi soir. Sa voix éclatante clans le discours, persuasive et douce, presque câline clans l'entretien, suppliait pour la paix, mais pour la paix dans la justice et dans l'honneur. Il m'avait félicité de l'attitude du gouvernement. Il m'avait assuré du concours de tous et je n'oublierai pas l'affectueuse étreinte de ses mains tendues vers moi...

On remarqua les paroles émouvantes du secrétaire de la Confédération générale du travail, M. Jouhaux, qui furent interprétées comme assurant la collaboration active des classes ouvrières à la défense du pays :

C'est dans son souvenir que nous puiserons les forces qui nous seront nécessaires pour faire notre devoir. Au nom des organisations syndicales, au nom de tous ces travailleurs qui ont déjà rejoint leur régiment et de ceux — dont je suis — qui partiront demain, je déclare que nous allons sur le champ de bataille avec la volonté de repousser l'agresseur : c'est la haine de l'impérialisme qui nous entraîne.

LA MOBILISATION GÉNÉRALE.

Le samedi 1er août, c'est le jour de la mobilisation générale.

L'ordre — dont on trouvera le texte dans le chapitre consacré à la mobilisation des forces françaises — fut délibéré en conseil des ministres le matin ; il fut affiché à cinq heures dans tous les bureaux de poste.

Il fut accueilli partout, en France, dans une sorte de recueillement. Tous savaient le sens profond de cette mesure : ce n'était pas encore la guerre déclarée, mais c'était la guerre probable, à peu près certaine. Pas un Français qui ne sût ce que ce mot comportait de risques et de souffrances ; pas un Français qui ne fît, en cet instant, le sacrifice complet de lui-même et des siens à la patrie. Ce fut l'heure sublime

Et les choses se firent si simplement.

Peut-être trouvera-t-on quelque intérêt à des notes prises, le jour même :

J'appris, à n'en pas douter, que l'ordre-de mobilisation générale allait être affiché. Je rentrai chez moi et nous partîmes immédiatement pour la maison de campagne de l'Aisne où nous passions l'été : en raison du voisinage de la frontière, il y avait des mesures à prendre immédiatement, pour rentrer ensuite à Paris.

Nous quittâmes Paris par une après-midi lumineuse et chaude, avant que l'ordre de mobilisation fût publié ; mais, par le télégraphe, il nous devança bientôt. Dès Meaux, les yeux des femmes en pleurs nous avertirent : la foule était massée devant les bureaux de poste ; on lisait en silence l'affiche tricolore.

La nouvelle nous précédait au fur et à mesure que nous avancions, dépassés, le plus souvent, par les automobiles lancées à toute vitesse, avec des gendarmes porteurs de l'ordre ; dans les villages, la cloche sonnait, le tambour battait ; nous assistions, pour ainsi dire, au spectacle de la France qui se levait ; les hommes quittaient le travail aux ateliers, et dans les fermes ; les paysans hâtaient le pas des chevaux ou laissaient la faucheuse en plein champ ; les femmes se hâtaient de regagner la maison et s'empressaient pour les préparatifs du départ ; les enfants se taisaient, étonnés et ne comprenant pas. On peut dire, qu'au fur et à mesure que l'ordre arrivait, la nation se mettait sur le pied de guerre et recevait, en même temps, l'âme guerrière. Spectacle d'une simplicité et d'une grandeur inouïes ! Comme les hommes ne changent pas, je suppose que ce fut l'effet produit sur la Gaule par les feux qu'alluma Vercingétorix.

Nous arrivâmes dans notre petit village à la nuit tombante ; faute de tambour, le garde champêtre avait pris la clochette de l'enfant de chœur, et, sur le carrefour qui sert de place, il lisait la proclamation en ânonnant et il tintait la guerre.

Nous passâmes la nuit dans les préparatifs d'un départ hâtif. Je ne puis dire quel fut notre étonnement quand nous apprîmes, vers sept heures du matin, que les territoriaux mobilisés pour garder les voies étaient partis. Nous n'en revenions pas d'apprendre que, déjà, ils avaient quitté le village, qu'ils avaient reçu le fusil, le brassard et le képi et, qu'en blouse, en bourgeron, en veston, mais soldats, ils étaient à leur poste. Bientôt, nous les trouvâmes, échelonnés le long des routes. On se reconnaissait et on se saluait de loin.

Dès que tout fut prêt, les adieux faits au jardinier et aux voisins qui répondaient à l'appel, la maison confiée à une femme de garde, à deux heures nous étions en voiture, pour faire, en sens contraire, le chemin que nous avions parcouru la veille.

C'était le dimanche. La France était dans un silence parfait. Pas un ivrogne, de Fismes à Paris. Par milliers, le long des routes, les bicyclistes pédalant avec la musette sur le dos ; un bonjour au passage, un temps d'arrêt pour serrer les mains. Les femmes assises sur le pas des portes, déjà seules, ou groupées sur les places, les yeux en pleurs, mais calmes et sans plainte.

Tous les points de concentration gardés ; un ordre parfait. Sur les voies ferrées de la ligne de l'Est, peu de trains ; on avait mis les wagons en réserve pour le grand branle-bas du lendemain.

Même ordre, même calme, mais un peu plus affairé, dans Paris ; les hommes achetant des souliers, les femmes des provisions.

Sur les boulevards, l'animation est plus grande : la foule se porte aux nouvelles. Mais, partout, le même mot : La mobilisation ; c'est bien ; on marchera. Dans les gares, dans le métro, c'est une cohue, mais ordonnée et réglée par la volonté de tous : une sorte de discipline spontanée s'établit déjà dans toute la nation.

Dans la soirée, le diapason monte encore, des cortèges se forment : on chante la Marseillaise, le Chant du départ. On est prêt à partir : demain, on partira.

Vers minuit, des faits ayant un caractère plus grave se produisent ; des bandes qui paraissent organisées tentent le pillage de magasins signalés comme allemands ou austro-hongrois ; des hommes suspects vont, par les rues, un pot à colle à la main et affichant des placards sur les boutiques fermées. Les magasins de la maison Maggi sont mis au pillage. La police est, un moment, débordée, mais elle se ressaisit aussitôt.

Le lundi 3 août, l'état de siège est proclamé ; les Chambres sont convoquées pour le lendemain, 4 août : on apprend que la frontière est violée par des partis allemands ; cependant, M. de Schœn est toujours à l'hôtel de l'ambassade.

Le 3 est la journée de la déclaration de guerre. M. de Schœn remet, dans l'après-midi, à M. Viviani, la note par laquelle son gouvernement le charge de déclarer que, désormais, il se considérait comme en état de guerre avec la France. Un aéroplane allemand a laissé tomber trois bombes sur Lunéville. L'ambassadeur d'Allemagne quitte Paris, le 3, à dix heures du soir.

Un remaniement ministériel a lieu dans la journée : M. Gauthier est remplacé, au ministère de la Marine, par M. Augagneur ; M. Gaston Doumergue redevient ministre des Affaires étrangères ; M. Sarraut prend, à sa place, le portefeuille de l'Instruction publique.

L'État, les villes, les départements commencent à prendre les mesures pour l'organisation du pays en temps de guerre. Les attroupements sont interdits, le stationnement aux terrasses des cafés, également ; les auteurs de troubles ou de désordres publics seront déférés aux conseils de guerre. Le calme est entièrement rétabli.

Par un décret rendu le dimanche matin, les caisses, les banques et les établissements de crédit sont autorisés à opposer le moratorium à tout retrait supérieur à la somme de 250 francs. Les diverses formations de la Croix-Rouge s'organisent avec une ardeur fébrile, sur toute l'étendue du territoire : les premières coiffes blanches et mantes bleues apparaissent.

Hier, s'est inauguré le régime d'état de siège et l'on ne saurait imaginer la tristesse, presque tragique, des boulevards sous la pluie. Boutiques closes, restaurants, cafés fermés, partout les inscriptions pour cause de mobilisation. Sur les chaussées, des automobiles lancées à grande vitesse dans la direction d'une gare. Sur les trottoirs, de rares passants affairés, qui filent sous les parapluies. Pauvre Paris, quand y reverrons-nous briller trop de lumières ? (Figaro.)

Le mercredi 4 août, le gouvernement de la République prend les initiatives qui sont de son droit et de son devoir, quand la France est attaquée.

Les Chambres se sont réunies. Le président de la République leur adresse le message suivant :

Messieurs les députés,

La France vient d'être l'objet d'une agression brutale et préméditée, qui est un insolent défi au droit des gens. Avant qu'une déclaration de guerre nous eût encore été adressée, avant même que l'ambassadeur d'Allemagne eût demandé ses passeports, notre territoire a été violé. L'empire d'Allemagne n'a fait hier soir que donner tardivement le nom véritable à un état de fait qu'il avait déjà créé,

Depuis plus de quarante ans, les Français, dans un sincère amour de la paix, ont refoulé au fond de leur cœur le désir des réparations légitimes.

Ils ont donné au monde l'exemple d'une grande nation qui, définitivement relevée de la défaite par la volonté, la patience et le travail, n'a usé de sa force renouvelée et rajeunie que dans l'intérêt du progrès et pour le bien de l'humanité.

Depuis que l'ultimatum de l'Autriche a ouvert une crise menaçante pour l'Europe entière, la France s'est attachée à suivre et à recommander partout une politique (le prudence, de sagesse et de modération.

On ne peut lui imputer aucun acte, aucun geste, aucun mot qui n'ait été pacifique et conciliant.

A l'heure des premiers combats, elle a le droit de se rendre solennellement cette justice qu'elle a fait, jusqu'au dernier moment, des efforts suprêmes pour conjurer la guerre qui vient d'éclater et dont l'empire d'Allemagne supportera, devant l'histoire, l'écrasante responsabilité. (Applaudissements unanimes et répétés.)

Au lendemain même du jour où nos alliés et nous, nous exprimions publiquement l'espérance de voir se poursuivre pacifiquement les négociations engagées sous les auspices du cabinet de Londres, l'Allemagne à déclaré subitement la guerre à la Russie, elle a envahi le territoire du Luxembourg, elle a outrageusement insulté la noble nation belge (Vifs applaudissements unanimes), notre voisine et notre amie, et elle a essayé de nous surprendre traîtreusement en pleine conversation diplomatique. (Nouveaux applaudissements unanimes et répétés.)

Mais la France veillait. Aussi attentive que pacifique, elle s'était préparée ; et nos ennemis vont rencontrer sur leur chemin nos vaillantes troupes de couverture, qui sont à leurs postes de bataille et à l'abri desquelles s'achèvera méthodiquement la mobilisation de toutes nos forces nationales.

Notre belle et courageuse armée, que la France accompagne aujourd'hui de sa pensée maternelle (Vifs applaudissements), s'est levée toute frémissante pour défendre l'honneur du drapeau et le sol de la patrie. (Applaudissements unanimes et répétés.)

Le Président de la République, interprète de l'unanimité du pays, exprime à nos troupes de terre et de mer l'admiration et la confiance de tous les Français. (Vifs applaudissements prolongés.)

Etroitement unie en un même sentiment, la nation persévérera dans le sang-froid dont elle a donné, depuis l'ouverture de la crise, la preuve quotidienne. Elle saura, comme toujours, concilier les plus généreux élans et les ardeurs les plus enthousiastes avec cette maîtrise de soi qui est le signe des énergies durables et la meilleure garantie de la victoire. (Applaudissements.)

Dans la guerre qui s'engage, la France aura pour elle le droit, dont les peuples, non plus que les individus, ne sauraient impunément méconnaître l'éternelle puissance morale. (Vifs applaudissements unanimes.)

Elle sera héroïquement défendue par tous ses fils, dont rien ne brisera devant l'ennemi l'union sacrée et qui sont aujourd'hui fraternellement assemblés dans une même indignation contre l'agresseur et dans une même foi patriotique. (Vifs applaudissements prolongés et cris de : vive la France.)

Elle est fidèlement secondée par la Russie, son alliée (Vifs applaudissements unanimes) ; elle est soutenue par la loyale amitié de l'Angleterre. (Vifs applaudissements unanimes.)

Et déjà, de tous les points du monde civilisé, viennent à elle les sympathies et les vœux. Car elle représente aujourd'hui, une fois de plus, devant l'univers, la liberté, la justice et la raison. (Vifs applaudissements répétés.)

Haut les cœurs et vive la France ! (Applaudissements.)

La lecture du message est accueillie par une salve d'applaudissements unanimes et prolongés.

Maurice Barrès raconte la séance de la Chambre : Hier, après-midi à trois heures... Le gouvernement va expliquer aux Chambres l'agression sauvage de l'Allemagne et les moyens d'y faire face. Le président Deschanel se lève : Dans les graves circonstances... c'est l'éloge funèbre de J. Jaurès qui commence : tous debout ! On salue le mort. Puis, voici l'appel : Du cercueil de cet homme sort une pensée d'union, de ses lèvres glacées, un cri d'espérance !...

Maintenant, un intervalle de silence et d'immobilité. Entre le président du conseil. Hier, M. Viviani était un partisan, un homme combattu... Aujourd'hui, nous ne voulons plus rien savoir, excepté qu'il est le gouvernement de la France, derrière lequel on se range. Puis, en son nom propre, il expose au pays et à l'univers, les causes de la guerre, les raisons de la France. Historique indispensable... Un autre écrivain fait ce court portrait de M Viviani à la tribune : Cet homme jeune porte toute la responsabilité du pouvoir. Il ne semble pas qu'il en soit écrasé. Sous son front solide et dur, ses yeux sont calmes. La mâchoire avance. Le visage, rudement taillé, exprime précisément l'énergie qu'on désire... Barrès reprend, tourné maintenant vers l'assemblée : Avec une spontanéité admirable, toute faite d'intelligence et d'enthousiasme, cette assemblée saisissait, soulignait, parachevait chaque intention du discours. Elle se leva d'un bond pour le salut à la Russie, pour le salut à l'Angleterre, pour le salut à l'Italie, pour le salut à la Serbie, pour le salut, le plus long de tous, le plus chargé d'amour, à nos frères d'Alsace-Lorraine. Mais, comment raconter cette séance : on en peut dire les faits ; l'émotion patriotique dont nous étions tous bouleversés, je ne saurais la saisir, la mettre sur ce papier... Avant même qu'elle ait jeté sur notre nation sa pluie de sang, la guerre, rien que par ses approches, nous fait déjà sentir ses forces régénératrices : c'est une résurrection.

Le comte de Mun évoque un souvenir : Tandis que, le cœur battant, les yeux pleins de larmes, j'assistais à ce spectacle, unique dans les fastes d'un peuple, la mémoire des jours passés se dressait devant moi... Je revoyais cette journée du 15 juillet 1870 où, dans la petite cour du quai d'Orsay, j'attendais, lieutenant de cavalerie prêt à partir, la fin de la séance. Le capitaine de garde se montra, agitant son képi en criant : La guerre est déclarée ! Il y eut, parmi les officiers, une clameur d'enthousiasme. L'instant d'après, les députés sortirent, le front soucieux, inquiets et troublés, doutant de leur œuvre. L'armée acclamait la guerre ; eux la subissaient, résignés, incertains si la nation était avec eux.

Quel contraste ! Hier, la nation était là, tout entière, vibrante et sûre de sa cause. Ceux qui parlèrent en son nom, tous en des mots magnifiques, grandis à la hauteur de l'événement, furent vraiment les interprètes de son âme.

Les historiens de l'antiquité composaient, pour les mettre dans la bouche des orateurs, des discours que les enfants récitent encore : nous avons la déclaration même de M. René Viviani, président du conseil, telle qu'elle fut entendue dans cette mémorable séance du 4 août 1914, exposé simple et fort, de faits et de documents, qui parle à la raison avec toute la force et la vérité.

Après un récit des pourparlers diplomatiques qui ont suivi l'envoi de la note austro-hongroise à la Serbie, l'orateur expose la situation précise faite à la France :

... Telle était la situation, lorsque, le 31 juillet au soir, le gouvernement allemand, qui, depuis le 24, n'avait participé par aucun acte positif aux efforts conciliants de la Triple-Entente, adressa au gouvernement russe un ultimatum, sous prétexte que la Russie avait ordonné la mobilisation générale de ses armées et il exigeait, dans un délai de douze heures. l'arrêt de cette mobilisation.

Cette exigence, d'autant plus blessante dans la forme que, quelques heures plus tôt, l'empereur Nicolas II, dans un geste de confiance spontanée, avait demandé à l'empereur d'Allemagne sa médiation, se produisait au moment où, à la demande de l'Angleterre et au su de l'Allemagne, le gouvernement russe acceptait une formule de nature à préparer un règlement amiable (lu conflit austro-serbe et des difficultés austro-russes, par l'arrêt simultané des opérations et préparatifs militaires.

Le même jour, cette démarche inamicale à l'égard de la Russie se doublait d'actes nettement hostiles à l'égard de la France : rupture des communications par routes, voies ferrées, télégraphes et téléphones, saisie des locomotives françaises à leur arrivée à la frontière, placement de mitrailleuses au milieu de la voie ferrée qui avait été coupée, concentration de troupes à cette frontière.

Dès ce moment, il ne nous était plus permis de croire à la sincérité des déclarations pacifiques que le représentant de l'Allemagne continuait à nous prodiguer... (Mouvement.)

Nous savions qu'à l'abri de l'état de guerre proclamé, l'Allemagne mobilisait.

Nous apprenions que six classes de réservistes avaient été appelées et que les transports de concentration se poursuivaient pour des corps d'armée, même stationnés à une notable distance de la frontière.

A mesure que ces événements se déroulaient, le gouvernement, attentif et vigilant, prenait de jour en jour, et même d'heure en heure, les mesures de sauvegarde qu'imposait la situation ; la mobilisation générale de nos armées de terre et de mer a été ordonnée.

Le même soir, à 7 heures 30, l'Allemagne, sans égard à l'acceptation par le cabinet de Saint-Pétersbourg de la proposition anglaise que j'ai rappelée plus haut, déclarait la guerre à la Russie.

Le lendemain, dimanche 2 août, sans égard à l'extrême modération de la France, en contradiction avec les déclarations pacifiques de l'ambassadeur d'Allemagne à Paris, au mépris des règles du droit international, les troupes allemandes franchissaient en trois points différents notre frontière.

En même temps, en violation du traité de 1867, qui a garanti avec la signature de la Prusse la neutralité du Luxembourg, elles envahissaient le territoire du Grand-Duché, motivant ainsi la protestation du gouvernement luxembourgeois.

Enfin, la neutralité de la Belgique même était menacée, le ministre d'Allemagne remettait, le 2 août au soir, au gouvernement belge, un ultimatum l'invitant à faciliter en Belgique les opérations militaires contre la France, sous le prétexte mensonger que la neutralité belge était menacée par nous ; le Gouvernement belge s'y refusa, déclarant qu'il était résolu à défendre énergiquement sa neutralité, respectée par la France et garantie par les traités, en particulier par le roi de Prusse. (Applaudissements unanimes et prolongés.)

Depuis lors, messieurs, les agressions se sont renouvelées, multipliées et accentuées. Sur plus de quinze points, notre frontière a été violée. Des coups de fusil ont été tirés contre nos soldats et nos douaniers. Il y a eu des morts et des blessés. Hier, un aviateur militaire allemand a lancé trois bombes sur. Lunéville.

L'ambassadeur d'Allemagne, à qui nous avons communiqué ces faits, ainsi qu'à toutes les grandes puissances, ne les a pas démentis et n'en a pas exprimé de regrets. Par contre, il est venu hier soir me demander ses passeports et nous notifier l'état de guerre, en arguant, contre toute vérité, d'actes d'hostilité commis par des aviateurs français en territoire allemand, dans la région de l'Eiffel et même sur le chemin de fer de Carlsruhe à Nuremberg. Voici la lettre qu'il m'a remise à ce sujet :

Monsieur le Président,

Les autorités administratives et militaires allemandes ont constaté un certain nombre d'actes d'hostilité caractérisée commis sur territoire allemand par des aviateurs militaires français. Plusieurs de ces derniers ont manifestement violé la neutralité de la Belgique, survolant le territoire de ce pays. L'un a essayé de détruire des constructions près de Wesel, d'autres ont été aperçus sur la région de l'Eiffel, un autre a jeté des bombes sur le chemin de fer, près de Carlsruhe et de Nuremberg.

Je suis chargé et j'ai l'honneur de faire connaître à Votre Excellence qu'en présence de ces agressions, l'Empire allemand se considère en état de guerre avec la France, du fait de cette dernière puissance.

J'ai, en même temps, l'honneur de porter à la connaissance de Votre Excellence que les autorités allemandes retiendront les navires marchands français dans des ports allemands, mais qu'elles les relâcheront si, dans les quarante-huit heures, la réciprocité complète est assurée.

Ma mission diplomatique ayant ainsi pris fin, il ne me reste plus qu'à prier Votre Excellence de vouloir bien me munir de mes passeports et de prendre les mesures qu'elle jugerait utiles pour assurer mon retour en Allemagne, avec le personnel de l'ambassade, ainsi qu'avec personnel de la légation de Bavière et du consulat général d'Allemagne à Paris.

Veuillez agréer, monsieur le président, l'expression de ma très haute considération.

Signé : SCHOEN.

Ai-je besoin, messieurs, d'insister sur l'absurdité de ces prétextes que l'on voudrait présenter comme des griefs ? A aucun moment, aucun aviateur français n'a pénétré en Belgique, aucun aviateur français n'a commis ni en Bavière, ni dans aucune autre partie de l'Allemagne, aucun acte d'hostilité. L'opinion européenne a déjà fait justice de ces inventions misérables. (Vifs applaudissements unanimes.)

Contre ces attaques qui violent toutes les lois de l'équité et toutes les règles du droit public, nous avons, dès maintenant, pris toutes les dispositions nécessaires ; l'exécution s'en poursuit avec une rigoureuse méthode et un absolu sang-froid.

La mobilisation de l'armée russe se continue également, avec une énergie remarquable et un enthousiasme sans restriction. (La Chambre entière se lève. — Applaudissements unanimes et prolongés.)

L'armée belge, mobilisée à 250.000 hommes, se dispose à défendre avec une magnifique ardeur la neutralité et l'indépendance de son pays. (Nouveaux applaudissements vifs et unanimes.)

La flotte anglaise est mobilisée tout entière et l'ordre a été donné de mobiliser l'armée de terre. (Tous les députés se lèvent et applaudissent longuement.)

Messieurs, voilà les faits. Je crois que, clans leur rigoureux enchaînement, ils suffisent à justifier les actes du gouvernement de la République. Je veux cependant, de ce récit, dégager la conclusion, donner son véritable sens à l'agression dont la France est victime.

Les vainqueurs de 1870, ont eu, vous le savez, à diverses reprises, le désir de redoubler les coups qu'ils nous avaient portés. En 1875, la guerre destinée à achever la France vaincue n'a été empêchée que par l'intervention des deux Puissances à qui devaient nous unir plus tard les liens de l'alliance et de l'amitié (Applaudissements unanimes), par l'intervention de la Russie et par celle de la Grande-Bretagne. (Tous les députés se lèvent et applaudissent longuement.)

Depuis lors, la République française, par la restauration des forces nationales et la conclusion d'accords diplomatiques invariablement pratiqués, a réussi à se libérer du joug, qu'au sein même de la paix Bismarck avait su faire peser sur l'Europe.

Elle a rétabli l'équilibre européen, garant de la liberté et de la dignité de chacun.

Messieurs, je ne sais si je.ne m'abuse, mais il m'apparaît que cette œuvre de réparation pacifique, d'affranchissement et de dignité définitivement scellée en 1904 et 1907 avec le concours génial du roi Edouard VII d'Angleterre et du gouvernement de la Couronne (Vifs applaudissements), c'est cela que l'empire allemand veut détruire aujourd'hui par un audacieux coup de force.

L'Allemagne n'a rien à nous reprocher.

Nous avons consenti à la paix un sacrifice sans précédent, en portant, un demi-siècle, silencieux, à nos flancs, la blessure ouverte par elle. (Vifs applaudissements unanimes.)

Nous en avons consenti d'autres dans tous les débats que, depuis 1904 la diplomatie impériale a systématiquement provoqués soit au Maroc, soit ailleurs, aussi bien en 1905 qu'en 1906, en 1908 qu'en 1911.

La Russie, elle aussi, a fait preuve d'une grande modération, lors des événements de 1908, comme dans la crise actuelle.

Elle a observé la même modération, et la Triple-Entente avec elle, quand, dans la crise orientale de 1912, l'Autriche et l'Allemagne ont formulé, soit contre la Serbie, soit contre la Grèce, des exigences, discutables pourtant, l'événement l'a prouvé.

Inutiles sacrifices, stériles transactions, vains efforts, puisqu'aujourd'hui, en pleine action de conciliation, nous sommes, nos alliés et nous, attaqués par surprise. (Applaudissements prolongés.)

Nul ne peut croire de bonne foi que nous sommes les agresseurs. Vainement, l'on veut troubler les principes sacrés de droit et de liberté qui régissent les nations comme les individus : l'Italie, dans la claire conscience du génie latin, nous a notifié qu'elle entendait garder la neutralité. (Tous les députés se lèvent et applaudissent longuement.)

Cette décision a rencontré dans toute la France l'écho de la joie la plus sincère. Je me suis fait l'interprète auprès du chargé d'affaires d'Italie en lui disant combien je me félicitais que les deux sœurs latines, qui ont même origine et même idéal, un passé de gloire commun, ne se trouvent pas opposées. (Nouveaux applaudissements.)

Ce qu'on attaque, messieurs, nous le déclarons très haut, c'est cette indépendance, cette dignité, cette sécurité que la Triple-Entente a reconquises dans l'équilibre au service de la paix.

Ce qu'on attaque, ce sont les libertés de l'Europe, dont la France, ses alliés et ses amis sont fiers d'être les défenseurs. (Vifs applaudissements.)

Ces libertés, nous allons les défendre, car ce sont elles qui sont en cause et tout le reste n'a été que prétextes.

La France, injustement provoquée, n'a pas voulu la guerre, elle a tout fait pour la conjurer. Puisqu'on la lui impose, elle se défendra contre l'Allemagne et contre toute puissance qui, n'ayant pas encore fait connaître son sentiment, prendrait part aux côtés de cette dernière au conflit entre les deux pays. (Tous les députés se lèvent et applaudissent.)

Un peuple libre et fort qui soutient un idéal séculaire et s'unit tout entier pour la sauvegarde de son existence ; une démocratie qui a su discipliner son effort militaire et n'a pas craint, l'an passé, d'en alourdir le poids pour répondre aux armements voisins, une nation armée, luttant pour sa vie propre et pour l'indépendance de l'Europe, voilà le spectacle que nous nous honorons d'offrir aux témoins de cette lutte formidable qui, depuis quelques jours, se prépare dans le calme le plus méthodique. Nous sommes sans reproches ; nous serons sans peur. (Tous les députés se lèvent et applaudissent longuement.)

La France a prouvé souvent, dans des conditions moins favorables, qu'elle est le plus redoutable adversaire quand elle se bat, comme c'est le cas aujourd'hui, pour la liberté et pour le droit. (Applaudissements.)

En vous soumettant nos actes, à vous, Messieurs, qui êtes nos juges, nous avons, pour porter le poids de notre lourde responsabilité, le réconfort d'une conscience sans trouble et la certitude du devoir accompli.

Tous les députés se lèvent et applaudissent longuement. — M. le président du conseil, de retour au banc du gouvernement, reçoit les félicitations des députés.

Quand l'ovation patriotique faite au président du conseil fut calmée, la Chambre vota, sans débat, 25 projets de loi, déposés par les divers ministres pour l'organisation du pays en temps de guerre.

La séance fut ensuite suspendue dans le plus grand calme, pour attendre le vote du Sénat.

Au Sénat, le message du président de la République est lu par M. Bienvenu-Martin, garde des sceaux. M. Viviani donne ensuite lecture de la communication qu'il avait fait connaître d'abord à la Chambre.

Les vieillards acclament ce que les jeunes hommes ont acclamé. L'enthousiasme a quelque chose de plus pondéré et de plus grave. Combien, parmi les sénateurs, ont vu 1870 et ont passé une longue vie dans le souvenir et dans l'espérance ? L'heure sonne qui les console d'avoir vécu. M. Antonin Dubost, président du Sénat, qui résume en sa seule personne tant de hautes traditions, exprime cette pleine adhésion de quarante années d'attente et de patience :

Le Sénat a écouté la communication du gouvernement ; il en a mesuré toute la gravité et il l'approuve résolument. Les votes que vous allez émettre sont des actes, les derniers de ceux par lesquels, depuis quarante ans, vous vous efforcez de mettre la France et son armée en état de repousser l'envahisseur et d'assurer l'intégrité du territoire. Vous avez fait votre devoir. L'armée, ou plutôt la nation armée, va faire le sien et, fidèle à ses alliés, elle combattra avec eux pour les causes les plus sacrées : les neutralités violées, la frontière envahie, et l'indépendance de la patrie. Vive à jamais la France et la République !

Pendant que le Sénat vote les projets de loi déjà votés par la Chambre, M. Viviani revient à la Chambre. Il remercie l'assemblée, il salue la France et tous les partis, confondus aujourd'hui, dans la religion de la patrie, il salue la jeunesse qui marche à la frontière, le front levé et le cœur vaillant.

M. Paul Deschanel parle à son tour et c'est, maintenant, la voix virile du pays qui répond à l'appel du gouvernement :

Les représentants de la nation, dont un grand nombre vont combattre sous les drapeaux et repousser une agression monstrueuse... (Vifs applaudissements) s'associent au gouvernement et offrent à la France armée qui ne s'est jamais levée pour une plus juste cause (Vifs applaudissements), leur admiration, leur dévouement toujours prêts et leur confiance dans son indomptable courage. Que nos armées de terre et de mer soient fermes pour le salut de la civilisation et du droit ! (Acclamations enthousiastes.) Vive la France, notre mère ! Vive la République. (Applaudissements unanimes et acclamations prolongées.) Vive la France, vive la République. Vive l'Alsace-Lorraine !

La France acceptait unanimement le conflit avec toutes ses conséquences. On savait, dès lors, par l'exposé du président du conseil, on sut plus tard, par la publication du Livre Jaune, que la France recevait la guerre telle que la destinée la lui apportait, sans l'avoir voulue, sans l'avoir provoquée, sans avoir stipulé dans les longues négociations diplomatiques qui la précédèrent, aucune garantie, ni avantage quelconque. Dans ces échanges de vues rapides, tous parlent, chacun pose ses conditions, sauf les ministres français : Sir Edw. Grey parle, M. Sazonoff parle ; l'Autriche et l'Allemagne exigent : la France se tait. Une fois, on demande à M. Bienvenu-Martin s'il a quelques observations à faire ; il répond : Aucune. La France fait tout simplement son devoir, puisqu'il s'agit de défendre sa propre indépendance et la liberté des peuples.

L'histoire de la France avait préparé cette heure : la France a toujours été et reste, dans le monde, le champion du droit, puisque le droit a besoin de la force. Depuis qu'il y a une France, toutes les dominations redoutables aux faibles ont rencontré l'opposition française. C'est pour cela qu'elle a combattu si longtemps sur les terres et sur les mers : sa puissante centralisation et coordination, son agglutination intérieure, si dense et si compacte, entre ses frontières si nettement déterminées, tiennent à ce qu'elle a dû faire tête si souvent, — au nord, au sud, à l'est, étant la forteresse qui, en Europe, protège l'équilibre et l'ordre.

Ce n'est pas pour s'agrandir, ce n'est même pas pour restaurer son unité atteinte, que la France se lève, cette fois encore, c'est parce qu'elle a la conviction que les choses ne peuvent être maintenues dans leur juste mesure, si elle n'y met la main. Elle remplit, une fois de plus, son office séculaire : elle ramène l'humanité au sens exact des proportions.

Si quelque erreur de jugement, quelque grossier empiètement se produit, elle en souffre si cruellement qu'elle ne peut s'empêcher d'intervenir et, dans l'enthousiasme profond qui l'anime, voilà que ce peuple redevient le chevalier qu'il fut dès qu'il apparaît dans l'histoire : il reprend sa lance et baisse sa visière. Il est de nouveau sur le chemin des croisades, sur la route qu'ont suivie les armées révolutionnaires, les libérateurs des Amériques, de la Grèce, de l'Italie, des Balkans. La liberté, la justice, l'idéal ont besoin d'un défenseur : le voici !

En cette année 1914, la France se retrouve toujours la même et c'est ce qui fait cette miraculeuse unanimité, dont on s'étonne. Elle vibre d'une seule âme, puisque c'est son âme.

La France ne se bat pas pour telle ou telle raison diplomatique, historique ou politique : elle ne se bat même pas pour reconquérir l'Alsace-Lorraine (n'avait-on pas attendu quarante-cinq ans ?) ; elle se bat parce que le monde a besoin d'elle, parce qu'elle a besoin, elle-même, d'être héroïque et que le temps lui pèse d'être restée si longtemps sans se sentir brave, loyale et désintéressée.

 

FIN DU DEUXIÈME VOLUME

 

 

 



[1] Ch. Rappoport, Jean Jaurès, p. 83 et suivantes.