HISTOIRE DE LA FRANCE CONTEMPORAINE (1871-1900)

 

II. — LA PRÉSIDENCE DU MARÉCHAL MAC MAHON

L'ÉCHEC DE LA MONARCHIE

CHAPITRE XI. — LES LETTRES. - L'OPINION. - LA PRESSE.

 

 

La littérature après 1870. — Principaux caractères de l'époque. — Influences survivantes : Auguste Comte, Balzac. Victor Hugo, Michelet, George Sand. — Le réalisme. — Conséquences de la guerre. — Trouble et désenchantement. — Renan. — Taine. — Flaubert. — Le théâtre : Alexandre Dumas fils, Victorien Sardou, Henri de Bornier. — Le roman. — Le naturalisme. — Emile Zola. — Alphonse Daudet. — Les poètes. — Le Parnasse contemporain. — Leconte de Lisle. — Sully Prudhomme. — François Coppée. — Jose-Maria de Heredia. — La littérature d'enseignement et de divulgation. — Fondation de l'école des Sciences Politiques. — Littérature démocratique. La livraison. — Les périodiques et les illustrés. — L'opinion. — La Presse. — Le régime des journaux. — Les grands journaux politiques des divers partis. — La presse populaire. — Le journal à un son. — La presse de province.

 

I

La France, si cruellement frappée, a voulu vivre. La richesse de son sol, le travail de son peuple, l'indulgence de la nature l'ont secourue. Elle est debout ; mais elle ne serait pas elle-même si elle ne reprenait, avec les couleurs de la vie, l'appétit de la gloire. Tant qu'elle existera, il émanera d'elle de la lumière.

Une riche moisson intellectuelle, artistique, scientifique, germa et grandit dans les années qui suivirent la guerre. Ce fut, pour l'étranger, une première surprise. On avait rayé la France de la liste des grandes nations : tout coup elle apparait, lumineuse. Une propagande active avait été faite contre elle et avait poursuivi sa défaite jusque devant l'opinion[1]. Or, l'opinion universelle se trompait ou elle avait été trompée : peu à peu, lentement, de mauvaise grâce, elle revient. Il y avait encore, dans cette France si diminuée, assez de vigueur, assez de génie, pour fournir une étape et pour ouvrir des voies nouvelles de l'humanité.

Quand le XIXe siècle français hérita d'une longue histoire, l'unité était l'aile : il y avait langue commune, adhésion consentie, sentiments partagés. La Révolution avait achevé l'œuvre de la monarchie, seigneuriale et administrative. Il y avait bien une intelligence, une âme françaises.

La nationalité française s'était affirmée d'abord par l'énergie avec laquelle elle s'était distinguée de la catholicité du moyen âge ; mais elle s'était caractérisée aussi par la mesure avec laquelle elle avait accompli celle séparation. Celle-ci, en effet, ne va pas jusqu'au schisme ; elle ne tranche ni dans la tradition, ni dans les situations, ni dans la conscience.

Limitée, non fermée, autonome, mais universelle, la France reste, au milieu de l'Europe et des âges, hospitalière ii tous et rayonnant sur tous. Son idéal n'est atteint, à ses propres yeux, que dans les périodes trop courtes où elle obtient, en elle et au dehors d'elle, l'équilibre.

Gallicanisme, monarchie tempérée, rationalisme cartésien, telles ont été, avant la Révolution, les solutions françaises des problèmes religieux, politique, philosophique.

La France donne la formule suprême de son histoire, et peut-être celle de l'histoire du monde lorsque, à la fin du XVIe siècle, sur l'affreux charnier des guerres religieuses, elle prononce, la première, par la bouche d'Henri IV, le mot : tolérance.

La tolérance, ce n'est pas seulement l'apaisement entre les hommes, c'est l'apaisement dans l'homme même : c'est l'unité intérieure par le choix que fait la virilité entre la fougue juvénile et la pusillanimité sénile, entre le sentiment et la raison : harmonie fondamentale équilibrant les désaccords inférieurs.

Le XVIIe siècle laissa dans la mémoire de la nation un souvenir ineffaçable : pal- une combinaison pondérée de la religion, des institutions politiques, de l'activité sociale, dans un corps vigoureux, le cœur battait pleinement.

Mais l'idéal, en se réalisant, s'épuise. La royauté lèse la tolérance par la révocation de l'édit de Nantes. Le gallicanisme s'exaspère à l'assemblée du clergé de France, en 1682. Descartes mène à Spinoza. Le penseur est libre-penseur dès qu'il s'intitule philosophe. Ce sont d'autres horizons qui s'ouvrent ; les éléments sont déchaînés.

Le rationalisme français traverse le XVIIIe siècle sous la figure du philosophisme. Il généralise sa thèse et son action en proclamant les droits de l'homme. Quel principe d'universalité plus large que celui qui affirme l'égalité de tous ?

Pourtant dans le Français de la Révolution, l'homme universel n'efface pas le citoyen, de même que dans le croisé de saint Louis, la croyance catholique n'étouffait pas le patriotisme naissant. La force d'expansion, née d'une puissante centralisation, produit un âge de grandeur et d'héroïsme, de propagande par la parole et par les actes.

Les guerres révolutionnaires et napoléoniennes brisent cet élan. Les lendemains d'invasion sont des heures de désespérance. La restauration bourbonienne, l'ultramontanisme de la congrégation et de Joseph de Maistre, le néo-christianisme de Chateaubriand, le romantisme enfin organisent la résistance contre le rationalisme et le sensualisme de Condillac et des encyclopédistes.

Le philippisme et l'éclectisme de Victor Cousin, prétendent conclure un concordat entre la religion et l'irréligion, entre l'autorité et la liberté. Ce moyen terme manque de franchise et de vigueur. Le XVIIe siècle a laissé ses racines dans la terre. Elles repoussent vers la fin du règne de Louis-Philippe. En 1843, après la chute des Bugraves, le romantisme meurt. En philosophie, en politique, en littérature, une crue monte : le réalisme.

Le prince des poètes, Lamartine, n'est qu'un instant le chef acclamé de la nation. L'empereur Napoléon III arrive aux affaires en même temps que Taine, vainqueur et successeur de Cousin, règne sur l'école. En religion, la demi-mesure du christianisme libéral de 1840 est écartée par les décisions du concile du Vatican et par la polémique brutale de Louis Veuillot.

Le réalisme impérial, fils du positivisme et petit-fils du philosophisme, reprend l'œuvre d'universalité et t de propagande. Sœur aînée des nations continentales, la France sème autour d'elle son propre principe : à ses risques et périls, elle intervient à la naissance des nationalités.

Singulière et confuse époque où l'équilibre se cherche et se perd soudainement dans la servitude, dans la gloire, dans la défaite. La démocratie arrache à César le suffrage universel ; on rêve de la fraternité des peuples au cours d'un règne qui n'est qu'une longue guerre : l'empire, sans croyance, risque son repos et son existence même, pour défendre l'indépendance du Saint-Siège. A la fin, les antinomies déchaînent la catastrophe. La gloire de ce peuple enthousiaste est, toujours proche du martyre.

 

Nous en sommes là, en 1871.

La coupure que fait la guerre blesse cruellement l'âme française. Peut-être aussi qu'en l'émondant, elle l'apaise et la règle. Le refoulement intime qu'elle produit, la douleur aiguë qui l'accompagne, le désenchantement qu'elle laisse dans les âmes, mortifient les amours-propres et mêlent, au pessimisme de toutes les défaites, un levain d'activité prudente et mesurée.

Époque voilée, adoucie, tempérée. Les premières larmes essuyées, on voudrait un accommodement du sentiment et de la raison, du naturalisme et de l'idéalisme, de la tradition et du progrès.

La leçon a porté. Dans le demi-deuil du temps et le demi-jour du crépuscule ou de l'aurore, on voit surgir le défilé des créateurs savants et ingénieux, se rapprochant de la nature et de l'expérience : Pasteur, Renan toujours négateur mais attendri, Taine toujours ardent mais retourné ; les sculpteurs des défaites glorifiées, les peintres de la nature consolatrice et les chantres de la grandeur latine, Puvis de Chavannes et Bizet ; enfin les fondateurs de la France nouvelle, organisateurs prudents de la république représentative, apôtres pondérés de l'Opportunisme.

Il est des hommes qui se survivent dans leurs œuvres ; il est des hommes qui survivent à leur autorité. De la génération précédente, il faut rappeler quelques noms et quelques hautes influences.

Tandis que l'empirisme de Victor Cousin[2] s'épuise et se dilue dans les programmes de l'enseignement et les panacées faciles du spiritualisme scolaire, la semence déposée par son contemporain tant dédaigné, victime de la pédantocratie, Auguste Comte, germe et nourrit la génération suivante. Auguste Comte[3] a reçu, de Condorcet, par Saint-Simon, la tradition du XVIIIe siècle. Sa pensée est en antagonisme déclaré avec toute la métaphysique. Il ne mentionne l'inconnaissable que pour l'ignorer. Ne tenant compte que du positif qu'il définit le réel et l'utile et il borne la connaissance aux faits appréciables par noire organisme. Sa méthode, sa classification des sciences dans l'ordre suivant : mathématiques, astronomie, physique, chimie, biologie, sociologie, sont de grandes découvertes ; la sociologie ou science des sociétés humaines achève et couronne toutes les autres. Auguste Comte prétend trouver, dans la sociologie, la clef de cet inconnaissable qu'il niait tout à l'heure. Il oppose la religion démontrée à la religion révélée, et érigeant en dogme ce qui est en question, il fonde le culte du Grand-Être-Humanité ; il complète par les mots : patrie, famille, sa triple formule si profondément adéquate au temps où son influence s'exerce.

La logique de son œuvre, une tenue, une sobriété rares font son autorité. Tandis que Victor Cousin enrôlait les professeurs et les lettrés, Auguste Comte s'empare des ingénieurs, des médecins, des hommes de science. Un positivisme diffus se répand dans les esprits.

Balzac[4] est un autre maitre, aussi prodigieusement divers, abondant, débordant que l'autre est rigide, ferme, délimité. Il a des prétentions scientifiques. Il se déclare naturaliste, disciple de Lamarck et de Geoffroy-Saint-Hilaire : L'animal végète comme la plante. — La science est une : il est impossible de toucher à la politique sans s'occuper de morale, et la morale tient à toutes les questions scientifiques. Pourquoi Dieu périrait-il parce que la substance serait pensante ?... Mais, en même temps, Balzac se rattache, par des déclarations bruyantes, au traditionalisme religieux : J'écris à la lueur de deux vérités éternelles, la religion et la monarchie. Au fond, il est disciple de Jean-Jacques, bonapartiste et peuple.

L'impression se transforme en lui jusqu'à devenir créatrice. Il fait concurrence à l'état civil. Sa maîtrise intellectuelle détermine des modes d'idées et des dispositions morales. Les Rastignac, les Rubempré, les Biniou, sont nombreux dans la génération qui le lit, celle du second empire.

Il faudrait mentionner quelques influences secondaires : Stendhal[5], qui tire l'œil par ses manières tranchantes, sa psychologie à l'emporte-pièce, ses maximes à la Machiavel et, surtout, son parti pris décidé en faveur de l'homme d'action et de volonté : Proudhon[6], dont la logique obscure et la véhémence dialectique étonnent et frappent, sans pénétrer ni séduire ; Sainte-Beuve[7], mis au rang des chefs de l'école scientifique en raison de sa vaste érudition, de son goût exact et minutieux.

 

Avec l'empire, tout un âge disparaît. Victor Cousin était mort en 1867 puis Lamartine en 1869, si lentement et assez tôt encore[8] aussi Sainte-Beuve ; Prévost-Paradol se tue à Washington[9].

La guerre emporte sa gerbe : Mérimée[10] ; Alexandre Dumas[11] ; Théophile Gautier[12].

Victor Hugo[13] demeure, premier né et dernier mort de l'école. Il rentre, il est acclamé. Il n'a rien à modifier ni dans ses convictions ni dans ses attitudes ; il a prédit les catastrophes. Son exil même a été fécond. Il reste le maitre de la langue et des rythmes. En lui, le nom du romantisme survit[14]. Mais la vigoureuse souplesse de son génie échappe aux doctrines qu'il a dictées lui-même. Le chef d'école n'est pas indifférent à la leçon de ses propres disciples.

Dans les Châtiments, sa verve s'est exercée sur les réalités. Il avait écrit l'épopée populaire, les Misérables ; il s'était mesuré avec l'épopée humaine dans la Légende des Siècles. Les malheurs de la patrie lui dictent l'Année terrible ; sa vieillesse féconde et sereine soutient le siècle à son déclin par une production puissante et régulière[15] : c'est Quatre-vingt-treize, c'est la seconde série de la Légende des Siècles, c'est l'Art d'être grand-père ; humain encore, même sur ce dangereux autel où le porte la vénération universelle. Visage glabre ou barbe blanche, c'est une force de la nature. On dirait que la destinée lui a remis cette existence quasi séculaire pour qu'il atteste, par son inépuisable virilité, la vitalité du pays.

Michelet n'avait pas cette robustesse. Sa vie était celle de la France. Il fut frappé en son âme et en son corps à chacune des stations de la croix. Il mourut, en février 1874, après la crise du 24 mai[16]. Son grand cœur optimiste n'avait connu, à la fin, que déceptions. L'Allemagne, sa chère Allemagne, lui était une affliction perpétuelle. La patrie, le peuple, les deux amours de son âme candide, s'abîmaient ou se déchiraient sous ses yeux. Ses livres profonds et délicats : le Peuple, l'Amour, Nos fils, avaient évoqué d'avance une physionomie idéale de à démocratie. Mais il ne vit que les horreurs sanglantes de la naissance. Ses tableaux de la nature : l'Oiseau, l'Insecte, la Mer, la Montagne, avaient charmé et instruit la génération nouvelle, non moins que son Histoire toute ruisselante du génie verbal. Il mourut au moment où il devenait, pour la jeunesse chaude des premières ardeurs politiques, le maitre de l'enthousiasme et de l'émotion.

George Sand[17] s'est retirée à Nohant. Écrivain infatigable, elle publie encore. Son abondance lactée remplit des volumes : les Lettres d'un voyageur pendant la guerre, les Souvenirs et Impressions, Ma sœur Jeanne, Flamarande. C'est le dernier écho des élégies romantiques. Elle marmonne les prières d'une grand'mère aux pieds du dieu de Jean-Jacques et de Béranger. Elle se répète doucement, comme les vieilles dames qui ont beaucoup de passé et l'oreille un peu dure. Camarade de lettres de Gustave Flaubert, elle garde son optimisme bon enfant et fluide parmi le sévère désenchantement universel. Victor Hugo dépose sur sa tombe, en 1876, cette phrase funéraire : Je pleure une morte et je salue une immortelle.

 

II

Les esprits sont ailleurs. Le second empire a vu naître du mariage de la science et de l'impassibilité une philosophie et une formule littéraire : le réalisme[18], la doctrine de l'art pour l'art[19].

Tout est sacrifié à la précision scientifique et technique. Renan, prestigieux restaurateur des sciences historiques, avait joué sa conception religieuse, philosophique, sociale sur l'authenticité d'un palimpseste. Taine avait découvert que la vie est une géométrie vivante : l'homme, un théorème qui marche ; le vice et la vertu, des produits comme le sucre et le vitriol ; Leconte de Lisle, Gautier, Flaubert, avaient renfermé la poésie dans la tour d'ivoire de l'indifférentisme et dans l'actif nirvâna de la forme. Tous avaient répété, à l'envi, la parole de Spinoza : Ni dans sa façon d'exister ni dans sa façon d'agir, la nature n'a de principe d'où elle parte ni de but où elle tende. Ils avaient, adhéré aux lois dictées par Hegel[20] et par Darwin[21], la sélection des espèces, la supériorité fatale des élites. Ils avaient subordonné l'idée de patrie à leur concept de la vérité :

Je n'ai point de patrie autre part qu'en mon rêve[22].

Les faits leur avaient répondu. Bismarck avait rendu concrète la pensée de l'école dans son mot tant discuté : la force prime le droit.

Quel réveil tragique et quel retour ironique des choses pour ces intempérants de la vaticination littéraire ! Quel désarroi parmi eux ! Ce fut vraiment, comme dit Paul Bourget, l'âge d'angoisse. Haubert le constate à propos du maître le plus énigmatique, le plus évasif, le plus tenace dans ses affirmations fuyantes, Renan : Je vous assure qu'il y a maintenant, chez tout le monde, quelque chose de trouble et d'incompréhensible. Notre ami Renan est des plus désespérés[23].

Ce fut la fin du réalisme : on la connaissait, maintenant, la réalité !

Ces vies orgueilleuses d'hommes de lettres[24] furent scindées par la guerre. L'affirmation scientifique et doctrinale hésite désormais sur les lèvres, la veille Ares d'elles-mêmes.

Renan fait un dernier effort pour revendiquer l'autorité sociale immédiate de l'écrivain. Il publie, au lendemain de la guerre, sa Reforme intellectuelle et morale, apologie d'un demi-césarisme à la Jérôme Bonaparte, mea culpa de la bourgeoisie désemparée, capitulation éphémère de l'intelligence française devant les brutalités de la victoire : Ce qui reste d'esprit militaire dans le monde est un fait germanique. Finis Franciæ. Il faut reconstituer la France d'après le type vigoureux et féodal de son vainqueur. Renan réclame une philosophie pour les sages, une religion pour le peuple. L'auteur de la Vie de Jésus adresse au clergé catholique ces paroles : Ne vous mêlés pas de ce que nous enseignons, de ce que nous écrivons et nous ne vous disputerons pas le peuple ; ne nous contestez pas notre place à l'Université, à l'Académie, et nous vous abandonnerons sans partage l'école de campagne[25].

Un des chefs du parti révolutionnaire, le vieux Mazzini[26], réfuta cette thèse sans franchise et sans virilité : C'est, disait-il, le compromis le plus étrange et j'ajoute le plus immoral dont un penseur se soit, jamais avisé[27]. Renan comprit la leçon ; c'est à ce moulent que G. Flaubert le voit si abattu. Un apologiste écrit : Désormais, le sentiment de son impuissance dans la sphère de l'action accable Renan et menace même un instant la sérénité foncière de sa nature[28].

Il se ressaisit bientôt. Il admit qu'un professeur d'hébreu pouvait se dispenser d'avoir une action directe sur la politique si on lui laissait le libre champ de l'idée. La démarcation des compétences et des responsabilités se fit en lui. Il se replongea dans le passé pour oublier le présent. Quant à l'avenir, il s'en tira par un hochement de tète et un sourire.

En somme, il n'avait pas charge d'âmes. Il borna son zèle à l'accomplissement régulier de son devoir de professeur et de son devoir d'écrivain[29]. Les antinomies de l'existence furent un thème pour son ironie sceptique. Ce jeu devint la ligne fuyante de sa doctrine, sinon de sa conduite. Il parla désormais par dialogue, opposant. Eudoxe à Philalèthe, Ariel à Caliban. Voilà le vrai Renan, fils de la Bretagne et fils de la Gascogne, — fils de la France !

Ses grandes œuvres : l'Histoire des origines du christianisme, l'Histoire du peuple d'Israël, élèvent leurs assises régulières suivant le plan de vie qu'il s'est énergiquement tracé[30]. Le Marc-Aurèle expose, avec toute l'autorité de la science et de l'art, la leçon de philosophie que le penseur et l'érudit a dégagée des études où il est maître incontesté.

L'art incomparable de l'écrivain réalise, dans la grâce et la mesure, tonte la fine et spirituelle émotion du siècle. Sa philosophie échappe à la dispute et à la contradiction par la multiplicité des transformations et l'imprécision irisée des affirmations et des doctrines. Imagination puissante et charmante, génie insinuant et enchanteur, — le mot est de Saint-Simon sur Fénelon, — il tient son époque comme une jeune sœur par la main ou, mieux encore, pendue à ses lèvres par la caresse des paroles douces et des gestes ecclésiastiques.

Voltaire attendri, prêtre et croyant jusque dans ses audaces et ses impiétés, il n'a plus d'autre système que la tolérance, l'indulgence. A travers Voltaire, il remonte jusqu'à Montaigne. Content de vivre, il indiquera, d'une dernière atténuation, cette disposition suprême qu'un sourire illumine : La bonne humeur est le correctif de toute philosophie[31].

Pour Taine[32], la surprise fut plus profonde encore. Taine est un esprit spontané, systématique, enfermé dans sa logique, loin de l'air extérieur, comme une lumière dans la lanterne. C'est l'ascète de la pensée. La vérité que sa violente abstraction découvre s'échappe de lui, quelles que soient les conséquences. Il est le prophète du déterminisme. Dans le monde, il ne connaît et ne veut connaître que le fait.

Illustre et maitre des âmes, il venait de publier, en 1870, son livre De l'Intelligence, qui restaure les doctrines sensualistes et la méthode de Condillac : il avait entrepris un voyage eu Allemagne, comme Renan avait commencé, au même moment, un voyage aux pays scandinaves avec le prince Jérôme. Ni l'un ni l'autre n'avaient rien prévu[33].

La guerre éclate.

Taine passa les mois du siège à Tours jusqu'au 11 novembre 1870, puis à Pau[34] ; pendant la Commune, son devoir de professeur à l'école des beaux-arts le retint aussi longtemps qu'il fut possible à Orsay où il avait une maison de campagne. De là il venait, chaque semaine, faire son cours à Paris[35].

A partir du 20 mai, il passa en Angleterre où il avait à faire une série de conférences à l'université d'Oxford. Il était consterné. C'était donc cela la vie et non une suite de promenades péripatéticiennes sous les portiques de l'école ! Un frisson le saisit. Le puissant esprit s'interroge ; mais le brave cœur ressent une poignante commisération pour les malheurs du pays. La géométrie s'effondre. Il reste un patriote meurtri et déchiré[36].

La droiture de l'honnête homme s'alarme de la part de responsabilité qui pouvait incomber à l'écrivain. Certaines de ses formules, les plus éclatantes, les plus notoires, l'obsédaient : les conséquences que Fou en tirait l'irritaient. M. Naquet, à la tribune, le cite pour affirmer que la moralité, le mérite et le démérite sont des faits d'organisation. Il s'indigne, il proteste ; il s'explique, assez obscurément d'ailleurs, et ajoute vivement, durement : un bossu n'est pas reçu dans l'armée : un pervers qui pratique doit être exclu de la société libre. Le qui pratique contient, malgré tout, un aveu. Car cette âme sincère et logique ne peut pas se mentir, même en se défendant[37].

Le philosophe dit adieu, une fois pour toutes, à la philosophie. Jusque-là, il avait fait deux parts de sa vie, réservant la meilleure à la contemplation et la recherche de la vérité pure : il met les pieds dans la rue et il entend la clameur qui retentit dans la cité. Drame d'idées. Cet homme d'aspect mince et décoloré, mâchonnant ses feuilles pectorales, l'œil bigle et le regard gris derrière ses lunettes épaisses, a vu enfin ces choses qui l'étonnent, des hommes qui meurent, chi sang qui coule, des villes qui flambent ; et cela aussi a son importance, à supposer nième qu'il s'agisse du triomphe de l'idée.

Voici un Taine nouveau, un Taine ému, un Taine humanisé. En novembre 1871, il écrit cette phrase qui est, presque une rétractation : Un Français rapportera toujours d'Angleterre cette persuasion profitable que la politique n'est pas une théorie de cabinet applicable à l'instant, tout entière et tout d'une pièce, mais une affaire de tact où l'on ne doit procéder que par atermoiements, transactions et compromis[38].

L'esprit de finesse se substitue à l'esprit géométrique. Le philosophe se fait historien. Il recherche les Origines de la France contemporaine[39].

L'historien renoncera-t-il aux brillants paradoxes, aux formules violentes, aux raisonnements abstraits ? Se soumettra-t-il à la singulière imprécision de la nature, au jeu de la vie virant et tournoyant selon la contrariété des vents, en un mot à la force de l'Inconscient, se dirigeant, par des surprises et des manœuvres fuyantes et complexes, vers le but que la Prévision et la logique ignorent ?

Non ; son génie l'emporte. Il est et restera homme à système. Ce critique de l'esprit classique est classique et abstracteur malgré tout. Cet ennemi de Rousseau est un Rousseau inverse. Il voit l'homme méchant, comme l'autre le voyait bon ; une fois cette sentence prononcée, il la poursuit dans toutes ses conséquences. Il a un mot sur le gorille lubrique et féroce qui répond à tout. L'Histoire des Origines, c'est le syllogisme de cette donnée appliquée à la période la plus surprenante de la vie nationale française.

Œuvre magistrale, d'une ampleur et d'une originalité rares, qui renouvelle le sujet et la méthode ; œuvre pleine de lendemains et de conséquences, frappante par l'art vigoureux et brutal, mais terrible et désespérante. Le cri que la guerre avait arraché à Renan se renouvelle : c'est un cri de désaveu et de défaite : mais combien plus puissant, lamentable et prolongé.

Le patriotisme blessé enfonce l'Ardennais sombre et méticuleux dans le plus noir pessimisme. On dirait vraiment que l'amertume de là déception philosophique l'irrite contre la France. Tout est mauvais en elle. L'ancien régime a été mauvais et devait disparaitre. La Révolution a été erronée et exécrable : elle devait finir dans le sang et dans la boue ; l'empire n'a été que l'absurde escalade du ciel par un bandit étranger, lui-même un colossal maniaque. La France moderne est mal faite, mal équilibrée, sans logique, sans contrepoids et sans frein.

Alors, quoi ?... Ce qu'on sent, au fond de tout cela, c'est l'appréhension de la démocratie qui monte ; c'est la peur du nombre : c'est l'angoisse des classes moyennes qui se sentent mourir. Comme Renan a souscrit, dans sa Réforme intellectuelle à la victoire de l'Allemagne, Taine est revenu de son séjour en Angleterre anti-révolutionnaire, protestant et aristocrate[40].

L'historien aborde le récit d'un temps où les passions furent excessives et il supprime la raison de ces violences, la folie nationale, l'exaspération de la lutte contre l'Europe. Il ne comprend pas, il ne veut pas comprendre l'héroïsme de ce pays, se résignant à l'état de siège pendant vingt ans pour achever enfin, seul contre tous, l'ouvrage des siècles, l'unité. Ce grand sentiment qui produit un grand fait, cette source de l'héroïsme et de la fureur lui échappent. Il ignore la frontière. Il ne voit pas le succès dans la défaite et le monde conquis au delà des frontières resserrées.

Écrivant plus tard, il eût écrit un autre livre. Moins près des événements de 1871, l'impression moins vive, l'œuvre eût été plus juste.

Peut-être. Mais moins belle. Qu'est-ce livre, en somme, sinon l'expression suprême de l'anxiété patriotique, le poème de la douleur et du doute ? La puissance verbale sans pareille qui s'y épanche, le sombre coloris qui l'anime, l'émotion contenue qui y est incluse, en font le livre marquant et vraiment représentatif de l'âge d'angoisse. L'amour-propre et la vanité de la race flagellés par le vigoureux historien reçoivent une amère et fortifiante leçon.

Si l'avenir veut connaître l'état d'âme de la France au lendemain de la guerre, il ouvrira ce livre qui prolonge et renouvelle, en ses pages désespérées, la plainte des vaincus.

La crise fut plus pénible encore chez Gustave Flaubert[41]. Avec toute son époque, il avait eu foi dans la science, foi dans l'idée, foi dans l'étude pacifique et sincère de la nature et de la réalité. Il définit lui-même le procédé de Madame Bovary : C'est du réalisme épique, et il ajoute : J'ai fait de l'épique par le soin du métier, du minutieux[42].

Allons jusqu'au bout de sa pensée : l'art est une science. Selon le mot d'Herbert Spencer, l'art n'est que la connaissance appliquée. D'où la formule de ces existences si hautement littéraires : le soin dans l'impassibilité. L'art doit s'élever au-dessus des affections personnelles et des susceptibilités nerveuses. Il est temps de lui donner, par une méthode impeccable, la précision des sciences physiques. Observons ! Tout est là[43].

Pauvre bon géant imaginatif, il est frappé au cœur. Au lendemain de la guerre, cet homme de lettres incomparable n'est plus hanté que d'une seule idée, l'Un-puissance de la littérature. Sa douleur, sa sincérité, sa naïveté, si j'ose dire, éclatent dans des cris désespérés : Quel effondrement, quelle chute, quelle misère, quelle abomination ! Peut-on croire au progrès et à la civilisation devant tout ce qui se passe... Oh ! éternelle blague ! Non, on ne se relève pas d'un coup pareil. Moi, je me sens atteint jusqu'il la moelle. La littérature me semble une chose vaine et inutile. Serai-je jamais en état d'en refaire ?...[44] Il a les mêmes appréhensions sur l'avenir de la démocratie. Nous pataugeons dans l'arrière-faix de la Révolution qui a été un avortement, une chose ratée, un four, quoi qu'on dise... Quant au bon peuple, l'instruction gratuite et obligatoire l'achèvera. Quand tout le monde pourra lire le Petit Journal et le Figaro, on ne lira pas autre chose ; la presse est une école d'abrutissement parce qu'elle dispense de penser... Le premier remède serait d'en finir avec le suffrage universel, la honte de l'esprit humain[45].

La crise est à son paroxysme. La Tentation de Saint-Antoine est la fleur expirante de son génie d'écrivain[46].

Ses dernières années sont un martyre. Il couve, parmi des recherches immenses, ce livre étrange et lamentable, dérision suprême de tout effort intellectuel : Bouvard et Pécuchet[47]. La crise a évolué logiquement du dilettantisme de Renan, au pessimisme de Taine, au désenchantement macabre de Gustave Flaubert.

Un article paru dans la Revue des Deux Mondes, en juillet 1871, et qui eut alors l'autorité d'un manifeste, résuma l'impression première du lettré bourgeois après les sombres événements : épouvante, abandon, découragement ! Cet article est signé d'Émile Montégut[48].

En attendant la faillite de la science, on y proclamait la faillite de la révolution : Nous n'avons plus foi en nos principes ; les uns n'osent pas, les autres ne veulent pas avouer leur incrédulité. On y déplorait la chute de la monarchie de Juillet, la dernière planche de salut. On dénonçait le suffrage universel, ce que les révolutions pouvaient inventer de plus efficace pour se détruire. On annonçait la restauration prochaine du césarisme démocratique. Nul autre recours que de s'en remettre à la direction de l'aristocratie des classes moyennes. C'est la panacée unique. La démocratie est l'ennemie[49].

Une appréciation plus sage, un sentiment social plus large et plus habile, se fussent rapprochés du peuple pour l'instruire et le diriger. On s'éloigne de lui ; on le répudie. Erreur dont les conséquences devaient être graves, avec, longtemps plus lard, des regrets et d'autres retours bien imprévus.

Déjà le théâtre, qui est nécessairement en contact direct avec les roides, s'adresse il elles et agite les problèmes de l'avenir.

Le théâtre sera toujours en France la véritable école des mœurs. Ce peuple sociable et communicatif, à la fois imaginatif et réaliste, aime le débat et le dialogue qui niellent en action devant ses yeux ses inquiétudes, ses doutes, ses aspirations.

Bien avant 1870, Alexandre Dumas fils[50] avait lancé la pièce à thèses. Délaissant le grand drame lyrique et romantique, il avait restauré le théâtre bourgeois ; il avait jeté sur la scène la tirade à effet, le mot qui porte, la réplique qui cingle. Protagoniste de l'école, il avait perfectionné la technique : son drame affecte cette structure décharnée, cette allure cursive et haletante qui pousse les actes les uns sur les autres et les précipite vers la catastrophe.

Émile Augier[51], avec plus de mesure et de pondération, avait assuré la plénitude de la force et de l'autorité à la comédie de mœurs. La pièce qui restera probablement comme le type du genre, est celle qu'il écrivit avec Jules Sandeau[52] : le Gendre de M. Poirier.

Victorien Sardou[53], moins vigoureux, mais plus fin et plus souple, est plus près de la tradition ; il garde la veine de Molière et de Regnard : l'empire s'achève sur le succès de la Famille Benoiton, l'ère nouvelle s'ouvre par une satire hardie des mœurs parlementaires, Rabagas.

Après la guerre, des œuvres retentissantes maintiennent le prestige de ces noms illustres. Alexandre Dumas donne à ses préoccupations morales et sociales je ne sais quelle teinte mystique, inattendue chez le confident de Marguerite Gautier, prototype de l'Ami des femmes. Il moralise, il prêche dans ses comédies et dans ses préfaces : la femme (la Femme de Claude - 1873) est la cause de nos défaites ; l'Étrangère, la Princesse de Bagdad, ont détruit la vieille société française. C'est la guenon du pays de Nod, dit la Nièce, et la préface ajoute : Tue-la ! Alexandre Dumas prend à partie le code civil : il fait campagne sous la bannière de M. Naquet pour le rétablissement du divorce. Dans le boulevardier, les âges nouveaux voient un pontife. Peut-être, cependant, qu'il hésite à la fin : il s'arrête sur la Route de Thèbes.

L'excès du système, la difficulté de la technique, le convenu des sujets et du dialogue fatiguent le public et bientôt les auteurs eux-mêmes. Émile Augier, vieilli, n'a que des demi-succès avec Madame Caverlet et avec les Fourchambault.

Par un retour qui accompagne chez elle les émotions profondes, la France reprend goût aux lettres classiques. Deux acteurs sont des créateurs : Mounet-Sully et Sarah Bernhardt[54] restaurent, à la Comédie Française, sous la direction de M. Perrin[55], la tragédie racinienne et ramènent les foules au spectacle de Britannicus, d'Andromaque et de Phèdre[56]. Ballande inaugure, non sans succès, ses matinées classiques. On croirait que Bornier[57] anime d'un souffle de vie la tragédie lyrique quand les malheurs de la patrie lui inspirent la Fille de Roland.

Des écrivains plus humains, plus gracieux, moins tendus, conviennent mieux aux temps déjà rassérénés. Victorien Sardou ne retrouve pas le succès de Patrie dans la Haine. La génération tempérée de 1875 a le double dégoût de la déclamation et de la blague. Elle demande à la seconde manière de Meilhac et Halévy[58] et à l'émotion contenue de Gondinet[59] les nuances de la Petite Marquise et de Froufrou, de la Maîtresse légitime. Le succès de l'époque, c'est le Monde où l'on s'ennuie : le comique mesuré de Pailleron[60] fait pâmer un monde où l'on ne s'amuse guère ; il y a du précieux dans cet écho lointain des Précieuses ; ironie douce et grise comme le temps. La belle humeur de Labiche[61] a vieilli déjà. C'est encore Victorien Sardou qui dit le dernier mot, le mot pour rire, en lançant son spirituel : Divorçons !

 

III

Le roman est à la fois la plus populaire et la plus éphémère des œuvres de l'esprit. Sa fantaisie distrait un instant les foules qui, bientôt oublieuses, acclament avec le même entrain et la même conviction d'autres divertissements. Le roman exprime le moment et les modes de l'âme. Maïs le roman vieilli sent la défroque : c'est la rançon de l'accueil enthousiaste qu'il reçut dans sa fraîche nouvelleté.

Alexandre Dumas avait amusé la génération des fils de la légende avec ses prodigieuses histoires ;  Balzac avait vitriolé les esprits en leur jetant la face  l'âcreté de la vie moderne ; George Sand avait ravi la jeunesse par l'éternel rêve de la passion amoureuse ; Haubert avait frappé en médaille le réalisme de Balzac ; en le diminuant et en le resserrant il avait dégagé l'épique du minutieux.

A la fin du second empire, une nouvelle école était née. L'heure était triste[62]. Dans la lassitude des systèmes avortés, dans l'appréhension des lendemains tragiques avec la haine de la compression intellectuelle,  la jeunesse voulait elle ne savait quoi, mais autre chose. La Science emplissait alors le monde de l'éclat  de ses découvertes. La littérature elle-même se tourna vers ce soleil levant. Il ne s'agissait plus seulement de contempler et de décrire la vie, il fallait la connaître dans ses origines, dans ses tins, et l'expliquer. Les œuvres de la science, ses résultats féconds avaient leur grandeur, leur poésie. L'histoire de l'homme n'était qu'un incident de l'histoire du monde. Les mêmes lois naturelles commandent au monde et à l'homme.  La poésie, c'est la plainte de l'univers en souffrance du devenir. Le moindre incident de ce labeur doit être illustré, glorifié. Chaque existence est en fonction de l'universel effort.

La philosophie allemande avait fondé le culte de l'humanité ; Auguste Comte avait dicté la religion du positif ; Balzac avait observé déjà que l'histoire de l'homme n'est qu'une histoire naturelle ; Renan, dès 1848, écrivait l'Avenir de la Science ; toute l'œuvre de Taine avait, cette même portée ; Flaubert s'écriait, dès 1860 : L'histoire !l'histoire et l'histoire naturelle, voilà les deux muses de l'âge moderne[63]. On invoquait, par surcroît, l'autorité de Claude Bernard. Voilà tout le naturalisme[64].

Les frères de Goncourt[65] sont les précurseurs. Par réaction contre les romans de keepsake et la littérature de salon, suivant Henri Monnier et Champfleury[66], ils choisissent leurs sujets dans la vie du peuple ; ils racontent, pour un public blasé, les aventures de Jupillon et ouvrent la voie à ce canaille littéraire que le survivant d'entre eux désavouera si hautement, en 1879, dans la préface des Frères Zemganno[67].

Initiateurs de l'écriture artiste, qui n'était avant eux que le style tourmenté, ils s'épuisent à découper des figures étranges en silhouettes plates et pénibles : il ne leur manque que le génie. Leur japonisme étroit et contourné ne dépasse pas le bibelot.

Le véritable maitre de l'école, c'est Émile Zola[68]. Celui-ci voit large et frappe fort.

Foin des nuances. Il prétend se placer exactement au point d'intersection des lettres et de la science. Le roman, tel qu'il le conçoit, tel qu'il l'annonce du moins, est toute la littérature et, peu s'en faut, toute la science. A lui aboutit l'effort intellectuel du siècle. Claude Bernard est le dieu, Émile Zola le prophète. On n'écrira plus que des romans, parce que le roman expérimentaltranche de vie et document humain — dira le dernier mot sur la nature, sur l'individu et sur la société. Le naturalisme est une philosophie, une esthétique, une politique : L'empire du monde va être à la nation qui aura l'observation la plus nette et l'analyse la plus puissante.

L'empire du monde !... Ce grossissement d'un procédé et d'une individualité n'aura jamais été dépassé !

Gros, grossissant, grossier, c'est le génie d'Émile Zola. Fils de la côte ligurienne, ayant, dans la voix, le roulement sonore des écrivains annexés de la décadence romaine, les Sénèque, les Lucain, les Claudien, ce héros étrange, où il y a de l'Hercule et du Gaudissart, ébranle le monde pour y faire sa place d'abord et pour y placer ensuite ses grands tirages[69]. Dès 1867, il avait publié Thérèse Raquin ; en 1870, il commence les Rougon-Macquart qu'il intitule : Histoire naturelle et sociale d'une famille sous le second empire. Il part un peu tôt ; son sujet vieillira vite et, à la fin, sentira le suranné et le ranci.

Mais rien n'arrête sa production obstinée ; on dirait que la guerre ne l'a pas touché. Il continue. La Curée (1874), le Ventre de Paris (1874), l'Assommoir (1878), Nana (1880), telles sont les œuvres notoires de cette période.

Zola appartient au passé par ce qui reste en lui de pessimisme convenu et de grandiloquence romantique ; mais il appartient à l'avenir par le culte de la nature et par la divination du rôle des foules. Il rompt franchement avec la littérature de salon et fait la nique aux mijaurées de boudoir. Il impose son œuvre par l'énormité, par le scandale qu'elle soulève, par les émotions nouvelles qu'elle répand, par les spectacles animés qu'elle déroule. Le grouillement de la vie, et surtout de la vie urbaine, pullule en elle. On n'avait jamais songé à dépeindre en termes aussi enflés la banalité de la vie courante, et cette enflure même y met une sorte de poésie frénétique. Car ce théoricien du roman expérimental est surtout un évocateur, un poète, un épique. Il manie les foules et les donne pour cortège à ses piètres héros : elles emplissent de leur tumulte ses histoires un peu minces. Les passions basses, les folies obscures, les désordres, les déchéances, défilent et répètent, en un rythme monotone, qui va jusqu'à l'obsession, leurs tristes litanies. Voici le cabaret, le lupanar, l'hôpital, la morgue. Son art, comme celui d'un Jordaens, s'exalte if la peinture des crudités violentes, des riches et puissantes carnations, des kermesses à poitrine débraillée et à braguette déboutonnée ; de quel pinceau amoureux il déshabille Nana et retrousse la Mouquette ! L'avenir ne le lira guère, mais il retiendra son nom. Célèbre à la fois par sa vigueur et par son erreur, il apparaîtra, dans la décadence du romantisme qu'il achève, comme un Pétrone sombre et démesuré.

 

Appartient-il bien à l'école naturaliste ce délicat et Alphonse subtil Alphonse Daudet[70], qui, s'il n'eût vécu dans la Daudet, terreur de son bruyant compagnon d'armes, se fût réclamé plutôt des vieux conteurs français, de La Fontaine et même de Florian ? Il est du Midi aussi, mais du Midi souriant, diseur d'aubades et de romances. Impressionnable et vibrant, mesuré et fin[71], au fond, c'est un classique ; il a l'imagination vive mais courte, le goût sûr et vigilant, la psychologie aiguë et pénétrante. Il ne se rattache guère à l'école que par le procédé de la notation, dont il fait grand étalage[72]. Mais ses romans du monde et du grand monde n'ont pas d'autre prétention que d'amuser et d'intéresser. Il ost surtout lui-même, maitre de son prudent génie et assuré de sa gloire, quand il narre, en souriant, l'histoire du Petit Chose, les Contes de mon moulin et les sublimes galéjades de Tartarin de Tarascon.

Ce bon sens, cette mesure, cette grâce toute latine et classique, c'est le génie de la race qui, en dépit de la défaite, résiste et s'anime.

Il inspire les écrivains de cette autre renaissance, la renaissance provinciale, les narrateurs de la vie locale qui, suivant le sillon ouvert par Mistral[73], puisent dans le sol paternel : c'est Ferdinand Fabre, Émile Pouvillon. Léon Cladel, André Theuriet dont la sincérité naturelle et fraiche fait un retour de tendresse et d'émotion vers les horizons délicats de la vieille France[74].

Il inspire les écrivains de la patrie aimée[75] : Déroulède, Manuel, Laprade, Émile Bergerat[76], Bornier.

Il inspire surtout cet historien si parfaitement pondéré, Fustel de Coulanges[77], qui, par une sorte de prescience, avait écrit la Cité Antique (1864) et qui, aussitôt la guerre achevée, s'applique, par un sentiment haut et pur, à cet autre chef-d'œuvre, l'Histoire des Institutions politiques de l'ancienne France, dont le premier volume parait en 1874 ; œuvre admirable par la science, par la tenue, par la lumière, qu'une critique mesquine déchira et interrompit si cruellement.

 

C'est ce même génie national et autochtone qui, sur Les la vieille souche poétique française, fit croître un surgeon verdoyant. Les poètes, une fois encore, sont des prophètes : de leur foi renie l'espérance.

Zola ne les prisait guère : Joueurs de flûte, disait-il. Du haut de ses fameux cent mille, il se croyait sûr de la postérité[78].

Vénérateurs du nom et de l'œuvre de Victor Hugo, disciples pieux du maitre, les poètes lui empruntent sa langue et sa technique. Mais déjà leur inspiration est autre. Théophile Gautier, avec un art consommé, une tenue ferme et consciente, avait levé l'étendard d'une déférente rébellion. Il est le premier des grands païens. Par lui, les divinités de l'Olympe sont restaurées au ciel et sur la terre.

Théodore de Banville[79] chante les amours voluptueuses et les chairs nacrées : il dit, en rimes merveilleuses, la fantaisie burlesque de la vie moderne ; c'est le Théocrite du boulevard ; il élève son autel à Vénus dans le jardin du Luxembourg.

Le nouveau maitre, c'est Leconte de Lisle[80]. Sévère, inquisiteur de la forme, évocateur de tous les paganismes contre l'Église, il promène sa pensée par l'univers, en guète de gloires passées ou lointaines, comme pour obscurcir le ciel catholique des images des dieux qu'il relève. Il est en garde contre lui-même et contre son temps. Sa haine, c'est le banal, le convenu, le vulgaire. Le beau, c'est l'excellent, seul vrai puisque seul parfait. Quant au poète, il n'est qu'un accident méprisable si son âme est autre chose que le miroir de l'éternelle beauté.

Ce maitre impavide dira ce qu'il sait et ce qu'il voit ; jamais ce qu'il sent et ce qu'il souffre. Son œuvre est une onde pure et froide : la vie n'y laisse que l'étrange impression d'un reflet.

Après la guerre, il reçoit dans son appartement du boulevard des Invalides la jeunesse que son monocle hypnotise ; il surveille jalousement la netteté de la langue et la noblesse de l'inspiration. Il n'est pas indulgent ; une douleur cuisante l'a blessé. Il traduit et commente les poètes antiques ; il nomme les dieux par leurs noms vénérables. Son art impeccable déchaîne, parmi la banalité moderne, la vengeance incomprise des Erinnyes.

Baudelaire[81] est mort en 1867. Son imagination est romantique, mais sa forme éclatante et pleine est toute classique ; il séduit, il inquiète, il charrue. Son étrange génie projettera sur les figes nouveaux de longs envoûtements.

Voici maintenant les maîtres du Parnasse contemporain[82]. Ce nom est un programme : Nous avions, dit l'un d'eux, la haine du débraillé poétique et la chimère de la beauté parfaite. Telles sont les préoccupations constantes de cette école tant raillée : la propriété et la justesse de l'expression, la loyauté du sentiment, la pureté de la langue, la variété et la souplesse du rythme, le je ne sais quoi de musical, d'exquis et de rare qui ajoute une grâce la beauté.

Sully Prudhomme[83], âme virginale et troublée, qui met la mathématique dans le rythme et la précision scientifique dans l'étude tics plus fines nuances de l'âme, est la conscience délicate d'une époque bourrelée d'incertitude, de regrets et de remords. Les rêves fugitifs, les espoirs déçus, l'accablement des fatalités, l'impuissance des volontés, des désirs et des efforts, font sa strophe courte, haletante, compacte. Elle serait parfois obscure, inachevée et contrainte,' si la lueur transparente de l'âme ne la rendait si douce.

François Coppée[84], dont la muse se nomme bonté, doux et tendre, attentif aux petits et aux humbles, ému d'un coin de faubourg, d'un geste de bonne vieille, d'un dévouement anonyme ou d'une larme muette : charitable visiteur des chaumières au bord du champ, des cahutes au bord de l'eau, des mansardes au bord du ciel[85], ayant pour ceux qui sont simples comme lui des histoires naïves et vraies, ayant aussi pour eux des légendes et de grands drames romanesques où passent des rois environnés de majesté, des paladins tout empanachés d'héroïsme, des poètes tout vibrants de chansons.

Il faut nommer maintenant deux poètes dont les œuvres et la renommée furent un peu plus tardives, mais dont l'inspiration puise aux sources du Parnasse, Jose-Maria de Heredia et Verlaine[86] : tous deux artistes sincères, naturels, ingénus, tons deux exemplaires, l'un par son impeccable plastique, l'autre par sa troublante et musicale imprécision. Jose-Maria de Heredia achève l'évolution poétique et littéraire du siècle : il est historien, peintre, sculpteur. Sa langue est sans défaut, son émotion intense, son tact exquis, son jugement judicieux. L'histoire emplit sa courte épopée ; la vie respire dans le dessin achevé de ses admirables raccourcis ; toute la poésie française, de Corneille à La Fontaine, de Victor Hugo à Leconte de Lisle, retentit dans la puissante phrase-motif du sonnet. Ses courts poèmes sont peut-être, de tout ce que laissera notre temps, ce qui est le plus assuré de vivre ; les enfants les sauront par cœur. Son unique recueil, les Trophées, où resplendissent la gloire et la beauté latines, est comme la table des matières fulgurante du beau livre que fut la poésie française au XIXe

Verlaine. Verlaine essaie dans une charmante inconscience, la première chanson des âges futurs. Il remonte aux origines, et il est un précurseur. Comme Villon, il dirait la ballade de La bonne Lorraine ou celle de la Belle qui fut Heaulmière. Comme La Fontaine, il apprendrait, pour le parler aux enfants, le langage des bêtes. Il puise dans le trésor des dits populaires. Fine oreille, il est aux écoutes de la brise qui passe et de l'herbe qui pousse. Ses joies, ses gaietés, ses folies, ses misères, ses abandons, ses larmes, ses repentirs, sont humains et peuple ; le moins littéraire des hommes et le plus averti des écrivains ; si naïf à la fois et si malin, chanteur des rues dont la voix pure et grêle répète les vieux airs doux au cœur et module l'étrange musique des rythmes inentendus.

Tant d'autres poètes vibrants ou exquis seraient grands dans une époque moins grande : l'apollinien Catulle Mendès, l'éclatant Armand Silvestre, et ce maitre délicat et délicieux dont l'âme se plaint, lèvres closes, Léon Dierx ; André Theuriet, poète de la campagne française et sylvain du Bois-Joli, le paysagiste André Lemoyne, le philosophe André Lefèvre, Stéphane Mallarmé, mystérieux aïeul du symbolisme. Alphonse Daudet fut poète, Maupassant fut poète, Bourget fut poète, Jules Lemaitre fut poète[87].

Mais ce sont déjà les noms de l'avenir.

Combien d'autres encore, prosateurs ou poètes : Villiers de l'Isle Adam, Fromentin, dont le nom vivra, n'eût-il laissé que Dominique ; Jules Vallès ; Cherbuliez et Ariel, qui continuent la veine française si abondante, fille des fraiches Alpes helvétiques ; enfin cet étonnant gentilhomme de lettres, dernier tenant du romantisme, paradoxal et tonitruant écrivain des Diaboliques, du Prêtre Marié, de l'Ensorcelée, fécond et sagace critique des Œuvres et des Hommes du XIXe siècle, Jules Barbey d'Aurevilly[88] !

 

IV

La littérature se multiplie et se projette en quelque sorte hors d'elle-rame, selon les besoins du temps. Une vaste entreprise de réparation et de réformes occupe d'excellents et laborieux ouvriers. Comme dans une fourmilière après un désastre, chacun est à l'œuvre et apporte son idée, son initiative, sa compétence. C'est Renan[89], c'est Edgar Quinet[90], c'est Taine[91], c'est Mgr Dupanloup[92], c'est George Sand[93], c'est Athanase Coqueret[94], c'est le marquis d'Audiffret[95], c'est Le Play[96], c'est Émile de Girardin[97], c'est Maxime du Camp[98], c'est Gabriel Charmes[99], c'est Dupont-White[100], c'est Laboulaye[101], c'est de Laveleye[102], c'est Schérer[103], c'est Montégut, c'est Anatole et c'est Paul Leroy-Beaulieu[104], c'est Émile Boutmy, l'un des plus hauts et des plus intenses parmi les rares esprits capables d'aborder la psychologie des peuples[105] ; c'est Edmond About[106], c'est Francisque Sarcey[107], c'est J.-J. Weiss, écrivain exquis dont l'activité se disperse avec une fermeté et une grâce égales sur tant de sujets[108] : c'est Jules Claretie[109], c'est de Mazade[110], c'est Vacherot[111], c'est encore Cherbuliez qui signe du pseudonyme de Valbert les chroniques de la Revue des Deux Mondes. La littérature née de la guerre et qui s'applique à la reconstitution de nos forces militaires est, à elle seule, considérable ; elle est utile ; comment ne pas mentionner les livres des Vinoy, des Chanzy, des Faidherbe, les polémiques suscitées par le procès Bazaine, les travaux des Chareton, des Séré de Rivière, du duc d'Aumale, du duc d'Audiffret-Pasquier ?

Il y a aussi une littérature didactique, une littérature d'éducation et d'enseignement qui défend l'autre boulevard, celui de l'intelligence française.

Les méthodes sont jugées et renouvelées, Jules Simon[112], Gréard[113], Michel Bréal[114], Dumont[115], Bersot[116], Frary[117], s'y emploient. Victor Duruy[118] avait pris une initiative féconde en fondant, avant la guerre, l'Ecole des Hautes-Etudes. Les traditions de la critique et de l'érudition se sont maintenues au Collège de France et à l'École des Chartes ; cependant, Quicherat[119], Tournier[120], Gaston Paris[121], Anatole de Montaiglon[122], Paul Meyer[123], Léon Rénier[124], Desjardins[125], Rayet[126], Bergaigne[127], Arsène et James Darmesteter[128], Gabriel Monod[129], Arthur Giry[130], Charles Graux[131], attirent autour de leurs chaires un public plus assidu et plus studieux.

A la Sorbonne, les professeurs reprennent, dans un esprit pratique et moderne, les problèmes de l'histoire et de la philosophie : Gaston Boissier[132], Saint-Marc Girardin[133], Saint-René Taillandier[134], Martha[135], Caro[136], Havet[137], Mézières[138], exercent sur les lettres et sur l'enseignement une haute influence[139].

Une création inspirée peut-être du premier essai tenté par Hippolyte Carnot[140], en 1848, se propose de préparer, parmi les classes moyennes, le personnel politique : c'est l'École des Sciences Politiques due à l'initiative de M. Boutmy et de M. Vinet. La conception en fut minutieusement élaborée[141]. Taine s'y intéressa passionnément. Il écrivait, le 29 novembre 1871 : Non seulement les affaires reprennent, mais il y a un vif réveil de l'esprit public, du sentiment national. Beaucoup de gens se reprennent de goût pour la politique ; ils ont de la bonne volonté et donnent de l'argent. Nous sommes en train de fonder à Paris, par souscriptions privées, une école libre pour l'enseignement des sciences politiques. Je vois quantité de personnes qui sentent que leur devoir et leur intérêt sont de ce côté[142]. Il prononça le discours d'ouverture de l'École, le 13 janvier 1872[143].

Des travailleurs admirables élèvent des monuments où se retrouvent les élégantes lignes et les proportions des grandes œuvres françaises. Littré[144] fait, pour la première fois, dans son Dictionnaire, l'inventaire complet de la langue : Henri Martin[145] termine son Histoire de France et écrit son Histoire populaire. Élisée Reclus[146] commence sa Géographie universelle ; Victor Duruy achève sa souple et forte Histoire des Romains ; Barthélemy-Saint-Hilaire[147] poursuit sa traduction d'Aristote. Viollet-le-Duc[148] complète ses Dictionnaires de l'architecture du Moyen-Âge et du Mobilier. On voit paraître les éditions remaniées de la France littéraire de Quérard[149], du Manuel du bibliophile de Brunet[150] ; Pierre Larousse[151] donne les derniers volumes de son Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle.

La plupart des œuvres classiques sont l'objet des soins les plus minutieux dans les éditions de la Collection des Grands Écrivains publiées par la maison Hachette ou dans les publications de Lemerre ; les Mémoires et les Documents de notre histoire paraissent dans la Collection des Documents Inédits ou dans celle de la Société de l'Histoire de France. Les membres de l'Académie des inscriptions, Renan, Léon Dénier, Hauréau[152], Patin[153], Weill[154], Léopold Delisle[155], prodiguent leurs savants travaux dans les Corpus, les Bulletins, le Journal des Savants, la Revue critique.

Comment dénombrer les écrivains qui forment désormais une foule littéraire ? Tout le monde écrit. Démocratie partout. Le suffrage universel stimule la production universelle. Dans l'histoire de la pensée, il faut faire une place à la vulgarisation ou, du moins, à la divulgation des idées. Des milliers de cerveaux s'y emploient comme, dans les industries, des milliers de bras. Travail moins fini peut-être, aptitude moins rare, conscience moins exigeante, goût moins sûr, mais effort plus large, plus vigoureux, plus pénétrant[156]. Pour objectif, le nombre : pour méthode, la clarté ; pour but, le succès. L'œuvre littéraire ne se polit plus dans la retraite d'un cabinet ou sous les ombrages d'un Port-Royal : la besogne intellectuelle s'improvise sur la place publique, s'achève dans le tumulte des imprimeries ou des bureaux de rédaction ; une poussière d'idées vole parmi les rues agitées d'une trépidation constante.

Les énumérations seraient homériques, depuis le génie créateur qui s'arrache a sa réflexion solitaire pour instruire la jeunesse ou se pencher sur les masses, jusqu'au reporter de journal, au conférencier, qui, on racontant le moindre fait-divers, ou en exposant les découvertes de la science ou les anecdotes de l'histoire, sont les agents les pins efficaces peut-être de la propagation et de l'élabora lion des idées.

Tandis que la poésie, froissée des contacts grossiers, se réfugie dans sa tour d'ivoire, le morceau de circonstance, la chanson d'opérette, le refrain de café-concert, comme autrefois le Pont-Neuf ou les turlupinades de Tabarin, se dispersent aux quatre vents des carrefours ; leur vulgarité verse aux foules un peu d'idéal et de soulagement, de même que, sur le zinc du comptoir, le verre de vin ou le petit verre d'eau-de-vie leur offre de quoi exciter ou stupéfier le cœur.

Au théâtre, la pièce à succès voisine avec la pièce à thèses : le Carnaval de l'empire est fini ; l'opérette ou le vaudeville amusent les foules par des accents moins baroques : au répertoire d'Offenbach[157] et d'Hervé[158] succède celui de Charles Lecocq[159], de Robert Planquette[160], de Serpette[161].

L'opérette, qui diffère, en somme, de l'opéra-bouffe, eut, à cette époque, une vogue incomparable. Après Orphée aux Enfers et la Belle Hélène, c'est la Fille de Madame Angot, Giroflé-Girofla, les Cent Vierges, la Petite Mariée, les Cloches de Corneville[162]. Un hoquet plus triste coupe la chanson de Thérésa.

Le roman-feuilleton berce de son rêve d'hypnose les imaginations sans méfiance. Il charme, il endort, il détourne de la fuite du temps. Une surprise hachée, une secousse quotidienne se reproduisent indéfiniment, par l'artifice accepté de la suite au prochain numéro. Ce n'est plus l'âge de Ponson du Terrail[163] : c'est celui de Xavier de Montépin[164], d'Adolphe d'Ennery[165], d'Émile Richebourg[166], d'Hector Malot[167], d'Adolphe Belot[168]. Toute une génération verse des larmes sincères sur les orphelins de Sans famille.

La science, l'histoire, la géographie ont leurs vulgarisateurs qui, par les gros tirages et le bon marché des livraisons, satisfont un public chaque jour plus avide. Figuier[169] décrit les Merveilles de la Science et publie l'Année scientifique. Jules Verne[170], l'Alexandre Dumas de la géographie, suscite des vocations en racontant Cinq semaines en ballon et le Tour du monde en quatre-vingts jours.

A partir tin montent où le livre est ainsi répandu, il est impossible de calculer sa portée. Un manuel, un libelle de quelques pages, une livraison vendue quelques centimes, devient le véhicule inaperçu du bien et du mal. Le hasard d'une lecture, parfois furtive, décide d'une destinée. Dans le tète-il-lite du lecteur. et du livre, nul contrôle. L'enthousiasme mène il l'engouement, la logique à l'erreur, la recherche de l'expression an paradoxe. Qui écrit exagère. L'esprit parfois, comme la lettre, tue au lieu de vivifier. C'est un réfractaire qui énumère les victimes du livre : Cherchez la femme, disait un juge : c'est le volume que je cherche, moi, le chapitre, la page, le mot... Joie, douleurs, amours, vengeances, nos sanglots, nos rires, les passions, les crimes, tout est copié, tout. Pas une de nos émotions n'est franche ; le livre est là[171].

Le livre périodique, c'est la Revue. La Revue c'est, à cette date, la Revue des Deux Mondes. Elle fut longtemps la ressource intellectuelle des classes éclairées. Le cabinet de lecture n'est plus très fréquenté. La bibliothèque particulière est coûteuse et encombrante. Quand l'avocat, le notaire, le médecin, le fonctionnaire de province ont réuni, entre les ais d'acajou de la vitrine modeste, indispensable à leur cabinet, les œuvres de Voltaire, celles de Jean-Jacques, l'Histoire du Consulat et de l'Empire de M. Thiers, l'Histoire de France d'Henri Martin, quelques livres techniques, quelques romans, les livres de prix sous leur cartonnage doré et les livres de messe sous leur fermoir d'argent, ils s'en tiennent là. Ce sont les Revues qui pourvoiront à l'alimentation des idées et des connaissances, si l'on croit devoir ajouter quelque chose à ce réservoir clos.

La Revue des Deux Mondes apporte en province la façon de penser et l'air de Paris : on aime à la laisser traîner sur les tables. Elle renouvelle, chaque quinzaine, le frisson du roman à la mode. M. Buloz[172] qui la dirige, s'est fait. une conception très nette et très ferme de l'âme bourgeoise française. Il enrégimente et régente des lettres. Le génie, l'invention, la fantaisie, le talent, sont soumis aux lois d'un style correct et d'un sévère alignement. La Revue est une maison fermée, bonne maison d'ailleurs, où le ton un peu froid, compassé et lent, est juste, soutenu, parfois savoureux. Ce que doit savoir un Français moyen du XIXe siècle, il le trouve dans la Revue. Demi-croyante, demi-sceptique, autoritaire et libérale, littéraire et scientifique, elle réalise, autant qu'il est possible, l'idéal des classes moyennes et prononce les arrêts de la doctrine juste-milieu. Elle a des attaches avec l'université, avec les cercles politiques. Bourgeoise, elle se méfie du nombre ; elle boude le gouvernement, empire ou république ; elle règne sur l'Académie, fraye avec le monde et avec le théâtre, hypnotise les salons littéraires. Vers l'année 1877, à la mort de François Buloz, elle touche à son apogée. Sa couverture saumon est en parfait synchronisme avec la mode du chapeau haut de forme, de la cravate blanche et de la redingote bourgeoise.

Le Correspondant, fondé en 1843, défend les doctrines du catholicisme libéral : la Revue de France, qui parait après la guerre, est plus particulièrement l'organe du parti orléaniste. La Revue des cours politiques et littéraires, créée par Eugène Yung[173], en 1863, est, tout d'abord, timidement bornée à l'horizon universitaire ; après la chute de l'empire, elle s'émancipe. Gambetta, dit-on, y avait écrit quelques articles.

Elle est lue par la jeunesse des écoles : son libéralisme pondéré, sa rapide et utile information, complétée d'autre part, par celle de la Revue scientifique, eurent sur In direction de la jeunesse républicaine une réelle influence.

Plus littéraires, de jeunes Revues, le Parnasse contemporain, la République des lettres, naissent et meurent, laissant pourtant derrière elles un sillon lumineux.

Des revues techniques, Revue des Questions historiques, Revue historique, Revue Critique, Revue de l'École des Chartes, Revue Scientifique, Économique, l'Économiste français, Revue Philosophique, ont leur public particulier.

L'hebdomadaire illustré divulgue l'information, la leçon, ou l'impression par l'image. La Vie parisienne, le Charivari, la Lune, l'Éclipse, suivent les faits de la vie mondaine et politique. Taine a publié dans la Vie parisienne, dirigée par son camarade Marcelin[174], les fantaisies un peu lourdes de Thomas Graindorge ; elle compte, dit-on, parmi ses collaborateurs, Gustave Droz[175], Armand Nisar[176].

André Gill[177], A. Le Petit, Bertall[178], Grévin[179] sont les caricaturistes en vogue ; à la devanture des kiosques, ils assurent aux figures contemporaines, par l'exagération du type, une violente popularité. Le toupet de M. Thiers, l'œil rond de Gambetta, la poire de l'orléanisme ou le gourdin du bonapartisme offrent à la liberté du crayon d'inépuisables sujets.

Le Magasin pittoresque, l'Illustration, le Monde illustré appliquent les procédés nouveaux aux nécessités de l'information rapide. Dans les salons, dans les cercles, dans les cafés, partout où l'image pénètre, le public a désormais sous les yeux le spectacle de sa propre existence. Un jugement prompt se dégage de cette constante évocation : une connaissance et une instruction immédiates se répandent par les feuilles où la gravure sur bois a reproduit le croquis.

Ces collections formeront, un jour, des recueils sans prix pour l'histoire, qui saisira la durable vision de l'éphémère sur le fragile monument.

 

V

Le livre, la livraison, c'est encore le privilège de quelques-uns. Voici la feuille de papier qui vole et s'insinue partout : c'est le journal.

La presse est comme la langue, au dire d'Ésope : ce qu'il y a de meilleur et ce qu'il y a de pire. Dès qu'elle existe, elle devient libre, étant, comme l'eau, insaisissable et incompressible. Veuillot[180] disait qu'elle appartient à l'ordre redoutable des maux nécessaires et il lui donne sa vie. Émile de Girardin affirmait l'impuissance de la presse et il créa la presse à bon marché, la presse à un son. De ce jour, la démocratie règne. L'opinion est réveillée par ces sonneurs de cloche quotidiens qui répandent, avant le jour, la nouvelle.

Les phases diverses de la lutte contre la presse marquent les étapes du règne de Napoléon III. Le décret de 1852 avait restauré tout l'arsenal du premier empire. On n'avait hésité que sur le rétablissement de la censure, condamnée, dans l'opinion, depuis les ordonnances de 1830. La loi du 11 mai 1868, dans ses lents avatars, caractérise empire libéral. Elle avait supprimé l'autorisation préalable et la faculté réservée au gouvernement de suspendre ou d'interdire les journaux. En somme, le régime de la presse ressemble beaucoup alors à celui qui existait vers la fin de la monarchie de juillet. Le timbre, le cautionnement, l'impôt sont encore des entraves au développement des journaux quotidiens.

Quel que fut le régime, décret de 1852 ou loi de 1868, on sait combien la presse fut dangereuse pour le second empire. Entre l'administration et la petite presse, le combat fut épique : mais le lion fut vaincu par le moucheron. La multiplicité et l'intensité des blessures se mesurent à ces deux noms : Prévost-Paradol et Rochefort[181].

Dès le 5 septembre 1870, le gouvernement de la Défense nationale abolit l'impôt du timbre pour les journaux et autres publications périodiques. Cinq jours après, un autre décret promulgue la liberté de l'imprimerie et de la librairie. Deux décrets, en date des 10 et 27 octobre, suppriment le cautionnement et attribuent au jury la connaissance des délits politiques et des délits de presse. C'était la liberté.

De prime abord, l'Assemblée nationale, engagée par les souvenirs de l'opposition contre l'empire, n'a peur ni du mot ni de la chose. La loi du 15 avril 1871, votée sur un rapport et après un discours très libéral du duc de Broglie[182], établit un régime emprunté aux lois du 26 mai 1819 et du 27 juillet 1849. Les délits de diffamation et d'injures à l'égard des particuliers étaient laissés à l'appréciation du tribunal correctionnel ; mais la diffamation commise à l'égard des fonctionnaires était justiciable de la cour d'assises, avec cette précision qu'il n'était pas permis de séparer l'action civile en dommages-intérêts de l'action publique ; enfin, la preuve des faits allégués était autorisée[183].

Ces dispositions favorables durèrent peu. Aussitôt après la Commune, la loi du 6 juillet 1871 rétablit le cautionnement ; la loi du 4-16 septembre 1871 crée un impôt spécial de 20 francs par cent kilos sur le papier des journaux.

Malgré ces entraves qui embarrassent parfois autant ceux qui les imposent que ceux qui les subissent, les journaux quotidiens sont de plus en plus nombreux ; les tirages montent.

Émile de Girardin a compris la force que la publicité ajoute à la publication. Il est le lanceur sans égal, l'organisateur de la réclame. Bientôt, Marinoni[184] construit la presse rotative. Il envoie à l'exposition de Londres, en 1872, une presse pouvant tirer 18.000 exemplaires à l'heure du format des grands journaux de Paris ; à l'exposition de Vienne, en 1873, le perfectionnement est acquis.

La vente au numéro sur la place publique et dans les kiosques, essayée sur la fin de l'empire, se développe et ajoute, à la trépidation de la vie urbaine, cette puissante pulsation.

Voilà donc les temps nouveaux et l'avènement du quatrième pouvoir. La France inaugure, à fond et à plein, sans restriction et sans veto, le règne de l'opinion. Puissance indéfinissable et impondérable, faite de la circulation des idées à travers le corps social, sans qu'il soit possible de dire d'où vient l'impulsion. Des extrémités au centre et du centre aux extrémités, c'est un mouvement perpétuel, un échange constant.

Bismarck croyait qualifier ce régime en l'appelant le règne des dix mille. Il pensait sans doute que l'opinion naît dans le cerveau et sous la plume de ceux qui la formulent. Non ; ceux-ci obéissent comme les autres. Ils sont aux écoutes de je ne sais quel inconscient qu'ils s'habituent à deviner avant qu'il se soit précisé, comme le cuisinier prévoit l'appétit et le goût des maîtres ; en nommant l'émotion, ils la répandent ; mais elle est latente. La presse est, un tambour : quand elle exprime le sentiment populaire elle ameute les foules et excite les enthousiasmes ; mais si elle se trompe, son bruit flasque retombe sans action : c'est un tambour crevé. La presse n'est pas l'opinion : elle est l'écho parfois déformé, parfois formidablement multiplié de l'opinion.

L'opinion, c'est la conscience du corps social, le jugement que celui-ci porte sans cesse sur les actes qui importent à ses destines. L'opinion, comme la conscience, se trompe pour les raisons qui font l'incertitude et la difficulté de la vie.

Le règne de l'opinion libre, c'est la plus grande part possible faite à l'instinct vital, — parfois aux dépens du raisonnement et du calcul, — dans la conduite des sociétés.

Les découvertes modernes, l'accélération de la vie publique impriment aux manifestations de cette conscience instinctive une vivacité, une rapidité de divination et de décision prodigieuses. Tout. le monde est sur le pont. Mais au moindre désordre, tout le monde s'énerve et s'affole. Assurément, il faut veiller et se garder ; mais il faut aussi travailler, dormir, réfléchir. Un équipage ne se compose pas uniquement de vigies.

En 1871, la nation désemparée est prête à accepter la leçon de la presse. Celle-ci parle, on l'écoute. Elle est en contact direct avec le peuple ; en face de l'Assemblée souveraine, elle est le seul contrôle subsistant. Elle ne compte pas les tètes considérables ou illustres. Tous écrivent. Le journaliste se confond avec l'homme politique. La carrière de M. Thiers s'ouvre et se ferme par des articles[185].

Émile de Girardin, journaliste-né, Beaumarchais sans l'esprit, pontife moderne, où il y a de l'Antony, du Turcaret et de l'Homais, Émile de Girardin, agit par la force la plus faite pour convaincre le lecteur d'un jour, la logique. Les journaux qu'il crée font office de catapultes ; ses articles sont autant de flèches barbelées. Imagination téméraire, âme timorée, il hésite entre la solution monarchique libérale et la solution républicaine modérée. Il prépare sa formidable campagne du 16 mai en abordant la question constitutionnelle dans ses Lettres d'un logicien.

Rochefort, condamné à la déportation pour son rôle pendant la Commune, est en Nouvelle-Calédonie. Bientôt. il ajoutera une page romanesque au roman de sa vie en s'évadant avec Olivier Pain et Paschal Grousset[186], et sa verve redoutable exaspérera la polémique engagée contre les hommes qui se succèdent au pouvoir.

Le Journal des Débats, le Temps, sont les ténors de la presse libérale. Le Journal des Débats, hésitant entre le centre droit et le centre gauche, entre Saint-Marc-Girardin et John Lemoinne[187], publie des articles alternés, également retentissants. La collaboration de Renan, de Taine, de Laboulaye, de Gabriel et de Francis Charmes[188], et parfois même, dit-on, l'intervention discrète de M. Thiers, lui valent, auprès des groupes parlementaires et, littéraires, une grande autorité. Il est loué et cité plus qu'il n'est lu.

Le Temps a passé des mains de Nefftzer[189] dans celles d'Adrien Hébrard[190]. Fort de la collaboration de Jules Ferry et de Scherer, il devient rapidement le journal le mieux renseigné et le plus solidement organisé de Paris. Il garde la tradition du bulletin et celle de l'anonymat des articles politiques. Sa direction habilement libérale et sa politique mesurée exercent une réelle influence sur la bourgeoisie dont il est l'organe. Son directeur met une coquetterie à exagérer la gravité du journal, mais il est obligé de s'appliquer pour ne pas y laisser éclater l'esprit.

Le Figaro est toujours aux mains de Villemessant[191] : il est mondain, légitimiste, boulevardier. Villemessant donne des consultations aux prétendants et traite, non sans rondeur, le comte de Chambord. Jamais le Figaro ne fut plus brillant ; il en veut à Victor Hugo et à M. Thiers ; ses échos et ses nouvelles à la main passent de bouche en bouche. Albert Wolf[192], Auguste Vitu[193], Aurélien Scholl[194], Francis Magnard[195], signent ses articles ; c'est la crème fouettée de l'esprit parisien, — la crème et le fouet. Un procès retentissant lui fait la réclame d'un mois de prison et de trois mille francs d'amende : c'est le procès du général Trochu.

Mais voici une autre floraison signe des temps. En novembre 1871, Gambetta fonde la République française. Ses collaborateurs sont Challemel-Lacour[196], Isambert[197], Spuller[198], Freycinet[199], Bouvier[200], Paul Bert, Marcellin Pellet[201], Gaston Thomson[202], Girard de Rialle[203], Colani[204], André Lefèvre toute l'équipe du futur opportunisme. Le journal est grave, sentencieux, doctrinaire. Ses premiers Paris sont des événements politiques. Presque tous les jours, Gambetta, qui a rarement tenu la plume, entre dans la salle de rédaction, salue d'un' mot plaisant ou d'un geste affable ses collaborateurs et, à demi étendu sur un divan, il parle l'article que les mémoires les plus sûres recueillent de ses lèvres. L'infatigable Spuller, bœuf de travail, est toujours prêt. Il prodigue les lignes sans rature de sa copie régulière ; Challemel-Lacour, sévère et chagrin derrière sa barbe blanche, distribue les sujets d'articles comme des pensums. Seul, Paul Bert, indépendant et maitre de sa rubrique, élève la voix. C'est un lieu austère.

Le XIXe Siècle est fondé également en 1871 ; mais Edmond About n'en prend la direction qu'en mai 1872. Ses lecteurs sont des professeurs et ses rédacteurs sont des hommes d'esprit. About, Sarcey, Bigot[205], Emmanuel Arène[206], Paul Lafargue[207], Henry Fouquier[208], font une escouade d'élite. La polémique anticléricale y épuise les derniers traits du carquois de Voltaire. Sarcey discute sur la grammaire, prend à partie le son de la Sainte-Enfance et les missionnaires sauveurs de petits Chinois. Edmond About y prodigue sa verve journalière et sème de l'esprit jusque dans les faits divers. Il n'est pas de polémique qui ait plus fait pour rallier à la République le bourgeois lettré.

Magnier[209] voudrait faire de l'Événement un Figaro républicain. Hector Pessard[210], dans le Soir, défend la politique de M. Thiers et lance des mots qui sont historiques pendant une soirée. Le Rappel insère les chroniques, fameuses à l'époque, de Vacquerie[211], de Blum[212] et d'Ed. Lockroy[213], les comptes rendus de l'Assemblée de Camille Pelletas[214].

A droite, les amis du duc de Broglie et de M. Buffet fondent le Français, dont les filets sont burinés et blessent souvent. Il a pour principaux collaborateurs Thureau-Dangin[215] et Dufeuille[216]. Paul de Cassagnac[217] est au Pays et y assène, de droite et de gauche, les coups de poing. Édouard Hervé[218] écrit au Journal de Paris, puis il fonde le Soleil, le premier grand journal à un son, qui atteint vite les tirages élevés. Édouard Hervé est un journaliste solide et expérimenté. Il est maitre de sa polémique, courtois, incisif, mais toujours opportun et précis. Aux heures de la fusion, sa parole eut, plus d'une fois, l'autorité d'une sentence. M. Détroyat[219] assure à la Liberté une allure indépendante et vive et la jette pêle-mêle entre les partis ; M. Janicot[220] est le rédacteur en chef de la Gazette de France et, sous l'inspiration de Mgr Dupanloup, travaille avec ardeur au mouvement qui ramène la droite vers la fusion.

Le Gaulois, royaliste et impérialiste à ses heures, combat en tirailleur et disparaît un jour pour reparaître le lendemain.

Le légitimisme a pour organe l'Union, dirigée par M. Laurentie[221], et il fait bon ménage avec l'ultramontanisme de l'Univers, dont Louis Veuillot est la gloire. Journaliste impétueux, brutal, dont la verve et l'entrain viennent de Rabelais et de Voltaire à travers Joseph de Maistre, Louis Veuillot est, à la fois, un excellent écrivain, un merveilleux polémiste et un chrétien violent : il distribue l'eau bénite comme du vitriol et manie le crucifix comme un gourdin.

Une divulgation plus large encore vise des masses plus profondes : le journal à un son pénètre là où la grande presse s'arrête. L'importance accordée au fait-divers, l'habile cuisine de l'information, l'attrait du roman-feuilleton et de la chronique journalière, la neutralité voulue et la médiocrité nécessaire offrent aux plus simples la nourriture qui leur convient. Le succès est immense. Le Petit Journal a des tirages qui moment successivement à cinq cent mille exemplaires en 1872, à près d'un million en 1880. Les chroniques de Timothée Trimm (Léo Lespès)[222] et les feuilletons de Ponson du Terrail ont plus de lecteurs que n'en eurent jamais les plus beaux chefs-d'œuvre du génie humain.

La concurrence naît bientôt. Émile de Girardin achète la France en 1874 et lance ce journal, comme un météore. Édouard Hervé avec le Soleil donne un instant l'illusion de la popularité aux partis conservateurs. La Lanterne, dont le premier numéro parait le 23 avril 1877, s'adresse aux foules et y jette les semences de la politique radicale.

Des agences répandent jusque dans les provinces les nouvelles parlementaires et alimentent la polémique des partis : agences Havas, Girodeau, E. Daudet, E. Privat, Saint-Chéron.

La province, lente à se mouvoir, se met en branle à son tour. Les journaux qui se développent ou se fondent dans les grandes villes, rivalisent avec la presse parisienne. Si la haute direction et l'initiative viennent toujours du centre, les effets produits dans les départements et l'écho qui se répercute en retour jusque dans les milieux parlementaires, ne sont pas chose négligeable. Dans ces remous, l'opinion se cherche et les aspirations se dégagent.

La province gagnera sur Paris et peu à peu prendra l'avantage de la suite dans les idées, de la ténacité et du nombre.

La Gironde à Bordeaux, le Phare de la Loire à Nantes, le Sémaphore à Marseille, le Journal de Rouen, l'Écho du Nord à Lille ; les grands journaux de Lyon, le Progrès, le Lyon républicain, le Salut public, le Petit Lyonnais ; ceux de Toulouse, la Dépêche, le Messager, le Midi républicain, l'Émancipateur ; ceux de Grenoble, le Petit Dauphinois, le Réveil du Dauphiné ; ceux de Marseille, le Journal de Marseille, le Petit Marseillais, le Petit Provençal ; ceux de Retins, le Courrier de la Champagne, l'Indépendant Rémois ; ceux de Dijon, le Bien public, le Petit Bourguignon, le Progrès de la Côte-d'Or ; ces feuilles et tant d'autres contribuent, par une action soutenue, à l'évolution des esprits et à la marche des affaires publiques.

Il n'est plus un hameau où le journal ne soit reçu, attendu. La veillée écoute la lecture monotone. L'électeur veut être instruit, veut apprécier, juger. Même si l'aliment qu'on lui livre est banal, indigeste ou malsain, il entend le choisir lui-même.

L'organe, cette fois encore, crée la fonction. Le progrès de l'imprimerie et de la presse détermine une disposition nouvelle dans l'individu et dans la société. Le sens de l'information est un sixième sens dont le public se sert désormais comme de la vue, de l'ouïe et du toucher.

La pensée, l'émotion, entrainées par un tourbillon de vie jusque dans la dernière artère et jusqu'au bout des nerfs du corps social, y développent une excitation constante ; elles suscitent sans cesse les passions, les enthousiasmes, les énergies.

 

 

 



[1] Voir ci-dessous, chapitre XII.

[2] Victor COUSIN, né à Paris en 1792, membre de l'Académie française, mort en 1867.

[3] Auguste COMTE, né à Montpellier en 1798, mort en 1857.

[4] Honoré DE BALZAC, né à Tours en 1799, mort en 1850.

[5] Henry BEYLE, dit STENDHAL, né à Grenoble en 1783, mort en 1842.

[6] Pierre-Joseph PROUDHON, né à Besançon en 1809, mort en 1865.

[7] Charles-Augustin SAINTE-BEUVE, né à Boulogne-sur-Mer en 1804, membre de l'Académie française, mort en 1869.

[8] Alphonse DE PRAT DE LAMARTINE, né à Mâcon en 1790, membre de l'Académie française, mort à Paris le 28 février 1869. — Sur les dernières années de LAMARTINE, V. Maxime DU CAMP, Mémoires (t. II, p. 270).

[9] Le 11 juillet 1870. — V. O. GRÉARD, Prévost-Paradol, 1904, in-8°. Anatole-Lucien PRÉVOST-PARADOL, né à Paris en 1829, membre de l'Académie française.

[10] Prosper MÉRIMÉE, né à Paris en 1803, membre de l'Académie française, mort à Cannes le 23 septembre 1870.

[11] Alexandre DUMAS, né à Villers-Cotterêts (Aisne) en 1803, mort à Puys, près de Dieppe, le 5 décembre 1870, sans avoir conscience, dit M. Maurice TOURNEUX, des désastres infligés à la France. — Son corps fut exhumé et transféré au cimetière de Villers-Cotterêts, au mois d'avril 1872.

[12] Théophile GAUTIER, né à Tarbes en 1808, mort à Neuilly le 23 octobre 1872. — Sur ses derniers moments. V. Émile BERGERAT, Théophile Gautier, 1879, in-8° (p. 229).

[13] Comte Victor-Marie HUGO, né à Besançon en 1802, membre de l'Académie française, mort à Paris le 22 mai 1885.

[14] Le romantisme est défini par Victor Hugo, dans la préface de Cromwell : La réalisation de la beauté par l'expression du caractère.

[15] Œuvres de Victor Hugo publiées de 1870 à 188o : Les Châtiments (édition complète, in-12°, 1870 ; une première édition incomplète avait été publiée en 1852). — L'Année terrible (in-8°, 1872). — Quatre-vingt-treize (3 vol. in-8°, 1874). — Actes et paroles (3 vol. in-8°, 1875). — L'art d'être grand-père (in-8°. 1877). — La Légende des Siècles (2e série, 2 vol. in-8°, 1877). — Histoire d'un Crime, déposition d'un témoin (2 vol. in-8°, 1877-1878). — Le Pape (in-8°, 1878). — L'Ane, poésie (in-8°, 1880). — Religion et religions (in-8°, 1880).

[16] Jules MICHELET, né à Paris en 1798, membre de l'Institut, mort à Hyères le 9 février, 1874. — Il a publié dans les dernières années de sa vie : La Montagne (in-12°, 1868). — Nos fils (in-12°, 1869). La France devant l'Europe (brochure in-8°, 1871). — Histoire de XIXe siècle : le Directoire et l'Empire (3 vol. in-8°, 1873). — V. la phrase de Flaubert sur Michelet : Vous ne me parlez jamais de Michelet, que j'aime et admire beaucoup (Corr., t. III, p. 284) ; et la lettre qu'il écrit à Michelet à propos de la Bible de l'Humanité : Cœur, imagination et jugement, vous ébranlez tout en nous-mêmes (p. 288).

[17] Amantine-Lucile-Aurore DUDEVANT, née DUPIN, dite George SAND, née à Paris en 1803, morte en 1876.

[18] C'est CHAMPFLEURY, qui, en créant la revue le Réalisme (15 novembre 1856 — avril 57), prétend avoir nommé et fondé l'école.

On s'entend d'ailleurs assez mal sur la portée du mot. George SAND dit : Nous confessons n'avoir jamais compris où commençait le réel comparé au vrai. Cependant, il y a une différence entre le réalisme de FLAUBERT et celui de CHAMPFLEURY. George SAND ne fait pas cette distinction : elle écrit à propos de Madame Bovary (1857) : Voici un spécimen très frappant et très fort de récole réaliste. Le réalisme existe donc ; car ceci est très neuf... En y réfléchissant, nous trouvâmes que c'était encore du Balzac, du Balzac expurgé de toute concession à la bienveillance romanesque, du Balzac âpre et contristé, du Balzac concentré... — FLAUBERT avait protesté d'avance : On me croit épris du réel, tandis que je l'exècre, car c'est en haine du réalisme que j'ai entrepris ce roman. La lettre est de 1856. (Corr., 3e série, p. 68.) — Pour les textes de G. SAND, voir un article très précis de M. FAGUET dans le Journal des Débats du 25 juillet 1904.

J.-J. Weiss, en 1858, définit le réalisme : Une invention normande (Flaubert ?) qui consiste à se priver, par principe, des petits talents qu'on n'a point reçus de la nature ou de ceux qu'il serait trop pénible de demander à l'étude. Ou encore : C'est un tranquille épanouissement de platitude consciencieuse (p. 147). — Mais cela vise surtout Champfleury et, peut-être un peu, d'après le contexte, Alexandre Dumas fils.

[19] FLAUBERT est très précis : La morale de l'art consiste dans sa beauté même et j'estime par-dessus tout d'abord le style et ensuite le vrai... (p. 71). — Voir le manifeste de LECONTE DE LISLE, intitulé les Poètes contemporains, paru dans le Nain Jaune de 1864, et recueilli à la suite des Derniers Poèmes, 1895, in-8° : L'art, dont la poésie est l'expression éclatante, intense et complète, est un luxe intellectuel accessible à de très rares esprits... Le beau n'est pas le serviteur du vrai, car il contient la vérité divine et humaine, etc. (p. 231). Sur l'opinion bourgeoise, au sujet de la doctrine de l'art pour l'art, voir la page de Maxime DU CAMP dans ses Mémoires (t. II, p. 183).

[20] On ne peut que signaler, en passant, l'influence de la philosophie allemande et notamment de Hegel. C'est un sujet qui est loin d'être épuisé, la guerre de 1870 ayant interrompu le courant. — Le 25 janvier 1870, RENAN et TAINE prenaient, dans une lettre commune publiée par le Journal des Débats, l'initiative d'une souscription en France pour la statue d'Hegel, à Berlin, et le proclamaient le premier penseur du XIXe siècle. — Victor GIRAUD, Essai sur Taine, Paris, 1902 (pp. 68 et 249).

[21] Sur l'influence de DARWIN, en France, voir ci-dessous au chapitre suivant.

[22] SULLY PRUDHOMME, Stances et poèmes. L'ambition. — On connaît la réponse que Sully Prudhomme fit lui-même à ce poème. Elle parut dans la Revue des Deux Mondes du 1er octobre 1871 ; elle est intitulée Repentir :

J'aimais froidement ma patrie

Mon compatriote, c'est l'homme.

Au temps de la sécurité ;

Naguère ainsi je dispersais

De son grand renom mérité

Sur l'univers ce cœur français,

J'étais fier sans idolâtrie.

J'en suis maintenant économe.

Je m'écriais arec Schiller :

Ces tendresses, je les ramène

Je suis un citoyen du monde ;

Étroitement sur mon pays,

En tous lieux où la vie abonde

Sur les hommes que j'ai trahis

Le sol m'est doux et l'homme cher :

En amour de l'espèce humaine.

Il y a un passage bien curieux sur les sentiments de cette génération au sujet de l'idée de patrie, dans Gaston Partis, Penseurs et Poètes (p. 221).

[23] Correspondance (t. IV, p. 212). — RENAN venait de publier la Réforme intellectuelle.

[24] Il suffit de rappeler la constante et hautaine revendication d'un RENAN. Il écrit dans l'Avenir de la Science, 1848 : Les fondateurs de l'esprit moderne sont des philosophes (p. 141) ; et encore dans la Réforme intellectuelle, 1872 : Former, par les universités, une tête de société rationaliste, régnant par la science, fière de cette science et peu disposée à laisser périr son privilège au profit d'une foule ignorante ; mettre le pédantisme en honneur, etc. (p. 106). — La doctrine de l'Élite est exposée didactiquement dans les Dialogues philosophiques, parus en 1876.

[25] RENAN, Réforme intellectuelle et morale, Paris, 1872, in-8°, (p. 99). — TAINE écrit, le 17 mars 1871, à Mme Taine : Renan m'a prêté quatre grands articles politiques sur la situation, qu'il ne publiera probablement pas (il s'agit évidemment d'une première rédaction de la Réforme intellectuelle). C'est lâche, abstrait, pas toujours très bon. Il se néglige. Il y a beaucoup d'idées, mais sa thèse rebuterait ; très visiblement, il est pour la restauration de la royauté et de la noblesse, afin de mieux imiter la Prusse. — Inédit.

[26] Joseph MAZZINI, né à Gènes en 1808, mort en 1874.

[27] L'étude de MAZZINI (son dernier écrit) a été publiée un mois après sa mort, dans la Revue politique et littéraire du 11 avril 1874 (p. 959). Renan ne répondit pas.

[28] Mary J. DARMESTETER, La vie d'Ernest Renan (p. 222). ... Alors, comme Zacharie, il renia et Juda et Israël ; il fut lassé d'eux, il les contempla et il dit : Je ne veux plus vous parler : meure qui voudra, périsse qui voudra, qu'ils s'entre-dévorent les uns les autres ! Et dans sa main se brisa en deux le bâton sacré, et le nom de ce bâton était Fraternité (ibid., p. 223).

[29] Faut-il rappeler la fameuse page du Journal des Goncourt (2e série, t. I, p. 28) : ... Berthelot continue ses révélations désolantes, au bout desquelles je m'écrie : Alors, tout est fini, il ne nous reste plus qu'à élever une génération pour la vengeance !Non, non, crie Renan, qui s'est levé, la figure toute rouge, non, pas la vengeance ! Périsse ta France, périsse la patrie : il y a au-dessus, le royaume du Devoir, de la Raison... — RENAN a protesté dans diverses interviews, dans une lettre adressée à un de ses cousins, le 26 novembre 1890, et insérée dans le Petit Lannionais ; — M. DE GONCOURT, à son tour, a répondu dans la préface du t. II de la nouvelle série de son Journal. Ces polémiques attristèrent beaucoup celui-ci. — V. les détails sur la mort de GONCOURT, dans Alphonse DAUDET, Notes sur la vie, 1899, in-12° (p. 245).

Quant à l'opinion de RENAN sur l'idée de patrie, elle est exprimée, mieux que par les boutades du diner Magny dans la conférence qu'il fit à la Sorbonne, le 11 mars 1882 : Qu'est-ce qu'une nation ? Voir notamment la fin : Une nation est une âme, un principe spirituel... Elle suppose un passé et un fait tangible, le consentement... L'existence d'une nation est un plébiscite de tous les jours... — Discours et Conférences, 1877, in-8° (p. 306).

[30] Ernest RENAN, né à Tréguier (Côtes-du-Nord) en 1823, membre de l'Académie française, mort en 1892. Liste des œuvres de 1870 à 1880 : La Monarchie constitutionnelle en France (in-12°, 1870). — La Réforme intellectuelle et morale (in-8°, 1871). — Histoire des origines du christianisme : L'Antéchrist (in-8°, 1873, t. IV). — Pierre du Bois, légiste (in-4°, 1873). — Mission de Phénicie (1860-1861) (in-4°, 1874). — Dialogues et Fragments philosophiques (in-8°, 1876). — Les Évangiles (in-8°, 1877, t. V) ; Caliban (in-8°, 1878). — Lettre à un ami d'Allemagne (in-8°, 1879). — L'Église chrétienne (in-8°, 1879). — Conférences d'Angleterre (in-12°, 1880).

[31] Nous ne savons pas : voilà tout ce que l'on peut dire de clair sur ce qui est au delà du fini... Ne nions rien, n'affirmons rien, espérons. Gardons une place dans les funérailles pour la musique et l'encens... Ne disputons pas sur la dose ni sur la formule de la religion ; bornons-nous à ne pas la nier ; gardons la catégorie de l'inconnu, la possibilité de rêver... — Préface des Feuilles détachées, publiées en 1892, (p. XVII).

[32] Hippolyte TAINE, né à Vouziers (Ardennes) en 1828, membre de l'Académie française, mort en 1893. Œuvres principales depuis 1870 : De l'Intelligence (2 vol. in-8°, 1870). — Du suffrage universel et de la manière de voter (1871). Notes sur l'Angleterre (in-12°, 1872). — Un séjour en France de 1792 à 1795. Lettres d'un témoin de la Révolution française, traduites par H. TAINE (in-12, 1872). — Les Origines de la France contemporaine (6 vol. in-8°, 1875-1894).

[33] RENAN écrit de Tromsoë (Norvège) en juillet 1870 : Quel accès d'aberration, quel crime : Le plus grand serrement de cœur que j'aie ressenti de ma vie a été quand nous avons reçu à Tromsoë le télégramme funeste qui nous apprenait que la guerre était certaine et qu'elle allait être immédiate. — Mary J. DARMESTETER, Vie d'Ernest Renan (p. 206). — Cf. le second volume de la Correspondance de TAINE (p. 355).

[34] Voici le jugement porté par TAINE sur la prolongation de la lutte en province. Pau, le 25 décembre 1870.... En tout cas, même si nous sommes écrasés, l'honneur sera sauf ; la France aura montré qu'elle est capable d'organisation : elle en sera plus respectée à l'avenir ; On essaiera moins facilement de la traiter comme une Pologne : on ne croira pas qu'elle est pourrie, bonne a être une proie, ce qu'on eût cru si elle avait cédé tout de suite après Sedan. Voilà le gain le plus clair, peut-être le seul bon résultat de la défense prolongée. Mais par combien de milliards et de vies sera-t-il acheté ?... Inédit. — Cf. BISMARCK, Souvenirs (t. II, p. 62).

[35] Voici quelques extraits de la Correspondance inédite de TAINE pendant la Commune. Ce sera assurément un des plus précieux documents de l'histoire, quand Mme Taine aura donné suite au projet de la publier. — Comparer avec la Correspondance de LECONTE DE LISLE publiée dans la Renaissance latine (n° du 15 avril 1904).

De Paris, le 19 mars. Un gouvernement nouveau s'est installé à l'Hôtel de Ville. Les noms de ces intrus sont tout à fait inconnus... Tous les ministres sont à Versailles. L'infanterie de ligne est très mauvaise et fraternise tout de suite avec les émeutiers... Que fera l'Assemblée ? La conclusion visible, c'est Paris déchu de son titre de capitale et la République perdue... — Du 20 mars, 1 heure, rue Barbet-de-Jouy. L'émeute s'est installée à l'Hôtel de Ville... Dans Paris, rien d'inusité ; on circule et on cause ; les boutiques sont ouvertes... Anarchie tranquille et complète... le gâchis est parfait ; c'est une dissolution spontanée de la France... Les Parisiens sont dégoûtés de leurs chefs et de tout chef. En ce moment, personne ne semble, ici, avoir une idée du pouvoir légitime, de l'obéissance ; le siège les a rendus fous. — Du 21 mars. Les gardes nationaux jouent au bouchon ; plusieurs n'ont pas de pain et font des quêtes pour acheter du saucisson et une goutte... — Du 24 mars (d'Orsay). ... C'est le désespoir dans l'âme qu'on lit les journaux en ce moment et qu'on voit Paris. Jamais décomposition sociale n'a été si manifeste... D'Orsay, le 26 mars. Presque tous les hommes avec qui je cause out été au siège ; l'impression générale est toujours la même. Les Parisiens, exaltés par !es phrases de leurs journaux et par la vanité foncière, se sont persuadés qu'ils pouvaient non seulement se défendre, mais écraser les Allemands ; ils ont succombé ; donc ils ont été trahis par leurs chefs. Impossible de les faire sortir de ce raisonnement. Quant à l'insurrection actuelle, elle est au fond socialiste : Le patron, le bourgeois, nous exploitent ; il faut les supprimer. Il n'y a pas de supériorité ni de spécialité. Moi, ouvrier, je suis capable, si je veux, d'être chef d'entreprise, magistrat, général... — 31 mars. Je vais faire ma leçon et savoir si j'en ferai d'autres... Les deux doyens des facultés de droit et de médecine ont été destitués et remplacés par MM. Naquet et Accollas... — 3 avril. ... Me voici de retour à Orsay, après avoir fait ma leçon à Paris... Un fort coup de lancette vient d'être donné dans l'abcès (sortie du 3 avril repoussée). Il n'y a pas eu de défection à Versailles... Il écrit, le même jour, à M. Denuelle : Je vais ce matin faire ma leçon à Paris. C'est une question d'honneur, et, sauf empêchement physique, il faut être à son poste...

[36] Il écrit : 2 décembre 1870, de Pau. ... Je suis las et je ne sais si je retrouverai la force d'écrire... — 8 décembre, de Pau. Je ne parle pas de mon chagrin ; je fais effort pour me tenir droit. J'espère bientôt pouvoir reprendre mon travail ; mais que c'est difficile !... — 17 décembre : ... J'ai essayé de me remettre au travail, mais sans y réussir. L'anxiété et le chagrin ont émoussé ma verve... — 20 mars (d'Orsay) : J'ai le cœur mort dans la poitrine : il me semble que je vis parmi des fous... J'ai crime perdu le sentiment de l'indignation... — 26 mars : Il est dur de penser mal de sa patrie : il me semble qu'il s'agit, pour moi, d'un proche parent, presque d'un père, d'une mère. et qu'après l'avoir jugé incapable, je suis obligé de le trouver grotesque, odieux, bas, absolument incorrigible et destiné à la prison des malfaiteurs ou au cabanon des fous. — 28 mars : ... Je suis dans un état continu de désespoir sec et de colère muette, pour qui toute parole ou écriture est une peine. Hier, j'ai cru que je ne pourrais pas desserrer mes lèvres pour faire mon cours. — Correspondance inédite.

[37] Voir toute la lettre au directeur-gérant du Journal des Débats, 19 décembre 1872, dans GIRAUD, Essai sur Taine (p. 256).

[38] Notes sur l'Angleterre (préface).

[39] Quelques renseignements sur le point de départ et les causes déterminantes du livre des Origines : TAINE écrit, d'Orsay, le 4 avril 1871, à Mme Taine, le lendemain du jour où son cours à l'École des Beaux-Arts est interrompu par l'interdiction à tout homme valide de sortir de Paris : J'ai rapporté de Paris quelques volumes. J'ébauche en pensée mon futur livre sur la France contemporaine... et le 18 mai : Ce matin, j'ai réfléchi à mon travail de l'été et j'incline presque décidément à faire la France contemporaine. Je vous en dirai toutes les raisons au retour. Si j'entre bien dans le sujet, cet été compensera notre triste hiver. — Il part pour Londres, le 20 mai. — La Revue politique et littéraire publie cette note le 18 décembre 1872 (p. 600) : Ému des terribles calamités qui ont frappé son pays et des dangers qui peuvent le menacer encore. M. Taine parait avoir renoncé momentanément (c'était pour toujours) aux recherches purement philosophiques pour étudier l'histoire contemporaine et les questions politiques. C'est ainsi que naguère il publiait une élude très digne d'attention sur le Suffrage universel et sur la manière de voter, etc. — Voir l'avant-propos si lumineux du tome II, Régime moderne.

[40] Tout le volume des Notes sur l'Angleterre est le témoignage de cet état d'esprit de TAISE. Avec la vigueur naturelle de son génie, il traduit, non sans excès, une impression que je retrouve fixée, en quelques lignes frappantes, dans sa Correspondance inédite : d'Oxford, le lundi 29 mai 1871, jour où Paris est en flammes : J'ai fait une promenade d'une heure dans High-Street et derrière les rues de Magdalen College. Cela est bien beau, bien calme, bien antique. On dirait un décor vrai. Qu'ils sont heureux, et que nous sommes malheureux !

[41] Gustave FLAUBERT, né à Rouen en 1811, mort en 1880.

[42] Correspondance (t. III, p. 68). Lettre de 1856.

[43] Correspondance (t. III, pp. 80 et 270).

[44] Correspondance (t. IV, p. 42).

[45] Correspondance (t. IV, p. 74).

[46] Publiée, sans grand succès, en 1874, — L'échec de sa pièce : Le Candidat, représentée le 11 mars 1874, au Vaudeville, fut très sensible à Flaubert. J'ai l'exemplaire du Candidat qu'il remit à George Sand avec cette dédicace manuscrite : Est-il aussi idiot qu'on le dit, cher maitre, votre vieux troubadour ? G. FLAUBERT.

[47] Publié après la mort de FLAUBERT, en 1881.

[48] Recueilli dans Libres opinions morales et historiques, édit. 1888. Émile MONTÉGUT, né à Limoges en 1826, mort en 1895.

[49] C'est en somme la thèse de RENAN dans la Réforme intellectuelle. — Cf. ce passage de la Correspondance inédite de TAINE : Si Henri V mourait, il est probable que tous les personnages considérables en province... s'allieraient pour conduire, à peu près dans le même sens (que M. Thiers), les affaires locales ou générales : alors peu importerait que le chef du pouvoir fût un président à ternie ou un roi constitutionnel. L'essentiel est que les classes éclairées et riches conduisent les ignorants et ceux qui vivent au jour le jour. (Lettre à M. John Durand ; de Paris, le 20 novembre 1871.) — Et FLAUBERT : Peu importe que beaucoup de paysans sachent lire et n'écoutent plus leur curé ; mais il importe infiniment que beaucoup d'hommes comme Littré et Renan puissent vivre et soient écoutés. Notre salut n'est maintenant que dans une aristocratie légitime, j'entends par là une majorité qui se compose d'autres choses que de chiffres. Correspondance (t. IV, p. 56).

[50] Alexandre DUMAS fils, né à Paris en 1824, membre de l'Académie française, mort en 1895. Œuvres postérieures à 1870 : Théâtre : Une visite de noces (16 octobre 1871) ; La Princesse Georges (2 décembre 1871) ; La Femme de Claude (16 janvier 1873) ; Monsieur Alphonse (26 novembre 1873) ; L'Étrangère (14 février 1876) ; La Princesse de Bagdad (février 1881) ; Denise (19 janvier 1885) ; Francillon (17 janvier 1857) ; — Alexandre Dumas fils a publié plusieurs éditions de ses œuvres dramatiques, notamment :

Théâtre complet (8 vol. in-16), 1868-1898, avec des préfaces discutant les objections faites aux thèses philosophiques ou sociologiques soutenues par l'auteur dans ses pièces.

Théâtre complet, édition des comédiens, avec les préfaces de la première édition, augmentée de variantes et de notes inédites (7 vol. in-8°), 1882-1893, édition tirée à 99 exemplaires destinés aux principaux interprètes des pièces de l'auteur.

Théâtre complet, Théâtre des autres (2 vol. in-16), 1894. Dans ces deux volumes, M. Alexandre DUMAS a publié, avec des préfaces inédites, les pièces faites en collaboration : Un mariage dans un chapeau, avec M. VIVIER (1859) ; Le supplice d'une femme, avec M. Émile DE GIRARDIN (29 avril 1865) ; Héloïse Paranquel, avec M. DURANTIN (20 janvier 1866) ; Le Filleul de Pompignac, avec M. H. LEFRANÇOIS (1869) ; Les Danicheff, avec M. Pierre CORVIN (février 1876) ; La Comtesse Romani, avec M. G. FOULD (novembre 1876).

Polémique : Nouvelle lettre de Junius à son ami A. D. (1870) ; Lettres sur les choses du jour (1871) ; Nouvelle Lettre sur les choses du jour (1872) ; L'Homme-Femme (1872) ; Recueil de Nouvelles : Thérèse, Histoires vraies, etc. (1875) ; Les Femmes qui tuent et les Femmes qui volent (1880) ; La Question du divorce (1886) ; Lettre à M. Naquet (1882) ; La Recherche de la paternité (1883).

De 1878 à 1883, M. Alexandre DUMAS a publié 3 volumes intitulés Entr'actes, reproduisant, outre la plupart des brochures ci-dessus, un certain nombre d'articles insérés dans divers périodiques.

[51] Émile AUGIER, né à Valence (Drôme) en 1820, membre de l'Académie française, mort en 1889.

[52] Jules SANDEAU, né à Aubusson en 1811, membre de l'Académie française, mort en 1883.

[53] Victorien SARDOU, né à Paris en 1831, membre de l'Académie française. Œuvres principales de 1870 à 1880 : Patrie (drame historique, 1869) ; Fernande (drame, 1870) ; Le Roi Carotte (opéra bouffe, musique d'OFFENBACH, 1872) ; Rabagas (comédie, 1er février 1872) ; L'Oncle Sam (comédie, 1873) ; La Haine (drame, avec musique d'OFFENBACH, 1874) ; Ferréol (drame, 1875) ; Piccolino (opéra-comique, avec musique d'Ernest GUIRAUD, 1875) ; Dora (drame, 1877) ; Les Bourgeois de Pont-d'Arcy (comédie, 1878) ; Daniel Rochat (comédie, 1880) ; Divorçons (comédie, 1880).

[54] MOUNET-SULLY, né à Bergerac (Dordogne) en 1841. — Rosine BERNARD, dite Sarah BERNHARDT, née à Paris en 1844.

[55] Émile PERRIN, né à Rouen en 1814, membre de l'Institut, mort en 1885.

[56] V. l'exquis volume de J.-J. WEISS, Le Théâtre et les Mœurs (1889, in-12°).

[57] Vicomte Henri DE BORNIER, né à Lunel (Hérault) en 1828, membre de l'Académie française, mort en 1901.

[58] Henri MEILHAC, né à Paris en 1832, membre de l'Académie française, mort en 1897. — Ludovic HALÉVY, né à Paris en 1834, membre de l'Académie française.

[59] Edmond GONDINET, né à Laurières (Haute-Vienne) en 1829, mort en 1888.

[60] Édouard PAILLERON, né à Paris en 1834, membre de l'Académie française, mort en 1899.

[61] Eugène LABICHE, né à Paris en 1815, membre de l'Académie française, mort en 1888.

[62] Le livre de cette période, c'est l'Éducation sentimentale. — V. l'étude de George SAND, dans Questions d'art et de littérature : Épris de ces vues d'ensemble qui avaient si fortement éclairé l'histoire de Salammbô, Flaubert a exprimé cette fois l'état général qui marque les heures de transition sociale. Entre ce qui est épuisé et ce qui n'est pas encore développé, il y a un mal inconnu qui pèse de diverses manières sur toutes les existences. C'est la fin de l'aspiration au romantique de 1840 se brisant aux réalités bourgeoises, aux sourires de la spéculation, aux facilités menteuses de la vie terre à terre.

[63] Correspondance (t. III, p. 270).

[64] Quand on vient aux définitions, tout est difficile. Pourtant aucune école ne s'est plus définie que l'école naturaliste. Il y a, au moins, neuf volumes de M. Zola sur la question : Le Roman expérimental, 1880 ; Les Romanciers naturalistes, 1881 ; Le Naturalisme au théâtre, 1881 ; Mes Haines, 1866 et 1879 ; Nos Auteurs dramatiques, 1881 ; Une Campagne, 1882 ; Une nouvelle Campagne, 1896 ; Documents littéraires, 1881. Il hésite entre les deux formules : roman expérimental ou roman naturaliste. Mais c'est bien celle-ci qui finit par l'emporter. Pour le roman expérimental, voici une phrase qui en résume beaucoup d'autres : Nous sommes des déterministes qui, expérimentalement, cherchent à déterminer les conditions des phénomènes sans jamais sortir, dans notre investigation, des lois de la nature... nous dégageons le déterminisme des phénomènes humains et sociaux, pour qu'on puisse un jour dominer et diriger ces phénomènes. En un mot, nous travaillons, avec tout le siècle, à la grande œuvre qui est la conquête de la nature, la puissance de l'homme décuplée ! Le Roman expérimental (pp. 28-29). — Quant au naturalisme, voici une autre définition entre mille : Le naturalisme, c'est le retour à la nature, c'est cette opération que les savants ont faite le jour où ils se sont avisés de partir de l'étude du corps et des phénomènes et de se baser sur l'expérience, de procéder par l'analyse. Le naturalisme dans les lettres, c'est également le retour à la nature et à l'homme, l'observation directe, l'anatomie exacte, l'acceptation et la peinture de ce qui est. (p. 115). — Remarquez comme la langue est faible et molle. Que dirait Flaubert ? — On a beaucoup écrit d'autre part, sur ces formules déjà si démodées ! V. surtout le livre de M. F. BRUNETIÈRE, Le Roman naturaliste, 1883, in-12°.

[65] Edmond HUOT DE GONCOURT, né à Nancy en 1822, mort en 1896. — Jules HUOT DE GONCOURT, son frère, né à Paris eu 1830, mort en 1870.

[66] Henri MONNIER, né à Paris en 1799, mort en 1876. — Jules FLEURY, dit CHAMPFLEURY, né à Laon en 1821, mort en 1889.

[67] On ferait un curieux recueil des désaveux qui s'abattirent sur l'école, à partir de l'année 1875. La plupart des précurseurs intervinrent. J. DE GONCOURT désavoue : Cette préface a pour but de dire aux jeunes que le succès du réalisme est là (dans la peinture des hautes classes de la société), seulement là, et non plus dans le canaille littéraire épuisé à l'heure qu'il est par leurs devanciers. ZOLA, pris au piège des éloges qu'il a prodigués aux Goncourt, proteste : Je ne comprends pas cette expression, je ne l'accepte pas pour mon compte. Roman expérimental (p. 269).

A. DUMAS fils désavoue dans la préface de l'Étrangère (1879).

FLAUBERT désavoue : V. toute la lettre à George Sand dans Correspondance (t. IV, p. 220) : Je recherche, par-dessus tout, la beauté dont mes compagnons sont médiocrement en quête, etc.

TAINE désavoue : Probablement, avant la fin du siècle, M. Homais, M. Joseph Prud'homme, seront les rois incontestés et absolus de notre pays. C'est pourquoi notre ami de Concourt a très bien fait de nous montrer Jupillon et son successeur, le peintre d'enseignes. Reste à savoir si ces personnages, si importants dans la science, doivent et peuvent occuper la même place dans l'art. Je ne le crois pas. Vous me dites que vous avez lu ma Philosophie de l'art ; permettez-moi de vous prier de relire l'Idéal dans l'art... A mon sens, l'art et la science sont deux ordres différents ; quand, par les procédés du roman, vous créez un personnage, c'est un personnage composé, inventé, ce n'est jamais le personnage réel, existant, le vrai document scientifique ; comme document scientifique, le vôtre n'a qu'une valeur douteuse et secondaire... — Voir tout le morceau. Lettre à M. Francis Poictevin, 4 octobre 1883, dans GIRAUD, Essai sur Taine (p. 268).

Enfin, Glande BERNARD désavoue ! Dans l'Introduction à la médecine expérimentale, il écrit : Pour les arts et les lettres, la personnalité domine tout. Il s'agit là d'une création spontanée de l'esprit, et cela n'a plus rien de commun avec la consultation des phénomènes naturels dans lesquels notre esprit ne doit rien créer...

Naturellement, ZOLA se récrie ; il n'accepte pas. V. Roman expérimental (p. 48). — Cependant, comme il en viendra lui-même à définir le roman, une tranche de vie vue à travers un tempérament, il faut bien qu'il renonce à sa prétention scientifique : car la science n'a rien à faire avec le tempérament de l'expérimentateur.

[68] Émile ZOLA, né à Paris en 1840, mort en 1902.

[69] V. le passage du Journal des Goncourt (t. V, p. 174) : Voici Zola avec nu visage tout à coup assombri, qui entame le chapitre de ses misères. C'est curieux comme les expansions du jeune romancier versent de suite en des paroles mélancoliques. Zola a commencé un tableau des plus noirs de sa jeunesse, des amertumes de sa vie de tous les jours, des injures qui lui sont adressées, de la suspicion où ou le tient, de l'espèce de quarantaine faite autour de ses œuvres... Zola continue à gémir, et, comme on lui dit qu'il n'a pas à se plaindre, qu'il a fait un assez beau chemin pour un homme n'ayant pas encore ses trente-cinq ans :Eh bien ! voulez-vous que je vous parle là, du fond du cœur, s'exclame Zola, vous me regarderez comme un enfant ; mais tant pis... Je ne serai jamais décoré, je ne serai jamais de l'Académie, je n'aurai jamais une de ces distinctions qui affirment mon talent. Près du public, je serai toujours un paria. Et il le répète quatre on cinq fois : un paria.

[70] Alphonse DAUDET, né en 1810 à Nîmes, mort en 1897.

[71] Voir, dans le volume de Léon DAUDET, Alphonse Daudet, le chapitre IV, Nord et Midi : Vive le bon sens latin ! que de fois cette phrase n'est-elle pas venue clore une discussion et résumer de longues théories ! (p. 154).

[72] Ce sont les fameux petits cahiers, dont des extraits ont été publiés : Notes sur la vie, 1899, in-12°.

[73] Frédéric MISTRAL, né en 1830, à Maillane (Bouches-du-Rhône).

[74] Ferdinand FABRE, né en 1830 à Bédarieux (Hérault), mort en 1898. — Émile POUVILLON, né en 1840 à Montauban (Tarn-et-Garonne). — Léon CLADEL, né en 1835 à Montauban, mort en 1892. — André THEURIET, né en 1834 à Marly-le-Roi (Seine-et-Oise), membre de l'Académie française.

[75] Il faut rappeler les poèmes ou les livres que la guerre inspira aux plus illustres : Victor HUGO : l'Année terrible ; — Théophile GAUTIER : Tableaux du siège ; — SULLY PRUDHOMME : Impressions de guerre ; Théodore DE BANVILLE : Idylles prussiennes ; — DÉROULÈDE : Chants du Soldat ; — MANUEL : Poèmes populaires, Pendant la guerre ; — DE LAPRADE : Poèmes civiques.

[76] Paul DÉROULÈDE, né en 1846 à Paris. — Eugène MANUEL, né en 1823 à Paris, mort en 1901. — Victor RICHARD DE LAPRADE, né en 1812 à Montbrison (Loire), membre de l'Académie française, mort en 1883. — Émile BERGERAT, né en 1845 à Paris.

[77] Numa-Denis FUSTEL DE COULANGES, né en 1830 à Paris, membre de l'Institut, mort en 1889. — Dans un volume ultérieur, une étude spéciale sera consacrée à la littérature historique et aux sciences auxiliaires de l'histoire.

[78] Voir dans les Documents littéraires (articles sur Victor Hugo, Alfred de Musset, Théophile Gautier) l'appréciation portée sur la poésie française et le lyrisme contemporain par É. ZOLA.

[79] Théodore FAULAIN DE BANVILLE, né en 1823 à Paris, mort en 1891.

[80] Charles-Marie LECONTE DE LISLE, né en 1818 à Saint-Paul (île Bourbon), membre de l'Académie française, mort en 1897.

[81] Charles BAUDELAIRE, né en 1821 à Paris, mort en 1867.

[82] Il faut relire les deux volumes de M. F. BRUNETIÈRE, L'Évolution de la poésie lyrique en France au XIXe siècle (2 vol. in-12°, 1891) ; le Rapport sur le progrès des lettres, rédigé à l'occasion de l'Exposition de 1867 (1868) de Théophile GAUTIER ; puis, la Légende du Parnasse contemporain de M. Catulle MENDÈS (Bruxelles, 1884) et, surtout, du même Catulle MENDÈS, le Rapport sur le mouvement poétique Français de 1867 à 1900, Collection des rapports pour l'Exposition de 1900 (Imprimerie nationale, 1902, grand in-8°), qui est une encyclopédie de la poésie française pendant un demi-siècle. — Je signalerai aussi les études vécues de M. ROUJON, qui ont paru dans le Temps de 1904.

[83] Sully PRUDHOMME, né en 1839 à Paris, membre de l'Académie française.

[84] François COPPÉE, né en 1842 à Paris, membre de l'Académie française.

[85] Catulle MENDÈS, Rapport sur le mouvement poétique français.

[86] Jose-Maria DE HEREDIA, né en 1842 à la Fortuna-Cafeyere (Cuba), membre de l'Académie française. — Paul VERLAINE, né en 1844 à Metz, mort en 1896.

[87] Catulle MENDÈS, né en 1843 à Bordeaux. — Armand SILVESTRE, né en 1838 à Paris, mort en 1901. — Léon DIERX, né en 1838 à l'île de la Réunion. — André LEMOYNE, né en 1822 à Saint-Jean-d'Angély (Charente). — André LEFÈVRE, né en 1831 à Provins (Seine-et Marne), mort en 1904. — Stéphane MALLARMÉ, né en 1842 à Paris, mort en 1898. — Guy DE MAUPASSANT, né en 1850 au château de Miromesnil (Seine-Inférieure), mort en 1893. — Paul BOURGET, né en 1852 à Amiens, membre de l'Académie française. — Jules LEMAÎTRE, né en 1853 à Vennecy (Loiret), membre de l'Académie française.

[88] Comte Auguste DE VILLIERS DE L'ISLE ADAM, né en 1838 à Saint-Brieuc, mort en 1889. — Eugène FROMENTIN, né en 1820 à La Rochelle, mort en 1876. — Jules VALLÈS, né en 1833 au Puy (Haute-Loire), mort en 1885. — Victor CHERBULIEZ, né en 1829 à Genève, membre de l'Académie française, mort en 1899. — Frédéric AMIEL, né en 1821 à Genève, mort en 1881. — Jules BARBEY D'AUREVILLY, né en 1808 à Saint-Sauveur-le-Vicomte (Manche), mort en 1889.

[89] La Réforme intellectuelle et morale.

[90] L'Esprit nouveau, Edgar QUINET, né à Bourg (Ain) en 1803, mort en 1875.

[91] Le Suffrage universel et Notes sur l'Angleterre.

[92] La France studieuse, Le Mariage chrétien. Mgr Félix DUPANLOUP, membre de l'Académie française, né à Saint-Félix (Savoie) en 1802, mort en 1878.

[93] Questions politiques et sociales.

[94] La Religion de Jésus. Athanase COQUEREL, né à Amsterdam en 1820, mort en 1875.

[95] La Libération de la propriété. Marquis Gaston D'AUDIFFRET, membre de l'Institut, né à Paris en 787, mort en 1878.

[96] Organisation du travail ; les nouvelles éditions de la Réforme sociale, l'Organisation de la famille, la Réforme en Europe et le Salut de la France. Frédéric LE PLAY, né au Havre en 1806, mort en 1882.

[97] L'Homme et la Femme, Lettres d'un logicien. Grandeur et décadence de la France. Émile DE GIRARDIN, né à Paris en 1806, mort en 1888.

[98] Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie. Maxime DU CAMP, né à Paris en 1822, membre de l'Académie française, mort en 1891.

[99] Nos fautes, Lettres de province. Gabriel CHARMES, né à Aurillac en 1850, mort en 1886.

[100] La République conservatrice. La Centralisation. Charles BROOK DUPONT-WHITE, né à Rouen en 1807, mort en 1878.

[101] Questions constitutionnelles, l'Allemagne et les pays slaves. Édouard LABOULAYE, né à Paris en 1811, membre de l'Institut, mort en 1883.

[102] Des causes actuelles de guerre en Europe. Émile DE LAVELEYE, né à Bruges en 1822, mort en 1892.

[103] Edmond SCHÉRER, né à Paris en 1815, mort en 1889.

[104] Anatole LEROY-BEAULIEU, né à Lisieux en 1842, membre de l'Institut. — Paul LEROY-BEAULIEU, son frère, né à Saumur en 1843, membre de l'Institut.

[105] Émile BOUTMY, né à Paris eu 1835, membre de l'Institut.

[106] Edmond ABOUT, né à Dieuze (Lorraine) en 1828, membre de l'Académie française, mort en 1885.

[107] Francisque SARCEY, né à Dourdan (Seine-et-Oise) en 1828, mort en 1899.

[108] J.-J. WEISS, né à Bayonne en 1827, mort en 1891.

[109] La guerre nationale, Histoire de la Révolution de 1870-1871. Jules CLARETIE, né à Limoges en 1840, membre de l'Académie française.

[110] Charles MAZADE, né en 1820 à Castel-Sarrazin (Tarn-et-Garonne), membre l'Académie française, mort en 1893.

[111] Etienne VACHEROT, né à Langres, en 1809, membre de l'Institut, mort en 1897.

[112] Jules-François-SIMON SUISSE, dit Jules SIMON, né à Lorient en 1814, membre de l'Académie française, mort en 1896.

[113] Octave GRÉARD, né à Vire (Calvados) en 1828, membre de l'Académie française, mort en 1903.

[114] Michel BRÉAL, né à Landau (Bavière-Rhénane) en 1832, membre de l'Institut.

[115] Albert DUMONT, né à Say-sur-Saône (Haute-Saône) en 1842, membre de l'Institut, mort en 1884.

[116] Ernest BERSOT, né à Surgères (Charente-Inférieure) en 1816, membre de l'Institut, mort en 1880.

[117] Raoul FRARY, né au Plessis-Bouchard en 1840, mort en 1892.

[118] Victor DURUY, né à Paris en 1811, membre de l'Académie française, mort en 1894.

[119] Jules QUICHERAT, né à Paris en 1814, mort en 1884.

[120] Édouard TOURNIER, né à Besançon en 1837, mort en 1899.

[121] Gaston PARIS né à Avenay (Marne) en 1839, membre de l'Académie française et de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, mort en 1903.

[122] Anatole DE MONTAIGLON, né en 1824 à Paris, mort en 1895.

[123] Paul MEYER, né à Paris en 1840, membre de l'Institut.

[124] Léon RÉNIER, né à Charleville (Ardennes) en 1809, membre de l'Institut, mort en 1885.

[125] Ernest DESJARDINS, né à Noise-sur-Oise en 1823, membre de l'Institut, mort en 1886.

[126] Olivier RAYET, né an Cairou (Lot) en 1848, mort en 1887.

[127] Abel BERGAIGNE, né à Vimy (Pas-de-Calais) en 1833, membre de l'Institut, mort en 1888.

[128] Arsène DARMESTETER, né à Château-Salins (Meurthe) en 1846, mort en 1888 ; James DARMESTETER, son frère, né à Château-Salins (Meurthe) en 1849, mort en 1894.

[129] Gabriel MONOD, né au Havre en 1814, membre de l'Institut.

[130] Arthur GIRY, né à Trévoux (Ain) en 1848, mort en 1899.

[131] Charles GRAUX, né à Vervins (Aisne) en 1852, mort en 1882.

[132] Gaston BOISSIER, né à Nîmes en 1823, secrétaire perpétuel de l'Académie française, membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres.

[133] SAINT-MARC-GIRARDIN né à Paris en 1801, membre de l'Académie française, mort en 1873.

[134] René TAILLANDIER, dit SAINT-RENÉ-TAILLANDIER, né à Paris en 1817, membre de l'Académie française, mort en 1879.

[135] Constant MARTHA né à Strasbourg en 1820, membre de l'Institut, mort en 1895.

[136] Elme CARO, né à Poitiers en 1826, membre de l'Académie française, mort en 1887.

[137] Ernest HAVET, né à Paris en 1813, membre de l'institut, mort en 1890.

[138] Alfred MÉZIÈRES, né à Rehon (Moselle) en 1826, membre de l'Académie française.

[139] La plupart des cours en Sorbonne et au Collège de France se rouvrent, après la guerre, avec une visible préoccupation patriotique. M. LEMENT traite de L'Épopée nationale en France ; M. JANET, de la Philosophie politique ; M. Ch. LEVÊQUE, des Théories politiques des Grecs ; M. LOGER, de la Philosophie politique de Thucydide. Celui-ci dit, en commençant son cours : Ignorer le genre humain (selon le mot de Bossuet) est le grand mal de notre temps, c'est surtout celui de tant de milliers d'hommes que nos institutions appellent à prendre part aux affaires publiques... — M Philarète CHASLES traite de la Formation des caractères chez les peuples libres. M. CARO parle des Réformes morales (représentant des idées moyennes, il dit : Le plus pressé est de reconstituer le sérieux dans les mœurs et dans les idées) ; le même CARO expose les Principes et les éléments de la morale sociale. La tendance est remarquablement patriotique et morale, mais indépendante, sinon agnostique, M. MARTHA traite des Derniers philosophes du Paganisme ; il développe dans ses cours sur Sénèque et saint Paul l'idée que la morale était constituée quand le christianisme est survenu. — M. HAVET expose la Morale sociale et religieuse dans Epictète, et bientôt étudie : Un empereur philosophe : Marc-Aurèle.

[140] Hippolyte CARNOT, né à Saint-Orner en 1801, mort en 1888.

[141] V. Projet d'une faculté libre des Sciences politiques, Revue politique et littéraire, août 1871 (pp. 213 et 368) lettre de M. GUIZOT à MM. Boutmy et Vinet, fondateurs (p. 390) ; article de TAINE (p. 158) ; articles de LA BOULAYE, de FRANCK ; enfin, le programme (p. 528).

[142] Document inédit.

[143] Discours d'inauguration de TAINE (13 janvier 1872), dans la Revue politique et littéraire (p. 706). — Article de TAINE dans le Journal des Débats du 10 novembre 1872.

[144] Émile LITTRÉ, né à Paris en 1801, membre de l'Académie française, mort en 1881.

[145] Henri MARTIN, né à Saint-Quentin en 1810, membre de l'Académie française, mort en 1883.

[146] Élisée RECLUS, né à Sainte-Foy-la-Grande (Gironde) en 1831, mort en 1904.

[147] Jules BARTHÉLEMY-SAINT-HILAIRE, né à Paris en 1805, membre de l'Institut, mort en 1895.

[148] Eugène-Emmanuel VIOLLET-LE-DUC, né à Paris en 1814, mort en 1879.

[149] Jean-Marie QUÉRARD, né à Rennes en 1797, mort en 1865.

[150] Jacques-Charles BRUNET, né à Paris en 1780, mort en 1867.

[151] Pierre LAROUSSE, né à Toucy (Yonne) en 1817, mort en 1875.

[152] Barthélemy HAURÉAU, né à Paris en 1812, membre de l'Institut, mort en 1896.

[153] Guillaume PATIN, né à Paris en 1793, secrétaire perpétuel de l'Académie française, mort en 1876.

[154] Henri WEILL, né à Francfort-sur-le-Mein en 1818, membre de l'Institut.

[155] Léopold DELISLE, né à Valognes en 1826, membre de l'Institut.

[156] RENAN vise, dès 1848, la révolution qui a transformé la littérature en journaux ou écrits périodiques et fait de toute œuvre d'esprit une œuvre actuelle qui sera oubliée dans quelques jours. L'ouvre intellectuelle cesse d'être un monument, pour devenir un fait, un levier d'opinion... On conçoit, après cela, un état où écrire ne formerait plus un droit à part, mais où des masses d'hommes ne songeraient qu-à faire entrer dans la circulation telles ou telles idées sans y mettre l'étiquette de leur personnalité... Et il ajoute : Heureux les classiques ! etc. — Avenir de la Science (p. 227).

[157] Jacques OFFENBACH, né à Cologne en 1819, mort en 1880.

[158] Florimond ROUGER, dit HERVÉ, né à Houdain (Pas-de-Calais) en 1825, mort en 1892.

[159] Charles LECOCQ, né à Paris en 1832.

[160] Robert PLANQUETTE, né à Paris en 1848, mort en 1903.

[161] Gaston SERPETTE, né à Nantes en 1846, mort en 1904.

[162] Arthur POUGIN, Dictionnaire du théâtre (p. 568).

[163] Vicomte Pierre-Alexis PONSON DU TERRAIL, né à Montmaur (Isère) en 1829, mort en 1871.

[164] Comte Xavier DE MONTÉPIN, né à Apremont en 1828, mort en 1902.

[165] Adolphe PHILIPPE, dit Adolphe DENNERY, né à Paris en 1811, mort en 1899.

[166] Émile RICHEBOURG, né à Meusy (Haute-Marne) en 1833, mort en 1898.

[167] Hector MALOT, né à La Bouille (Seine-Inférieure) en 1830.

[168] Adolphe BELOT, né à la Pointe-à-Pitre (Guadeloupe) en 1830, mort en 1890.

[169] Louis FIGUIER, né à Montpellier en 1819, mort en 1891.

[170] Jules VERNE, né à Nantes en 1828.

[171] J. VALLÈS. — V. l'article de M. CARO dans la Revue des Deux Mondes du 15 juillet 1871 : Les Réfractaires.

[172] François BULOZ, né à Vulbens (Haute-Savoie) en 1804, mort en 1877.

[173] Eugène YUNG, né à Paris en 1827, mort en 1887.

[174] Émile PLANAT, dit MARCELIN, né à Paris en 1830, mort en 1878.

[175] Gustave DROZ, né à Paris en 1832, mort en 1895.

[176] Armand NISARD, né à Châtillon-sur-Seine en 1841.

[177] Louis-Alexandre GOSSET DE GUINES, dit André GILL, né à Paris en 1840, mort en 1885.

[178] Albert AMOUX, dit Bertall, né à Paris en 1882.

[179] Alfred GRÉVIN, né à Epineuil (Yonne) en 1830, mort en 1892.

[180] Louis VEUILLOT, né à Boynes (Loiret) en 1813, mort en 1883.

[181] Marquis Henri DE ROCHEFORT-LUÇAY, dit Henri ROCHEFORT, né à Paris en 1832.

[182] Voici quelques extraits du discours du duc de Broglie : En matière de presse, tous les systèmes ont réussi ou échoué selon que l'opinion les a secondés ou contrariés. Tout système de répression a échoué, quand l'opinion s'est mise avec l'écrivain pour suppléer à son silence, à ses réticences, pour comprendre ses allusions... L'Assemblée ne veut plus rentrer dans cette voie ; elle ne veut plus du poison assoupissant de la dictature ; elle veut les remèdes douloureux, mais vigoureux et virils, de la liberté.

[183] V. FABREGUETTES, Traité des infractions de la parole, de l'écriture et de la presse (t. I, pp. 382 et suivantes).

[184] Hippolyte MARINONI, né à Sivry-Courty (Seine-et-Marne) en 1823, mort en 1903.

[185] V. Henri AVENEL, Histoire de la Presse française depuis 1789 jusqu'à nos jours, grand in-8°, 1900. — Voir notamment sur M. Thiers journaliste pendant le 16 mai (p. 728).

[186] V. Les Aventures de ma Vie (t. III. pp. 288 et s.). — Olivier PAIN, né à Troyes en 1845, mort au Soudan égyptien en 1885. Paschal GROUSSET, né à Corte (Corse) en 1845.

[187] John LEMOINNE, né à Londres en 1815, membre de l'Académie française, mort en 1892.

[188] Francis CHARMES, né à Aurillac en 1848.

[189] Auguste NEFFTZER, né à Colmar en 1820, mort en 1876.

[190] Adrien HÉBRARD, né à Grisolles (Tarn-et-Garonne) en 1834.

[191] Hippolyte CARTIER, dit H. DE VILLEMESSANT, né à Rouen en 1812, mort en 1879.

[192] Albert WOLFF, né à Cologne en 1827, mort en 1892.

[193] Auguste VITU, né à Meudon en 1823, mort en 1891.

[194] Aurélien SCHOLL, né à Bordeaux en 1833, mort en 1904.

[195] Francis MAGNARD, né à Bruxelles en 1837, mort en 1894.

[196] Paul CHALLEMEL-LACOUR, né à Avranches en 1827, membre de l'Académie française, mort en 1896.

[197] Gustave ISAMBERT, né à Châteaudun en 1841, mort en 1902.

[198] Eugène SPULLER, né à Seurre (Côte-d'Or) en 1835, mort en 1896.

[199] Charles DE FREYCINET, né à Foix en 1828, membre de l'Académie française et de l'Académie des sciences.

[200] Maurice BOUVIER, né à Aix en 1842.

[201] Marcellin PELLET né à Saint-Hippolyte-du-For (Gard) en 1849.

[202] Gaston THOMSON, né à Oran en 1848.

[203] Girard DE RIALLE, né à Paris en 1841.

[204] Timothée COLANI, né à Lerné (Aisne) en 1824, mort en 1888.

[205] Charles BIGOT, né à Bruxelles en 1840, mort en 1893.

[206] Emmanuel ARÈNE, né à Ajaccio en 1856.

[207] Paul LAFARGUE, né à Paris en 1841.

[208] Henry FOUQUIER, né à Marseille en 1838, mort en 1902.

[209] Edmond MAGNIER, né à Boulogne-sur-Mer en 1841.

[210] Hector PESSARD, né à Lille en 1836, mort en 1895.

[211] Auguste VACQUERIE, né à Villequier (Seine-Inférieure) en 1819, mort en 1895.

[212] Ernest BLUM, né à Paris en 1836.

[213] Édouard LOCKROY, né à Paris en 1840.

[214] Camille PELLETAS, né à Paris en 1846.

[215] Paul THUREAU-DANGIN, né à Paris en 1837, membre de l'Académie française.

[216] Eugène DUFEUILLE, né à Conteville (Seine-Inférieure) en 1842.

[217] Paul GRANIER DE CASSAGEAC, né à La Guadeloupe en 1842, mort en 1904.

[218] Edouard HERVÉ, né à Saint-Denis de la Réunion en 1835, membre de l'Académie française, mort en 1899.

[219] Léonce DÉTROYAT, né à Bayonne en 1829, mort à Paris en 1898.

[220] Gustave JANICOT, né à Limoges en 1830.

[221] Pierre LAURENTIE, né à Houga (Gers) en 1793, mort en 1875.

[222] Léo LESPÈS, dit Timothée TRIMM, né à Bouchain (Nord) en 1815, mort en 1875.