Réunion plénière des groupes de droite. — Attitude des princes d'Orléans. — L'extrême droite. — La prorogation sera proposée par les droites. — Reprise de la session parlementaire. — Le duc de Broglie propose le septennat. — Message du président de la République. — Proposition Changarnier. — Le comte de Chambord à Versailles. — M. de Blacas chez le maréchal. — Celui-ci refuse de voir le comte de Chambord. — Le rapport de la commission sur la proposition Changarnier. — Le débat sur la prorogation. — Nouveau message présidentiel. Vote du septennat. — Conséquences de ce vote. — Embarras de l'extrême droite. Le comte de Chambord quitte Versailles. I Le désaccord entre les deux systèmes monarchiques rend impossible une restauration parlementaire. L'échec de cette combinaison déconcerte ceux qui avaient mis en elle tout leur espoir. Le comte de Chambord, au contraire, ne perd pas courage. Suivant une pensée dont il n'a confié le secret à personne, il se décide à tenter l'aventure d'une restauration directe. Mais le contact n'existe plus entre le prétendant et les chefs du parti royaliste dans l'Assemblée. Ceux-ci, mal renseignés sur les projets du prince, ne lui prêtent aucun secours. Ils ne voient d'autre ressource que l'atermoiement. Ils s'attachent à une solution préparée de longue main : la prorogation des pouvoirs du maréchal. Le prince vient à Versailles, échoue ; la politique expectante l'emporte : elle va, cette fois encore, profiter à la République. Telle est l'histoire, telle est la portée de ces rapides journées qui inaugurent la session parlementaire et qui aboutissent au vote du Septennat. Le vendredi 31 octobre, il onze heures du matin, la commission des Neuf se réunit chez le général Changarnier. Celui-ci n'avait plus qu'il répéter le mot malheureux qu'il avait déjà prononcé à Metz : La victoire est à ceux qui savent attendre ![1] Pour la commission, c'était la déroute. On ne s'arrête même pas à l'idée de provoquer un vote de l'Assemblée en faveur de la restauration monarchique : Nous aurions été 160 pour la voter, dit M. Chesnelong, 200 peut-être si la portion la plus royaliste du centre droit s'était jointe à nous. La commission des Neuf se considère comme virtuellement dissoute. Le gouvernement restait. Le duc de Broglie comprenait mieux que personne
l'inutilité d'une tentative ayant pour objet de proclamer
ou de fonder la monarchie en se passant du roi qui se dérobait à la couronne.
Il était persuadé qu'on ne parviendrait même pas à
présenter un projet quelconque, à plus forte raison, à le faire voter ; qu'il
faudrait donc s'en tenir au pouvoir du maréchal, consolider ce pouvoir sans
en changer le titre, lui assigner une durée fixe, le rendre indépendant de
l'Assemblée actuelle et, surtout, des parlements futurs, constituer ainsi
l'autorité en la personnifiant dans un homme à défaut d'une dynastie : puis,
autour de cette autorité temporaire, mais stable, et d'ailleurs incapable
d'aucun empiétement, construire ultérieurement des institutions libres. Il estimait
qu'entre la démagogie et le césarisme, il ne nous restait plus d'autre refuge[2]. Cette opinion était celle du comte de Paris ; il adressait, le vendredi 31, à un de ses confidents qui était en relations intimes avec le gouvernement, une lettre où il traçait tout un plan de conduite. J'aime à croire que personne
n'engagera mon nom dans une campagne qui n'aurait pas de chance d'être utile
au pays. Il faut bien démontrer que nous n'avons fait cette campagne ni avec
des arrière-pensées personnelles, ni pour nous dégager des légitimistes. Il y
a donc une juste mesure à observer dans l'évolution que nous imposent les
circonstances. Mais, dans toute cette évolution, il faut avoir un but précis
en vue, sans s'attacher à envisager notre amour-propre aux dépens d'intérêts
plus élevés. Ce but doit être de maintenir au parti conservateur la majorité
de la Chambre : car c'est là notre ancre de salut. Nous pouvons atteindre ce
but en imposant à nos alliés auxquels nous avons le droit de le demander
aujourd'hui, de soutenir, aussi franchement que nous, le gouvernement dans la
politique qu'il adoptera à l'occasion des lois constitutionnelles. On peut
trouver là un terrain qui réunira tous les vrais conservateurs, tous les
adversaires sincères du césarisme. Il faudra, dès l'abord, se prononcer
nettement sur une distinction qui apparait à peine aujourd'hui, mais qui
deviendra capitale dès qu'on serrera la question : c'est la distinction entre
une prolongation pure et simple, sans organisation, programme des radicaux et
des bonapartistes, et, au contraire, une organisation solide et sérieuse[3]. Dans cette lettre remarquable, tout était prévu. Ce fut simplement pour la forme que, dans la réunion plénière des groupes de droite, qui eut lieu chez le général Changarnier, le 1er novembre, jour de la Toussaint, le duc d'Audiffret-Pasquier proposa de faire une tentative suprême auprès du comte de Chambord, et, si cette tentative n'aboutissait pas, de proclamer la monarchie avec le comte de Paris, gouvernant, à titre de régent, au nom du roi. Après un débat confus, la décision resta en suspens. L'extrême droite s'opposait à l'idée d'une régence, surtout avec le comte de Paris : elle finit par admettre qu'on s'enquit des sentiments du prince de Joinville[4]. Une note publiée par le Français dissipa les doutes, s'il en subsistait, au sujet des dispositions des principaux intéressés. En présence de ce qui vient de se passer, disait cette note, on se demande quelle est la situation des princes d'Orléans. Cette situation est parfaitement nette. Les princes d'Orléans ont déclaré que, le jour où on voudrait faire la monarchie, on ne trouverait pas parmi eux de prétendants à la couronne. Leur déclaration subsiste et ils y restent fidèles. Le général Changarnier fit néanmoins, auprès du prince de Joinville, la démarche dont il était chargé. Le prince refusa : — Ce serait, dit-il, tenter un nouveau 1830. Ce qui justifie la conduite de mon père. ajouta-t-il, c'est qu'à cette époque la France n'avait pas d'autre ressource que lui. Si j'acceptais l'offre qui m'est faite aujourd'hui, on aurait le droit de condamner mon père rétrospectivement, parce que nous semblerions toujours prêts à saisir le pouvoir, de quelque façon qu'il devint vacant. La France a maintenant ce qu'elle n'avait pas en 1830 : un gouvernement encore debout. Elle a le maréchal il faut le maintenir. Je suis et nous devons tous être mac mahoniens[5]. D'autres démarches, auprès du comte de Paris, du duc de Nemours et du duc d'Aumale fuirent également inutiles[6]. Nous sommes tous mac mahoniens ! avait dit le prince de Joinville, c'était le mot de la situation. Pourtant l'extrême droite regimbait. Elle était sans nouvelles de Frohsdorf : comment engager l'avenir sans instructions précises du prince ? La prolongation des pouvoirs du maréchal, à la rigueur, on pouvait l'accepter ; mais le gouvernement et le centre droit, plus exigeants, réclamaient, selon la formule du comte de Paris, une organisation solide et sérieuse, une prorogation de dix ans ! — Dix ans : un siècle ! De cet éternel provisoire, que dirait Frohsdorf ? M. Ernoul, fortement stylé par le duc de Broglie, s'était rendu le samedi soir chez M. de La pochette, président de l'extrême droite, et lui avait serré les pouces : Le danger maintenant, avait dit M. Ernoul, c'est la gauche. Puisque nous n'avons pas su faire la monarchie, du moins, n'abolissons pas toutes ses chances ; il n'y a qu'une manière pratique de réserver l'avenir, c'est de proroger les pouvoirs du maréchal. Si la campagne monarchique devait, un jour, être rouverte, l'obstacle apparemment ne viendrait pas de lui. M. de La Rochette n'osait se prononcer. Il reconnaissait qu'il fallait se décider immédiatement, mais il voyait la gravité de l'une ou de l'autre décision. C'est alors que M. Ernoul, autorisé assurément, fit jouer les grands ressorts : Le gouvernement veut savoir à quoi s'en tenir ; la résolution définitive doit être arrêtée demain, au conseil des ministres. Mais il ne marchera que s'il est soutenu par la droite, par la droite tout entière. Sinon, le cabinet, se retirera et l'extrême droite portera, devant le pays et devant l'histoire, la responsabilité d'avoir provoqué en pleine crise une dislocation ministérielle qui entraînera fatalement la retraite du maréchal[7]. Les membres les plus influents du groupe qui assistaient cette réunion, MM. de Rochette, Lucien Brun, de Cazenove de Pradine, se regardaient dans les yeux ; ils ne savaient que répondre ; ils cédèrent l'un après l'autre et ils se portèrent forts pour l'extrême droite. Résolution importante et dont les conséquences apparaitront bientôt. Le lendemain, 2 novembre, le secrétaire général de la présidence écrivait à M. Gavard, chef du cabinet du président du conseil, la lettre suivante, qui annonçait le succès : Versailles, 2 novembre. Mon cher ami, j'arrive à l'instant de Paris, trop tard pour aller porter des nouvelles à M. de Broglie, comme je le lui avais promis... Voulez-vous lui dire, dés son réveil, que toutes les combinaisons mises en avant dans la journée ont échoué, grâce à l'attitude loyale, désintéressée et patriotique de nos princes ? Le maréchal reste donc seul sur le tapis. Il est accepté de tous. La droite extrême fait des difficultés quant à la durée des pouvoirs, mais se résignera, je crois, à voter dix ans. A vous, Em. D'HARCOURT. Et le duc de Broglie, en transmettant ce mot au garde des sceaux, M. Ernoul, l'accompagnait de ce billet court, mais significatif : Cher ami, je reçois le mot de d'Harcourt à Gavard. Vous voyez que le dernier espoir de la France ne s'est pas laissé compromettre. A vous, maintenant, d'agir pour que la majorité arrive toute refaite et ralliée derrière le rempart d'argile que nous sommes réduits à lui donner pour la sauver de l'inondation qui monte. Mille amitiés bien dévouées. BROGLIE[8]. Une heure après, le conseil des ministres est réuni. Le duc de Broglie est maitre de la situation. Non seulement la prorogation des pouvoirs du maréchal est décidée, mais le gouvernement est d'avis que l'initiative devant l'Assemblée vienne, non pas de lui, mais des groupes de droite. Ceux-ci ayant fait annoncer qu'ils présenteraient une motion de restauration de la monarchie et ne se trouvant pas en mesure de donner suite à leur projet, il parait indispensable qu'ils assurent eux-mêmes leur retraite aux yeux de l'opinion. Entendu. Le général Changarnier déposera le projet de prorogation au nom des trois groupes de la droite et du centre droit. Enfin, dans une réunion de ce dernier groupe, tenue le 4
novembre, son président, le duc d'Audiffret-Pasquier, d'un ton un peu haut, à
vrai dire, sonne le ralliement : Parce que le navire
a touché l'écueil, dit-il, les pirates ont
cru qu'ils allaient s'en emparer, décimer l'équipage et se partager la
cargaison. Ils se trompaient. La cargaison est sauvée : l'équipage est debout
: le navire va reprendre la mer ; désormais il s'appelle : le Mac Mahon
![9] Et le comte de Chambord ? L'Assemblée nationale se réunissait le lendemain ; on était toujours sans nouvelles de Frohsdorf. L'Union et l'Univers se montraient nettement hostiles à la prorogation. Ces journaux affirmaient que la majorité n'était nullement dissoute, et qu'on n'avait pas compris la lettre du roi. Il était difficile de deviner où ils voulaient en venir. Dans une lettre qu'il adressa plus tard, le 20 novembre, à ses électeurs, M. de La Rochette expliqua sa conduite par ces simples mots : La monarchie était devenue impossible dans l'Assemblée. Je ne juge pas le fait, je le constate[10]. C'est vrai. Mais la restauration parlementaire ayant échoué, ne restait-il nulle autre ressource pour la cause monarchique ? Cette question ne paraît même pas s'être posée dans les esprits des membres de l'Assemblée les plus dévoués au comte de Chambord. II Voici la fin des vacances parlementaires. L'Assemblée se réunit le 5 novembre. Dans ce régime représentatif, où les paroles sont substituées aux actes, dans ce régime si complexe, où les résolutions sont prises dans les cercles en somme assez restreints qui propagent l'opinion, les choses ne viennent au grand jour des débats que quand elles sont déjà décidées et qu'elles ne demandent plus qu'une justification et une sanction. Ainsi, sur cette question si grave de la forme du gouvernement, l'Assemblée souveraine, au moment où elle reprend sa session à Versailles, se trouve en présence des résultats acquis en son absence. Tout est perdu, dit M. Martial Delpit. Oui ; mais tout est sauvé, si l'on en croit l'allocution du duc d'Audiffret-Pasquier au centre droit. Tant l'activité des derniers jours avait été ingénieusement féconde. Il fallut quelque temps aux députés venus de leur province pour comprendre et s'y reconnaître : Mon premier soin, en arrivant à Versailles, écrit le baron de Vinols dans ses Mémoires, fut de rechercher la cause de l'insuccès des négociations monarchiques. Je m'adressai à Combier, député de l'Ardèche, représentant de l'extrême droite à la commission des Neuf et à M. de La Rochette, notre président des chevau-légers. L'un et l'autre qualifièrent de décevante, douloureuse, inexplicable, la lettre du comte de Chambord. La Rochette me dit avec une émotion indicible : — Je suis atterré ; que je voudrais être chez moi et ne jamais m'être occupé de rien ! Sur une observation à Combier, que le drapeau pouvait n'être qu'un prétexte pour se soustraire à une charge que les entraves constitutionnelles le rendraient impuissant à porter, Combier me répondit péremptoirement : — Non, le roi avait parfaitement accepté notre programme. Il m'en rappela les clauses principales, et je n'y vis, en effet, rien de sérieusement restrictif du pouvoir royal[11]. Ainsi, personne, même parmi les plus fidèles, ne comprenait la politique du comte de Chambord, personne n'entrait dans ses vues. Le parti légitimiste était désemparé. Au fond, le centre droit n'était pas beaucoup plus fier. Les ouvriers de la restauration avortée s'étaient mis dans une mauvaise posture. On répandait des bruits fâcheux sur leur sincérité, sur leur capacité. M. Chesnelong allait de l'un à l'autre, s'expliquant. On l'écoutait en silence. A gauche, on était naturellement satisfait. La monarchie étant impossible et l'empire ayant, comme dit M. Ranc, besoin de laisser grandir son jeune homme, la République devait profiter de la crise. M. Thiers croit que son heure est revenue. Il dirige le combat. On sent sa main partout. Quelle joie pour lui de tomber sur les monarchistes en pleine déroute et de leur opposer leurs propres armes ! Ils avaient affirmé l'urgence du définitif : eh bien ! qu'ils sortent donc du provisoire, maintenant ! Ils ne le peuvent qu'en organisant, de fait, la République. Mais on compte sans la présence d'esprit du duc de Broglie, qui, sur ce terrain difficile, se montre, comme au 24 mai, un rude jouteur. D'ordinaire, la première séance de l'Assemblée, surtout après de longues vacances, est consacrée à quelques menues formalités. On se retrouve, on cause, on s'informe ; on procède aux élections intérieures ; on remet au lendemain les affaires sérieuses. L'ordre du jour publié au Journal officiel, portait simplement : Tirage au sort des bureaux. Dans le brouhaha de l'entrée, M. Buffet, après avoir annoncé que les prières publiques prescrites par l'Assemblée à l'occasion de la reprise de la session auront lieu le dimanche suivant, donne la parole au duc de Broglie. Il y eut un mouvement de surprise, qui devint bientôt silence et attention, quand on entendit le vice-président du conseil lire un message du président de la République. Le message constate que l'ordre avait été maintenu, que la paix avait régné pendant les vacances. Un court passage célèbre la libération du territoire. Puis on vient aux questions brûlantes, à la question toujours réservée jusqu'ici de la forme définitive du gouvernement. Il n'est pas étonnant que ce grave problème ait été soulevé d'avance, par les divers partis, et traité, par chacun d'eux, avec ardeur, dans le sens conforme à ses vœux. Je n'avais point qualité pour intervenir dans leur débat, ni pour devancer l'arrêt de votre autorité souveraine ; l'action de mon gouvernement a dei se borner à contenir la discussion dans les limites légales et à assurer, en toute hypothèse, le respect absolu de vos décisions. Votre pouvoir est donc entier, et rien n'en peut entraver l'exercice. Peut-être, pourtant, penserez-vous que l'émotion causée par ces discussions si vives est une preuve que, dans l'état présent des faits et des esprits, l'établissement d'une forme de gouvernement, quelle qu'elle soit, qui engage indéfiniment l'avenir, présente de graves difficultés. Peut-être trouverez-vous plus prudent de conserver à vos institutions le caractère qui leur permet de rallier, comme aujourd'hui, autour du pouvoir, tous les amis de l'ordre sans distinction de parti. Si vous en jugez ainsi, permettez à celui que vous avez élu, sans qu'il ait cherché cet honneur, de vous dire avec franchise son sentiment. Pour donner au repos public une garantie sure, il manque au régime actuel deux conditions essentielles dont vous ne pouvez, sans danger, le laisser privé plus longtemps : il n'a ni la stabilité ni l'autorité suffisantes. Le reste du message développait ce que le maréchal entendait par ces mots : stabilité, autorité. Le gouvernement, insuffisamment armé par les lois pour décourager les factions et même se faire obéir de ses propres agents, demandera des lois nouvelles contre la presse et le retour au pouvoir exécutif du droit de nomination des maires dans toutes les communes. L'Assemblée ne se refusera pas à faire don au pays d'un pouvoir exécutif durable et fort, qui prenne souci de son avenir et puisse le défendre énergiquement. Pour les droites elles-mêmes, cet acte était une surprise : ainsi, le gouvernement ne les abandonnait pas. Il prenait les initiatives nécessaires, alors que l'on aurait pu craindre que, par prudence, il se dérobât. Ce fut une salve croissante d'applaudissements à droite, nu fur et à mesure qu'on entendait le vice-président du conseil exposer le système du gouvernement. Sur les bancs de la gauche étonnée, les chefs se consultaient. M. de Broglie est à peine descendu de la tribune que M. Buffet lit à l'Assemblée la proposition préparée par le général Changarnier. signée par 237 députés, conclusion naturelle du message : Le pouvoir exécutif est confié pour dix ans au maréchal de Mac Mahon, duc de Magenta, à partir de la promulgation de la présente loi. Ce pouvoir continuera à être exercé dans les conditions actuelles jusqu'aux modifications qui pourraient y être apportées par les lois constitutionnelles. Une commission de trente membres sera nommée, sans délai, en séance publique et au scrutin de liste, pour l'examen des lois constitutionnelles. L'émotion apaisée, les positions de combat sont prises aussitôt par les chefs des partis. Le baron Eschasseriaux, président du groupe de l'appel au peuple, dépose une motion tendant à ce que le peuple français soit convoqué dans ses comices, le dimanche 4 janvier 1874, pour se prononcer sur la forme du gouvernement. Chaque électeur mettrait dans l'urne un bulletin de vote portant l'une des énonciations suivantes : Royauté, République, Empire. Le baron Eschasseriaux demande que cette motion suive le sort de la proposition Changarnier. La fraction la plus libérale du centre droit, celle qui est restée en contact avec M. Thiers, est dans un grand embarras. Elle se fait conciliante ; elle prépare, par les formules qu'elle lance, des résolutions qui, d'abord, satisfont les deux partis, mais qui, plus tard, feront pencher la balance. M. de Goulard, ancien ministre de M. Thiers, en réclamant l'urgence sur la proposition Changarnier, distingue finement. Il ne s'agit pas pour la majorité de se dérober à l'engagement qu'elle a pris de voter les lois constitutionnelles. On désire seulement qu'elle détache de ces lois une portion du titre consacré au pouvoir exécutif, celle relative à la durée. Posée à la tribune, une pareille question est jugée au point de vue de l'urgence... La France n'a pas le temps d'attendre !... L'orateur reconnaît toutefois que l'examen de l'ensemble des lois constitutionnelles serait plus régulier. Ces paroles insinuantes ouvrent le vrai débat. M. Dufaure est à la tribune. Lui, ne finasse pas ; il fonce, selon sa manière ordinaire. Il raille cruellement la droite. Il rappelle que l'Assemblée a été saisie par lui, le 19 mai, de projets sur l'organisation des pouvoirs publics ; qu'à la fin de la dernière session, on a refusé de les mettre à l'ordre du jour ; qu'aujourd'hui, on en proclame l'extrême urgence, mais qu'on se borne à en détacher une partie. Le vigoureux athlète démolit les échafaudages de carton. Il dit ce qu'il pense, ce que l'on pense de la tentative de restauration monarchique. D'où vient, demande-t-il, l'agitation dont on parle, sinon d'une visite inattendue faite à Frohsdorf et des projets politiques que l'on se hâtait d'y rattacher ? — Du haut de la tribune, dit M. Dufaure avec une ironie rude, je remercie M. le comte de Chambord d'avoir déjà donné un motif d'apaisement par la lettre qu'il a écrite le 27 octobre. Et maintenant, que veut-on de nous ? la prolongation du provisoire ? Eh bien ! je demande, moi, qu'on en revienne à la vérité, c'est-à-dire à la situation antérieure au 24 mai, et que, comme le voulait M. Thiers, on organise définitivement la République. La sanction, c'est le renvoi de la proposition Changarnier à la commission qui sera nommée pour l'examen des projets de lois constitutionnelles. L'urgence est votée sur la proposition Changarnier ; elle est repoussée sur la motion Eschasseriaux. Le gouvernement, par l'organe du duc de Broglie, s'oppose au renvoi de la proposition Changarnier à la commission constitutionnelle et demande la nomination d'une commission spéciale. Les deux systèmes sont en présence. M. Thiers, à gauche, conduit la bataille. La garde donne. M. Grévy soutient M. Dufaure. On propose à l'Assemblée, dit-il, de déléguer le pouvoir exécutif pour une époque qui doit durer au delà de sa propre existence, au delà sans aucun doute, des plus longues espérances d'aucun de ses membres. Si vous le faites, dit M. Jules Grévy, si vous instituez un pouvoir aussi irrégulier, vous procéderez comme on fait en temps de révolution ; ce pouvoir sera nul de soi... Il ne sera respecté ni par la nation ni par vos successeurs... Avec les lois qu'on annonce, ce ne sera autre chose qu'une dictature. Ces mots sont prononcés comme un arrêt sans appel par l'ancien président de l'Assemblée, ancien bâtonnier de l'ordre des avocats. Ils jettent un froid sur l'enthousiasme de la droite. M. de Coulant, toujours conciliant, déclare que ses amis sont prêts, comme gage de leur sincérité, à demander la nomination immédiate de la commission d'examen des lois constitutionnelles. La gauche gagne du terrain. M. Dufaure prend acte et insiste sur le caractère précaire de la prétendue stabilité que doit créer le décennat. On vote. La motion Dufaure est écartée par 362 voix contre 348, c'est-à-dire par 14 voix de majorité. — La majorité du 24 mai, dit M. de Barante. C'est vrai. Mais cette même majorité, revenant sur ses brisées, se prononce maintenant pour le maintien du provisoire. Ainsi, qu'elle le veuille ou non, elle s'achemine, en se trompant elle-même, vers l'organisation définitive de la République. La proposition Changarnier est donc renvoyée à une commission spéciale. Le lendemain de ce vote, M. Buffet était réélu président de l'Assemblée nationale par 384 voix, alors qu'il en avait obtenu seulement 355 le 23 mai. Les gauches s'abstinrent en masse. Treize sièges étaient vacants. Si l'Assemblée eût été au complet, ces treize voix eussent peut-être valu le succès à M. Dufaure et. à ses amis. Aussi, M. Léon Say, président du centre gauche, insiste pour que les élections complémentaires aient lieu sans nouveau retard. Le 7 novembre, le scrutin dans les bureaux, pour la nomination de la commission d'examen de la proposition Changarnier, donne la majorité à la gauche. Commission La droite croyait tenir le succès ; c'est une nouvelle épreuve. Peu s'en fallut qu'on ne désespérât : Notre retraite, bien commencée, écrit M. Martial Delpit, menace de tourner en déroute. Nos chefs ont mal manœuvré... Tu as vu notre échec dans les bureaux. C'est grave. Nous sommes des vaincus, des impuissants, la France n'aime pas cela, et le vent ne nous amène rien... Nous nous étions tous jetés à l'eau pour persuader à ce pays qu'il lui fallait du définitif, et voilà que nous sommes condamnés à lui offrir de nouveau du provisoire. La logique et le bon sens sont pour nos adversaires. M. Martial Delpit précise, avec une singulière netteté, les origines de cette situation : Tout, serait venu à nous si nous avions fait la monarchie. Dieu ne l'a pas voulu : le pilote appelé à prendre la direction du navire a jeté l'équipage à l'eau ; l'avenir pèsera les responsabilités ; celle qu'a endossée le prince est bien grande ; nous étions au but, il n'avait qu'à tendre la main pour saisir la couronne, il a reculé, il n'a pas songé qu'il compromettait tous les honnêtes gens de son pays, qu'il n'y avait plus de base pour le parti conservateur en France. La colère est grande ici contre le comte de Chambord[12]. Naturellement, la satisfaction de la gauche égale le désarroi de la droite. Maintenant, je tiens le maréchal, aurait dit M. Thiers. Mais le centre gauche craint, à son tour, qu'un succès trop complet ne retourne les esprits et ne ramène l'union dans le parti monarchiste. Par une légère évolution vers M. de Goulard, il se rattache au maréchal et rend publique la résolution suivante : Nous nous déclarons prêts à proroger la présidence de M. le maréchal de Mac Mahon, en liant étroitement la loi de prorogation à la prompte organisation des pouvoirs publics. Ce sont ces idées qui prévalent dans la commission ; elle se réunit et nomme M. de Rémusat président et M. Laboulaye rapporteur. Que fera l'extrême droite ? En votant la prorogation des pouvoirs pour dix ans, et en accédant à un prochain débat constitutionnel, donnera-t-elle les mains à ce provisoire qui s'organise sans le roi et par conséquent contre le roi ? On ne sait toujours rien du comte de Chambord. Il était rentré à Frohsdorf, attendant l'effet de sa lettre du 27 octobre. Il avait pensé que la droite, prise dans cette alternative : ou la République immédiate, ou la monarchie, se résoudrait à accepter la monarchie du drapeau blanc plutôt que de subir la République. Il fut surpris en recevant les nouvelles de Versailles : l'attitude du gouvernement, le message du maréchal de Mac Mahon, la proposition de prorogation acceptée par toute la droite, autant de déboires ! Il est donc abandonné ! II mesure le péril. C'est alors que, précipitant une décision qu'il avait longuement mûrie, il se décide à venir en France, sur le théâtre même de la vie politique, et à tenter un suprême effort pour arracher son peuple des mains de la révolution[13]. C'est le maréchal qui est, maintenant, l'arbitre des événements. C'est donc à lui qu'il faut s'adresser. Le Bayard des temps modernes fermera-t-il la porte au descendant des rois ? Le comte de Chambord quitte Frohsdorf, accompagné de MM. de Blacas, de Chevigné et de Monti ; il arrive à Paris par la ligne de Bâle, dans la nuit du 8 au 9 novembre. Il s'était cru reconnu à la frontière suisse ; mais une surveillance, un moment exercée, avait été supprimée ou déjouée. Reçu à la gare de l'Est par le comte de Sainte-Suzanne, il se fait conduire devant les ruines des Tuileries, comme s'il voulait recueillir, à cette heure suprême, les conseils du passé qu'il représente ; puis, il prend le train pour Versailles, où il arrive vers onze heures du matin. Le prince avait multiplié les précautions pour ne pas être vu. Il ne rencontra, à Versailles, qu'une seule personne qui dit pu le reconnaitre : M. Chesnelong qui se rendait à la gare. Le prince se renfonça vivement dans la voiture. M. Chesnelong ne l'aperçut pas[14]. Le prince descendit rue Saint-Louis, n° 5, chez M. de Vanssay. Ou avait aménagé pour lui, dans la maison, habitée par celui-ci, un appartement extrêmement modeste : Une petite porte donnant sur la rue, un vestibule obscur, un escalier de bois, quatre ou cinq pièces au premier étage, et c'était tout[15]. Voici donc le roi à quelques cents pas du palais de ses ancêtres. Quels étaient ses projets ? L'entourage obéissait, mais ne
savait rien. On allait au hasard. M. le comte de
Chambord, dit un témoin, s'abandonnait à son étoile
avec un entrain que ses fidèles n'avaient jamais vu. Le prince avait
un plan ; mais il se taisait. M. Chesnelong, au moment où il fut aperçu par le comte de Chambord, allait à Paris pour assister à une conférence, où il avait été prié par le marquis de Dreux-Brézé, Il trouva là réuni, l'état-major légitimiste : le comte de Blacas, chef de la maison du roi, MM. Lucien Brun, de Carayon-Latour et de Cazenove de Pradine. Les représentants de Monseigneur nous demandèrent si la campagne monarchique nous paraissait abandonnée, ou s'il restait encore quelque chance de la reprendre. Ils nous dirent que M. le comte de Chambord n'était pas très éloigné de France, et qu'il se trouvait à la disposition du pays si on le rappelait dans des conditions compatibles avec son principe et avec son honneur[16]. M. Chesnelong répondit qu'on ne trouverait plus suffisant le terrain qui avait été adopté avant la lettre du 27 octobre. Et il ajoute : Si, cependant, le roi croyait pouvoir accepter, d'une part, l'ancien projet de la commission des Neuf, en ce qui concerne les questions constitutionnelles, ce dont je ne doute pas : si, d'autre part, en se réservant de proposer sur le drapeau, après son élévation au trône, la solution qui répond à ses désirs, il se confiait à la générosité de l'Assemblée, s'il consentait à donner l'assurance que la question se dénouerait par une conciliation amiable et ne ferait, en aucun cas, surgir un conflit... selon moi, dans de telles conditions, la monarchie pourrait reprendre toutes ses chances. M. Chesnelong ne doutait de rien et ne se doutait de rien. Son état d'esprit reflétait celui de la majorité. La réunion ne pouvait avoir de résultats. MM. de Blacas et de Dreux-Brézé retournèrent à Versailles et exposèrent au comte de Chambord, une fois de plus, les difficultés insurmontables d'une restauration parlementaire. C'est alors que le comte de Chambord découvrit sa pensée. En présence du marquis de Dreux-Brézé, il chargea M. de Blacas d'aller en son nom chez le maréchal de Mac Mahon et de lui faire connaître son désir d'avoir avec lui, dans le plus absolu secret, une conférence[17]. M. de Dreux-Brézé se récria : il protesta de son peu de confiance dans le succès d'une telle démarche. Mais rien n'ébranla les résolutions du maitre, convaincu que le duc de Magenta se rendrait à son premier appel. Dans ses Souvenirs, le général du Barail dit tenir le récit suivant de la seule personne informée de première main et qui, dans la circonstance, était la première intéressée ; il s'agit évidemment du maréchal de Mac Mahon. C'était le 10 novembre, au matin ; M. de Blacas vit d'abord la duchesse de Magenta et lui dit, sans autre préambule : — Le roi est à Versailles et désire voir le maréchal. Très émue de cette nouvelle
inattendue et extraordinaire, élevée dans le loyalisme le plus absolu, la
maréchale répondit avec présence d'esprit : — Je ne puis pas savoir ce que va faire mon mari ; mais je doute qu'il lui soit possible de se rendre au désir et à l'appel de Monseigneur. — Et pourquoi donc ? — Parce qu'après ce qui vient de se passer, après son message à l'Assemblée, alors qu'on élabore une loi qu'il a demandée et qui est destinée à prolonger ses pouvoirs, il aurait l'air, en allant chez Monseigneur, de se prêter à une intrigue dont l'apparence même est incompatible avec la dignité de son caractère. — Comment faire pourtant ? Le roi est venu à Versailles précisément dans l'intention de voir le maréchal. — Alors, je ne vois qu'un moyen. Que Monseigneur vienne à la présidence, accompagné par vous, si vous le jugez utile. Les huissiers du cabinet du maréchal ne le connaissent pas. Ils n'ont reçu aucune instruction. Qu'il entre chez mon mari, qui 'sera bien forcé de le recevoir et de lui témoigner ses respects. — Comment, Madame ! vous voulez que le roi vienne chez le maréchal ![18] Le général du Barail ajoute : Le comte de Blacas passa alors chez le maréchal, qui, sans avoir pu s'entendre avec la maréchale, lui fit la même réponse qu'elle, tant la situation imposait cette réponse[19]. Le marquis Costa de Beauregard relate, d'après des renseignements émanant de M. de Vanssay, l'entrevue du maréchal et du comte de Blacas[20]. On devine quels furent l'étonnement, l'émotion du maréchal, au premier mot de M. de Blacas... Le maréchal se préoccupa aussitôt de la sûreté du prince. — A la moindre alerte, dit-il, adressez-vous à moi. Blacas le rassura... Et, revenant à sa mission, il pria nettement son interlocuteur de fixer l'heure à laquelle il comptait se rendre à l'invitation du roi. Il y eut un moment de silence poignant... Voici maintenant le texte même des Mémoires du maréchal de Mac Mahon : Je fus surpris de cette démarche à laquelle j'étais loin de m'attendre et je répondis que, tout dévoué à M. le comte de Chambord, je serais heureux de lui sacrifier ma vie, mais que je ne pouvais lui sacrifier mon honneur. Lorsque l'Assemblée nationale avait renversé M. Thiers, elle voulait reconstituer la monarchie avec M. le comte de Chambord. Assemblée souveraine, elle avait le droit de le faire, de l'exprimer hautement et il ne pouvait y avoir aucune hésitation pour moi à proclamer sa décision. A la suite des manifestes de M. le comte de Chambord, la situation avait complètement changé. Il n'y avait plus, dans l'Assemblée, qu'une faible minorité voulant le rappeler quand même. La majorité jugeait son retour impossible dans les conditions actuelles. Après les démarches infructueuses pour constituer une régence, elle avait pensé que le seul moyen de refaire un jour la monarchie était de prolonger et d'affirmer mes pouvoirs avec la certitude que je ne serais jamais un obstacle à son rétablissement. Je partageai cette manière de
voir et me décidai à conserver la présidence de la République, ce qui
m'imposait des devoirs nouveaux que je ne pouvais trahir ; c'était, pour moi,
une question d'honneur : je ne voulais même pas que l'on pût m'en supposer
capable, et des conférences secrètes avec M. le comte de Chambord me
semblaient de nature à donner lieu à cette supposition. Telles furent les considérations qui m'amenèrent à refuser l'entrevue demandée. Je priai M. de Blacas de les faire connaître à Monseigneur, avec l'espoir que lui, si ferme dans ses principes, voudrait bien me comprendre. Je lui demandai encore de lui faire remarquer combien devait être impérieux pour moi ce sentiment du devoir, puisqu'il me dictait un refus qui resterait désormais le souvenir le plus douloureux de ma vie[21]. D'après les souvenirs de M. de Vanssay, M. de Blacas insista ; il affirma au maréchal que Monseigneur le comte de Chambord ne songeait nullement à lui proposer une action contraire à sa conscience, qu'il ne voulait que s'éclairer sur les véritables dispositions de l'armée... Blacas alla jusqu'à laisser entendre au maréchal que la conversation demandée pourrait modifier les idées de son maitre sur la question du drapeau. Rien n'y fit. Évidemment, il était trop tard. — Mais, enfin, Monsieur le maréchal, dit encore Blacas, sans doute par acquit de conscience, je vous jure, sur l'honneur, que personne ne saura la démarche que je vous demande. Ce disant, il tirait de sa poche la clef de l'appartement où était descendu le comte de Chambord et la tendait à son interlocuteur. — Vous ne trouverez même pas là-bas Monti, votre vieux camarade de Saint-Cyr, ajouta-t-il. Le roi sera seul à vous attendre. Le maréchal sourit... et ne prit pas la clef. A bout d'arguments, M. de Blacas aurait dit au maréchal : Et si c'était l'impératrice qui vous demandait une entrevue, la lui refuseriez-vous, Monsieur le maréchal ? Cette singulière question resta sans réponse[22]... Ce fut non pas sans étonnement,
mais avec stupeur, que M. le comte de Chambord apprit le refus auquel venait
de se heurter Blacas. Il demeura plus de deux heures sans dire un mot.
— Jamais, pendant les trente années que j'ai
vécues près de lui, dit M. de Vanssay, je
ne l'ai vu ni si triste ni si découragé. De son côté, M. de Dreux-Brézé[23] constate que le refus immédiat et absolu du maréchal créa tin irrémédiable obstacle aux vœux du comte de Chambord. Quels étaient ces vœux ? Qu'attendait le prince du maréchal-président ? M. de Dreux-Brézé, dans sa manière contournée, s'explique ainsi : Le prince voulait, à cette heure solennelle, se trouver seul à seul avec le maréchal de Mac Mahon, chef du pouvoir exécutif, et, à ce titre, le mieux en position, le plus désigné pour conférer avec lui des besoins de la France, de ses souffrances et de son avenir. Il savait l'amour profond du maréchal pour son pays. Il ne pouvait douter qu'il partageât, à un degré d'autant plus considérable que la situation intérieure de la France lui était plus complètement connue, les sollicitudes, les inquiétudes que cette situation inspirait à tous. Monseigneur voulait, en résumé,
examiner avec le maréchal cette situation en tous ses détails, étudier avec
lui l'état de l'opinion, les difficultés que présentait, les ressources que
pouvait offrir, pour la réalisation de ses vues sur la France, telle ou telle
disposition du monde parlementaire. Ces données acquises, Monseigneur eût porté son attention, et celle du maréchal, sur les mesures à prendre sur l'heure, si la proclamation de la monarchie était immédiatement espérable, ou sur la marche à suivre pour arriver, dans des délais à préciser, mais avec certitude, à la cessation d'un provisoire plein de périls. En faisant appel au maréchal, M. le comte de Chambord était résolu, dans la première hypothèse, et avec le concours du détenteur respecté du pouvoir, à se placer directement en face de son peuple et de ses représentants. Il était, dans la seconde éventualité, disposé à admettre une attente, en échange de la formation d'un plan de nature à assurer, avec l'aide d'efficaces coopérations, la manifestation extérieure du sentiment monarchique, si diversement combattu depuis plus de deux ans et très réellement existant dans l'Assemblée, comme, alors, dans la nation[24]. En des termes phis simples, le projet du comte de Chambord parait avoir été le suivant : S'inspirant du précédent de 1814, il voulait éviter un vote parlementaire soumettant le droit du roi au droit de la nation. Il s'adressait donc directement au maréchal qui, disposant du pouvoir effectif, était, en quelque sorte, lieutenant général du royaume en l'absence du roi. Devant une volonté exprimée par le souverain, au cours d'un entretien où celui-ci userait de tout son ascendant héréditaire et personnel, le maréchal s'inclinerait et se ferait l'instrument de la restauration. Alors, ou bien, comme en 1814, l'Assemblée convoquée au palais de la présidence viendrait saluer le roi ; ou mieux encore, si le maréchal y consentait, le roi et l'illustre soldat iraient ensemble au palais et entreraient dans la salle des séances, Henri V, par un geste imité encore de Louis XVIII, s'appuyant au bras du maréchal. Un tel spectacle, la surprise, les acclamations de la droite, l'élan de la majorité se pressant autour du souverain, une telle scène, évoquant les origines héroïques de la dynastie et l'acclamation des fidèles, supprimerait toute procédure parlementaire. Le prince, rien que par sa présence, se retrouvait roi. Il n'aurait plus qu'à promulguer et faire adopter une constitution où il serait tenu compte naturellement des avis de ses conseillers et des sentiments du pays. Ainsi, sur le modèle de la première restauration, se fût effectuée la restauration nouvelle. Mais on n'était plus en 1814. Il existait une autorité souveraine ou se croyant telle : l'Assemblée. La nation qui avait nommé cette Assemblée, avait perdu le pli de l'obéissance. Enfin, le maréchal de Mac Mahon, élu de l'Assemblée, n'avait nulle intention d'imiter les maréchaux de l'empire. On assure que le maréchal de Mac Mahon, réellement surpris, n'eut le temps de consulter personne ; ses ministres même auraient ignoré la présence du comte de Chambord à Versailles. Il prit donc sa résolution lui-même, selon l'inspiration de son âme de soldat. Il déclina l'entretien ; il choisit. Tricolore ou blanc, il resta tricolore. Son instinct, sa conscience, l'état d'esprit que l'entourage et les circonstances avaient créé en lui décidèrent du sort de la dynastie. Le prince, de son côté, agit seul. Il avait fait transporter à Versailles, chez M. de Vanssay, un uniforme de lieutenant général. Il était prêt. Décidé, mais muet. En un temps où tous les actes se parlent, il se taisait. Il se méfiait des parlementaires, même des siens. Le père Marcel, capucin, qui le vit de près pendant ces jours d'angoisse, m'a dit : Il n'avait pas confiance en tous ces gens-là Il se méfiait. Il se taisait : la race, l'éducation, le malheur, l'exil l'avaient fait ainsi. Il échoua. Les deux situations se heurtèrent. Dans les crises suprêmes, c'est la personnalité dominante et, dans chacune des personnalités en présence, la faculté dominante qui tranche le nœud. Ce drame, cette rencontre, cette décision achèvent l'histoire de la vieille France : une démarche d'un serviteur fidèle ; quelques minutes d'attente dans un salon ; une conversation à voix basse ; un geste ; une clef offerte et refusée, un sourire, — et les destins sont accomplis. Le comte de Chambord s'arracha à sa longue méditation par un acte de foi. Les hommes lui manquaient. Dieu restait. Reconnaissant la toute-puissance de Dieu sur les événements, il n'eut plus d'autre volonté que de profiter d'une manifestation de la Providence en faveur de sa cause[25]. Il restait encore un espoir : peut-être cette manifestation de la volonté divine se produirait-elle au moment décisif du débat sur la prorogation des pouvoirs du maréchal. Si cette prorogation était repoussée, la crise qui s'ensuivrait n'aurait d'autre issue que la proclamation de la monarchie sans condition. Dernier espoir, suprême illusion ! Le prince demeura quelques jours encore à Versailles, attendant, sans impatience, l'heure de Dieu. Chaque matin, il assistait à la messe, que célébrait, pour lui, le père Marcel dans une chambre de l'hôtel de M. de Vanssay transformée en chapelle. Le capucin rencontra M. Chesnelong deux jours après la tentative auprès du maréchal, et lui annonça, sous le sceau du secret, la présence du comte de Chambord à Versailles. Stupéfait, M. Chesnelong interrogea le moine : — Vous a-t-il parlé de ses projets ? demanda-t-il. — Il ne m'en a rien dit et je me suis gardé de lui poser des questions qui auraient pu lui sembler indiscrètes, répondit le père Marcel. Il m'a paru plus attristé que déçu : il est, du reste, très calme, très digne, très souriant et très bon[26]. Le soir, avant son diner, le prince donnait audience à M. de Dreux-Brézé. Celui-ci rapportait à l'hôte royal de M. de Vanssay les faits, les dires venus à sa connaissance, les impressions diverses sur les dispositions des esprits, les décisions en préparation tant à Paris que dans les régions parlementaires ou au sein du gouvernement, les prévisions les plus admises pour un avenir prochain[27]. Sauf le directeur de son cabinet, ses secrétaires et le marquis de Dreux-Brézé, le comte de Chambord ne vit personne. Il ne fit exception que pour le général Ducrot. III Le drame parallèle se joue en public sur le théâtre du palais de Versailles, tandis que, dans l'entresol obscur, le fils des rois attend. La commission spéciale chargée de l'examen de la proposition Changarnier délibérait. Elle travaillait avec lenteur, avec maturité. Elle était dirigée, en somme, par son rapporteur, un membre du centre gauche, qui fut un des plus actifs ouvriers de l'ordre nouveau, M. Laboulaye. M. Laboulaye est un philosophe, un élève de Victor Cousin, — un Lycurgue. Il avait appris la liberté, comme Montesquieu, à l'école de l'Angleterre, et la démocratie, comme Tocqueville, à l'école de l'Amérique. Ancien fondeur de caractères, vaguement saint-simonien, il avait eu une carrière diverse et un peu agitée, cherchant sa voie qui était, en somme, de donner une constitution à la France : de ces esprits moyens qui réfléchissent les traits d'une époque et qui, parfois, sur leur physionomie discrète, les fixent. Il avait combattu l'empire, car il détestait le despotisme, mais il s'était rallié à l'empire libéral, découvrant, tout à coup, que la meilleure constitution est celle que l'on a, pourvu qu'on s'en serve. La jeunesse des écoles avait offert, à l'ennemi de l'empire, un encrier qu'elle avait réclamé bruyamment au partisan de M. Émile Ollivier. Dans un livre paru en 1864, M. Laboulaye avait formulé, ou mieux, vulgarisé le programme du parti libéral. Tous les problèmes de la religion, de la politique et de l'économie politique étaient résolus par ce mot unique : liberté. L'écrivain confondant, dans une haine commune, l'inquisition, le despotisme, l'ingérence administrative, la centralisation, le protectionnisme, disait : par la liberté absolue, le bonheur régnera sur la terre. On était loin di collectivisme, alors D'ailleurs, excellent homme ; un peu solennel, esprit distingué, à la fois solide et ingénieux, de figure avenante, avec l'éloquence de sa figure : Il a les cheveux longs de sa phrase, les faux-cols mous de ses alinéas, la redingote à la fois large et boutonnée de ses convictions[28]. Ce n'est pas un maître, c'est un professeur, mais singulièrement congruent à l'époque, — un professeur de constitution. M. Laboulaye, donc, dirigeait cette commission si gênante pour le cabinet et qui ne cherchait, dans le projet ambigu qui lui était soumis, qu'un moyen de tirer la couverture du côté de la République. La majorité de la commission se rallie au principe de la prorogation ; mais, au lieu de dix ans, elle demande cinq ans et elle pose, comme condition formelle, que la clause prorogeant les pouvoirs du maréchal n'aura le caractère constitutionnel qu'après le vote de l'ensemble de la constitution. Cela voulait dire que l'on prétendait faire du maréchal un président de la République, non seulement de nom, mais d'effet. Le duc de Broglie, entendu par la commission, proteste et maintient intégralement le texte de la proposition Changarnier. Longues délibérations. Retard. La commission en réfère au maréchal lui-même ; mais celui-ci s'en remet à ses ministres. La droite s'impatiente. Elle réclame, avec insistance, le rapport qui, selon le mot de M. Baragnon, reste dans l'encrier de M. Laboulaye. Le 15, l'Assemblée suspend ses séances pour attendre le rapport et le projet de loi. M. Laboulaye s'exécute. Voici le texte du projet de loi : ARTICLE PREMIER. — Les pouvoirs du maréchal de Mac Mahon, président de la République, lui sont continués pour une période de cinq ans au delà du jour de la réunion de la prochaine législature. ART. 2. — Ces pouvoirs s'exerceront dans les conditions actuelles jusqu'au vote des lois constitutionnelles. ART. 3. — La disposition énoncée en l'article premier prendra place dans les lois, organiques et n'aura le caractère constitutionnel qu'après le vote de ces lois. ART. 4. — Dans les trois jours qui suivront la promulgation de la présente loi une commission de trente membres sera nommée dans les bureaux pour l'examen des lois constitutionnelles présentées à l'Assemblée nationale les 19 et 20 mai 1873. M. Laboulaye annonçait, en même temps, que la minorité de la commission, — c'est-à-dire les membres qui représentaient l'opinion du gouvernement, — avait décidé de reprendre la proposition primitive, ainsi amendée : ARTICLE PREMIER. — Le pouvoir exécutif est confié pour sept ans au maréchal de Mac Mahon, duc de Magenta, à partir de la promulgation de la présente loi. Ce pouvoir continuera à être exercé sous le titre de Président de la République et dans les conditions actuelles, jusqu'aux modifications qui pourraient y être apportées par les lois constitutionnelles. ART. 2. — Dans les trois jours qui suivront la promulgation de la présente loi, une commission de trente membres sera nommée en séance publique et au scrutin de liste pour l'examen des lois constitutionnelles. Le premier texte n'était qu'un article détaché d'une constitution embryonnaire. Le second, était moins précis ; il réservait, jusqu'à un certain point, l'éventualité d'une solution monarchique. Les concessions obtenues par la tactique de la gauche et accordées avant toute délibération étaient déjà considérables. La prorogation était fixée à sept ans et non plus à dix ans. La droite accédait au vœu exprimé par la gauche de réunir une commission chargée d'examiner les lois constitutionnelles. Enfin, et surtout, le nom de la République ayant été omis, dans le projet du gouvernement, un peu maladroitement, selon la remarque de M. Martial Delpit[29], la minorité de la commission avait dû consentir à ce qu'il Mt rétabli, pour s'épargner le ridicule de refuser un nom quelconque au gouvernement de la France. Ainsi, on constituait lentement et de mauvaise grâce, mais on constituait pourtant et au profit de la République. La République gardait la possession d'État ; les monarchistes s'engageaient à la maintenir jusqu'au jour, de plus en plus incertain, où une combinaison, difficile à prévoir, réunirait tous les monarchistes et permettrait de rappeler soit le comte de Chambord, soit le comte de Paris. Le rapport de M. Laboulaye, qui précédait le projet de loi, contenait, à l'adresse de la droite, quelques sages avis : Dans l'état de division où se trouve l'Assemblée, après les émotions des derniers mois et les déceptions récentes, nous n'avons plus qu'une occasion d'organiser un gouvernement, c'est celle qui est venue nous surprendre plus tôt que nous ne l'attendions. Si le parti conservateur a le courage de renoncer à des espérances qu'il a nourries longtemps, mais qui viennent de s'évanouir, s'il ne prend conseil que de son patriotisme, nous pouvons marcher d'accord et donner au pays le gouvernement qu'il attend de nous. Vous n'avez pas voulu renoncer au drapeau national et aux libres institutions qu'il symbolise : ces institutions, ce drapeau nous sont également chers. C'est par la monarchie que vous vouliez obtenir un gouvernement constitutionnel. La monarchie s'est effondrée, mais ce gouvernement que vous désirez, nous croyons que vous pouvez l'avoir non moins sûrement sous la forme républicaine. Il n'y a pas aujourd'hui d'autre solution si l'on veut donner enfin à la France l'abri dont elle a besoin. Dans ces paroles, il y avait à la fois, un conseil et un avertissement. Mais la droite ne les entendait même pas. Elle commence à appliquer, dès lors, cette tactique qui la conduira insensiblement à une faillite graduelle et complète de tous les principes et de tous les intérêts qu'elle défend : poussant les choses au pire, toujours maugréant, toujours rechignant, mais toujours battue, incorrigible, elle restera toujours en retard d'une année et d'une idée. La discussion était fixée au lundi 17 novembre. La veille, 16 novembre, avaient eu lieu deux élections partielles. Les départements de l'Aube et de la Seine-Inférieure envoyèrent deux républicains siéger à l'Assemblée nationale : les généraux Saussier et Letellier-Valazé. — Élu par 82.953 voix contre 48.780 au candidat de droite, le général Letellier-Valazé remplaçait M. Vitet, conservateur ; il avait été sous-secrétaire d'État à la guerre sous la présidence de M. Thiers. — Le général Saussier était nommé dans l'Aube, sous les auspices de M. Casimir-Perier, par 42.294 voix contre 17.844 à M. Argence, ancien député bonapartiste. Ces élections furent vivement commentées. Le pays intervenait au débat et donnait son opinion, au moment où s'engageait la bataille parlementaire par laquelle s'ouvrait la série des grandes luttes constitutionnelles. La discussion fut, à proprement parler, la bataille des centres. Les extrêmes s'abstinrent. L'Assemblée avait ti se prononcer entre les deux textes, celui de la commission et celui de la minorité. Les conséquences de l'échec de la restauration monarchique sont telles Glue la droite en est déjà réduite à défendre non plus le décennat, mais le septennat ; non plus la lieutenance générale ou le stathoudérat, mais la prorogation, pour quelques années, des pouvoirs du maréchal. La gauche, au contraire, poursuit son offensive. Ayant cédé sur ce point unique, prorogation des pouvoirs du maréchal, elle ébranle d'avance le provisoire auquel elle consent et, au nom de la logique, forte de la volonté du pays, elle presse sur la droite afin de lui arracher un premier consentement à l'organisation de la République. On ne comprendrait pas les succès progressifs de la gauche et les retraites échelonnées de la droite, si l'on ne sentait, au fond de ces débats, une appréhension partagée par tous les esprits libéraux, celle d'une restauration bonapartiste. La crainte du bonapartisme fut le commencement et la fin de la sagesse aux yeux de cette Assemblée. Une lettre du comte de Paris précisera encore, sur ce point, l'état d'esprit de la majorité. Il écrivait, le 11 novembre, à M. Adrien Léon, député de la Gironde : Je ne regrette rien de ce que nous avons fait. Nous avons reconstitué le parti de la monarchie constitutionnelle, après avoir mis de côté toutes les préférences personnelles. Le parti conservateur libéral s'est arrêté le jour où son programme a été déchiré par celui qui devait être appelé à l'appliquer... Il [faut se] placer aujourd'hui sur le véritable terrain de l'intérêt public. Il faut donner à la France une garantie de stabilité. On ne peut pas la trouver aujourd'hui dans la monarchie constitutionnelle ; la lieutenance générale n'était qu'un expédient qui n'aurait pas réussi parce qu'il n'était pas net et qu'il prétendait concilier ce qui est inconciliable depuis le 27 octobre : la manière dont M. le comte de Chambord entend rentrer en France et recevoir la couronne et celle dont la majorité conservatrice entendait le rappeler. Ne pouvant faire la monarchie, il faut faire ce qui s'en rapproche le plus ; il faut organiser un gouvernement constitutionnel avec un pouvoir exécutif placé, dès aujourd'hui, au-dessus des luttes des partis, des hasards d'une discussion parlementaire. Je ne comprends pas qu'on s'alarme de donner à ce gouvernement le nom de République, tant que l'on conserve ce mot sur les monnaies et ailleurs. Et je ne vois d'autre moyen de l'en enlever qu'en y mettant un roi... ou un empereur. Or, c'est cette dernière solution que je veux écarter à tout prix. Je considère donc qu'aujourd'hui rien, en principe, ne sépare le centre droit du centre gauche...[30] Ainsi, tout s'éclaire dans cette situation respective des deux centres qui se touchent et s'opposent à l'arête divisant le grand parti libéral. Entre eux, il n'y a pas lutte de principe, mais seulement différence d'orientation. La monarchie royale étant rejetée, il s'agit uniquement de savoir si l'on fera une république monarchique ou une monarchie républicaine. Les extrêmes s'abstiennent, nous l'avons remarqué : il est facile, maintenant, de comprendre pourquoi. La lutte n'en est pas moins vive. Il s'agit de liquider un passé encore récent ; les déchirements entre les personnes sont douloureux ; déjà on peut prévoir les excès inévitables et les éliminations fatales. Les dessous et les conséquences lointaines de ces journées animent, singulièrement les combattants. M. Thiers et le duc de Broglie sont, une fois encore, face à face. Le duc de Broglie ouvre la journée par un de ces coups de surprise dont il est coutumier. Il monte à la tribune et lit un nouveau message du maréchal. Cette feinte hardie lui permet de jeter par-dessus bord ce qui est déjà perdu. Le maréchal ne demande plus le décennat, mais le septennat. Sur la question constitutionnelle, il admet que les conditions d'exercice des pouvoirs publics soient discutées prochainement. S'il insiste encore pour le vote immédiat de la prorogation, c'est qu'il trouvera, dans cette décision, une haute marque de confiance de la part de l'Assemblée : Renvoyer aux lois constitutionnelles soit le point de départ de la prorogation, soit les effets définitifs du vote de l'Assemblée, ce serait dire à l'avance que, dans quelques jours, on remettra en question ce qui sera décidé aujourd'hui. La manœuvre était habile. Le nom du maréchal ralliait tout le monde : on pouvait donc faire passer pour une victoire ce qui, en réalité, était une défaite. A partir de ce moment, le sort de la journée est assuré. C'est ce qui explique l'émotion de la gauche. M. Laboulaye dit que la commission désire demander au gouvernement des explications qui faciliteraient la conciliation recherchée de tous. La discussion est-renvoyée au lendemain mardi. A l'ouverture de la séance, le 18, M. Laboulaye annonce que la majorité de la commission, après avoir pesé les ternies du message et entendu les déclarations des ministres, maintient résolument ses conclusions. Le rapporteur indique incidemment que la commission attache peu d'importance à la durée des pouvoirs. Le débat est donc nettement circonscrit : la prorogation des pouvoirs du maréchal aura-t-elle le caractère constitutionnel ou résultera-t-elle d'une simple loi ? Sera-t-elle irrévocable ou susceptible de modification ? Dans le premier cas, c'est la fin prochaine du provisoire, c'est la République tout de suite ; dans le second cas, c'est, si l'on peut dire, une sorte de permanence du provisoire et la monarchie encore possible, — plus tard. M. Bertauld, député du centre gauche, s'en explique avec beaucoup de rondeur : La présidence septennale, telle que vous nous la proposez, dit-il à la droite, n'est pas une institution : c'est la préface de la monarchie. Il y a, ajoute-t-il, une existence qui gène ; il y a un droit historique intraitable, qu'on n'a pu ni amollir ni assouplir, et ce droit-là cette existence, d'abord on lui donnait dix ans, et aujourd'hui on lui accorde sept ans pour s'éteindre. Ces mots soulevant des protestations à droite et au centre droit, M. Bertauld insiste : Je m'adresse à la loyauté, à la bonne foi de toute la droite : est-on fermement résolu à ne pas songer au rétablissement de la monarchie pendant sept ans ? Et M. Dahirel de répondre ingénument : — Non ! M. Bertauld triomphe et dit : Si on n'a pas la pensée de maintenir la présidence septennale au profit du glorieux maréchal de Mac Mahon, si on n'a pas cette ferme volonté, on trompe le pays. La volonté y serait-elle, le droit n'y serait pas. Et sa conclusion est qu'il n'y a qu'un moyen de rester loyal et de demeurer fidèle aux principes, c'est de revenir à la proposition Dufaure, c'est-à-dire organiser l'ensemble des pouvoirs publics. Après une réplique du marquis de Castellane, M. Jules Simon est à la tribune. M. Jules Simon, c'est M. Thiers ; M. Jules Simon, c'est la vengeance du 24 mai. L'habile orateur n'a jamais été plus souple, plus insinuant, plus redoutable. Il commence d'une voix basse, éteinte, sans souille. On dirait qu'il vient là pour se confesser et rendre l'âme ; mais ce sont ses adversaires qu'il confesse, et c'est leur âme qu'il veut. La voix s'élève ; on entend gronder l'invective, les récriminations, les rancunes. Le discours, à travers les méandres d'une dialectique captieuse, sait où il va. M. Jules Simon a choisi deux têtes de Turc, le maréchal de Mac Mahon et M. Chesnelong. C'est vers ces figures sympathiques qu'il s'achemine, c'est sur elles qu'il abat soudain de terribles coups de maillet, à peine amortis par l'ouate de la rhétorique sorbonnienne. Premier parallèle : entre le maréchal de Mac Mahon et M. Thiers. Celui-ci parlait en personne à l'Assemblée, et, par la loi des Trente, la majorité, la majorité du 24 mai, n'a fait que proscrire son incomparable talent de parole. Maintenant, nous avons un président qui écrit : Le président qui nous a envoyé un message samedi, qui nous en a envoyé un autre lundi, pourrait nous en envoyer un aujourd'hui, demain, et pendant tout le cours de la discussion ; M. le vice-président du conseil pourrait venir nous lire une petite lettre et le président dialoguerait ainsi avec l'Assemblée. Vous auriez ainsi un collègue d'une certaine autorité, sur lequel vous n'auriez pas compté... Quand vous ferez les lois constitutionnelles, vous entendrez très souvent le président ; il vous fera connaître ce qu'il exige...Voilà le gouvernement personnel que vous inaugurez ! Autre parallèle : entre le maréchal de Mac Mahon et Napoléon Ier : La durée, dit M. Jules Simon, n'est pas une force. Ce n'est pas la première fois qu'un homme a demandé, pour lui-même, dix ans de pouvoir, sans dire lequel : c'est la seconde. La première fois, c'était le 18 brumaire. Cependant, ce jour-là on a créé une force : ce ne sont pas les dix ans qui sont une force, c'était l'homme. Cet homme, il sortait aussi — j'emprunte une expression au rapport de M. Laboulaye — de notre glorieuse armée : je n'emprunte pas un autre passage du rapport, celui où il est dit : il avait eu sa part de nos succès et de nos revers. Non, il n'avait eu sa part d'aucun revers, et les succès qu'on lui devait étaient tels que, pour en trouver d'analogues, il fallait remonter jusqu'à Turenne. Voilà ce que vous aviez, le 18 brumaire, et voilà pourquoi il y avait là une force. Et ce n'est pas seulement à cause de cela, c'est aussi que, par un hasard inattendu et presque invraisemblable, le même homme, qui était un grand capitaine, était aussi un grand organisateur, un grand politique. Messieurs, si vous aviez réussi à faire la monarchie légitime à trois ou quatre voix de majorité, le roi n'aurait pas été aussi faible que ces trois ou quatre voix auraient pu le faire croire, car il aurait été le roi, il serait venu avec la tradition. et avec l'histoire. Si vous arriviez à présent à faire ce que je crois que vous voulez, c'est-à-dire à faire, au lieu du roi légitime, le roi constitutionnel, Louis-Philippe II n'arriverait pas non plus en disant seulement : Je vais régner par quatre ou cinq voix. Non ! Il dirait : Je suis la charte qui a péri en février. Et vous auriez immédiatement quelque chose à lui donner à côté de vos voix. Mais je reviens à M. le général Changarnier et à sa proposition, et je suppose que vous ayez encore quatre, cinq, dix voix pour la faire passer. Celui qui sortira de ce vote ne sera pas l'homme du 18 brumaire, il n'aura pas les victoires du premier-Bonaparte ; il n'aura pas le passé des Bourbons ; il n'aura pas la constitution ! Il dira au pays : Je suis un souverain institué pour sept ans, par une majorité de dix voix. Il sera cela et ne sera pas autre chose... Il a tout juste la force que les quelques voix que vous lui donnerez pourront lui apporter ; il a celle-là ; mais, excepté celle-là il n'a rien ! Ce rien était terrible. Par sa violence même, il nuisit à M. Jules Simon plus qu'il ne servit la cause qu'il défendait. A M. Chesnelong, maintenant. M. Jules Simon s'était chargé de dire ce que ses amis et lui pensaient de l'échec de la fusion. L'orateur avait trop beau jeu. Il fait un tableau animé des semaines qui ont précédé la lettre du 27 octobre. Il montre la France réduite à écouter, la porte d'un cabinet ou d'un salon, la discussion sur son avenir... On a dit un jour : on est d'accord ! et on ne disait même pas sur quoi... On a voulu alors anticiper sur le retour de l'Assemblée. On serait alors venu dire sur quoi l'accord était fait ; on eût dit, par exemple, que le prince concède au pays que le pays gardera son drapeau. Et, le lendemain, la France aurait appris que son ambassadeur s'était trompé et que la France avait été trompée ! M. Chesnelong demande la parole. Mais l'orateur continue : En voyant cela, nous pensions que vous cherchiez à concilier les personnes et non pas les doctrines : à ce moment-là il était bien difficile à un observateur attentif de dire où finissait le légitimiste et où commençait l'orléaniste... Vous en veniez donc déjà à préférer la personne à la constitution. Et c'est quand vous avez échoué de la façon éclatante dont tout le monde se souvient, c'est alors que, persévérant dans ce dédain pour les doctrines politiques et dans cette persuasion qu'il fallait jeter, coûte que coûte, la France dans les bras d'un homme, vous êtes venu nous dire de donner à quelqu'un le pouvoir. Telle est l'origine du projet de prorogation. A la suite de vos efforts infructueux tentés pour fonder la monarchie, il est constaté, par le chef de l'État lui-même, dans son message de samedi, que vous êtes incapables de l'aire du définitif... Vous ne voulez pas consacrer la République ; vous ne pouvez pas faire la monarchie. C'est pourquoi je dis que, quand même le président de la République n'aurait pas déclaré votre impuissance, vous la déclariez vous-même il y a un mois par votre échec, et que vous la déclarez aujourd'hui par votre refus... Alors, si vous ne constituez pas, je vous demande ce que vous faites ?... Si vous ne faites pas une de ces cieux choses, voter la monarchie ou voter la République, je déclare que vous êtes ici uniquement pour faire en sept ans ce que vous n'avez pas pu faire en trois mois... M. Jules Simon a surexcité toutes les passions. La gauche l'appuie ; la droite le déteste. M. Chesnelong veut s'expliquer ; il monte à la tribune et lit un document qu'il tenait prêt à tout événement : Je n'ai trompé personne et personne n'a trompé le pays, dit-il. Il proteste de sa droiture : Nous étions d'honnêtes gens poursuivant honnêtement une honnête entreprise. Cette parole est couverte d'applaudissements par la droite entière. Chacun rend hommage à la sincérité du négociateur de Salzbourg. Le duc Decazes lui-même, qui, en diplomate avisé, avait d'abord conseillé le silence, est des premiers il applaudir. Seul, en enfant terrible, M. G. de Belcastel fait une réserve : — Votre déclaration a été très noble et très émouvante, dit-il à M. Chesnelong. Elle a produit une impression -très profonde. Je l'ai beaucoup applaudie et je vous en félicite de tout cœur. Une seule chose y manque, vous auriez chi dire qu'au fond il y a identité entre les déclarations que le prince vous avait autorisé à faire et la lettre qu'il vous a écrite le 27 octobre. C'est une lacune ; vous devriez remonter à la tribune pour la réparer[31]. L'invite de M. de Belcastel était plus cruelle que les coups de boutoir de M. Jules Simon. M. Chesnelong se tut. Sur une réponse de M. Ernoul, garde des sceaux. la clôture de la discussion générale est prononcée. Le débat est ajourné au lendemain 19, pour l'examen des amendements et des contre-projets. Au début de la séance du 19, M. Rouher défend le principe de l'appel au peuple. La situation des bonapartistes s'améliore. Dans l'effondrement des partis monarchistes, on tourne les veux vers lui. L'anarchie a toujours fait le chemin du césarisme, et il y a une sorte d'anarchie dans les esprits. L'ancien premier ministre de l'empereur a repris toute son assurance. Il parle avec cette force un peu lourde qui caractérise son talent, et aussi avec la franchise brutale d'un homme qui n'a rien à ménager. Il porte ses coups sur le système représentatif : Constituer sans le peuple, dit-il, c'est empiéter sur le droit du peuple. Une Assemblée qui s'empare de ce droit fait acte d'usurpation. Ou le plébiscite, ou la dissolution. On ne peut nier la portée d'une argumentation qui s'exerce même aux dépens de la cause impériale, quand l'orateur s'écrie : Vous n'avez, depuis quarante ans, que des gouvernements entachés d'un vice originel. Ce serait un grand enseignement de moralité politique, dans ce pays si troublé par la Révolution, que de constituer un gouvernement pur, à son origine, de toute agitation, qu'elle s'appelle une révolution ou qu'elle s'appelle un coup d'État... Il faut aussi reconnaître la clairvoyance de M. Rouher lorsqu'il peint d'avance les conséquences du vote établissant le septennat et lorsqu'il montre la droite monarchiste s'acheminant peu à peu vers la République : La disposition qu'on soumet au vote de l'Assemblée, dit-il, n'est ni législative ni constitutionnelle. Ce n'est même pas la dictature. Vous dites que c'est le premier article d'une constitution à naître... Je crois que les lois constitutionnelles seront produites. Mais, je vous en demande pardon et je le dis en tremblant, je ne crois pas que vous les votiez. Vous délibérerez sur elles, vous discuterez, vous examinerez, et, au moment où vous arriverez au scrutin, la majorité s'arrêtera, car ce jour-là elle voterait la République dont elle ne veut pas. Il n'y a pas de doute sur ce point. M. Laboulaye vous l'a dit : les lois constitutionnelles, c'est le vote de la République. Ce n'est pas sa proclamation solennelle, comme on l'a fait se produire dans une série d'amendements qui ont passé sous vos yeux, mais c'est la République constituée, organisée. Il y aura le lendemain un président de la République, des Chambres républicaines ; elles seront l'une haute, l'autre basse ; elles auront des origines diverses... La République sera... C'est ainsi que la proposition de l'honorable général Changarnier, passant de circuit en circuit à travers les laminoirs du parlementarisme, arrivera à être complètement dénaturée, détruite, et que les monarchistes auront été les fondateurs de la République. La franchise de M. Rouher a dévoilé le fond des situations et, peut-être, le fond des cœurs. Mais c'est à son tour d'entendre une parole sincère. Il demande à l'Assemblée de prolonger, deux ou-trois ans seulement, le provisoire d'organisation tel qu'il subsiste sans rien y changer ; alors, ajoute-t-il, vous pourrez dire à cette Assemblée qu'elle a accompli son œuvre... M. Depeyre d'interrompre : — 18 et 3 font 21 ! s'écrie-t-il. Cette allusion à la majorité du prince impérial est immédiatement comprise. M. Rouher se défend d'avoir eu cette pensée, tandis que M. de Valon réplique, il l'adresse des monarchistes : — En tout cas, mieux vaut attendre une majorité qu'une mort. En ces deux phrases rapides comme l'éclair de cieux épées, les deux partis heurtent leurs impuissances et leurs haines respectives. Tous les deux sont dans l'attente : le parti royaliste, jusqu'à la mort du comte de Chambord ; le parti bonapartiste, jusqu'à la majorité du prince impérial. M. Naquet défend la thèse de l'appel au peuple. Réplique de M. Laboulaye, réponse de M. Raoul Duval. On passe au vote sur la proposition d'appel au peuple. Par 492 voix contre 88, le projet de MM. Eschasseriaux et Rouher est repoussé. Le chiffre de 88 voix étonne. Il englobe, outre les membres du groupe de l'appel au peuple, un certain nombre de députés du centre gauche et de la gauche. Il y avait là une indication pour l'avenir. M. Depeyre soutient le contre-projet présenté par la minorité de la commission, qui n'est autre que le projet Changarnier amendé et qui est devenu ainsi le projet du gouvernement. Le discours de M. Depeyre est accueilli avec faveur par la droite. M. Laboulaye lui répond. Il met le doigt sur la faiblesse du système imaginé par les royalistes en désarroi : Vous nous donnez, dit-il, un pouvoir qui n'a de nom dans aucune langue... Ce sera un pouvoir d'intérim, un pouvoir provisoire. Et c'est au nom de la sécurité publique qu'on nous demande de donner au pays sept ans d'incertitude ! Ainsi, les pouvoirs du maréchal, provisoires ; les lois constitutionnelles, provisoires ; le gouvernement, provisoire. Eh ! Messieurs, faites donc une nation provisoire ! C'est sur une négation qu'on se réunit. Nous disions, nous, dans notre bonne foi : Le maréchal et la République ! On nous répond : Le maréchal sans la République ! Eh bien, vous ne pouvez pas douter de notre réponse : quel que soit notre respect pour un noble caractère, jamais nous ne mettrons un homme au-dessus des lois et du pays. On attend avec impatience les paroles du gouvernement. Il est six heures et demie. Le duc de Broglie demande une séance de nuit. Ainsi décidé. On se retrouve à neuf heures un quart. De part et d'autre, ce sera l'effort suprême. Le duc de Broglie tire tous ses avantages de l'ampleur même de la discussion. il passe rapidement sur les critiques, et, en bon tacticien, sûr de sa majorité, il ne discute plus, il affirme. Il ne nie pas l'échec de la tentative de restauration ; mais ce n'est pas l'affaire du cabinet qui a été fidèle à ses devoirs de neutralité, tandis que chacun de ses membres était fidèle à ses convictions héréditaires et à la foi de sa vie entière. Maintenant, ce qui est en cause, c'est le salut public : Il faut, toute affaire cessante, même aux dépens de quelques théories et de quelques principes, penser au salut du pays devant le danger imminent... La proclamation d'une forme quelconque de gouvernement serait vaine dans un pays qui a vu passer tant de constitutions et de gouvernements qu'un de plus ou de moins le touche à peine. On fait au septennat le reproche d'être un régime transitoire : d'accord. L'Assemblée jugera dans sa sagesse si l'état des esprits permet un gouvernement définitif. C'est un gouvernement personnel : parfaitement. Et quelle personne mérite mieux une telle confiance que le maréchal de Mac Talion ? Est-il de ceux contre lesquels il soit nécessaire de prendre des gages ? Que craint-on d'un tel homme ? Et, alors, cette réponse foudroyante à M. Jules Simon, et, par-dessus la tête de celui-ci, à M. Thiers : M. le président de la République a promis directement à la commission, et publiquement par son message, de concourir, autant qu'il est en son pouvoir, aux lois constitutionnelles. L'Assemblée mettrait-elle sa parole en doute ? Ce serait donc la première Assemblée en France, je pourrais même dire la première personne en France qui concevrait un pareil soupçon. Vous savez quelle est l'épithète qui ne se sépare pas de son nom ; vous savez quel est le prestige qui l'environne, malgré l'assombrissement de son auréole de gloire militaire au milieu de nos malheurs ; vous savez qu'il est le loyal soldat par excellence ; vous savez que, même dans le rang où vous l'élevez, le premier de ses titres est la grandeur morale, et je plaindrais ceux qui n'estimeraient pas la France heureuse de posséder une telle grandeur et qu'elle s'honore elle-même en y rendant hommage. Cet éloge du maréchal, en réplique directe à M. Jules
Simon, soulève l'enthousiasme de la droite. Puis, le duc de Broglie rappelle
que le maréchal a posé la question de confiance sur le vote de l'article 3,
apportant des conditions suspensives à la
prorogation, et termine par un pressant appel à la majorité de l'Assemblée : Défenseurs de l'ordre social, n'abandonnez pas votre chef
ne diminuez pas ses forces quand vous accroissez son fardeau ; ne détruisez
pas votre ouvrage avant de l'avoir commencé ! La droite répond par un cri de joie. Le gouvernement a, dès lors, bataille gagnée. Loin d'être entamée, la majorité se rallie, plus nombreuse que jamais, à la parole du chef qui, après avoir remué ses inquiétudes, lui a rendu soudain la confiance et l'élan de la victoire. Quand il maniait ainsi sa majorité, le duc de Broglie ignorait, paraît-il, que le comte de Chambord fût à Versailles. Il a dit lui-même que si, pendant le discours qui avait décidé du débat, il avait soupçonné quel auditeur, invisible et présent, se tenait suspendu à sa parole, il en aurait été troublé et peut-être n'aurait pas dirigé sa parole comme il l'avait fallu à travers les écueils[32]. La brillante intervention du duc de Broglie répliquant M. Jules Simon sentait la poudre. La gauche attend une parole plus sereine et qui, au moment où le débat s'achève, prononce la sentence : M. Grévy doit parler. M. Jules Grévy était, six mois auparavant, président de l'Assemblée. Il a conservé sur elle l'autorité. Son bon sens froid, son langage plein et ferme, son ton impérieux, un je ne sais quoi de bourgeois et d'austère, donnent à sa physionomie un caractère, même auprès de M. Thiers et des illustres orateurs de la gauche. Comme orateur, il est célèbre, surtout par son mutisme voulu ; comme parlementaire, il est célèbre, surtout par la proposition qui, en 1848, tendait à supprimer la présidence de la République. C'est un très fin Comtois, avec les allures de pasteur méthodiste. Sa voix blanche ne s'échauffe pas ; son visage pâle ne se déride pas : Sa pensée sort frappée en formules, adages et sentences. C'est l'oracle du fas et du nefas, à entendre sa parole en quelque sorte lapidaire, on croirait ouïr la loi des XII Tables[33]. M. J. Grévy n'aime pas qu'on organise, à l'heure où l'on est, des pouvoirs de trop longue durée. Puisque M. Thiers ne peut, décemment, s'élever contre la prorogation des pouvoirs du maréchal, M. Grévy sent que ce rôle lui incombe et que cette tâche lui est dévolue. Depuis quelque temps, il agit, ce qui, pour un homme si posé, ressemble à de l'agitation. Déjà au jour de la discussion sur l'urgence, il a quitté son banc et sa parole a produit un grand effet ; récemment il a publié une brochure sur le Gouvernement nécessaire, qui a été lue et vantée, parce que courte et péremptoire. Il vient, maintenant, répondre au duc de Broglie. Sa harangue fut célèbre en son temps. L'Assemblée était sous sa férule. Le discours parait, aujourd'hui, un peu abstrait et froid. Les auditeurs d'alors goûtaient cette éloquence, dernier écho de celle de Royer-Collard. Le genre admis, il faut admirer la netteté et la puissance du raisonnement, la tenue nerveuse et décharnée du style, la force pressante de l'argumentation ; pas une fleur, pas un ornement : l'éloquence ainsi maniée est une arme. Dénonçant ce qu'il y a d'incohérent et d'illégal dans l'expédient du septennat, il n'hésite pas à prévoir et à annoncer les conflits de l'avenir. Sa péroraison est en quelque sorte prophétique : Je suis convaincu que vous ne faites pas une bonne chose et que votre résolution n'aura pas les suites que beaucoup d'esprits en attendent. Cette institution, telle que vous la créez, peut se trouver un jour en face de pouvoirs nouveaux qui n'en reconnaîtront pas la légitimité et, par lit, constituer un grand danger ; elle peut amener des conflits : c'est le seul résultat qu'elle puisse produire... et les conflits amènent les révolutions. Ainsi, messieurs, votre proposition, c'est la prolongation du provisoire, avec ses dangers, ses souffrances, et, à l'horizon, le conflit, la révolution. M. Jules Simon avait vengé le 24 mai. M. Jules Grévy venait de prédire le 16 mai. Le compte rendu officiel constate que la séance fut suspendue de fait après cette magistrale harangue. M. Thiers ne cacha pas son admiration : C'est le plus beau et le plus fort discours, dit-il, que j'aie entendu depuis quarante ans que je suis dans les Assemblées[34]. M. Grévy avait toujours de l'autorité quand il traitait de la présidence de la République. Il n'y avait plus qu'il voter. Il était onze heures du soir. Le scrutin est ouvert sur le contre-projet présenté par la minorité de la commission. A onze heures quarante, le résultat du vote est vérifié et proclamé au milieu du silence. Par 383 voix contre 317, c'est-à-dire à 66 voix de majorité, l'Assemblée nationale adopte l'article premier du contre-projet. M. Waddington, du centre gauche, reprend, à titre d'amendement, l'article 3 du projet de la commission, spécifiant que la prorogation n'aura le caractère constitutionnel qu'après le vote des lois organiques. C'est le point précis où la bataille s'est livrée. Mais la majorité a son siège fait. Le gouvernement l'emporte sur toute la ligne. L'amendement Waddington est rejeté par 386 voix contre 321, à la même majorité de 65 voix. M. Léon Say demande que la commission chargée de l'étude des lois constitutionnelles, prévue dans le texte du contre-projet, soit élue dans les bureaux, tandis que le contre-projet Bocher-Depeyre propose l'élection au scrutin de liste en séance publique. Ce dernier mode de nomination est voté par 369 voix contre 324. Enfin, l'ensemble de la loi est adopté par 378 voix contre 310 : 68 voix de majorité. Il était deux heures du matin. Les pouvoirs du président de la République sont prorogés de sept ans, c'est-à-dire jusqu'au 20 novembre 1880. En attendant le vote des lois constitutionnelles, qui détermineront définitivement la nature et l'étendue des pouvoirs du président, il les exercera conformément aux lois des 1S février, 28 avril, 17 juin et 31 août 1871 et du 13 mars 1873. A raison du rejet de l'amendement Waddington, la loi du 20 novembre avait nettement le caractère constitutionnel, c'est-à-dire que les conditions d'exercice du pouvoir exécutif pouvaient être modifiées, mais qu'il était irrévocable quant à sa durée[35]. IV Pour le gouvernement, pour les membres du centre droit, pour les orléanistes, pour tous ceux qui avaient intérêt à gagner du temps, c'était un grand succès. Les républicains eux-mêmes pouvaient être satisfaits. Ils avaient beaucoup demandé, et on leur avait beaucoup accordé : le nom du régime, la possession d'État, la promesse d'une prochaine constitution. La présence du maréchal à la présidence était, pour eux, une garantie et, sans connaître le service singulier qu'il venait de rendre à leur cause, ils savaient bien qu'il n'était pas l'homme des aventures. Cependant ils n'avaient pas voté le contre-projet, dont ils étaient les bénéficiaires immédiats, et ainsi, malgré tout, ils étaient libres. Mais l'extrême droite, quel avait été son rôle, quelle était sa situation, tandis que, si près d'elle, le comte de Chambord, le roi, attendait la fin de ces débats, où les représentants de la nation avaient passé en revue tous les systèmes, toutes les solutions, — sauf la solution monarchique ? L'extrême droite s'était tue, et elle avait voté. Elle avait voté, la mort dans l'âme, sachant que le roi était là Elle ne demandait qu'une consigne, un mot, l'autorisation d'approcher du souverain et de solliciter de lui un ordre. Le mot n'avait pas été dit : Dans l'étroit entresol, personne n'avait été admis... Et pourtant on savait que le prince était l'a. Le 12 novembre, Cazenove, le glorieux mutilé de Loigny qui, si longtemps, avait vécu à Frohsdorf, remontait, avec quelques députés, l'avenue des Réservoirs, lorsque nous le vîmes s'arrêter tout à coup. — Mais... mais..., dit-il d'une voix étranglée, le roi est ici !... — Le roi ! firent ses collègues. Et lui de reprendre, haletant,
éperdu : — J'en suis sûr. J'ai reconnu Charlemagne, là dans cette voiture qui vient de passer... Nous nous regardions, ahuris... Devenait-il fou ? — Oui, Charlemagne, le valet de chambre de Monseigneur, l'homme de confiance qui ne le quitte jamais... Si Charlemagne est ici, c'est que le roi y est aussi. La nouvelle vola de bouche en bouche parmi les fidèles : le roi est à Versailles ! Tous, nous savions le roi à Versailles, et personne ne l'avait vu. Que voulait-il de nous ? J'ai même gardé un très précis souvenir de la rencontre que quelques députés avaient faite le matin, de M. de Blacas, dans un salon ami. Nous le conjurions de nous dire où était le roi. Et lui de répondre vaguement, que le roi pouvait être en vingt-quatre heures à Versailles. Nous le suppliions de nous donner au moins des indications. Et Blacas de répondre, toujours plus vaguement, qu'il n'en avait pas... Que faire ? Je vois encore La Rochelle, Carayon, Lucien Brun, Cazenove laisser tomber finalement leurs bulletins dans l'urne[36]. Parmi les chevau-légers, un seul, M. Dahirel, qui cependant avait signé la proposition Changarnier, vota contre le septennat. Sept députés s'abstinrent : MM. d'Aboville, Dezanneau, de Belcastel, de Cornulier-Lucinière, de Franclieu, général du Temple, de Fréville. Ils expliquèrent leur attitude dans une note remise aux journaux à l'issue de la séance. Ils comptaient la lire avant le vote, mais le discours du duc de Broglie les en empêcha. Voici cette déclaration : Convaincus que la monarchie nationale et chrétienne est le seul salut du pays et que vous pourriez la faire si vous le vouliez, nous ne pouvons pas nous résoudre à dire à la France, par le vote du projet de loi que vous lui offrez, qu'il est un instrument nécessaire et efficace du salut social. Que ceux qui le pensent le disent et votent en conséquence, c'est leur droit, leur devoir. Nous le respectons. Nous avons sondé le fond de notre conscience : pour nous, cet acte ne serait pas sincère. Or, au dessous du roi, mais comme lui, nous n'avons jamais trompé le pays et ne le tromperons jamais. Nous nous abstenons[37]. Les autres royalistes, sans direction, sans ligne de conduite, ébranlés par l'habile argumentation du duc de Broglie, votèrent le septennat. Ils étaient persuadés qu'ainsi ils réservaient l'avenir, même pour le comte de Chambord. M. de La Rochette, dans une lettre datée du 20 novembre 1873 et publiée par l'Espérance du peuple, de Nantes, explique l'état d'esprit des membres du groupe de l'extrême droite, dont il était le président : Rien des obscurités ont été répandues sur ce vote, dit-il. Les uns ont cru voir les royalistes jetant le roi à la mer pendant sept ans, et les ont vivement blâmés. Les autres, plus confiants et, permettez-moi de le dire, plus patients et politiques, n'ont pu croire que des hommes qui ont passé leur vie entière dans la fidélité et dans l'honneur, aient été capables d'une aussi triste défaillance. Et ils ont raison... C'est une erreur de nos amis de croire que nous ne pourrons plus parler du roi et faire la monarchie pendant sept ans. Jusqu'aux lois constitutionnelles, la situation ne change pas et le maréchal gouverne dans les mêmes conditions que par le passé : Nous en avons pour garants les paroles publiques de M. le vice-président du conseil, de M. le garde des sceaux, la loyauté du maréchal et le texte même de la loi... J'engage donc nos amis à se rassurer. C'est un retard indépendant de notre volonté ; mais ce n'est pas un abandon, et notre foi et nos espérances dans un prochain avenir n'ont pas faibli[38]. Dans une circulaire aux comités royalistes, à la date du 22 novembre 1873, M. de Dreux-Brézé exprime la même opinion : La majorité de la Chambre a voulu, dit la circulaire, par la création d'un pouvoir plus solidement établi, opposer une digue au torrent révolutionnaire, dont la puissance se traduit, depuis quelques mois, par le résultat des élections partielles. Aux yeux de tous les partis, ce temps d'arrêt n'est pas une solution définitive. Nous avons, de plus, pour garants de cette situation intérimaire, la loyauté et le désintéressement du maréchal de Mahon, qui s'est offert, mais n'a pas voulu et ne consentira jamais à s'imposer. La circulaire prescrivait aux royalistes un double devoir : Ne point combattre, soutenir au besoin le gouvernement du maréchal de Mac Mahon. Ne point donner au vote de l'Assemblée la signification d'une décision définitive et multiplier les pétitions en faveur de la monarchie[39]. Les pétitions en faveur de la monarchie ! On en était là ! La cause monarchique, secouée et ballottée dans un remous suprême, disputée entre deux partis rivaux qui, ni l'un ni l'autre, n'avaient voulu céder, était submergée, et, quoi qu'en eût dit le duc d'Audiffret-Pasquier, ce n'était pas le vaisseau le Mac Mahon qui devait la renflouer. Le comte de Chambord avait attendu avec anxiété le vote de l'Assemblée chez M. de Vanssay, à trois cents pas du palais. M. de Dreux-Brézé le tenait au courant des débats. Retour en exil. Le vote nocturne ruinait ses dernières espérances. Dans la matinée du 20 novembre, il appela auprès de lui MM. Lucien Brun, de Carayon, de Cazenove de Pradine, et peut-être aussi M. de La Rochette. Je tiens de mon ami, M. Lucien Brun, dit M. Chesnelong, que Monseigneur ne leur parla pas de leur vote de la nuit ; il n'avait voulu, en les appelant avant de quitter Versailles, que leur donner un nouveau témoignage de son affectueuse sympathie[40]. Le prince n'avait plus qu'à quitter Versailles, puisque dans le palais de Louis XIV, le parlement régnait. Il vint à Paris : il parcourut la ville ; il vit l'arc de triomphe de l'Étoile et fut ému de la puissante ordonnance du monument ; il alla à Notre-Dame ; dans l'église Saint-Laurent, il fut dévisagé par une femme du peuple qui, son panier sous le bras, lui aurait dit : — Vous, je vous reconnais ; prenez garde ! Il se fit conduire aux Invalides, où avaient lieu les obsèques de l'amiral Tréhouart. Dissimulé au fond d'une voiture, il assista au défilé des troupes qui rendaient les honneurs[41]. Cette cérémonie funèbre fut son suprême contact avec l'armée, avec Paris, avec la France. Il partit. Il regagna l'exil qu'il ne devait plus quitter. Le fils des rois, enfermé dans la conception qu'il s'était faite de son droit, de son principe, de son devoir, inhabile à saisir la couronne, incapable d'y renoncer[42], n'avait pas pu et, ni pour lui ni pour ses héritiers, n'avait pas voulu régner. |
[1] Général ZURLINDEN, Souvenirs (p. 141).
[2] Vicomte DE MEAUX (p. 213).
[3] Document inédit.
[4] Voir, sur ce point, les
renseignements contradictoires fournis : 1° par M. MERVEILLEUX DU VIGNAUX (p. 115) et par le vicomte DE MEAUX (p. 215), qui disent que le
projet d'une régence fut adopté ; 2° par M. CHESNELONG (p. 412) et par le duc de La
Rochefoucauld (Marquis DE DREUX-BRÉZÉ, p. 331), qui affirment
qu'aucune décision ne fut prise.
[5] Vicomte DE MEAUX (p. 215).
[6] Quelques jours après, d'ordre
du comte de Chambord, le marquis de Dreux-Brézé portait les remerciements du
prince au comte de Paris et au prince de Joinville, pour leur révolution, leur attitude et leur langage en cette
circonstance. — DREUX-BRÉZÉ (p. 130).
[7] Ch. CHESNELONG (p. 421).
[8] MERVEILLEUX DU VIGNAUX (p. 118).
[9] DAUDET (p. 258).
[10] Marquis DE DAMPIERRE (p. 292).
[11] Baron DE VINOLS (p. 152).
[12] Journal (p. 279).
[13] Marquis DE DREUX-BRÉZÉ (p. 149).
[14] CHESNELONG (p. 470).
[15] Souvenirs inédits de M.
de Vanssay recueillis par le marquis COSTA DE BEAUREGARD. — M. le marquis COSTA DE BEAUREGARD a bien voulu me communiquer
les souvenirs qu'il a recueillis de la bouche de M. le comte de Vanssay. Je ne
puis assez remercier mon éminent confrère de sa parfaite obligeance. Le lecteur
appréciera la valeur de ce précieux document.
[16] CHESNELONG, La Campagne monarchique
(p. 467).
[17] Marquis DE DREUX-BRÉZÉ (p. 156).
[18] Mes Souvenirs (t. III,
p. 436).
[19] Mes Souvenirs (t. III,
p. 437).
[20] Voir le Gaulois du 13
novembre 1903.
[21] Je dois cet important morceau
des Mémoires inédits du maréchal à une obligeante communication de M. le
commandant DE MAC MAHON, duc de Magenta, qui voudra
bien trouver ici l'expression de tous mes remerciements.
[22] Dans ses Mémoires, Mme DE
LA FERRONNAYS relate ainsi l'entretien de M.
de Blacas avec le maréchal : A la nuit, M. de Blacas
se présenta chez le maréchal et lui dit : — Je vous apporte des nouvelles de
Monseigneur. — Oui, je le sais, il est à Bruges. — Non, Monsieur
le maréchal ; il est rue Saint-Louis, à Versailles. — Je réponds de sa
sûreté ; il y sera veillé. — Ce n'est pas pour le protéger contre tout
danger que je viens vous entretenir. — Que veut-il donc ? — Que vous
montiez à cheval à ses côtés et que vous le fassiez proclamer au camp de
Satory. Il vous attend rue Saint-Louis. — Il m'est impossible d'aller le
trouver, ce serait me compromettre. — La nuit est close ; j'ai seul la
clef pour vous ouvrir les portes ; vous ne serez vu de personne. Mais rien
ne put vaincre la résistance du maréchal. (p. 266.)
[23] Notes et Souvenirs (p.
156).
[24] Marquis DE DREUX-BRÉZÉ (p. 156).
[25] Marquis DE DREUX-BRÉZÉ (p. 153).
[26] CHESNELONG (p. 470.)
[27] Marquis DE DREUX-BRÉZÉ (p. 151).
[28] Portraits de KEL-KUN (Edmond TEXIER) (p. 82).
[29] Journal (p. 277).
[30] Document privé inédit.
[31] CHESNELONG (p. 493).
[32] Vicomte DE MEAUX (p. 217).
[33] Camille PELLETAN, Le Théâtre de Versailles
(p. 72).
[34] Lucien DELABROUSSE, Discours de Jules Grévy
(t. II, p. 375).
[35] ESMEIN, Eléments de droit
constitutionnel (p. 449).
[36] Article de M. COSTA DE BEAUREGARD, Gaulois du 13 novembre
1903.
[37] A. DE SAINT-ALBIN (p. 417).
[38] Marquis DE DAMPIERRE (p. 291) et A. DE SAINT-ALBIN (p. 418).
[39] Marquis DE DREUX-BRÉZÉ (p. 297).
[40] CHESNELONG (p. 498.)
[41] SAINT-ALBIN (p. 423).
[42] Vicomte A. DE MEAUX, loc. cit. (p. 219).