HISTOIRE DE LA FRANCE CONTEMPORAINE (1871-1900)

 

II. — LA PRÉSIDENCE DU MARÉCHAL MAC MAHON

L'ÉCHEC DE LA MONARCHIE

CHAPITRE V. — LA LETTRE DU 27 OCTOBRE.

 

 

Réunions de la commission des Neuf et des bureaux des groupes. — M. Chesnelong rend compte de sa mission. — On décide de proposer la restauration. — L'opinion. — Le gouvernement et la restauration. — On prépare le retour du roi. — Incrédulité du pays. — Les gauches organisent la résistance. — L'armée. — Réunion des groupes de droite. — Le procès-verbal du centre droit. — Le centre gauche refuse son concours. — Manifeste du groupe de l'appel au peuple. — Inquiétudes au sujet du silence prolongé du comte de Chambord. — La lettre du 27 octobre. Le comte de Chambord a-t-il voulu régner ? — Dernière réunion de la commission des Neuf. — La campagne monarchique est abandonnée. — Le conseil des ministres se prononce pour la prorogation des pouvoirs du maréchal. — L'opinion et les partis.

 

I

M. Chesnelong rentre à Paris le 16 octobre, vers six heures du matin. Il avait longuement réfléchi pendant le voyage et il avait conclu en lui-même que, somme toute, il n'avait pas échoué dans sa mission par conséquent, il n'y avait qu'à poursuivre l'entreprise de restauration monarchique et à marcher malgré les difficultés.

A Paris, on attendait le retour de M. Chesnelong sans impatience et sans confiance. D'ores et déjà on préparait la ligne de retraite, c'est-à-dire la prorogation des pouvoirs du maréchal. Le comte de Paris était obligé d'intervenir en personne pour qu'on suspendît au moins les actes jusqu'à l'arrivée du mandataire de la commission des Neuf.

Il écrivait de Chantilly, le 15 octobre : Je comprends vos anxiétés et vos responsabilités ; cependant, je ne puis dire, comme vous, que si la question du drapeau était tranchée aujourd'hui, si l'on pouvait être assuré de présenter à la Chambre la monarchie tricolore et constitutionnelle avec l'appui de la droite, la partie serait perdue. Je crois, au contraire, qu'elle serait très belle et que tout le terrain qu'on a perdu serait regagné en vingt-quatre heures. Je ne puis donc croire encore à la nécessité de s'occuper uniquement d'une ligne de retraite, quoique, je tombe, aujourd'hui, d'accord avec vous sur cette ligne. J'avais rêvé une autre solution ; mais il aurait fallu, pour cela, le concours des légitimistes et on ne l'aura pas pour la monarchie abstraite avec le maréchal comme locum tenens. C'est parce que cette ligne de retraite est unique qu'il suffira de l'étudier le jour oui les circonstances obligeront il la prendre. Ce sera peut-être demain ; ce n'est pas aujourd'hui... Deux délégués[1] ont été envoyés près du comte de Chambord pour obtenir une réponse catégorique. On n'a pas encore reçu cette réponse qu'ils ne doivent apporter que demain. Il me semble qu'il faudrait l'attendre avant d'arrêter une ligne de conduite[2].

Le retour de M. Chesnelong modifia singulièrement la disposition des esprits.

La réunion de la commission des Neuf devait avoir lieu le jour même, 16 octobre, à neuf heures du soir. Dès neuf heures du matin, M. Chesnelong était chez le général Changarnier. Il fit son récit assez succinctement et insista pour que l'on poursuivît la campagne monarchique. Son zèle gagna le général. M. Chesnelong essaya de voir le chic d'Audiffret-Pasquier, qu'il ne put rencontrer. Il partit pour Versailles, où il rendit compte dans le plus grand détail à M. Ernoul de ses entretiens avec le comte de Chambord.

M. Ernoul ne parait pas s'être demandé s'il y avait ou non avantage à surseoir. Il promit d'agir auprès du gouvernement, — M. Chesnelong devant le faire auprès de la commission des Neuf, — pour que la campagne s'engageât immédiatement et pour que l'Assemblée ph, dès le premier jour de sa réunion, le 5 novembre, être saisie du projet de restauration monarchique. En ce qui concernait le maréchal et le gouvernement, M. Ernoul tenait pour certain qu'ils prêteraient leur concours très net et très franc.

A neuf heures, la réunion eut lieu chez le général Changarnier.

Nouveau récit de M. Chesnelong : sur la question constitutionnelle, acquiescement spontané du comte de Chambord, on a enfoncé une porte ouverte : sur la question du drapeau, les deux déclarations consenties verbalement par le prince : rien ne sera changé au drapeau avant que le prince ait pris possession du pouvoir ; il se réserve de présenter au pays à l'heure qu'il jugera convenable, et se fait fort d'obtenir de lui, par ses représentants, une solution compatible avec son honneur, et qu'il croit de nature à satisfaire l'Assemblée et la nation.

M. Chesnelong ne répéta pas à la commission des Neuf le mot du comte de Chambord : Jamais je n'accepterai le drapeau tricolore. C'est volontairement, dit-il, qu'il omit cet incident. Le silence sur le mot jamais, dit-il encore, était pour moi un devoir d'honneur... J'aurais manqué à la parole donnée, à une obligation élémentaire de mon mandat, j'aurais encouru un blâme et assumé une responsabilité coupable, si j'avais fait connaître cet incident de mon entretien avec le prince[3]. Peut-être. Mais en donnant cette indication, M. Chesnelong eût apporté de la lumière et il eût répondu certainement à la pensée du prince qui, avant tout, voulait éviter l'équivoque.

M. Chesnelong confia seulement le mot redoutable à la discrétion absolue de MM. de Lamy, de Tarteron et du comte Daru, se bornant à ne laisser aucune illusion aux membres de la commission sur les dispositions actuelles du prince, même en ce qu'elles avaient de défavorable à l'adoption, pour l'avenir, du drapeau tricolore[4].

M. Chesnelong ne manqua pas d'exposer et d'expliquer, en insistant un peu, la concession dernière qu'il avait obtenue du comte de Chambord, à savoir la liberté laissée aux membres du parti légitimiste de voter, le cas échéant, le maintien provisoire du drapeau tricolore, en attendant le retour et les résolutions du roi.

Il s'avisa encore — il n'a pas dit sous quelle inspiration — de faire allusion, dans cette séance si importante, à une combinaison intermédiaire repoussée pourtant avec dédain par le comte de Chambord : Je suis porté à croire, dit M. Chesnelong à la commission, que le prince présentera peut-être tel ou tel drapeau qui, sans être le drapeau blanc, ne sera pas à coup sûr le drapeau tricolore et qui, dit-on, pourra être un drapeau bleu et blanc.

Tout cela long, diffus, obscur. Telle fut bien la première impression.

Le duc d'Audiffret-Pasquier s'en expliqua, lui, très clairement, en répondant à M. Chesnelong.

 Si les assurances qu'on nous apporte, dit-il, ajournent la difficulté, elles ne la résolvent pas... Si la solution que le roi doit présenter un jour ou l'autre, au sujet du drapeau, ne satisfait pas l'Assemblée, qu'arrivera-t-il ? Comment le conflit se dénouera-t-il ? Et que n'aura-t-on pas à craindre du retour offensif des partis hostiles, si cette division éclate dès le lendemain de la restauration monarchique ? Tout cela est étroit, périlleux.

 Le duc ne cache pas ses appréhensions. Il demande à réfléchir, à prendre conseil de ses amis ; malgré l'insistance de quelques-uns, il persiste. Quel échec, dit-il, si la monarchie était rejetée par une Assemblée aussi foncièrement royaliste que l'Assemblée nationale actuelle !

 On s'ajourna au lendemain.

Les amis qu'il fallait consulter, c'étaient les princes d'Orléans. Le duc d'Audiffret-Pasquier vit le comte de Paris ; M. Ernoul également ; le général Changarnier alla chez le duc de Nemours.

De ce côté, l'impression avait été toute différente et on était d'avis qu'il fallait Marcher. Réflexion faite, la situation présentait des avantages : en somme, le drapeau tricolore était maintenu. On savait bien que le drapeau blanc ne rencontrerait ni majorité dans l'Assemblée, ni adhésion dans le pays. — Comment le conflit se dénouera-t-il ? demandait-on. — Attendons  qu'il surgisse. En somme, la procédure un peu complexe exposée par M. Chesnelong, offrait un moyen d'éviter l'obstacle. Pour l'avenir, on verrait ; M. le comte de Chambord n'avait-il pas dit à M. Merveilleux du Vignaux et à M. de Sugny que si le drapeau blanc n'était pas accepté, il reprendrait le chemin de l'exil ?

Le bruit se répandit de toutes parts que les princes entraient résolument dans le mouvement. Le duc de Broglie et le gouvernement renonçaient, pour le moment, à la ligne de retraite et s'engageaient dans la campagne.

Le lendemain, séance décisive de la commission des Neuf. J'ai réfléchi, dit le duc d'Audiffret-Pasquier, je n'hésite plus. J'ai vu quelques-uns de mes amis ; le centre droit accepte la formule de la commission ; les groupes de droite y adhèrent également ; le duc de Broglie m'a donné l'assurance que, si le gouvernement doit, nous laisser l'initiative, son concours très franc et très dévoué ne nous fera pas défaut. Faisons la monarchie dans ces conditions. La majorité ne nous manquera pas.

La commission est unanime. Le général Changarnier prie le duc d'Audiffret-Pasquier de faire connaître un projet de résolution qu'il a préparé et qui sera soumis à l'Assemblée nationale. Voici ce projet :

L'Assemblée nationale, usant du droit constituant qui lui appartient et qu'elle s'est toujours réservé,

Déclare :

ARTICLE PREMIER. — La monarchie nationale, héréditaire et constitutionnelle est le gouvernement de la France. En conséquence, Henri-Charles-Marie-Dieudonné, chef de la famille royale de France, est appelé au trône ; les princes de cette famille lui succéderont de mâle en mâle par ordre de primogéniture.

ART. 2. — L'égalité de tous les citoyens devant la loi et leur admissibilité à tous les emplois civils et militaires, les libertés civiles et religieuses, l'égale protection dont jouissent aujourd'hui les différents cultes, le vote annuel de l'impôt par les représentants de la nation, et généralement, toutes les garanties qui constituent le droit public actuel des Français, sont et demeurent maintenus.

Le gouvernement du roi présentera à l'Assemblée nationale des lois constitutionnelles ayant pour objet de régler et d'assurer l'exercice collectif de la puissance législative par le roi et les deux Chambres, l'attribution du pouvoir exécutif au roi, l'inviolabilité de la personne royale et la responsabilité des ministres qui en est inséparable, et généralement, toutes les lois nécessaires à la constitution des pouvoirs publics.

ART. 3. — Le drapeau tricolore est maintenu : il ne pourra être modifié que par l'accord du roi et de la représentation nationale.

Voyons les choses comme on dut les voir à Frohsdorf : c'était une charte délibérée chez le comte de Paris et dictée par l'Assemblée en vertu de son droit constituant, alors que son texte n'avait même pas été communiqué au chef de famille, au roi.

La disposition la plus importante, celle qui établissait la responsabilité des ministres[5] et qui instituait, ainsi, le régime parlementaire et constitutionnel, avait été, tout au moins, tenue en suspens dans cet entretien dont on tirait des conséquences si excessives et qui n'avait guère été qu'un monologue de M. Chesnelong.

Mention spéciale était faite des libertés civiles et religieuses. Ce dernier mot et la phrase qui le soulignait étaient pleins de méfiances. Ils avaient été l'objet de longs et minutieux débats. Parmi les partisans de la monarchie, les membres des minorités religieuses avaient mis il leur vote cette condition sine qua non. Ces minorités croyaient avoir tout à craindre du retour du comte de Chambord. Elles appréhendaient la restauration d'une religion d'État. Des démarches pressantes avaient été faites notamment près du grand rabbin et de personnes influentes[6].

Sur ce point, on avait apaisé les inquiétudes des plus exigeants. La rédaction de l'article 2 dépassait même leurs désirs. Mais il était plus facile de libeller ces formules il Paris que de les faire accepter par le comte de Chambord.

Quoi qu'il en soit, le texte préparé par le due d'Audiffret-Pasquier fut adopté à l'unanimité.

Il fut convenu que la commission des Neuf rendrait compte de son mandat aux bureaux des quatre groupes de droite, convoqués pour le lendemain 18 octobre et qu'elle leur proposerait de ratifier ses résolutions.

Pour sa décharge, M. Chesnelong demanda l'autorisation de rédiger un procès-verbal où seraient consignées sommairement, mais avec précision, les explications données à la commission.

On est d'accord entre soi. Et le pays ? Que va-t-on faire pour le public ? Le procès-verbal, ce procès-verbal qui fonde la monarchie, sera-t-il divulgué ?

La commission examina la question sous tous ses aspects, dit M. Chesnelong, et, après mûre réflexion, elle se détermina à ne publier ni le procès-verbal de mes explications ni le texte des déclarations du prince[7].

Pourquoi ? — M. Chesnelong dit : parce que le texte n'était pas de nature à saisir l'esprit des masses, qui répugne aux choses complexes et qui va droit aux idées simples et tranchées, et que, torturé, dénaturé, discrédité par la discussion, il arriverait plus tard devant l'Assemblée avec une autorité amoindrie.

On craint la discussion ; on craint la lumière. Obscurité partout, dans le texte et dans la procédure. Alors, quoi ? La restauration dans une chambre noire !

Pour que de telles opérations aient des chances de réussir, il ne faut pas qu'elles traînent. Or, quinze longs jours devaient s'écouler encore avant la réunion de l'Assemblée. Certains furent d'avis qu'il fallait la convoquer immédiatement. Le coup eût frappé les esprits et peut-être entraîné le succès. Les inquiets, les scrupuleux, les écouteurs de vent, les gens à arrière-pensée soutinrent qu'il valait mieux préparer l'opinion par une note émanant non pas des groupes parlementaires, mais des bureaux des groupes monarchistes.

On se contenta donc de laisser percer quelque chose du grand mystère. Les journaux royalistes parlèrent avec assurance de l'avènement prochain de la monarchie.

Cependant les organes qui recevaient le mot d'ordre du bureau du comte de Chambord gardaient le silence sur la question du drapeau. L'opinion la plus répandue était que le comte de Chambord avait accepté le drapeau tricolore, en se réservant d'y adjoindre, après son élévation au trône, l'écusson fleurdelysé de la maison de France et une flamme blanche rappelant le vieux drapeau de la monarchie.

 

Il faut en finir. Une réunion des bureaux des groupes de droite était convoquée par la commission des Neuf. Elle a lieu le 18 octobre, à une heure, rue de la Pépinière, chez M. Anisson-Duperron. En tout, 60 à 80 députés, représentant surtout les partisans de la fusion ; la plupart des députés présents à Paris s'étaient joints aux membres des bureaux des groupes. En général, l'extrême droite fait défaut.

Le général Changarnier, président, fait connaître les résolutions de la commission.

Les résultats de la mission de M. Chesnelong à Salzbourg lui ont paru suffisants, dit-il, pour que la campagne monarchique pût être engagée avec les plus brandes chances de succès. Dans la séance d'hier, la commission a préparé un projet de résolution à présenter il l'Assemblée. Si vous l'approuvez, comme je n'en doute pas, j'aurai l'honneur de le porter, en votre nom à tous, à la tribune de l'Assemblée, dès le premier jour de la rentrée.

De chaleureux applaudissements accueillirent l'allocution du président, remarque M Chesnelong. On voyait bien que la réunion n'avait ni doute ni hésitations sur le parti à prendre.

M. Chesnelong recommença le récit de ses quatre entretiens avec le comte de Chambord. Quand il en vint aux explications sur le drapeau, on l'écouta avec une attention un peu inquiète. Enfin, on passa, et la résolution d'aller en avant n'en fut pas ébranlée.

Le projet, présenté par le duc d'Audiffret-Pasquier, obtint l'approbation unanime. Le président du centre droit propose alors de faire connaître au pays le dessein, le programme et le but de la majorité. Une commission de cinq membres est nominée pour rédiger une note qui sera immédiatement communiquée aux journaux. La note est rédigée, approuvée.

Alors, le duc d'Audiffret-Pasquier, avec un accent très grave et très ému, célébra cette heure, cette union, cette décision, le prochain succès. La campagne monarchique est engagée, dit-il. Nous la poursuivrons jusqu'au triomphe. Le triomphe viendra ; vos acclamations sont le gage du vote de l'Assemblée. Dans trois semaines, la monarchie nationale, héréditaire et constitutionnelle sera rétablie. Henri V sera roi.

Il y eut une scène d'émotion indescriptible et d'enthousiasme confiant. Le duc d'Audiffret-Pasquier est de ceux qui touchent les âmes. Ses paroles remuèrent vivement la réunion.

Ce fut un serment du Jeu de paume. M. de Carayon-Latour s'était éloigné, depuis quelque temps, du duc d'Audiffret-Pasquier en raison de divergences politiques. Il s'avança vers lui : Nous ne nous étions pas compris, lui dit-il. En ce moment, nous nous comprenons bien et je vous tends cordialement la main. — Le duc Pasquier, touché jusqu'à en pleurer, serra M. de Carayon sur son cœur. Tous les yeux étaient pleins de larmes et je ne sais quel frisson d'honneur, de patriotisme, de joie, d'espérance passa dans toutes les âmes[8].

On se sépara le cœur joyeux, constate encore M. Chesnelong.

Le lendemain, la note émanant de la réunion paraissait dans les journaux. Elle était ainsi conçue :

Les bureaux des réunions parlementaires, qui avaient déjà conféré le 4 octobre dernier, convoqués aujourd'hui, 18 octobre, se sont trouvés unanimement d'accord pour reconnaître que l'adoption des propositions préparées par la commission des Neuf était impérieusement commandée par l'intérêt du pays.

D'après ces propositions, la monarchie serait rétablie ; toutes les libertés civiles, politiques et religieuses, qui constituent le droit public de la France, seraient garanties ; le drapeau tricolore serait maintenu et des modifications ne pourraient y être apportées, l'initiative royale restant d'ailleurs intacte, que par l'accord du roi et de la représentation nationale.

Les réunions que ces bureaux représentent seront immédiatement convoquées.

Voilà donc l'opinion publique saisie ; un rayon de lumière dans la chambre noire.

Quelle est la première impression ? En général, on considérait la note comme la constatation de l'accord établi sur les trois articles entre le comte de Chambord et la majorité monarchique de l'Assemblée. Les journaux fusionnistes respirent la confiance. M. Édouard Hervé, rédacteur en chef du Journal de Paris, écrit : Un grand fait vient de s'accomplir... M. le comte de Chambord et les délégués des divers groupes de la majorité parlementaire sont tombés d'accord sur les conditions auxquelles se ferait la monarchie... L'entrevue de Salzbourg refait la monarchie.

Cependant, toujours des réserves de la part des journaux légitimistes : l'Union, organe attitré du bureau du comte de Chambord, s'exprime ainsi : M. le comte de Chambord n'a rien concédé, rien octroyé ; il remontera sur le trône dans la majesté et l'intégrité de son principe. Qu'est-ce que cela veut dire ?

L'Univers avait déclaré que le programme porté au comte de Chambord par M. Chesnelong était inacceptable à la conscience du citoyen et à l'honneur du prince. Le journal de M. Veuillot traduit en langage précis la véritable doctrine monarchique, quand il affirme que l'acte, s'il se produisait dans les conditions prévues par la commission des Neuf, serait une réédition du contrat social.

Dès la réunion du 18 octobre, quand il eut connaissance de la note délibérée par les bureaux des quatre groupes, le marquis de Dreux-Brézé se plaignit au marquis de Mornay qu'on dit décidé de publier un texte aussi important sans entente, sans autorisation préalables. Et il émettait l'avis formel qu'elle était en contradiction complète avec la vérité de la situation[9].

Quelques jours après, M. de Dreux-Brézé disait à M. Chesnelong qu'il était inquiet de l'impression que la note ferait sur le prince et, d'une manière générale, qu'il était anxieux à l'endroit des pensées de Frohsdorf. En tout cas, de ce côté, c'était le silence.

Comment peut-on expliquer que, dans cette courte période, où tous et chacun se surveillent, sont aux écoutes, où l'on n'attend qu'un mot, qu'un signe, pour acclamer le retour du roi, le bruit se répande, on ne sait d'où, que l'Assemblée, au lieu d'être invitée à rappeler immédiatement le roi, sera sollicitée de déléguer au duc d'Aumale la lieutenance générale du royaume ? Le nom du duc d'Aumale avait été déjà prononcé intempestivement, on s'en souvient, lors de la fameuse réunion Falloux, qui avait si mal tourné[10].

Voici qu'au même moment, un autre bruit, non moins singulier, est recueilli par la presse : M. Robert Mitchell, dans le Constitutionnel, qui passe pour avoir des attaches officielles, affirme que le gouvernement a l'intention de demander à l'Assemblée de proroger les pouvoirs du maréchal, au moment même où le général Changarnier proposera la restauration de la monarchie.

M. Ernoul, garde des sceaux, saisit le conseil de l'incident. Il exige une rectification publique. Le secrétariat de la présidence communique la note suivante à l'Agence Havas et aux journaux :

Quelques députés s'étant rendus aujourd'hui chez le maréchal de Mac Mahon pour lui demander si les bruits reproduits par certains journaux, et notamment le Constitutionnel, étaient exacts, le maréchal a répondu : J'ai déjà eu l'occasion de faire connaitre mes intentions à plusieurs de vos collègues. Si, comme soldat, je suis toujours au service de mon pays, comme homme politique je repousse absolument l'idée que je doive garder le pouvoir quand male, dans quelque condition qu'il me soit offert. J'ai été nommé par la majorité des conservateurs, dont je ne veux pus me séparer[11].

Le maréchal déclarait donc qu'il entendait rester en communion de vue avec la majorité. C'était tout.

Ces nouvelles produisaient le plus fâcheux effet à Frohsdorf. On y reconnaissait ce qu'on appelait l'intrigue. M. de Blacas écrit, le 14 octobre, qu'on était convaincu que la combinaison de la prolongation des pouvoirs du maréchal avait repris le dessus.

Quant au projet d'organisation d'une lieutenance générale, il causait une émotion allant jusqu'à la colère : Si cette idée venait à être réalisée, écrivait M. de Blacas[12], dès le 2 octobre, il est possible et probable qu'une résolution énergique de Monseigneur de se présenter en France et de courir ses chances viendrait à bout de cet obstacle.

Ainsi, malgré la réconciliation, le comte de Chambord ne renonçait pas à sa vieille méfiance à l'égard de l'orléanisme. Il opposait tactique à tactique, nuance à nuance, ou, pour être plus exact encore, il opposait au jeu fin et souple du centre droit une parade défensive d'une solidité inébranlable. M. de Blacas écrit à M. de Dreux-Brézé, à propos des déclarations faites à M. Chesnelong : Il est probable qu'elles ne satisferont pas ceux qui sont déterminés d'avance à ne tenir compte de rien de ce qui ne sera pas exactement leur formule et leur texte([13].

L'excellent M. Chesnelong fait tout ce qu'il peut. Il va au-devant de l'inquiétude qu'il ressent au sujet des intentions du prince. Il dit, il répète à M. de Dreux-Brézé : il faut dénouer, non brusquer. Dans une lettre écrite à sa famille : Je suis inquiet du prince, dit-il ; il peut s'échapper dans un nouveau manifeste ; il peut faire tout craquer sur l'heure.

Mieux informé que M. Chesnelong de la pensée du comte de Chambord, M. de Carayon-Latour écrit, dans une lettre du 21 octobre : La presse peut encore tout faire craquer. Aujourd'hui, plus que jamais, le silence est d'or[14]. Le silence !

Le Figaro nous fait un mal affreux ! écrit M. de Margerie. Il fausse l'opinion avec sa campagne insensée et enthousiaste du drapeau tricolore... Ah ! si on pouvait suspendre la liberté de la presse ![15]

Nul ne saura jamais, d'une manière exacte, écrit M. Merveilleux du Vignaux[16], quelle était, chez le prince, la profondeur d'une blessure empoisonnée par l'art insidieux que la presse républicaine et la presse bonapartiste, sûres d'être lues à Frohsdorf, mettaient à souligner, à grossir, à dénaturer, par de trop adroits commentaires, les incidents auxquels le comte de Chambord pouvait être le plus sensible. Le Gaulois, le Rappel et la République française ne tarissaient pas, chaque jour, sur l'amoindrissement du noble caractère, de la franchise immaculée, de l'énergie de Monseigneur, qui s'était infligé comme un démenti à lui-même, inclinant son drapeau, reniant ses maximes.

Ce silence que l'on désirait tant à Paris, Frohsdorf le gardait obstinément. M. Chesnelong ne savait ce qu'il devait craindre le plus, ou qu'il se prolongeât ou qu'il fût rompu ! On disait seulement que le prince supportait impatiemment toute suggestion au sujet du drapeau[17].

Il avait toujours cette manière de ne pas s'expliquer, même avec ses amis, ce système de parler seul et proprio motu, qui exaspérait M. de Falloux[18]. Ses partisans devaient obéir, non discuter.

Le comte de Paris n'était pas mieux renseigné que les autres. Il disait, le 18 octobre, à M. Chesnelong : Je ne sais des idées de M. le comte de Chambord que ce que m'en ont appris ses manifestes et ses lettres[19]. Le duc d'Aulnaie répondait aux félicitations qu'on lui adressait d'avance : Enfin, quoi qu'il arrive, nous aurons fait notre devoir[20].

Le marquis de Dampierre avait trouvé, dans une lettre de M. de Carayon-Latour, le 19 octobre, un mot assez singulier : Soyez sans inquiétude sur la question du drapeau. Elle sera tranchée à l'honneur du roi et à la satisfaction forcée du centre droit[21]. — Forcée ?

 

II

Cette courte semaine fut, pour les uns et pour les autres, une période d'espérances inquiètes. Sur les visages, un sourire tendu ; dans les colloques, un ton d'assurance ; au fond, un grand trouble. Les positions se prenaient ouvertement ou sournoisement. La pression sur les hésitants se poursuivait à lèvres closes. On rencontrait des gens très montés qui se contenaient et des gens très boutonnés qui devaient en savoir long. L'ennui et le comique de ces crises, c'est, outre le souci qu'elles donnent, l'excitation des mouches du coche : on avait besoin de silence, et c'était un universel bourdonnement.

Le gouvernement était au centre du travail, recevant tout, surveillant tout, incertain lui-même et tiraillé déjà, voyant s'avancer sans joie un avenir sans lumière.

Le duc de Broglie est énergiquement résolu, ce qui ne l'empêche pas d'être visiblement anxieux. Ainsi jugeait M. Chesnelong.

L'anxiété dominait. Le duc de Broglie eut la pensée de charger l'ambassadeur de France à Vienne d'une démarche officielle auprès du comte de Chambord. Celui-ci aurait exposé au prince dans quelles conditions le rétablissement de la monarchie était jugé possible par le gouvernement responsable de la paix publique ; il l'aurait prévenu qu'il trouverait ce gouvernement tout prêt à l'accueillir si, rappelé par l'Assemblée, il revenait avec le drapeau tricolore ; sinon, non[22]. Le maréchal ne se prêta pas à cette procédure.

Dans plusieurs discours prononcés à l'occasion de comices agricoles, à Évreux, à Bernay, à Neuville-le-Bon, le duc de Broglie parlait de la restauration prochaine. Il allait au-devant des critiques formulées contre elle. L'état social de la France moderne, disait-il à Bernay, est aussi indestructible que les fondements du sol ; on ne peut pas plus s'y attaquer avec succès qu'on ne peut altérer la qualité de l'air que nous respirons. Il disait encore : Rien de ce qui ressemble au pouvoir légal du clergé ne pourrait même reparaitre un jour... Nous voulons un gouvernement qui comprenne les exigences légitimes aussi bien que les périls de nos sociétés modernes, qui en accepte les principes, qui les fonde, en n'en répudiant que les excès. Cette apologie d'une restauration éventuelle était, en même temps, une limite ; on le sentait bien à Frohsdorf.

Dans le cabinet, il n'y avait pas d'adversaire délibéré de la monarchie. MM. Ernoul et ?te La Bouillerie étaient des légitimistes de la veille ; ils étaient l'âme même de l'entreprise ; ils recevaient les épanchements de M. Chesnelong.

MM. Batbie et Beulé, orléanistes, étaient heureux et confiants. M. Beulé était prêt, disait-il, à jouer au besoin sa tête. M. Deseilligny, ministre des travaux publics, avait signé la déclaration républicaine du groupe Target : cela diminuait peut-être son ardeur, mais non sa sincérité[23]. L'amiral de Dompierre-d'Hornoy affirmait hautement ses convictions et ses espérances royalistes.

Seul, M. Magne, ministre des finances, déclarait qu'il s'abstiendrait dans le scrutin sur le rétablissement de la monarchie, pour des motifs de reconnaissance personnelle.

Restait le ministre de la guerre. Il ne faisait pas partie de l'Assemblée, mais c'est à lui qu'il appartiendrait de donner les ordres au moment du retour du roi. Le général du Barail était de tendance bonapartiste. Il est assez curieux qu'on n'ait pas pris soin d'avoir là un homme absolument dévoué. En soldat discipliné, il se bornait à dire qu'il suivrait les instructions du maréchal-président. Il ne cachait pas quelque humeur : On avait pensé à tout, dit-il dans ses Souvenirs, aux députés et même aux chevaux : mais on ne s'était pas donné la peine de prévenir le ministre de la guerre[24].

D'accord avec le maréchal de Mac Mahon, le général du Barail avait pris ses dispositions pour maintenir l'ordre. Dans des conversations particulières, il avait fait part des éventualités de l'avenir aux principaux chefs militaires appelés fréquemment à Paris, par suite de la réorganisation de l'armée. J'avais étudié avec eux l'esprit des troupes et des chefs de corps. J'étais parfaitement renseigné, et j'avais scrupuleusement renseigné le maréchal, dit-il. Enfin, je leur avais donné des instructions très nettes, pour le cas où ils seraient obligés d'intervenir.

Le général du Barail résume ainsi ces instructions : En cas de troubles, défense absolue d'éparpiller les troupes. Ordre formel de les concentrer dans la main des généraux. Ne pas vouloir être présent partout. Négliger les points secondaires, afin de pouvoir écraser immédiatement les centres d'insurrection importants. Jamais de petits paquets. Jamais de contact entre le soldat et la foule. La troupe ne doit sortir de ses casernes que pour faire usage de ses armes.

Un seul des commandants de corps d'armée, le général Bourbaki, gouverneur de Lyon, pouvait inquiéter, en raison de ses attaches avec la famille impériale. Sondé par le préfet Ducros, le général répondit que, s'il y avait du désordre, il le réprimerait, mais que, le respect de la loi assuré, il irait s'ensevelir dans la retraite, fidèle à son passé[25].

Il n'était pas jusqu'à M. Buffet, président de l'Assemblée, qui ne se préoccupât du détail de la procédure à suivre pour proclamer le roi[26].

Enfin, les agents du comte de Chambord avaient reçu l'ordre de préparer son retour en France. Tout fut combiné, arrêté et disposé à l'avance, de manière à éviter à Monseigneur, dit le marquis de Dreux-Brézé, l'arrêt réglementaire à l'entrée de la France, les lenteurs, les investigations de la douane et les formalités, toujours à prévoir, concernant les passeports.

Le comte de Chambord devait, d'après le plan adopté et tracé sur une carte avec légende explicative, quitter le chemin de fer à une station située à l'étranger, traverser la frontière de l'Est par voie de terre et être conduit jusqu'à une station française où il remonterait en chemin de fer. Les conditions de la route, les habitudes admises dans un pays de citasse, la fréquence des allées et venues offraient toute sécurité morale que le prince ne serait pas reconnu[27].

Un uniforme de lieutenant général, destiné au comte de Chambord, était déposé chez le marquis de Dreux-Brézé, et celui-ci avait reçu l'ordre de commander un cordon et une plaque de la Légion d'honneur. Au centre de la plaque, une fleur de lys était substituée à l'aigle impériale.

Les carrosses de gala furent construits par la maison Binder[28]. On avait acheté des chevaux, pour lesquels des harnais, timbrés à l'écusson royal, avaient été exécutés par un sellier de la rue Caumartin. On pouvait voir, rue Vivienne, le tapis fleurdelysé destiné à la voiture royale. On avait publié un programme de l'entrée du roi et tracé l'itinéraire que suivrait le cortège dans les rues de Paris[29].

M. Boulé, ministre de l'intérieur, faisait cette confidence au comte de Falloux : Je viens d'avoir, à ma grande satisfaction, la preuve irrécusable que le comte de Chambord a fait in petto le sacrifice de son manifeste du 5 juillet 1871 : c'est qu'il fait presser très activement tous les préparatifs de son entrée à Paris. Un rapport de police m'a appris tout à l'heure que le comte Maxence de Damas, chargé particulièrement des équipages de Frohsdorf, est venu visiter les écuries de l'empereur. Il a critiqué plusieurs des anciennes dispositions, il en a indiqué de nouvelles, et n'a pris que peu ou point de précautions pour cacher au nom de qui cette visite était faite[30].

On avait fabriqué des drapeaux blancs, des cocardes, des brassards, des lanternes vénitiennes, avec cette inscription : Vive Henri V[31].

On répétait le mot attribué à M. Léon Renault, préfet de police : Avec deux cent mille francs, je fais pavoiser Paris, en blanc, du haut en bas.

C'était comme un bourdonnement de ruche dans les cercles parlementaires, dans les salons, dans les bureaux de rédaction, sur les boulevards.

Quant au pays, il laissait faire ; mais, en vérité, restait sceptique. Tout ce travail, sur lequel il était d'ailleurs peu renseigné, lui paraissait une figuration, une conversation entre fantômes très agités. On attendait. Le calme tenait peut-être à cette prescience qu'ont parfois les masses, de ce qui se passe au fond des esprits et de ce que les hommes les plus avisés croient cacher parce qu'ils se taisent.

Ou lisait entre les lignes des dépêches, des proclamations, des communiqués, des discours : on sentait le comte de Chambord bien dépris, le gouvernement bien circonspect, les partis bien divisés, la majorité bien incertaine, tout le monde irrésolu. L'atmosphère n'était pas à l'orage, à la violence, au coup d'État. Et puis, la parfaite honorabilité de tous les acteurs rassurait le public sur le dénouement.

L'état d'esprit général est assez exactement rendu, par ce passage de Littré, qui suivait le mouvement avec attention et qui écrivait au fort de la crise : On en arrive à la légitimité tricolore ; on espère que les légitimistes voteront pour elle, parce qu'elle est légitime, et les orléanistes, parce qu'elle est tricolore ; et si l'on réussit, on se félicitera d'avoir effectué une combinaison mal vue des blancs, mal vue des bleus, assaillie par les bonapartistes, combattue par les républicains, sans confirmation par le pays, sans autre direction qu'une tendance vers le cléricalisme et le passé, en opposition avec la tendance moderne[32].

La gauche poursuivait avec entrain sa campagne d'opposition. L'extrême gauche et l'Union républicaine avaient constitué un comité de vigilance qui se tenait en communication avec les élus républicains de Paris et de la province.

Le 17 août, cinq élections au conseil général dans l'Hérault, les Ardennes, l'Aude, l'Yonne, les Landes : toutes républicaines. A l'ouverture des conseils généraux, les manifestations des présidents en faveur de la République sont nombreuses et fermes. M. Dauphin, dans la Somme, déclare que la restauration monarchique serait le signal de la guerre civile. Ce n'étaient pas seulement des mots. A Hellesmes (Nord), un pèlerinage ayant eu lieu avec le drapeau blanc, au cantique du Sacré-Cœur, deux mille paysans répondirent par la Marseillaise. Collision. Le drapeau blanc fut déchiré.

Le 20 août, lettre des députés de Meurthe-et-Moselle à leurs électeurs : ils protestent contre la fusion, ne veulent pas d'une nouvelle invasion ; de même, bientôt, les députés de l'Aisne, avec des signatures comme celles de MM. Waddington, Saint-Vallier, Henri Martin. Le 4 septembre, anniversaire de la fondation de la République, il y eut quelques bagarres, à Velay, à Bordeaux. Le gouvernement dut prendre des mesures.

Le sentiment d'une résistance possible se fait jour. Le 15 septembre, la République française écrit : On prévient les meneurs qu'il ne s'agit pas seulement de violence morale pour réduire la France à supporter Henri V. Il faudrait la force matérielle parce que l'immense majorité du pays, villes et campagnes, ouvriers et bourgeois, et Farinée elle-même, n'en veut pas ; et si les violences sont à redouter, c'est pour les malheureux qui touchent au feu.

Dans le milieu monarchique, on ne s'effrayait pas beaucoup de ces menaces. On savait Paris et le pays désarmés : A deux reprises, une première fois de 1789 à 1792, une seconde fois en 1830, — on aurait pu dire une troisième fois, en 1848,la garde nationale et le peuple de Paris avaient été contre la royauté les instruments de la Révolution ; et voilà qu'en 1873 la garde nationale était dissoute et le gouvernement ramené à Versailles[33].

Cependant, le mouvement s'accentuait. Ne faudrait-il pas compter avec lui ? Tous les jours, c'étaient des adresses nouvelles des électeurs à leurs députés, des lettres de députés à leurs électeurs acclamant la République, s'engageant à la défendre. Et ce n'étaient pas seulement les députés ou les départements d'opinions avancées que le mouvement général emportait ainsi : les membres du centre gauche se déclaraient l'un après l'autre, en appelant à leurs électeurs, portant des adresses au maréchal, repoussant hautement toute connivence avec la conspiration monarchique. Bientôt, le centre gauche fut au complet[34].

L'union s'était faite, absolue, dans le parti républicain.

Dès le 7 octobre, l'Union républicaine, réunie rue de la Sourdière, nommait une commission destinée à se mettre en rapport avec la gauche et le centre gauche pour une action commune.

Le 17 octobre, manifeste des députés de la Seine, signé par Louis Blanc, Gambetta, Brisson, Peyrat, Tirard, etc. Il ne s'agit, plus seulement, comme l'a dit M. Thiers, interprète des sentiments de la France entière, de défendre une forme de gouvernement, mais de conserver les libertés civiles, politiques et religieuses conquises par nos pères et qui sont, inséparables du maintien de la République... Vos députés s'opposeront énergiquement à toutes mesures tendant à rétablir, par un coup de surprise, un règne que la France repousse...

Le 24 octobre, les derniers préparatifs de combat étaient terminés : la gauche républicaine, réunie boulevard des Capucines, avait aussi élu un comité d'action. Le centre gauche nomma un pareil comité.

A l'Union républicaine, il fut décidé que toutes les résolutions prises à la majorité dans les réunions de la commission, comportant les délégués des trois groupes, seraient suivies. Cette décision fut acceptée par tout le parti.

Du côté de l'armée, qui, incontestablement, était dans les mains de ses officiers et de ses chefs, un seul incident. Le général Carey de Bellemare, qui commandait à Périgueux, écrivit, le 27 octobre, au ministre de la guerre, une lettre qui se résume en son début : Je sers la France depuis trente-trois ans avec le drapeau tricolore et le gouvernement de la République depuis la chute de l'empire. Je ne servirai pas le drapeau blanc...

Le général Carey de Bellemare fut mis en non-activité par retrait d'emploi. Le général du Barail profita de la circonstance pour adresser un ordre à l'armée.

Le maréchal de Mac Mahon crut devoir intervenir. Il lança la proclamation suivante :

Soldats,

Un acte d'indiscipline a été commis dans l'armée.

Le maréchal-président est convaincu qu'il ne se renouvellera pas. Il connait l'esprit de dévouement qui vous anime. Vous saurez maintenir dans l'armée cette union et cette discipline dont elle a toujours donné l'exemple, qui sont sa force, et qui, seules, pourront assurer la tranquillité et l'indépendance du pays.

Comme soldat, notre devoir est bien tracé ; il est indiscutable. En toutes circonstances, nous devons maintenir l'ordre et faire respecter la légalité.

On eut l'impression que le gouvernement considérait comme certain le rétablissement de la monarchie et qu'il emploierait au besoin la force pour faire respecter les décisions de l'Assemblée.

 

III

Le travail parlementaire se poursuivait : travail occulte et travail public. Dans la coulisse, l'effort portait sur les députés douteux. On pointait, on supputait, on essayait de gagner ou de convaincre. Il y avait un groupe dont le vote déciderait du succès : c'étaient les scrupuleux ; il s'agissait de les arracher à l'influence de M. Thiers. Un des chefs de la campagne écrivait : L'homme important qu'il faut soigner, c'est Gonlard ; lui seul peut nous avoir les quinze voix hésitantes ; il est placé sur les confins du centre droit et du centre gauche. Il votera avec nous ; il faut qu'il travaille pour nous. Tout est là...[35]

Il y avait les autres ! La Liberté avait publié un tableau comprenant les listes des certains, des opposants, des douteux. Ces listes étaient examinées à la loupe : chaque nom était contrôlé. C'étaient des conciliabules infinis, des pressions secrètes. Tout moyen était bon. Les femmes, bien entendu, s'employaient avec le zèle qu'elles mettent, d'ordinaire, à seconder les projets et les ambitions de leurs amis du moment. La vie mondaine était bouleversée, les chasses remises ; tout le monde, et même les plus hauts, mettait la main à la pâte. Paris, je veux dire l'étroit Paris qui se nomme lui-même tout-Paris, était transformé en classe d'arithmétique. On additionnait avec fureur, avec angoisse, comme on joue :

19 octobre. Hier soir, nous avons diné arec MM. Vingtain et Desjardins au cercle des chemins de fer, vis-à-vis de l'hôtel de Bade. On a beaucoup jasé de tout ce qui se passe. J'ai servi de secrétaire à ces messieurs dans le calcul des forces de chaque parti. Chaque nom a été rangé par catégorie probable. Ce pointage se fait partout. Le nôtre donne ce résultat assez problématique :

348

voix

pour la monarchie ;

344

pour la république ;

36

douteuses.

On dit que la tactique de la gauche est l'abstention en masse, et comme il faut 370 votants au moins, la royauté pourrait faire fiasco. — Il se pourrait que la Chambre fût convoquée pour le 27 (lundi). Le gouvernement tiendrait à en finir...

22 octobre. En fait de politique, tout change d'heure en heure. Chaque côté est sûr de la victoire ; chaque député fait ses pointages certains. La seule chose certaine c'est que rien n'est certain. Avant-hier l'accord semblait presque rompu ; depuis hier, on rattache les fils. Les légitimistes deviennent tous libéraux[36]...

Sur cette carte que l'on allait retourner, tout se jouait à la fois. Et quels lendemains ?

23 octobre. Dans ce moment, on est au calme ; chacun cherche à se tirer de la situation le moins mal possible : monarchistes modérés et républicains modérés sentent bien qu'ils ne travaillent pas pour eux ; certains royalistes, dans les moments de laisser aller, craignent presque autant le succès que la défaite. — Ce qu'il y a de mal, dans la situation actuelle, c'est que chacun sent le péril de l'une ou de l'autre solution. Nous ne pouvons sortir de ce gâchis que par l'abdication du comte de Chambord ; il faudra bien y arriver si la solution monarchique se fait.

En attendant, on ne combat pas seulement pour vaincre ; on tâche aussi de s'assurer une retraite en cas d'échec. Les monarchistes modérés se disent : Si la monarchie ne se fait pas, que ferons-nous ? On ne peut laisser le pays aux mains des radicaux. Les républicains modérés se posent la même question et je vois nettement poindre un nouveau parti qui se dit : Le débat vidé, si nous sommes vaincus, nous autres monarchistes, nous deviendrons la droite de la République. Si la République est vaincue, nous autres républicains modérés, nous deviendrons les monarchistes de gauche[37].

Ces sentiments, ces inquiétudes restaient renfermés dans les âmes. Ils entravaient cependant l'ardeur des zélés, et ils devaient bientôt se manifester au grand jour.

En public, les rouages parlementaires se mettaient en branle, d'ailleurs lourdement.

Après la réunion de la commission des Neuf, celle des bureaux des groupes. Ces derniers décident à leur tour de convoquer les groupes de droite pour qu'à chacun d'eux, séparément, M. Chesnelong présentât l'exposé oral de ce qui s'était passé à Frohsdorf.

Que de discours, que de discussions, que d'indiscrétions ! Imprudence, hésitation, trépidation vaine ! On eût voulu l'échec qu'on n'eût pas procédé autrement.

Les réunions étaient convoquées pour le 22 octobre. Ce jour-là, de nombreux députés arrivent à Versailles. L'atmosphère de Versailles est toute royale, dit l'un des plus confiants, M. Martial Delpit[38]. Le vent est ici à la monarchie ; la ville de Louis XIV présentait hier un aspect animé ; on s'aborde en se félicitant, chacun croit au succès et s'encourage au combat. Les plus animés sont les nouveaux convertis et il est amusant de leur entendre prononcer le Roi ; on ne dit plus autrement... Le maréchal veut bien nous aider à faire la monarchie, mais, dans tous les cas, il se retire après. Il ne veut pas essayer de gouverner avec la gauche et s'est prononcé carrément... Tout moyen terme est enlevé : ou la monarchie ou le radicalisme.

Le centre droit est le groupe le plus important, celui qui va décider de la victoire. Ses membres se retrouvent à une heure dans une salle de l'hôtel du Petit-Vatel. Le duc d'Audiffret-Pasquier préside. Il demande à ses collègues de ratifier le projet de résolution préparé par la commission des Neuf. Ne doutant pas du succès, il demande, en outre, que le bureau du centre droit soit autorisé à se concerter avec le bureau du centre gauche pour tâcher de rallier ce groupe au projet de restauration monarchique.

Le texte de la résolution est adopté, avec une légère modification et deux additions visant la liberté de la presse et le maintien du suffrage universel.

M. Chesnelong, qui ne fait pas partie du groupe, assiste à la réunion et fait son récit ordinaire avec les deux déclarations, les réserves du comte de Chambord en ce qui concerne le drapeau, etc.

Les réserves sont accueillies très froidement. — Savez-vous, disait M. Bigot à M. Chesnelong, en sortant de la réunion, que, quand vous parliez du drapeau, j'ai cru un instant due tout allait se gâter ? J'étais sur des charbons ardents. Eu effet, il y a une fraction du centre droit qui, sur cette question du drapeau, est intraitable[39].

A quatre heures, réunion commune de la droite modérée et de l'extrême droite, à l'hôtel des Réservoirs. Le baron de Larcy préside. M. d'Audiffret-Pasquier affirme, par sa présence, l'union de toutes les fractions de la majorité. Aucun incident. Le projet de résolution, déjà adopté par le centre droit, est approuvé. La droite, après le centre droit, décide qu'il n'y a pas lieu de donner suite à un projet de convocation anticipée de l'Assemblée nationale : décision incompréhensible, si on n'avait pas eu quelque doute au sujet de l'accord avec Frohsdorf. On sentait qu'un effort était encore nécessaire pour que, là-bas, la résistance dernière fût brisée.

Nous sommes au point culminant de l'action parlementaire.

L'espérance était dans tous les cœurs, dit M. Chesnelong. M. le duc Pasquier me disait en sortant de la réunion de la droite :Tout va bien ; l'union est parfaite ; le succès ne peut nous échapper[40].

Versailles était une fourmilière noire. Des gens qui, la veille, ne se saluaient pas, conversaient longuement et familièrement. Il n'était question que du vote prochain et de la future majorité.

 

On en était là, dans un état de tension agitée où il restait encore quelque appréhension, quand on vit apparaître soudain le fond d'une situation malgré tout demeurée obscure.

Ce travail de la fusion, confiné, jusque-là, dans la pénombre des négociations confidentielles et des pourparlers secrets, est découvert au public ; mais dans des conditions telles et avec un parti pris si évident que la question s'est posée de savoir s'il y avait eu calcul et quelle était sa véritable portée.

Peut-être — et cette supposition est la plus naturelle de toutes — n'eut-on d'autre pensée que de chercher à pallier, à couvrir, auprès de l'opinion, les insuffisances et les lacunes de l'accord et crut-on rendre service, sinon au comte de Chambord, du moins à la cause monarchique, en insinuant dans les déclarations obtenues par M. Chesnelong des changements, des affirmations, destinées à rendre le projet plus acceptable au parlement et au pays.

Voici les faits : le procès-verbal de la réunion du centre droit fut publié aussitôt après la séance, le 22 au soir. Il exposait les déclarations de M. Chesnelong. Dans la partie consacrée aux garanties constitutionnelles, il contenait des phrases comme celles-ci : Le roi est disposé par avance à la plus complète harmonie avec les membres les plus libéraux de l'Assemblée et du pays ! Il y aura lieu d'insérer dans l'acte par lequel la monarchie sera rétablie les principes fondamentaux de notre droit public, afin d'indiquer que, pour l'avenir, on entendait les laisser en dehors de toute contestation... L'accord est complet, absolu, entre les idées de Monsieur le comte de Chambord et celles de la France libérale...

Mais c'est dans les passages concernant le drapeau que l'intervention voulue s'affirmait : Monsieur le comte de Chambord aurait dit que puisque le drapeau tricolore était le drapeau légal, si les troupes devaient le saluer à son entrée en France, il saluerait avec bonheur le drapeau teint du sang de nos soldats... — Monsieur le comte de Chambord aurait ajouté qu'il se réservait de proposer au pays, par l'entremise de ses représentants, une transaction compatible avec son honneur. — Or, M. Chesnelong a répété, sans être contredit, qu'il n'avait jamais employé d'autre mot que le mot solution, seul admis par le prince et qui exprimait la volonté formelle de celui-ci de ne faire aucune concession, de n'accepter aucune condition et de n'agir, dans l'avenir, qu'en pleine liberté et proprio motu. — Enfin, le procès-verbal se terminait intentionnellement par ces mots : Le drapeau tricolore est maintenu.

La négociation de M. Chesnelong était présentée comme ayant réussi, alors qu'elle avait échoué.

A la lecture du procès-verbal, il y eut, chez tous ceux qui connaissaient le dessous des cartes, une véritable stupeur. Même avant que ce document Mt divulgué, dans le wagon qui ramenait les députés à Paris, les journalistes ayant montré le texte dont ils avaient, quelques minutes auparavant, reçu communication, ce sentiment s'était manifesté : Je pris connaissance du texte qui allait être livré aux journaux, dit M. de Castellane, et je jetai un cri d'effroi. M. le duc Pasquier, sur ma demande, le lut dans son entier. — Il est donc certain qu'il l'ignorait. — Il n'y vit pas ce que j'y voyais. J'insistai, je suppliai qu'on le revit, qu'on en pesât les termes avant de le livrer au public. — Il est trop tard, me fut-il répondu : quatre heures sonnent et les journaux du soir paraissent à cinq heures[41].

Les secrétaires du centre droit étaient le vicomte d'Haussonville et M. Savary. Le premier n'assistait pas à la réunion quand M. Chesnelong parla. Ce fut donc M. Savary, seul, qui rédigea cette partie du procès-verbal. Le vicomte d'Haussonville la lut, quand il revint vers son collègue ; appartenant à la fraction libérale du centre droit, il l'approuva. Quelque argument que l'on puisse tirer de la fin de M. Savary, sa bonne foi n'a pas été incriminée, même par M. Chesnelong. Quant à celui-ci et au duc d'Audiffret-Pasquier, ils avaient quitté en hâte la réunion du centre droit pour se rendre à la séance commune tenue par la droite modérée et l'extrême droite. C'est dans cet intervalle que M. Savary, sans contrôle de M. Chesnelong, avait rédigé et communiqué à la presse ce document décisif. Tel est l'incident. Le seul document livré au public sur un accord qui disposait des destinées de la France était laissé à l'improvisation d'un homme qui n'avait rien su, rien vu par lui-même ; il n'était soumis au contrôle ni de l'une ni de l'autre des parties. Le sort de la monarchie et celui du pays allaient-ils dépendre d'une négligence, d'une maladroite finesse ou d'une étourderie ?

Dès la première heure, M. de Dreux-Brézé dit à M. de Margerie, qui essaie de pallier l'effet auprès du public : Je ne m'inquiète pas du public, Je m'inquiète de ce que Monseigneur pensera, dira et fera quand il verra qu'on se fait un jeu de sa parole ![42]

L'impression des amis du comte de Chambord est exprimée en termes plus précis encore par cette autre phrase de M. de Dreux-Brézé :

Ce compte rendu, d'un caractère soi-disant officiel, dit-il, contient de nombreuses et odieuses inexactitudes... Je ne pouvais que trop pressentir les désolantes conséquences d'un acte dont l'inspiration, insidieusement hostile, ne laissait pas un doute dans mon esprit. Nous devions être en face d'une manœuvre calculée de telle sorte que la seule voie restant ouverte devant le roi fût celle par laquelle il se refuserait à subir des conditions déjà rejetées par lui[43].

Alors, l'agitation se reproduit, mais en sens contraire. Ce qui était confiance devient doute ; ceux qui riaient s'alarment ; une suspicion mutuelle complique encore une situation déjà si complexe. Les journaux légitimistes, l'Union en tête, refusent d'insérer le procès-verbal. M. Chesnelong est au comble de l'angoisse.

L'opinion tenait le procès-verbal pour exact et ne voyait plus de difficulté immédiate au retour du roi. Le vote, maintenant, était certain. On parlait de quarante voix de majorité. On assurait que le centre gauche commençait son évolution. On appelait, d'ores et déjà, certains de ses membres les monarchistes de gauche. On citait des noms. M. John Lemoinne, sous l'influence des derniers événements et de démarches pressantes, écrivait dans les Débats du 24 octobre : Nous voyons, d'après les explications données hier, que les garanties que nous demandions sont assurées et que l'acte qui devra rétablit le gouvernement monarchique sera inséparable de celui qui consacrera les droits nationaux... Nous demandons à ceux qui persistent à porter du côté de la solution républicaine le poids de leurs opinions libérales et conservatrices, la permission de leur adresser une question : si toutes les libertés énumérées dans l'acte préparatoire publié par les réunions monarchiques leur étaient garanties et assurées, hésiteraient-ils à accepter le rétablissement de la royauté ? Nous croyons que non... La République conservatrice est désormais reléguée dans la catégorie de ces ponts suspendus qui, en subissant l'épreuve du chargement, sont très proprement tombés dans l'eau, et nous avons à faire maintenant l'expérience de la République républicaine. Or, c'est précisément à cette expérience que le pays se refuse...

Les protagonistes de la restauration monarchique constitutionnelle comptent donc sur des défections dans le centre gauche. Cependant, à Versailles, ce groupe tient bon. Il se réunit le 23 octobre, à midi. Le procès-verbal Savary l'avertit que des ouvertures lui seront faites : Il ne faut pas laisser croire au pays, déclare M. Francisque Rives, que nous acceptons des négociations. Chargeons donc notre bureau de déclarer en notre nom que nous n'acceptons que des propositions conformes à notre programme. Immédiatement, le groupe vote l'ordre du jour suivant, communiqué à la presse :

Le centre gauche reste uni, dans la conviction que la République conservatrice est la plus sûre garantie de l'ordre comme de la liberté, et que la restauration monarchique dont il est question ne serait, pour la France, qu'une cause de nouvelles révolutions[44].

M. Léon Say, président du centre gauche, quitte ses collègues pour se rendre, à deux heures, à la commission de permanence. Il rencontre le duc d'Audiffret-Pasquier. Celui-ci propose une conférence des deux centres dans laquelle on exposerait les raisons qui militent en faveur du projet de résolution du général Changarnier. M. Léon Say répond que les projets de la droite étaient trop connus pour n'avoir pas été appréciés par tout le monde. Chacun ayant son opinion faite, la conférence proposée devenait inutile([45].

Bien entendu, le parti impérialiste n'est pas moins ardent contre une combinaison qui lui enlève tout espoir. Entre les bonapartistes et les orléanistes, il y a lutte ouverte, antipathie profonde. La réunion de l'appel au peuple est convoquée pour le 25 octobre, en vue d'arrêter les termes d'une protestation contre l'établissement du régime définitif, quel qu'il soit, en dehors du suffrage universel consulté par la voie de l'appel au peuple[46].

Les journaux publient un manifeste signé du baron Eschasseriaux, président, et du comte Ginoux de Fermon, secrétaire du groupe de l'appel au peuple, déclarant que la restauration serait une révolution en arrière et annonçant que le parti impérialiste voterait contre toutes les propositions monarchiques.

Vers le même temps, un homme considérable du parlement, un homme qui, par son entregent et un talent oratoire incontestable, avait acquis une réelle autorité et allait jouer un rôle important dans toute la crise constitutionnelle, M. Raoul Duval, avait rompu bruyamment avec la droite monarchiste et donné l'exemple de la scission dans le camp conservateur. Peut-être n'avait-on pas su le ménager. Quoi qu'il en soit, il poursuit une campagne très ardente à Paris et en province. Il reproche au Nouvelliste de Rouen, organe important alors, d'être trop Chambord et clérical.

Beaucoup d'indécis partagent ce sentiment et se groupent autour de lui[47].

Malgré quelques hésitations, les bonapartistes se sentant joués entrent dans la lutte : avec leurs procédés habituels, ils asséneront le coup qui ébranlera le fragile édifice.

Le samedi soir, 25 octobre, la Liberté, dirigée par M. Léonce Détroyat, publie une note qui émane, dit le journal, d'un fidèle de Frohsdorf, initié aux pensées intimes du comte de Chambord.

Elle était ainsi conçue :

M. le comte de Chambord est l'honneur même ; aucune intrigue politique ne pourra prévaloir sur sa conscience, sur ce qui est son dogme royal.

Sans doute, depuis le 5 août, aux nombreux visiteurs qui sont venus solliciter son acquiescement à leurs combinaisons, il a tenu à faire un accueil dont la parfaite bienveillance a été jusqu'à l'épuisement ; mais vis-à-vis d'aucun d'eux il ne s'est laissé aller à une parole qui pût contredire ses déclarations passées ou compromettre le principe par lequel, seul, il est le roi. Il n'a donné à personne la mission de parler en son nom ; il a pu agréer gracieusement des offres de dévouement et de services, laisser des négociateurs, convaincus sans doute, chercher une formule publique qui peut préparer son retour en France ; mais il n'a pris aucun engagement, ne s'est jamais rallié au régime représentatif, et, surtout, n'a jamais donné à entendre qu'il lied abdiquer son drapeau blanc. Du reste, le comte de Chambord est très préoccupé de tous les agissements qui tendraient à compromettre l'affirmation du principe, en dehors duquel il n'a rien à l'aire et ne peut rien faire. Si l'Assemblée nationale lui présentait la couronne aux conditions torturées que publient certains journaux, il la refuserait sur l'heure. En tout cas, jamais il n'abdiquera, pas plus à Frohsdorf qu'à Paris.

Quant l'éventualité de prétendus compromis de conscience, dus à l'influence de hautes notabilités religieuses[48], il est possible que de pareils calculs aient pu entrer dans l'esprit de certaines gens qui font passer leur ambition avant les intérêts de la France et de l'Église : mais le comte de Chambord est et demeurera inébranlable : justum et tenacem.

Cette note annonçait l'orage. M. Chesnelong, qui n'en pouvait plus du silence implacable gardé à Frohsdorf, va chez M. Ernoul : il l'emmène chez M. de Dreux-Brézé. Il interroge celui-ci : — Mais enfin, où en sommes-nous ? Qu'on parle !Je suis, dit le chef du bureau royaliste à MM. Chesnelong et Ernoul, sans informations et sans instructions. J'ignore ce que pense Monseigneur des incidents récents.

C'était à désespérer.

La Liberté, qui parait le 26, maintient son information et ajoute : MM. Chesnelong et Lucien Brun ne nous contrediront pas, pour peu qu'ils veuillent bien se rappeler en présence de qui ils ont parlé à M. le comte de Chambord.

M. Chesnelong ne se contient plus ; il se jette dans la mêlée ; il proteste ; il affirme ; il engage sa parole qu'il a été le seul négociateur, reçu sans témoins.

Le journal de M. Léonce Détroyat réplique : Il y a eu, pendant le séjour de M. Chesnelong à Salzbourg, d'autres entretiens qui ont permis à M. le comte de Chambord, aussitôt qu'il a eu connaissance du procès-verbal publié par la droite, d'en témoigner son étonnement et même de dire à l'ami intime : Tu étais là, toi ! Est-ce bien là le sens de mes paroles ?[49]

Le comte de Chambord est directement en cause. D'ailleurs, la Liberté du 29 annonçait qu'une lettre était arrivée de Frohsdorf, confirmant ses informa-lions et qu'on n'osait pas la publier.

Tous les yeux sont tournés vers Frohsdorf. On attend de là, maintenant, la parole décisive. Le silence ne peut se prolonger ; le roi est mis au pied du trône. Oui ou non a-t-il voulu se faire forcer la main ? D'étape en étape, les choses en sont à ce point que, s'il se tait, il consent et que, s'il parle, c'est pour accepter ou pour rompre.

Au moment où tout semble lui sourire en France, le comte de Chambord, à Frohsdorf, est dans l'angoisse. Que faire ? Il se débat dans ce dilemme : ou la royauté sans le principe, ou le principe sans la royauté. Les situations, les doctrines, les raisons d'agir, les procédés, les suites, tout lui apparaît en même temps.

Cet embarras, ne vint-il que des faits, a, pour cette nature fière, pour ce disciple de l'exil, quelque chose d'irritant. Les confidents intimes sont inquiets de son mutisme et de son front plissé : Je n'ai pas besoin de vous dire à quel point Monsieur le comte de Chambord est ému. On voudrait le forcer à parler qu'on ne s'y prendrait point autrement. Il voit les imbroglios[50] et les malentendus grandir de jour en jour ; vous savez que rien ne répugne plus à sa nature que les positions ambiguës et que rien ne lui paraît trop fort pour s'en dégager [51].

Car, enfin, il est le roi ; sa volonté tient tout le monde en suspens. Par lui, tout est possible ; sans lui, tout s'écroule. A-t-on pesé cette force, qui est la sienne ? II est le représentant de la légitimité dont Royer-Collard a dit qu'elle rend sensible à tous, dans une image révérée, le droit. Et, c'est ce droit qu'on discute, son droit, — le droit.

Dans sa conscience, il a, depuis des années, tourné et retourné le problème. Pas deux solutions, une seule : le droit monarchique se suffit à lui-même ; il n'emprunte rien à un autre ; s'il se subordonne, il abdique ; sa vertu s'épuise dès qu'elle se partage. Il y a plus qu'une antinomie, une impossibilité dans ces mots : Roi légitime de la Révolution.

Il a consulté. Lui, descendant de saint Louis, âme chrétienne et soumise à la volonté de Dieu, il a interrogé les représentants de la divinité sur la terre, le pape, les prêtres. Le pape Pie IX, trompé d'abord par les avis venus de Paris, avait conseillé d'accepter le drapeau tricolore. Mais le comte de Chambord avait éclairé le Saint-Père, avait expliqué les raisons de son non possumus à lui ; et le pape avait fait répondre : J'ai compris ; comme toujours, ce que vous faites est bien fait[52].

Un illustre prélat, l'honneur de l'épiscopat français, Mgr Pie, avait été consulté en mars 1873 ; on lui avait demandé d'exposer, par écrit, les principes généraux de la politique royale et chrétienne. L'évêque, après avoir longtemps hésité et avoir dit la messe à cette intention, avait esquissé ce programme, l'avait envoyé au prince qui l'avait remercié avec effusion : Je ne puis vous remercier assez de l'envoi de ces précieux documents. Il se peut que dans un avenir très prochain je sois obligé de rappeler quelles sont les véritables bases de la monarchie traditionnelle et chrétienne, et ces documents me seront alors d'un grand secours.

Or, voici quel était ce devoir royal, tel que l'évêque l'avait tracé d'une main ferme : Ce n'est pas au point de vue de l'intérêt que le prince chrétien doit. se placer ; l'intérêt est plein d'obscurité, en des temps comme ceux-ci surtout. Mais qu'il agisse en vue d'un devoir, qu'il agisse avec constance et avec force. S'il y a péril pour lui de succomber à la tâche et de périr à l'œuvre, tomber pour tomber, ne vaut-il pas mieux tomber martyr du devoir ? C'est tomber alors comme l'arbre qui a donné son fruit, qui a laissé sa graine, c'est-à-dire la semence de sa multiplication... Et quelques mois après, — il y avait quelques semaines seulement, — ce prélat avait écrit, précisant toute sa pensée : A ceux qui disent que Monseigneur ne semble pas désireux de revenir, je me permets de répondre qu'il est surtout désireux de rester quand il sera venu et que loin de craindre de régner, il n'est, au contraire, aucunement disposé à ne régner pas. Et c'était là la vraie question : Rester quand on sera venu ; rentrer pour régner et non pour ne régner pas. Le ferme attachement au principe, ce n'est pas seulement le devoir, l'honneur ; c'est aussi la sagesse, l'habileté, la sécurité.

La cause de tous les maux qui ont accablé ce malheureux pays, c'est l'abandon des traditions, ce sont les faiblesses et les capitulations successives, ce sont les défaillances mères des infidélités. Qui réagira, qui remettra le pays dans la voie droite si ce n'est celui qui est le droit ? Et à quel moment réagir si ce n'est à l'heure où tout se décide, c'est-à-dire à l'origine.

On exige des concessions, on demande des garanties ; et à qui prétend-on les imposer ? Au roi.

Et qui les formule ? Ceux qui se réclament des conquêtes de la Révolution. Ils ne s'en cachent pas : ce qu'ils veulent, c'est, dans l'acte même qui restaurera la dynastie, glisser la doctrine qui, deux fois déjà, l'a ébranlée. Comment supposer qu'elle ne reproduira pas ses effets funestes ? Y consentir, n'est-ce pas désarmer, d'avance, la seule autorité capable d'apporter les remèdes efficaces, n'est-ce pas préparer la victoire, à bref délai, d'une nouvelle révolution et, celle-là, sans espérance de salut[53] ?

Aussi, sachant ce qu'ils veulent, ils ont bien choisi leur symbole : le drapeau tricolore. En effet, toute la question est là.

Le drapeau tricolore ! Puis-je oublier, se disait le prince, perdu dans ses réflexions toujours les mêmeset que tant de témoignages immédiats nous permettent de reconstituer,puis-je oublier que c'est ce drapeau tricolore qui a tué Louis XVI ; ce drapeau tricolore, c'est lui qui, entouré de piques dégoûtantes du sang des tètes qu'on y avait plantées, a chassé, tué mon grand-oncle. Et j'accepterais ce drapeau, jamais ! jamais ![54]

Ce que ce drapeau a fait, il le refera ; et, d'ailleurs, c'est ce que l'on prépare, en me ramenant derrière lui. Il est le symbole, l'étendard, reconnu par tous, de l'hérésie politique dont je suis l'antinomie : la Révolution. Ce drapeau, ce n'est pas l'anarchie peut-être, mais tout au moins — je connais ses procédés insidieux — c'est la prédominance de la volonté mobile de la nation sur la tradition, des aspirations du monde moderne sur le principe d'autorité, des intérêts et des droits de la société de 1789 sur les nécessités séculaires, en France, d'un gouvernement stable : il signifie suprématie du parlement, dirigé par quelques personnalités gouvernantes, sur le souverain simplement régnant[55].

Et ces gens qui mènent toute la campagne, je les connais aussi. Il y a longtemps que ma méfiance les surveille. Ministres des branches cadettes, fauteurs de tous les désordres, aristocrates, eux et les leurs n'ont songé, de tout temps, qu'à usurper les libertés de la nation pour rogner, à leur profit, l'autorité du roi[56]. Je les connais. Je n'ai pas confiance[57]. Pourquoi ne sont-ils pas venus ici et m'ont-ils envoyé ce parlementaire qui m'épuise de son solennel verbiage ? S'agit-il de traiter une affaire[58] ? Je sais ce qu'ils veulent de moi : que je règne et que j'abdique pour laisser la place à leurs ambitions et à leurs intrigues. Je n'abdiquerai pas[59].

Je suis l'obstacle, c'est entendu ; on voudrait le briser ou l'user. Je ne me laisserai pas user et je les briserai : je tiendrai bon. On verra bien s'il y a quelqu'un, maintenant, qui puisse se mettre entre la France et le roi.

Si je ne cède pas, on prétend traîner en longueur. Qu'est-ce que c'est que ces projets de prorogation, pour dix ans, des pouvoirs du maréchal, sinon le délai nécessaire pour que je disparaisse ? Qu'est-ce que ces projets de lieutenance générale du royaume pour Joinville ou pour Aumale ? Suis-je impuissant ? Suis-je incapable ? Eh bien, si de pareils projets se réalisaient, rien ne m'arrêterait, je viendrais, je me montrerais à la France : je combattrais moi-même le prince de mon sang capable d'une telle forfaiture[60].

Je viendrai ; je me présenterai au peuple, à l'armée.

Eux comprendraient peut-être ; dans leur logique simple et sincère, ils comprendraient que je ne puis pas céder sur la seule chose qui me reste : mon principe, mon drapeau. On m'objecte Henri IV et son mot, vrai ou non, Paris vaut bien une messe. Mais lui était vainqueur. Tandis que moi, je ne suis rien qu'un gros homme boiteux[61]. Quelle figure aurai-je si à ce peuple je me présente courbé, mendiant de tous mes adversaires un trône qui ne voudrait pas de moi ?

Des concessions. Ne les ai-je pas faites, toutes, l'une après l'autre ? J'ai cédé sur la constitution, sur les droits politiques ; on m'a fait accepter le suffrage universel, les deux Chambres. Voilà, maintenant, la responsabilité des ministres, les libertés religieuses, l'indifférence de l'État ! Chaque jour, on empile dans des déclarations non débattues, non acceptées, des exigences et des restrictions nouvelles. On me montre à ce peuple, ligoté dans les formules et les réticences du bon M. Chesnelong. On appelle cela les aspirations de la France. Tout au plus des combinaisons de parti pour me réduire à l'impuissance d'un souverain désarmé[62].

Il faut que je capitule devant un procès-verbal Savary ! J'en suis là. On veut que je parle : Eh bien ! je parlerai...

Le comte Robert de Mun était alors à Salzbourg, ému comme tant d'autres, de la gravité des circonstances. Il devait diner à la table du comte de Chambord. Comme on passait dans la salle à manger, celui-ci le prit familièrement par le cou : — Monseigneur songe peut-être, lui dit le comte B. de Mun, qu'il n'a plus que quelques jours à diner en exil. — Oui, répondit le roi ; la monarchie est faite ; mais à la façon dont elle est faite, peut-être vaudrait-il mieux qu'elle ne se fit pas([63].

Elle ne devait pas se faire. De partout, des objurgations montaient vers le prince. De partout, de Paris, de la province, de l'étranger, des lettres, des télégrammes arrivaient, interrogeant, suppliant de ne pas céder. M. Louis Veuillot avait dit son fameux mot : Si le comte de Chambord cède, il sera peut-être mon roi, mais il n'est plus mon homme !

Le prince hésitait encore ; le procès-verbal Savary fut la goutte d'eau. Alors, le comte de Chambord obéit à son caractère : il agit. On dit qu'il consulta encore au dernier moment et qu'il eut même, à ce sujet, un entretien avec l'empereur d'Autriche. Peut-être, une certaine pression étrangère s'exerça-t-elle sur lui et alarma-t-elle son patriotisme[64].

Ce document qui allait décider de sa destinée, de la destinée de la dynastie, il l'écrivit en s'y reprenant par deux fois. La confiance et la méfiance ou, pour être plus précis encore, les deux devoirs luttaient en lui et le document lui-même trahit ces hésitations et cette lutte. Enfin, il se décida[65].

M. de Blacas annonce à M. de Dreux-Brézé cette résolution dans les termes suivants : Monsieur le comte de Chambord est de plus en plus persuadé, par la lecture des journaux et des lettres qui lui arrivent de tous côtés, que les malentendus subsistent, s'étendent et s'aggravent tous les jours, en dépit des rectifications si promptes et si nettes insérées, par vos ordres, dans nos journaux. Il voit là un danger immense pour lui, sa position en face du pays rendue fausse et ambiguë, dès maintenant et surtout après sa rentrée, et il se décide, comme je vous le faisais pressentir hier, à sortir de cette situation intolérable pour lui, en adressant à M. Chesnelong une lettre que René de Monti vous remettra et qui doit, d'ordre de Monseigneur, être insérée dans l’Union[66].

Écrite entièrement de la main du prince et scellée aux armes royales, la lettre, datée du 27 octobre, est apportée à Paris par M. de Monti le 29. Le marquis de Dreux-Brézé doit la remettre au destinataire, M. Chesnelong, le lendemain à midi et demi. M. de Monti est  aussi porteur d'une copie qu'il a pour instructions de remettre à l'Union, avec un ordre impérieux du comte de Chambord, prescrivant de la publier le jour même à trois heures de l'après-midi[67].

Personne ne s'interposera désormais entre le prince et la nation.

Les résolutions du prince furent ponctuellement exécutées. M. Chesnelong a, lui-même, raconté les circonstances dans lesquelles il reçut. ce document, qui unit, pour toujours, son nom à celui de la maison de France.

M. Chesnelong était, en compagnie de M. de Mackau, dans un restaurant de la rue des Réservoirs, à Versailles, quand le marquis de Dreux-Brézé entra, qui, visiblement, le cherchait.

J'allai aussitôt vers lui, dit M. Chesnelong, et obsédé par la pensée qui me poursuivait depuis quatre jours, je l'abordai en lui disant : Vous avez une lettre de Monseigneur ?Oui, me répondit-il, elle vous est adressée, et je suis chargé de vous la remettre. La voici. — La connaissez-vous ? Est-elle bonne, ou détruit-elle nos espérances ?Elle est très honorable pour vous, me répondit-il. Mais quant au fond des choses, elle revendique le drapeau blanc et ne semble admettre ni conditions ni garanties préalables. — Mais alors, lui dis-je, c'est l'effondrement. Il faut garder le secret sur cette lettre, écrire au prince, au besoin partir ce soir pour Frohsdorf et conjurer à tout prix une catastrophe inévitable. — C'est inutile, me répondit M. de Dreux-Brézé ; une copie de la lettre a été adressée à l'Union avec l'ordre formel de la publier dès ce soir.

Je fus atterré. Je pris la lettre, sans dire un mot de plus, des mains de M. de Dreux-Brézé, et, tout bouleversé, je revins auprès de M. de Mackau.

En voyant la profonde tristesse dont ma physionomie portait l'empreinte, M. de Mackau comprit. Je lui demandai la permission de le quitter. Je rentrai chez moi pour prendre connaissance de la lettre du prince qui venait de m'être remise et réfléchir sur la situation.

La lettre était datée de Salzbourg, comme pour indiquer sans doute qu'elle était un épilogue de l'entrevue.

Elle était ainsi conçue :

Salzbourg, 27 octobre 1873.

J'ai conservé, Monsieur, de votre visite à Salzbourg un si bon souvenir, j'ai conçu pour votre noble du caractère une si profonde estime, que je n'hésite pas à m'adresser loyalement à vous, comme vous êtes venu vous-même loyalement vers moi.

Vous m'avez entretenu, durant de longues heures, des destinées de notre chère et bien-aimée patrie, et je sais qu'au retour, vous avez prononcé, au milieu de vos collègues, des paroles qui vous vaudront mon éternelle reconnaissance. Je vous remercie d'avoir si bien compris les angoisses de mon âme, et de n'avoir rien caché de l'inébranlable fermeté de mes résolutions.

Aussi ne me suis-je point ému quand l'opinion publique, emportée par un courant que je déplore, a prétendu que je consentais enfin à devenir le roi légitime de la Révolution. J'avais pour garant le témoignage d'un homme de cœur et j'étais résolu à garder le silence, tant qu'on ne me forcerait pas à faire appel à votre loyauté.

Mais puisque, malgré vos efforts, les malentendus s'accumulent, cherchant à rendre obscure ma politique à ciel ouvert, je dois toute la vérité à ce pays, dont je puis être méconnu, mais qui rend hommage à ma sincérité, parce qu'il sait que je ne l'ai jamais trompé et que je ne le tromperai jamais.

On me demande aujourd'hui le sacrifice de mon honneur. Que puis-je répondre, sinon que je ne rétracte rien, que je ne retranche rien de mes précédentes déclarations ? Les prétentions de la veille me donnent la mesure des exigences du lendemain et je ne puis consentir à inaugurer un régime réparateur et fort par un acte de faiblesse.

Il est de mode, vous le savez, d'opposer à la fermeté d'Henri V l'habileté d'Henri IV. La violente amour que je porte à mes sujets, disait-il souvent, me rend tout possible et honorable.

Je prétends, sur ce point, ne lui céder en rien, mais je voudrais bien savoir quelle leçon se fût attirée l'imprudent assez osé pour lui persuader de renier l'étendard d'Arques et d'Ivry.

Vous appartenez, Monsieur, à la province qui l'a vu naître, et vous serez, comme moi, d'avis qu'il eût promptement désarmé son interlocuteur, en lui disant avec sa verve béarnaise : Mon ami, prenez mon drapeau blanc ; il vous conduira toujours au chemin de l'honneur et de la victoire.

On m'accuse de ne pas tenir en assez haute estime la valeur de nos soldats et cela au moment où je n'aspire qu'à leur confier tout ce que j'ai de plus cher. On oublie donc que l'honneur est le patrimoine commun de la maison de Bourbon et de l'armée française, et que, sur ce terrain-là, on ne peut manquer de s'entendre !

Non, je ne méconnais aucune des gloires de ma patrie, et Dieu seul, au fond de mon exil, a vu couler mes larmes de reconnaissance, toutes les fois que, dans la bonne ou dans la mauvaise fortune, les enfants de la France se sont montrés clignes d'elle.

Mais nous avons ensemble une grande œuvre à accomplir. Je suis prêt, tout prêt à l'entreprendre quand on le voudra, dès demain, dès ce soir, dès ce moment. C'est pourquoi je veux rester tout entier ce que je suis. Amoindri aujourd'hui, je serais impuissant demain. Il ne s'agit de rien moins que de reconstituer sur ses bases naturelles une société profondément troublée, d'assurer avec énergie le règne de la loi, de faire renaitre la prospérité au dedans, de contracter au dehors des alliances durables, et, surtout, de ne pas craindre d'employer la force au service de l'ordre et de la justice.

On parle de conditions : m'en a-t-il posé ce jeune prince, dont j'ai ressenti, avec tant de bonheur, la loyale étreinte, et qui, n'écoutant que son patriotisme, venait spontanément à moi, m'apportant au nom de tous les siens des assurances de paix, de dévouement et de réconciliation ?

On veut des garanties : en a-t-on demandé à ce Bayard des temps modernes, dans cette nuit mémorable du 24 mai, où l'on imposait à sa modestie la glorieuse mission de calmer son pays par une de ces paroles d'honnête homme et de soldat qui rassurent les bons et font trembler les méchants ?

Je n'ai pas, c'est vrai, porté comme lui l'épée de la France sur vingt champs de bataille : mais j'ai conservé intact, pendant quarante-trois ans, le dépôt sacré de nos traditions et de nos libertés. J'ai donc le droit de compter sur la même confiance et je dois inspirer la même sécurité.

Ma personne n'est rien, mon principe est tout. La France verra la fin de ses épreuves quand elle voudra le comprendre. Je suis le pilote nécessaire, le seul capable de conduire le navire au port, parce que j'ai mission et autorité pour cela.

Vous pouvez beaucoup, Monsieur, pour dissiper les malentendus et arrêter les défaillances à l'heure de la lutte. Vos consolantes paroles, en quittant Salzbourg, sont sans cesse présentes à ma pensée : la France ne peut pas périr, car le Christ aime encore ses Francs, et lorsque Dieu a résolu de sauver un peuple, il veille à ce que le sceptre de la justice ne soit remis qu'en des mains assez fermes pour le porter.

 

Cette lettre est pleine, explicite, elle dit tout. Selon l'expression du marquis de Dreux-Brézé, le roi avait dissipé les ténèbres. A sa manière, autoritaire et vive, il s'était arraché d'un coup sec, aux nœuds dont on l'avait lié. Il déjouait l'intrigue. Peut-être n'avait-il pas calculé exactement toutes les conséquences.

Ce qu'il a vu clairement, c'est qu'il échappait à un danger presque immédiat, et qui l'eût conduit à la plus fâcheuse de toutes les fins, celle qu'il craignait pardessus tout : ressaisir le trône pour le perdre aussitôt. N'être qu'un simple intermédiaire, un pont pour ses successeurs d'Orléans, cette idée lui était odieuse, et il n'est pas douteux qu'elle lui fut sans cesse présente. Les négociations qui se multipliaient autour de lui faisaient augurer les difficultés qu'il rencontrerait dès le jour de la restauration. Il eut, comme il l'avait eue une fois déjà, à Chambord, en juillet 1871, la vision de l'abîme qui le séparait de la France moderne. Les élections du 12 octobre 1873 l'avertissaient, comme celles du 2 juillet 1871 l'avaient averti déjà.

Monseigneur était très autoritaire, et je riais un peu, à part moi, dit Mme de La Ferronnays dans ses Mémoires, quand j'entendais de bons ultras exprimer la crainte que, rentré en France, il ne se montrât trop libéral. Personne ne l'était moins que lui. Si la restauration  s'était faite, sa pensée était d'organiser en France des assemblées départementales auxquelles auraient été attribués des pouvoirs plus étendus que n'en ont les conseils généraux actuels et de travailler à la décentralisation. Toutes ses sympathies étaient pour la province et les gens qui en venaient ; il redoutait Paris, un peu comme Louis XIV qui avait conservé un souvenir amer du jour où, au commencement de la Fronde, on avait cru nécessaire de l'en faire sortir[68].

La première impression durable de son enfance avait été la Révolution de 1830 : elle plana sur sa vie tout entière. De ces journées où son vieux grand-père avait été si cruellement trahi par les siens, il lui était resté un sentiment dominant, la méfiance : il était méfiant comme Louis XI, m'a dit quelqu'un.

Autour de lui, les dispositions étaient les mètres. On a prononcé le nom de la comtesse de Chambord. Paris, par ses exigences, par ses séductions mêmes, effrayait une femme dont le corps et l'âme avaient pris le pli de l'exil : Je suis la compagne du malheur, disait-elle ; si mon mari remontait sur le trône, le mieux pour tous serait qu'on me tuât[69].

Faut-il conclure que le comte de Chambord ne voulut pas régner ? Non. Sa pensée était tout autre et sa conduite ultérieure le montrera assez. Mais s'il voulait régner, c'était, selon sa propre conception de la royauté, par une droite et franche entente entre la nation et lui. Sa politique devait être, comme il le dit, à ciel ouvert. Si cette entente ne se réalisait pas en pleine lumière, il jugeait le reste inutile.

Il comptait, à un degré extraordinaire, sur l'influence personnelle qu'il exerçait. Il pensait que le jour où il se présenterait au pays, les cœurs voleraient au-devant de lui. Il croyait au plébiscite des fenêtres[70].

Mais, précisément en vue de cette journée d'effusion, il craignait, par-dessus tout, de rompre le charme qui tenait à sa loyauté, à sa droiture, à sa belle physionomie traditionnelle. Il n'attendait rien des habiletés de la politique. Il n'a pas fui le trône, il a refusé de courir une aventure. Répétons encore une fois, d'après lui, son explication, toujours la même : Si j'avais admis toutes les concessions qui m'étaient demandées, disait-il au marquis de Dreux-Brézé, si j'avais accepté toutes les conditions qu'on voulait m'imposer, j'eusse peut-être reconquis ma couronne, mais je ne serais pas resté six mois sur mon trône. Avant la fin de ce court espace de temps, j'eusse été de nouveau relégué en exil par la révolution dont j'étais devenu, dès ma rentrée en France, le prisonnier[71].

Ici encore, le prince se trouve en communauté étroite avec l'évêque de Poitiers. Celui-ci écrivait, en effet, à Mgr Mercurelli, à propos de la lettre du 27 octobre : Si la monarchie s'était faite dans les conditions arrangées par le libéralisme, notre dernière ressource religieuse et nationale était perdue. Il est clair que le roi n'aurait, pas duré six mois, et n'aurait rien pu faire de bon pendant ce très court règne. Il avait contre lui, outre toutes les fractions de la gauche et du bonapartisme, la plus grande partie de la droite, embrigadée par des chefs dont il n'eût pas voulu pour ministres. Devant cette opposition, après deux ou trois combinaisons ministérielles renversées, il fallait se retirer, et, cette fois, c'était abdiquer. Au contraire, maintenir ses principes et attendre l'heure de Dieu, c'est se réserver pour un avenir qui ne peut être éloigné...[72]

L'honneur, la conscience, la piété, la prudence tenaient le même langage. Peut-être une politique avisée en eût-elle tenu un autre ?

Le comte de Chambord était l'homme d'un autre âge, l'homme de l'exil. M. de Margelle lui ayant demandé un jour ce qu'il fallait dire à ceux qui affirmaient que le roi ne veut pas régner, le comte de Chambord ne le laissa pas achever sa phrase, et sa réponse partit comme un trait ou comme une explosion : — Dites-leur, s'écria-t-il d'une voix forte, que c'est comme s'ils disaient que le roi ne veut pas faire son salut, comme s'ils disaient que le roi ne veut pas aller au ciel. On ne fait son salut qu'en faisant son devoir d'état. Mon devoir d'état est de régner[73].

 Mais il ne pensait pas que son devoir d'état fût de céder. Voilà tout le comte de Chambord, l'homme, le Roi.

 

IV

La lettre de Salzbourg détermina à Versailles, à Paris, dans la France entière, les sentiments les plus divers : la surprise, l'abattement, la joie et, d'une manière générale, une sorte de soulagement.

Pour M. Chesnelong, c'était l'effondrement. Il ne se résigna pas, d'abord, à un aussi triste dénouement.

La parole de Napoléon III : Il est temps que les bons se rassurent... est également rappelée dans les notes de M Pie et dans la lettre du 27 octobre. Enfin, le comte de Chambord termine ainsi sa lettre : La France ne peut pas périr, car le Christ aime encore ses Francs, et lorsque Dieu a résolu de sauver un peuple, il veille à ce que le sceptre de la justice ne soit remis qu'en des mains assez fermes pour le porter. L'évêque de Poitiers dit aussi : Ce qu'il faut au monde, c'est le porte-glaive, le grand justicier, comme on disait de saint Louis ; et il clôt par ces mots son projet de déclaration Dieu nous soit en aide et son Christ qui aime les Francs !

Il écrivit ab irato au comte de Chambord une très longue lettre, qu'il replia ensuite et garda par devers soi. Puis, il se mit à la recherche de M. de Dreux-Brézé et le trouva dans le cabinet du ministre de l'agriculture, M. de La Bouillerie. M. Lucien Brun était là : — Nous avons fait un beau rêve, dit celui-ci, il est brisé.

M. Chesnelong insista de nouveau auprès du marquis de Dreux-Brézé pour qu'on suspendit la publication. L'ordre était formel et il n'y avait qu'à l'exécuter. M. de La Bouillerie se chargea de communiquer la lettre au gouvernement, qui, d'ailleurs, la connaissait déjà.

La commission des Neuf était convoquée pour trois heures. M. Chesnelong alla chez le général Changarnier. Il y trouva nombreuse assemblée. Plus de soixante députés, attirés à Paris par la prochaine reprise de la session, s'étaient rendus chez le président de la commission des Neuf. Un pointage certain venait de s'achever. En ne tenant compte que des adhésions verbales ou écrites, formellement obtenues, on était sûr d'une majorité de vingt voix pour le premier vote. On était tout à la joie.

M. Chesnelong entre. — Je vis, dit-il, la confiance sur tous les visages ; mais on fut frappé de la tristesse du mien[74].

Apporteriez-vous quelque mauvaise nouvelle ? demande vivement le général.

J'ai reçu, répond M. Chesnelong, une lettre de M. le comte de Chambord.

Un silence solennel se fit aussitôt. Et M. Chesnelong lut, avec une émotion qu'il avait peine à maitriser, la lettre du prince. Pas un mot ne fut prononcé, pendant la lecture, par les soixante députés qui l'entendaient. Mais à mesure que cette lecture se déroulait, je voyais d'abord l'anxiété, dit M. Chesnelong, puis la déception, enfin une sorte d'abattement découragé passer dans toutes les physionomies... Il semblait, ajoute-t-il, qu'on assistât à l'écroulement inattendu d'un gouvernement frappé dans la plénitude de sa force et de sa vie. Des larmes coulaient le long des joues du général Changarnier[75].

Un lugubre silence suivit. Le duc Decazes le rompit pour signaler les différences notables qui existaient entre les déclarations de M. Chesnelong et Protestation la lettre du comte de Chambord. — Je maintiens tout ce que j'ai dit à mon retour de Salzbourg, répond M. Chesnelong... Voilà la vérité. Si elle était contestée, j'en appellerais au roi. Et si le roi me manquait, j'en appellerais du roi à Dieu.

On s'inclina devant la protestation de ce parfait honnête homme.

Il est certain qu'il y avait, au moins, un malentendu. Dans sa lettre, le comte de Chambord ne mettait pas en doute la droiture de M. Chesnelong. Il disait même que les paroles de celui-ci lui vaudraient son éternelle reconnaissance ; mais il ne les sanctionnait pas de son adhésion.

Sur la question constitutionnelle, le prince protestait surtout contre les termes du procès-verbal Savary, parlant des garanties que M. Chesnelong aurait demandées à Salzbourg.

Quant au drapeau, le comte de Chambord ne mentionnait pas les deux déclarations que M. Chesnelong avait produites en son nom.

Aux termes de ces déclarations, le comte de Chambord aurait consenti à ne pas soulever la question du drapeau avant d'être monté sur le trône et se serait fait fort de faire accepter par l'Assemblée nationale la solution qu'il proposerait. Mais il est certain qu'il n'avait jamais renoncé au drapeau blanc.

D'après l'exposé de M. Chesnelong, on avait pris, à Paris, pour un résultat ce qui, à Frohsdorf, n'était qu'un moyen[76].

Le comte de Chambord déçu, froissé, retirait même la concession provisoire qu'on lui avait arrachée ; il reprenait son attitude primitive, catégoriquement intransigeante ; il écartait tout recours à une négociation ultérieure. Il répudiait le drapeau tricolore et imposait le drapeau blanc.

L'échafaudage si péniblement élevé par la commission des Neuf s'écroulait. La première impression fut unanime : Tout est fini. Notre projet n'est plus réalisable. On voulut cependant se laisser le temps de la réflexion ; la commission s'ajourna au lendemain, vendredi.

Au même moment, le gouvernement délibérait sous la présidence du maréchal de Mac Mahon. Le comte de Chambord avait prescrit qu'avant la publication, on donnât communication officieuse de sa lettre au président de la République[77].

Le duc de Broglie avait, depuis longtemps, prévu l'échec de la fusion. En chef expérimenté, il avait pris ses mesures pour protéger la retraite. Le conseil, rangé autour du maréchal, fut d'avis, tout d'abord, que l'événement ne devait entraîner ni la démission du président ni la chute du cabinet. Celui-ci avait le devoir de se présenter uni devant l'Assemblée.

On parla de l'éventualité d'une proposition, due à l'initiative parlementaire, et comportant la proclamation de la monarchie avec la régence du comte de Paris on la lieutenance générale du maréchal de Mac Mahon. MM. Ernoul et de La Bouillerie appuyèrent l'opinion du vice-président du conseil sur le peu de chance de succès de cette combinaison, du moins en ce qui concernait le comte de Paris. Celui-ci, d'ailleurs, insistait pour qu'on n'engageât pas son nom dans une campagne qui n'avait aucune chance d'être utile au pays. Le maréchal écarta l'idée d'une lieutenance générale pour lui-même. Disposé à rester aux ordres du parti conservateur, il exprima vivement le désir de ne garder le pouvoir qu'autant qu'il ne serait rien changé aux conditions existantes[78].

On en venait donc à la prorogation des pouvoirs du maréchal. L'idée ayant été mise en avant, il était naturel, dit M. Merveilleux du Vignaux[79], qu'on la vît reparaître au moment où l'espoir des monarchistes s'écroulait. Le conseil fut d'avis qu'un acte constitutionnel était indispensable. Mais la chose n'allait pas sans difficulté. On sursit pour prendre langue avec les groupes de droite.

 

La lettre du comte de Chambord avait paru dans l'Union vers six heures du soir. La nouvelle se répandit dans Paris et gagna de proche en proche, comme une traînée de poudre. La plupart des journaux lancèrent des éditions supplémentaires qui parurent à l'heure où les Parisiens quittent la table pour se rendre soit au théâtre, soit sur les boulevards. Ce fut une stupéfaction générale.

On s'arrachait les feuilles, on se bousculait autour des kiosques. On lisait la lettre tout haut, les uns hochant la tête, les autres criant et applaudissant. C'était l'heure de la petite Bourse : comme dans toutes les grandes circonstances, on commençait par perdre la tête et les baissiers poussaient à la panique.

La foule était massée à quelques pas des ruines encore fumantes de l'Opéra et elle discutait parmi les sergents de ville et les cavaliers qui gardaient les abords du monument incendié.

Les plus compromis se taisaient ou se fâchaient, selon les caractères ; les prudents se félicitaient tout bas ; les habiles évoluaient ; beaucoup se frottaient les mains en affirmant, ceux-ci que la République était faite, ceux-là que le retour de l'empire était assuré[80]. Dans ce coin de Paris, où tout le monde se connaît peu ou prou, on épiait, sur les visages, les signes des passions intérieures qui se heurtaient.

Quelques personnes se refusaient à croire à l'authenticité du document. C'est une fausse lettre, disaient-elles ; c'est encore un tour de M. Thiers, mais nous ne nous y laisserons pas prendre[81].

Dans les théâtres, on était debout, les feuilles dépliées. Les couloirs étaient bondés et tumultueux. Aux Italiens, M. Léonce Détroyat, directeur de la Liberté, se promenait en triomphateur ; M. Paul de Cassagnac réclamait très haut la prorogation des pouvoirs du maréchal. A la Gaieté, M. Batbie, ministre de l'instruction publique, qui, s'étant absenté de Versailles pour assister à la première représentation du Gascon, n'avait pu prendre part à la délibération du conseil des ministres, lisait la lettre dans les journaux, comme tout le monde[82].

Le centre gauche tenait justement réunion ce soir-là. Le groupe se déclara en permanence et communiqua à la presse la résolution suivante : Le centre gauche, s'inspirant des témoignages d'approbation qui lui sont parvenus de tous les points de la France, déclare que le moment est venu de sortir du provisoire et d'organiser la république conservatrice.

D'autres réunions ou conférences s'improvisent.

A Versailles, un certain nombre de membres de la droite s'assemblent à l'hôtel des Réservoirs, sous la présidence du baron de Larcy. Réunion suprême et navrante, dit M. Maurice Aubry[83], dans laquelle je partis être personnellement le seul contradicteur, le seul vaincu. Voyant que la grande majorité de ses collègues inclinaient à conclure que la restauration était désormais impossible, l'honorable député des Vosges intervint en ces termes : Si après la noble lettre du 27 octobre, qui montre le roi tel qu'il est, tel qu'il a toujours été, tel qu'il doit être, vous renoncez à faire la monarchie, ce sera, pour l'Assemblée nationale, une honte historique !

Sur ces mots, dit M. Aubry dans ses Souvenirs, une nouvelle tempête de discours éclata, comme pour couvrir la retraite des consciences effarées par les amertumes d'une faute désormais inévitable et par le pressentiment des responsabilités qui en seraient la suite fatale... Quand je me retirai, une vingtaine de députés, moins obscurs et plus émus que moi-même, vinrent me dire avec des larmes dans les veux et des larmes dans la voix : Merci ! Merci ![84]

Il y avait réception chez M. Thiers, à l'hôtel Bagration, faubourg Saint-Honoré. Debout devant la cheminée et tenant dans les mains un journal du soir, M. Thiers était radieux. A un moment, il ne résista pas au désir de lire tout haut la lettre royale. On fit silence autour de lui et il commença d'une voix lente et mesurée. Quand il arriva au passage dans lequel il est question du drapeau d'Arques et d'Ivry, il s'interrompit, et levant les yeux au dessus de ses lunettes, il dit, de cet accent malicieux que connaissent bien ceux qui l'ont entendu :Je voudrais voir la tête de Pasquier[85].

Précisément, quelques membres importants du centre droit, dont le duc d'Audiffret-Pasquier était président, s'étaient réunis chez M. Lambert de Sainte-Croix. Ils décidèrent de proposer la régence du comte de Paris[86].

A Versailles, M. Deseilligny, ministre du commerce, donnait un diner officiel : Dans la soirée qui suit le diner, sous le coup de la surprise, les députés des diverses nuances de la majorité s'empressaient autour du gouvernement, avides d'apprendre ce qu'il savait, de pressentir ce qu'il allait faire, et, parmi eux, les plus déçus, les membres de l'extrême droite, n'étaient pas, à cette première heure, les moins amers contre leur prince. Broglie saisissant Buffet par le bras et le tirant à l'écart, lui dit :Vous entendez ces hommes-là ; eh bien ! dans quinze jours, c'est moi qu'ils accuseront d'avoir empêché la monarchie ; mais nous avons quinze jours devant nous pour donner à la France un gouvernement et la sauver[87].

L'opinion était unanime sur les conséquences de la lettre royale : Selon l'expression de M. Lucien Brun, le rêve était brisé.

Dans ses Souvenirs politiques, le vicomte de Meaux rapporte qu'après un pointage il avait constaté que la majorité était acquise à la monarchie et il le mandait joyeusement à sa mère, quand son oncle Mérode entra chez lui. — Tout est rompu, lui dit-il, et il lui tendit l'Union[88].

Je sentis, à cette lecture, dit le marquis de Dampierre[89], que toutes nos espérances s'effondraient. — Nous sommes perdus, tel est le premier mot du duc d'Audiffret-Pasquier.

M. Martial Delpit exprime plus énergiquement encore le même sentiment : J'ai été bouleversé, écrit-il dans son journal[90], en passant à Bergerac, par la lecture du nouveau manifeste du comte de Chambord. J'ai senti le coup. Nous voilà à l'eau !

Je voudrais être mort, disait l'un des plus fervents royalistes à Mgr Dupanloup. Pour celui-ci, l'événement fut une des plus grandes douleurs de sa vie[91].

Dans le public, comme on était mal renseigné, personne ne comprenait : Les orléanistes sont furieux ; leur colère est si violente, si aveugle, si excessive, qu'elle en devient comique. — Il ne lui reste plus qu'à mourir ! aurait dit le général des jésuites en parlant du comte de Chambord[92]. D'autres, non moins crûment, — le mot fut attribué au comte de Mérode — : Il n'a pas su ouvrir les yeux, il ne lui reste qu'à les fermer. Les légitimistes purs constatent, comme tout le monde, l'échec irrémédiable. Le comte de Chambord est un illuminé, opine M. de La Borderie, député d'Ille-et-Vilaine ; il a rendu la monarchie impossible. — Le comte de Chambord a jeté la couronne par la fenêtre, dit, irrévérencieusement M. de Saint-Chéron.

Parlant à M. Callet, du centre droit, M. de La Rochette déclare que si la lettre du comte de Chambord lui eût été confiée, il l'aurait déchirée ou brûlée ; mais qu'à coup sûr il ne l'aurait pas publiée[93].

Chez les bonapartistes, la lettre provoqua une joie bruyante. Le soir du 30 octobre, M. Roulier arrivait de Cercey au moment de la mise en vente de l'Union. Théophile Gautier fils se précipite au-devant de lui et lui crie :Une lettre du comte de Chambord ! Il maintient son drapeau blanc, ses déclarations et ne veut aucune concession. — M. Roulier, rapporte M. Eugène Loudun, s'élance dans son cabinet, où nous entrons tous avec le baron Eschasseriaux, qui arrive, et M. Roulier dit à M. Gautier de lire la lettre. Dès les premiers mots, ou lève les bras : — Ce n'est pas possible ! c'est inventé ! ce n'est pas vrai ! Le doute cesse quand on nous dit que la lettre est publiée en tête de l'Union.

Alors, c'est une explosion de joie générale, et particulièrement de M. Roulier. Il ne se tenait pas, il allait, il venait, il interrompait par des plaisanteries, des calembours d'un goût douteux... Sa joie débordait, irrésistible, et, par la violence de l'explosion, on pouvait juger quelle avait été la vivacité de ses craintes[94].

Enfin, M. Roulier, s'adressant au duc de Padoue, dit : Il n'y a pas comité aujourd'hui, nous allons porter nos hommages à M. le comte de Chambord.

En effet, le lendemain, il y eut, dans les journaux bonapartistes une explosion d'admiration pour le prince. Le comte de Chambord, dit le Gaulois, a préféré le suicide au déshonneur. Cette lettre, lit-on dans le Pays, enlève à la France un roi, mais lui laisse un honnête homme. La royauté, écrit la Liberté, est sans doute morte à jamais ; mais, en mourant, elle lègue à tous les Français une grande leçon de patriotisme et d'honneur. L'Ordre était non moins lyrique : Des hommes tels que le comte de Chambord peuvent se passer de couronne ; la droiture de l'esprit, la fierté de l'âme, la noblesse du caractère leur en font une que les partis n'atteignent pas et que l'histoire consacre.

Puisque la légitimité et l'orléanisme s'annulaient l'un par l'autre, le bonapartisme, représentant la monarchie tricolore, reprenait espoir. N'ayant en face de lui que la République, il pouvait attendre la majorité politique du prince impérial, fixée au 16 mars 1874. Les journaux républicains furent tout aussi élogieux pour le comte de Chambord. La République française, l'Opinion nationale, le Rappel et l'Événement félicitèrent le prince de ne pas mentir à son passé.

Outre le journal officieux du comte de Chambord, l'Union, une seule feuille conservatrice, l'Univers, approuva la lettre de Salzbourg.

M. Louis Veuillot, selon l'appréciation du comte de M. Louis Chambord lui-même dans une lettre adressée plus tard à M. Eugène Veuillot, fut le seul qui comprit et interpréta exactement la pensée qui avait dicté la lettre du 27 octobre. Il écrivit, le 2 novembre, dans l'Univers : Pour nous et pour d'autres, Dieu merci, ce manifeste montre ce que c'est qu'un roi de France et un roi chrétien. Il fait voir un homme miséricordieux et patient, mais, avant tout, sincère et qui rejette un trône où Dieu ne devrait plus s'asseoir, et d'où le peuple ne serait plus gouverné selon son droit et selon son besoin.

Il faut citer, par contre, la parole d'un des vaincus de la journée. Mgr Dupanloup écrit, le 28 octobre, à M. de Pressensé : Nous irons de calamité en calamité jusqu'au fond de l'abîme. La malédiction de l'avenir et de l'histoire s'attachera à ceux qui, pouvant asseoir le pays sur des bases séculaires dans la stabilité, la liberté et l'honneur, auront empêché cette œuvre !... Quelle tristesse et quel remords pour certains hommes, forcés alors de se dire : Il y eut un jour, une heure, où on aurait pu sauver la France, où notre concours aurait décidé de tout, et nous n'avons pas voulu...

C'est ainsi que les jugements humains s'entrechoquent témérairement.

 

 

 



[1] On considérait généralement M. Lucien Brun comme ayant reçu, auprès du comte de Chambord, le même mandat que M. Chesnelong, de la part de la commission des Neuf. Il est assez curieux que le comte de Paris fût inexactement renseigné sur ce point. — M. de Falloux commet la même erreur. — Mémoires d'un royaliste (t. II, p. 567).

[2] Document inédit.

[3] CHESNELONG (p. 201).

[4] CHESNELONG (pp. 216 et 227).

[5] Sur la question de la responsabilité des ministres ou de la responsabilité ministérielle, voir les explications un peu confuses de M. CHESNELONG, La Campagne monarchique d'octobre 1873 (pp. 119 et suivantes). — Voir, par contre, les restrictions du marquis DE DREUX-BRÉZÉ, Notes et Souvenirs : La responsabilité des ministres, dit-il, ne devait pas pouvoir entamer les limites du terrain que Monseigneur était déterminé à réserver à l'autorité royale, ainsi que me le rappelait M. de Blacas dans une lettre datée de Frohsdorf, le 15 septembre 1873 (p. 343).

[6] Voir les lettres de M. Adrien LÉON, député de Bordeaux : 18 octobre 1873. Je sors de la réunion présidée par le général Changarnier. Demain, à une heure, réunion chez le duc d'Audiffret-Pasquier. Grivart, Desjardins et Vingtain sont ici, pas plus satisfaits que moi, et cependant le comte de Chambord cède sur toute la ligne.

Demain, je discuterai, dans le programme dont il est défendu de donner copie, la question de la liberté religieuse. J'en ai parlé à la réunion et on semble vouloir accepter la rédaction que je pourrais désirer.

L'article 2 est ainsi conçu : Les libertés civiles et religieuses, l'égalité de tous les citoyens devant la loi, leur admissibilité à tous les emplois, etc., et toutes les garanties qui complètent le droit public des Français sont et demeurent maintenues. — Document inédit.

[7] CHESNELONG (p. 250.)

[8] CHESNELONG (p. 270).

[9] Marquis DE DREUX-BRÉZÉ (p. 120).

[10] Au moment d'entrer chez M. Anisson-Duperron, rapporte M. Aubry, je me rencontrai sous la porte avec le vice président du conseil ; la présence d'un tel personnage à cette réunion me parut au moins étrange. Je m'approchai du duc de La Rochefoucauld-Bisaccia, continue M. Aubry, et lui demandai s'il avait connaissance de ce projet. Il me répondit à voix basse, en jetant les yeux vers le vice-président du conseil : Surtout ne parlons pas de cela ici. — AUBRY, Souvenirs inédits (p. 26). — On me fait remarquer que la présence du duc de Broglie à ces réunions est peu probable ; le gouvernement prenait soin de s'abstenir. L'incident, s'il eut lieu, n'eut aucune suite.

[11] MERVEILLEUX DU VIGNAUX (p. 114).

[12] M. DE DREUX-BRÉZÉ, qui publie cette lettre de M. de Blacas (p. 333), dit qu'elle renferme, après le mot idée, une épithète qui témoigne de l'impression extrêmement pénible éprouvée par le comte de Chambord à l'annonce de ce projet.

[13] Marquis DE DREUX-BRÉZÉ (p. 379).

[14] Marquis DE DAMPIERRE (p. 239).

[15] A. DE MARGERIE (p. 31).

[16] Un peu d'histoire, etc. (p. 112).

[17] AUBRY, Mémoires inédits (p. 2).

[18] Mémoires d'un royaliste (t. II, p. 12).

[19] CHESNELONG (p. 273).

[20] Vicomte DE MEAUX (p. 210).

[21] Marquis DE DAMPIERRE (p. 238).

[22] Vicomte DE MEAUX (p. 195).

[23] CHESNELONG (p. 295).

[24] Le général DU BARAIL raconte qu'un incident assez vif se serait produit au conseil des ministres, le 20 octobre et qu'il aurait protesté vivement contre une allusion de M. Ernoul aux sentiments de l'armée sur le drapeau blanc. Souvenirs (t. III, p. 426). — Mais le duc DE BROGLIE dans une lettre publiée par le Figaro du 25 mai 1898. a protesté contre le récit du général et affirmé qu'aucun ministre n'avait formé le dessein d'adopter le drapeau blanc.

[25] Vicomte DE MEAUX (p. 195).

[26] Vicomte DE MEAUX (p. 209).

[27] Marquis DE DREUX-BRÉZÉ (p. 72).

[28] Ils furent rachetés plus tard par M. Waddington et ils servirent à la mission qui assista au couronnement de l'empereur Alexandre III, à Moscou.

[29] DU BARAIL (t. III, p. 421) ; DAUDET (p. 200).

[30] Comte DE FALLOUX (t. II, p. 538).

[31] FIDUS (t. I, p. 234).

[32] LITTRÉ, De l'Établissement de la Troisième République (p. 201).

[33] Vicomte DE MEAUX (p. 207).

[34] RANC (p. 226).

[35] Document inédit.

[36] Correspondance de M. Adrien LÉON fils. — Documents inédits.

[37] Lettre de M. Adrien LÉON, député de la Gironde. — Document inédit.

[38] DELPIT (pp. 274 et 275).

[39] CHESNELONG (p. 307).

[40] CHESNELONG (p. 309).

[41] Marquis DE CASTELLANE, Dernier essai de restauration monarchique, dans la Nouvelle Revue du 1er novembre 1895 (p. 59). — Voir les documents réunis dans la brochure de M. A. CALLET, Les Responsabilités, in-8°, 1895. — Voir, surtout, la polémique échangée, à propos de cette brochure, dans le Mémorial de la Loire du 17 septembre, l'Union des 12, 27 septembre et 4, 13 octobre, Journal de Paris du 18 octobre et Mémorial de la Loire du 29 octobre 1875.

[42] A. DE MARGERIE (p. 31).

[43] Marquis DE DREUX-BRÉZÉ (p. 129).

[44] Ernest DAUDET (pp. 195 et 196).

[45] G. MICHEL, Léon Say, sa vie, ses œuvres (p. 228).

[46] Ernest DAUDET (p. 161).

[47] Document inédit. — Cf. E. DAUDET (pp. 186 et suivantes) et vicomte DE MEAUX, Correspondant du 25 octobre 1902 (p. 196).

[48] On n'a jamais su positivement à qui et à quoi la note de la Liberté faisait ici allusion. Etait-ce à la démarche tentée au mois d'août auprès de l'évêque de Poitiers par quelqu'un de l'entourage du gouvernement ? S'agit-il de l'audience accordée par le pape Pic IX à M. Keller, membre du groupe Changarnier, le 12 octobre 1873 ? Au cours de cette audience, le pape parla de la France. — Vous croyez que vous allez faire la monarchie, dit le pape. — Oui, très Saint-Père, nous l'espérons et nous le désirons vivement. — Eh bien ! vous ne la ferez pas. D'ordinaire, je ne m'occupe pas des questions politiques... Mais, cette fois, la chose était si importante pour la France et pour l'Église que j'ai laissé dire à Monsieur le comte de Chambord ce que j'en pensais. La couleur du pavillon n'a pas une si grande valeur. C'est avec le drapeau tricolore que les Français m'avaient rétabli à Rome. Vous voyez qu'arec ce drapeau on peut faire de bonnes choses. Mais M. le comte de Chambord n'a pas voulu me croire. CHESNELONG (p. 456). — Le général DU BARAIL rappelle dans ses Souvenirs le mot qu'on prêta au pape Pie IX après l'échec du comte de Chambord : Et tout ça pour oune serviette !

[49] Quel était l'informateur de la Liberté ? On a su depuis que c'était M. Norbert Billiard, ancien directeur du Journal officiel sous l'empire, ami de M. Rouher. M. Billiard a déclaré qu'il avait mené cette campagne pour éclairer la route au profit de l'empire, et agi de concert avec M. Morange, autre personnalité bonapartiste, qui aurait reçu les confidences émues d'un vieil ami, familier dévoué du comte de Chambord, venu en France avec la mission de dissiper les équivoques, de rompre les intrigues. — DAMPIERRE (pp. 270 à 278). — Le nom du vieil ami de M. Morange, fidèle du comte de Chambord, est resté mystérieux. Désignés tour à tour, MM. Henri de Vanssay et de Cazenove de Pradine protestèrent avec indignation contre l'accusation d'être les auteurs de la prétendue indiscrétion de la Liberté.

[50] Allusion évidente au duc de Broglie.

[51] Lettre de M. de Blacas à M. de Dreux-Brézé en date du 23 octobre 1873 — DREUX-BRÉZÉ (p. 340).

[52] A. DE SAINT-ALBIN, Histoire de Henri V (p. 391). — Le comte de Chambord avait envoyé à Rome le comte Henri de Vanssay et celui-ci s'y était rencontré avec M Pie. Le prélat prépare le terrain à l'envoyé du roi et se fait, de l'aveu même du prince, son protecteur, son guide, son appui. On parla beaucoup de la restauration de la monarchie entre le pape, l'évêque de Poitiers et M. de Vanssay. Il semble que Rome, dit l'historien du cardinal Pie, tient présentement le nœud des destinées de la France. — BAUNARD (t. II, pp. 482 à 493). — Sur Mgr Pie, voir TAISE, Régime moderne (t. II, p. 137).

[53] Cité par Henri DE PÈNE, Henri de France (p. 396). — Cf. Souvenirs inédits de M. DE VANSSAY.

[54] Il est très facile de comprendre pourquoi le roi n'a pas accepté la couronne aux conditions imposées par le centre droit... Le roi n'a pas voulu parce qu'il est le représentant de l'hérédité et des traditions et que le centre droit a voulu faire de lui le roi de la Révolution... parce qu'il a sa part dans la souveraineté publique et que le centre droit a voulu lui enlever cette part en plaçant la souveraineté entière dans l'Assemblée issue du suffrage universel, ce qui constituait, en réalité, la souveraineté du peuple, c'est-à-dire du nombre : principe fatal de toutes les révolutions. — Lettre de M. DE LA ROCHETTE, dans l'Union du 27 septembre 1875.

[55] Marquis DE DREUX- BRÉZÉ (p. 143).

[56] ... L'union du peuple et du roi a permis à la monarchie française de déjouer, pendant des siècles, les calculs de ceux qui ne luttent contre le Roi que pour dominer le Peuple... — Manifeste du comte de Chambord du 5 juillet 1871.

[57] Confidence du père MARCEL. — Inédit.

[58] Voir, ci-dessus, la phrase de M. DE MEAUX sur M. CHESNELONG. — Les Souvenirs inédits de M. DE VANSSAY disent l'état d'épuisement où les entretiens avec M. Chesnelong avaient mis le comte de Chambord.

[59] Voir ci-dessus, la lettre de M. Adrien LÉON : Nous ne pouvons sortir de ce gâchis que par l'abdication du comte de Chambord. — Cf. la note parue dans la Liberté : Jamais le comte de Chambord n'abdiquera pas plus à Frohsdorf qu'à Paris.

[60] Marquis DE DREUX-BRÉZÉ (p. 333).

[61] Eugène DUFEUILLE, Réflexions d'un monarchiste (p. 109). — Le comte de Chambord disait encore : Si on me croit bon à quelque chose, il faut me laisser faire, sinon me laisser de côté. — Comte D'OSMOND, Reliques et Impressions (p. 63).

[62] V. Marquis DE DREUX-BRÉZÉ (p. 120). — Lettre du comte de Chambord à M. Eugène Veuillot, lors de la mort de son frère (23 avril 1883).

[63] H. DE PÈNE, Henri de France (p. 396).

[64] Le fait d'un entretien avec l'empereur d'Autriche serait relaté dans les Mémoires inédits du maréchal DE MAC MAHON. Le général DU BARAIL précise : Le maréchal, dit-il, était convaincu que le prince céda à une considération patriotique et à la crainte d'attirer sur son pays l'animosité et même les armes de l'Allemagne. — Souvenirs (t. III, p. 428). — Voir ci-dessous (chap. VIII).

[65] Souvenirs inédits du comte DE VANSSAY.

[66] Marquis DE DREUX-BRÉZÉ (p. 340).

[67] Marquis DE DREUX-BRÉZÉ (p. 138).

[68] Mme DE LA FERRONNAYS, Mémoires (p. 118).

[69] H. DE PÈNE, Henri de France (p. 399). — La princesse, dit Mme DE LA FERRONNAYS, était de trois années plus âgée que son époux. On la savait en outre peu jolie. En naissant, un accident lui avait déformé tout un côté du visage, comme si elle avait eu, ce qu'elle n'eut jamais, une attaque... Élevée à la cour de Modène, seule maison régnante qui se fût refusée à reconnaître la légitimité de la royauté de la branche Bourbon-Orléans, où régnaient l'absolutisme le plus complet, les idées les plus retardataires, elle s'en ressentait, et ce qu'on appelait le libéralisme lui semblait une insulte à la loi divine (p. 68).... Elle ne cachait pas son animosité contre les princes d'Orléans... Dans l'intimité, la comtesse de Chambord se laissait aller à dire, en parlant de Mme la duchesse de Saxe-Cobourg, avec l'accent méridional qu'elle n'a jamais perdu : Cette Clémentine, elle me fait dîner en face du portrait de Louis-Philippe dans son pantalon rouge. Croit-elle donc que cela me soit agréable ? (p. 262)... La comtesse de Chambord m'a souvent répété qu'elle se sentait humiliée de sa stérilité, vis-à-vis des Français et considérait même que, plus ils étaient royalistes, plus ils devaient désirer sa mort. La pauvre princesse, à laquelle il est peut-être permis de reprocher de n'avoir pas exercé une influence bienfaisante sur Monseigneur, a cruellement souffert de ne pas donner un dauphin au pays (p. 80).

[70] C'est l'impression du duc de Nemours, au lendemain de sa visite à Frohsdorf : Le duc de Nemours est convaincu que le comte de Chambord n'a aucune idée de faire actuellement (7 octobre 1873) la concession du drapeau. Il se croit maitre de la situation, qu'on ne peut se passer de lui, que la monarchie est faite dans les esprits et que s'il ne fait pas un pas vers nous, nous serons forcés de faire tous les pas vers lui. Maintenant, j'ajoute que j'incline à penser que quand le comte de Chambord sera éclairé sur la vraie situation, quand il comprendra qu'il faut opter entre régner avec le drapeau tricolore ou achever sa vie dans l'exil, il optera pour l'exil... L'avis du duc de Nemours est qu'il faut prolonger la République avec le maréchal. Lettre inédite, datée de Vienne, 7 octobre 1873.

[71] Marquis DE DREUX-BRÉZÉ (p. 371).

[72] Mgr BAUNARD (t. II, p. 509). — On ne peut manquer d'être frappé de l'analogie singulière entre les termes du programme monarchique, tracé en mars 1873 par le prélat, et la lettre du 27 octobre. Le biographe de l'évêque de Poitiers la souligne : Mgr Pie, dit-il, retrouvait dans cette lettre, l'écho de ses pensées, presque de ses paroles. En effet, la lettre de Salzbourg dit : Il ne s'agit de rien moins que... d'assurer avec énergie le règne de la loi... et surtout de ne pas craindre d'employer la force au service de l'ordre et de la justice. Les notes de Mgr Pie disent : Il importe donc que dans la déclaration ou proclamation royale qui interviendra, on affirme énergiquement le règne de la loi, l'emploi de la force au service de l'ordre et de la justice...

[73] A. DE MARGERIE (p. 39). — Dans l'entourage du comte de Chambord, on pensait en revenir à la Constitution de 1791. V. B. DE PUCHESSE, Ed. DE CAZENOVE DE PRADINE (p. 46).

[74] Campagne monarchique (p. 389).

[75] Cf. FALLOUX (t. II, p. 580).

[76] Voir la note spéciale parue à part dans les annexes des Notes et Souvenirs de M. le marquis DE DREUX-BRÉZÉ (4e édition, p. 335) : Origines de la lettre de M. le comte de Chambord à M. Chesnelong ; causes de sa publication. D'après le marquis de Dreux-Brézé, les causes de la publication de la lettre du 27 octobre sont : 1° la substitution d'une courte note constituant sur un point essentiel un exposé inexact de la situation au procès-verbal officiel de la séance tenue le 16 octobre par la commission des Neuf : 2° la publication inopinée du procès-verbal Savary : 3° l'impuissance du bureau du comte de Chambord pour rétablir la vérité des faits et triompher de l'égarement du public. — La correspondance de Frohsdorf qualifie ces incidents de terribles complications, annonce que le roi seul peut désormais dissiper les ténèbres et rendre à ses intentions, à ses vues sur la France, à sa compréhension de ses devoirs de souverain, leur caractère progressivement dénaturé. — V. des extraits de la correspondance de M. de Blacas, plus haut.

[77] Marquis DE DREUX-BRÉZÉ (p. 147).

[78] Ernest DAUDET (p. 231).

[79] Un peu d'histoire, etc. (p. 112).

[80] Ernest DAUDET (p. 231).

[81] Marquis DE FLERS (p. 190).

[82] E. DAUDET (pp. 229 et 233).

[83] Souvenirs inédits.

[84] Souvenirs inédits (p. 38).

[85] E. DAUDET (p. 235).

[86] E. DAUDET (p. 237).

[87] Vicomte DE MEAUX (p. 253). — Cf. FALLOUX (t. II, p. 584).

[88] Vicomte DE MEAUX (p. 221).

[89] Marquis DE DAMPIERRE (p. 248).

[90] DELPIT (p. 279).

[91] Abbé LAGRANGE (t. III, p. 289).

[92] FIDUS (t. I, p. 232).

[93] Voir, à ce propos, A. CALLET, Les Responsabilités, et une lettre de M. DE LA ROCHETTE à M. Callet, insérée, le 13 octobre 1875, dans l'Union.

[94] FIDUS (t. I, p. 228).