Première mission dans le Nord. — Saint-Just et Le Bas Lille, à Réunion-sur-Oise, à Maubeuge. — L'Anglais Faëding. — Il faut des armes ! — Pichegru est nommé général en chef de l'armée du Nord. — Sa lettre aux Jacobins. — Le général Jourdan. — Lettre de Saint-Just au Comité de Salut public. — Le maître de poste de Saint-Pol. — Arrêté contre les ci-devant nobles. — Saint-Just et André Dumont.Au commencement du mois de pluviôse de l'an n, la République était victorieuse partout, dans l'Ouest, au Midi, sur le Rhin, partout, excepté sur la frontière du Nord, où le sol français était encore foulé par les armées étrangères. Là cependant comme ailleurs, nos troupes avaient accompli des prodiges ; là, nos jeunes soldats avaient balancé la fortune de Brunswick, et battu les vieilles bandes de la Prusse et de l'Autriche. L'héroïque défense de Lille et la victoire d'Hondschoote les couvraient d'une auréole que ne pouvaient effacer d'insignifiants revers. Mais, affaiblie par les renforts qu'on avait tirés de son sein pour les envoyer dans la Vendée et sur les bords du Rhin, désorganisée par l'intrigue et la trahison, l'armée du Nord était inactive depuis quelque temps, lorsque le Comité de Salut public jugea à propos d'y envoyer des commissaires habitués à mettre dans leurs proclamations la victoire à l'ordre du jour. Il y avait alors à Lille le représentant du peuple Chasles, dont la conduite avait donné lieu à de nombreuses plaintes. Une députation de Lillois s'était rendue au sein de la Convention pour y dépeindre les dangers que courait la place, et demander qu'on y exerçât une active surveillance. Chasles fut rappelé. Comme il était encore malade des suites de blessures glorieuses, il fut décrété, sur la proposition de Couthon, que, pour concilier la justice avec l'humanité, les Comités de Salut public et de Sûreté générale prendraient toutes les mesures que nécessiterait son état physique, afin d'assurer son retour dans la Convention. Saint-Just et Le Bas arrivèrent à Lille le 10 pluviôse, par une neige effroyable. Là comme à Strasbourg, à un degré beaucoup moindre cependant, ils trouvèrent du mal à réparer et du bien à faire. De concert avec le représentant Florent Guyot, ils interdirent à toute personne, sous peine de six mois de détention, de se promener dans l'enceinte des fortifications, sinon pour cause de service. Ils ordonnèrent que les portes de la ville fussent ouvertes à huit heures du matin et fermées à trois heures de l'après-midi, et ils enjoignirent aux membres du comité de surveillance de la ville d'être, à tour de rôle, de service aux portes, et d'accompagner les rondes de nuit. Ils arrêtèrent que les officiers qui ne seraient point rentrés dans la citadelle au moment de la fermeture, seraient destitués, et tous les militaires n'appartenant pas au service de la place durent en sortir immédiatement, sous peine de trois mois de détention. Il fut défendu à tous les suspects détenus dans les prisons de Lille de communiquer avec personne. Au milieu de si pressantes conjonctures, les soupçons contre les étrangers étaient, en quelque sorte, de rigueur ; aussi lisons-nous dans un arrêté de Saint-Just et de Le Bas : Tous les étrangers qui se trouvent dans Lille sont consignés dans leurs maisons après six heures du soir et avant huit heures du matin. Ceux qui seraient trouvés dans cet intervalle hors de leurs maisons seront mis en arrestation jusqu'à la paix. Enfin les commissaires, pour comprimer l'agiotage, ce déplorable fléau des nations, prirent contre ceux qui s'y livraient et contre les marchands qui ne se conformaient point à la loi du maximum, les mêmes mesures de sévérité qu'à Strasbourg. Cette mission fut de courte durée, mais elle n'en fut pas moins féconde et moins utile. Comme dans Le Bas-Rhin, Saint-Just et Le Bas obtinrent tous les effets de la terreur sans verser le sang. Ils imposaient par leur propre dignité, et savaient faire en eux respecter la Convention. Avec une rapidité qui tient du prodige, ils parcoururent en quelques jours les différentes places des départements du Nord et du Pas-de-Calais. Le 12 pluviôse, ils quittent Lille et se rendent à Réunion-sur-Oise, nouveau nom donné à la ville de Guise. Là, ils arrêtent la dissolution de la légion de la Nièvre, qui avait donné quelques signes d'insubordination, et ordonnent qu'elle sera répartie entre les divers corps de l'armée du Nord. Au reste, s'ils sont inflexibles sur tout ce qui concerne la discipline ils savent encourager et récompenser le dévouement à la patrie. Ayant appris qu'un brave homme, nommé Joseph Sueur, du district de Vervins, avait quitté sa femme et ses enfants pour courir à la défense des frontières, ils arrêtèrent qu'il lui serait payé une somme de six cents livres par le payeur de l'armée du Nord. Le même jour, ils écrivaient à un commissaire des vivres de cette armée, soupçonné de négligence : Que faut-il penser de l'homme qui, chargé du soin de l'armée, a laissé depuis quatre jours la division d'Arques sans fourrages ? Cet homme est toi ; nous nous informerons de ta conduite, et tu dois t'attendre à être puni rigoureusement si tu es coupable. On sait quelle a été, de tout temps, la rapacité des fournisseurs ; Saint-Just, avec raison, les poursuivait impitoyablement, et Napoléon, plus tard, ne se gêna en aucune manière pour leur faire rendre gorge, à plusieurs reprises. On était à la veille d'entrer en campagne ; Saint-Just et Le Bas, qui veillèrent toujours avec tant de sollicitude au bien-être du soldat, disposèrent tout pour assurer la subsistance des troupes. Ils se rappelaient qu'à leur arrivée dans Le Bas-Rhin les chevaux mouraient de faim ; aussi, les fourrages manquant dans le Nord, écrivirent-ils à leur collègue Massieu, en mission dans les Ardennes, de faire les plus grands efforts afin de leur en procurer. Tu en as promis il faut, s'il est possible, porter cet envoi à deux cent mille rations ; le temps presse ; la campagne va s'ouvrir ce pays doit être le théâtre des principaux événements. L'arrêté suivant atteste avec quelle rigoureuse sollicitude ils s'occupaient des moindres détails : Les représentants du peuple à l'armée du Nord, considérant que l'inertie des administrations des armées résulte de la négligence des fonctionnaires, du défaut d'activité dans les rapports, arrêtent ce qui suit : Les commissaires ordonnateurs, les régisseurs des vivres correspondront avec les administrations du district, les commissaires des guerres, gardes-magasin et tous préposés, par des ordres ou des demandes succinctes. Le délai pour y répondre sera fixé. Les dépêches seront remises par des ordonnances, et leurs chevaux seront nourris aux dépens des administrateurs et préposés auxquels elles auront été adressées. Les ordonnances ne pourront revenir sans réponse, à peine de trois mois de détention. — Le présent arrêté sera imprimé et publié[1]. Quelques jours après, en passant à Avesnes, Le Bas rencontra un soldat nommé Berceau, qu'au début de sa carrière, dans les premiers jours de la Révolution, il avait défendu contre une accusation injuste, et qu'il avait fait acquitter à la suite d'une plaidoirie dont le succès avait été pour le jeune avocat un véritable triomphe. En retrouvant cet ancien client, dévoué comme lui à la République, il ne put se défendre d'une émotion de plaisir, et il écrivit à sa femme, qu'il avait conduite à Frévent, auprès de son père : J'ai vu Berceau nous nous sommes embrassés avec bien de la joie. Tu te souviendras sûrement de ce brave homme, dont je t'ai souvent parlé. En tout cas, mon père te mettra au courant. Plus loin, il lui donne, dans les termes les plus affectueux, des nouvelles de son jeune et cher collègue : Saint-Just est bien portant ; quand nous avons du mal, notre bonne amitié nous le fait mieux supporter. Dis mille choses pour moi à la famille. Le 15 pluviôse, Saint-Just et Le Bas étaient à Maubeuge. Cette ville leur avait été signalée comme un foyer de désordre et de réaction. Là, comme ailleurs, les contrerévolutionnaires conspiraient sous les couleurs mêmes de la Liberté, suivant l'expression de Saint-Just, et, pour être plus à l'aise dans leurs intrigues, ils avaient soin de crier plus fort que les vrais et sincères patriotes. Les représentants du peuple commencèrent par inviter les membres de la Société populaire de Maubeuge à faire passer rigoureusement à un scrutin épuratoire tous les agents comptables du gouvernement qui demanderaient leur admission au sein de la Société puis ils s'attachèrent à déjouer les complots formés pour livrer la ville à l'ennemi. Dans toutes ces ténébreuses machinations, on était sûr de rencontrer la main de l'Angleterre ; Pitt, ce mauvais génie de la France républicaine, prodiguait l'or de son pays, espérant vaincre par la corruption ceux contre qui s'émoussaient en vain les armes de l'Europe. Saint-Just et Le Bas, ayant appris qu'un Anglais, du nom de Faëding, résidant à Calais, était l'âme de ces complots, le traduisirent devant la commission militaire de Maubeuge, et en informèrent immédiatement le Comité du Salut public en ces termes : Nous vous adressons, citoyens collègues, plusieurs pièces qui vous feront connaître le complot tramé pour livrer Maubeuge aux ennemis de la République ; nous avons chargé la commission militaire établie dans cette ville de juger les coupables. Nous avons cru qu'il fallait un exemple prompt et sur les lieux. Nous écrivons à l'administration du district d'Arras, pour faire traduire ici l'un des agents du complot. C'est un nommé Faëding, Anglais, qui doit se trouver à Calais. Nous avons donné les ordres nécessaires pour qu'aucun des traîtres n'échappât. Ils ajoutaient ensuite : Les subsistances et les fourrages sont on ne peut plus rares dans l'armée du Nord. Nous avons trouvé des divisions entières manquant de fourrages depuis quatre jours. Nous avons été forcés d'autoriser l'administration des subsistances à requérir, dans les districts frontières, d'abord les bœufs, ensuite le tiers des vaches chez les plus riches propriétaires, et progressivement jusque chez les moins aisés. Il faut des armes. Hâtez l'embrigadement. L'armée ouvrira la campagne au plus tard dans trois semaines. Il faut des armes ! C'était le cri poussé d'un bout à l'autre de la République, et, pour y répondre la Convention avait décidé que Paris serait le centre d'une fabrication extraordinaire de fusils et de baïonnettes. Alors on vit un spectacle étrange et sublime. De tous les points de la France, les hommes les plus forts et les plus industrieux, appelés par le Comité de Salut public, accoururent dans la capitale. Les places publiques furent transformées en ateliers ; les églises en arsenaux. Les ouvriers de luxe abandonnèrent momentanément leurs professions ; les horlogers se mirent aux platines, les ébénistes travaillèrent le bois. Trente mille fusils furent confectionnés en peu de jours, avec autant de légèreté et de solidité qu'ils l'eussent été dans les meilleures fabriques de l'Europe. Les dix premiers furent portés en hommage à la Convention simple et magnifique hommage Ce fut un immense concert de travail. Ah combien l'étranger, qui se promenait sur nos places publiques, au bruit du marteau sur l'enclume, auquel se mêlaient joyeusement les chants patriotiques, ne dut-il pas s'extasier devant ce grand peuple de France, qui ne se laissera envahir et vaincre par l'Europe, que lorsque la pensée républicaine et l'amour de la liberté auront été étouffés dans son cœur Tandis que Paris devenait ainsi une vaste fabrique d'armes, tandis que Carnot[2], du fond de son cabinet des Tuileries, organisait la victoire, pour me servir de l'expression consacrée, Saint-Just et Le Bas, en présence de l'ennemi, prenaient toutes les mesures possibles afin d'assurer le triomphe de la République. Ils avaient conseillé au Comité du Salut public de donner à Pichegru le commandement de l'armée du Nord le Comité suivit leur conseil, et la Convention ratifia la nomination. Qui pourrait blâmer un tel choix ? Pichegru, que Napoléon a proclamé le plus grand général de la République, ne songeait guère alors à suivre l'exemple de Dumouriez rien ne faisait pressentir sa future et honteuse apostasie ; il écrivait aux Jacobins : Je n'attendais, frères et amis, que ma confirmation au commandement de l'armée du Nord, pour venir au milieu de mes frères, dans le sanctuaire de la liberté, répéter le serment bien gravé dans mon cœur, de défendre et de maintenir la liberté et l'égalité, l'unité et l'indivisibilité de la République. La nécessité de me rendre promptement à mon poste me prive de cette double satisfaction recevez mes regrets, frères et amis. Je vole au milieu de mes frères d'armes, et je jure de ne m'en séparer que lorsque nous aurons vaincu les tyrans coalisés. Déjà j'ai eu l'avantage de partager les succès de l'armée du Rhin les soldats du Nord n'ont pas moins de courage il suffit d'être républicain français et de combattre pour la liberté pour que la victoire ne soit pas incertaine. Continuez, fondateurs des droits de l'homme, à propager dans tous les cœurs l'amour de la République, tandis que nous combattrons pour elle. Je jure de faire triompher ses armes, d'exterminer les tyrans, ou de mourir en les combattant mon dernier mot sera toujours : Vive la République, Vive la Montagne ! Pichegru remplaçait à l'armée du Nord le général Jourdan, à qui l'on reprochait d'avoir oublié ce mot de César que rien n'est fait tant qu'il reste quelque chose à faire, et qui fut mis momentanément à la retraite. Jourdan, disait Barère à la Convention, rentrera quelque temps dans ses foyers, non pas à la manière de ces officiers suspects ou de ces généraux douteux que la loi suspend ou destitue et qu'elle rejette, comme dangereux, à une certaine distance de Paris, des armées et des frontières il peut rendre encore des services à la patrie, dans les divers postes qu'elle offre à ses défenseurs. Il obtient une retraite honorable, digne de sa probité et de son patriotisme il est pauvre, c'est son éloge et son titre à la reconnaissance nationale. Le vainqueur de Wattignies, le libérateur de Maubeuge, ne doit pas exister sans un témoignage de la patrie reconnaissante nous vous proposons donc de lui accorder sa retraite, conformément aux lois établies[3]. On voit sous quels termes nobles et dignes était masquée cette disgrâce ; elle ne fut pas, au reste, de longue durée, car, très-peu de temps après, le Comité de Salut public appela Jourdan au commandement de l'armée de la Moselle. Dès les premiers jours de son arrivée dans le département du Nord, Saint-Just avait reconnu les périls de la situation, avec cette certitude de coup d'œil qui lui était particulière. L'arrondissement prescrit à l'armée du Nord, écrivait-il au Comité de Salut public, est insuffisant, vu que, lorsqu'on le détermina, on calculait sur cent mille hommes, et qu'il faut aujourd'hui calculer sur deux cent quarante mille. L'organisation des convois n'a pas le sens commun. On fait partir du même point tous les caissons la même tige de chemin se trouve embarrassée de sept cents voitures ; le pain et les fourrages arrivent tard ; la cavalerie périt. Pourquoi ne pas établir des caissons et magasins de fourrages sur tous les points où l'on veut faire agir les armées ? Attendez-vous qu'on vous attaque, ou voulez-vous attaquer ? Dans le dernier cas, préparez, dès ce moment, la position des magasins, vos plans ; placez votre cavalerie, dirigez les convois, afin de faciliter l'explosion de nos forces à l'ouverture de la campagne. Augmentez l'arrondissement de moitié pour l'approvisionnement, puisque, par l'incorporation, l'armée augmente de moitié et plus. Voici l'état, à peu près, des choses. Les routes sont impraticables. Nous avons fait en poste huit lieues par jour, depuis Douai jusqu'à Guise. L'ennemi a un camp de cinq mille hommes au Catelet nous avons versé quatre cents quintaux de farine dans Bouchain ; il y a trois à quatre mille hommes au Cateau. Il serait très-sage de votre part de vous rendre agresseurs, d'ouvrir la campagne les premiers, et comme votre armée sera très-forte, vous pourrez, en même temps, porter une armée sur Ostende, une sur Beaumont, cerner Valenciennes et attaquer la forêt de Monnale. Soyons toujours les plus hardis, nous serons aussi les plus heureux. Le Comité de Salut public avait désiré que Saint-Just ne quittât pas l'armée avant d'avoir vu Pichegru Saint-Just, Le Bas et toute l'armée reçurent à bras ouverts le nouveau général, qu'on attendait avec impatience, et qui s'empressa de se conformer aux vues de ses jeunes et illustres protecteurs. Pichegru, dès le premier jour, adressa à ses troupes une proclamation animée du plus ardent patriotisme. Et vous, disait-il en terminant, jeunes citoyens, appelés à la défense de la patrie, empressez-vous, par votre zèle à vous instruire, de vous mettre à même de remplir votre tâche glorieuse. Soyez tous amis de la subordination et de l'ordre ; sans cela point de victoire. Je seconderai vos efforts de toutes mes facultés ; mais je suis franc républicain quand vous n'irez pas bien, je vous le dirai, je vous rappellerai à l'ordre. S'il m'arrivait de m'écarter de la ligne, je vous invite à en faire autant. Vos avis seront pour moi des témoignages d'amitié, et vous reconnaîtrez par mon empressement à me redresser, combien mes intentions sont pures. Allons tous du même pas, nous irons bien. Vive la République ! De telles paroles, affectueuses et dignes à la fois, resserraient encore les liens qui unissaient alors les généraux aux soldats, et préparaient merveilleusement l'armée à des victoires d'autant plus glorieuses que la guerre soutenue par la République était légitime et nécessaire. Nous dirons bientôt quelles furent ces victoires. Avant de rentrer à Paris, Saint-Just et Le Bas parcoururent à la hâte les principales villes du Nord. Ils allèrent à Saint-Pol, où Le Bas avait exercé la profession d'avocat, et où l'on n'avait pas encore oublié la protection dont il avait couvert quelques prêtres insermentés. On sait, au reste, que la tolérance, en matière religieuse, était la politique du parti de Robespierre qui réclama constamment l'entière liberté des cultes. Ce fut un des principaux griefs de ses ennemis contre lui, et les partisans de la liberté de conscience me paraissent, en général, ne pas s'en souvenir assez. Un jour, Saint-Just et Le Bas demandaient au maître de poste de Saint-Pol quelques renseignements sur les principes des membres du comité de surveillance de cette ville. Cet homme leur répondit avec mépris qu'ils étaient tous de la lie du peuple. Les commissaires, justement irrités, le firent mettre en arrestation à Béthune, pour un mois, en expiation de son insolence. Si l'on compare à ce châtiment les peines infligées de nos jours à ceux qui se rendent coupables d'offenses envers le gouvernement, on conviendra que les chefs d'un gouvernement, qui l'on a tant reproché la terreur, étaient bien modérés, au moins en ce qui concernait les offenses personnelles. En revanche, ils étaient inflexibles pour tous les ennemis de la Révolution ainsi, à Arras, ils prirent l'arrêté suivant : Tous les ci-devant nobles qui se trouvent dans les départements du Pas-de-Calais, du Nord, de la Somme et de l'Aisne, seront mis en état d'arrestation et demeureront au secret. Le présent arrêté sera publié par les administrations du district d'Arras, et les comités de surveillance desdits départements sont chargés de l'exécution du présent arrêté et en rendront compte au Comité de Salut public. Sans doute, c'était une mesure d'une excessive rigueur, mais elle était commandée par les circonstances. N'étaient-ce pas des nobles qui guidaient les aveugles paysans de la Vendée ? N'étaient-ce pas des nobles qui combattaient contre la République, à côté des Prussiens et des Autrichiens ? Et, pour entretenir cette guerre impie, ne recevaient-ils pas de France des secours et de l'argent ? Voilà ce que le gouvernement républicain voulait empêcher à tout prix. Si donc en se défendant contre des attaques acharnées, il eut recours à des moyens extrêmes, la faute en est surtout à ses ennemis. Plus tard, lors des réactions thermidoriennes, il sera réservé à la lâcheté d'André Dumont d'attaquer cet arrêté. Mais au moins Saint-Just et Le Bas ne s'en prenaient qu'aux hommes, tandis que lui, l'apostat de la cause républicaine, ordonna, dans ses missions, l'arrestation des femmes et des enfants[4]. Il y a trois choses qu'en politique, la réaction ne pardonne jamais, c'est le désintéressement, c'est la bonne foi, c'est la loyauté. Saint-Just et ses amis auraient été moins attaqués, s'ils eussent été moins honnêtes. Rappelés par leurs collègues, Saint-Just et Le Bas quittèrent l'armée du Nord à laquelle ils dirent, non pas adieu, mais au revoir. Le Bas écrivait d'Amiens à son père, le 24 pluviôse : Nous avons été forcés, mon cher père, de précipiter notre départ, et nous avons été privés du plaisir de vous faire nos adieux. On vous aura témoigné nos regrets. Recevez-en de nouveau l'assurance. Élisabeth surtout n'a pu renoncer sans peine aux douceurs de votre société. Nous arriverons demain Paris. On se porte bien ici. Nous vous donnerons de nos nouvelles à notre arrivée. Nous vous embrassons tendrement. Le 25, ils étaient à Paris, où Saint-Just allait recevoir de la Convention nationale le plus éclatant témoignage d'estime et de considération qui pût alors être accordé à un représentant du peuple. |
[1] Toutes les pièces relatives à cette mission sont tirées des archives de la guerre.
[2] M. Guizot, dans le premier volume de ses mémoires, appelle Carnot un badaud fanatique. J'admire trop la plupart des ouvrages de l'ancien ministre du roi Louis-Philippe, et je respecte trop son caractère pour ne pas regretter qu'il ait cru devoir apprécier d'une façon aussi inconvenante un des plus illustres membres du Comité de Salut public. Je doute fort, au reste, qu'aucun homme impartial, en France, ratifie cet inique et cynique jugement.
[3] Voyez le Moniteur du 18 pluviôse an II, n° 158.
[4] C'est cet André Dumont qui, ayant fait arrêter, à Péronne, un jeune homme de dix-huit ans pour avoir recommandé à sa mère un émigré, écrivait à la Convention : La chère maman et le cher fils furent encagés. (Voyez le Moniteur du 24 vendémiaire an II, n° 24.) C'est lui qui écrivait encore a l'Assemblée : On vous déposera des médailles d'or sur lesquelles est gravée la figure de Louis le Raccourci. Je pars pour Beauvais que je vais mettre au bouillon maigre avant de lui faire prendre une médecine. (Moniteur du brumaire an II, n° 35). J'ai accepté l'adjonction du département de l'Oise où je vais me rendre, parce qu'en nettoyant ce département, je n'en trouverai que plus de moyens d'extirper le chancre cadavéreux de l'aristocratie. (Id.) On voit avec quelle dignité ce proconsul accomplissait sa mission. Citons encore : J'avais reçu de Paris une lettre qui m'indiquait une cachette d'ex-nobles. J'ai fait arrêter les Harcourt, les Beuvron, les Faucigny. (Moniteur du 15 brumaire an II, n° 45.) Un dernier exemple de sa douceur ; il écrit d'Amiens : Ce sont des étrangers arrivés ici qui cherchaient fomenter le trouble ; mais j'ai tendu mon large filet, et j'y prends tout mon gibier de guillotine. (Moniteur du 25 frimaire an II, n° 85.) Voila l'homme à qui la réaction a pardonné, parce qu'il fut un des vainqueurs de thermidor.