HISTOIRE DE SAINT-JUST

DÉPUTÉ À LA CONVENTION NATIONALE

LIVRE DEUXIÈME

 

CHAPITRE PREMIER.

 

 

Arrivée de Saint-Just à Paris. — Premières séances de la Convention nationale. — Abolition de la royauté. — Situation générale au moment de la mise en jugement de Louis XVI. — Manifeste du duc de Brunswick. — Procès du roi. — Opinion de Morisson. — Discours de Saint-Just. — Sa réponse aux défenseurs de Louis XVI. — Son vote.

 

Saint-Just arriva à Paris le 18 septembre 1792, l'avant-veille du jour fixé par l'Assemblée législative pour l'ouverture de la Convention nationale. Il ne put donc assister à ces réunions préparatoires dont parlent certains écrivains pour qui le culte de l'anecdote est sacré ; il ne put prendre part non plus à ces dîners fameux dont il est aussi question, fins dîners où, inter pocula, disent les chroniqueurs, quelques patriotes complotaient de forcer, même par la terreur, les nouveaux représentants du peuple à proclamer la République, et où l'on a fait si gratuitement jouer un rôle au jeune et honnête député de l'Aisne.

Sa première visite fut certainement pour Robespierre, à qui l'attachaient déjà des liens étroits et vers qui l'attirait une sorte de respect, dont témoigne la lettre que nous avons reproduite. Robespierre logeait alors rue Saint-Honoré, presque en face de l'église de l'Assomption, dans une maison appartenant à un riche entrepreneur en menuiserie, nommé Duplay, brave et digne homme, entièrement dévoué aux principes de la Révolution. Ce fut dans cette modeste et respectable demeure que Saint-Just rencontra Philippe Le Bas, qui devait bientôt épouser la plus jeune des filles de Duplay, et avec qui il se lia d'une inséparable amitié.

Certes, ces trois hommes, à la foi ardente, aux vues élevées, voulaient fonder la République ; mais le désir d'en finir à jamais avec le passé monarchique était aussi dans presque tous les cœurs. Ni Robespierre, ni Saint-Just, ni Lebas ne prirent la parole dans la séance du 2t septembre ce fut Grégoire qui proposa l'abolition de la royauté. Ouvrons la Gazette nationale, qui déjà s'appelait aussi le Moniteur universel, et nous pourrons nous convaincre de l'enthousiasme avec lequel cette proposition fut acceptée :

Je demande, dit Grégoire, après avoir, en quelques mots, stigmatisé toutes les dynasties, je demande que, par une loi solennelle, vous consacriez l'abolition de la royauté.

M. BAZIRE : Je demande à faire une motion d'ordre. L'Assemblée vient de manifester, par l'unanimité de ses acclamations, sa haine profonde pour les rois. On ne peut qu'applaudir à ce sentiment si concordant avec celui de l'universalité du peuple français. Mais il serait d'un exemple effrayant pour le peuple devoir une assemblée, chargée de ses plus chers intérêts, délibérer dans un moment d'enthousiasme. Je demande que la question soit discutée.

M. GRÉGOIRE : Eh ! qu'est-il besoin de discuter quand tout le monde est d'accord ? Les rois sont, dans l'ordre moral, ce que les monstres sont dans l'ordre physique. Les cours sont l'atelier des crimes et la tanière des tyrans. L'histoire des rois est le martyrologe des nations. Dès que nous sommes tous également pénétrés de cette vérité, qu'est-il besoin de discuter ? Je demande que ma proposition soit mise aux voix, sauf à la rédiger ensuite avec un considérant digne de la solennité de ce décret.

M. DUCOS : Le considérant de votre décret, ce sera l'histoire des crimes de Louis XVI, histoire déjà trop bien connue du peuple français. Je demande donc qu'il soit rédigé dans les termes les plus simples ; il n'a pas besoin d'explications après les lumières qu'a répandues la journée du 10 août.

La discussion est fermée.

Il se fait un profond silence.

La proposition de M. Grégoire, mise aux voix, est adoptée au bruit des plus vifs applaudissements.

La Convention nationale décrète que la royauté est abolie en France.

Les acclamations de joie, les cris de : Vive la Nation ! répétés par tous les spectateurs, se prolongent pendant plusieurs instants[1].

 

Ce ne fut donc pas Saint-Just qui, par son immense influence, comme M. Fleury lui en attribue le mérite, décida la Convention à abolir la royauté. Combien de fois, d'ailleurs, les Girondins n'ont-ils pas revendiqué l'honneur d'avoir provoqué l'établissement du gouvernement républicain ? Saint-Just, inconnu alors, ne pouvait influencer personne ; eh ! qui donc avait besoin d'être influencé ? Pour lui, comme pour la plupart des membres de la nouvelle assemblée, la République démocratique était le seul gouvernement selon la raison c'était l'anéantissement des privilèges, le retour à cette égalité depuis si longtemps disparue de la terre et la destruction définitive d'un régime sous lequel un homme, déifié, pour ainsi dire, et placé en dehors de la loi commune, pouvait, sans contrôle, imposer à un grand peuple ses fantaisies les plus ruineuses et ses caprices les plus désastreux.

De l'abolition de la royauté au jugement du roi, il n'y avait qu'un pas, et il fut bientôt franchi. L'accusation partit des Girondins ce fut un des leurs, Valazé, qui se chargea de faire le rapport sur les crimes reprochés à Louis XVI ; ce fut aussi un des leurs, Mailhe, qui rédigea le rapport sur les questions relatives au jugement.

Jusqu'à l'heure où s'ouvrirent les débats de ce grand procès, Saint-Just resta muet dans les discussions de la Convention. Il rêvait l'unanime concorde, aussi fut-il singulièrement attristé des symptômes de désunion qui éclatèrent dès les premiers jours entre la Gironde, dont 'quelques membres soupçonneux voyaient partout la trahison et la dictature, et la Montagne, où il siégeait, et qui se montra d'abord beaucoup plus réservée, plus calme et plus modérée. Une fois, aux Jacobins, il prit la parole et témoigna son étonnement de voir tant de troupes appelées à Paris, au moment où des accusations sans fondement étaient portées contre Robespierre et quelques autres représentants du peuple. Cela se passait peu de temps avant le jour où devait commencer le procès du roi.

Avant d'aborder cette douloureuse et solennelle affaire et de préciser toute la part qu'y eut Saint-Just, il est important d'examiner avec soin la situation de la France à cette époque, afin de se bien rendre compte de la disposition des esprits et de voir sous quelle impression funeste, dans quelles circonstances fâcheuses, les représentants du peuple à la Convention nationale allaient juger l'infortuné monarque qui assumait fatalement sur sa tête la responsabilité des fautes et des crimes de ses prédécesseurs.

De toutes parts la surexcitation patriotique était au comble ; elle croissait en raison même des périls qui menaçaient la jeune République. Jamais peuple n'avait été soumis à une plus cruelle épreuve la trahison au dedans, la coalition de l'Europe au dehors, exaspéraient les plus modérés. Les membres les plus influents de la Convention crurent qu'un exemple terrible était nécessaire. Tout, d'ailleurs, semblait accuser Louis XVI des malheurs de la patrie. C'était en invoquant son nom que l'étranger avait envahi notre territoire ; et la nation entière était toute frémissante encore de l'indignation produite par l'insolente déclaration du duc de Brunswick, qui était comme le manifeste des rois coalisés contre la France. A coup sûr, Louis XVI ne pouvait avoir de plus dangereux amis. Le peuple français était traité comme un enfant mutin, et les menaces les plus ridicules lui étaient adressées à chaque ligne, dans cette proclamation insensée.

Quelle ne dut pas être La colère des Parisiens, à la lecture de ce passage

La ville de Paris et tous ses habitants, sans distinction, seront tenus de se soumettre, sur-le-champ et sans délai, au roi, de mettre ce prince en pleine et entière liberté et de lui assurer, ainsi qu'à toutes les personnes royales, l'inviolabilité et le respect auxquels le droit de la nature et des gens oblige les sujets envers les souverains. Leurs Majestés impériale et royale rendent personnellement responsables de tous les événements, sur leurs têtes, pour être punis militairement, sans espoir de pardon, tous les membres de l'Assemblée nationale, du district, de la municipalité et de la garde nationale de Paris, les juges de paix et tous autres qu'il appartiendra déclarent, en outre, Leursdites Majestés, sur leurs foi et parole d'empereur et roi, que si le château des Tuileries est forcé et insulté ; que, s'il est fait-la moindre violence, le moindre outrage à Leurs Majestés le roi et la reine et à la famille royale ; s'il n'est pas pourvu immédiatement à leur sûreté, à leur conservation et à leur liberté, elles en tireront une vengeance exemplaire et à jamais mémorable, en livrant la ville de Paris à une exécution militaire et à une subversion totale, et les révoltés coupables d'attentat, aux supplices qu'ils auront mérités. Leurs Majestés impériale et royale promettent, au contraire, aux habitants de la ville de Paris, d'employer leurs bons offices auprès de Sa Majesté Très-Chrétienne pour obtenir le pardon de leurs torts et de leurs erreurs, et de prendre les mesures les plus vigoureuses pour assurer leurs personnes et leurs biens, s'ils obéissent promptement et exactement à l'injonction ci-dessus.

 

Ne dirait-on pas que l'Europe eût juré la perte du malheureux roi ? Comment, en effet, croire qu'il ne fût pas un peu complice de ces folies tentées en son nom, et de cette guerre dont il était le prétexte ? Par sa famille, d'ailleurs, il tenait plus à l'étranger qu'à la France ; et ce qui, aux yeux de la nation, était un crime irrémissible, lui semblait peut-être une chose toute naturelle. Au reste, la Convention, après ces débats qui durèrent près de trois mois, fut convaincue de sa culpabilité, puisqu'elle le déclara coupable à )'unanimité(moins vingt-six voix qui se récusèrent).

Aujourd'hui que ces temps fiévreux sont loin de nous, nous sommes douloureusement affectés au souvenir de cette grande infortune ; nous nous étonnons que nos pères n'aient pas pris en considération tant de circonstances atténuantes qui militaient en faveur du roi déchu : l'habitude d'un long règne, tes vices de la première éducation, un entourage funeste ; nous nous disons que d'un homme dont la vie n'était nullement menaçante, ils ont fait un martyr, grandi et rendu puissant par la mort ; mais, si, comme eux, nous avions vécu au milieu de ces tempêtes qui frappent de vertige les plus fortes natures ; si nous avions vu la trahison s'organiser autour de nous, au nom d'un passé odieux, et chercher à frapper de stérilité tant de nobles efforts tentés pour cette régénération sociale, si nécessaire et si légitime alors ; si enfin nous avions entendu quelques despotes nous traiter en écoliers insoumis et nous adresser d'impudentes menaces, pouvons-nous affirmer que, comme ces grands conventionnels, nous n'aurions pas dévoué notre mémoire au salut de la République, et que, en réponse aux fanfaronnades des rois, nous n'aurions pas, comme eux, jeté cette tête sanglante en défi à l'Europe ?

Ces considérations ne furent pas les seules qui décidèrent Saint-Just à prendre une part très-active dans le procès de Louis XVI profondément convaincu, exalté jusqu'au fanatisme, il regardait les rois comme des obstacles éternels au bonheur public il en était arrivé à les considérer comme des espèces de monstres en dehors du droit commun. On ne peut régner innocemment, disait-il dans Louis XVI, c'est la royauté qu'il condamnera à l'échafaud.

Sur le rapport de Mailhe, il avait été décidé que le roi serait jugé par la Convention nationale qui fixerait le jour auquel it comparaîtrait devant elle que, soit par lui-même, soit par ses conseils, il présenterait sa défense verbalement ou par écrit que trois commissaires, pris dans l'Assemblée, seraient chargés de recueillir toutes les pièces, renseignements et preuves relatifs aux délits imputés au roi que le rapport énonciatif de ces délits serait imprimé et communiqué à Louis XVI et à ses défenseurs qu'enfin la Convention porterait son jugement par appel nominal[2].

Manuel ayant pris la parole pour demander que tous ceux qui défendraient le roi fussent mis sous la sauvegarde de la loi, l'Assemblée passa à l'ordre du jour sur l'observation que cela était de droit et que ce serait faire injure au peuple français que d'en douter un moment. La discussion, ajournée au lundi 12 novembre, ne commença cependant que le 13, jour qui parut de mauvais augure à bien des gens.

Le 13 novembre, les débats s'ouvrirent sous la présidence de Hérault-Séchelles. La Convention commença par adopter une proposition de Pétion qui avait demandé qu'on délibérât d'abord sur cette question : Le roi peut-il être jugé ? Morisson, de la Vendée, prit ensuite la parole. Après avoir longuement parlé des crimes, des perfidies et des atrocités dont Louis XVI s'était rendu coupable ; après avoir déclaré que de toutes ses affections, la première et la plus naturelle était de voir ce monstre sanguinaire expier ses forfaits dans les plus cruels tourments, il conclut à l'inviolabilité, malgré l'énormité de ses forfaits, ajouta-t-il en terminant.

Saint-Just monta alors à la tribune qu'il abordait pour la première fois. Son discours, nous allons le reproduire entièrement, parce qu'il est le plus meurtrier de ceux qu'il prononça à la Convention, et que nous ne voulons pas avoir l'air de jeter un voile sur quelques-uns de ses actes. Nous en avons dit assez du discours de Morisson, pour montrer au lecteur quelle était, sur l'innocence du roi, l'opinion des membres les plus modérés de la Convention. Il est bien plus violent et, en quelque sorte, plus à la charge de Louis XVI que celui de Saint-Just, qui semble en vouloir surtout à la royauté. Qu'on remonte le cours du temps ; que, par la pensée, on se transporte, pour quelques minutes, au sein de cette illustre assemblée dont la haine contre les rois avait grandi encore au bruit du canon de Jemmapes qu'on se rappelle le manifeste de Brunswick, les premières agitations de la Vendée, les menées des royalistes, le fanatisme républicain qui était alors à l'ordre du jour, et l'on s'étonnera moins du discours qu'on va lire.

J'entreprends, dit Saint-Just d'une voix grave, de prouver que le roi peut être jugé ; que l'opinion de Morisson, qui conserve l'inviolabilité, et celle du Comité, qui veut qu'on le juge en citoyen, sont également fausses, et qu'il doit être jugé dans des principes qui ne tiennent ni de l'une ni de l'autre.

L'unique but du Comité fut de vous persuader que le roi devait être jugé en simple citoyen, et moi je dis que le roi doit être jugé en ennemi ; que nous avons moins à le juger qu'à le combattre, et que n'étant pour rien dans le contrat qui unit les Français, les formes de la procédure ne sont point dans la loi civile, mais dans la loi du droit des gens.

Faute de distinction, on est tombé dans des formes sans principes, qui conduiraient le roi à l'impunité, fixeraient trop longtemps les yeux sur lui, ou qui laisseraient sur son jugement une tache de sévérité excessive.

Je me suis souvent aperçu que de fausses mesures de prudence, les lenteurs, le recueillement étaient souvent ici de véritables imprudences ; et après celle qui recule le moment de nous donner des lois, la plus funeste serait celle qui nous ferait temporiser avec le roi. Un jour peut-être, les hommes, aussi éloignés de nos préjugés que nous le sommes de ceux des Vandales, s'étonneront de la barbarie d'un siècle où ce fut quelque chose de religieux que de juger un tyran, où le peuple qui eut un tyran à juger, l'éleva au rang de citoyen avant d'examiner ses crimes.

On s'étonnera qu'au XVIIIe siècle, on ait été moins avancé que du temps de César ; le tyran fut immolé en plein sénat, sans autre formalité que vingt-deux coups de poignard, sans autres lois que la liberté de Rome. Et aujourd'hui l'on fait avec respect le procès d'un homme, assassin d'un peuple, pris en flagrant délit, la main dans le sang, la main dans le crime Ceux qui attacheront quelque importance au juste châtiment d'un roi ne fonderont jamais une république. Parmi nous, la finesse des esprits et des caractères est un grand obstacle à la liberté. On embellit toutes les erreurs, et, le plus souvent, la vérité n'est que la séduction de notre goût.

C'est ainsi que chacun rapproche le procès du roi de ses vues particulières les uns semblent craindre de porter plus tard la peine de leur courage ; les autres n'ont point renoncé à la monarchie. Ceux-ci craignent un exemple de vertu qui serait un lien d'esprit public et d'unité dans la République. Nous nous jugeons tous avec sévérité, je dirai même avec fureur. Nous ne songeons qu'à modifier l'énergie du peuple et de la liberté ; tandis qu'on accuse à peine l'ennemi commun, et que tout le monde, ou rempli de faiblesse ou engagé dans le crime, se regarde avant de frapper le premier coup. Nous cherchons la liberté, et nous nous rendons esclaves l'un de l'autre ; nous cherchons la nature, et nous vivons armés comme des sauvages furieux nous voulons la République, l'indépendance et l'unité, et nous nous divisons, et nous ménageons un tyran.

Citoyens, si le peuple romain, après six cents ans de vertu et de haine contre les rois ; si la Grande-Bretagne, après Cromwell mort, vit renaître les rois malgré son énergie, que ne doivent pas craindre parmi nous les bons citoyens, amis de la liberté, en voyant la hache trembler dans nos mains, et un peuple, des le premier jour de sa liberté, respecter te souvenir de ses fers ! Quelle république voulez-vous établir au milieu de nos combats particuliers et de nos faiblesses communes ? On semble chercher une loi qui permette de juger le roi ; mais, dans la forme du gouvernement dont nous sortons, s'il y avait un homme inviolable, il l'était dans ce sens pour chaque citoyen ; mais de peuple à roi, je ne connais plus de rapport naturel. Il se peut qu'une nation, stipulant les clauses du pacte social, environne ses magistrats d'un caractère capable de faire respecter tous les droits et d'obliger chacun ; mais, ce caractère étant au profit du peuple, l'on ne peut jamais s'armer contre lui d'un caractère qu'il donne et retire à son gré. Ainsi, l'inviolabilité de Louis n'est point étendue au delà de son crime et de l'insurrection ou, si on le jugeait inviolable après, si même on le mettait en question, il en résulterait qu'il n'aurait pu être déchu et qu'il aurait eu la faculté de nous opprimer sous la responsabilité du peuple.

Le pacte est un contrat entre les citoyens et non pas avec le gouvernement. On n'est pour rien dans un contrat où l'on ne s'est point obligé conséquemment Louis, qui ne s'était point obligé, ne peut être jugé civilement. Ce contrat était tellement oppressif, qu'il obligeait les citoyens et non le roi. Un tel contrat était nécessairement nul, car rien n'est légitime de ce qui manque de sanction dans la morale et dans la nature.

Outre tous ces motifs qui vous portent à ne pas juger Louis comme citoyen, mais à le juger comme rebelle, de quel droit réclamerait-il, pour être jugé civilement, l'engagement que nous avions pris envers lui, lorsqu'il est clair qu'il a violé le seul qu'il avait pris envers nous, celui de nous conserver ? Quel sera cet acte dernier de la tyrannie, que de prétendre être jugé par des lois qu'il a détruites ? Quelle procédure, quelle information voulez-vous faire des entreprises et des pernicieux desseins du roi, lorsque ses crimes sont partout écrits avec le sang du peuple lorsque le sang de vos défenseurs a ruisselé, pour ainsi dire, jusqu'à vos pieds, par son commandement ? Ne passa-t-il pas, avant le combat, les troupes en revue ? Ne prit-il pas la fuite, au lieu de les empêcher de tirer ? Et l'on vous propose de le juger civilement, tandis que vous reconnaissez qu'il n'était pas citoyen

Juger un roi comme un citoyen Ce mot étonnera la postérité froide. Juger, c'est appliquer la loi. Une loi est un rapport de justice. Quel rapport de justice y a-t-il donc entre Louis et le peuple français, pour le ménager après sa trahison ? Il est telle âme généreuse qui dirait, dans un autre temps, que le procès doit être fait à un roi, non point pour les crimes de son administration, mais pour celui d'avoir été roi car rien au monde ne peut légitimer cette usurpation et de quelques illusions, de quelques conventions que la royauté s'enveloppe, elle est un crime éternel contre lequel tout homme a le droit de s'élever et de s'armer ; elle est de ces attentats que l'aveuglement même de tout un peuple ne saurait justifier. Ce peuple est criminel envers la nature par l'exemple qu'il a donné. Tous les hommes tiennent d'elle la mission secrète d'exterminer la domination en tout pays. On ne peut régner innocemment, la folie en est trop évidente. Tout roi est un rebelle et un usurpateur. Les rois mêmes traitaient-ils autrement les prétendus usurpateurs de leur autorité ? Ne fit-on pas le procès à la mémoire de Cromwell, et, certes Cromwell n'était pas plus usurpateur que Charles Ier ; car, lorsqu'un peuple est assez lâche pour se laisser dominer par des tyrans, la domination est le droit du premier venu, et n'est pas plus sacrée et plus légitime sur la tête de l'un que sur celle de l'autre.

On nous dit que le roi doit être jugé par un tribunal, comme les autres citoyens ; mais les tribunaux. ne sont établis que pour les membres de la cité.

Comment un tribunal aurait-il la faculté de rendre un maître à sa patrie et de l'absoudre ? Comment la volonté générale serait-elle citée devant lui ? Citoyens, le tribunal qui doit juger Louis XVI n'est point un tribunal judiciaire, c'est un conseil, et les lois que nous avons à suivre sont celles du droit des gens. C'est vous qui devez le juger. Louis est un étranger parmi nous ; il n'était pas citoyen avant son crime, il ne pouvait voter, il ne pouvait porter les armes, il l'est encore moins depuis son crime. Et par quel abus de la justice même en feriez-vous un citoyen pour le condamner ? Aussitôt qu'un homme est coupable, il sort de la cité ; et, point du tout, Louis y entrerait par son crime ! Je ne perdrai jamais de vue que l'esprit avec lequel on jugera le roi sera le même que celui avec lequel on établira la République. La théorie de votre jugement sera celle de vos magistratures, et la mesure de votre philosophie dans ce jugement sera aussi la mesure de votre liberté dans la Constitution. o Je le répète, on ne peut pas juger un roi selon les lois du pays, ou plutôt les lois de la cité. Il n'y avait rien dans les lois de Numa pour juger Tarquin, rien dans les lois de l'Angleterre pour juger Charles fer. On les jugea selon le droit des gens ; on repoussa un étranger, un ennemi voilà ce qui légitima ces expéditions, et non point de vaines formalités qui n'ont pour principe que le consentement du citoyen par le contrat.

J'ajoute qu'il n'est pas nécessaire que le jugement du ci-devant roi soit soumis à la sanction du peuple ; car le peuple peut bien imposer des lois par sa volonté, parce que ses lois importent à son bonheur ; mais le peuple même ne peut effacer le crime de la tyrannie le droit des hommes contre la tyrannie est personnel et il n'est pas donné à la souveraineté d'obliger un seul citoyen à lui pardonner. Si votre générosité venait à l'absoudre, ce serait alors que ce jugement devrait être sanctionné par le peuple ; car si un seul citoyen ne pouvait être légitimement contraint, par un acte de la souveraineté, à pardonner au roi, à plus forte raison un acte de magistrature ne serait pas obligatoire pour le souverain.

Mais hâtez-vous de juger le roi, car il n'est pas de citoyen qui n'ait sur lui le droit qu'avait Brutus sur César. Vous ne pourriez pas plutôt punir cette action envers cet étranger, que vous n'avez puni la mort de Léopold et de Gustave. Louis était un autre Catilina. Le meurtrier, comme le consul de Rome, jurerait qu'il a sauvé la patrie. Vous avez vu ses desseins perfides ; vous avez vu son armée ; le traître n'était pas le roi des Français, c'était le roi de quelques conjurés. Il faisait des levées secrètes de troupes ; il avait des magistrats particuliers il regardait les citoyens comme des esclaves il avait proscrit secrètement tous les gens de bien et de courage ; il est le meurtrier de Nancy, du Champ-de-Mars, de Courtrai, des Tuileries ; quel ennemi, quel étranger nous a fait plus de mal ? Il doit être jugé promptement, c'est le conseil de la sagesse et de la saine politique. On cherche à remuer la pitié ; on achètera bientôt des larmes, comme aux enterrements de Rome ; on fera tout pour nous intéresser, pour nous corrompre même. Peuple si le roi est jamais absous, souviens-toi que nous ne serons plus dignes de ta confiance, et tu pourrais nous accuser de perfidie.

 

Ce discours produisit un immense effet. Ce ne fut pas la Montagne seulement qui l'accueillit par les plus vifs applaudissements, ce fut aussi la Gironde, qui se mit au diapason du jeune orateur ; ce ne fut pas seulement le rédacteur du journal le Républicain, qui en fit le plus pompeux éloge et qui y trouva force de raisonnements, de vues profondes et cette philosophie si nécessaire à ceux qui doivent rédiger le pacte social d'une grande nation ; ce fut aussi le girondin Brissot, qui écrivit, dans le Patriote : Parmi des idées exagérées, qui décèlent la jeunesse de l'orateur, il y a, dans ce discours, des détails lumineux, un talent qui peut honorer la France.

Saint-Just, on peut le dire, avait débuté par un coup de maître : inconnu la veille, il était célèbre le lendemain. Conséquent dans sa haine contre la monarchie, il voulait, par une inflexible logique, la frapper dans l'homme qui en était la personnification. Le peuple devina en lui le génie même de la Révolution, et il en fit son héros. Saint-Just, au reste, méritait bien l'immense popularité dont il a joui tant qu'il est resté au pouvoir ; car ce fut lui qui, peut-être, s'occupa le plus des intérêts du peuple, comme nous en donnerons la preuve lorsque nous étudierons son projet de Constitution et.ses fragments d'institutions républicaines. S'il fût né Romain, a dit de lui Barère qui a été l'un de ses proscripteurs, il eût fait des révolutions comme Marius, mais n'aurait jamais opprimé comme Sylla. Il exécrait la noblesse autant qu'il aimait le peuple, pensant, en cela, comme l'intrépide Lanjuinais, qui écrivait, dans un de ses ouvrages : La noblesse n'est point un mal nécessaire. Il devait, en effet, avoir en horreur tout ce qui s'opposait à cette liberté et à cette égalité dont il voulait, à tout prix, assurer le triomphe.

Sous l'empire de cette grande idée, il reprit deux fois la parole dans le procès du roi. Louis XVI avait comparu le li décembre, devant la Convention, pour y subir son interrogatoire. Dans la séance du 16, quelques membres de l'Assemblée, Lanjuinais entre autres, en faisant allusion à la famille d'Orléans, accusèrent vaguement la Montagne de vouloir rétablir la royauté. Saint-Just se leva alors pour demander l'exil éternel de tous les Bourbons, et la mort de celui d'entre eux qui remettrait le pied en France il demanda aussi que le Comité de Constitution présentât, avant le jugement du roi, les droits de l'homme et l'acte constitutionnel de la République, et que la famille d'Orléans se retirât le lendemain[3]. Après une séance orageuse, l'Assemblée, ajournant à deux jours la question relative Philippe-Egalité, adopta un décret par lequel tous les membres de la famille des Bourbons-Capet furent bannis du territoire de la République, ainsi que du territoire occupé par ses armées.

Dans la séance du 27 décembre, Saint-Just se chargea de répondre aux défenseurs de Louis XVI. L'éloquent plaidoyer de Desèze était surtout basé sur le reproche d'incompétence adressé à la Convention, laquelle cependant, par voie de représentation, pouvait seule statuer sur le sort du roi déchu. C'est ce que comprit parfaitement Saint-Just, qui, voyant l'Assemblée hésiter, en quelque sorte, sur son propre droit, monta de nouveau à la tribune et parla ainsi :

Citoyens, quand le peuple était opprimé, ses défenseurs étaient proscrits. Les rois persécutaient les peuples dans les ténèbres. Nous, nous jugeons les rois à la lumière. Il faut encore qu'un peuple généreux, qui brisa ses fers, se justifie de son courage et de sa vertu. 0 vous qui paraissez des ennemis de l'anarchie, vous ne ferez pas dire que vous gardez votre rigueur pour le peuple et votre sensibilité pour les rois La faiblesse ne nous est plus permise, car, après avoir demandé l'exil de tous les Bourbons, nous ne pouvons, sans injustice, épargner le seul d'entre eux qui fut coupable. Tout ce qui porte un cœur sensible sur la terre, respectera notre courage. Vous vous êtes érigés en tribunal judiciaire, et en permettant qu'on portât outrage à la majesté du souverain, vous avez laissé changer l'état de la question. Louis est accusateur, et le, peuple est accusé. Le piège eût été moins délicat, si l'on eût décliné votre juridiction. Mais la résistance ouverte n'est point le caractère de Louis. II a toujours affecté de marcher avec tous les partis, comme il paraît aujourd'hui marcher avec ses juges mêmes. Je ne pense pas qu'on veuille vous persuader que c'est le dessein de rendre la liberté au peuple qui fit, en 89, convoquer les États généraux. La volonté d'abaisser les parlements, le besoin de pressurer de nouveau le peuple, voilà ce qui nécessita cette convocation. Après que l'Assemblée nationale eut porté ses premiers coups, le roi rassembla toutes ses forces pour l'attaquer elle-même. On se souvient avec quel artifice il repoussa les lois qui détruisaient le régime ecclésiastique et le régime féodal.

On ne fut point avare de ces flatteuses paroles qui séduisaient le peuple. Alors, on voyait le roi, noir et farouche au milieu des courtisans, se montrer doux et sensible au milieu des citoyens. Louis vous a répondu qu'à cette époque il était le maître, et qu'il opérait ce qu'il croyait le bien. Au moins, Louis, vous n'étiez pas exempt d'être sincère. Vous étiez au-dessus du peuple, mais vous n'étiez point au-dessus de la justice, votre puissance avait à rendre compte aussitôt que votre perfidie en serait dépouillée. Celui-là qui disait : mon peuple, mes enfants ; celui-là qui disait n'être heureux que de leur bonheur, n'être malheureux que de leurs peines, refusait les lois qui consacraient les droits du peuple et devaient assurer sa félicité. Ses larmes ne sont point perdues, elles coulent encore sur le cœur de tous les Français. On ne conçoit point cet excès d'hypocrisie. Le malheureux il a fait égorger depuis ceux qu'il aimait alors. En songeant combien il outragea la vertu par sa fausse sensibilité, on rougira de paraître sensible. Vous savez avec quelle finesse les moyens de corruption étaient combinés on n'a point trouvé parmi ses papiers de projets pour bien gouverner, mais on en a trouvé pour séduire le peuple on créait des séditions, afin de l'armer contre les lois et de le tuer ensuite par elles. Quel est donc ce gouvernement libre où, par la nature des lois, le crime est inviolable ? La puissance exécutrice n'agissait que pour conspirer ; elle conspirait par la loi, elle conspirait par la liberté, elle conspirait par le peuple. Il est aisé de voir que Louis s'aperçut trop tard que la ruine des préjugés avait ébranlé la tyrannie ; vous les connaissez les projets hostiles qu'il médita contre le peuple, je ne vous les rappellerai point. Passons au 10 août. Le palais est rempli d'assassins et de soldats. Louis vient t'Assemblée tes soldats qui l'accompagnent insultent les députés ; et lui, parut-il s'inquiéter du sang qu'on répandait ? On frémit lorsqu'on songe qu'un seul mot de sa bouche eût arrêté le sang. Défenseurs du roi, que demandez-vous ? Si le roi est innocent, le peuple est coupable.

On a parlé d'un appel au peuple, n'est-ce pas rappeler la monarchie ? il n'y a pas loin de la grâce du tyran à la grâce de la tyrannie. Si le tyran en appelle au peuple qui l'accuse, il fait ce que fit Charles Ier, dans le temps d'une monarchie en vigueur. Ce n'est pas vous qui accusez, qui jugez Louis c'est le peuple qui l'accuse et le juge par vous. Vous avez proclamé la loi martiale contre les tyrans du monde, et vous épargneriez le vôtre ! Ne fera-t-on jamais de lois que contre les opprimés ? On a parlé de récusation ; et de quel droit le coupable récuserait-il notre justice ? Dira-t-on qu'en opinant on l'a accusé ? Non, on a délibéré. S'il veut nous récuser, qu'il montre son innocence l'innocence ne récuse aucun juge. La révolution ne commence que quand le tyran finit. Vous devez éloigner toute autre considération que celle du bien public ; vous ne devez permettre de récuser personne. Si l'on récuse ceux qui ont parlé contre le roi, nous récuserons, au nom de ]a patrie, ceux qui n'ont rien dit pour elle ; ayez le courage de dire !a vérité ; la vérité brûle dans les cœurs, comme une lampe dans un tombeau. Pour tempérer votre jugement, on vous parlera de faction. Ainsi la monarchie règne encore parmi nous. Eh ! comment fera-t-on reposer le destin de la patrie sur le jugement d'un coupable ! Je demande que chacun des membres monte à la tribune et prononce Louis est ou n'est pas convaincu.

 

Il y a loin de ce discours grave, sensé, magistral, à l'ironique projet de décret présenté par Camille Desmoulins, qui, avec la plus déplorable légèreté de caractère, trouva le courage de mêler ]e sarcasme à cette lugubre discussion. Saint-Just, en descendant de ]a tribune, fut de nouveau salué par d'enthousiastes acclamations, que ie président, Barère, dut réprimer en faisant observer qu'il s'agissait d'une sorte de solennité funèbre, et que les applaudissements ou les murmures étaient également interdits.

Après avoir encore entendu un certain nombre d'orateurs, la Convention, sous la présidence de Vergniaud, acceptant courageusement, pour tous ses membres, la responsabilité d'un vote motivé, décréta l'appel nominal sur chacune des trois questions suivantes :

Louis est-il coupable de conspiration contre la liberté et d'attentat contre la sûreté de l'État ?

Le jugement sera-t-il soumis à la ratification du peuple réuni dans ses assemblées primaires ?

Quelle peine Louis, ci-devant roi des Français, a-t-il encourue ?

Sur la première question, six cent quatre-vingt-treize députés, y compris Saint-Just, répondirent : Louis est coupable. Vingt-six se récusèrent.

Avec quatre cent vingt-trois de ses collègues, Saint-Just repoussa le recours au peuple.

Sur la troisième question, il motiva ainsi son vote : Puisque Louis XVI fut l'ennemi du peuple, de sa liberté et de son bonheur, je conclus à la mort.

Les autres députés de l'Aisne votèrent dans le même sens ; excepté Belin, qui demanda la détention jusqu'à la paix, et Condorcet, qui vota pour la peine la plus grave dans le Code pénal, autre que la mort.

Trois cent quatre-vingt-sept représentants ayant voté pour la mort, en comptant les quarante-six qui avaient réclamé le sursis, Vergniaud, au nom de la Convention, déclara, au milieu du plus lugubre silence, que la peine prononcée contre Louis Capet était la mort.

Quelques mots encore sur ce long et triste procès, sur cet acte d'inexorable justice. Nous sommes forcé de reconnaître, avant tout, que la Convention n'a obéi qu'au cri de sa conscience. Si Saint-Just s'est trompé lorsqu'il a conclu à la mort, il s'est trompé en grande et illustre compagnie. Mais, en songeant à la lutte désespérée soutenue alors par la France, comment oser affirmer que l'erreur a été de son côté ? Ah ! si le sang de Louis XVI doit retomber sur quelque mémoire, c'est sur celle de ces émigrés armés contre leur pays, et sur celle de ces rois, si mal à propos coalisés contre nous !

Si certains écrivains s'obstinent encore à traiter de bêtes fauves les juges inflexibles de Louis XVI, de quel nom flétriront-ils donc ceux de ses prédécesseurs qui, de gaieté de cœur, sans cause, sans raison, sans utilité, sans force majeure, ont proscrit et fait tuer tant de milliers d'innocents ? Non, ce n'étaient pas des hommes cruels, ce n'étaient pas des barbares, les Carnot, les Cambon, les Guiton Morveau, les Levasseur, les Le Bas, les Saint-Just, les Lakanal, les Robespierre, les Couthon, et tant d'autres qui, du fond de leurs tombeaux, pourraient jurer, comme le consul de Rome, qu'ils ont sauvé la patrie.

Comme contre-poids à d'aveugles et injurieuses appréciations sur la Révolution française, je me rappelle et je cite, avec plaisir, ces lignes écrites, au sujet de la Révolution d'Angleterre et de la nôtre, par M. Guizot, qu'on n'accusera certainement pas d'être un révolutionnaire bien fanatique

Qu'on cesse donc de les peindre comme des apparitions monstrueuses dans l'histoire de l'Europe ; qu'on ne nous parle plus de leurs prétentions inouïes, de leurs infernales inventions elles ont poussé la civilisation dans la route qu'elle suit depuis quatorze siècles ; elles ont professé les maximes, avancé les travaux auxquels l'homme a dû, de tout temps, le développement de sa nature et l'amélioration de son sort ; elles ont fait ce qui a fait tour à tour le mérite et la gloire du clergé, de la noblesse et des rois.

Je ne pense pas qu'on s'obstine longtemps à les condamner parce qu'elles sont chargées d'erreurs, de malheurs et de crimes il faut, en ceci, tout accorder à leurs adversaires, les surpasser même en sévérité, ne regarder à leurs accusations que pour y ajouter, s'ils en oublient, et puis les sommer de dresser à leur tour le compte des erreurs, des crimes et des maux de ces temps et de ces pouvoirs qu'ils ont pris sous leur garde. Je doute qu'ils acceptent le marché[4].

 

Plaignons donc l'infortuné Louis XVI, comme il faut plaindre toutes les victimes politiques, à quelque parti qu'elles appartiennent ; mais défions-nous des sensibilités hypocrites. Fils du tiers état, ne craignons pas d'honorer tous ceux qui ont travaillé à lui restituer sa véritable place ; et sauvegardons, comme un patrimoine que nous ne pourrions répudier sans la plus lâche ingratitude, la mémoire des hommes intègres d'une Révolution à laquelle nous devons cette part de dignité humaine dont nos pères ont été si longtemps sevrés.

 

 

 



[1] Voyez le Moniteur du 22 septembre 1792, n° 266.

[2] Voyez le Moniteur du 9 novembre 1792, n° 314.

[3] Voyez le Moniteur du 18 décembre 1792, n° 353.

[4] Préface de la Révolution d'Angleterre, t. I, p. XII et XIII.