HISTOIRE DE ROBESPIERRE

TOME TROISIÈME — LA MONTAGNE

 

LIVRE QUATORZIÈME. — VENTOSE AN II (MARS 1794) - MESSIDOR AN II (JUILLET 1794).

 

 

Proscription de Simond et de Hérault-Séchelles. — Portrait de Danton. — Est-il coupable de corruption ? — Témoignage écrasant de Mirabeau. — Conduite de Robespierre à l'égard de Danton. — Dîner chez Humbert. — Vilain d'Aubigny et l'éditeur Prudhomme. — Robespierre consent à abandonner Danton. — Camille Desmoulins et Rougyff. — Attitude de Robespierre envers Camille Desmoulins. — Arrestation des dantonistes. — Protestation de Legendre. — Réponse foudroyante de Robespierre. — Rapport de Saint-Just. — Conspiration des prisons. — Une lettre de Lucile Desmoulins à Robespierre. — Condamnation des dantonistes. — Le procureur général syndic Lulier. — Effet produit par l'exécution des dantonistes. — Dictature du comité de Salut public affermie. — Lettre de Deforgue à Robespierre. — Arrêté en faveur des amis de Chalier. — Dufourny chassé des Jacobins. — Lâcheté de Legendre et de Bourdon (de l'Oise). — Mort de Lucile Desmoulins. — Lettre à Aigoin. — Madame Elisabeth et Robespierre. — Suppression des ministères. — Nomination de Lerebours. — De la dictature de Robespierre. — Sur les dénonciateurs. — La loi de police générale. — Le général Hoche et Robespierre. — Une séance du comité de Salut public. — Une lettre de Lazare Hoche — Les autorités de M. Michelet. — Le Chapelier et Robespierre. — La dureté de Robespierre. — Les beaux-arts et le comité de Salut public. — Du sentiment religieux chez Robespierre. — Discours sur les rapports des idées religieuses et morales avec les principes républicains. — Prodigieux effet de ce discours. — Modification de la commune. — L'ex-juré. Payan. — Destitution de Pache. — Nomination de Fleuriot-Lescot. — Enthousiasme pour Robespierre. — Une lettre de la sœur de Mirabeau. — Tentative d'assassinat contre Collot-d'Herbois. — Une rectification de Barère. — Cécile Renault. — Saint-Just rappelé. — Témoignages d'idolâtrie. — Une lettre de Garan de Coulon. — Accueil de Robespierre aux Jacobins. — Rousselin exclu de la société. — Rapport de Barère. — Les soldats de Robespierre. — Sur les crimes des rois armés contre la France. — Point noir à l'horizon. — Présidence de Robespierre. — Fête à l'Être suprême. — Injures et sarcasmes. — Prévision tragique. — Projet d'arrêter la Terreur. — Exécution de Jourdan Coupe-Tête. — Commission d'Orange. — Instruction aux commissions populaires. — Les auteurs de la loi de prairial. — Dénégations mensongères des membres des anciens comités. — Séance du 22 prairial à la Convention. — Fausses interprétations. — Violente apostrophe contre Bourdon (de l'Oise). — Tallien pris en flagrant délit de mensonge. — Vote de la loi de prairial. — Mensonge historique. — Une lettre de Tallien. Thérésia Cabarrus et Tallien. — Le futur duc d'Otrante. — Charlotte Robespierre et Fouché. — Robespierre demande compte à Fouché du sang versé par le crime. — Séance du 23 prairial aux Jacobins. — Les conjurés de Thermidor. — Plan machiavélique. — Prétendue liste de proscrits. — Le comité de Salut public ébranlé par Fouché. — Affaire des chemises rouges. — La famille de Saint-Amaranthe. — Affaire de Catherine Théot. — Que Robespierre ne déserta point le comité. — Histoire des deux secrétaires de Carnot. — Le bureau de police générale. — Rapports avec le tribunal révolutionnaire. — Conspirations dites des prisons. — Rapports avec Fouquier-Tinville. — Trames contre Robespierre. — La proclamation du duc d'York. — Explication aux Jacobins. — Mission de Couthon. — Appel à la justice et à la probité. — Violente apostrophe contre Fouché. — Avertissement du représentant Bô.

 

I

La tactique des ennemis de Robespierre, c'est-à-dire des ennemis de la Révolution, a été de le rendre responsable de tous les coups frappés à tort ou à raison par le gouvernement révolutionnaire. Nous trouvons dans les appréciations diverses auxquelles a donné lieu l'arrestation de Hérault-Séchelles un exemple bien remarquable de cette perfidie. L'auteur d'une biographie de Hérault va même jusqu'à attribuer la mort de ce dernier à la jalousie qu'aurait conçue Robespierre de l'avoir vu présider la Convention nationale le 10 août 1793, jour de la fête d'inauguration de la constitution républicaine[1]. Impossible de plonger plus profondément dans l'absurde. Magistrat de l'ancien régime, Hérault-Séchelles avait longtemps flotté incertain entre la Gironde et la Montagne avant de se donner tout entier à celle-ci. Nommé membre du comité de Salut public, il s'était lié d'amitié avec Saint-Just et avec Couthon, et il trouva dans ce dernier un défenseur dévoué lorsque, dantoniste attaqué par un pseudo-dantoniste, il fut, pendant sa mission à l'armée du Rhin, l'objet d'une violente agression de la part de Bourdon (de l'Oise)[2]. A son retour, Hérault se défendit lui-même avec succès à la tribune de la Convention ; il expliqua ses liaisons avec Proly, liaisons qui, hélas ! devaient tant contribuer à le perdre, fit un pompeux éloge du patriotisme de Danton, duquel on avait vainement, dit-il, essayé de le détacher, et finit par offrir sa démission de membre du comité de Salut public. La Convention applaudit à sa justification et refusa d'accepter sa démission[3].

Du reste, dans sa mission en Alsace, Hérault-Séchelles avait eu soin de donner des gages au parti le plus avancé de la Révolution.

L'hébertisme avait trouvé dans lui et dans son collègue Simond, ex-vicaire constitutionnel de l'évêque du Bas-Rhin, de complaisants apôtres. Hérault en avait pris les allures et le langage. Oui, f..... ! écrivait-il de Colmar le 28 brumaire, entre nous, l'aristocratie s'en ira par haut et par bas[4]. Il existe de lui une lettre véritablement atroce adressée à Carrier, avec lequel il paraît avoir été en relations assez intimes. Ce ne fut donc point une modération d'apparat qui le désigna aux soupçons du comité de Salut public.

Mais tout à coup on apprit la divulgation de certains secrets du comité ; d'importants papiers avaient été traîtreusement livrés à la connaissance des cours étrangères. Formellement accusé de trahison par Billaud-Varenne, Hérault se trouva surtout compromis par ses liaisons avec le bâtard du prince de Kaunitz, l'Autrichien Proly, par l'entremise duquel, prétendait-on, il transmettait à Vienne le secret des opérations du comité de Salut public[5]. Une dernière imprudence aggrava les soupçons et acheva de le perdre. Un ancien commissaire des guerres, nommé Catus, poursuivi comme émigré et comme conspirateur, fut arrêté dans son appartement par le comité révolutionnaire de la section Lepeletier. Donner asile à un émigré, c'était se mettre sous le coup de la loi du 4 ventôse. Comme s'il ne se fût pas assez compromis, Hérault se rendit, avec son collègue Simond, également lié avec Catus, au siège du comité de la section Lepeletier, et tous deux abusèrent de leur qualité de députés pour essayer d'obtenir l'élargissement du prévenu.

Instruits de ces faits, les comités de Salut public et de Sûreté générale n'hésitèrent pas à lancer un double mandat d'arrêt contre Hérault et contre Simond, et à instruire la Convention nationale des motifs de cette arrestation[6]. La Convention, dit Saint-Just, devait s'honorer en faisant respecter ses décrets par ses membres avec la même rigueur dont elle userait envers tout autre citoyen, et l'Assemblée, dans sa séance du 27 ventôse (12 mars 1794), décréta d'arrestation les deux députés[7]. On voit combien Robespierre fut étranger à toute cette affaire. Cela n'a pas empêché la plupart des biographes de Hérault-Séchelles de le présenter comme une des victimes de Maximilien[8], tant il y a eu jusqu'ici de préventions et, il faut bien le dire, peu de bonne foi parmi ceux qui se sont occupés des hommes et des choses de la Révolution française. La brusque arrestation de Hérault tempéra singulièrement la joie que les dantonistes avaient ressentie de celle d'Hébert et de ses compagnons. Ne devaient-ils pas trembler pour eux-mêmes en voyant la Convention porter ainsi la main, avec une sorte de stoïcisme, sur ses propres membres ? Vainqueurs de l'hébertisme, ils se trompaient étrangement s'ils se croyaient abrités par leur victoire. Cette victoire même les perdit, et, je le répète, ce n'est pas une des moins douloureuses conséquences du supplice des exagérés. L'échafaud d'Hébert présageait, hélas ! celui de Camille Desmoulins et de Danton.

 

II

Danton ! à ce nom retentissant, inscrit en lettres éternelles dans les fastes de notre Révolution, n'attendez de moi ni outrage ni sévérité excessive. Je n'imiterai pas ces historiens au moins bizarres qui, s'éprenant de belle passion pour tel ou tel personnage, croient devoir immoler tout sans pitié aux mânes de leur idole, sans autre raison qu'une sympathie bien peu justifiée souvent. J'admets très-bien les préférences pour celui-ci ou pour celui-là, mais ces préférences ne sauraient être exclusives de l'impartialité. Il est donc impossible de s'incliner devant ces jugements téméraires, inspirés par un caprice d'affection, et dont les motifs ne s'appuient pas sur des témoignages certains et irrécusables. On doit aux morts la justice, la justice rigoureuse, laquelle d'ailleurs n'empêche ni la pitié ni les larmes de se répandre sur les victimes.

Les efforts n'ont pas manqué pour sacrifier la mémoire de Robespierre à celle de Danton. Et pourquoi sacrifier celui-là à celui-ci ? C'est ce que se demandent, frappés d'étonnement, ceux qui raisonnent avant tout au point de vue des idées et des principes démocratiques. Tout d'abord, il y a un fait important à signaler : les hébertistes, les girondins et les dantonistes, voire même les royalistes, s'étant donné la main sur le champ de bataille de Thermidor, — si l'on peut appeler bataille un véritable guet-apens, — il s'ensuivit qu'une sorte de réaction s'opéra tout de suite en faveur de Danton. Tandis que les factions réunies s'acharnaient contre Robespierre et s'ingéniaient à faire de lui le bouc émissaire de la Révolution, — comme si, selon une expression bien curieuse et digne d'être retenue, sa tombe se fût trouvée assez large pour qu'on y déversât toutes les haines[9] — tandis que, sous peine de mort en quelque sorte, il était interdit à tout citoyen de prononcer avec éloge le nom du géant tombé, Danton trouva des apologistes empressés. Le chœur immonde des Courtois, des Fréron, des Tallien, des Guffroy, entonna ses louanges. Vivant ou mort, il eut le malheur d'avoir les plus décriés, les plus méprisables des hommes pour prôneurs et pour amis. On ne se souvint plus qu'il avait été le porte-voix de la Terreur, que le tribunal révolutionnaire avait été établi sur sa demande, et l'on vanta son humanité, comme on fait encore aujourd'hui. On oublia ses vices, que dis-je ! on alla jusqu'à lui en faire un mérite. Ses principes étaient incendiaires, ses discours violents jusqu'à la fureur, mais il avait dans la vie privée un caractère facile, une morale très-relâchée et le propos cynique, a écrit de lui un de ces représentants qui, après avoir longtemps croupi dans le Marais et s'être abrités dans un silence prudent, se ont vengés de leur lâcheté en calomniant après coup les plus purs défenseurs de la Révolution[10].

Danton était donc, du propre aveu de ses quasi-admirateurs, un cynique dans toute l'acception du mot. Il disait un jour à Robespierre, qui se plaignait du système de calomnies développé dans tous les papiers publiés par Roland et parles brissotins : L'opinion publique est une p....., la postérité une sottise[11]. Le mot de vertu le faisait rire. Il n'y en avait pas de plus solide, s'écriait-il plaisamment, que celle qu'il déployait toutes les nuits avec sa femme[12]. Un jour, se trouvant seul dans une des allées de son jardin de Sèvres avec Élisabeth Duplay, alors convalescente, et que madame Panis, chez qui elle était à la campagne, à Chaville, avait emmenée en visite, il lui prit grossièrement la taille et l'embrassa en lui disant : Ma petite, ce qu'il te faut pour être guérie promptement, c'est un mari[13]. Je n'attache pas grande importance à ce trait, mais il peint l'homme. Danton, je le maintiens, était un cynique, en paroles au moins. Et, chose étrange, cela même lui fait trouver grâce aux yeux de certaines gens qu'ennuie l'austérité de mœurs de Robespierre.

Qu'il ait été sensible, à ses heures, je le veux bien ; cependant, quand je vois qu'on oppose sa bonhomie et sa sensibilité à la rudesse et à l'inflexibilité de Maximilien, je ne puis m'empêcher de sourire d'incrédulité. Si le premier s'émut d'une profonde pitié en face des malheurs particuliers de quelques-uns de ses amis, le second ne cessa de gémir sur les persécutions inutiles, sur le sort des victimes innocentes, et, pour arrêter les excès de la Terreur sans compromettre la Révolution, il risqua et perdit sa tête. Les témoignages particuliers qui attestent sa sensibilité naturelle ne manquent pas.

Si, comme Danton et tant d'autres révolutionnaires du temps, il fut poussé par la force des choses à l'emploi des mesures extrêmes, il n'en demeura pas moins, au dire de ses amis et de tous ceux qui eurent l'occasion de l'approcher, le meilleur et le plus dévoué des hommes[14].

Comme preuve des élans de tendresse et d'humanité de Danton, l'on raconte que, quelques jours après la mort de sa première femme, il fit, dans l'ivresse de la douleur, exhumer son cadavre, qu'il le serra étroitement dans ses bras et le couvrit de baisers. En acceptant la chose comme possible, en supposant que Danton n'ait pas reculé devant les restes putréfiés et livides de celle qu'il avait aimée dans sa fraîcheur et dans sa beauté, je me sens moins touché quand je songe que quelques mois plus tard il se remariait avec une toute jeune fille dont il était éperdument amoureux. Or, des larmes si vite séchées, une douleur si promptement consolée, ne me paraissent guère sérieuses, et l'on est tenté de trouver un peu ridicule cette scène d'exhumation et d'embrassement suprême, scène presque sublime aux yeux de quelques personnes. On doit se méfier des légendes, comme on doit également se méfier d'une foule de phrases stéréotypées dont les historiens ont fait beaucoup trop d'abus. Qui ne connaît ces paroles attribuées à Danton : Assez de sang versé comme cela. — J'aime mieux être guillotiné que guillotineur !... Les a-t-il prononcées ? C'est possible ; mais alors il faudrait aussi admettre celles-ci : Buvons le sang des aristocrates ; il faudrait admettre encore qu'en parlant des massacres de Septembre, il se soit écrié : J'ai regardé mon crime en face, et je l'ai commis ; et alors je ne vois pas trop ce qu'aurait à y gagner cette réputation de sensibilité qu'on prétend lui faire aux dépens de Robespierre. Loin de moi d'ailleurs la pensée de présenter Danton comme un homme cruel. Ni lui ni Maximilien n'eurent les instincts sanguinaires que leur ont calomnieusement prêtés les historiens royalistes et girondins. Laissons à ces écrivains le triste monopole des mensonges historiques ; qu'ils continuent d'altérer la vérité au profit des rancunes de leurs partis ; mais nous que le sentiment du devoir élève au-dessus des passions mesquines, défendons comme un patrimoine sacré la mémoire des grands hommes de la Révolution ; oui, défendons résolument les fondateurs de la République, sans excuser pour cela leurs faiblesses ou leurs erreurs.

Un double reproche de corruption pèse sur la mémoire de Danton : il est accusé, en premier lieu, d'avoir reçu de l'argent de la cour ; en second lieu, de s'être rendu coupable de concussions nombreuses lors de sa mission en Belgique auprès de Dumouriez, et de s'être approprié des sommes considérables au détriment de l'État.

Danton aimait la vie facile et luxueuse, la bonne chère et le plaisir ; il menait une assez grande existence, avait maison de ville et de campagne. Or, on ne lui connaissait pas de patrimoine ; sa seconde femme ne lui avait pas apporté de fortune ; de là ce mot terrible de Saint-Just : D'où vient ce faste qui t'entoure ?[15] Et ce fut précisément le point par où il parut vulnérable et criminel à un homme rigide comme Maximilien.

A-t-il prévariqué dans sa mission en Belgique ? Sur ce point il y a doute, et le doute doit être interprété tout en sa faveur ; autrement je n'hésiterais pas à m'incliner devant la condamnation qui a frappé l'illustre tribun. Qu'un général rançonne, en passant, les villes occupées par lui, cela, il n'y a pas bien longtemps encore, paraissait admis dans l'horrible droit de la guerre, et nous avons vu, sans que l'opinion publique s'en soit beaucoup émue, figurer dans l'héritage de plus d'un officier du premier Empire des objets d'art équivalant à toute une fortune et dont la légitime possession pouvait être fort discutée ; mais un législateur, un commissaire d'une assemblée constituante, qui prélèverait la moindre redevance sur les habitants d'un pays où il aurait à exercer un proconsulat, commettrait un crime indigne d'indulgence et de pardon. S'il faut s'en rapporter à Mme Le Bas, les Thermidoriens se seraient emparés, chez son père, de pièces importantes où se trouvaient les preuves irrécusables des prévarications commises par Danton et par Lacroix[16]. Que les vainqueurs de Thermidor aient volé tous les papiers de leurs victimes, cela est certain, indubitable ; ce qui l'est moins, c'est que les preuves des détournements de Lacroix et de Danton figurent parmi ces papiers. Comment, en effet, ne les aurait-on pas produites dans leur procès ? Et si l'on n'en avait eu connaissance que postérieurement au procès, comment ne se serait-on pas empressé de les mettre sous les yeux du public, afin de justifier une condamnation inique aux yeux de beaucoup de monde ? Mme Le Bas aura peut-être pris — c'est une pure supposition de ma part — pour des preuves convaincantes une lettre, assez compromettante d'ailleurs, des administrateurs du district de Béthune, lettre où il est question de fourgons chargés d'effets à l'adresse de Lacroix et de Danton[17]. Ce qui est certain, c'est que, à tort ou à raison, on a cru, à l'époque, que l'un et l'autre avaient employé à leur usage j particulier une partie des cent mille livres en numéraire qu'ici avaient demandées pour dépenses secrètes et qui leur avaient été délivrées par le ministre Lebrun[18]. Quoi qu'il en soit, il n'y a rien là de clair, de précis, d'affirmatif, et il serait téméraire d'asseoir une accusation sur des données aussi vagues.

Mais où le doute n'est malheureusement guère possible, c'est sur la question de savoir si Danton a reçu de l'argent de la cour. Ici il y a un tel concours de témoignages que, pour persister à nous le présenter comme tout à fait innocent à cet égard, il faut une bonne volonté infinie. En vain objecte-t-on la modicité de sa fortune, consistant en quelques biens acquis à Arcis-sur-Aube des fonds provenant du remboursement de sa charge d'avocat au conseil ; est-ce que précisément on ne lui reprochait pas un faste peu en rapport avec sa position de fortune ? est-ce qu'on ne voit pas des gens mourir pauvres après avoir gaspillé des sommes énormes ? On nous montre victorieusement la quittance du prix de remboursement de sa charge ; mais cela prouve-t-il qu'il n'ait pas reçu de la cour un supplément de prix ? Je me demande, par exemple, quel intérêt avait Mirabeau, dans une lettre toute confidentielle, à accuser Danton ? Robespierre ne se trompait donc peut-être pas de beaucoup, quoi qu'on en dise, lorsqu'il écrivait au sujet de Danton : Il eut à Mirabeau une obligation bien remarquable : celui-ci lui fit rembourser sa charge d'avocat au conseil ; on assure même que le prix lui en a été payé deux fois. Les amis de Mirabeau se vantaient hautement d'avoir fermé la bouche à Danton, et tant qu'a vécu ce personnage, Danton resta muet[19]. Or, étrange coïncidence, voici Mirabeau lui-même qui semble se lever de sa tombe pour attester la vénalité de Danton. En effet, dans une des lettres adressées au comte de La Marck par l'immortel orateur, lettres, à coup sûr, non destinées à la publicité et révélées pour la première fois plus de soixante ans après la mort de leur auteur, nous lisons, à la date du 10 mars 1791 : Beaumetz, Chapelier et d'André ont dîné hier in secretis, reçu les confidences de Danton, etc. Danton a reçu hier trente mille livres, et j'ai la preuve que c'est Danton qui a fait faire le dernier numéro de Camille Desmoulins. Enfin, c'est un bois ![20] Comme on le voit, il ne s'agit pas ici d'un blâme infligé par Mirabeau, vendu lui-même, à Danton également vendu ; non, le premier se plaint tout simplement de ce que la cour paye un homme qu'il accuse d'avoir suggéré à Camille Desmoulins l'idée de l'attaquer, lui Mirabeau, dans un numéro des Révolutions de France et de Brabant, et il se contente de flétrir la duplicité de Danton en disant : Enfin, c'est un bois ![21]

En conséquence, que Danton ait touché plus ou moins de la cour, qu'il ait reçu des sommes considérables pour l'époque, soit à titre gracieux, soit à titre de supplément de remboursement de sa charge, le fait probable, hélas ! c'est qu'il a eu, comme Mirabeau, les mains tachées des largesses d'une cour qui, on le sait, essaya de pratiquer en grand la corruption sur les hommes de la Révolution. Maintenant, que Danton ait eu un marché avec la cour sans que rien ait été délivré de sa part, comme le prétend Garat[22], cela peut être ; mais pour moi, qui n'admets point que la morale soit plus large dans les affaires publiques que dans les affaires privées, je ne saurais absoudre complètement Danton. On a dit de lui qu'il avait été le Mirabeau de la Terreur[23] ; cette comparaison ne manque pas de justesse sous tous les rapports. La postérité n'oubliera pas la participation glorieuse de ces deux grands hommes aux choses de la Révolution. Seulement elle saura établir une différence profonde entre les révolutionnaires de tempérament et ceux dont le sentiment de l'honnêteté, la passion de la justice et de l'équité ont seuls dirigé tous les actes ; et, à ce propos, je répondrai à ceux qui sans cesse et de parti pris attaquent Robespierre, le sacrifient aveuglément à Mirabeau ou à Danton, que, réhabilitation pour réhabilitation, il vaut mieux, soit dit pour Mirabeau surtout, défendre la mémoire des incorruptibles que de réhabiliter celle des corrompus.

 

III

Danton était surtout un révolutionnaire de tempérament ; je ne crois pas qu'il ait eu jamais de principes bien arrêtés. A l'origine de la Révolution on l'avait vu flotter irrésolu entre Mirabeau et le duc d'Orléans. Un jour même, se trouvant à dîner avec Robespierre, il reprocha à celui-ci de gâter la bonne cause en s'écartant de la voie où s'étaient engagés Barnave et les Lameth, qui alors commençaient à déserter le parti démocratique[24]. Ce qu'il y a de bien sûr, c'est que tandis que Robespierre combattait de toutes ses forces la candidature du duc d'Orléans, Danton l'appuyait résolument en disant que la nomination d'un prince du sang rendrait la Convention nationale plus imposante aux yeux de l'Europe[25]. Une fois le mouvement révolutionnaire franchement prononcé dans le sens républicain, Danton, il est vrai, s'y jeta à corps perdu, et il rendit à la cause de la démocratie des services dont il serait injuste de ne pas lui tenir éternellement compte. Ses fougueuses motions contre les aristocrates, sa grande voix sonnant la charge et ébranlant comme un tonnerre les voûtes de la Convention nationale, ses magnifiques élans de patriotisme, rien de tout cela ne s'oubliera tant que vivra dans nos cœurs le souvenir de la Révolution française.

Robespierre avait fini par être subjugué comme il l'avait été par Mirabeau, et, oubliant les nuages dont le patriotisme de Danton avait pu lui paraître couvert dans les premières années de la Révolution, il l'avait résolument défendu en toutes circonstances et contre les attaques de l'aristocratie et contre celles des exagérés. Et il n'y avait eu là de sa part ni calcul d'intérêt ni rémunération de services rendus, car une fois, une seule fois, Danton lui avait prêté le secours de sa parole, et bien faiblement encore, contre les agressions odieuses dont il s'était trouvé l'objet[26]. Mais lui, Maximilien, quelle véhémence il avait mise, par dix reprises différentes, à couvrir de sa popularité et de son influence ce vétéran de la Révolution ! On n'a pas oublié la générosité avec laquelle il s'était placé entre Danton et ses accusateurs. Tout récemment encore ne l'avait-il point protégé comme un frère contre les violences d'Hébert ?

Déjà cependant l'indolent tribun s'était rendu suspect à plus d'un patriote par sa conduite incertaine, et on l'accusait tout haut d'être, avec Fabre d'Églantine, l'inspirateur des pamphlets de Camille Desmoulins. L'arrestation de Fabre acheva de le plonger dans un découragement profond. Nous avons rapporté les sombres paroles échappées à Billaud-Varenne le jour où la Convention nationale avait confirmé l'arrestation de l'auteur du Philinte : Malheur à celui qui a siégé à côté de Fabre et qui est encore sa dupe ; il a trompé les meilleurs patriotes ; paroles qui s'adressaient directement à Danton, qu'on savait très-intimement lié avec Fabre, en faveur duquel il avait, assez timidement, essayé de prononcer quelques mots[27]. Les soupçons de Billaud-Varenne sur le compte de Danton étaient déjà anciens ; ils remontaient à l'époque où, ministre, celui-ci avait envoyé Fabre d'Eglantine au camp de la Lune, auprès de Dumouriez[28], et où, grâce à des négociations occultes, les Prussiens avaient pu évacuer le territoire français, quand il eût été si facile de les ensevelir dans les plaines de la Champagne. A quelque temps du jour où la menace était tombée de sa bouche, Billaud proposa, en pleine séance du comité de Salut public, comme on l'a vu plus haut, la mise en état d'arrestation de Danton. C'en était fait dès cette époque de l'ancien ministre de la justice de la République, si en ce moment une voix n'eût pas protesté avec une impétuosité telle, que la proposition meurtrière se trouva étouffée pour le moment.

Or cette voix fut-ce celle de Robert Lindet, qui n'a point signé le mandat d'arrestation des dantonistes ? Fut-ce celle de Carnot, qui depuis s'est un peu trop complaisamment vanté de s'être opposé à la chute de Danton ?[29] Non, ce fut celle de Robespierre. Au milieu du silence général et de l'étonnement produit par la proposition de Billaud-Varenne, Maximilien se leva, il se leva comme .un furieux[30], nous l'avons dit déjà ; et apostrophant rudement Billaud, il lui reprocha de conspirer la perte des meilleurs patriotes. Ce fut précisément là un des grands griefs invoqués par Billaud contre Robespierre dans la séance du 9 Thermidor[31]. Certains écrivains ont beaucoup remarqué l'exclamation poussée par Garnier (de l'Aube) dans cette même séance : Le sang de Danton t'étouffe ! exclamation peu justifiée, puisqu'il est avéré que de tous les membres du comité de Salut public Robespierre fut celui qui s'opposa le plus longtemps à la mise en état d'accusation de Danton, et ils se sont fort peu préoccupés des paroles de Billaud-Varenne, lesquelles renferment cependant toute la vérité historique. Jamais Billaud ne revint de son opinion sur le compte de Danton ; même après Thermidor, il continua de reprocher amèrement à Robespierre d'avoir défendu ce conspirateur. Si le supplice de Danton est un crime, s'écria-t-il en répondant à Laurent Lecointre dans la séance du 12 fructidor de l'an II, je m'en accuse, car j'ai été le premier à dénoncer Danton. J'ai dit que si cet homme existait, la liberté était perdue. S'il était dans cette enceinte, il serait un point de ralliement pour tous les conspirateurs[32]. Et dans sa réponse imprimée à Lecointre, il écrivit : Danton est le seul représentant du peuple dont j'aie provoqué la punition, parce qu'il me paraissait un conspirateur des plus dangereux. Plus la perte d'un ennemi de la patrie peut causer de regrets, plus on justifie que les hommes qui ont concouru à l'abattre ont bien rempli leur devoir[33]. Laissons donc à Billaud-Varenne, et à lui seul, la responsabilité de la mise en état d'accusation de Danton, puisqu'il en a revendiqué l'honneur, considérant cette mesure comme un acte de justice, et s'en faisant un titre de gloire aux yeux de la postérité.

Comment maintenant parvint-on à décider Robespierre à abandonner Danton ? La chose ne fut pas aisée à coup sûr[34] ; il fallut trois mois pour cela (nivôse à germinal). Chargé, comme on l'a vu, de préparer un projet de rapport sur la faction Fabre d'Églantine, il se refusa absolument à y impliquer Danton, comme l'aurait voulu Billaud-Varenne, et peut-être fut-ce là la cause de la non-acceptation de son travail par ses collègues du comité. Il y avait, on s'en souvient sans doute, dans ce projet une simple allusion à Danton, et c'était tout. Encore Maximilien rendait-il Fabre d'Églantine coupable de l'inaction où semblait se complaire depuis quelque temps le tribun si redoutable jadis aux ennemis de la Révolution. Rappelons ces paroles déjà citées[35] : Par lui le patriote indolent et fier, amoureux à la fois du repos et de la célébrité, était enchaîné dans une lâche inaction ou égaré dans les dédales d'une politique fausse et pusillanime. Au reste, Danton ne se méprit point sur les véritables auteurs de son arrestation, et dans sa défense il se garda bien d'en accuser Robespierre. Il se contenta de dire à cet égard : Il faut que je parle des trois plats coquins qui ont perdu Robespierre[36]. Danton savait donc bien la pression exercée sur Maximilien. Celui-ci fut en effet obsédé, circonvenu par tous les moyens.

On lui montra Danton et Lacroix spoliant la République dans leur mission en Belgique. Il demeura longtemps incrédule. Ce fut même à lui que Lacroix, accusé, s'adressa comme à un défenseur : Tu es républicain austère, tu es l'ennemi juré des conspirateurs, des traîtres, eh bien ! je te somme, au nom de la liberté pour qui tu as tant fait, de prendre lecture de la lettre que j'adresse aujourd'hui au comité de Salut public. Je réclame contre moi la sévérité de tes principes si tu me soupçonnes coupable, mais aussi je réclame ta justice ordinaire s'il t'est montré que je suis calomnié. Ce n'est pas à moi que l'on en veut en attaquant la commission de la Belgique[37]. Mais on insista auprès de Robespierre ; on lui assura que dans le pays de Lacroix on ne parlait que des serviettes de l'archiduchesse rapportées de Belgique[38], et il le crut. On lui assura également que Danton était l'instigateur des lettres de Philippeaux, des motions de Bourdon (de l'Oise) ; qu'il avait corrigé de sa main les numéros du Vieux Cordelier, et qu'il y avait fait des changements, ce dont il se vantait tout haut, ajoutait-on, et il le crut. Il n'y avait là d'ailleurs rien d'impossible. L'attitude équivoque de l'impétueux tribun devenu tout à coup calme, son entourage corrompu, jetèrent un grand trouble dans l'esprit de Robespierre, il fut ébranlé. La joie démesurée que dantonistes et royalistes laissèrent éclater à l'exécution d'Hébert acheva de porter dans sa conscience une conviction véritable sur la culpabilité de Danton. Il vit bien, — ce qui était vrai d'ailleurs, et ce dont après Thermidor on aura la preuve irréfragable, — qu'involontairement ou non, les dantonistes, comme jadis les Girondins, servaient d'avant-garde à tous les contre-révolutionnaires, et, suivant l'expression de Billaud-Varenne, il consentit à abandonner celui que, depuis l'ouverture de la Convention, il avait si souvent et si ardemment défendu.

Alors il oublia tous les services passés pour ne plus se souvenir que des fautes ; alors revinrent à sa mémoire, comme autant de crimes impardonnables, les faiblesses et les erreurs de Danton. Il se rappela les liaisons du tribun avec Mirabeau et le duc d'Orléans ; il se rappela les thés de Robert, où Danton assistait en compagnie de Fabre d'Églantine et du général royaliste Wimpfen, et où d'Orléans faisait lui-même le punch[39]. Il se souvint de la conduite un peu incertaine de Danton à l'époque du 31 mai, et il en tira la conséquence que Danton avait attendu que la victoire se fût prononcée entre la Gironde et la Montagne pour prendre parti lui-même[40]. L'envoi de Fabre d'Eglantine auprès de Dumouriez, la mission de Danton en Belgique, lui apparurent sous un jour tout à fait criminel[41]. Il se souvint que, il n'y avait pas très-longtemps, Danton, étant venu le voir, lui avait parlé de Camille Desmoulins avec mépris, en attribuant à un vice privé et honteux, mais absolument étranger à la Révolution, les écrits de l'auteur du Vieux Cordelier, et il vit dans ce trait la preuve d'une âme ingrate et noire[42]. Il arriva à se former cette conviction qu'un homme à qui toute idée de morale était étrangère, selon lui, ne pouvait être le défenseur de la liberté. Danton n'avait-il pas pour maxime qu'il fallait se servir des fripons au besoin ? N'était-il pas entouré des intrigants les plus impurs ? Ne se plaignait-il pas que la sévérité des principes républicains effarouchât beaucoup de monde ? Ne professait-il pas enfin pour le vice une tolérance qui devait lui donner autant de partisans qu'il y avait d'hommes corrompus dans le monde[43] ? Or, singulier rapprochement, quels furent, après Thermidor, les vengeurs de la mémoire de Danton ? Ce furent les hommes les plus impurs et les plus tarés de la Convention nationale : les Tallien, les Courtois, les Fréron, les Guffroy, les Fouché.

On voit comment Robespierre fut insensiblement et logiquement amené à abandonner Danton. La voix de la patrie étouffa en lui celle de l'amitié ; tout reste d'affection s'effaça devant le rigorisme républicain. Ceux qui, sans aucune preuve d'ailleurs, ont attribué cet abandon à un sentiment de jalousie de la part de Maximilien, ont parlé sans réflexion[44]. Robespierre n'était ni jaloux ni envieux. Et pourquoi aurait-il été jaloux de Danton ? Est-ce qu'il pouvait, par hasard, lui envier les applaudissements des contre-révolutionnaires ? Est-ce que la popularité de ce dernier, si grande qu'elle fût, approchait de la sienne ? Est-ce qu'enfin le pauvre Danton n'était pas à moitié perdu dans l'opinion des patriotes au moment où, cédant aux instances de Billaud-Varenne[45], Robespierre consentit à l'abandonner. Il lui fallut sans doute un pénible effort ; mais plus le sacrifice était grand, plus, en s'y résolvant, il crut obéir à la voix sévère de la patrie. Dès qu'une fois la conviction de la culpabilité de Danton eut pénétré en lui, il éprouva comme une sorte de honte d'avoir eu si longtemps foi dans le patriotisme de cet ancien ami, et il se montra d'autant plus âpre à son égard qu'il s'imagina avoir été sa dupe. Il n'est pas jusqu'aux démarches tentées auprès de lui en faveur de Danton qui n'aient tourné au détriment de celui-ci. On chercha à lui inspirer des terreurs pour son propre compte. On essaya de lui persuader qu'après avoir frappé Danton on s'attacherait à l'atteindre ; que Danton pouvait être pour lui un bouclier. Prendre Robespierre par la crainte, faire appel chez lui à des sentiments égoïstes et purement personnels, c'était bien mal le connaître. Du moment où, convaincu d'ailleurs que Danton était coupable, il vit un danger à se déclarer hautement contre lui, il n'hésita plus. Ce fut un grand malheur, je n'hésite pas à le dire. En se posant résolument comme l'adversaire de son vieux compagnon d'armes, Robespierre crut sincèrement faire acte d'héroïsme.

 

IV

A la froideur glaciale que dans les derniers jours de ventôse il témoigna à Danton, à quelques paroles menaçantes échappées de sa bouche au sujet de la faction dite des modérés, on put s'apercevoir que les ennemis de Danton étaient parvenus à le perdre dans l'esprit de Maximilien. Des amis communs tentèrent de les rapprocher. On les réunit dans un dîner chez Humbert, l'ancien hôte de Robespierre, devenu chef du bureau des fonds au ministère des affaires étrangères ; ce dîner eut lieu au Marais, selon les uns, à Charenton, suivant les autres[46]. Là ils se trouvèrent en compagnie d'une douzaine de personnes, parmi lesquelles on comptait le ministre de la guerre ; Deforgues, les députés Panis et Legendre, Sellier, juré au tribunal révolutionnaire, et l'adjoint au ministre de la guerre, Vilain d'Aubigny, qui, lié également avec Robespierre et avec Danton, avait, paraît-il, pris l'initiative de cette réunion.

Des propos tenus dans ce repas il existe deux versions différentes, l'une de d'Aubigny, l'autre de l'éditeur Prudhomme ; mais, disons-le tout de suite, elles ne méritent aucune espèce de créance, par la raison qu'écrites toutes deux après Thermidor, elles ont été rédigées dans le sens des passions et des haines thermidoriennes. Naturellement le beau rôle est donné à Danton : dans la première version on nous le montre se plaignant à Robespierre de l'indifférence dont il était l'objet de sa part depuis quelque temps, et lui reprochant de s'entourer de sots et de commères qui lui assombrissaient l'imagination à force de l'entretenir de complots, de poison et poignards. Puis, faisant allusion aux bruits déjà répandus de sa prochaine arrestation, il aurait ajouté : Je sais quels sont les projets des deux charlatans dont je t'ai parlé ; mais je connais aussi leur lâcheté. Ils n'oseraient !... Crois-moi, secoue l'intrigue, réunis-toi aux patriotes. Alors Robespierre : Avec ta morale et tes principes il n'y aurait donc jamais de coupables ? A quoi Danton aurait répliqué vivement : En serais-tu fâché ? Tout cela n'a pas le sens commun, et nous ferons remarquer, comme l'éminent historien à qui nous empruntons ces détails, que la réponse attribuée a Robespierre ne se rapporte en aucune façon aux paroles prêtées à Danton par Vilain d'Aubigny[47]. Mais n'est-ce pas toi, aurait pu répondre victorieusement Maximilien à ce Danton tantôt exagéré et tantôt mixte, selon l'expression de Billaud-Varenne[48], n'est-ce pas toi qui as proposé, suivant les circonstances, ces décrets qu'on appelle aujourd'hui des lois de sang ? — Cependant, au dire de d'Aubigny, la réconciliation parut complète : On s'embrassa. Nous étions tous émus. Seulement, tandis qu'il parle complaisamment de l'effusion de Danton, il s'attache à nous montrer Robespierre restant seul froid comme un marbre. Or, on se demande comment la réconciliation put paraître complète si en effet Maximilien demeura froid comme un marbre ! Il est trop facile de deviner dans ce récit l'intention bien arrêtée de flatteries rancunes thermidoriennes. Ex-procureur au parlement, comme Bourdon (de l'Oise), qui semblait animé contre lui d'une vieille haine née d'une rivalité professionnelle, Vilain d'Aubigny avait à se faire pardonner la protection dont à diverses reprises l'avaient couvert Robespierre et Saint-Just. Ce d'Aubigny avait eu un pied dans tous les partis, et il avait été en même temps hébertiste, dantoniste et robespierriste. Tu verras comme ils l'ont calomnié, écrivait-il le 13 nivôse à Maximilien, en lui recommandant Vincent. Rends-lui justice, il la mérite. Adieu, je t'embrasse de tout mon cœur[49]. Après Thermidor, voulant capter les bonnes grâces de la réaction, il se déchaîna avec une violence inouïe contre ses anciens protecteurs, et son ingratitude ne fut dépassée que par sa bassesse et par sa lâcheté[50].

Plus odieux encore étaient les sentiments qui animaient l'ancien éditeur des Révolutions de Paris quand, au plus fort de la réaction thermido-girondine, il fit paraître l'ignoble pamphlet connu sous le nom d'Histoire générale et impartiale des erreurs, des fautes et des crimes de la Révolution française, car pour cet honnête industriel, il s'agissait purement et simplement d'une affaire de commerce. Comme il avait gagné beaucoup d'argent avec ses feuilles révolutionnaires au temps où florissait la Révolution, il se dit, en trafiquant habile, qu'il en gagnerait beaucoup encore en suivant le courant de la réaction, et il publia le libelle dont nous venons de parler, recueil d'anecdotes plus ou moins vraies, écho des calomnies plus ou moins ineptes débitées par l'un et par l'autre sur le compte des vaincus, livre odieux où ont puisé sans discernement la plupart des historiens, et où le libraire Prudhomme a couvert de boue les grands hommes qu'autrefois, dans sa ferveur hypocritement patriotique, il avait portés aux nues[51]. Son récit des propos tenus au repas où furent conviés Danton et Robespierre n'est évidemment qu'une variante embellie de celui de Vilain d'Aubigny. En voici du reste le passage le plus saillant. Danton dit à Robespierre : Il est juste de comprimer les royalistes, mais nous devons, dans notre justice nationale, ne pas confondre l'innocent avec le coupable ; bornons notre puissance à ne frapper que de grands coups profitables à la République ; pour cela il ne faut pas guillotiner les républicains. Robespierre, en fronçant le sourcil, ne répliqua que ces paroles : Qui vous a dit qu'on ait envoyé à la mort un innocent ? Voilà bien une narration arrangée après coup. Les paroles attribuées à Danton pouvaient être tout aussi bien prêtées à Robespierre, qui, ainsi qu'on le va voir bientôt, se plaignit si souvent que l'on confondît l'erreur avec le crime, les égarés avec les coupables. D'après Prudhomme, le dîner se prolongea jusqu'à huit heures. On y sabla beaucoup de Champagne et les convives se retirèrent sans être contents les uns des autres. Robespierre étant sorti le premier, Danton se serait écrié alors : F..... ! il faut nous montrer, il n'y a pas un instant à perdre[52]. De tout cela il résulte que, dans les derniers jours de ventôse, Robespierre et Danton se trouvèrent à dîner ensemble chez un ami commun, chez Humbert, l'ancien hôte de Maximilien, et que l'attitude de Danton ne fut pas de nature à laisser au premier les sentiments favorables dont jusque-là il avait été animé à son égard, puisque, d'après la déclaration de Billaud-Varenne, ce fut le lendemain que Robespierre consentit à abandonner Danton[53].

 

V

Non moins cruel dut être pour lui le sacrifice de Camille Desmoulins. En effet, personnellement, il n'avait qu'à se louer de l'auteur du Vieux Cordelier. Toutes les marques d'intérêt et d'affection qu'il en avait reçues, les éloges enthousiastes dont il avait été l'objet de sa part, n'avaient pu sortir de sa mémoire. Le dernier numéro de Camille, intitulé le Pour et le Contre, ou Conversation de deux vieux Cordeliers, le seul où se rencontrent quelques traits aigus à l'adresse de Maximilien, n'avait pas paru encore au moment de son arrestation, et quand Desenne le livra au public, il eut soin de supprimer tout ce qui avait rapport au comité ou à Robespierre. Celui-ci ne pouvait donc avoir contre l'infortuné Camille le moindre sentiment de rancune personnelle. Aussi le défendit-il jusqu'au dernier moment au sein du comité de Salut public, comme il l'avait défendu à la tribune des Jacobins. Mais Camille comptait parmi les membres des deux comités d'implacables ennemis. Il n'avait point de pardon à espérer de ceux qu'il avait poursuivis de ses mordantes satires, et lui-même le savait bien. Un jeune protégé de Barère, le juré Vilate, ayant dîné chez Camille dans les premiers jours de germinal, dit à Rousselin qui était au nombre des convives : Il faut que nous ayons sous huit jours les têtes de Danton, de Camille Desmoulins, de Philippeaux[54]. Ce fut du moins ce que répéta Rousselin à Camille[55].

Comment Robespierre aurait-il triomphé des Amar, des Vadier, des Barère, des Billaud-Varenne, des Collot-d'Herbois, tous acharnés à la perte des dantonistes, et montrant, en réponse aux arguments de Maximilien, les blessures qu'ils avaient reçues de Camille ? Il s'efforça, dit-on, de substituer au nom de son cher et vieux camarade celui de Bourdon (de l'Oise), ce fou furieux autrement dangereux que Camille et que Danton ; mais il ne put rien obtenir, tant son influence personnelle avait peu de poids sur les membres des deux comités, où Bourdon comptait de nombreux amis[56]. Au reste, on aurait tort de croire, avec quelques historiens, que Camille fut sacrifié uniquement pour avoir poussé un long cri d'humanité. La vérité nous oblige à dire que dans son Vieux Cordelier les rancunes et les haines personnelles eurent beaucoup plus de part que la question d'humanité. Était-il bien tendre le léger écrivain quand par exemple dans son numéro 7, composé avant le supplice des hébertistes, il se montrait si impatient de la mort de ses adversaires ? Que m'importe après cela qu'il ait répandu tant de larmes attendries sur le sort des suspects ! Certes, j'applaudis des deux mains quand je l'entends reprocher d'une voix indignée au Père Duchesne ses pages dégoûtantes de sang et de boue. Mais mon admiration diminue singulièrement, et je commence à douter de la sincérité de l'auteur, quand à côté de cela je le vois intrépidement porter aux nues l'infâme Rougyff dont les feuilles, non moins ignobles que celles d'Hébert, étaient plus sanguinaires encore, et qui, comme le Père Duchesne, vivait très-bien aux dépens du ministre de la guerre[57]. Il appelle Guffroy notre cher Rougyffet, cet excellent patriote à cheveux blancs[58]. Or le cher Rougyffet était de ceux qui avaient félicité Fouché sur sa manière expéditive d'exécuter la vengeance nationale[59] ; il était de ceux qui insultaient lâchement les victimes après les avoir poussées à l'échafaud. Présentement c'était un des thuriféraires de Joseph Lebon, en attendant qu'il devînt son accusateur le plus acharné et son bourreau[60]. Quelques jours encore, et il va tonner en ces termes contre ses amis les dantonistes : Nom de la liberté ! drelin sur les hypocrites défenseurs de ce don précieux de la nature ![61] Vienne le 17 germinal, et il écrira d'une plume presque joyeuse : Le glaive de la loi vient de trancher le cours de la plus hardie des conspirations. Danton, Lacroix, Desmoulins, Delaunay, Fabre d'Églantine et dix autres complices ne sont plus ; le peuple vit ce supplice avec satisfaction et majesté[62]. Enfin, honte et lâcheté sans nom ! — moins de dix jours après, racontant l'exécution de l'infortunée Lucile, il insérait dans sa feuille immonde ces lignes infâmes : Les veuves Hébert et Desmoulins jasaient avec un calme apparent ; mais l'œil observateur y remarquait bien plus l'effet du sot orgueil d'avoir joué un rôle dans la Révolution ; leur morgue naissait de cette obstination indestructible dans certains êtres qui fit faire à cette femme expirante à l'eau le signe de croquer des poux, ne pouvant plus crier pouilleux ![63] Oh ! pauvre Camille, comme tu avais raison d'appeler Guffroy notre cher Rougyffet et de le chanter dans ton journal comme un excellent patriote à cheveux blancs !

On a prétendu fort légèrement que jamais Robespierre n'avait parlé avec plus d'affection à Camille Desmoulins que la veille du jour où celui-ci fut arrêté[64]. C'est là une de ces allégations en l'air dont nous sommes, heureux de pouvoir démontrer la fausseté. Et d'abord, d'où est-elle tirée ? D'une de ces misérables productions écloses après le 9 Thermidor, d'un de ces exécrables pamphlets qui naissent au lendemain des révolutions, et où l'insulte et la calomnie sont lâchement prodiguées aux vaincus. On lit en effet dans les Mémoires d'un détenu pour servir à l'histoire de la tyrannie de Robespierre, les lignes suivantes : Ce qui prouve que Robespierre est un Néron, c'est qu'il n'avait jamais parlé à Camille Desmoulins avec tant d'amitié que la veille de son arrestation[65]. Cette phrase, l'auteur assure l'avoir entendue à la Conciergerie de la bouche de Danton. Je m'étonne de la facilité avec laquelle nombre d'écrivains ont emprunté à cette rapsodie, ont puisé à cette source impure. Que de mensonges ont été introduits dans l'histoire sur la foi du misérable auteur de ces Mémoires ! Cet auteur, nommé Honoré Riouffe, avait été arrêté à Bordeaux à cause de ses relations avec les Girondins, et amené à Paris, où il demeura quatorze mois enfermé dans les prisons de la Conciergerie. Dans son livre il raconte, avec force détails, non-seulement ce que faisaient et disaient les prisonniers dans l'intérieur de cette prison, mais encore il rend compte de leurs actes et de leurs paroles soit en se rendant à l'échafaud, soit en y montant. Or, on est porté avec quelque raison à se demander comment il a pu être si bien instruit. Riouffe lui-même a du reste prévu l'objection, et d'avance il a essayé d'y répondre : Qu'on sache que c'était par le moyen du bourreau, qui pendant une année entière n'a cessé un seul jour d'être appelé dans cette horrible demeure, et qui racontait aux geôliers ces abominables et admirables circonstances. C'est superbe d'aplomb. Ainsi il a écrit son livre, à sa sortie de prison, sur des conversations de geôliers parlant eux-mêmes d'après des rapports du bourreau ; et des écrivains graves se sont laissé prendre aux affirmations de cet imposteur ! Ah ! pauvre histoire, sommes-nous tenté de dire, en parodiant le mot fameux prêté à Mme Roland par l'auteur des Mémoires d'un détenu, que d'erreurs on commet en ton nom ![66]

Après la légende, l'histoire. Très-peu de temps avant la catastrophe dont fut victime Camille Desmoulins, Joseph Planche, l'humaniste, l'ancien professeur de rhétorique au collège Bourbon, qui était fort lié avec lui, le rencontra aux environs de la rue de Tournon. Camille était soucieux, et il lui dit : Je suis perdu. Je me suis présenté chez Robespierre, et il m'a fait refuser sa porte[67]. On peut être convaincu, d'après cela, que Robespierre ne parla pas avec plus d'amitié que jamais à Camille Desmoulins la veille de son arrestation. Sa franchise n'est pas suspecte, et il n'était pas homme à serrer avec effusion la main d'un ancien ami au moment même où, dans un excès de rigorisme républicain, il allait signer son mandat d'arrestation. Nul doute que son cœur n'ait saigné cruellement à l'heure tardive où il consentit aussi à l'abandon de Camille ; mais l'amour de la patrie avait, à ses yeux, des droits et des exigences impitoyables, et il donna à la République la preuve du dévouement le plus absolu en lui immolant ses plus chères affections privées.

 

VI

On sait maintenant combien fausses sont les allégations de tous les historiens, chroniqueurs, annalistes et faiseurs de mémoires qui ont présenté Robespierre comme l'auteur principal de la chute de Danton. Un de ces auteurs de souvenirs prétendus historiques, le représentant Thibaudeau, raconte qu'ayant averti Danton que Robespierre conspirait sa perte, le tribun refroidi lui répliqua : Si je croyais qu'il en eût seulement la pensée, je lui mangerais les entrailles[68]. Ce propos a-t-il été tenu ? c'est possible ; dans tous les cas, il prouverait contre l'assertion très-légèrement hasardée d'un écrivain fantaisiste à outrance qu'on n'augmenta pas habilement la sécurité des dantonistes[69]. Quoi qu'il en soit, Danton se laissa prendre sans opposer la moindre résistance. Il fut arrêté, ainsi que Lacroix, Camille Desmoulins et Philippeaux, dans la matinée du 11 germinal (31 mars 1794).

J'ai sous les yeux le mandat d'arrêt rendu contre eux par les comités de Salut public et de Sûreté générale réunis. Il est écrit ou plutôt griffonné entièrement de la main de Barère tout au haut d'une grande feuille de papier bleuté, ne porte aucune date[70], et est ainsi conçu : Les comités de Salut public et de Sûreté générale arrêtent que Danton, Lacroix (du département d'Eure-et-Loir), Camille Desmoulins et Philippeaux, tous membres de la Convention nationale, seront arrêtés et conduits dans la maison du Luxembourg pour y être gardés séparément et au secret ; chargent le maire de Paris de mettre sur-le-champ le présent arrêté à exécution. La première signature est celle de Billaud-Varenne ; il était naturel que le principal instigateur de la mesure signât le premier. Puis ont signé, dans l'ordre suivant : Vadier, Carnot, Le Bas, Louis (du Bas-Rhin), Collot-d'Herbois, Barère, Saint-Just, Jagot, C.-A. Prieur, Couthon, Dubarran, Voulland, Moyse Bayle, Amar, Elie Lacoste, Robespierre, Lavicomterie[71]. Une pareille mesure fut mûrement délibérée, cela est évident, et tous signèrent en parfaite connaissance de cause. Un seul parmi les membres présents du comité de Salut public refusa sa signature, ce fut Robert Lindet[72].

L'arrestation de tels hommes devait nécessairement causer une émotion générale. Presque à l'ouverture de la Convention, un des plus intimes amis de Lacroix et de Danton, le boucher Legendre, s'élança à la tribune. L'Assemblée était présidée par Tallien, tout dévoué à Danton ; on pouvait donc espérer d'intéresser la Convention au sort des prévenus. Avant que Legendre prît la parole, un autre ami de Lacroix et de Danton, le député Delmas, demanda, avec une sorte d'appareil, que tous les membres des différents comités fussent invités à se rendre sur-le-champ dans le sein de l'Assemblée, cela sans doute afin de contre-balancer l'influence des membres des comités de Salut public et de Sûreté générale[73]. Cette proposition fut sur-le-champ adoptée, et des huissiers allèrent chercher les représentants absents au fond des salles où se réunissaient les comités. L'affluence était considérable quand Legendre prit la parole. Quatre membres de cette Assemblée, dit-il, ont été arrêtés cette nuit. Il nomma Danton, ignorant ou feignant d'ignorer les noms des autres, manifesta hautement la crainte que des haines particulières n'eussent arraché à la liberté des hommes qui avaient donné quelques gages à la Révolution, et conjura la Convention de mander à sa barre et d'entendre les accusés avant d'écouter la lecture d'aucun rapport. Cette motion fut vivement combattue par Fayau, député de la Vendée, républicain convaincu, lequel s'éleva contre le privilège réclamé en faveur d'hommes arrêtés en vertu de la loi ; il insista pour que l'Assemblée entendît sans retard le rapport de ses comités.

La situation était grave. La perplexité de l'Assemblée se peignait sur tous les visages. Le vote dépendait des dispositions du centre, où se cachaient des royalistes déguisés, comme les Durand-Maillane, les Sieyès, les Boissy d'Anglas, ces véritables suppôts de la contre-révolution. Cette partie de la Convention se joindrait-elle à ceux des membres de la Montagne que la sévérité des principes engageait à se prononcer contre les indulgents ? Là était toute la question, et le doute pouvait être permis, les applaudissements prodigués aux pamphlets de Camille étant surtout partis des rangs des royalistes. Apparemment l'heure ne sembla point propice encore aux contre-révolutionnaires de la Convention pour ébranler le gouvernement républicain ; car, après le scandale causé au sein de la démocratie par les numéros du Vieux Cordelier, il est assez difficile d'admettre avec quelques écrivains[74], qu'en abandonnant Danton, Lacroix et autres, les gens de la droite et ceux du centre aient cru tuer la République.

Quoi qu'il en soit, Robespierre, qui n'avait consenti à abandonner Danton que le jour où il était parvenu à se prouver à lui-même qu'en effet Danton était coupable, voyant l'anxiété à laquelle la Convention paraissait en proie, monta précipitamment les degrés de la tribune : A ce trouble depuis longtemps inconnu qui règne dans cette Assemblée, dit-il, il est aisé de s'apercevoir en effet qu'il s'agit ici d'un grand intérêt, qu'il s'agit de savoir si quelques hommes aujourd'hui doivent l'emporter sur la patrie. On demandait l'audition des prévenus à la barre. Mais pourquoi cette motion, rejetée quand on l'avait proposée pour Bazire, Chabot et Fabre d'Églantine, semblait-elle favorablement accueillie aujourd'hui par un certain nombre de membres ? Pourquoi ? s'écria-t-il, parce qu'il s'agit de savoir si l'intérêt de quelques hypocrites ambitieux doit l'emporter sur l'intérêt du peuple français. Et les applaudissements de retentir. Eh quoi ! poursuivait Maximilien, n'avons-nous donc fait tant de sacrifices héroïques, au nombre desquels il faut compter ces actes d'une sévérité douloureuse, que pour retourner sous le joug de quelques intrigants qui prétendaient dominer ? A Legendre, qui avait rappelé quelques-uns des services rendus par Danton à la cause de la Révolution, il répondit qu'on ne demandait pas ce qu'un homme avait fait dans telle circonstance, mais bien ce qu'il avait fait dans tout le cours de sa carrière politique. Et les applaudissements d'éclater de nouveau. Alors, reprochant à Legendre de n'avoir parlé que de Danton, parce que sans doute il croyait qu'à ce nom était attaché un privilège, Maximilien laissa échapper ces paroles : Non, nous n'en voulons pas de privilège ; non, nous n'en voulons point d'idole ! Et ici encore l'orateur fut interrompu par de nouvelles salves d'applaudissements. Hélas ! l'idole, pourrie déjà, comme disait Robespierre, allait être brisée ; mais lui aussi, Maximilien, était l'idole d'une partie du peuple. Ne le savait-il pas ? Et ne savait-il pas qu'on ne manquerait pas de chercher à l'abattre lui-même ?

Au reste, il se préoccupait peu de ses propres périls ; au contraire il semblait courir au devant du danger. A ses ennemis, c'est-à-dire à ceux de ces comités émanés de la Convention nationale[75], il jetait ce défi hautain : Je dis que quiconque tremble en ce moment est coupable. Les Bourdon (de l'Oise), les Montaut, les Tallien, les Delmas, à qui évidemment il faisait allusion, gardèrent le silence, peu rassurés du reste par les applaudissements de plus en plus vifs dont continuait d'être salué l'orateur. Je dois ajouter ici, reprit Robespierre, qu'un devoir particulier m'est imposé de défendre la pureté des principes contre les efforts des intrigants. Et à moi aussi on a voulu inspirer des terreurs : on a voulu me faire croire qu'en approchant de Danton, le danger pourrait arriver jusqu'à moi. On me l'a présenté comme un homme auquel je devais m'accoler, comme une égide qui m'était utile pour ma défense personnelle, comme un rempart enfin qui, une fois renversé, me laisserait à découvert à tous les traits de l'aristocratie. On m'a écrit. Les amis de Danton m'ont fait parvenir des lettres[76], m'ont obsédé de leurs discours ; ils ont cru que le souvenir d'une ancienne liaison, qu'une foi antique dans de fausses vertus me détermineraient à ralentir mon zèle et ma passion pour la liberté. Et bien, je déclare qu'aucun de ces motifs n'a effleuré mon âme de la plus légère impression. Je déclare que s'il était vrai que les dangers de Danton dussent devenir des dangers pour moi, que s'ils devaient donner à l'aristocratie la faculté de faire un pas de plus pour m'atteindre, je ne regarderais pas cela comme une calamité publique. Que m'importent en effet les dangers ? Ma vie est à la patrie ; mon cœur est exempt de craintes parce que je suis exempt de crimes ; et si je mourais, ce serait sans reproche et sans ignominie. Il y avait dans ces paroles un caractère de grandeur qu'on ne saurait méconnaître, et qui produisit sur la Convention un effet extraordinaire. L'orateur fut obligé de s'arrêter, interrompu par des acclamations réitérées, et bien volontaires assurément.

Si des âmes vulgaires, poursuivait Maximilien, redoutaient de voir tomber leurs semblables dans la crainte de ne plus être défendues par une barrière de coupables, il était aussi des âmes héroïques dans cette Assemblée, puisqu'elle dirigeait les destinées de la terre. D'ailleurs, ajouta Robespierre allant au-devant des appréhensions habilement répandues parmi tous les membres de la Convention, il n'est pas si grand le nombre des coupables. Puis il rappela à l'Assemblée que les pouvoirs du comité de Salut public émanaient d'elle-même ; qu'elle était toujours maîtresse de les lui retirer ; que loin de vouloir écraser la Convention, les membres de ce comité lui avaient fait un rempart de leurs corps, et qu'aujourd'hui encore, en lui proposant de frapper une faction non moins dangereuse que celle des hébertistes, ils n'avaient d'autre souci que de maintenir la rigueur des principes et la dignité de la représentation nationale[77].

Prodigieux fut l'effet de cette éloquente et sinistre improvisation. Legendre vint lâchement renier Danton. S'imaginait-on, dit-il, qu'il voulût défendre un coupable ? Dans son égarement il alla jusqu'à proposer à l'Assemblée de rendre un décret contre lui, si on le croyait complice de quelques conspirateurs[78]. Barère renchérit ensuite, dans son langage diffus, sur les paroles de Robespierre. Il émit seulement une grande vérité, bonne à rappeler, lorsqu'en réponse à l'accusation de dictature vaguement dirigée contre les comités, il dit que leur autorité était amovible tous les mois, tous les jours, toutes les minutes. Après lui parut Saint-Just. Nous n'avons point à analyser ici le foudroyant discours du jeune rapporteur du comité de Salut public, discours où, à côté d'étincelantes beautés, se rencontrent de ces énormités comme on en trouve dans tous les réquisitoires politiques, sans exception. Disons seulement, pour rester dans notre cadre, que, en ce qui concerne Danton, Saint-Just se borna à revêtir de son style âpre et tranchant les notes demandées sans doute par lui à Robespierre sur ce personnage dont les antécédents devaient lui être peu connus. Ces notes, ont prétendu certains historiens[79], étaient un véritable projet de rapport. Maximilien les aurait passées à Saint-Just, ne voulant pas, réflexion faite, se charger du rapport à cause de ses anciennes relations avec Danton. C'est là une erreur toute gratuite. Le décousu de ces notes, leur peu de suite, prouvent que c'était un simple recueil de souvenirs rédigé à la hâte[80]. Un profond silence régnait dans l'Assemblée au moment où Saint-Just monta à la tribune. Son rapport fut souvent inter-r rompu par les plus vifs applaudissements, et le projet de décret par lequel Danton et ses amis se trouvèrent renvoyés devant le tribunal révolutionnaire comme complices de d'Orléans et de Dumouriez. fut ensuite adopté à l'unanimité, au milieu des acclamations[81]. Aucune voix ne s'éleva en faveur des accusés.

 

VII

Nous n'avons pas non plus à nous occuper des incidents divers qui signalèrent le procès des dantonistes, auxquels on avait joint, par un amalgame inique et bizarre, des individus accusés de faux ou de concussions, comme Delaunay (d'Angers) et Fabre d'Églantine. Il faut dire pourtant que l'accablante déposition de Cambon contre celui-ci rejaillit d'une façon fâcheuse sur Lacroix et sur Danton[82] ; il faut dire aussi deux mots de l'influence désastreuse qu'eut peut-être sur le sort des accusés une conspiration insensée ourdie par Arthur Dillon dans la prison du Luxembourg. Très-intimement lié, comme on sait, avec Camille Desmoulins, le général s'était laissé persuader que l'opinion publique était très-favorable aux prévenus, et il crut qu'il lui serait facile, à l'aide de quelques sommes d'argent adroitement semées dans le peuple, de le déterminer à se porter sur le tribunal révolutionnaire et à délivrer les accusés. Qu'une pareille idée ait germé dans la tête de l'ex-général, homme ardent et entreprenant, et qu'il soit parvenu à faire partager ses espérances à quelques-uns de ses compagnons de captivité, cela est très-naturel ; et je ne comprends pas, je l'avoue, comment des historiens graves ont pu, sur la foi de quelques Thermidoriens, attribuer à une infernale invention des comités de Salut public et de Sûreté générale cette conspiration, dite des prisons, à laquelle, du reste, l'esprit de parti ne manqua pas de donner des proportions qu'elle ne comportait pas.

Dillon eut l'imprudence de s'ouvrir de son projet à un ancien ministre de la République à Florence, nommé Laflotte, détenu comme lui au Luxembourg. Cet homme feignit d'entrer dans le complot ; mais, dans L'espérance d'obtenir sa liberté, sinon par patriotisme, il s'empressa d'avertir les comités de Salut public et de Sûreté générale par lesquels il fut mandé sur-le-champ. Ceci se passait le 13 germinal (2 avril 1794)[83]. On lui recommanda, sans nul doute, de paraître toujours disposé à s'associer à la conspiration. Le lendemain, nouvelles confidences de Dillon : l'ex-constituant Thouret, et Simond récemment arrêté, sont du complot ; il fera en sorte de les lui conduire dans sa cellule. En même — temps il donne, en sa présence, au guichetier Lambert, une lettre pour Lucile Desmoulins, à la disposition de laquelle il avoue avoir mis une somme de trois mille livres pour envoyer du monde autour du tribunal révolutionnaire. Dès le 15 germinal au matin, un des nouveaux administrateurs de police nommés par le comité de Salut public en vertu de la loi du 26 ventôse recevait la déclaration de Laflotte. Aussitôt les comités de Salut public et de Sûreté générale se faisaient amener le porte-clefs de la prison du Luxembourg sous la garde de deux gendarmes[84]. Après l'avoir entendu, ils rendaient contre l'infortunée Lucile, ainsi compromise par la légèreté de Dillon, le mandat suivant : Les comités de Salut public et de Sûreté générale réunis arrêtent que la femme de Camille Desmoulins sera mise sur-le-champ en arrestation à Sainte-Pélagie. Le scellé sera mis sur ses papiers. Signé : Dubarran, Couthon, C.-A. Prieur, Carnot, Voulland, Barère, Billaud-Varenne, Robespierre[85]. En même temps Simond, Arthur Dillon, Thouret et tous les autres détenus du Luxembourg étaient rigoureusement séparés les uns des autres et mis au secret[86].

Pauvre Lucile ! au moment de l'arrestation de son mari, éperdue, folle de douleur, elle avait commencé pour Robespierre une lettre où, dans le désordre de ses idées, elle écrivit des choses tout à fait erronées. Ainsi nous y lisons : Cette main, — celle de Camille — qui a pressé la tienne, a quitté la plume avant le temps, lorsqu'elle ne pouvait plus la tenir pour tracer ton éloge ; eh bien ! c'est là une phrase à effet, entièrement contraire à la vérité, puisque Camille tenait encore la plume à l'époque où il fut arrêté, et elle ferait douter de l'authenticité du brouillon de lettre qu'on nous a conservé comme l'œuvre de Lucile, si le trouble de son esprit ne s'expliquait pas amplement par l'étendue de son malheur et la gravité des circonstances. Mais qu'elle est navrante cette lettre ! Rien de touchant comme le souvenir des liaisons de Camille et de Maximilien, si délicatement rappelé par elle. Les sourires prodigués par Robespierre au petit Horace, les caresses enfantines de celui-ci à l'ami de son père, tout cela évoqué est d'une vérité poignante et tire les larmes des yeux. A défaut de patriotisme, pense la malheureuse Lucile, l'attachement de son mari pour Maximilien eût dû lui en tenir lieu aux yeux de ce dernier. Aussi Robespierre souffrit-il mille angoisses, j'en ai la conviction, en mettant son nom, lui dix-septième, au bas de l'ordre d'arrestation de cet ami dont personnellement il n'avait eu qu'à se louer depuis le premier jour de la Révolution. Ah ! certes, il eût mieux fait de s'abstenir comme Robert Lindet, et de ne point comprimer son cœur pour en arrêter les battements par dévouement patriotique. Mais Lucile se trompait fort quand elle semblait le considérer comme le souverain arbitre des destinées de son mari. Est-ce qu'Amar, Vadier et Voulland, ces noirs démons du procès des dantonistes, est-ce que tous ceux que Camille avait marqués comme d'un fer rouge n'étaient pas là pour rendre vaine la pitié de Maximilien ? Au reste, la pauvre femme fut peut-être elle-même prise d'un doute ; elle laissa tomber sa plume et n'acheva pas[87]. Robespierre ne reçut donc pas cette lettre, dont à coup sûr il aurait eu le cœur brisé, impuissant qu'il eût été à y répondre favorablement. Plusieurs fois, durant le cours de la publication du Vieux Cordelier, et à l'époque où à différentes reprises il prit si vivement la défense de Desmoulins, Maximilien dit tristement à sa sœur Charlotte : Camille se perd[88]. Un moment viendrait, il le pressentait bien, où il ne lui serait plus possible de le défendre.

A l'heure où un mouvement se produisait dans les prisons en faveur des accusés dont le sort se jouait dans le prétoire du tribunal révolutionnaire, une agitation extraordinaire régnait parmi les prévenus. On sait combien tumultueuse- fut la troisième journée du procès des dantonistes, et comment, instruite par une lettre de l'accusateur public de l'orage qui grondait au palais, la Convention, après avoir entendu, sur la demande de Billaud-Varenne, la dénonciation de Laflotte, ordonna la continuation des débats d'abord, et décréta que tout prévenu de conspiration qui résisterait ou insulterait à la justice nationale serait mis hors des débats[89]. Elle prescrivit ensuite, sur une motion de Robespierre, que les déclarations de Laflotte et le rapport de Saint-Just qui avaient motivé son décret seraient lues à l'audience, en présence des accusés. En ce moment Billaud-Varenne reprit la parole pour engager ses collègues à recevoir à la barre la femme de Philippeaux, laquelle avait fait demander la permission de s'y présenter pour réclamer en faveur de son mari. Il fallait, suivant Billaud, lui donner lecture d'une lettre de Garnier (de Saintes) toute remplie des faits les plus graves contre son mari, afin qu'elle apprît qu'elle sollicitait pour un conspirateur[90]. Mais c'était là un acte d'inhumanité inutile. Robespierre s'y opposa vivement. Pourquoi admettre à la barre la femme de Philippeaux, quand cette faveur avait été refusée aux femmes d'autres accusés ? On n'a pas besoin, dit-il, de confondre la femme de Philippeaux avec lui-même ; il est devant la justice, attendons son jugement[91]. L'Assemblée se rendit aux observations de Maximilien, et elle écarta par l'ordre du jour la proposition de Billaud-Varenne, ne voulant pas insulter à la douleur d'une femme qui se présentait en suppliante.

 

VIII

Le 16 germinal de l'an II (5 avril 1794) fut rendu le fatal verdict contre les dantonistes, auxquels, avons-nous dit, se trouvaient accolés d'ailleurs des hommes peu dignes de recommandation. Un seul parmi les accusés trouva grâce devant le tribunal révolutionnaire : ce fut l'ancien procureur général syndic du département, Lulier, qui avait été arrêté quelques jours avant Danton, par les ordres du comité de Sûreté générale, à cause de ses liaisons avec le conspirateur de Batz et comme complice du faux relatif au décret sur la compagnie des Indes. Au moment de son arrestation, il avait écrit à Robespierre, témoin de ses premiers essais politiques, pour lui expliquer toute sa conduite et le prier d'intercéder en sa faveur auprès des comités : Ma confiance en vous me porte à vous adresser mes réclamations, et je pense que vous les accueillerez avec le sentiment de justice qui vous a toujours accompagné[92]. Maximilien parla-t-il en faveur de Lulier à quelques jurés de sa connaissance ? C'est peu probable. Quoi qu'ait dit la calomnie, sans jamais rien prouver, il n'entrait point dans son caractère de chercher à influencer aucun des membres du tribunal ; nous avons rapporté un mot de Duplay qui donne la mesure de son extrême réserve à cet égard. Lulier fut acquitté parce qu'il n'y eut aucune charge sérieuse contre lui. Retenu en prison comme suspect, le malheureux s'ouvrit les veines dans son cachot.

On s'est livré, à propos du procès des dantonistes, à une foule de conjectures plus ou moins invraisemblables. Ce fut un procès politique, c'est évident, mais ce ne fut pas un procès entre Robespierre et Danton, comme on l'a audacieusement prétendu. Les dantonistes n'avaient jamais attaqué Robespierre personnellement, et celui-ci n'avait pas à se venger d'eux. Les paroles suivantes, prêtées après coup à certains jurés, paroles prononcées peut-être par quelques-uns d'entre eux : Il fallait choisir entre Robespierre et Danton, ne méritent donc aucune espèce de confiance. Maximilien n'était pour rien dans l'affaire. Le procès des dantonistes fut un véritable coup de bascule, la revanche de celui des hébertistes. Danton et ses amis périrent victimes des applaudissements de la contre-révolution.

Il est donc souverainement absurde de prétendre que la chute de la République date non du 9 Thermidor, mais du jour de l'immolation des dantonistes, et que cette néfaste journée plongea la France dans une voie rapide de réaction monarchique[93]. Ce jour-là, au contraire, la contre-révolution, triomphante après le supplice des hébertistes, se sentit vaincue, et elle rentra sous terre pour n'en plus sortir, terrible et affamée de vengeances, qu'après Thermidor. Avant comme après cette triste journée du 16 germinal, la bataille continua entre le nouveau régime et l'ancien, entre les partisans de la Révolution et ses ennemis de l'intérieur ou de l'extérieur, mais les vrais principes républicains ne bougèrent pas plus à la mort des dantonistes qu'à celle des Girondins : nulle altération jusqu'au lendemain du 9 Thermidor. Est-ce que jusqu'à cette dernière catastrophe la réaction, dans le sens technique du mot, gagna un pouce de terrain ? Est-ce que la probité la plus stricte ne continua pas d'être à l'ordre du jour ? Est-ce que les patriotes ne furent pas défendus, protégés, encouragés ? Si grande qu'ait été la perte de Danton, elle ne laissa pas un vide irréparable dans la République. Danton n'était pas une des colonnes essentielles du temple. Robespierre tombe, au contraire : ah ! le beau règne de la justice et de la modération qui commence ! Tout s'effondre, tout croule, tout disparaît de ce que l'on avait eu tant de peine à fonder. Adieu les principes de 1789 ! Adieu la constitution de 1793, où ils sont affirmés dans leur plus sincère expression ! Voici revenues les diverses catégories de citoyens ; voici les passifs, c'est-à-dire les parias de la société. Pourquoi donc des droits à qui ne possède pas ? Place aux acquéreurs de biens nationaux ! Le peuple est relégué au dernier plan, pieds et mains liés. La bourgeoisie aristocratique, c'est-à-dire la bourgeoisie dans ce qu'elle a de plus hideux, jalouse, envieuse, insatiable de jouissances, corruptrice et corrompue, va inaugurer son règne cimenté de boue et de sang. Plus de République, plus de Révolution, plus rien. Maintenant prononcez entre Danton et Robespierre. Il n'est pas, que je sache, de meilleur critérium pour juger ces deux personnages au point de vue de la démocratie.

 

IX

L'effet immédiat de la mort des dantonistes fut d'abord, comme nous venons de le dire, de réprimer les velléités de réaction soulevées par le supplice des exagérés, puis d'affermir le pouvoir entre les mains du comité de Salut public, délivré de deux oppositions rivales. Les ministres de l'intérieur et des affaires étrangères, Paré et Deforgues, tous deux créatures de Danton, furent arrêtés et conduits au Luxembourg. Le second s'empressa de réclamer auprès de Robespierre : Je suis en état d'arrestation, on m'a conduit cette nuit au Luxembourg ; vous le saviez, Robespierre, puisque vous avez signé le mandat d'arrêt[94]. Il lui rappelait son amour constant pour la Révolution, ses anciennes relations avec lui : Je vous ai toujours confondu dans mon cœur avec la liberté, que vous défendez et que j'ai toujours défendue avec vous. Un passage de cette lettre nous apprend que ce fut par Deforgues lui-même que Robespierre connut l'intention du comité de Salut public de le porter, lui Deforgues, au ministère des affaires étrangères. Sur quoi Maximilien s'était écrié, — c'était en juin 1793 : — Cela n'est pas possible ! mais nous sommes donc sauvés ! Cette marque de confiance, déjà ancienne, le ministre déchu l'invoquait pour demander, en termes d'ailleurs très-dignes et très-nobles, à Robespierre son appui : Votre suffrage m'est nécessaire, vous devez être vous-même mon garant ; vous l'avez été aux époques les plus intéressantes de ma carrière publique[95]. Robespierre, il faut le croire, ne manqua pas d'intercéder vivement en faveur du ministre détenu, et parvint cette fois à se faire écouter de ses collègues, car Deforgues ne tarda pas à recouvrer sa liberté.

La mort d'Hébert avait été, dans certains pays notamment, le signal d'une véritable levée de boucliers contre les patriotes, qu'on poursuivait sous le nom d'hébertistes, comme cela eut lieu à Lyon. Le comité de Salut public dut intervenir pour protéger la société populaire de Commune-Affranchie. Il déclara par un arrêté que, la mort d'un patriote étant une calamité publique, on regarderait comme conspirateurs ceux qui persécuteraient les amis de Chalier. Et, ajouta Robespierre en annonçant ces nouvelles au club des Jacobins, si l'arrêté du comité n'est pas respecté, le sang innocent des patriotes sera vengé[96]. Par contre, Maximilien faisait mettre à l'ordre du jour de la société, dans la séance du 16 germinal (5 avril 1794), la conspiration nouvelle déjouée par les comités, en invitant les citoyens à révéler toutes les circonstances se rattachant à cette conspiration. Sa proposition, il est vrai, avait pour but de détourner l'attention des Jacobins d'une motion présentée dans la journée à la Convention nationale et adoptée par elle au milieu des applaudissements, motion en vertu de laquelle chacun des membres de l'Assemblée était tenu, dans le délai d'un mois, de rendre compte au peuple de sa conduite publique et privée et de lui présenter le compte de sa fortune. Or, si quelqu'un pouvait venir dire à ses concitoyens, la tète levée et sans crainte d'être atteint du plus léger soupçon : Voilà quelle a été ma conduite depuis l'origine de la Révolution, voici ce que je possède, c'était assurément Maximilien Robespierre. Mais dans cette proposition, partie d'une âme honnête et juste, il vit un danger, et il s'empressa de le signaler. On pouvait être pauvre et aristocrate en même temps, comme on pouvait être riche et excellent patriote aussi, laissa-t-il entendre. Évidemment il craignit que de cette motion les malveillants ne se fissent une arme contre tous ceux qui possédaient, il craignit l'inquisition portée dans toutes les familles. Elle ne présente pas des résultats heureux, objecta-t-il. Quoi de plus facile que de dire : Je suis pauvre, en mettant à l'abri une fortune acquise par des moyens honteux ? Ne verrait-on pas les riches se dépouiller, en apparence, de leurs trésors, comme les nobles de leur noblesse ? Les patriotes sont purs, ajouta Robespierre ; s'il en est à qui la fortune ait accordé des dons que la vertu méprise et que la cupidité seule estime, ils sont bien loin de vouloir les cacher ; ils n'ont pas de plus grand désir que d'en faire un noble usage ; il n'y a que les conspirateurs qui mettent leur intérêt à les soustraire à la vue du peuple. La seule chose importante à ses yeux était de protéger l'innocence et de ravir à la tyrannie l'affreux espoir de détruire les patriotes. De longs applaudissements accueillirent ces paroles, et à sa voix la société repoussa une proposition du représentant Chasles tendant à ce que Couthon rendît compte de la séance conventionnelle où avait été rendu le décret blâmé comme impolitique par Robespierre[97]. L'auteur de ce décret, inspiré par le sentiment le plus délicat, était en effet Couthon. On voit comme ces prétendus triumvirs se concertaient pour subjuguer la Convention nationale !

On entendit, dans cette même séance des Jacobins, Maximilien se déchaîner avec une véhémence extraordinaire contre Dufourny de Villiers, ex-président du directoire du département, dénoncé par Vadier comme appartenant à la faction des dantonistes. Dufourny était un grand ami de Bourdon (de l'Oise). C'était contre ses attaques, on s'en souvient peut-être, que Robespierre avait défendu Camille Desmoulins. Il incrimina sévèrement toute sa conduite, lui reprocha durement ses relations avec Fabre d'Églantine et ses démarches pour le sauver. Il venait d'achever de parler, au milieu de nombreuses acclamations, en proposant à la société de prendre une mesure à l'égard de cet individu, quand un membre demanda l'exclusion de Dufourny et son renvoi devant le comité de Sûreté générale, ce qui fut aussitôt adopté[98]. Le même jour les comités réunis avaient rendu contre lui un mandat d'arrestation[99].

On se ferait difficilement une idée de la lâcheté dont firent preuve en ces circonstances les amis de Danton. Qui par exemple obligeait Legendre de venir réclamer de la Convention, dans la séance du 18 germinal (7 avril 1794), un décret d'accusation contre son collègue Simond, présenté par lui comme un des conspirateurs de la prison du Luxembourg, où, dit-il, se trouvaient sûrement des complices de ceux qui avaient péri sur l'échafaud ? Qui l'obligeait de se vanter d'avoir reçu une lettre dans laquelle, en flattant son amour-propre et son ambition, on l'invitait à porter le premier coup à la Convention, à s'armer de deux pistolets et à assassiner au milieu de l'Assemblée Robespierre et Saint-Just ? Cela n'était nullement exact d'ailleurs, et Legendre exagérait ici à dessein. Dans la lettre en question on ne nommait ni Saint-Just ni Robespierre. On s'y exprimait ainsi : Crois-tu que ce comité de tyrans ne t'atteindra pas ? Tu te trompes, il atteindra toi, Thuriot, Bourdon (de l'Oise), Panis, Sergent et autres... Les accusés vivent encore, tu peux, dis-je, renverser ce colosse (le comité). Réunis-toi avec Thuriot, avec Bourdon (de l'Oise), Panis, Sergent et d'autres dont tu connais les principes... Sois armé, par précaution, toi et tes amis, de deux pistolets ; immole avec eux, au milieu de cette Assemblée, comme autrefois Brutus immola César, immole, dis-je, ces nouveaux Catilinas, ce dictateur surtout à qui tous moyens sont bons pourvu qu'il parvienne à ses lins. Ce sont les tyrans de la patrie, les tuer n'est pas un crime[100]. Il est à remarquer qu'entre cette lettre d'un dantoniste fougueux et le fameux libelle de Lecointre, intitulé : Conjuration formée dès le 5 prairial par neuf représentants, il y a des ressemblances frappantes. Quoi qu'il en soit, Legendre déclara fièrement qu'il ne s'était pas laissé séduire par les belles paroles de son correspondant anonyme, et qu'il regardait le comité de Salut public comme seul capable de garantir la liberté du naufrage[101].

Bourdon (de l'Oise), l'hypocrite Bourdon, vint ensuite et fit une déclaration à peu près semblable. Une lettre conçue dans des termes identiques lui avait été remise le matin par un huissier. Seulement, eut-il soin d'ajouter, elle aurait dû lui parvenir plus tôt, car on l'invitait à se rendre au palais de justice afin d'y exciter le peuple et de faire égorger le tribunal[102]. Cette double déclaration, dont la lâcheté n'échappera à personne, se produisit au moment où Fouquier-Tinville informait la Convention de l'existence reconnue d'un complot formé au Luxembourg par un certain nombre de détenus pour égorger les membres du comité de Salut public. Ainsi c'étaient des dantonistes qui venaient en aide à l'accusation. Ah ! quand moins de huit jours après Lucile Desmoulins fut livrée au bourreau, se dirent-ils, ces amis du pauvre Camille, qu'ils avaient eux-mêmes contribué à pousser sa veuve à l'échafaud ?

Est-il vrai, comme le pense un historien de nos jours[103], que n'ayant qu'un mot à dire pour sauver la femme de son plus vieil ami, Robespierre ne voulut point le dire ? C'est là une assertion tout à fait erronée. Robespierre n'avait point d'ordres à donner en son privé nom à l'accusateur public, et il rie lui en donna jamais, comme d'ailleurs nous ne tarderons pas à le prouver. J'inclinerais plutôt à croire que pour sauver cette charmante Lucile, la fille d'une femme dont, paraît-il, il avait été un moment sur le point de devenir le gendre[104], il tenta auprès de ses collègues des efforts restés sans résultat. Ai-je besoin de répéter combien, si son influence morale était grande au dehors, était petite sa prépondérance réelle sur les deux comités. C'est à peine si parfois il pouvait obtenir justice pour ses plus chers amis. J'ai fait, écrivait-il en mai 1794 à un ancien juré près le tribunal criminel extraordinaire, tout ce qui était en mon pouvoir pour vous procurer la justice qui est due à votre civisme pur et imperturbable, et tous les bons citoyens vous l'ont rendue. Mais gardez-vous, mon ami, de douter jamais de ma tendre amitié ; après la patrie, je n'aime rien autant que les hommes qui vous ressemblent. Vous partagez avec tous les vrais amis de la République et de la vertu les disgrâces que vous essuyez avec courage ; que votre civisme vous console des persécutions qu'il vous a attirées. Comptez sur mon tendre dévouement, mais ayez quelque indulgence pour l'état de lassitude et d'accablement où mes pénibles occupations me mettent quelquefois. Adieu, embrassez pour moi tout ce qui vous est cher[105]. Il y a dans cette lettre une phrase remarquable : Après la patrie, je n'aime rien autant que les hommes qui vous ressemblent. Elle explique à elle seule comment on put amener Robespierre à consentir à l'abandon de Camille et de Danton. Cette lettre démontre encore qu'il était loin d'avoir la puissance efficace qu'on lui prête généralement. De cela les preuves abondent. Il lui fut impossible de mettre fin aux persécutions exercées contre les prêtres même assermentés, persécutions aussi iniques qu'impolitiques. Plusieurs ecclésiastiques s'étant adressés à lui pour savoir quel parti ils devaient prendre, il les engagea à rester dans leurs paroisses et à continuer l'exercice de leur culte aussi longtemps que cela leur serait possible ; ce qui prouve, ajoute l'écrivain royaliste auquel nous empruntons ce détail, qu'il n'était pas si exclusivement le maître qu'on a pu le croire[106].

Le même écrivain, peu suspect de partialité en faveur de Robespierre, cite, au sujet de l'exécution de Madame Elisabeth, un fait qui mérite d'être rapporté. On a vu comment Maximilien était parvenu à arracher la sœur de Louis XVI aux fureurs des exagérés ; et, ceux-ci morts, il était permis de croire que la pauvre femme serait oubliée au fond du Temple. Mais il ne put ravir aux hébertistes des comités ce qu'il avait victorieusement disputé à Hébert ; Madame Élisabeth périt dans le courant de floréal, victime d'une politique impitoyable. Maintenant laissons parler notre auteur : Voici ce qui m'a été plusieurs fois raconté par un homme qui avait souvent des conversations avec lui (Robespierre), le libraire Maret, établi alors à l'entrée du Palais-Royal. Robespierre passait souvent le soir à la boutique de ce libraire, qui se faisait distinguer par beaucoup de bonhomie ; c'était là que l'on venait se dire et se demander à l'oreille quels étaient les événements du jour. Lorsque les nouvellistes s'étaient retirés, Robespierre laissait ses satellites à quelque distance, se présentait chez Maret, et, en feuilletant quelques livres, lui demandait ce que l'on disait dans le public. Le jour que Madame Élisabeth fut exécutée, il vint à la boutique, accompagné de M. Barère, et demanda sur quoi roulaient les conversations. — On murmure, on crie contre vous, lui dit avec franchise le libraire ; on demande que vous avait fait Madame Élisabeth, quels étaient ses crimes, pourquoi vous avez envoyé à l'échafaud cette innocente et vertueuse personne. — Eh bien ! dit Robespierre, en s'adressant à Barère, vous l'entendez, c'est toujours moi. Je vous garantis, mon cher Maret, que loin d'être l'auteur de la mort de Madame Élisabeth, j'ai voulu la sauver ; c'est ce scélérat de Collot-d'Herbois qui me l'a arrachée[107]. Ôtez de ce récit une mise en scène puérile, les satellites de Robespierre, l'expression de scélérat appliquée à Collot-d'Herbois, et il en reste un fait vrai, incontestable, incontesté, l'opposition constante de Maximilien au sacrifice inutile de Madame Élisabeth, et son impuissance à la sauver. Aussi les Thermidoriens, voulant faire de Robespierre un royaliste, ont-ils prétendu qu'il avait eu l'intention d'épouser Madame Élisabeth, dans l'espérance de s'asseoir avec elle sur le trône de France[108].

 

X

Robespierre visait-il à la dictature ? Il faut insister sur cette question. Des historiens prétendus graves ont soutenu l'affirmative. Ils ont été plus loin ; ils l'ont présenté comme s'étant trouvé nanti, en un mois ou six semaines, de tout instrument de pouvoir[109]. Or cette thèse, uniquement fondée sur les déclamations des Thermidoriens, qui, ayant besoin d'un prétexte pour expliquer l'assassinat de Robespierre, ne surent pas en trouver d'autre que cette accusation ridicule, cette thèse, dis-je, était à prouver, ce dont on s'est bien gardé. Nous avons déjà fait voir combien nulle était son influence sur ses collègues des comités ; quand nous aurons démontré, par les propres aveux de ses ennemis, que la majorité du comité de Salut public lui fut presque toujours opposée, nous aurons amené les esprits justes à reconnaître cette vérité, à savoir que l'idée de s'emparer de la dictature ne lui vint jamais à la pensée, et que jamais non plus il n'en eut l'exercice entre les mains. Un des premiers soins de son cher Couthon, après l'exécution des dantonistes, ne fut-il pas d'obtenir de la Convention nationale qu'elle proclamât de nouveau la sentence terrible consignée dans la Déclaration des droits, sentence qui punissait de mort tout individu convaincu d'aspirer à usurper la souveraineté du peuple[110] ? On verra bientôt à l'aide de quels subterfuges étonnants, par quelles machinations incroyables les ennemis du plus ardent ami de la liberté essayèrent de rejeter sur lui la responsabilité d'actes auxquels très-souvent il refusa de s'associer.

La tactique des principaux adversaires du comité de Salut public avait été de s'en prendre aux divers ministres qui exerçaient le pouvoir exécutif sous le contrôle de ce comité. Voulant déjouer les calculs de la malveillance, le comité de Salut public proposa par la bouche de Carnot, à la Convention nationale, de supprimer les six ministères et de les remplacer par douze commissions administratives, rattachée au comité de Salut public, sous l'autorité de la Convention nationale afin, dit le rapporteur, de diviser et de restreindre les pouvoirs particuliers, tout en conservant au gouvernement l'unité de direction et l'ensemble des mesures. C'était, ajoutait Carnot, une agence révolutionnaire devant exister jusqu'à ce qu'une paix solide, imposée aux ennemis de la République, rendît à l'Assemblée la faculté de détendre insensiblement des ressorts que le crime, les factions et les dernières convulsions de l'aristocratie la forçaient encore de tenir exprimés[111]. Carnot était ici en complète communauté d'idées avec Robespierre. Le projet de décret présenté par Carnot, à la suite de son rapport, fut adopté sans discussion et à l'unanimité.

Les commissions instituées en vertu de ce décret étaient : 1° Celle des administrations civiles, police et tribunaux ; 2° celle de l'instruction publique ; 3° celle de l'agriculture et des arts ; 4° celle du commerce et des approvisionnements ; 5° celle des travaux publics ; 6° celle des secours publics ; 7° celle des transports, postes et messageries ; 8° celle des finances ; 9° celle de l'organisation et du mouvement des armées de terre ; 10° celle de la marine et des colonies ; 11° celle des armes, poudres et exploitation des mines ; 12° celle des relations extérieures. A la tête de ces diverses commissions, furent placés des directeurs ou commissaires et des adjoints. Tous les hommes appelés à ces hautes fonctions, auxquelles était attaché un traitement assez peu élevé, étaient des hommes d'une probité connue et d'un patriotisme irréprochable. Un certain nombre d'entre eux furent très-probablement nommés à la recommandation de Robespierre ; cependant, à l'exception du jeune Jullien, appelé aux fonctions d'adjoint du commissaire de l'instruction publique, je ne vois dans la liste aucun de ses amis particuliers. Herman, mis à la tête de la commission des administrations civiles, police et tribunaux, était certainement très-estimé de Robespierre, qui, dans une note de sa main, l'a qualifié ainsi : homme éclairé et probe, capable des premiers emplois[112] ; mais il ne savait même point par qui il avait été désigné aux suffrages de la Convention, quand au mois d'août 1793 celle-ci l'investit des redoutables fonctions de président du tribunal révolutionnaire, et il put déclarer publiquement, sans recevoir aucun démenti, que dans l'espace de huit mois, quoique voisin de la maison où demeurait Maximilien, il n'avait été que cinq fois chez ce dernier[113]. Les candidats furent évidemment présentés par l'un et par l'autre et discutés en séance du comité, Plus d'un se trouva singulièrement étonné de sa nomination. Je citerai notamment Lerebours, à cause du rôle qu'il fut appelé à jouer dans la soirée du 9 Thermidor. Capitaine de la garde nationale de Pontarlier, président de la société des Amis de la liberté de cette ville, procureur syndic du département, Lerebours s'était distingué, jeune encore, par les discours et les actes les plus patriotiques, et il avait su mériter la confiance des représentants Siblot et Michaud, en mission dans le département du Doubs. Ce furent ces deux députés qui le recommandèrent au comité de Salut public[114]. Invité par une dépêche à se rendre à Paris et à se présenter le jour même de son arrivée devant le comité, Lerebours partit aussitôt sans savoir au juste ce qu'on voulait de lui. Au comité il fut reçu par Robespierre. A peine eut-il décliné son nom : Vous avez de l'ardeur, de l'énergie, lui dit Maximilien, c'est ce qu'il nous faut. Nous avons eu des renseignements sur vous ; le comité de Salut public vous nomme commissaire des secours publics. Installez-vous aujourd'hui même rue de Varennes ; allez, le comité compte sur vous. Comme le jeune homme interdit semblait hésiter : On ne discute pas avec son devoir, quand il s'agit de servir la République[115]. Il n'y avait rien à répliquer, Lerebours accepta. Appelé à travailler souvent avec Robespierre, comme directeur de la commission des secours publics, il ne fut pas longtemps à apprécier Maximilien à sa juste valeur et à s'attacher étroitement à lui. Des quarante fonctionnaires présentés par Barère à l'acceptation de la Convention nationale dans la séance du 29 germinal (18 avril 1794), Lerebours et Fleuriot-Lescot furent à peu près les seuls qui se dévouèrent activement à la cause de Robespierre dans la journée du 9 Thermidor. Ce ne furent donc pas de pures créatures de Robespierre qui prirent la direction des commissions instituées à la place des ministères ; le comité ne se les fût point laissé imposer.

On ne sait pas assez quel était, à l'égard de ses collègues, la situation personnelle de Robespierre. Les membres des anciens comités ont bien essayé de rejeter sur lui la responsabilité de toutes les sévérités qu'ils avaient jugées indispensables ; mais, outre qu'il suffit d'avoir quelque peu étudié aux sources l'histoire de la Révolution pour savoir à quoi s'en tenir sur leur insoutenable prétention, ils ont pris soin eux-mêmes de se contredire avec une étrange grossièreté. C'est ainsi que par leur propre aveu nous apprenons que l'intelligence des membres du comité opposés à Robespierre et formant la majorité était telle, que d'un coup d'œil leur parti était pris et la majorité acquise[116]. Puis c'est Billaud-Varenne qui demande à Lecointre si Prieur (de la Côte-d'Or), si Robert Lindet, si Carnot étaient des hommes à se laisser mener[117] ; il s'élève avec raison contre cette bonhomie ridicule qu'il prête, lui Lecointre, à Carnot, et qu'on lui a si souvent prêtée depuis pour excuser sa participation aux actes de la Terreur. Il est si peu exact que Robespierre se soit occupé particulièrement des choses de police, comme on l'en a accusé, que sa signature ne figure ni sur l'arrêté du comité de Salut public du 23 ventôse (13 mars 1794), invitant le commandant de la force armée de Paris à envoyer chaque jour au comité l'ordre et les consignes donnés pour le maintien de la police, ni sur l'arrêté en date du 29 ventôse, enjoignant aux administrateurs de police et à tous les chefs de la force armée employée près de chaque prison, ou maison d'arrêt de Paris, de rendre compte aux comités de Salut public et de Sûreté générale, chaque jour deux fois et par écrit, de l'état des prisons[118] ; et cependant sa présence au comité, ces deux jours-là, est constatée par les registres du comité, que nous avons sous les yeux. Il n'avait pas davantage signé un autre arrêté du 25 ventôse (15 mars 1794) autorisant l'accusateur public du tribunal révolutionnaire à employer le nombre de surveillants nécessaire pour connaître et déjouer les complots[119]. Mais plus nous avancerons, plus nous aurons à nous heurter à chaque pas contre les plus ineptes et les plus odieuses calomnies.

 

XI

Robespierre, cependant, s'attachait à concilier la justice avec les rigueurs nécessitées par les circonstances. Il exigeait des dénonciateurs la probité la plus stricte, et voulait qu'on prît sur eux les informations les plus précises avant d'ajouter foi à leurs déclarations, sachant combien en ce temps de crise et de troubles les haines particulières pouvaient insolemment se jouer de l'intérêt public. Dans la séance du 16 germinal (5 avril 1794), aux Jacobins, il signala la conduite tortueuse de certains dénonciateurs, en prenant la défense d'un officier belge du nom de Fion[120]. Jamais il ne refusa le secours de sa parole aux patriotes obscurs injustement opprimés. C'est aux amis de la République de les arracher à la persécution, disait-il encore aux Jacobins, dans la séance du 26 germinal, en défendant un citoyen nommé Dufresne, momentanément détenu aux Carmes par ordre du comité de Sûreté générale, sur la dénonciation de quelques intrigants[121].

On le vit en plus d'une circonstance chercher à tempérer, dans l'application, la rigueur des lois révolutionnaires. Tout le monde connaît le décret fameux sur la police générale de la République, rendu par la Convention à la suite d'un rapport de Saint-Just. En vertu de ce décret, les prévenus de conspiration devaient être traduits de tous les points de la République à Paris ; et il était interdit à tout ex-noble ou étranger appartenant à un pays en guerre avec la France d'habiter, sous peine d'être mis hors la loi, soit Paris, soit les places fortes et les villes maritimes de la République pendant la durée de la guerre. Comme ce décret était d'une extrême sévérité dans ses diverses parties, il parut à Robespierre qu'il ne suffisait pas de le faire connaître aux intéressés par une simple insertion au Bulletin ; il fallait selon lui, le proclamer à haute voix dans toutes les communes, car, dit-il avec raison, plus la loi est rigoureuse, plus solennelle doit être la proclamation, et plus elle a besoin d'être connue de tous les citoyens. La Convention applaudit et vota la motion[122].

Un amendement du député Charlier avait fait comprendre dans la classe des ex-nobles les anciens titulaires des charges qui anoblissaient ; mais c'était donner beaucoup trop d'extension au décret. Le comité de Salut public en jugea ainsi, et Couthon vint, en son nom, dans la séance du 29 germinal (18 avril 1794), demander à l'Assemblée la modification de cet amendement. Aussitôt Tallien et Delmas, deux Thermidoriens, de se récrier. Pourquoi ne pas sévir contre des hommes qui sont entrés avec des intentions perfides dans une caste que son orgueil et sa corruption rendaient si méprisable ? s'écria le misérable amant de Thérézia Cabarrus. Et Delmas d'ajouter : Vous devez punir ceux qui ont eu l'intention de s'élever au-dessus du peuple. A entendre ces deux fougueux dantonistes, il semblait que déjà le comité de Salut public eût perdu de son énergie. Robespierre répondit en invoquant et la justice, par qui devaient toujours être dirigées les délibérations de l'homme public, et l'intérêt du peuple, qui n'était pas toujours d'accord avec les propositions les plus populaires en apparence. Il n'y avait point à douter de l'énergie du comité, mais, eut-il soin d'ajouter, dans les décrets les plus vigoureux et les plus sévères contre les ennemis de la patrie, il est des mesures à garder, mesures fixées par les principes et par la justice. Il fit remarquer qu'il serait inique et impolitique à la fois de frapper la foule des personnes qui avaient possédé des charges conférant l'anoblissement, et termina par ces paroles dignes d'être rappelées : Citoyens, en parlant en faveur de l'amendement, on peut se donner l'apparence de la sévérité contre les ennemis du peuple, mais le devoir du véritable ami du peuple est de le servir sans le flatter. Les paroles de Robespierre, dictées par le bon sens et le véritable esprit de modération, engagèrent la Convention à rapporter l'amendement adopté la veille sur la proposition de Charlier[123]. Étonnez-vous après cela de la juste influence de Maximilien sur ses collègues de la Convention !

Le fait suivant, venant à l'appui de ce que nous avons avancé plus haut, montrera au contraire combien peu il avait de pouvoir sur ses collègues du comité. Vers cette époque fut conduit dans la prison des Carmes un général tout jeune encore et déjà illustré par de beaux faits d'armes ; il se nommait Lazare Hoche. Employé à l'armée du Rhin, il l'avait quittée à la suite d'une rivalité qui s'était élevée entre lui et Pichegru, pour lequel Saint-Just et Le Bas avaient cru devoir prendre parti. Néanmoins ces deux représentants restèrent, en réalité, étrangers, comme nous l'avons prouvé de reste[124], aux persécutions auxquelles le jeune et brillant général allait être bientôt en butte. Quel crime avait pu commettre Hoche ? C'était à cette époque un républicain convaincu et très-désintéressé, je le crois ; il avait même affecté, au temps où florissait l'hébertisme, des façons et un langage un tant soit peu exagérés. Cependant l'objet de son culte et de son admiration n'était ni Hébert ni Danton, c'était Robespierre, auquel il était tout dévoué. Hoche, dont Carnot avait deviné le génie militaire, s'était — peut-être dans un accès de présomption — refusé à exécuter, sur les bords du Rhin, quelques parties du plan de campagne dressé dans son cabinet par le célèbre membre du comité de Salut public[125]. Ce fut là, de toute certitude l'unique cause de sa disgrâce. Envoyé à l'armée des Alpes, il y était à peine arrivé que, sous l'inspiration évidente de Carnot, avec lequel il n'était pas brouillé encore, Robespierre, chargé de la correspondance avec les députés en mission, écrivit aux représentants du peuple près l'armée d'Italie qu'on avait la preuve de la trahison du général Hoche ; qu'il était nécessaire de le faire arrêter sur-le-champ, et que le comité de Salut public le remplaçait par le général Petit-Guillaume pour l'expédition d'Oneille[126]. Cette lettre était du 30 ventôse. A quelques jours de là, le vieux général Dumerbion se rendait auprès de Hoche, alors à Nice, et lui présentait l'ordre suivant : Le comité de Salut public arrête que l'expédition d'Oneille, qui devait être faite par le général Hoche, sera confiée au général Petit-Guillaume, général à l'armée des Alpes, auquel il a été donné des ordres à cet égard. Les représentants du peuple près l'armée d'Italie feront mettre sans délai le général Hoche en état d'arrestation, et l'enverront à Paris sous bonne et sure garde. Signé Carnot, Collot-d'Herbois. Cet ordre est écrit tout entier de la main de Carnot[127].

Il est donc bien certain que l'initiative de l'arrestation du général Hoche est venue de Carnot, qui avait ou pensait avoir de légitimes motifs de suspicion contre lui. Sur le premier moment, Robespierre avait dû croire fondés les griefs de son collègue ; aussi avait-il écrit sous sa dictée en quelque sorte la lettre dont nous avons plus haut donné le sens. Mais dans l'intervalle de l'arrestation de Hoche à son transfèrement à Paris, il avait sans doute reçu des explications de nature à le disculper suffisamment à ses yeux, car tout prouve qu'il ne voulut point s'associer aux mesures de sévérité que le comité de Salut public persista à prendre à l'égard du général, auquel Maximilien portait depuis longtemps un très-vif intérêt et dont il avait reçu, de Dunkerque, les lettres les plus affectueuses. Transportons-nous maintenant au comité de Salut public, à la séance du 22 germinal (11 avril 1794), où il va être statué sur le sort du général Hoche. Neuf membres du comité sont présents ; ce sont Barère, Carnot, Couthon, Collot-d'Herbois, C.-A. Prieur, Billaud-Varenne, Robespierre, Saint-Just et Robert Lindet. Deux sont en mission aux armées : Jean-Bon Saint-André et Prieur (de la Marne) ; le douzième, Hérault-Séchelles, est guillotiné depuis six jours. Que se passa-t-il ? Impossible de le dire d'une façon bien positive, puisque les registres du comité ne reproduisent pas les débats qui nécessairement ont précédé les délibérations prises, mais il est facile de conjecturer que Robespierre, et que Robespierre seul, ouvrit la bouche en faveur du général. Saint-Just paraît s'être, en cette circonstance, séparé de son ami ; peut-être n'avait-il pas eu tout à fait à se louer de la conduite du général à l'armée du Rhin. Au reste, disons-le encore, Robespierre, Saint-Just et Couthon, quoique étroitement unis par une communauté de principes et par les liens de la plus tendre amitié, ne se croyaient pas tenus de se ranger aveuglément au même avis ; on l'a bien vu tout à l'heure à propos du décret qui obligeait les membres de la Convention à rendre compte de leur fortune et de leur conduite morale depuis le commencement de la Révolution, décret rendu sur la motion de Couthon et hautement improuvé par Robespierre. Le résultat des débats de cette séance du 22 germinal fut l'arrêté suivant : Le comité de Salut public arrête que le général Hoche sera mis en état d'arrestation et conduit dans la maison d'arrêt dite des Carmes, pour y être détenu jusqu'à nouvel ordre[128]. Tous signèrent, tous, excepté Robespierre, qui ne se laissa point fléchir et qui, n'approuvant pas la mesure, ne voulut pas l'appuyer de l'autorité de sa signature[129].

En ne voyant point figurer la signature de Maximilien sur son mandat d'arrestation, Hoche se douta bien qu'il l'avait eu pour défenseur au comité de Salut public, et le 1er prairial il lui écrivait la lettre suivante : L. Hoche à Robespierre. Le soldat qui a mille fois bravé la mort dans les combats ne la craint pas sur l'échafaud. Son seul regret est de ne plus servir son pays et de perdre en un moment l'estime du citoyen qu'il regarda de tout temps comme son génie tutélaire. Tu connais, Robespierre, la haute opinion que j'ai conçue de tes talents et de tes vertus ; les lettres que je t'écrivis de Dunkerque[130] et mes professions de foi sur ton compte, adressées à Bouchotte et à Audoin, en sont l'expression fidèle ; mais mon respect pour toi n'est pas un mérite, c'est un acte de justice, et s'il est un rapport sous lequel je puisse véritablement t'intéresser, c'est celui sous lequel j'ai pu utilement servir la chose publique. Tu le sais, Robespierre, né soldat, soldat toute ma vie, il n'est pas une seule goutte de mon sang que je n'ai (sic) consacré (sic) à la cause que tu as illustrée. Si la vie, que je n'aime que pour ma patrie, m'est conservée, je croirai avec raison que je la tiens de ton amour pour les patriotes. Si, au contraire, la rage de mes ennemis m'entraîne au tombeau, j'y descendrai en bénissant la République et Robespierre. L. HOCHE. Cette lettre ne parvint pas à son adresse. Il fallait qu'elle passât par les mains de Fouquier-Tinville, qui eut l'infamie de ne point l'envoyer, comme s'il eût craint que Robespierre ne lui arrachât une proie[131].

Si Lazare Hoche ne fut pas livré au tribunal révolutionnaire, ce fut certainement grâce à la résistance de Maximilien. Il est hors de doute pour moi que la protection accordée par Robespierre à l'illustre général fut l'origine et la cause de ses regrettables dissensions avec Carnot, et quand nous l'entendrons reprocher indirectement à celui-ci, en pleine Convention, de persécuter les généraux patriotes, c'est qu'évidemment le nom de Hoche lui sera venu à la mémoire. Aussi n'est-on pas médiocrement étonné de lire dans la réponse de Carnot au rapport de Bailleul sur le 18 fructidor : J'avais sauvé la vie à Hoche avec beaucoup de peine du temps de Robespierre, et je l'avais fait mettre en liberté immédiatement après le 9 Thermidor[132]. C'est là une allégation démentie par tous les faits ; il est démontré au contraire qu'on eut un certain mal à obtenir de Carnot que le général fût relâché. Hoche ne recouvra sa liberté ni le 11, ni le 12, ni le 13 thermidor, c'est-à-dire au moment où une foule de gens notoirement ennemis de la Révolution trouvaient moyen de sortir des prisons où ils avaient été enfermés comme suspects, mais le 17 seulement, et Carnot ne signa son mandat de mise en liberté que le dernier, comme à contre cœur[133]. Ajoutons qu'il ne se hâta point de l'employer ; Hoche fut longtemps réduit aux démarches les plus humiliantes avant d'obtenir du service[134]. Dans la matinée du 10 thermidor, en arrivant à la Conciergerie, Saint-Just se trouva, dit-on, face à face avec le futur vainqueur de la Vendée. A la vue de celui avec lequel il avait si glorieusement combattu sur les bords du Rhin, Hoche se découvrit et tendit la main à Saint-Just. C'eût été le fait d'une âme grande et généreuse si en effet l'illustre proscrit avait été l'auteur véritable de la captivité du général ; mais Hoche savait bien que ses persécuteurs n'étaient ni Saint-Just ni Robespierre.

 

XII

Il faudrait des volumes entiers pour relever toutes les bévues commises par la plupart des historiens à l'endroit de Robespierre ; nous ne parlons pas des calomnies intentionnelles dont sont souillés les livres de tant de prétendus historiens que nous ne voulons plus nommer. Quand la diffamation se trouve dans ces libelles enfantés par l'esprit de parti ou dans ces romans abjects où, pour amuser un public ignorant, on piaffe en pleine calomnie comme en pleine boue, on ne peut que hausser les épaules et sourire de dédain ; mais on est douloureusement navré, je le répète, lorsque la calomnie se rencontre dans une œuvre où circule d'un bout à l'autre le souffle généreux de la Révolution. Comment, par exemple, ne pas être plongé en des étonnements profonds devant certaines injustices inspirées à M. Michelet par une étonnante crédulité ? Nous avons dit pourquoi la juste considération dont jouit cet écrivain nous obligeait à le suivre pas à pas et à le réfuter sévèrement. Lorsque, par exemple, de sa propre autorité, il nous présente Robespierre comme aimant à répéter ces paroles du dialogue de Sylla et d'Eucrate : La postérité trouvera peut-être que l'on n'a pas versé assez de sang[135] ; c'est déjà odieux, et il est aisé de le confondre par cet aveu précieux échappé à Reubell, alors que celui-ci était membre du Directoire : Je n'ai jamais eu qu'un reproche à faire à Robespierre, c'est d'avoir été trop doux[136]. Mais le moyen de ne pas éprouver une violente indignation quand nous voyons un écrivain de cette valeur, exagérant encore un témoignage déjà indigne de toute espèce de foi, accuser Maximilien d'avoir, par la plus noire des trahisons, causé la mort de son ancien collègue Le Chapelier. A cette assertion d'une impardonnable légèreté nous allons opposer des preuves.

Plus d'une fois les enragés avaient réclamé en public le renvoi au tribunal révolutionnaire des anciens constituants ayant appartenu au comité de révision de la Constituante, et plus d'une fois Robespierre avait imposé silence à ces sanguinaires énergumènes. Aussi Thouret, enfermé dans la prison du Luxembourg, avait-il mis tout son espoir en lui et assurait-il à ses compagnons de captivité que bientôt Robespierre les ferait mettre en liberté[137]. Mais Thouret comptait sans le comité de Sûreté générale et sans Fouquier-Tinville, qui ne tardèrent pas à les renvoyer, lui et Le Chapelier, devant le tribunal révolutionnaire, par lequel ils furent condamnés à mort le 3 floréal (22 avril 1794). Or, selon M. Michelet, le constituant Le Chapelier, non innocent sans doute, se tenait caché à Paris, et vers la fin de 1793, ne pouvant plus supporter sa réclusion, ses angoisses, aurait écrit à Robespierre pour lui indiquer l'endroit où il se tenait caché et le prier de le sauver. Robespierre à l'instant, ajoute M. Michelet, envoya la lettre à l'autorité, qui le fit prendre, juger, guillotiner[138]. Un fait pareil serait atroce à coup sûr, mais ce qui est atroce aussi, c'est la supposition toute gratuité d'un tel fait. Et d'abord, si une lettre semblable eût existé, les Thermidoriens se seraient empressés de la publier, c'est de toute évidence. Puis, d'ailleurs, Le Chapelier, qui avait eu avec Robespierre des relations d'amitié assez intimes, se cachait si peu à Paris vers la fin de 1793, qu'il lui écrivait le 26 pluviôse de l'an II, c'est-à-dire le 14 février 1794, la lettre suivante :

Mon ancien collègue et ami, je vous adresse un mémoire que je présente au comité de Salut public ; c'est à vous que je l'adresse, parce que c'est vous qui avez le plus manifesté votre énergique haine contre les Anglais et qu'il me semble que, plus habile, vous sentirez plus que tout autre l'importance de ruiner cet affreux gouvernement. Continuez ; soyez le sénateur qui disait sans cesse : Que Carthage soit détruite. Vous fondez votre gloire bien avant ; votre belle motion de discuter sans cesse les crimes du gouvernement anglais n'a jamais été assez connue ; aussi a-t-elle été, jusqu'à présent, bien mal exécutée. Voyez, mon ancien collègue, si la proposition que je fais peut être utile. J'abhorre ces Anglais ; et leur ruine au profit de ma patrie serait un grand bonheur pour moi. Croyez, au surplus, que si je n'ai pas toujours été de votre avis, j'aime maintenant autant que vous la République. Elle est établie, tous les amis de la liberté doivent la soutenir. Vous sentirez qu'une prompte décision est nécessaire si vous acceptez mon offre et il n'y a pas un moment à perdre. Je vous salue[139].

On voit combien peu cela ressemble à une demande de protection quelconque.

A cette lettre était joint un mémoire de quatre pages rédigé pour le comité de Salut public, entre les mains duquel il fut ponctuellement remis par Robespierre. Bien que prévenu qu'un ordre d'arrestation avait été lancé contre lui, Le Chapelier demandait à être envoyé en Angleterre comme agent secret du comité, afin d'étudier de près les machinations du gouvernement anglais et d'être à même de fournir des renseignements utiles à la République. Il offrait de se rendre sur-le-champ à Paris pour conférer de sa proposition avec quelques-uns des membres du comité. Je termine, disait-il, en vous exprimant le désir que vous finissiez promptement et glorieusement la grande entreprise que vous avez formée. Donnez la liberté au monde et, s'il est possible, une prompte paix à la France[140]. C'est bien certainement ce mémoire remis au comité par Maximilien qu'on aura vu dans les bureaux, et qu'une imagination pervertie aura transformé en lettre de supplication à l'adresse de Robespierre. Celui-ci demeura complètement étranger à la mise en jugement de Le Chapelier et de Thouret, et la condamnation de ses anciens collègues lui causa une douleur cuisante, on doit le croire. Tenta-t-il quelques démarches pour les sauver ? C'est possible ; je n'en sais rien. Mais ce dont on peut répondre, c'est qu'elles eussent été vaines auprès du comité de Sûreté générale qui bientôt essayera de renvoyer devant le tribunal révolutionnaire un autre Constituant, l'ex-chartreux dom Gerle, en dépit et peut-être à cause d'un certificat de civisme que Robespierre lui avait fait délivrer.

 

XIII

Le nombre des personnes auxquelles Maximilien s'efforça de rendre service fut, nous le savons, très-considérable. Si aussi bien il fût sorti vainqueur de la lutte du 9 Thermidor, nous aurions vu se dérouler complaisamment la longue liste de ceux qui, ayant poussé vers lui un cri de douleur, ne l'avaient pas trouvé sourd à leurs voix. Comme de tous les membres du gouvernement révolutionnaire il était le plus en vue par son immense popularité, c'était à lui surtout qu'on envoyait les réclamations et les plaintes. Persuadé que tu es patriote, je m'adresse à toi, citoyen, pour te faire le détail des maux qui m'accablent, moi et mes concitoyens[141]. Voilà un échantillon des milliers de lettres dont il était assailli. Si l'infâme Courtois n'avait pas détruit la plupart des pièces qui portaient témoignage en faveur de Robespierre, on eût été sans doute singulièrement surpris de rencontrer parmi les noms de ses glorificateurs et de ses obligés ceux d'une foule de gens qui, après sa chute, l'ont accablé d'invectives. La reconnaissance oublie volontiers les vaincus. On se demande comment les lettres, Dieu merci assez significatives des Girondins arrachés par lui à la mort ont pu être préservées de la destruction. Le sauveur devint un monstre et un scélérat, ce fut une affaire convenue. Personne n'eût osé avouer qu'il avait été le meilleur et le plus obligeant des hommes. Lui était-on redevable de quelque important service, il fallait dire qu'on avait été persécuté par lui ou se taire, sous peine de passer pour un de ses agents et d'être poursuivi comme tel. On fut témoin alors des plus honteuses apostasies. C'est à peine si longtemps, longtemps après Thermidor, on osait révéler tout bas quelques traits particuliers attestant la bonté de son cœur.

Un jour, aux Jacobins, il fut abordé par un jeune homme qui l'implora en faveur d'un de ses parents arrêté depuis peu et peut-être à la veille de passer au tribunal révolutionnaire. Ces chefs du gouvernement républicain étaient abordables au premier venu. On le convainquit sans doute que ce détenu avait été victime de quelque vengeance particulière, car il prit son affaire à cœur et parvint à le faire relâcher[142]. Un autre jour, un monsieur Laroche désirait avoir un passeport pour la Suisse. C'était le frère d'un banquier chez lequel, au commencement de la Révolution, il s'était plusieurs fois trouvé à dîner avec Robespierre,- sans doute un parent du chanoine qui avait servi de correspondant à Maximilien du temps où celui-ci était au collège. Dans un de ces dîners, où naturellement s'agitaient toutes les questions à l'ordre du jour, Robespierre s'était élevé avec beaucoup de véhémence contre les capitalistes, les fermiers généraux et les agioteurs de tout genre, oubliant, avec sa distraction habituelle, qu'il était en ce moment même le commensal d'un banquier. Fort peu attaché aux idées nouvelles, le frère de son hôte lui reprocha cet oubli en termes assez aigres pour obliger en quelque sorte Robespierre à quitter la maison. Plusieurs années après, ayant besoin d'un passeport pour l'étranger à une époque où l'on risquait fort d'être considéré comme suspect en manifestant le dessein de sortir de France, il se décida à aller frapper à la porte de Maximilien. N'ayant rencontré que le secrétaire de ce dernier, il lui dit l'objet de sa visite et lui raconta ce qui s'était passé jadis à la table de son frère, non sans laisser percer une certaine inquiétude de venir ainsi se rappeler lui-même au souvenir d'un homme qu'il avait assez grièvement offensé. Nicolas Duplay le rassura pleinement et mit son nom en tête de la liste des personnes qui sollicitaient un passeport. En parcourant, le lendemain, cette liste au comité de Salut public, Robespierre réfléchit un instant, comme frappé par un souvenir. Ah ! Laroche dit-il, pour celui-là, ce ne sera jamais un conspirateur ; et il lui fit donner son passeport[143].

Du reste, il était trop occupé des grandes questions de morale et de philosophie inhérentes, selon lui, aux destinées de la République pour se mêler activement des détails de police auxquels se complaisaient certains membres du comité de Sûreté générale. Nature essentiellement artiste, il prit certainement une part très-active aux discussions qui eurent lieu dans l'intérieur du comité de Salut public au sujet des arts et des artistes, pour lesquels nul gouvernement ne montra plus de souci que celui de la République. La condition de l'artiste se trouvait singulièrement relevée. Ce n'était plus le prince ou simplement un ministre qui l'honorait d'une humiliante protection, c'était la patrie dont il devenait l'hôte en quelque sorte. Les commandes, au lieu d'être distribuées comme par le passé suivant le caprice et les préférences d'un surintendant des beaux-arts, allaient revenir de droit au mérite. Partout le concours à la place de la faveur. Dans sa séance du 5 floréal (24 avril 1794), le comité de Salut public conviait tous les peintres à exécuter, à représenter à leur choix sur la toile les divers épisodes de la Révolution française. En même temps il ouvrait un concours de trois mois pour l'exécution des monuments en bronze et en marbre destinés à retracer à la postérité les époques glorieuses de cette révolution, et un autre concours pour l'exécution d'une colonne qui, en vertu d'un décret de la Convention, devait être élevée dans le Panthéon en l'honneur des citoyens morts pour la patrie. En outre, il appelait tous les artistes de la République à concourir à l'exécution d'une statue en bronze de Jean-Jacques Rousseau, pour l'emplacement de laquelle il choisit les Champs-Élysées[144].

La gravité des événements, la répression des ennemis de l'intérieur et de l'extérieur, l'entretien de quatorze armées, n'absorbaient pas tous les moments du comité de Salut public. Il y a dans ses cartons tout un plan d'un singulier caractère de grandeur pour les embellissements de la capitale, plan que malheureusement le temps ne lui a pas permis d'exécuter. Il chargea David, le peintre chéri de Robespierre, et le sculpteur Hubert de dessiner les piédestaux destinés à recevoir à l'entrée des Champs-Elysées, en face des deux figures de Coysevox, les deux chevaux de Marly qu'on voit encore, et il leur confia le soin de décorer le jardin des Tuileries d'une manière digne de la représentation nationale. A cet effet, il les autorisa à prendre dans les maisons et parcs de la ci-devant liste civile tous les monuments et statues qui pourraient servir à l'embellissement de cette propriété du peuple français. Une porte d'entrée majestueuse, construite avec les fragments antiques enfouis dans les salles du Louvre, devait s'ouvrir sur la Seine d'après les dessins de David[145]. Cinq jours plus tard le comité décidait l'érection d'un monument sur la place des Victoires, en l'honneur des citoyens morts pour la patrie dans la journée du 10 août, et en même temps il arrêtait que la statue de la Philosophie, chef-d'œuvre d'Houdon, serait placée sur un piédestal au milieu de la Convention nationale.

Et le comité de Salut public ne se préoccupait pas seulement du soin d'embellir et d'assainir Paris, il songeait aussi aux campagnes, si négligées d'ordinaire sous les gouvernements monarchiques. C'est ainsi que le 13 floréal (2 mai 1794) il invitait tous les artistes à concourir à l'amélioration du sort des habitants des communes rurales en proposant des moyens simples et économiques de construire des habitations plus commodes et plus salubres, selon les besoins des diverses localités. Les démolitions provenant des châteaux forts, des constructions féodales et de toutes les maisons nationales dont la conservation serait jugée inutile, étaient mises à la disposition des architectes. Le concours était ouvert pour trois mois, au bout desquels le jury des arts devait désigner les plans jugés dignes par lui d'être mis à exécution. Encore une belle conception avortée. Dans cette même séance fut décrétée la construction du Muséum[146]. Un peu plus tard (28 floréal), tous les artistes architectes étaient conviés à composer des projets et des plans d'architecture civile convenant à une république pour les divers monuments à exécuter dans les communes. Il leur était particulièrement recommandé de donner à chaque espèce de monument le caractère qui lui était propre. On n'aurait pas voulu, par exemple, qu'une mairie ressemblât à une église.

Les projets mis au concours pendant les mois de prairial et de messidor comprenaient les endroits destinés à l'exercice de la souveraineté du peuple réuni en assemblées primaires, les maisons communes, les tribunaux, les justices de paix, les prisons, les théâtres nationaux, les bains publics et les fontaines. Le concours était ouvert jusqu'au 30 messidor et les ouvrages envoyés devaient être jugés par le jury des arts avant le 10 thermidor[147]. Hélas ! à cette date tous ces magnifiques projets disparaîtront avec le grand citoyen qui peut-être en avait été l'instigateur.

Tout en se préoccupant des moyens d'améliorer la condition physique des citoyens répandus sur la surface du territoire français, le comité songeait aussi à faire pénétrer dans leurs cœurs les vertus civiques, sans lesquelles il n'y a pas de république possible, et à rasséréner les âmes désolées par les folies de l'hébertisme. Dès le 17 germinal (6 avril 1794), Couthon avait, en son nom, annoncé à la Convention qu'un rapport lui serait prochainement présenté sur un projet de fêtes décadaires. Tel fut en effet un des points principaux du rapport que, dans la séance du 18 floréal, Robespierre vint soumettre à l'Assemblée.

 

XIV

Nous avons déjà dit un mot du sentiment religieux chez Robespierre. Il n'appartenait pas à telle ou telle doctrine religieuse, il n'en reconnaissait qu'une pour vraie, celle qui montrait à l'homme l'idée de Dieu. Mais cette notion de la Divinité il ne la renfermait pas dans les limites du symbolisme : nous allons la lui entendre développer lui-même tout à l'heure en termes magnifiques. Un libelliste de la monarchie a raconté qu'après la fête à l'Être Suprême, M. de La Saussure ayant complimenté Soulavie, notre résident à Genève, sur ce retour aux idées morales et religieuses, Soulavie aurait répondu : Robespierre se f..... de Dieu comme moi[148]. Soulavie était une sorte de moine défroqué, sans conscience et sans foi, et qui calomnia Robespierre tombé après s'être couché à plat ventre devant lui au temps où il était debout et respecté. Personne, au contraire, ne fut plus que Maximilien sincère dans sa foi. Petite, disait-il un jour à Élisabeth Duplay, qui manifestait devant lui une grande indifférence religieuse, tu as tort, tu ne sais pas ce qu'il y a de consolations et d'espérances au fond de la croyance en Dieu[149].

Chose à la fois singulière et triste, en voulant arracher à une sorte de néant la société prête à plonger dans le chaos, Robespierre s'est fait deux genres d'ennemis : d'abord les prêtres, qui ne lui pardonnèrent pas et ne lui pardonneront jamais d'avoir enseigné du haut de la tribune nationale qu'on pouvait se passer des simagrées et des hypocrisies auxquelles se trouve attaché tout leur pouvoir ; ensuite les survivants de l'hébertisme, qui, suivant l'exemple du girondin Guadet, l'accuseront bêtement d'avoir voulu ramener le peuple sous le joug de la superstition. C'est plaisir d'entendre l'école proudhonienne le poursuivre de ses sarcasmes et répéter à l'envi du maître cette grosse injure banale : Imbécile messie de Catherine Théot[150]. Si quelque chose peut excuser l'irrespectueux auteur des Contradictions économiques, lequel de contradictions en contradictions serait peut-être arrivé à chanter l'hosanna en l'honneur des successeurs de saint Pierre, c'est certainement son ignorance extraordinaire des choses de la Révolution ; mais n'est-ce point pitié de voir des démocrates français s'acharner à ternir la mémoire de celui qui pourrait dire avec son maître, Rousseau : J'ai haï le despotisme en républicain et l'intolérance en théiste[151]. Ah ! certes, il n'y aurait point assez de ridicules à jeter sur Robespierre s'il avait eu la pensée saugrenue qu'on lui a prêtée quelquefois, de vouloir fonder une religion. Permis à un écrivain de nos jours de regretter qu'on n'ait pas extirpé tous les anciens cultes, toutes les vieilles religions[152], pour en édifier une toute nouvelle, arrosée de larmes et trempée dans le sang. Robespierre, lui, avait trop de sagesse, trop de respect de la liberté de conscience, pour concevoir une idée aussi grotesque. Le sentiment auquel il obéit en rappelant les Français au souvenir de la Divinité fut surtout un sentiment politique.

Les orgies scandaleuses du culte de la déesse Raison, l'intolérance furieuse des prédicateurs de l'athéisme, avaient plongé le pays dans une véritable léthargie morale et suscité à la Révolution un nombre prodigieux d'ennemis inconnus. Nombre de gens qui avaient applaudi à la destruction de la féodalité, au renversement de la monarchie, furent saisis d'indignation et de colère à la vue de leurs églises spoliées et de leurs dieux traînés aux égouts. Dans certains départements, ordre d'enfermer les ministres du culte qui se démettaient de leurs fonctions sans abdiquer formellement[153]. Plus de baptême, plus de mariage à l'église, plus d'extrême-onction, plus rien. Comment les femmes n'eussent-elles pas maudit la Révolution ? Les députés de l'Ain écrivaient à Robespierre : Toutes les lettres, citoyen collègue, que nous recevons de notre département annoncent que les hébertistes continuent leurs ravages ; tu seras étonné des abus qui s'y sont commis et tu feras cesser le mal dès que la cause t'en sera bien connue[154]. Si encore toute superstition avait pu être tuée du coup, si la persécution avait anéanti toutes les croyances, en admettant qu'il soit bon de détruire dans les cœurs le sentiment religieux ! Mais non, la superstition se retrempait dans la persécution même et prenait de nouvelles racines. Robespierre et le comité de Salut public n'ignoraient point ces conséquences forcées quand ils opposaient de si vives résistances aux vexations dirigées par certains proconsuls contre toute espèce de culte. On a vu comment, interprète de la pensée de son frère, Augustin Robespierre s'était conduit dans ses diverses missions ; que de maux eussent été évités si son exemple eût été partout suivi ! L'intolérance des fanatiques de l'athéisme avait fait à la Révolution plus d'ennemis que ne lui en avait suscité l'émigration tout entière. Ce fut pour parer à une désaffection qui menaçait de devenir générale, ce fut pour remettre un peu de sérénité dans les âmes, ce fut, en un mot, pour déjouer la conspiration des consciences que Maximilien composa son discours sur les rapports des idées religieuses et morales avec les principes républicains.

Un silence profond régnait dans la Convention nationale quand, le 18 floréal (7 mai 1794), il monta à la tribune. Dès le début il semble indiquer que le temps est proche où la Révolution aura accompli son œuvre : Citoyens, c'est dans la prospérité que les peuples, ainsi que les particuliers, doivent, pour ainsi dire, se recueillir pour écouter, dans le silence des passions, la voix de la sagesse. Le moment où le bruit de nos victoires retentit dans l'univers est donc celui où les législateurs de la République française doivent veiller avec une nouvelle sollicitude sur eux-mêmes et sur la patrie, et affermir les principes sur lesquels doivent reposer la stabilité et la félicité de la République. Après un long regard porté sur les siècles passés, où la terre' avait été le partage de la tyrannie, où la vertu et la liberté s'étaient à peine reposées un instant sur quelques points du globe, Robespierre se demande comment, à l'heure où il parle, la moitié du globe est encore plongée dans les ténèbres quand l'autre moitié est éclairée, et comment surtout l'Europe a pu faire de si étonnants progrès dans l'art et dans les sciences alors qu'elle semble dans l'ignorance des premières notions de la morale publique. Ah ! la principale raison lui paraissait bien facile à saisir : les rois, de qui dépendaient jusque-là les destinées de la terre, ne craignaient ni les grands géomètres, ni les grands peintres, ni les grands poètes, tandis qu'ils redoutaient les philosophes rigides et les défenseurs de l'humanité.

Patience toutefois ! la raison est en marche contre les trônes, par des routes détournées, mais sûres. Et ici l'orateur ne pouvait se défendre d'une fierté bien légitime en voyant de combien d'années la France devançait le reste de l'espèce humaine dans les voies de l'affranchissement, en voyant l'Europe prodiguer son sang pour river les chaînes de l'humanité quand la France répandait le sien pour les briser. Nos sublimes voisins, ajoutait-il, entretiennent gravement l'univers de la santé du roi, de ses divertissements, de ses voyages ; ils veulent absolument apprendre à la postérité à quelle heure il a dîné, à quel moment il est revenu de la chasse ; quelle est la terre heureuse qui, à chaque instant du jour, a eu l'honneur d'être foulée sous ses pieds augustes ; quels sont les noms des esclaves privilégiés qui ont paru en sa présence. Nous lui apprendrons, nous, les noms et les vertus des héros morts en combattant pour la liberté. Aussi comme Robespierre se félicite d'être né sur cette terre de France si favorisée de la nature et comblée de tous les dons du ciel, au milieu de cette contrée généreuse qui allait offrir au monde le spectacle inconnu de la démocratie établie dans un vaste empire ! Il enseignait ensuite les préceptes nouveaux qui devaient présider au gouvernement des peuples. Comment ne pas applaudir des deux mains à ces préceptes, pure expression de la sagesse même et de la vérité éternelle. L'art de gouverner, qui jusque-là avait été l'art de tromper et de corrompre les hommes, ne devait consister, suivant lui, qu'à les éclairer et qu'à les rendre meilleurs. Il n'admettait d'autre but à toutes les institutions sociales que la justice, de laquelle dépendaient à la fois le bonheur public et le bonheur privé. Enfin l'unique fondement de la société civile était à ses yeux la morale, et la science mystérieuse de la politique et de la législation devait se réduire à mettre dans les lois et dans l'administration les vérités morales reléguées dans les livres des philosophes, et à appliquer à la conduite des peuples les notions triviales de probité que chacun était obligé d'employer pour sa conduite privée. Partant, plus d'assassinats sous le nom de guerre, plus de vols ni de spoliations sous prétexte d'impôts et sous le nom de conquêtes. De l'examen du mécanisme administratif des monarchies en général, et de l'Angleterre en particulier, il concluait, non sans quelque raison, que l'immoralité était la base du despotisme, comme la vertu était l'essence de la République.

Robespierre refaisait ensuite la peinture des maux auxquels deux factions rivales avaient exposé la patrie : l'une sapant les fondements de la liberté par le modérantisme, l'autre par la fureur. Il rappela l'époque bien récente encore où l'usage du bon sens semblait interdit au patriotisme, où, grâce à une subversion totale des idées révolutionnaires, l'aristocratie, absoute de tous ses crimes, tramait très-patriotiquement le massacre des représentants du peuple ; où, gorgés des trésors de la tyrannie, les conjurés prêchaient la pauvreté. Affamés d'or et de domination, ils prêchaient l'égalité avec insolence pour la faire haïr ; la liberté pour eux était l'indépendance du crime, la Révolution un trafic, le peuple un instrument, la patrie une proie. Voilà bien un portrait anticipé et frappant des Thermidoriens. L'orateur s'élevait ensuite avec une éloquence vraiment admirable contre les énergumènes qui avaient déclaré aux consciences une guerre insensée : Ils ont érigé l'immoralité non-seulement en système, mais en religion ; ils ont cherché à éteindre tous les sentiments généreux de la nature par leurs exemples autant que par leurs préceptes. Que voulaient-ils ceux qui, au sein des conspirations dont nous étions environnés, au milieu des embarras d'une telle guerre, au moment où les torches de la discorde civile fumaient encore, attaquèrent tout à coup tous les cultes par la violence ? Quel était le motif de cette grande opération tramée dans les ténèbres de la nuit, à l'insu de la Convention nationale, par des prêtres, par des étrangers et par des conspirateurs ? Était-ce l'amour de la patrie ? La patrie leur a déjà infligé le supplice des traîtres. Était-ce la haine des prêtres ? Les prêtres étaient leurs amis. Était-ce l'horreur du fanatisme ? C'était le seul moyen de lui fournir des armes. Était-ce le désir de hâter le triomphe de la raison ? Mais on ne cessait de l'outrager par des violences absurdes et par des extravagances concertées pour la rendre odieuse, on ne semblait la reléguer dans les temples que pour la bannir de la République... N'était-ce pas là la politique des ennemis les plus acharnés de la Révolution, de Pitt, des émigrés et des rois coalisés contre la France ? Ah ! il fallait, au contraire, accueillir avec empressement toute doctrine, toute institution de nature à consoler et à élever les âmes, et rejeter bien loin celles qui tendaient à les dégrader et à les corrompre. Ranimez, disait-il, exaltez tous les sentiments généreux et toutes les grandes idées morales qu'on a voulu éteindre ; rapprochez par le charme de l'amitié et par le lien de la vertu les hommes qu'on a voulu diviser. Qui donc t'a donné la mission d'annoncer au peuple que la Divinité n'existe pas, ô toi qui te passionnes pour cette doctrine aride, et qui ne te passionnas jamais pour la patrie ? Quel avantage trouves-tu à persuader à l'homme qu'une force aveugle préside à ses destinées et frappe au hasard le crime et la vertu, que son âme n'est qu'un souffle léger qui s'éteint aux portes du tombeau ? L'idée de son néant lui inspirera-t-elle des sentiments plus purs et plus élevés que celle de son immortalité ? Lui inspirera-t-elle plus de respect pour ses semblables et pour lui-même, plus de dévouement pour la patrie, plus d'audace à braver la tyrannie, plus de mépris pour la mort et pour la volupté ? Vous qui regrettez un ami vertueux, vous aimez à penser que la plus belle partie de lui-même a échappé au trépas ! Vous qui pleurez sur le cercueil d'un fils ou d'une épouse, êtes-vous consolés par celui qui vous dit qu'il ne reste plus d'eux qu'une vile poussière ? Malheureux qui expirez sous les coups d'un assassin, votre dernier soupir est un appel à la justice éternelle ! L'innocence sur l'échafaud fait pâlir le tyran sur son char de triomphe : aurait-elle cet ascendant si le tombeau égalait l'oppresseur et l'opprimé ? Si l'existence de Dieu, si l'immortalité de l'âme n'étaient que des songes, elles seraient encore la plus belle des conceptions de l'esprit humain. Pour répondre d'avance à ceux qui l'accusent d'avoir érigé l'athéisme en crime, Robespierre avait soin d'ajouter qu'il ne s'agissait point ici de faire le procès à aucune opinion philosophique en particulier, ni de nier que tel philosophe pût être vertueux par la seule force d'une raison supérieure ; seulement il raisonnait en législateur, et, voyant dans l'idée de Dieu et de l'immortalité de l'âme un rappel continuel à la justice, il la trouvait sociale et républicaine à la fois. Au reste, plein de respect pour la liberté de conscience, il recommandait à ses concitoyens et à la Convention la plus large tolérance en matière religieuse : car, disait-il, on ne doit jamais attaquer un culte établi qu'avec prudence et avec une certaine délicatesse, de peur qu'un changement subit et violent ne paraisse une atteinte portée à la morale et une dispense de la probité même. Celui-là lui paraissait un prodige de génie qui pouvait remplacer Dieu dans la vie sociale. Que s'il se trompait quant à lui, c'était du moins avec tout ce que le monde était habitué à révérer. N'était-il point avec Cicéron contre César s'égarant au milieu du sénat dans une digression contre le dogme de l'immortalité de l'âme ? N'avait-il pas aussi pour lui Socrate et Platon ? Voici en quels termes il faisait l'éloge de son maître Rousseau : Parmi ceux qui se signalèrent dans la carrière des lettres et de la philosophie, un homme, par l'élévation de son âme et par la grandeur de son caractère, se montra digne du ministère de précepteur du genre humain. Il attaqua la tyrannie avec franchise, il parla avec enthousiasme de la Divinité. Ah ! s'il avait été témoin de cette Révolution dont il fut le précurseur et qui l'a porté au Panthéon, qui peut douter que son âme généreuse eût embrassé avec transport la cause de la justice et de l'égalité ! Cette glorification de l'auteur du Contrat social venait après une vive satire de certains philosophes du XVIIIe siècle, persécuteurs acharnés de Jean-Jacques, charlatans ambitieux qui, disait Robespierre, avaient été pensionnés par les despotes tout en déclamant quelquefois contre le despotisme, et, fiers dans leurs écrits, s'étaient montrés rampants dans les antichambres.

En traçant le portrait de ces écrivains versatiles qui, après avoir prôné les droits de l'homme dans leurs livres avant la Révolution, s'étaient en quelque sorte ligués depuis pour en empêcher le triomphe, Maximilien laissa tomber de sa bouche un nom justement honoré, mais qu'on a démesurément grandi, celui de Condorcet. Ah ! certes, il eût été plus noble de sa part d'ensevelir dans l'oubli ses griefs trop fondés, hélas ! contre un homme qui, un mois auparavant, s'était soustrait à la proscription par le suicide. Mais il faut compter avec les faiblesses humaines. Quels flots d'amertume, de son côté, Condorcet n'avait-il point répandu sur Robespierre ! Dans quel fiel n'avait-il pas trempé sa plume pour le couvrir de ridicule ! N'étaient-ce point Condorcet et ses collaborateurs de la Chronique qui s'étaient ingéniés à faire de lui un prêtre, et à le présenter toujours suivi d'un cortège de dévotes ? Au souvenir de tant d'injustice et de perfidie, Maximilien ne put s'empêcher d'en flétrir l'auteur en passant.

Ah ! les prêtres ! Écoutez ce que pense d'eux l'orateur, et dites si jamais tableau plus saisissant et plus vrai en a été tracé :

Fanatiques, n'espérez rien de nous. Rappeler les hommes au culte pur de l'Être suprême, c'est porter un coup mortel au fanatisme. Toutes les fictions disparaissent devant la vérité, et toutes les folies tombent devant la raison. Sans contrainte, sans persécution, toutes les sectes doivent se confondre d'elles-mêmes dans la religion universelle de la nature. Nous vous conseillerons donc de maintenir les principes que vous avez manifestés jusqu'ici. Que la liberté des cultes soit respectée, pour le triomphe même de la raison ; mais qu'elle ne trouble point l'ordre public, et qu'elle ne devienne point un moyen de conspiration. Si la malveillance contre-révolutionnaire se cachait sous ce prétexte, réprimez-là, et reposez-vous du reste sur la puissance des principes et sur la force même des choses. Prêtres ambitieux, n'attendez donc pas que nous travaillions à rétablir votre empire, une telle entreprise serait même au-dessus de notre puissance. Vous vous êtes tués vous-mêmes, et on ne revient pas plus à la vie morale qu'à la vie physique. Et d'ailleurs, qu'y a-t-il entre les prêtres et Dieu ? Les prêtres sont à la morale ce que les charlatans sont à la médecine. Combien le Dieu de la nature est différent du Dieu des prêtres ! Je ne connais rien de si ressemblant à l'athéisme que les religions qu'ils ont faites. A force de défigurer l'Être suprême, ils l'ont anéanti autant qu'il était en eux ; ils en ont fait tantôt un globe de feu, tantôt un bœuf, tantôt un arbre, tantôt un homme, tantôt un roi. Les prêtres ont créé Dieu à leur image ; ils l'ont fait jaloux, capricieux, avide, cruel, implacable. Ils l'ont traité comme jadis les maires du palais traitèrent les descendants de Clovis, pour régner sous son nom et se mettre à sa place. Ils l'ont relégué dans le ciel comme dans un palais, et ne l'ont appelé sur la terre que pour demander à leur profit des dîmes, des richesses, des honneurs, des plaisirs et de la puissance. Le véritable prêtre de l'Être suprême, c'est la nature ; son temple, l'univers ; son culte, la vertu ; ses fêtes, la joie d'un grand peuple rassemblé sous ses yeux pour resserrer les doux nœuds de la fraternité universelle et pour lui présenter l'hommage des cœurs sensibles et purs. Prêtres, par quel titre avez-vous prouvé votre mission ? Avez-vous été plus justes, plus modestes, plus amis de la vérité que les autres hommes ? Avez-vous chéri l'égalité, défendu les droits des peuples, abhorré le despotisme et abattu la tyrannie ? C'est vous qui avez dit aux rois : Vous êtes les images de Dieu sur la terre, c'est de lui seul que vous tenez votre puissance. Et les rois vous ont répondu : Oui, vous êtes vraiment les envoyés de Dieu, unissons-nous pour partager les dépouilles et les adorations des mortels. Le sceptre et l'encensoir ont conspiré pour déshonorer le ciel et pour usurper la terre. Laissons les prêtres et retournons à la Divinité.

 

Ce morceau fut de tout le discours celui qui excita les plus chaleureux applaudissements ; à chaque instant il avait été interrompu par d'enthousiastes acclamations ; preuve assez manifeste des mauvaises dispositions de la Convention en général à l'égard du clergé ; mauvaises dispositions exagérées encore dans les départements par la plupart des députés en mission. A la suite de ce passage, Robespierre énuméra les diverses fêtes dont la célébration était digne de la République et du peuple français. L'une de ces fêtes devait être consacrée à la mémoire des héros morts pour la liberté. Comme à ce propos il rappelait le souvenir du jeune Barra, qui nourrissait sa mère et qui mourut pour la patrie, des cris formidables de vive la République se firent entendre, poussés par un grand nombre d'enfants admis à la séance avec une députation de la section de la Fontaine Grenelle. De bruyants applaudissements répondirent à ces cris[155]. Quand le silence se fut rétabli, Robespierre reprit la parole pour raconter un acte d'héroïsme d'un autre enfant, acte qui ne le cédait en rien à celui du jeune Barra. C'était au moment où un détachement de rebelles marseillais se disposait à franchir la Durance, pour égorger une petite troupe de républicains désarmés. Il n'y avait qu'un moyen de salut pour ceux-ci : couper le câble du bâtiment qui portait leurs bourreaux. La tentative semblait une chimère ; tout à coup un enfant nommé Viala, s'emparant d'une hache, s'élance au bord du fleuve et frappe le câble de toute sa force. Blessé par une première décharge de mousqueterie, il relève encore sa hache et se dispose à redoubler, quand, atteint mortellement par une seconde décharge, il tombe en s'écriant : Je meurs, cela m'est égal, c'est pour la liberté ! Ce récit arracha à l'Assemblée de nouvelles acclamations. Robespierre termina par des considérations générales pleines de grandeur. Asseyez-vous donc tranquillement sur les bases immuables de la justice. Défions-nous de l'ivresse même des succès. Soyons terribles dans les revers, modestes dans nos triomphes, et fixons au milieu de nous la joie et le bonheur, par la sagesse et par la morale. A la suite de ce rapport, il lut un décret dont le premier article était ainsi conçu :

Le peuple français reconnaît l'existence de l'Être suprême et l'immortalité de l'âme.

Le culte de l'Être suprême devait simplement consister dans la pratique des devoirs de l'homme, au premier rang desquels le rapporteur mettait de détester la mauvaise foi et la tyrannie, de punir les tyrans et les traîtres, de secourir les malheureux, de respecter les faibles, de défendre les opprimés, de faire aux autres tout le bien qu'on pouvait et de n'être injuste envers personne. Une série de fêtes décadaires, instituées pour rappeler l'homme à la pensée de la Divinité et à la dignité de son être, empruntaient leurs noms d'abord des événements glorieux de notre Révolution, puis des vertus les plus chères et les plus utiles. C'est ainsi qu'elles étaient consacrées à l'Être suprême, au genre humain, à la liberté et à l'égalité, à l'amour de la patrie, à la justice, à la vérité, à la pudeur, à l'amitié, à la gloire, non pas, avait dit le rapporteur, à cette gloire qui ravage et opprime le monde, mais à celle qui l'affranchit, l'éclairé, le console, et qui est, après la patrie, la première idole des cœurs généreux. Il y avait aussi la fête du malheur, auquel l'humanité devait consolations et soulagement, avait dit Robespierre, puisqu'elle était impuissante à le bannir de la terre. Ce décret, à jamais fameux, fut adopté d'enthousiasme au milieu d'applaudissements prolongés.

Du rapport dont nous venons de donner une trop rapide analyse, ôtez le nom de Condorcet et une attaque violente contre Danton, et il restera un des plus magnifiques et des plus imposants discours dont se puisse glorifier la tribune française. Un témoin auriculaire a écrit que Robespierre le prononça avec un accent que jamais on n'avait trouvé dans aucune autre bouche[156]. Il ne s'agissait point ici, comme l'ont trop souvent répété la mauvaise foi et l'ignorance, de discuter sur l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme, encore moins de fonder une religion ; la Convention nationale, conséquente avec elle-même, et fidèle au préambule de la constitution décrétée par elle, se contentait de déclarer que le peuple français reconnaissait l'existence de l'Être suprême et l'immortalité de l'âme. Le but de Robespierre fut de ramener dans les consciences troublées un peu de calme et de sérénité, et surtout de mettre fin à l'insupportable intolérance des imitateurs d'Hébert et de Chaumette. Il ne faut point oublier l'article XI du décret : LA LIBERTÉ DES CULTES EST MAINTENUE CONFORMÉMENT AU DÉCRET DU 18 FRIMAIRE[157]. Il y eut là tout simplement, on le voit, de la part de la Convention, un acte politique, parfaitement moral et parfaitement sensé. Permis à certains dévots de l'athéisme, permis à tous les tartufes du catholicisme de plaisanter et de s'indigner, il n'en reste pas moins dans ce décret une protestation superbe contre le matérialisme grossier dont une secte, formée de quelques irréligieux de bonne foi et d'une foule de contre-révolutionnaires déguisés, prétendait inonder la France, et contre une intolérance imaginée pour pousser les consciences à la révolte. Charles Nodier a donc eu grandement raison d'écrire : J'ai entendu souvent ridiculiser la déclaration du peuple français qui reconnaissait l'Être suprême et l'immortalité de l'âme. J'avoue que, les dogmes admis, le côté bouffon de cette formule m'échappe tout à fait, et, pour compléter ma pensée, j'ajoute que je la trouve très-convenable et très-belle. Seulement, pour l'apprécier, il faut prendre la peine de se transporter au temps. Rien n'était plus. C'est donc ici la pierre angulaire d'une société naissante. C'est le renouvellement d'un monde ; c'est le cri de ce monde éclos d'un autre chaos, qui se rend compte de sa création et qui rend hommage à son auteur, l'élan de la société entière, le jour où elle a retrouvé les titres oubliés de sa destination éternelle[158]. On va voir combien est vraie cette appréciation de Nodier.

 

XV

A la suite de la lecture du rapport de Robespierre, dont la Convention nationale ordonna l'impression aux frais de la République et l'envoi a tous les départements, aux armées, aux sociétés populaires[159], David développa un plan de fête à l'Être suprême, fête fixée par le dernier article du décret au 20 prairial prochain.

Sur la proposition d'un membre, il fut décidé que le plan de l'artiste serait joint au discours de Robespierre, puis Couthon fit décréter que ce discours serait traduit dans toutes les langues et affiché en placards sur tous les murs[160].

Dans la soirée même du 18 floréal (7 mai 1794), Lequinio parut aux Jacobins. D'une voix profondément émue, il rendit compte de la séance de la Convention, et ne ménagea pas la louange à ce Robespierre parmi les calomniateurs duquel il devait figurer un jour. Il parla du rapport de Maximilien comme d'un des plus beaux qui aient jamais été prononcés à la tribune nationale. Chaque phrase, dit-il, était applaudie. Nous aurions voulu l'applaudir toutes les fois qu'il imprimait dans nos âmes des sentiments élevés et dignes de la liberté. Il est grand dans ses idées politiques et morales, il est grand dans tous ses détails[161]. A sa voix, la société pria Robespierre de donner lecture de son discours, ce que fit Maximilien au milieu des plus vives acclamations. Il est difficile de rendre bien compte du prodigieux effet que d'un bout de la France à l'autre produisit ce discours monumental. On eût dit que le pays renaissait à la vie. Ce fut une ivresse générale. Un des plus vils calomniateurs de Robespierre, un de ces suppôts de la Terreur qui après Thermidor ont essayé de rejeter sur le vaincu la responsabilité des excès auxquels il s'était en vain opposé, l'ex-juré Vilate, n'a pu s'empêcher d'avouer que Robespierre, ouvrant enfin les yeux sur tant de calamités publiques, avait, dans son discours sur la Divinité, semblé de bonne foi résolu a arrêter le torrent dévastateur. Le géant Robespierre offrait au cœur des hommes, avec tous les charmes séducteurs de l'éloquence philanthropique, le dogme consolateur de l'Être suprême et de l'immortalité de l'âme[162]. Il y eut un enthousiasme qui ne s'était jamais vu, et dont jamais peut-être on ne retrouvera d'exemple. De toutes parts affluèrent à la Convention nationale des adresses où on la félicitait vivement de sa profonde sagesse. Les diverses sociétés populaires de la capitale vinrent en foule complimenter l'Assemblée. Aux Jacobins, la rédaction d'une adresse à la Convention donna lieu, le 26 floréal (15 mai 1794), à quelques débats qui prouvèrent une fois de plus l'esprit de tolérance de Maximilien. Le rédacteur de cette adresse, — c'était le jeune Jullien — avait dit d'après Rousseau, qu'on devrait bannir de la République tous ceux qui ne croiraient pas à la Divinité. — Platon voulait en chasser les poètes. — Ce fut Robespierre qui se chargea de donner cette fois une leçon de tolérance à son jeune ami. Ce principe, dit-il, ne doit pas être adopté. Ceux-là seuls méritaient d'être poursuivis, selon lui, qui écrivaient contre la liberté. Quant à la maxime de Rousseau, c'était peut-être une vérité bonne à insérer dans un livre, mais il fallait, ajouta-t-il, la laisser dans les écrits de Rousseau, et ne pas la mettre en pratique. L'adresse fut adoptée avec cette modification[163]. Le lendemain, à la députation du club des Jacobins, dont l'orateur fit entendre comme un lointain écho de la Profession du vicaire savoyard, Carnot qui présidait la Convention répondit par un discours où les sentiments déistes ne le cédaient en rien à ceux de Maximilien. Invoquer l'Être suprême, dit-il dans un mouvement de véritable éloquence, c'est appeler à son secours le spectacle de la nature, les tableaux qui chassent la douleur, l'espérance qui console l'humanité souffrante[164]. Le conseil général de la commune de Paris, ayant le maire à sa tête, vint aussi, à la barre de l'Assemblée, applaudir aux vérités sublimes et éternelles développées dans le rapport de Robespierre, et remercier la Convention du décret rendu par elle à la suite de ce rapport[165].

Un grave changement s'était dès lors opéré au sein de la commune. Déjà, dès le 8 germinal (28 mars 1794), Payan, ex-juré au tribunal révolutionnaire, avait, sous le nom d'agent national, remplacé Chaumette comme procureur de la commune de Paris[166]. Payan voyait souvent Barère et Maximilien[167], mais il faisait bien plus de cas du second, auquel le rattachait une étroite communauté d'idées et de sentiments. Robespierre estimait Payan un homme énergique et probe, capable des fonctions les plus importantes[168] ; et il ne se trompait pas, comme on le verra. C'était ce Payan qui disait avec tant de raison[169] : Les représentants du peuple peuvent produire les plus grands biens ou les plus grands maux. Combien en est-il qui ignorent les vrais moyens de conduire le peuple, et savent le tourner en ridicule ou faire des mascarades avec les vêtements de prêtres. Le lendemain du 18 floréal il écrivait à Robespierre : Je n'ai pu entendre hier sans attendrissement plusieurs morceaux de votre rapport. C'est sans contredit le rapport le plus parfait qui ait été fait ; les idées en sont grandes, neuves et sublimes. Il va rallier à la même doctrine les patriotes des départements incertains et divisés ; il ne crée point une religion et des prêtres, mais prouve que les législateurs ne veulent point ravir au peuple le dogme consolant de l'existence de Dieu et de l'immortalité de l'âme[170]. Si l'influence de Robespierre fut pour quelque chose dans la nomination de Payan au poste d'agent national, ce fut assurément une influence heureuse, car on ne pouvait faire un meilleur choix. Un tel homme était digne de mourir avec Robespierre.

Assez fortement compromis dans l'échauffourée hébertiste, Pache avait dû très-probablement à la protection de Maximilien, dont il était particulièrement estimé, de n'avoir pas été tout d'abord inquiété. Il avait même été maintenu dans sa place de maire, mais il comptait parmi les membres des comités des ennemis redoutables, et le 21 floréal (10 mai 1794) il fut arrêté par ordre des comités de Salut public et de Sûreté générale, malgré Robespierre, qui refusa de signer le mandat d'arrestation[171]. Il eut du reste pour remplaçant un homme jeune encore, d'un patriotisme éprouvé, l'architecte Fleuriot-Lescot, que la Convention nationale avait successivement appelé aux fonctions de substitut de l'accusateur public lors de l'établissement du tribunal révolutionnaire et à celles de membre de la commission des travaux publics[172]. Ainsi réorganisée, la commune de Paris cessa d'être une sorte de gouvernement révolutionnaire à part, ayant ses procédés à lui et ses catégories de suspects particulières, ces fameuses catégories inventées par Chaumette. Elle ne fut point, comme on l'a dit, à la dévotion de Robespierre ; seulement il y eut entre elle et le comité de Salut public beaucoup plus de cohésion. Si au 9 Thermidor elle prit parti pour Maximilien, ce fut parce que les patriotes intègres qui la composaient préférèrent se ranger du côté de la justice et du droit et embrasser la cause de la Révolution.

Quant à Robespierre, son discours sur les rapports des idées religieuses et morales avec les principes républicains lui donna un ascendant prodigieux sur les âmes, mais un ascendant essentiellement moral. Un arrêté du comité de Salut public enjoignant aux agents nationaux de toutes les communes de France de faire lire publiquement pendant un mois, chaque décade, dans les édifices publics, le rapport et le décret du 18 floréal, acheva de le grandir dans l'opinion[173]. Bientôt l'enthousiasme pour lui ne connut plus de bornes et revêtit toutes les formes. Dans certaines communes on se fit un devoir d'apprendre par cœur les morceaux les plus frappants de son discours[174]. Ce fut de toutes parts un immense concert de louanges. Il n'est pas jusqu'à l'impur Guffroy qui, saisi d'émotion, ne se soit écrié à propos de ce discours : Français, empressez-vous de vous le procurer tout entier ; lisez et relisez-le dans vos foyers ; il sera senti par les âmes françaises ; les enfants y ont applaudi et j'ai vu couler des larmes vertueuses[175]. Robespierre fut véritablement inondé de lettres de félicitations. Toi qui éclaires l'univers par tes écrits, saisis d'effroi les tyrans et rassures le cœur de tous les peuples, lui écrit l'un, tu remplis le monde de ta renommée ; tes principes sont ceux de la nature, ton langage celui de l'humanité ; ton génie et ta sage politique sauvent la liberté ; tu apprends aux Français, par les vertus de ton cœur et l'empire de la raison, à vaincre ou mourir pour la liberté et la vertu, et à la France, jadis si fière et si hautaine, à adorer l'égalité[176]. — Tous les braves Français sentent avec moi de quel prix sont vos infatigables efforts pour assurer la liberté, lui avait écrit antérieurement un de ses fervents admirateurs. La couronne civique, le triomphe, vous sont dus, et ils vous seront déférés, en attendant que l'encens civique fume devant l'autel que nous vous élèverons, et que la postérité révérera tant que les hommes connaîtront le prix de la liberté[177]. Ici, c'est une dame nommée Saint-Val qui lui adresse ces lignes : Quels travaux immenses, quelle marche rapide à l'immortalité ! L'histoire ne peindra jamais assez parfaitement tant de vertus, de talents et de courage ![178] Là, c'est une jeune Nantaise, dont le mari avait péri dans la guerre de la Vendée, et qui lui offre sa main avec quarante mille livres de rente. Tu es ma divinité suprême et je n'en connais pas d'autre sur la terre que toi. Je te regarde comme mon ange tutélaire et ne veux vivre que sous tes lois. Elles sont si douces que je fais le serment, si tu es aussi libre que moi, de m'unir à toi pour la vie ![179] Mais, si Robespierre pouvait être sensible à tant d'hommages partis du cœur, il n'était pas homme à se laisser séduire par la perspective d'un mariage d'argent.

L'enthousiasme, avons-nous dit, revêtit toutes les formes. Tantôt c'est un père qui lui écrit[180] : La nature vient de me donner un fils ; j'ai osé le charger du poids de ton nom. Puisse-t-il être aussi utile et aussi cher à sa patrie que toi ! Mes vœux. les vœux d'un père, ne voient rien au delà. Tantôt c'est un de ses anciens camarades qui veut à toute force le revoir. Je veux rassasier mes yeux et mon âme de tes traits, et mon âme, électrisée de toutes les vertus républicaines, rapportera chez moi de ce feu dont tu embrases tous les bons républicains[181]. A chaque instant, dans ces lettres, reviennent les expressions : Flambeau, colonne, pierre angulaire de l'édifice de la République française[182], génie incorruptible, protecteur des patriotes, homme éloquent et vraiment philosophe[183]. Si considérable fut le nombre des lettres enthousiastes adressées à Robespierre dans le cours de son existence révolutionnaire, que Courtois lui-même le taxa d'infini et qu'il se contenta de publier celles dans lesquelles il crut trouver des armes contre Maximilien dans l'excès même d'enthousiasme dont elles étaient animées. Dans toutes on le salue comme un apôtre de la liberté et de l'égalité, non comme un maître ou un aspirant à la dictature, ce à quoi ne prêtaient guère ni les actes ni les paroles de Robespierre. Si le conseil général de la commune de Marion lui écrit qu'à la fin d'un Te Deum on a mêlé aux cris de : Vive la République ! celui de : Vive Robespierre ! c'est parce qu'il sait bien que c'est à lui qu'est dû le peu qui reste de la liberté des cultes[184]. Ne sont-elles pas propres à faire pénétrer la conviction dans les cœurs les plus incrédules, ces lignes suivantes d'un citoyen nommé Vaquier : L'inappréciable réputation que vous vous êtes faite, par vos actions et par vos écrits, d'ennemi déclaré des tyrans et du despotisme... d'homme éminemment sensible, humain et bienfaisant, réputation sur laquelle vos ennemis même n'élèvent pas le plus petit doute, m'encourage à vous demander un moment d'entretien particulier pour vous fournir une occasion d'exercer un acte de charité[185]. Est-ce que toutes ces lettres ne démontrent pas péremptoirement que, de tous les hommes de la Révolution, Robespierre était le plus haut placé dans l'estime et dans l'admiration de la France ? Croyez donc, après cela, au mensonge thermido-royaliste, remis en faveur par un écrivain de nos jours[186], à savoir que Maximilien était regardé par ses contemporains comme la pierre angulaire du système de la Terreur. Il suffit d'avoir étudié la Révolution autre part que dans les libelles et dans les Mémoires intéressés de certains personnages de l'époque pour se convaincre que c'est là une misérable calomnie.

Non, ce n'était point à un fanatique de la Terreur que la sœur de Mirabeau, récemment secourue par la Convention, écrivait les lignes suivantes en le priant d'appuyer une proposition adressée par elle au comité de Salut public d'enseigner gratis aux enfants le catéchisme de la nature présenté à la Convention : Cher Robespierre, ne crois pas que l'intérêt me domine jamais... J'aurai des vertus en suivant tes conseils et tes exemples, et, loin de toi, peut-être un autre air que le sol que tu habites me perdrait. Non, ferme et invariable, tu es un aigle qui plane dans les cieux ; ton esprit, ton cœur, sont séduisants ; l'amour du bien est ton cri d'armes ; le mien est que tu vives longtemps pour le bonheur d'une Convention que j'aime[187]. Un événement tout à fait inattendu vint encore le rehausser dans l'opinion publique et accroître l'intérêt qui s'attachait à lui.

 

XVI

Le 4 prairial (23 mai 1794), vers une heure du matin, un coup de feu fut tiré sur Collot-d'Herbois, au moment où il rentrait chez lui, et le blessa légèrement. L'auteur de cette tentative d'assassinat était un individu nommé Ladmiral, ancien employé à la loterie royale comme garçon de bureau, et que la perte de sa place avait animé d'une haine sourde et profonde contre la République. Depuis trois mois il logeait rue Favart, près du théâtre de ce nom, dans une maison habitée par Collot-d'Herbois. Ce n'était cependant pas ce dernier représentant qu'il avait tout d'abord projeté d'assassiner. La veille, en effet, il était sorti de chez lui sur les huit heures du matin et était allé par les boulevards jusqu'à la rue Saint-Honoré. Il s'était adressé à une fruitière pour savoir où demeurait Robespierre, qu'il avait l'intention de frapper. On lui avait indiqué la maison, et il était alors entré dans la cour de Duplay ; mais un volontaire avec le bras en écharpe et une citoyenne lui avaient déclaré que Maximilien étant occupé il était inutile de chercher à le voir. Il s'était retiré et avait été déjeuner sur la terrasse des Feuillants, d'où il s'était rendu à la séance de la Convention[188]. En sortant de l'Assemblée, où il s'était endormi à la lecture d'un rapport peu intéressant, il était allé se poster dans une des galeries conduisant au comité de Salut public afin d'y attendre sa victime. Robespierre n'ayant point paru, il s'était retiré, avait ensuite erré de café en café jusqu'à onze heures du soir, heure à laquelle il avait regagné son logis avec le dessein de s'en prendre à Collot-d'Herbois. Ce misérable, qui depuis longtemps vivait largement sans rien faire, affichant les dehors d'un patriotisme exagéré, était-il l'instrument salarié de la contre-révolution ? C'est chose assez probable. Toutefois il resta muet sur ses complices, et emporta son secret dans la tombe.

Barère, en prenant la parole au nom du comité de Salut public, dans la séance du 4 prairial, pour donner à la Convention des détails sur l'événement de la nuit, ne manqua pas de rattacher cette tentative d'assassinat aux manœuvres de l'étranger. A ce sujet, il lut un extrait curieux d'une lettre adressée au commissaire des relations extérieures par un de nos agents en Hollande, lettre où l'on insistait beaucoup sur la nécessité d'employer toute la vigilance possible pour prévenir les complots dirigés de Londres contre les membres du comité de Salut public, et particulièrement contre Robespierre, qui, de tous les membres du comité se trouvant le plus en vue par sa popularité, devait être nécessairement le point de mire de toutes les attaques. Et comme preuve de ce qu'il avançait, le correspondant du comité citait le passage suivant d'une lettre d'un des agents de Pitt, agent avec lequel il était entré en relations : Nous craignons beaucoup l'influence de Robespierre. Plus le gouvernement français républicain sera concentré, dit le ministre, plus il aura de force, et plus il sera difficile de le renverser[189]. Ah ! combien avait raison le ministre anglais ! On a généralement cru voir dans cette citation une petite malice de la part de Barère à l'égard de Maximilien, c'est une erreur. Il n'y avait point encore de désunion sensible entre les membres du comité, et si peu de confiance que j'aie dans le caractère équivoque de Barère, je puis répondre qu'il agit ici dans la sincérité de son cœur. Le Moniteur et le Bulletin de la Convention nationale ayant imprimé la note lue par lui comme si elle était une partie intégrante de son discours, il vint réclamer lui-même le surlendemain, avec beaucoup de vivacité contre les interprétations dangereuses auxquelles serait de nature à donner lieu la rédaction erronée de ces deux journaux. On pourrait en induire que la Convention n'existe plus, n'est plus rien ; que les armées ne se battent plus que pour un seul homme à qui nous devons plus de justice. Cet homme est pur, et c'est parce que le gouvernement britannique sait bien qu'il veut l'établissement de la République, qu'il le craint, et qu'il déchaîne contre lui tous ses agents[190]. Les ennemis de Robespierre n'allaient pas tarder à tirer un merveilleux parti de ces dispositions des cours de l'Europe à tout ramener à lui, précisément parce qu'elles le considéraient, non sans raison, comme le plus fort pilier de la Révolution ; mais il ne faut pas faire d'avance de Barère le complice des Fouché, des Tallien et des Rovère.

L'émotion produite dans Paris par l'attentat de Ladmiral était à peine calmée, que Maximilien se trouvait encore l'objet d'une sorte de tentative d'assassinat. On dit, s'écria Taillefer à la séance du 5 prairial, qu'une nouvelle Corday a voulu attenter aux jours de Robespierre. Voici ce qui était arrivé. La veille au soir, sur les neuf heures, une jeune personne d'une vingtaine d'années, nommée Cécile Renault, fille d'un papetier de la rue de la Lanterne, dans la Cité, s'était présentée au domicile des Duplay, et avait instamment demandé à parler à Robespierre. Comme on lui avait répondu qu'il n'était point chez lui, elle avait témoigné beaucoup d'humeur et s'était emportée en invectives. Elle s'était écriée, d'un ton fort insolent, qu'il était bien extraordinaire qu'il ne fût point dans son appartement, étant fonctionnaire public et fait pour répondre à tous ceux qui avaient besoin de lui parler. L'étrange langage, l'attitude exaltée de cette jeune fille ayant éveillé les soupçons des personnes présentes, on l'avait arrêtée, et l'on avait trouvé sur elle les deux couteaux[191]. Dans l'instruction, elle s'exprima avec une grande fermeté. Interrogée sur les motifs qui l'avaient déterminée à se rendre chez Robespierre, elle répondit qu'elle avait été chez lui pour voir comment était fait un tyran, et qu'elle aimait mieux un roi que cinquante mille despotes[192]. Cette réponse, si conforme à ce que répétaient sur tous les tons les ennemis de la Révolution, indiquait suffisamment quels étaient les sentiments de la jeune fille ; elle fut menée en prison, d'où elle sortira, sur un rapport d'Élie Lacoste, pour paraître devant le tribunal révolutionnaire.

Les amis de Maximilien avaient dès longtemps prévu qu'un jour ou l'autre on chercherait à frapper la République en sa personne. Les craintes dont tu m'as si souvent entretenu n'étaient que trop fondées, écrivait à Saint-Just son collègue Le Bas, qui arriva à Paris dans la soirée du 6 prairial. Le comité de Salut public crut à un vaste complot. Les rassemblements pour les denrées étaient devenus plus nombreux et plus turbulents que jamais, et cela sans raison, l'abondance étant depuis longtemps revenue. Cette coïncidence avec la double tentative d'assassinat dirigée contre deux de ses membres parut au comité l'indice d'un soulèvement aristocratique prêt à éclater. En conséquence, le 6 prairial, il manda à Saint-Just, alors en mission dans le Nord : La liberté est exposée à de nouveaux dangers. Le comité a besoin de réunir les lumières et l'énergie de tous ses membres. Calcule si l'armée du Nord que tu as puissamment contribué à mettre sur le chemin de la victoire, peut se passer quelques jours de ta présence[193]. Saint-Just accourut ; il était le 10 à Paris. Il y resta en tout huit jours ; mais les craintes du comité ne s'étant point réalisées, il repartit le 19 pour l'armée, où la gravité des événements rendait sa présence indispensable[194].

Quand on lit aujourd'hui les témoignages d'idolâtrie prodigués à Robespierre à l'occasion des tentatives heureusement avortées de Ladmiral et de Cécile Renault, on est stupéfait de penser qu'il fallut si peu de temps pour couvrir d'opprobre et d'ignominie un nom si glorieux et si éclatant, objet de tant de sympathies et d'intérêt, et l'on s'écrie douloureusement avec le poète :

Comment en un plomb vil l'or pur s'est-il changé ?

Députations des sociétés populaires se succédant à la Convention nationale, démarche du conseil général de la commune de Paris venant jurer de redoubler de vigilance pour sauvegarder la vie des représentants du peuple[195], adresses des départements, lettres touchantes où l'on remerciait l'Être suprême d'avoir veillé sur ses jours, rien ne manqua à son ovation. Ici c'est le citoyen Lespomarède, président de la société populaire de Strasbourg, qui, à une séance extraordinaire de la société, rend grâces à Dieu d'avoir sauvé Robespierre, le faisceau de toutes les vertus[196] ; là ce sont les acteurs de l'ancien théâtre de la Montansier qui complimentent Maximilien en ces termes : Permets que des artistes toujours reconnaissants des importants services que tu rends à notre mère commune, la patrie, te fassent part de l'affreuse tristesse qu'ils ont éprouvée à la première nouvelle de ton assassinat. Accepte ce faible tribut de notre reconnaissance, et sois assuré qu'il n'en est pas un de nous qui ne voulût te servir d'égide si le moindre danger semblait te menacer encore...[197] Garran de Coulon, de son côté, écrivait à son ami Carnot du fond des Pyrénées-Orientales, où il était en mission : Les dangers que viennent de courir Collot-d'Herbois et Robespierre ont affecté les bons républicains de cette contrée ; tous m'en sont venus témoigner leur douleur et leur indignation. Comment ! vouloir assassiner nos meilleurs défenseurs !... Nous les vengerons ! se sont-ils écriés avec le sentiment d'une juste fureur. Embrasse pour moi tes deux aimables collègues...[198] Preuve assez manifeste que Robespierre n'avait point l'aspect renfrogné sous lequel l'ont peint ceux qui l'ont assassiné.

 

XVII

Mais où l'enthousiasme dépassa toutes les bornes, ce fut aux Jacobins, dans la séance du 6 prairial (25 mars 1794). L'entrée de Maximilien, comme celle de Collot-d'Herbois qui partagea avec lui les honneurs de cette séance, y fut saluée par de frénétiques applaudissements, et sur la motion de Bentabole, l'accolade fraternelle fut donnée à Robespierre par le président. — C'était Voulland, un de ses futurs proscripteurs.- Legendre se précipita à la tribune, et s'écria : La main du crime s'est levée pour frapper la vertu, mais le Dieu de la nature n'a pas souffert que le crime fût couronné. Puis, il invita les patriotes à redoubler de surveillance et à ne point laisser aller seuls des représentants dont l'existence était si utile à la République.

Cette idée de donner une garde aux députés de la nation, favorablement accueillie par un grand nombre de membres, fut vivement combattue par Dumas et par Couthon. Jamais des représentants du peuple ne le souffriront, eût-elle le nom de garde d'amitié, dit le premier ; et Couthon : J'aime à croire que cette proposition est partie d'une intention pure, mais je dirai qu'il n'y a que les despotes qui veulent avoir des gardes, et que nous ne sommes pas faits pour leur être assimilés. Couthon savait bien tout le parti que la malveillance aurait pu tirer de la singulière idée du boucher Legendre, et il eut raison de protester contre une motion au moins imprudente, si elle n'était pas le résultat d'un calcul perfide. Quel beau jeu n'eût pas eu la calomnie si Robespierre ne s'était pas empressé de repousser lui-même le présent qu'on semblait lui offrir. Il parut à la tribune à son tour et, en quelques paroles heureusement trouvées, il sut rester modeste devant une telle explosion d'enthousiasme. Les défenseurs de la liberté, il ne l'ignorait point, étaient prédestinés à la rage des factions et aux poignards des tyrans, aussi n'entrait-il pas dans leurs calculs de vivre une longue suite d'années. Mais il était plus facile de les assassiner que de vaincre leurs principes. Quand les puissances tyranniques de l'Europe se liguent pour étouffer notre immortelle Révolution, ajouta-t-il, un ardent partisan des droits sacrés de l'homme ne doit pas s'imaginer qu'il doit vivre longtemps. Le ton dont fut prononcée cette virulente improvisation, l'éclair rapide dont était illuminée la physionomie de l'orateur, le défi hautain jeté par lui à tous les despotes du monde et à leurs agents, électrisèrent tous les assistants. Voyez-nous exposés à vos poignards, le sein à découvert, ne voulant pas être environnés de gardes, disait-il aux tyrans. Frappez, nous attendons vos coups ; calculez avec quelle facilité quelques centaines d'assassins peuvent enfoncer le glaive meurtrier dans le cœur de l'homme de bien qui n'a pour défense que ses vertus, la surveillance du peuple et la Providence. Et certes si quelqu'un avait le droit de s'exprimer ainsi, c'était bien Robespierre. Voici en quels termes le Moniteur rendit compte du prodigieux effet produit par ses paroles : Des applaudissements unanimes et prolongés suivent ce discours énergique où brillent la vraie bravoure, la grandeur d'âme républicaine, le plus généreux dévouement à la cause de la liberté et la philosophie la plus prononcée.

Comme Robespierre achevait de parler, un jeune homme se leva pour demander que dans la prochaine fête du 20 prairial des honneurs civiques fussent rendus au serrurier Geffroy, grièvement blessé en arrêtant l'assassin de Collot-d'Herbois ; ce jeune homme, c'était Rousselin. Pareille proposition, venant d'un des plus fervents amis de Danton, devait naturellement paraître suspecte à Robespierre. Il y vit une singulière connexité avec celle de donner des gardes aux représentants du peuple, et il remonta à la tribune pour les combattre résolument l'une et l'autre. Il montra comment toutes deux étaient de nature à jeter une défaveur marquée sur les députés de la nation, que ne tarderaient pas à accabler l'envie et la calomnie s'ils se trouvaient chargés d'honneurs superflus ; comment enfin on parviendrait ainsi à tourner contre eux toutes les inventions de la haine, et surtout à leur ravir la satisfaction d'agir avec désintéressement. Tout Robespierre est bien dans cette dernière raison, décisive à ses yeux. Maximilien, paraît-il, avait été averti des projets du jeune Rousselin, car il lui reprocha d'être venu aux Jacobins avec l'idée de leur demander d'aller en corps, dans le temple de la Raison, rendre grâces à l'Être suprême d'avoir conservé les jours de deux représentants du peuple. C'eût été là un retour à l'idolâtrie monarchique, et Robespierre signala avec une certaine indignation tes inconvénients d'une pareille mesure, à la proposition de laquelle Rousselin n'avait renoncé, prétendit-il, que sur les vives représentations de quelques patriotes.

Couthon vint ensuite annoncer à la société que ce jeune homme avait été dénoncé au comité de Sûreté générale et accusé, entre autres faits, d'avoir dépensé, dans une mission surprise au comité de Salut public, une somme de quatre-vingts à cent mille livres. Il n'en fallut pas davantage pour faire prononcer sur-le-champ l'exclusion de Rousselin, au cœur duquel resta toujours comme une plaie saignante la trace de cet affront[199].

Le lendemain 7 prairial (26 mai 1794), ce fut le tour de Barère de venir rendre compte à la Convention de la tentative d'assassinat commise contre Maximilien, et cette tentative, il l'attribua aux manœuvres de l'étranger. Les journaux anglais ne prophétisaient-ils pas quelques jours auparavant la fin de Robespierre ? Barère signala de nouveau la perfidie avec laquelle les agents de la contrerévolution s'attachaient à présenter ce membre du comité de Salut public comme le souverain maître des destinées de la France, et à faire remonter à lui la responsabilité de tous les actes de la Convention et de ses comités. Il lut plusieurs extraits du Courrier de l'Europe, journal britannique, rédigé en français et payé par le cabinet de Londres, où il n'était question que des soldats de Robespierre. On disait en Angleterre : Robespierre a fait ordonner, ou les soldats de Robespierre ont pris telle place, comme si le gouvernement était dans un seul homme ; et cette formule, renouvelée des Brissot et des Louvet, était répétée en France par tous les agents de la contre-révolution. C'était une manière de discréditer à la fois la Convention nationale, le comité de Salut public, et d'ôter la confiance du peuple, confiance si bien méritée, ajoutait Barère, au représentant qu'à deux reprises on avait tenté de faire assassiner. Et Barère était de bonne foi en s'exprimant ainsi, je le maintiens ; il ne faut pas antidater ses lâchetés. Nul souffle n'ébranlait encore la prodigieuse popularité de Maximilien ; nous étions au 7 prairial, c'est à peine si dans les têtes de quelques hommes perdus de crimes commençait a germer le projet de renverser celui qui voulait asseoir la République sur les bases de la morale et du droit. Robespierre, en un mot, jouissait encore d'un crédit immense sur la Convention ; Barère, qui se rangeait toujours du parti du plus fort, n'avait donc aucun intérêt à se déclarer contre lui. D'ailleurs, s'il y avait eu perfidie dans les intentions de Barère, Maximilien n'aurait pas manqué de s'en apercevoir, et il se fût empressé de protester contre les insinuations de son collègue.

On connaît le décret sauvage unanimement adopté par la Convention à la suite du long rapport où Barère imputait au gouvernement britannique tous les malheurs de la France : Il ne sera fait aucun prisonnier anglais ou hanovrien. A peine cette sombre et farouche réponse de la France républicaine aux incessantes provocations de l'Angleterre venait-elle d'être proclamée que Robespierre parut à la tribune, accompagné des acclamations de ses collègues. Si jamais sentiments désintéressés furent noblement exprimés, si jamais protestations éloquentes contre toute espèce de dictature tombèrent de la bouche d'un homme, ce fut à coup sûr ce jour-là. Ce sera un beau sujet d'entretien pour la postérité, dit en commençant Robespierre, c'est déjà un spectacle digne de la terre et du ciel, de voir l'Assemblée des représentants du peuple français placée sur un volcan inépuisable de conjurations, d'une main apporter aux pieds de l'éternel Auteur des choses les hommages d'un grand peuple, de l'autre lancer la foudre sur les tyrans conjurés contre lui, fonder la première république du monde et rappeler parmi les mortels la liberté, la justice et la nature exilées. A ce grave début les applaudissements les plus vifs retentirent. Ils périront, continua Robespierre, tous les tyrans armés contre le peuple français ; elles périront toutes les factions qui s'appuient sur leur puissance pour détruire notre liberté. Vous ne ferez pas la paix, mais vous là donnerez au monde et vous l'ôterez au crime. Les ennemis de la Révolution avaient employé tous les moyens pour la vaincre, mais ils ne réussiraient pas, Robespierre en avait la certitude. Ils avaient espéré prendre le peuple par la famine, et l'abondance renaissait, et les subsistances étaient assurées ; ils avaient formé le projet de dissoudre la Convention nationale au moyen de la trahison, de la révolte, de la corruption, et la Convention s'était relevée triomphante sur la ruine des factions. Ils ont, continuait Maximilien, essayé de dépraver la morale publique et d'éteindre les sentiments généreux dont se compose l'amour de la liberté et de la patrie, en bannissant de la République le bon sens, la vertu et la Divinité. Nous avons proclamé la Divinité et l'immortalité de l'âme, nous avons commandé la vertu au nom de la République, il leur reste l'assassinat. Réjouissons-nous donc et rendons grâces au ciel, puisque nous avons assez bien servi notre patrie pour avoir été jugés dignes des poignards de la tyrannie. Il est donc pour nous de glorieux dangers à courir ! Le séjour de la cité en offre au moins autant que le champ de bataille... Nous payons de plus d'une manière notre dette à la patrie. Ô rois et valets des rois, ce n'est pas nous qui nous plaindrons du genre de guerre que vous nous faites, et nous reconnaissons d'ailleurs qu'il est digne de votre prudence auguste. Il est plus facile en effet de nous ôter la vie que de triompher de nos principes ou de nos armées. L'Angleterre, l'Italie, l'Allemagne, la France elle-même vous fourniront des soldats pour exécuter ces nobles exploits. Quand les puissances de la terre se liguent pour tuer un faible individu, sans doute il ne doit pas s'obstiner à vivre ; aussi n'avons-nous pas fait entrer dans nos calculs l'avantage de vivre longuement. Ce n'est point pour vivre que l'on déclare la guerre a tous les tyrans et, ce qui est plus dangereux encore, à tous les fripons. Ah ! comme il avait raison, lui qui devait tomber sous les coups des plus vils coquins de l'Assemblée ! Interrompu par les applaudissements, il reprit d'un accent de plus en plus ému : Quel homme sur la terre a jamais défendu impunément les droits de l'humanité ? Il y a quelques mois, je disais à mes collègues du comité de Salut public : Si les armées de la République sont victorieuses, si nous démasquons les traîtres, si nous étouffons les factions, ils nous assassineront ; et je n'ai point du tout été étonné de voir réaliser ma prophétie. Je trouve même, pour mon compte, que la situation où les ennemis de la République m'ont placé n'est pas sans avantage ; car plus la vie des défenseurs de la liberté est incertaine et précaire, plus ils sont indépendants de la méchanceté des hommes. Entouré de leurs assassins, je me suis déjà placé moi-même dans le nouvel ordre de choses où ils veulent m'envoyer ; je ne tiens plus à une vie passagère que par l'amour de la patrie et par la soif de la justice, et, dégagé plus que jamais de toute considération personnelle, je me sens mieux disposé à attaquer avec énergie tous les scélérats qui conspirent contre mon pays et contre le genre humain. Plus ils se dépêchent de terminer ma carrière ici-bas, plus je veux me hâter de la remplir d'actions utiles au bonheur de mes semblables. Je leur laisserai du moins un testament dont la lecture fera frémir les tyrans et tous leurs complices. De frénétiques applaudissements l'interrompirent de nouveau et lui prouvèrent que l'immense majorité de la Convention était avec lui. Mais les Tallien, les Bourdon, les Fouché, les Rovère, les Carrier, de quels frémissements de colère sourde ne devaient-ils pas être saisis en entendant Robespierre flétrir les intrigues et les vices comme ramenant nécessairement les peuples à la tyrannie ! Confiant dans les principes de la Convention, Maximilien comptait sur elle, et sur elle seule, pour consolider la liberté ; et avec quelle voix de prophète il ajoutait : Si la France était gouvernée pendant quelques mois par une législature corrompue ou égarée, la liberté serait perdue, la victoire resterait aux factions et à l'immoralité. N'est-ce pas là précisément ce qui se réalisera de point en point après Thermidor ! En dénonçant au monde toute cette foule de fripons, d'étrangers, de contre-révolutionnaires hypocrites venant se placer entre le peuple et ses représentants pour tromper l'un et calomnier les autres, pour entraver leurs opérations, pour tourner contre le bien public les lois les plus utiles et les vérités les plus salutaires, il aiguisait peut-être contre lui des poignards, il le savait bien, mais une telle considération n'était pas de nature à lui fermer la bouche.

N'est-elle pas tout à fait noble et touchante cette péroraison : J'ai assez vécu, j'ai vu le peuple français s'élancer du sein de l'avilissement et de la servitude au faîte de la gloire et de la liberté ; j'ai vu ses fers brisés et les trônes coupables qui pèsent sur la terre près d'être renversés sous ses mains triomphantes ; j'ai vu un prodige plus étonnant encore, un prodige que la corruption monarchique et l'inexpérience des premiers temps de notre Révolution permettent à peine de regarder comme possible : une Assemblée investie de la puissance de la nation française, marchant d'un pas rapide et ferme vers le bonheur public, dévouée à la cause du peuple et au triomphe de l'égalité, digne de donner au monde le signal de la liberté et l'exemple de toutes les vertus. Achevez, citoyens, achevez vos sublimes destinées ; vous nous avez placés à l'avant-garde pour soutenir le premier effort des ennemis de l'humanité ; nous mériterons cet honneur. Puissiez-vous déployer constamment cette énergie inaltérable dont vous avez besoin pour étouffer tous les monstres de l'univers conjurés contre vous, et jouir ensuite en paix des bénédictions du peuple et du fruit de vos vertus. L'émotion de l'orateur s'était communiquée à l'Assemblée tout entière ; quand il descendit de la tribune ce fut au milieu des transports et des acclamations de ses collègues et de la foule compacte qui garnissait les tribunes[200]. La Convention décréta que le discours de Robespierre serait imprimé aux frais de la République et traduit dans toutes les langues.

Aucun murmure ne troubla ce concert d'enthousiasme. Les fripons, les envieux, les méchants applaudirent eux-mêmes pour mieux dissimuler leur haine, laquelle d'ailleurs n'allait pas tarder à se manifester d'une façon sensible. Ce fut donc un triomphe sans mélange, le plus éclatant peut-être qu'ait jamais obtenu Maximilien. Mais déjà à l'horizon se formait un point noir, signe avant-coureur de l'effroyable ouragan qui devait l'emporter[201]. Quatre jours avant celui où Robespierre déclarait si ouvertement la guerre aux quelques misérables dont la présence souillait la Convention, le comité de Salut public avait signé l'ordre d'arrestation de Thérézia Cabarrus, femme divorcée du ci-devant marquis de Fontenay, devenue la maîtresse de Tallien[202]. Nous dirons tout à l'heure les motifs de cette arrestation qui ne contribua pas peu à la formation du point noir dont nous parlons.

 

XVIII

Quoi qu'il en soit, nul ne pouvait apercevoir encore l'ouragan en germe quand, dans la séance du 16 prairial au soir (4 juin 1794), Maximilien Robespierre fut, à l'unanimité, élu, pour la seconde fois, président de la Convention nationale. Il eut pour secrétaires Cambacérès, Michaud et Briez. Aucun président, depuis la proclamation de la République, n'a été nommé à une pluralité aussi absolue, lui écrivait Faure, député de la Seine-Inférieure, un des soixante-treize Girondins sauvés par lui. Telle est la récompense de la vertu ; c'est la seule qui convienne à ton désintéressement. Il est bien naturel que celui qui le premier a rappelé les Français au souvenir de la Divinité, qu'ils paraissaient perdre de vue, présidât à la fête auguste qu'ils instituent pour cet objet sacré[203]. On touchait en effet au jour fixé pour la célébration de la fête consacrée à l'Être suprême.

Ce jour-là, décadi 20 prairial an II (8 juin 1794), il y eut à Paris une affluence comme on n'en avait pas vu depuis longtemps. Le temps était d'une admirable sérénité et prêtait merveilleusement à l'exécution du plan tracé par David. Toutes les fêtes de la République, et celle-ci particulièrement, eurent un singulier caractère de grandeur. Aux fenêtres de chaque maison flottaient des banderoles tricolores, et dans presque toutes les rues, au devant des portes, avaient été plantés des arbres ornés de feuillages, de festons et de guirlandes de fleurs. Partout des roses embaumaient les airs, on eût dit que Paris était changé en un vaste et riant jardin[204]. De Bercy au Champ de Mars, la Seine était encombrée de bateaux pavoisés aux trois couleurs. La Convention avait adopté pour ce jour-là un costume uniforme, analogue à celui des représentants en mission, habit à larges revers, panache et ceinture tricolores, moins le sabre[205] ; car dans cette solennité toute pacifique les représentants de la nation ne devaient point paraître armés. Les cris de haine semblaient avoir disparu dans l'ivresse universelle, et à voir la joie épanouie sur les visages on ne se fût jamais cru en pleine révolution.

Dès neuf heures du matin, Robespierre était déjà rendu aux Tuileries. Il entrait donc bien peu dans ses intentions de faire attendre ses collègues, par orgueil, comme on l'en a si gratuitement accusé. Il n'avait même pas déjeuné. Le juré Vilate, logé au pavillon de Flore, l'ayant rencontré dans la salle de la Liberté, l'engagea à monter chez lui pour prendre quelque chose. Robespierre accepta, mais il mangea peu. Il ne pouvait se lasser de contempler la masse de peuple répandue dans le jardin. Voilà, dit-il, la plus intéressante portion de l'humanité. L'univers est ici rassemblé. Ô nature que ta puissance est sublime et délicieuse ! Comme les tyrans doivent pâlir à l'idée de cette fête ![206] Ce fut là toute sa conversation ; l'heure étant venue de se rendre à son poste, il quitta son hôte improvisé et fit son entrée dans la Convention au milieu des acclamations de ses collègues[207].

L'Assemblée en corps descendit par le balcon du pavillon de l'Unité sur un immense amphithéâtre adossé à ce pavillon. Là Robespierre d'une voix pénétrante : Français républicains, il est enfin arrivé ce jour à jamais fortuné que le peuple Français consacre à l'Être suprême. Jamais le monde qu'il a créé ne lui offrit un spectacle aussi digne de ses regards. Il a vu régner sur la terre la tyrannie, le crime et l'imposture ; il voit dans ce moment une nation entière, aux prises avec tous les oppresseurs du genre humain, suspendre le cours de ses travaux héroïques pour élever sa pensée et ses vœux vers le grand Être qui lui donna la mission de les entreprendre et la force de les exécuter. Dieu, ajouta-t-il, n'a point créé les rois pour dévorer l'espèce humaine, et les prêtres pour attacher les hommes au char des rois, comme de vils animaux. Dans le sein de l'oppresseur il a placé l'épouvante et le remords, et dans le cœur de l'innocent persécuté, le calme et la fierté. Tout ce qui est beau et bon est son ouvrage, le mal au contraire appartient à l'homme dépravé qui opprime ou laisse opprimer ses semblables. L'auteur de la nature, dit en terminant Robespierre, avait lié tous les mortels par une chaîne immense d'amour et de félicité ; périssent les tyrans qui ont osé la briser ! Français républicains, c'est à vous de purifier la terre qu'ils ont souillée, et d'y rappeler la justice qu'ils en ont bannie. La liberté et la vertu sont sorties ensemble du sein de la Divinité. Peuple généreux, veux-tu triompher de tous tes ennemis ? pratique la justice, rends à la Divinité le seul culte digne d'elle. Peuple, livrons-nous, sous ses auspices, aux transports d'une pure allégresse ; demain nous combattrons encore les vices et les tyrans ; nous donnerons au monde l'exemple des vertus républicaines, et ce sera l'honorer encore. Des applaudissements réitérés accueillirent cette harangue, laquelle parut si belle au poète La Harpe, ce dispensateur illustre des couronnes dues aux premiers talents, suivant l'expression de Garat, qu'il s'empressa d'adresser à Robespierre une très-éloquente lettre où les éloges étaient plus prodigués qu'ils ne le furent jamais pour aucun autre[208].

Quand le président eut cessé de parler, une symphonie brillante fut exécutée par un groupe nombreux de musiciens placés sur les deux rampes du perron. Robespierre descendit les gradins de l'amphithéâtre, la main armée d'une torche, et il alla mettre le feu à un monument élevé sur le grand bassin circulaire et représentant l'athéisme. Du milieu de ce monument incendié, apparut bientôt à tous les regards la statue de la Sagesse. Après quoi Robespierre remonta sur l'estrade, et, prenant de nouveau la parole, il engagea ses concitoyens à se laisser toujours diriger par la sagesse, à qui seule il appartenait d'affermir la destinée des empires. Associons-la donc à toutes nos entreprises, dit-il, soyons graves et discrets dans nos délibérations, comme des hommes qui stipulent les intérêts du monde ; soyons ardents et opiniâtres dans notre colère contre les tyrans conjurés ; imperturbables dans les dangers, patients dans les travaux, terribles dans les revers, modestes et vigilants dans le succès ; soyons généreux envers les bons, compatissants envers les malheureux, inexorables envers les méchants, justes envers tout le monde ; ne comptons point sur une prospérité sans mélange, et sur des triomphes sans obstacles, ni sur tout ce qui dépend de la fortune ou de la perversité d'autrui ; ne nous reposons que sur notre constance et sur notre vertu, seuls mais infaillibles garants de notre indépendance. Écrasons la ligue impie des rois par la grandeur de notre caractère plus encore que par la force de nos armes[209]. Faut-il s'étonner que de si nobles paroles aient retenti profondément dans l'âme des auditeurs ? D'unanimes et bruyantes acclamations saluèrent de nouveau Maximilien lorsqu'il eut cessé de parler.

Cette première partie de la fête terminée, on se mit en marche pour le Champ de Mars, où une montagne avait été élevée, du sommet de laquelle la Convention nationale devait entendre les hymnes et les chants patriotiques composés pour la circonstance. L'Assemblée venait à la suite d'un groupe de vieillards, de mères de famille, d'enfants et de jeunes filles. Vêtu d'une culotte de nankin et d'un habit bleu barbeau, la taille serrée d'une ceinture aux couleurs nationales, la tête coiffée d'un chapeau orné d'un panache tricolore, et tenant à la main, comme tous ses collègues, un bouquet composé d'épis de blé, de fleurs et de fruits, Robespierre marchait en avant, en sa qualité de président. C'était tout simple et tout naturel. Eh bien ! combien de fois ne lui a-t-on pas reproché, depuis, de s'être orgueilleusement isolé de ses collègues et d'avoir établi entre eux et lui une distance injurieuse ! Il précédait la Convention uniquement parce que, quatre jours auparavant, comme on l'a vu, elle l'avait choisi pour son président[210], et il marchait à sa tête, confondu pour ainsi dire avec ceux qui se trouvaient au premier rang[211].

Si le décret relatif à l'Être suprême et à l'immortalité de l'âme avait été reçu par l'immense majorité des Français comme un rayon d'espérance et le gage d'une pacification prochaine à l'intérieur, il avait indisposé un certain nombre d'hébertistes de la Convention ; mais au fond les ennemis de Robespierre, les Fouché, les Tallien, les Bourdon, les Courtois, se souciaient fort peu de Dieu ou de la déesse Raison ; ils faisaient de l'irréligion un trafic, comme plus tard quelques-uns d'entre eux mettront leurs intérêts sous la sauvegarde de la religion restaurée. Ce qui les irrita le plus dans cette cérémonie imposante, ce fut le triomphe éclatant de celui dont déjà ils conspiraient la perte. Aux marques de sympathie de la foule pour le président de l'Assemblée, aux acclamations enthousiastes et affectueuses du peuple, ils répondirent par des cris de haine et de fureur. Voyez-vous comme on l'applaudit ! disaient les uns en allant de rang en rang pour semer le soupçon contre lui dans le cœur de ses collègues[212]. Il n'y a qu'un pas du Capitole à la roche Tarpéienne, s'écriait celui-ci, parodiant un mot de Mirabeau ; et celui-là, irrité des applaudissements qui marquaient sa présence : Je te méprise autant que je t'abhorre[213]. Bourdon (de l'Oise) fut celui qui se fit remarquer le plus par ses grossiers sarcasmes et ses déclamations indécentes[214]. En réponse à ces basses insultes, Robespierre murmura, dit-on, assez haut pour être entendu : On croirait voir les Pygmées renouveler la conspiration des Titans[215]. C'est là de la pure légende ; mais cette réponse, qui ne tomba certainement pas de la bouche de Maximilien, vient naturellement à la pensée de l'historien indigné. Seulement cette fois les pygmées tueront le colosse.

Aux injures vomies par l'envie Robespierre se contenta d'opposer le mépris et le dédain. N'avait-il pas d'ailleurs une compensation suffisante dans l'ovation dont il était l'objet, et les cris d'amour poussés à ses côtés n'étaient-ils pas assez puissants pour étouffer les discordantes clameurs de la haine ? Aucune altération ne parut sur son visage, où se reflétait dans un sourire la joie universelle dont il était témoin. Les chants patriotiques entonnés sur la montagne symbolique élevée au milieu du champ de la Réunion, l'hymne de Chénier à l'Être suprême, qui semblait une paraphrase versifiée de ses discours, et auquel Gossec avait adapté une mélodie savante[216], tempérèrent, et au delà, pour le moment, l'amertume qu'on s'était efforcé de déposer dans son cœur. Mais quand, à la fin du jour, les derniers échos de l'allégresse populaire se furent évanouis, quand tout fut rentré dans le calme et dans le silence, il ne put se défendre d'un vague sentiment de tristesse en songeant à l'injustice et a la méchanceté des hommes. Revenu au milieu de ses hôtes, qui, mêlés au cortège, avaient eux-mêmes joui du triomphe de leur ami, il leur raconta comment ce triomphe avait été flétri par quelques-uns de ses collègues, et d'un accent pénétré, il leur dit : Vous ne me verrez plus longtemps[217]. On retrouve là cette mélancolie courageuse, cette prévision tragique : que nous avons déjà signalée chez Robespierre, et qu'on a dû remarquer notamment dans son discours du 7 prairial à la Convention. Lui, du reste, sans se préoccuper des dangers auxquels il savait sa personne exposée, ne se montra que plus résolu à combattre le crime sous toutes les formes, à demander compte à quelques représentants impurs du sang inutilement versé et des rapines exercées par eux.

 

XIX

Du propre aveu de Robespierre, le jour de la fête à l'Être suprême laissa dans le pays une impression de calme, de bonheur, de sagesse et de bonté[218]. On s'est souvent demandé pourquoi lui le véritable héros de cette fête, lui sur qui étaient dirigés en ce moment les regards de la France et de l'Europe, n'avait pas profité de la dictature morale qu'il parut exercer en ce jour pour mettre fin aux rigueurs du gouvernement révolutionnaire ? Qu'il serait beau, Robespierre, lui avait écrit Faure la veille même de la fête à l'Être suprême, — si la politique le permettait — dans le moment d'un hommage aussi solennel, d'annoncer une amnistie générale en faveur de tous ceux qui ont résidé en France depuis le temps voulu par la loi, et dont seraient seulement exceptés les homicides et les fauteurs d'homicide[219]. Nul doute que Maximilien n'ait eu, dès cette époque, la pensée bien arrêtée de faire cesser les rigueurs inutiles et de prévenir désormais l'effusion de sang versé par le crime. N'est-ce pas là le sens clair et net de son discours du 7 prairial, où il supplie la République de rappeler parmi les mortels la liberté et la justice exilées ? Cette pensée, le sentiment général la lui prêtait, témoin cette phrase d'un pamphlétaire royaliste : La fête de l'Être suprême produisit au dehors un effet extraordinaire ; on crut véritablement que Robespierre allait fermer l'abîme de la Révolution, et peut-être cette faveur naïve de l'Europe acheva-t-elle la ruine de celui qui en était l'objet[220]. Rien de plus vrai. S'imagine-t-on, par exemple, que ceux qui avaient inutilement désolé une partie du Midi, ou mitraillé indistinctement à Lyon, ou infligé à Nantes le régime des noyades, ou mis Bordeaux à sac et à pillage, comme Barras et Fréron, Fouché, Carrier, Tallien, aient été disposés à se laisser, sans résistance, demander compte des crimes commis par eux ? Or, avant de songer à supprimer la Terreur aveugle, sanglante, pour y substituer la justice impartiale, dès longtemps réclamée par Maximilien, il fallait réprimer les terroristes eux-mêmes, les révolutionnaires dans le sens du crime, comme les avait baptisés Saint-Just. Mais est-ce que Billaud-Varenne, est-ce que Collot-d'Herbois, entraînant avec eux Carnot, Barère et Prieur (de la Côte-d'Or), étaient hommes à laisser de sitôt tomber de leurs mains l'arme de la Terreur ? Non, car s'ils abandonnèrent Robespierre ce fut, ne cessons pas de le répéter avec Barère, l'aveu est trop précieux, ce fut parce qu'il voulut arrêter le cours terrible de la Révolution[221].

Il ne se décida pas moins à entrer résolument en lutte contre les scélérats gorgés de sang et de rapines, suivant sa propre expression. Un de ces scélérats, de sinistre mémoire, venait d'être tout récemment condamné à mort par le tribunal révolutionnaire, pour s'être procuré des biens nationaux à vil prix en abusant de son autorité dans le district d'Avignon, où il commandait en qualité de chef d'escadron d'artillerie. C'était Jourdan Coupe-Tête, qui avait eu pour complice des vols et des dilapidations ayant motivé sa condamnation le représentant du peuple Rovère, un des plus horribles coquins dont la présence ait souillé la Convention nationale et un de ceux dont Robespierre poursuivit en vain le châtiment[222]. Jourdan Coupe-Tête avait été dénoncé par Maignet[223].

C'était ce même député, on ne l'a sans doute pas oublié, qui s'était si vivement plaint auprès du comité de Salut public des excès commis à Marseille par Barras et Fréron, et, grâce à lui, la vieille cité phocéenne avait pu conserver son nom, dont l'avaient dépouillée ces coryphées de la faction thermidorienne. Placé au centre d'un département où tous les partis étaient en lutte et fomentaient des désordres chaque jour renaissants, Maignet avait -fort à faire pour sauvegarder, d'une part, les institutions républicaines dans le pays où il était en mission, et, de l'autre, pour éviter dans la répression les excès commis par les Fouché et les Fréron. Regardant comme impossible d'envoyer à Paris tous les 'prévenus de conspiration dans son département, comme le voulait le décret du 26 germinal, il demanda à être autorisé à former sur les lieux mêmes un tribunal extraordinaire[224]. Fréron et Tallien n'y avaient pas été avec tant de précaution lorsque, de leur autorité privée, ils avaient établi à Marseille et à Bordeaux des commissions populaires par des arrêtés dont les dispositions étaient bien plus sévères encore que celles de l'arrêté du comité de Salut public qui institua dans le département de Vaucluse la commission d'Orange[225]. Les membres du comité avaient délibéré, dès le 11 floréal, sur la demande de Maignet, et ils avaient ajourné leur décision jusqu'à ce que le citoyen Payan (de la Drôme) eût été entendu, à cause de ses connaissances locales[226].

Patriote intègre, à la fois énergique et modéré, connu et apprécié de Robespierre, Maignet n'avait pas à redouter un refus[227]. Une commission composée de cinq membres, chargée de juger les ennemis de la Révolution dans les départements du Vaucluse et des Bouches-du-Rhône, fut en effet établie à Orange par arrêté du comité de Salut public en date du 21 floréal. A cet arrêté était jointe une instruction rédigée par Robespierre, laquelle prescrivait aux membres de la commission de vivre dans cet isolement volontaire qui était le plus sûr garant de l'intégrité des juges, et qui par cela même leur conciliait la confiance et le respect, de repousser toutes les sollicitations dangereuses, de fuir enfin toutes les sociétés et liaisons particulières de nature à influencer la conscience des juges ou a affaiblir l'énergie des défenseurs de la liberté[228]. L'établissement de cette commission fut l'œuvre collective du comité de Salut public, et longtemps après Thermidor Billaud-Varenne put dire, sans être démenti, que la Convention n'avait point désapprouvé cette mesure de son comité.

Pareil accord présida à la formation des commissions populaires établies à Paris en vertu du décret du 23 ventôse. Ces commissions étaient chargées de dresser le recensement de tous les gens suspects à déporter aux termes de la loi des 8 et 13 ventôse, de prendre des renseignements exacts sur les individus détenus dans les prisons de Paris, et de désigner aux comités de Salut public et de Sûreté générale les patriotes qui se trouveraient en état d'arrestation. De semblables commissions pouvaient rendre les plus grands services ; tout dépendait du patriotisme et de la probité de leurs membres. Aussi, dans une instruction, où l'on reconnaît tout de suite le rédacteur de celle adressée au tribunal d'Orange, était-il rigoureusement recommandé aux membres de ces commissions de tenir une conduite digne du ministère imposant qu'ils avaient à remplir, de n'écouter jamais que la voix de leur conscience, d'être inaccessibles à toutes les sollicitations, de fuir enfin toutes les relations capables d'influencer leurs jugements. Ces commissions furent d'ailleurs composées d'hommes d'une probité antique et d'un patriotisme éprouvé[229]. En même temps le comité de Salut public arrêta qu'au commencement de chaque décade l'accusateur public près le tribunal révolutionnaire lui remettrait les listes des affaires qu'il se proposait de porter au tribunal dans le courant de la décade[230]. Ce sont ces listes auxquelles nous verrons bientôt Robespierre refuser sa signature.

Eh bien ! il y eut, on peut l'affirmer, au sein du comité de. Salut public, pour l'adoption du projet de loi connu sous le nom de loi du 22 prairial, une entente égale à celle qui avait présidé à l'établissement de la commission d'Orange et à la formation des commissions populaires. Que cette loi ait été l'œuvre particulière de Robespierre et de Couthon, agissant à l'instigation du comité, cela est hors de doute. En voulant réagir contre les terroristes par la Terreur, en voulant armer les comités d'une loi qui leur permît de frapper avec la rapidité de la foudre les Tallien, les Fouché, les Rovère, ces hommes gorgés de sang et de rapines, qui, forts déjà de leurs partisans et de leurs complices, trouvaient encore une sorte d'appui dans les formes de la procédure criminelle, Robespierre commit une faute immense. Parce qu'il avait vu certains grands coupables échapper à la rigueur des lois, qui n'épargnait point les petits, il crut qu'il suffisait de la conscience des juges et des jurés pour juger les prévenus de conspiration contre la sûreté' de la République ; et parce que certains défenseurs rançonnaient indignement les accusés, parce que les malheureux étaient obligés de s'en passer, il crut qu'il était plus simple de supprimer la défense ; ce fut un tort, un tort irréparable, et qu'il a, Dieu merci ! cruellement expié, puisque cette loi de prairial est restée sur sa mémoire comme une tache indélébile. Jusqu'alors il n'avait coopéré en rien à aucune des lois de la Terreur, dont les législateurs principaux avaient été Cambacérès, Merlin (de Douai) et Oudot. Otez de la vie de Robespierre cette loi du 22 prairial, et ses ennemis seront bien embarrassés pour produire contre lui un grief légitime. Nous dirons tout à l'heure avec plus de détail l'usage qu'il entendait faire de cette loi, dont l'exercice fut, par malheur, entièrement laissé à ses ennemis.

Ce qu'il y a de certain et d'incontestable, malgré les dénégations ultérieures dès-collègues de Maximilien, c'est que le projet de loi ne rencontra aucune espèce d'opposition de la part des membres du comité de Salut public, lequel avait été invité par décret, dès le 5 nivôse précédent, à réformer le tribunal révolutionnaire[231]. Chargés par leurs collègues de rédiger un projet de réforme, Robespierre et Couthon y travaillaient, au su de tous, et tous les membres du Comité le jugèrent bon, puisqu'il ne donna lieu à aucune objection. Un jour, paraît-il, l'accusateur public, informé par le président Dumas qu'on préparait une loi nouvelle par laquelle étaient supprimés la procédure écrite et les défenseurs des accusés, se présenta au comité de Salut public, où il trouva Collot-d'Herbois, Billaud-Varenne, Carnot, Barère et C.-A. Prieur, auxquels il témoigna ses inquiétudes de ce qu'on abrogeait les interrogatoires et la défense des accusés. Fouquier-Tinville pris d'un tendre intérêt pour les prévenus ! C'est à n'y pas croire. Ces membres du comité se bornèrent à lui répondre que cet objet regardait Robespierre, chargé du travail[232]. Fouquier assure encore qu'étant allé se plaindre de la réduction du nombre des jurés, Robespierre lui ferma la bouche, en présence de Billaud-Varenne, de Collot-d'Herbois, de Barère et de Prieur (de la Marne). Or, si ceux-ci avaient soulevé-la moindre objection contre le projet de loi, Fouquier-Tinville n'eût pas manqué de le rappeler, car ils étaient debout et puissants encore, et l'ex-accusateur public avait tout intérêt à s'attirer leurs bonnes grâces. Plus tard, il est vrai, certains d'entre eux, devenus à leur tour l'objet de graves accusations, essayèrent de rejeter sur Robespierre et sur Couthon seuls la responsabilité de cette loi ; ils poussèrent le mépris de la vérité jusqu'à prétendre qu'elle avait été présentée à la Convention sans que les comités eussent été même avertis, et ils inventèrent cette fameuse scène qui aurait eu lieu au comité, le matin même du 23 prairial, dans laquelle Billaud-Varenne, apostrophant Robespierre, lui aurait reproché d'avoir porté seul le décret abominable qui faisait l'effroi des patriotes. A quoi Maximilien aurait répondu en accusant Billaud de défendre ses ennemis et en reprochant aux membres du comité de conspirer contre lui ; et cela avec de tels cris que la foule se serait rassemblée sur la terrasse des Tuileries. Tu veux guillotiner la Convention ! aurait répliqué Billaud. — Nous sommes en l'an III, ne l'oublions pas, et Billaud-Varenne avait grand intérêt à se poser comme un des défenseurs de l'Assemblée. — Alors Robespierre, avec agitation : Vous êtes tous témoins que je ne dis pas que je veuille faire guillotiner la Convention nationale. Je te connais maintenant, aurait-il ajouté, en s'adressant à Billaud ; et ce dernier lui aurait répondu : Et moi aussi je te connais comme un contre-révolutionnaire[233]. Tout cela doit être sorti de l'imagination féconde de Barère, car dans sa réponse particulière à Lecointre, Billaud fait à peine allusion à cette scène[234]. Homme probe et rigide au fond, Billaud eût hésité à appuyer sa justification sur des mensonges dont sa conscience avait horreur. Il faut être en vérité d'une insigne mauvaise foi ou d'une bien grande naïveté[235], pour accepter bénévolement les explications des membres des anciens comités. La Convention ne s'y laissa pas prendre, et elle eut raison ; il lui suffit de se rappeler avec quelle ardeur Barère et même Billaud-Varenne défendirent, comme on le verra tout à l'heure, cette néfaste loi du 22 prairial. Saladin, arraché jadis au bourreau par Robespierre, se chargea de répondre au nom des vaincus de Thermidor, muets dans leurs tombes[236].

La scission qui n'allait pas tarder à éclater entre Robespierre et quelques-uns de ses collègues du comité de Salut public n'eut donc point pour cause cette loi du 22 prairial, mais bien l'application désastreuse qu'on en fit, et surtout la merveilleuse et criminelle habileté avec laquelle certains Conventionnels menacés, aussi habiles à manier l'intrigue que prompts à verser le sang, semèrent le soupçon contre lui dans l'âme de quelques patriotes ardents. Au reste, transportons nous au milieu de la Convention nationale, et nous verrons si les discussions auxquelles donna lieu la loi du 22 prairial ne sont pas la démonstration la plus péremptoire de notre thèse.

 

XX

Robespierre présidait. Le commencement de la séance avait été rempli par un discours de Barère sur le succès de nos armes dans le Midi ; Barère était, comme on sait, le narrateur officiel des victoires de la République. Les membres des comités de Sûreté générale et de Salut public étaient à peu près au complet, lorsque Couthon, après avoir rendu compte lui-même de quelques prises maritimes, présenta, au nom du comité de Salut public, son rapport sur le tribunal révolutionnaire. Après une critique de l'ancien ordre judiciaire, aussi favorable au crime qu'oppressif pour l'innocence, et dont Séguier traçait encore le panégyrique au moment où l'univers entier en dénonçait les vices et les abus, vices et abus à peine palliés dans le code criminel œuvre de l'Assemblée constituante, Couthon en promettait un nouveau, destiné à protéger complètement l'innocence ; mais il avait soin d'établir une distinction fondamentale entre les crimes ordinaires qui ne blessaient que les particuliers et les crimes publics qui mettaient en péril la société elle-même et menaçaient l'existence de la République. IL s'attacha à faire sentir combien ces derniers appelaient une justice plus prompte, se contentant de preuves morales, et débarrassée des formes de l'ancienne chicane, bonnes à entraver la marche du tribunal révolutionnaire. Vouloir subordonner le salut public aux préjugés de palais et aux inversions familières aux jurisconsultes, c'était, selon le rapporteur du comité de Salut public, vouloir tuer juridiquement la patrie et l'humanité. Mais là n'était point le plus dangereux des sophismes exposés par Couthon. De ce que certains défenseurs officieux .avaient rançonné les accusés d'une manière scandaleuse, et de ce que tel d'entre eux s'était fait donner quinze cents livres pour un plaidoyer, il concluait à la suppression des défenseurs, estimant que si par hasard la calomnie parvenait à traîner sur les bancs du tribunal quelques bons citoyens, ils seraient suffisamment protégés par des jurés patriotes.

Ce qu'il y avait surtout d'effrayant dans la nouvelle organisation de ce tribunal révolutionnaire institué pour punir les ennemis du peuple, et qui désormais ne devait plus appliquer qu'une seule peine, la mort, c'était la nomenclature des signes auxquels se pouvaient reconnaître les ennemis du peuple. Ainsi étaient réputés tels non-seulement ceux qui auraient provoqué le rétablissement de la royauté ou la dissolution de la Convention nationale, ceux qui auraient trahi la République dans le commandement des places ou des armées, les fauteurs de disette, ceux qui auraient abusé des lois révolutionnaires pour vexer les citoyens, mais encore les propagateurs de fausses nouvelles dans le but de diviser et de troubler le peuple, ceux qui se seraient efforcés d'inspirer le découragement, pour favoriser les entreprises des tyrans ligués contre la République, ceux enfin qui auraient cherché à égarer l'opinion, à dépraver les mœurs et à altérer la pureté des principes républicains. C'était là des définitions bien vagues, des questions laissées à l'appréciation du juge. Ah ! certes, si la conscience humaine était infaillible, si les passions pouvaient ne pas s'approcher du cœur de l'homme investi de la redoutable mission de juger ses semblables, on comprendrait cette large part laissée à l'interprétation des jurés, dont la conviction devait se former sur toute espèce de preuve morale ou matérielle, verbale ou écrite ; mais, en politique surtout, ne faut-il pas toujours compter avec les passions en jeu ? Si honnêtes, si probes qu'aient été la plupart des jurés de la Révolution, ils étaient hommes, et partant sujets à l'erreur. Pour n'avoir point pris garde à cela, les auteurs de la loi de prairial se trouvèrent plus tard en proie aux anathèmes d'une foule de gens appelés, eux, à inonder la France de tribunaux d'exception, de cours prévôtales, de chambres étoilées, de commissions populaires jugeant sans l'assistance de jurés, et qui, pour de moins nobles causes, se montrèrent plus impitoyables que le tribunal révolutionnaire. Il y avait du reste dans cette loi de prairial, dont on parle trop souvent sans la bien connaître, certains articles auxquels on ne doit pas se dispenser d'applaudir. Comment, par exemple, ne pas approuver la suppression de l'interrogatoire secret, celle du résumé du président, complément inutile de nos débats criminels, où le magistrat le plus impartial a beaucoup de peine à maintenir égale la balance entre l'accusation et la défense. Enfin, par un sentiment de défiance trop justifié, en prévision du cas où des citoyens se trouveraient peut-être un peu légèrement livrés au tribunal par des sociétés populaires ou des comités révolutionnaires égarés, il était spécifié que les autorités constituées n'auraient le droit de traduire personne au tribunal révolutionnaire sans en référer au préalable aux comités de Salut public et de Sûreté générale. C'était encore une excellente mesure que celle par laquelle il était enjoint à l'accusateur public de faire appeler les témoins qui pourraient aider la justice, sans distinction de témoins à charge et à décharge[237]. Quant à la suppression des défenseurs officieux, ce fut une faute grave et, ajoutons-le, une faute inutile, car les défenseurs ne s'acquittaient pas de leur mission d'une manière compromettante pour la Révolution, tant s'en faut[238] ! Ce fut très-probablement parce qu'ils s'étaient convaincus de l'inefficacité de leur ministère, que les rédacteurs de la loi de prairial prirent le parti de le supprimer ; mais, en agissant ainsi, ils violèrent un principe sacré, celui du droit de la défense, et ils ont donné aux malédictions hypocrites de leurs ennemis un semblant de raison.

Couthon avait à peine terminé la lecture du décret, qu'un patriote connu, le député Ruamps, en réclamait l'ajournement, menaçant de se brûler la cervelle s'il était adopté sans délai. Lecointre (de Versailles) appuya la proposition. Alors Barère demanda s'il s'agissait d'un ajournement indéfini. Non, non, s'écrièrent plusieurs voix. Lorsqu'on propose une loi tout en faveur des patriotes, reprit Barère, et qui assure la punition prompte des conspirateurs, les législateurs ne peuvent avoir qu'un vœu unanime ; et il demanda que l'ajournement ne dépassât pas trois jours. — Deux seulement, répliqua Lecointre. On voit avec quelle impudence mentirent les membres du comité quand, après Thermidor, ils prétendirent que le décret avait été présenté pour ainsi dire à leur insu. Robespierre quitta le fauteuil pour combattre toute espèce d'ajournement, et l'on put connaître par ses paroles que les tentatives d'assassinat dont certains représentants avaient été l'objet n'étaient pas étrangères aux dispositions rigoureuses de la loi. Le nouveau décret augmentait, dans une proportion assez notable, le nombre des jurés. Or, chaque jour, le tribunal passait quelques heures sans pouvoir remplir ses fonctions, parce que les jurés n'étaient pas au complet. Robespierre insista surtout sur cette considération. Depuis deux mois l'Assemblée n'avait-elle pas réclamé du comité une loi plus étendue encore que celle qu'on présentait aujourd'hui ? Pourquoi donc un ajournement ? La loi n'était-elle pas entièrement en faveur des patriotes et des amis de la liberté ? Était-il naturel de venir élever une sorte de barrière entre des hommes également épris de l'amour de la République ? — Dans la résistance au décret, Maximilien avait bien aperçu la main des ennemis du comité de Salut public ; ce n'étaient pas encore les siens seulement. — Aussi se plaignit-il de voir une coalition se former contre un gouvernement qui se dévouait au salut de la patrie. Citoyens, on veut vous diviser. — Non, non, s'écria-t-on de toutes parts, on ne nous divisera pas. — Citoyens, reprit Robespierre, on veut vous épouvanter. Il rappela alors que c'était lui qui avait sauvé une partie de la Convention des poignards aiguisés contre elle par des hommes animés d'un faux zèle. Nous nous exposons aux assassins particuliers pour poursuivre les assassins publics, ajouta-t-il. Nous voulons bien mourir, mais que la Convention et la patrie soient sauvées !

Aux applaudissements enthousiastes avec lesquels furent accueillies les paroles de Robespierre, les opposants comprirent l'impuissance de leur résistance. Bourdon (de l'Oise) tenta cependant un effort. Il protesta d'abord que ni lui ni ses amis ne voulaient entraver la marche de la justice nationale, — ce qui était parfaitement vrai, à la condition qu'elle ne les atteignît pas. — Il proposa donc à l'Assemblée de voter, dès à présent, l'article relatif aux jurés, et d'ajourner quant au reste. Robespierre insista pour que le projet de loi fût voté article par article et séance tenante, dût la discussion se prolonger jusqu'à neuf heures du soir ; ce qui fut aussitôt décrété au milieu de nouvelles acclamations. Cela, certes, témoigne de la prodigieuse influence de Maximilien sur la Convention à cette époque ; mais cette influence, toute morale, ne lui donnait pas un atome de plus de pouvoir réel, et nous le verrons bientôt se dépouiller volontairement en quelque sorte de ses fonctions de membre du comité de Salut public, quand il se trouvera dans l'impuissance d'empêcher les maux auxquels il aurait voulu remédier. Les articles du projet de loi furent successivement adoptés, après une courte discussion et sans changements notables. Ce jour-là même expiraient les pouvoirs du comité de Salut public ; Couthon en prévint l'Assemblée, le comité ne pouvant continuer de les exercer sans l'assentiment de la Convention nationale, laquelle, du reste, s'empressa, suivant sa coutume, d'en voter le renouvellement[239]. La Convention votait-elle ici sous une pression quelconque ? Oui, sous l'impérieuse nécessité du salut public, qui lui commandait de ne pas rompre en ce moment l'unité du gouvernement. Mais était-elle terrorisée, comme l'ont prétendu tant d'écrivains ? En aucune façon, car le comité de Salut public n'avait pas un soldat pour la forcer à voter, et il était aussi facile à l'Assemblée de briser l'homogénéité du comité au 22 prairial qu'au 9 thermidor. Soutenir le contraire, en se prévalant de quelques lâches déclarations, c'est gratuitement jeter l'insulte à une Assemblée à la majorité de laquelle on ne saurait refuser une grande âme et un grand cœur.

 

XXI

Un des buts, le but principal de la loi de prairial, a-t-on répété à satiété, était de permettre aux comités et à l'accusateur public de traduire un membre de la Convention au tribunal révolutionnaire sans un décret préalable de l'Assemblée. Rien de plus manifestement faux que cette interprétation. Par l'article XX du décret, la Convention dérogeait à toutes les lois précédentes ne concordant point avec la loi nouvelle ; mais est-ce que par là elle entendait permettre à qui que ce fût de mettre la main sur un de ses membres sans sa permission ? Nullement, et le reste de l'article en explique suffisamment la pensée. Il y est dit, en effet, que l'Assemblée n'entend pas que les lois concernant l'organisation des tribunaux ordinaires s'appliquent aux crimes de contre-révolution et à l'action du tribunal révolutionnaire. Néanmoins on a soutenu que l'intention formelle de Robespierre avait été de retirer aux membres de la Convention la garantie du décret préalable, afin de pouvoir, grâce aux complaisances de Fouquier-Tinville, avoir plus facilement raison de ses ennemis. D'abord il est faux, et radicalement faux, qu'il ait jamais disposé de l'accusateur public, avec lequel il n'avait aucune espèce de rapports particuliers, connue nous ne tarderons pas à le démontrer péremptoirement. En second lieu, il était à peu près certain de ne rien obtenir du comité de Salut public, dont la majorité était contre lui. Parlerons-nous du comité de Sûreté générale ? Presque tous ses membres, rappelons-le, lui étaient hostiles. Enfin, son attachement à la Convention nationale est trop connu, nous en avons donné trop de preuves, pour qu'on puisse le supposer capable d'avoir voulu lui enlever l'exercice du droit le plus précieux, celui de prononcer elle-même sur le sort de ses membres. Elle représentait à ses yeux la souveraineté populaire, et, par conséquent, elle était pour lui l'âme et le principe de tout. L'estime de la Convention nationale lui semblait le prix le plus glorieux des travaux d'un mortel, prix que je n'ai ni usurpé ni surpris, disait-il, mais que j'ai été forcé de conquérir. Mon premier devoir, comme mon premier penchant, est un respect sans bornes pour elle[240]. Ah ! certes, il ne serait point mort le 10 thermidor si ce respect eût été moins grand, moins absolu.

Maintenant, que ses ennemis personnels, que les quelques membres tarés de la Convention en aient jugé autrement, qu'ils aient tremblé pour eux au souvenir des grossières invectives dont ils avaient poursuivi Robespierre à la fête du 20 prairial ; que, dans leur épouvante, ils aient cru voir dans certains articles du décret une atteinte aux droits de l'Assemblée, cela est très-possible. Mais ils ne se demandèrent pas si dans ce décret de prairial certaines règles de la justice éternelle n'étaient point violées ; ils ne se demandèrent pas si l'on avait laissé intactes toutes les garanties dont doit être entouré l'accusé ; non, ils songèrent à eux, uniquement à eux. De l'humanité, ils avaient bien souci !

Dès le lendemain, profitant de l'absence des membres du comité de Salut public, — Voulland occupait le fauteuil, — ils jetèrent les hauts cris presque au début de la séance conventionnelle. En vain Robespierre avait-il affirmé, que le comité n'avait jamais entendu rien innover en ce qui concernait les représentants du peuple[241], il leur fallait un décret pour être rassurés. Bourdon (de l'Oise), l'homme aux noires visions, celui que Robespierre a accusé d'avoir tiré un coup de pistolet sur la fille du citoyen Boulanger, et qu'il nous a dépeint se promenant sans cesse avec l'air d'un assassin qui médite un crime[242], manifesta hautement ses craintes et demanda que les représentants du peuple arrêtés ne pussent être traduits au tribunal révolutionnaire sans un décret préalable d'accusation rendu contre eux par l'Assemblée. Aussitôt, le député Delbrel protesta contre les appréhensions chimériques de Bourdon, auquel il dénia le droit de se défier des intentions des comités[243]. Bourdon insista et trouva un appui dans un autre ennemi de Maximilien, dans Bernard (de Saintes), celui dont Augustin Robespierre avait dénoncé les excès après y avoir porté remède par tous les moyens en son pouvoir. On était sur le point d'aller aux voix sur la proposition de Bourdon, quand le jurisconsulte Merlin (de Douai) réclama fortement la question préalable, en se fondant sur ce que le droit de l'Assemblée de décréter elle-même ses membres d'accusation et de les faire mettre en jugement était un droit inaliénable. L'Assemblée se rendit à cette observation, et, adoptant le considérant rédigé par Merlin, décréta qu'il n'y avait lieu à délibérer[244].

La proposition de Bourdon parut au comité une grave injure. A la séance du 24 prairial (12 juin 1794), au moment où Duhem, après Charlier, venait de prendre la défense du décret, de comparer le tribunal révolutionnaire à Brutus assis sur sa chaise curule, condamnant ses fils conspirateurs, et de le montrer couvrant de son égide tous les amis de la liberté, Couthon monta à la tribune. Dans un discours dont la sincérité n'est pas douteuse, et où il laissa en quelque sorte son cœur se fondre devant la Convention, il repoussa comme la plus atroce des calomnies lancées contre le comité de Salut public les inductions tirées du décret par Bourdon (de l'Oise) et Bernard de (Saintes), et il demanda le rapport du considérant voté la veille comme un mezzo termine.

Les applaudissements prodigués par l'Assemblée à l'inflexible mercuriale de Couthon donnèrent à réfléchir à Bourdon (de l'Oise). Il vint, poussé par la peur, balbutier de plates excuses, protester de son estime pour le comité de Salut public et son rapporteur, pour l'inébranlable Montagne qui avait sauvé la liberté. Robespierre ne fut dupe ni de cette fausse bonhomie ni de cette reculade[245]. N'était-ce pas ce même Bourdon qui depuis si longtemps harcelait le gouvernement et cherchait à le perdre dans l'esprit de la Convention ? Robespierre ne lui ménagea pas la vérité brutale. Déjà d'ailleurs le comité était instruit des manœuvres ténébreuses de certains députés, sur qui il avait l'œil. Après avoir repoussé dédaigneusement les rétractations de Bourdon, Maximilien lui reprocha de chercher à jeter la division entre le comité et la Montagne. La Convention, la Montagne, le comité, dit-il, c'est la même chose. Et l'Assemblée d'applaudir à outrance. Tout représentant du peuple qui aime sincèrement la liberté, continua-t-il, tout représentant du peuple qui est déterminé à mourir pour la patrie, est de la Montagne. Ici de nouvelles acclamations éclatèrent, et toute la Convention se leva en signe d'adhésion et de dévouement.

Robespierre rappela en peu de mots comment la Montagne, par la pureté de ses intentions, par l'énergie de son patriotisme, était parvenue à prendre la direction de la Révolution en réduisant au silence les factions hypocrites dont lui-même avait failli être la première victime. Pour lui, il ne reconnaissait que deux partis dans la Convention, les bons et les mauvais citoyens, les patriotes et les contre-révolutionnaires déguisés. Encouragé par des applaudissements réitérés, il ajouta qu'il se croyait en droit de tenir un pareil langage à cette Montagne, à laquelle il n'était sans doute point étranger. Que pouvait-elle avoir de commun avec les intrigants et les pervers ? Ceux-ci avaient beau prétendre s'identifier à elle, ils n'en étaient pas moins complètement opposés à ses principes. Alors, avec une autorité consacrée par les marques incessantes d'approbation dont il était l'objet : La Montagne, s'écria-t-il, n'est autre chose que les hauteurs du patriotisme ; un Montagnard n'est autre chose qu'un patriote pur, raisonnable et sublime. Ce serait outrager la patrie, ce serait assassiner le peuple, que de souffrir que quelques intrigants, plus méprisables que les autres parce qu'ils sont plus hypocrites, s'efforçassent d'entraîner une partie de cette Montagne et de s'y faire les chefs d'un parti. A ces mots, Bourdon (de l'Oise) interrompant : Jamais il n'est entré dans mon intention de me faire le chef d'un parti. — Ce serait, reprit Robespierre sans prendre garde à l'interrupteur, ce serait l'excès de l'opprobre que quelques-uns de nos collègues égarés par la calomnie sur nos intentions et sur le but de nos travaux. — Je demande, s'écria Bourdon (de l'Oise), qu'on prouve ce qu'on avance ; on vient de dire assez clairement que j'étais un scélérat. Alors Robespierre d'une voix plus forte : Je demande, au nom de la patrie, que la parole me soit conservée. Je n'ai pas nommé Bourdon ; malheur à qui se nomme lui-même. A ces mots terribles, Bourdon (de l'Oise) reprit : Je défie Robespierre de prouver. Et celui-ci de continuer : Mais s'il veut se reconnaître au portrait général que le devoir m'a forcé de tracer, il n'est pas en mon pouvoir de l'en empêcher. Oui, la Montagne est pure, elle est sublime ; et les intrigants ne sont pas de la Montagne !Nommez-les, s'écria une voix. — Je les nommerai quand il le faudra, répondit-il. Là fut son tort. En laissant la Convention dans le doute, il permit aux quatre ou cinq scélérats qu'il aurait dû démasquer tout de suite, aux Tallien, aux Fouché, aux Rovère, de semer partout l'alarme et d'effrayer une foule de représentants à qui lui et le comité ne songeaient guère. Il se contenta de tracer le tableau, trop vrai, hélas ! des menées auxquelles se livraient ces intrigants qui se rétractaient lâchement quand leurs tentatives n'avaient pas réussi, et qui cherchaient alors à s'abriter sous de fausses protestations d'estime et de dévouement pour la Convention nationale et le comité de Salut public.

Bourdon (de l'Oise), atterré, garda le silence[246]. Maximilien cita, à propos des manœuvres auxquelles il avait fait allusion, un fait qui s'était passé l'avant-veille au soir. En sortant de la Convention, trois députés, parmi lesquels Tallien, fort inquiets du décret de prairial, dont ils craignaient qu'on ne fît l'application sur eux-mêmes, manifestaient tout haut leur mécontentement. Ayant rencontré deux agents du gouvernement, ils se jetèrent sur eux et les frappèrent en les traitant de coquins, de mouchards du comité de Salut public, et en accusant les comités d'entretenir vingt mille espions à leur solde. On espérait sans doute que les agents du gouvernement ainsi attaqués se seraient défendus, ce qui aurait fourni, le lendemain, l'occasion de se plaindre des insultes auxquelles les représentants du peuple étaient exposés de la part d'hommes attachés au comité de Salut public. Après avoir raconté ce fait sans nommer personne, Robespierre protesta encore une fois du respect des comités pour la Convention en général, et de ses paroles il résulte incontestablement qu'à cette heure il n'y avait de parti pris contre aucun des membres de l'Assemblée. Il adjura seulement ses collègues de ne pas souffrir que de ténébreuses intrigues troublassent la tranquillité publique. Veillez sur la patrie, dit-il en terminant, et ne souffrez pas qu'on porte atteinte à vos principes. Quand la confiance que vous avez mise en nous sera altérée, évitez à la patrie des déchirements. Il vaudrait mieux peut-être encore que les ennemis de la patrie, que les amis de d'Orléans siégeassent momentanément au timon des affaires publiques que de voir la Convention avilie et divisée. Observez que nous avons besoin d'encouragements, qu'on a tout fait pour rendre notre carrière pénible. C'est assez d'avoir à lutter contre les rois conjurés et contre tous les monstres de la terre, sans trouver à nos côtés des ennemis. Venez donc à notre secours, ne permettez pas que l'on nous sépare de vous,. puisque nous ne sommes qu'une partie de vous-mêmes et que nous ne sommes rien sans vous. Donnez-nous la force de porter le fardeau immense, et presque au-dessus des efforts humains, que vous nous avez imposé. Soyons toujours justes et unis en dépit de nos ennemis communs, et nous sauverons la République. Cette énergique et rapide improvisation souleva un tonnerre d'applaudissements. Merlin (de Douai), craignant qu'on n'eût mal interprété le sentiment auquel il avait obéi en s'interposant la veille, voulut s'excuser ; mais Robespierre, qui avait une profonde estime pour l'éminent jurisconsulte, s'empressa de déclarer que ses réflexions ne pouvaient regarder Merlin, dont la motion avait eu surtout pour but d'atténuer et de combattre celle de Bourdon. Ceux que cela regarde se nommeront, ajouta-t-il. Aussitôt Tallien se leva. Le fait, prétendit-il, ne s'était point passé l'avant-veille, mais bien la veille au soir, et les individus avec lesquels une collision s'était engagée n'étaient pas des agents du comité de Salut public. Le fait est faux, dit Robespierre ; mais un fait vrai, c'est que Tallien est de ceux qui affectent de parler sans cesse publiquement de guillotine pour avilir et troubler la Convention. — Il n'a pas été du tout question de vingt mille espions, objecta Tallien. — Citoyens, répliqua Robespierre, vous pouvez juger de quoi sont capables ceux qui appuient le crime par le mensonge : il est aisé de prononcer entre les assassins et les victimes. — Je vais... balbutia Tallien. Alors Billaud-Varenne, avec impétuosité : La Convention ne peut pas rester dans la position où l'impudeur la plus atroce vient de la jeter. Tallien a menti impudemment quand il a dit que c'était hier que levait était arrivé ; c'est avant-hier que cela s'est passé, et je le savais hier à midi. Ce fait eut lieu avec deux patriotes, agents du comité de Salut public. Je demande que la Convention ouvre enfin les yeux sur les hommes qui veulent l'avilir et l'égarer. Mais, citoyens, nous nous tiendrons unis ; les conspirateurs périront et la patrie sera sauvée. Oui, oui ! s'écria-t-on de toutes parts au milieu des plus vifs applaudissements[247].

Or les paroles de Billaud-Varenne prouvent surabondamment deux choses : d'abord, que ce jour-là, 24 prairial (12 juin 1794), la désunion n'avait pas encore été mise au sein du comité de Salut public ; ensuite que les rapports de police n'étaient pas adressés à Robespierre particulièrement, mais bien au comité tout entier. On sentira tout à l'heure l'importance de cette remarque. Barère prit ensuite la parole pour insister sur la suppression du considérant voté la veille sur la demande de Merlin (de Douai), aux intentions duquel lui aussi, du reste, s'empressa de rendre hommage ; seulement ce considérant lui paraissait une chose infiniment dangereuse pour le gouvernement révolutionnaire, parce qu'il était de nature à faire croire aux esprits crédules que l'intention du comité avait été de violer une des lois fondamentales de la Convention. Et afin d'entraîner l'Assemblée, il cita les manœuvres indignes auxquelles nos ennemis avaient recours pour décrier la Révolution et ses plus dévoués défenseurs. Il donna notamment lecture de certains extraits d'une feuille anglaise intitulée l'Étoile (the Star), envoyée de Brest par Prieur (de la Marne), feuille pleine de calomnies atroces contre les hommes de la Révolution, contre Jean-Bon Saint-André, et dans laquelle on rendait compte d'un bal masqué récemment donné à Londres au Ranelagh. A ce bal, une femme, déguisée en Charlotte Corday sortie du tombeau et tenant à la main un poignard sanglant, avait poursuivi toute la nuit un individu représentant Robespierre, qu'elle jurait de maratiser en temps et lieu. A cette citation un mouvement d'horreur se produisit dans l'Assemblée. Jouer à l'assassinat des républicains français, c'étaient là distractions de princes et d'émigrés. Ce n'était pas la Terreur qu'on voulait tuer en Robespierre, c'était la République elle-même. Après avoir flétri ces odieux passe-temps de l'aristocratie et montré le sort réservé par nos ennemis aux membres du gouvernement révolutionnaire, Barère termina en demandant le rapport du considérant de la veille et l'ordre du jour sur toutes les motions faites à propos du décret concernant le tribunal révolutionnaire. Ce que l'Assemblée vota au milieu des plus vifs applaudissements[248].

Tout cela est-il assez clair, et persistera-t-on à présenter le décret de prairial comme ayant été soumis à la Convention sans qu'il ait eu l'assentiment de tous les membres, du comité ? L'opposition dont il fut l'objet de la part de deux ou trois représentants vint des moins nobles motifs et naquit d'appréhensions toutes personnelles. Quant à l'esprit général du décret il eut l'assentiment unanime ; pas une voix ne réclama, pas une objection ne fut soulevée. La responsabilité de cette loi de prairial ne revient donc pas seulement à Robespierre ou à Couthon en particulier, ou au comité de Salut public, mais à la Convention nationale tout entière, qui l'a votée comme une loi de salut.

 

XXII

Est-il vrai que dès le lendemain même du jour où cette 'loi fut votée, c'est-à-dire le 25 prairial, Robespierre ait, en plein comité, demandé la mise en accusation ou, comme on dit, les têtes de Fouché, de Tallien et de sept de leurs amis, et que le refus de ses collègues amena sa retraite volontaire du comité ? C'est ce qu'a prétendu le duc d'Otrante[249] ; mais quelle âme honnête se pourrait résoudre à ajouter foi aux assertions de ce scélérat vulgaire, dont le nom restera éternellement flétri dans l'histoire comme celui de Judas ? La vérité même paraîtrait suspecte venant d'une telle source. Mais si pareille demande eût été faite, est-ce que les membres des anciens comités ne s'en fussent pas prévalus dans leur réponse aux imputations de Lecointre ? Comment ! ils auraient arraché neuf représentants du peuple à la férocité de Robespierre, et ils ne s'en seraient pas fait un titre d'honneur aux yeux de la Convention à l'heure où on les poursuivait comme des proscripteurs ? Or, à quoi attribuent-ils le déchirement qui eut lieu au comité de Salut public ? Uniquement aux discussions — très-problématiques — auxquelles aurait donné lieu la loi de prairial. Robespierre, disent-il, devint plus ennemi de ses collègues, s'isola du comité et se réfugia aux Jacobins, où il préparait, acérait l'opinion publique contre ce qu'il appelait les conspirateurs connus et contre les opérations du comité[250]. Eh bien ! la scission ne se produisit pas le 25 prairial, mais seulement aux premiers jours de messidor, comme cela résulte des propres aveux des membres du comité, rapprochés de la déclaration de Maximilien. En effet, ceux-là limitent à quatre décades la durée de ce qu'ils ont appelé la retraite de Robespierre[251], et celui-ci dit très-haut, à la séance du 8 thermidor, que la force de la calomnie et l'impuissance de faire le bien l'avaient obligé de renoncer en quelque sorte depuis six semaines à ses fonctions de membre du comité de Salut public. Quatre décades, six semaines, c'est la même chose. Ce fut donc vers le 1er messidor que la désunion se mit parmi les membres du comité. Chaque jour ici à son importance. Quelle fut la cause positive de cette désunion et comment les choses se passèrent-elles ? A cet égard, nous sommes réduits à de pures conjectures, les vaincus de Thermidor ayant eu la bouche fermée par la mort, et les anciens membres du comité s'étant entendus comme larrons en foire pour se donner une apparence de raison contre leurs victimes. Encore doit-on être étonné du vide de leurs accusations, qui tombent d'elles-mêmes par suite des contradictions étranges et grossières échappées à leurs auteurs. Nous dirons tout à l'heure à quoi l'on doit attribuer vraisemblablement la brouille survenue parmi les membres du comité, mais il faut ranger au nombre des plus lourds mensonges historiques, la légende des neuf têtes — d'aucuns disent trente — demandées par Robespierre à ses collègues, légende si légèrement acceptée par la plupart des historiens[252].

La vérité est que le nombre des misérables auxquels il aurait voulu qu'on demandât compte de leurs rapines et du sang criminellement versé par eux, s'élevait à peine à cinq ou six[253], et que les quelques membres menacés s'ingénièrent, comme on le verra bientôt, pour grossir indéfiniment ce chiffre, et firent circuler des listes fabriquées afin de jeter l'épouvante au milieu de la Convention et de recruter par la peur des ennemis à Maximilien. Nous allons bientôt tracer le tableau des machinations infernales tramées dans l'ombre contre ce grand homme de bien ; je ne sais s'il y a dans l'histoire exemple d'un aussi horrible complot. Mais auparavant il convient de dire comment Robespierre avait mérité l'animadversion de cette horde de scélérats, à la tête desquels on doit ranger l'atroce Fouché, le mitrailleur de Lyon, et le héros Tallien.

Robespierre professait dès longtemps, on le sait, un souverain mépris pour Tallien, ce véritable histrion de la Révolution. Une lettre qu'il reçut de lui, le lendemain même du jour où il l'avait si hautement flétri en pleine Convention, n'était pas de nature à le relever dans son opinion. L'imposture soutenue par le crime... ces mots terribles et injustes, Robespierre, retentissent encore dans mon âme ulcérée. Je viens, avec la franchise d'un homme de bien, te donner quelques éclaircissements... écrivait Tallien, le 25 prairial. — La franchise d'un homme de bien !... Ces mots, sous la plume de Tallien, durent singulièrement faire sourire Robespierre. Dans cette lettre, dictée par la frayeur, Tallien se donnait comme un ami constant de la justice, de la vérité et de la liberté. Les intrigants seuls avaient pu, disait-il, susciter des préventions contre lui, mais il offrait sa conduite tout entière à l'examen de ses concitoyens. Ce n'était pas la crainte qui lui inspirait ce langage, ajoutait-il, par une sorte d'antiphrase où il essayait vainement de dissimuler sa lâcheté, mais bien le désir de servir sa patrie et de mériter l'estime de ses collègues[254]. Robespierre ne répondit pas. Trois jours après, le même Tallien s'adressait en ces termes à Couthon : Je t'adresse, mon cher Couthon, l'exposé justificatif dont je t'ai parlé dans ma lettre d'hier. Je te prie de vouloir bien le mettre sous les yeux du comité. Si tu pouvais me recevoir à l'issue de ton dîner, je serais bien aise de causer un instant avec toi et de te demander un conseil d'ami. La trop confiante jeunesse a besoin d'être guidée par l'expérience de l'âge mûr (2)[255]. Au moment où Tallien s'exprimait ainsi, il conspirait la perte de Maximilien. Il est bon de dire maintenant par quelle série de méfaits cet ancien secrétaire de la commune de Paris s'était rendu suspect non pas seulement à Robespierre, mais au comité de Salut public tout entier.

 

XXIII

Envoyé en mission à Bordeaux, Tallien s'y était montré tout d'abord, comme son collègue Baudot, un des plus terribles agents de la Terreur. Non content de faire tomber les têtes des meneurs contre-révolutionnaires, et de saigner fortement la bourse des riches égoïstes, il montait à l'assaut des clochers, dépouillait les églises de leur argenterie, arrachait aux prêtres des actes d'abjuration[256], et jetait l'épouvante dans toutes les consciences, en violant effrontément la liberté des cultes. Tout à coup on vit, comme par enchantement, tomber ce zèle exagéré. Le farouche proconsul se fit le plus doux des hommes, et bientôt à la place d'un austère envoyé de la Convention, Bordeaux posséda une sorte de satrape asiatique. Sous quelle mystérieuse influence s'était donc opéré ce changement subit ? Ah ! c'est que dans le cœur du patriote Tallien, une autre affection avait pris la place de celle de la République. Fasciné par les charmes de Thérézia Cabarrus qui, après avoir habité successivement Boulogne-sur-Mer et Paris, s'était rendue à Bordeaux afin de terminer l'affaire de son divorce avec son premier mari, le terrible Tallien était devenu en quelque sorte l'espoir des contre-révolutionnaires et des royalistes. Le régime de la clémence succéda aux barbaries passées ; mais clémence pour les riches surtout : la liberté devint vénale. S'il faut en croire l'espion Senar, la Cabarrus tenait chez elle bureau de grâces où l'on traitait à des prix excessifs du rachat des têtes[257]. Ce qu'il y a de vrai peut-être, selon nous, dans cette accusation terrible, c'est que la citoyenne Thérézia acceptait de magnifiques présents des familles riches auxquelles elle rendait service, et dont certains membres lui durent la vie. Son empire sur Tallien était sans bornes. Par lui elle obtint une concession de salpêtre, source de revenus considérables[258]. Ne fallait-il pas subvenir au faste tout à fait royal dans lequel vivaient l'amant et la maîtresse ? Tallien, comme son collègue Ysabeau, avait chevaux et voitures, l'équipage d'un ci-devant noble ; il avait sa loge au théâtre, et sa place marquée dans tous les lieux publics[259]. Les denrées les plus exquises, les meilleurs vins, un pain blanc comme la neige étaient mis en réquisition pour le service des représentants[260]. Théâtrale dans toutes ses actions, la citoyenne Thérézia Cabarrus aimait à se montrer en public auprès du tout-puissant proconsul. Vêtue à l'antique, la tête affublée d'un bonnet rouge d'où s'échappaient des flots de cheveux noirs, tenant d'une main une pique, et de l'autre s'appuyant sur l'épaule de son amant, elle se plaisait à se promener en voiture découverte dans les rues de la ville et à se donner en spectacle à la population bordelaise[261]. Cela n'étonne guère quand on se rappelle les excentricités auxquelles se livra plus tard Mme Tallien lorsque, reine de la mode, elle habita Paris, où l'on put admirer, aux Tuileries, ses charmes nus livrés à la curiosité obscène du premier venu.

Les deux amants n'étaient pas moins luxueux dans leur intérieur. Un personnage de l'ancien régime, le marquis de Paroy, nous a laissé une description curieuse du boudoir de la ci-devant marquise de Fontenay qu'il avait eu l'occasion de voir en allant solliciter auprès d'elle en faveur de son père, détenu à la Réole. Je crus, dit-il[262], entrer dans le boudoir des muses : un piano entr'ouvert, une guitare sur le canapé, une harpe dans un coin, une table à dessin avec une miniature ébauchée, — peut-être celle du patriote Tallien, — un secrétaire ouvert, rempli de papiers, de mémoires, de pétitions ; une bibliothèque dont les livres paraissaient en désordre, et un métier à broder où était montée une étoffe de satin. Dès le matin, la cour de l'hôtel où demeuraient les deux amants était encombrée de visiteurs, qui attendaient le lever du fastueux commissaire de la Convention. La belle Espagnole — car Thérézia était Espagnole — avait imaginé, afin de distraire Tallien de ses occupations patriotiques, de paraître désirer vivement son portrait. Le plus habile peintre de la ville avait été chargé de l'exécution, les séances avaient été adroitement prolongées, et par cet ingénieux artifice Thérézia était parvenue à si bien occuper son amant, qu'il avait oublié l'objet de sa mission. C'est du moins ce qu'a bien voulu nous apprendre un admirateur enthousiaste de la citoyenne Cabarrus. Ordre exprès de ne laisser entrer personne avait été donné aux domestiques. Cependant un jour, le directeur du théâtre, Lemayeur, parvint à forcer la consigne, et il trouva Tallien mollement assis dans un boudoir, et partagé entre les soins qu'il donnait au peintre et les sentiments dont il était animé pour la belle Cabarrus[263]. Ainsi la République entretenait quatorze armées, le sang de toute la jeunesse française coulait à flots sur nos frontières dévastées, Saint-Just et Le Bas sur le Rhin et dans le Nord, Jean-Bon Saint-André sur les côtes de l'Océan, Cavaignac dans le Midi, Bô dans la Vendée, et tant d'autres s'épuisaient en efforts héroïques afin de faire triompher la sainte cause de la patrie, le comité de Salut public se tenait jour et nuit courbé sous un labeur écrasant, la Convention nationale enfin frappait le monde d'épouvante et d'admiration, tout cela pour que le voluptueux Tallien oubliât dans les bras d'une femme aux mœurs équivoques les devoirs sévères imposés par la République aux députés en mission.

Ah ! ces devoirs, le jeune envoyé du comité de Salut public, l'ami dévoué de Maximilien, le fils du représentant Jullien (de la Drôme), les comprenait autrement. J'ai toujours suivi dans ma mission, écrivait-il de Bordeaux à Robespierre, le 1er floréal (20 avril 1794), le même système, que pour rendre la Révolution aimable, il fallait la faire aimer, offrir des actes de vertu, des adoptions civiques, des mariages, associer les femmes à l'amour de la patrie et les lier par de solennels engagements[264]. La conduite de Tallien n'avait pas été sans être dénoncée au comité de Salut public. Obligé d'obéir à un ordre de rappel, l'amant de Thérézia Cabarrus partit, assez inquiet sur son propre compte et sur celui de la femme à laquelle il avait sacrifié les intérêts de la patrie. Il se plaignit à la Convention d'avoir été calomnié[265], et pour le moment l'affaire en resta là. Mais tremblant toujours pour sa maîtresse, qui, en sa qualité d'étrangère et de femme d'un ex-noble, pouvait être deux fois suspecte, il eut recours à un singulier stratagème afin de la mettre à l'abri de tout soupçon. Il lui fit adresser de Bordeaux, où il l'avait provisoirement laissée, une longue pétition à la Convention nationale, pétition très-certainement rédigée par lui, et dans laquelle elle conjurait l'Assemblée d'ordonner à toutes les jeunes filles d'aller, avant de prendre un époux, passer quelque temps dans les asiles de la pauvreté et de la douleur pour y secourir les malheureux. Elle-même, qui était mère et déjà n'était plus épouse, mettait, disait-elle, toute son ambition à être une des premières à se consacrer ces ravissantes fonctions[266]. La Convention ordonna la mention honorable de cette adresse au Bulletin et la renvoya aux comités de Salut public et d'instruction. La citoyenne Thérézia Cabarrus s'en tint, bien entendu, à ces vaines protestations de vertu républicaine. Quant au comité de Salut public, il n'eut garde de se laisser prendre à cette belle prose, où il était si facile de reconnaître la manière ampoulée de Tallien, et, voulant être complètement renseigné sur les opérations de ce dernier, il renvoya à Bordeaux, par un arrêté spécial, son agent Jullien, qui en était revenu depuis peu[267]. Les renseignements recueillis par lui furent assurément des plus défavorables, car, le 11 prairial, en adressant à Robespierre l'extrait d'une lettre menaçante de Tallien au club national de Bordeaux, Jullien écrivait : Elle coïncide avec le départ de la Fontenay, que le comité de Salut public aura sans doute fait arrêter ; et quatre jours plus tard, le 15 prairial, il mandait encore à Maximilien : La Fontenay doit maintenant être en état d'arrestation. Il croyait même que Tallien l'était aussi[268]. Il se trompait pour l'amant ; mais quant à la maîtresse, elle était en effet arrêtée depuis trois jours.

Contrainte par le représentant du peuple Ysabeau de quitter Bordeaux[269] à cause des intrigues auxquelles on la voyait se livrer, Thérézia était accourue à Fontenay-aux-Roses, dans une propriété de son premier mari, où elle avait reçu de fréquentes visites de Tallien. Souvent elle était venue dîner avec lui à Paris chez le restaurateur Méot. Tallien avait pour ami Taschereau-Fargues, commensal de la maison Duplay, et admirateur enthousiaste de Robespierre, qu'après Thermidor, comme nous avons déjà dit, il déchira à belles dents. Ce Taschereau proposa à Tallien de loger sa maîtresse, quand elle viendrait à Paris, rue de l'Union, aux Champs-Élysées, dans une maison appartenant à Duplay, et qu'on pouvait en conséquence regarder comme un lieu de sûreté. Mais déjà le comité de Salut public avait lancé contre Thérézia Cabarrus un mandat d'arrestation. Avertie par Taschereau, elle courut se refugier à Versailles ; il était trop tard : elle y fut suivie de près et arrêtée, dans la nuit du 11 au 12 prairial, par les généraux La Vallette et Boulanger[270].

L'impunité assurée à Tallien par la catastrophe de Thermidor, l'influence énorme qu'il recueillit de sa participation à cet odieux guet-apens, n'empêchèrent pas, à diverses reprises, des bouches courageuses de lui cracher ses méfaits à la face. Entrons en lice, Tallien et moi, s'écria un jour Cambon. Viens m'accuser, Tallien ; je n'ai rien manié, je n'ai fait que surveiller ; nous verrons si dans tes opérations particulières tu as porté le même désintéressement ; nous verrons si, au mois de septembre, lorsque tu étais à la commune, tu n'as pas donné ta griffe pour faire payer une somme d'un million cinq cent mille livres, dont la destination te fera rougir. Oui, je t'accuse, monstre sanguinaire, je t'accuse. on m'appellera robespierriste si l'on veut. je t'accuse d'avoir trempé tes mains, du moins par tes opinions, dans les massacres commis dans les cachots de Paris ![271] Et cette sanglante apostrophe fut plusieurs fois interrompue pas les applaudissements. Nous n'avons pas les trésors de la Cabarrus, nous ! cria un jour à Tallien Duhem indigné[272].

Maintenant, que des romanciers à la recherche de galantes aventures, que de pseudo-historiens s'évertuent à réhabiliter Tallien et Thérézia Cabarrus, c'est chose qu'à coup sûr ne leur envieront pas ceux qui ont au cœur l'amour profond de la patrie et le respect des mœurs, et qui ne peuvent pas plus s'intéresser à l'homme dont la main contribua si puissamment à tuer la République qu'à la femme dont la jeunesse scandaleuse indigna même l'époque corrompue du Directoire. N'est-ce pas encore un des admirateurs de Thérézia qui raconte qu'un jour qu'elle se promenait sur une promenade publique, les bras et les jambes nus, et la gorge au vent, ses nudités attroupèrent la populace, laquelle, n'aimant ni les divorces ni les apostasies, se disposait à se fâcher tout rouge ? Thérézia eût couru grand risque d'essuyer un mauvais traitement si, par bonheur, un député de sa connaissance ne fût venu à passer juste à temps pour la recueillir dans sa voiture[273]. Notre-Dame de Thermidor, disaient en s'inclinant jusqu'à terre les beaux esprits du temps, les courtisans de la réaction, quand par exemple la citoyenne Fontenay-Cabarrus, devenue Mme Tallien, apparaissait au bal des victimes. Ah ! laissons-le lui ce nom de Notre-Dame de Thermidor, elle l'a bien gagné. N'a-t-elle pas présidé à l'orgie blanche, cynique et sans frein, où l'on versait, pour se désaltérer, non plus le sang des conspirateurs, des traîtres, des ennemis de la Révolution, mais celui des meilleurs patriotes et des plus dévoués défenseurs de la liberté ? N'a-t-elle pas été la reine et l'idole de tous les flibustiers, financiers, agioteurs, dilapidateurs de biens nationaux et renégats qui fleurirent au beau temps du Directoire ? Oui, c'est bien la Dame de Thermidor, l'héroïne de cette exécrable journée où la Révolution tomba dans l'intrigue, où la République s'abîma dans une fange sanglante[274].

On avait, en prairial, comme on l'a vu, songé à donner pour asile à Thérézia Cabarrus une maison des Champs-Élysées appartenant à Duplay. Ce nom amène sous ma plume un rapprochement bien naturel et qui porte en soi un enseignement significatif. A l'heure où, libre, fêtée, heureuse, la ci-devant marquise de Fontenay payait en sourires les têtes coupées dans les journées des 10, 11 et 12 thermidor et se livrait aux baisers sanglants de son héros Tallien, une des filles de Duplay était jetée dans les cachots de la Terreur blanche avec son enfant à la mamelle : c'était la femme du député Le Bas, le doux et héroïque ami de Robespierre, une honnête femme celle-là ! Une nuit, à la prison de Saint-Lazare, où elle avait été déposée, le geôlier vint la réveiller en sursaut. Deux inconnus, envoyés par quelque puissant personnage du jour, la demandaient. Elle s'habilla à la hâte et descendit. On était chargé de lui dire que si elle consentait à quitter le nom de son mari, elle pourrait devenir la femme d'un autre député ; que son fils, — le futur précepteur de l'empereur Napoléon III, — alors âgé de six semaines à peine, serait adopté comme enfant de la patrie, enfin qu'on lui assurerait une existence heureuse. Mme Le Bas était une des plus charmantes blondes qu'on pût voir, la grâce et la fraîcheur mêmes. Allez dire à ceux qui vous envoient, répondit-elle, que la veuve Le Bas ne quittera ce nom sacré que sur l'échafaud. — J'étais, a-t-elle écrit plus tard[275], trop fière du nom que je portais, pour l'échanger même contre une vie aisée. Demeurée veuve à l'âge de vingt-trois ans, Élisabeth Duplay se remaria, quelques années après, à l'adjudant général Le Bas, frère de son premier mari, et garda ainsi le nom qui était sa gloire. Elle vécut dignement, et tous ceux qui l'ont connue, belle encore sous sa couronne de cheveux blancs, ont rendu témoignage de la grandeur de ses sentiments et de l'austérité de son caractère. Elle mourut dans un âge avancé, toujours fidèle au souvenir des grands morts qu'elle avait aimés, et dont, jusqu'à son dernier jour, elle ne cessa d'honorer et de chérir la mémoire. Quant à la Dame de Thermidor, Thérézia Cabarrus, ex-marquise de Fontenay, citoyenne Tallien, puis princesse de Chimay, on connaît l'histoire de ses trois mariages, sans compter les intermèdes. Elle eut, comme on sait, trois maris vivants à la fois. Comparez maintenant les deux existences, les deux femmes, et dites laquelle mérite le mieux le respect et les sympathies des gens de bien..

 

XXIV

On sait à quoi s'en tenir désormais sur Tallien, le sauveur de la France., suivant les enthousiastes de la réaction. N'omettons pas de dire qu'il fut le défenseur de Jourdan Coupe-Tête au moment où celui-ci fut appelé à rendre compte de ses nombreux forfaits au tribunal révolutionnaire. Du 24 prairial au 9 Thermidor, on n'entendit plus parler de lui. Pendant ce temps-là il fit son œuvre souterraine, couché à plat ventre devant Robespierre pour essayer de l'endormir dans une sécurité trompeuse. Courtier de calomnies, il s'en allait de l'un à l'autre, colportant le soupçon et la crainte, tirant profit de l'envie chez celui-ci, de la peur chez celui-là, et mettant au service de la contre-révolution même sa lâcheté et ses rancunes[276].

Mais Tallien n'était qu'un bouffon auprès du sycophante Fouché. Saluons ce grand machiniste de la conspiration thermidorienne ; nul plus que lui ne contribua à la perte de Robespierre ; il tua la République en Thermidor par ses intrigues, comme il tua l'Empire en 1815. Une place d'honneur lui est certainement due dans l'histoire en raison de la part considérable pour laquelle il a contribué aux malheurs de notre pays. Rien du reste ne saurait honorer davantage la mémoire de Robespierre que l'animadversion de Fouché et les circonstances qui l'ont amenée.

Ses relations avec lui remontaient à une époque antérieure à la Révolution ; il l'avait connu à Arras, où le futur mitrailleur de Lyon donnait alors des leçons de philosophie[277]. Fouché s'était jeté avec ardeur dans le mouvement révolutionnaire, bien décidé à moissonner largement pour sa part dans ce champ ouvert à toutes les convoitises. Ame vénale, caractère servile, habile à profiter de toutes les occasions capables de servir à sa fortune, il s'était attaché à Robespierre à l'heure où la faveur populaire semblait désigner celui-ci comme le régulateur obligé de la Révolution. L'idée de devenir le beau-frère du glorieux tribun flattait alors singulièrement son amour-propre, et il mit tout en œuvre pour se faire agréer de Charlotte. Sa figure repoussante pouvait être un obstacle, il parvint à charmer la femme à force d'esprit et d'amabilité. Charlotte était alors âgée de trente-deux ans, et sans être d'une grande beauté, elle avait une physionomie extrêmement agréable ; mais, comme il est fort probable, Fouché ne vit en elle que la sœur de Robespierre. Charlotte subordonna son consentement à l'autorisation de son frère, auquel elle parla des avances de Fouché. Plein d'illusions encore sur ce dernier, et confiant dans la sincérité de sa foi démocratique, Maximilien ne montra aucune opposition à ce mariage[278]. La sanguinaire conduite de Fouché dans ses missions brisa tout.

Nous avons montré avec quelle modération, après la prise de Lyon, Couthon avait exécuté les rigoureux décrets rendus par la Convention nationale, contre la ville rebelle, et nous avons dit commentai la place de ce proconsul, dont les moyens avaient été trouvés trop doux, on avait envoyé Collot-d'Herbois et Fouché, deux messagers de mort. Nous avons parlé des longs et profonds regrets auxquels donna lieu le départ du respectable ami de Robespierre. Ah ! si le vertueux Couthon fût resté à la Commune-Affranchie, que d'injustices de moins ![279] Nous avons également cité quelques extraits d'une autre lettre adressée à Robespierre, et où il est dit : Je t'assure que je me suis senti renaître, lorsque l'ami sûr et éclairé qui revenait de Paris, et qui avait été à portée de vous étudier dans vos bureaux, m'a assuré que bien loin d'être l'ami intime de Collot-d'Herbois, tu ne le voyais pas avec plaisir dans le comité de Salut public[280]... Collot-d'Herbois et Fouché, c'est tout un. L'un et l'autre, le second surtout, représentaient l'hébertisme dans sa plus sauvage expression. Prédestiné à la police, Fouché écrivait de Nevers à son ami Chaumette, dès le mois d'octobre 1793 : Mes mouchards m'ont procuré d'heureux renseignemens, je suis à la découverte d'un complot qui va conduire bien des scélérats à l'échafaud. Il est nécessaire de s'emparer des revenus des aristocrates, d'une manière ou d'une autre. Un peu plus tard, le 30 frimaire, il lui écrivait de Lyon afin de se plaindre que le comité de Salut public eût suspendu l'exécution des mesures prises par lui pour saisir tous les trésors des départements confiés à sa surveillance, et il ajoutait : Quoi qu'il en soit, mon ami, cela ne peut diminuer notre courage et notre fermeté. Lyon ne sera plus, cette ville corrompue disparaîtra du sol républicain avec tous les conspirateurs[281]. Qui ne connaît les atrocités commises à Lyon par les successeurs de Couthon, et qui ne frémit à ce souvenir sanglant ? Collot-d'Herbois parti, on aurait pu espérer une diminution de rigueurs ; mais Fouché restait, et le 21 ventôse (11 mars 1794) il écrivait à la Convention nationale : Il existe encore quelques complices de la révolte lyonnaise, nous allons les lancer sous la foudre ; il faut que tout ce qui fit la guerre à la liberté, tout ce qui fut opposé à la République, ne présente aux yeux des républicains que des cendres et des décombres[282]. Les cris et les plaintes des victimes avaient douloureusement retenti dans le cœur de Maximilien. Son silence glacial à l'égard de Collot-d'Herbois, son obstination à ne point répondre à ses lettres, tout démontre qu'il n'approuvait nullement les formes expéditives qu'apportaient dans leurs missions les sauvages exécuteurs des décrets de la Convention. Lui cependant ne pouvait rester plus longtemps sourd aux gémissements dont les échos montaient incessamment vers lui : Ami de la liberté, défenseur intrépide des droits du peuple ; lui écrivait encore un patriote de Lyon, c'est à toi que je m'adresse, comme au républicain le plus intact. Cette ville fut le théâtre de la contrerévolution et déjà la plupart des scélérats ne respirent plus. Mais malheureusement beaucoup d'innocents y sont compris. Porte ton attention, et promptement, car chaque jour en voit périr. Le tableau que je te fais est vrai et impartial, et on en fait beaucoup de faux. Mon ami. on attend de toi la justice à qui elle est due, et que cette malheureuse cité soit rendue à la République. Dans tes nombreuses occupations, n'oublie pas celle-ci[283]. Le 7 germinal (27 mars 1794), c'est-à-dire moins de quinze jours après la réception de la lettre où Fouché parlait de lancer sous la foudre les derniers complices de la révolte lyonnaise, Robespierre le faisait brusquement rappeler par un ordre du comité de Salut public[284].

A peine de retour à Paris, Fouché courut chez Maximilien pour avoir une explication. Charlotte était présente à l'entrevue. Voici en quels termes elle a elle-même raconté cette scène : Mon frère lui demanda compte du sang qu'il avait fait couler, et lui reprocha sa conduite avec une telle énergie d'expression, que Fouché était pâle et tremblant. Il balbutia quelques excuses, et rejeta les mesures cruelles qu'il avait prises sur la gravité des circonstances. Robespierre lui répondit que rien ne pouvait justifier les cruautés dont il s'était rendu coupable ; que Lyon, il est vrai, avait été en insurrection contre la Convention nationale, mais que ce n'était pas une raison pour faire mitrailler en masse des ennemis désarmés[285]. A partir de ce jour, le futur duc d'Otrante, le futur ministre de la police impériale devint le plus irréconciliable ennemi de Robespierre.

 

XXV

Dès le 21 germinal (10 avril 1794), Fouché avait paru, comme en champ clos, aux Jacobins, avec un patriote de Lyon qui s'était présenté pour réfuter le compte rendu de ses opérations à Lyon. Ce jour-là Robespierre usa de quelques ménagements envers son collègue, ne se trouvant pas suffisamment renseigné encore pour l'attaquer et le démasquer en public[286]. Il attendait sans doute, pour se prononcer ouvertement, des renseignements positifs de Reverchon et de Laporte, chargés, sur sa proposition, d'organiser à Commune-Affranchie le gouvernement révolutionnaire et d'y prendre toutes les mesures exigées par les intérêts de la République[287]. Quoi qu'il en soit, il avait été tellement révolté de la manière dont avaient procédé les commissions populaires établies par Collot-d'Herbois et par Fouché, qu'au moment où Ferney, un des juges de ces commissions, s'était trouvé appelé par Maignet à figurer dans la commission d'Orange, il lui avait écrit ou fait écrire afin de lui recommander sinon plus d'impartialité, au moins plus d'indulgence pour l'erreur, comme le prouvent ces lignes significatives de Ferney lui-même : Je ne puis m'empêcher de te dire que j'ai été un peu affecté de l'espèce de reproche que tu me fais relativement à Commune-Affranchie ; car, indépendamment qu'il y a eu trois commissions et que je n'ai été que de la dernière, j'atteste ici le témoignage non-seulement de tes collègues Fillion et Ëmery, mais encore d'Achard et de Pillot, et de tant d'autres qui tous ont été à portée de voir, que j'étais plutôt le défenseur que le juge de ceux qui pouvaient être présumés avoir plutôt agi par erreur que par méchanceté[288]. Voilà donc un aveu précieux : Robespierre ne voulait pas que la vengeance nationale atteignît ceux qui pouvaient être présumés avoir agi par erreur. Aussi comme avec raison il pourra s'écrier, le 8 thermidor : Est-ce nous qui avons porté la terreur dans toutes les conditions... qui avons déclaré la guerre aux citoyens paisibles, érigé en crimes ou des préjugés incurables ou des choses indifférentes, pour trouver partout des coupables et rendre la Révolution redoutable au peuple même ?... Mais n'anticipons pas.

Le 23 prairial (11 juin 1794), une réclamation de la société populaire de Nevers fournit à Maximilien l'occasion d'attaquer très-énergiquement Fouché ; il ne la laissa point échapper. Si la grande majorité de la société lui était dévouée, elle comptait cependant au milieu d'elle un parti puissant qui lui était hostile. Ainsi André Dumont et Javogues, deux hébertistes, deux de ses ennemis, passés au scrutin épuratoire au commencement de cette séance, avaient été admis sans opposition, et les Jacobins avaient présentement pour président Fouché lui-même. Les pétitionnaires venaient dénoncer les persécutions et les vexations dont chaque jour les patriotes étaient victimes. Robespierre ne comprenait rien à cette dénonciation. Tout ce qu'il savait, c'était qu'à Nevers le système d'intolérance irréligieuse inauguré par Chaumette était encore en pleine vigueur, que le décret relatif à l'Être suprême y avait été foulé aux pieds, et qu'on y avait accusé la Convention nationale d'avoir été trompée par le comité de Salut public, par des modérés. Il adjura le président, qui jadis avait été en mission dans la Nièvre, de donner des explications à la société sur la situation de ce département, et de dire franchement ce qu'il savait des manœuvres auxquelles s'était livré Chaumette, alors qu'abandonnant son poste d'agent national de la commune de Paris, celui-ci s'était rendu à Nevers. Pour toute réponse, Fouché se perdit en banalités insignifiantes et se contenta d'accabler de force injures la mémoire de son ancien ami, Anaxagoras Chaumette, ce qui lui attira cette foudroyante réplique de la part de Maximilien : Il ne s'agit pas de jeter à présent de la boue sur la tombe de Chaumette, lorsque ce monstre a péri sur l'échafaud ; il fallait lui livrer combat avant sa mort. Depuis longtemps on a fait le mal tout en parlant le langage des républicains ; tel vomit des imprécations contre Danton, qui naguère encore était son complice. Il en est d'autres qui paraissent tout de feu pour défendre le comité de Salut public et qui aiguisent contre lui les poignards. C'était l'heure, ne l'oublions pas, où s'ourdissait contre Maximilien la plus horrible des machinations, et déjà sans doute Robespierre soupçonnait Fouché d'en être l'agent le plus actif. Quant à lui, ne séparant pas sa cause de celle de la Convention nationale et du gouvernement, dont elle était le centre disait-il, il engageait fortement les vrais patriotes, ceux qui, dans la carrière de la Révolution, n'avaient cherché que le bien public, à se rallier autour de l'Assemblée et du comité de Salut public, à se tenir plus que jamais sur leurs gardes et à étouffer les clameurs des intrigants. Aux patriotes opprimés il promit la protection du gouvernement, résolu à combattre de tout son pouvoir la vertu persécutée. La première des vertus républicaines, s'écria-t-il en terminant, est de veiller pour l'innocence. Patriotes purs, on vous fait une guerre à mort, sauvez-vous, sauvez-vous avec les amis de la liberté. Cette rapide et éloquente improvisation fut suivie d'une violente explosion d'applaudissements. Fouché, atterré, balbutia à peine quelques mots de réponse[289].

Il n'eut plus alors qu'une pensée, celle de la vengeance. Attaquer Robespierre de front, c'était difficile ; il fallait aller à lui par des chemins ténébreux, frapper dans l'ombre sa réputation, employer contre lui la ruse, l'intrigue, la calomnie, le mensonge, tout ce qui, en un mot, révolte la conscience humaine. Fouché et ses amis ne reculèrent pas devant cette œuvre de coquins. On a parlé de la conjuration de Robespierre, et un écrivain en a même écrit l'histoire, si l'on peut profaner ce nom d'écrivain en l'appliquant au misérable qui a signé cet odieux pamphlet[290]. La conjuration de Robespierre ! c'est là une de ces bouffonneries, une de ces mystifications dont il est impossible d'être dupe si l'on n'y met une excessive bonne volonté ; mais ce qui est bien avéré, c'est la conjuration contre Robespierre, c'est cette conspiration d'une bande de scélérats contre l'immortel tribun.

On chercherait en vain dans l'histoire des peuples l'exemple d'un si horrible complot. Les conjurés, on les connaît. A Fouché et à Tallien il faut ajouter Rovère, le digne associé de Jourdan Coupe-Tête dans le trafic des biens nationaux ; les deux Bourdon, déjà nommés ; Guffroy, le journaliste à la feuille immonde et sanglante ; Thuriot, un de ceux qui, avec Montaut, avait le plus insisté pour le renvoi des soixante-treize Girondins devant le tribunal révolutionnaire[291] ; enfin Lecointre, Legendre et Fréron. Ces trois derniers méritent une mention particulière, comme étant les types les plus parfaits de cette bourgeoise égoïste qui, une fois ses rancunes d'amour propre satisfaites par rabaissement de la noblesse, s'efforça d'arrêter court la Révolution, afin de s'enrichir en paix et de jouir de son triomphe. Lecointre était ce marchand de toiles qui commandait la garde nationale de Versailles aux journées des 5 et 6 octobre. La dépréciation de ses marchandises contribua sans doute quelque peu à refroidir son ardeur révolutionnaire ; cependant ses spéculations comme accapareur paraissent avoir largement compensé ses pertes comme commerçant[292]. Extrême en tout, Laurent Lecointre fut d'abord un révolutionnaire forcené et devint plus tard le bouledogue de la réaction. Toutefois, tant que vécut Robespierre, il se tint sur une réserve prudente, et ce fut seulement un mois après la chute du colosse qu'il se vanta d'avoir pris part à une conjuration formée contre lui dès le 5 prairial. C'était du reste un des intimes de Fouquier-Tinville. Le jour où l'accusateur public fut mandé à la barre de la Convention, après le 9 Thermidor, Lecointre s'écria en le voyant : Voilà un brave homme, un homme de mérite[293]. Les Thermidoriens étaient donc loin de considérer Fouquier comme une créature de Robespierre. Quant à Legendre., qui ne connaît le fameux boucher ? On a vu sa pusillanimité dans l'affaire de Danton. Il y a de lui un fait atroce. Dans la journée du 25 prairial, il reçut de Roch Marcandier, vil folliculaire dont nous avons déjà eu l'occasion de parler, une lettre par laquelle cet individu, réduit à se cacher depuis un an, implorait sa commisération. Le jour même Legendre faisait sa déclaration au comité de Sûreté générale et promettait de prendre toutes les mesures nécessaires pour lui livrer Marcandier[294]. A quelque temps de là cet homme était guillotiné. Il semble que Legendre ait voulu se venger de sa lâcheté sur la mémoire de Maximilien. C'était lui pourtant qui avait tracé ces lignes : Une reconnaissance immortelle s'épanche vers Robespierre toutes les fois qu'on pense à un homme de bien[295]. Que dire de Fréron, ce démolisseur stupide qui voulut raser l'Hôtel de Ville de Paris, ce maître expert en calomnies, ce chef de la jeunesse dorée ? Son nom seul n'est-il pas une injure[296] ? A ce groupe impur joignez les noms maudits de Courtois, dénoncé à diverses reprises au comité de Salut public comme dilapidateur des fonds de l'État, de Barras, ce gentilhomme déclassé qu'on eût cru payé pour venger sur les plus purs défenseurs de la Révolution les humiliations de sa caste, d'André Dumont, qui s'entendait si bien à mettre Beauvais au bouillon maigre et à prendre dans son large filet tout son gibier de guillotine, c'est-à-dire les nobles et les animaux noirs appelés prêtres[297], de Carrier, de ces hommes enfin dont Robespierre voulait punir les crimes, réprimer les excès, et vous aurez la liste à peu près complète des auteurs de la conjuration thermidorienne.

 

XXVI

Faire le vide autour de Robespierre en l'isolant à la fois, par les plus infâmes calomnies, et des gens de la droite et des membres les plus avancés de la Montagne, lui imputer toutes les rigueurs de la Révolution, attirer dans la conjuration le plus grand nombre de députés possible en répandant de prétendues listes de représentants dévoués par lui au tribunal révolutionnaire, tel fut le plan adopté par les conjurés, plan digne du génie infernal de Fouché ! Ce n'est pas tout. Les Girondins avaient autrefois, à grand renfort de calomnies, dressé contre Maximilien une monstrueuse accusation de dictature. On n'a pas oublié les diffamations mensongères tombées de la bouche de leurs orateurs et propagées par leurs journaux ; les Thermidoriens n'eurent pas à se mettre en frais d'imagination, ils reprirent tout simplement la thèse girondine ; seulement, au lieu d'attaquer leur adversaire de front, ils le frappèrent traîtreusement par derrière, ils le combattirent sourdement, lâchement, bassement, en gens de sac et de corde qu'ils étaient. Ils rencontrèrent de très-utiles auxiliaires dans les feuilles étrangères, leurs complices peut-être, où l'on s'ingéniait aussi pour tout rapporter Maximilien. Les agents de Robespierre, les soldats de Robespierre, etc.[298]. On eût pu croire à une entente merveilleuse. Les Girondins avaient imaginé le triumvirat Danton, Marat et Robespierre ; les Thermidoriens inventèrent le triumvirat Robespierre, Couthon et Saint-Just.

Le lendemain même du 22 prairial, les conjurés se mirent en devoir de réaliser, suivant l'expression de Maximilien, des terreurs ridicules répandues par la calomnie[299], et ils firent circuler une première liste de dix-huit représentants qui devaient être arrêtés par les ordres des comités. Dès le 26 prairial (14 juin 1794) Couthon dénonçait cette manœuvre aux Jacobins, en engageant ses collègues de la Convention à se défier de ces insinuations atroces, et en portant à six au plus le nombre des scélérats et des traîtres à démasquer[300]. Cinq ou six peut-être, tel était en effet le nombre exact des membres dont Maximilien aurait voulu voir les crimes punis par l'Assemblée[301]. Est-ce qu'après Thermidor la Convention hésitera a en frapper davantage ? Mais la peur est affreusement crédule ; le chiffre alla grossissant de jour en jour, et il arriva un moment où trente députés n'osaient plus coucher chez eux[302]. Est-il vrai, s'écriait Robespierre à la séance du 8 thermidor, que l'on ait colporté des listes odieuses où l'on désignait pour victimes un certain nombre de membres de la Convention, et qu'on prétendait être l'ouvrage du comité de Salut public et ensuite le mien ? Est-il vrai qu'on ait osé supposer des séances du comité, des arrêtés rigoureux qui n ont jamais existé, des arrestations non moins chimériques ? Est-il vrai qu'on ait cherché à persuader à un certain nombre de représentants irréprochables que leur perte était résolue ; à tous ceux qui, par quelque erreur, avaient payé un tribut inévitable à la fatalité des circonstances et à la faiblesse humaine, qu'ils étaient voués au sort des conjurés ? Est-il vrai que l'imposture ait été répandue avec tant d'art et tant d'audace qu'un grand nombre de membres n'osaient plus habiter la nuit leur domicile ? Oui, les faits sont constants, et les preuves de ces manœuvres sont au comité de Salut public[303]. De ces paroles de Couthon et de Robespierre, dites à plus de six semaines d'intervalle, il résulte deux choses irréfutables : d'abord, que les conjurés, en premier lieu, en voulaient au comité de Salut public tout entier ; ensuite, que ces prétendues listes de proscrits dont les ennemis de Robespierre se prévalent encore aujourd'hui avec une insigne mauvaise foi n'ont jamais existé. De quel poids peuvent être, en présence de dénégations si formelles, les assertions de quelques misérables ?

Dans le pamphlet publié après Thermidor par l'ex-juré Vilate, dans l'espérance d'apitoyer l'impitoyable réaction et d'avoir la vie sauve, on lit qu'après la séance du 23 messidor, aux Jacobins, cette séance où Robespierre s'écria qu'il était temps d'arrêter l'effusion de sang humain versé par le crime, Barère s'étendit tout défaillant dans un fauteuil en s'écriant : Je suis soûl des hommes. Si j'avais un pistolet. Je ne reconnais plus que Dieu et la nature. Tout cela ne sent guère son Barère. Qu'avait donc le pauvre homme ? Sa réputation, nous dit Vilate, avait été attaquée, compromise par Robespierre. A cela il y a un malheur, c'est que ce jour-là Maximilien n'avait pas fait la moindre allusion à son collègue Barère. N'importe, celui-ci ne s'en serait pas moins écrié : Ce Robespierre est insatiable ! Parce qu'on ne fait pas tout ce qu'il voudrait, il faut qu'il rompe la glace avec nous. S'il nous parlait de Thuriot, Guffroy, Rovère, Lecointre, Panis, Cambon, de ce Monestier qui a vexé toute ma famille, et de toute la séquelle dantoniste, nous nous entendrions ; qu'il demande encore Tallien, Bourdon (de l'Oise), Legendre, Fréron, à la bonne heure. Mais Duval, mais Audoin, mais Léonard Bourdon, Vadier, Voulland, il est impossible d'y consentir[304]. Qu'en l'an III Vilate se soit si bien rappelé les paroles de Barère, c'est au moins douteux. Dans les Mémoires de ce dernier il n'y a trace de cette scène mélodramatique ; Barère parle seulement d'une liste que les partisans de Robespierre faisaient courir, liste de dix-huit députés que ce dernier, dit-il, voulait mettre en état d'arrestation pour avoir outrepassé leur mandat et exercé la tyrannie dans les départements où ils avaient été en mission. Et il cite Tallien, Fréron, Barras, Alquier, Dubois-Crancé, Monestier (du Puy de Dôme), Prieur, Cavaignac[305]. Au reste, Vilate et Barère ne méritent, comme on sait, pas plus de confiance l'un que l'autre[306].

La vérité est que des listes couraient, dressées non point par les partisans de Robespierre, mais par ses plus acharnés ennemis. En mettant sur ces listes les noms des Voulland, des Vadier, des Panis, on entraîna sans peine le comité de Sûreté générale, dont les membres, à l'exception de deux ou trois, avons-nous dit déjà, étaient depuis longtemps fort mal disposés envers Robespierre ; mais on n'eut pas si facilement raison du comité de Salut public, qui continua de surveiller les conjurés pendant tout le courant de messidor, comme-nous en avons la preuve par les rapports de police, où nous trouvons le compte rendu des allées et venues des Bourdon (de l'Oise), Tallien et autres. Le prétendu espionnage organisé par Robespierre est, nous le démontrerons bientôt, une fable odieuse et ridicule inventée par les Thermidoriens. Malgré les divisions nées dans les derniers jours de prairial entre Maximilien et ses collègues au comité, ceux-ci hésitèrent longtemps, jusqu'à la fin de messidor, à l'abandonner ; un secret pressentiment semblait les avertir qu'en le livrant à ses ennemis, ils livraient la République elle-même. Ils ne consentirent à le sacrifier que lorsqu'ils le virent décidé à mettre fin à la Terreur exercée comme elle l'était, et à en poursuivre les criminels agents. A Fouché revient l'honneur infâme d'avoir triomphé de leurs hésitations. A la séance du 9 Thermidor, Collot-d'Herbois prétendit qu'il était resté deux mois sans voir Fouché[307]. Mais c'était là une allégation mensongère, comme le prouvent ces lignes de Fouché lui-même, qui ici n'avait aucun intérêt à déguiser la vérité : J'allai droit à ceux qui partageaient le gouvernement de la Terreur avec Robespierre, et que je savais être envieux et craintifs de son immense popularité. Je révélai à Collot-d'Herbois, à Carnot, à Billaud de Varenne les desseins du moderne Appius[308]. Les démarches du futur duc d'Otrante réussirent au delà de ses espérances, car le 30 messidor il pouvait écrire à son beau-frère, à Nantes : Soyez tranquille sur l'effet des calomnies atroces lancées contre moi ; je n'ai rien à dire contre leurs auteurs, ils m'ont fermé la bouche. Mais le gouvernement prononcera bientôt entre eux et moi. Comptez sur la vertu de sa justice[309]. Que le futur duc d'Otrante ait trouvé dans Billaud-Varenne et dans Carnot des envieux de l'immense popularité de Robespierre, cela est hors de doute ; mais dans Collot-d'Herbois il rencontrait un complice, c'était mieux. En entendant Maximilien demander compte à Fouché de l'effusion de sang répandu par le crime, Collot se crut sans doute menacé lui-même, et il conclut un pacte avec son complice de Lyon ; il y avait entre eux la solidarité du sang versé.

 

XXVII

Que reprocha surtout Robespierre à ses ennemis ? Ce fut d'avoir multiplié les actes d'oppression pour étendre le système de terreur et de calomnie[310]. Ils ne reculèrent devant aucun excès afin d'en rejeter la responsabilité sur celui dont ils avaient juré la perte. L'idée de rattacher l'affaire de Ladmiral et de Cécile Renault à un complot de l'étranger et de livrer l'assassin et la jeune royaliste au tribunal révolutionnaire en compagnie d'une foule de gens avec lesquels ils n'avaient jamais eu aucun rapport fut très-probablement le résultat d'une noire intrigue. S'il faut en croire l'espion Senar, cette idée aurait été mise en avant par Louis (du Bas-Rhin), lequel se serait exprimé en ces termes : Je pense que l'attentat contre Robespierre et celui contre Collot-doivent être présentés comme venant d'un complot de l'étranger ; nos collègues en paraîtront plus recommandables, et les membres des deux comités du gouvernement acquerront plus de force dans l'opinion[311]. Chargé de rédiger le rapport de cette affaire, Élie Lacoste, un des plus violents ennemis de Robespierre, s'efforça de rattacher la faction nouvelle aux factions de Chabot et de Julien de Toulouse), d'Hébert et de Danton. On aurait tort du reste de croire que l'accusation était dénuée de fondement à l'égard de la plupart des accusés ; méfions-nous de la sensiblerie affectée de ces écrivains qui réservent toutes leurs larmes pour les victimes de la Révolution et se montrent impitoyables pour les milliers de malheureux de tout âge et de tout sexe immolés par le despotisme. Ni Devaux, commissaire de la section Bonne-Nouvelle et secrétaire du fameux de Batz, le conspirateur émérite et insaisissable, ni l'épicier Cortey, ni Michonis n'étaient innocents. Étaient-ils moins coupables, ceux qui furent signalés par Lacoste comme ayant cherché à miner la fortune publique par des falsifications d'assignats ? Il se trouva qu'un des principaux agents du baron de Batz, nommé Roussel, était lié avec Ladmiral. Cette circonstance permit à Élie Lacoste de présenter Ladmiral et la jeune Renault comme les instruments dont s'étaient servis Pitt et l'étranger pour frapper certains représentants du peuple. Le père, un des frères et une tante de Cécile Renault furent enveloppés dans la fournée, parce qu'en faisant une perquisition chez eux, on avait découvert les portraits de Louis XVI et de Marie-Antoinette. Un instituteur du nom de Cardinal, un chirurgien nommé Saintanax et plusieurs autres personnes arrêtées pour s'être exprimées en termes calomnieux et menaçants sur le compte de Collot-d'Herbois et de Robespierre, furent impliqués dans l'affaire avec la famille Saint-Amaranthe et quelques personnages de l'ancien régime.

Robespierre resta aussi étranger que possible à cet affreux amalgame et à la mise en état d'accusation de la famille Renault, cela est clair comme la lumière du jour. Il y a mieux, un autre frère de la jeune Renault, quartier-maître dans le deuxième bataillon de Paris, ayant été incarcéré, à qui s'adressa-t-il pour échapper à la proscription de sa famille ?... A Maximilien. A qui avoir recours ? lui écrivit-il, A toi, Robespierre ! toi qui dois avoir eu horreur toute ma génération si tu n'étais pas généreux. Sois mon avocat. Ce jeune homme ne fut pas livré au tribunal révolutionnaire[312]. Fut-ce grâce à Robespierre, dont l'influence, hélas ! était déjà bien précaire à cette époque, je ne saurais le dire ; mais, comme il ne sortit de prison que trois semaines après le 9 Thermidor, on ne dira pas sans doute que s'il ne recouvra point tout de suite sa liberté ce fut par la volonté de Maximilien. Il faut avoir toute la mauvaise foi des ennemis de Robespierre, de ceux qui, par exemple, ne craignent pas d'écrire qu'il s'inventa un assassin, pour lui donner un rôle quelconque dans ce lugubre drame des chemises rouges, ainsi nommé parce qu'il plut au comité de Sûreté générale de revêtir tous les condamnés de chemises rouges, comme des parricides, pour les mener au supplice. C'était là de la part du comité un coup de maître, ont supposé quelques écrivains ; on voulait semer à la fois l'indignation et la pitié : voilà bien des malheureux immolés pour Robespierre ! ne manquerait-on pas de s'écrier. — Pourquoi pas pour Collot-d'Herbois ? — Ce qu'il y a seulement de certain, c'est que les conjurés faisaient circuler çà et là dans les groupes des propos atroces au sujet de la fille Renault. C'était, sans doute, insinuait-on, une affaire d'amourette, et elle n'avait voulu attenter aux jours du dictateur que parce qu'il avait fait guillotiner son amant[313]. Ah ! les Thermidoriens connaissaient, comme les Girondins, la sinistre puissance de la calomnie !

Une des plus atroces calomnies inventées par les écrivains de la réaction est à coup sûr celle à laquelle a donné lieu le supplice de la famille de Saint-Amaranthe, comprise tout entière dans le procès des chemises rouges. Le malheur de ces écrivains sans pudeur et sans foi est de ne pouvoir pas même s'entendre. Les uns ont attribué à Saint-Just la mort de cette famille. Nous avons démontré ailleurs la fausseté et l'infamie de cette allégation[314]. Les autres en ont rejeté la responsabilité sur Maximilien. Leur récit vaut la peine d'être raconté ; il n'est pas mauvais de flétrir les calomniateurs par la seule publicité de leurs œuvres de mensonge. Suivant eux, Robespierre se serait laissé mener un soir dans la maison de Mme de Saint-Amaranthe par Trial, artiste du théâtre des Italiens. Là, il aurait soupé, se serait enivré, et au milieu des fumées du vin, il aurait laissé échapper de redoutables secrets[315]. D'où la nécessité pour lui de vouer à la mort tous ceux dont l'indiscrétion aurait pu le compromettre. Le beau moyen, en vérité, et comme si ce n'eût pas été là, au contraire, le cas de les faire parler. On a honte d'entretenir le lecteur de pareilles inepties. Au reste, les artisans de calomnies, gens d'ordinaire fort ignorants, manquent rarement de fournir eux-mêmes quelque preuve de leur imposture. C'est ainsi que, voulant donner à leur récit un certain caractère de précision, les inventeurs de cette fameuse scène où le monstre se serait mis en pointe de vin l'ont placée dans le courant du mois de mai. Or Mme de Saint-Amaranthe avait été arrêtée dès la fin de mars et transférée à Sainte-Pélagie le 12 germinal (1er avril 1794)[316]. Quant à l'acteur Trial, il était si peu l'un des familiers de Robespierre, qu'il fut au lendemain de Thermidor un des membres de la commune régénérée, et qu'il signa comme tel les actes de décès des victimes de ce glorieux coup d'État. Du reste, il opposa toujours le plus solennel démenti à la fable ignoble dans laquelle on lui donna le rôle d'introducteur[317].

La maison de Mme de Saint-Amaranthe était une maison de jeux, d'intrigues et de plaisirs. Les dames du logis, la mère, femme séparée d'un ancien officier de cavalerie, et la fille, qu'épousa le fils fort décrié de l'ancien lieutenant général de police, de Sartines, étaient l'une et l'autre de mœurs fort équivoques avant la Révolution. Leur salon était une sorte de terrain neutre où le gentilhomme coudoyait l'acteur. Fleury et Elleviou en furent les hôtes de prédilection. Mirabeau y vint sous la Constituante, y joua gros jeu et perdit beaucoup. Plus tard, tous les révolutionnaires de mœurs faciles, Proly, Hérault-Séchelles, Danton, s'y donnèrent rendez-vous et s'y trouvèrent mêlés à une foule d'artisans de contre-révolution. Robespierre jeune s'y laissa conduire un soir au sortir de l'Opéra, avec Nicolas et Simon Duplay, par l'acteur Michot, un des sociétaires de la Comédie française. C'était longtemps avant le procès de Danton. Quand Robespierre eut eu connaissance de cette escapade, il blâma si sévèrement son frère et les deux neveux de son hôte que ceux-ci se gardèrent bien de remettre les pieds chez Mme de Saint-Amaranthe, malgré l'attrait d'une pareille maison pour des jeunes gens dont l'aîné n'avait pas vingt-neuf ans[318]. La famille de Saint-Amaranthe fut impliquée par le comité de Sûreté générale dans la conjuration dite de Batz, parce que sa demeure était un foyer d'intrigues et qu'on y méditait le soulèvement des prisons[319]. Vraie ou fausse, l'accusation, habilement soutenue par Élie Lacoste, établissait entre les membres de cette famille et les personnes arrêtées sous la prévention d'attentat contre la vie de Robespierre et de Collot-d'Herbois un rapprochement étrange, dont la malignité des ennemis de la Révolution ne pouvait manquer de tirer parti.

Y eut-il préméditation de la part du comité de Sûreté générale, et voulut-il, en effet, comme le prétend un historien de nos jours[320], placer ces femmes royalistes au milieu des assassins de Robespierre pour que leur exécution l'assassinât moralement, je ne saurais le dire ; mais ce qu'il est impossible d'admettre, c'est qu'Élie Lacoste ait obéi au même sentiment en impliquant dans son rapport comme complices de de Batz les quatre administrateurs de police Froidure, Dangé, Soulès et Marino, compromis depuis longtemps déjà, et qui se trouvaient en prison depuis le 9 germinal (29 mars 1794) quand Fouquier-Tinville les joignit aux accusés renvoyés devant le Tribunal révolutionnaire sur le rapport de Lacoste. Plus tard, dans le procès de Fouquier, Réal, le futur préfet de police impérial, prétendit que Froidure avait été guillotiné comme complice du prétendu assassinat de Robespierre[321], mais c'était là un mensonge de Réal ; il y a, au contraire, une distinction fondamentale établie par le décret de renvoi des accusés devant le Tribunal révolutionnaire entre Ladmiral et Cécile Renault et leurs coaccusés ; c'est à quoi les historiens en général n'ont pas pris assez garde. Marino, Soulès, Froidure et Dangé n'étaient pas à coup sûr innocents de tous les faits relevés à leur charge, et il est tout à fait ridicule de supposer, comme le fait M. Michelet par exemple, qu'on les plaça à la queue de la liste parce qu'ils étaient les ennemis personnels de Robespierre. Pourquoi de Robespierre plutôt que de Billaud-Varenne, qui écrivit de sa main le mandat d'arrestation des trois derniers ? que de Barère, de Collot-d'Herbois, de C.-A. Prieur et de Couthon, qui le signèrent avec Maximilien[322] ? Ah ! quand donc cessera-t-on d'écrire l'histoire à coups de préventions !

A la suite du rapport d'Élie Lacoste, la Convention nationale chargea par un décret l'accusateur public de rechercher tous les complices de la conspiration de de Batz ou de l'étranger qui pourraient être disséminés dans les maisons d'arrêt de Paris ou sur les différents points de la République. Voilà le décret qui donna lieu aux grandes fournées de messidor, qui permit à certaines gens de multiplier les actes d'oppression qu'on essayera de mettre à la charge de Robespierre, et contre lesquels nous l'entendrons s'élever avec tant d'indignation.

 

XXVIII

Si l'affaire des chemises rouges ne fut pas positivement dirigée contre Robespierre, on n'en saurait dire autant de celle dont le lendemain, 27 prairial (15 juin 1794), Vadier vint présenter le rapport à la Convention nationale.

Parce qu'un jour, aux Jacobins, Maximilien avait invoqué le nom de la Providence, parce qu'il avait dénoncé comme impolitiques d'abord, et puis comme souverainement injustes, les persécutions dirigées contre les prêtres en général et les attentats contre la liberté des cultes, les Girondins, on s'en souvient, l'avaient poursuivi de leurs épigrammes les plus mordantes, et s'étaient ingéniés pour faire de ce propre fils de Rousseau et du rationalisme. un prêtre. On a dit il y a longtemps que le ridicule tue en France, et l'on espérait tuer par le ridicule celui dont la vie privée et la vie publique étaient au-dessus de toute attaque. Copistes et plagiaires des Girondins, les Thermidoriens imaginèrent de transformer en une sorte de messie d'une secte d'illuminés l'homme qui, réagissant avec tant de courage contre l'intolérance des indévots, venait à la face de l'Europe de faire proclamer par la Convention la reconnaissance de l'Être suprême et consacrer de nouveau la liberté des cultes[323].

Il y avait alors, dans un coin retiré de Paris, une vieille femme nommé Catherine Théot, chez laquelle se réunissaient un certain nombre d'illuminés, gens à cervelle étroite, ayant soif de surnaturel, mais ne songeant guère à conspirer contre la République. La réception des élus pouvait prêter à rire : il fallait en premier lieu faire abnégation des plaisirs temporels, puis ou se prosternait devant la mère de Dieu, on l'embrassait sept fois, et l'on était consacré. Il n'y avait vraiment là rien de nature à inquiéter ni les comités ni la Convention, c'étaient de pures momeries dont la police avait eu le tort de s'occuper jadis, il y avait bien longtemps, quinze ans au moins. La pauvre Catherine avait même passé quelque temps à la Bastille et dans une maison de fous. Or, ce qui pouvait se comprendre jusqu'à un certain point dans l'ancien régime, où les consciences étouffaient sous l'arbitraire, était inconcevable en pleine Révolution. Eh bien ! le lieutenant de police fut dépassé par le comité de Sûreté générale ; les dévots de l'athéisme jugèrent à propos d'attaquer la superstition dans la personne de Catherine Théot, et ils transformèrent en crime de contre-révolution les pratiques anticatholiques de quelques illuminés.

Parmi les habitués de la maison de la vieille prophétesse figuraient l'ex-chartreux dom Gerle, ancien collègue de Robespierre à l'Assemblée constituante, le médecin de la famille d'Orléans, Etienne-Louis Quesvremont, surnommé Lamotte, une dame Godefroy, et la ci-devant marquise de Chastenois ; tels furent les personnages que le comité de Sûreté générale imagina de traduire devant le Tribunal révolutionnaire en compagnie de Catherine Théot. Ils avaient été arrêtés dès la fin de floréal, sur un rapport de l'espion Senar qui était parvenu à s'introduire dans le mystérieux asile de la rue Contrescarpe en sollicitant son initiation dans la secte, et qui, aussitôt reçu, avait fait arrêter toute l'assistance par des agents apostés. L'affaire dormait depuis trois semaines quand les conjurés de Thermidor songèrent à en tirer parti, la jugeant un texte excellent pour détruire l'effet prodigieux produit par la fête du 20 prairial et l'éclat nouveau qui en avait rejailli sur Robespierre. En effet, la vieille Catherine recommandait à ses disciples d'élever leurs cœurs à l'Être suprême, et cela au moment où la nation elle-même, à la voix de Maximilien, se disposait à en proclamer la reconnaissance. Quel rapprochement ! Et puis on avait saisi chez elle, sous son matelas, une certaine lettre écrite en son nom à Maximilien, lettre où elle l'appelait son premier prophète, son ministre chéri. Plus de doute, on conspirait en faveur de Robespierre. La lettre était évidemment fabriquée ; Vadier n'osa même pas y faire allusion dans son rapport à la Convention[324] ; mais n'importe, la calomnie était lancée. Enfin, dom Gerle, présenté comme le principal agent de la conspiration, était un protégé de Robespierre ; on avait trouvé dans ses papiers un mot de celui-ci attestant son patriotisme, et à l'aide duquel il avait pu obtenir de sa section un certificat de civisme, marque d'intérêt bien naturelle donnée par Maximilien à un ancien collègue dont il estimait les vertus[325]. Dom Gerle avait eu, l'on s'en souvient peut-être, la malencontreuse idée de proposer à l'Assemblée constituante d'ériger la religion catholique en religion d'État ; le rapporteur du comité de Sûreté générale ne manqua pas de rappeler cette circonstance pour donner à l'affaire une couleur de fanatisme ; mais il n'eut pas la bonne foi d'ajouter qu'éclairé par ses collègues de la gauche, sur les bancs de laquelle il siégeait, dom Gerle s'était empressé, dès le lendemain, de retirer sa proposition, au grand scandale de la noblesse et du clergé[326].

Robespierre occupait encore le fauteuil quand Vadier prit la parole au nom des comités de Sûreté générale et de Salut public. Magistrat de l'ancien régime, Vadier avait toutes les ruses d'un vieux procureur. Cet implacable ennemi de Maximilien, mettait une sorte de point d'honneur à obtenir des condamnations. Il y a à cet égard des lettres de lui à Fouquier-Tinville où il recommande nombre d'accusés, et qui font vraiment frémir[327]. On a attribué fort gratuitement à Barère la rédaction du rapport de Vadier dans l'affaire de Catherine Théot, je n'y reconnais pas la manière emphatique de ce membre du comité de Salut public, et j'y trouve au contraire toutes les roueries qui caractérisent le talent procédurier de l'ancien magistrat criminel[328]. Tout d'abord, Vadier dérida l'Assemblée par force plaisanteries sur les prêtres et sur la religion ; puis il amusa ses collègues aux dépens de la vieille Catherine, dont, par une substitution qu'il crut sans doute très-ingénieuse, il changea le nom de Théot en celui de Théos, qui en grec signifie Dieu. A chaque instant il était interrompu par des ricanements approbateurs et des applaudissements. Robespierre n'était point nommé dans ce rapport, où le nombre des adeptes de Catherine Théot était grossi à plaisir, mais l'allusion perfide perçait çà et là, et des rires d'intelligence apprenaient au rapporteur qu'il avait été compris. Conformément aux conclusions du rapport, la Convention renvoya devant le tribunal révolutionnaire Catherine Théot, dom Gerle, la veuve Godefroy et la ci-devant marquise de Chastenois, comme coupables de conspiration contre la République, et chargea l'accusateur public de rechercher et de punir tous les complices de cette prétendue conspiration[329].

C'était du délire. Ce que Robespierre ressentit de dégoût en se trouvant condamné à entendre comme président ces plaisanteries de Vadier, sous lesquelles se cachait une grande iniquité, ne peut se dire. Lui-même a dans son dernier discours rendu compte de sa douloureuse impression : La première tentative que firent les malveillants fut de chercher à avilir les grands principes que vous aviez proclamés, et à effacer le souvenir touchant de la fête nationale. Tel fut le but du caractère et de la solennité qu'on donna à l'affaire de Catherine Théot. La malveillance a bien su tirer parti de la conspiration politique cachée sous le nom de quelques dévotes imbéciles, et on ne présenta à l'attention publique qu'une farce mystique et un sujet inépuisable de sarcasmes indécents ou puérils. Les véritables conjurés échappèrent, et l'on faisait retentir Paris et toute la France du nom de la mère de Dieu. Au même instant on vit éclore une foule de pamphlets dégoûtants, dignes du Père Duchesne, dont le but était d'avilir la Convention nationale, le tribunal révolutionnaire, de renouveler les querelles religieuses, d'ouvrir une persécution aussi atroce qu'impolitique contre les esprits faibles ou crédules imbus de quelque ressouvenir religieux. En même temps une multitude de citoyens paisibles et même de patriotes ont été arrêtés à l'occasion de cette affaire ; et les coupables conspirent encore en liberté, car le plan est de les sauver, de tourmenter le peuple et de multiplier les mécontents. Que n'a-t-on pas fait pour parvenir à ce but ? Prédication ouverte de l'athéisme, violences inopinées contre le culte, exactions commises sous les formes les plus indécentes, persécutions dirigées contre le peuple sous prétexte de superstition... tout tendait à ce but[330].

Robespierre s'épuisa en efforts pour sauver les malheureuses victimes indiquées par Vadier. Il y eut au comité de Salut public de véhémentes explications. J'ai la conviction que ce fut au sujet de l'affaire de Catherine Théot qu'eut lieu la scène violente dont parlent les anciens membres du comité dans leur réponse à Lecointre, et qu'ils prétendent s'être passée à l'occasion de la loi de prairial. D'après un historien assez bien informé, Billaud-Varenne et Collot-d'Herbois auraient résisté aux prétentions de Robespierre, qui voulait étouffer l'affaire ou la réduire à sa juste valeur, c'est-à-dire à peu de chose[331]. Billaud se serait montré furieux et prodigue d'injures[332]. Quoi qu'il en soit, Robespierre finit par démontrer à ses collègues combien il serait odieux de traduire au tribunal révolutionnaire quelques illuminés tout à fait étrangers aux passions politiques et un ancien Constituant qui avait donné à la Révolution des gages de dévouement. L'accusateur public fut aussitôt mandé, et l'ordre lui fut donné par Robespierre lui-même, au nom du comité de Salut public, de suspendre l'affaire. Fouquier objecta en vain qu'un décret de la Convention lui enjoignait de la suivre, force lui fut d'obéir, et de remettre les pièces au comité[333]. Très-désappointé, et redoutant les reproches du comité de Sûreté générale, auxquels il n'échappa point, Fouquier-Tinville s'y transporta tout de suite. Là il rendit compte des faits et dépeignit tout son embarras, sentant bien le conflit entre les deux comités. Il, il, il, dit-il par trois fois, s'y oppose au nom du comité de Salut public. — Il, c'est-à-dire Robespierre, répondit un membre, Amar ou Vadier. Oui, répliqua Fouquier[334]. Si la volonté de Robespierre fut ici prépondérante, l'humanité doit s'en applaudir, car, grâce à son obstination, une foule de victimes innocentes échappèrent à la mort. L'animosité du comité de Sûreté générale contre lui en redoubla. Vadier ne se tint pas pour battu. Le 8 thermidor, répondant à Maximilien, il promit un rapport plus étendu sur cette affaire des illuminés dans laquelle il se proposa de faire figurer tous les conspirateurs anciens et modernes[335]. Preuve assez significative de la touchante résolution des Thermidoriens d'abattre la Terreur. Ce fut la dernière victoire de Robespierre sur les exagérés. Lutteur impuissant et fatigué, il va se retirer, moralement du moins, du comité de Salut public, se retremper dans sa conscience pour le dernier combat, tandis que ses ennemis, déployant une activité merveilleuse, entasseront pour le perdre calomnies sur calomnies, mensonges sur mensonges, infamies sur infamies.

 

XXIX

Tous les historiens sans exception, favorables ou hostiles à Robespierre, ont cru que durant quatre décades, c'est-à-dire quarante jours avant sa chute, il s'était complètement retiré du comité de Salut public, avait cessé d'y aller. C'est là une erreur capitale, et l'on va voir combien il est important de la rectifier. Si en effet, depuis la fin de prairial jusqu'au 9 Thermidor, Maximilien s'était purement et simplement contenté de ne plus paraître au comité, il serait souverainement injuste à coup sûr de lui demander le moindre compte des rigueurs commises en messidor, et tout au plus serait-on en droit de lui reprocher avec quelques écrivains de n'y avoir opposé que la force d'inertie. Mais si, au contraire, nous prouvons que pendant ces quarante derniers jours il a siégé sans désemparer au comité de Salut public, comme dans cet espace de temps il a refusé de s'associer à la plupart des grandes mesures de sévérité consenties par ses collègues, comme il n'a point voulu consacrer par sa signature certains actes oppressifs, c'est donc qu'il y était absolument opposé, qu'il les combattit à outrance ; c'est donc que, suivant l'expression de Saint-Just, il ne comprenait pas cette manière prompte d'organiser la foudre à chaque instant[336]. Voilà pourquoi il mérita l'honorable reproche que lui adressa Barère dans la séance du 10 thermidor, d'avoir voulu arrêter le cours terrible, majestueux de la Révolution ; et voilà pourquoi aussi, n'ayant pu décider les comités à s'opposer à ces actes d'oppression multipliés dont il gémissait, il se résolut à appeler la Convention à son aide et à la prendre pour juge entre eux et lui.

Les Thermidoriens du comité ont bien senti l'importance de cette distinction ; aussi se sont-ils entendus pour soutenir que Robespierre ne paraissait plus aux séances et que durant quatre décades il n'y était venu que deux fois, et encore sur une citation d'eux, la première pour donner les motifs de l'arrestation du comité révolutionnaire de la section de l'Indivisibilité, la seconde pour s'expliquer sur sa prétendue absence[337]. Robespierre n'était plus là pour répondre. Mais si en effet il eût rompu toutes relations avec le comité de Salut public, comment ses collègues de la Convention ne s'en seraient-ils pas aperçus ? Or, un des chefs de l'accusation de Lecointre contre certains membres des anciens comités porte précisément sur ce qu'ils n'ont point prévenu la Convention de l'absence de Robespierre. Rien d'embarrassé sur ce point comme la réponse de Billaud-Varenne : C'eût été un fait trop facile à excuser ; n'aurait-il pu prétexter une indisposition[338] ? Mais, objectait-on, et les signatures apposées par Robespierre au bas d'un assez grand nombre d'actes ? Ah ! disent les uns, il a pu signer quand deux fois il est venu au comité pour répondre à certaines imputations, ou quand il affectait de passer dans les salles, vers cinq heures, après la séance, ou quand il se rendait secrètement au bureau de police générale[339]. Il n'est pas étonnant, répond un autre en son nom particulier, que les chefs de bureau lui aient porté chez lui ces actes à signer au moment où il était au plus haut degré de sa puissance[340].

En vérité ! Et comment donc se fait-il alors que dans les trois premières semaines de ventôse, lorsque Robespierre était réellement retenu loin du comité par la maladie, les chefs de bureau n'aient pas songé à se rendre chez lui pour offrir à sa signature les arrêtés de ses collègues ? Et comment expliquer qu'elle se trouve sur certains actes de peu d'importance, tandis qu'elle ne figure pas sur les arrêtés qui pouvaient lui paraître entachés d'oppression ? Tout cela est misérable.

Quand Saladin rédigea son rapport sur la conduite des anciens membres des comités, il n'épargna pas à Robespierre les noms de traître et de tyran, c'était un tribut à payer à la mode du jour ; mais comme il le met à part de ceux dont il était chargé de présenter l'acte d'accusation, et comme sous les injures banales on sent percer la secrète estime de ce survivant de la Gironde pour l'homme à qui soixante-douze de ses collègues et lui devaient la vie et auquel il avait naguère adressé ses hommages de reconnaissance ! L'abus du pouvoir poussé à l'extrême, la terre plus que jamais ensanglantée, le nombre plus que doublé des victimes, voilà ce qu'il met au compte des ennemis, que dis-je, des assassins de Robespierre, en ajoutant à l'appui de cette allégation, justifiée par les faits, ce rapprochement effrayant : Dans les quarante-cinq jours qui ont précédé la retraite de Robespierre, le nombre des victimes est de cinq cent-soixante-dix-sept ; il s'élève à mille deux cent quatre-vingt-six pour les quarante-cinq jours qui l'ont suivie jusqu'au 9 Thermidor[341]. Quoi de plus éloquent ? et combien plus méritoire est la conduite de Maximilien si, au lieu de se tenir à l'écart, comme on l'a jusqu'ici prétendu, il protesta hautement avec Couthon et Saint-Just contre cette manière prompte d'improviser la foudre à chaque instant ! De toutes les listes d'accusés renvoyés devant le tribunal révolutionnaire de messidor en thermidor par les comités de Salut public et de Sûreté générale, une seule, celle du 2 thermidor, porte la signature de Maximilien à côté de celles de ses collègues[342]. Une partie de ces listes, relatives pour la plupart aux conspirations dites des prisons, ont été détruites, et à coup sûr celles-là n'étaient point signées de Robespierre[343]. Il n'a pas signé l'arrêté en date du 4 thermidor concernant l'établissement définitif de quatre commissions populaires créées par décret du 13 ventôse (3 mars 1794) pour juger tous les détenus dans les maisons d'arrêt des départements[344]. — Ce jour-là, du reste, il ne parut pas au comité, mais on aurait pu, d'après l'allégation de Billaud, lui faire signer l'arrêté chez lui.

En revanche, une foule d'actes, tout à fait étrangers au régime de la Terreur, sont revêtus de sa signature. Le 5 messidor, il signe avec ses collègues un arrêté par lequel il est enjoint au citoyen Smitz d'imprimer en langue et en caractères allemands quinze cents exemplaires du discours sur les rapports des idées religieuses et morales avec les principes républicains[345]. Donc ce jour-là l'entente n'était pas tout à fait rompue. Le 7, il approuve, toujours de concert avec ses collègues, la conduite du jeune Jullien à Bordeaux, et les dépenses faites par lui dans sa mission[346]. La veille, il avait ordonnancé avec Carnot et Couthon le payement de la somme de 3.000 livres au littérateur Demaillot et celle de 1.500 livres au citoyen Tourville, l'un et l'autre agents du comité[347]. Quelques jours après, il signait avec Billaud-Varenne l'ordre de mise en liberté de Desrozier, acteur du théâtre de l'Égalité[348], et, avec Carnot, l'ordre de mise en liberté de l'agent national de Romainville[349]. Le 18, il signe encore, avec Couthon, Barère et Billaud-Varenne, un arrêté qui réintégrait dans leurs fonctions les citoyens Thoulouse, Pavin, Maginet et Blachère, administrateurs du département de l'Ardèche, destitués par le représentant du peuple Reynaud[350]. Au bas d'un arrêté en date du 19 messidor, par lequel le comité de Salut public prévient les citoyens que toutes leurs pétitions, demandes et observations relatives aux affaires publiques doivent être adressées au comité, et non individuellement aux membres qui le composent, je lis sa signature à côté des signatures de Carnot, de C.-A. Prieur, de Couthon, de Collot-d'Herbois, de Barère et de Billaud-Varenne[351]. Le 16, il écrivait de sa main aux représentants en mission le billet suivant : Citoyen collègue, le comité de Salut public désire d'être instruit sans délai s'il existe ou a existé dans les départements sur lesquels s'étend ta mission quelques tribunaux ou commissions populaires. Il t'invite à lui en faire parvenir sur-le-champ l'état actuel avec la désignation du lieu et de l'époque de leur établissement. Robert Lindet, Billaud-Varenne, C.-A. Prieur, Carnot, Barère, Couthon et Collot-d'Herbois signaient avec lui[352]. Le 28, rappel de Dubois-Crancé, alors en mission à Rennes, par un arrêté du comité de Salut public signé : Robespierre, Carnot, Barère, Collot-d'Herbois, Billaud-Varenne, C.-A. Prieur, Couthon, Saint-Just et Robert Lindet[353]. L'influence de Maximilien est ici manifeste. On sait en effet combien ce représentant lui était suspect. Après lui avoir reproché d'avoir trahi à Lyon les intérêts de la République, il l'accusait à présent d'avoir à dessein occasionné à Rennes une fermentation extraordinaire en déclarant qu'il y aurait des chouans tant qu'il existerait un Breton[354] ! A cette date du 28 messidor, il signe encore avec Collot-d'Herbois, C.-A. Prieur, Carnot, Couthon, Barère, Saint-Just, Robert Lindet, le mandat de mise en liberté de trente-trois citoyens détenus dans les prisons de Troyes par les ordres du jeune Rousselin. Enfin, le 7 thermidor, il était présent à la délibération où fut décidée l'arrestation d'un des plus misérables agents du comité de Sûreté générale, de l'espion Senar[355], dénoncé quelques jours auparavant, aux Jacobins, par des citoyens victimes de ses actes d'oppression, et dont Couthon avait dit : S'il est vrai que ce fonctionnaire ait opprimé le patriotisme, il doit être puni. Il existe bien évidemment un système affreux de tuer la liberté par le crime[356]. Nous pourrions multiplier ces citations, mais il n'en faut pas davantage pour démontrer de la façon la plus péremptoire que Robespierre n'a jamais déserté le comité dans le sens réel du mot.

Au reste, ses anciens collègues ont accumulé dans leurs explications évasives et embarrassées juste assez de contradictions pour mettre à nu leurs mensonges. Ainsi, tandis que d'un côté ils s'arment contre lui de sa prétendue absence du comité pendant quatre décades, nous les voyons, d'un autre côté, lui reprocher d'avoir assisté muet aux délibérations concernant les opérations militaires, et de s'être abstenu de voter[357]. Dans les derniers temps, lit-on dans des Mémoires sur Carnot, il trouvait des prétextes pour ne pas signer les instructions militaires, afin sans doute de se ménager, en cas de revers de nos armées, le droit d'accuser Carnot[358]. Donc il assistait aux séances du comité. Mais ce qui lève tous les doutes, ce sont les registres du comité de Salut public, registres dont Lecointre ne soupçonnait pas l'existence, que nous avons sous les yeux en ce moment, et où, comme déjà nous avons eu occasion de le dire, les présences de chacun des membres sont constatées jour par jour. Eh bien ! du 15 prairial au 9 Thermidor, Robespierre manqua de venir au comité SEPT FOIS, en tout et pour tout, les 20 et 28 prairial, les 10, 11, 14 et 29 messidor et le 4 thermidor[359].

Ce qu'il y a de certain, c'est que, tout en faisant acte de présence au comité, Robespierre n'ayant pu faire triompher sa politique à la fois énergique et modérée avait complètement résigné sa part d'autorité dictatoriale et abandonné à ses collègues l'exercice du gouvernement. Quel fut le véritable motif de la scission ? Il est assez difficile de se prononcer bien affirmativement à cet égard, les Thermidoriens, qui seuls ont eu la parole pour nous renseigner sur ce point, ayant beaucoup varié dans leurs explications. La détermination de Maximilien fut, pensons-nous, la conséquence d'une suite de petites contrariétés. Déjà, au commencement de floréal, une altercation avait eu lieu entre Saint-Just et Carnot au sujet de l'administration des armes portatives. Le premier se plaignait qu'on eût opprimé et menacé d'arrestation arbitraire l'agent comptable des ateliers du Luxembourg, à qui il portait un grand intérêt. La discussion s'échauffant, Carnot aurait accusé Saint-Just et ses amis d'aspirer à la dictature. A quoi Saint-Just aurait répondu que la République était perdue si les hommes chargés de la défendre se traitaient ainsi de dictateurs. Et Carnot, insistant, aurait répliqué : Vous êtes des dictateurs ridicules. Le lendemain, Saint-Just s'étant rendu au comité en compagnie de Robespierre : Tiens, se serait-il écrié en s'adressant à Carnot, les voilà, mes amis, voilà ceux que tu as attaqués hier. Or, quel fut en cette circonstance le rôle de Robespierre ? Il essaya de parler des torts respectifs avec un ton très-hypocrite, disent les membres des anciens comités sur la foi desquels nous avons raconté cette scène, ce qui signifie, à n'en pas douter, que Robespierre essaya de la conciliation[360]. Si donc ce récit, dans les termes mêmes où il nous a été transmis, fait honneur à quelqu'un, ce n'est pas assurément à Carnot. Que serait-ce si Robespierre et Saint-Just avaient pu fournir leurs explications ! Dictateur ! c'était, paraît-il, la grosse injure de Carnot, car dans une autre occasion, croyant avoir à se plaindre de Robespierre, au sujet de l'arrestation de deux commis des bureaux de la guerre, il lui aurait dit, en présence de Levasseur (de la Sarthe) : Il ne se commet que des actes arbitraires dans ton bureau de police générale, tu es un dictateur. Robespierre furieux aurait pris en vain ses collègues à témoins de l'insulte dont il venait d'être l'objet. En vérité on se refuserait à croire à de si puériles accusations, si cela n'était pas constaté par le Moniteur[361]. J'ai voulu savoir à quoi m'en tenir sur cette fameuse histoire des secrétaires de Carnot, dont celui-ci signa l'ordre d'arrestation sans s'en douter, comme il le déclara d'un ton patelin à la Convention nationale. Ces deux secrétaires, jeunes l'un et l'autre, en, qui Carnot avait la plus grande confiance, pouvaient être fort intelligents, mais ils étaient plus légers encore. Un soir qu'ils avaient bien dîné, ils firent irruption au milieu d'une réunion sectionnaire, y causèrent un effroyable vacarme et, se retranchant derrière leur qualité de secrétaires du comité de Salut public, menacèrent de faire guillotiner l'un et l'autre[362]. Ils furent arrêtés tous deux, et relâchés peu de temps après ; mais si jamais arrestation fut juste, ce fut assurément celle-là, et tout gouvernement s'honore qui réprime sévèrement les excès de pouvoir de ses agents[363].

Je suis convaincu, répéterai-je, que la principale raison de la retraite toute morale de Robespierre fut la scène violente à laquelle donna lieu, le 28 prairial, entre plusieurs de ses collègues et lui, la ridicule affaire de Catherine Théot, lui s'indignant de voir transformer en conspiration de pures et innocentes momeries, eux ne voulant pas arracher sa proie au comité de Sûreté générale. Mon opinion se trouve singulièrement renforcée de celle du représentant Levasseur, lequel a dû être bien informé, et qui, dans ses Mémoires, s'est exprimé en ces termes : Il est constant que c'est à propos de la ridicule superstition de Catherine Théot qu'éclata la guerre sourde des membres des deux comités[364]. Mais la résistance de Robespierre en cette occasion était trop honorable pour que ses adversaires pussent l'invoquer comme la cause de sa scission d'avec eux ; aussi imaginèrent-ils de donner pour prétexte à leur querelle le décret du 20 prairial, qu'ils avaient approuvé aveuglément les uns et les autres. Au reste, la résolution de Maximilien eut sa source dans plusieurs motifs. Lui-même s'en est expliqué en ces termes dans son discours du 8 thermidor : Je me bornerai à dire que depuis plus de six semaines, la nature et la force de la calomnie, l'IMPUISSANCE DE FAIRE LE BIEN ET D'ARRÊTER LE MAL, m'a forcé à abandonner absolument mes fonctions de membre du comité de Salut public, et je jure qu'en cela même je n'ai consulté que ma raison et la patrie. Je préfère ma qualité de représentant du peuple à celle de membre du comité de Salut public, et je mets ma qualité d'homme et de citoyen français avant tout[365]. Disons maintenant de quelles amertumes il fut abreuvé durant les six dernières semaines de sa vie.

 

XXX

Les anciens collègues de Robespierre au comité de Salut public ont fait un aveu bien précieux : la seule preuve matérielle, la pièce de conviction la plus essentielle contre lui, ont-ils dit, résultant de son discours du 8 thermidor à la Convention, il ne leur avait pas été possible de l'attaquer plus tôt[366]. Or, si jamais homme, victime d'une accusation injuste, s'est admirablement justifié devant ses concitoyens et devant l'avenir, c'est bien Robespierre dans le magnifique discours qui a été son testament de mort. Et comment ne pas comprendre l'embarras mortel de ses accusateurs quand on se rappelle ces paroles de Fréron, du hideux Fréron lui-même, à la séance du 9 fructidor (26 août 1794) : Le tyran qui opprimait ses collègues plus encore que la nation était tellement enveloppé dans les apparences des vertus les plus populaires, la considération et la confiance du peuple formaient autour de lui un rempart si sacré, que nous aurions mis la nation et la liberté elle-même en péril si nous nous étions abandonnés à notre impatience de l'abattre plus tôt[367]. On a vu déjà comment il opprimait ses collègues : il suffisait d'un coup d'œil d'intelligence pour que la majorité fût acquise contre lui. Billaud-Varenne ne se révoltait-il pas à cette supposition que des hommes comme Robert Lindet, Prieur (de la Côte-d'Or), Carnot et lui avaient pu se laisser mener[368] ? Donc, sur ses collègues du comité, il n'avait aucune influence prépondérante, c'est un point acquis. Mais, ont prétendu ceux-ci, tout le mal venait du bureau de police générale, dont il avait la direction suprême et au moyen duquel il gouvernait despotiquement le tribunal révolutionnaire ; et tous les historiens de la réaction, voire même certains écrivains prétendus libéraux, d'accueillir avec empressement ce double mensonge thermidorien, sans prendre la peine de remonter aux sources.

Et d'abord signalons un fait en passant, ne fût-ce que pour constater une fois de plus les contradictions habituelles aux calomniateurs de Robespierre. Lecointre ayant prétendu n'avoir point attaqué Carnot, Prieur (de la Côte-d'Or) et Robert Lindet, parce qu'ils se tenaient généralement à l'écart des discussions sur les matières de haute police, de politique et de gouvernement, — tradition menteuse acceptée par une foule d'historiens superficiels, — Billaud-Varenne lui donna un démenti sanglant, appuyé des propres déclarations de ses collègues, et il insista sur ce que les meilleures opérations de l'ancien comité de Salut public étaient précisément celles de ce genre[369]. Seulement, eut-il soin de dire, les attributions du bureau de police générale avaient été dénaturées par Robespierre. Etabli au commencement de floréal, non point, comme on l'a dit, dans un but d'opposition au comité de Sûreté générale, mais pour surveiller les fonctionnaires publics, et surtout pour examiner les innombrables dénonciations adressées au comité de Salut public, ce bureau avait été placé sous la direction de Saint-Just, qui, étant parti en mission très-peu de jours après, avait été provisoirement remplacé par Robespierre. Écoutons à ce sujet Maximilien lui-même : J'ai été chargé momentanément, en l'absence d'un de mes collègues, de surveiller un bureau de police générale récemment et faiblement organisé au comité de Salut public. Ma courte gestion s'est bornée à provoquer une trentaine d'arrêtés, soit pour mettre en liberté des patriotes persécutés, soit pour s'assurer de quelques ennemis de la Révolution. Eh bien ! croira-t-on que ce seul mot de police générale a servi de prétexte pour mettre sur ma tête la responsabilité de toutes les opérations du comité de Sûreté générale — ce grand instrument de la Terreur, — des erreurs de toutes les autorités constituées, des crimes de tous mes ennemis ? Il n'y a peut-être pas un individu arrêté, pas un citoyen vexé, à qui l'on n'ait dit de moi : Voilà l'auteur de tes maux ; tu serais heureux et libre s'il n'existait plus. Comment pourrais-je ou raconter ou deviner toutes les espèces d'impostures qui ont été clandestinement insinuées, soit dans la Convention nationale, soit ailleurs, pour me rendre odieux ou redoutable ![370] J'ai sous les yeux l'ensemble complet des pièces relatives aux opérations de ce bureau de police générale[371] ; rien ne saurait mieux démontrer la vérité des assertions de Robespierre ; et en consultant ces témoins vivants, en fouillant dans ces registres où l'histoire se trouve à nu et sans fard, on est stupéfait de voir avec quelle facilité les choses les plus simples, les plus honorables même, ont pu être retournées contre lui et servir d'armes à ses ennemis.

Quand Saladin présenta son rapport sur la conduite des membres de l'ancien comité de Salut public, il prouva, de la façon la plus lumineuse, que le bureau de police générale n'avait nullement été un établissement distinct, séparé du comité de Salut public, et que ses opérations avaient été soumises à tous les membres du comité et sciemment approuvées par eux. A cet égard la déclaration si nette et si précise de Fouquier-Tinville ne saurait laisser subsister l'ombre d'un doute : Tous les ordres m'ont été donnés dans le lieu des séances du comité, de même que tous les arrêtés qui m'ont été transmis étaient intitulés : Extrait des registres du comité de Salut public, et signés de plus ou de moins de membres de ce comité[372]. Rien de simple comme le mécanisme de ce bureau. Tous les rapports, dénonciations et demandes adressés au comité de Salut public étaient transcrits sur des registres spéciaux. Le membre chargé de la direction du bureau émettait en marge son avis, auquel était presque toujours conforme la décision du comité. En général, suivant la nature de l'affaire, il renvoyait à tel ou tel de ses collègues. Ainsi, s'agissait-il de dénonciations ou demandes concernant les approvisionnements ou la partie militaire : Communiquer à Robert Lindet, à Carnot, se contentait d'écrire en marge Maximilien. Parmi les ordres d'arrestation délivrés sur l'avis de Robespierre, nous trouvons celui de l'ex-vicomte de Mailly, dénoncé par un officier municipal de Laon pour s'être livré à des excès dangereux en mettant la terreur à l'ordre du jour[373]. Chacune des recommandations de Robespierre ou de Saint-Just porte l'empreinte de la sagesse et de la véritable modération. L'agent national du district de Senlis rend compte du succès de ses courses républicaines pour la destruction du fanatisme dans les communes de son arrondissement : on lui fait répondre qu'il doit se borner à ses fonctions précisées par la loi, respecter le décret qui établit la liberté des cultes et faire le bien sans faux zèle[374]. La société populaire du canton d'Épinay, dans le département de l'Aube, dénonce le ci-devant curé de Pelet comme un fanatique dangereux et accuse le district de Bar-sur-Aube de favoriser la caste nobiliaire : Robespierre recommande qu'on s'informe de l'esprit de cette société populaire et de celui du district de Bar[375]. L'agent national du district de Compiègne dénonce des malveillants cherchant à plonger le peuple dans la superstition et dans le fanatisme ; réponse : Quand on envoie une dénonciation, il faut la préciser autrement. En marge d'une dénonciation de la municipalité de Passy contre Reine Vindé, accusée de troubler la tranquillité publique par ses folies, il écrit : On enferme les fous[376]. Au comité de surveillance de la commune de Dourdan, qui avait cru devoir ranger dans la catégorie des suspects ceux des habitants de cette ville convaincus d'avoir envoyé des subsistances à Paris, il fait écrire pour l'instruire des inconvénients de cette mesure et lui dire de révoquer son arrêté[377]. La société populaire de Lodève s'étant plainte des abus de pouvoir du citoyen Favre, délégué des représentants du peuple Milhaud et Soubrany, lequel, avec les manières d'un intendant de l'ancien régime, avait exigé qu'on apportât chez lui les registres des délibérations de la société, il fit aussitôt mander le citoyen Favre à Paris[378]. Un individu se disant président de la commune d'Exmes, dans le département de l'Orne, avait écrit au comité pour demander si les croix portées au cou par les femmes devaient être assimilées aux signes extérieurs des cultes, tels que croix et images dont certaines municipalités avaient ordonné la destruction, Robespierre renvoie au commissaire de police générale la lettre de l'homme en question pour s'informer si c'est un sot ou un fripon. Je laisse pour mémoire une foule d'ordres de mise en liberté, et j'arrive à l'arrestation des membres du comité révolutionnaire de la section de l'Indivisibilité, à cette arrestation fameuse citée par les collègues de Robespierre comme la preuve la plus évidente de sa tyrannie.

A la séance du 9 Thermidor, Billaud-Varenne lui reprocha pardessus toutes choses d'avoir défendu Danton, et fait arrêter le meilleur comité révolutionnaire de Paris ; et le vieux Vadier, arrivant ensuite, lui imputa à crime d'abord de s'être porté ouvertement le défenseur de Bazire, de Chabot et de Camille Desmoulins, et d'avoir ordonné l'incarcération du comité révolutionnaire le plus pur de Paris. Le comité que les ennemis de Robespierre prenaient si chaleureusement sous leur garde, c'était celui de l'Indivisibilité. Quelle faute avaient donc commise les membres de ce comité ? Étaient-ils des continuateurs de Danton ? Non, assurément, car ils n'eussent pas trouvé un si ardent avocat dans la personne de Billaud-Varenne. Je supposais bien que ce devaient être quelques disciples de Jacques Roux ou d'Hébert ; mais, n'en ayant aucune preuve, j'étais fort perplexe, lorsqu'en fouillant dans les papiers encore inexplorés du bureau de police générale, j'ai été assez heureux pour découvrir les motifs très-graves de l'arrestation de œ comité. Elle eut lieu sur la dénonciation formelle du citoyen Perrier, employé à la bibliothèque de l'Instruction publique, et président de la section même de l'Indivisibilité, ce qui ajoutait un poids énorme à la dénonciation. Pour la troisième fois, à la date du rr messidor, il venait dénoncer les membres du comité révolutionnaire de cette section. Mais laissons ici la parole au dénonciateur : Leur promotion est le fruit de leurs intrigues. Depuis qu'ils sont en place, on a remarqué une progression dans leurs facultés pécuniaires. Ils se donnent des repas splendides. Hyvert a étouffé constamment la voix de ses concitoyens dans les assemblées générales. Despote dans ses actes, il a porté les citoyens à s'entr'égorger à la porte d'un boucher. Le fait est constaté par procès-verbal. Grosler a dit hautement que les assemblées sectionnaires étaient au-dessus de la Convention. Il a rétabli sous les scellés des flambeaux d'argent qu'on l'accusait d'avoir soustraits. Grosler a été prédicateur de l'athéisme. Il a dit à Testard et à Guérin que Robespierre, malgré son foutu décret sur l'Être suprême, serait guillotiné... Viard a mis des riches à contribution, il a insulté des gens qu'il mettait en arrestation. Lainé a été persécuteur d'un Anglais qui s'est donné la mort pour échapper à sa rage ; Allemain, commissaire de police, est dépositaire d'une lettre de lui... Fournier a traité les représentants de scélérats, d'intrigants qui seraient guillotinés. En marge de cette dénonciation on lit de la main de Robespierre : Mettre en état d'arrestation tous les individus désignés dans l'article[379]. Nous n'avons point trouvé la minute du mandat d'arrêt, laquelle était probablement revêtue des signatures de ceux-là mêmes qui se sont fait une arme contre Robespierre de cette arrestation si parfaitement motivée. On voit en effet maintenant ce que Billaud-Varenne et Vadier entendaient par le comité révolutionnaire le meilleur et le plus pur de Paris.

Ainsi, dans toutes nos révélations se manifeste la pensée si claire de Robespierre : réprimer les excès de la Terreur sans compromettre les destinées de la République et sans ouvrir la porte à la contrerévolution. A partir du 12 messidor, — je précise la date, — il devint complètement étranger au bureau de police générale. Au reste, les Thermidoriens ont, involontairement bien entendu, rendu plus d'une fois à leur victime une justice éclatante. Quoi de plus significatif que ce passage d'un Mémoire de Billaud-Varenne où, après avoir établi la légalité de l'établissement d'un bureau de haute police au sein du comité de Salut public, il s'écrie : Si, depuis, Robespierre, marchant à la dictature par la compression et la terreur, avec l'intention peut-être de trouver moins de résistance au dénouement par une clémence momentanée, et en rejetant tout l'odieux de ses excès sur ceux qu'il aurait immolés, a dénaturé l'attribution de ce bureau, c'est une de ces usurpations de pouvoir qui ont servi et à réaliser ses crimes et à l'en convaincre. Ses crimes, ce fut sa résolution bien arrêtée et trop bien devinée par ses collègues d'opposer une digue à la Terreur aveugle et brutale, et de maintenir la Révolution dans les strictes limites de la justice inflexible et du bon sens.

 

XXXI

Il nous reste à démontrer combien il demeura toujours étranger au tribunal révolutionnaire, à l'établissement duquel il n'avait contribué en rien. Et d'abord, ne craignons pas de le dire, comparé aux tribunaux exceptionnels et extraordinaires de la réaction thermidorienne ou des temps monarchiques et despotiques, où le plus grand des crimes était d'avoir trop aimé la République, la patrie, la liberté, ce tribunal sanglant pourrait sembler un idéal de justice. De simples rapprochements suffiraient pour établir cette vérité ; mais une histoire impartiale et sérieuse du tribunal révolutionnaire est encore à faire.

Emparons-nous d'abord de cette déclaration non démentie des membres de l'ancien comité de Salut public. Il n'y avait point de contact entre le comité et le tribunal révolutionnaire que pour les dénonciations des accusés de crimes de lèse-nation, ou des factions ou des généraux, pour la communication des pièces et les rapports sur lesquels l'accusation était portée, ainsi que pour l'exécution des décrets de la Convention nationale[380]. Cela n'a pas empêché ces membres eux-mêmes et une foule d'écrivains sans conscience d'attribuer à Robespierre la responsabilité d'une partie des actes de ce tribunal. Quand le misérable espion Senar, arrêté avant le 9 Thermidor, à cause des excès et abus de pouvoir auxquels il s'était livré, vint déposer dans le procès de Fouquier-Tinville, où s'étaient donné rendez-vous toutes les haines contre-révolutionnaires, il déclara qu'un jour, à la suite d'une altercation, Fouquier l'avait menacé de le faire monter sur les gradins, et que lui, Senar, ayant répondu : Comment pourrais-tu le faire, moi qui suis patriote ? le farouche accusateur public avait répliqué : Tu ne sais donc pas que quand Robespierre a décidé la mort de quelqu'un, patriote ou aristocrate, il faut qu'il y passe ? Ce mensonge exaspéra Vilain d'Aubigny, ancien protégé de Robespierre, devenu dantoniste exalté. Appelé à déposer à son tour, il s'exprima en ces termes : Senar, dans sa déposition, fait dire à Fouquier : — Quand Robespierre a décidé la mort de quelqu'un, patriote ou aristocrate, il faut qu'il y passe, tandis qu'au contraire, en nous faisant part du propos que lui avait tenu Fouquier, il avait parlé du comité collectivement et non pas de Robespierre individuellement, qu'il ne nomma point[381]. L'espion Senar, un des plus lâches coquins qui soient sortis des bas-fonds de la Révolution française, espérait capter par là la bienveillance des vainqueurs de Thermidor, et c'est pourtant sur les déclarations d'un pareil drôle que beaucoup de faits ont pris place dans l'histoire, d'où la vérité indignée a toutes les peines du monde à les chasser.

Assez embarrassé pour expliquer l'absence des signatures de Robespierre, de Couthon et de Saint-Just sur les grandes listes d'accusés traduits au tribunal révolutionnaire en messidor et dans la première décade de thermidor, les anciens collègues de Maximilien ont dit : Qu'importe ! si c'était leur vœu que nous remplissions ![382] Hélas ! c'était si peu leur vœu que ce que Robespierre reprocha précisément à ses ennemis, ce fut — ne cessons pas de le rappeler — d'avoir porté la Terreur dans toutes les conditions, déclaré la guerre aux citoyens paisibles, érigé en crimes ou des préjugés incurables ou des choses indifférentes, pour trouver partout des coupables et rendre la Révolution redoutable au peuple même[383]. A cette accusation terrible ils n'ont pu répondre que par des mensonges et des calomnies. Présenter le tribunal révolutionnaire comme tout dévoué à Maximilien, c'était chose assez difficile au lendemain du jour où ce tribunal s'était mis si complaisamment au service des vainqueurs, et, Fouquier-Tinville en tête, avait été féliciter la Convention nationale d'avoir su distinguer les traîtres[384]. Si parmi les membres de ce tribunal, jurés ou juges, quelques-uns professaient pour Robespierre une estime sans bornes, la plupart étaient à son égard ou indifférents ou hostiles. Dans le procès où furent impliquées les fameuses vierges de Verdun figuraient deux accusés nommés Bertault et Bonin, à la charge desquels on avait relevé, entre autres griefs, de violents propos contre Robespierre. Tous deux se trouvèrent précisément au nombre des acquittés[385]. Cependant il paraissait indispensable de le rendre solidaire des actes de ce tribunal. On s'est attaché particulièrement, a-t-il dit lui-même, à prouver que le tribunal révolutionnaire était un tribunal de sang créé par moi seul, et que je maîtrisais absolument pour faire égorger tous les gens de bien, et même tous les fripons, car on voulait me susciter des ennemis de tous les genres[386]. On imagina donc après Thermidor de répandre le bruit qu'il avait gouverné le tribunal par Dumas et par Coffinhal. On avait appris depuis, prétendait-on, qu'il avait eu avec eux des conférences journalières où sans doute il conférait des détenus à mettre en jugement[387]. On ne s'en était pas douté auparavant. Mais plus la chose était absurde, invraisemblable, plus on comptait sur la méchanceté des uns et sur la crédulité des autres pour la faire accepter. Hommes de tête et de cœur, dont la réputation de civisme et de probité est demeurée intacte malgré les calomnies persistantes sous lesquelles on a tenté d'étouffer leur mémoire, Dumas et Coffinhal avaient été les seuls membres du tribunal révolutionnaire qui se fussent activement dévoués à la fortune de Robespierre dans la journée du 9 Thermidor. Emportés avec lui par la tempête, ils n'étaient plus là pour répondre. A-t-on jamais produit la moindre preuve de leurs prétendues conférences avec Maximilien ? Non ; mais c'était chose dont on se passait volontiers quand on écrivait l'histoire sous la dictée des vainqueurs. Dans les papiers de Dumas on a trouvé un billet de Robespierre, un seul : c'était une invitation pour se rendre. au comité de Salut public[388].

S'il n'avait aucune action sur le tribunal révolutionnaire, du moins, a-t-on prétendu encore, agissait-il sur Herman, qui, en sa qualité de commissaire des administrations civiles et tribunaux avait les prisons sous sa surveillance. Nous avons démontré ailleurs la fausseté de cette allégation. Herman, dont Robespierre estimait à juste titre la probité et les lumières, avait bien pu être nommé, sur la recommandation de Maximilien, président du tribunal révolutionnaire d'abord, et ensuite commissaire des administrations civiles, mais ses relations avec lui se bornèrent à des relations purement officielles, et dans l'espace d'une année, il n'alla pas chez lui plus de cinq fois ; ses déclarations à cet égard n'ont jamais été démenties[389].

Seulement il était tout simple qu'en marge des rapports de dénonciations adressés au comité de Salut public, Maximilien écrivît : renvoïé à Herman, autrement dit au commissaire de la police générale, comme il écrivait : renvoïé à Carnot, à Robert Lindet, suivant que les faits dénoncés étaient de la compétence de tel ou tel de ces fonctionnaires. Ainsi fut-il fait pour les dénonciations relatives aux conspirations dites des prisons[390] ; et lorsque dans les premiers jours de messidor le comité de Salut public autorisait le commissaire des administrations civiles à opérer des recherches dans les prisons au sujet des complots contre la sûreté de la République, pour en donner ensuite le résultat au comité, il prenait une simple mesure de précaution toute légitime dans les circonstances où l'on se trouvait[391].

Cette affaire des prisons, à laquelle Maximilien pour sa part fut absolument étranger, a été prodigieusement enflée. exagérée par la réaction. Herman avait pour chef de division un individu nommé Thierriet-Grandpré, qui, durant tout le temps de sa puissance, se montra le plus servile des hommes. La servilité de cet homme ne se démentit pas à la chute du ministre, elle agit en sens inverse, voilà tout. Arrêté lui-même le 18 Thermidor (5 août 1794), il fut relâché quelques jours après, mais sa mise en liberté fut, à n'en pas douter, le prix d'un marché honteux : appelé à déposer dans le procès de Fouquier-Tinville, il paya sa rançon en calomnies contre les vaincus. Cependant, tout en déchirant à belles dents celui aux pieds duquel il avait rampé quelques mois auparavant, il ne put s'empêcher de déclarer qu'il avait été plein de confiance dans la sensibilité apparente et dans les actes extérieurs d'humanité d'Herman. Ô puissance irrésistible de la vérité ! et que veut-on de plus que cet aveu involontaire ! Ainsi, pour dessiller ses yeux, pour ne plus ajouter foi à cette sensibilité, à ces actes d'humanité dont Herman lui avait fourni tant de preuves, il lui fallut quoi ? le triomphe des assassins de Robespierre. Il n'y a pas à demander s'il se montra fidèle au système des Courtois, des Bourdon de l'Oise, des Tallien, des Fréron, et autres proscripteurs ; peut-être en avait-il reçu des leçons. Tous les agents de la Terreur se transformèrent dans sa bouche en agents de Robespierre. Quant à Herman, oh ! celui-ci avait commis un crime impardonnable, et son ancien commis ne lui ménagea pas son fait : prenant en considération les besoins de la République, il avait réduit de cinq mille à quatre mille livres le traitement de plusieurs chefs, au nombre desquels il était lui, Thierriet-Grandpré, et cela afin, sans doute, de faire place à des pères de famille de la classe indigente[392]. Quel scélérat ! Au reste, Herman était si peu l'homme de Robespierre, et il songea si peu à s'associer à sa destinée dans la tragique journée de Thermidor, qu'il s'empressa d'enjoindre à ses agents de mettre à exécution le décret de la Convention qui mettait Hanriot, son état-major et plusieurs autres individus en état d'arrestation[393].

Quoi qu'il en soit, Herman, sans être lié d'amitié avec Robespierre, avait mérité d'être apprécié de lui, et il professait pour le caractère de ce grand citoyen la plus profonde estime. Tout au contraire, Maximilien semblait avoir pour la personne de Fouquier-Tinville une secrète répulsion. On ne pourrait citer un mot d'éloge tombé de sa bouche ou de sa plume sur ce farouche et sanglant magistrat, dont la réaction d'ailleurs ne s'est pas privée d'assombrir encore la sombre figure. Fouquier s'asseyait à la table de Laurent Lecointre en compagnie de Merlin (de Thionville), comme on l'a vu plus haut ; il avait des relations de monde avec les députés Morisson, Cochon de Lapparent, Goupilleau (de Fontenay) et bien d'autres[394] ; mais Robespierre, il ne le voyait jamais en dehors du comité de Salut public ; une seule fois il alla chez lui, ce fut le jour de l'attentat de Ladmiral, comme ce jour-là il se rendit également chez Collot-d'Herbois[395]. Il ne se gênait même point pour manifester son antipathie contre lui[396] : un jour, ayant reçu la visite du représentant Martel, député de l'Allier à la Convention, il lui en parla dans les termes les plus hostiles, en l'engageant à se liguer avec lui, afin, disait-il, de sauver leurs têtes[397]. Fouquier-Tinville était-il de la conjuration ? On pourrait le croire. Il recevait de fréquentes visites d'Amar, de Vadier, de Voulland et de Jagot, — quatre des plus violents ennemis de Robespierre, — qui venaient lui recommander de mettre en jugement tel ou tel qu'ils désignaient[398]. On sait avec quel empressement il vint, dans la matinée du 10 thermidor, offrir ses services à la Convention nationale ; on sait aussi comment le lendemain, à la séance du soir, Barère, au nom des comités de Salut public et de Sûreté générale, parla du tribunal révolutionnaire, de cette institution salutaire qui détruisait les ennemis de la République, purgeait le sol de la liberté, pesait aux aristocrates et nuisait aux ambitieux ; comment enfin il proposa de maintenir au poste d'accusateur public. Fouquier-Tinville[399]. Ce n'était donc pas le tribunal de Robespierre, bien que dans la matinée du 10, quelques-uns des calomniateurs jurés de Robespierre, Élie Lacoste, Thuriot, Bréard, eussent demandé la suppression de ce tribunal comme étant composé de créatures de Maximilien. Mais admirez les contradictions de ces sanguinaires Thermidoriens, le soir même Barère annonçait que les conjurés avaient formé le projet de faire fusiller le tribunal révolutionnaire[400].

La vérité est que Robespierre blâmait et voulait arrêter les excès auxquels ce tribunal était en quelque sorte forcément entraîné par les manœuvres odieuses de certains membres du gouvernement. Quant à son influence sur les décisions du tribunal révolutionnaire, elle était nulle, absolument nulle ; mais en eût-il eu la moindre sur quelques-uns de ses membres, qu'il lui eût répugné d'en user. Nous avons dit comment, ayant négligemment demandé un jour a Duplay ce qu'il avait fait au tribunal, et son hôte lui ayant répondu : Maximilien, je ne vous demande jamais ce que vous faites au comité de Salut public, il lui avait étroitement serré la main, en signe d'estime et d'adhésion.

 

XXXII

Quand les conjurés virent Robespierre fermement décidé à arrêter le débordement des excès, ils imaginèrent de retourner contre lui l'arme même dont il entendait se servir, et de le présenter partout comme l'auteur des actes d'oppression qu'ils multipliaient à dessein. Tous ceux qui avaient une mauvaise conscience, tous ceux qui s'étaient souillés de rapines ou baignés dans le sang à plaisir, les Bourdon, les Carrier, les Guffroy, les Tallien, les Rovère, les Dumont, les Vadier, s'associèrent à ce plan où se devine si bien la main de l'odieux Fouché. D'impurs émissaires répandus dans tous les lieux publics, dans les assemblées de sections, dans les sociétés populaires, étaient chargés de propager la calomnie. Mais laissons ici Robespierre dévoiler lui-même les effroyables trames dont il fut victime :

Pour moi, je frémis quand je songe que des ennemis de la Révolution, que d'anciens professeurs de royalisme, que des ex-nobles, que des émigrés peut-être, se sont tout à coup faits révolutionnaires et transformés en commis du comité de Sûreté générale, pour se venger sur les amis de la patrie de la naissance et des succès de la République... A ces puissants motifs qui m'avaient déjà déterminé à dénoncer ces hommes, mais inutilement, j'en joins un autre qui tient à la trame que j'avais commencé à développer : nous sommes instruits qu'ils sont payés par les ennemis de la Révolution pour déshonorer le gouvernement révolutionnaire en lui-même et pour calomnier les représentants du peuple dont les tyrans ont ordonné la perte. Par exemple, quand les victimes de leur perversité se plaignent, ils s'excusent en leur disant : C'est Robespierre qui le veut : nous ne pouvons pas nous en dispenser. Jusques à quand l'honneur des citoyens et la dignité de la Convention nationale seront-ils à la merci de ces hommes-là ? Mais le trait que je viens de citer n'est qu'une branche du système de persécution plus vaste dont je suis l'objet. En développant cette accusation de dictature mise à l'ordre du jour par les tyrans, on s'est attaché à me charger de toutes leurs iniquités, de tous les torts de la fortune, ou de toutes les rigueurs commandées par le salut de la patrie. On disait aux nobles : c'est lui seul qui vous a proscrits ; on disait en même temps aux patriotes : il veut sauver les nobles ; on disait aux prêtres : c'est lui seul qui vous poursuit, sans lui vous seriez paisibles et triomphants ; on disait aux fanatiques : c'est lui qui détruit la religion ; on disait aux patriotes persécutés : c'est lui qui l'a ordonné ou qui ne veut pas l'empêcher. On me renvoyait toutes les plaintes dont je ne pouvais faire cesser les causes, en disant : Votre sort dépend de lui seul. Des hommes apostés dans les lieux publics propageaient chaque jour ce système ; il y en avait dans le lieu des séances du tribunal révolutionnaire, dans les lieux où les ennemis de la patrie expient leurs forfaits ; ils disaient : Voilà des malheureux condamnés ; qui est-ce qui en est la cause ? Robespierre... Ce cri retentissait dans toutes les prisons ; le plan de proscription était exécuté à la fois dans tous les départements par les émissaires de la tyrannie. Comme on voulait me perdre surtout dans l'opinion de la Convention nationale, on prétendit que moi seul avais osé croire qu'elle pouvait renfermer dans son sein quelques hommes indignes d'elle. On dit à chaque député revenu d'une mission dans les départements que moi seul avais provoqué son rappel ; je fus accusé, par des hommes très-officieux et très-insinuants, de tout le bien et de tout le mal qui avait été fait. On rapportait fidèlement à mes collègues et tout ce que j'avais dit, et surtout ce que je n'avais pas dit. On écartait avec soin le soupçon qu'on eût contribué à un acte qui pût déplaire à quelqu'un ; j'avais tout fait, tout exigé, tout commandé, car il ne faut pas oublier mon titre de dictateur... Ce que je puis affirmer positivement, c'est que parmi les auteurs de cette trame sont les agents de ce système de corruption et d'extravagance, le plus puissant de tous les moyens inventés par l'étranger pour perdre la République...[401]

 

Il n'est pas jusqu'à son immense popularité qui ne servît merveilleusement les projets de ses ennemis. L'opinion se figurait son influence sur les affaires du gouvernement beaucoup plus considérable qu'elle ne l'était en réalité. N'entendons-nous pas aujourd'hui encore une foule de gens témoigner un étonnement assurément bien naïf de ce qu'il ait abandonné sa part de dictature au lieu de s'opposer à la recrudescence de terreur infligée au pays dans les quatre décades qui précédèrent sa chute ? Nous avons prouvé, au contraire, qu'il lutta énergiquement au sein du comité de Salut public pour refréner la Terreur, cette Terreur déchaînée par ses ennemis sur toutes les classes de la société ; l'impossibilité de réussir fut la seule cause de sa retraite, toute morale. L'impuissance de faire le bien et d'arrêter le mal m'a forcé à abandonner absolument mes fonctions de membre du comité de Salut public[402]. Quant à en appeler à la Convention nationale, dernière ressource sur laquelle il comptait, il sera brisé avec une étonnante facilité lorsqu'il y aura recours. Remplacé au fauteuil présidentiel, dans la soirée du 1er messidor, par le terroriste Élie Lacoste, un de ses adversaires les plus acharnés, peut-être aurait-il dû se méfier des mauvaises dispositions de l'Assemblée à son égard ; mais il croyait le droit côté converti à la Révolution : là fut son erreur.

On se tromperait fort, du reste, si l'on s'imaginait qu'il voulût ouvrir toutes grandes les portes des prisons, au risque d'offrir le champ libre à tous les ennemis de la Révolution et d'accroître ainsi les forces des coalisés de l'intérieur et de l'extérieur. Décidé à combattre le crime, il n'entendait pas encourager la réaction. Ses adversaires, eux, n'y prenaient point garde ; peu leur importait, ils avaient bien souci de la République et de la liberté ! Il s'agissait d'abord pour eux de rendre le gouvernement révolutionnaire odieux par des excès de tous genres, et d'en rejeter, la responsabilité sur ceux qu'on voulait perdre. Il y a dans le dernier discours de Robespierre un mot bien profond à ce sujet : Si nous réussissons, disaient les conjurés, il faudra contraster par une extrême indulgence avec l'état présent des choses. Ce mot renferme toute la conspiration[403]. Cela ne s'est-il point réalisé de point en point au lendemain de Thermidor, et n'a-t-on point usé d'une extrême indulgence envers les traîtres et les conspirateurs ? Il est vrai qu'en revanche on s'est mis à courir sus aux républicains les plus purs, aux meilleurs patriotes. Ce que Robespierre demandait, lui, c'était que, tout en continuant de combattre à outrance les ennemis déclarés de la Révolution, on ne troublât point les citoyens paisibles, et qu'on n'érigeât pas en crimes ou des préjugés incurables, ou des choses indifférentes, pour trouver partout des coupables[404]. Telle fut la politique qu'il s'efforça de faire prévaloir dans le courant de messidor, à la société des Jacobins, où il parla non point constamment, comme on l'a si souvent et si légèrement avancé, mais sept ou huit fois en tout et pour tout dans l'espace de cinquante jours.

Ce fut dans la séance du 3 messidor (21 juin 1794) qu'à propos d'une proclamation du duc d'York, il commença à signaler les manœuvres employées contre lui. Cette proclamation avait été rédigée à l'occasion du décret rendu sur le rapport de Barère, où il était dit qu'il ne serait point fait de prisonniers anglais ou hanovriens. C'était une sorte de protestation exaltant la générosité et la clémence comme la plus belle vertu du soldat, pour rendre plus odieuse la mesure prise par la Convention nationale. Robespierre démêla très-bien la perfidie, et dans un long discours improvisé, il montra sous les couleurs les plus hideuses la longue astuce et la basse scélératesse des tyrans. Reprenant phrase à phrase la proclamation du duc, après en avoir donné lecture, il établit un contraste frappant entre la probité républicaine et la mauvaise foi britannique. Sans doute, dit-il, aux applaudissements unanimes de la société, un homme libre pouvait pardonner à son ennemi ne lui présentant que la mort mais le pouvait-il s'il ne lui offrait que des fers ? York parlant d'humanité ! lui le soldat, d'un gouvernement qui avait rempli l'univers de ses crimes et de ses infamies, c'était à la fois risible et odieux. Certainement, ajoutait Robespierre, on comptait sur les trames ourdies dans l'intérieur, sur les pièges des imposteurs, sur le système d'immoralité mis en pratique par certains hommes pervers. N'y avait-il pas un rapprochement instructif à établir entre le duc d'York, qui, par une préférence singulière donnée à Maximilien, appelait les soldats de la République les soldats de Robespierre, dépeignait celui-ci comme entouré d'une garde militaire, et ces révolutionnaires équivoques qui s'en allaient dans les assemblées populaires réclamer une sorte de garde prétorienne pour les représentants. Je croyais être citoyen français, s'écria Robespierre avec une animation extraordinaire, en repoussant les qualifications que lui avait si généreusement octroyées le duc d'York, et il me fait roi de France et de Navarre ! Y avait-il donc au monde un plus beau titre que celui de citoyen français, et quelque chose de préférable, pour un ami de la liberté, à l'amour de ses concitoyens ? C'étaient là, disait Maximilien en terminant, des pièges faciles à déjouer ; on n'avait pour cela qu'à se tenir fermement attaché aux principes. Quant à lui, les poignards seuls pourraient lui fermer la bouche et l'empêcher de combattre les tyrans, les traîtres et tous les scélérats.

La société accueillit par les plus vives acclamations ce chaleureux discours, dont elle vota d'enthousiasme l'impression, la distribution et l'envoi aux armées[405]. En rendant compte des commentaires de Maximilien sur la proclamation du duc d'York, le rédacteur du Journal de la Montagne, dont la version se trouva textuellement reproduite dans le Moniteur, s'exprima en ces termes : Chaque mot de l'orateur vaut une phrase, chaque phrase un discours, tant il renferme de sens et d'énergie dans tout ce qu'il dit. Robespierre censura très-vivement cette forme obséquieuse et apologétique indigne du style républicain. Les flagorneries font douter de la véracité des écrivains, dit-il ; un écrivain véridique et patriote doit aussi rapporter avec exactitude et littéralement, afin que ce qu'il rapporte puisse éclairer l'opinion publique ou qu'elle juge ce qu'il rapporte[406]. D'autres, à sa place, au lieu de se plaindre, se fussent empressés de remercier le journaliste louangeur.

 

XXXIII

Retranché dans sa conscience comme dans une forteresse impénétrable, isolé, inaccessible à l'intrigue, Robespierre opposait aux coups de ses ennemis, à leurs manœuvres tortueuses, sa conduite si droite, si franche, se contentant de prendre entre eux et lui l'opinion publique pour juge. Il est temps peut-être, dit-il aux Jacobins, dans la séance du 13 messidor, que la vérité fasse entendre dans cette enceinte des accents aussi mâles et aussi libres que ceux dont cette salle a retenti dans toutes les circonstances où il s'est agi de sauver la patrie. Quand le crime conspire dans l'ombre la ruine de la liberté, est-il pour des hommes libres des moyens plus forts que la vérité et la publicité ? Irons-nous, comme des conspirateurs, concerter dans des repaires obscurs les moyens de nous défendre contre leurs efforts perfides ? Irons-nous répandre l'or et semer la corruption ? En un mot, nous servirons-nous contre nos ennemis des mêmes armes qu'ils emploient pour nous combattre ? Non. Les armes de la liberté et de la tyrannie sont aussi opposées que la liberté et la tyrannie sont opposées. Contre les scélératesses des tyrans et de leurs amis il ne nous reste d'autre ressource que la vérité et le tribunal de l'opinion publique, et d'autre appui que les gens de bien. Il n'était pas dupe, on le voit, des machinations ourdies contre lui ; il savait bien quel orage dans l'ombre se préparait à fondre sur sa tête, mais il répugnait à son honnêteté de combattre l'injustice par l'intrigue, et il succombera pour n'avoir point voulu s'avilir.

La République était-elle fondée sur des bases durables quand l'innocence tremblait pour elle-même, persécutée par d'audacieuses factions ? On allait cherchant des recrues dans l'aristocratie, dénonçant comme des actes d'injustice et de cruauté les mesures sévères déployées contre les conspirateurs, et en même temps on ne cessait de poursuivre les patriotes. Ah ! disait Robespierre, l'homme humain est celui qui se dévoue pour la cause de l'humanité et qui poursuit avec rigueur et avec justice celui qui s'en montre l'ennemi ; on le verra toujours tendre une main secourable à la vertu outragée et à l'innocence opprimée. Mais était-ce se montrer vraiment humain que de favoriser les ennemis de la Révolution aux dépens des républicains ? On connaît le mot de Bourdon (de l'Oise) à Durand-Maillane : Oh ! les braves gens que les gens de la droite ! Tel était le système des conjurés. Ils recrutaient des alliés parmi tous ceux qui conspiraient en secret la ruine de la République, et qui, tout en estimant dans Robespierre le patriotisme et la probité même, aimèrent mieux le sacrifier à des misérables qu'ils méprisaient que d'assurer, en prenant fait et cause pour lui, le triomphe de la Révolution.

Comme Maximilien sut bien percer à jour les trames de ses ennemis ! Comme il montra à quels périls seraient exposés la liberté et les défenseurs de la République le jour où le gouvernement révolutionnaire tomberait entre les mains des conjurés ! Comme il dévoila bien leur plan, trop fidèlement suivi hélas ! d'amener les patriotes à se détruire les uns les autres en semant la défiance au milieu d'eux ! Avec quel art on affectait de présenter les travaux de la Convention comme l'œuvre d'un seul individu ! Avec quelle perfidie on avait répandu le bruit qu'en réorganisant le tribunal révolutionnaire, on avait eu pour but d'égorger la Convention elle-même ! Et Robespierre était obligé d'avouer que cette idée avait obtenu beaucoup de consistance. Quant à lui, s'élevant au-dessus des considérations personnelles, il n'en était pas moins résolu, au péril de sa vie et même de sa réputation, à faire connaître au monde les ennemis de la liberté, qui essayaient en vain de lui fermer la bouche par des moyens empruntés aux assassins et aux calomniateurs vomis et soudoyés par l'étranger. On répétait à Paris les infamies colportées par les feuilles anglaises. Et dans quel lieu ! Vous frémiriez si je vous le disais, s'écriait Robespierre. Il s'agissait sans doute du comité de Sûreté générale, dont un des membres, Louis (du Bas-Rhin), présidait en ce moment même la société des Jacobins. D'impurs libelles le dépeignaient, lui Maximilien, comme l'assassin des honnêtes gens, comme l'organisateur du tribunal révolutionnaire, comme l'oppresseur de la représentation nationale, calomnies qui se sont audacieusement propagées après Thermidor, tout absurdes et insoutenables qu'elles soient. Comment ! n'allait-on pas jusqu'à prétendre, en parlant de la petite Renault, qu'il y avait sans doute une amourette là-dessous et qu'il fallait bien croire qu'il eût fait guillotiner son amant ? C'est ainsi, ajoutait-il, que l'on absout les tyrans en atteignant un patriote isolé qui n'a pour lui que son courage et sa vertu. — Robespierre, s'écria en ce moment un citoyen des tribunes, tu as tous les Français pour toi. — Et lui de répondre : La vérité est mon seul asile contre le crime ; je ne veux ni de partisans ni d'éloges ; ma défense est dans ma conscience. Hélas ! le bouclier de l'homme de bien n'est pas une garantie contre les méchants et les pervers. Dans la douloureuse alternative où se trouvaient placés les amis de la liberté, de trahir la patrie ou d'être traités de tyrans et d'oppresseurs s'ils avaient le courage de remplir leurs devoirs, il n'hésita pas, sachant bien pourtant qu'il ne pourrait défendre la cause de la justice sans être appelé despote, ni invoquer l'opinion publique sans être désigné comme dictateur.

La crainte de Robespierre était que les calomnies des tyrans et de leurs stipendiés ne finissent par jeter le découragement dans l'âme des patriotes ; mais il engageait ses concitoyens à se fier à la vertu de la Convention, au patriotisme et à la fermeté des membres du comité de Salut public et de Sûreté générale. Et comme ses paroles étaient accueillies par des applaudissements réitérés : Ah ! s'écria ce flatteur du peuple, ce qu'il faut pour sauver la liberté, ce ne sont ni des applaudissements ni des éloges, mais une vigilance infatigable. Il promit de s'expliquer plus au long quand les circonstances se développeraient, car aucune puissance au monde n'était capable de l'empêcher de s'épancher, de déposer la vérité dans le sein de la Convention ou dans le cœur des républicains, et il n'était pas au pouvoir des tyrans ou de leurs valets de faire échouer son courage. Qu'on répande des libelles contre moi, dit-il en terminant, je n'en serai pas moins toujours le même, et je défendrai la liberté et l'égalité avec la même ardeur. Si l'on me forçait de renoncer à une partie des fonctions dont je suis chargé, il me resterait encore ma qualité de représentant du peuple, et je ferais une guerre à mort aux tyrans et aux conspirateurs[407]. Donc, à cette époque Robespierre ne considérait pas encore la rupture avec ses collègues du comité de Salut public, ni même avec les membres du comité de Sûreté générale, comme une chose accomplie. Il sentait bien qu'on s'efforçait de le perdre dans l'esprit de ces comités, mais il avait encore confiance dans la vertu et la fermeté de leurs membres, et sans doute il ne désespérait pas de les ramener à sa politique à la fois énergique et modérée. Une preuve assez manifeste que la scission n'existait pas encore, au moins dans le comité de Salut public, c'est que vers cette époque (15 messidor) Couthon fut investi d'une mission de confiance près les armées du Midi, et chargé de prendre dans tous les départements qu'il parcourrait les mesures les plus utiles aux intérêts du peuple et au bonheur public[408]. Quelques jours après (19 messidor), un nouvel arrêté du comité de Salut public l'invitait à se rendre, en passant, à la Rochelle, où un certain nombre de patriotes avaient été incarcérés, et à Bordeaux, afin d'y prendre toutes les mesures de salut public que les circonstances pourraient rendre nécessaires[409]. Le même jour Carnot et Robert Lindet écrivaient à Bourbotte, alors à Nantes : Notre collègue Couthon, qui doit partir incessamment pour Bordeaux, passera à la Rochelle pour t'y relever. Tu vois que ton séjour y sera de peu de durée ; mais il est urgent que tu t'y rendes promptement. Le comité se repose sur ton zèle et sur ton énergie pour mettre fin à ces actes oppressifs[410]. En confiant à Couthon une importante mission, les collègues de Robespierre eurent-ils l'intention d'éloigner de lui un de ses plus ardents amis ? On le supposerait à tort ; ils n'avaient pas encore de parti pris. D'ailleurs Maximilien et Saint-Just, revenu depuis peu de l'armée du Nord après une participation glorieuse à la bataille de Fleurus et à la prise de Charleroi[411], n'avaient-ils pas approuvé eux-mêmes la mission confiée à leur ami ? Si Couthon différa son départ, ce fut sans doute parce que de jour en jour la conjuration devenait plus manifeste et plus menaçante, et que, comme il allait bientôt le déclarer hautement, il voulait partager les poignards dirigés contre Robespierre[412].

 

XXXIV

L'horreur de Maximilien pour les injustices commises envers les particuliers, son indignation contre ceux qui se servaient des lois révolutionnaires contre les citoyens non coupables ou simplement égarés, éclatèrent d'une façon toute particulière aux Jacobins dans la séance du 21 messidor (9 juillet 1794). Rien de plus rare, à son sens, que la défense généreuse des opprimés quand il n'y avait aucun profit à en attendre. Or, si quelqu'un usa sa vie, se dévoua complètement à soutenir la cause des faibles, des déshérités, sans même compter sur la reconnaissance des hommes, ce fut assurément lui. Ah ! s'il eût été plus habile, s'il eût prêté sa voix aux puissants de la veille, destinés à redevenir les puissants du lendemain, il n'y n'aurait pas assez d'éloges pour sa mémoire ; mais il voulait le bonheur de tous dans la liberté et dans l'égalité, mais il ne voulait pas qu'en frappant les grands coupables le glaive des lois s'abattît indistinctement sur toutes les classes de la société ; il ne voulait pas que la France devînt la proie de quelques misérables qui dans la Révolution ne voyaient qu'un moyen de fortune ; il ne voulait pas que certains fonctionnaires trop zélés multipliassent les actes d'oppression, érigeassent en crimes des erreurs ou des préjugés invétérés pour trouver partout des coupables et rendre la Révolution redoutable au peuple même. Comment n'aurait-il pas été maudit des ambitieux vulgaires, des fripons, des égoïstes, des spéculateurs avides qui finirent par tuer la République après l'avoir déshonorée ?

Un décret avait été rendu qui, en mettant à l'ordre du jour la vertu et la probité, eût pu sauver l'État ; mais des hommes couverts du masque du patriotisme s'en étaient servis pour persécuter les citoyens. Tous les scélérats, dit Robespierre, ont abusé de la loi qui a sauvé la liberté et le peuple français. Ils ont feint d'ignorer que c'était la justice suprême que la Convention avait mise à l'ordre du jour, c'est-à-dire le devoir de confondre les hypocrites, de soulager les malheureux et les opprimés, et de combattre les tyrans ; ils ont laissé à l'écart ces grands devoirs, et s'en sont fait un instrument pour tourmenter le peuple et perdre les patriotes. Un comité révolutionnaire, digne émule de ce comité de l'Indivisibilité dont les membres avaient été arrêtés sur la proposition de Maximilien, avait imaginé d'ordonner l'arrestation de tous les citoyens qui dans un jour de fête se seraient trouvés en état d'ivresse, et une foule d'artisans, de bons citoyens, avaient été impitoyablement incarcérés. Voilà ce dont s'indignait Robespierre, qui peut-être avait plus que ces inquisiteurs méchants et hypocrites, comme il les appelait, le droit de se montrer sévère et rigide, car nul autant que lui ne prêcha d'exemple l'austérité des mœurs. Après avoir parlé des obligations imposées aux fonctionnaires publics dont il flétrit le faux zèle, il ajoutait : Mais ces obligations ne les forcent point à s'appesantir avec une inquisition sévère sur les actions des ; bons citoyens, pour détourner les yeux de dessus les crimes des fripons ; ces fripons qui ont cessé d'attirer leur attention, sont ceux-là mêmes qui oppriment l'humanité, et sont de vrais tyrans. Si les fonctionnaires publics avaient fait ces réflexions, ILS AURAIENT TROUVÉ PEU DE COUPABLES À PUNIR, car le peuple est bon, et la classe des méchants est la plus petite. Elle est la plus petite, il est vrai, mais elle est aussi la plus forte, aurait-il pu ajouter, parce qu'elle est la plus audacieuse.

En recommandant au gouvernement beaucoup d'unité, de sagesse et d'action, Robespierre s'attacha à défendre les institutions révolutionnaires devenues le point de mire des attaques de tous les intrigants et de tous les fripons, devant les convoitises desquels elles se dressaient comme un obstacle infranchissable. Il ne venait point réclamer des mesures sévères contre les coupables, mais seulement prémunir les citoyens contre les pièges qui leur étaient tendus, et tâcher d'éteindre la nouvelle torché de discorde allumée au milieu de la Convention nationale qu'on s'efforçait d'avilir par un système, de terreur. A la franchise on avait substitué la défiance, et le sentiment généreux des fondateurs de la République avait fait place au calcul des âmes faibles. Comparez, disait Robespierre, comparez avec la justice tout ce qui n'en a que l'apparence. Tout ce qui tendait à un résultat dangereux lui semblait dicté par la perfidie. Qu'importaient, ajoutait-il, des lieux communs contre Pitt et les ennemis du genre humain, si les mêmes hommes qui les débitaient attaquaient sourdement le gouvernement révolutionnaire, tantôt modérés et tantôt hors de toute mesure, déclamant toujours, et sans cesse s'opposant aux moyens utiles qu'on proposait. Ces hommes, il était temps de se mettre en garde contre leurs complots. — Quelques écrivains ont supposé qu'ici Robespierre avait eu en vue son collègue Barère, qui ce jour-là présidait la société dos Jacobins ; c'est une erreur tout à fait grossière[413]. Barère n'a jamais attaqué et ne pouvait attaquer un gouvernement dont il était alors un des membres les plus influents ; il ne pouvait pas davantage s'opposera des mesures que lui-même était ordinairement chargé de proposer. Cela est clair comme le jour. Les hommes auxquels Robespierre faisait allusion, c'étaient les Bourdon (de l'Oise), les Tallien, les Fouché, les Fréron, les Rovère ; c'était à ces hommes de sang et de rapines qu'il jetait ce défi hautain : Il faut que ces lâches conspirateurs ou renoncent à leurs complots infâmes, ou nous arrachent la vie. Car il ne s'illusionnait pas sur leurs desseins ; il savait bien qu'on en voulait à ses jours. Cependant il avait confiance encore dans le génie de la patrie, et en terminant il engageait vivement les membres de la Convention à se mettre en garde contre les insinuations perfides de certains personnages qui, en craignant pour eux-mêmes, cherchaient à faire partager leurs craintes. Tant que la terreur durera parmi les représentants, ils seront incapables de remplir leur mission glorieuse. Qu'ils se rallient à la justice éternelle, qu'ils déjouent les complots par leur surveillance ; que le fruit de nos victoires soit la liberté, la paix, le bonheur et la vertu, et que nos frères, après avoir versé leur sang pour nous assurer tant d'avantages, soient eux-mêmes assurés que leurs familles jouiront du fruit immortel que doit leur garantir leur généreux dévouement[414]. Comment de telles paroles n'auraient-elles pas produit une impression profonde sur une société dont la plupart des membres étaient animés du plus pur patriotisme. Ah ! si tous les hommes de cette époque avaient été également amis de la patrie et des lois, la Révolution se serait terminée d'une manière bien simple, sans être inquiétée par les factieux comme venait de le déclarer Robespierre. Mais tandis que de sa bouche sortait cet éloquent appel à la justice, à la probité, à l'amour de la patrie, la calomnie continuait son œuvre souterraine, et tous les vices coalisés se préparaient dans l'ombre à abattre la plus robuste vertu de ces temps héroïques.

 

XXXV

Parmi les hommes pervers acharnés à la perte de Robespierre, nous avons déjà signalé l'odieux Fouché, qui, redoutant d'avoir à rendre compte du sang inutilement répandu à Lyon, cherchait dans un nouveau crime l'impunité de ses nombreux méfaits. Une adresse des habitants de Commune-Affranchie, en ramenant aux Jacobins la discussion sur les affaires lyonnaises, fournit à Robespierre l'occasion de démasquer tout à fait ce sanglant maître fourbe.

C'était le 23 messidor (11 juillet 1794). Reprenant les choses de plus haut, Maximilien rappela d'abord la situation malheureuse où s'étaient trouvés les patriotes de cette ville à l'époque du supplice de Chalier, supplice si cruellement prolongé par les aristocrates de Lyon. Par quatre fois le bourreau avait fait tomber la hache sur la tête de l'infortuné maire, et lui, par quatre fois, soulevant sa tête mutilée, s'était écrié d'une voix mourante : Vive la République, attachez-moi la cocarde. L'orateur rappela ensuite la facilité avec laquelle Précy et d'autres conspirateurs étaient parvenus à s'échapper par la porte même où se trouvait le corps d'armée commandé par Dubois-Crancé, qu'il soupçonna toujours d'avoir favorisé cette évasion. Il se plaignit aussi qu'au début la justice nationale n'eût pas été exercée avec le degré de force et d'action exigé par les circonstances. On sait avec quelle modération Couthon usa de la victoire. Collot-d'Herbois lui avait reproché de s'être laissé entraîner par une pente naturelle vers l'indulgence ; il avait même dénoncé à Robespierre ce système d'indulgence inauguré par Couthon, en rendant d'ailleurs pleine justice aux intentions de son collègue. La commission temporaire établie pour juger les conspirateurs avait commencé par déployer de l'énergie ; mais bientôt, cédant à la séduction de certaines femmes et à de perfides manœuvres, elle s'était relâchée de sa pureté ; les patriotes avaient été de nouveau en butte aux persécutions de l'aristocratie, et, de désespoir, le républicain Gaillard, un des amis de Chalier s'était donné la mort. Mais la commission dont Robespierre accusait ici la faiblesse était une commission temporaire de surveillance républicaine établie après la prise de la ville et présidée par l'administrateur de police Marino, commission dans laquelle entrèrent un peu plus tard quelques-uns des membres de la société des Jacobins de Paris, envoyés à Commune-Affranchie en qualité de commissaires nationaux, entre autre les citoyens Boissière, Duhamel et Lecanu[415]. Cette commission ne fonctionnait pas d'ailleurs à titre de tribunal ; il ne s'agissait donc nullement de la terrible commission des sept instituée par Fouché et par Collot-d'Herbois à la place des deux anciens tribunaux révolutionnaires également créés par eux, et qui, astreints à certaines formes, n'accéléraient pas à leur gré l'œuvre de vengeance dont ils étaient les sauvages exécuteurs. C'était cette dernière commission à laquelle Robespierre reprochait de s'être montrée impitoyable, et d'avoir proscrit à la fois fa faiblesse et la méchanceté, l'erreur et le crime[416].

Eh bien ! un historien de nos jours, par une de ces aberrations qui font de son livre un des livres les plus dangereux qui aient été écrits sur la Révolution française, confond la commission temporaire de surveillance républicaine avec la sanglante commission dite des sept, tout cela pour le plaisir d'affirmer, en violation de la vérité, que Robespierre soutenait à Lyon les ultra-terroristes contre l'exécrable Fouché[417]. Et la preuve, il la voit dans ce fait que l'austère tribun invoquait à l'appui de son accusation le souvenir de Gaillard, le plus violent des ultra-terroristes de Lyon. On ne saurait vraiment avoir la main plus malheureuse. Il est faux d'abord, archifaux, que Gaillard ait été un violent terroriste. Victime lui-même de longues vexations de la part de l'aristocratie, il s'était tué le jour où, en présence de persécutions dirigées contre certains patriotes, il avait désespéré de la République, comme Caton de la liberté. Son suicide avait eu lieu dans les derniers jours de frimaire an II (décembre 1793). Or, trois mois après environ, le 21 ventôse (11 mars 1794), Fouché écrivait de Lyon à la Convention ces lignes déjà citées en partie : La justice aura bientôt achevé son cours terrible dans cette cité rebelle ; il existe encore quelques complices de la révolte lyonnaise, nous allons les lancer sous la foudre ; il faut que tout ce qui fit la guerre à la liberté, tout ce qui fut opposé à la République, ne présente aux yeux des républicains que des cendres et des décombres[418]. N'est-il pas souverainement ridicule, pour ne pas dire plus, de venir opposer le prétendu terrorisme de Gaillard à la modération de Fouché !

Ce dont Robespierre fit positivement un crime à Fouché, ce furent les persécutions indistinctement dirigées contre les ennemis de la Révolution et contre les patriotes, contre les citoyens qui n'étaient qu'égarés et contre les coupables. Tout concourt à la démonstration de cette vérité. Son frère ne lui avait-il pas tout récemment dénoncé la conduite extraordinairement extravagante de quelques hommes envoyés à Commune-Affranchie[419] ? Les plaintes des victimes n'étaient-elles pas montées vers lui[420] ? Que dis-je, à l'heure même où il prenait si vivement à partie l'impitoyable mitrailleur de Lyon, ne recevait-il pas une lettre dans laquelle on lui dépeignait le massacre d'une grande quantité de pères de famille dont la plupart n'avaient point pris les armes[421] ? Ce que voulait Robespierre, c'était le retour à la justice, à la modération, sinon à une indulgence aveugle ; il n'y a point d'autre signification à attribuer à ces quelques mots dont se sont contentés les rédacteurs du Journal de la Montagne et du Moniteur pour indiquer l'ordre d'idées développé par lui dans cette séance du 23 messidor, mais qui nous paraissent assez significatifs : Les PRINCIPES DE L'ORATEUR SONT D'ARRÊTER L'EFFUSION DU SANG HUMAIN VERSÉ PAR LE CRIME[422].

Et il ne s'agissait pas ici seulement des horreurs commises à Lyon par Fouché, Robespierre entendait aussi flétrir les actes d'oppression multipliés sur tous les points de la République ; il revendiquait pour lui, et même pour ses collègues du comité, dont il ne séparait point sa cause, l'honneur d'avoir distingué l'erreur du crime et défendu les patriotes égarés. Or, l'homme qui, au dire de Maximilien, avait persécuté les patriotes de Commune-Affranchie avec une astuce, une perfidie aussi lâche que cruelle, c'est-à-dire Fouché, n'était-il pas le même qui, à cette heure, se trouvait être l'âme d'un complot ourdi contre les meilleurs patriotes de la Convention ? Mais le comité de Salut public ne serait point sa dupe, Robespierre le croyait du moins. Hélas ! dans quelle erreur il était ! Nous demandons enfin, dit-il, que la justice et la vertu triomphent, que l'innocence soit paisible, le peuple victorieux de tous ses ennemis, et que la Convention mette sous ses pieds toutes les petites intrigues[423]. Couthon l'interrompit ici pour citer quelques faits à la charge de Dubois-Crancé, relativement au siège de Commune-Affranchie, et, à sa demande, Dubois-Crancé, dont l'arrestation avait été naguère réclamée en pleine Convention à cause de sa conduite équivoque dans l'affaire de Lyon, fut rayé du tableau de la société. On convint, sur la proposition de Robespierre, d'inviter Fouché à venir se disculper des reproches dont il avait été l'objet.

Les fourbes ont partout des partisans, et Fouché n'en manquait pas au milieu même de la société des Jacobins, dont quelques jours auparavant on l'avait vu occuper le fauteuil. Robespierre jeune, revenu depuis peu de temps de l'armée du Midi, ne trouvant pas suffisante l'indignation de la société contre les persécuteurs des patriotes, s'élança à la tribune, et d'une voix émue raconta qu'on avait usé à son égard des plus basses flatteries pour l'éloigner de son frère. Mais, s'écria-t-il, on chercherait en vain à nous séparer. Je n'ambitionne que la gloire d'avoir le même tombeau que lui. Vœu touchant qui n'allait pas tarder à être exaucé. Couthon vint aussi réclamer le privilège de mourir avec son ami : Je veux partager les poignards de Robespierre. Et moi aussi ! et moi aussi ! s'écria-t-on de tous les coins de la salle[424]. Hélas ! combien, au jour de l'épreuve suprême, se souviendront de leur parole !

Le jour fixé pour entendre Fouché (26 messidor) était un jour solennel dans la Révolution, c'était le 14 juillet ; ce jour-là tous les cœurs devaient être à la patrie, aux sentiments généreux. On s'attendait, aux Jacobins, à voir arriver Fouché ; mais celui-ci n'était pas homme à accepter une discussion publique, à mettre sa vie à découvert, à ouvrir son âme à ses concitoyens. La dissimulation et l'intrigue étaient ses armes ; il lui fallait les ténèbres et les voies tortueuses. Au lieu de venir, il adressa à la société une lettre par laquelle il la priait de suspendre son jugement jusqu'à ce que les comités de Salut public et de Sûreté générale eussent fait leur rapport sur sa conduite politique et privée. Cette méfiance à l'égard d'une société dont tout récemment il avait été le président était loin d'annoncer une conscience tranquille. Aussitôt après la lecture de cette lettre, Robespierre prit la parole : il avait pu être lié jadis avec l'individu Fouché, dit-il, parce qu'il l'avait cru patriote ; et s'il le dénonçait, c'était moins encore à cause de ses crimes passés que parce qu'il le soupçonnait de se cacher pour en commettre d'autres. Nous savons aujourd'hui si Robespierre se trompait dans ses prévisions. N'était-il pas dans le vrai quand il présentait cet infâme Fouché comme le chef, l'âme de la conspiration à déjouer ? Et pourquoi donc cet homme, après avoir brigué le fauteuil où il avait été élevé grâce aux démarches de quelques membres qui s'étaient trouvés avec lui à Commune-Affranchie, refusait-il de soumettre sa conduite à l'appréciation de ceux dont il avait sollicité les suffrages ? Craint-il, s'écria Robespierre, cédant à l'indignation qui l'oppressait, craint-il les yeux et les oreilles du peuple ? Craint-il que sa triste figure ne présente visiblement le crime ? que six mille regards fixés sur lui ne découvrent dans ses yeux son âme tout entière, et qu'en dépit de la nature qui les a cachées on n'y lise ses pensées[425] ? Craint-il que son langage ne décèle l'embarras et les contradictions d'un coupable ? Puis, établissant entre Fouché et les véritables républicains un parallèle écrasant, Robespierre le rangea au nombre de ces hommes qui n'avaient servi la Révolution que pour la déshonorer, et qui avaient employé la terreur pour forcer les patriotes au silence. Ils plongeaient dans les cachots ceux qui avaient le courage de le rompre, et voilà le crime que je reproche à Fouché. Étaient-ce là les principes de la Convention nationale ? Son intention avait-elle jamais été de jeter la terreur dans l'âme des bons citoyens ? Et quelle ressource resterait-il aux amis de la liberté s'il leur était interdit de parler, tandis que des conjurés préparaient traîtreusement des poignards pour les assassiner ? On voit avec quelle perspicacité Robespierre jugeait dès lors la situation. Fouché, ajoutait-il, es un imposteur vil et méprisable[426]. Et comme s'il ne pouvait se résoudre à croire que la Providence abandonnât la bonne cause, il assurait, en terminant, que jamais la vertu ne serait sacrifiée à la bassesse, ni la liberté à des hommes dont les mains étaient pleines de rapines et de crimes[427]. Mais, hélas ! il se trompait ici cruellement ; la victoire devait être du parti des grands crimes. Toutefois, ses paroles n'en produisirent pas moins une impression profonde, et, sur la proposition d'un membre obscur, Fouché fut exclu de la société.

Le futur duc d'Otrante continua de plus belle ses sourdes et coupables intrigues. Je n'ai rien à redouter des calomnies de Maximilien Robespierre, écrivait-il vers la fin de messidor à sa sœur, qui habitait Nantes, dans peu vous apprendrez l'issue de cet événement, qui, j'espère, tournera au profit de la République. Déjà les conjurés comptaient sur le succès. Cette lettre, communiquée à Bô, alors en mission à Nantes, où il s'était fait bénir par une conduite semblable à celle de Robespierre jeune, éveilla les soupçons de ce représentant, homme à la fois énergique et modéré, patriote aussi intègre qu'intelligent. Il crut urgent de faire parvenir ce billet de Fouché au comité de Salut public, et chargea un aide de camp du général Dufresne de le porter sans retard[428]. ... Quelques jours après, nouvelles lettres de Fouché et nouvel envoi de Bô. Mon affaire... est devenue celle de tous les patriotes depuis qu'on a reconnu que c'est à ma vertu, qu'on n'a pu fléchir, que les ambitieux du pouvoir déclarent la guerre, écrivait le premier à la date du 3 thermidor. La vertu de Fouché ! ! Et le surlendemain : Encore quelques jours, les frippons (sic), les scélérats seront connus ; l'intégrité des hommes probes sera triomphante. Aujourd'hui peut-être nous verrons les traîtres démasqués. Non, jamais Tartufe n'a mieux dit. C'est Tartufe se signant avec du sang au lieu d'eau bénite. De plus en plus inquiet, Bô écrivit au comité de Salut public : Je vous envoie trois lettres de notre collègue Fouchet, dont les principes vous sont connus, mais dont il faut se hâter, selon moi, de confondre et punir les menées criminelles[429].

Par malheur cette lettre arriva trop tard et ne valut à Bô qu'une disgrâce. Quand elle parvint au comité, tout était consommé. Nous sommes en effet à la veille d'une des plus tragiques et des plus déplorables journées de la Révolution.

 

 

 



[1] Biographie universelle (nouvelle édition). Cet article, qui a remplacé l'ancien article, œuvre du comte Beugnot, est signé d'un Z. L'auteur a cru devoir garder l'anonyme.

[2] Voici en quels termes s'exprima Bourdon : Je dénonce le ci-devant avocat général, le ci-devant noble Hérault Séchelles, membre du comité de Salut public, et maintenant commissaire à l'armée du Rhin, pour ses liaisons avec Pereyra, Dubuisson et Proly. (Séance de la Convention du 26 frimaire [16 décembre 1798]). Moniteur du 28 frimaire. Vide supra. Le précédant biographe de Hérault, dans la Biographie universelle, a écrit : Robespierre permit que Hérault fût défendu par Couthon. Le moment de le perdre n'était pas encore arrivé. Le véridique comte Beugnot aurait bien dû nous dire qui lui a fourni ses renseignements.

[3] Séance du 9 nivôse (29 décembre 1793). Moniteur du 10 nivôse. Le même comte Beugnot assure que pendant qu'Hérault se justifiait, Robespierre lui lançait des regards farouches. Ce n'est pas sans raison que l'ex-conseiller d'Etat impérial, devenu directeur général de la police du royaume sous Louis XVIII, a passé pour l'un des hommes les plus spirituels de son temps.

[4] Voyez Papiers inédits, t. II, p. 189.

[5] Notes de Robespierre pour le rapport de Saint-Just, p. 27.

[6] Le mandat contre Simond est signé : Collot-d'Herbois, Prieur, Vadier, Voulland, Louis (du Bas-Rhin), Carnot, Jagot, Barère, Amar et Billaud-Varenne ; celui contre Hérault porte les signatures de Barère, Dubarran, Carnot, Collot-d'Herbois, Voulland, Couthon, Jagot, Robespierre, David, Billaud-Varenne, Saint-Just. (Pièces à la suite du rapport de Saladin, p. 242, 244.)

[7] Biographie universelle (ancienne et nouvelle édition). Ce n'était vraiment pas la peine de remplacer l'article de M. Beugnot. Il n'est pas jusqu'à M. Michelet qui ne nous montre Hérault expédié par Robespierre. (Histoire de la Révolution, t. VII, p. 178.)

[8] Moniteur du 29 ventôse an II (14 mars 1794).

[9] Réponse des membres des deux anciens comités à l'accusation de Laurent Lecointre, p. 59.

[10] Mémoires de Thibaudeau, t. I, ch. V.

[11] Notes fournies par Robespierre à Saint-Just pour son rapport sur les dantonistes, p. 10. Il me paraît impossible de révoquer en doute la véracité de Robespierre.

[12] Notes fournies par Robespierre à Saint-Just pour son rapport sur les dantonistes, p. 10.

[13] Manuscrit de Mme Le Bas.

[14] Mémoires de Charlotte Robespierre ; Manuscrit de Mme Le Bas ; Confidences de Souberbielle. On peut invoquer aussi le témoignage des innombrables lettres particulières à lui adressées. Voyez également la Notice de Buonaroti sur Maximilien.

[15] Voyez le rapport de Saint-Just.

[16] Note manuscrite de Mme Le Bas.

[17] Voici cette lettre, complètement inédite, croyons-nous, et qu'il nous paraît indispensable de mettre sous les yeux des lecteurs ; elle est adressée à Danton : Béthune, 12 avril 1793, an II de la République française. — Citoyen, il y a huit jours que l'on a arrêté à Béthune deux voitures chargées de caissons à votre adresse et à celle du citoyen Delacroix. Dans l'incertitude que ces objets soient bien adressés, parce qu'ils arrivaient directement de la Belgique dans le moment où le bouleversement de l'armée occasionné par la trahison de Dumouriez jetait sur nos limites des hommes et des effets que dans un tel moment de crise on devait surveiller comme suspects, n'étant pas d'ailleurs dans la route de leur destination pour Paris, la municipalité a fait une visite de ces effets ; nous avons fait un arrêté qui confirme son acte de prudence, et nous avons écrit aussitôt au président de la Convention pour avoir des éclaircissements d'après les renseignements qu'ils auront fait prendre de vous, citoyen député, et nous n'avons pas de réponse. Nous vous prions de nous assurer si ces objets vous appartiennent.

Le directoire du district de Béthune, Leroulx, président ; Brehon, J. F. Hullin, Delarue.

Maintenant, à côté de cette lettre qu'on ne put produire au procès, il faut placer le passage suivant des Mémoires du représentant Levasseur, lesquels ne sont point l'œuvre d'Achille Roche, comme l'ont prétendu certaines personnes intéressées, M. Jean Reynaud entre autres, mais bien l'œuvre de Levasseur lui-même, ainsi que l'a prouvé péremptoirement d'ailleurs le jugement rendu contre l'éditeur de ces Mémoires : La probité de Danton n'était point intacte ; je vais ici en donner une seule preuve. Je reçus au comité de correspondance une lettre des administrateurs du district de Béthune qui nous annonçait le passage de trois voitures chargées d'effets venant de la Belgique et adressées à Danton et à Lacroix. L'administration les avait arrêtées, parce que les voituriers n'avaient ni lettres de voiture ni passeports. Je renvoyai cette lettre au comité de Défense générale sans la lire à la tribune, ainsi que j'y étais autorisé par un décret, dans la crainte de faire naître une discussion scandaleuse. Je me doutais dès lors que ces voitures recélaient le résultat des malversations de nos, deux collègues. J'en acquis la preuve dans la suite. Quelques jours avant le décret d'accusation porté contre Danton, Saint-Just vint me demander la lettre dont j'ai parlé et dont il avait appris l'existence à Béthune même. Nous nous transportâmes, pour en chercher les traces, au bureau de l'ancien comité de Défense générale. Nous trouvâmes bien la date du reçu et le numéro de la pièce, mais la pièce elle-même avait disparu. Le secrétaire Petit, interrogé, nous apprit qu'il l'avait remise au citoyen Danton, qui l'avait demandée pour la communiquer au président, sous promesse de la rapporter. Le président Guyton-Morveau se rappelait bien le même fait, mais il n'avait point vu la lettre en question. Danton lui avait seulement demandé un laissez-passer pour ses malles et celles de Lacroix, arrêtées, disait-il, à Béthune. — Ces bons administrateurs, ajoutait-il, croient sans doute que les représentants voyagent, comme des garçons perruquiers, avec leur bagage dans un chausson. Morveau avait donné sans hésiter le laissez-passer. Ainsi avaient été dérobées à nos yeux les traces d'une de ces malversations qui, pour n'avoir pas été aussi fréquentes qu'on affecte de le dire, ne se sont pas moins quelquefois rencontrées dans le cours de nos orages... (Mémoires de Levasseur [de la Sarthe], t. III, p. 75.)

[18] Au sujet des cent mille livres délivrées à Danton et à Lacroix par le ministre Lebrun, voyez la déposition de Cambon dans le procès des dantonistes.

[19] Notes fournies à Saint-Just par Robespierre, p. 5 et 6.

[20] Correspondance entre le comte de Mirabeau et le comte de La Marck, publiée par M. A. de Bacourt, t. III, p. 82. — Je ne parle pas, bien entendu, des calomnies ineptes de Mme Roland dans ses Mémoires. (Voyez t. II de l'édit. Barrière et Berville.)

[21] Le docteur Robinet, qui calomnie Robespierre avec autant de passion qu'il défend Danton, dit avec raison que Mirabeau ne prouve pas que ces 30.000 fr. aient été donnés ; mais il ne prouve pas, lui, le contraire. Voyez son Mémoire sur la vie privée de Danton. Or Mirabeau, pour toutes sortes de raisons, devait être très-bien informé ; et encore une fois je me demande quel intérêt il avait à calomnier Danton dans une lettre toute confidentielle et qu'assurément il ne croyait pas devoir être un jour livrée à la publicité.

[22] Mémoires de Garat.

[23] Mémoires de Thibaudeau, t. I.

[24] Notes fournies à Saint-Just par Robespierre. — Dans sa défense, Danton a nié le fait en ces termes : J'ai dit à un patriote rigide, dans un repas, qu'il compromettait la bonne cause en s'écartant du chemin où marchaient Barnave et Lameth qui abandonnaient le parti populaire. Je soutiens le fait de toute fausseté. (Procès des dantonistes.) Peut-être, si Saint-Just eût nommé Robespierre, la mémoire de Danton l'eût-elle mieux servi.

[25] Ibid., p. 11. — La réponse de Danton sur ce point est évidemment tronquée ; on lui fait dire : Le fait est faux, il n'a d'importance que celle qu'on a voulu lui donner. Je vais rétablir le fait dans son intégrité. Robespierre disait : Demandez à Danton pourquoi il a fait nommer d'Orléans ; il serait plaisant de le voir figurer dans la Convention comme suppléant. (Procès des dantonistes dans l'Histoire parlementaire.)

[26] Un jour même, au temps où Robespierre se trouvait seul en butte aux coups de la faction girondine, c'est-à-dire avant l'ouverture de la Convention, Danton aurait dit à ses amis : Puisqu'il veut se perdre, qu'il se perde, nous ne devons pas partager son sort. (Notes fournies à Saint-Just, p 14.)

[27] Séance de la Convention du 24 nivôse an Il (13 janvier 1794). Moniteur du 26 nivôse.

[28] Voyez la Réponse de J. N. Billaud à Laurent Lecointre, p. 123.

[29] Il est véritablement regrettable de voir comme, à son insu bien certainement, M. Hippolyte Carnot se joue de l'histoire dans les Mémoires qu'il a publiés sur soc père. A propos de Robespierre, il écrit : Danton se trouve sur son chemin, il le tue à son tour. (T. I, p. 367.) C'est la légende thermidorienne. Puis il prête à son père un petit discours de treize lignes, par lequel Carnot aurait combattu la proposition d'arrestation du grand tribun. Mais de l'apostrophe autrement éloquente de Robespierre à Billaud-Varenne, apostrophe invoquée contre Robespierre par Billaud lui-même, pas un mot. Ah ! il aurait bien mieux valu qu'au lieu de s'excuser après coup, Carnot eût imité la fureur indignée de Robespierre, sauf à encourir aussi la réprobation de Billaud. Qui sait ? peut-être Danton eût-il été sauvé.

[30] Rappelons encore que ce sont les propres expressions de Billaud-Varenne dans la séance du 9 Thermidor.

[31] Voyez le Moniteur du 11 thermidor (29 juillet 1794).

[32] Dénonciation formelle à la Convention nationale contre Billaud, Barère, etc., par Laurent Lecointre, p. 25. Voyez aussi le Moniteur du 14 fructidor an II (31 août 1794).

[33] Réponse de J.-S. Billaud à Laurent Lecointre, p. 38, 39.

[34] Cela résulte des paroles mêmes de Billaud-Varenne : La veille où Robespierre consentit à l'abandonner. Séance du 12 fructidor (29 aoùt 1794). Moniteur du 14 fructidor.

[35] Projet de rapport sur la faction Fabre d'Églantine. Papiers inédits, t. II, p. 46.

[36] Procès des dantonistes Voyez l'Histoire parlementaire, t. XXXII.

[37] Voyez cette lettre dans les Papiers inédits, t. III, P. 286.

[38] Notes fournies par Robespierre à Saint-Just, p. 21.

[39] Notes fournies par Robespierre à Saint-Just, p. 6 et 10.

[40] Notes fournies à Saint-Just par Robespierre, p. 18.

[41] Notes fournies à Saint-Just par Robespierre, p. 8 et 20.

[42] Notes fournies à Saint-Just par Robespierre, p. 7.

[43] Notes fournies à Saint-Just par Robespierre, p. 10.

[44] La chose étonne, par exemple, venant d'un historien érudit et consciencieux comme M. Villiaumé. Voyez son Histoire de la Révolution, t. III, p. 185, de l'édition Lacroix.

[45] On a dit qu'en cette circonstance Robespierre avait aussi subi la pression de Saint-Just. C'est une erreur, selon nous. S'il est vrai que Saint-Just en ait voulu à Danton parce que celui-ci lui aurait reproché de professer à son âge des principes sanguinaires, comme le prétend Vilain d'Aubigny dans une brochure d'ailleurs assez peu digne de foi, il n'en est pas moins certain que, dans son rapport sur les dantonistes, Saint-Just n'a fait que suivre les indications de Robespierre.

[46] Selon Prudhomme, le repas se serait donné rue Saintonge au Marais, dans la maison qu'avait jadis habitée Robespierre (Histoire générale et impartiale des erreurs, des fautes et des crimes de la Révolution française, t. V, p. 146). Selon d'autres, il aurait eu lieu à Charenton (Tissot, Histoire de la Révolution, t. V, p. 125). Billaud-Varenne, dans sa Réponse à Laurent Lecointre, dit que Robespierre avait dîné à la campagne avec Danton la veille du jour où il consentit à l'abandonner. (Dénonciation contre Billaud, Barère, etc., p. 26.)

[47] Lettre de Vilain d'Aubigny à Billaud-Varenne. Il nous a été impossible de nous procurer cette lettre que, plus heureux que nous, M. L. Blanc a découverte au British Museum, dans la Bibliothèque historique de la Révolution. (Voyez l'Histoire de la Révolution, t. X, p. 347.

[48] Réponse de J.-N. Billaud à Laurent Lecointre, p. 18.

[49] Lettre citée plus haut, et dont l'original est aux Archives, F 7, 4436.

[50] Voyez sa déposition dans le procès de Fouquier-Tinville. C'est un véritable monument de la lâcheté et de l'ingratitude humaines. Les calomnies dont d'Aubigny accabla la mémoire de Robespierre n'empêchèrent pas Bourdon (de l'Oise) de le poursuivre avec un acharnement sans exemple. D'Aubigny fut du nombre des patriotes désignés par Fouché aux vengeances du premier consul après l'explosion de la machine infernale, crime tout royaliste, comme on sait. Arrêté en janvier 1801, il fut déporté aux îles Séchelles, où il mourut.

[51] En 1814, ce Prudhomme publia un journal où, naturellement, il se montra tout à fait favorable à la Restauration.

[52] Histoire générale et impartiale, t. V, p. 146 et 147.

[53] Séance de la Convention du 12 fructidor an II (29 août 1794). Moniteur du 14 fructidor.

[54] Notes de Camille sur le rapport de Saint-Just. — De ces notes il existe deux versions, insérées toutes deux dans l'Histoire parlementaire, t. XXXII, p. 221 et 225.

[55] Disons, pour être juste, que Rousselin ne mérite qu'un confiance très-limitée. Voici comment, de son côté, s'est expliqué à ce sujet, dans une brochure sur les causes du 9 Thermidor, Vilate lui-même, qui du reste n'est pas non plus digne de foi : Robespierre, toujours observateur inquiet sur la direction des évènements, affecte tout à la fois de défendre Danton et d'improuver ses opinions. Quelques jours avant leur perte, je dînai chez Camille avec sa charmante et vertueuse épouse, sa mère, d'une très-belle stature, Danton, sa modeste épouse, un jeune homme d'une belle taille et d'une figure intéressante. Je laissai échapper mes inquiétudes à Camille. Vingt fois je l'avertis qu'on voulait le guillotiner. (P. 26 et 27.) De Rousselin ou de Vilate, qui croire ?

[56] Ce fait est rapporté par M. Villiaumé qui, malheureusement, a omis de citer ses preuves. (Voyez son Histoire de la Révolution, t. III, p. 185 de l'édition Lacroix)

[57] Rougyff cessa de paraître dans le courant de prairial, quand la subvention ministérielle lui fut retirée. Guffroy, dans son dernier numéro, annonça crûment qu'il interrompait la publication de son journal parce qu'on lui avait fait perdre les abonnements qu'il recevait du ministère de la guerre. (Voyez le numéro 150.)

[58] Le Vieux Cordelier, numéro 7, p. 212, 213, de l'édition Matton.

[59] Rougyff, ou le Frank en vedette, numéro 60.

[60] Rougyff, ou le Frank en vedette, numéro 80.

[61] Rougyff, ou le Frank en vedette, numéro 95.

[62] Rougyff, ou le Frank en vedette, numéro 98.

[63] Rougyff, ou le Frank en vedette, numéro 107. Ce misérable Guffroy est un des signataires du rapport de Courtois dont il fut, du reste, le bien digne compère.

[64] Michelet, Histoire de la Révolution, t. VII, p. 192. Villiaumé, Histoire de la Révolution, t. III, p. 193 de l'édition Lacroix.

[65] P. 88 de la deuxième édition.

[66] Il n'y eut pas de plus effrontés menteurs que les écrivains de la Gironde. Les Barbaroux, les Louvet, les Bailleul, les Dulaure, les Meillau, tous se valent. Mais aucun peut-être n'est à la hauteur de Riouffe. C'est encore lui qui dans son livre prête ces paroles à Danton Si je laissais mes c..... à Robespierre et mes jambes à Couthon, ça pourrait encore aller quelque temps au comité de Salut public. Mais comme l'œuvre était destinée à faire les délices de la bonne société, on crut devoir supprimer dans une seconde édition les paroles par trop ordurières du premier membre de phrase. Le républicain Riouffe est mort, en 1813, préfet de la Meurthe et baron de l'Empire.

[67] Renseignement fourni par Joseph Planche lui-même a M. J. Quicherat, qui l'a transmis à M. Alfred Carteron, notre regrettable ami. Alfred Carteron préparait une édition définitive des œuvres de Camille Desmoulins, édition à laquelle de précieuses notes de lui eussent ajouté un grand prix, quand une mort cruellement prématurée est venu l'enlever à sa famille, à ses amis, et à la démocratie, dont il a été un des soldats les plus fidèles et les plus dévoués.

[68] Mémoires de Thibaudeau, p. 60. Nous avons dit comment Hérault-Séchelles avait été arrêté pour infraction patente à une loi terrible — lex dura, sed lex. — Suivant le représentant Thibaudeau, il périt parce qu'il ne put se faire pardonner sa naissance, une belle figure, des manières nobles et gracieuses.

[69] Michelet, Histoire de la Révolution, t. VII, p. 192. — Les anecdotes plus ou moins apocryphes ne manquent pas sur Danton et sur Robespierre. On lit dans l'Histoire de la Révolution, par Cabet, t. III, p. 571 : Dans un dîner où se trouvent Danton, Camille Desmoulins, sa femme, Lacroix et plusieurs cordeliers, Danton parle de Robespierre en termes menaçants. Ségorier (de Nîmes), ancien officier d'infanterie, ami de Boissy d'Anglas, se penche à l'oreille de son voisin. — Qu'est-ce que tu dis là ? lui demanda Danton. — Rien. — Je veux le savoir. — Tu le veux !... Eh bien, je dis que tu as tort de parler ainsi de Robespierre, parce qu'il vous fera couper le cou. — Lui, lui ? Il est f..... ! Et s'il le faut, je lui f...... le Dauphin à travers les jambes. Est-ce ce propos répété qui lit accuser faiblement Danton de conspirer en faveur des prisonniers du Temple ? C'est probable.

[70] Je ne sais pourquoi Saladin, dans son rapport (p. 79), appelle ce papier du papier à enveloppe.

[71] Archives, F 7, 1435, liasse B.

[72] Carnot, qui a signé le troisième, s'est excusé plus tard en disant que, fidèle à sa doctrine de solidarité dans le gouvernement collectif, il n'avait pas voulu refuser sa signature à la majorité qu'il venait de combattre. (Voyez Mémoires sur Carnot, t. Ier, p. 369.) Mauvaise excuse. Qui l'empêchait de faire comme Robert Lindet en cette occasion, ou comme fit Robespierre en maintes autres circonstances, de s'abstenir ? Mieux valait avouer que, comme Robespierre, il avait fini par céder aux obsessions de Billaud-Varenne.

[73] Moniteur du 12 germinal (1er avril 1794). Voyez aussi les notes de Robespierre sur différents députés. (Papiers inédits, t. II, p. 18.) — La motion de Delmas se trouve non-seulement dans le Moniteur du 12 germinal, mais encore dans le Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 558, p. 180. Il faut donc que M. Michelet ait bien mal lu les journaux de l'époque pour avoir écrit que pas un journal n'osa mentionner la résistance de la Montagne, et que c'est Robespierre qui nous a appris, dans ses notes secrètes contre plusieurs Montagnards, que Delmas et autres demandèrent qu'on avertît les membres de tous les comités dispersés dans les bureaux afin qu'ils vinssent voter. (Histoire de la Révolution, t. VII, p. 196.)

[74] Voyez Michelet, Histoire de la Révolution, t. VII, p. 196.

[75] On lit dans l'Histoire de la Révolution, par M. Michelet, t. VII, p. 197 : La réaction elle-même commençait dans le discours de Robespierre. Ou y disait tenir le pouvoir, non de l'Assemblée, mais de la patrie. Précisément comme l'empereur Napoléon l'a dit si souvent dans le Moniteur. Un instant, Monsieur Michelet ! Avant d'être aussi affirmatif, il eût été bon de ne point isoler, en le commentant judaïquement, un mot échappé a l'improvisation, ou plutôt reproduit inexactement par le Moniteur. Avant de dire : Les comités ne tiennent que de la patrie leurs pouvoirs, Robespierre n'avait-il pas dit : Qu'avez-vous fait que vous n'ayez fait librement, qui n'ait sauvé la République, qui n'ait été approuvé par la France entière ? On veut vous faire craindre que la liberté ne périsse victime des comités dont l'autorité est émanée de la Convention nationale, que la Convention peut annuler sur-le-champ. Mais il y a mieux : c'est qu'il est à peu près certain que Robespierre n'a point prononcé la phrase que lui prête M. Michelet d'après le Moniteur. Voici, en effet, la version du Journal des débats et des décrets, beaucoup plus vraisemblable, puisque celle du Moniteur constitue une véritable absurdité, les comités ne tenant leurs pouvoirs que de la Convention elle-même : Quelques membres de cette Assemblée, nous le savons, ont reçu de la part des prisonniers des instructions portant qu'il fallait demander à la Convention quand finirait la tyrannie des deux comités. ; qu'il fallait enfin leur demander compte de l'exercice du pouvoir que vous leur avez confié. Oui, demandez-nous compte de ces pouvoirs qui sont un immense fardeau dont d'autres ne se seraient peut-être pas chargés dans des circonstances aussi difficiles. (Numéro 558, p. 185.) Dans le Moniteur, au contraire, on lit : Les comités ne tiennent que de la patrie leurs pouvoirs, qui sont un immense fardeau dont d'autres peut-être n'auraient pas voulu se charger. (Moniteur du 12 germinal.)

[76] Ces lettres ont été supprimées par les Thermidoriens.

[77] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 558, et Moniteur du 12 germinal (1er avril 1794) combinés.

[78] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 558, p. 185.

[79] M. Villiaumé, par exemple. Voyez son Histoire de la Révolution, t. III, p. 186, édition Lacroix.

[80] Ces notes de Robespierre, que les Thermidoriens se gardèrent bien de livrer à la publicité, faisaient partie de la collection Portiez (de l'Oise). J'en ai vu il y a quelques années l'original chez M. Feuillet de Conches. Elles ont été publiées sous ce titre, absolument faux : Projet, rédigé par Robespierre, du rapport fait à la Convention nationale par Saint-Just, etc. Paris, 1841. France. In-8° de 31 p.

[81] Moniteur du 12 germinal (1er avril 1794). Voyez aussi notre Histoire de Saint-Just.

[82] La déposition de Cambon dans le procès des dantonistes fut terrible en ce sens qu'il en résulta une incertitude très-grande sur l'emploi des cent mille livres en numéraire délivrées à Danton et à Lacroix pour leur mission en Belgique. M. Michelet, qui, pour blanchir Danton, a travesti de la façon la plus étonnante le procès des dantonistes, assure que Cambon, interrogé par le président sur ce qu'il pensait de Danton et de Desmoulins, et s'il ne les regardait pas comme des conspirateurs, aurait répondu très-rudement : Loin de là, je les regarde tous deux comme d'excellents patriotes, qui n'ont cessé de rendre les plus importants services à la Révolution. (Histoire de la Révolution, t. VII, p. 208.) Il n'y a pas un mot de cela dans le compte rendu du procès des dantonistes. Mais, dit M. Michelet, le falsificateur a sans scrupule supprimé ces mots ; nul journal n'a osé les mettre que longtemps après. Il est évident que le compte rendu des procès politiques de cette époque doit inspirer de très-grandes méfiances ; mais celui du procès de Danton peut passer pour l'impartialité même et être considéré comme l'expression exacte de la vérité si on le compare au compte rendu du procès de Fouquier-Tinville, par exemple, où tout est à l'accusation, et rien à la défense. Or, c'est dans le compte rendu de ce dernier procès que M. Michelet a été naïvement chercher la prétendue déposition de Cambon, et il s'est bien gardé de le dire. Et à qui l'a-t-il empruntée ? A la déposition de Vilain d'Aubigny, ce dantoniste exalté dont nous avons signalé plus haut la noire ingratitude à l'égard de Robespierre. Encore M. Michelet, qui traite de falsificateur le rédacteur du compte rendu du procès des dantonistes, a-t-il altéré la déposition de d'Aubigny. En effet, celui-ci déclare que, se trouvant à Sainte-Pélagie vers la fin de Thermidor, au moment où Fouquier y fut amené, il lui reprocha vivement les manœuvres atroces employées pour perdre Danton, Camille Desmoulins et autres, et que Fouquier lui répondit, — je cite textuellement : — qu'il avait fait ce qu'il avait dépendu de lui pour les sauver ; que le 14 germinal, jour où ils avaient été mis en jugement, après la déclaration de Cambon (il était venu au tribunal pour déposer dans l'affaire de Chabot) faite sur l'interpellation de Danton et de Camille, qu'il était bien éloigné, lui Cambon, de les regarder comme des conspirateurs... (Voyez le procès de Fouquier dans l'Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 403.) Eh bien, cette interpellation prêtée à Danton et à Camille par Vilain d'Aubigny, M. Michelet la place adroitement dans la bouche du président. Écoutez-le : Le président, voyant Cambon irrité et rouge de la maladroite attaque de Fabre, s'enhardit à lui demander ce qu'il pensait de Danton et de Desmoulins. (Ubi supra, p. 208.) Quel historien digne de foi que M. Michelet ! Il est à remarquer que la déposition de d'Aubigny occupe une douzaine de pages, et la réponse de l'accusé... néant. A la suite des débats qui précédèrent sa condamnation, Fouquier parla pendant plusieurs heures ; pas un mot de sa défense n'a été conservé. Voilà, on l'avouera, une belle autorité à invoquer que le compte rendu du procès de Fouquier-Tinville ! Quant à Cambon, il est si peu probable qu'il ait prononcé les paroles qui lui sont attribuées par d'Aubigny, que plus d'un mois après Thermidor, en pleine Convention, il traînait encore Danton de conspirateur en l'accouplant à Robespierre. Voyez le Moniteur du 14 vendémiaire an III (15 octobre 1794), séance du 12 vendémiaire.

[83] Du treizième jour de germinal. Les comités de Salut public et de Sûreté générale chargent le maire de Paris de faire conduire sur-le-champ au comité de Salut public le citoyen Laflotte, détenu au Luxembourg. Il y sera conduit sous sûre garde. Signé : Dubarran, Couthon, Billaud-Varenne, Carnot, C.-A. Prieur, Voulland, Robespierre, Barère. (Archives, F 7.1435, liasse B.)

[84] Arrêté signé : Barère, Élie Lacoste, Vadier, C.-A. Prieur, Dubarran, Le Bas, Collot-d'Herbois, Billaud-Varenne. (Archives, F 7.1435, liasse B.)

[85] Archives, F 7.1435, liasse B.

[86] Le comité de. Salut public arrête que Simond, député, Arthur Dillon, Thouret, et tous les autres détenus au Luxembourg, seront séparés rigoureusement et mis au secret sur-le-champ. L'administration de. police exécutera le présent arrêté et rendra compte dans le jour de son exécution au comité. Signé : Billaud-Varenne, Barère, Collot-d'Herbois, Carnot, Couthon. (Archives, F 7.1435, liasse B.)

[87] Voyez cette lettre à la suite de l'édition du Vieux Cordelier donnée par M. Matton, p. 245. Nulle réponse ! s'écrie M. Michelet, t. VII, p. 216. Robespierre pouvait-il répondre à une lettre qu'il n'avait pas reçue ? Et M. Michelet devait bien savoir que cette lettre n'avait pas été envoyée.

[88] Mémoires de Charlotte Robespierre, p. 141. Dans ces mêmes Mémoires, Charlotte assure (p. 135), qu'à la nouvelle de l'arrestation de Camille, Robespierre courut au Luxembourg pour le supplier de revenir aux véritables principes, mais que Camille refusa de le voir, et elle ajoute que ni Camille ni Danton n'eussent péri, si le premier n'eût pas repoussé Robespierre au moment où celui-ci lui tendait la main. Il y a là certainement une erreur de souvenir de la part de Charlotte, ou bien elle a été mal informée.

[89] Voyez, à ce sujet, notre Histoire de Saint-Just, t. II, liv. IV, ch. V, de l'édition Meline et Cans.

[90] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 562.

[91] Séance du 15 germinal (4 avril t79i). Voyez le Moniteur du 16 germinal. On lit dans l'Histoire de la Révolution, par M. Michelet, t. VII, p. 127 : Au moment du vote, la femme de Philippeaux était en larmes à la barre. Point de privilège ! dit Robespierre, et il la fit repousser au nom de l'égalité. Tout cela est complètement faux. La femme de Philippeaux n'était pas à la barre. On avait tout simplement lu une lettre par laquelle elle demandait son admission. (Voir le Moniteur du 16 germinal). Mais M. Michelet tenait à nous la présenter en larmes à la barre. C'est en effet beaucoup plus pittoresque. Quant au sentiment qui a inspiré Robespierre, nous ne pouvons que renvoyer nos lecteurs au rapport du représentant Saladin, qui, assurément, ne peut passer pour un robespierriste : Heureusement Robespierre, plus humain cette fois que Billaud-Varenne, s'y opposa, et vous n'eûtes pas à rougir de voir sous vos yeux insulter à la douleur d'une femme qui venait vous implorer. (P. 87.)

[92] Voyez cette lettre dans les Papiers inédits, t. Ier, p. 220.

[93] Histoire de la Révolution, par Michelet, t. VII, p. 204.

[94] Mandat signé : Dubarran, Élie Lacoste, Vadier, Moïse Bayle, Robespierre, C.-A. Prieur. Barère. Saint-Just. Amar, Carnot, Collot-d'Herbois.

[95] Cette lettre n'a pas été publiée par Courtois. Voyez-la dans les Papiers inédits, t. II, p. 189.

[96] Séance des Jacobins du 11 germinal (31 mars 1794). Moniteur du 16 germinal.

[97] Voyez le Moniteur du 20 germinal (9 avril 1794).

[98] Voyez le Moniteur du 20 germinal (9 avril 1794).

[99] Mandat signé : Billaud-Varenne, Elie Lacoste, Voulland, Le Bas, C.-A. Prieur, Vadier, Jagot, Carnot, Bartre, Robespierre, Collot-d'Herbois, Amar, Moyse Bayle, Louis (du Bas-Rhin), Saint-Just. (Archives, F 7.1435.) Dufourny recouvra sa liberté après le 9 Thermidor. En frimaire de l'an III (novembre 1794), il fut vivement inculpé par Cambon comme un des auteurs du 2 Septembre. Voyez le Moniteur du 9 frimaire (29 novembre 1794).

[100] La lettre dont parle ici Legendre, et dont il nous a été permis de donner un extrait, est complètement inédite. L'original en existe aux Archives, F 7, 1435, liasse B. Au bas de cette lettre nous lisons ces mots, tracés par Legendre, dont nous conservons soigneusement l'orthographe : Je recois crue letre et son envelope le quintidy germinal, 2me décade et je la depose entre les mains de mes colegue composant le comité de Salut publique. Les correspondants anonymes de Legendre ne se rebutèrent pas, car cinq jours après il recevait un nouveau factum qu'il s'empressait d'aller également porter au comité. Au bas de cette seconde lettre, qui a été reproduite dans les Papiers inédits, t. 1er, p. 183, Legendre a encore écrit de sa main : Letre qui mats été remise yer soir le vingt germinale. Et que je vais deposer entre les mains de mes colegues du comité de Salut publique.

[101] Moniteur du 20 germinal (9 avril 1794), et Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 565.

[102] Moniteur du 20 germinal (9 avril 1794), et Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 565.

[103] M. Villiaumé, t. III, p. 225.

[104] C'est ce qui résulte d'une lettre d'imprécations qu'eut le projet de lui adresser Mme Duplessis, lettre publiée par M. Matton.

[105] Lettre inédite (de la collection Portiez [de l'Oise]).

[106] Essais historiques sur les causes et les effets de la Révolution de France, par C.-F. Beaulieu, t. V, p. 184.

[107] Essais historiques sur les causes et les effets de la Révolution de France, par C.-F. Beaulieu, t. VI, p. 10, en note.

[108] Dans un des mille libelles publiés à la chute de Robespierre, on lit qu'au lendemain du 9 Thermidor la fille de Louis XVI prit le deuil. (Voyez le libelle intitulé : Nouveaux et intéressants détails de l'horrible conspiration de Robespierre et de ses complices.)

[109] M. Michelet entre autres, Histoire de la Révolution, t. VII, p. 204 et 230.

[110] Séance du 16 germinal. Voyez le Moniteur du 17 germinal (6 avril 1794).

[111] Voyez le rapport de Carnot dans l'Histoire parlementaire, t. XXXII, p. 166.

[112] Voyez cette note à la suite du rapport de Courtois, et dans les Papiers inédits, t. II, p. 11.

[113] Mémoire justificatif pour le citoyen Herman. Une lettre d'Herman à Robespierre, de brumaire an II, insérée dans les Papiers inédits, t. I, p. 280, prouve le peu d'intimité qui existait entre eux.

[114] Nous tenons ces détails du propre fils de Lerebours, Pierre-Victor Lerebours, mort depuis peu et qui a été connu dans les lettres et au théâtre sous le nom de Pierre-Victor.

[115] Ce récit est il peu près celui de M. Charles Reybaud dans une note qu'il a écrite tout exprès pour M. Villiaumé (Histoire de la Révolution, t. III, p. 471), et dans un article du Journal de M. Alphonse Karr du 17 octobre 1848. Seulement M. Reybaud l'a fuit précéder d'une sorte de petit roman auquel nous n'avons pas cru devoir ajouter foi, non qu'il soit de M. Reybaud, mais parce que Lerebours, ainsi que nous l'a affirmé son fils, avait eu le tort de chercher à détruire l'idée qu'il avait joué un rôle politique dans la Révolution.

[116] Dénonciation de Laurent Lecointre, p. 172.

[117] Réponse de J.-N. Billaud à Lecointre, p. 94.

[118] Le premier de ces arrêtés est de la main de Carnot et signé : Carnot, Collot-d'Herbois, Barère, C.-A. Prieur. La minute du second est de Barère et signée : Barère, Carnot, Moyse Bayle, Jagot, Collot-d'Herbois, C.-A. Prieur, Saint-Just, Elie Lacoste, Billaud-Varenne, Amar, Dubarran, Voulland. (Archives, A F. II 57.)

[119] Arrêté signé : Billaud-Varenne, Saint-Just, C.-A. Prieur, Carnot. (Archives, F 7, 4435.)

[120] Moniteur du 22 germinal (11 avril 1794).

[121] Moniteur du 30 germinal (19 avril 1794).

[122] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 574, et Moniteur du 28 germinal (17 avril 1794).

[123] Moniteur du 30 germinal (19 avril 1794).

[124] Voyez notre Histoire de Saint-Just, édit. Meline et Cans, t. II, liv. III, ch. V.

[125] Voyez, à ce sujet, les notes publiées sous le titre de Mémoires de Barère, t. II, p. 174. Ces Mémoires, œuvre d'un menteur émérite, sont peu dignes de confiance ; mais sur la cause de la disgrâce de Hoche, Barère peut être cru, car il est naturellement tout favorable à Carnot ; c'est même à Saint-Just que, par une contradiction assez étrange, il attribue la persécution subie par Hoche.

[126] Voyez l'Amateur d'autographes du 16 août 1865. L'original de cette lettre faisait partie de la collection de M. Félix Drouin. En tête de cette lettre, qui a cinq lignes, on lit ces mots, de la main de Carnot : 30 ventôse, IIe année de la Rép. une et ind. Les membres du comité de Salut public à leurs collègues, au port de la Montagne. Elle est signée : Robespierre, Collot-d'Herbois, Carnot, Billaud-Varenne et Barère.

[127] Un seul mot, l'enverront, est écrit par Collot-d'Herbois au-dessus du mot l'envoient, rayé par lui. Voyez le remarquable Essai sur la vie de Hoche, par E. Bergounioux, p. 56.

[128] On lit dans les Mémoires sur Carnot, par son fils, t. I, p. 449 : Un second mandat, qui l'envoyait à la prison des Carmes, émané du bureau de Saint-Just, fut extraordinairement signé par tous les membres du comité. M. Hippolyte Carnot veut parler du bureau de police générale qui fonctionna durant quelques semaines au comité de Salut public. Il n'y a qu'un malheur, c'est qu'en germinal ce fameux bureau de police, sur lequel nous aurons à nous arrêter, n'existait pas encore. Il ne fut établi que dans le courant de floréal.

[129] Ont signé, dans l'ordre suivant : Saint-Just, Collot-d'Herbois, Barère, C.-A. Prieur, Carnot, Couthon, Robert Lindet et Billaud-Varenne. — M. Hippolyte Carnot, dans ses Mémoires sur Carnot, fait figurer Robespierre au nombre des signataires de cet arrêté. Il regrettera, nous n'en doutons pas, d'avoir commis ici une très-grave erreur. Nous avons relevé nous-même cet arrêté sur les catalogues de M. Laverdet. Nous avons fait mieux, nous avons été consulter — ce que chacun peut faire comme nous — l'ordre d'écrou du général aux archives de la préfecture de police, et nous l'avons trouvé parfaitement conforme au texte de l'arrêté publié dans le catalogue Laverdet.

[130] Ces lettres ont disparu. Peut-être ont-elles été rendues, après Thermidor, au général Hoche, qui les aura détruites. C'est encore là un vol fait à l'histoire par les Thermidoriens.

[131] Cette lettre de Hoche à Robespierre a été trouvée dans le dossier de Fouquier-Tinville, accompagnée de celle-ci : Je compte assez, citoyen, sur ton attachement aux intérêts de la patrie pour être persuadé que tu voudras bien remettre la lettre ci-jointe a son adresse. L. Hoche. — Fouquier garda la lettre. On voit avec quel sans façon le fougueux accusateur public agissait à l'égard de Robespierre. (Archives, carton W 136, 2e dossier, cotes 90 et 91.)

[132] Voyez les Mémoires sur Carnot, par son fils, t. I, p. 450.

[133] Voici cet arrêté, il est de la main de Thuriot : Le 17 thermidor de l'an II de la République une et indivisible, Le comité de Salut public arrête que Hoche, ci-devant général de L'armée de la Moselle, sera sur-le-champ mis en liberté, et les scellés apposés sur ses papiers levés. Charge le porteur du présent de son exécution. Thuriot, Collot-d'Herbois, Tallien, P.-A. Lalloy, C.-A. Prieur, Treillard, Carnot. (Archives, A F, II, 60.)

[134] Voyez la Vie de Hoche, par Rousselin, lequel était l'ennemi personnel de Robespierre et de Saint-Just.

[135] Histoire de la Révolution, par Michelet, t. V, p. 87.

[136] Mémoires sur Carnot, par son fils, t. II, p 93.

[137] Essais historiques, par Beaulieu, t. V, p. 288. Le témoignage du royaliste Beaulieu ne saurait être suspect ici.

[138] Histoire de la Révolution, par Michelet, t V, p. 87. Et savez-vous quelle est l'autorité, la seule autorité de M. Michelet pour avancer un fait aussi grave ? C'est un individu nommé F. Pillet, ancien commis dans les bureaux du comité de Salut public, et qui, devenu plus tard ultra-royaliste, écrivit, en quelques pages absurdes, une réfutation de l'Histoire des Girondins, de M. de Lamartine, réfutation où il a accumulé contre Robespierre des calomnies plus ineptes les unes que les autres. Mais ce qu'il y a d'impardonnable de la part de M. Michelet, c'est qu'il a trouvé moyen de surenchérir sur la calomnie inventée par ce F. Pillet. Ainsi celui-ci prétend (p. 13) avoir eu connaissance du fait par un domestique porteur du message confidentiel. M. Michelet fait passer la lettre par les mains de M. Pillet. Quant au mensonge du domestique sur la foi duquel le sieur Fabien Pillet a avancé une odieuse calomnie, voici qui tranche la question : au bas de la lettre écrite par Le Chapelier à Robespierre peu avant son arrestation, il y a en post-scriptum : Celui qui vous remet cette lettre ignore quel en est l'objet.

[139] Cette lettre, non publiée par les Thermidoriens, a été reproduite dans les Papiers inédits, t. Ier, p. 273.

[140] Voir également ce mémoire dans les Papiers inédits, t. Ier, p. 274. — Le Chapelier lut arrêté et enfermé aux Madelonnettes au commencement de ventôse en vertu d'un mandat d'arrêt du comité de Sûreté générale, et non du comité de Salut public. Voyez le registre d'écrou de cette prison aux Archives de la préfecture de police.

[141] Lettre inédite en date du 4 prairial, signée Giraux. (De la collection Beuchot) En tête de cette lettre on lit, de la main de Courtois : Espionnage particulier. Est-ce assez bête !

[142] Ce jeune homme était M. Pivolle, connu depuis par des livres d'horticulture. Il a conté le fait à M Thouvenel, ancien député, de qui le tient notre confrère, M. Villiaumé, qui lui-même a bien voulu me le transmettre. Voyez, du reste, l'Histoire de la Révolution, t. III, p. 281, éd. Lacroix.

[143] Ce fait a été rapporté à M. Alfred Hédouin par une personne fort honorable, très-peu sympathique aux hommes de la Révolution, et à qui M. Laroche lui-même l'avait raconté pour lui prouver que Robespierre n'était pas, après tout, aussi méchant qu'on pouvait le supposer.

[144] Étaient présents à cette séance du 5 floréal : Barère, Carnot, Couthon, Collot-d Herbois, Billaud-Varenne. Robespierre, Saint Just, Robert Lindet. Archives, 436 aa 73.

[145] Séance du 7 floréal (26 avril 1794), mêmes présences que dessus.

[146] Étaient présents : Barère, Carnot, Collot-d'Herbois, Couthon, C.-A. Prieur, Billaud-Varenne, Robespierre et Robert Lindet. Registre des délibérations et arrêtés. (Archives, 436 aa 73.)

[147] Séance du 28 floréal (17 mai 1794). Mêmes présences que dessus.

[148] Mémoires de Mallet-Dupan, t. II, p. 93.

[149] Manuscrit de Mme Le Bas.

[150] Proudhon, De la justice dans la Révolution et dans l'Eglise.

[151] Lettre à la comtesse de Boufflers. De Motiers-Travers, août 1762.

[152] Edgard Quinet, La Révolution.

[153] Dans l'Ain par exemple. Voyez, à ce sujet, une note de Robespierre, Archives, A F II, 37.

[154] Les députés de l'Ain à leur collègue Robespierre, membre du comité de Salut public, lettre inédite en date du 19 floréal de l'an II. (Collection Portiez [de l'Oise].)

[155] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 595, p. 227.

[156] Tissot. Histoire de la Révolution française, t. V, p. 185.

[157] Voilà ce que le philosophe et tolérant M. Michelet appelle un grave retour au passé. Histoire de la Révolution, t. VII, p. 308.

[158] Souvenirs de la Révolution, t. Ier, p. 285, édit. Charpentier.

[159] Le discours de Robespierre, reproduit par la plupart des journaux du temps, se trouve dans le Moniteur du 19 floréal an II (8 mai 1794). Par arrêté du comité de Salut public en date du 20 floréal, il fut tiré à 200.000 exemplaires, savoir : 26.500 par le citoyen Delturro, 26.500 par le citoyen Charpentier, de Paris, 27.000 par le citoyen Nicolas, et 120.000 par l'Imprimerie nationale. Arrêté contre-signé : Barère, Collot-d'Herbois et Billaud-Varenne. (Archives, A F, II, 55.) In 8° de 45 p. Il y en eut à l'époque plusieurs éditions : in-8° de 31 p. ; in-8° de 48 p. ; in-8° de 56 p. ; in 24 de 79 p., orné d'un portrait et de deux gravures, dessinés et gravés par Quevedo ; Paris, F. Dufert, Langlois, Basset, an II, in-8° de 122 p., avec un portrait. A la fin du volume on trouve les deux discours prononcés par Robespierre à la fête de l'Être suprême, et la liste des inscriptions gravées sur les monuments élevés à Paris pour la fête du 20 prairial. Ce rapport de Robespierre se trouve aussi dans l'Histoire parlementaire, t. XXXII, p. 353-381, et dans les Œuvres éditées par Laponneraye, t. III, p. 607-643.

[160] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 595.

[161] Moniteur du 21 floréal an II (10 mai 1794).

[162] Causes secrètes de la révolution du 9 au 10 Thermidor, par Vilate, p. 23 et 29.

[163] Journal de la Montagne. Nous pourrions à chaque page, à chaque ligne, signaler l'étonnante mauvaise foi des ennemis de Robespierre. Ainsi, dans son fameux acte d'accusation, prudemment ébruité après le 9 Thermidor, Laurent Lecointre poussa le mépris de la vérité jusqu'à reprocher à Maximilien d'avoir abusé de l'inexpérience de Jullien en lui faisant prononcer, aux Jacobins, une motion tendant à faire déclarer coupable tout citoyen qui ne croirait pas à l'immortalité de l'âme, pour être puni comme traître à la patrie. (Conjuration formée dès le 5 prairial, p. 36.)

[164] Séance de la Convention du 27 floréal (16 mai 1794). Voyez le Moniteur du 29 floréal. M. Michelet, qui a écrit tout de travers cette partie de l'histoire de la Révolution, égaré par la fougue de son intolérance antireligieuse, prétend que l'Assemblée, mécontente, avait porté Carnot à la présidence pour montrer sa désapprobation. (T. VII, p. 316.) Ceci est puéril, mais, dans tous les cas, Carnot aurait bien mal répondu à l'attente de l'Assemblée.

[165] Séance du 25 floréal (14 mai 1794). Moniteur du 27 floréal.

[166] Arrêté du comité de Salut public signé : Barère, Carnot, C.-A. Prieur, Collot-d'Herbois, Billaud-Varenne, Couthon, Robespierre, Saint-Just, Robert Lindet. Voyez, aux Archives, 436 a a 73, le registre des délibérations et arrêtés du comité.

[167] Voyez, à ce sujet, une lettre de Payan à son frère, administrateur du département de la Drôme. Papiers inédits, t. II, p. 348.

[168] Notes de Robespierre sur divers patriotes, sous le numéro XXIX, à la suite du rapport de Courtois, et Papiers inédits, t. II, p. 7.

[169] Lettre de Payan en date du 6 nivôse : Au citoyen..... Papiers inédits, t. II, p. 350.

[170] Lettre de Payan à Robespierre. Papiers inédits, t. II, p. 352.

[171] Arrêté signé : Dubarran, Élie Lacoste, Amar, Louis (du Bas-Rhin), Voulland, Billaud-Varenne, Carnot, Vadier, Jagot, Barère, M. Bayle, Collot-d'Herbois. Archives, A F, II, 60. — Comme on est convenu d'attribuer à Robespierre tous les actes de rigueur de la Révolution, le rédacteur de la biographie de Pache, dans la Biographie universelle, Michaud jeune, n'a pas manqué d'écrire que c'était Robespierre qui avait fait arrêter Pache sans l'envoyer au tribunal révolutionnaire. — Ce qui, ajoute le rédacteur de l'article, était une véritable faveur.

[172] Le comité de Salut public arrête que le citoyen Fleuriot remplira provisoirement les fonctions de maire de Paris, vacantes par l'arrestation de Pache. Il prendra ces fonctions sur-le-champ, et habitera la maison de la mairie. Signé pour extrait : Collot-d'Herbois, Barère, Carnot, Billaud-Varenne.

[173] Arrêté du 29 floréal signé : Barère, Billaud-Varenne, Robespierre, Robert Lindet. (Registre des arrêtés et délibérations du comité de Salut public, Archives, 436 a a 73.)

[174] Lettre écrite au nom de la municipalité de Nantua aux représentants en mission à Lyon, en date du 18 prairial. (Catalogue Charavay, 1862.)

[175] Rougyff ou le Frank en vedette, numéro 131. — Guffroy, tomme on l'a vu plus haut, cessa la publication de son journal, en se fondant sur ce qu'on lui avait fait perdre les abonnements du ministère de la guerre. Qu'aurait dit Camille d'un désintéressement si patriotique, lui qui s'épuisa à reprocher Hébert les subventions que le Père Duchesne recevait du ministère de la guerre ?

[176] Lettre de J.-P. Besson. De Manosque, le 23 prairial. (Papiers inédits, t. II, p. 116.) Elle ligure sous le numéro 1 à la suite du rapport de Courtois.

[177] Cette lettre est de beaucoup antérieure à floréal. Elle est du 17 juillet 1792 et porte la signature de Jamgon. Nous la citons ici, parce qu'elle offre un échantillon curieux des fraudes thermidoriennes. Au lieu de la couronne civique que porte le manuscrit, le rédacteur du rapport de Courtois a écrit, en soulignant le mot, la couronne (voyez p. 13 et 122), faux qui lui fournit l'occasion d'écrire avec sa risible emphase : Tant d'encens brûlé ne rassasiait pas encore l'avide ambition du tyran, il lui fallait une couronne, et l'on a vu un flatteur assez lâche pour la lui offrir. (P. 13 du rapport.) Voyez aux Archives l'original de la lettre de Jamgon.

[178] Papiers inédits, t, II, p. 120 ; numéro IV, à la suite du rapport de Courtois. J'ai rétabli les noms des divers signataires de ces lettres d'après les originaux conservés aux Archives.

[179] Cette lettre, qui a figuré à diverses reprises dans les ventes d'autographes, est du 13 prairial, et signée : veuve Jakin.

[180] Papiers inédits, t. II, p. 125. L'original, signé : Jacques Molines, fait partie de la collection Beuchot.

[181] Cette lettre figure sous le numéro XIX à la suite du rapport de Courtois. Voyez Papiers inédits, t. II, p. 133. En tête de l'original conservé aux Archives, et signé : Dubois (d'Amiens), on lit, de la main de Courtois, flagorneries.

[182] Lettre en date du 28 floréal. Papiers inédits, t. II, p. 127.

[183] Lettre de Peys et de Rompillon, Papiers inédits, t. II, p. 134.

[184] Cette lettre figure sous le numéro XXII à la suite du rapport de Courtois.

[185] Cette lettre est adressée à Robespierre, simple particulier alors ; elle est du 5 février 1792. Numéro XI à la suite du rapport de Courtois.

[186] Edgar Quinet, La Révolution.

[187] Voyez cette lettre dans les Papiers inédits, t. II, p. 165.

[188] Interrogatoire de Ladmiral par le président du tribunal révolutionnaire, dans le Moniteur du 5 prairial (24 mai 1794). Je lis dans le manuscrit de Mme Le Bas qu'un jour un individu de forte taille était venu demander Robespierre et avait insisté beaucoup pour lui parler, mais que la mine de cet homme et son allure ayant paru suspectes, on avait pensé tout de suite qu'il venait dans de mauvaises intentions, et qu'on avait refusé de l'introduire auprès de Maximilien. Je suppose qu'il s'agit ici de Ladmiral.

[189] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 611.

[190] Moniteur du 7 prairial (24 mai 1794).

[191] Riouffe a prétendu, avec sa bonne foi ordinaire, qu'elle n'avait point sur elle la moindre arme offensive. Voyez ses Mémoires, p. 74.

[192] Voyez l'interrogatoire de Cécile Renault dans le Moniteur du 10 prairial (29 mai 1794).

[193] Cette lettre est de la main de Robespierre, qui, par inadvertance, l'a signée deux fois. Ont signé avec lui : Barère, C.-A. Prieur, Billaud-Varenne et Carnot. — Dans sa Réponse à Lecointre, œuvre de mensonge et de perfidie qui est une tache sur sa mémoire, Billaud prétend que Saint-Just arriva inopinément pour dresser l'acte d'accusation d'un certain nombre de membres de la Convention. Voyez p. 29.

[194] Nous garantissons comme rigoureusement exactes les dates que nous donnons ici. (Archives, A F, II, 23.) Le comité de Salut public arrête que leur collègue Saint-Just se rendra sans délai aux frontières du Nord et de l'Est pour surveiller les armées de la République depuis la mer jusqu'au Rhin, et tenir la main à l'exécution des décrets de la Convention nationale et des arrêtés du comité de Salut public. Arrêté en date du 18 prairial et signé : Barère, Carnot, C.-A. Prieur, Collot-d'Herbois, Robespierre, Billaud-Varenne, Saint-Just, Robert Lindet. (Archives.) — M. Michelet fait arriver Saint-Just le 8 prairial et, avec sa légèreté ordinaire, il lui fait tenir ce petit discours au Comité : Nous périssons, c'est fait de nous si nous n'avons un dictateur. (T. VII, p. 321.) Il suffisait d'étudier d'un peu près aux sources vraies l'histoire de la Révolution pour ne pas être dupe de ce mensonge thermidorien, contre lequel protestent tous les actes et toutes les paroles de Saint-Just ; mais il semble que M. Michelet n'a voulu connaître les choses de ce temps que d'après les pamphlets dirigés contre Robespierre.

[195] Voyez notamment, au sujet de ces députations, démarches et adresses, le Moniteur des 8, 9,15 et 30 prairial an II (27 et 28 mai, 3 et 18 juin 1794).

[196] Voyez un extrait du discours de Lespomarède dans les Papiers inédits, t. II, p. 127, et à la suite du rapport de Courtois sous le numéro XXI.

[197] Lettre non insérée par Courtois. Voyez-la dans les Papiers inédits, t. I, p. 324. En marge est écrit, de la main du républicain Courtois : Flatteurs.

[198] Cette lettre avait dû être communiquée par Carnot à Robespierre, dans les papiers duquel elle fut trouvée. Voyez-la dans les Papiers inédits, t. III, p. 170. Après la chute de Robespierre, Garran de Coulon fit cause commune avec les adversaires de Maximilien. Nommé sénateur par Bonaparte, il accepta avec soumission, de la muni licence impériale, la-sénatorerie de Riom et le titre de comte.

[199] Voyez, pour cette séance des Jacobins, le Moniteur du 10 prairial an II (29 mai 1794). — Alexandre Rousselin, connu depuis sous le nom de Saint-Albin, a vécu de longues années après la Révolution, et il s'est montré l'un des détracteurs les plus acharnés de la mémoire de Robespierre. Disons tout de suite, du reste, à l'honneur du jeune ami de Danton, qu'il demeura toute sa vie fidèle aux principes de la Révolution ; ce qui lui fait une place à part parmi les ennemis de Maximilien. Nous regrettons seulement que notre rôle sévère d'historien nous oblige à lui reprocher d'avoir manqué de justice et d'équité à l'égard de ce dernier. Il a eu grandement tort notamment, comme on va le voir, d'attribuer à Robespierre les mesures de rigueur dont il tut l'objet en messidor et en thermidor. Parmi les dénonciations auxquelles donnèrent lieu contre le jeune Rousselin les deux missions dont il fut chargé, à Provins et à Troyes, par le comité de Salut public, nous en avons une sous' les yeux, excessivement grave, signée par un grand nombre d'habitants de la ville de Troyes. Rousselin était alors fort jeune, il avait pu pécher par exagération de zèle. Toujours est-il que ces dénonciations furent les seules causes de son renvoi devant le tribunal révolutionnaire, et non point l'inimitié de Robespierre qui n'a même pas signé le mandat de renvoi, mandat que nous sommes heureux de pouvoir mettre sous les yeux de nos lecteurs : Paris, le 27 messidor, le comité de Salut public arrête que Rousselin est renvoyé au tribunal révolutionnaire pour y être jugé avec ses complices, et que le citoyen Augustin Guelon remettra à cet effet sur-le-champ à l'accusateur public les pièces et dénonciations qu'il a présentées au comité, et lui donnera verbalement tous les autres renseignements qui sont à sa connaissance. Signé : Couthon, Billaud-Varenne, Collot-d'Herbois, Barère, Carnot. (Archives, F 7, 4437.) Il est donc archifaux de dire avec !e rédacteur de la Biographie universelle, que Rousselin de Saint-Albin fut, par les ordres de Robespierre, mis en état d'arrestation et traduit devant le tribunal révolutionnaire comme appartenant à la faction des orléanistes et des indulgents. Que penser maintenant du libelliste Prudhomme qui, dans son histoire prétendue impartiale des crimes et des erreurs de la Révolution, fait dire à Robespierre en plein club des Jacobins : On parle de ma puissance, et je n'ai pu faire tomber sous le glaive des lois un jeune scélérat, rejeton de la faction de Danton. Je m'étonne d'une chose, c'est qu'un historien grave comme M. Villiaumé ait pu s'en rapporter ici à un misérable trafiquant d'anecdotes éditées pour le plus grand plaisir des ennemis de la Révolution. Les accusations dirigées contre Rousselin étaient mal fondées sans doute, puisqu'il fut acquitté par le tribunal révolutionnaire, ainsi qu'une quinzaine d'habitants de Troyes prévenus, comme lui, d'excès révolutionnaires. Toutefois, afin de décharger complètement la mémoire de Robespierre de la responsabilité des vexations dont Rousselin aurait été victime, nous sommes bien forcé de rappeler que longtemps après Thermidor, le 15 pluviôse de l'an III (3 février 1795), la Convention retentit encore d'une dénonciation contre Rousselin, dénonciation dans laquelle les membres de la société populaire de Troyes reprochaient à ce dernier sa mission dévastatrice. Et à l'appui de cette dénonciation, on citait l'ordre suivant, donné par Rousselin : Le citoyen Sevestre, accusateur public, voudra bien sur-le-champ faire dresser une guillotine sur la place ci-devant Saint-Pierre, dite de la Liberté, et me dénoncer aussitôt, et à son tribunal criminel provisoirement, le premier chef d'attroupements fanatiques, sous prétexte de subsistances et autres choses, pour être sur-le-champ jugé prévôtalement en premier et dernier ressort. 28 brumaire. (Voyez le Moniteur du 18 pluviôse an III [6 février 1795].) On voit donc que si, en messidor de l'an II, Rousselin fut, à tort ou à raison, poursuivi par le comité de Salut public, sans la participation de Robespierre, ce fut comme ultra-terroriste et non point comme orléaniste et indulgent.

[200] Voyez, pour cette séance du 7 prairial, le Moniteur du 10 prairial (29 mai 1794). La plupart des journaux du temps publièrent ce discours, qui parut en brochure in-8° de 8 pages. Il y en eut plusieurs éditions, dont une, entre autres, in-32 de 22 pages.

[201] Lecointre a assigné, après coup, la date du 5 prairial à la conjuration formée par neuf représentants du peuple contre Robespierre ; mais ses assertions ne doivent être acceptées que sous beaucoup de réserves. Il ne faut pas oublier qu'en Thermidor Lecointre, caractère peu estimable, joua le rôle de l'âne de la fable.

[202] Ce mandat, en date du 3 prairial, est signé : Robespierre, Billaud-Varenne, Collot-d'Herbois et Barère. La minute, que nous avons sous les yeux, est de la main de Robespierre.

[203] Lettre inédite de Faure à Maximilien Robespierre, en date du 19 prairial an II (7 juin 1794). Collection Portiez (de l'Oise).

[204] Journal de la Montagne.

[205] Il n'y avait point de prescription particulière pour la couleur de l'habit. Voyez, à ce sujet, le rapport de Barère à la Convention, séance du 18 prairial. C'est donc par erreur que M. Michelet a indiqué l'habit bleu à revers rouges comme l'uniforme imposé aux membres de la Convention. (T. VII, p. 325.)

[206] Ces paroles sont rapportées par Vilate dans son Histoire des causes secrètes de la révolution du 9 au 10 Thermidor, p. 34 de l'édition princeps. Vilate, qui écrivait pour mériter les bonnes grâces des Thermidoriens, n'a pas manqué d'ajouter : Qui n'aurait été trompé à l'hypocrisie du tyran lui-même ?

[207] Vilate a écrit dans ses Causes secrètes (p. 33) : Barère et Collot-d'Herbois s'étaient priés de déjeuner chez moi, afin de jouir du coup d'œil de la fête. La femme de Dumas, président du tribunal révolutionnaire, était venue il l'improviste de très-bonne heure, pour le même motif. Voici comment M. Michelet traduit cette dernière phrase : Le président Dumas avait le matin averti Vilate qu'il y amènerait le tribunal. M. Michelet part de là pour nous montrer Robespierre, au milieu des bruits d'amnistie, préoccupé de la crainte que le tribunal ne se tournât du côté du Comité de Sûreté générale, et il ajoute : Il en résulta une chose fâcheuse pour Robespierre, c'est que le tribunal ne vint que très-tard, et qu'en l'attendant en vain il dépassa l'heure indiquée et fit lui-même attendre la Convention. (Histoire de la Révolution, t. VII, p. 325.) Eh bien ! tout cela est sorti de la trop féconde imagination de M. Michelet. Quant à la fable adoptée par la plupart des historiens, d'après laquelle Robespierre aurait fait attendre la Convention, elle ne repose que sur le témoignage infiniment suspect de Vilate, et encore Vilate ne précise-t-il rien ; il se contente de dire en note : J'ai su depuis qu'on l'avait cherché longtemps. N'aurait-il pas mis de l'orgueil à faire attendre despotiquement le peuple et la Convention ? (p. 34). Avec un peu plus de sens critique, M. Michelet aurait pu se dispenser d'écrire cette phrase évidemment ridicule : Elle — la Convention — prit fort mal ce retard, l'interprétant comme une insolence royale, comme une insulte volontaire. (p. 325.)

[208] Mémoires historiques sur le XVIIIe siècle, par Garat. Les lettres de La Harpe à Robespierre ont été supprimées par les Thermidoriens et rendues, sans doute, à leur auteur qui a reconnu cette complaisance en devenant l'un des plus lâches détracteurs de Maximilien.

[209] Voyez ces deux discours dans le Moniteur du 22 prairial (10 juin 1794) et dans le Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 628. Ils ont été imprimés ensemble, par ordre de la Convention (in-8° de 6 pages, de l'Imprimerie nationale). Comme il n'y a point de prétexta dont on ne se soit servi pour calomnier Robespierre, on s'est imaginé de prétendre qu'il n'était pas l'auteur du premier discours prononcé par lui à la fête de l'Être suprême. Barbier, dans son Dictionnaire des anonymes, l'attribue à un abbé Martin. Un individu, nommé Charles Chabot, dans une indigne rapsodie publiée en 1852 sous ce titre ; Ce bon M. de Robespierre, assure que c'est l'œuvre de M. Porquet, précepteur de M. de Boufflers, que Robespierre aurait envoyé chercher en lui donnant l'ordre de lui composer sous trois jours un discours, pour la fête de l'Être suprême ; il ajoute que l'abbé s'en acquitta bien, puisque les plus cruels ennemis du tyran n'avaient pu se dispenser de convenir qu'il avait mieux parlé qu'à son ordinaire. Devant de telles inepties, il n'y a qu'à hausser les épaules. Les esprits absolus qui ne veulent rien accorder à Robespierre, a écrit Charles Nodier, ont été obligés de recourir à la supposition commune et commode d'un faiseur obligeant qui fournissait à ses travaux oratoires, et sans doute à ses improvisations, le fruit de quelques veilles éloquentes dont il n'a jamais trahi le secret. (Souvenirs de la Révolution, t. I, p. 251 de l'édition Charpentier.)

[210] Telles ont été la mauvaise foi et l'ignorance des ennemis de Robespierre que nous lisons dans les Mémoires de Thibaudeau : A dessein ou par hasard, il se trouva à la première place dans une procession en l'honneur de l'Être suprême. (T. I, p. 64.) Et c'est un membre de la Convention qui a écrit cela ! Bailleul, qui ne s'est point privé de calomnier Robespierre, quoique étant un des soixante-treize sauvés par lui, ne comprend pas du moins, dans ses Esquisses, comment on a pu s'étonner qu'à la fête de l'Être suprême, Maximilien ait marché à la tête d'une Assemblée dont il était le président.

[211] C'est ainsi qu'il est représenté dans une gravure que nous avons sous les yeux, et où l'on voit la Convention se disposant à gravir la montagne élevée au Champ de Mars.

[212] Discours de Robespierre à la séance du 8 thermidor.

[213] Lecointre a revendiqué l'honneur de cette insulte ; il faut le lui laisser tout entier. Ainsi, aux yeux de ce maniaque, le grand crime de Robespierre, c'était les applaudissements qui marquaient sa présence. (Conjuration formée dès le 5 prairial, p. 3.)

[214] Notes de Robespierre sur certains députés. Papiers inédits, t. II, p. 19.

[215] Ceci est tiré de l'écrit de Vilate intitulé : Les Mystères de la mère de Dieu dévoilés. Ce mot lui est échappé, dit Vilate. Mais Vilate, grand inventeur de mots, oublie de nous dire qui l'a entendu.

[216] On a prétendu que Robespierre, ayant cru voir une allusion hostile à sa personne dans les vers de Chénier, y avait fait substituer l'hymne du poète Théodore Desorgues. Voyez à ce sujet un volume de M. P. Hédouin intitulé Mosaïque. M. Hédouin n'appuie son allégation sur aucune espèce de fondement, et il y a là de sa part une erreur positive, qu'ont partagée du reste les auteurs de l'Histoire parlementaire. On serait bien embarrassé d'ailleurs pour trouver dans la très-longue pièce de Chénier une strophe, un vers, un hémistiche, un mot qui pût paraître hostile à Robespierre. L'hymne de Desorgues fut, d'après quelques récits du temps, chanté aux Tuileries. De là sans doute vient la confusion où sont tombés certains écrivains.

[217] Je ne trouve nulle trace de cette confidence dans le manuscrit de Mme Le Bas. Je la mentionne d'après M. A. Esquiros, qui la tenait de Mme Le Bas elle-même.

[218] Discours du 8 thermidor.

[219] Lettre inédite de Faure, en date du 19 prairial, citée plus haut.

[220] Mallet-Dupan. Mémoires, t. II, p. 99.

[221] Paroles de Barère à la séance du 9 thermidor, déjà citées.

[222] Dénoncé aux Jacobins le 21 nivôse de l'an II (10 janvier 1794) comme persécutant les patriotes du Vaucluse, Rovère avait trouvé dans son ami Jourdan Coupe-Tête un défenseur chaleureux. (Moniteur du 1er pluviôse [20 janvier 1794].) Il n'y a pas à demander s'il fut du nombre des Thermidoriens les plus acharnés. Un tel homme ne pouvait être que l'ennemi de Robespierre. Connu sous le nom de marquis de Fonvielle avant la Révolution, Rovère devint, après Thermidor, un des plus fougueux séides de la réaction. Déporté au 18 fructidor comme complice de machinations royalistes, il mourut un an après dans les déserts de Sinnamari.

[223] Voyez à ce sujet une lettre de Maignet à Couthon, en date du 4 floréal (23 avril 1794). Cette lettre figure sous le numéro CVIII, à la suite du rapport de Courtois qui, rand ami de Rovère, en a nécessairement tiré contre Maignet les inductions les plus calomnieuses. Voyez aussi Papiers inédits, t. VII, p. 338.

[224] Lettre à Couthon, ubi supra.

[225] Réponse de J.-N. Billaud à Laurent Lecointre, p. 57.

[226] Voyez à ce sujet une lettre de Lavigne, secrétaire de Maignet, à Robespierre. Papiers inédits, t. II, p. 411 ; numéro CIX g, à la suite du rapport de Courtois.

[227] On sait quel parti la réaction a tiré du fameux incendie de Bédouin, ordonné par Maignet, sur un rapport du commandant Suchet, et exécuté par le futur maréchal de France et duc d'Albufera en personne. Sept 6u huit maisons en tout devinrent la proie des flammes, de l'aveu d'un écrivain peu suspect de partialité en faveur de Maignet. (Voyez la biographie de Maignet par Michaud jeune, dans la Biographie universelle.) Maignet demeura toute sa vie fidèle aux principes de la Révolution, et on ne le vit pas servir les divers gouvernements qui s'élevèrent sur les ruines de la République. Rentré au barreau, où dans sa jeunesse il s'était montré avec éclat, il mourut en 1834, bâtonnier de l'ordre des avocats.

[228] La minute de cette instruction est tout entière de la main de Robespierre. Les diverses pièces relatives à la commission d'Orange sont signées par Collot-d'Herbois, Barère, Robespierre, Robert Lindet, Carnot, Billaud-Varenne et Couthon. Ces trois derniers ont même signé seuls les pièces les plus importantes. Voyez à ce sujet le rapport de Saladin, p. 50.

[229] Séance du comité de Salut public des 24 et 25 floréal (13 et 14 mai 1794). Étaient présents : Barère, Carnot, Collot-d'Herbois, Couthon, Billaud-Varenne, Robespierre, C.-A. Prieur, Robert Lindet. (Registre des arrêtés et délibérations du comité de Salut public. Archives, 436 aa 73.)

[230] Séance du 25 floréal (14 mai 1794).

[231] Article Ier du décret : Le comité de Salut public fera dans le plus court délai son rapport sur les moyens de perfectionner l'organisation du tribunal révolutionnaire. (Moniteur du 7 nivôse [27 décembre 1794].)

[232] Mémoire pour Antoine Quentin Fouquier, cité dans l'Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 247.

[233] Voyez la Réponse des anciens membres des comités aux imputations de Lecointre, p. 38, 39, et la note de la page 108.

[234] Réponse de J.-N. Billaud à Lecointre, p. 56.

[235] Comme M. Michelet, par exemple, qui, selon sa louable coutume, a basé son récit entièrement sur les déclarations si manifestement mensongères des ennemis de Robespierre. (Voyez son Histoire de la Révolution, t. VII, p. 329 à 312.)

[236] Rapport de Saladin, p. 55.

[237] Voyez le rapport de Couthon et le décret portant réorganisation du tribunal, dans le Moniteur du 24 prairial (12 juin 1794).

[238] Voici ce que, le 20 germinal de l'an II (9 avril 1794), écrivait aux citoiens composant le tribunal révolutionnaire le plus célèbre des défenseurs officieux, celui auquel la réaction a tressé le plus de couronnes, Chauveau-Lagarde : Avant même que le tribunal eût arrêté de demander aux défenseurs officieux des certificats de civisme, j'ai prouvé par ma conduite combien cette mesure est dans mes principes : j'avois déjà obtenu de l'assemblée générale de ma section l'inscription préliminaire ; j'aurois même depuis longtemps mon certificat si la distribution n'en avait été suspendue par l'ordre de la commune, et je ne doute pas que lorsque je le demanderai, l'on ne me l'accorde sans difficulté, si l'on ne consulte que les preuves de patriotisme que j'ai données avant et depuis la Révolution.

Mais j'ai le malheureux honneur d'être défenseur au tribunal révolutionnaire, et cette qualité seule suffit pour inspirer de l'ombrage aux patriotes qui ne savent pas de quelle manière j'ai exercé ces fonctions.

D'ailleurs, parmi tous ceux qui suivent aujourd'hui la même carrière, il n'eu est pas à qui ce titre puisse nuire autant qu'à moi ; si l'on sait bien que j'ai défendu la Capet et la Cordai, l'on ignore que le tribunal m'avait nommé d'office leur défenseur, et cette erreur est encore propre à m'aliéner l'esprit de ceux de mes concitoiens qui seroient, du reste, les plus disposés à me rendre justice.

Cependant, citoiens, votre intention, en exigeant de nous un certificat de civisme, n'est pas qu'un titre honnorable et votre confiance, plus honnorable encore, me tachent d'incivisme.

Je demande que le tribunal veuille bien m'accorder, s'il croit que je ne l'ai pas démérité, un témoignage ostensible de sa bienveillance, en déclarant dans les termes et dans la forme qu'il jugera convenables, de quelle manière je remplis comme citoïen mes devoirs de défenseur, et jusqu'à quel point je suis digne, sous ce rapport, de son estime. — Chauveau.

Ce 20 germinal, l'an deux de la République, une et indivisible.

La suscription porte : Au citoïen Dumas, président au tribunal révolutionnaire.

L'original de cette lettre est aux Archives.

[239] Pour cette séance du 22 prairial, voyez le Moniteur du 24 (12 juin 1794) et le Journal des débats et des décrets de la Convention.

[240] Discours du 8 thermidor, p. 10 et 12.

[241] Déclaration de Bernard à la séance du 23 prairial.

[242] Notes de la main de Robespierre. Papiers inédits, t. II, p. 20.

[243] Députe du Lot a la Convention, Delbrel fut un des membres du conseil des Cinq-Cents qui résistèrent avec le plus d'énergie au coup d'État de Bonaparte, et ou l'entendit s'écrier au 19 brumaire que les baïonnettes ne l'effrayaient pas. Voyez le Moniteur du 20 brumaire an VIII (10 novembre).

[244] Moniteur du 24 prairial (12 juin 1794) et Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 629.

[245] Chose en vérité bien étrange, c'est Robespierre et Couthon que M. Michelet accuse de reculade. (T. VII, p. 339.) Bourdon (de l'Oise) et Bernard (de Saintes), c'est-à-dire deux des plus méprisables membres de l'Assemblée, tels sont ici les prophètes de M. Michelet !

[246] S'il faut en croire son ami Lecointre, il se fit en Bourdon une telle révolution qu'au sortir de la séance il dut prendre le lit. Il l'aurait même gardé un mois si l'on devait s'en rapporter à Lecointre. Voyez l'Appel de Laurent Lecointre au peuple français. Par malheur pour Lecointre, et ce qui prouve avec quelle impudence mentait cet étrange maniaque, nous savons, par des rapports de police, que le 8 messidor Bourdon (de l'Oise) se promenait dans Paris ; que le 9 il assistait à la séance de la Convention, où il bâillait pendant qu'on y apprenait des nouvelles avantageuses, et qu'enfin tous les jours suivants il se livra activement aux menées qui eurent pour résultat la catastrophe de Thermidor. Voilà comme il garda le lit pendant un mois. Voyez les rapports de police cités sous le numéro XXVIII, à la suite du rapport de Courtois, rapport dont nous aurons un mot à dire dans le livre suivant. — Devenu après Thermidor un des plus violents séides de la réaction, Bourdon (de l'Oise) paya de la déportation, au 18 fructidor, ses manœuvres contre-révolutionnaires. Il mourut à Sinnamari.

[247] Voyez, pour cette séance, le Moniteur du 26 prairial (14 juin 1794), et le Journal des débats et des décrets de la Convention, numéros 630 et 631.

[248] Moniteur du 26 prairial.

[249] Mémoires de Joseph Fouché, duc d'Otrante, p. 23.

[250] Réponse des membres des deux anciens comités aux imputations de Laurent Lecointre, p. 39 et 109.

[251] Réponse des membres des deux anciens comités aux imputations de Laurent Lecointre, p. 44.

[252] Citons Tissot, MM. Villiaumé, Thiers. Ce dernier, qui n'indique jamais ses autorités, s'appuie cette fois sur Vilate. Quel heureux choix ! Histoire de la Révolution, t. VII, p. 116 de la 6e édition.

[253] Voyez à cet égard le discours de Saint-Just dans la séance du 9 thermidor.

[254] Courtois s'est bien gardé de publier cette lettre. Voyez-la dans les Papiers inédits, t. I, p. 115.

[255] Cette lettre, également supprimée par les Thermidoriens, faisait partie de la collection Portiez (de l'Oise). On y lit en post-scriptum : Si le comité désire quelques explications verbales, je suis prêt à les lui donner ; je resterai à la Convention jusque la fin de la séance. M. L. Blanc en a donné un extrait dans son Histoire de la Révolution, t. XI, p. 171.

[256] Voyez à ce sujet une lettre curieuse d'Ysabeau et de Tallien au club des Jacobins, en date du 29 brumaire, dans le Moniteur du 12 frimaire (2 décembre 1793).

[257] Mémoires de Senar, p. 201. Nous avons dit ailleurs pourquoi là seule partie des mémoires de Senar qui nous paraisse mériter quelque créance est celle qui concerne Tallien. Voyez notre Histoire de Saint-Just, liv. V, ch. II.

[258] Rapport de Boulanger sur l'arrestation de la citoyenne Cabarrus. Papiers inédits, t. I, p. 269.

[259] Voyez ce que dit Jullien dans une lettre à Saint-Just en date du 25 prairial, publiée sous le numéro CVII, à la suite du rapport de Courtois, et dans les Papiers inédits, t. III, p. 37.

[260] Rapprocher à cet égard les Mémoires de Senar, p. 199, et l'Histoire impartiale, par Prudhomme, t. V, p. 436, des lettres de Jullien à Robespierre sur l'existence des représentants à Bordeaux.

[261] Mémoires de Senar, p. 199.

[262] Voyez la Biographie universelle, à l'art. PRINCESSE DE CHIMAY.

[263] Les Femmes célèbres de 1789 à 1795, et de leur influence dans la Révolution, par C. Lairtullier, t. II, p. 286.

[264] Voyez cette lettre dans les Papiers inédits, t. III, p. 5, et à la suite du rapport de Courtois sous le numéro CVII a.

[265] Séance du 22 ventôse (12 mars 1794). Moniteur du 25 ventôse.

[266] Voyez cette pétition dans le Moniteur du 7 floréal an II (26 avril 1794), séance de la Convention du 5 floréal.

[267] Arrêté du 29 floréal an II, signé : Carnot, Robespierre, Billaud-Varenne et Barère (Archives, A F, II, 58).

[268] Voyez ces deux lettres dans les Papiers inédits, t. III, p. 32 et 30, et à la suite du rapport de Courtois, sous les numéros CVII à et CVII g. Si Jullien fils ne monta pas sur l'échafaud au lendemain de Thermidor, ce ne fut pas la faute de Tallien, qui, lorsqu'il fut entré dans le comité de Salut public, s'empressa de le faire jeter en prison. Paris, le 28 thermidor. Le comité de Salut public arrête que le citoyen Jullien fils, adjoint à la commission de l'instruction publique, et précédemment agent du comité de Salut public, est destitué de ses fonctions, qu'il sera mis en arrestation, et que les scellés seront apposés sur ses papiers. Collot-d'Herbois, Tallien, Eschasseriaux, Treilhard, Bréard, C.-A. Prieur. (Archives, A F, II, 60.) — Si terrible fut le coup d'État de Thermidor, et si violente fut la réaction pendant de longues années, que les plus chers amis de Robespierre n'osaient plus avouer leur intimité avec lui. Jullien fils, pendant la grande période révolutionnaire, avait donné, malgré son extrême jeunesse, les preuves d'un talent, d'une honnêteté et d'une modération qui l'avaient rendu cher à Robespierre, que lui-même à tout propos il appelait son bon ami. Eh bien ! lui aussi, il renia ce bon ami, si nous devons nous en rapporter à une lettre de l'ingénieur Jullien, son fils, lettre où nous lisons ces lignes : Mon père a très-peu connu Robespierre ; je crois même lui avoir entendu dire qu'il ne l'avait vu qu'une ou deux fois. C'est mon grand-père Jullien (de la Drôme), député à la Convention, qui seul a connu Robespierre... Or il suffit des citations par nous faites d'extraits de lettres de Jullien fils à Robespierre pour qu'il n'y ait pas de doute possible sur leur parfaite intimité, — intimité, du reste, aussi honorable pour l'un que pour l'autre. Quant aux lettres de Robespierre à Jullien, elles ont été supprimées par les Thermidoriens, et pour cause. Maintenant, on peut voir, par l'extrait de la lettre de l'ingénieur Jullien, combien, dans la génération qui nous a précédés, les hommes mêmes les plus distingués, sont peu au courant des choses de la Révolution.

[269] Rapport de Boulanger sur l'arrestation de la citoyenne Cabarrus (Papiers inédits, t. I, p. 271).

[270] Rapport de Boulanger. Voyez aussi une brochure intitulée Taschereau-Fargues à Robespierre, publiée après Thermidor, et qu'il faut lire nécessairement avec beaucoup de défiance.

[271] Séance du 18 brumaire an III, Moniteur du 20 brumaire (10 novembre 1794).

[272] Séance du 11 nivôse an III. Voyez le Moniteur du 13 nivôse (2 janvier 1795).

[273] Les Femmes célèbres, par Lairtullier, t. II, p. 3 et 5.

[274] Au moment où nous corrigeons les épreuves de ce volume, on nous communique un livre de M. Arsène Houssaye, intitulé Notre-Dame de Thermidor, ou Histoire de Mme Tallien. Sur ce livre, où l'histoire n'a rien à voir, hâtons-nous de le dire, et qui eût été tout autre, je n'en doute pas, si l'auteur eût mieux connu les choses de la Révolution, je n'ai qu'une remarque à faire. M. Houssaye dit dans sa préface : Le 10 thermidor, c'est la tête de Robespierre et de Saint-Just. Il fallait bien qu'ils fussent consacrés. Le 11 thermidor, la guillotine se repose. Or, le 11 thermidor, soixante-dix têtes tombaient — SOIXANTE-DIX — sous le couteau de la guillotine, et treize le lendemain ; effroyable hécatombe offerte aux fureurs de la réaction. Il est vrai que ces têtes étaient celles d'excellents patriotes, de purs républicains. Est-ce pour cela que M. Houssaye les compte pour rien ? La plupart d'entre eux n'avaient jamais adressé la parole à Robespierre ; membres du conseil général de la commune, tout leur crime avait été de s'être trouvés à l'Hôtel de Ville dans la soirée du 9 thermidor.

M. Houssaye fait grand étalage de l'affaire des chemises rouges, à laquelle Robespierre fut aussi étranger que possible. Nous avons autant que M. Houssaye horreur du sang versé, même du sang criminel. Cependant, entre les quatre-vingt-trois victimes des 11 et 12 thermidor, dont la décapitation a passé inaperçue aux yeux de M. Houssaye, et ses chemises rouges, il y a une petite distinction à établir : les premières se composaient, avons-nous dit, d'hommes entièrement dévoués à la République ; dans la catégorie des chemises rouges, on comptait un assassin et des conspirateurs avérés.

[275] Manuscrit de Mme Le Bas.

[276] Un des coryphées de la réaction thermidorienne, Tallien se vit un moment, sous le Directoire, repoussé comme un traître par les républicains et par les royalistes à la fois. Emmené en Égypte, comme savant, par Bonaparte, il occupa sous le gouvernement impérial des fonctions diplomatiques, et mourut oublié sous la Restauration, je devrais dire méprisé.

[277] Mémoires de Fouché, p. 13. Fouché prétend même avoir prêté quelque argent à Maximilien, pour l'aider à venir s'établir à Paris lors de sa nomination de député aux états généraux. Ce qui rend cette assertion plus que douteuse, c'est qu'à l'époque où éclata la Révolution, Fouché n'était pas à Arras, mais bien à Nantes, où il remplissait les fonctions de préfet du collège. On a vu du reste que Robespierre était fort occupé comme avocat, et tout le monde sait le peu de foi qu'il y a à ajouter aux paroles de Fouché.

[278] Mémoires de Charlotte Robespierre, p. 123. Les relations de Charlotte et de Fouché ont donné lieu à d'infâmes propos, et l'on a prétendu qu'elle avait été sa maîtresse. M. Michelet, en accueillant la calomnie, aurait dû tenir compte des protestations indignées d'une femme, aigre et triste si l'on veut, mais à qui l'on n'a à reprocher ni dépravation, ni vénalité. (Voyez Mémoires de Charlotte, p. 125.),

[279] Lettre de Cadillot, déjà citée. Voyez Papiers inédits, t. II, p. 139, et numéro CVI, à la suite du rapport de Courtois. Cette lettre n'est pas datée, mais elle doit être postérieure ait 18 floréal, à en juger par les premières lignes : Robespierre ! quel sublime rapport ! Combien il fait aimer la République ! Quelle profondeur de vues !

[280] Lettre en date du 20 messidor, citée plus haut. Voyez Papiers inédits, t. I, p. 144, et numéro CV, à la suite du rapport de Courtois.

[281] Les originaux de ces deux lettres, inédites toutes deux, sont aux Archives, F 7, 1435, liasse A.

[282] Lettre citée par Courtois, à la suite de son rapport, sous le numéro XXV. Dans ses Mémoires, le duc d'Otrante a eu soin de glisser très-légèrement sur ses missions ; c'est à peine s'il y a consacré quelques lignes où il se présente comme une pure machine.

[283] Lettre non citée par Courtois. L'original est aux Archives, F 7, 4435, liasse 0.

[284] Arrêté signé : Robespierre, Carnot, Collot-d'Herbois, Billaud-Varenne, Barère, C.-A. Prieur, Saint-Just et Couthon. Il est tout entier de la main de Robespierre. Archives, A F, II, 58.

[285] Mémoires de Charlotte Robespierre, p. 124.

[286] Voyez le Moniteur du 24 germinal (13 avril 1794).

[287] Séance du comité de Salut public du 7 germinal (27 mars 1794). Etaient présents : Robespierre, Barère, Carnot, Couthon, C.-A. Prieur, Billaud-Varenne, Collot-d'Herbois, Saint-Just, Robert Lindet. (Registre des arrêtés et délibérations du comité de Salut public. Archives, 436 aa 73.)

[288] Cette lettre, supprimée par Courtois, figure dans le recueil des Papiers inédits, t. I, p. 192. Elle porte la date du 1er fructidor ; mais c'est évidemment une faute d'impression ; il faut lire : 1er messidor.

[289] Voir, pour cette séance, le Moniteur du 28 prairial an II (16 juin 1794) et le Journal de la Montagne, numéro 47 du t. III.

[290] Histoire de la conjuration de Robespierre, par Montjoie.

[291] Après le coup d'État de Brumaire, Thuriot de La Rosière fut, par la grâce de Sieyès, nommé juge au tribunal criminel de la Seine. Il était en 1814 substitut de l'avocat général à la cour de cassation.

[292] Voyez à cet égard l'accusation formelle de Billaud-Varenne dans sa Réponse à Lecointre, p. 40.

[293] Ce fut Louchet qui, après Thermidor, reprocha à Lecointre ses relations avec Fouquier. A quoi Lecointre répondit, après avoir avoué qu'il avait eu Fouquier-Tinville à dîner chez lui en compagnie de Merlin (de Thionville), qu'il ne pouvait pas regarder comme coupable un homme proposé, trois jours auparavant, comme accusateur public par le comité de Salut public régénéré. (Voyez les Crimes des sept membres des anciens comités, p. 75.)

[294] Voyez, dans les Papiers inédits, la lettre de Marcandier à Legendre et la déclaration de celui-ci au comité de Sûreté générale, t. I, p. 179 et 183.

[295] Papiers inédits, t. I, p. 180.

[296] Aussi violent contre les patriotes après Thermidor qu'il l'avait été jadis contre les ennemis de la Révolution, Fréron faillit, comme on sait, épouser une sœur de Bonaparte, par lequel il fut, sous le Consulat, nommé sous-préfet à Saint-Domingue, où il mourut peu de temps après son arrivée.

[297] Voyez notamment le Moniteur des 5 brumaire (26 octobre) et 22 frimaire (13 décembre 1793).

[298] Le plan adopté par les Thermidoriens contre le comité de Salut public d'abord, puis contre Robespierre seul, peut être considéré comme étant d'invention royaliste ; jugez-en plutôt. Voici ce qu'on lit dans les Mémoires de Mallet-Dupan : Il faudrait, disait le mémoire des chefs constitutionnels, en donnant le plus de consistance possible et d'étendue à la haine qu'inspire le comité de Salut public dans Paris, s'occuper surtout à organiser sa perte dans l'Assemblée, après avoir démontré aux membres qui la composent la facilité du succès et même l'absence de tout danger pour eux. Il existe dans la Convention nationale plus de deux cents individus qui ont voté contre la mort du roi ; leur opinion n'est pas douteuse. Tous ceux qui ont été entraînés dans une conduite contraire par faiblesse cherchent l'occasion de s'en relever s'il est possible. Dans ce qu'on appelle la Montagne, plusieurs sont en opposition. Tout ce qui a eu des relations avec Danton, Bazire et les autres députés sacrifiés prévoient qu'ils seront ses victimes ; il est donc évident que la majorité contre lui peut se composer ; il suffirait de concerter fortement les hommes qui conduisent ces différentes sections.... qu'ils fussent prêts à parler, à dénoncer le comité, qu'ils rassemblassent dans leur pensée des chefs d'accusation graves soit contre lui, soit contre ses principaux membres ; profitant alors de l'occasion de quelques revers importants, ils se montreraient avec énergie, accableraient le comité de la responsabilité, l'accuseraient d'avoir exercé la plus malheureuse, la plus cruelle dictature, d'être l'auteur de tous les maux de la France. La conclusion naturelle serait le renouvellement à l'instant des comités de Salut public et de Sûreté générale, dont le remplacement serait préparé d'avance. Aussitôt nommés, les membres des nouveaux comités feraient arrêter les membres des anciens et leurs adhérents principaux. On conçoit, après ce succès, la facilité de détruire le tribunal révolutionnaire, les comités de sections ; en un mot, de marcher à un dénouement utile. T. II, p. 95.

Ces lignes sont précédées de cette réflexion si juste de Mallet-Dupan : Les moyens qu'ils se proposaient d'employer étaient précisément ceux qui amenèrent en effet la perte de Robespierre.

[299] Discours du 8 thermidor.

[300] Séance des Jacobins du 26 prairial. (Voyez le Moniteur du 1er messidor [9 juin 1794].)

[301] Consultez à cet égard le discours de Saint-Just au 9 Thermidor.

[302] C'est le chiffre donné par Lecointre ; on l'a élevé jusqu'à soixante.

[303] Discours du 8 thermidor, p. 8.

[304] Causes secrètes de la révolution du 9 au 10 thermidor, par Vilate, p. 39 et 40.

[305] Mémoires de Barère, t. II, p. 210.

[306] Créature de Barère, Vilate avait, dès le premier moment, inspiré une sorte de répulsion à Robespierre. Quel est ce jeune homme ? avait demandé Maximilien à Barère en voyant un jour Vilate au comité de Salut public. — Il est des nôtres, avait répondu Barère, c'est Sempronius Gracchus. — Vilate s'était affublé de ces deux noms. — Sempronius Gracchus des nôtres ! dit Robespierre, vous n'avez donc pas lu le traité des Offices ? L'aristocrate Cicéron, afin de rendre odieux le projet des deux Gracques, exalte les vertus du père et traite les enfants de séditieux. (Causes secrètes, p. 12.)

J'ai, dans mon Histoire de Saint-Just (p. 269 de la 1re édition), accusé Vilate, sur la foi de Barère, d'avoir, étant juré, dénoncé en plein tribunal un artiste distingué nommé Hermann, et de l'avoir fait arrêter séance tenante. Cet artiste se recommanda de Barère, qui le lendemain le fit sortir de prison. Voilà du moins ce qu'assure Barère dans ses Mémoires (p. 199). Vilate, au contraire, affirme que ce fut lui qui obtint de Fouquier-Tinville la liberté d'Hermann, qu'il avait vu chez Barère, et qui, dénoncé à l'audience, avait été arrêté comme conspirateur. (Causes secrètes, p. 37.) Lequel croire ici de Barère ou de Vilate ?

[307] Moniteur du 12 thermidor (30 juillet 1794).

[308] Mémoires de Fouché, p. 22.

[309] Lettre saisie à Nantes par le représentant Bô, et envoyée au comité de Salut public, auquel elle ne parvint qu'au lendemain de Thermidor. L'original est aux Archives.

[310] Discours du 8 thermidor.

[311] Mémoire de Senar, p. 104.

[312] Voyez cette lettre de Renault à Robespierre, en date du 15 messidor, non citée par Courtois, dans les Papiers inédits, t. I, p. 196.

[313] Discours de Robespierre à la séance du 13 messidor aux Jacobins, Moniteur du 17 messidor (5 juillet 1794).

[314] Voyez notre Histoire de Saint-Just, liv. V, ch. II.

[315] Il faut lire les Mémoires du comédien Fleury, qui fut le commensal de la maison de Mme de Saint-Amaranthe, pour voir jusqu'où peuvent aller la bêtise et le cynisme de certains écrivains. Ces Mémoires (6 vol. in-8°) sont l'œuvre d'un M. Laffitte, qui les a, pensons-nous, rédigés sur quelques notes informes de Fleury.

[316] Archives de la préfecture de police.

[317] Parmi les écrivains qui ont propagé cette fable, citons d'abord les rédacteurs de l'Histoire de la Révolution, par deux amis de la liberté, livre où tous les faits sont sciemment dénaturés et dont les auteurs méritent le mépris de tous les honnêtes gens.

Citons aussi Nougaret, Beuchot, et surtout Georges Duval, si l'on peut donner le nom d'écrivain à un misérable sans conscience qui, pour quelque argent, a fait trafic de prétendus souvenirs de la Terreur. Il n'y a pas à se demander si le digne abbé Proyard a dévotement embaumé l'anecdote dans sa Vie de Maximilien Robespierre. Seulement il y a introduit une variante. La scène ne se passe plus chez Mme de Saint-Amaranthe, mais chez le citoyen Sartines. (P. 168.)

On ne conçoit pas comment l'auteur de l'Histoire des Girondins a pu supposer un moment que Robespierre dîna jamais chez Mme de Saint-Amaranthe, et qu'il y entr'ouvrit ses desseins pour y laisser lire l'espérance. (T. VIII, p. 253). Du moins M. de Lamartine a-t-il répudié avec dégoût la scène d'ivresse imaginée par d'impudents libellistes.

[318] Voyez à ce sujet une lettre de M. Philippe Le Bas à Mme de Lamartine, citée dans notre Histoire de Saint-Just, liv. V, ch. II. — La maison de Mme de Saint-Amaranthe, désignée par quelques écrivains comme une des maisons les mieux hantées de Paris, avait été, même avant la Révolution, l'objet de plusieurs dénonciations. En voici une du 20 juin 1793, qu'il ne nous paraît pas inutile de mettre sous les yeux de nos lecteurs : Georges-Antoine Fontaine, citoyen de Paris, y demeurant, rue Fromenteau, hôtel de Nevers, n° 38, section des Gardes françaises, déclare au comité de Salut public du département de Paris, séant aux Quatre-Nations, qu'au mépris des ordonnances qui prohibent toutes les maisons de jeux de hasard, comme trente-et-un et biribi, et même qui condamnent à des peines pécuniaires et afflictives les délinquants, il vient de s'en ouvrir deux, savoir : une de trente-et-un chez la citoyenne Saint-Amaranthe, galerie du Palais-Royal, numéro 50, et une autre, de biribi, tenue par le sieur Leblanc à l'hôtel de la Chine, au premier au-dessus de l'entresol d'un côté, rue de Beaujolloy, en face du café de Chartres, et de l'autre rue Neuve-des-Petits-Champs, en face la Trésorerie nationale.

Déclare, en outre, que ces deux maisons de jeux sont tolérées par la section de la Butte des Moulins et nommément favorisées par les quatre officiers de police de cette section qui en reçoivent par jour, savoir : huit louis pour la partie de trente-et-un, et deux pour celle de biribi. (Archives, comité de surveillance du département de Paris, 9e carton.)

[319] Rapport d'Élie Lacoste, séance du 26 prairial (Moniteur du 27 [15 juin 1794]).

[320] Michelet, Histoire de la Révolution, t. VII, p. 358.

[321] Déposition de Réal dans le procès de Fouquier. Voyez l'Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 385.

[322] Archives, A F II, 57. — M. Michelet commet ici une de ces déplorables erreurs qui lui sont, hélas, si familières. Il suppose que Marino semblait périr comme indulgent parce qu'il avait été membre de la commission temporaire de Lyon, dont Robespierre ne perdait pas une occasion de dénoncer la mollesse (p. 360). D'abord la commission dont Robespierre dénonça la mollesse n'était nullement celle qui fut établie par Fouché et par Collot-d'Herbois, ce qui est bien différent, comme on le verra. A celle-ci, au contraire, il reprocha l'effusion du sang versé par le crime. Ensuite, la dénonciation à laquelle fait allusion M. Michelet ayant eu lieu en messidor, c'est-à-dire après l'exécution de Marino, il est évident qu'elle ne put avoir aucune influence sur le sort de l'ex-officier de police, qui avait été une première fois traduit devant le tribunal révolutionnaire pour avoir fait arrêter illégalement le représentant du peuple Pons (de Verdun).

[323] Dans le chapitre de son Histoire consacré à Catherine Théot, M. Michelet procède à la fois des Girondins et des Thermidoriens. Il nous montre d'abord Robespierre tenant sur les fonts de baptême l'enfant d'un jacobin catholique, et obligé de promettre que l'enfant serait catholique. (P. 365). Ici M. Michelet ne se trompe que de deux ans et demi ; il s'agit, en effet, de l'enfant de Deschamps, dont Robespierre fut parrain en janvier 1792. (Voyez notre précédent volume.) Parce que, dans une lettre en date du 30 prairial, un vieillard de quatre-vingt-sept ans écrit à Robespierre qu'il le regarde comme le Messie promis par l'Être éternel pour réformer toute chose (numéro XII, à la suite du rapport de Courtois), M. Michelet assure que plusieurs lettres lui venaient qui le déclaraient un messie. Puis il nous parle d'une foule de femmes ayant chez elles son portrait appendu comme image sainte. Il nous montre des généraux, des femmes, portant un petit Robespierre dans leur sein, baisant et priant la miniature sacrée. Dans tous les cas, cela prouverait qu'on ne regardait guère Maximilien comme un suppôt de la Terreur. Et, entrainé par la fantaisie furieuse qui le possède, M. Michelet nous représente des saintes femmes, une baronne, une Mme de Chalabre, qu'il transforme en agent de police de Robespierre, joignant les mains et disant : Robespierre, tu es Dieu. Et de là l'historien part pour accuser Maximilien d'encourager ces outrages à la raison. (T. VII, p. 366). Comme si, en supposant vraies un moment les plaisanteries de M. Michelet, Robespierre eût été pour quelque chose là dedans. Hélas ! il est triste de le dire, mais, à force d'avoir poursuivi les Jésuites, M. Michelet a fini par employer un peu leurs procédés, qu'il a si éloquemment et à si bon droit flétris.

[324] Senar dit dans ses Mémoires : Une certaine lettre écrite au nom de la mère de Dieu (p. 178) ; et Vilate : Il ne faut pas croire que cette lettre fût de la main de Catherine Théot, la vieille béate ne savait même pas signer son nom. Mystères de la mère de Dieu dévoilés, ch. IV.

[325] Cette attestation de civisme donnée à dom Gerle est, suivant l'espion Senar, une des pièces matérielles des crimes de Robespierre. (Voyez p. 169.) Quel criminel !

[326] M. Michelet a fait comme Vadier. Voyez son Histoire, t. VII, p. 369. — Croirait-on que M. Michelet, dans son aveugle prévention contre Robespierre, a osé écrire ces lignes : Dans ses instincts de police, insatiablement curieux de faits contre ses ennemis, contre le comité de Sûreté qu'il voulait briser, il furetait volontiers dans les cartons de ce comité. Il y trouva, prit, emporta des papiers relatifs a la duchesse de Bourbon et refusa de les rendre. (P. 368). Ce n'est pas seulement là une allégation ridicule, c'est une allégation odieuse. Voyez-vous Robespierre allant fureter comme un larron dans les cartons du comité de Sûreté générale ! Et sur quelle autorité M. Michelet avance-t-il un tel fait ? Sur l'autorité de Senar, dont il dit lui-même : Senar ne mérite pas la moindre confiance, sauf en deux points peut-être : quelques détails de l'arrestation de la mère de Dieu et ce qu'il dit contre Tallien. Le reste est d'un coquin devenu à moitié fou. (P. 371.) Eh bien, M. Michelet n'a pas craint de surenchérir sur les assertions de ce coquin devenu à moitié fou, car Senar n'a jamais prétendu que Robespierre avait fureté dans les cartons du comité. Voici, en effet, ce qu'il a écrit au sujet de la duchesse de Bourbon, avec laquelle, assure-t-il, dom Gerle et Catherine Théot avaient eu des rapports fréquents : Il faut savoir aussi que Robespierre s'était emparé des pièces relatives à l'hôtel de la princesse de Bourbon ; qu'il les demanda au comité de Sûreté générale longtemps avant que le rassemblement chez la mère de Dieu fût connu du comité, qu'il a depuis refusé de les remettre. (P. 183.) Tout cela est absurde au possible, mais que dire de l'allégation de M. Michelet !!!

[327] Voyez ces lettres à la suite du rapport de Saladin, sous les numéros XXXIII, XXXIV et XXXV.

[328] C'est Vilate qui, dans ses Mystères de la mère de Dieu dévoilés, a attribué à Barère la rédaction de ce rapport. Mais Vilate n'est pas une autorité.

[329] Voyez le rapport de Vadier dans le Moniteur du 29 prairial (17 juin 1794).

[330] Discours du 8 thermidor, p. 26.

[331] D'après une lettre de l'agent national Payan à Robespierre, il semble même que celui-ci ait été chargé de présenter un nouveau rapport sur l'affaire : Je crois, citoyen, lui écrivait-il à la date du 9 messidor, que vous vous occupez dans ce moment d'un rapport relatif à Catherine Théot et aux scélérats qui ont profité du décret rendu à ce sujet pour réveiller le fanatisme presque éteint. Voyez cette lettre dans les Papiers inédits, t. II, p. 359, et sous le numéro LVI à la suite du rapport de Courtois.

[332] Tissot, Histoire de la Révolution. t. V, p. 237. Tissot était le beau-frère de Goujon, un des martyrs de prairial an III.

[333] Mémoire de Fouquier-Tinville, dans l'Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 246. Combinez ce passage avec une note du discours prononcé par Robespierre le 8 thermidor, p. 27.

[334] Mémoire de Fouquier-Tinville, ubi supra. — M. Michelet, qui marche à pieds joints sur la vérité historique plutôt que de perdre un trait, a écrit : Le grand mot je veux était rétabli, et la monarchie existait. (T. VII, p. 372.) Quoi ! parce que, dans un dernier moment d'influence et par la seule force de la raison, Robespierre était parvenu à obtenir de ses collègues qu'on examinât plus attentivement une affaire où se trouvaient compromises un certain nombre de victimes innocentes, le grand mot je veux était rétabli, et la monarchie existait ! Peut-on déraisonner à ce point ! Pauvre monarque ! Il n'eut même pas le pouvoir de faire mettre en liberté ceux que du moins il parvint à soustraire à un jugement précipité qui eût équivalu à une sentence de mort. Six mois après Thermidor, dom Gerle était encore en prison, ce dont Courtois n'a pas manqué de faire un reproche à Vadier. Voyez la pièce LVII à la suite de son rapport.

[335] Moniteur du 11 thermidor (29 juillet 1794).

[336] Réponse des membres des deux anciens comités, p. 107, en note.

[337] Réponse des membres des deux anciens comités, p. 7. Voyez aussi le rapport de Saladin, p. 99. Il est convenu, paraît dire ironiquement Saladin, que depuis le 22 prairial Robespierre s'éloigne du comité.

[338] Réponse des membres des deux anciens comités, p. 61.

[339] Réponse de J.-N. Billaud à Lecointre, p. 81.

[340] Réponse de J.-N. Billaud à Lecointre, p. 82.

[341] Rapport de Saladin, p. 100.

[342] Voyez à cet égard les pièces à la suite du rapport de Saladin et les Crimes des sept membres des anciens comités, par Lecointre, p. 132, 138. Herman, son homme, dit M. Michelet, t. VII, p. 426, qui faisait signer ses listes au comité de Salut public, se gardait bien de faire signer son maître. Où M. Michelet a-t-il vu qu'Herman fût l'homme de Robespierre ? Et, dans ce cas, pourquoi n'aurait-il pas fait signer son maître ? Est-ce qu'à cette époque on prévoyait la réaction et ses fureurs ?

[343] D'après les auteurs de l'Histoire parlementaire, les signatures qui se rencontraient le plus fréquemment au bas de ces listes seraient celles de Carnot, de Billaud-Varenne et de Barère. (T. XXXIV, p. 13.) Quant aux conspirations des prisons, Billaud-Varenne a écrit après Thermidor : Nous aurions été bien coupables si nous avions pu paraître indifférents. Réponse de J.-N. Billaud à Laurent Lecointre, p. 75.

[344] Arrêté signé : Barère, Dubarran, C.-A. Prieur, Amar, Louis (du Bas-Rhin), Collot-d'Herbois. Carnot, Voulland, Vadier, Saint-Just, Billaud-Varenne.

[345] Registre des arrêtés et délibérations du comité de Salut public, Archives, 436 aa 73.

[346] Registre des arrêtés et délibérations du comité de Salut public, Archives, 436 aa 73.

[347] Archives, F, 7, 4437.

[348] Archives, F, 7, 4437.

[349] Archives, F, 7, 4437.

[350] Archives, F, 7, 4437.

[351] Archives, A F, II. 37.

[352] Archives, A, II, 58.

[353] Registre des délibérations et arrêtés du comité de Salut public. Archives 436, aa 73.

[354] Note de Robespierre sur différents députés. Voyez Papiers inédits, t. II, p. 17, et numéro LI, à la suite du rapport de Courtois.

[355] Registre des délibérations et arrêtés, ubi supra.

[356] Séance des Jacobins du 3 thermidor. Voyez le Moniteur du 9 (27 juillet 1794).

[357] Réponse des membres des deux anciens comités, p. 10.

[358] Mémoires sur Carnot, par son fils, t. I, p. 523. Nous avons peu parlé de ces Mémoires, composés d'après des souvenirs thermidoriens, et dénués par conséquent de toute valeur historique. On regrette d'y trouver des erreurs et, il faut bien le dire, des calomnies qu'avec une étude approfondie des choses de la Révolution, M. Carnot fils se serait évité de laisser passer. Le désir de défendre une mémoire justement chère n'autorise personne à sortir des bornes de l'impartialité et de la justice.

De tous les anciens membres du comité de Salut public, Carnot, j'ai regret de le dire, est certainement un de ceux qui, après Thermidor, ont calomnié Robespierre avec le plus d'opiniâtreté. Il semble qu'il y ait eu chez lui de la haine du sabre contre l'idée. Ah ! combien Robespierre avait raison de se méfier de l'engouement de notre nation pour les entreprises militaires !

Dans son discours du 1er vendémiaire an III (22 septembre 1794), Carnot se déchaîna contre la mémoire de Maximilien avec une violence inouïe. Il accusa notamment Robespierre de s'être plaint avec amertume, à la nouvelle de la prise de Niewport, postérieure au 16 messidor, de ce qu'on n'avait pas massacré toute la garnison. Voyez le Moniteur du 4 vendémiaire (25 septembre 1794). Carnot a trop souvent fait fléchir la vérité dans le but de sauvegarder sa mémoire aux dépens d'adversaires qui ne pouvaient répondre, pour que nous ayons foi dans ses paroles. A sa haine invétérée contre Robespierre et contre Saint-Just, on sent qu'il a gardé le souvenir cuisant de cette phrase du second : Il n'y a que ceux qui sont dans les armées qui gagnent les batailles. Lui-même du reste, Carnot, n'écrivait-il pas, à la date du 8 messidor, aux représentants Richard et Choudieu, au quartier général de l'armée du Nord, de concert avec Robespierre et Couthon : Ce n'est pas sans peine que nous avons appris la familiarité et les égards de plusieurs de nos généraux envers les officiers étrangers que nous regardons et voulons traiter comme des brigands. Catalogue Charavay (janvier-février 1863.)

[359] Registre des délibérations et arrêtés du comité de Salut public, Archives, 433 aa 70 jusqu'à 436 aa 73.

[360] Réponse des membres des deux anciens comités aux imputations de Laurent Lecointre, p. 103, 104, note de la p. 21. — M. H. Carnot, dans les Mémoires sur son père, raconte un peu différemment la scène, d'après un récit de Prieur, et il termine par cette exclamation mélodramatique qu'il prête à Carnot s'adressant à Couthon, à Saint-Just et à Robespierre : Triumvirs, vous disparaîtrez. (T. I, p 524.) Or il est à remarquer que dans la narration des anciens membres du comité, écrite peu de temps après Thermidor, il n'est pas question de Couthon, et que Robespierre ne figure en quelque sorte que comme médiateur. Mais voilà comme on embellit l'histoire !

[361] Voyez le Moniteur du 10 germinal an III (30 mars 1795). Séance de la Convention du 6 germinal.

[362] Archives, F, 7, 4437.

[363] Rien de curieux et de triste à la fois comme l'attitude de Carnot après Thermidor. Il a poussé le mépris de la vérité jusqu'à oser déclarer, en pleine séance de la Convention (6 germinal an III), que Robespierre avait lancé un mandat d'arrêt contre un restaurateur de la terrasse des Feuillants, uniquement parce que lui, Carnot, y allait prendre ses repas. Mais le bouffon de l'affaire, c'est qu'il signa aussi, sans le savoir, ce mandat. Aussi ne fut-il pas médiocrement étonné lorsqu'en allant dîner on lui dit que son traiteur avait été arrêté par son ordre. Je suis fâché, en vérité, de n'avoir pas découvert parmi les milliers d'arrêtés que j'ai eus sous les yeux cet ordre d'arrestation. Fut-ce aussi sans le savoir et dans l'innocence de son cœur que le bon Carnot, suivant la malicieuse expression de Lecointre, écrivit de sa main et signa la petite recommandation qui servit à Victor de Broglie de passeport pour l'échafaud ?

[364] Mémoires de Levasseur, t. III, p. 112.

[365] Discours du 8 thermidor, p. 30.

[366] Réponse des membres des deux anciens comités aux imputations de Laurent Lecointre, p. 14.

[367] Réponse des membres des deux anciens comités aux imputations de Laurent Lecointre, p. 24.

[368] Réponse de J.-N. Billaud à Laurent Lecointre, p. 94.

[369] Réponse de J.-N. Billaud à Laurent Lecointre, p. 41.

[370] Discours du 8 thermidor, p. 30.

[371] Archives, A F 7, 4437.

[372] Voyez le rapport de Saladin, où se trouve citée la déclaration de Fouquier-Tinville, p. 10 et 11.

[373] 8 prairial (27 mai 1794). Archives, F, 7, 4437.

[374] 13 prairial (1er juin). Archives, F, 7, 4437.

[375] 10 floréal (29 avril). Archives, F, 7, 4437.

[376] 19 floréal (8 mai). Archives, F, 7, 4437.

[377] 22 floréal (11 mai). Archives, F, 7, 4437.

[378] 21 prairial (9 juin 1794). Archives, F, 7, 4437.

[379] 1er messidor (19 juin). Archives, F, 7, 4437.

[380] Réponse des membres des anciens comités aux imputations de Laurent Lecointre, p. 43.

[381] Voyez le procès de Fouquier-Tinville dans l'Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 412, 413.

[382] Réponse des membres des anciens comités aux imputations de Laurent Lecointre, p. 53.

[383] Discours du 8 thermidor, p. 8.

[384] Séance du 10 thermidor (Moniteur du 12 [30 juillet 1794]).

[385] Audience du 5 floréal (24 avril 1794), Moniteur du 13 floréal (2 mai 1794).

[386] Discours du 8 thermidor, p. 22.

[387] Réponse des membres des anciens comités aux imputations de Lecointre, p. 44.

[388] Voici cette invitation citée en fac-similé à la suite des notes fournies par Robespierre à Saint-Just pour son rapport sur les dantonistes : Le comité de Salut public invite le citoïen Dumas, vice-président du tribunal criminel, à se rendre au lieu de ses séances demain à midi. — Paris, le 12 germinal, l'an Il de la République. — Robespierre.

[389] Voyez le Mémoire justificatif d'Herman, déjà cité. Vide supra.

[390] Voyez entre autres les dénonciations de Valagnos et de Grenier, détenus à Bicêtre. Archives, F, 7, 4437.

[391] Arrêté signé : Robespierre, Barère, Carnot, Couthon, C.-A. Prieur, Billaud-Varennes, Collot-d'Herbois et Robert Lindet. — Absorbé par une véritable monomanie, M. Michelet n'a vu là que la crainte dont étaient, selon lui, possédés les Robespierristes d'être accusés d'indulgence, de connivence secrète avec la contre-révolution (t. VII, p. 387). Aussi, pour se donner une sorte de point d'appui, a-t-il usé d'un petit stratagème. Au lieu de citer purement et simplement l'arrêté du comité de Salut public qu'on trouve à la suite du rapport de Saladin, sous le numéro XXV, p. 136, il présente comme l'arrêté même du comité le projet d'arrêté proposé par Herman à la suite de son rapport, rapport revêtu de l'approbation de Robespierre, de Billaud-Varenne et de Barère. Et comme M. Michelet est d'un esprit extrêmement inventif, il nous montre Robespierre signant, puis Barère signant à son tour complaisamment et faisant signer Billaud-Varenne. (T. VII, p. 388.)

[392] Voyez la seconde déposition de Thierriet-Grandpré dans le procès de Fouquier-Tinville. (Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 421 à 438.) Ce misérable déposa en effet deux fois. La première fois, le 17 germinal an III (6 avril 1795). Sa déposition ne comprend pas moins de dix-huit pages de l'Histoire parlementaire, t. XXXIV, p. 421 à 438. La réponse de Fouquier en occupe une. Thierriet-Grandpré fut entendu une seconde fois le 26 germinal (15 avril 1795), après la mise en cause d'Herman et de Lannes. Cette nouvelle déposition tient douze pages tout entières. (Histoire parlementaire, t. XXXV, p. 45 à 57. Quant à la réfutation, voici ce qu'en donne le compte rendu : Les accusés Herman et Lannes ont expliqué ou nié les faits qui leur sont reprochés. Et c'est tout, à peine une ligne et demie ! Voilà comment, après Thermidor, on était revenu au règne de la justice, de l'impartialité et de la modération. Herman et Lannes ne sont pas les moins regrettables victimes de la contre-révolution, qui a tué en eux la probité rigide et le patriotisme le plus pur.

[393] Voyez à cet égard le rapport du lieutenant de gendarmerie Degesne, cité par Courtois à la suite de son rapport sur les événements du 9 Thermidor, sous le numéro XIX, p.119.

[394] Mémoire de Fouquier-Tinville dans l'Histoire parlementaire, t. XXXIV ; p. 241.

[395] Mémoire de Fouquier, ubi supra, p. 239.

[396] On se demande comment M. Villiaumé a pu, sans la moindre preuve, présenter Fouquier-Tinville comme dévoué à Robespierre. (T. III, p. 265 de l'édition Lacroix.) Tout prouve au contraire qu'il ne lui était rien moins que dévoué.

[397] Mémoire de Fouquier, ubi supra, p. 247, corroboré ici par la déposition de Martel. (Histoire parlementaire, t. XXXV, p. 16.)

[398] Déposition d'Étienne Masson, ex-greffier au tribunal révolutionnaire, dans le procès de Fouquier. (Histoire parlementaire, t. XXXV, p. 89.)

[399] Voyez le Moniteur du 14 thermidor an II (1er août 1794).

[400] Moniteur du 14 thermidor an II (1er août 1794).

[401] Discours du 8 thermidor, p. 20, 21, 22 23. — Et voilà ce que d'aveugles écrivains, comme MM. Michelet et Quinet, appellent le sentiment populaire.

[402] Discours du 8 thermidor, p. 30.

[403] Discours du 8 thermidor, p. 29.

[404] Discours du 8 thermidor, p. 8.

[405] Il n'existe de ce discours qu'un compte rendu très-imparfait. (Voyez le Moniteur du 6 messidor (24 juin 1794). C'est la reproduction pure et simple de la version donnée par le Journal de la Montagne. Quant à l'arrêté concernant l'impression du discours, il n'a pas été exécuté. Invité à rédiger son improvisation, Robespierre n'aura pas eu le temps ou aura négligé de le faire.

[406] Séance du 6 messidor (24 juin 1794), Moniteur du 9 messidor.

[407] Voyez ce discours dans le Moniteur du 17 messidor an II (5 juillet 1794).

[408] Séance du comité de Salut public du 15 messidor (3 juillet 1794). Étaient présents : Barère, Carnot, Collot-d'Herbois, Couthon, C.-A. Prieur, Billaud-Varenne, Saint-Just, Robespierre, Robert Lindet. (Registre des délibérations et arrêtés.) L'arrêté est signé, pour extrait, de Carnot, Collot-d'Herbois, Billaud-Varenne et C.-A. Prieur. Archives, A F, II, 58.

[409] Séance du comité du 19 messidor (7 juillet 1794) ; présents : Barère, Carnot, Collot-d'Herbois, Billaud-Varenne, Robespierre, C.-A. Prieur, Couthon, Saint-Just, Robert Lindet. (Registre des délibérations, etc.). Arrêté signé, pour extrait, de Jean-Bon Saint-André, Billaud-Varenne, Collot-d'Herbois. Archives, A F, II, 58.

[410] L'original de cette lettre est aux Archives, A F, II, 37.

[411] Nous avons, dans notre histoire de Saint-Just, signalé l'erreur capitale des historiens qui, comme MM. Thiers et Lamartine, ont fait revenir Saint-Just la veille même du 9 Thermidor. (Voyez notre Histoire de Saint-Just, liv. V, ch. V.)

[412] Séance des Jacobins du 23 messidor (11 juillet 1794).

[413] Voyez ce que nous avons dit plus haut à ce sujet. M. Michelet, qui ne recule jamais devant une bévue, nous montre, dans son style pittoresque jusqu'au trivial, Robespierre pinçant le président Barère. (T. VII, p. 401). Puis il cite, entre guillemets, quelques paroles de Maximilien. Par malheur, et selon sa trop fréquente habitude, il cite inexactement. Ainsi il omet de dire, mais tout à fait, que l'orateur s'en prenait aux hommes qui attaquaient sourdement le gouvernement révolutionnaire ; autrement le lecteur un peu intelligent se serait tout de suite aperçu qu'il ne pouvait être ici question de Barère, qui, formant, à cette époque, avec Billaud-Varenne, Collot-d'Herbois, Carnot, C.-A. Prieur et Robert Lindet, la partie la plus influente du gouvernement, ne se serait pas amusé sans doute à s'attaquer lui-même en attaquant le gouvernement et en s'opposant aux mesures que le plus souvent il était chargé de présenter. Mais cette hypothèse sert à M. Michelet de transition heureuse pour nous donner comme de l'histoire la fameuse scène où le juré Vilate nous a dépeint Barère se pâmant dans un fauteuil et se lamentant sur le nombre de têtes demandées par Robespierre. (vide supra.)

[414] Voyez ce discours dans le Moniteur du 30 messidor (18 juillet 1794). Il est textuellement emprunté au Journal de la Montagne.

[415] Archives, A F, II, 58. Voyez, au sujet de cette commission temporaire, une longue lettre de Laporte à Couthon, citée à la suite du rapport de Courtois, sous le numéro CII.

[416] Voyez à cet égard une lettre de Ferney à Robespierre, citée plus haut.

[417] Histoire de la Révolution, par M. Michelet, t. VII, p. 402. — M. Michelet reproche à MM. Buchez et Roux de profiter des moindres équivoques pour faire dire à Robespierre le contraire de ce qu'il veut dire. Et sur quoi se fonde-t-il pour avancer cette grave accusation ? Sur ce que les auteurs de l'Histoire parlementaire ont écrit à la table de leur tome XXXIII : Robespierre déclare qu'il veut arrêter l'effusion de sang humain. Mais ils renvoient à la page 341, où ils citent textuellement et in extenso le discours de Robespierre dont la conclusion est, en effet, qu'il faut arrêter l'effusion de sang humain versé par le crime. Que veut donc de plus M. Michelet ? Est-ce que par hasard on n'a l'habitude de ne lire que la table des matières ? Il sied bien, du reste, à cet écrivain de suspecter la franchise historique de MM. Buchez et Roux, lui dont l'histoire n'est guère bâtie que sur des suppositions, des hypothèses et des équivoques !

[418] Voyez cette lettre à la suite du rapport de Courtois, sous le numéro XXV.

[419] Lettre d'Augustin Robespierre à Maximilien, de Nice, en date du 16 germinal. Vide supra.

[420] Voyez les lettres de Cadillot, sous le numéro CVI, à la suite du rapport de Courtois, et de Jérôme Gillet, dans les Papiers inédits, t. I, p. 217.

[421] Lettre en date du 20 messidor, déjà citée, d'une chaumière au midi de Ville-Affranchie, numéro CV, à la suite du rapport de Courtois.

[422] M. Michelet trouve que le rédacteur du journal a étendu complaisamment la pensée de Robespierre. (T. VII, p. 402.) En vérité, c'est par trop naïf !

[423] Comment s'étonner que dès 1794 Fouché ait été le fléau des plus purs patriotes ! Ne fut-ce pas lui qui, sous le Consulat, lors de l'explosion de la machine infernale, œuvre toute royaliste, comme on sait, proscrivit tant de républicains innocents ? Ne fut-ce pas lui qui, en 1815, fournit à la monarchie une liste de cent citoyens voués d'avance par lui à l'exil, à la ruine, à la mort ?

[424] Voyez cette séance des Jacobins reproduite d'après le Journal de la Montagne dans le Moniteur du 26 messidor (14 juillet 1794).

[425] Dans le tome XX de l'Histoire du Consulat et de l'Empire, M. Thiers, parlant de ce même Fouché, dit : En portant à la tribune sa face pâle, louche, fausse.

[426] Fouché, avons-nous dit, a contribué activement à perdre la République au 9 Thermidor, comme l'Empire en 1815. La postérité a ratifié le jugement de Robespierre sur cet effronté personnage. Je n'ai jamais vu un plus hideux coquin, disait de lui l'illustre Dupont (de l'Eure). Voyez à ce sujet l'Histoire des deux Restaurations, par M. de Vaulabelle, t. III, p. 404.

[427] Voyez, pour cette séance, le Moniteur du 3 thermidor (12 juillet 1794).

[428] Lettre de Bô au comité de Salut public, en date du 2 thermidor. (Archives.)

[429] Ces lettres de Bô et de Fouché, révélées pour la première fois, sont en originaux aux Archives, où nous en avons pris copie. Comme les plus purs patriotes, et surtout comme partisan de Robespierre, Bô ne pouvait manquer d'être victime des calomnies des écrivains de la réaction. Cependant l'un d'eux a été obligé de reconnaître qu'à Nantes il n'avait cherché qu'à réparer les désastres et qu'à consoler les malheurs de cette grande cité, et de convenir qu'il laissa dans cette ville un souvenir qui ne mourra jamais. (Biographie universelle, 28 édition, à l'article BÔ.) Bô avait tout simplement appliqué dans sa mission la politique de Robespierre. Aussi distingué par ses talents comme médecin qu'honorable comme homme par sa probité, il rentra dans la vie privée quand il vit tomber le gouvernement de son choix, cette République qu'il avait servie avec un dévouement si désintéressé, et il reprit l'exercice de sa profession à Fontainebleau, où il mourut en 1812.