HISTOIRE DE ROBESPIERRE

TOME TROISIÈME — LA MONTAGNE

 

LIVRE DOUZIÈME. — OCTOBRE 1793 — FRIMAIRE AN II (DÉCEMBRE 1793).

 

 

Le Nouveau calendrier. — Point de découragement ! — Prédiction de la victoire de Wattignies. — Le Gouvernement révolutionnaire jusqu'à la paix. — Comités de Sûreté générale et de Salut public. — Organisation du comité de Salut public. — Instruction aux communes. — Gens révolutionnaires, gens d'examen, gens de la haute main. — L'espion Senar. — Une note de Carnot. — Mesures diverses. — Maximilien et les affaires militaires. — Politique de Robespierre et de ses amis dans les départements. — Augustin Robespierre dans le Midi. — Premières relations avec Bonaparte. — Couthon à Lyon. — Il est remplacé par Collot d'Herbois et Fouché. — Lettre de Cadillot. — Proscription des étrangers. — Exceptions réclamées par Robespierre. — Des comités de surveillance. — Discussion au sujet de Julien (de Toulouse). — Hébert et Marie-Antoinette. — Le procès des Girondins. — Hébert et Mme Roland. — Une page des Mémoires de Mme Roland. — Efforts du comité de Salut public. — Proclamation à l'armée. — Le général Kellermann. — Prestige des Jacobins. — Les frères Duquesnoy et Hébert. — Jourdan aux Jacobins. — L'hébertisme. — Adresse aux sociétés populaires. — Robespierre et André Dumont. — La déprêtrisation, — Visite de Clootz au comité de Salut public. — La fête de la déesse Raison. — Les joies du Père Duchesne. — Consternation de Maximilien. — Exagérations des meneurs de la commune. — Rapport sur la situation politique de la République. — Mal causé par l'hébertisme. — Séance du 1er frimaire au club des Jacobins. — Danton appuie Robespierre. — Décret concernant la liberté des cultes. — Mécontentement des hébertistes. — L'évêque Massieu. — Discours du 8 frimaire aux Jacobins. — Rétractation d'Hébert. — Réponse au manifeste des rois coalisés. — Les syndics de la paroisse de Saint-Just. — Le comité de Salut public et la Convention. — Le notaire Chaudot. — Défense des ministres. — Les épurations aux Jacobins. — L'ex-marquis de Maribon-Montaut. — Le citoyen Taschereau. — Robespierre défend de nouveau Barère et Danton. — Ni exagération Di modérantisme. — Camille Desmoulins ; sa lettre à Dillon. — Grande facilité de mœurs de Camille. — Les premiers numéros du Vieux Cordelier. — Clootz, l'orateur du genre humain. — Il est exclu des Jacobins. — Hérault-Séchelles dénoncé par Bourdon (de l'Oise). — Prêtres et nobles. — Camille Desmoulins soumis à l'épuration. — Romme et les suppléants à la Convention. — Robespierre et les généraux. — Une lettre de Sergent. — Prise de Toulon. — Belle conduite de Robespierre jeune. — Coup d'œil sur la vie privée de Maximilien. — Charlotte Robespierre et Mme Duplay. — Mariage de Philippe Le Bas. — Éléonore Duplay et Maximilien Robespierre. — Le salon de Mme Duplay.

 

I

Au mois d'octobre de l'année 1793, la Révolution entre dans une phase toute nouvelle en quelque sorte. Et d'abord, dès le 5, la Convention nationale substituait à l'ancien calendrier grégorien le magnifique calendrier proposé par Romme au nom du comité d'instruction publique. Par une coïncidence assez singulière, la République avait été proclamée le jour même de l'équinoxe d'automne. On fixa donc à ce jour le commencement de l'année ; désormais l'ère des Français dut compter de la fondation de la République, c'est-à-dire du 22 septembre 1792. Tout le monde connaît le calendrier républicain, si bien approprié aux diverses phases de la lune et à la marche des saisons. Les anciens noms ridicules et barbares servant à désigner les jours et les mois ne pouvaient subsister, on se contenta tout d'abord de les remplacer par la dénomination ordinale. Ainsi, le nouveau calendrier ayant été appliqué pour la première fois le dimanche 6 octobre, c'est-à-dire quinze jours après l'anniversaire de la fondation de la République, on commença de dater du quinzième jour du premier mois de l'an II de la République française. Mais cette nomenclature toute sèche, purement arithmétique, et ne rappelant à l'imagination rien qui fût de nature à la graver dans la mémoire, fut bientôt jugée insuffisante. Le quatrième jour du deuxième mois, correspondant au 25 octobre, l'Assemblée, à la voix de Fabre d'Églantine, adoptait ces dénominations poétiques et charmantes, et en même temps si rationnelles de Vendémiaire, Brumaire et Frimaire, pour désigner la saison des vendanges, des brouillards et des frimas ; de Nivôse, Pluviôse et Ventôse, pour désigner l'époque de neige, de pluie et de vent, qui dure généralement de décembre à mars ; de Germinal, Floréal et Prairial, pour désigner le temps où monte la sève, où s'épanouissent les fleurs et où se fauchent les prairies ; enfin, de Messidor, Thermidor et Fructidor, pour désigner les mois des moissons, de la chaleur et des fruits. Impossible de figurer dans un langage plus harmonieux et plus sonore les diverses phases de l'année, de mieux peindre les propriétés spéciales à chacune d'elles.

Mais au milieu du trouble présent, dans la crise terrible où l'on était, et chez un peuple à qui la routine est si chère, était-il opportun de rompre aussi brusquement avec de vieilles habitudes ? N'y aurait-il point là un nouveau motif de fermentation ? Qu'allaient dire l'innombrable foule des dévotes et la multitude non moins nombreuse des gens ayant le culte du dimanche ? car le nouveau calendrier réduisait à trois les jours fériés dans chaque mois. N'allait-on pas soulever inutilement des réclamations bruyantes, et fournir aux malveillants l'occasion de colorer d'un prétexte légitime leurs persistantes hostilités contre la Révolution ? Ce fut ce qu'appréhendèrent quelques esprits d'un patriotisme incontestable, comme l'abbé Grégoire. Quelques doutes semblent également s'être glissés dans l'esprit de Robespierre ; il se demanda s'il ne faudrait pas ajourner jusqu'à nouvel ordre le décret sur le calendrier. C'est du moins ce qui nous paraît résulter d'une note tracée dans un petit carnet que nous avons sous les yeux, et où il consigna, jour par jour, pendant quelques mois, les observations qu'il se proposait d'adresser soit au comité de Salut public, soit à la Convention nationale[1]. Mais il comprit bien vite l'intérêt puissant qu'il y avait à rattacher à une ère nouvelle les institutions fondées par la Révolution, et d'un trait de plume il biffa la note où se révélaient ses craintes. Aujourd'hui, en reportant notre pensée sur ce calendrier auquel se lient si intimement une partie de nos institutions modernes, nous sentons combien sagement furent inspirés nos pères lorsqu'ils le décrétèrent. C'était une barrière infranchissable entre l'ancien et le nouveau régime ; et, en effet, quand Napoléon voulut renouer la chaîne du passé et greffer son despotisme sur le tronc vermoulu du vieil arbre monarchique, il s'empressa de jeter aux orties le calendrier de la démocratie.

Quel mois fécond que ce premier mois de l'an Il de la République ! S'il est signalé par des exécutions que l'on comprend en les déplorant, de quelle gloire ne resplendit-il pas, qui voile de son éclat prodigieux les sacrifices sanglants faits aux terribles nécessités du moment ! C'est l'heure où la République haletante, pressée entre l'ennemi du dedans et celui du dehors, commence à prendre le dessus. Victoires dans le Midi, au Nord, dans là Vendée. Lyon est emporté de vive force, Maubeuge débloqué, l'armée autrichienne écrasée à Wattignies. Non, il n'y a pas assez de couronnes pour ces rudes jouteurs qui, dans la situation la plus critique, n'ont pas désespéré du salut de la patrie, et qui ont vaincu parce qu'il fallait vaincre, à tel prix que ce fût, comme disait Robespierre. Désespérer, c'était presque trahir, aux yeux de Maximilien. Aussi le 7 octobre 1793 (16e jour du 1er mois), aux Jacobins, l'entendit-on qualifier avec sévérité une lettre annonçant un échec partiel des troupes républicaines, et où perçait un extrême découragement. Le malheur n'était gue trop vrai ; mais il y avait, selon lui, perfidie à l'exagérer. Il y avait perfidie surtout à en rejeter la responsabilité sur la Convention, comme le faisaient les signataires de la lettre, au lieu de s'en prendre à l'impéritie ou même à la trahison de certains officiers. Et il cita Houchard, coupable de n'avoir pas profité de la victoire d'Hondschoote. Il donna alors les renseignements les plus satisfaisants sur Dunkerque, dont la prise par les Anglais n'avait été empêchée que par la destitution du commandant de la place, de l'état-major et des autorités constituées. Ces renseignements, il les tenait. de Lazare Hoche, récemment appelé au grade d'adjudant-général, non point par Carnot, mais par Bouchotte, et dont Maximilien recevait fréquemment des lettres, comme plus tard nous le prouverons d'une façon irréfragable[2]. Hoche, c'était un de ces chefs patriotes sous lesquels, disait Robespierre, les armées républicaines finiraient par demeurer victorieuses. Il ne pouvait s'empêcher de montrer de l'humeur contre ces prétendus républicains qui, au moindre échec, allaient semant partout l'alarme et le découragement. Pour lui, il se faisait fort d'indiquer, le remède, et s'écriait alors : Les efforts de vos ennemis contre vous, leurs cris, leur rage impuissante et leurs petits succès ne doivent pas vous effrayer, ce ne sont que des égratignures sur les épaules d'Hercule ; le peuple français s'en est à peine aperçu... Rassurez-vous, je vous promets des victoires ; et vos espérances ne seront pas déjouées, et mes promesses ne seront pas démenties (2)[3]. Si de tels encouragements furent accueillis par de chaleureuses acclamations, il est à peine besoin de le dire.

Telle était la foi de Robespierre dans le succès des armes de la République, succès préparé par lés incessants travaux du comité, que, quatre jours après, il prononçait encore ces paroles, qu'il faut citer tout entières : Demain sera un jour fameux dans les fastes de la République ; demain toutes les forces de la tyrannie se mesurent contre celles de la liberté ; demain est un jour qui aura une grande influence sur le sort des despotes 'coalisés : il se livre un grand combat sur nos frontières.

Si la fortune favorise la cause de la vertu, du courage et de la liberté, la victoire est à nous. Si cela n'arrivait pas, qu'on se rappelle que la République, que la liberté sont impérissables, et que nous ne serons pas terrassés. Voici l'alternative dans laquelle nous sommes : Si les tyrans sont vaincus, les tyrans sont perdus. Si les tyrans sont vainqueurs, si la victoire est infidèle aux drapeaux républicains, les républicains n'en seront que plus terribles, car ils apprendront à se défier de leurs propres frères ; leurs coups n'en seront que plus assurés, et tous les calculs de la prudence humaine accompagneront leurs futures opérations. Cette fois les tyrans n'ont pas choisi nos généraux. S'il arrive un échec, sans doute il faut l'attribuer à la perfidie, non pas des généraux, je crois que nous pouvons répondre d'eux, mais à quelques agents secrets qui peut-être se sont cachés parmi nos troupes, y fomentent des troubles de toute espèce, y causent des accidents. Si donc un échec arrive, si l'armée recule, tout le peuple français doit se lever et lui servir d'arrière-garde. — Ici l'enthousiasme dont était saisi l'orateur se communique à toute la salle. Les chapeaux, les mains sont levés en l'air aux cris mille fois répétés de vive la République ! — Si, au contraire, reprend Robespierre, et je n'en doute pas, nous remportons une victoire, nous la poursuivrons avec acharnement, et la mort du dernier des despotes en sera le fruit. Quel que soit donc l'événement qui nous sera annoncé, il nous trouvera toujours fermes, inébranlables, préparés au malheur comme à jouir, sans en abuser, de la prospérité. Quant à nos représentants, ils rallieront la France entière sous les drapeaux de la victoire et de la liberté ; ils vous montreront l'exemple du courage et du dévouement. Résolus à mourir pour la patrie, ils traceront de leur sang le signal de la vengeance, et vous leur devrez encore une leçon[4]. Nous avons déjà eu l'occasion de remarquer de quelle sorte de don prophétique était doué Robespierre : c'était le 11 octobre (20e jour du 1er mois) qu'il s'exprimait ainsi aux Jacobins ; le 15 la République remportait la victoire de Wattignies.

 

II

Ces premiers échecs de la coalition n'étaient pas encore de nature à la décourager et à briser les liens criminels qui l'unissaient aux ennemis de l'intérieur triompher de la République en désorganisant ses finances, en la minant par l'intrigue, en fomentant dans son sein des factions toujours renaissantes, telle était surtout l'espérance des puissances étrangères ; et cela commençait à leur paraître plus facile que de vaincre la Révolution par leurs armes et sur les champs de bataille. Mais le comité de Salut public veillait. Tout en portant son attention au dehors, il se montra au dedans plus ferme que jamais. Afin de pouvoir agir plus sûrement, il avait, dès le 10 octobre (19e jour du 1er mois), proposé à la Convention, par la bouche de Saint-Just, de déclarer révolutionnaire le gouvernement jusqu'à la paix, comprenant très-bien que si la constitution était faite pour conserver, pour maintenir la République, elle était impuissante à la fonder, comme le disait Robespierre. La mettre à exécution en de pareilles conjonctures, c'était permettre à ses ennemis de la détruire en l'invoquant. Elle fut donc suspendue provisoirement par le décret qui-déclara révolutionnaire le gouvernement jusqu'à la paix, et qui plaça sous la surveillance directe du comité de Salut public le conseil exécutif, les ministres, les généraux et les corps constitués, sauf au comité à rendre compte de ses actes tous les huit jours à la Convention nationale[5].

Le mécanisme du gouvernement révolutionnaire se trouva complété, quelques semaines plus tard, par l'adoption d'un décret rendu sur un long rapport de Billaud-Varenne. En vertu de ce nouveau décret, le comité de Salut public demeurait chargé, pour les mesures de gouvernement et de salut public, de l'inspection immédiate de tous les corps constitués et de tous les fonctionnaires ; quant à ce qui concernait les personnes, la police générale et intérieure, cette inspection appartenait particulièrement au comité de Sûreté générale. L'un et l'autre comités étaient tenus de rendre compte à la fin de chaque mois des résultats de leurs travaux à la Convention nationale[6]. Ainsi, le principal instrument du gouvernement révolutionnaire pour la sûreté intérieure de l'État était le comité de Sûreté générale, ayant comme agents directs et sous sa surveillance immédiate tous les comités révolutionnaires de la République. Et ce fut pourquoi, après Thermidor, Billaud-Varenne, obligé de défendre le comité de Salut public contre les imputations de Lecointre, eut soin de rappeler à ce député que les relations journalières avec le tribunal révolutionnaire, l'inspection des prisons, etc., étaient dans les attributions spéciales du comité de Sûreté générale[7]. Il y eut bien, pendant quelques semaines, un bureau de police au sein même du comité de Salut public, bureau dont nous aurons à nous occuper assez longuement ; mais il dut cesser ses opérations précisément à cause des réclamations du comité de Sûreté générale qui se plaignit qu'on empiétât sur ses attributions. Et de quels membres, au moment où nous sommes, se composait ce dernier comité ? De douze députés dont la plupart étaient ou devinrent les plus impitoyables ennemis de Robespierre. C'étaient Amar, Panis, Boucher Saint-Sauveur, David, Lavicomterie, Guffroy, Ruhl, Moïse Bayle, Voulland, Le Bon, Vadier et Le Bas. Dans ce nombre, deux amis intimes de Maximilien, le peintre David et Le Bas ; encore celui-ci allait-il être presque constamment en mission. Si vers ce temps-là Panis écrivait à Robespierre : Bonjour, amant de la patrie, je vous embrasse de toute mon âme, et m'en rapporte au surplus à votre sagesse[8], c'était à propos d'une commission dont l'avait chargé Danton, duquel il était surtout l'ami et l'intime confident, comme nous l'avons dit déjà Nulle, complètement nulle était donc, dès cette époque, l'influence de Robespierre sur le comité de Sûreté générale.

Pénétrons maintenant dans l'intérieur du comité auquel il appartenait, et voyons si les membres de ce comité étaient hommes à subir un joug quelconque et à s'incliner docilement devant la volonté d'un de leurs collègues. Avec lui siégeaient, — il importe de remettre ces noms sous les yeux de nos lecteurs, — Barère, Carnot, Couthon, C.-A. Prieur, Saint-Just, Hérault-Séchelles, Prieur (de la Marne), Collot-d'Herbois, Jean-Bon Saint-André, Billaud-Varenne et Robert Lindet, douze membres en tout. Le grand comité de Salut public n'avait pas de président, comme on l'a écrit quelque-fois par erreur[9] ; et les attributions de chacun de ses membres n'étaient point parfaitement délimitées, quoi qu'on en ait dit. Tous participaient à tout. Carnot et C.-A. Prieur, il est vrai, comme militaires, s'occupaient assidûment de la guerre, mais ils n'en prenaient pas moins part à toutes les opérations du comité. Il n'y eut jamais d'organisation bien régulière. Nous avons sous les yeux plusieurs projets d'organisation où nous voyons, par exemple, Saint-Just et Carnot figurer à la fois dans la section de la guerre et de la marine et dans celle des commissaires de la Convention[10].

Deux membres du comité étaient chargés de conférer avec les députations et les citoyens, qu'on recevait de midi à deux heures.

Le comité tenait deux séances par jour ; celle du matin durait depuis huit heures jusqu'à deux, heure à laquelle les membres du comité se rendaient à la Convention. Ils rentraient en séance le soir, à sept heures, et y restaient souvent une partie de la nuit. Sur la proposition de Robespierre, il fut décidé que le comité nommerait des rapporteurs pour toutes les affaires particulières ; qu'il ne délibérerait jamais en présence d'aucun étranger, et que les noms de tous ses agents, secrétaires ou autres, seraient remis à chacun de ses membres[11]. Il fut de plus convenu qu'une fois par semaine le comité de Sûreté générale se réunirait à celui de Salut public, afin de se concerter avec lui sur les moyens d'assurer la liberté et la tranquillité générale[12]. Enfin, chaque soir, à dix heures, le conseil exécutif était tenu de se rendre dans son sein pour le renseigner sur l'état général de la République[13]. Tout arrêté du comité de Salut public devait être revêtu de la signature de trois de ses membres au moins. Le travail avait été réparti en cinq bureaux auxquels ressortissaient les affaires étrangères, l'extrait et l'enregistrement des pièces, la correspondance générale, les corps administratifs et les sociétés populaires, les opérations de la guerre et de la marine. A chacun de ces bureaux étaient attachés un certain nombre de secrétaires et commis. J'en ai compté cent cinq jusqu'au 21 nivôse de l'an II[14].

Robespierre, ne trouvant pas convenable la salle où délibérait le comité, parce qu'elle était trop en vue et encombrée sans cesse de la foule des postulants, avait engagé ses collègues à changer de local[15]. Eh bien, qui le croirait ? ces simples mots : changer de local, tracés sur un bout de papier, ont paru au rédacteur du rapport de Courtois la preuve d'un projet de dissoudre la Convention[16] ! Fallait-il que ces Thermidoriens fussent assez à court de griefs sérieux pour établir leur accusation sur des bases aussi puériles ! Quand Courtois ne falsifie pas les pièces, il intervertit les dates. C'est ainsi que par la plus insigne mauvaise foi ou la plus étrange ignorance il applique à la Convention la minute d'un projet de pétition rédigée par Robespierre au mois d'août 1792, et par laquelle le conseil général de la commune demanda, on s'en souvient, à l'Assemblée législative de transformer en simple commission des contributions publiques le directoire du département de Paris[17]. Et c'est sur de pareilles âneries qu'a été édifié le monstrueux échafaudage du procès de Robespierre !

Mais revenons au comité de Salut public. Attaché au bureau des corps administratifs et des autorités constituées, Robespierre semble s'être appliqué surtout à traiter les questions d'ensemble, les questions de morale et de haute philosophie. Elle est de sa main, cette belle instruction aux communes au sujet de l'établissement du gouvernement révolutionnaire : La patrie s'est déclarée en état de guerre contre les conspirateurs et tous les ennemis du peuple. La Convention a lancé contre eux les lois révolutionnaires. Ce n'était pas assez, il fallait encore en assurer l'exécution. Le cercle des autorités, leurs devoirs sont fixés. Les seules formes qui opposent une barrière à l'arbitraire sont conservées ; mais celles qui faisaient obstacle au cours de la justice sont détruites. La loi, aussi prompte que la volonté dont elle part, atteindra tous les coupables et ne s'arrêtera que devant l'innocence. Les législateurs ont remis l'application de ces lois aux communes. Pleins de confiance en vous, ils doivent cependant vous rappeler les obligations sous lesquelles ils courbent les premiers leurs têtes. La lumière doit être placée à côté de tous les fonctionnaires pour éclairer leur bonne conduite ou leurs fautes, et plus leur ministère est redoutable, plus leur compte est sévère. L'homme de bien est le premier à demander que l'on porte le flambeau sur sa conduite ; vous devez des comptes. Tout ce qui n'atteindrait pas le bien serait faiblesse, tout ce qui le dépasserait serait exagération... Cette loi révolutionnaire vous met à la main la vengeance nationale, et par là vous défend toute vengeance particulière. Oublier que vous êtes hommes pour vous souvenir que vous êtes juges. Impassibles aux passions d'autrui et aux vôtres, méritez par la vertu le droit de punir le crime[18]. Robespierre, a dit avec raison Hégel, avait pris la vertu au sérieux et l'avait posée comme le principe suprême[19]. Et ce fut précisément parce qu'il envisageait les questions d'une telle hauteur, d'un point de vue si élevé, que ses collègues du comité de Salut public lui confièrent invariablement la rédaction des rapports où devaient être développés les grands préceptes de morale et de philosophie à appliquer au gouvernement des peuples.

 

III

Est-ce aussi pour cela que plus tard on l'a rangé parmi les gens dits de la haute main ? Il faut dire un mot de cette dénomination, tout à fait absurde, appliquée à un prétendu parti que représentaient Robespierre, Saint-Just et Couthon, par opposition à celle de gens révolutionnaires, sous laquelle on aurait désigné le parti Billaud-Varenne, Barère et Collot d'Herbois, et à celle de gens d'examen, appliquée au parti Carnot, C.-A. Prieur et Robert Lindet.

L'inventeur de cette belle nomenclature a oublié -de placer Jean-Bon Saint-André, Prieur (de la Marne) et Hérault-Séchelles dans l'une de ces catégories. Peut-être bien ignorait-il qu'ils eussent fait partie du fameux comité. Ces désignations bizarres, insignifiantes et sans portée, dont se servaient des agents de bas étage, et que des historiens sérieux ont eu, à notre avis, le tort d'accepter, ont été mises au jour dans une misérable rapsodie publiée en -1825 sous ce titre : Révélations puisées dans les cartons des comités de Salut public et de Sûreté générale, ou Mémoires de Sénart[20]. Titre bien choisi, comme on voit, pour influencer l'esprit du lecteur. Or, qu'était Senar et non point Sénart ? un des agents les plus odieux de la Terreur, un de ceux dont nous entendrons Robespierre et Couthon dénoncer la criminelle conduite, un misérable espion du comité de Sûreté générale, comme d'Ossonville, autre coquin, de qui l'éditeur tenait le manuscrit de ces prétendus Mémoires, où tous les écrivains réactionnaires ont été chercher des armes contre la Révolution. Senar, en effet, était mort, à moitié fou, en 1796, dans les prisons de Tours. J'ai déjà dit ailleurs ce que je pensais de ces Mémoires, bien évidemment arrangés. Dans ma conviction, la seule partie appartenant en propre à Senar est celle qui concerne Tallien, parce qu'elle a un caractère véritable d'authenticité, parce que de sa prison de Tours Senar l'envoya, sous forme de dénonciation, à la Convention nationale, qui, sur la proposition de Cambon, passa à l'ordre du jour. Tallien, dont toutes les infamies s'y trouvaient révélées, exagérées même, était alors un homme puissant[21] et, partant, à l'abri de toute atteinte. Du reste, nous pourrions tirer un grand parti de ces Mémoires, car ils sont principalement dirigés contre les plus acharnés ennemis de Robespierre. De celui-ci il est peu question : des injures banales à son adresse, voilà tout ; pas un fait sérieux n'est articulé contre lui. Nous aurions donc beau jeu si nous voulions ; mais il nous répugne de nous servir, même dans l'intérêt de l'homme dont nous écrivons l'histoire, d'une œuvre salie, à nos yeux, par d'impudents mensonges. Fidèle jusqu'au bout à notre méthode, c'est à des documents plus honorables, à des témoignages moins suspects que nous demanderons la preuve de l'infamie de ces hommes à qui le nom de Thermidoriens restera comme une flétrissure éternelle.

Mais revenons à nos gens révolutionnaires, de la haute main et d'examen. L'auteur des Mémoires assez récemment publiés sur Carnot, s'emparant de ces dénominations diverses, leur donne une explication tout à fait arbitraire. Gens de la haute main, cela veut dire, à son sens, que Robespierre, Couthon et Saint-Just préparaient les exposés législatifs, gouvernaient la police et le tribunal révolutionnaire. Pour ce qui est des exposés législatifs, la désignation convient tout aussi bien à chacun des autres membres du comité en ce qui concernait leurs spécialités respectives, et Robespierre, nous venons de le dire, laissant à ses collègues les questions de détail, traitait surtout devant la Convention les hautes questions sociales, politiques et morales. Quant au tribunal révolutionnaire, jamais il n'eut avec lui de rapport particulier, nous le verrons par le propre aveu de Fouquier-Tinville. C'était surtout d'ailleurs au comité de Sûreté générale qu'il appartenait, par la nature de ses attributions, de correspondre avec le formidable tribunal. Il arriva à certains membres de la Convention ou du comité de Salut public de déposer devant le tribunal révolutionnaire, ou de lui envoyer des notes manuscrites ; à Robespierre, jamais. Nous avons sous les yeux une note de Carnot adressée à l'accusateur public au sujet de Victor de Broglie. Cette note, soulignée au terrible crayon rouge de Fouquier-Tinville, fut certainement pour beaucoup dans la condamnation de l'ex-prince[22] ; on n'a jamais pu produire contre Robespierre une semblable pièce. Dieu nous garde de vouloir jeter ici la moindre défaveur sur une mémoire justement illustre. Carnot, en cette circonstance, a, nous en sommes certain, obéi à la voix de sa conscience ; mais nous ne voulons pas qu'on attribue injustement aux uns toutes les sévérités de la Révolution, en nous présentant les autres comme absorbés dans leur labeur administratif, et que, en commentant complaisamment Senar, on appelle Carnot, Prieur et Lindet les gens d'examen, ou simplement les travailleurs[23], comme si Barère et Billaud-Varenne, sans compter Robespierre, n'avaient pas été d'aussi rudes travailleurs que Carnot.

Laissons donc de côté ces dénominations arbitraires, imaginées après coup. L'accord le plus parfait régnait alors entre les divers membres du comité. L'heure n'est pas venue encore où Robespierre aura à combattre des terroristes comme- Fouché, soutenu par son complice Collot d'Herbois, et où il ne pourra s'empêcher de reprocher assez vivement à Carnot de persécuter des généraux patriotes, comme Hoche par exemple. Impossible d'entreprendre avec plus de concert l'œuvre difficile du salut de la France. C'était le moment où le comité envoyait à l'armée du Rhin Saint-Just et Le Bas, en les investissant des pouvoirs nécessaires pour réparer les désastres survenus à Wissembourg et à Lauterbourg[24], tandis qu'il nommait commissaires près les armées d'Italie et de Toulon, Ricord, Robespierre jeune, Salicetti et Gasparin[25]. En général le nombre des représentants chargés de surveiller les armées était beaucoup trop considérable. Il s'ensuivait, comme en Vendée, des compétitions de pouvoir, des conflits d'autorité amenant toujours de fâcheux résultats. Deux par chaque armée et deux par département suffisaient, selon Robespierre ; seulement, disait-il, il fallait mettre un fort avec un patriote plus faible, les renouveler ou les changer assez fréquemment, et entretenir avec eux une correspondance active adaptée à l'esprit des différentes localités où ils étaient chargés d'opérer[26]. L'envoi d'un petit nombre de commissaires énergiques, munis de bons principes et d'instructions de nature à ramener tous les esprits à l'unité et au républicanisme, était à ses yeux le seul moyen de terminer promptement la Révolution au profit du peuple. Ces commissaires devaient s'appliquer surtout à découvrir et à inventorier les hommes dignes de servir la cause de la liberté[27]. Quoi de plus logique en effet ? Ah ! si ces hommes vraiment dignes réclamés par Robespierre avaient été trouvés, il est à croire que la Révolution, au lieu de tomber dans le sang et dans la boue, comme cela arriva après Thermidor, serait sortie radieuse et triomphante des dures épreuves où l'avaient jetée ses ennemis !

Vers le même temps, le comité de Salut public enjoignait au commandant général de la force armée de Paris, Hanriot, de se rendre tous les soirs dans son sein pour se concerter avec lui sur les moyens d'assurer la sécurité de la capitale. Dans la même séance où cette mesure était prise, il investissait, sur la proposition du ministre de la guerre, le général Hoche du commandement de l'armée de la Moselle ; puis il adoptait, à la suite d'une importante discussion, le plan de guerre proposé pour l'armée du Nord par Prieur (de la Côte-d'Or) et Carnot[28]. On voit par là combien sont dans l'erreur ceux qui s'imaginent que Carnot seul était chargé de la responsabilité des affaires militaires. De l'examen attentif des registres des arrêtés et délibérations du comité de Salut public il résulte, au contraire, que les questions concernant les armées et la guerre étaient minutieusement étudiées en réunion générale. Ainsi voyons-nous discuter avec le plus grand soin dans les séances des 13, 14 et 15 brumaire (3, 4 et 5 novembre 1793) le plan de siège et d'attaque de Toulon et le plan de guerre pour l'armée de l'Ouest[29]. Robespierre se préoccupait aussi bien que Carnot de la question militaire et de tout ce qui intéressait nos armées et nos soldats. Son carnet est rempli de notes à cet égard. Armée du Rhin, armée du Nord, Toulon, la Vendée, la Lozère, sont l'objet de toute son attention. Il recommande à Bouchotte d'armer les meilleurs bataillons de la réquisition ; il ne veut pas que l'armée révolutionnaire soit composée de gens sans aveu, et s'inquiète surtout des subsistances, de l'approvisionnement à l'intérieur et à l'extérieur[30]. Loin de contrecarrer les plans de Carnot, comme on l'a si injustement prétendu, il admirait sans réserve le génie militaire de son collègue, témoin cette lettre adressée à l'un de ses amis : Mon ami, je n'ai oublié un instant ni l'armée du Rhin ni nos deux commissaires ; j'ai pris toutes les mesures nécessaires, et j'ai lieu de croire qu'aucune n'a été négligée. Le comité a adopté un plan qui me paraît très-bien conçu et dicté par le même esprit que celui qui a si bien réussi pour l'armée du Nord. Le plan est plus vaste et plus hardi que celui qui consiste à défendre les différents points du territoire avec différents corps d'armée. Il est aussi plus sage et atteint seul le but ; Carnot, qui nous en a présenté l'idée, vous a déjà écrit pour vous le développer. Nous vous enverrons ce collègue dans peu de jours pour mieux vous expliquer nos idées si vous ne les avez pas entièrement saisies. Nous comptons beaucoup sur l'énergie que vous avez communiquée à l'armée, et sur l'activité que vous déployez. Pour moi, je ne doute pas du succès si vous l'appliquez à l'exécution de notre plan. Au surplus, les ordres sont donnés pour procurer à l'armée tous les ressorts qui sont à notre disposition. Adieu, je vous embrasse de tout mon cœur. ROBESPIERRE[31].

A qui était adressée cette lettre ? Très-probablement à Saint-Just ou à Le Bas, qui l'un et l'autre avaient quitté Paris dès le 27 vendémiaire pour se rendre en poste à l'armée du Rhin. Gardez-vous de l'impatience, écrivait Maximilien au premier quelques jours plus tard[32], nous sommes pleins de l'énergie et de la sollicitude qui vous animent, et nous vous seconderons de toutes nos facultés.

On sait de reste de quelle admirable façon Saint-Just et Le Bas remplirent leur mission dans les départements du Haut et du Bas-Rhin ; comment ils reprirent les lignes de Wissembourg et parvinrent à dégager cette partie du territoire de la République, et comment aussi à l'intérieur ils surent comprimer l'ennemi sans employer les moyens sanglants dont crurent devoir user tant d'autres proconsuls[33].

 

IV

L'histoire de Maximilien Robespierre serait incomplète si l'on n'y disait un mot de la manière dont ses amis et son frère notamment se conduisirent dans les missions importantes qui leur furent confiées. Si, en effet, ces intimes confidents de sa pensée surent allier à une énergie et à un courage à toute épreuve la modération et la sagesse, sans lesquelles on ne fonde rien de durable ; si, par leur esprit de douceur et de justice, ils eurent l'art de rallier à la République la foule des indifférents et des faibles, dans le cœur desquels tant d'autres commissaires de la Convention semblèrent se faire un jeu de jeter l'épouvante et le désespoir, c'est qu'ils étaient les interprètes intelligents et dévoués de la politique modérée dont Robespierre avait donné une preuve éclatante dans la séance du 3 octobre à la Convention nationale.

Parlons d'abord d'Augustin-Bon Robespierre. Nous avons déjà dit un met de ce jeune homme. A une bonté qui, dans son pays, lui avait valu le surnom de Bon bon, il joignait l'intrépidité d'un soldat. Charlotte, sa sœur, témoin de sa conduite héroïque dans le Midi, a dit de lui : C'était un César[34]. Le mot n'est pas juste ; il eût mieux valu dire : C'était un héros. Nous le verrons, en effet, accomplir des prodiges à la tête des troupes républicaines. Mais ce qui le distinguait surtout, ce qui le fera vivre à jamais dans la mémoire des hommes, c'était son admiration sans bornes, son dévouement sublime pour ce frère auquel il ne voudra pas survivre. Envoyé, dès le mois d'août 1793, dans le Midi pour réprimer l'insurrection girondine, il partit avec sa sœur. A travers mille dangers il arriva enfin à Marseille, étudia l'esprit de ces populations méridionales si promptes à se laisser égarer par d'habiles meneurs, et s'empressa de communiquer ses impressions à son-frère. Il fallait, selon lui, des hommes très-habiles pour faire le bien dans ces départements du Midi, parce que les têtes exaltées, peu capables de raisonnement, étaient fort difficiles à ramener dès qu'une fois elles avaient embrassé un parti. Je t'assure, écrivait Augustin à son frère à la date du 28 août, que le plus grand nombre a été stupidement trompé, et que les crimes de quelques hommes qui se disaient patriotes ont nécessité une certaine classe de citoyens de se réunir pour se soustraire aux plus inquiétantes vexations. Des contre-révolutionnaires se sont emparés de cette classe d'hommes, ont paru d'abord ne se joindre à ceux-ci que pour contenir des hommes vraiment dangereux, dont les propositions et souvent les actions étaient criminelles ; mais bientôt ces contre-révolutionnaires astucieux trouvèrent le moyen de rendre oppresseurs ceux qui croyaient ne se garantir que de l'oppression. Les patriotes se trouvèrent poursuivis, vexés, immolés, et ceux qui les poursuivaient étaient les instruments aveugles de quelques contre-révolutionnaires qui avoient égaré la masse ignorante de ce qu'on appelle les honnêtes gens. Rien n'était plus vrai, et l'on ne pouvait mieux définir ce qui s'était passé dans le Midi. Bien différent des justiciers à la façon de l'horrible Fouché, qui frappaient indistinctement les égarés et les coupables, Augustin Robespierre voulait qu'on apportât une extrême mesure dans la répression. Si les patriotes veulent punir tous les sectionnaires indistinctement, ajoutait-il, la réaction aura encore lieu et rendra la guerre civile interminable. Les passions sont exaspérées à un point inconcevable, et les haines sont si fortes qu'il faut prendre tous les moyens, possibles pour qu'un patriote qui a eu un procès avec un patriote ne soit point victime d'une dénonciation haineuse. Réponds à ma lettre, redresse ma vue si elle est oblique. — J'ai embrassé les prisonniers, Ricord le premier, et je t'embrasse[35].

Si Robespierre répondait aux lettres d'Augustin, et surtout s'il était, dans ses réponses, en parfaite communauté de sentiments et d'idées avec lui sur la nécessité d'apporter une grande mesure dans la répression des crimes et des délits politiques, c'est-à-dire de ne point confondre les coupables avec les gens faibles ou égarés, c'est ce dont il est impossible de douter. Nous avons d'ailleurs à cet égard un témoin bien désintéressé, et par conséquent irrécusable, dans Napoléon Bonaparte. Officier d'artillerie à l'armée d'Italie, Bonaparte entra bien vite en relations suivies avec Augustin Robespierre, dont l'âge était en rapport avec le sien, et dont les opinions étaient précisément celles qu'il manifestait très-hautement lui-même. Il était animé d'un républicanisme ardent et sincère, de ce républicanisme pur, idéal, dont Maximilien Robespierre était la plus haute expression. Aussi avait-il pour ce dernier une très-vive admiration. L'estime qu'il portait à Augustin s'accrut bientôt d'une amitié véritable, et l'intimité la plus affectueuse s'établit entre eux[36]. Ils étaient devenus les confidents l'un de l'autre, se faisaient part de leurs impressions, de leurs sentiments, de leurs espérances, toutes alors pour la patrie et pour la liberté. Augustin montrait à Bonaparte les lettres qu'il recevait de son frère ; et c'est Napoléon lui-même qui nous apprend avec quelle indignation Maximilien blâmait les horreurs commises par certains proconsuls dont les atrocités et la tyrannie compromettaient, selon lui, la Révolution[37]. Nous aurons bientôt à raconter la guerre acharnée et vaine, hélas ! soutenue par Maximilien Robespierre contre ces commissaires barbares et insensés. Ces lettres si précieuses, qui passèrent sous les yeux de Napoléon pendant les deux missions d'Augustin Robespierre à l'armée d'Italie, que sont-elles devenues ? Elles ont été anéanties, il faut le craindre, car les ennemis de Robespierre se fussent bien gardés de laisser subsister de telles preuves de leurs infamies et de si excellentes protestations en faveur de leur victime ! C'est à coup sûr, un des vols les plus regrettables faits par les Thermidoriens à l'histoire.

Dépouillée de toute exagération, l'énergie de Robespierre jeune n'en produisait que plus d'effet ; ses paroles retentissaient au cœur des soldats de la République comme le cri de la patrie en danger. A une proclamation insensée dans laquelle les amiraux Hood et Langara avaient offert amnistie et rémission à tous les officiers, sous-officiers et soldats qui abandonneraient les drapeaux de l'anarchie pour se réunir à tous les Français fidèles, c'est-à-dire aux traîtres de Toulon, il adressait, de concert avec ses collègues Ricord, Barras et Fréron, cette hautaine réponse : Périsse à jamais la royauté ! tel est le cri de vingt-cinq millions de républicains français. Cette nation libre et puissante ne peut avoir rien de commun avec les despotes et les esclaves. Elle ne doit et ne veut communiquer avec eux qu'à coups de canon. Elle n'a pas besoin, pour combattre et vaincre ses ennemis, d'avoir comme eux recours à la trahison, à la perfidie, à la scélératesse[38]. C'était le 12 septembre qu'Augustin Robespierre et ses collègues envoyaient aux amiraux anglais et espagnol cette réponse superbe ; le lendemain, ils écrivaient à la Convention : Connaissant l'esprit de la Montagne, nous ne doutons pas que la Convention nationale n'approuve la hauteur républicaine de notre réponse aux amiraux de Pitt et non de la nation anglaise, que nous ne croirons jamais assez dépravée pour faire la guerre par des moyens si bas. Hood et Langara convinrent d'ailleurs eux-mêmes qu'aucune flotte n'eût été capable d'entrer dans Toulon si cette place n'avait point été livrée, et ils parlèrent dans les termes les plus méprisants des coupables habitants de cette ville, tant la trahison inspire de dégoût à ceux-là mêmes qui en profitent[39]. L'ardeur et l'enthousiasme des commissaires de la Convention s'étaient rapidement communiqués à nos troupes. Au Midi comme au Nord, nos soldats commençaient d'opérer des prodiges, et, vers la fin de ce même mois de septembre, Augustin Robespierre pouvait écrire au citoyen Tilly, notre chargé d'affaires à Gênes : Nous n'avons que le temps de vous apprendre, citoyen, que les armées de la République sont partout victorieuses ; que l'Espagnol et l'Anglais ont partout disparu de dessus la terre de la liberté. Toulon n'est pas encore soumis aux lois de la République, il est en ce moment bombardé, et les lâches y sont fort inquiets[40]. Le moment n'était pas éloigné, du reste, où la ville rebelle allait être emportée de vive force, et nous retrouverons tout à l'heure sous ses murs Augustin Robespierre et Napoléon Bonaparte.

 

V

Après avoir jeté un rapide coup d'œil sur la conduite de Robespierre jeune à l'armée d'Italie, examinons de quelle manière Couthon, ce grand honnête homme, ce frère de cœur de Maximilien, exerçait à Lyon les pouvoirs redoutables dont l'avait investi la Convention. On sait comment, à la voix des Girondins, la grande cité lyonnaise s'était mise en révolte ouverte contre la République, et personne n'ignore le mémorable siège soutenu par ses habitants sous la conduite du royaliste Précy.

Le siège durait depuis longtemps ; la Convention s'impatientait de tant de lenteur, quand, vers le milieu de septembre, elle adjoignit Couthon et Maignet aux représentants Dubois-Crancé, Gauthier, Reverchon, Laporte et Javogues, déjà chargés de soumettre les rebelles. Couthon était alors dans les montagnes du Puy-de-Dôme, où il s'empressa de lever une réquisition de paysans solides, — ses rochers d'Auvergne, comme il les appelait, — avec lesquels il arriva devant Lyon au commencement d'octobre. Selon lui, cette ville aurait dû être réduite depuis longtemps ; il reprocha avec quelque amertume à Dubois-Crancé d'avoir inutilement prolongé le siège en s'opposant à l'attaque de vive force instamment réclamée par nos troupes. A cela Dubois-Crancé répondait que la ville était dans un état déplorable et serait obligée de se rendre bientôt ; mais dans l'esprit de Couthon s'élevèrent contre son collègue des soupçons de trahison que partagea Robespierre, et celui-ci crut Dubois-Crancé réellement coupable d'avoir, à dessein, laissé échapper Précy[41].

Dubois-Crancé n'était cependant pas un modéré, tant s'en faut, car plus tard il reprocha à Couthon de n'avoir pas montré le visage sévère convenant, suivant lui, au représentant d'une grande nation outragée[42], et il fut l'un des alliés de Collot d'Herbois, de Fouché, de Carrier et autres dans la coalition qui renversa Robespierre. Couthon était un des signataires de la dépêche du comité de Salut public aux commissaires de la Convention devant Lyon, dépêche dont nous avons parlé plus haut et dans laquelle on recommandait si vivement aux députés en mission d'épargner ceux qui se soumettraient. Il savait d'ailleurs, par une lettre de son collègue Rouyer, que Lyon en masse n'était pas aussi coupable qu'on l'avait présenté. Tâchez, lui avait écrit Rouyer, d'empêcher qu'une pareille ville ne soit désolée, et que, sans s'entendre, des millions de patriotes s'entr'égorgent mutuellement[43]. Lyon, il est vrai, n'avait pas encore à cette époque exaspéré la Convention par sa résistance désespérée. Couthon n'en arriva pas moins avec l'intention bien arrêtée d'unir à une fermeté indomptable la modération dont Robespierre venait de donner un si frappant exemple en arrachant soixante-treize Girondins à la mort au moment même où son ami paraissait devant Lyon, car cette modération semblait à Couthon bien de nature à ramener à la République des milliers de citoyens égarés. Que les hommes qui n'ont pas de crimes à se reprocher soient tranquilles ; leurs personnes et leurs propriétés seront respectées. La loi ne frappe que les coupables, disait-il dans une proclamation où il annonçait aux Lyonnais que c'était à lui qu'ils avaient affaire désormais. Dubois-Crancé, en effet, et les autres représentants à qui l'on attribuait les lenteurs du siège, venaient d'être rappelés, et Robespierre n'avait pas été étranger à cette mesure, si nous nous en rapportons à son carnet, où nous lisons, au sujet des commissaires de l'Assemblée à Lyon : Envoyer Bô et Montaut, rappeler les autres, excepté Couthon et Maignet[44].

Ce n'était pas Couthon qui avait dénoncé son collègue Dubois-Crancé ; de toutes parts étaient parvenues au comité de Salut public des plaintes au sujet de ce représentant. Simond (du Bas-Rhin) avait écrit à Robespierre : Je continue à désapprouver les mesures politiques et militaires adoptées surtout par Dubois-Crancé devant Lyon, et je vous déclare que je le regarde comme l'homme le plus stupide ou le plus coupable qui ait paru avec qualité en cette affaire, et je le signe[45]. On voit si les présomptions de Robespierre étaient fondées.

Dans la nuit du 8 au 9 octobre 1793, la ville était emportée de vive force, et le 9 au matin les troupes de la République en prenaient possession. Le plus strict respect des personnes et des propriétés avait été recommandé aux soldats ; un ordre du jour, signé des représentants Couthon, Laporte et Maignet, menaça d'une exécution militaire immédiate quiconque serait pris à piller. Bien décidé à distinguer soigneusement entre les chefs de la révolte et ceux qui s'y étaient laissé entraîner par faiblesse ou par erreur, Couthon, de concert avec ses collègues, institua une commission militaire pour juger les cas de flagrant délit, et renvoya les autres cas à l'examen d'une commission de justice populaire devant s'entourer de toutes les formes protectrices des accusés et procéder par voie de jurés. Mais, à l'heure même où cette double commission commençait à fonctionner, la Convention nationale rendait contre la cité lyonnaise un décret terrible. Qui osera réclamer votre indulgence pour cette ville rebelle ? s'écria Barère, parlant au nom du comité de Salut public, dans la séance du 21 vendémiaire (12 octobre). Elle doit être ensevelie sous ses ruines. Que devez-vous respecter dans votre vengeance ? la maison de l'indigent, l'asile de l'humanité, l'édifice consacré à l'instruction publique ; la charrue doit passer sur tout le reste. Le nom de Lyon ne doit plus exister. Et, sur la proposition de Barère, la Convention décréta, entre autres mesures, qu'une commission extraordinaire ferait punir militairement et sans délai les contre-révolutionnaires de Lyon ; que la ville serait détruite ; qu'on ne laisserait debout que les maisons des pauvres, les habitations des patriotes égorgés ou proscrits, les édifices employés à l'industrie et les monuments consacrés à l'humanité et à l'instruction publique ; que le nom de Lyon serait effacé du tableau des villes de la République ; que la réunion des maisons conservées porterait désormais le nom de Commune-Affranchie ; enfin, que sur les ruines de Lyon s'élèverait une colonne destinée à attester à la postérité les crimes et la punition des royalistes de cette ville, et portant l'inscription suivante : Lyon fit la guerre à la liberté, Lyon n'est plus[46].

Tout dépendait maintenant de la manière dont serait exécuté ce décret formidable : Sauvez Lyon à la République, écrivait vers cette époque Hérault-Séchelles à Couthon[47] ; arrachez ce malheureux peuple à son égarement ; punissez, écrasez les monstres qui l'asservissent, vous aurez bien mérité de la patrie. Ce nouveau service sera un grand titre de plus dans votre carrière politique. Or, pour conserver à la République la grande cité lyonnaise, cette métropole du Midi, pour arracher ses malheureux habitants à l'égarement où ils avaient été plongés, ce n'était pas un bon moyen que de la décimer en masse et de livrer ses bâtiments à l'incendie ou à la pioche des démolisseurs. Tel était du moins l'avis de Couthon. De toutes les mesures grandes et vigoureuses prises par la Convention, une seule lui avait échappé, a-t-il écrit lui-même, celle de la destruction totale[48]. Oui, ajoutait-il, il faut que la ville de Lyon perde son nom... il faut que cette ville soit détruite. Mais dans sa pensée il s'agissait d'une destruction purement morale, et non point d'une destruction matérielle. Il était si peu dans ses desseins d'exécuter à la lettre le décret de la Convention que, le 20 octobre 1793, il écrivait à Saint-Just : Je vis dans un pays qui avait besoin d'être entièrement régénéré ; le peuple y avait été tenu si étroitement enchaîné par les riches, qu'il ne se doutait pour ainsi dire pas de la Révolution. Il a fallu remonter avec lui jusqu'à l'alphabet, et quand il a su que la Déclaration des droits existait, et qu'elle n'était pas une chimère, il est devenu tout autre. Puis, comme il désirait aller un peu respirer l'air de la Méditerranée pour remettre sa santé altérée, il priait son ami d'obtenir du comité de Salut public qu'on l'adjoignît aux commissaires en mission à Toulon, et il ajoutait : Fais-moi passer cet arrêté, et aussitôt le général ingambe se met en route, et ou l'enfer s'en mêlera, ou bien le système de vive force aura lieu à Toulon comme il a eu lieu à Lyon[49]. On a pu juger déjà comment Couthon entendait le système de vive force ; il est permis d'affirmer que, s'il fût allé à Toulon, il aurait détruit cette ville comme il a détruit Lyon. Rien ne ressembla moins, en effet, à son langage que ses actes. A l'heure où il écrivait à Saint-Just la lettre remarquable dont nous avons cité quelques extraits, il se bornait encore à renvoyer devant la commission militaire les plus compromis parmi les chefs de la révolte ; tout indiquait de sa part l'intention formelle de conserver réellement à la République une de ses plus florissantes cités. Cependant comme il était difficile de laisser au moins sans un semblant d'exécution un décret de l'Assemblée, Couthon, que ses infirmités empêchaient de marcher, imagina, le 5 brumaire (26 octobre), de se faire transporter dans un fauteuil sur la place de Bellecour ; là, frappant d'un petit marteau d'argent une des maisons de la place, il dit : La loi te frappe ; et ce fut tout[50]. C'est justement là ce qui faisait écrire un peu plus tard à Collot d'Herbois que la destruction n'était qu'une hypothèse, et que Couthon s'était trompé. Aussi regrettait-il de n'avoir pas été avec lui[51]. Cette façon de comprendre la destruction de Lyon n'était pas, comme on pense, du goût des enragés. Implicitement dénoncé aux Jacobins pour sa modération, Couthon revint à Paris, heureux d'avoir laissé intacte à la République cette grande cité que d'autres allaient prendre à tâche d'anéantir, et à sa place arrivèrent deux des plus terribles instruments de la Terreur, deux messagers de vengeance et de mort, Collot d'Herbois et Fouché.

 

VI

Fut-ce sur l'invitation de Robespierre que Collot d'Herbois accepta du comité de Salut public la mission de se rendre à Lyon ? C'est ce qui résulte d'un passage de la lettre de Collot à Maximilien déjà citée, et il n'y a rien d'impossible à cela. Aucun nuage, en effet, ne s'était encore élevé entre ces deux membres du comité ; leurs dissentiments auront pour cause principale précisément l'horrible façon dont Collot d'Herbois remplira sa mission, et Robespierre, à coup sûr, ne pouvait prévoir les épouvantables cruautés auxquelles allait se livrer son collègue, de concert avec le futur duc d'Otrante, cruautés destinées d'ailleurs à être surpassées par les réacteurs de Thermidor. Ce fut, du reste, comme on le verra plus tard, quand le hideux Fouché soupçonna Robespierre de vouloir lui faire demander compte du sang inutilement répandu à Lyon qu'il organisa contre lui le complot dont l'issue devait être si funeste à la République.

Quoi qu'il en soit, ce fut encore sur la-proposition de Barère que, dans sa séance du 9 brumaire (30 octobre 1793), la Convention ratifia l'arrêté du comité de Salut public chargeant Collot d'Herbois et Fouché de se rendre à Lyon. Nous avons sous les yeux les minutes des arrêtés concernant cette mission : deux seulement sont signés de Robespierre ; le plus important, celui qui permet à Collot de prendre toutes les mesures jugées nécessaires suivant les circonstances, n'est signé que de Collot d'Herbois lui-même, de Billaud-Varenne et de Barère[52]. Nous n'avons pas à raconter les détails de la mission de Collot et de Fouché à Lyon ; indiquons seulement par quelques traits rapides comment les gens de bien eurent à en gémir et regrettèrent amèrement le départ de l'homme qui avait si bien mis en pratique au milieu d'eux la politique de Robespierre.

Couthon était parvenu à améliorer singulièrement l'esprit public à Lyon, et il le trouvait bon en général ; telle n'est point l'opinion de Collot d'Herbois. Tu m'as parlé de l'esprit public de cette ville : penses-tu qu'il puisse jamais y en avoir ? écrit-il à son collègue. Je crois la chose impossible[53]. A peine arrivé, il s'indigne de voir encore debout cette ville superbe. Mais patience, sous deux jours sauteront les bâtiments de la place de Bellecour, respectés par Couthon, et la mine va accélérer les démolitions[54]. Selon Fouché et Collot d'Herbois, il n'y avait d'innocent dans l'infâme cité que quiconque avait été opprimé ou chargé de fers par les ennemis du peuple[55]. Un sursis ayant été obtenu en faveur d'un prisonnier voué par eux à la mort, ils se plaignent amèrement de n'avoir pas été consultés. Nous sommes en défiance contre les larmes du repentir ; rien ne peut désarmer notre sévérité, écrivent-ils à la Convention nationale. On n'ose pas vous demander le rapport de votre premier décret sur l'anéantissement de la ville de Lyon ; mais on n'a presque rien fait jusqu'ici pour l'exécuter. Les démolitions sont trop lentes ; il faut des moyens plus rapides à l'impatience républicaine. L'explosion de la mine, l'activité dévorante de la flamme peuvent seules exprimer la toute-puissance du peuple[56]. Peu de jours après, enveloppant tous les prêtres réfractaires ou assermentés dans une commune proscription, ils écrivaient encore à la Convention, sans distinguer entre l'innocent et le coupable : Leur arrêt est prononcé[57]. Mais ces moyens affreux étaient loin d'avoir l'approbation de Robespierre, qui, sourd aux instances de son collègue du comité de Salut public, garda à son égard un silence absolu. En vain Collot d'Herbois, attendant une lettre de lui avec la plus vive impatience, écrivit à Duplay pour le prier de recommander à son hôte bien-aimé de se décider à prendre la plume[58] ; en vain, s'adressant à Robespierre lui-même, il lui dit : Ecris-nous... peut-être as-tu tort de ne l'avoir pas fait[59]. Maximilien demeura muet. Ou bien, s'il se décida à écrire, ce fut sans aucun doute pour blâmer les fureurs de Collot d'Herbois et de Fouché, et les Thermidoriens se sont bien gardés de publier de pareilles lettres. Du reste, Collot d'Herbois connut le secret du silence de celui dont il regardait alors la vie comme si précieuse aux républicains[60] quand, de retour à Paris, il fut témoin de la lutte que Robespierre y soutenait contre les hébertistes, ses dignes alliés à lui.

Si la présence de Couthon était regrettée, on le comprend sans peine. Maintenant, que Robespierre ait désapprouvé les rigueurs excessives déployées à Lyon par Fouché et par Collot d'Herbois et qu'il ne fut pas en son pouvoir d'empêcher, c'est ce dont il est impossible de douter. Je t'assure que je me suis senti renaître, lui écrivait dans le courant de messidor un citoyen de Commune-Affranchie, lorsque l'ami sûr et éclairé qui revenait de Paris, et qui avait été à portée de vous étudier dans vos bureaux, m'a assuré que, bien loin d'être l'ami intime de Collot d'Herbois, tu ne le voyais pas avec plaisir dans le comité de Salut public[61]. Le système de Robespierre quant à la répression des crimes commis contre la République commençait alors à se révéler, et Maximilien attirait à lui toutes les âmes honnêtes du pays. Inexorable pour les grands coupables, il eût volontiers pardonné aux petits, à tous ceux qui n'avaient cédé qu'à l'égarement ou à la peur. Quel sublime rapport ! Combien il fait aimer la République ! Quelle profondeur de vues ! lui écrivait un autre citoyen de Lyon, du nom de Cadillot, après avoir lu un des magnifiques rapports que nous aurons à analyser. Et, après lui avoir raconté les épouvantables forfaits commis à Lyon par Fouché et Collot d'Herbois, comment l'innocence avait été confondue avec le crime non-seulement dans les incarcérations, mais dans les exécutions, Cadillot, dont la lettre respire d'un bout à l'autre le plus pur et le plus ardent patriotisme, s'écriait en terminant[62] : Ah ! si le vertueux Couthon fût resté à Commune-Affranchie, que d'injustices de moins ! Six mille individus, et non seize cents, n'auraient pas tous péri. Le coupable seul aurait été puni ; mais Collot. Ce n'est pas sans raison qu'il a couru à Paris soutenir son ami Ronsin. Il a fallu des phrases bien ampoulées pour couvrir de si grands crimes !...

Si donc la République démocratique pouvait se fonder en France, y prendre racine, c'était grâce aux hommes de la trempe de Robespierre et de ses amis. Partout où parurent Couthon, Saint-Just, Le Bas, Robespierre jeune, Ricord, Salicetti, la République triompha, se fit aimer ; partout, au contraire, où les ennemis de Robespierre exercèrent leur proconsulat, les Carrier à Nantes, les Fouché à Lyon, les Tallien à Bordeaux, elle eut toutes les peines du monde à s'affermir. Qui jamais se serait douté, avant le 9 Thermidor, qu'on couvrirait d'un voile si épais la vérité, et qu'à force de machiavélisme, de fraudes et de faux, on parviendrait à pervertir l'opinion publique ? Les habitants des départements où Robespierre jeune était salué comme un bienfaiteur savaient bien qu'Augustin reflétait toute la pensée de son frère, et leur reconnaissance ne manquait pas de monter vers Maximilien. De Manosque, petite ville du district de Forcalquier, où son frère en passant avait rendu les plus grands services, un citoyen, nommé Besson, lui écrivait au sujet d'Augustin et de cette petite cité : C'est lui qui l'a sauvée, avec Ricord, des injustices et de la tyrannie du Midi ; il s'y est immortalisé par sa générosité et par sa clémence : tu sens tout le prix de ses vertus[63]... Charles Nodier avait donc bien raison quand il écrivait qu'à la nouvelle du 9 Thermidor il y eut dans les départements un vague sentiment d'inquiétude parmi les républicains, qui craignaient, trop justement, hélas ! de voir tomber le grand œuvre de la Révolution avec la renommée prestigieuse de son héros[64].

 

VII

Retournons maintenant à Paris, où se faisait vivement sentir le contre-coup des événements dont le Midi était le théâtre. Ainsi, la nouvelle des mauvais traitements exercés à Toulon contre deux représentants du peuple, Pierre Bayle et Beauvais, amena la Convention nationale à décréter contre les étrangers les plus rigoureuses mesures. Bayle s'était suicidé de désespoir. Laisserait-on cette mort sans vengeance, et ne trouverait-on aucun moyen de punir les Anglais d'avoir provoqué l'odieuse trahison qui leur avait livré notre premier port de guerre ? Dans la séance du 18 vendémiaire (9 octobre 1793), Fabre d'Églantine renouvela devant la Convention une proposition déjà faite quelques semaines auparavant, celle d'arrêter tous les Anglais résidant en France et de saisir leurs propriétés. Un membre, Ramel, ayant combattu cette proposition comme contraire aux intérêts du pays, Robespierre prit la parole pour la soutenir. Quoi ! l'on semblait vouloir favoriser le commerce anglais, quand il était indispensable d'asseoir sur sa ruine la prospérité de la République française, et l'on se laisserait arrêter par de misérables chicanes au moment même où l'on apprenait que les barbares qui nous faisaient la guerre avaient assassiné un des fondateurs de cette République ? Je demande, s'écria-t-il, que vous ordonniez l'arrestation de tous les Anglais et la saisie provisoire de leurs propriétés. — Oui, oui ! s'écria-t-on dans toutes les parties de la salle. — Et cette mesure fut aussitôt votée au milieu des applaudissements[65].

Mais pourquoi la borner aux seuls Anglais ? Les Prussiens, les Autrichiens, avaient-ils causé moins de mal à la France ? Cette réflexion engagea plusieurs membres de l'Assemblée, entre autres Pons (de Verdun), à réclamer l'extension de cette loi à tous les étrangers. On connaît le fameux rapport de Saint-Just sur cette motion et le décret par lequel la Convention ordonna la détention, jusqu'à la paix, de tous les étrangers nés sujets des gouvernements en guerre avec la République, sauf les exceptions nécessaires pour préserver de tout préjudice l'intérêt national. Une pareille mesure atteignait nécessairement une foule d'intérêts privés. Cependant de tous les membres de l'Assemblée un seul réclama, ce fut Chabot.

L'ex-capucin venait d'entrer par son mariage dans la famille des Autrichiens Frey, dont la sœur lui avait apporté en dot l'énorme somme de 200.000 livres ; dans l'intérêt de ses beaux-frères, domiciliés en France, il réclama une exception en faveur des étrangers connus pour leur dévouement à la cause populaire, et demanda que la proscription absolue fût bornée aux seuls Anglais.

La distinction proposée par Chabot se trouva vivement combattue par Robespierre, aux yeux duquel les Prussiens et les Autrichiens étaient aussi dangereux que les Anglais. Maximilien se méfiait de tous les étrangers qu'on voyait s'insinuer dans les comités ou assemblées sectionnaires, et, sous les couleurs du patriotisme le plus chaud, semant la discorde, rôdant autour des citoyens et des législateurs, employant tantôt le poison du modérantisme, tantôt l'art de l'exagération, pour suggérer des idées plus ou moins favorables à leurs vues secrètes. Arrêté un moment ici par les applaudissements, Robespierre reprit en ces termes : Propose-t-on une mesure sage, mais cependant courageuse et calculée sur l'étendue des besoins de la patrie, ils disent aussitôt qu'elle est insuffisante et demandent une loi plus populaire en apparence, mais qui, par leurs menées, deviendrait un instrument de destruction. Propose-t-on une mesure plus douce, mais calculée encore sur les besoins de la patrie, ils s'écrient qu'il y a là de la faiblesse, que cette mesure va perdre la patrie. C'étaient là, selon lui, autant d'agents des puissances étrangères ; il fallait les atteindre, en dépit de leur art perfide et du masque dont ils ne cessaient de se couvrir.

Que si la mesure proposée venait à frapper quelques philosophes amis de l'humanité, il comptait sur leur dévouement et leur magnanimité pour accepter sans aigreur une détention qui aurait un terme et qui les conduirait avec tous les Français au bonheur de la liberté et de l'égalité[66]. On doit regretter que Robespierre n'ait pas hésité à envelopper Thomas Payne dans l'ostracisme commun ; mais les liaisons d'intimité existant entre le philosophe américain et les principaux membres de la Gironde rendaient Payne fort suspect alors. Ce ne fut point d'ailleurs sur la dénonciation de Maximilien qu'il fut arrêté[67]. Quant au baron prussien Anacharsis Cloots, un des étrangers envers qui Robespierre montra le plus de dureté, nous verrons bientôt comment il dut s'attirer l'inimitié profonde d'un homme qui avant toute considération plaça toujours le salut de la République et le triomphe de la Révolution. Ce que les étrangers causèrent de mal à la France aux jours des grands orages révolutionnaires, nul ne peut le nier. Le déchaînement contre eux fut général, et de fait il n'y a point trop à s'étonner si ceux-là étaient suspects dont la patrie faisait à la République une guerre acharnée. Si jamais idée bizarre entra dans la cervelle d'un historien, ce fut, à coup sûr, d'imaginer que le comité de Salut public proscrivit les étrangers uniquement pour complaire aux gouvernements armés contre la France, et pour les décider à la paix par le sacrifice de ceux de leurs nationaux qu'avait attirés la Révolution. Cela ne supporte même pas la discussion. La Convention nationale songea-t-elle à se montrer favorable aux souverains qu'elle combattait quand elle décréta qu'aucun étranger ne pourrait être admis à représenter le peuple français ? Bentabole se préoccupa-t-il de flatter les rois coalisés lorsqu'il demanda que les étrangers fussent exclus de toutes les fonctions publiques pendant la guerre ?

Un homme alors se leva pour empêcher l'Assemblée de voter d'enthousiasme cette dernière proposition, laquelle méritait, selon lui, un examen approfondi, parce qu'elle était de nature à influer sur les intérêts de la République, ce fut Robespierre. Vous avez ici, dit-il, des Belges et des Liégeois qui exercent avec honneur des fonctions publiques ; il serait peut-être injuste de les déplacer. Et, sur sa demande, la Convention chargea le comité de Salut public de lui soumettre un rapport sur les exceptions à apporter au décret contre les étrangers[68]. Ainsi donc, si quelque adoucissement se trouva apporté aux mesures de rigueur prises contre les étrangers, ce fut, en partie, grâce à Maximilien.

 

VIII

Sans doute il arriva plus d'une fois à Robespierre de se tromper, et, dans son désir ardent de conduire promptement la Révolution au port, de transgresser, sans le vouloir, les bornes de cette justice dont il était lui-même l'esclave. Ainsi, suivant nous, il avait tort de s'opposer à ce que les comités de surveillance fussent tenus de dresser des procès-verbaux en forme de toutes les arrestations ordonnées par eux et d'en indiquer les motifs. Il croyait trop à la simplicité et à la vertu des membres de ces sortes de comités, et craignait de les décourager en les astreignant à des formalités chicanières. Sans pitié pour le crime et la tyrannie, il tenait plus qu'aucun autre à ce que les patriotes opprimés par erreur en vertu de mesures révolutionnaires, fussent secourus et délivrés, — plus d'une fois nous l'entendrons élever la voix en faveur de citoyens injustement détenus —, mais il voulait surtout le salut de l'humanité, le triomphe de la patrie, et le temps ne lui paraissait pas venu encore de détendre les ressorts de l'énergie nationale[69]. Seulement il ne prit point garde que dans les comités de surveillance pouvaient se glisser des hommes malintentionnés qui useraient de leurs pouvoirs pour servir leurs rancunes personnelles ou leurs intérêts particuliers, et là fut son erreur. Moins d'arrestations arbitraires auraient eu lieu certainement si les comités de surveillance eussent été astreints à procéder avec des formes plus étroites, et tenus d'indiquer soigneusement les motifs des arrestations opérées par leurs ordres.

Bien rares, du reste, étaient les circonstances où Robespierre semblait pencher du côté des exagérés, et quand parfois on avait l'air de s'autoriser de quelques-unes de ses paroles pour émettre certaines propositions extravagantes, il se hâtait bien vite de protester et de rappeler à la sagesse ses collègues de la Convention ou des Jacobins, comme on l'avait vu au club, par exemple, dans a séance du 23 vendémiaire (14 octobre). Une discussion très-vive s'était engagée au sujet du rapport de Julien (de Toulouse), sur les départements insurgés, rapport dont ce député avait fait hommage à la société des Jacobins et à la commune de Paris. Un citoyen, après s'être plaint des nombreuses inexactitudes contenues dans ce rapport, avait conseillé à la Société d'en demander la révision à la Convention nationale.

Robespierre prononça à cette occasion un discours brûlant d'énergie et de patriotisme, s'il faut en croire les journaux du temps, car le texte de ce discours n'a pas été conservé. La mesure proposée était, à son avis, incompatible avec les principes ; en effet, disait-il en terminant, ou ce rapport est bon, ou il est mauvais : dans le premier cas, on le doit approuver sans rien changer ; dans le second, il est inutile d'y toucher ; on ne rétablit pas ce qui est aristocrate, ce qui est feuillantin. Or, aux yeux de Maximilien, ce rapport était contre-révolutionnaire, parce que les crimes des conspirateurs y étaient couverts d'un voile complaisant ; parce que les patriotes immolés y étaient traités comme des anarchistes ; parce que la mémoire même des martyrs de la liberté, comme Chalier, y était indignement outragée. Comment ne pas s'étonner de l'impudence avec laquelle on répandait tant de calomnies du haut de la Montagne, où avait fini par s'asseoir Julien après avoir flotté indécis entre tous les partis. En voyant de prétendus patriotes insulter aux malheureuses victimes de la réaction, en songeant à Précy échappé, en songeant surtout à tant d'innocents massacrés, Robespierre s'écriait, dans une sorte d'exaltation patriotique : Il faut que leur mémoire soit vengée ; il faut que les monstres soient démasqués, exterminés, ou que je périsse !

Arrêté un moment par des applaudissements universels et réitérés, il s'étonna, en reprenant, que la municipalité eût accepté l'hommage d'une œuvre semblable. C'était, sans doute, par le fait d'une erreur. Aussi engagea-t-il la société à répudier, pour sa part, cet hommage impur, et à envoyer des commissaires auprès de la commune pour l'inviter à rayer de ses registres une acceptation surprise à sa bonne foi.

Alors monta à la tribune le citoyen Brichet, un ami d'Hébert, un des énergumènes les plus violents de l'époque. Il aurait voulu qu'on guillotinât tous les épiciers qui ne justifieraient pas de la vente de leurs denrées. Le guide des opérations de l'armée révolutionnaire devait être, à son avis, la fortune des fermiers. Qu'en arrivant dans un village, disait-il, elle s'informe si le fermier de l'endroit est riche. Sur l'affirmative, on peut le guillotiner ; à coup sûr c'est un accapareur[70]. Voilà bien un des hommes dont Robespierre disait qu'ils conseillaient la folie. Brichet se livra, au sujet du rapport de Julien (de Toulouse), à une intempérance de langage dont la réponse de Maximilien suffit à donner une idée : Je n'ai pas prétendu, dit ce dernier, que l'enthousiasme se mêlât à cette affaire ; des gens semblent s'y laisser entraîner, et peut-être entre-t-il dans le calcul de quelques-uns de poignarder les plus fermes appuis de la liberté et du peuple, après avoir anéanti les traîtres. Je n'ai dénoncé qu'à regret un ouvrage dont j'ai vu l'auteur marcher longtemps sur la ligne des meilleurs patriotes. Il ne s'agit donc point ici d'arrestation ni de guillotine ; il s'agit de sauver la liberté par des mesures sages, et celles que l'on semble vouloir prendre en ce moment ne sont pas du nombre. Quant à lui, il se contentait d'insister pour l'adoption de ces deux mesures, à savoir : refuser l'hommage du rapport et inviter la municipalité à en faire autant. Ce fut à quoi se résolut la Société, après avoir entendu les explications de Julien (de Toulouse), lequel s'était excusé de son mieux des erreurs par lui commises, et avait fini par demander qu'on chargeât quelqu'un de rédiger un nouveau rapport, tout en déclarant être prêt à recommencer son travail[71].

Le jour même de cette séance des Jacobins se jugeait au tribunal révolutionnaire le procès de la reine. La culpabilité de Marie-Antoinette ne saurait être révoquée en doute ; elle ressort de toute sa conduite, de toute sa correspondance, de ses propres lettres éditées à grand luxe aujourd'hui. Néanmoins, nous ne saurions nous empêcher de déplorer sa condamnation, comme celle de toutes les femmes inutilement sacrifiées par la Révolution. L'ancien régime n'avait ni respect ni souci de la femme ; nous aurions aimé à pouvoir glorifier la Révolution de s'être montrée, sur ce point comme sur tous les autres, supérieure à nos pères, et d'avoir rendu sacrés à jamais les flancs précieux d'où sortent les générations humaines. Si quelque chose d'ailleurs est de nature à solliciter notre pitié pour la femme de Louis XVI, ce sont les injures, les invectives dont l'ont poursuivie les Fréron, les Guffroy, les Hébert, tous ces démocrates de tréteaux qu'une certaine école entreprend — triste entreprise, hélas ! — de nous présenter comme les républicains par excellence. Dès le 25 septembre, le journal de Guffroy insérait une adresse où l'on demandait la mort de cette Messaline autrichienne, de cette femme effrontée comme une reine, scélérate comme une reine, exécrable p... comme une reine[72]. Le cœur se soulève indigné, n'est-ce pas, à cet outrage au malheur ? Mais cela n'est rien auprès des gentillesses de l'ami Hébert. J'espère qu'aujourd'hui, écrivait le Père Duchesne[73], le tribunal révolutionnaire va faire jouer l'archi-tigresse d'Autriche à la main chaude. Il y a longtemps que nous aurions dû voir sa b... de tête à la lunette. Il fallait la voir quand on lui a mis devant sa face ridée le miroir de vérité. Cependant, autant qu'elle a pu, elle a fait contre fortune bon cœur ; mais f... ! quand elle a été convaincue d'avoir recueilli le premier fruit de la vigne qu'elle avait plantée, et d'avoir fait avec le petit avorton du Temple comme le paillard Lot avec ses filles, alors la g... a perdu la carte. On sait à quoi Hébert faisait ici allusion, et quelle odieuse accusation il produisit au tribunal contre Marie-Antoinette. On sait aussi quel cri sublime s'échappa de la poitrine de l'accusée, cri de mère outragée qui retentit dans le cœur de toutes les mères.

Nous avons déjà dit le dégoût profond de Robespierre pour les diatribes ordinaires du Rougyff et du Père Duchesne. En apprenant les détails de l'obscène déposition d'Hébert, il ne put s'empêcher de s'écrier : Le misérable ! non content de la présenter comme une Messaline, il a voulu en faire une Agrippine ![74] Exclamation d'honnête homme que ne put contenir Robespierre, et que l'histoire ne saurait dédaigner.

 

IX

Quinze jours après avoir jugé la reine, le tribunal révolutionnaire eut à s'occuper des Girondins. Dans ses Mémoires, ou plutôt dans son Mémoire justificatif, Garat prétend qu'il tenta une démarche auprès de Robespierre pour tâcher de sauver les vaincus du 31 mai, ou du moins pour obtenir qu'ils ne fussent pas jugés par un tribunal érigé malgré leurs réclamations. Or, il y a là une erreur capitale. Si une voix de la Gironde protesta contre la formation de ce tribunal, à laquelle Robespierre, comme on l'a vu, était resté complètement étranger, il n'en est pas moins vrai que le parti tout entier en adopta chaudement le principe. Est-ce que ce ne fut pas Isnard qui rédigea le premier article du décret ? Est-ce que les Girondins montrèrent le moindre scrupule quand ils traduisirent Marat devant ce tribunal ? Est-ce qu'ils ne se seraient pas empressés d'y renvoyer tous leurs adversaires s'ils avaient été vainqueurs ? Il est assez bon pour eux, aurait répondu Robespierre.

Chabot, au contraire, présent à la conversation, aurait osé soutenir, toujours d'après Garat, qu'il fallait un autre tribunal[75]. Cette prétendue pitié de Chabot opposée par l'ancien ministre de l'intérieur à l'inflexibilité de Maximilien fera certainement sourire tous ceux qui ont lu l'interminable déposition de l'ex-capucin dans le procès des Girondins. Impossible, en effet, de charger plus impitoyablement les accusés[76] !

Battu sur ce point, Garat eut l'idée, assure-t-il encore, de s'offrir pour être l'un des défenseurs officieux des députés détenus. A cette proposition, Robespierre, souriant d'un sourire moitié gai, moitié amer, ne put s'empêcher de dire : Ils riraient bien eux-mêmes s'ils pouvaient vous entendre. Eux vous auraient fait guillotiner très-officieusement. Garat alors : En tout, je crois qu'ils auraient peu guillotiné. Et Robespierre de répondre : Peu est bon[77]. Tout cela pouvait être fort du goût des réacteurs de l'an III, pour lesquels Garat écrivait son Mémoire, mais rien n'était plus éloigné de la vérité, et je le prouve. D'abord, rien n'empêchait Garat de se présenter au tribunal révolutionnaire comme défenseur officieux des Girondins, et il ne le fit point. Ensuite, et ceci est sans réplique, à l'époque du procès de la Gironde, Garat rédigeait, avec Alexandre Rousselin, ce jeune et ardent ami de Danton dont nos lecteurs ont déjà pu apprécier l'ardeur révolutionnaire, un journal intitulé la Feuille du salut public. Eh bien ! nous lisons dans le numéro du 11 septembre 1793, ces lignes assez explicites : Quand on imagine que la plus grande partie de nos maux est l'ouvrage de Brissot et consorts, il est permis de s'étonner que ces monstres respirent encore, et que la loi n'en ait pas fait justice[78]. Et ce n'est pas tout : Garat s'étant trouvé arrêté momentanément par erreur, son collaborateur Alexandre Rousselin s'exprima en ces termes : En apprenant l'arrestation de Garat, ses amis n'ont rien craint ; mais une prévention bien flatteuse les rassure davantage encore, c'est que tous les Brissotins jouissaient avec impudeur de l'espoir de se venger obliquement d'un homme qui a toujours méprisé leurs complots. Ces messieurs n'oublient pas que ce fut lui qui, le 31 mai, par un discours plein d'énergie, accéléra ces grandes mesures qui sauvèrent la République[79]. Que penser après cela des lamentations de Garat en 1795 ?

L'ancien ministre de la République est-il plus exact lorsqu'il raconte qu'étant allé voir Danton, en désespoir de cause, il le trouva malade de tout ce qui se préparait, et n'obtint de lui que cette réponse accompagnée de grosses larmes : Je ne pourrais pas les sauver. Mais, prévoyant l'objection, Garat a soin d'ajouter : J'entends ici les ennemis de Danton, et même les amis de la vérité, qui me demandent si Danton ne pleurait pas alors sur des victimes que lui-même avait mises sur la route de l'échafaud et sous la main des bourreaux[80]. Si nous insistons ainsi sur des détails peu importants en apparence, c'est qu'à l'aide de ces récits intéressés et arrangés après coup, nous voyons aujourd'hui encore opposer cette sensibilité de Danton, se couvrant sous des rugissements, au prétendu tempérament sanguinaire de Maximilien.

Quant à l'explication du peu d'impartialité de Garat en cette circonstance, elle est bien simple, et nous l'avons donnée déjà : à l'époque où il écrivait son mémoire justificatif, les survivants de la Gironde et les amis de Danton étaient les maîtres de la situation, et Dieu sait comment ils entendaient la modération ! Mais nous avons dit aussi quelle était sa pensée vraie, son dernier mot sur Robespierre ; il alla plus tard, on l'a vu, jusqu'à le comparer au fils du charpentier de Bethléem, et cette opinion, dépouillée de tout intérêt personnel, exprimée librement, à l'heure où, sur le soir de sa vie, cet homme de bien faisait un retour sur les hommes et les choses de la Révolution, que mieux que personne il était à même de juger, est la seule à laquelle nous puissions nous arrêter[81].

A Robespierre pas plus qu'à Danton il n'eût été possible de sauver les Girondins livrés par un, décret de la Convention au tribunal révolutionnaire. Il suffit de jeter les yeux sur les journaux de l'époque pour se former une idée précise de l'exaspération dont ils étaient devenus l'objet. Leur crime n'était-il pas inscrit en caractères sanglants dans l'Ouest et dans le Midi ? Lyon, Marseille, Toulon livré aux Anglais, ne se levaient-ils pas contre eux ? Robespierre, du reste, ne figura pas comme témoin dans leur procès, où déposèrent de la façon la plus accablante pour eux plusieurs représentants du peuple. Il est à croire qu'il se serait récusé. Une seule fois, durait le cours de ce procès, il prit la parole à la Convention sur une question intéressant tous les accusés en générale et voici à quelle occasion. Au gré des enragés, les débats n'allaient point assez vite ; peu s'en fallait qu'Hébert et Chaumette n'accusassent les jurés et le tribunal d'être de connivence avec les prévenus. Le 7 brumaire (28 octobre), l'un et l'autre coururent aux Jacobins. Chaumette demanda qu'on vouât à l'exécration les hommes qui défendraient les assassins du peuple, et, sur la proposition d'Hébert, il fut décidé qu'une députation se rendrait à la Convention pour lui demander le jugement de Brissot et consorts dans les vingt-quatre heures[82].

Le lendemain, en effet, des commissaires de la société ayant à leur tête -Xavier Audoin, le gendre de Pache, se présentèrent à la barre et réclamèrent de l'Assemblée une loi qui débarrassât le tribunal révolutionnaire des formes sous lesquelles étouffait la conscience des jurés et qui permît à ceux-ci de se déclarer suffisamment instruits quand ils le jugeraient à propos. Aussitôt le, député Osselin convertit en motion cette seconde partie de la pétition.

Mais alors il serait donc loisible aux jurés de clore les débats dès le premier jour, dès la première heure, si d'avance ils s'étaient formé une conviction, et d'ôter ainsi aux accusés tout moyen de défense ?

Le vague de la rédaction d'Osselin était de nature à soulever de pareilles craintes. Robespierre le sentit, et il présenta une rédaction nouvelle, conciliant, selon lui, les intérêts des accusés avec ceux de la patrie. C'était au président du tribunal de demander aux jurés, mais après trois jours de débats seulement, si leur conscience était assez éclairée ; en cas de réponse négative, l'instruction devait continuer jusqu'à ce qu'ils se déclarassent suffisamment instruits.

L'esprit de cette proposition ayant été adopté par l'Assemblée, Osselin rédigea son projet vraisemblablement d'après le brouillon que lui communiqua Robespierre, et sa motion fut, cette fois, convertie en décret[83].

Assurément la mesure conseillée par Maximilien était singulièrement large et libérale, comparée à la pétition présentée à l'instigation d'Hébert ; mais ce n'en était pas moins une restriction à la liberté de la défense, et nous ne saurions nous empêcher de la blâmer. Robespierre croyait concilier les intérêts des accusés avec le salut de la patrie, il se trompait. Aucune considération ne doit l'emporter sur celle de la justice. Donner pour limites à la défense des accusés le bon plaisir du juge, c'est enfreindre les lois primordiales de la justice. Maintenant, Robespierre confondit-il, involontairement même, ses rancunes personnelles avec le salut de la République ? Se souvint-il que les hommes traduits aujourd'hui devant le tribunal redoutable où ils avaient tout fait pour l'envoyer l'avaient persécuté avec un acharnement sans exemple, dévoué aux poignards des assassins, regrettaient enfin de l'avoir laissé jouir de l'impunité physique ?[84] Rien n'autorise à le supposer. Et si l'on se rappelle les chaleureux efforts tout récemment déployés par lui, et couronnés de succès, pour arracher à l'échafaud les soixante-treize signataires de la protestation contre le 31 mai, on est bien obligé d'avouer qu'en ces lamentables circonstances il sut, au contraire, étouffer dans son cœur de profonds et légitimes ressentiments.

 

X

Les Girondins avaient entraîné dans leur chute la femme de leur ministre d'élection, Mme Roland. Arrêtée à la suite du 31 mai parles ordres de la commune, l'illustre femme n'allait pas tarder à suivre ses amis sur l'échafaud. Un instant elle avait pu croire à une destinée meilleure ; un instant les portes de la prison s'étaient ouvertes pour elle. Mais des tigres altérés de son sang n'entendaient point lâcher ainsi leur proie. A peine en liberté, elle était arrêtée de nouveau et plongée dans les cachots de Sainte-Pélagie, d'où elle ne devait plus sortir que pour se rendre, dans la fatale charrette, sur la place de la Révolution. L'horrible Père Duchesne, ce pauvre Hébert, comme disent, on le sait, les néo-hébertistes, ne lui avait-il pas pronostiqué son sort ? Du temps qu'elle était à l'Abbaye, le substitut du procureur de la commune avait raconté dans sa feuille qu'il était allé lui rendre visite sous l'apparence d'un brigand de la Vendée, et qu'ayant, à l'aide de ce déguisement, obtenu l'aveu des relations de Roland avec les Brissotins, il s'était écrié en se découvrant : Oui, f... ! tu l'as dit, vieux sac à contre-révolution ! Reconnais le Père Duchesne ; je t'ai laissée défiler ton chapelet pour te connaître. Le pot aux roses est découvert. Tous tes projets s'en vont a vau-l'eau. Non, les Français ne se battront pas pour un crâne pelé comme celui de ton vieux cocu, et pour une salope édentée de ton espèce. Pleure tes crimes, vieille guenon, en attendant que tu les expies sur les échafauds, f... ![85] Et ces ordures, les porteurs du journal venaient les colporter sous les fenêtres mêmes de la prison.

Il faut voir, dans les Mémoires de Mme Roland, comme l'amour-propre de la femme outragée se révolte contre cet odieux pamphlet où les vraisemblances physiques n'étaient pas mieux ménagées que les autres[86]. Poursuivre jusqu'à la mort cette Égérie du parti de la Gironde, passe encore, les passions politiques ont été de tout temps si impitoyables ! mais insulter la victime en de pareils termes, la frapper ainsi dans son orgueil de femme et d'épouse, torturer l'âme avant de tuer le corps, n'était-ce pas la plus odieuse des lâchetés ?

Ah ! comment s'étonner de l'invincible répulsion de Robespierre pour les hommes comme Hébert ! — Robespierre ! A coup sûr, dans la solitude de sa prison, Mme Roland pensa plus d'une fois à cet ancien objet de son culte et de son admiration. Qui sait ? Peut-être un secret remords lui vint-il de n'avoir pas usé de son influence pour éteindre dans le cœur de ses amis la haine et la jalousie dont ils étaient animés contre Maximilien ; peut-être se reprocha-t-elle d'avoir trop facilement sacrifié à sa passion pour Buzot celui que dans les derniers mois de l'année 1791 elle regardait encore comme le plus pur et le plus dévoué serviteur de la Révolution ? Or Robespierre n'avait pas changé, lui ; il mourra en 1794 ce qu'il était en 1789 ; mais le cœur de la femme, nous l'avons dit, avait subi de mystérieuses transformations. L'ami fut vaincu par l'amant.

Un jour, vers la fin du mois de septembre, se trouvant malade et couchée à l'infirmerie de Sainte-Pélagie, elle reçut la visite d'un étranger. C'était un médecin. Je suis, lui dit le docteur en apprenant son nom, l'ami d'un homme que peut-être vous n'aimez point. — Mais ici laissons la parole à Mme Roland : Qu'en savez-vous, et qui est-ce ?Robespierre. — Robespierre ! Je l'ai beaucoup connu et beaucoup estimé ; je l'ai cru un sincère et ardent ami de la liberté. — Eh ! ne l'est-il plus ?Je crains qu'il n'aime aussi la domination, peut-être dans l'idée qu'il sait faire le bien ou le veut comme personne ; je crains qu'il n'aime beaucoup la vengeance, et surtout à l'exercer contre ceux dont il croit n'être pas admiré ; je pense qu'il est très-susceptible de préventions, facile à se passionner en conséquence, jugeant trop vite comme coupable quiconque ne partage pas en tout ses opinions. — Vous ne l'avez pas vu deux fois !Je l'ai vu bien davantage ! Demandez-lui ; qu'il mette la main sur sa conscience, et vous verrez s'il pourra vous dire du mal de moi[87].

Avec combien plus de raison pourrait-on retourner contre les Girondins les reproches adressés ici à Robespierre ! Cette soif de domination, ce désir de vengeances, ces préventions étonnantes contre quiconque ne partageait pas en tout leurs opinions, n'était-ce point là précisément les défauts essentiels des Girondins ? Nous l'avons, Dieu merci ! démontré par des preuves sans réplique dans la seconde partie de cette histoire[88]. Mme Roland s'exprimait ainsi le 23 septembre 1793. Or, à quelques jours de là, Robespierre arrachait au bourreau soixante-treize partisans de la Gironde. Étaient-ils de ses amis, ou partageaient-ils en tout ses opinions, ces hommes qui lui durent la vie ; et qui, après l'avoir salué comme un sauveur, firent chorus, après Thermidor, avec la tourbe de ses détracteurs[89] ? Et Mme Roland qui, elle-même souffrait si cruellement de la calomnie, comment a-t-elle pu sciemment et de gaieté de cœur calomnier d'une façon si grossière en maint passage de ses Mémoires celui qu'elle avait beaucoup connu et beaucoup estimé avant de se donner tout entière, d'âme au moins, à l'homme dont l'étrange conduite contribua tant à égarer le parti de la Gironde et à le pousser dans la voie fatale au bout de laquelle il devait se heurter à l'échafaud ?

Quand le médecin se fut retiré, Mme Roland eut l'idée de s'adresser à Robespierre, et, d'un trait, elle lui écrivit une longue lettre qui commençait ainsi : Robespierre, si je me trompe, je vous mets à même de me le prouver, c'est à vous que je répète ce que j'ai dit de votre personne, et je veux charger votre ami d'une lettre que la rigueur de mes gardiens laissera peut-être passer en faveur de celui à qui elle est adressée. Mme Roland doutait que cette lettre pût parvenir à son destinataire, et elle avait raison. Robespierre avait beau être une puissance morale extraordinaire, il avait beau être membre du comité de Salut public, les terroristes à l'instar de Fouquier-Tinville ne se croyaient pas obligés à une bien grande déférence envers lui, et nous verrons le terrible accusateur public retenir de sa propre autorité des lettres qu'il était chargé de faire parvenir à Maximilien, comme s'il eût craint que ce dernier n'arrachât encore quelque proie au tribunal révolutionnaire.

La lettre de Mme Roland était loin, du reste, d'être une prière ou une plainte. Accusée d'être la complice des Girondins et d'avoir avec eux corrompu l'esprit public, l'illustre femme ne croyait pas avoir à réfuter ce qui était à ses yeux le plus curieux des reproches et la plus absurde des imputations ; Robespierre ne lui paraissait pas homme à croire une chose uniquement parce qu'elle se trouvait écrite ou qu'on la lui avait répétée. Dans cette lettre, fière et touchante à la fois, elle revenait sur sa vie passée, sur ses études sérieuses, sur ses goûts simples, sur son enthousiasme pour la Révolution, qu'avait, sans qu'elle s'en aperçût peut-être, singulièrement altéré le passage de son mari au pouvoir. Elle parlait aussi des souffrances de la prison, de sa douleur, trop compréhensible, hélas ! d'être séparée de sa petite fille arrachée du sein qui l'avait nourrie ; toutefois elle se défendait de vouloir exciter une pitié au-dessus de laquelle elle se mettait ; mais quel cœur barbare n'eût compati à cette douleur si poignante et si juste ! Résignée à son sort, elle espérait que sa lettre serait lue avec recueillement par Robespierre et pourrait ainsi ne pas être inutile à son pays, sur la destinée duquel, même à cette heure suprême, elle se flattait encore d'exercer quelque influence[90].

L'idée de cette lettre, le soin de l'écrire, le projet de l'envoyer, occupèrent pendant vingt-quatre heures l'esprit de la prisonnière ; mais, après l'avoir écrite avec tout le soin possible, elle renonça au dessein de la faire parvenir à Robespierre, doutant de l'efficacité de ses réflexions sur un homme coupable, selon elle, de sacrifier des collègues dont la pureté lui était connue. La pureté des Girondins ! Aveuglement bien excusable, du reste, de la part de cette pauvre Mme Roland. Il faut regretter qu'en écrivant sa lettre pour la postérité, elle n'ait point persisté dans son projet de l'envoyer à Robespierre. Bien que dans notre conviction Maximilien n'aurait pas eu le pouvoir d'arracher cette grande victime à l'échafaud, pas plus qu'il ne lui fut possible, un peu plus tard, de sauver la sœur de Louis XVI, peut-être eût-il tenté un effort. Il faut regretter même qu'il ne l'ait pas fait spontanément, car il eût honoré sa mémoire en élevant la voix en faveur de la femme distinguée dont il avait été l'ami, et dont la mort est certainement un des plus grands crimes de la Révolution.

 

XI

Quand on examine avec quelque attention l'œuvre immense du comité de Salut public, ses prodigieux efforts pour accomplir le bien, pour empêcher le mal, il est impossible de s'étonner qu'au milieu de leurs travaux multipliés ses membres n'aient pu s'occuper d'une foule de questions de détail laissées aux soins du comité de Sûreté générale et des comités de surveillance. Le département et surtout la commune de Paris n'étaient pas fâchés de se soustraire à l'autorité de la Convention, et il n'était pas rare de leur voir prendre des mesures diamétralement opposées aux vues du comité de Salut public. Ce fut ainsi qu'une foule d'arrestations sans raison d'être furent opérées au grand scandale de Robespierre, qui s'épuisera en vains efforts pour modérer le zèle inconsidéré des uns et réprimer l'exagération perfide des autres. Quant aux arrestations directement ordonnées par le comité de Salut public afin de s'assurer des personnes de contre-révolutionnaires gravement compromis, elles sont peu nombreuses relativement. Nous en avons sous les yeux un relevé très-exact, et nous remarquons que la signature de Robespierre est une de celles qui figurent le moins souvent au bas de ces ordres d'arrestation[91].

Plus d'une fois il arriva au comité d'être obligé de protéger ses propres agents. Ainsi, Beaumarchais ayant été chargé d'une mission par lui, le directoire de Paris considéra comme un fait d'émigration l'absence de l'illustre écrivain et le coucha sur la liste des émigrés. Il fallut un arrêté formel du comité pour annuler la décision du directoire[92]. Voici un exemple plus frappant encore de l'impuissance où se trouva souvent le comité de Salut public de prévenir des arrestations injustes. Un citoyen du nom de Julien, administrateur de la fabrication des armes, avait été incarcéré par les ordres du comité de Sûreté générale. A diverses reprises le comité de Salut public intervint, mais inutilement, pour obtenir la liberté de ce citoyen. Ses membres se décidèrent enfin, le 16 frimaire, à s'adresser en ces termes à leurs collègues du comité de Sûreté générale : Le comité de Salut public invite le comité de Sûreté générale à rendre la liberté au citoyen Julien, administrateur de la fabrication des armes, dont le civisme lui est connu, dont les talents sont essentiels à cet établissement important, détenu depuis longtemps à la maison d'arrêt de la section de Popincourt. Le comité de Sûreté générale est prié de se rappeler que la liberté de ce citoyen a déjà été promise trois ou quatre fois[93]. Ce n'était pas non plus sans peine qu'au commencement de brumaire le comité de Salut public s'était opposé à de nouvelles visites domiciliaires annoncées par divers comités de surveillance.

Une telle mesure était, selon Robespierre, de nature à troubler la tranquillité publique, à favoriser les ennemis de la liberté ; et, de sa main, il écrivit l'arrêté par lequel il fut fait défense à qui que ce fût de s'y prêter[94]. Vers le même temps, et pour concilier les droits de l'humanité avec les exigences rigoureuses du salut de la République, le comité enjoignait au directoire du département de veiller attentivement à ce qu'il ne fût commis ni exactions ni vexations, à l'égard des prisonniers, de la part des préposés à la garde des maisons de détention, et il l'autorisait à punir très-sévèrement les coupables[95].

Pour entretenir dans les cœurs le feu sacré, la haine des tyrans, l'enthousiasme de la liberté, il arrêta que, dans tous les théâtres de la République, la Marseillaise, connue alors sous le nom d'hymne de la liberté, serait chantée régulièrement tous les décadis et chaque fois que le public la demanderait. Ses proclamations aux armées, on les connaît. Rien de beau, de sublime souvent, comme ce sursum corda révolutionnaire. En voici une rédigée et écrite par Maximilien ; nous la donnons intégralement comme une preuve de plus de l'erreur où sont tombés tous ceux qui, sur le témoignage intéressé et peu véridique de Carnot, quand il s'agit de Robespierre, ont prétendu que ce dernier s'occupait peu ou point des affaires de l'armée :

Soldats républicains, de lâches satellites de la tyrannie ont fui devant vous. A votre approche ils ont abandonné Dunkerque et leur artillerie ; ils se sont hâtés d'échapper à leur ruine entière en mettant la Sambre entre eux et vos phalanges victorieuses. Le fédéralisme a été pris, frappé dans Lyon ; l'armée républicaine est entrée dans Bordeaux pour lui porter le dernier coup. Les défenseurs de la République viennent de détruire les repaires des rebelles de la Vendée. Ils ont exterminé leurs cohortes sacrilèges. Cette terre coupable a dévoré elle-même les monstres qu'elle a produits ; le reste va tomber sous l'indignation populaire. Partout où la tyrannie n'a point trouvé l'appui de la trahison, la victoire a suivi les dignes enfants de la liberté, et le génie du peuple français a triomphé. Soldats républicains, il reste encore au delà de la Sambre, il reste sur les bords du Rhin et de la Moselle, à Toulon même, il reste des esclaves féroces armés contre la sainte cause que nous défendons. Ils sont couverts du sang de vos femmes et de vos enfants, du sang des représentants de la nation. Ô douleur ! il y en a jusque dans nos cités ; il en reste dans l'exécrable Toulon. Le moment est venu de punir tous leurs forfaits ; l'heure fatale des tyrans sonne, et c'est par vos mains qu'ils doivent périr.

Soldats républicains, la patrie vous regarde, la gloire vous appelle, les mânes de vos frères égorgés vous implorent ; les représentants de la nation vous encouragent et vous disent : Marchez ! frappez ! Que dans un mois le peuple français soit vengé, la liberté affermie, la République triomphante ! Que les tyrans et les esclaves disparaissent de la terre ; qu'il n'y reste plus que la justice, le bonheur et la vertu ![96]

Les frontières du Rhin et de la Moselle étaient en effet les plus menacées, mais Saint-Just et Le Bas étaient là. Soutenez l'espérance des patriotes, leur écrivait le comité en leur envoyant un plan de campagne et en leur promettant des renforts ; exagérez les secours que nous vous annonçons, et méditez un grand coup[97].

A quelque temps de là le grand coup était frappé ; et, dans la séance du 1er frimaire (21 novembre), aux Jacobins, Robespierre pouvait dire avec raison, après avoir fait part des prodigieux succès obtenus sous l'énergique impulsion de Saint-Just et de Le Bas, que pour arriver à ces brillants résultats il avait été nécessaire d'envoyer deux représentants du peuple qui eussent à la fois de la tête et du cœur[98]. Il fallait à toutes les gloires républicaines la sanction de cette société fameuse, foyer ardent de patriotisme. Aujourd'hui que ce nom de Jacobin est devenu presque une injure aux yeux de certaines gens, tant la calomnie s'est acharnée sur la mémoire de ceux qui l'ont porté, on semble ignorer de quelle sorte d'influence magique il était doué et quel prestige il exerçait. C'était le temps où Kellermann écrivait de Chambéry à la société pour la prier de lui décerner le titre de général des Jacobins. Mais Robespierre avait un jour manifesté sur les sentiments républicains de cet officier des doutes qui n'étaient point effacés[99] ; loin d'accéder à la demande de Kellermann, la société le raya de la liste de ses membres, sur la proposition de Pereyra[100]. Combien ambitionnèrent alors un diplôme de Jacobin, qui depuis, avec non moins d'ardeur, ont sollicité des titres de comte ou de duc !

 

XII

Si Robespierre se méfiait du futur duc de Valmy, il n'avait pas le même manque de confiance à l'égard des généraux Hoche, Jourdan, Beauregard, Duquesnoy et d'autres, dont il fut le défenseur constant et l'ami. Quand il reprochera à Carnot de persécuter les généraux patriotes, il aura surtout en vue le jeune et glorieux Lazare Hoche. Qu'on cite donc un officier sincèrement républicain qu'il ait dénoncé ! Ceux des généraux contre lesquels il prononça des paroles sévères furent des traîtres ou se montrèrent coupables de fautes impardonnables ; et la suite fit bien voir qu'il ne s'était pas trompé en conseillant à ses collègues d'épurer les états-majors de nos armées.

En revanche, toute sa sollicitude était acquise aux officiers connus pour leur patriotisme, et à l'occasion sa parole ne leur faisait pas défaut. Il y avait à l'armée du Nord un chef de brigade nommé Duquesnoy, frère du représentant de ce nom. Député du Pas-de-Calais à l'Assemblée législative, puis à la Convention nationale, le représentant Duquesnoy, homme rude et austère, professait pour Robespierre une admiration sans bornes. Il ne l'appelait que notre brave et incorruptible Robespierre[101]. Envoyé en mission dans le département du Nord, il n'avait pas tardé à embraser nos soldats du feu de son âme intrépide. Nos troupes, écrivait-il à Couthon le 3 brumaire, sont animées d'un courage vraiment républicain ; elles ont beaucoup de confiance dans leur général en chef, — c'était Jourdan, — et en la plus grande partie des autres généraux. J'ose me flatter aussi d'avoir leur confiance et d'en être extrêmement aimé[102]. Non moins énergique était son frère, le général Duquesnoy, dont la division était connue dans l'armée sous le nom de colonne infernale. Duquesnoy s'était particulièrement distingué à la bataille de Wattignies, au succès de laquelle il avait puissamment contribué. Eh bien ! voilà les deux hommes qu'Hébert eut la mauvaise idée d'attaquer comme des intrigants, aux Jacobins, dans la séance du 18 brumaire (8 novembre 1793). Le substitut du procureur de la commune accusa le représentant Duquesnoy, assez pauvre citoyen à ses yeux, d'entourer de soupçons le général Jourdan et de s'être constamment opposé à ses plans. Or, on vient de voir, par la lettre de Duquesnoy à Couthon, que ce député partageait implicitement la confiance de nos soldats pour leur chef. Hébert ne traitait pas mieux le commandant de la colonne infernale, l'héroïque Duquesnoy. L'armée du Nord était, selon lui, perdue sans ressource si ce général y commandait plus longtemps[103].

Le représentant Duquesnoy se trouvait précisément à Paris en ce moment. Il se rendit au club des Jacobins avec Robespierre, afin de se disculper des reproches injustes dont il avait été l'objet. Il est indispensable, dit Maximilien en réclamant la parole pour son collègue, d'éclaircir les faits et de confondre le mensonge. Duquesnoy n'eut pas de peine à réduire à néant les imputations d'Hébert. Qu'on écrive à Jourdan, s'écria-t-il, on saura, il vous apprendra lui-même que je suis son meilleur ami, que je ne suis ici que pour lui, parce que réellement on l'entravait, pour lui obtenir carte blanche. Je l'ai obtenue, je repars, je la lui porte. On comprend de quelle confusion se trouva couvert le substitut du procureur de la commune.

Robespierre monta ensuite à la tribune. Il avait quelque raison d'être indigné. En effet, Hébert, sur le témoignage du général Ernouf, était venu lui dénoncer les deux frères Duquesnoy comme des ambitieux qui voulaient perdre Jourdan. Or, à ce moment même, Robespierre avait entre les mains une lettre dans laquelle Ernouf ne tarissait pas en éloges sur Duquesnoy et lui attribuait le succès de l'affaire de Maubeuge ; il s'était, pour toute réponse, contenté de la montrer à Hébert. C'était une réponse assez explicite. Le substitut du procureur de la commune avait joué l'étonnement et s'était retiré convaincu ; mais à peine avait-il quitté Robespierre qu'il avait couru aux Jacobins débiter sa diatribe. Foudroyante fut l'apostrophe de Maximilien. Après avoir témoigné son admiration pour ces deux frères, dont l'un menait nos armées au combat par le chemin de la victoire, dont l'autre combattait à la tête des soldats en faisant passer dans leurs cœurs son amour, son enthousiasme, son dévouement pour la patrie, Robespierre censura impitoyablement ces gens qui semblaient prendre à tâche de diviser les Jacobins, de leur rendre suspects les plus fermes appuis de la Révolution. Je voudrais les voir, ces hommes qui nous calomnient, qui se prétendent plus patriotes que nous, et qui flagornent le peuple en l'égarant. Ils veulent nos places, eh bien ! qu'ils les prennent !Non ! non ! s'écria tout d'une voix la société. — Je voudrais les voir, continua Robespierre, sondant nuit et jour les plaies de l'État et consumant leur vie à en trouver le remède. Veulent-ils atténuer nos travaux, ou veulent-ils nous mener à la contre-révolution en perdant les patriotes dans l'esprit du peuple ? Qu'on ne s'imagine pas y réussir. Ce n'est plus seulement le patriotisme, cet amour inné de la liberté, l'enthousiasme qui nous soutient, c'est par l'empire de la raison que le peuple doit régner. C'est par elle que la République se maintiendra, c'est elle qui lui a fait prendre racine dans tous les cœurs, c'est assez dire qu'elle est éternelle[104]. Impossible de rendre plus dignement justice à deux patriotes éprouvés. De vifs applaudissements éclatèrent. Hébert, déconcerté, garda le silence.

Il retrouva la parole peu après, dans la même séance, pour appuyer une proposition de Robespierre tendant à ce que les sociétés populaires s'épurassent avec le plus grand soin. Aujourd'hui, disait Maximilien, tous les royalistes sont républicains, tous les Girondins sont Montagnards, et ils font semblant de dépasser en énergie les plus fermes patriotes. On les voyait se porter dans les sections afin d'exciter les citoyens à se livrer aux derniers excès. Peut-on douter qu'ils n'aient jusque dans ces assemblées des émissaires qui s'introduisent là pour fomenter et faire naître des propositions ridicules, des arrêtés imprudents, dangereux, de nature à amener le trouble et la confusion ? Ils se déguisent sous toutes les formes pour parvenir à leurs fins, et c'est souvent sous l'habit le moins suspect que nous trouverons l'ennemi le plus acharné du bien public. Que d'aristocrates se couvrirent alors de la livrée républicaine par lâcheté ou pour frapper plus sûrement la Révolution ! La Harpe ne célébra-t-il pas dans une ode des plus violentes l'insurrection du 10 août ?

Il la débita lui-même, coiffé du bonnet rouge, et s'écria : Ce bonnet me pénètre et m'enflamme ! Eh bien, les La Harpes se multiplièrent à l'infini pendant la Révolution et l'on en compta plus d'un dans les rangs des hébertistes.

En donnant son approbation à l'idée émise par Robespierre, Hébert crut certainement faire oublier ses malencontreuses accusations concernant les frères Duquesnoy ; mais ses derniers mots, dirigés contre ceux qui disaient encore la messe, n'étaient pas de nature à lui concilier des hommes décidés à ne pas plus admettre l'intolérance et le fanatisme d'un côté que d'un autre[105]. Hébert et ses amis commençaient alors leur déplorable campagne contre la religion, ce que Robespierre appela si justement la guerre aux dévotes. Nous allons assister en effet à cette immense bouffonnerie connue sous le nom de dêprêtrisation, dont le résultat le plus clair fut de faire inutilement à la République des millions d'ennemis. Ceci se passait le 19 brumaire (9 novembre 1793).

Le surlendemain 21 brumaire parut aux Jacobins le général Jourdan lui-même. La franchise de ses explications, son éloquence toute républicaine, sa promesse de ne jamais employer son épée qu'à combattre les rois et à défendre les droits du peuple, soulevèrent les acclamations de l'assemblée. Hébert, étant monté ensuite à la tribune pour se rétracter et faire amende honorable, reçut de Duquesnoy l'accolade fraternelle[106].

La justice rendue en cette circonstance aux frères Duquesnoy par Robespierre ne fut pas oubliée. Après Thermidor, le général, le vaillant soldat de Wattignies, le vainqueur de Charette, fut destitué[107], et, pour échapper aux fureurs thermidoriennes, le Conventionnel eut un jour la faiblesse de renier son ancienne amitié pour Maximilien[108] ; mais ensuite il ne cessa de défendre la mémoire de son ami, l'homme du peuple, comme il l'appelait, et l'on sait par quelle admirable mort il racheta un moment de faiblesse. Il sortit de la vie à la manière de Caton. Condamné à mort pour le rôle honorable qu'il joua dans la journée du 1er prairial an III (20 mai 1795), il dit avec calme, quand on lui apprit son arrêt : Je désire que le sang que je vais répandre soit le dernier sang innocent qui soit versé ; et il se frappa d'un coup de couteau en s'écriant : Vive la République ![109]

Il n'est pas inutile de comparer, en passant, la destinée des amis de Robespierre à celle des hommes qu'il compta au nombre de ses adversaires. Tandis que ceux-ci se jetèrent pour la plupart dans les bras du despotisme et de la monarchie, dont ils devinrent les serviteurs intéressés, les premiers tombèrent presque tous victimes de leur fidélité et de leur dévouement aux principes de la Révolution, à ces principes dont Maximilien avait été le martyr. N'y a-t-il pas là un enseignement bien significatif ?

 

XIII

Le peuple hait tous les excès ; il ne veut être ni trompé ni protégé ; il veut qu'on le défende en l'honorant, s'écriera bientôt Robespierre à la Convention nationale ; et ces paroles seront toujours la règle de sa conduite. Pour défendre la Révolution contre les ultras et les contre-révolutionnaires, pour sauver la République des excès des uns et des entreprises des autres, il va tenter des efforts surhumains. Il accomplira tout le bien qu'il fut possible de faire à cette époque ; et lé mal qu'il ne pourra empêcher sera l'ouvrage de ses ennemis, de ceux qui l'égorgeront lorsqu'ils le verront disposé à proposer à la Convention de leur demander compte de leurs crimes. C'est ce qui ressortira clairement des pages qui vont suivre, et ce que tout lecteur impartial ne pourra se dispenser de reconnaître.

A l'époque de la Révolution française où nous sommes arrivé, brumaire an II (novembre 1793), la République semblait avoir rallié à elle l'immense majorité de la nation. La masse des indifférents et ceux qui sont toujours prêts à s'incliner devant le fait accompli ne demandaient pas mieux que de la voir sortir triomphante des épreuves qu'il lui restait à subir. Déjà, au Nord et à l'Est, l'étranger était repoussé du territoire ; les rebelles de l'intérieur étaient à moitié vaincus ; encore quelques efforts, et la jeune République allait s'affirmer dans sa force et dans sa majesté. Mais tout à coup éclate contre le culte un mouvement qui jette le trouble dans toutes les consciences. Une guerre à outrance est déclarée à la religion par des fanatiques d'un nouveau genre, et dès ce jour la Révolution voit grossir d'heure en heure le nombre de ses ennemis ; dès ce jour les prisons s'emplissent d'une foule de malheureux coupables de superstition ; dès ce jour la Terreur s'abat sur toutes les classes, et un voile lugubre couvre la face entière du pays. Partout on s'en prit a la République des folies et des fureurs de quelques hommes.

L'Assemblée législative avait, avec raison, rendu des lois d'une extrême sévérité contre les prêtres réfractaires convaincus d'avoir fomenté des troubles en invoquant les intérêts de la religion ; mais elle s'était bien gardée de porter atteinte à la liberté des cultes, formellement reconnue après elle par la Convention nationale. Or, étendre à tout le clergé des mesures prises contre les ecclésiastiques coupables, forcer par la terreur les prêtres à se déchristianiser, fermer les églises aux fidèles, interdire le baptême, le mariage religieux, toutes les cérémonies auxquelles une partie de la population était habituée encore, et, pour comble de plaisanterie, décorer du prétexte de la liberté des cultes toutes ces énormités, voilà ce que tentèrent ceux qu'on appela les hébertistes, non que tous fussent des amis ou des partisans d'Hébert, mais parce que le Père Duchesne fut l'organe principal, le porte-voix de cette faction dans laquelle, avec Vincent et Hébert, se trouvèrent confondus Chaumette et Momoro, Cloots le baron prussien, l'orateur du genre humain, Bourdon (de l'Oise), Rousselin, André Dumont et Fouché. Entre ces hommes et les Girondins, à la perte desquels ils ne cessèrent de s'acharner, il y avait cependant un point de doctrine commun : l'intolérance. Entre Guadet ne comprenant pas qu'on pût invoquer à la face du peuple le nom de la Providence, et Hébert ou Dumont érigeant en quelque sorte en crime d'État le fait d'aller à la messe, la différence n'était pas grande, et il n'y aura pas à s'étonner si, après Thermidor, les survivants de la Gironde s'entendront si bien avec la queue des hébertistes.

Certes nous nous piquons d'être philosophe autant que personne, et nous avouons très-hautement n'avoir d'autre religion que celle de notre conscience ; mais nous ne saurions comprendre ces libres penseurs d'un genre particulier qui, le mot de tolérance à la bouche, se montrent les plus intolérants des hommes, et qui au fanatisme de la superstition opposent le fanatisme de l'incrédulité. Que par les armes de l'intelligence et de la raison on essaye de détruire les derniers vestiges de l'ignorance ; qu'on signale ce qu'il y a d'absurde dans les mystères de telle ou. telle religion plus ou moins révélée : soit, cela est juste, cela est licite ; mais vouloir briser tout d'un coup les liens religieux qui unissent l'homme à cette chose inconnue qu'on appelle le Ciel ; fermer violemment les portes du temple où tant d'âmes affligées vont chercher des consolations et se repaître d'espérances ; dire à la conscience humaine : Tu ne croiras point ; persécuter, en invoquant la raison, tous ceux que leur instinct ou le culte des souvenirs rattache à la religion des aïeux, et inscrire par dérision sur ses drapeaux le nom de la liberté, c'est le comble de la folie, du despotisme et de l'hypocrisie. Voilà ce dont se rendirent coupables les hébertistes, comme s'ils eussent été soudoyés pour rendre la République haïssable à tous. Telle était l'intolérance de ces hommes, qu'un jour, aux Jacobins, lecture ayant été donnée d'une lettre par laquelle l'abbé Grégoire, en annonçant son rapport sur les actes de patriotisme suscités par la Révolution, demandait à la société de rassembler tous les traits éclatants de civisme accomplis sous son inspiration, Bourdon (de l'Oise) s'emporta comme un furieux et se plaignit qu'une tâche pareille eût été confiée à un homme qui avait parlé de Jésus-Christ comme, d'un précurseur des Jacobins, et qui avait voulu christianiser la Révolution[110].

La persécution contre le culte commença à se faire sentir d'une façon violente dans le courant du mois d'octobre 1793. On a vu plus d'une fois Robespierre établir une distinction bien tranchée entre les prêtres réfractaires et séditieux et ceux qui, franchement ralliés aux nouveaux principes, se contentaient d'exercer leur ministère à l'abri de la constitution et des décrets de la Convention nationale. Le mouvement antireligieux fut donc une violation des lois consacrant la liberté des cultes. Le comité de Salut public n'avait pas attendu l'explosion de ce mouvement pour engager les esprits à une extrême tolérance, sachant bien que les résistances s'accroîtraient en raison des persécutions. A la première nouvelle des désordres occasionnés dans les départements par la violation de la liberté des cultes, il écrivit en ces termes, par la plume de Robespierre, aux sociétés patriotiques :

Des troubles religieux ont éclaté, c'est à vous à en atténuer les effets ; à vous, sociétés populaires, qui êtes les foyers où l'opinion se forge, s'agrandit et s'épure.

Vous avez tout fait pour la patrie ; elle attend tout de vous. Elle vous appelle à être en quelque sorte les professeurs d'une nouvelle instruction. L'instruction forme l'opinion. C'est le flambeau de l'opinion qui a brûlé le masque des conspirateurs, c'est le flambeau de l'opinion qui éclairera les hommes faibles, égarés, et qui les a garantis des pièges semés sous leurs pas.

Que le glaive de la justice venge l'humanité des malheurs que ces hommes pervers attireraient sur elle, et des maux plus grand encore qu'ils voudraient lui préparer ; mais en même temps ramenons à la vérité, par le langage de la raison, cette multitude qui n'est livrée à l'erreur et aux suggestions de l'intrigue que parce qu'elle manque de lumières.

Plus les convulsions du fanatisme expirant sont violentes, plus nous avons de ménagements à garder. Ne lui redonnons pas des armes en substituant la violence à l'instruction.

PÉNÉTREZ-VOUS DE CETTE VÉRITÉ, QU'ON NE COMMANDE POINT AUX CONSCIENCES. Il est des superstitieux de bonne foi, parce qu'il existe des esprits faibles, parce que, dans le passage rapide de la superstition à la vérité, ce sont ceux qui ont médité et franchi tous les préjugés qui les premiers se trouvent au niveau. Le surplus, resté en arrière, exige des encouragements pour avancer à son tour. L'effrayer, c'est vouloir qu'il rétrograde. Ce. sont des malades qu'il faut préparer à la guérison en les rassurant, et qu'on rendrait fanatiques par une cure forcée[111].

 

La sagesse pouvait-elle emprunter un plus noble, un plus digne langage ? Malheureusement il y avait dans les départements des commissaires de la Convention peu disposés à écouter ces conseils de la raison. Fouché dans la Nièvre et à Lyon, André Dumont à Beauvais et dans le Nord, se ruèrent en furieux sur le christianisme. Tandis qu'au Midi, Robespierre jeune, Ricord, Salicetti, livraient aux Anglais des combats sanglants, que dans l'Est Saint-Just et Lebas, à la tête des troupes de la République, chassaient de notre territoire les Prussiens et les Autrichiens, eux faisaient la guerre aux saints de bois et de pierre. A Commune-Affranchie, on promena en cérémonie dans les rues un âne revêtu d'une chape, d'une mitre et de tous les ornements pontificaux[112]. André Dumont envoyait à la Convention d'ignobles pasquinades sur les prêtres. C'était, en style du Père Duchesne, le récit des persécutions dont il était l'auteur. Je viens de requérir l'arrestation des prêtres qui se permettraient de célébrer les fêtes ou dimanches, écrivait-il le 1er brumaire (22 octobre 1793), je fais disparaître les crucifix et les croix, et bientôt je comprendrai dans la proscription les animaux noirs appelés prêtres. Je pars pour Beauvais, que je vais mettre au bouillon maigre avant de lui faire prendre une médecine[113]. Cette façon de procéder à l'égard des prêtres en général, et cette idée de mettre au bouillon maigre nos chefs-lieux de département avant de leur faire prendre une médecine, déplurent souverainement au comité de Salut public, au nom duquel Robespierre répondit en ces termes, le 6 brumaire (27 octobre), au trop farouche proconsul : Il nous a paru que dans vos dernières opérations vous avez frappé trop violemment sur les objets du culte catholique. Une partie de la France, et surtout du Midi, est encore fanatisée. Il faut bien se garder de fournir aux contre-révolutionnaires hypocrites, qui cherchent à allumer la guerre civile, aucun prétexte qui semble justifier leurs calomnies. Il ne faut pas leur présenter l'occasion de dire que l'on viole la liberté des cultes et qu'on fait la guerre à la religion elle-même. Il faut punir les prêtres séditieux et inciviques, mais non proscrire ouvertement le titre de prêtre en soi. Il ne faut pas non plus appliquer au pays où le patriotisme est tiède et engourdi les remèdes violents nécessaires dans les contrées rebelles et contre-révolutionnaires. Continuez, cher collègue, de réprimer les traîtres et les mauvais citoyens, frappez les même avec plus de promptitude et de rigueur que vous ne l'avez fait jusqu'ici, mais ménagez la masse faible et ignorante. Suivez les principes que nous venons d'exposer, appliquez-les aux habitans de Beauvais en particulier, et vous acquerrez de nouveaux droits à la reconnaissance publique[114]...

André Dumont ne tint guère compte de ces observations si pleines de sagesse ; il ne cessa pas de désoler les départements de la Somme, de l'Oise et du Pas-de-Calais, écrivant encore à la Convention nationale des lettres où se trouvaient des phrases dans le genre de celle-ci : J'ai tendu mon large filet, et j'y prends tout mon gibier de guillotine[115]. Voilà l'un des hommes à qui Robespierre indigné déclarera résolument la guerre. Aussi verrons-nous cet émule d'Hébert devenir un des plus fougueux Thermidoriens, et diriger contre les patriotes les persécutions que Maximilien l'avait accusé d'étendre aux innocents et aux coupables. Un jour, après Thermidor, on l'entendit, lui le terroriste en démence, insulter la mémoire de Robespierre, et traiter de buveurs de sang ceux qui tenteraient de faire le procès à la journée du 9 Thermidor[116]. A quelque temps de là, un de ses collègues lui reprochait brutalement d'avoir, à diverses reprises, écrit à ce même Robespierre qu'il calomniait maintenant ; et Choudieu, l'honnête Choudieu, réclamait l'impression de toutes les lettres trouvées dans les papiers de Maximilien, afin que l'univers pût juger de la partialité révoltante avec laquelle Courtois avait trié les pièces livrées par lui à la publicité. André Dumont, qui jadis avait écrit à Robespierre, sans doute pour répondre aux reproches qu'il en avait reçus et s'excuser de la façon dont. il s'entendait à mettre au bouillon maigre les villes où il était en mission, monta précipitamment à la tribune tout troublé par les applaudissements dont avaient été couvertes les paroles de Choudieu, tant la voix de la justice avait en ce moment étouffé l'esprit de réaction dont la Convention était animée alors. Il prit, ironiquement ou non, l'engagement de faire imprimer, traduire dans toutes les langues et envoyer à toute l'Europe, à ses frais, les lettres qu'il avait écrites à Robespierre[117]. Et cela lui était facile, puisque ses complices de Thermidor les lui avaient rendues. Mais il s'en tint à sa promesse, et se garda bien de jamais la remplir. Il est même à croire qu'il s'empressa de détruire ces précieux documents, dont la publication eût été entièrement à l'honneur de Robespierre.

Le mouvement contre le culte eut à Paris pour directeurs ardents et infatigables Chaumette, Hébert, les deux Bourdon, Cloots et Momoro. A la nouvelle de la déprêtrisation organisée dans les départements par quelques proconsuls insensés, le Père Duchesne ne se sentit pas de joie : Par la vertu de la sainte guillotine, s'écria-t-il, nous voilà délivrés de la royauté. Il faut à votre tour sauter le pas, prêtres avides, prêtres sacrilèges. Tonnerre de Dieu ! quel branle on vous donne .dans les départements ! Les commissaires de la Convention vont en mesure comme une pie qui abat des noix[118]. Les églises furent mises à sac et à pillage. Si une partie des dépouilles sacrées entrèrent dans les coffres de l'État, il en est qui devinrent la proie de commissaires avides. Plus d'une fois le vol se para du manteau de la philosophie.

Nombre de prêtres, il faut le dire, favorisèrent par leur lâcheté le mouvement dirigé contre le culte, et le cynisme avec lequel une foule d'entre eux abjurèrent donna la juste mesure de la démoralisation du clergé. Dans la séance du 19 brumaire (9 novembre), à la commune, un ministre catholique demanda, en déposant ses lettres de prêtrise, à être autorisé à substituer au nom d'Erasme celui d'Apostat. Ce fut comme le signal d'un carnaval étrange. Déjà Cloots le baron prussien, le juif Péreyra et Léonard Bourdon, s'étaient rendus chez l'évêque de Paris, Gobel. Ils l'avaient vivement sollicité de se démettre de ses fonctions et de venir abjurer en pleine Convention. Le faible évêque n'avait pas osé résister à des instances qui, à ses yeux, équivalaient à des menaces : il avait cédé ; Cloots était allé à la commune annoncer le succès de sa démarche auprès de Gobel, et, d'un commun accord, les autorités constituées de la ville avaient pris la résolution d'accompagner à la Convention nationale l'évêque et son clergé.

Le septidi de la deuxième décade de brumaire (jeudi 7 novembre 1793), peu d'instants après l'ouverture de la séance, un des secrétaires de la Convention donna lecture d'une lettre qui commençait en ces termes : Citoyens représentants, je suis prêtre, je suis curé, c'est-à-dire charlatan. Cette lettre était signée : Parens, curé de Boissise-la-Bertrand, dans le district de Melun. Pour prix de son abjuration, ce curé demandait une pension qui lui permît de s'affranchir des momeries et des pratiques décorées du nom de religion, car, ne sachant que débiter des orémus, il s'avouait incapable de gagner sa vie[119]. C'était le prologue de la farce dont l'Assemblée allait être le théâtre. Sergent ne put contenir son indignation, et il demanda l'ordre du jour en s'écriant : Un prêtre qui dit qu'il était hier dans l'erreur, de bonne foi, et qu'il est détrompé aujourd'hui, ne peut parler sincèrement. Mais fortement appuyée par Léonard Bourdon et par Thuriot, la demande du curé Parens fut renvoyée au comité des finances. Au même instant parurent à la barre l'évêque de Paris et ses vicaires, accompagnés des autorités constituées de la ville. Momoro, président de la commune par intérim, exposa en quelques mots comment l'évêque et son clergé, conduits par la raison, venaient se dépouiller solennellement du caractère que leur avait imprimé la superstition.

Gobel prit ensuite la parole. Dans une courte harangue où se dissimulait mal la contrainte à laquelle il obéissait, l'évêque déclara que ses vicaires et lui renonçaient aux fonctions de ministres du culte catholique, puis il déposa sur le bureau du président ses lettres de prêtrise. Chaumette demanda alors qu'une place fût réservée au jour de la raison dans le calendrier nouveau. La loi, qui présidait l'Assemblée, félicita la commune d'être venue la première annoncer le triomphe de la raison, à laquelle il eut soin d'ailleurs d'associer le culte de l'Être suprême, dont le nom figurait au frontispice de la constitution républicaine. On entendit ensuite, comme stimulés d'un beau zèle, le curé Villers, l'évêque d'Évreux Thomas Lindet, le ministre protestant Julien (de Toulouse), Coupé (de l'Oise), curé de Sermaize, abjurer à leur tour et abdiquer leurs fonctions. Gay-Vernon, évêque de Limoges, et Lalande, évêque de Nancy, se démirent par lettres ; on put voir par là que c'était un coup monté. Parmi les ecclésiastiques de l'Assemblée, un seul résista à l'entraînement général, un seul fit entendre le langage de la raison si vainement invoquée : ce fut l'abbé Grégoire. On me parle de sacrifices, dit-il, j'y suis habitué. S'agit-il d'attachement à la cause de la liberté ? mes preuves sont faites depuis longtemps. S'agit-il du revenu attaché aux fonctions d'évêque ? je vous l'abandonne sans regret. S'agit-il de religion ? cet article est hors de votre domaine ; vous n'avez pas le droit de l'attaquer. J'entends parler de fanatisme, de superstition : je les ai toujours combattus. Et en invoquant la liberté des cultes, il déclara qu'il resterait évêque pour faire du bien dans son diocèse[120].

Robespierre avait assisté, muet et indigné, à cette triste scène, à laquelle n'avaient pas manqué cependant les applaudissements de l'Assemblée. Mais, tandis qu'une foule 'de ses collègues se réjouissaient plus ou moins sincèrement de l'abolition d'un culte dont les ministres avaient été pendant si longtemps les alliés et les complices des oppresseurs du peuple, il songeait, lui, au mal qu'allait faire-à la. République cette violation de la liberté religieuse, et l'on va voir combien fondées étaient ses appréhensions.

 

XIV

Ce mouvement contre le culte eût pu devenir excellent, au dire de Robespierre lui-même, s'il avait été mûri par le temps et par la raison[121] ; mais, précipité comme il le fut, il devait nécessairement entraîner les plus grands malheurs. Aussi l'attribuait-il en grande partie aux calculs de l'aristocratie, et garda-t-il une aversion profonde à ceux qui avaient préparé ce qu'il appelait si justement une mascarade philosophique.

Cloots crut avoir fait un coup de maître. Le soir de la séance sublime, comme disaient Hébert, Chaumette et Léonard Bourdon, l'orateur du genre humain vint au comité de Salut public se targuer de ce bel exploit. S'il avait compté sur une réception flatteuse, son attente fut singulièrement trompée. A l'attitude morne et froide des membres du comité, il comprit sans doute sa faute. Et comment en effet les hommes chargés de l'administration de la République ne se seraient-ils pas montrés très-vivement indisposés contre un étranger qui, follement et si inutilement, plongeait le pays dans d'inextricables embarras ? Robespierre prit la parole : Vous nous avez dit dernièrement qu'il fallait entrer dans les Pays-Bas, leur rendre l'indépendance et traiter les habitants comme des frères. Pourquoi donc cherchez-vous à nous aliéner les Belges, en heurtant des préjugés auxquels vous les savez fortement attachés ?Oh ! oh ! répondit Cloots, le mal était déjà fait. On nous a mille fois traités d'impies. — Oui, mais il n'y avait pas de faits, répondit Maximilien. L'orateur du genre humain pâlit, n'osa répondre, et se retira[122].

De l'abjuration de certains prêtres à la persécution contre les fidèles en général il n'y avait qu'un pas : il fut bientôt franchi. Dans la séance du 11 brumaire à la commune, Anaxagoras Chaumette avait donné lecture d'une lettre de son ami Fouché, lettre dans laquelle le futur duc d'Otrante disait au procureur de la commune : Il n'y a plus ni pauvres, ni riches, ni prêtres, dans le département de la Nièvre. Et Chaumette avait ajouté : Il faut que le département de Paris imite celui de la Nièvre, et que surtout il n'y ait plus de prêtres dans le département de Paris[123]. Quelque temps après, Hébert proposait au conseil général d'ordonner la destruction de tous les clochers de Paris, parce qu'ils semblaient contrarier, les principes de l'égalité ; et le procureur de la commune requérait la démolition des statues de saints dont se trouvaient ornées les trois entrées principales de la cathédrale (séance du 21 brumaire, 11 novembre). Enfin, un peu plus tard, un arrêté de la commune prescrivait la clôture de toutes les églises et la mise des prêtres en état de surveillance (séance du 3 frimaire, 23 novembre). Dans l'intervalle avait eu lieu l'inauguration du culte de la déesse Raison.

Qui ne connaît dans tous ses détails la jonglerie à jamais fameuse dont l'église métropolitaine de Paris fut le théâtre dans la journée du 20 brumaire (10 novembre 1793) et à laquelle la Convention nationale consentit à assister sur la proposition de Thuriot[124] ? Au milieu de l'église de Notre-Dame, sur la cime d'une montagne figurée, on avait élevé un temple dont la façade portait ces mots : À LA PHILOSOPHIE. La Liberté, sous les traits d'une jeune et jolie femme, était assise sur un siège de verdure, ayant autour d'elle deux rangées de jeunes filles vêtues de blanc, toutes les jolies damnées de l'Opéra, comme disent, d'après leur maître Hébert, les néo-hébertistes, souriant d'aise au souvenir de cette mascarade. Aux sons d'une musique composée par Gossec, fut chanté l'hymne de Chénier, dont sans doute on n'a pas oublié la dernière strophe :

Guerriers libérateurs, race puissante et brave,

Armés d'un glaive humain, sanctifiez l'effroi !

Terrassé par vos coups, que le dernier esclave

Suive au tombeau le dernier roi ![125]

Aux attributs du catholicisme on substitua les emblèmes et la statue de la Raison. Quand la cérémonie fut achevée, tous les assistants se mirent en marche pour la Convention. Au milieu du cortège figurait, sur une estrade portée par quatre citoyens, la déesse représentée par la Maillard, une des plus célèbres actrices du temps, laquelle n'avait pas craint de s'exposer à cette ridicule exhibition. Ses cheveux épars flottaient sous le bonnet phrygien ; elle était vêtue d'une longue tunique blanche recouverte à moitié par un manteau couleur d'azur, et de la main droite elle tenait une pique en bois d'ébène. Le procureur de la commune la présenta à la Convention comme un chef-d'œuvre de la nature. Elle descendit de son trône pour aller s'asseoir au bureau, où le président et les secrétaires lui donnèrent le baiser fraternel[126]. Après quoi Chabot convertit en motion une demande de Chaumette tendant à ce que l'église métropolitaine fût désormais consacrée à la Raison et à la Liberté. L'Assemblée vota d'emblée cette proposition, et voilà comme l'antique Notre-Dame de Paris devint momentanément le temple de la déesse RAISON[127].

Le Père Duchesne ne put contenir sa joie. Ah ! la bonne fête que nous avons célébrée à la dernière décade ! s'écria-t-il. Quel spectacle de voir tous les enfants de la liberté se précipiter dans la ci-devant cathédrale pour purifier le temple de la sottise et le consacrer à la vérité, à la raison[128]. L'insensé ; qui prenait pour la raison une folie sans nom ! Qu'allons-nous devenir ? s'écriait-il encore ; on ne connaît plus Dieu ni ses saints. On détruit la religion. Ah ! que le bon Dieu doit être en colère ! miséricorde ; le jour du jugement va sans doute sonner ![129] Ne savait-il donc pas que par ces momeries tout aussi ridicules que pouvaient l'être celles de n'importe quel culte, il créait d'un coup à la République des millions d'ennemis ? Ignorait-il que, consacrés par le martyre, les prêtres allaient exercer sur les consciences un prestige plus puissant encore ? Robespierre le savait, et c'est pourquoi il fut au dernier point contristé de l'entraînement auquel se laissa aller la Convention nationale dans la séance du 20 brumaire. S'il faut en croire un témoin oculaire, il quitta l'Assemblée de dégoût, ne pouvant soutenir la vue d'un tel spectacle. Cette fatale séance, a dit le représentant Levasseur, a valu aux Vendéens plus qu'un renfort de dix mille hommes[130]. Et Levasseur avait raison. Hébert et ses amis auraient été payés par les émigrés qu'ils n'eussent pas mieux réussi à jeter dans la République un brandon de discorde et à compromettre la Révolution. Plus d'un libre penseur partagea la consternation de Robespierre. Un abonné des Révolutions de Paris écrivit à Prudhomme : Les prêtres n'ont pas été effrayés de tout ce bruit. J'en ai observé plus d'un qui riait sous cape, et se promettait bonne composition pour eux de tout ceci. C'est au point que plusieurs patriotes qui se disent au courant soupçonnent que les tartufes en bonnet carré noir — car il y en a en bonnet rouge — ont poussé eux-mêmes à la roue pour faire aller cette nouvelle révolution que nous regardons ici comme manquée[131]. Il arriva en effet que le culte de la déesse Raison dégénéra en véritable orgie ; nous n'avons pas à raconter ici les scènes dégoûtantes auxquelles il donna lieu.

Plus sérieusement qu'Hébert, Fouché, Dumont et tant d'autres, Robespierre était ennemi des superstitions religieuses, des préjugés, de toutes les jongleries cléricales ; mais violenter les consciences, substituer à l'intolérance et au fanatisme anciens une intolérance et un fanatisme d'un nouveau genre, remplacer par de véritables saturnales les cérémonies mystiques du culte catholique, lui parut très-fâcheux au point de vue moral, et souverainement imprudent au point de vue politique. Et en effet, quoi de plus absurde que le culte imaginé par les hébertistes, lequel, à la grande joie de tous les adversaires de la Révolution, ridiculisa aux yeux du monde entier la France républicaine ? Est-ce que la raison, être abstrait et immatériel, peut avoir d'autre temple que la conscience humaine ? C'était bien la peine vraiment de tant crier après la superstition antique pour en créer une d'une espèce particulière, et de déclarer la guerre aux saints de bois et de pierre pour les remplacer sur leurs piédestaux par ces statues de la déesse Raison qui affligeaient les uns et dont s'amusaient les autres ! L'intolérance des sectateurs du nouveau culte ne connut pas de bornes ; Laveaux, rédacteur du Journal de la Montagne, fut violemment pris à partie par Hébert pour avoir publié un article sur l'existence de Dieu ; si bien que Laveaux, désespérant de pouvoir satisfaire tout le monde, donna sa démission de rédacteur du Journal de la Montagne[132]. Des excès antireligieux, les hébertistes, qu'une certaine école a-la naïveté de nous présenter aujourd'hui comme les défenseurs du droit et de la légalité, devaient nécessairement tomber dans des excès de toute nature. Avec la guillotine, ça ira, f... ! écrivait le Père Duchesne ; mais il ne faut pas rester en si beau chemin, car, f... ! un seul pas à reculons nous replongerait dans le margouillis. Et de plus belle il réclamait la mort des soixante-treize Girondins sauvés par Robespierre, et l'exécution de la sœur de Louis XVI, oubliée au fond du Temple par le comité de Salut public : Braves sans-culottes, intrépides Jacobins, veillez, veillez plus que jamais. Si les traîtres ne sont pas tous guillotinés, attendez-vous à succomber vous-mêmes. Demandez, f... ! que tout ce qui reste de la race de Capet soit immolé, et surtout que la grosse Babet aille promptement rejoindre son prétendu Manuel. Ne lâchez pas prise, jusqu'à ce que le dernier des Brissotins ait mis la tête à la fenêtre, f... ![133] Et, appuyant de sa parole la prose de son journal, Hébert avait, le 23 brumaire (13 novembre), formulé son vœu sanglant à la tribune des Jacobins[134]. Chaumette lui-même, qu'il serait cependant injuste de confondre avec son substitut, demanda au sein du conseil général la mort de Madame Élisabeth. Comment, s'écria-t-il, souffririons-nous que cette femme existât plus longtemps ?[135] Il faut lire le projet de Chaumette concernant les suspects pour se former une juste idée du degré de folie où étaient arrivés les meneurs de la commune ; la fameuse loi Merlin-Cambacérès n'était plus rien. Suspects ceux qui plaignaient les marchands et fermiers contre lesquels on avait été obligé de prendre des mesures ; suspects ceux qui fréquentaient les ci-devant nobles, les aristocrates et les modérés ; suspects ceux qui avaient reçu avec indifférence la constitution républicaine ; ceux qui, n'ayant rien fait contre la liberté, n'avaient rien fait pour elle, etc. Était-il possible d'aller plus loin dans l'aberration ? Étonnez-vous donc si dans ces mois de brumaire et de frimaire on emprisonna à tort et à travers ! C'est contre cet arrêté de la commune que sera surtout dirigé le pamphlet si connu de Camille Desmoulins.

Était-il opportun de détendre alors le ressort révolutionnaire ? Nullement, et Robespierre le sentait bien. Ce n'était pas au moment où l'Europe s'épuisait en efforts pour écraser la République, où les factions se remuaient en tous sens, qu'il était permis à la Révolution de désarmer. Seulement, entre la punition réservée aux seuls coupables et la Terreur aveuglément suspendue sur toutes les têtes, il y avait tout un abîme. Comment ne pas soupçonner que de véritables contre-révolutionnaires se cachaient sous le masque des enragés ? Un député à la Convention n'avait-il pas entendu dire à l'un de ces derniers : Aujourd'hui c'est le tour de celui-ci, demain le tour de Danton, après-demain celui de Billaud-Varenne ; nous finirons par Robespierre ?[136] Il semble qu'Hébert ait pris ces paroles pour lui, car trois jours après, aux Jacobins, dans une vive attaque contre Thuriot, il disait, à propos des craintes manifestées au sujet de certains représentants : Qu'on ne vienne pas dire qu'on, préparait ce sort à Robespierre, à Billaud-Varenne, à Lacroix et à Danton. Depuis quelque temps on affecte de les accoler ; je regarde comme une véritable perfidie de mettre en parallèle l'homme à qui nous devons la liberté et la Révolution et l'homme qui en est la honte. Peut-on mettre sur la même ligne Robespierre et Lacroix ? Oui, le peuple consulté sur Lacroix, sur le spoliateur de la Belgique, le fauteur et le complice de Dumouriez, l'enverrait au tribunal révolutionnaire, et si Robespierre courait le moindre danger, les Jacobins, le peuple entier le couvrirait de son corps. C'est à vous, Jacobins, à séparer l'or pur du vil plomb. Tant d'hommes, ajouta-t-il, se disent les amis de Robespierre, et Robespierre n'est que l'ami de la vérité. En vain des intrigants avaient cherché à l'animer contre l'Incorruptible, en lui disant que Robespierre le rangeait parmi les hommes soudoyés par Pitt, il n'en avait rien cru, prétendait-il, parce que Robespierre était trop honnête homme pour s'être permis sur un patriote une inculpation aussi odieuse[137]. Guidé par le seul amour de la patrie, Maximilien ne se montra pas plus sensible aux flagorneries du Père Duchesne qu'il ne s'était laissé entraîner aux inspirations de la vengeance quand il avait victorieusement disputé au bourreau ces soixante-treize Girondins, dont la plupart étaient ses ennemis jurés. Les exagérés mettant la République en péril par leur intolérance, par leurs excès, par leurs folies, il résolut de leur donner un solennel avertissement.

 

XV

Présenter au pays et au monde entier un tableau complet de la situation générale de la République à l'égard des diverses puissances de la terre, et surtout l'égard des peuples que la nature et la raison rattachaient à la cause de la Révolution, mais que l'intrigue et la perfidie cherchaient à en éloigner, telle fut la tâche immense confiée par le comité de Salut public à Maximilien Robespierre. Rompant avec les traditions routinières des anciens gouvernements qui avaient fait de la diplomatie une science astucieuse et ténébreuse, le comité de Salut public jugea indigne d'un peuple libre les finesses et les prétendues habiletés des cours, et il lui parut indispensable d'exposer au grand jour la politique extérieure de la Révolution. Les néo-hébertistes, l'école proudhonienne, pour qui tout ce qui est sage, sensé et raisonnable, sent l'ancien régime, ont, à propos du magnifique rapport dont nous allons donner l'analyse, accusé Robespierre d'avoir ressuscité la diplomatie, oublié Paris, le dix-huitième siècle, les droits de l'homme, pour le droit des gens et l'équilibre européen. On verra ce qu'il y a de fondé et de vrai dans cette accusation souverainement injuste et ridicule.

Robespierre commence par affirmer, pour l'enseignement des imbéciles qui l'ignorent ou des pervers qui feignent d'en douter, l'existence de la République française, laquelle devait enfin, selon lui, inspirer confiance à ses alliés et se faire redouter des tyrans armés contre elle. Après avoir montré comment la réaction continuelle entre le peuple et ses ennemis avait, par sa violence même, opéré en peu d'années l'ouvrage de plusieurs siècles ; après avoir esquissé en traits rapides la politique tortueuse de l'Angleterre, dont la main apparaissait dans tous nos troubles, et qui, sous prétexte de combattre des principes, désorganisateurs, convoitait simplement Toulon, Dunkerque et nos colonies, et cherchait à séparer nos provinces du Midi de celles du Nord, comme elle avait conspiré pour détacher les provinces méridionales de l'Amérique des États septentrionaux, il comparait Pitt à un enfant blessé par une arme terrible à laquelle il aurait eu l'imprudence de toucher. Pitt voulut jouer avec le peuple français et il en a été foudroyé. Trop immoral pour croire aux vertus républicaines, trop peu philosophe pour faire un pas vers l'avenir, le ministre de Georges était au-dessous de son siècle ; le siècle s'élançait vers la liberté, et Pitt voulait le faire rétrograder vers la barbarie et vers le despotisme. Le peuple français s'est dégagé jusqu'ici des fils de ses intrigues, comme Hercule d'une toile d'araignée. Le fils de lord Chatam était aussi coupable, à ses yeux, envers son pays qu'envers la France, car à diverses reprises il avait violé la constitution britannique sous prétexte d'assurer la prospérité commerciale de l'Angleterre, comme si le despotisme n'était pas le fléau du commerce. Il attribuait autant à ses intrigues qu'à l'influence des émigrés et à la complicité du gouvernement français d'alors l'alliance monstrueuse de la Prusse et de l'Autriche. La complicité de la cour de France, elle était écrite partout. Et, faisant un retour sur les grandes discussions soulevées au milieu de nous par la question de la guerre, il rappelait que ceux qui, dès la fin de l'année 1791, voulaient briser tous les sceptres du monde, avaient été les mêmes qui, en 1792, s'étaient efforcés de prévenir la chute du trône. En reprochant à Brissot et à ses amis la déclaration intempestive de guerre, Robespierre confondait évidemment une imprudence avec la trahison, mais la malheureuse coïncidence de nos échecs successifs, de la perte de nos ports et de nos forteresses, avec l'insurrection girondine, donnait à l'accusation un poids énorme.

Dans ce conflit de tous les peuples, un seul, le peuple français, combattait pour la cause commune. Cependant Maximilien ne désespérait pas de voir se rattacher à la République tous ses alliés naturels, les Américains, les Turcs, les Suisses. Mais pour cela il ne fallait pas chercher à troubler la paix intérieure de ces nations, soulever dans les clubs de Philadelphie des motions inquiétantes pour le gouvernement américain, fonder des assemblées primaires à Constantinople, ou menacer la Suisse d'une sorte de démembrement. Il ne s'agissait pas là d'équilibre européen, il s'agissait simplement de ne pas s'immiscer dans les affaires de peuples amis, c'est-à-dire de ne pas faire ce qu'avec tant de raison la France reprochait aux rois coalisés. On sait la haine instinctive de Robespierre pour les missionnaires armés. Les peuples les mieux disposés à adopter nos principes les repousseraient avec indignation, il en avait la certitude, du moment où l'on tenterait de les leur imposer par la force. Sa politique était la bonne et la saine politique, et il pouvait l'avouer tout haut. Tel est l'avantage d'une république puissante, disait-il : sa diplomatie est dans la bonne foi ; et comme un honnête homme peut ouvrir impunément à ses concitoyens son cœur et sa maison, un peuple libre peut dévoiler aux nations toutes les bases de sa politique.

Le projet de démembrer la France, conçu dans le cabinet de Londres, est un fait avéré aujourd'hui. C'était par l'espoir d'acquérir la Lorraine, l'Alsace et la Flandre française, qu'on avait attiré l'Autriche dans la coalition, et, en attendant, l'impératrice de Russie et le roi de Prusse se partageaient la Pologne. A l'Espagne on avait promis le Roussillon, la Navarre et les départements limitrophes ; au-roi de Sardaigne, la Provence et le Dauphiné. Quant aux provinces d'Italie, qui selon Robespierre ne pouvaient survivre à la perte de la France, on ne leur avait rien offert, mais elles avaient cédé à l'intrigue, à la ruse et à la violence. N'avait-on pas vu le territoire de Gênes devenir le théâtre d'un crime dont l'histoire seule de l'Angleterre offrirait peut-être un exemple ? Des vaisseaux anglais, joints à des vaisseaux français livrés par les traîtres de Toulon, s'étaient glissés dans le port, neutre, de la République, et l'équipage d'un navire français, surpris sans défense, avait été traîtreusement égorgé. En dénonçant cet attentat au monde, Robespierre ne pouvait s'empêcher de stigmatiser la lâcheté du sénat génois qui n'était pas mort tout entier pour prévenir ou venger cet outrage à l'humanité. Toutefois les puissances italiennes, Venise, Florence, comme Gênes, lui paraissaient mériter plutôt la pitié que la colère de la République. Le roi de Naples seul, digne du sang des Bourbon, avait embrassé de bonne volonté la cause de la coalition. Quant au pape, il ne valait pas l'honneur d'être nommé. La résolution du roi de Suède, de devenir le généralissime des rois coalisés, était une pure folie. A qui donc profiterait cette grande levée de boucliers contre la France ? A la Russie, pensait Robespierre, et il ne se trompait pas. Impossible de tracer un portrait plus vrai et plus saisissant de ces dominateurs de la Russie, qui, ayant le goût, l'idée, l'ambition du luxe et des arts de l'Europe, et régnant dans un climat de fer, tournaient des regards de convoitise vers les contrées de l'Ouest et du Midi, se voyaient déjà à Constantinople, et se croyaient au moment de dicter des lois au monde.

Or, tandis que l'Angleterre fusillait dans un port neutre des hommes désarmés, et menaçait le Danemark de ses escadres pour le forcer à accéder à la ligue ; tandis que la Prusse et la Russie, comme des brigands, faisaient main basse sur la Pologne, et que le reste de l'Europe se laissait bêtement duper par le cabinet de Londres, la France seule prenait résolument en main les intérêts et les droits de l'humanité. Aussi Robespierre s'écriait-il, dans un élan superbe d'enthousiasme et d'indignation : Vous avez sous les yeux le bilan de l'Europe et le vôtre, et vous pouvez déjà en tirer un grand résultat : c'est que l'univers est intéressé à notre conservation. Supposons la France anéantie ou démembrée, le monde politique s'écroule ; ôtez cet allié puissant et nécessaire qui Garantissait l'indépendance des médiocres États contre les grande despotes, l'Europe entière est asservie. Les petits princes germaniques, les villes réputées libres de l'Allemagne, sont engloutis par les maisons ambitieuses d'Autriche et de Brandebourg ; la Suède et le Danemark deviennent tôt ou tard la proie de leurs puissants voisins ; le Turc est repoussé au delà du Bosphore et rayé de la liste des puissances européennes ; Venise perd ses richesses, son commerce et sa considération ; la Toscane, son existence ; Gênes est effacée ; l'Italie n'est plus que le jouet des despotes qui l'entourent ; la Suisse est réduite à la misère et ne recouvre plus l'énergie que son antique pauvreté lui avait donnée : les descendants de Guillaume Tell succomberaient sous les efforts des tyrans humiliés et vaincus par leurs aïeux. Comment oseraient-ils invoquer seulement les vertus de leurs pères et le nom sacré de la liberté si la République française avait été détruite sous leurs yeux ? Que serait-ce s'ils avaient contribué à sa ruine ? Et vous, braves Américains, dont la liberté, cimentée par notre sang, fut encore garantie par notre alliance, quelle serait votre destinée si nous n'existions plus ? Vous retomberiez sous le joug honteux de vos anciens maîtres ; la gloire de nos communs exploits serait flétrie ; les titres de liberté, la Déclaration des droits de l'homme, seraient anéantis dans les deux mondes.

L'Angleterre elle-même, poursuivait-il, que deviendrait-elle ? Comment conserverait-elle les restes de sa liberté si la France perdait la sienne, si le dernier espoir des amis de la démocratie venait à s'évanouir ? Mais si la politique des gouvernements devait redouter la chute de la République française, que serait-ce donc de la philosophie et de l'humanité ? Que la liberté périsse en France : la nature entière se couvre d'un voile funèbre, et la raison humaine recule jusqu'aux abîmes de l'ignorance et delà barbarie. Le despotisme, comme une mer sans rivages, déborderait sur la surface du globe ; il couvrirait bientôt les hauteurs du monde politique où est déposée Marche qui renferme les chartes de l'humanité ; la terre ne serait plus que le patrimoine du crime, et ce blasphème, reproché au second des Brutus, trop justifié par l'impuissance de nos généreux efforts, serait le cri de tous les cœurs magnanimes. Ô vertu ! pourraient-ils s'écrier, tu n'es donc qu'un vain nom ?

Oh ! qui de nous ne sent pas s'agrandir toutes ses facultés, qui de nous ne croit pas s'élever au-dessus de l'humanité même, en songeant que ce n'est pas pour un peuple que nous combattons, mais pour l'univers ; non pour les hommes qui vivent aujourd'hui, mais pour tous ceux qui existeront ?... Du reste, dût l'Europe entière se déclarer contre vous, vous êtes plus forts que l'Europe. La République française est invincible comme la raison, elle est immortelle comme la vérité. Quand la liberté a fait une conquête telle que la France, nulle puissance humaine ne peut l'en chasser. Tyrans, prodiguez vos trésors, rassemblez vos satellites, et vous hâterez votre ruine. J'en atteste vos revers, j'en atteste surtout vos succès. Un port et deux ou trois forteresses achetées par leur or : voilà donc le digne prix des efforts de tant de rois, aidés pendant cinq années par lès chefs de nos armées et par notre gouvernement même ! Apprenez qu'un peuple que vous n'avez pu vaincre avec de tels moyens est un peuple invincible.

Exécution loyale des traités qui unissaient à la France les États-Unis d'Amérique et les cantons suisses, afin d'empêcher ces deux nations libres de céder aux avances dont elles étaient l'objet de la part de la coalition, tel était le but principal du rapport de Robespierre. Mais, en traitant la question extérieure, Maximilien était amené naturellement à dire un mot de celle du dedans, puisque les plus utiles alliés des puissances étrangères étaient leurs alliés de l'intérieur. Le rapporteur du comité de Salut public ne laissa donc pas échapper l'occasion d'avertir ceux qui, par leur conduite étrange, faisaient si bien les affaires de la coalition. Vos ennemis, dit-il, savent bien que s'ils pouvaient désormais vous perdre, ce ne serait que par vous-mêmes. Faites en tout le contraire de ce qu'ils veulent que vous fassiez. Suivez toujours un plan invariable de gouvernement fondé sur les principes d'une sage et vigoureuse politique. Vos ennemis voudraient donner à la cause sublime que vous défendez un air de légèreté et de folie : soutenez-la avec toute la dignité de la raison. On veut vous diviser : restez toujours unis. On veut réveiller au milieu de vous l'orgueil, la jalousie, la défiance : ordonnez à toutes les petites passions de se taire. Le plus beau de tous les titres est celui que vous portez tous ; nous serons tous assez grands quand nous aurons sauvé la patrie. On veut annuler et avilir le gouvernement républicain dans sa naissance : donnez-lui l'activité, le ressort et la considération dont il a besoin. Ils veulent que le vaisseau de la République flotté au gré des tempêtes, sans pilote et sans but : saisissez le gouvernail d'une main ferme, et conduisez-le, à travers les écueils, au port delà paix et du bonheur.

La force peut renverser un trône, la sagesse seule peut fonder une République. Démêlez les pièges continuels de nos ennemis ; soyez révolutionnaires et politiques ; soyez terribles aux méchants et secourables aux malheureux ; fuyez à la fois le cruel modérantisme et l'exagération systématique des faux patriotes ; soyez dignes du peuple que vous représentez : le peuple hait tous les excès ; il ne veut être ni trompé ni protégé, il veut qu'on le défende en l'honorant... Quel que soit le sort personnel qui vous attend, votre triomphe est certain. La mort même des défenseurs de la liberté n'est-elle pas un triomphe ? Tout meurt, et les héros de l'humanité et les tyrans qui l'oppriment, mais à des conditions différentes.

Ce superbe rapport de Robespierre sur la situation politique de la République à l'égard des autres peuples est le premier des grands rapports présentés par lui au nom du comité de Salut public, et qui, à l'étranger, jetèrent sur sa personne un si prodigieux éclat et un tel prestige. Tous les princes de l'Europe s'habituèrent dès lors à le considérer comme le régulateur de la République, sans réfléchir que si son influence morale était immense, son autorité réelle était à peu près nulle en compensation, comme la suite de cette histoire le démontrera de reste. La Convention vota à l'unanimité et au milieu des plus vifs applaudissements les conclusions de son rapport[138], que reproduisirent la plupart des journaux du temps. Imprimé par ordre de la Convention à un très-grand nombre d'exemplaires, cet important manifeste fut distribué dans toutes les parties de la République, où il alla agrandir encore la popularité de son auteur[139].

 

XVI

Cependant le mouvement contre le culte amenait des résultats de plus en plus fâcheux. Dans un pays léger comme le nôtre, toute chose nouvelle amuse pendant un certain temps ; une foule d'hommes s'engouèrent du culte de la déesse Raison, comme plus tard d'autres se prosterneront devant les missions et courront un cierge à la main aux processions. Puis, quelle magnifique occasion pour les contre-révolutionnaires de semer partout la désolation et d'inspirer aux gens faibles et crédules la haine de la République ! Comme on dut rire à Coblentz et à Londres quand on apprit les beaux exploits des sectateurs d'Hébert !

Rome avait soigneusement respecté jadis la religion et les mœurs des peuples vaincus par elle ; mais les vandales de la Révolution se ruèrent sur les consciences comme si le salut de la République était intéressé à ce qu'on n'allât plus à la messe. Ce fut alors que la Terreur s'abattit sur les plus humbles chaumières. Bientôt, d'un bout de la France à l'autre, retentit un immense cri de désespoir. Quoi ! disaient les mères éperdues, nous n'aurons plus le droit de faire baptiser nos enfants ! Et des murmures de malédiction s'élevaient de toutes parts contre la jeune et glorieuse République. L'oppression dure, écrivait en nivôse le représentant Godefroy à Robespierre ; partout le peuple est entraîné par quelques esprits qui prétendent s'illustrer en criant qu'il faut envoyer tous les prêtres à la guillotine, et incarcérer tous ceux qui parleront encore des cérémonies du culte catholique... Si on leur parle tolérance, ils vous disent : Bientôt vous reverriez le peuple célébrer son culte, si vous le laissiez faire. Donc que la tyrannie des opinions existe. Eh bien ! ces hommes aveugles qui se targuent fièrement du nom de philosophes tombent en contradiction avec eux-mêmes. Tantôt ils vous disent : Le peuple est à la hauteur de la Révolution ; tantôt ils disent : Il y a encore des fanatiques, et bientôt, si on n'y tenait la main, les cérémonies religieuses reparaîtraient. Voilà l'état des choses[140]. Il faut lire les correspondances particulières pour se former une idée du mal causé par l'hébertisme. Dans le courant de frimaire, un Lyonnais du nom de Jérôme Gillet s'adressait en ces termes à Maximilien Robespierre, comme au citoyen le plus capable de tirer le pays de l'abîme où on le précipitait à plaisir : Le mal est grand, la plaie est profonde. Je parcours les campagnes qui nous avoisinent, elles ne sont plus reconnaissables. La stupeur, la pâleur, la douleur et la consternation sont peintes sur tous les visages. Le moribond appelle son pasteur pour entendre de sa bouche des paroles de paix et de consolation, et le pasteur est menacé de la guillotine s'il va s'acquitter de ce .devoir d'humanité, tant il est vrai que nous sommes libres !... Tous les paisibles habitants ou presque tous bénissaient la Révolution, et tous la maudissent et regrettent l'ancien régime. Les habitans des campagnes sont prêts à tout sacrifier pour les besoins de la patrie ; mais ils veulent la constitution, la liberté absolue du culte, leurs prêtres qui ont été soumis aux lois, dussent-ils les payer, ou la mort[141]. A Paris, l'intolérance n'était pas moindre que dans les campagnes. Le procureur général syndic du département, Lulier, qui s'était joint à Pache pour accompagner Gobel à la Convention, n'avait pas tardé à s'apercevoir du mauvais effet produit par l'abolition violente du culte. Un jour, s'étant opposé à l'enlèvement d'effets religieux, dans une église et ayant sollicité l'élargissement de plusieurs détenus, il fut dénoncé à la commune par la section du Bonnet rouge (Croix-rouge), traité depuis comme suspect, et la protection de Robespierre fut impuissante à le garantir de la prison[142].

La commune exerçait véritablement alors la dictature de la Terreur. Elle ne connaissait plus aucun frein, se sentant, dans la guerre contre le culte, soutenue par une masse de patriotes énergiques qui, sans réfléchir, avaient subi .l'impulsion. Les Jacobins eux-mêmes s'étaient laissé entraîner ils venaient d'appeler à la présidence du club Anacharsis Cloots, l'ardent promoteur du mouvement contre la religion catholique, et cependant ils avaient tout récemment repris le titre de Société des Amis de la constitution de 1793 ; or cette constitution reconnaissait formellement la liberté des cultes. Tout se taisait ; la déprêtrisation allait son chemin sans que personne osât se plaindre, quand une voix s'éleva, généreuse et indignée, pour protester contre l'asservissement général et réclamer au nom de la liberté des cultes ; ce fut celle de Maximilien.

Et qu'on ne vienne pas dire qu'ici Robespierre faisait un pas vers la réaction. Qu'y a-t-il de commun entre la Révolution et ce despotisme avilissant sous lequel les hébertistes prétendaient courber les consciences ? Maximilien savait bien, au contraire, que le temps n'était pas venu encore de se relâcher de la rigueur des principes. La société populaire de Montbard ayant exprimé des sentiments entachés de fédéralisme, il n'hésita pas à demander sa radiation de la liste des sociétés affiliées au club des Jacobins[143]. Tout dévoué aux patriotes sincères, il prenait chaudement, au sein du comité de Salut public, la défense du maire de Paris, de Pache, pour lequel il avait une estime toute particulière, et même de la commune de Paris, qu'on cherchait à envelopper dans la dénonciation de Chabot et de Bazire, dont nous aurons à dire un mot tout à l'heure[144]. Toutefois, jugeant qu'il était temps de mettre un terme aux folies et à la tyrannie des exagérés de la commune, il se présenta le 1er frimaire aux Jacobins, bien résolu à attaquer de face, non pas l'athéisme, comme l'on a si souvent dit à tort, — Robespierre ne fit jamais de l'athéisme un crime, ce qui eût été la plus insigne des folies, — mais l'intolérance et le despotisme odieux des meneurs hébertistes[145]. Et, répétons-le à son éternel honneur, seul il eut ce courage. D'autres suivirent, comme Danton ; mais nul peut-être, parmi les patriotes, n'aurait osé risquer sa popularité, si Robespierre n'avait pas donné l'exemple.

 

XVII

Ce fut assurément une des plus mémorables séances du club des Jacobins que celle du 1er frimaire de l'an II (21 novembre 1793). Hébert engagea l'affaire en témoignant hautement ses inquiétudes au sujet des intentions malveillantes prêtées au comité de Salut public contre les patriotes de sa trempe. Robespierre, lui avait-on assuré, devait le dénoncer à la Convention, ainsi que Pache et Chaumette. Il n'en croyait rien, mais il ne riait pas, ajouta-t-il. Il parla aussi de Danton, tout récemment arrivé d'Arcis-sur-Aube ; et comme le bruit courait que le puissant révolutionnaire était allé en Suisse, chargé des dépouilles du peuple, il le somma, puisqu'il était à Paris, de venir aux Jacobins démentir les bruits répandus sur son compte. Abordant ensuite sa thèse de prédilection, il engagea la société à poursuivre le procès des complices de Brissot, c'est-à-dire des soixante-treize, et le jugement de la race de Capet, allusion sanglante à Madame Elisabeth, dont ses amis et lui ne cessaient de réclamer la mort. Momoro parla ensuite, Momoro, le mari de la déesse Raison. Tout le mal, suivant lui, venait des prêtres : Il faudra toujours trembler, s'il en reste un seul.

Robespierre monta alors à la tribune. Il commença par défendre contre Hébert ces partisans de la Gironde qui, trois et quatre fois, d'après leur propre aveu, on le sait maintenant, lui durent la vie[146], et par disputer au substitut du procureur de la commune la tête de la malheureuse sœur de Louis XVI, du sang de laquelle il aurait voulu que la Révolution ne se tachât point. A qui persuadera-t-on que la punition de la méprisable sœur de Capet en imposerait plus à nos ennemis que celle de Capet lui-même et de sa criminelle compagne ! Sans doute, le mot méprisable est de trop, mais il faut se reporter aux passions de l'époque. Ce n'était pas chose exempte de péril que d'élever la voix en faveur des restes impurs du tyran ; il était donc presque nécessaire d'envelopper la défense d'une certaine rudesse de langage. Et, d'ailleurs, parmi les apostats de la Révolution, parmi ces Conventionnels qui ont accumulé contre la mémoire de Maximilien calomnies sur calomnies, diffamations sur diffamations, parmi ceux-là mêmes qu'on a vus plus tard revêtus de la toge de sénateur ou du manteau de pair, en est-il un qui ait osé associer sa voix à celle de Robespierre, dont l'influence isolée ne suffit pas à sauver la pauvre princesse ?

Est-il vrai encore, poursuivit l'ardent orateur, que la principale cause de nos maux soit le fanatisme ? Le fanatisme ! il expire ; je pourrais même dire qu'il est mort. En dirigeant depuis quelques jours toute notre attention contre lui, ne la détourne-t-on pas de nos véritables dangers ? Vous craignez, dites-vous, les prêtres. et ils s'empressent d'abdiquer leurs titres pour les échanger contre ceux d'officiers municipaux, d'administrateurs et même de présidents de sociétés populaires. Croyez seulement à leur amour pour la patrie, sur la foi de leur abjuration, et ils seront très-contents de vous. Si, mû par le sentiment de la justice et cédant aux inspirations du bon sens, Robespierre protesta courageusement contre les persécutions inutiles dont le clergé en général se trouva l'objet, il ne s'érigea, on le voit,, ni en défenseur systématique des prêtres, ni en champion de la religion catholique, comme on le lui a plus d'une fois reproché à tort. On peut dire même que jamais le clergé' ne lui sut gré de la protection dont il le couvrit ; car son but était, en assurant la liberté des consciences et des cultes, d'ôter aux prêtres ce prestige de la persécution et du martyre qui fut leur force la plus redoutable contre la Révolution française. Oui, craignez, non pas leur fanatisme, mais leur ambition ; non pas l'habit qu'ils portaient, mais la peau nouvelle dont ils se sont revêtus... Non, ce n'est point le fanatisme qui doit être aujourd'hui le principal objet de nos inquiétudes. Cinq ans d'une révolution qui a frappé sur les prêtres déposent de son impuissance. Je ne vois plus qu'un seul moyen de réveiller parmi nous le fanatisme, c'est d'affecter de croire à sa puissance. Le fanatisme est un animal féroce et capricieux ; il fuyait devant la raison : poursuivez-le avec de grands cris, il retournera sur ses pas. Pourquoi donc déclarer la guerre aux consciences ? Pourquoi ce zèle exagéré contre le culte et ses ministres ? se demandait Robespierre ; et il continuait en ces termes : Que des citoyens, animés par un zèle pur, viennent déposer sur l'autel de la patrie les monuments inutiles et pompeux de la superstition pour les faire servir à son triomphe, la patrie et la raison sourient à ces offrandes. Que d'autres renoncent à telles ou telles cérémonies et adoptent sur toutes ces choses l'opinion qui, leur paraît la plus conforme à la vérité, la raison et la philosophie peuvent applaudir à leur conduite. Mais de quel droit l'aristocratie et l'hypocrisie viendraient-elles ici mêler leur influence à celle du civisme et de la vertu ? De quel droit des hommes inconnus jusqu'ici dans la carrière de la Révolution viendraient-ils chercher au milieu de tous ces événements les moyens d'usurper une fausse popularité, d'entraîner les patriotes mêmes à de fausses mesures, et de jeter parmi nous le trouble et la discorde ? De quel droit viendraient-ils troubler la liberté des cultes au nom de la liberté, et attaquer le fanatisme par un fanatisme nouveau ? De quel droit feraient-ils dégénérer les hommages solennels rendus à la vérité pure en des farces éternelles et ridicules ? Pourquoi se permettrait-on de se jouer ainsi de la dignité du peuple, et d'attacher les grelots de la folie au sceptre même de la philosophie ? On a supposé qu'en accueillant des offrandes civiques, la Convention avait proscrit le culte catholique. Non, la Convention n'a point fait cette démarche téméraire, elle ne la fera jamais. Son intention -est de maintenir la liberté des cultes, qu'elle a proclamée, et de punir en même temps tous ceux qui en abuseraient pour troubler l'ordre public. Elle ne permettra pas qu'on persécute les ministres paisibles du culte, et elle les punira avec sévérité toutes les fois qu'ils oseront se prévaloir de leurs fonctions pour tromper les citoyens, et pour armer les préjugés ou le royalisme contre la République. On a dénoncé des prêtres pour avoir dit la messe ; ils la diront plus longtemps si on les empêche de la dire. Celui qui veut les empêcher est plus fanatique que celui qui dit la messe. La vérité et la raison ont-elles jamais parlé un plus noble langage ?

Qu'on puisse aller même à la messe,

Ainsi le veut la liberté,

a dit, en moins bons termes, le chansonnier Béranger.

Mais certains hommes voulaient aller plus loin, et, sous, prétexte de détruire la superstition, prétendaient faire de l'athéisme lui-même une sorte de religion. Écoutez ici Robespierre, et vous direz ensuite si sa manière de voir à l'égard des athées n'était pas tout aussi tolérante qu'à l'égard des croyants de toute espèce : Tout philosophe, tout individu, peut adopter là-dessus l'opinion qui lui plaira. Quiconque voudrait lui en faire un crime est un insensé ; mais l'homme public, mais le législateur serait cent fois plus insensé qui adopterait un pareil système. La Convention nationale l'abhorre. La Convention n'est point un faiseur de livres, un auteur de systèmes métaphysiques ; c'est un corps politique et populaire chargé de faire respecter non-seulement les droits, mais le caractère du peuple français. Ce n'est point en vain qu'elle a proclamé la Déclaration des droits de l'homme en présence de l'Être suprême. On dira peut-être que je suis un esprit étroit, un homme à préjugés, que je suis un fanatique. J'ai déjà dit que je ne parlais ni comme un individu ni comme un philosophe systématique, mais comme un représentant du peuple. L'athéisme est aristocratique. L'idée d'un grand être qui veille sur l'innocence opprimée et qui punit le crime triomphant est toute populaire. Le peuple, les malheureux, m'applaudissent ; si je trouvais des censeurs, ce serait parmi les riches et parmi les coupables. J'ai été dès le collège un assez mauvais catholique ; je n'ai jamais été ni un ami froid ni un défenseur infidèle de l'humanité. Je n'en suis que plus attaché aux idées morales et politiques que je viens de vous exposer. Si Dieu n'existait pas, il faudrait l'inventer, dit-il ensuite avec Voltaire.

Je parle dans une tribune où l'impudent Guadet osa me faire un crime d'avoir prononcé le mot de Providence. Et dans quel temps ! lorsque, le cœur ulcéré de tous les crimes dont nous étions les témoins et les victimes, lorsque, versant des larmes amères et impuissantes sur la misère du peuple éternellement trahi et opprimé, je cherchais à m'élever au-dessus de la tourbe impure des conspirateurs dont j'étais environné en invoquant contre eux la vengeance céleste au défaut de la foudre populaire. Ce sentiment est gravé dans tous les cœurs sensibles et purs ; il anima dans tous les temps les plus magnanimes défenseurs de la liberté. — Sans doute Robespierre songeait ici à Caton défendant contre César l'immortalité de l'âme. — Aussi longtemps qu'il existera des tyrans, il sera une consolation douce au cœur des opprimés ; et si jamais la tyrannie pouvait renaître parmi nous, quelle est l'âme énergique et vertueuse qui n'appellerait point en secret de son triomphe sacrilège à cette éternelle justice qui semble avoir écrit dans tous les cœurs l'arrêt de mort de tous les tyrans ? Le dernier martyr de la liberté exhalerait son âme avec un sentiment plus doux en se reposant sur cette idée consolante. Ce sentiment est celui de l'Europe et de l'Univers ; c'est celui du peuple français. Ce peuple n'est attaché ni aux prêtres, ni à la superstition, ni aux cérémonies ; il ne l'est qu'au culte en lui-même, c'est-à-dire à l'idée d'une puissance incompréhensible, l'effroi du crime et le soutien de la vertu, à laquelle il se plaît à rendre des hommages qui sont autant d'anathèmes contre l'injustice et contre le crime triomphant.

Qui croirait qu'à propos de ce magnifique discours un illustre écrivain de nos jours accuse Robespierre d'aller s'enfonçant rapidement dans les voies rétrogrades et d'être pris du mal des rois : la haine de l'Idée[147] ? Ah ! ceux qui ont la haine de 'l'Idée, ce sont ces prétendus philosophes qui, s'érigeant en apôtres de l'incrédulité, n'admettent pas qu'on ne partage point leurs doctrines, et dont l'intolérance est au moins égale à celle des plus fougueux sectaires.

Robespierre n'était-il pas dans le vrai quand il montrait la main de tous les ennemis de la Révolution dans ces farces indécentes et grossières qu'il combattait au nom même de la raison ? Se trompait-il quand il disait que le but des royalistes et des cours étrangères était d'avilir, s'il était possible, la nation française, de déshonorer ses représentants et de faire passer aux yeux des peuples les fondateurs de la République pour les dignes émules des valets de la tyrannie ? Tout cela, on le sent, atteignait directement Hébert ; toutefois Robespierre ne nomma pas le substitut du procureur de la commune. Il se défendit même d'avoir jamais eu l'intention de le dénoncer personnellement, pas plus que Chaumette où Pache, dont la vertu pure et modeste lui était connue,'dit-il ; et, à cette occasion, il rappela qu'étant président de la Convention, il avait opposé l'éloge solennel du maire de Paris aux accusations dont ce magistrat avait été l'objet à propos d'un orage passager soulevé par la malveillance[148]. Il termina en dénonçant comme des émissaires de l'étranger deux membres de la société : Dubuisson, envoyé jadis en mission auprès de Dumouriez par le ministre Le Brun, et Proly, fils naturel du prince de Kaunitz, un des principaux ministres de la maison d'Autriche. Ces deux hommes, couverts du masque du sans-culottisme, disait Robespierre, avaient organisé un système patriotique de contre-révolution, et ils avaient pour complices des banquiers prussiens, anglais, autrichiens et même français ; parmi leurs affidés, il cita Desfieux et Péreyra, et proposa à la société de passer tous ses membres à un sévère scrutin épuratoire, afin de reconnaître et de chasser les agents des puissances étrangères qui se seraient introduits dans son sein[149]. Le discours de Robespierre avait été fréquemment inter, rompu par les plus chaleureux applaudissements ; sa proposition fut adoptée avec un empressement universel sans soulever la moindre réclamation.

Maximilien montra de nouveau en cette circonstance l'exemple de ce courage civil qu'il possédait au suprême degré, et dont if avait fait preuve si souvent déjà, notamment après la fuite de Varennes, dans la soirée néfaste du 17 juillet 1791, et le jour où, comme pour donner une leçon à Dumouriez, il avait jeté à terre le bonnet rouge en pleine séance des Jacobins. Car, encore une fois, il ne faut pas s'y méprendre, la réaction contre l'intolérance hébertiste n'était point chose aisée, comme on peut le voir par ces lignes où la Feuille du salut public, le journal de Rousselin et de Garat, félicite Robespierre de sa courageuse protestation en faveur de la liberté des cultes : Voilà une de ces vérités morales législatives qui ne peut être trop méditée, et qui, disons-le franchement, ne pouvait plus sans danger être énoncée que par un homme d'une réputation à toute épreuve, tant les exagérateurs avoient outrepassé les bornes prescrites par la raison[150].

 

XVIII

Mais ces exagérateurs ne se rendirent pas aisément, car, le surlendemain, sur les réquisitions de Chaumette, la commune prit l'arrêté dont nous avons parlé plus haut, qui ordonnait la fermeture de toutes les églises, et l'arrestation comme suspects de tous les prêtre qui demanderaient l'ouverture d'un temple. Danton, qu'avait touché l'accusation indirecte lancée contre lui aux Jacobins par Hébert, joignit sa voix à celle de Robespierre pour dénoncer les saturnales hébertistes : Si nous n'avons pas honoré le prêtre de l'erreur et du fanatisme, nous ne voulons pas plus honorer le prêtre de l'incrédulité. Il réclama la suppression des mascarades antireligieuses au sein de la Convention et un prompt rapport du comité de Salut public sur les moyens de donner une action grande et forte au gouvernement provisoire. Puis, à la fin de la même séance, en l'entendit s'écrier, après qu'il eut formellement déclaré que le temps de l'inflexibilité et des vengeances nationales n'était point passé : Si la Grèce eut ses jeux olympiques, la France solennisera aussi ses jours sans-culottides. Le peuple aura des fêtes dans lesquelles il offrira de l'encens à l'Être suprême, au maître de la nature ; car nous n'avons pas voulu anéantir la superstition pour établir le règne de l'athéisme[151]. Robespierre, on le voit, ne fut pas l'inventeur du culte de l'Être suprême, et la secte matérialiste qui range aujourd'hui Danton parmi ses saints pour l'opposer au trop religieux Maximilien, oublie bien facilement, en vérité, la part si honorable d'ailleurs que l'ardent tribun des Cordeliers prit personnellement à la lutte contre l'hébertisme.

Robespierre, du reste, s'inquiétait fort peu de la question religieuse en elle-même, comme on a pu s'en convaincre ; il s'agissait uniquement, à ses yeux, d'une simple question de liberté de conscience, de liberté des cultes. Et comment ne se serait-il pas indigné a la nouvelle des persécutions dirigées contre les citoyens suspects d'attachement à leur religion ? Comment ne se serait-il pas ému à la lecture de lettres analogues à celles dont nous avons donné quelques extraits et où éclatait le désespoir des opprimés ? Ce fut donc au nom de la liberté que, dans la séance du 15 frimaire (15 décembre 1793), il monta à la tribune de la Convention pour plaider de nouveau la cause de la tolérance religieuse. Il avoua bien haut qu'il était du parti des patriotes ardents, mais non point de ceux qui, sous les formes de la liberté, s'acharnaient à décrier les meilleurs citoyens. Il engagea ses collègues à démêler soigneusement ce qui appartenait à l'hypocrisie et à la malveillance d'avec ce qui était l'effet du patriotisme pur. Le système de calomnies imaginé pour discréditer les meilleurs amis du peuple, les efforts tentés pour réveiller le fanatisme, pour armer l'homme qui, sans être mauvais citoyen, était attaché à son opinion religieuse, contre celui qui en professait une autre ; ces dénonciations délirantes sans cesse renouvelées pour détourner la Convention des véritables intérêts de la patrie, tout cela était, selon lui, l'ouvrage des cours étrangères. On avait attaqué avec fureur le culte catholique afin de réveiller le fanatisme, afin d'engendrer une guerre de religion et d'étouffer par là l'enthousiasme de la liberté. Comment certaines communes pouvaient-elles s'attacher à la République, quand on les obligeait, par la force armée, de déserter leurs églises, quand des ministres du culte étaient mis en arrestation à cause de leur seule qualité de prêtres ? Il fallait donc, disait Robespierre à ses collègues, parler au peuple en législateurs politiques, en hommes sages et éclairés, indiquer aux patriotes les pièges tendus à leur bonne foi, et protéger ceux qui tenaient à leur culte. Puis, comprenant que des citoyens sincères avaient pu se laisser aller sans mauvaise intention à des exagérations funestes, il ajoutait : Corrigez les écarts du patriotisme, mais faites-le avec le ménagement dû à des amis de la liberté un instant égarés. Je demande que vous défendiez aux autorités particulières de servir nos ennemis par des mesures irréfléchies, et qu'aucune force armée ne puisse s'immiscer dans ce qui appartient aux opinions religieuses. Enfin je vous propose une mesure digne de la Convention : c'est de rappeler solennellement tous les citoyens à l'intérêt public, de les éclairer par vos principes comme vous les animez par votre exemple, et de les engager à mettre de côté toutes les disputes dangereuses pour ne s'occuper que du salut de la patrie[152]. Conséquemment à ces propositions, l'Assemblée défendit toutes violences ou menaces contraires à la liberté des cultes, sans déroger pour cela en aucune manière aux lois répressives ni aux précautions de salut public contre les prêtres réfractaires ou turbulents qui tenteraient d'abuser du prétexte de la religion pour compromettre-la cause de la liberté[153].

Comment tous les bons citoyens, tous les patriotes éclairés, n'auraient-ils pas béni l'homme dont les paroles empreintes d'une modération si vraie rendaient cœur aux opprimés et rassuraient les consciences ? Mais, en revanche, tout ce que la France d'alors renfermait d'enragés, de tartufes d'incrédulité, de contre-révolutionnaires coiffés du bonnet rouge, se déchaîna contre lui. Les prêtres ne furent pas les derniers à maudire cet importun qui venait leur arracher la couronne du martyre et leur ôter tout prétexte de soulever les consciences contre la Révolution. L'évêque de Beauvais, Massieu, ancien collègue de Maximilien à la Constituante et député à la Convention nationale, étant en mission dans les départements de l'Est, s'écria un jour à Vitry-le-François, du haut d'une tribune populaire : Les prêtres sont des scélérats ; je les connais mieux qu'un autre, puisque j'ai été leur colonel. Malheur à vous si vous ne faites au fanatisme une guerre d'extermination. Robespierre lui-même rendra compte aux révolutionnaires du fanatique discours qu'il a prononcé aux Jacobins le 1er frimaire dernier[154]. Au 9 Thermidor se réalisera la prédiction de l'évêque.

Maximilien reçut même des lettres anonymes pleines de menaces. Une de ces lettres, dont le cachet portait l'empreinte d'un gros évêque, le détermina à remonter, le 8 frimaire (29 novembre), à la tribune des Jacobins pour arracher le masque à cette classe d'adroits ennemis du peuple qu'on reconnaissait, dit-il, à l'affectation avec laquelle ils exagéraient les mesures de patriotisme, et qui rendaient nuls les plus sages moyens en cherchant a entraîner la Révolution au delà du but. A l'appui de sa thèse, il donna lecture d'une lettre surprise sur quelque espion et envoyée au comité de Salut public par le général Pichegru, lettre où l'on conseillait aux émigrés de déclarer dans une adresse aux Français qu'ils n'avaient jamais partagé les sentiments d'une faction abominable et désorganisatrice. Il fit ensuite connaître une épître suspecte écrite à Brissot, puis lut une lettre adressée à lui personnellement, et sur l'enveloppe de laquelle on avait écrit à la main : Très-pressée.

Il y avait alors une fabrique de lettres anonymes destinées aux principaux personnages de la Révolution, dans l'esprit desquels on s'imaginait peut-être jeter la frayeur et le découragement, comme si les patriotes de ce temps pouvaient avoir autre chose que du mépris pour ces œuvres d'infamie et de lâcheté. La lettre mise par Robespierre sous les yeux de la société des Jacobins est bien le type du genre de toutes ces lettres anonymes, bêtes et odieuses, dont Courtois a émaillé son rapport et sur lesquelles nous aurons d'intéressantes explications à donner. Il y était dit : Je connais trop bien, citoyen, ta façon de penser aristocrate pour que je puisse te laisser dans l'incertitude sur l'état de nos affaires, et cela est d'autant plus important que la place que tu occupes est plus éminente. Je sais que tu veux la République ; mais tu veux aussi les nobles et les prêtres, selon que tu me l'as mainte et mainte fois déclaré à Paris lorsque j'y séjournais. Je te parle à cœur ouvert parce que je sais que, persuadé de ton civisme, on ne te fera pas de mal. Les patriotes, ces f... coquins, pour me servir de tes expressions, sont battus de toutes parts. J'espère que bientôt le temps viendra de te manifester. J'ai écrit au comte d'Artois pour ce que tu sais bien ; il m'a dit que, tu devais te tenir tranquille jusqu'à ce que le prince de Cobourg soit proche de Paris. Il accepte la proposition de livrer Paris à ce général autrichien. Sur le verso de l'enveloppe étaient écrits ces mots : On prie les personnes par les mains desquelles passera cette lettre de ne pas l'ouvrir. L'auteur de cette grossière machination supposait sans doute que cette invitation même suffirait pour déterminer les employés de la poste à décacheter la lettre, et à coup sûr il se félicitait d'avoir jeté dans l'âme des patriotes les soupçons les plus violents contre l'incorruptible membre du comité de Salut public ; mais il fut trompé dans son attente, la lettre parvint intacte à son adresse, et ce fut, comme on voit, Robespierre lui-même qui en donna connaissance au pays entier.

Elle était, selon lui, l'œuvre des agents des cours étrangères, et il affirma que, malgré les apparences contraires, elle avait été fabriquée à Paris. Parce que, dit-il, je me suis opposé au torrent des extravagances contre-révolutionnaires imaginées par nos ennemis pour réveiller le fanatisme, on a prétendu pouvoir en conclure que j'étayais les prêtres, que je soutenais le fanatisme, et la lettre que je viens de vous lire porte principalement sur cette idée. C'était vraisemblablement, ajouta-t-il, l'ouvrage de Proly, de l'infâme Proly, chez qui l'on portait les lettres de la correspondance des Jacobins et qui en dictait les réponses. Avec quelle perfidie on attaquait chaque jour en détail les membres les plus énergiques de la Convention nationale ! Ces hommes, continuait Robespierre en faisant allusion aux exagérés, cherchent à discréditer le comité de Salut public, ce comité trop redouté des ennemis de la France pour n'être pas le principal objet des attaques de leurs lâches émissaires. Eh bien ! qu'ils prennent nos places ! — Non, non ! s'écria tout d'une voix l'assemblée par un mouvement unanime et spontané. — Qu'ils prennent nos places, reprit Robespierre, nous verrons comment ils pourvoiront aux besoins de l'intérieur, comment ils repousseront d'une main les calomnies et de l'autre imprimeront à la nation une marche révolutionnaire, comment enfin ils dirigeront les armées, assureront à tous les subsistances, obtiendront des soldats l'obéissance et de la part des généraux la plus stricte probité. Il promettait, du reste, de dénoncer à la vindicte 'publique ceux qui, à la place de l'intérêt du peuple, mettaient leur intérêt particulier. N'était-ce pas ces hideux Thermidoriens qu'ici il désignait d'avance ?

Parmi ces hommes qui paraient d'un zèle antireligieux leur marche tortueusement contre-révolutionnaire, il cita l'évêque de Canisi, ancien membre royaliste de la Constituante, et qu'aujourd'hui on voyait à la tête de la section des. Tuileries. C'était. un de ceux qui, tout en sacrifiant publiquement à la déesse Raison, s'empresseraient, selon Robespierre, de faire le procès aux auteurs du 10 août et du 31 mai, si le régime après lequel ils soupiraient en secret et dont ils conspiraient le retour par leurs exagérations mêmes venait à reparaître. Oui, ajoutait l'orateur, tous ces hommes faux sont criminels, et nous les punirons malgré leur apparent patriotisme. Le premier il avait osé dire à la tribune des Jacobins qu'il pouvait se rencontrer un prêtre honnête homme, et il ne faisait nulle difficulté de croire à la bonne foi de plusieurs de ceux qu'on avait vus déposer leurs titres à la barre de la Convention. A ceux-là il promettait l'estime et l'appui des patriotes. Quant aux aristocrates qui, en venant offrir, au milieu de-farces ridicules, les dépouilles des églises, se targuaient de ces offrandes comme d'un mérite patriotique, ils avaient un but, celui de présenter à l'Europe la Convention et tous les vrais amis de la Révolution comme les complices des saturnales dont ils étaient les auteurs, afin qu'on pût dire sans doute : Les Français avaient juré la tolérance universelle, la liberté des cultes, et ils persécutent toutes les religions. Ces ennemis déguisés de la Révolution, et les plus dangereux, porteraient la peine de leurs perfidies. Les représentants du peuple, disait encore Robespierre, contents de remplir leurs devoirs dans leur plus rigoureuse étendue, ont confiance dans la foi publique, dans la raison nationale. Pour lui, si le comité de Salut public trompait le peuple, il serait le premier à le dénoncer à la face de l'univers ; mais il se portait sa caution, et croyait pouvoir affirmer que, dans la gigantesque lutte du crime avec la vertu, de la calomnie avec l'innocence, ce grand comité triompherait des menées imaginées pour étouffer la République[155].

Ce discours de Robespierre, que nous n'avons pu que bien rapidement analyser, fut extrêmement applaudi[156] et donna singulièrement à penser aux hébertistes. Les persécutions contre le culte cessèrent à Paris jusqu'au 9 Thermidor, et le Père Duchesne écrivit, en s'adressant au peuple : Laisse les sots adorer leurs magots et leurs magotes. Contente-toi de rire de leurs bêtises, mais ne les persécute pas : bientôt le métier tombera de lui-même. D'ailleurs, f..... ! la Convention a mis sur le chantier le grand travail de l'instruction publique[157]. Hébert se rétracta lui-même très-catégoriquement en plein club des Jacobins et censura vivement les mascarades auxquelles il avait applaudi peu de jours auparavant[158]. Que d'efforts il fallut à Robespierre pour ramener ses concitoyens au vrai culte de la raison. Instruire le peuple, c'était en effet, à ses yeux, le meilleur moyen de déraciner la superstition du cœur des masses et de les initier à la grande religion naturelle des Socrate, des Caton et des Rousseau[159].

 

XIX

Mais si la farce cessa à Paris, elle continua de plus belle dans les départements. Les Tallien, les Raudot, les Carrier, les Dumont, les Fouché, ces lurons de la ganse, comme disait Hébert en parlant des déprêtrisateurs[160], persistaient à désoler les provinces ; sous prétexte de rendre hommage à la raison, ils outrageaient chaque jour le bon sens et prétendaient courber la nation entière sous le joug de l'incrédulité. Partout on ferme les églises, on brûle les confessionnaux et les saints, on fait des gargousses avec les livres des lutrins, écrivait André Dumont[161]. Par une coïncidence fâcheuse, les rois coalisés lançaient vers le même temps des manifestes où les républicains français étaient accusés d'être un ramassis de brigands révoltés contre toutes les lois divines et humaines. Ce n'était plus au nom de la royauté menacée et des princes du sang errant comme des ombres en Europe qu'on tentait cette fois de soulever la France contre la Révolution. Non, c'était Dieu lui-même dont on avait la prétention de soutenir la cause ; sur le foyer à peine éteint de la guerre civile on espérait allumer une guerre religieuse où s'abîmerait la République.

Le comité de Salut public, sentant le danger, chargea Robespierre de rédiger un contre-manifeste en réponse aux circulaires des puissances en guerre avec la France. Le 15 frimaire (5 décembre 1793), Maximilien parut à la tribune de la Convention, et commença en ces termes : Les rois coalisés nous font la guerre avec des armées, avec des intrigues et avec des libelles. Nous opposerons à leurs armées des armées plus braves ; à leurs intrigues la vigilance et la terreur de la justice nationale ; à leurs libelles, la vérité. C'était à la Convention nationale, disait-il ensuite, à empêcher la République de se détruire de ses propres mains, à intervenir entre le fanatisme qu'on voulait réveiller et le patriotisme qu'on cherchait à égarer, et à rallier tous les citoyens aux principes de la liberté, de la raison et de la justice. Puis il donna lecture du projet d'adresse destiné à confondre les impostures de tous les tyrans ligués contre la Révolution.

Dans ce manifeste, que Camille Desmoulins émerveillé appela sublime, Robespierre faisait, avec juste raison, remonter aux rois de l'Europe la responsabilité des malheurs qui avaient fondu sur la France et des mesures de rigueur que la Révolution avait été obligée de prendre. Ils nous accusent d'irréligion, ils publient que nous avons déclaré la guerre à l'humanité même. Quelle est édifiante la piété des tyrans ! et combien doivent être agréables au ciel les vertus qui brillent dans les cours et les bienfaits qu'ils répandent ! De quel Dieu nous parlent-ils ? S'ils invoquent le ciel, c'est pour usurper la terre ; s'ils nous parlent de la Divinité, c'est pour se mettre à sa place... Qu'avait fait la Révolution ? continuait-il. Elle avait réalisé les lois de la justice éternelle, ces lois appelées dédaigneusement jusqu'ici les rêves des gens de bien. Elle avait introduit dans le gouvernement des nations la morale reléguée dans les livres des philosophes. Séparant avec soin la cause des peuples de celle des despotes couronnés, Maximilien ajoutait : Vos maîtres vous disent que la nation française a proscrit toutes les religions, qu'elle a substitué le culte de quelques hommes à celui de la Divinité, ils nous peignent à vos yeux comme un peuple idolâtre ou insensé. Ils mentent. Le peuple français et ses représentants respectent la liberté de tous les cultes, et n'en proscrivent aucun ; ils abhorrent l'intolérance et la persécution, de quelques prétextes qu'elles se couvrent ; ils condamnent les extravagances du philosophisme comme les crimes du fanatisme. Rappelant ensuite avec orgueil toutes les conquêtes de la Révolution française, les prodigieux efforts tentés par la nation pour les défendre contre tant d'attaques perfides, il rendait un solennel hommage aux citoyens victimes de leur vertu républicaine et de leur amour pour la patrie : à Drouet, tombé entre les mains des Autrichiens, par une odieuse trahison ; à Pierre Bayle et à Beauvais, martyrisés dans Toulon par les odieux satellites de la tyrannie ; à Gasparin, mort devant les murs de cette ville en enflammant par son exemple le cœur de nos soldats. Puis, après avoir comparé les faits et gestes de la France républicaine avec ceux des rois, princes, ministres, généraux et courtisans coalisés contre elle ; après avoir demandé à ces derniers quels importants services ils avaient rendus à l'humanité ; après avoir évoqué le souvenir sanglant de nos prisonniers égorgés de sang-froid, et flétri le machiavélisme de ce peuple anglais chez lequel le talent même des députés était un objet d'industrie comme la laine de ses moutons, l'acier de ses fabriques, et qui osait parler de morale et de liberté, il terminait en ces termes ; Français, oublions nos querelles et marchons aux tyrans ; domptons-les, vous par vos armes, et nous par nos lois. Que les traîtres tremblent, que le dernier des lâches émissaires de nos ennemis disparaisse, que le patriotisme triomphe, et que l'innocent se rassure. Français, combattez ! Votre cause est sainte, vos courages sont invincibles ; vos représentants savent mourir ; ils peuvent faire plus, ils savent vaincre[162].

Le manifeste rédigé par Maximilien répondait trop bien aux sentiments exprimés par la majorité de la Convention pour n'être pas adopté avec enthousiasme. L'Assemblée décréta que cette adresse et le discours dont elle était précédée seraient imprimés aux frais de la République, distribués au nombre de six exemplaires à chacun de ses membres et traduits dans toutes les langues[163]. Telle était l'importance attachée alors à ce manifeste et au dernier rapport de Robespierre sur la situation politique de la République, que dans le courant du mois suivant le comité de Salut public arrêtait que ces deux pièces seraient envoyées à tous les représentants du peuple en mission près les armées et dans les différentes parties de la République pour être réimprimées par leurs ordres et répandues le plus possible en France et dans les pays étrangers[164].

Ce fut à la fin de cette séance du 15 frimaire que, sur le rapport de Barère, très-vivement appuyé par une rapide improvisation de Robespierre analysée plus haut, la Convention rendit son décret relatif à la liberté des cultes. Ce décret, le comité de Salut public en ordonna l'impression à cinquante mille exemplaires, l'adressa à tous les districts et communes de la République[165] ; et malgré cela les démolisseurs d'autels, les persécuteurs de consciences n'en continuèrent pas moins leurs exploits. Nous aurons à revenir sur les ravages de l'hébertisme. Ici. l'on déclarait suspect tout ministre du culte qui n'avait pas abdiqué son état ; là on forçait les citoyens à aller chanter des hymnes patriotiques dans le temple de la Raison. Les arrêtés du comité étaient sans force contre le mal. Que de fois le cri de désespoir des opprimés monta vers Robespierre ! On invoquait la constitution, la Déclaration des droits. Remplis de confiance en ton équité, citoyen représentant, écrivaient à Maximilien les syndics de la paroisse de Saint-Just (Lot-et-Garonne), nous te conjurons, les larmes aux yeux et au nom de la religion, de nous être favorable : nous ne demandons que la justice. Nous ne tenons point aux exercices extérieurs... car nous n'avons jamais été fanatisés... mais si par ton canal nous pouvions conserver le culte public dans l'intérieur de nos églises et notre cloche comme le signal pour nous y rendre, nous te bénirions à jamais ; ce bienfait serait gravé dans nos cœurs, et tu nous porterais à une reconnaissance éternelle[166]. Hélas ! qu'est-elle devenue cette reconnaissance éternelle ? Qui se souvient aujourd'hui, parmi les gens attachés à leur culte, des luttes soutenues par Maximilien pour défendre non pas la religion catholique en elle-même, dont il se souciait fort peu, mais la liberté des cultes et la liberté de conscience ? Robespierre ne se lassa pas. Nous l'entendrons encore élever avec courage la voix en faveur des citoyens opprimés pour cause de religion, et le fameux décret relatif à la reconnaissance de l'Être suprême, décret par lequel se trouvera formellement reconnue et consacrée la liberté de tous les cultes, ne sera qu'une solennelle protestation contre l'intolérance et la tyrannie des dévots de l'athéisme.

 

XX

On ne se rend pas généralement assez compte des difficultés avec lesquelles le comité de Salut public se trouvait aux prises, et de ses prodigieux efforts pour comprimer l'exagération révolutionnaire sans sortir des voies raisonnables de rigueur et d'inflexibilité, hors desquelles, quoi qu'on ait pu dire, il n'était pas de salut possible. Bien souvent il lui arriva d'écrire à certains députés en mission pour ralentir leur zèle. Ce fut ainsi que le 7 frimaire (27 novembre), se fondant sur ce qu'il appartenait à la Convention seule de décréter la peine de mort, et sur ce que, d'ailleurs, il était contraire aux droits des citoyens français de les empêcher de se réfugier dans toutes les parties de la République lorsque l'ennemi avait fait irruption dans quelques communes, il annulait un arrêté de Lacoste et de Peyssard, représentants du peuple en mission près l'armée du Nord, arrêté en vertu duquel devaient être condamnés à mort ceux qui des communes envahies passaient dans les communes non envahies[167].

On a dit et répété trop souvent, sur la foi de Mémoires particuliers, que depuis le 31 mai la Convention nationale avait abdiqué son omnipotence au profit du comité de Salut public, qu'elle était devenue une simple machine à voter. Ceux-là ont commis une lâcheté inutile qui, comme les Thibaudeau, les Durand-Maillane et autres, ont, au temps de la réaction et pour essayer de dégager leur responsabilité, écrit que l'Assemblée se soumettait en esclave docile à toutes les injonctions de son comité. C'est ici le cas d'appliquer l'axiome connu : Nemo creditur propriam turpitudinem allegans. Chaque fois que la Convention vota sans discussion un projet de décret présenté par le comité de Salut public, ce fut parce que l'immense majorité de ses membres se trouva en parfaite communion d'idées avec ce comité. Le jour où, pour le malheur de la République, il lui plut de le briser, elle le fit avec une facilité étonnante. Du reste, lorsqu'après Thermidor Laurent Lecointre, dans son accusation contre les anciens collègues de Robespierre, reprocha au comité de Salut public d'avoir anéanti la liberté des opinions au sein de la Convention nationale, il y eut dans l'Assemblée un frémissement d'indignation, et, devant une protestation unanime, Lecointre fut en quelque sorte obligé de se rétracter[168]. On peut même affirmer qu'en masse la Convention se montra beaucoup plus inexorable que ses comités. De cela je veux citer un exemple saisissant.

Le 25 pluviôse (13 février 1794), un notaire de Paris nommé Chaudot, arrêté en vertu d'un ordre du comité de Sûreté générale, avait été condamné à mort par le tribunal révolutionnaire. Le lendemain, sur une pétition appuyée par Vadier, la Convention nationale décréta, au milieu des plus vifs applaudissements, qu'il serait sursis au jugement. On croyait le malheureux Chaudot sauvé. Mais, le 29 pluviôse, Oudot paraissait à la tribune, et, au nom des comités de Législation et de Sûreté générale réunis, il proposait à la Convention de rapporter le décret sauveur. Ce serait, disait-il dans un discours très-étendu, frapper à mort l'institution du jury si, sans avoir assisté aux débats, on venait annuler son verdict. Les faits sur lesquels avait prononcé le jury étaient constants. Chaudot avait été traduit devant le tribunal révolutionnaire pour avoir signé en second un acte d'emprunt contracté par les fils du roi d'Angleterre dans le courant de l'année 1790, et ouvert chez Brichard, autre notaire à Paris. Quant au tribunal, il s'était contenté d'appliquer la loi. Le rapporteur ne pensait pas que, pour des raisons d'humanité qui pourtant lui semblaient se réunir en grand nombre dans cette affaire, on pût violer la loi. La véritable humanité, suivant lui, devait avoir pour objet la totalité des citoyens plutôt qu'un individu. L'humanité, ajoutait Oudot, est de punir les ennemis du peuple, c'est de maintenir l'énergie du gouvernement révolutionnaire, qui fait trembler les conspirateurs et ceux qui haïssent l'égalité. Ils jouissaient d'avance, ces jours derniers, de l'espoir qu'ils attachaient au résultat de cette affaire ; ils ont bien senti quelle atteinte il porterait aux principes, s'il était tel qu'ils le désirent, et quelle chance de faveur, d'indulgence et de grâce ils obtiendraient a l'avenir pour les adroits conspirateurs qui pourraient désormais se flatter d'échapper à la justice nationale... La Convention se rendit sur-le-champ aux raisons du jurisconsulte Oudot ; elle rapporta purement et simplement son décret de sursis, bien qu'une foule de raisons militassent en faveur du condamné, et l'infortuné Chaudot fut décapité le lendemain[169]. Or, le comité de Salut public n'avait pas influencé l'Assemblée puisqu'aucun de ses membres ne donna son avis dans cette affaire.

Je le répète donc, quand la Convention adopta sans discussion quelque projet de loi du comité, ce ne fut point parce qu'elle se trouvait terrorisée, mais parce qu'elle jugeait à propos de le faire. En plus d'une circonstance il lui arriva de discuter très-longuement les rapports soumis à son approbation, comme lors de la présentation du décret constitutif du gouvernement révolutionnaire, décret dont les débats tinrent plusieurs séances et qui fut définitivement voté la veille du jour où Robespierre lut son manifeste contre les rois coalisés. De ce décret vient la belle création du Bulletin des lois, qui a survécu[170]. Parmi les modifications qu'il apporta à l'administration, nous devons noter la substitution des agents nationaux aux procureurs syndics de la commune, dont le nom semblait moins approprié aux fonctions de cette classe d'administrateurs. Dans le cours de la discussion, Merlin (de Thionville), renouvelant une motion de Danton, demanda la conversion du comité de Salut public en comité de gouvernement. Mais le comité s'y opposa, comme s'il eût deviné un piège sous la proposition de Merlin, et, par la bouche de Billaud-Varenne, rapporteur du projet de loi sur le gouvernement révolutionnaire, il répondit qu'à la Convention seule appartenait la mission de gouverner. L'Assemblée passa à l'ordre du jour.

Bourdon (de l'Oise), qui ne perdait jamais l'occasion de satisfaire ses haines personnelles, profita de la discussion de ce projet de loi pour attaquer de nouveau Bouchotte, dont les principaux commis étaient ses ennemis jurés. A la séance du 14 frimaire (4 décembre 1794), il se leva tout à coup au moment où l'on votait les derniers articles du décret, et réclama la suppression des ministres, cette vermine royale que je voudrais voir écrasée, dit-il. Puis, prenant à partie le ministre de la guerre, il demanda à quoi il était bon, et pria l'Assemblée de renvoyer sa proposition au comité de Salut public si elle ne voulait pas se prononcer immédiatement. Mais Robespierre, qu'il avait déjà rencontré comme adversaire lors de ses diatribes contre Rossignol et Bouchotte, combattit vivement la proposition de Bourdon. Dans cette attaque contre le ministère il vit bien percer la haine personnelle de l'agresseur pour un homme dont les travaux assidus et le caractère probe et républicain lui paraissaient, a lui Robespierre, devoir être une barrière insurmontable à tous les conspirateurs. La Convention et le comité de Salut public ne trouvaient-ils pas dans les ministres actuels d'utiles et de dévoués auxiliaires ? Il n'y avait donc pas lieu de les supprimer quant à présent, sous peine de désorganiser le service et d'entraver les affaires publiques. L'Assemblée fut de cet avis ; elle écarta par l'ordre du jour la proposition intempestive de Bourdon (de l'Oise), dans le cœur duquel, de jour en jour, s'accumulaient contre Robespierre des flots de fiel et des haines mortelles[171].

 

XXI

Tandis qu'à la Convention se discutait le décret relatif à l'organisation du gouvernement révolutionnaire, le club des Jacobins offrait le spectacle de scènes étranges et imposantes. A la suite du discours prononcé par Robespierre, dans la séance du 1er frimaire, contre les fanatiques et les intolérants de l'athéisme, discours où l'illustre orateur avait engagé ses concitoyens à se méfier de ces gens dont le zèle outré tendait à tout bouleverser, il avait été décidé, on s'en souvient, que chacun des membres serait soumis à un scrutin épuratoire. Les opérations commencèrent le 6 frimaire (26 novembre 1793), sous la présidence d'Anacharsis Cloots. Ce jour-là, Robespierre passa un des premiers au scrutin ; adopté au milieu d'universels applaudissements, il fut nommé membre de la commission d'épuration avec Montaut, Sijas, Merlin (de Thionville) et quelques autres[172].

Qu'étais-tu en 1789 ? Qu'as-tu fait depuis ? Quelle a été ta fortune jusqu'en 1793, et quelle est-elle maintenant ? Telles étaient, suivant Merlin, les questions principales qu'on devait adresser à chacun. Les récusations étaient proposées publiquement, à haute voix, et le membre inculpé répondait séance tenante à la tribune. On vit à ce propos se produire les incidents les plus curieux ; certains hommes, par exemple, mirent autant de soin et de véhémence à se parer d'une extraction roturière qu'ils en avaient apporté jadis ou en apportèrent depuis à se poser en descendants des croisés et à revendiquer des titres de noblesse. Mon aïeul était tisserand, voilà ma noblesse, s'écria Montaut, et il se vanta d'avoir demandé à l'Assemblée législative un décret d'accusation contre Bertrand de Molleville, parce que ce ministre avait donné à son propre frère à lui un grade de lieutenant de vaisseau de première classe et trois mille six cents livres de pension pour l'engager à émigrer[173]. Mais c'était là de ces excès de zèle dont se méfiait Robespierre. Défenseur du Père Duchesne, l'ex-marquis de Maribon-Montaut était de ceux qui s'acharnaient à réclamer le jugement des soixante-treize signataires de la protestation contre le 31 mai[174] ; il était du nombre des hommes cruels, suivant l'expression du député girondin Girault[175], auxquels Robespierre disputa victorieusement la vie de ces partisans de la Gironde. Ce fut lui qui, à propos du suicide de Roland, demanda que les biens des accusés qui se soustrairaient par une mort volontaire au jugement du tribunal révolutionnaire fussent acquis à la République. Et son ami Bourdon (de l'Oise), renchérissant, faisait étendre la même mesure à ceux qui se feraient tuer par un tiers[176]. On comprend l'éloignement instinctif de Robespierre pour cette espèce de révolutionnaires. Il leur reprochait d'être les auteurs d'un système de désorganisation générale, sans cesse occupés à décrier le comité de Salut public. Leur sévérité de parade contrastait ridiculement, selon lui, avec les rapines que leur reprochait la voix publique. On connaît son jugement sur Montaut. Maribon dit Montaut, naguère créature et partisan déclaré du ci-devant duc d'Orléans, le seul de sa famille qui ne soit point émigré ; jadis aussi enorgueilli de son titre de marquis et de sa noblesse financière qu'il est maintenant hardi à les nier ; servant de son mieux ses amis de Coblentz dans les sociétés populaires, où il vouait dernièrement à la guillotine cinq cents membres de la Convention nationale[177]. Toutefois, Robespierre ne dit rien ce jour-là contre lui. Moins heureux fut le citoyen Guirault, qui de Bordeaux était venu à Paris, où dès longtemps il s'était fait une réputation d'intrigant, ce que Maximilien crut devoir rappeler. Guirault prétendit qu'il avait été calomnié par des agents de Pache, et que Robespierre avait été circonvenu à son égard. A quoi ce dernier fit cette réponse, digne d'être rapportée : Je n'ai pas entendu parler de Guirault depuis plus de trois mois, excepté dans la société ; je ne suis circonvenu par personne, ni sur les hommes ni sur les choses, parce que personne ne vit d'une manière plus isolée[178]. Nous dirons bientôt, en effet, son existence retirée et patriarcale. L'affaire, d'ailleurs, n'eut pas d'autres suites.

S'il pouvait être dangereux, au point de vue du maintien dans la société, d'être l'objet d'une inculpation de la part de Robespierre, on comprend combien favorable pouvait être sa simple recommandation. Il n'était pas rare de voir des individus se prévaloir de leurs rapports avec lui comme d'une garantie de patriotisme. Ce fut ce qui arriva au citoyen Taschereau. Vivement inculpé par Deschamps et par Dobsent à cause de ses liaisons équivoques et de sa conduite ambiguë dans les diverses circonstances de la Révolution, il chercha à s'abriter derrière l'amitié de Robespierre. Celui-ci demanda aussitôt à s'expliquer sur la nature de cette prétendue amitié, laquelle s'était bornée à quelques relations de la vie publique. Néanmoins, il n'abandonna pas Taschereau, dont la conduite, dit-il, lui avait paru constamment conforme aux vrais principes ; il ajouta seulement qu'en même temps un instinct de défiance l'avait toujours mis en garde contre lui[179]. Singulière perspicacité de Robespierre ! Ce Taschereau devint, après Thermidor, un de ses plus vils calomniateurs. Incarcéré comme ayant été l'un de ses partisans, il essaya de fléchir ses persécuteurs en vomissant les plus ineptes calomnies contre le grand citoyen dont jadis il s'était vanté d'être l'ami. Il faut lire la rapsodie intitulée : A MAXIMILIEN ROBESPIERRE AUX ENFERS, pour se faire une idée de la lâcheté dont sont capables certains hommes[180]. Ce Taschereau, du reste, ne profita guère de l'espèce de brevet de civisme qu'en cette séance des Jacobins voulut bien lui décerner Robespierre, car la société, à la presque unanimité, ne l'en expulsa pas moins de son sein[181], comme si, d'avance, elle eût jugé ce qu'il y avait de bas dans le caractère de cet homme.

 

XXII

Robespierre prit assez rarement la parole durant le cours de ces opérations épuratoires, et quand il parla ce fut plutôt pour défendre que pour attaquer. Il défendit Barère, Danton, Camille Desmoulins. Un seul membre de la société fut de sa part l'objet de récriminations extrêmement vives, ce fut Anacharsis Cloots, le baron prussien. Mais n'anticipons point.

Assez gravement inculpé par Dufourny à cause de sa légèreté et de son inconstance, Barère trouva de nouveau un avocat bien désintéressé dans son collègue du comité de Salut public. Robespierre en parla comme d'un bon citoyen qui, s'il avait eu quelques torts à se reprocher sous la Constituante, les avait amplement rachetés depuis en rendant d'incontestables services à la République au sein du comité de Salut public, où par son talent et son savoir il était fort utile. Barère passa, grâce à l'intervention de Maximilien. Mais Dufourny avait raison quand il rappela que Robespierre lui-même avait toujours considéré Barère comme un homme faible, et lorsqu'il pronostiqua en quelque sorte la sévérité du jugement de l'avenir sur ce personnage équivoque[182].

Vint le tour de Danton d'être soumis à l'épuration. C'était le 13 frimaire (3 décembre 1793).

Au début de la séance, l'éloquent tribun, après avoir combattu la proposition faite par un membre d'engager la Convention à fournir des locaux aux sociétés populaires qui en étaient dépourvues, exprima sur la situation actuelle une opinion tout à fait analogue à celle de Robespierre. Sans se départir d'une juste sévérité à l'égard des ennemis de la Révolution, on devait, selon lui, se méfier des gens qui cherchaient à entraîner le peuple au delà des bornes de la sagesse, et étaient toujours à provoquer des mesures ultrarévolutionnaires. Il n'en fallut pas davantage pour ameuter contre lui la troupe des impatients et des enragés. Coupé (de l'Oise) lui reprocha aigrement de dévier, l'accusa de chercher à paralyser la Révolution. Quand Danton remonta à la tribune pour se justifier, des murmures improbateurs se firent entendre. Un moment ému, malgré son assurance habituelle, ce vieux lutteur de la Révolution, devenu suspect, s'attacha, dans une véhémente improvisation, à repousser les inculpations dont il était l'objet depuis quelque temps. Il invoqua ses services passés. Avait-il donc perdu, dit-il, les traits qui caractérisaient un homme libre ? Il plaça sa justification sous les auspices de la mémoire de l'Ami du peuple, et termina en priant la société de charger une commission de douze membres d'examiner les accusations dirigées contre lui.

Un silence se fit. Tout à coup on vit Robespierre monter précipitamment les marches de la tribune. Ce fut un moment solennel. Ici Maximilien jouissait d'un crédit illimité ; ce n'était pas comme au comité de Salut public, et des paroles qui allaient sortir de sa bouche dépendait le maintien ou la radiation de Danton. Aussi était-on impatient d'entendre l'orateur. Lui, cependant : Danton vous a demandé une commission pour examiner sa conduite. J'y consens s'il pense que cette mesure lui soit utile, mais je soutiens que sa conduite ne peut être bien discutée qu'à la face du peuple. Je demande qu'on veuille bien préciser les griefs portés contre lui. Personne n'élevant la voix, il énuméra les diverses accusations produites depuis quelque temps contre Danton, soit à la tribune des Jacobins, soit dans les colonnes du Père Duchesne. Lui-même avait bien pu lui reprocher jadis de ne s'être pas montré assez indigné contre Dumouriez, de n'avoir pas combattu assez franchement Brissot et ses complices, mais c'était tout. Aujourd'hui on l'accusait d'avoir feint une maladie pour passer en Suisse, de caresser le rêve d'être régent sous Louis XVII, et d'être un plus dangereux ennemi de la Révolution que Pitt et Cobourg, l'Angleterre, la Prusse et l'Autriche. Danton, s'écria-t-il alors en se tournant vers le grand accusé, ne sais-tu pas que plus un homme a de courage et de patriotisme, plus les ennemis de la chose publique s'attachent à sa perte ? Ne sais-tu pas et ne savez-vous pas tous, citoyens, que cette méthode est infaillible ? Et qui sont les calomniateurs ? Des hommes qui paraissent exempts de vices et n'ont jamais montré aucune vertu. Eh ! si le défenseur de la liberté n'était pas calomnié, ce serait une preuve que nous n'aurions plus ni prêtres ni nobles à combattre ! Répudiant alors les louanges qu'on lui prodiguait exclusivement, il ajouta : Croit-on qu'à côté de ces éloges qu'on retrace dans certaines feuilles, je ne voie pas le couteau avec lequel on a voulu égorger la patrie ? Dès l'origine de la Révolution, j'appris à me méfier de tous les masques. La cause des patriotes est une, comme celle de la tyrannie ; ils sont tous solidaires. Je me trompe peut-être sur Danton ; mais vu dans sa famille, il ne mérite que des éloges. Sous les rapports politiques, je l'ai observé : une différence d'opinion entre lui et moi me le faisait épier avec soin, quelquefois avec colère, car je ne partageais pas sur tout sa manière de servir le peuple. En conclurai-je qu'il trahissait la patrie ? Non ; et la différence qui se trouvait entre nous deux ne venait que de celle qui existe entre nos tempéraments, notre manière de voir et de juger ; tous deux nous n'avions qu'un même but, celui de sauver la patrie. Danton veut qu'on le juge, il a raison ; qu'on me juge aussi. Qu'ils se présentent ces hommes qui sont plus patriotes que nous ! Je gage que ce sont des nobles, des privilégiés. Vous y trouverez un marquis, — allusion à l'ex-marquis de Maribon-Montaut, — et vous aurez la juste mesure de ces emphatiques accusateurs. Quand j'ai vu percer les traits de calomnie dirigés contre les patriotes, quand j'ai vu qu'on accusait Danton et qu'on l'accusait d'avoir émigré, je me suis rappelé que les journaux aristocrates ou faussement patriotes avaient depuis longtemps fait cette nouvelle. Ils avaient annoncé que sa maladie était fausse, que ce n'était que le prétexte de son émigration et le moyen pour y parvenir. J'ai dû placer sur la même ligne toutes les autres calomnies dirigées contre Danton. C'est ainsi que vous les avez jugées vous-mêmes. Je demande aux patriotes de se serrer, de faire corps, de tenir tête aux aristocrates, de ne pas permettre qu'on dénigre Danton dans les groupes, dans les cafés. Au surplus, je demande que chacun dise comme moi franchement ce qu'il pense sur Danton. C'est ici que l'on doit dire surtout la vérité, elle ne peut que lui être honorable ; mais, dans tous les cas, la société doit la connaître tout entière[183].

C'était pour la troisième fois au moins que Robespierre, d'un élan spontané, venait ainsi au secours de Danton. Est-ce que ce n'était point là le fait d'un cœur généreux et désintéressé ? Est-ce que les accents qu'il venait de faire entendre ne partaient pas d'un cœur vraiment ému ? Est-ce qu'il y a là le moindre indice de cette jalousie dont, par la plus absurde et la plus injustifiable des erreurs, certains écrivains ont prétendu qu'il était dévoré à l'égard de Danton[184] ?

Lorsqu'on vit celui-ci défendu avec tant de résolution en cette séance des Jacobins, on cessa de l'attaquer. Il fut même adopté avec un certain enthousiasme au milieu des applaudissements prodigués au discours de Robespierre, et le président de la société — c'était alors le chimiste Fourcroy — lui donna l'accolade fraternelle[185].

Mais ce ne fut pas de trop de cette parole puissante pour arracher Danton à la fureur des ultra-révolutionnaires ; nul doute que sans cela il n'eût succombé. Nous en trouvons la preuve dans cette page magnifique dictée par la reconnaissance à Camille Desmoulins, qui, pour la troisième et dernière fois, hélas ! venait de rentrer dans l'arène du journalisme : Enfin les bons citoyens, les vétérans de la Révolution, ceux qui en ont fait les cinq campagnes, depuis 1789, ces vieux amis de la liberté qui, depuis le 12 juillet, ont marché entre les poignards et les poisons des aristocrates et des tyrans, les fondateurs de la République, en un mot, ont vaincu. Mais que cette victoire leur laisse de douleur en pensant qu'elle a pu être disputée si longtemps dans les Jacobins ! La victoire nous est restée parce qu'au milieu de tant de ruines de réputations colossales de civisme, celle de Robespierre est debout, parce qu'il a donné la main à son émule de patriotisme, notre président perpétuel des anciens Cordeliers, notre Horatius Coclès qui, seul, avait soutenu sur le pont l'effort de La Fayette et de ses quatre mille Parisiens assiégeant Marat, et qui semblait maintenant terrassé par le parti de l'étranger. Déjà fort du terrain gagné pendant la maladie et l'absence de Danton, ce parti, dominateur insolent dans la société, au milieu des endroits les plus touchants, les plus convaincus de sa justification, dans les tribunes huait, et dans le sein de l'assemblée secouait la tête et souriait de pitié, comme aux discours d'un homme condamné par tous les suffrages. Nous avons vaincu cependant, parce qu'après le discours foudroyant de Robespierre, dont il semble que le talent grandisse avec les dangers de la République, et l'impression qu'il avait laissée dans les âmes, il était impossible d'oser élever la voix contre Danton sans donner, pour ainsi dire, une quittance publique des guinées de Pitt. Robespierre, les oisifs que la curiosité avait amenés hier à la séance des Jacobins, et qui ne cherchaient qu'un orateur et un spectacle, en sont sortis ne regrettant plus ces grands acteurs de la tribune, Barnave et Mirabeau, dont tu fais oublier souvent le talent de la parole. Mais la seule louange digne de ton cœur est celle que t'ont donnée tous les vieux Cordeliers... Dans tous les autres dangers dont tu as délivré la République tu avais des compagnons de gloire ; hier, tu l'as sauvée seul[186].

Et ce n'était pas seulement au club des Jacobins que Danton était poursuivi des plus vives attaques ; il avait dans le comité de Salut public des ennemis dont le républicanisme farouche ne lui pardonnait pas de s'être relâché un peu de sa vigueur révolutionnaire. Eh bien, qui mit alors un véritable acharnement à le défendre ? Fut-ce Carnot ? Fut-ce Prieur ou Robert Lindet ? Non ; ce fut Robespierre. Maximilien l'abandonna un peu plus tard, il est vrai, parce que, à force d'obsessions, on parvint à faire pénétrer dans son esprit la conviction de la vénalité, réelle ou imaginaire, de Danton' mais le fait d'avoir défendu celui-ci ne lui sera pas moins reproché comme un crime dans la journée du 9 Thermidor, et, longtemps après, le sombre Billaud-Varenne, luttant contre les Thermidoriens dantonistes, en fera encore le texte de ses récriminations contre lui. Cela dit afin de constater dès à présent combien sont peu de bonne foi ou peu au courant des choses de la Révolution ceux qui présentent Robespierre comme l'auteur de la perte de Danton.

 

XXIII

En combattent résolument les enragés, les ultra-révolutionnaires. Maximilien n'eut garde de tomber dans une erreur où se laissa involontairement entraîner Camille Desmoulins. Il fallait, en effet, en s'opposant aux exagérations révolutionnaires, s'attacher avec soin à ne point encourager la réaction. Nous pensons, écrivait à cette époque Maximilien au représentant Hentz en mission à Lille, nous pensons qu'il faut se conduire de manière à empêcher les excès du patriotisme, si tu en découvres, sans accabler les patriotes et sans assurer à l'aristocratie un triomphe qui entraînerait celui de l'Angleterre et de l'Autriche[187]... Tous ses efforts eurent pour but de maintenir la République entre ces deux factions rivales, les exagérés et les indulgents, dont l'une, suivant ses propres expressions, tendait au modérantisme, et l'autre aux excès patriotiquement contre-révolutionnaires[188]. Toutes deux se targuaient de patriotisme, mais d'un patriotisme qui ressemblait terriblement à la haine, à la vengeance, à l'intrigue et à l'ambition[189]. Combien vraie cette appréciation de Robespierre !

Aux paroles sévères qui, aux Jacobins, tombèrent de la bouche de Maximilien dans la séance du 9 frimaire (29 novembre 1793) au sujet de l'ancien maire de Strasbourg, Dietrich, dont la société populaire de Strasbourg lui avait dès longtemps dénoncé les manœuvres contre-révolutionnaires[190], on put s'apercevoir qu'il n'était nullement disposé à favoriser, par une indulgence prématurée, les ennemis de la République et les fauteurs de réaction[191]. Cela se vit plus clairement encore dix jours plus tard, à la séance du 19 frimaire (9 décembre). Une proposition de Simond, tendant à faire de la société en corps le défenseur officieux de tout citoyen qui se présenterait à elle avec l'appui d'administrations épurées ou de sociétés patriotiques, l'amena à la tribune. C'était là, suivant lui, ouvrir un champ beaucoup trop vaste à l'intrigue, et une telle motion lui paraissait avoir été conçue par l'aristocratie. La société des Jacobins, s'écria-t-il, est-elle une société patriotique ou une société monarchique de Londres ou de Berlin ? Appartient-elle à la patrie ou aux lâches aristocrates qui cherchent à nous exterminer tous ? Alors toutes les voix de la salle : A la patrie ! à la patrie !En ce cas, reprit-il, rallions-nous donc autour d'elle.

Puis, comme en proie à une sorte de fièvre de patriotisme, il retraça les longues perfidies, les trahisons des partisans de la tyrannie, leurs tentatives multipliées pour étouffer la cause de la liberté. N'était-il pas temps d'assurer sur la ruine des scélérats le repos des gens de bien ? Que de maux causés par les ennemis de la Révolution ! Je voudrais, dit l'orateur d'une voix émue, pouvoir mettre sous vos yeux les cadavres sanglants de vos frères immolés par l'ordre des rois. Je voudrais vous présenter les membres palpitants des malheureuses victimes de la liberté ; je voudrais vous faire voir de tendres enfants exposés sur des brasiers ardents par les féroces satellites de l'Autriche ; je voudrais vous faire voir les mamelles de vos femmes déchirées et les vieillards démembrés par des tigres avides de carnage, pour avoir confessé la République. Et comme à ce tableau, qu'on aurait pu croire chargé de couleurs trop sombres, un mouvement d'horreur se manifestait dans l'auditoire, plusieurs citoyens se levèrent et affirmèrent la mérité de ces atroces détails. Qui ne connaît les barbaries dont les rebelles de la Vendée donnèrent l'exemple, et les cruautés commises par les agents de la coalition ? Robespierre tenait de représentants revenus de l'armée du Rhin que l'ennemi, dont nous traitions les prisonniers avec tous les égards dus au malheur, infligeait aux nôtres les traitements les plus affreux. Mais non moins funestes lui paraissaient ces étrangers qui, sous le masque du patriotisme, coiffés du bonnet rouge, nous faisaient à l'intérieur une guerre odieuse pour percer plus sûrement le cœur de la République. Aussi engageait-il vivement ses concitoyens à se méfier des stipendiés des puissances étrangères, qu'ils prêchassent le modérantisme ou la folie révolutionnaire. Il faut se rappeler qu'à cette époque un complot financier, auquel se trouvèrent mêlés un certain nombre d'étrangers et dont nous aurons un mot à dire, venait d'être révélé par Chabot et par Bazire, qui, malheureusement, devinrent eux-mêmes victimes de leurs propres dénonciations. Je voudrais, dit Robespierre, qu'après avoir connu le manifeste imbécile du roi d'Angleterre Georges III, vous sortissiez de cette enceinte pénétrés d'une horreur profonde pour tous les tyrans. Ce manifeste insensé, il promit de le lire une autre fois, et d'y joindre les commentaires que lui fournirait son indignation profonde contre les rois[192].

Dans cette même séance il reprit la parole pour engager la société à ne pas accueillir avec trop d'enthousiasme cinq habitants de Lille acquittés par le tribunal révolutionnaire et qui venaient d'être présentés au club sous le patronage de Dubois-Crancé et de Duhem. Car, à cette époque étrange, si l'on était prompt au soupçon, on n'était pas moins prompt à combler de marques d'intérêt les accusés absous par le redoutable tribunal ; et, dans sa soif de justice, la République avait consacré ce principe excellent, qu'une indemnité était due à tout citoyen poursuivi à tort. Ces cinq habitants de Lille, appartenant à la riche bourgeoisie de la ville, avaient été renvoyés devant le tribunal révolutionnaire par le représentant du peuple Isoré et ses collègues en mission dans le Nord pour avoir voulu se réunir en sections permanentes au plus fort moment de la crise fédéraliste. Membres de la société populaire de Lille, ils étaient d'une fraction de cette société qui avait protégé Lamarlière et Custine et persécuté La Valette. Telles furent du moins les explications fournies sur leur compte par Robespierre. Sans doute, pensait-il, les représentants du peuple s'étaient trompés sur les intentions, de ces citoyens en leur supposant le projet de livrer Lille comme avait été livré Toulon ; mais, en présence du doute qui planait sur cette affaire, il engageait la société à s'en tenir au jugement du tribunal, et à ne pas y ajouter ses applaudissements, déclarant que, pour lU4 fatigué de la succession d'intrigues dont il était témoin, il ne consultait plus en toute chose que son cœur et sa conscience[193]. Nous ne jugeons point ce jugement, écrivait-il le lendemain même à Hentz, et nous croyons que les efforts que l'on a faits pour ériger les accusés en héros persécutés et pour perdre les représentants du peuple et les adversaires des généraux perfides annoncent des vues dangereuses qu'il faut déjouer. Dans cette même lettre, il engageait son collègue à combattre résolument tous les excès révolutionnaires[194].

Ainsi Robespierre, avec une sollicitude constante, s'attachait à se tenir entre la fausse modération des uns et la déplorable exagération des autres. Son but avoué, celui du comité dont il faisait partie, était de réprimer les excès du faux patriotisme sans détendre le ressort des lois vigoureuses nécessaires encore pour dompter les ennemis de la [liberté. Ce fut précisément vers cette époque qu'encouragé certainement par l'attitude de son cher camarade de collège, Camille Desmoulins se jeta dans la mêlée, son Vieux Cordelier à la main.

 

XXIV

Mais Camille — comme on disait alors — n'avait plus, sans s'en apercevoir lui-même, le feu sacré de la Révolution. Le dérangement de sa fortune, l'arrestation de quelques-uns de ses amis de table et de plaisirs, comme le général Dillon, détenu depuis le mois de juillet précédent, n'avaient pas peu contribué sans doute à opérer le refroidissement qu'on remarquait en lui. Un jour même, à la Convention, il n'avait pas hésité à se compromettre en prenant ouvertement la défense de Dillon, vivement inculpé dans un long rapport de Cambon, et en traitant de folie absurde les assertions du rapporteur, ce qui avait arraché à Levasseur cette exclamation : Je demande qu'il ne soit pas permis à Camille Desmoulins de se déshonorer[195]. Déjà la veille, en pleine Assemblée, Bréard avait reproché à Camille ses liaisons avec des aristocrates connus ; il lui avait reproché surtout de répondre ridiculement, lorsqu'on paraissait s'en étonner, que c'était pour connaître leur façon de penser et la dévoiler. Camille, avait ajouté Bréard, ne pouvait pardonner au comité de Salut public de n'avoir point confié, sur sa recommandation, le commandement de l'armée du Nord au général Dillon[196].

Que l'ardent patriote de 1789 n'ait pas balancé à exposer sa vieille réputation de civisme en se portant garant d'un homme dont les opinions contre-révolutionnaires n'étaient un mystère pour personne, et auquel l'unissaient des liens d'amitié, cela se comprend à merveille, et, pour ma part, je ne saurais l'en blâmer. Mais où Camille eut tort, cent fois tort, ce fut quand, avec une inconcevable étourderie, il s'en prit au comité de Salut public du peu de succès de son intervention en faveur de Dillon. L'heure était-elle bien choisie pour diriger contre des collègues dévoués au salut de la République cette arme. terrible, l'ironie, qu'il maniait d'une façon si merveilleuse ? Qui ne l'a lu et relu ce pamphlet étincelant de verve et d'esprit qu'il publia sous ce titre : Réponse de Camille Desmoulins à Dillon[197] ?

Malheureusement les railleries amères à l'adresse des plus purs républicains mirent en joie l'aristocratie, laquelle pardonna aisément à Camille les éloges décernés à Robespierre en faveur des sarcasmes lancés contre quelques Conventionnels et contre certains membres du comité de Salut public. L'œuvre satirique passa de main en main. Il y eut parmi les réactionnaires une explosion de fou rire. L'auteur lui-même fut un moment consterné de la vogue de sa brochure. Son succès prodigieux depuis deux jours me fait craindre que je ne me sois trop vengé, écrivait-il à son père[198]. J'ai besoin de descendre au fond de mon cœur et d'y trouver toujours le même patriotisme pour m'excuser à mes yeux en voyant rire ainsi les aristocrates... Mais l'enfant terrible ne profitera pas de la leçon. Amorcé par les applaudissements de la réaction, qui ne manqua pas de lui prodiguer toutes sortes d'avances, il ne va pas tarder à mériter de nouveau ses faveurs.

La Révolution, d'ailleurs, commençait à paraître longue à ce viveur aimable, à ce véritable épicurien. Sur lui avaient déteint les mœurs faciles de Mirabeau, dont il avait été le commensal ; il eut, je crois, la nostalgie des plaisirs mondains. La République était trop sombre, trop morose pour cet Athénien transplanté sur les rives de la Seine. Déjà il sentait peser sur lui, comme un poids trop lourd, la renommée dont il était environné. Il aurait, disait-il, voulu être aussi obscur qu'il était connu. Il faut se méfier de ces vœux d'homme célèbre. Cependant je comprends qu'à certaines heures de fièvre il ait vivement souhaité le calme, la vie tranquille, une retraite loin des hommes jaloux et des regards indiscrets, où il eût pu vivre entre Lucile et ses livres. Oh ! oui, je comprends qu'il ait parfois tourné un regard mélancolique vers le champ natal. O ubi campi, Guisiaque[199]. Pauvre Camille ! Il était né pour être le compagnon d'Alcibiade ; et Alcibiade, c'était Dillon. Sa vraie patrie était la Grèce antique, non la France ; et volontiers il se fût écrié, comme un grand poète de nos jours :

Grèce, ô mère des arts, terre d'idolâtrie,

De mes vœux insensés éternelle patrie,

J'étais né pour ces temps où les fleurs de ton front

Couronnaient dans les mers l'azur de l'Hellespont.

Je suis un citoyen de tes cités antiques ;

Mon âme avec l'abeille erre sous tes portiques.

Il lui eût fallu les jardins d'Académus, le promontoire de Sunium, les festins où l'on se couronnait de roses, et par dessus tout Aspasie. Mais, que dis-je ? Aspasie, il l'avait. N'était-ce pas cette Lucile si suavement belle, si espiègle, qui avait des airs de tête si vainqueurs, et qui possédait les talents de l'artiste et de l'écrivain ? Supérieure à la maîtresse de Périclès par sa position de femme mariée, elle exerçait comme elle un prestige étrange sur tous ceux qui l'approchaient. Autre point de comparaison : il régnait dans le salon de Lucile, entre les familiers, une liberté très-grande. De là sans doute prit naissance le bruit que Lucile était la maîtresse de Dillon. Camille fut le premier à en rire. Vous ne connaissez pas ma femme, disait-il, et si Dillon trahit la République comme il me trahit, je réponds de son innocence[200]. Rien n'autorise à douter de la vertu de Lucile ; — en général il ne faut point se montrer trop crédule sur les faiblesses des femmes — néanmoins je ne puis m'empêcher de trouver assez extraordinaire l'intimité profonde que semblent révéler, par exemple, les lettres de Fréron à Lucile : Adieu, chère Lucile. Adieu, encore une fois adieu, folle, cent fois folle. Être indéfinissable, adieu ! J'embrasse toute la garenne, et toi, Lucile, avec tendresse et de toute mon âme[201]. On voit quelle singulière liberté d'allures régnait dans l'intérieur de Camille. L'amitié y revêtait des formes qui semblent accuser un autre sentiment. Cela tenait, je crois, au caractère extrêmement facile de Desmoulins. Il apportait dans la vie privée la légèreté dont ses écrits se ressentaient trop souvent, témoin l'anecdote suivante : Un jour il entra dans la maison de Duplay, dont il était un des hôtes les plus fidèles. Robespierre était absent. Après avoir causé quelques instants avec la plus jeune des filles du menuisier, celle qui fut plus tard Mme Le Bas, il prit congé d'elle en lui laissant un livre qu'il la pria de garder pendant quelques jours. A peine seule, la curieuse jeune fille ouvrit le volume. Mais quelle ne fut pas sa confusion en voyant se dérouler sous ses yeux des tableaux d'une révoltante obscénité ! Elle laissa tomber de ses mains ce livre odieux, et toute la journée elle fut silencieuse et troublée. Maximilien lui ayant demandé à l'écart la cause de sa tristesse— c'était, comme nous l'avons dit autre part, le confident de ses pensées — elle alla, pour toute réponse, lui chercher le livre de Camille. Qui t'a remis cela ? demanda Robespierre indigné. Élisabeth lui raconta franchement ce qui s'était passé. C'est bien, reprit Robespierre, ne parle à personne de ce que tu viens de me dire ; ne sois plus triste. J'avertirai Camille. Ce n'est point ce qui entre involontairement par les yeux qui souille la chasteté : ce sont les mauvaises pensées qu'on a dans le cœur. Robespierre ne manqua pas d'admonester sévèrement son ami[202]. Depuis, Camille, si assidu autrefois dans la maison Duplay, n'y mit plus qu'assez rarement les pieds.

Toujours est-il qu'en ce mois de frimaire de l'an II, encouragé par l'énergie avec laquelle Robespierre combattit les excentricités révolutionnaires des hébertistes, Camille Desmoulins commença contre ces derniers une guerre à outrance. Le premier numéro de son journal parut le 15 frimaire (5 décembre 1793), le surlendemain du jour où, dans un élan de générosité instinctive, Robespierre, ce masque blême, cette âme impénétrable, comme disent les disciples attardés de M. Michelet[203], mit tant d'impétuosité à tirer Danton des mains de ses ennemis. Masque blême, en effet, lui dont la voix pénétrante s'attacha toujours à élever les cœurs vers les hautes régions du beau et du juste ! Ame impénétrable, lui qui jamais ne connut l'art de déguiser sa pensée, et qui certainement eût été moins calomnié si en toutes choses il se fût montré moins franc ! Ah ! ces dénigreurs systématiques sont de singuliers logiciens !

Nous avons cité plus haut les paroles de reconnaissance qu'arracha à Camille Desmoulins la noble conduite de Robespierre envers Danton. Et, il faut l'avouer, Maximilien eût été bien difficile s'il ne s'était pas montré satisfait du témoignage flatteur qu'en cette circonstance il reçut de son vieux camarade de collège. Cependant, prétendent certains écrivains, il n'aurait pas été content du premier numéro du Vieux Cordelier, et, à les en croire, il aurait été convenu que désormais, avant de faire tirer sa feuille, Camille lui en soumettrait les épreuves. Voilà encore une de ces affirmations hasardées qui sont démenties par le simple examen .des faits. Au reste, ces pseudo-historiens ne se donnent même pas la peine de nous dire sur quelle autorité s'appuie leur opinion ; ils affirment, et c'est tout. Maintenant il est assez facile de se rendre compte des motifs auxquels ont cédé un certain nombre d'entre eux. Camille Desmoulins ayant dans son second numéro violemment pris à partie et attaqué de la façon la plus sanglante Cloots, le baron prussien, tel qui joignait à la plus vive sympathie pour Camille une admiration sans borne pour Anacharsis s'attacha à rejeter sur Robespierre la responsabilité de l'agression dirigée contre le cosmopolite, comme on disait[204]. Mais c'est là le fait d'une très-grande ignorance.

Il y avait un terrain sur lequel Camille et Maximilien se trouvaient complètement d'accord : celui de la sagesse et de la justice dans le gouvernement révolutionnaire. Tous deux poursuivaient dans l'hébertisme la terreur poussée jusqu'à l'exagération et ces folies dégradantes qui, suivant l'heureuse expression de Robespierre, transformaient la liberté en Bacchante. Mêmes convictions sous le rapport religieux : l'un et l'autre affirmaient bien haut la liberté de conscience et professaient à l'égard de tous les cultes le respect le plus absolu. Camille n'avait-il pas, longtemps avant qu'on songeât à l'hébertisme, adressé d'assez vertes critiques à Manuel, alors procureur de la commune, pour avoir interdit les processions ? Le bon Dieu n'était pas mûr encore, disait-il. Jamais l'idée d'élever la voix en faveur des processions ne serait venue à Maximilien. Selon Robespierre, chaque culte devait se borner à s'exercer dans ses temples respectifs. Il n'y a donc pas à s'étonner si Camille se sentit pris de colère contre Cloots, un des plus ardents promoteurs de ce système de déprêtrisation qui plongea la République dans d'inextricables embarras. Il loua d'abord Robespierre d'avoir, à la honte des prêtres, défendu Dieu tout en rendant justice à ceux qui, comme le curé Meslin, abjuraient leur métier par philosophie ; il le félicita ensuite d'avoir remis à leur place ces hypocrites de religion qui, après s'être faits prêtres pour vivre de l'Église, étaient venus s'accuser de n'être que de vils charlatans et n'avaient pas rougi de publier eux-mêmes leur ignominie ; puis, à la tête de ces hommes qui, plus patriotes que Robespierre, plus philosophes que Voltaire, se moquaient de la maxime si connue : Si Dieu n'existait pas, il faudrait l'inventer, il plaça Anacharsis Cloots, l'orateur du genre humain[205]. Tout ce que Desmoulins reprocha .au baron prussien, avec une verve désespérante, nous le saurons tout à l'heure par Robespierre aux Jacobins, et il serait bien plus exact de dire qu'en cette circonstance Maximilien s'inspira de Camille, que d'imaginer que celui-ci alla prendre le mot d'ordre de son ami.

Au surplus, lorsque dans la fameuse séance du 18 nivôse (7 janvier 1794) aux Jacobins, l'auteur du Vieux Cordelier déclara qu'il avait lu ses numéros à Robespierre, en le conjurant au nom de l'amitié de vouloir bien l'aider de ses avis, il reçut de Maximilien cette réponse bien catégorique : Tu ne m'as pas montré tous tes numéros ; je n'en ai vu qu'un ou deux ; comme je n'épouse aucune querelle, je n'ai pas voulu lire les autres ; on aurait dit que je te les avais dictés[206], et Camille garda le silence. Maximilien n'avait donc nul besoin d'intervenir pour exciter contre les coryphées de l'hébertisme l'indignation de son ardent ami. Nous dirons plus tard sur quels points il dut forcément, logiquement, se séparer de Camille Desmoulins. Présentement racontons quels étaient ses griefs contre l'orateur du genre humain, et pourquoi il crut devoir lui faire une guerre si acharnée.

 

XXV

De griefs personnels, il n'en avait pas. Cloots s'était, dans ses écrits, montré toujours plus favorable qu'hostile à Robespierre. Mais l'inconsistance de caractère du baron prussien avait dès longtemps paru infiniment suspecte à Maximilien. On l'avait vu, en effet, caresser et attaquer tour à tour les différents partis qui avaient marqué dans la Révolution. Feuillant sous l'Assemblée constituante, l'orateur du genre humain avait, par la plus étrange des contradictions, très-vivement combattu le décret d'affranchissement en vertu duquel les hommes de couleur et les nègres libres s'étaient trouvés investis des droits du citoyen[207]. Plus tard, il s'était empressé de saluer l'avènement des Girondins au pouvoir, et leur influence n'avait pas été étrangère à sa nomination de député à la Convention nationale par le département de Seine-et-Oise. Un jour on le mena chez Roland ; il devint un des commensaux de la maison. Bientôt il reconnut cette hospitalité en divulguant à droite et à gauche ce qui se disait à la table du ministre. Par lui on sut que Buzot s'étonnait très-hautement que l'on traitât le fédéralisme d'hérésie politique[208] ; par lui fut lancé le brûlot dont furent submergés les hommes qui lui avaient tendu la main, je veux dire la fameuse accusation de fédéralisme. On aura beau me vanter les qualités humanitaires du promoteur de la République universelle, il y a là quelque chose qui dénote une certaine bassesse d'âme et me gâte singulièrement le patriote cosmopolite. Je ne suis nullement étonné de l'antipathie de Robespierre pour un caractère de cette nature.

Sa brochure Ni Roland ni Marat lui servit de pont pour passer à la Montagne. Mais ce brusque changement ne pouvait faire oublier son ancien dévouement aux ministres de la Gironde, dévouement si manifeste, qu'au mois de mars 1792 Mme de Chalabre écrivait à Robespierre : Le grand orateur du genre humain se persuade avec une suffisance risible que la nation va prendre ses jongleries ministérielles pour des vérités. Les éloges qu'il donne aux officiers généraux, surtout à Lückner, sont tout à fait dans le genre du compère Polichinelle ; serait-il par hasard celui des ministres ?[209]... Dans son enthousiasme plus ou moins sincère pour la Révolution française, Cloots avait été l'un des premiers à se débaptiser, et il avait changé son nom de Jean-Baptiste contre celui d'Anacharsis. Mais cet enfantillage ne pouvait que faire hausser les épaules à un patriote sérieux comme l'était Robespierre, et qui ne jugeait pas plus du patriotisme des gens sur le bonnet rouge dont ils s'affublaient que sur les noms grecs ou romains qu'ils substituaient aux leurs. Les motions du baron prussien lui avaient toujours paru un peu puériles[210], toutefois il s'en était assez peu préoccupé jusque-là Seulement, quand il vit cet étranger se mettre à la tête de ceux qui au nom de la philosophie prétendaient abolir le culte, violentaient outrageusement les consciences et couraient sus aux dévots et aux dévotes, sans s'inquiéter des embarras sans nombre dans lesquels ils allaient plonger la République, il soupçonna, comme Mme Roland, que l'orateur du genre humain pouvait bien avoir la mission secrète de tout bouleverser en France à l'aide des enragés, pour faire plus beau jeu aux Prussiens ses compatriotes[211]. C'était un fait avéré que les puissances coalisées entretenaient dans la République des émissaires étrangers, qui, sous les dehors d'un patriotisme affecté, déclamaient contre leur patrie, prétendant y avoir été persécutés, et semblaient prendre à tâche de pousser le peuple à toutes les folies imaginables.

L'intimité de Cloots avec quelques-uns des principaux agents de l'étranger, ses démarches pour obtenir du comité de Sûreté générale l'élargissement des Vandenyver, banquiers d'origine hollandaise, convaincus d'avoir fourni des sommes considérables à des émigrés, et condamnés pour ce fait à la peine de mort, n'avaient pas peu contribué à accréditer les soupçons contre lui. Les farces de la déprêtrisation, dont il fut un des plus ardents instigateurs, achevèrent de le perdre dans l'esprit de Robespierre, qui prit pour une véritable trahison ce qui n'était en réalité que de l'extravagance.

Le 22 frimaire (12 décembre 1793), ce fut le tour de Cloots de subir aux Jacobins la rude épreuve de l'épuration. Cette séance avait été spécialement consacrée à scruter ceux des membres de la société ayant en même temps le caractère de représentants du peuple. Bourdon (de l'Oise), Bentabole, Reverchon, Borie, Chaudron-Rousseau, passèrent sans opposition. Billaud-Varenne fut admis au milieu des applaudissements les plus flatteurs. Coupé (de l'Oise), Daoust, Casabianca et Duhem se trouvèrent rejetés, le premier sur la demande de Fabre d'Églantine, le second et le troisième comme nobles, le quatrième à cause de diverses inculpations reproduites par Robespierre et auxquelles il ne répondit pas d'une manière satisfaisante. Plusieurs autres députés, parmi lesquels David, Charles Duval et Dubois-Crancé sortirent purs du creuset des épreuves. Parut enfin à la tribune Anacharsis Cloots. Fourcroy présidait. Aux questions et aux reproches qui lui furent adressés, Cloots répondit qu'il était de la Prusse, département futur de la République française, et que, quant aux banquiers Vandenyver, ses anciens correspondants, il avait cessé de les voir quand il s'était aperçu de leur peu d'amour pour la liberté. Robespierre, se levant alors, reprit l'accusation contre lui, et se montra, il faut le dire, d'une implacable sévérité. Comment, dit-il, pouvait-on regarder comme patriote un baron allemand, jouissant de plus de cent mille livres de rente, et vivant habituellement avec des banquiers et des contre-révolutionnaires ennemis de la France ? Faire de la fortune de Cloots un motif de suspicion contre lui, c'était absurde. Mais où Robespierre se trouva complètement dans le vrai, ce fut quand il reprocha au cosmopolite d'avoir été tantôt aux pieds de la cour, tantôt aux genoux du peuple ; d'avoir tour à tour embrassé le parti de la Gironde et celui de la Montagne ; d'avoir par des déclamations insensées poussé les patriotes à la conquête de l'univers ; d'avoir enfin coopéré au mouvement contre le culte, mouvement qui, mûri par le temps et la réflexion, eût pu devenir excellent, dit Maximilien, mais dont la violence était de nature à entraîner les plus grands malheurs et qu'on devait attribuer aux calculs de l'aristocratie. Gobel, ajouta-t-il, était du nombre de ces prêtres qui se plaignaient de la réduction de leurs traitements, et dont l'ambition voulait ressusciter l'hydre du ci-devant clergé. Et cependant nous avons vu cet évêque changer subitement de ton, de langage, d'habit, se présenter à la barre de la Convention nationale et nous offrir ses lettres de prêtrise. Eh ! Cloots, nous connaissons tes visites et tes complots nocturnes. Nous savons que, couvert des ombres de la nuit, tu as préparé avec Gobel cette mascarade philosophique. Tu prévoyais les suites funestes que peuvent avoir de semblables démarches ; par cela même, elles n'en plaisaient que davantage à nos ennemis... Pouvait-on, disait-il encore, regarder comme patriote un étranger qui voulait être plus démocrate que les Français, et qu'on voyait tantôt au marais, tantôt au-dessus de la Montagne. Hélas ! malheureux patriotes, ajoutait Robespierre, que pouvons-nous faire, environnés d'ennemis qui combattent au milieu de nos rangs ! Ils se couvrent d'un masque, ils nous déchirent, et nous sentons les plaies sans savoir d'où partent les traits meurtriers. Les lois les plus sages, par le moyen des traîtres qui sont répandus dans tous les comités de l'Assemblée, dans toutes les administrations, dans tous les bureaux, tournent au désavantage de la République. Nos ennemis, élevés au-dessus même de la Montagne, nous prennent par derrière pour nous porter des coups plus mortels. Veillons,- car la mort de la patrie n'est pas éloignée. Eh ! non, je ne compte pour rien celle des patriotes, ils doivent en faire le sacrifice. Mais, hélas ! celle de la patrie est inévitable, si les lâches ne sont pas reconnus[212]. Tout ce que disait là Robespierre était malheureusement trop vrai, et s'il se montra si sévère à l'égard de l'infortuné Cloots, ce fut précisément parce que celui-ci eut le tort de s'enrôler parmi les hébertistes et de se mettre à la tête d'une entreprise qui fit tout d'un coup à la Révolution des millions d'ennemis. Il est bien constant que la République courut beaucoup plus de dangers par les conspirateurs du dedans que par les armées des puissances coalisées. Paris, dit Robespierre en terminant, fourmille d'intrigants, d'Anglais et d'Autrichiens. Ils siègent au milieu de vous avec les agents de Frédéric. Cloots est Prussien. Je vous ai tracé l'histoire de sa vie politique. Prononcez[213].

Les applaudissements unanimes qui à diverses reprises avaient interrompu ce discours ne laissèrent pas de doute sur les sentiments de l'assemblée. Cloots fut rejeté sans qu'une voix s'élevât pour réclamer en sa faveur.

Dans une protestation publiée sous le titre d'Appel au genre humain, Cloots eut peut-être beau jeu contre Robespierre quand il lui rappela sa belle Déclaration des droits de l'homme, où le genre humain passait avant le citoyen ; mais le genre humain n'était pas en question dans l'exclusion de Cloots. Pour la France, il s'agissait avant tout d'exister. Quant au reproche d'avoir poussé à la désorganisation générale du pays par le mouvement inconsidéré contre le culte, Cloots y répondit très-mal. Il s'abaissa même jusqu'au mensonge en écrivant que les promoteurs de ce mouvement avaient attendu le signal de la France[214]. Le pays avait soif de tolérance religieuse, et les pseudo-philosophes de l'hébertisme furent, nous l'avons surabondamment démontré déjà, les plus intolérants des hommes.

En même temps on prononça l'exclusion en masse du sein de la société, également sur la proposition de Robespierre, de tous les nobles entachés de suspicion, de tous les banquiers et étrangers. D'autres voulaient y joindre les prêtres. Quatre jours après, Bourdon (de l'Oise) appuyait à la Convention une motion tendant au rappel des nobles ou prêtres chargés de quelque mission et demandait formellement leur exclusion du comité de Salut public. Un membre l'ayant sommé de dénoncer ceux auxquels il paraissait faire allusion, il nomma Hérault-Séchelles, ci-devant noble, ci-devant avocat général, et il l'accusa de liaisons criminelles avec Proly, Dubuisson et Péreyra. On entendit alors Couthon prendre vivement la défense de son collègue, absent pour le service de la République ; mais cette haute protection n'empêchera pas, un peu plus tard, le malheureux Hérault de grossir le nombre des victimes de la Révolution[215].

Ce fut certainement la proposition de Bourdon (de l'Oise) qui, le soir, amena Robespierre à s'expliquer, aux Jacobins, sur la mesure d'exclusion prise par la société à l'égard des nobles. On a fait, dit-il, les motions les plus violentes contre les nobles ; tantôt on veut nous porter au delà du but de la Révolution, tantôt nous retenir dans la fange du modérantisme. Néanmoins, il venait engager la société à n'apporter pour le moment aucune exception à son arrêté, lui qui cependant protégeait notoirement certains nobles, comme La Valette, par exemple. Mais il craignait de voir des nobles, servis par l'intrigue et enveloppés du manteau du patriotisme, se prévaloir de cette exception, tandis que les nobles de bonne foi se trouveraient exclus du sein des sociétés patriotiques. Sous le bonnet rouge, d'ailleurs, cette classe d'hommes lui paraissait également amie des talons rouges, et il ne pouvait oublier que, pendant que les cadets, sous le costume de sans-culottes, prêchaient ici l'exagération révolutionnaire, les aînés, dont ils étaient peut-être les espions, se trouvaient à Coblentz et dans l'armée de Condé.

S'il avait réclamé la radiation des nobles et des banquiers en général, c'était parce qu'entre ces gens-là et les émissaires de l'étranger il existait des relations coupables ; mais, avait-il soin d'ajouter, je me serais bien gardé de faire ma proposition, si j'avais cru que la société n'agît pas dans cette circonstance avec sa sagesse ordinaire.

Maintenant fallait-il ranger parmi les indignes tous les prêtres, par cela seul qu'ils étaient prêtres, comme le demandaient quelques membres ? Robespierre ne le pensait pas ; et, à ce sujet, voici textuellement comment il s'exprima : Je n'estime pas plus l'individu prêtre que l'individu noble. Je mets des exceptions en tout. On a voulu faire croire au peuple que la Convention, que les Jacobins faisaient la guerre au culte. De là des malheurs sans nombre parmi la classe du peuple encore peu instruite, et dont on n'a pas assez respecté les préjugés et la faiblesse. On dit dans le parallèle des nobles et des prêtres que tout l'avantage est du côté des premiers. Je n'en crois rien, et voici pourquoi : le noble est un homme dont tous les avantages sont des avantages politiques. II les tire de sa naissance, et l'habitude des distinctions lui a fait mépriser tout ce qui n'est pas de ce qu'il appelle son rang. Il existait parmi les prêtres, au contraire, deux sortes d'hommes. Celle qu'on appelait le bas clergé compte dans son sein des hommes qui sont attachés à la Révolution par une suite non interrompue de sacrifices[216]. Robespierre pouvait-il oublier qu'à l'aurore de la Révolution, du temps des états généraux, tout le bas clergé s'était joint aux communes, avant que la noblesse se décidât, contrainte et forcée, à accepter la fusion ? Les nobles, continuait-il, toujours liés avec les cours étrangères, pouvaient être sans inconvénient exclus des sociétés populaires, mais peut-être n'en serait-il pas de même s'il s'agissait des prêtres en général. Les campagnes ont été induites en erreur par les ennemis du peuple, toujours prêts à profiter de la moindre de nos erreurs. Rappelez-vous les malheurs qui ont été la suite des mesures violentes prises à leur égard dans certains pays, et craignez de les voir se renouveler[217]. La société, à sa voix, passa à l'ordre du jour. Robespierre, dans toutes ces questions religieuses, s'inspirait de la raison seule, et non d'une sorte de sentimentalisme dévot que lui ont prêté ses adversaires ; cela est suffisamment démontré. Mais tandis qu'il prêchait la sagesse au club des Jacobins, l'hébertisme continuait dans les départements sa propagande, et l'heure n'est pas éloignée où la secte va se tourner furieuse contre ceux qui, au nom de la liberté même et de la tolérance, tentaient d'arrêter ses progrès effrayants.

 

XXVI

Déjà elle avait essayé ses forces contre Camille Desmoulins en l'attaquant avec violence aux Jacobins le 24 frimaire (14 décembre), jour où son tour était venu d'être soumis à l'épreuve de l'épuration. On voulait une revanche de l'exclusion de Cloots. Robespierre, qui la veille avait défendu Foucault, malheureux et patriote[218], s'élança au secours de Camille. Le peignant en quelques traits sous son véritable aspect, il excusa ses faiblesses en faisant valoir ses mérites. Il le montra faible et confiant à la fois, souvent courageux, toujours républicain. S'il avait été successivement l'ami de Lameth, de Mirabeau et de Dillon, il avait brisé ces idoles fragiles sur l'autel même qu'il leur avait élevé dès qu'il avait reconnu leur perfidie. En un mot, dit Maximilien, il aimait la liberté par instinct et par sentiment, et n'a jamais aimé qu'elle, malgré les séductions puissantes de tous ceux qui la trahirent. En terminant, Robespierre engagea vivement Camille à poursuivre sa carrière et à n'être plus aussi versatile. Le mot était juste, la versatilité, ce fut le grand défaut de Desmoulins, et ce qui le perdit. Les nuages, qui au début semblaient s'amonceler, se dissipèrent comme par enchantement à la voix de Robespierre, et l'admission de Camille fut votée au milieu des applaudissements[219]. Mais, hélas ! le lendemain même du jour où, grâce à son cher camarade de collège, Desmoulins obtenait ce triomphe, il lançait dans le public le plus étincelant, le plus courageux, mais aussi le plus inconsidéré des pamphlets : nous voulons parler de son numéro 3 du Vieux Cordelier, lequel, en raison même des acclamations dont le saluèrent tous les ennemis de la Révolution, dut contrister les patriotes les plus sincères, ceux-là mêmes qui gémissaient comme Camille des excès où certains énergumènes semblaient prendre à tâche de plonger la République. Nous reviendrons sur ce fameux numéro 3, le chef-d'œuvre de Desmoulins.

A cette époque continuait, au sein de la Convention, contre le comité de Salut public, une guerre sourde dont les fâcheux résultats n'allaient pas tarder à se produire. Ces ennemis du grand comité, c'étaient, selon Robespierre, des fripons démasqués dont la sévérité contrastait ridiculement avec les rapines que leur reprochait la voix publique[220]. C'étaient Dubois-Crancé, Merlin (de Thionville), Bourdon (de l'Oise), Philippeaux, les deux Goupillau, et l'ex-marquis de Maribon-Montaut, qui vouait comme on sait à la guillotine cinq cents membres de la Convention nationale[221]. Dans la séance du 22 frimaire (12 décembre), Barère ayant annoncé à l'Assemblée que les pouvoirs du comité étaient expirés, la faction insista pour qu'il fût intégralement renouvelé. Cette motion fut adoptée, et l'opération du renouvellement remise au lendemain[222].

Mais était-il bien prudent de désorganiser le gouvernement dans les circonstances actuelles, de déplacer tout à coup le centre du mouvement révolutionnaire imprimé à la France ? Grâce au comité, les projets de la contre-révolution avaient été déjoués sur tous les points du territoire, les chaînons du fédéralisme brisés, ses fauteurs partout reconnus, poursuivis et frappés ; grâce à ce comité, l'énergie du peuple français, doublée par l'amour de la liberté, ne s'était pas démentie ; déjà, de toutes parts, l'ennemi commençait à être refoulé sur son territoire ; Toulon était à la, veille de tomber au pouvoir des troupes républicaines, et c'était dans un pareil moment qu'on venait proposer à la Convention de porter la main sur son comité et de livrer à des hommes nouveaux la direction des affaires de la République ! Ne s'exposerait-on pas, d'ailleurs, à paralyser d'avance les grandes mesures méditées par lui et sanctionnées par la Convention ? Et puis, par qui remplacer les citoyens illustres investis de la confiance du peuple ? Que si l'on avait des griefs à faire valoir contre quelques-uns d'entre eux, il était tout simple d'aller les déposer au sein de l'Assemblée. Quant à la crainte que la Convention ne parût abdiquer son omnipotence entre les mains de son comité, c'était une crainte tout à fait chimérique, et elle n'avait pas besoin d'en renouveler les membres pour donner l'exemple d'un pouvoir dont personne ne doutait. Ces considérations, développées avec une force singulière par un député de la Gironde, Jay-Sainte-Foy, et appuyées par une partie de l'Assemblée, déterminèrent la Convention à revenir sur son décret de la veille[223]. Ainsi se trouva consacrée une fois de [plus la dictature du comité de Salut public, dictature utile, indispensable dans les conjonctures présentes, et qui, du reste, ce qu'on oublie trop souvent, demeura toujours subordonnée à celle de la Convention.

Cette hostilité impolitique dont le comité de Salut public était l'objet de la part de quelques membres engagea Robespierre à émettre, à la séance des Jacobins où-Camille eut à subir l'épreuve de dépuration, le vœu que les suppléants à la Convention fussent tenus-de se prononcer sur les principaux événements de la Révolution. Après avoir, fait allusion à ces hommes qui semblaient n'être montés sur la cime de la Montagne que pour tendre la main aux traîtres plongés dans la fange du Marais, ce qui se réalisera si bien au 9 Thermidor, il invitait un des députés présents à proposer le lendemain à la Convention d'obliger tous les députés suppléants arrivés à Paris depuis la condamnation du roi à faire une sorte de profession de foi à la tribune[224].

Robespierre croyait mettre par là un terme aux divisions dont était menacée l'Assemblée ; il lui semblait qu'après s'être expliqués franchement à la face du peuple, les membres nouveaux seraient plus attachés à la Révolution, moins portés à la trahir. Son idée fut adoptée à l'unanimité par la société des Jacobins, et dès le lendemain. Romme et Jay-Sainte-Foy s'en firent les interprètes auprès de la Convention. Robespierre avait entendu qu'on s'expliquât sur les principaux événements, notamment sur les journées des 5 et 6 octobre 1789, 21 juin 1791, sur le jugement du roi et sur Marat[225]. Vivement appuyée par Fabre d'Églantine et Merlin (de Thionville), cette proposition fut à l'instant décrétée[226]. Très-peu de temps après, Thibaudeau demanda le rapport du décret, non point parce qu'il tendait à soumettre les consciences à une sorte d'inquisition, mais parce qu'il lui semblait complètement illusoire et qu'il permettrait aux mauvais suppléants de se faire passer pour d'excellents républicains. Il valait beaucoup mieux, suivant lui, prendre des informations auprès des sociétés populaires sur la conduite des suppléants. Cela, dit avec l'accent d'un montagnard convaincu, valut à l'auteur de chaleureux applaudissements, et la Convention, se déjugeant, rapporta son décret[227]. Robespierre était-il absent, ou bien se rangea-t-il à l'avis de Thibaudeau en gardant le silence ? Il n'assistait pas à la séance, c'est à présumer, car il y avait dans l'argumentation à laquelle céda l'Assemblée un sophisme qu'il n'eût sans doute pas manqué de signaler. Si, comme paraissait le redouter Thibaudeau, les suppléants ne reculaient pas devant un mensonge en s'expliquant en présence de leurs collègues, il y avait un moyen de soumettre leurs déclarations à une contre-épreuve, c'était de consulter les sociétés populaires ; peu d'entre eux vraisemblablement se fussent exposés à un démenti public. Qui sait ? peut-être le, maintien du décret rendu sur la motion de Romme eût-il épargné à la Convention les déchirements affreux dont nous allons avoir à dérouler le sombre tableau.

 

XXVII

A cette époque, le comité de Salut public commençait à recueillir les fruits de son étonnante énergie : au Nord, à l'Est, dans l'Ouest, dans le Midi, les armes de la République étaient triomphantes ; et qui oserait soutenir aujourd'hui que ces glorieux résultats n'ont pas été en grande partie son ouvrage ? Sur la foi de Carnot, dont le caractère se trouve singulièrement rabaissé à nos yeux par les subterfuges dont il usa après Thermidor pour dégager sa responsabilité des actes du comité de Salut public, on a quelquefois prétendu que Robespierre était resté étranger à tout ce qui concernait les opérations militaires. C'est là une très-grosse erreur que nous avons déjà eu soin de signaler. Il s'occupa toujours, au contraire, avec une sollicitude extrême, des besoins de l'armée, de la fabrication des armes et des poudres, de leur répartition, des plans de campagne, des nouvelles levées, du choix des généraux. Son carnet, que nous avons sous les yeux, est rempli d'observations sur ces différents objets. Dugommier, Dumas, Marceau, Lazare Hoche furent ses créatures, n'en déplaise à Carnot, qui, dans des Mémoires, fort contestables du reste, s'est posé un peu légèrement, comme on le verra, en protecteur du dernier[228]. Quelques citoyens ayant paru s'étonner d'un changement de généraux opéré à l'armée d'Italie par le comité de Salut public, ce fut Robespierre qui se chargea de donner à ce sujet des explications au club des Jacobins ; car ce comité dictatorial agissait au grand jour, et jamais il n'hésitait à rendre compte au public des motifs de sa conduite. Le général Doppet, illustré par la prise de Lyon, avait été envoyé à l'armée des Pyrénées, parce que l'on avait résolu de combattre les Espagnols sur leur propre territoire. Quant aux généraux Lapoype et_ Carteaux, dont le patriotisme ne paraissait pas douteux, mais à qui, à tort ou à raison, on attribuait les lenteurs du siège de Toulon, on les avait remplacés par le général Dugommier, promu jadis au grade de chef de brigade, sur la recommandation de Marat.-Marat, disait Robespierre, pouvait se tromper, mais sa recommandation était une présomption bien favorable. Depuis, ajoutait-il, Dugommier l'a toujours justifiée, et l'on espère qu'il ne démentira pas d'aussi heureux débuts[229].

Dans ce même mois de frimaire, Maximilien eut à s'occuper d'un officier non moins brillant et beaucoup plus jeune, de Marceau. Appelé au commandement des armées de Brest et de l'Ouest, le jeune général ne se crut pas de force à supporter un pareil fardeau, et, avec une modestie assurément bien rare, il écrivit à Sergent, son beau-frère, qu'on courait risque d'exposer la République aux suites de son inexpérience et de son insuffisance. Sergent s'adressa a Robespierre : Tu ne pourras, lui disait-il, ne pas applaudir à l'estimable franchise d'un jeune homme plein d'honneur qui trouve que l'on confie trop tôt dans ses mains le sort peut-être de la République... Tu vois par cet avancement qu'on lui connaît cependant des moyens — car il n'a, ni lui, ni personne, sollicité aucune place —. Il paraît que si le ministre le déplaçait, ce serait pour l'envoyer à l'armée du Nord. Je le désirerais aussi, et il pourrait y être très-utile. Turreau l'avait demandé aux Pyrénées ; mais il y a là trop peu à faire pour un brave[230]. Il est à croire que Robespierre se rendit au désir de Sergent, puisque Marceau fut envoyé presque aussitôt à l'armée des Ardennes, dont une division fut placée sous ses ordres[231]. L'événement justifia pleinement la confiance de Bouchotte et de Maximilien. A quelle mémoire française n'est pas cher le nom de Marceau, le nom de l'héroïque soldat mort sans tache, et qui a eu la gloire d'inspirer à Byron quelques-uns de ses plus beaux vers ?

C'était à Robespierre également que s'adressaient d'habitude Saint-Just et Le Bas pour obtenir plus vite les secours dont l'armée du Rhin avait besoin. Il était leur intermédiaire auprès du comité de Salut public et du ministre de la guerre, et il ne contribua pas peu à accélérer les mesures grâce auxquelles il fut permis à ses glorieux amis d'affranchir nos frontières de l'Est, de refouler l'ennemi sur son propre territoire, et d'obtenir des succès qui assurent à leurs noms une renommée impérissable.

Mais, si parmi les faits d'armes qu'accomplirent vers ce temps les soldats de la République, il en est un dont Robespierre dut s'enorgueillir à juste titre, ce fut la prise de Toulon, à laquelle son frère eut une part si honorable. Il convient donc de nous arrêter un moment sur cette prise mémorable, tant elle ajouta d'éclat au nom si grand déjà de Robespierre.

 

XXVIII

Nous avons, antérieurement, dit quelques mots do la mission d'Augustin dans le Midi. Il y déploya une activité au moins égale à celle de Saint-Just et de Le Bas sur le Rhin, et, comme eux, ne contribua pas peu à assurer le triomphe des armées de la République. Ses dépêches au comité de Salut public et ses lettres particulières à son frère, lettres dont quelques-unes vont, pour la première fois, apparaître dans l'histoire, témoignent de son ardeur patriotique, de la sûreté de son coup d'œil, de sa pénétration et de ses aptitudes militaires. Dès les premiers jours du mois de novembre, il signalait au comité l'incapacité de Carteaux. Nous devons vous le déclarer, écrivait-il, ce général n'est point fait pour commander en chef. Je crains que ceux-là n'aient à se repentir qui lui ont créé une place au-dessus de ses talents et de son républicanisme[232]. Nous avons dit plus haut comment, à la demande de Maximilien, Carteaux fut remplacé par Dugommier La nomination de ce dernier satisfit complètement Augustin et lui parut d'un bon augure. Le général Dugommier est digne de la confiance des républicains, lisons-nous dans une de ses lettres au comité de Salut public. Il sait inspirer l'amour de la liberté, réchauffer les âmes tièdes. Un jour qu'on lui demandait comment il faisait pour se faire aimer des soldats, il fit cette réponse qui vous peindra son âme : C'est que je les aime[233].

Dans cette même lettre, Augustin promettait au comité de prompts résultats. Toutefois, il ne dissimulait pas le fâcheux état où se trouvaient les armées du Midi. La disette de vivres était affreuse. Les départements du Var et des Alpes-Maritimes, épuisés, ne pouvaient plus fournir le nécessaire. Il réclamait donc des subsistances à tout prix. Du reste, il avait, de concert avec ses collègues, autorisé les fournisseurs à user de tous les moyens possibles pour obtenir des blés de l'étranger, sûr que la Convention ne désapprouverait point ses arrêtés à cet égard. Un moyen infaillible, selon Robespierre jeune, de procurer à la République des ressources immédiates, c'était une irruption prochaine et rapide au cœur de l'Italie. Par cette diversion, pensait-il, on retremperait l'énergie de l'armée et l'on épouvanterait les alliés. Elle devenait chaque jour plus facile et plus nécessaire à ses yeux : plus facile en raison des dispositions favorables des Génois, qui, en se déclarant pour la neutralité, avaient déjoué les calculs du ministre britannique, et n'avaient plus d'autre parti à prendre pour leur gloire et leur intérêt que de s'allier ouvertement aux amis de la liberté ; plus nécessaire à cause des besoins de l'armée et de l'ennui où la plongeait son inactivité. Le système du jeune proconsul était de reporter la guerre sur le territoire ennemi et d'y faire vivre nos armées, comme cela se pratiquait déjà sur les bords du Rhin[234]. On voit à qui appartient l'idée première des campagnes d'Italie où devait s'immortaliser Bonaparte, lequel, lié très-intimement avec Augustin comme nous avons eu déjà l'occasion de le dire, fut peut-être le confident de ces projets d'invasion de l'Italie, dont il était appelé à devenir plus tard le glorieux exécuteur.

Un mois après avoir tracé la lettre dont nous venons de rendre compte en quelques mots, Robespierre jeune écrivait à son frère, d'Ollioules, le 28 frimaire an II (18 décembre 1794) : La République est triomphante, les puissances coalisées sont anéanties ; demain 29, au plus tard, nous entrerons dans la ville infâme. Le plan du comité de Salut public a été suivi et hâté par les représentants près l'armée. Le 26, à deux heures après minuit, malgré la pluye la plus forte, l'armée de la République a attaqué la redoute anglaise élevée sur une hauteur qui défend les forts de Balaguier et de l'Aiguillette, et qui par conséquent maîtrise la rade, ce que tu verras facilement à l'inspection de la carte. Les tyrans avoient épuisé toutes les ressources de l'art, l'aspect de cette forteresse était effroyable ; les républicains ont bravé cet asile de la tyrannie. Cette formidable redoute a été emportée de vive force, après un combat meurtrier. Nous avons pris cinq cents prisonniers dans la redoute, tué ou blessé le reste. La déroute des esclaves est complette ; nous avons percé le cœur de la coalition en nous emparant de cette forteresse. Aussitôt après, les postes les plus importants ont été abandonnés ; nous les avons occupés successivement. Le sang républicain a cessé de couler. La redoute et le fort Faron, les forts d'Actiques, Lamalgue, sont au pouvoir des armes de la République. La vengeance nationale commence, les défenseurs de la liberté sont aux portes de l'infâme Toulon. Tu t'arrêterais très-peu aux détails, je me dispense de te les donner aujourd'hui, je partirai demain ou après-demain pour Paris...

Quant à la part glorieuse qu'il prit à ce fait d'armes d'une si haute importance pour la République, voici avec quelle modestie et quelle simplicité Robespierre jeune s'expliquait dans cette lettre toute confidentielle qui reçoit aujourd'hui pour la première fois le jour de la publicité : Je suis tout étonné de me trouver un héros ; on m'assure que je le suis, je ne m'en doutais pas. J'étais dans les rangs, je n'ai aperçu pendant l'action ni balles, ni boulets, ni bombes ; je ne voyais que la redoute à enlever. A la redoute ! elle est à nous, allons, courage, mes amis ! Je suis arrivé sans m'en apercevoir au pied de la redoute. S'il était modeste pour lui-même, en revanche, il faisait le plus grand éloge de son collègue Salicetti, avec lequel il avait rallié les bataillons républicains, qui un moment s'étaient ébranlés sous le feu terrible de l'ennemi. La République lui devait beaucoup, disait-il. Il est ardent, et se connaît en mesures militaires ; il a prévu, calculé bien des opérations ; il est excellent auprès d'une armée ; il a du caractère et de la fermeté[235]. En terminant sa lettre, Augustin réclamait l'intervention de son frère en faveur de deux députés qui avaient presque toujours voté avec la Montagne, Casabianca et Moltedo, et qui craignaient d'être exclus des Jacobins ; mais sa recommandation arriva trop tard ; déjà le premier avait dû quitter la société en vertu de la mesure d'exclusion prononcée contre les nobles.

Comme l'avait marqué Robespierre jeune à son frère, l'armée républicaine entrait dans Toulon le 29 frimaire, à sept heures du matin, après cinq jours et cinq nuits de combats et de fatigues. On sait quelle fut, pendant le mémorable siège de Toulon, la conduite antipatriotique des principaux habitants, lesquels, après avoir livré la ville aux Anglais, combattirent jusqu'à la fin dans leurs rangs et ne tentèrent pas de les empêcher, en fuyant avec eux, de détruire notre premier port de guerre et de brûler notre escadre. Ce fut au point que les représentants du peuple purent écrire au comité de Salut public : Déjà quatre frégates brûlaient, quand les galériens, qui sont les plus honnêtes gens qu'il y ait à Toulon, ont coupé les câbles et éteint le feu[236].

Sur la bravoure déployée par Robespierre jeune dans les combats sanglants qui précédèrent la prise de cette ville, il n'y a qu'une voix[237]. Les représentants du peuple marchaient à la tête des colonnes républicaines, dit Barère à la Convention. Salicetti et Robespierre jeune, le sabre à la main, ont indiqué aux premières troupes de la République le chemin de la victoire, et ont monté à l'assaut. Ils ont donné l'exemple du courage[238]. Napoléon lui-même a rendu justice à celui qui avait deviné son génie, et il n'a pas fait difficulté de reconnaître qu'ils avaient été ensemble au feu[239]. On voit comme tout cela est conforme à ce que Robespierre jeune écrivait à son frère dans une lettre confidentielle que les Thermidoriens se sont bien gardés de publier, comme tout ce qui était de nature à honorer la mémoire de leurs victimes.

Comme il l'annonçait dans cette lettre, Augustin repartit pour Paris le lendemain même du jour où l'armée républicaine fit son entrée dans Toulon. Associé à tous les dangers et à la gloire des vainqueurs, il eut le bonheur de ne point prendre part aux vengeances terribles dont la ville infâme n'allait pas tarder à devenir le théâtre. Il n'y a point de doute à cet égard. Les exécutions, en effet, ne commencèrent que deux ou trois jours après la prise de la ville, c'est-à-dire le 2 nivôse (22 décembre), et dès le 9 nous trouvons Augustin aux Jacobins rendant compte des prodiges dont il avait été témoin et traçant le tableau sombre et trop réel, hélas ! des persécutions de toute nature exercées sur les patriotes à Toulon tant que la ville fut au pouvoir des royalistes et des étrangers. Si donc jamais cité fut coupable, si jamais population mérita d'être punie, ce furent, à coup sûr, la ville et les habitants de Toulon ; car il n'est pas de chose plus odieuse ni plus justement flétrie que la trahison par laquelle ils appelèrent l'étranger, à l'heure où la France semblait condamnée à périr. Ce qui seul peut attirer sur eux notre commisération, ce sont les rigueurs dont ils furent l'objet. Mais qui se montra le ministre implacable des vengeances populaires ? Qui exagéra, dans la répression, la sévérité des ordres de la Convention et du comité de Salut public ? Ce fut Fréron, l'un des plus acharnés ennemis de Robespierre. Il lui était réservé de déployer, avant comme après Thermidor, des fureurs qui ne seront dépassées que par les agents de la Terreur blanche.

 

XXIX

Avant d'aller plus loin, il est temps de jeter un regard très-attentif sur la vie privée du grand citoyen dont l'histoire se lie si intimement à celle de la Révolution, et qui en représente l'idée démocratique dans sa plus nette et sa plus sincère expression. Il est impossible, en effet, de bien connaître les hommes qui ont occupé la scène du monde si l'on n'est exactement renseigné sur les détails journaliers de leur existence intime. Je ne suis pas de ceux qui pensent que ces détails sont puérils ou tout au moins inutiles. La vie privée des hommes publics appartient à l'histoire. C'est là surtout qu'ils nous apparaissent sous leur aspect véritable, sans déguisement et sans fard. Je n'admets point l'homme double des anciens. Tenez pour certain qu'il y a une corrélation parfaite entre les actes de la vie privée et ceux de la vie publique. Le mauvais père, le fils dénaturé, le faux ami, le tyran domestique, ne seront jamais de bons citoyens. Honorerai-je tel magistrat qui aura rendu force arrêts au nom de la morale, si j'apprends qu'au demeurant c'est un débauché de la pire espèce ? Admirerai-je tel homme d'État dont la vie se sera usée à défendre un certain système de gouvernement, si l'on me démontre qu'en somme il n'a été dévoué qu'à son intérêt personnel, et que ses principes se réduisaient à une question de fortune et de jouissances ? Que de masques tomberaient, que de réputations usurpées seraient brisées, grâce à ce critérium à peu près infaillible !

Et d'autre part, si le tribun qui a prêché l'abnégation, la justice, le désintéressement, le bon sens, toutes les vertus en un mot, s'est montré dans sa vie intérieure le plus désintéressé, le plus vertueux, le meilleur et le plus sensé des hommes ; si, ayant éloquemment flétri les consciences vénales, les âmes avides de richesses et d'honneurs, il a résisté à des tentatives de séduction réitérées sous toutes les formes, je m'inclinerai devant lui avec vénération. Et, pour anéantir dans l'équitable postérité les libelles immondes à l'aide desquels on a cru flétrir sa mémoire, il suffira peut-être d'une page de sa vie privée.

La vie privée de Robespierre, a dit excellemment un grand poète de nos jours, portait témoignage du désintéressement de ses pensées[240]. C'était le reflet fidèle de sa vie publique, le plus éloquent de ses discours[241]. Il n'est pas si grand, le nombre de ceux qui, n'ayant eu qu'à ouvrir la main pour avoir leur fortune faite, n'ont pas daigné l'ouvrir, et qui à toutes les splendeurs de ce monde ont préféré l'indépendance dans la médiocrité. Étudions donc Maximilien Robespierre dans son existence intime, cela en vaut la peine. Il ne mena pas, à proprement parler, la vie d'un humble artisan, la vie du peuple, comme on l'a trop souvent dit. Les Duplay, riches d'une quinzaine de mille livres de rente, représentaient la bourgeoisie aisée de l'époque[242]. Robespierre vécut au milieu d'eux de la vie simple de son maître Rousseau, avec cette différence qu'au lieu de recevoir l'hospitalité d'un grand seigneur, il la reçut d'un simple citoyen dont il devint l'ami et pour ainsi dire le fils d'adoption.

Et d'abord un mot de son installation chez ses hôtes. Nous avons, dans la première partie de cet ouvrage, tracé l'historique de la maison Duplay[243]. Avant de raconter l'existence modeste et honnête, les habitudes quasi-patriarcales des habitants de cette maison, disons ce qu'elle était et comment se trouvait logé l'homme dont le nom retentissait d'un bout de l'Europe à l'autre et faisait pâlir les rois sur leurs trônes. Ancienne dépendance du couvent des religieuses de la Conception, c'était encore un bien national vers la fin de cette année 1793, car, ainsi que nous l'avons dit précédemment, Maurice Duplay n'en fit l'acquisition qu'en l'an IV, lors de la vente des biens du couvent. Pauvre et chère maison ! deux fois sacrée pour lui, par le berceau et par la tombe, et que le dérangement de ses affaires, occasionné par de continuels sacrifices à la Révolution, ne lui permit pas de conserver.

Elle se composait d'un corps de logis élevé d'un entresol et d'un premier étage carré, prenant jour par quatre fenêtres sur la rue Saint-Honoré, d'une aile en retour au couchant, et, au fond de la cour, d'un petit bâtiment comprenant un rez-de-chaussée et un premier étage en forme de pavillon ayant pignon sur la cour. Une grande porte cochère donnait accès dans cette maison. Deux boutiques, situées l'une à droite, l'autre à gauche de la porte cochère, étaient occupées celle-ci par un restaurateur, celle-là par un bijoutier nommé Rouilly, devenu plus tard propriétaire de la maison. De chaque côté de la cour étaient des hangars, au nombre de deux. L'un formait l'atelier des ouvriers ; l'autre, plus petit, servait de chantier pour les bois. Au bout de ce dernier se trouvait un jardin de vingt pieds carrés environ, au milieu duquel on voyait une corbeille de fleurs soigneusement entretenue par les enfants. Chacun d'eux avait, en outre, son petit coin de jardin à part.

Le bâtiment du fond était l'habitation particulière de la famille Duplay. Il comprenait : au rez-de-chaussée, une salle à manger ouvrant de plain-pied sur la cour par une porte vitrée et communiquant avec un salon qu'éclairait une fenêtre sur le petit jardin. Derrière le salon était le cabinet d'étude des enfants, prenant jour par des châssis sur le jardin du couvent des religieuses de la Conception, où les demoiselles Duplay avaient fait leur première communion. Il y avait dans la salle à manger un escalier en bois conduisant aux appartements. Au premier, à droite du carré, s'ouvrait la chambre des époux Duplay, pièce spacieuse derrière laquelle était la chambre à coucher des jeunes filles. A gauche de l'escalier on pénétrait dans un cabinet de toilette servant de passage pour aller dans une pièce assez basse située immédiatement au-dessus du hangar où travaillaient les ouvriers, et n'ayant d'autre perspective que l'intérieur d'un magasin de bois. C'était la chambre de Maximilien Robespierre[244]. A la suite de cette chambre, située au couchant dans le bâtiment en retour, venaient deux autres pièces, occupées l'une par Simon Duplay, neveu de l'hôte de Robespierre, l'autre par le jeune fils de Duplay, celui que Maximilien appelait notre petit patriote, et qui, bien qu'âgé de quatorze ans à peine, suivit dans une mission à l'armée du Nord Philippe Le Bas, devenu son beau-frère. Quant à Simon Duplay, digne représentant d'une famille dont le patriotisme ne se bornait pas à des paroles, il avait déjà, quoique bien jeune, payé largement sa dette à la patrie. C'était un des glorieux volontaires de 1792. Engagé dans un régiment d'artillerie, il avait eu la jambe gauche emportée à la bataille de Valmy ; aussi l'appelait-on Duplay à la jambe de bois. Réduit à l'impuissance de continuer à servir son pays sur les champs de bataille, il fut recueilli par son oncle qui honorait en lui le courage et le patriotisme, et, comme il avait reçu une instruction assez soignée, il put servir de secrétaire à Robespierre, auprès duquel il demeura jusqu'au 9 Thermidor[245].

Nous avons déjà dit dans quelles circonstances Maximilien accepta l'hospitalité de la famille Duplay[246], et comment il se laissa retenir dans cette maison amie, que jusqu'à sa mort il ne quitta que deux fois, et pour bien peu de temps : la première fois, lors de son voyage à Arras en octobre et en novembre 1792, voyage dont nous avons raconté les incidents divers ; la seconde, à la sollicitation de sa sœur Charlotte. Voici comme : Mlle Robespierre, qui avait toujours dirigé l'intérieur de ses frères, n'avait pu se faire à l'idée de rester seule à Arras, et lorsque Augustin avait été nommé député à la Convention nationale, elle avait obtenu de l'accompagner à Paris. Ils étaient descendus l'un et l'autre chez les Duplay. Ceux-ci avaient mis à leur disposition l'appartement du premier étage dans le corps de bâtiment donnant sur la rue Saint-Honoré, et qui communiquait avec l'aile qu'habitait Robespierre par la chambre du jeune Maurice Duplay, laquelle avait une porte de sortie sur le grand escalier par où l'on montait au logement d'Augustin Robespierre et de sa sœur.

Dans les premiers mois du séjour de Charlotte dans cette maison, les choses allèrent pour le mieux. L'excellente Mme Duplay était aux petits soins pour la sœur comme pour le frère. Souvent elle lui confiait la plus jeune de ses filles, Élisabeth, celle qui devait être Mme Le Bas, lui donnant ainsi une de ces preuves d'estime et d'affection que toute mère appréciera. D'un esprit cultivé, Charlotte plut à la jeune fille, à qui, du reste, elle témoigna beaucoup d'amitié[247]. Elle en recevait de ces petits soins intimes que les femmes savent échanger entre elles. Élisabeth prenait plaisir à la coiffer, à l'assister dans sa toilette[248]. Comment donc des nuages vinrent-ils à s'élever entre Charlotte et ses hôtes ? La sœur de Robespierre dit bien dans ses Mémoires qu'elle eut à se plaindre de Mme Duplay, mais elle n'articule pas un seul grief sérieux. D'autre part, nous lisons dans le manuscrit de Mme Le Bas : Charlotte n'eut pas de peine à obtenir cette permission pour moi ; — il s'agissait d'aller ensemble assister à une séance de nuit à la Convention. — Elle était sœur de Robespierre, et ma mère la regardait comme sa fille. Pauvre mère ! Elle croyait alors Charlotte aussi pure et aussi sincère que son frère ; mais elle vit plus tard que cela n'était pas. La vérité est que Charlotte était d'un caractère ombrageux et difficile. Elle aimait passionnément ses frères, mais d'une affection doublée de cette jalousie qui est l'égoïsme de l'amour. Ayant été habituée, à Arras, à régner en maîtresse de maison et à gouverner un peu despotiquement ses frères, elle ne put voir sans dépit l'influence de Mme Duplay contre-balancer la sienne. Et pourtant était-elle en droit de se plaindre si Maximilien payait en tendresse et en égards Les soins d'une femme dans laquelle il avait rencontré une véritable mère ?Aurait-elle dû s'étonner des efforts constants de son frère pour ne point affecter une famille qui, du propre aveu de Charlotte, l'entourait de caresses et de bontés sans nombre[249] ? Mais elle se montra jalouse des bontés prodiguées à son frère aîné, comme plus tard des prévenances de Mme Ricord pour Augustin. Elle mit tout en œuvre pour arracher Maximilien du sein de cette famille devenue la sienne. Souvent elle cherchait à lui persuader que dans sa position, et occupant un rang aussi élevé dans la politique, il devait avoir un chez lui. C'était là une bien mesquine considération aux yeux de Robespierre. Toutefois, à force d'obsessions, et comme il résistait difficilement à une prière, elle parvint à l'entraîner dans un appartement qu'elle avait loué rue Saint-Florentin, à quelques pas seulement de la maison de ses hôtes, ce qui le détermina sans doute à une séparation dont son cœur dut cruellement souffrir, et qui d'ailleurs fut de bien courte durée[250].

Il était à peine installé dans son nouveau logement que, pris d'une sorte de nostalgie, il tomba malade du chagrin d'avoir quitté les chers hôtes au milieu desquels, depuis plus de deux ans, il s'était accoutumé à se laisser si doucement vivre. Mme Duplay, étant venue le voir, se montra toute inquiète, comme une mère aurait pu l'être pour son fils bien-aimé. Peut-être manifesta-t-elle ses craintes d'une façon un peu vive. Maximilien, prétendait-elle, n'avait pas tous les soins nécessaires ; il ne pouvait être soigné comme il le serait au sein de sa famille d'adoption ; elle le pressa donc de revenir chez elle. Robespierre résista faiblement d'abord, mais, vaincu par ses instances, il se décida, malgré les représentations de sa sœur, à retourner auprès de ses hôtes. Ils m'aiment tant, dit-il à Charlotte, ils ont tant d'égards, tant de bontés pour moi, qu'il y aurait de l'ingratitude de ma part à les repousser[251]. Et voilà ce que Mlle Robespierre ne pardonna jamais à Mme Duplay, contre laquelle elle se répandit en plaintes amères. Même après la catastrophe dont fut victime cette infortunée femme, elle persista dans son ressentiment. C'est là une tache dans la vie de Charlotte. Et l'on ne peut s'expliquer comment, ayant tellement aimé son frère, elle se montra si peu sympathique à la mémoire de la respectable hôtesse qui paya d'une mort affreuse son dévouement et sa tendresse pour cet illustre et malheureux frère.

Revenu, pour n'en plus sortir, au sein de la famille Duplay, Robespierre ne tarda pas à se rétablir et à reprendre ses habitudes laborieuses. Son logement personnel consistait en une seule pièce qui lui servait à la fois de chambre à coucher et de cabinet de travail, Cette pièce, dont les uns ont fait un boudoir élégant, les autres une vraie chapelle[252], était la plus simple du monde. Elle avait pour tout luxe d'être d'une irréprochable propreté. Maximilien l'avait meublée lui-même. Son modeste mobilier se composait d'un lit en noyer orné de rideaux en damas bleu à fleurs blanches provenant d'une robe de Mme Duplay, de quelques chaises de paille et d'un bureau fort ordinaire ; un casier en sapin, suspendu à la muraille, lui servait de bibliothèque et contenait, entre autres livres, les principales œuvres de Corneille, de Racine, de Voltaire et de Rousseau, chers compagnons de ses veilles, à qui il demandait à la fois l'inspiration et le délassement. Telle était l'humble retraite de celui dont le nom alors remplissait le monde[253].

Cette chambre était éclairée par une seule fenêtre donnant sur les hangars, de sorte que, dans la journée, Robespierre travaillait toujours au bruit des rabots et des scies. Devenu l'un des principaux personnages de la République, il tint à rester ce qu'il était aux jours sombres et menaçants où il était venu s'asseoir au foyer de Duplay. Ni la haute position politique qu'il occupait ni l'immense influence morale dont il jouissait ne purent le déterminer à changer d'existence. D'autres eussent voulu que l'éclat de leur vie répondît au prestige de leur popularité ; il aima mieux être logique avec lui-même, ne pas donner un démenti à ses principes. Il crut enfin qu'il était de son devoir de prêcher d'exemple la simplicité de mœurs et toutes les vertus privées qu'il recommandait dans ses discours. Rapprochement au moins singulier : c'était dans la boutique d'un charpentier que, dix-huit siècles auparavant, avait grandi et vécu le plus illustre novateur social qui ait paru parmi les hommes, et c'était dans la boutique d'un menuisier que vivait l'austère tribun que le grand David a appelé le Christ de la Révolution française, et qui, de tous les réformateurs, s'est, après le divin philosophe de Nazareth, montré le plus dévoué à la cause des faibles, des petits et des opprimés.

 

XXX

Maurice Duplay, l'hôte de Maximilien, était un homme de haute stature. Sa bonté, son caractère honnête, se reflétaient admirablement sur la physionomie la plus franche et la plus ouverte du monde. Il était alors âgé de cinquante-cinq ans environ. Son front large encadré de longs cheveux grisonnants, ses yeux d'un bleu gris, pleins de douceur, sa bouche au sourire toujours bienveillant, lui donnaient une sorte d'aspect de patriarche[254].

Nous avons dit quelle était sa position de fortune. Propriétaire de plusieurs maisons à Paris, il vivait retiré des affaires lorsque la Révolution éclata. Les événements ne tardèrent pas à jeter un peu de trouble dans cette position si laborieusement acquise. Ses maisons ne se louant plus, Duplay se vit dans la nécessité de reprendre son état[255]. Il se remit à l'œuvre avec courage, sans que son patriotisme et son enthousiasme révolutionnaire s'altérassent un seul instant, car il avait pris au sérieux les réformes politiques et sociales qui s'accomplissaient, et il n'était pas de sacrifices personnels auxquels il ne fût prêt pour la réalisation du bonheur public. Inscrit un des premiers, en sa qualité de propriétaire et de citoyen actif, sur la liste du jury fonctionnant près le tribunal criminel, il n'avait pu, malgré ses répugnances, refuser d'être juré au tribunal révolutionnaire. La conscience et la modération qu'il apporta dans l'exercice de ces redoutables fonctions ont été attestées par ses ennemis eux-mêmes. Compris, en effet, dans l'acte d'accusation dirigé par les Thermidoriens contre les anciens membres du tribunal révolutionnaire, il fut, seul de tous les accusés, acquitté à la fois sur la question intentionnelle et sur celle de fait. Robespierre avait trop le sentiment et le respect de la justice pour chercher à exercer la moindre influence sur les votes de son hôte, et celui-ci, de son côté, était trop rigide et trop pur pour écouter une autre voix que celle de sa conscience. Un soir, à table, Robespierre s'étant vaguement informé de ce qu'il avait fait au tribunal révolutionnaire, où il avait siégé dans la journée : Maximilien, lui répondit Duplay, je ne vous demande jamais ce que vous faites au comité de Salut public. Robespierre comprit la discrétion de son vieil ami, et, sans mot dire, il lui serra affectueusement la main[256].

Mme Duplay était la digne compagne de cet homme de bien. Elle partageait en toutes choses les sentiments de son mari. Son admiration pour Maximilien n'avait pas tardé à s'accroître de l'affection profonde qu'il inspirait à ceux qui, en l'approchant, pouvaient apprécier la bonté et la pureté de son cœur. Cinq enfants, avons-nous dit déjà, quatre filles et un garçon, étaient nés de son mariage avec Duplay. Sophie, la seconde de ses filles, avait, on le sait, épousé dès l'Assemblée constituante un avocat d'Issoire, en Auvergne, nommé Auzat[257]. Restaient donc, quand Maximilien vint s'installer dans la maison de Duplay, Éléonore, qui était l'aînée ; Victoire, qui ne fut jamais mariée, et Élisabeth, la plus jeune des filles, celle qui épousa Le Bas.

Le dévouement sublime de cet héroïque Conventionnel que, dans la journée du 9 Thermidor, un cri de la conscience poussa résolument à la mort, nous fait un devoir de lui consacrer au moins quelques lignes. Philippe Le Bas avait alors vingt-huit ans. Il était fils d'un notaire de Frevent en Artois. Après avoir fait de bonnes études au collège de Montaigu, à Paris, il venait d'être reçu avocat au Parlement lorsque éclata la Révolution, dont il adopta avec enthousiasme les principes. Élu membre de la Convention par le département du Pas-de-Calais, où quelques causes plaidées avec éclat lui avaient acquis une grande notoriété, il s'immortalisa dans des missions que nous avons racontées ailleurs[258]. Compatriote de Robespierre, il n'avait pu s'empêcher de vouer la plus vive amitié à l'homme qui .lui parut vouloir avec le plus de désintéressement et de sincérité la gloire et l'affermissement de la République. Ce ne fut cependant pas chez les hôtes de Maximilien qu'il aperçut pour la première fois et qu'il aima celle qui était destinée à devenir sa femme. Un jour, étant allé saluer Charlotte Robespierre dans une des tribunes de la Convention, il vit auprès d'elle la plus jeune des filles de Duplay, Élisabeth, dont l'éclat et l'éblouissante fraîcheur le frappèrent singulièrement, Élisabeth était âgée alors d'un peu plus de vingt ans. C'était le jour où Marat, acquitté par le tribunal révolutionnaire, fut porté en triomphe à l'Assemblée, jour désormais ineffaçable dans la mémoire de la jeune fille, car elle avait été toute charmée aussi des manières gracieuses et affables du compatriote de Maximilien.

Plusieurs fois elle le revit, soit à la Convention, soit au club des Jacobins, où elle accompagnait quelquefois sa mère quand Robespierre devait y parler, et le sentiment d'estime que lui avait tout d'abord inspiré Philippe Le Bas ne tarda pas à se changer en un sentiment plus tendre qui se fortifia de jour en jour. Elle comprit toute l'étendue de son amour au chagrin qu'elle éprouva en cessant tout à coup de voir le jeune député, et en apprenant qu'une assez grave maladie le tenait éloigné de la Convention. De gaie et rieuse qu'elle était, elle devint triste et rêveuse, et n'osait dire à personne le sujet de sa tristesse. Sainte pudeur des premières affections ! Robespierre, à qui d'habitude elle contait ses petites peines, étonné du changement survenu en elle, lui demanda si elle avait quelque chagrin, ajoutant que cette tristesse n'était pas naturelle à son âge. Elle se contenta de lui répondre qu'elle ne pouvait se rendre compte à elle-même de ce qu'elle éprouvait. Élisabeth, lui dit-il, regardez-moi comme votre meilleur ami, comme un bon frère, je vous donnerai tous les conseils dont on a besoin à votre âge[259]. La santé de la jeune fille s'altéra. On était au printemps de l'année 1793. Les parents, inquiets, l'envoyèrent à la campagne à Chaville, chez Mme Panis, où elle resta un mois. Mais les affections du cœur ne se guérissent pas avec du soleil et le grand air. Au contraire, la nature a je ne sais quelle mélancolie qui s'ajoute à celle des âmes envahies par le chagrin. La vue de celui qu'Élisabeth aimait en secret depuis deux mois eut plus d'influence sur sa santé que la verte campagne de Chaville et les grands arbres de Saint-Cloud.

En effet, peu de temps après son retour, elle rencontra Le Bas dans le jardin des Jacobins, un jour qu'avec sa sœur Victoire elle avait été chargée d'aller retenir des places pour la séance du soir, où, devait parler Robespierre. Il était bien pâle, bien changé, mais elle le reconnut aux battements de son cœur. L'empressement du jeune député auprès d'elle, les prévenances dont il l'entoura, lui prouvèrent qu'elle n'avait point été oubliée, et la gaieté, la fraîcheur reparurent bientôt sur ce jeune visage où déjà les larmes avaient creusé leurs sillons. Le Bas s'informa des nouvelles de toute sa famille, de Robespierre qu'il aimait beaucoup et qu'il n'avait pas vu depuis quelque temps. En, se promenant avec elle et sa sœur, iL lui demanda à voix basse si elle consentirait à devenir sa femme, ne voulant pas s'adresser aux parents avant d'avoir l'acquiescement de la jeune fille. Tout interdite d'émotion et de plaisir, Élisabeth ne pouvait articuler un mot. Pressée enfin de répondre, elle balbutia un oui qui fut comme l'aveu tremblant de son amour.

La pensée de ce mariage occupait depuis longtemps Philippe Le Bas. Un jour, pendant qu'il était malade, ayant reçu la visite de Robespierre, il avait amené la conversation sur la famille Duplay. Maximilien lui en avait fait le plus grand éloge, il lui avait parlé de son bonheur de vivre chez des gens si vertueux et si dévoués à la liberté, mais il n'avait dit mot d'Élisabeth, et Le Bas n'avait point osé lui en ouvrir la bouche. Plus libre avec Robespierre jeune qui était de son âge, il s'était décidé à lui demander quelques renseignements sur la jeune fille. Par lui il avait su que Mme Duplay avait élevé ses filles en bonnes femmes de ménage, que l'intérieur de la famille rappelait l'âge d'or, que le père était le plus digne et le plus généreux des hommes, que tous les instants de sa vie étaient consacrés au bien, qu'enfin Maximilien regardait les demoiselles Duplay comme des sœurs, et le père et la mère comme ses propres parents. De ce jour sa résolution d'épouser Élisabeth avait été formellement arrêtée.

Comme il était sur le point de prendre congé des jeunes filles, Mme Duplay survint ; elle venait chercher Élisabeth et Victoire, Robespierre ayant renoncé à prendre la parole ce jour-là On était alors dans les longues et chaudes soirées du mois de juin. Mme Duplay et ses filles allèrent faire une promenade aux Tuileries, où Le Bas les accompagna. Après quelques tours de jardin, on s'assit, et Le Bas, après avoir longuement causé avec Mme Duplay, finit par lui demander la main d'Élisabeth. Mme Duplay parut surprise ; elle n'aurait pas voulu marier la plus jeune de ses filles avant les aînées. Toutefois elle engagea Le Bas à venir le lendemain en parler à son mari, promettant de ne pas s'opposer à cette union si le père n'y voyait pas d'obstacle. A peine rentrée, Mme Duplay s'empressa de faire part de cette demande à son mari, et tout de suite on consulta Robespierre, dont on prenait toujours conseil dans les grandes circonstances. Il était si bon, a écrit Mme Le Bas, que nous le regardions comme un des nôtres. — Mon ami, lui dit Duplay, c'est notre Élisabeth, notre étourdie, que M. Le Bas nous demande en mariage. — Tant mieux, répondit Robespierre, ne balancez pas un moment. Élisabeth sera heureuse, car Le Bas est sous tous les rapports le plus digne des hommes. Il traça de lui le portrait le plus flatteur : fils excellent, ami dévoué, bon citoyen, homme de grand talent. La sublime conduite de ce magnanime Le Bas dans la journée du 9 Thermidor suffit pour prouver combien Robespierre avait raison d'apprécier ainsi son compatriote. Il était heureux de voir la plus jeune des filles de son hôte, à laquelle il était particulièrement attaché, devenir la femme d'un véritable homme de bien, et il se porta garant du bonheur d'Élisabeth.

Un homme, cependant, essaya de se jeter à la traverse de ce-mariage et de le faire rompre, en calomniant indignement auprès de Le Bas la famille Duplay et la jeune fille à qui il se disposait à donner son nom. Ce misérable était un compatriote, un député journaliste, l'immonde auteur de l'immonde feuille connue sous le nom de Rougyff, c'était Guffroy, un des futurs héros de Thermidor. Depuis longtemps, paraît-il, il avait des vues sur Le Bas/il aurait voulu lui donner sa fille ; en conséquence, il ne recula devant aucune infamie afin d'amener la rupture d'un mariage qui détruisait tous ses projets. Le Bas fut un moment ébranlé, mais il suffit de quelques paroles de Robespierre pour le convaincre de la scélératesse de ce Guffroy, que depuis longtemps Maximilien méprisait souverainement. Les nuages dont s'était obscurci momentanément le visage de Le Bas n'avaient pas été sans avoir été remarqués de sa fiancée, qui en avait ressenti un violent chagrin. Pauvre petite, lui dit Robespierre le soir du jour où Le Bas s'était ouvert à lui, reprenez votre gaieté, cela n'est rien, Philippe vous aime bien. Et, leur prenant la main à l'un et à l'autre, il sembla leur donner sa bénédiction[260].

Le mariage avait été fixé à trois semaines de là, quand il se trouva ajourné par une circonstance imprévue. Philippe reçut tout à coup du comité de Salut public l'ordre de se rendre sans délai, avec son collègue Duquesnoy, à l'armée du Nord. On se figure aisément la douleur d'Élisabeth et de Le Bas : se voir ainsi séparés au moment d'être unis ! Refuser cette mission, Philippe ne le pouvait sans se déshonorer. Il dut obéir. Mais, effrayée des dangers au-devant desquels courait celui qu'elle considérait déjà comme son mari, la jeune fille se répandit en plaintes amères, et ne put s'empêcher de dire à Robespierre qu'il lui faisait bien du mal.

Maximilien, tout en cherchant à la consoler, lui adressa ces paroles qui ne sortirent jamais de sa mémoire. Ma bonne Elisabeth, la patrie avant tout, lorsqu'elle est en danger. Le départ est indispensable ; du courage, mon amie ; Philippe reviendra bientôt. Sa présence est nécessaire là où on l'envoie. Ce n'est pas un médiocre honneur pour lui d'avoir été jugé digne de remplir une telle mission. Vous serez bien plus heureuse de l'épouser après qu'il aura rendu un grand service à son pays[261]. Élisabeth comprit et se résigna. Les lettres de Philippe vinrent d'ailleurs adoucir pour elle, l'amertume de cette séparation, laquelle ne fut pas de très-longue durée. Le Bas revint à Paris dans la seconde quinzaine du mois d'août 1793, et son mariage fut célébré le 26 à la commune, en présence d'Hébert, faisant les fonctions d'officier municipal ; de Louis David, le peintre immortel ; de Robespierre, et de Pierre Vaugeois, frère de Mme Duplay, menuisier à Choisy[262]. Élisabeth était heureuse, bien heureuse ; l'avenir s'ouvrait devant elle si radieux et si plein de promesses ! Qui lui eût dit alors qu'à moins d'un an de là elle serait veuve avec un enfant à la mamelle, et qu'elle vivrait deux tiers de siècle. encore pour maudire les assassins de son mari et de l'ami vertueux qu'elle avait eu pour témoin de son mariage !

 

XXXI

Robespierre lui-même avait aussi formé le projet d'entrer dans la famille de son hôte. Un sentiment plus tendre que l'amitié l'attachait à l'aînée des filles de Duplay, Éléonore, dont la main lui avait été promise[263]. Mais cette union si longtemps caressée dans ses rêves, et dont la perspective était toute sa joie, toute son espérance, il l'avait ajournée à une époque moins troublée, au jour ardemment désiré où, la France débarrassée de ses ennemis et respirant dans sa force et dans sa liberté, il lui serait permis, à lui, de se reposer à l'ombre du foyer domestique et de s'y livrer en paix, entre une femme et des enfants, à ses études et à ses travaux favoris.

Éléonore Duplay avait, à cette époque, près de vingt-cinq ans. C'était une grande et belle jeune fille, aux traits un peu accentués, et dont l'âme virile, trempée aux sources de la Révolution, pouvait aller de pair avec celle de Robespierre. Esprit sérieux et juste, caractère ferme et droit, cœur généreux et dévoué, elle s'était, par ses vertus, attiré l'estime et l'attachement de Maximilien ; aucune femme n'était plus digne de devenir la compagne du glorieux démocrate. Ils vivaient sous le même toit ainsi que deux fiancés, lui, trouvant dans ce chaste amour comme un repos et un adoucissement après tant de luttes quotidiennes, elle, fière de celui dont elle devait porter le nom un jour, prête à partager avec lui la palme ou le martyre. Emprisonnée à l'époque du 9 Thermidor, elle fut cependant épargnée par les féroces vainqueurs de cette triste journée, et toute sa vie elle porta le deuil de Robespierre. Jusqu'à sa mort, arrivée sous la Restauration, elle conserva précieusement un médaillon de Maximilien modelé par Collet, où se trouvent reproduits avec une fidélité frappante les traits de celui dont elle se considérait comme la veuve[264].

Robespierre, avons-nous dit déjà, a été défiguré au physique comme au moral. C'était alors un homme de trente-cinq ans, d'une taille moyenne et d'une complexion assez délicate. Les portraits à la plume tracés par Fréron et par Merlin (de Thionville)[265] sont d'odieuses caricatures d'après lesquelles on s'est appliqué à travestir ses traits et à leur donner une expression sinistre. Son visage, au contraire, très-légèrement marqué de quelques grains de petite vérole, respirait la douceur et la bonté, et, sans être régulièrement beau, n'était ni sans charme ni sans distinction. Loin d'avoir l'aspect osseux, blême et blafard que lui ont prêté ses ennemis, il n'était pas dépourvu d'un certain embonpoint et d'une fraîcheur de teint que la maladie altéra seule par instants. La tête, sans avoir le caractère léonin de celle de Mirabeau ou de Danton dont la laideur imposante attirait, était douée de je ne sais quelle expression persuasive qui tout d'abord saisissait l'auditeur. De longs cheveux châtains rejetés en arrière, un front vaste découvert sur les tempes et un peu bombé, l'arcade sourcilière proéminente, l'œil profond et clair, plein de pensées, mais voilé malheureusement par des lunettes qu'une vue basse rendait presque toujours indispensables, le nez droit, légèrement en l'air, la bouche parfaitement dessinée, le menton ferme, nettement accentué : tel était le portrait de l'homme au physique[266]. Constamment soigne dans sa mise, Robespierre avait conservé l'usage du jabot et des manchettes, bien différent de tant d'hypocrites qui croyaient faire étalage de patriotisme en affichant un cynisme de langage et de costume. Il aimait trop sincèrement la Révolution, il avait trop le respect de lui-même pour se laisser aller à ces lâches flatteries au populaire.

Au moral, nous l'avons dépeint déjà Sévère, inflexible même contre la tyrannie, l'injustice, l'immoralité, il était, dans les relations privées, généreux, compatissant et serviable. Affable envers tous, et surtout à l'égard des pauvres gens, il s'était rendu cher à toutes les personnes qui l'approchaient. Adoré dans sa famille d'adoption, il payait d'un attachement sans bornes tous les petits soins dont on se plaisait à l'entourer. C'était le bon génie de la maison. On ne faisait rien sans lei consulter, et toujours on se rendait à ses avis tant ils étaient marqués au coin de la sagesse et de la raison. Quand les enfants avaient quelque peine, c'était à lui qu'ils allaient la confier, car il ne manquait jamais d'avoir de bonnes paroles pour les consoler. Étonnez-vous donc que bien longtemps après ils soient morts sans avoir pu comprendre les malédictions stupides du monde contre la mémoire de celui qu'ils avaient connu.si pur, si dévoué, si vertueux !

Tout chez lui, a dit Buonaroti., était égalité, simplicité, moralité, amour sincère du peuple[267]. Austère dans ses mœurs, d'une sobriété extrême, il vivait complètement retiré, quoique le monde le sollicitât de toutes parts ; il n'allait que très-rarement au théâtre, qu'il aimait cependant beaucoup, et où, en de rares occasions, il accompagnait Mme Duplay et ses filles. Presque jamais il n'acceptait une invitation à dîner en ville[268] ; durant les trois années qu'il passa dans la maison de Duplay, il ne dîna pas six fois dehors. Tout son plaisir était dans la vie intérieure, au milieu de ses hôtes. Une des grandes distractions de la famille consistait dans de longues promenades aux Champs-Elysées. Robespierre ne manquait pas d'être de la partie quand il en avait le loisir. Il se faisait suivre d'un grand chien danois nommé Brount, qu'il avait ramené de son dernier voyage en Artois et qu'il aimait beaucoup. Ce chien était très-attaché à son maître dont il était le compagnon assidu. Couché aux pieds de Maximilien quand celui-ci travaillait dans sa chambre, il le regardait d'un air triste et doux comme s'il eût deviné ses pensées anxieuses. Quand on sortait, Brount témoignait sa joie par des aboiements et des gambades ; c'était un ami de plus, un ami toujours fêté et choyé par les jeunes filles. La promenade était, en général, dirigée du côté du jardin Marbeuf, fort en vogue à cette époque. Chemin faisant, on s'asseyait sur un banc, et presque aussitôt accouraient de petits Savoyards, que Robespierre se plaisait à voir danser, et auxquels il donnait quelque argent. Les pauvres enfants l'appelaient le bon monsieur. C'était pour lui, a écrit Mme Le Bas[269], un bonheur que de faire du bien ; jamais il n'était plus content, plus gai que dans ces moments-là D'autres fois, quand Robespierre avait une demi-journée de loisir, ce qui était bien rare, on partait pour Montmorency ou pour Versailles, et l'on s'enfonçait dans les grands bois où, durant quelques heures, Maximilien oubliait les agitations et les tempêtes de la vie publique.

Chaque soir, à table, on causait des affaires du jour, des nouvelles venues des frontières, du triomphe prochain de la liberté, de la perspective d'une félicité générale, une fois les orages apaisés, car tout semblait sourire alors à la Révolution victorieuse. Au sortir de table, on passait dans le salon, garni de gros meubles d'acajou recouverts en velours d'Utrecht cramoisi, et où l'on admirait, pendu à l'une des parois de la muraille, le beau portrait en pied de Robes- pierre peint par Gérard. Groupées en cercle autour de leur mère, les jeunes filles s'occupaient à des travaux d'aiguille, broderies ou tapisseries, tandis que Maximilien, lorsqu'il n'était pas obligé d'aller à la Convention ou au comité de Salut public, se livrait à la conversation avec son hôte et quelques intimes qui d'ordinaire venaient passer la soirée chez Duplay.

Robespierre lisait admirablement. Souvent on le priait de faire une lecture, ce dont il s'acquittait avec plaisir. C'était tantôt une page de Voltaire ou de Rousseau, tantôt des vers de Racine ou de Corneille, et il mettait tant d'âme dans sa diction qu'à certains passages des larmes tombaient de tous les yeux. Les aiguilles s'arrêtaient alors ; les jeunes filles, en extase, ne quittaient plus leur ami du regard, et elles comprenaient mieux le prestige que son éloquence exerçait sur tout un peuple. Vers neuf heures, Maximilien souhaitait le bonsoir à ses hôtes et se retirait dans sa chambre, où il travaillait assez avant dans la nuit ; souvent l'aube blanchissante le trouvait à son bureau, méditant un discours pour la société des Jacobins, ou préparant un de ses admirables rapports pour la Convention. Telle était, dans l'intérieur, l'existence calme et douce de ce tyran qui de sa vie n'eut à sa disposition ni soldats ni trésors, et qui, s'il eut quelque influence sur l'opinion publique, ne l'obtint que par le plus légitime et le plus honorable des moyens, par la puissance. de la raison et du talent.

Tous les jeudis, ces réunions du soir prenaient un caractère un peu plus solennel. Un certain nombre de notabilités révolutionnaires s'étaient, dès longtemps, donné rendez-vous dans le salon de Duplay. On y avait vu les Lameth sous la Constituante ; quelques Girondins y étaient venus à l'époque de l'Assemblée législative ; des Thermidoriens, comme Merlin (de Thionville), Panis, Collot d'Herbois, étaient également admis au foyer de Duplay. Parmi les autres représentants qui s'y étaient rencontrés le plus fréquemment, citons Camille Desmoulins, que l'amitié de Maximilien ne suffira pas à garantir des coups de Billaud-Varenne ; Girod-Pouzol, avec qui Robespierre s'était lié du temps de la Constituante où l'avait envoyé le bailliage de Riom ; René Pilastre, Leclerc, tous deux députés de Maine-et-Loire à la Convention, et Larevellière-Lépeaux, un des futurs directeurs de la République, que leurs liaisons avec Maximilien ne purent mettre à l'abri d'un décret de proscription lancé contre eux par le comité de Sûreté générale[270]. Les plus assidus aux réunions de Duplay étaient Le Bas, son gendre, Couthon et Saint-Just, Augustin Robespierre, un chevalier italien du nom de Pio, dont nous avons parlé déjà, David, le grand artiste, qui aimait Robespierre autant qu'il en était aimé, et qui jusqu'à la mort a gardé pour sa mémoire un respect religieux.

Un des hôtes les plus habituels de la maison du menuisier était Philippe Buonaroti, descendant de Michel-Ange. Né à Pise en 1761, Buonaroti s'était consacré à l'étude des belles-lettres, et, grâce à ses relations de famille, il se trouvait dans les meilleurs termes avec le grand-duc Léopold quand éclata la Révolution française. Son enthousiasme pour les nouveaux principes amena une disgrâce ; il fut contraint de quitter précipitamment la Toscane. Réfugié en Corse, où il eut Bonaparte pour compagnon de lit, il prit chaudement parti pour la France, devenue sa patrie d'adoption, contre Paoli, l'allié des Anglais. Ayant été, vers la fin de 1792, chargé par les habitants de la petite île de Saint-Pierre, voisine de la Sardaigne, qui avaient voté la réunion de leur pays à la République, d'aller transmettre leurs vœux à la Convention nationale, il vint à Paris, et, peu de temps après son arrivée, la Convention lui accorda, par un décret solennel, la qualité de Français, que dès le mois de février précédent le conseil général de la Corse avait sollicitée pour lui. Buonaroti s'était empressé de se faire présenter à Robespierre, à qui, depuis les premiers temps de la Révolution, il avait voué une admiration sans bornes, et dont la mémoire devait rencontrer en lui un de ses plus ardents et de ses plus éloquents défenseurs[271].

D'autres encore figuraient dans le salon de Duplay : des artistes comme Gérard, comme Prudhon, auteur d'un beau portrait de Saint-Just, comme Cietty, jeune sculpteur de grand avenir que frappa la hache thermidorienne. A ce groupe d'hommes énergiques et dévoués, prêts à vivre ou à mourir pour la République, venaient se joindre quelques femmes enthousiastes de Robespierre, entre autres Mme de Chalabre, avec laquelle nos lecteurs ont déjà fait connaissance, et qui, elle aussi, après Thermidor, payera d'une longue détention son amitié et son admiration pour Maximilien.

La préoccupation des affaires publiques, le souci des intérêts matériels n'avaient pas étouffé chez les hôtes de Duplay le goût des belles choses, la passion des lettres et des arts, vers lesquels Robespierre s'était toujours senti entraîné par un sentiment très-vif. Aux soirées du jeudi, la littérature et la musique avaient leurs coudées franches chez les Duplay, et l'on faisait trêve à la politique. Robespierre disait quelques tirades de Racine ou de Corneille ; Le Bas, qui avait une fort belle voix, chantait une romance ou jouait du violon, sur lequel il avait un talent assez distingué. Ensuite Buonaroti se mettait au piano. Ce descendant d'une famille dont l'art semblait être le patrimoine, était un grand artiste, un musicien consommé. Ame ardente et rêveuse, il exécutait des morceaux de sa composition, où il s'était inspiré de son amour pour la liberté, et, tandis que l'instrument chantait sous ses doigts, chacun retenait son souffle. On écoutait tout ému ; on songeait à l'humanité, à la grandeur de la République, à son triomphe prochain, à son avenir, et des touches frémissantes du clavecin on croyait entendre sortir la voix de la patrie.

Si l'on compare maintenant la vie intérieure de Robespierre à celle de certains personnages de la Révolution qui ont été ses ennemis et ses calomniateurs, et dont la mémoire se trouve enveloppée de je ne sais quelle auréole immaculée, on se convaincra qu'il leur était autant supérieur comme homme privé que comme homme politique. Quel dictateur, quel ambitieux que ce tribun farouche qui, simple dans ses mœurs, affable dans ses manières, heureux de faire le bien, vivait comme le plus modeste et le plus retiré des hommes, et qui, en même temps qu'il enseignait au monde, par sa propre conduite, le désintéressement et la probité politiques, donnait à ses concitoyens l'exemple fortifiant de toutes les vertus du foyer domestique !

 

 

 



[1] Ce carnet existe aux Archives. C'est un petit cahier de format in-32, recouvert d'une couverture en papier marbré. Les annotations vont de la page 1 à la page 17. Il a servi à Robespierre du mois d'octobre au mois de nivôse (fin décembre). Les Thermidoriens ont extrait de ce carnet quelques passages sur lesquels nous aurons à nous expliquer.

[2] Ces lettres de Hoche à Robespierre, supprimées par les Thermidoriens, que sont-elles devenues ? Ont-elles été détruites ? II en existe probablement dans des collections particulières. C'est évidemment une de ces lettres dont nous avons un extrait sous les yeux, lettre écrite de Dunkerque, à la date du 23 septembre 1793, et dans laquelle le jeune officier, après s'être vanté d'avoir éclairé quelques personnes sur la trahison du général Dumouriez, ajoute : Je retrouvai mes anciennes connaissances à la Convention et elles me firent obtenir du patriote Bouchotte le grade d'adjudant-général. Cette lettre, citée par extrait dans l'Isographie, faisait partie de la collection de Portiez (de l'Oise).

[3] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 514, et Moniteur du 11 octobre 1793. Permis après cela à Proudhon d'écrire, avec sa parfaite ignorance des choses de la Révolution, des niaiseries dans le genre de celle-ci : Ce rhéteur pusillanime, qui en 93 combattait la levée en masse, qui en 94 recommandait au peuple, en tout et partout, de s'abstenir ; qui toujours contrecarrait, sans les entendre, les plans de Cambon, de Carnot. (Idées générales de la Révolution au XIXe siècle.)

[4] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 514.

[5] Voyez à ce sujet notre Histoire de Saint-Just, t. I, p. 279, de l'édition Méline et Cans.

[6] Voyez le rapport de Billaud-Varenne et le décret à la suite dans l'Histoire parlementaire, t. XXX, p. 251 et suiv.

[7] Réponse de J.-N. Billaud à Laurent Lecointre.

[8] Lettre de Panis à Robespierre, dans les Papiers inédits, t. Ier, p. 286.

[9] Notamment M. Hippolyte Carnet, qui, dans ses Mémoires sur son père (t. Ier, p. 335), donne pour président habituel au comité Prieur (de la Marne).

[10] Archives, A F 11, 23.

[11] Archives, A F 11, 23.

[12] Minute de la main de Robespierre, signée de lui, de C.-A. Prieur, Billaud-Varenne et Collot d'Herbois. Archives, A F 11, 23.

[13] Arrêté signé de Billaud-Varenne, C.-A. Prieur, Carnot et Robespierre. Archives, A F 11, 23.

[14] Archives, A F 11, 23.

[15] Carnet de Robespierre, p. 4. Archives.

[16] Rapport de Courtois, p. 36.

[17] Ce projet, dont la minute est aux Archives, a été imprimé sous le numéro XLIX, à la suite du rapport de Courtois. Il paraît, dit l'astucieux rapporteur, que la commune vous devait, citoyens, présenter une pétition tendant à la suppression du département, comme autorité rivale, et vous proposer de nommer le département commission des contributions publiques.

[18] Archives, A F, 11, 82. Avec Robespierre ont signé : Billaud-Varenne, Carnot, C.-A. Prieur, Barère, Robert Lindet et Couthon.

[19] Hégel, Philosophie de l'histoire.

[20] Voyez les Mémoires de Senar, ch. XIV, p. 145. Il est assez remarquable que l'éditeur n'ait pas même su l'orthographe du nom de Senar.

[21] Voyez à ce sujet notre Histoire de Saint-Just, t. II, p. 216, de l'édit. Meline et Cans.

[22] Voici cette note : Je certifie que l'Assemblée législative m'ayant envoyé, avec mes collègues Ritter et Prieur (de la Côte-d'Or), en qualité de ses commissaires, à l'armée du Rhin, après la journée du 10 août 1792, pour annoncer les événements de celle journée, en développer les causes, prévenir les dangereux effets de la malveillance, et faire expliquer les chefs de l'armée sur ces évènements et les mesures de l'Assemblée législative prises en conséquence, nous trouvâmes à Wissembourg Victor Broglie, qui non-seulement refusa d'adhérer franchement à ces mesures, mais qui n'oublia aucun des moyens que l'astuce, l'audace et l'intrigue pouvaient lui suggérer pour soulever l'armée et les autorités civiles contre l'Assemblée nationale et ses commissaires, ce qui nous détermina à le suspendre sur-le-champ de ses fonctions.

29 prairial an II de la République une et indivisible.

CARNOT.

Archives, section judiciaire W, 397, 921.

[23] Mémoires sur Carnot, par son fils, t. Ier, p. 347.

[24] Registre des arrêtés et délibérations du comité de Salut public. Archives, A G, 70, 433, séance du 26 vendémiaire (17 octobre 1793). Étaient présents : Saint-Just, C.-A. Prieur, Robespierre, Collot d'Herbois, Billaud-Varenne, Barère.

[25] Registre des arrêtés et délibérations du comité de Salut public. Archives, A G, 70, 433, séance du 29 vendémiaire (29 octobre). Étaient présents : Barère, Hérault-Séchelles, C.-A. Prieur, Billaud-Varenne, Collot d'Herbois, Robespierre.

[26] Carnet de Robespierre, feuillet 10.

[27] Carnet de Robespierre, feuillet 12, au verso, sous cette rubrique : Principales mesures de salut public. Les Thermidoriens n'ont pas manqué d'insérer, sous le numéro LIV, cette pièce comme une preuve de la conspiration de Robespierre.

[28] Registre des arrêtés et délibérations, ubi supra, séance du 1er brumaire (22 octobre). Étaient présents : Barère, Billaud-Varenne, Robespierre, Collot d'Herbois, Carnot, C.-A. Prieur.

[29] Registre des arrêtés et délibérations du comité de Salut public, Archives, 434 a a 71. Étaient présents à ces trois séances : Billaud-Varenne, Barère, Carnot, C.-A. Prieur, Robespierre, Robert Lindet.

[30] Carnet de Robespierre, feuillet 7.

[31] Cette lettre, en date du 12 brumaire an II, figure dans la collection des Pièces inédites, t. II, p. 4. La suscription manque.

[32] Carnet de Robespierre, feuillet 11.

[33] Voyez dans notre Histoire de Saint-Just les missions de Saint-Just et de Le Bas.

[34] Mémoires de Charlotte Robespierre sur ses deux frères, p. 67.

[35] Lettre inédite, de la collection Portiez (de l'Oise).

[36] Voyez, sur les relations de Napoléon avec Augustin Robespierre, les Mémoires très-curieux de Charlotte (p. 127). Ce fut à l'estime et à l'amitié que Napoléon avait portées à Maximilien et à Augustin que Charlotte Robespierre dut la pension de 3.500 fr. dont il la gratifia lorsqu'il fut devenu premier consul.

[37] Voyez le Mémorial de Sainte-Hélène. On peut en croire MM. de Las Cases et O'Meara, dont les relations sont empreintes d'un profond caractère de vérité, et qui d'ailleurs ne sont suspects ni l'un ni l'autre d'engouement révolutionnaire.

[38] Papiers inédits trouvés chez Robespierre et autres, etc., t. III, p. 115.

[39] Dépêche à la Convention nationale, dans les Papiers inédits, t. III, p. 108 et suiv.

[40] Lettre en date du 26 septembre 1793. Robespierre et Ricord recommandent au citoyen Tilly d'encourager les courriers chargés du service des armées.

[41] Au sujet des démêlés de Couthon avec Dubois-Crancé, voyez le Moniteur du 22 frimaire an II (12 décembre 1793). Quant à l'opinion défavorable de Robespierre sur Dubois-Crancé, on la trouve développée dans des notes écrites de sa main et dans son projet de rapport sur la faction Fabre d'Églantine. Voyez Papiers inédits, etc., t. II, p. 16 et 21. Ces deux pièces figurent à la suite du rapport de Courtois, sous les numéros LI et LII.

[42] Voyez le discours justificatif de Dubois-Crancé.

[43] Lettre de Rouyer à Couthon, en date du 20 juillet 1793. Voyez Papiers inédits, etc., t. II, p. 336. Cette lettre figure sous le numéro CIV, à la suite du rapport de Courtois.

[44] Carnet de Robespierre, feuillet 2. Ce fut Billaud-Varenne qui, à la Convention nationale, insista pour le rappel de Dubois-Crancé et de Gauthier. Il reprocha à ces deux députés d'avoir accumulé sur leurs têtes les fonctions de généraux et de représentants du peuple, et leur imputa les longueurs et les difficultés du siège. (Voyez le Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 383, séance du 15 vendémiaire, 6 octobre 1793.)

[45] Lettre inédite, en date du 12 octobre 1793, de la Collection de Portiez (de l'Oise).

[46] Voyez le rapport de Barère et le décret à la suite, dans le Moniteur du 22 vendémiaire (13 octobre 1793). Dans une lettre de Collot d'Herbois à Robespierre, écrite de Lyon à la date du 3 frimaire, et qui figure sous le numéro LXXXVII, à la suite du rapport de Courtois, on lit : Il faut que Lyon ne soit plus en effet, et que l'inscription que tu as proposée soit une grande vérité, car, jusqu'à présent, bien que nous ayons doublé et triplé les apparences, ce n'est réellement qu'une hypothèse. Voyez aussi cette lettre dans les Papiers inédits, t. Ier, p. 318. Collot d'Herbois a pris ici Robespierre pour Barère.

[47] Lettre inédite, sans date, mais selon toute apparence écrite vers le 10 octobre. (De la collection Portiez [de l'Oise]).

[48] Lettre de Couthon, Maignet, Châteauneuf-Randon et Delaporte à la Convention nationale, dans le Moniteur du 2 brumaire an II (23 octobre 1793).

[49] Lettre de Couthon à Saint-Just, en date du 20 octobre. Voyez Papiers inédits, t. Ier, p. 361. — Cette lettre figure sous le numéro LXII, à la suite du rapport de Courtois. Tardivement pris d'une singulière tendresse pour les révoltés de Lyon et les traîtres de Toulon, que plusieurs d'entre eux, les Fouché, les Fréron, les Barras, traitèrent d'une si horrible façon, les Thermidoriens n'ont pas manqué d'écrire que Couthon avait eu l'intention de brûler Toulon. (Rapport de Courtois, p. 56.)

[50] Sur l'excessive modération de Couthon à Lyon, tous les écrivains contre-révolutionnaires sont eux-mêmes d'accord, comme le fait justement remarquer M. Louis Blanc. Voyez son Histoire de la Révolution, t. IX, p. 278.

[51] Lettre de Collot d'Herbois à Robespierre, en date du 3 frimaire. Ubi supra.

[52] Minutes des arrêtés du comité de Salut public. Archives, A F 11, 58.

[53] Lettre de Collot d'Herbois à Couthon, — en date du 11 frimaire. Voyez Papiers inédits, t. Ier, p. 328. Cette lettre figure sous le numéro LXXXVIII, à la suite du rapport de Courtois.

[54] Lettre de Collot d'Herbois au comité de Salut public, en date du 17 brumaire. Voyez Papiers inédits, t. Ier, p. 328, numéro LXXXVIII, à la suite du rapport de Courtois.

[55] Lettre de Collot d'Herbois et de Fouché à la Convention nationale, en date du 26 brumaire. — Voyez Papiers inédits, t. Ier, p. 316, numéro LXXXVII du rapport de Courtois.

[56] Lettre à la Convention nationale en date du 26 brumaire. Ubi supra.

[57] Lettre à la Convention nationale en date du 5 frimaire. Voyez Papiers inédits, t. Ier, p. 311, numéro LXXXVJI du rapport de Courtois.

[58] Lettre de Collot d'Herbois à Duplay, en date du 15 frimaire. Papiers inédits, t. 1er, p. 313, numéro LXXXVI du rapport de Courtois.

[59] Lettre de Collot d'Herbois à Robespierre. Ubi supra.

[60] Lettre de Collot d'Herbois à Robespierre. Ubi supra.

[61] D'une chaumière au midi de Ville-Affranchie, ce 20 messidor (anonyme). Voyez Papiers inédits, t. II, p. 144. On pourrait s'étonner de l'insertion de cette lettre, toute favorable à Robespierre, à la suite du rapport de Courtois (numéro CV), si elle n'était pas dirigée tout entière contre le thermidorien Collot d'Herbois, devenu à son tour victime de la réaction.

[62] Lettre de Cadillot à Robespierre, sans date. Voyez Papiers inédits, t. II, p. 139, numéro CVI, à la suite du rapport de Courtois.

[63] Lettre de J.-P. Besson à Robespierre. Voyez Papiers inédits, t. II, p. 116, numéro I, à la suite du rapport.

[64] Souvenirs de la Révolution et de l'Empire, t. Ier, p. 305 de l'édit. Charpentier.

[65] Voyez le Moniteur du 20 du 1er mois (11 octobre 1793). Il est bon de rappeler que, sous le Consulat et dans des circonstances beaucoup moins graves, une pareille mesure fut prise par le gouvernement français.

[66] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 393, p. 215, et Moniteur du 28 du 1er mois (19 octobre 1793). Il existe quelques variantes entre les deux versions.

[67] On lit dans le carnet de Robespierre, feuillet 3 : Demander que Thomas Payne soit décrété d'accusation pour les intérêts de l'Amérique autant que de la France., Ce fut après une dénonciation formelle de Bourdon (de l'Oise), qui, dans la séance du 5 nivôse (25 décembre 1793), accusa Payne d'intriguer avec un ancien agent du bureau des affaires étrangères, que l'ami de Brissot fut arrêté. (Voyez le Moniteur des 7 et 12 nivôse an II.)

[68] Voyez le Moniteur du 7 nivôse (27 décembre 1793), séance du 5 nivôse.

[69] Moniteur du 5 brumaire (26 octobre 1793), séance du 3 brumaire.

[70] Voyez le Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 515, et le Moniteur du 26 du 1er mois (27 octobre 1793). La version est la même dans ces deux journaux.

[71] Voyez le Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 515, et le Moniteur du 26 du 1er mois, ubi supra.

[72] Rougyff, ou le Frank en vedette, numéro du 25 septembre 1793.

[73] Le Père Duchesne, numéro 298. Voyez aussi le numéro suivant.

[74] Nous empruntons cette version à M. Laurent (de l'Ardèche), qui la tenait, pensons-nous, du docteur Souberbielle, qu'il connut beaucoup. Grand ami de Robespierre, le docteur Souberbielle figura comme juré dans le procès de la reine. (Voyez Réfutation de l'Histoire de France de l'abbé de Montgaillard, XIe lettre, p. 313.) Cette version est également, à peu de chose près, celle qu'a donnée le royaliste Beaulieu dans sa biographie d'Hébert : Ce n'était donc pas assez pour ce scélérat d'en avoir fait une Messaline, il fallait qu'il en fît une Agrippine ! Beaulieu, il est vrai, dans ses Essais historiques (t. V, p. 470), avait donné une autre version, tirée des Causes sécrètes de la Révolution du 9 Thermidor, par Vilate, ancien juré au tribunal révolutionnaire. Or, on sait que Vilate, plat coquin qui avait été arrêté avant le 9 Thermidor, avait écrit son livre dans l'espoir d'obtenir les bonnes grâces des vainqueurs en calomniant les vaincus. Voici comment ce Vilate, qui avait siégé dans le procès de la reine, arrangea le propos de Robespierre, que Souberbielle, sans doute, n'avait pas manqué de répéter à ses collègues : Il ne suffisait donc pas à cet imbécile d'Hébert que Marie-Antoinette fût présentée au peuple comme une Messaline, il fallait qu'il en fît une Agrippine, et qu'il lui procurât dans ses derniers moments la satisfaction d'exciter la sensibilité du public. Là-dessus le véridique abbé de Montgaillard d'altérer encore ces paroles, déjà dénaturées, et d'écrire : Cet imbécile ! Je lui ai dit d'en faire une Messaline, il faut qu'il en fasse une Agrippine et qu'il lui fournisse, à son dernier moment, un triomphe d'intérêt public ! Eh bien ! qui le croirait ? l'abbé de Montgaillard est encore plus juste, à l'égard de Robespierre, que certains écrivains réputés libéraux !

[75] Mémoires de Garat, p. 304 de l'édit. de 1862.

[76] La déposition de Chabot devant le tribunal révolutionnaire ne tient pas moins de trente pages de l'Histoire parlementaire. Voyez t. XXX, de la p. 28 à la p. 58. Elle était évidemment préparée d'avance.

[77] Mémoires de Garat, p. 297 de l'édit. de 1862.

[78] La Feuille de salut public du 11 septembre 1793, numéro 72.

[79] La Feuille de salut public du 3 octobre, numéro 75, article signé d'Alexandre Rousselin.

[80] Mémoires de Garat, p. 306, édit. de 1862.

[81] Voyez le livre précédent.

[82] Voyez le Journal des débats et-de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 524.

[83] Moniteur du 9 brumaire de l'an 11 (30 octobre 17931, séance du 8 brumaire. — Ce brouillon, de la main de Robespierre, a été reproduit en fac-simile, avec les ratures, en tête du second volume des Papiers inédits, etc., mais ce n'est pas la minute même du décret, comme le dit M. Michelet dans son Histoire de la Révolution, t. VI, p. 341. — Ce fut dans cette séance du 8 brumaire que, sur la proposition de Billaud-Varenne, la Convention donna au tribunal criminel extraordinaire le nom de Tribunal révolutionnaire.

[84] Voyez le deuxième volume de cette Histoire.

[85] Voyez le Père Duchesne, numéro 248.

[86] Mémoires de Mme Roland, t. II de l'édit. Barrière et Berville, p. 104.

[87] Mémoires de Mme Roland, t. II de l'édit. Barrière et Berville, p. 202.

[88] Nous avons, dans notre précédent volume, montré avec quel sans gêne, avec combien peu de bonne foi Mme Roland avait, de parti pris, calomnié Robespierre dans ses Mémoires. C'est la Gironde tout entière à sa proie attachée. Mme Roland n'a plus été que l'organe des Louvet, des Buzot, des Barbaroux. A Mme Roland nous avons, on s'en souvient, opposé surtout Mme Roland. Impossible, en effet, de se donner de plus formels démentis. Ainsi, à propos de la fuite du roi et des massacres du Champ-de-Mars, elle n'a pas craint, se faisant l'écho d'un ignoble mensonge de ses amis, de présenter Robespierre comme un lâche, comme un peureux. Or, voici ce qu'à la date du 22 juin 1791 elle écrivait au notaire Bancal des Issarts, qui fut depuis député du Puy-de-Dôme à la Convention : Robespierre est monté à la tribune ; il a eu le courage d'exprimer, avec l'énergie propre à son caractère, ce dont je ne viens que de vous transmettre l'énoncé. Robespierre a été couvert d'applaudissements ; ils étaient bien mérités. Et le lendemain 23 : Hier, à cinq heures du soir, réunis avec Robespierre et plusieurs autres, nous nous considérions sous le couteau ; il n'était question que des moyens de porter le peuple il de grandes mesures dont l'Assemblée est incapable, et chacun ne songeait qu'à la manière de se rendre plus utile au salut public avant de perdre la vie qu'un massacre imprévu pouvait nous ôter. Le 17 juillet, le lendemain des tueries du Champ-de-Mars, elle écrivait au même : On a bâti une dénonciation et l'on a fait, au comité, des recherches contre Robespierre ; on élève contre lui des soupçons pour diminuer le poids de son opinion et l'influence de ce caractère énergique qu'il n'a pas cessé de développer. Enfin le 18 elle écrivait encore à Bancal : On ne machine rien moins que de faire dénoncer Robespierre à l'Assemblée., et il serait possible, avec autant d'ennemis d'une part et de l'autre tant de vils agents prêts à se vendre, qu'on fabriquât un crime pour immoler en le déshonorant le plus vigoureux défenseur de la liberté. (Lettres de Mme Roland à Bancal des Issarts.)

[89] Voyez le livre précédent.

[90] Voyez cette lettre de Mme Roland dans le t. II de ses Mémoires, p. 202 et suiv. (Édit. Barrière et Berville.)

[91] Cartons du comité de Salut public. Archives.

[92] Arrêté en date du 25 frimaire, signé : C.-A. Prieur, Robert-Lindet, Billaud-Varenne, Barère, Carnot, Robespierre et Couthon. (Registre des délibérations et arrêtés du comité de Salut public.) Archives, 435 a a 72.

[93] Lettre signée : Carnot, C.-A. Prieur, Couthon, Robespierre, Barère et Billaud-Varenne.

[94] Minute signée de Robespierre, Carnot, Billaud-Varenne et Barère. (Archives.)

[95] Arrêté en date du 24 brumaire, signé de Barère, Carnot, C.-A. Prieur, Robert Lindet, Billaud-Varenne et Robespierre. (Registre des délibérations, 435 a a 72.)

[96] Proclamation en date du 4 brumaire de l'an II. Nous devons à l'obligeance de M. Chambry la communication de l'original de cette proclamation.

[97] Lettre signée : Billaud-Varenne, C-A. Prieur, Robespierre, Carnot, Robert Lindet et Barère. L'original de cette lettre faisait partie de l'ancienne collection Portiez (de l'Oise).

[98] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 541, et Moniteur du 4 frimaire (24 novembre 1793).

[99] Vide supra. Robespierre s'était-il trompé en révoquant en doute les sentiments républicains de Kellermann ? L'avenir ne s'est que trop chargé de lui donner raison. Duc de Valmy et sénateur de l'Empire, Kellermann mourut pair de France sous la Restauration, après avoir été commissaire du roi en 1814.

[100] Séance du 28 vendémiaire, an II (19 octobre 1793), aux Jacobins. Voyez le Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 519.

[101] Lettre datée d'Arras, en date du 19 septembre 1793, de la collection Portiez (de l'Oise).

[102] Lettre à Couthon, de Maubeuge, le 3e jour du 2e mois. De la collection Portiez (de l'Oise).

[103] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 532.

[104] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 534.

[105] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 534.

[106] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 535. — De tous les maréchaux de l'Empire, Jourdan est certainement celui qui demeura le plus attaché à la tradition républicaine. Aussi ne reçut-il de l'empereur ni dotations ni titres. Napoléon n'oublia jamais l'opposition du général républicain au coup d'État de brumaire. Jourdan mourut après la Révolution de Juillet. Il avait accepté de Louis XVIII le titre de comte.

[107] Couvert de blessures et sans fortune, le général Duquesnoy se retira aux Invalides, où il mourut eu 1796.

[108] Séance du 16 ventôse de l'an III (1er mars 1795), à la Convention. Voyez le Moniteur du 14 ventôse.

[109] Voyez la Biographie universelle, à l'article DUQUESNOY.

[110] Séance du 23 brumaire (13 novembre 1793). Voyez le Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 536.

[111] Archives, A F. 11, 82. Circulaire signée : Robespierre, Carnot, Couthon, Robert Lindet, C.-À. Prieur, Barère, Billaud-Varenne, J.-B. Saint-André et Collot-d'Herbois.

[112] Lettre lue à la société des Jacobins, séance du 28 brumaire (16 novembre 1793). Voyez le Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 539.

[113] Voyez cette lettre d'André Dumont dans la Moniteur du 5 brumaire (26 octobre 1793).

[114] L'original de cette lettre, dont nous devons la communication à l'obligeance de M. Chambry, à qui elle a été donnée par André Dumont lui-même, est signé de Robespierre, de Collot d'Herbois, de Carnot et de Billaud-Varenne.

[115] Lettre en date du 18 frimaire (8 décembre 1793). Voyez le Moniteur du 23 frimaire (13 décembre 1793).

[116] Séance du 25 nivôse de l'an III. Voyez le Moniteur du 27 nivôse (16 janvier 1795).

[117] Séance du 29 pluviôse de l'an III. Voyez le Moniteur des 2 et 3 ventôse de l'an III (20 et 21 février 1795).

[118] Le Père Duchesne, numéro 301.

[119] Voyez la lettre du curé Parens dans le Moniteur du 19 brumaire (9 novembre 1793).

[120] N'est-ce point par une véritable aberration que M. Michelet présente en quelque sorte l'abbé Grégoire comme ayant agi en cette circonstance sous l'abri des comités et de Robespierre ? (Histoire de la Révolution, t. VI, p. 385.) Voyez le récit complet de la séance du 17 brumaire dans l'Histoire parlementaire, t. XXX, p. 183 et suiv. Chaque jour, pendant le courant de brumaire, de nouvelles abjurations se produisirent à la tribune de la Convention. Le 20, ce fut le tour de l'abbé Sieyès, qui vint dire que depuis longtemps ses vœux appelaient le triomphe de la raison sur la superstition et sur le fanatisme. Il est à remarquer que ceux qui, plus tard, parleront avec le plus d'indignation de ce mouvement contre le culte et le traiteront d'abomination, sont précisément ceux sur qui doit en peser la responsabilité. Combien, depuis, ont essayé d'en charger la mémoire de Robespierre ! Aux yeux d'une masse de gens, Maximilien passe encore pour l'un des promoteurs du culte absurde de la déesse Raison.

[121] Ce sont les propres paroles de Robespierre à la séance des Jacobins du 22 frimaire (12 décembre). Voyez le Moniteur du 24 frimaire (14 décembre 1794).

[122] Cette scène a été racontée par Robespierre lui-même dans son discours du 22 frimaire.

[123] Voyez, pour cette séance de la commune, la Feuille du salut public du 13 brumaire an II, numéro CXXV.

[124] Thuriot demanda que la Convention se rendît au Temple de la Raison pour y chanter l'hymne de la Liberté (Moniteur du 23 brumaire, 13 novembre). Or, au moment où Thuriot présentait cette motion, la cérémonie était déjà achevée. Mais ce ne fut point un obstacle ; la cérémonie fut recommencée le soir en présence de la Convention. (Voir les Révolutions de Paris, numéro 215, p. 215.)

[125] Voyez le récit complet de cette fête de la Raison dans le numéro 215 des Révolutions de Paris, p. 214 à 218.

[126] Ce ne fut pas seulement à Notre-Dame qu'on exhiba des déesses Raison. Presque chaque église eut en effet la sienne. L'imprimeur-libraire Momoro, un des organisateurs, du mouvement contre le culte, et qui était alors vice-président par intérim de la commune de Paris, fit à sa femme les honneurs de l'église de Saint-André-des-Arts. Les quolibets ne manquèrent pas à la pauvre déesse. On lit dans le numéro 260 de la Feuille du salut public : Lors de la dédicace du Temple de la Raison, Mme Momoro fut portée, exhaussée dans les rues, comme la déesse de la fête. Les connaisseurs en divinité s'égayaient sur la figurante. Les uns disaient : Que la déesse est maigre ! les autres : Qu'elle est jaune ! d'autres, etc.

[127] Voyez le Moniteur du 25 brumaire (15 novembre 1793).

[128] Le Père Duchesne, numéro 309.

[129] Ibid., numéro 310.

[130] Mémoires de René Levasseur, t. II, p. 294.

[131] Voyez les Révolutions de Paris, numéro 223, p. 479.

[132] Séance des Jacobins du 18 brumaire (8 novembre). Voyez le Moniteur du 22 brumaire. La sortie d'Hébert contre Laveaux lui fut vivement reprochée un mois plus tard par Bentabole. Pourquoi, dit ce dernier en s'adressant au substitut du procureur de la commune, a-t-il attaqué Laveaux ? Parce que ce dernier avait parlé en faveur d'un Être suprême. Quant à moi, ennemi de toute pratique superstitieuse, je déclare que je croirai toujours, à un Être suprême. (Séance du 21 frimaire, 11 décembre 1793.)

[133] Le Père Duchesne, numéro 312.

[134] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 536.

[135] Séance de la commune du 26 brumaire (16 novembre 1793). Voyez le Journal de la Montagne du 28 brumaire.

[136] Déclaration de Chabot à la Convention, séance du 20 brumaire (10 novembre). Voyez le Moniteur du 22 brumaire.

[137] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 536.

[138] Voyez le Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 424, p. 369.

[139] Le rapport de Robespierre, imprimé par ordre de la Convention, forme une brochure in-8 de 19 p. (de l'Imprimerie nationale). Il a été réimprimé dans les Œuvres de Robespierre éditées par Laponneraye (t. III, p. 445 et suiv), et dans l'Histoire parlementaire (t. XXX, p. 224 et suiv.). On le trouve dans le Moniteur du 30 brumaire (10 novembre 1793). La Feuille du salut public, journal de Garat et de Rousselin, en le donnant à ses lecteurs, le fit précéder de ces lignes : Nos lecteurs nous sauront gré de leur donner, de préférence à tous autres articles, le rapport de Robespierre sur notre situation à l'égard des puissances étrangères. Dans un pays libre, c'est un devoir pour tous les hommes d'être instruits des affaires publiques, et rien ne peut contribuer davantage à cette instruction nécessaire qu'un rapport dans lequel la grandeur des idées, la profondeur de la politique, s'unissent à la clarté des développements et à la précision du style. Qu'elle est sublime, l'éloquence républicaine ! C'est celle de la vérité ; ses accents éclairent et consolent l'ami de l'humanité, et portent l'effroi dans l'âme des tyrans, dont elle déjoue l'infâme machiavélisme. (Numéro CXLII, du 30 brumaire.)

[140] Lettre inédite de Godefroy, député de l'Oise, à Max. Robespierre (de Courtantin, le 10 nivôse). Collection Portiez (de l'Oise).

[141] Lettre de Jérôme Gillet à Robespierre, de Commune-Affranchie, le 24 frimaire an II. Les Thermidoriens se sont bien gardés de reproduire cette lettre. On la trouve dans les Papiers inédits, t. Ier, p. 217.

[142] Voyez le Journal de la Montagne du 25 brumaire an Il (15 novembre 1793).

[143] Séance du 28 brumaire (18 novembre) aux Jacobins. Voyez le Moniteur du 3 frimaire (23 novembre 1793).

[144] Voyez à cet égard la propre déclaration de Chaumette au sein du Conseil général. Moniteur du 5 frimaire (25 novembre).

[145] Ce grand acte de courage de Robespierre paraît à M. Michelet : une INCONVENANCE ! ! (Histoire de la Révolution, t. VI, p. 410.)

[146] Voyez le livre précédent.

[147] Michelet, t. VI, p. 411. — Telle est la légèreté avec laquelle M. Michelet a écrit son Histoire de la Révolution française, qu'il ne mentionne même pas le rapport de Robespierre sur la situation politique de la République, rapport qui eut cependant un si grand retentissement. Après M. Michelet, voici venir Proudhon, lequel, dans son langage amèrement hyperbolique, s'écrie : La Raison déifiée fut par l'imbécile messie de Catherine Théot déclarée suspecte. (De la justice dans la Révolution et dans l'Église, t. II, p. 398.) Ainsi, aux yeux du paradoxal auteur du Mémoire sur la propriété, la Raison c'était les farces ignobles auxquelles put à peine mettre fin la courageuse opposition de Robespierre.

[148] L'amitié de Robespierre faillit coûter cher à Pache, et ce ne fut pas la faute des Bourdon (de l'Oise), des Boissy d'Anglas et de quelques autres, si, après Thermidor, l'ancien maire de Paris ne fut pas livré au bourreau.

[149] Voyez, pour ce discours de Robespierre, le Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 544, et le Moniteur du 6 frimaire an II (.26 novembre 1793). Il a été reproduit dans l'Histoire parlementaire, t. XXX, p. 274 à 283, et dans les Œuvres éditées par Laponneraye, t. III, p. 475 à 487.

[150] Voyez la Feuille du salut public du 7 frimaire, numéro CXLIX.

[151] Moniteur du 8 frimaire (28 novembre 1793).

[152] Moniteur du 18 frimaire (8 décembre 1793).

[153] Voyez ce décret dans le Moniteur du 17 frimaire. — La Convention décréta l'impression, la distribution de six exemplaires à tous ses membres et la traduction dans les langues étrangères du discours de Robespierre. Voyez le Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 443, p. 203.

[154] Deschiens cite ces paroles comme les ayant entendu lui-même prononcer. Voyez sa Bibliographie des journaux, aux Pièces justificatives, p. XIX, en note. — Ouvrez maintenant la Biographie de Robespierre, par l'abbé Proyard, ce biographe qu'on peut sans exagération qualifier d'artisan de calomnies, et vous lirez (p. 119) que ce fut Robespierre qui contribua plus que personne à offrir à la capitale le spectacle des fêtes de la déesse Raison. L'honnête abbé veut bien avouer seulement que Robespierre s'étant aperçu qu'il avait outrepassé les bornes, songea a revenir sur ses pas. Comment ne pas éprouver un serrement de cœur quand on songe que de pareils livres, de telles inepties, servent à l'enseignement d'une partie de la jeunesse française !

[155] Voyez le Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 546, le Moniteur du 11 frimaire (1er décembre) et le Républicain français, numéro 380.

[156] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 546.

[157] Le Père Duchesne, numéro 316.

[158] Séance du 8 frimaire, ubi supra. Voyez le Moniteur du 1er frimaire an II.

[159] Cette courageuse attitude de Robespierre devant l'hébertisme constituera l'un de ses crimes aux yeux des Thermidoriens, et le fameux Courtois ne manquera pas de lui reprocher dans son rapport (p. 42 et 43) d'avoir déclamé contre ceux qui ont renversé le culte, contre ceux qui ont empêché de dire la messe ou d'aller l'entendre.

[160] Le Père Duchesne, numéro 320.

[161] Voyez dans le Moniteur et les autres journaux de l'époque les lettres de Tallien, Fouché, Baudot, Dumont et autres.

[162] Voyez ce manifeste dans le Moniteur du 17 frimaire (7 décembre). Il a été reproduit dans l'Histoire parlementaire, t. XXX, p. 314 et suiv., et dans les Œuvres éditées par Laponneraye, 1. III. Il est curieux de voir comment M. Michelet apprécie ce fier manifeste, qui produisit en Europe une si profonde sensation. Il lui consacre trois lignes. C'était, dit-il, une adresse à l'Europe contre le philosophisme, et dans laquelle, à son dire, Robespierre excusait la Révolution, Nous ne sommes pas des impies, etc. (t. VI, p. 427). Est-ce là de l'histoire sérieuse ? Le philosophisme, dans l'esprit de Robespierre, est évidemment à la philosophie ce que le charlatanisme est à la médecine !

[163] Rapport de Maximilien Robespierre à la Convention nationale, fait au nom du comité de Salut public, le quintidi 15 frimaire, l'an second de la République une et indivisible. Imprimé par ordre de la Convention. (In-8° de 10 p., de l'Imp. nationale.)

[164] Arrêté en date du 4 nivôse (24 décembre), signé : Carnot, Billaud-Varenne, Barère, Robert Lindet, Robespierre et Collot-d'Herbois. (Registre des délibérations et arrêtés du comité de Salut public. Archives, 435 a a 72.)

[165] Arrêté en date du 8 nivôse (28 décembre), signé : Barère, Carnot, Billaud-Varenne, Robespierre, Robert Lindet, C.-A. Prieur. Archives, 435 a a 72.

[166] Lettre signée de P. Costes, Laroche et Astier, en date du 18 ventôse an II. Cette lettre, non reproduite par les. Thermidoriens, se trouve dans les Papiers inédits, t. III, p. 123.

[167] Arrêté signé : Barère, Billaud-Varenne, Carnot., C.-A. Prieur, Robert Lindet et Robespierre. (Registre des délibérations et arrêtés du comité de Salut public. Archives, 435 a a 72.)

[168] Voyez à cet égard la Réponse de Billaud-Varenne à Laurent Lecointre, p. 50.

[169] Voyez, pour l'affaire Chaudot, le Moniteur des 27 pluviôse et 3 ventôse de l'an (15 et 21 février 1794).

[170] Article 1er du décret.

[171] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 442, p. 186, et Moniteur du 16 frimaire (6 décembre).

[172] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 545.

[173] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 545.

[174] Voyez à cet égard le Moniteur du 25 brumaire an Il (15 novembre 1793), séance du 23 brumaire à la Convention.

[175] Lettre de Girault, député des Côtes-du-Nord, voyez le texte précédant.

[176] Moniteur du 1er frimaire (21 novembre), séance du 28 brumaire.

[177] Voyez le rapport, non prononcé, de Robespierre sur la faction Fabre d'Églantine.

[178] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 549, et Moniteur du 14 frimaire an II (4 décembre 1793).

[179] Moniteur du 14 frimaire (4 décembre 1793). Le Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins est muet sur l'intervention de Robespierre dans l'affaire de Taschereau.

[180] Pour complaire à la réaction de 1795, Taschereau alla jusqu'à rendre Robespierre responsable des actes de Carrier :

Ton esprit a plané sur l'onde

Qui fit reculer l'Océan ;

Ô temps affreux, douleur profonde,

Fermez mes yeux sur ce tyran.

Et, en note, il a soin d'ajouter : C'est comme ami de ce tyran que je suis aujourd'hui précipité dans les fers.

[181] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 549.

[182] Voyez le Moniteur du 11 frimaire (1er décembre 1793) et le Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 545, séance du 8 frimaire (28 novembre).

[183] Voyez le Moniteur du 16 frimaire (6 décembre 1793) et le Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 550, combinés. Il y a dans les versions de ces deux feuilles de légères différences.

[184] Il est étonnant que certains admirateurs de Danton se croient obligés de calomnier Robespierre, à qui ils imputent à tort la chute de leur idole, comme ne l'ont jamais fait les libelles royalistes. Dans la préface d'un livre récemment publié on lit ces lignes : Quant à Robespierre lui-même, poussé par son égoïsme à la domination suprême, IL Y PARVINT, malgré sa lâcheté et son incapacité naturelles, à force de persévérance, d'intrigues et de meurtres. (Danton, Mémoire sur sa vie privée, par le docteur Robinet, p. XIII.) — Quand la passion vous égare à ce point, quand on méconnaît si grossièrement les plus simples vérités historiques, quand on se laisse emporter à cette ardeur de calomnie et de dénigrement, on obtient ce qu'on mérite, un véritable succès de ridicule.

[185] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 551.

[186] Le Vieux Cordelier, numéro 1.

[187] Lettre inédite de la main de Robespierre. Elle est ainsi datée : 20 frimaire an IIe de la République une et indivisible, et porte en suscription : Au citoyen Hentz, représentant du peuple, envolé à l'armée du Nord. Elle est signée : Robespierre, Barère, Carnet, Billaud-Varenne et Robert Lindet.

[188] Projet de rapport sur la faction Fabre d'Églantine.

[189] Projet de rapport sur la faction Fabre d'Églantine.

[190] Lettre de la société populaire de Strasbourg, du mois de mars 1792.

[191] Moniteur du 14 frimaire (4 décembre 1793) et Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 548.

[192] Moniteur du 22 frimaire (12 décembre 1793) et Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 555.

[193] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 555. Ce numéro est l'avant-dernier numéro de cette feuille, devenue aujourd'hui très-rare, et qui est indispensable pour la connaissance, parfaite de l'histoire intérieure de la société des Jacobins. Commencée le 1er juin 1791, elle finit le 24 frimaire de l'an II (14 décembre 1793). La collection forme 5 volumes in-4°.

[194] Lettre à Hentz, ubi supra. Hentz est mort proscrit, à Philadelphie, vers la fin de la Restauration.

[195] Moniteur du 13 juillet 1793, séance du 11. Dans sa lettre à Dillon, Camille attribue cette exclamation à Legendre et à Billaud-Varenne.

[196] Moniteur du 11 juillet 1793, séance du 10.

[197] Cette brochure est devenue très-rare. On en trouve de nombreux extraits dans l'Histoire parlementaire, t. XXVIII, p. 276 et suiv.

[198] Lettre de Camille Desmoulins à son père, en date du 10 août 1793.

[199] Correspondance inédite de Camille Desmoulins, p. 175.

[200] Réponse à Dillon.

[201] Correspondance inédite de Camille Desmoulins, p. 188 et suiv.

[202] Cette anecdote ne se trouve pas consignée dans le manuscrit de Mme Le Bas que nous avons sous les yeux ; nous l'empruntons à l'Histoire des Montagnards de M. Alphonse Esquiros, lequel a beaucoup connu la femme du Conventionnel Le Bas.

[203] M. Marc Dufraisse, par exemple. Voyez son Étude sur Camille Desmoulins dans la Libre Recherche de février 1857.

[204] Étude sur Camille Desmoulins, par M. Marc Dufraisse, ubi supra.

[205] Voyez le Vieux Cordelier, numéro 2.

[206] Moniteur du 21 nivôse an II (10 janvier 1794).

[207] Voyez dans le Moniteur du 12 juin 1794 la lettre qu'à cette occasion Jean-Baptiste Cloots reçut des hommes de couleur et des nègres libres.

[208] Voyez ce qu'a écrit à cet égard Mme Roland dans ses Notices historiques sur la Révolution. (Mémoires, t. II, p. 32 et suiv., édit. Barrière et Berville.)

[209] Lettre à Robespierre en date du 20 mars 1792. (Papiers inédits, t. Ier, p. 176.)

[210] Voyez notamment Lettres de Maximilien Robespierre à ses commettants, numéro 1, p. 28.

[211] Mémoires de Madame Roland, t. II, p. 35, édit. Barrière et Berville.

[212] Voilà ce que M. Michelet appelle un morceau pleureur dans le genre du crocodile. (Histoire de la Révolution, t. VI, p. 423).

[213] Moniteur du 26 frimaire an II (16 décembre 1793).

[214] Appel au genre humain.

[215] Moniteur du 28 frimaire (18 décembre 1793).

[216] M. Michelet, qui s'entend à travestir les choses, a écrit que Robespierre voulait prouver que nous n'étions pas des impies en empêchant que les prêtres ne fussent rayés de la société. (Histoire de la Révolution, t. VI, p. 427.) A cet ennemi juré des prêtres, les nobles semblent moins dangereux. Mais étaient-ce des prêtres qui peuplaient Coblentz et l'armée de. Condé ? Et ceux qui s'agitaient à l'intérieur, en Vendée, n'était-ce pas surtout à l'excitation des nobles ?

[217] Séance du 26 frimaire (16 décembre) aux Jacobins. Voyez le Moniteur du 29 frimaire (19 décembre).

[218] Séance du 23 frimaire (13 décembre). Voyez le moniteur du 26 frimaire (16 décembre).

[219] Voyez le Moniteur du 28 frimaire (18 décembre 1793).

[220] Projet de rapport de Robespierre sur la faction Fabre d'Églantine.

[221] Projet de rapport de Robespierre sur la faction Fabre d'Églantine. Voyez aussi le Vieux Cordelier, numéro 3.

[222] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 450.

[223] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 451. Voyez aussi le Moniteur du 25 frimaire (15 décembre) ; mais le discours de Jay-Sainte-Foy y est rendu d'une façon beaucoup moins complète.

[224] Moniteur du 28 frimaire an II (18 décembre 1793).

[225] Combinez le Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 453, avec le Moniteur du 26 frimaire. Le Moniteur est évidemment incomplet.

[226] Journal des débats et des décrets de la Convention, ubi supra.

[227] Moniteur du 28 frimaire (18 décembre 1793). — Lié avec une partie des prescripteurs de Thermidor, Thibaudeau s'associa à presque toutes les mesures réactionnaires dont fut suivie la chute de Robespierre, qu'il ne s'est pas fait faute de calomnier dans ses Mémoires, fort insignifiants du reste.

[228] Voyez les Mémoires sur Carnot, par son fils, t. Ier.

[229] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 543. — Nous lisons dans le carnet de Robespierre, feuillet 10 : Dugommier, général de brigade, à l'armée d'Italie. D'où il résulte, suivant nous, que ce fut à l'instigation personnelle de Robespierre que le comité de Salut public plaça à la tête de l'armée d'Italie le général Dugommier, qui fut certainement une des plus pures gloires de nos armées républicaines.

[230] Lettre inédite de Sergent à Robespierre en date du 14 frimaire (4 décembre 1793), de la collection Portiez (de l'Oise). D'après cette lettre, Marceau était petit-fils d'un vigneron et fils d'un greffier criminel. La Biographie universelle fait de son père un procureur au bailliage de Chartres. Voici avec quelle simplicité s'explique Sergent sur les services de son beau-frère : Je le connais depuis son enfance. Avant la Révolution, il était sergent dans un régiment d'infanterie. Il quitta ses drapeaux le 12 juillet 1789. Depuis, il a commandé un bataillon de garde nationale à Verdun, à Sedan, dans les plaines de la Champagne. Enfin, dans la Vendée, il a sauvé la vie à Bourbotte un jour de bataille.

[231] Voilà qui explique bien naturellement et bien simplement pourquoi Marceau quitta les armées de l'Ouest et de Brest. Ouvrez maintenant les Biographies : vous y lirez que Marceau ayant arraché une jeune et belle Vendéenne à la brutalité de ses soldats, ses ennemis lui firent un crime de cet acte d'humanité, et cabalèrent contre lui pour lui ôter son commandement, etc. (Biographie universelle.)

[232] Robespierre jeune, représentant du peuple près l'armée d'Italie, au comité de Salut public. Lettre en date du 2 novembre 1793. Voyez Papiers inédits, t. II, p. 78.

[233] Robespierre jeune au comité de Salut public. Lettre en date du 26 brumaire an II, de Nice. Papiers inédits, t. II, p. 103.

[234] Lettre en date du 26 brumaire, ubi supra.

[235] Lettre inédite, en date du 28 frimaire, de la collection Portiez (de l'Oise), communiquée par M. Sencier.

[236] Lettre en date du 30 frimaire an II (du quartier-général de Toulon), signée : Salicetti, Fréron, Ricord, Robespierre jeune et Barras. Voyez-la dans le Moniteur du 8 nivôse (28 décembre 1793).

[237] Je me trompe : M. de Barante, dans sa pitoyable Histoire de la Convention, ose affirmer que les représentants n'assistaient pas au combat. Et sur quoi fonde-t-il son affirmation ? Sur le témoignage de Napoléon, qui dit précisément le contraire en ce qui concerne Robespierre.

[238] Voyez le Moniteur du 5 nivôse an II (25 décembre 1793), séance du 4.

[239] Mémorial de Sainte-Hélène, p. 126 (édit. Garnier).

[240] M. de Lamartine. Voyez l'Histoire des Girondins, 1re édition, t. IV, p. 23.

[241] Histoire des Girondins, t. IV, p. 24.

[242] Malgré son patriotisme bien connu, Duplay n'en fut pas moins l'objet d'une assez vive attaque pour avoir conservé sur l'enseigne de sa maison la qualification de maître. On lisait en effet dans le Batave du 2 septembre 1793 la lettre suivante adressée par un citoyen du nom de Lyon au rédacteur de ce journal : A voir une quantité d'enseignes dans Paris, on pourrait croire que les maîtrises ne sont pas supprimées. Le citoyen Duplaix, chez lequel demeure le plus zélé défenseur des droits de l'homme, Maximilien Robespierre, est encore en toutes lettres maître menuisier. Au nom de l'égalité, citoyen, dites deux mots dans votre journal sur cette inobservance des lois. Que ce soit aristocratie, que ce soit oubli de la part des ci-devant maîtres, il n'en est pas moins du devoir d'un républicain de rappeler à l'ordre les administrateurs de police qui, ayant les moyens de faire disparaître jusqu'aux plus légères traces de l'inégalité, négligent de le faire. Salut et fraternité.

[243] Voyez notre premier volume, livre cinquième, la maison Duplay.

[244] Nous donnons tous ces détails, dont nous garantissons la parfaite exactitude, d'après : 1° les titres de propriété de la maison de Duplay, que nous avons sous les yeux ; 2° un plan de cette maison qui nous a été donné jadis par M. Philippe Le Bas, petit-fils de Duplay ; 3° une description manuscrite, écrite par M. Le Bas sous la dictée de sa mère, et 4° le manuscrit de Mme Le Bas, qui nous a été confié.

De tous les historiens de la Révolution, celui qui a jusqu'ici retracé avec le plus de fidélité l'existence de Robespierre dans l'intérieur de la famille Duplay, c'est sans contredit M. de Lamartine, et voici pourquoi : M. de Lamartine avait été présenté à Mme Le Bas, la veuve du martyr volontaire de Thermidor, et, à la suite de sa conversation avec ce témoin vivant de la vie intime de Maximilien, il avait écrit quelques pages de son Histoire des Girondins qui parurent dans le National sous ce titre : Fragment de la vie privée de Robespierre. Mais l'illustre poète n'avait pas été, paraît-il, très-fidèlement servi par ses souvenirs, et la publication de cet extrait donna lieu à de légitimes réclamations de la part de M. Le Bas. Monsieur et illustre confrère, écrivit-il à M. de Lamartine, je viens de lire l'extrait de votre livre qu'a publié le National, et je l'ai communiqué à ma mère. Elle et moi avons admiré le talent de l'auteur et lui sommes reconnaissants de la justice qu'il rend à un homme qui nous est cher, mais nous regrettons vivement que vous n'ayez pas jugé à propos de nous communiquer ces quelques pages avant de les livrer à l'impression. Vous eussiez par là évité des erreurs, dont l'une, bien involontaire de votre part, nous a profondément affligés... Que fit M. de Lamartine ? Il envoya purement et simplement les épreuves de son livre à M. Le Bas, qui refit, tels que nous les lisons aujourd'hui, les passages concernant la vie privée de Robespierre, à l'exception de quelques phrases condamnées par lui et que l'auteur crut devoir conserver. (Voyez l'Histoire des Girondins, t. IV, p. 23 et suiv. de la 1re édition.) Les personnes curieuses de connaître la différence existant entre les pages modifiées par M. Le Bas et le récit original de M. de Lamartine n'ont qu'à consulter le National (année 1847).

[245] Simon Duplay a, si nous ne nous trompons, laissé plusieurs enfants, dont l'un est le docteur Duplay, médecin du collège Chaptal.

[246] Voyez la première partie de cet ouvrage, t. Ier, livre cinquième, les massacres du Champ-de-Mars.

[247] C'est ce dont convient Charlotte dans ses Mémoires, qu'il faut lire d'ailleurs avec une certaine réserve, car, sur des points de détails, ils sont quelquefois erronés. Voyez p. 91.

[248] Manuscrit de Mme Le Bas.

[249] Mémoires de Charlotte Robespierre, p. 89.

[250] A quelle époque eut lieu cette séparation momentanée ? Les Mémoires de Charlotte n'indiquent aucune date. Mme Le Bas n'en parle pas davantage. Je lis seulement dans une note écrite de sa main : Robespierre ne sortit qu'une seule fois de chez mon père pour aller chez sa sœur, dont le caractère impérieux le rendait bien malheureux. Ce fut vraisemblablement, comme je l'ai dit plus haut, au mois de septembre 1793, pendant lequel Robespierre fut en effet légèrement indisposé, qu'il quitta pour quelques jours la maison de Duplay.

[251] Mémoires de Charlotte Robespierre, p. 87.

[252] Voyez ce que nous avons dit à cet égard dans la seconde partie de cet ouvrage.

[253] Le mobilier de Robespierre, confisqué après Thermidor, fut vendu aux enchères publiques en pluviôse an IV, au dépôt, maison Égalité (Palais-Royal), moyennant la somme de 38.601 livres 10 sous en assignats, ce qui représentait en numéraire la somme de 2.800 livres environ, tant les assignats étaient dépréciés alors, grâce à la bonne administration thermidorienne. Voyez Tableau des dépréciations du papier monnaie, publié en exécution de la loi du 5 messidor an V. — Augustin Robespierre était meublé plus luxueusement que son frère, car la vente de ses meubles produisit, déduction faite de 793 livres 10 sous de droits d'enregistrement, la somme de 138,646 livres 10 sous en assignats, soit en numéraire 9.000 livres environ. (Hôtel de ville ; Domaines, carton III.)

[254] M. Charles Le Bas, frère puîné du célèbre helléniste, possède un magnifique portrait en miniature de Duplay son grand-père.

[255] Ceci est constaté par un brouillon de lettre de Mme Duplay à sa fille, Mme Auzat, brouillon trouvé chez Duplay après Thermidor. On y lit : Votre père a été obligé de reprendre son état. Aucune de nos maisons n'est louée ; mais nous nous consolerions de cela s'il en résultait quelque chose pour l'intérêt public. Voyez Papiers inédits trouvés chez Robespierre, etc., t. III, p. 230. Cette lettre doit être du mois de février ou de mars 1793. En marge de l'original se trouve écrit : Ce brouillon de lettre, écrit par la femme Duplay après le 9 Thermidor, paraît destiné à sa fille. Les Thermidoriens ne se rappelaient même plus le sort de leurs victimes. Jetée dès le soir même du 9 Thermidor dans la prison de Sainte-Pélagie, la malheureuse Mme Duplay mourut le surlendemain, étranglée, dit-on, par quelques mégères.

[256] J'ai recueilli ce fait de la bouche même de M. Le Bas. Voyez à ce sujet le Dictionnaire encyclopédique de Philippe Le Bas, au mot DUPLAY.

[257] Auzat n'échappa point à la proscription qui, après Thermidor, frappa presque toutes les personnes suspectes de quelque attachement pour Robespierre.

[258] Voyez notre Histoire de Saint-Just.

[259] Manuscrit de Mme Le Bas.

[260] Manuscrit de Mme Le Bas. — Pauvre ami ! y lit-on, tu avais pour mes parents la tendresse d'un fils et pour nous la bonne amitié d'un frère, nous te le rendions bien, car nous t'aimions sincèrement.

[261] Manuscrit de Mme Le Bas.

[262] Manuscrit de Mme Le Bas. Dans l'acte de mariage de Philippe Le Bas et d'Élisabeth Duplay, que nous avons sous les yeux, il est dit que le mariage fut célébré en présence de Jacques-Louis David, quarante-trois ans, député, demeurant au Louvre ; Jacques-René Hébert, substitut du procureur de la Commune, rue Neuve-de-l'Égalité. Témoins des époux : Maximilien-Isidore-Marie de Robespierre, trente-quatre ans, député, rue Saint-Honoré, section des Piques ; J. Pierre Vaugeois, soixante et un ans, menuisier, oncle de l'épouse. Ont signé : Le Bas, Elisabeth Duplay, Hébert, David, Robespierre, Vaugeois.

[263] Note de Mme Le Bas.

[264] La calomnie n'a épargné aucun de ceux qu'affectionna Robespierre. Elle n'a pas manqué d'atteindre Éléonore Duplay. Les Thermidoriens, qui n'ont reculé devant aucun mensonge pour ternir la mémoire de leurs victimes, n'ont pas craint d'écrire que des relations intimes avaient existé entre Robespierre et Éléonore. Quand bien même l'austérité de mœurs de Maximilien ne suffirait point par elle-même pour détruire cette odieuse imputation, s'imagine-t-on que Duplay, homme rigide sous tous les rapports, eût souffert sous ses yeux un pareil commerce ? Quant à Éléonore Duplay, tous ceux qui l'ont connue savent qu'elle était au-dessus des faiblesses et des fragilités de la femme, et qu'elle portait au suprême degré le sentiment du devoir. (Voyez le Dictionnaire encyclopédique de la France, par Philippe Le Bas, à l'article DUPLAY.)

[265] Nous avons déjà eu l'occasion de dire que le fameux Portrait de Robespierre, publié sous le nom de Merlin (de Thionville), est de Rœderer. En 1790 avait paru un médaillon, qu'on peut voir au cabinet des estampes à la Bibliothèque, et qui contenait les profils de Rœderer, de Petion et de Robespierre, avec cette inscription en exergue : Triumvirat patriote. Avons-nous besoin de rappeler ce qu'est devenu le patriote Rœderer ?

[266] Nous donnons ce portrait d'après le médaillon de Collet. Il y a eu de Robespierre une assez grande quantité de portraits, dont les plus remarquables étaient ceux peints par Mme Guyard, Boze, Ducreux, David et Gérard. Nous avons dit comment la toile de ce dernier se trouva malheureusement détruite en 1815. Le cabinet des estampes de la Bibliothèque contient une quarantaine de portraits-gravés.

[267] Observations sur Maximilien Robespierre, in-4°.

[268] C'est ce que constate l'horrible Guffroy dans sa Deuxième Censure républicaine, p. 417. Tout ce que les ennemis de Robespierre trouvèrent à lui reprocher, au sujet de la table, fut un goût un peu prononcé. pour les oranges. Barère, dans ses tristes Mémoires, raconte qu'un jour M. de Loménie, ex-coadjuteur de son oncle l'archevêque de Sens, l'ayant prié de le faire dîner avec Robespierre, il invita ce dernier qui accepta après beaucoup d'instances. Le repas eut lieu chez le restaurateur Méot. Robespierre se montra très-morose, au dire de Barère. Au nom de Loménie, il s'écria : C'est un Brienne !Oui, dit l'amphitryon, le neveu du cardinal qui a convoqué les états généraux et établi par une loi la liberté absolue de la presse. — C'est bon, c'est bon, répliqua Maximilien, mais c'est un noble. Peu d'instants après il prit son chapeau et se retira sans rien dire (t. II, p. 20). Nous donnons cette anecdote pour ce qu'elle vaut. On sait combien peu Barère mérite de confiance.

[269] Manuscrit de Mme Le Bas.

[270] Je lis dans une note de Mme Le Bas : Parler dès députés qui venaient chez mon père, entre autres de Camille Desmoulins, de Merlin (de Thionville), de La Revellière-Lépeaux, Pilastre, Leclerc.

[271] Toute la vie de Buonaroti fut un long dévouement à la cause de la liberté. Arrêté dans le Midi à la suite du 9 Thermidor, coupable de son amitié pour Robespierre, il fut ramené à Paris et jeté dans la prison de Plessis, où il resta jusqu'en vendémiaire de l'an IV. En 1806 il quitta la France, après avoir subi plusieurs condamnations politiques, et se retira à Genève d'abord, puis en Belgique, où son talent pour la musique lui fournit le moyen de vivre. Rentré dans sa patrie d'adoption après les journées de Juillet, il y mourut, en 1837, sans avoir rien perdu de son intelligence et de la force de ses convictions. Fidèle à la mémoire de Robespierre, de Couthon, de Saint-Just et de Le Bas, ce fut à eux qu'il songea au moment suprême, et ses dernières paroles témoignent bien du culte qu'il leur avait voué : Je vais rejoindre les hommes vertueux qui nous ont donné de si bons exemples.