Résultats des journées des 31 mai et 2 juin. — Conduite des Girondins. — Robespierre combat le rapport de Barère. — La constitution de 1793. — Robespierre et Proudhon. — Suite des débats sur la constitution. — Une réponse à Mercier. — L'Être suprême. — Attitude des députés de la droite. — Acceptation de la constitution. — Jacques Roux et les enragés. — Sortie de Robespierre contre ces derniers. — Tentatives de guerre civile. — Héroïque attitude de Robespierre. — Le boucher Legendre. Approbation de la conduite de la commune de Paris au 31 mai. — Ni défiance excessive, ni modérantisme. — A propos d'un prêtre réfractaire. — Sagesse de Robespierre. — L'emprunt forcé. — Les Girondins dans le Calvados. — Projet attribué a Garat. — Les journalistes mercenaires. — Le rédacteur du Moniteur. — Une des fraudes de Cour lois. — Les départements en marche contre Paris. — La Marseillaise normande. — Une adresse de la société de Caen. — Discussion sur le rapport concernant les Girondins. — Une motion de Tallien. — Le rapport de Saint-Just. — Les administrateurs rebelles. — Robespierre défend le comité de Salut public. — Rossignol et le général Biron. — D'Albarade et Danton soutenus par Robespierre, — Assassinat de Marat. — Conduite de Robespierre. — Plan d'éducation par Michel Lepeletier. — La Convention nationale et l'instruction publique. — Volonté une, royaliste ou républicaine. — Encore une fraude thermidorienne. — Éloge de Lavalette et rappel de Duhem. — Affaire du général Custine. — Entrée de Robespierre au comité de Salut public. — Proposition d'ériger le comité en gouvernement provisoire. — Robespierre défend de nouveau Danton. — Lutte contre les enragés. — Simonne Évrard. — Politique de Robespierre. — Les étrangers. — Sévérités déployées par la Convention. — Encore Carra et Brunswick. — Sombres discours. — Pitt déclaré l'ennemi du genre humain. — Appel à la raison du peuple. — Robespierre et l'évêque de Saint-Flour. — Les commissaires des départements aux Jacobins et à la Convention. — Anniversaire du 10 août. — Entrevue de Garat avec Robespierre. — Opinion vraie de Garat sur Maximilien Robespierre. — Carnot entre au comité de Salut public. — Les Anabaptistes de France. — La levée en masse. — Robespierre président de la Convention et des Jacobins. — Bordeaux et les autorités constituées. — Les révoltés lyonnais. — Paméla et François de Neufchâteau. — Le Théâtre Français. — Quelques particularités de la présidence de Robespierre. — Les boulets marseillais. — Rose Lacombe. — Le Père Duchesne. — Fermentation dans Paris. — Barère défendu par Maximilien. — Mémorable séance du 5 septembre à la Convention. — Robespierre complètement étranger à l'organisation de la Terreur. — Nouvelle sortie contre les exagérés. — Le comité de Sûreté générale. — Une réponse à Prudhomme. — Le général Rossignol et la Vendée. — Premiers démêlés de Robespierre avec Bourdon (de l'Oise). — Rapports avec les généraux. — Robespierre indisposé. — Il défend le comité de Salut public. — Sortie violente contre Briez. — Séance du 25 septembre aux Jacobins. — Vilain d'Aubigny. — Robespierre arrache à l'échafaud soixante-treize Girondins. — Voix d'outre-tombe.I La journée du 31 mai fut grande, heureuse, utile et nécessaire, s'écriait Robert Lindet à la tribune de la Convention le 1er brumaire de l'an III (22 octobre 1794), près de trois mois après la chute de Robespierre[1], c'est-à-dire à une époque où la réaction girondine commençait à s'imposer au pays et à diriger de sérieuses persécutions contre les patriotes suspects de garder quelque fidélité à la mémoire des vaincus de Thermidor. Cela seul suffirait à prouver dans quelle erreur grossière, volontaire ou non, sont tombés les historiens qui ont présenté la chute des Girondins comme une victoire personnelle pour Robespierre ; ce fut le triomphe éclatant de la révolution démocratique, et tous les prodiges dont un peuple est capable pour assurer son indépendance et conserver son homogénéité vont s'accomplir entre l'époque du 31 mai et celle du 9 thermidor. Ce sera l'œuvre de la Montagne. On a dit très-faussement qu'à partir du 31 mai toutes discussions avaient cessé au sein de la Convention ; que, terrifiée en quelque sorte, elle s'était bornée à voter silencieusement les décrets proposés par ses comités : c'est là une assertion complètement contraire à la vérité et démentie par tous les faits. Ce qui est vrai, c'est que, débarrassée des brouillons et des intrigants, la Convention ne fut -plus une arène de gladiateurs ; c'est qu'au lieu de s'épuiser dans ces récriminations éternelles, dans ces luttes de partis où l'avaient entraînée les hommes de la Gironde, elle se consacra tout entière aux grands intérêts de la patrie ; ce qui est vrai enfin, c'est que, pressés de donner à la France une constitution républicaine, ses membres seraient assez promptement rentrés dans la vie privée si des circonstances extraordinaires, provoquées en partie par ceux dont elle s'était vue contrainte de voter l'arrestation, ne l'avaient pas mise dans la nécessité d'ériger un gouvernement d'expédients et de faire face elle-même par de suprêmes moyens à de suprêmes périls. Les suites du 31 mai, on peut, je crois, l'affirmer hardiment, n'eussent pas été fatales aux Girondins si eux-mêmes, par de criminelles entreprises, n'avaient pas appelé sur eux toute la sévérité des lois ; si, comme l'a très-bien dit un écrivain célèbre, tout disposé à l'indulgence à leur égard, que dis-je ! trop porté à la partialité en leur faveur, ils n'avaient point précipité leur chute en la méritant par l'appel à la guerre civile[2]. Personne, parmi les principaux membres de la Montagne,
n'avait soif du sang de ces hommes. Considérée comme un obstacle à
l'établissement du gouvernement républicain, la Gironde avait disparu, emportée
pour ainsi dire dans un mouvement populaire, on ne voulait pas autre chose[3]. Quand le 2 juin,
sur la place du Carrousel, le général provisoire de la garde nationale, cet
Hanriot calomnié à l'envi par les réactions de toutes les couleurs,
parcourait les rangs des bataillons parisiens, il disait : Il ne faut pas verser de sang, mais il ne faut pas se
retirer que les vingt-deux membres ne soient livrés[4]. Et, de fait, il
n'y eut jamais d'insurrection plus bénigne que celle des 31 mai et 2 juin
1793 ; Robespierre jeune put dire avec raison : Il
sera inouï dans l'histoire que cent mille hommes se soient mis sous les armes
sans qu'il soit arrivé le plus léger accident[5]. Quand le
résultat poursuivi fut atteint, les citoyens qui y avaient travaillé avec le
plus d'ardeur semblèrent avoir hâte d'abdiquer la part d'autorité dont ils
avaient été momentanément revêtus. Ainsi fit Hanriot. Nous devons signaler en
passant la conduite politique de ceux dont la fortune fut associée à celle de
Robespierre. Républicains, dit-il au sein du
conseil général de la commune, comme il me semble
avoir rempli ma tâche, comme il me semble voir le calme, la tranquillité et
l'union rétablis dans la ville, je donne ma démission entre les mains du
peuple. J'ai fait tout ce qu'un honnête citoyen devait faire, et je me
croirais le plus coupable dès hommes si je ne donnais pas ma démission, que
le peuple a droit d'exiger de moi. Le président, — c'était Lubin,
destiné, lui aussi, à périr en Thermidor, — lui répondit : Hanriot, quand le peuple de Paris, dans le moment d'une
violente crise, te nomma son commandant général, il annonça qu'il connaissait
ton civisme, ton courage, ton mérite ; tu as pleinement justifié son opinion
; la démission que tu lui donnes aujourd'hui achève de prouver qu'il t'a bien
jugé. Ce dernier trait met le comble à ta gloire. Hanriot sera cité
désormais, et dans cette ville et dans la République entière, non-seulement
comme un ardent patriote, un franc révolutionnaire, mais, ce qui est bien
plus glorieux, comme un excellent citoyen[6]. Hanriot n'allait
pas tarder à être réintégré dans son commandement par le suffrage de ses
concitoyens ; nous aurons plus d'une fois l'occasion de montrer comment il
s'acquitta de ces importantes fonctions. Un désir d'apaisement paraissait s'être emparé de la plupart des esprits, à ce point que, dans une séance du conseil général de la commune, un envoyé de Lyon, nommé Leclerc, ayant manifesté son étonnement de ce qu'on semblait craindre de répandre quelques gouttes de sang, Hébert lui-même, au milieu de l'indignation universelle, proposa à ses collègues de considérer comme mauvais citoyen quiconque parlerait de verser du sang, et sa motion fut accueillie par des applaudissements unanimes[7]. La Convention, de son côté, avait des dispositions à l'indulgence. Et pourtant les incitations sanglantes ne lui manquaient pas. C'était la commune d'Amboise, qui lui conseillait de se hâter de décréter d'accusation tous les chefs de la faction girondine et de les envoyer à l'échafaud ; c'étaient les habitants d'Arcis-sur-Aube, qui demandaient que la vengeance nationale s'appesantît sur les membres dénoncés[8]. Les adresses abondaient où l'on poussait les représentants du peuple à user des moyens de rigueur contre leurs collègues désarmés. Plus modéré était le vœu des compatriotes de Robespierre. Que le lieu de vos séances cesse d'être une arène de gladiateurs ! s'écria à la barre de la Convention un député de la commune d'Arras ; qu'il s'y établisse une lutte, nous y consentons, mais que ce ne soit pas celle des passions ; que ce soit celle de l'amour du bien public[9]. L'Assemblée inclinait visiblement vers les mesures de douceur, mais le cœur des Girondins était fermé à toute proposition d'accommodement ; il leur fallait le triomphe ou la mort. Le bruit s'étant répandu que le comité de Salut public devait proposer à la Convention un projet d'amnistie en faveur des députés mis en arrestation, Dufriche-Valazé déclara que pour sa part il repousserait toute amnistie avec horreur[10]. Non moins fier et non moins acerbe se montra Vergniaud. Il s'était volontairement soumis au décret d'arrestation afin d'offrir sa tête en expiation des trahisons dont il serait convaincu, écrivit-il à la Convention ; mais, à son tour, il demanda que ses dénonciateurs fussent livrés au bourreau s'ils ne produisaient de preuves contre lui[11]. Que les Girondins, vaincus, se montrassent indomptables dans l'adversité, qu'aux accusations de leurs adversaires ils opposassent une âme stoïque et dédaigneuse, c'était bien, et il pouvait même y avoir quelque grandeur dans leur conduite ; mais malheureusement ils ne s'en tinrent pas là. Lorsque Marat avait été livré par eux au tribunal révolutionnaire, les partisans de l'Ami du peuple n'avaient pas cherché à ameuter contre la Convention la population parisienne, et les sections de la capitale avaient attendu dans le silence et dans le respect le résultat du procès. C'était là un exemple à .suivre. Coupables d'avoir, les premiers, porté atteinte à l'intégrité de la représentation nationale, les Girondins étaient tenus de s'incliner à leur tour devant le décret qui les frappait. La résignation, c'était le salut ; nul doute, je le répète, que, s'ils avaient accepté purement et simplement la situation, ils n'eussent pas misérablement perdu la vie, les uns sur les échafauds, les autres par le suicide. Mais, aveuglés par la haine, dominés par des passions voisines de la démence, ils se crurent assez forts pour diriger tous les départements dans une vaste croisade contre Paris, pour imposer par eux des lois à la Convention nationale, et ils n'hésitèrent pas à souffler aux quatre coins de la France le feu de la guerre civile. Voulurent-ils, comme on les en accusa sur les rapports du Prussien Anacharsis Cloots, dit l'Orateur du genre humain, démembrer, fédéraliser la France ? Non, sans doute ; mais leur crime ne fut pas moins irrémissible. A leur voix se mirent en pleine révolte les déportements de l'Ouest et du Midi, et sous leur inspiration la terreur s'organisa à Lyon et à Marseille contre les patriotes. Ne savaient-ils pas, les imprudents ! que derrière eux, et en se couvrant de leur nom, allaient se grouper tous les royalistes, tous les ennemis de la Révolution ? Et quel moment choisirent-ils pour exposer la patrie éperdue à de tels déchirements ! Trois cent mille ennemis occupaient nos frontières depuis Bâle jusqu'à Ostende ; les Autrichiens étaient aux portes de Valenciennes ; en dix jours ils pouvaient être à Paris. La situation n'était guère meilleure au Midi et au Sud-Est. Dans l'intérieur, les Vendéens, encouragés par de récents succès, redoublaient d'ardeur, et, maîtres de Thouars, de Fontenay, de Saumur, ils dominaient tout le cours de la Loire. N'y avait-il pas là de quoi apaiser les ressentiments de la Gironde et lui faire accepter docilement l'arrêt du peuple ? II Tel était l'état des choses lorsque, dans la séance du 6 juin, Barère présenta à la Convention nationale, au nom du comité de Salut public, un rapport ambigu et équivoque sur les journées des 31 mai et 2 juin, comme s'il n'eût pas encore été assez certain du triomphe de la Montagne pour se ranger tout à fait de son côté[12]. Dans un décret à la suite, il proposa, entre autres mesures, à l'Assemblée, de supprimer tous les comités extraordinaires autres que ceux de surveillance et de salut public ; d'expulser du territoire de la République, dans le plus bref délai, tous les étrangers suspects ; d'envoyer tout de suite dans chacun des départements dont quelques députés avaient été mis en état d'arrestation un nombre égal de députés à titre d'otages. Danton appuya cette dernière proposition, et, cédant à un mouvement chevaleresque, Couthon et Saint-Just s'offrirent eux-mêmes en otages[13]. Mais le rapport de Barère parut infiniment dangereux à certains représentants. Était-ce à l'heure où les Girondins bravaient ouvertement la Convention par des lettres menaçantes et provocatrices qu'on devait avoir l'air de les redouter en composant avec eux ? A Ducos, qui dans la séance du 8 avait soutenu les conclusions du rapport, Robespierre répondit froidement, avec modération, mais aussi avec fermeté. C'était la première fois qu'il prenait la parole depuis la journée du 2 juin. A la Convention comme aux Jacobins, il était resté muet, attendant avec anxiété les résultats des menées girondines dans les départements[14]. Mais à la nouvelle des tentatives faites pour opérer la contre-révolution à Bordeaux, à Lyon, à Marseille et sur d'autres points encore, il monta résolument à la tribune afin de combattre comme insuffisantes les mesures présentées par Barère, lesquelles lui paraissaient de nature à fomenter des troubles dans le pays au moment où l'Assemblée et la République tout entière avaient un si grand besoin de tranquillité. Dépeignant les périls auxquels la France était exposée sur ses frontières et à l'intérieur, il engageait vivement tous les citoyens à marcher de concert vers la paix et la liberté publique. Mais pour cela il fallait se garder d'agiter de nouveau Paris et de fournir à l'aristocratie, par des mesures inconsidérées, les moyens de se relever de son dernier échec. Si vous jetez au milieu de nous de nouvelles semences de division, disait-il, alors elle lèvera une tête audacieuse, et peut-être tomberez-vous dans l'état dont vous étiez menacés avant le 31 mai. Ce qui a été fait dans cette dernière révolution n'a produit aucun effet funeste, aucune effusion de sang. Vous avez tous reconnu le principe et le caractère patriotique imprimé à l'insurrection du peuple ; vous avez vu qu'elle était nécessaire, sous peine de voir la liberté ensevelie à Paris, et par conséquent perdue à jamais pour le reste de la République, sous peine de voir se répéter auprès de vous les scènes sanglantes de Lyon et de Marseille. En conséquence, il était indispensable, à son avis, de conserver les autorités établies parle peuple pour maintenir la tranquillité publique et protéger en même temps ses droits et sa liberté. Était-il permis à la Convention de comprimer le zèle, l'effervescence même du patriotisme, quand elle ne possédait pas elle-même assez de vertu, de sagesse et d'énergie pour dompter les ennemis extérieurs et intérieurs delà Révolution ? Sans s'arrêter au projet d'envoyer des otages dans les départements, lequel ne lui paraissait pas mériter examen, il engageait ses collègues à exiger du comité de Salut public un prompt rapport sur les députés détenus, et surtout une loi sévère contre les étrangers, car il trouvait souverainement impolitique, lorsque les puissances étrangères bannissaient de chez elles tous les Français qui pourraient y porter nos principes, de recevoir légèrement tous les individus qu'elles dépêchaient au milieu de nous afin de nous infecter de leurs poisons. Rapport sur les députés arrêtés en vertu du décret du 2 juin, bonne loi sur les étrangers, ordre du jour sur les autres mesures proposées par Barère, tels étaient, en définitive, les trois points auxquels se réduisaient les propositions de Robespierre[15]. Ses paroles produisirent un effet décisif. Les partisans de la Gironde, sentant bien que le rapport de Barère était au fond tout favorable à leurs amis, en appuyèrent de tous leurs efforts les conclusions, mais en vain. Un député de l'Indre, nommé Lejeune, renchérit singulièrement sur le discours de Robespierre et se montra d'une sévérité excessive contre les hommes qui, dit-il, envoyés à la Convention pour faire des lois, avaient depuis six mois employé leurs talents à calomnier les patriotes les plus énergiques, à calomnier Paris, pour exciter contre cette ville des rivalités propres à amener le fédéralisme. Barère, voyant son projet de décret menacé d'un échec complet, annonça que le comité de Salut public en présenterait un nouveau dans lequel il serait tenu compte des observations soumises à l'Assemblée. Nous dirons bientôt comment, en présence de l'insurrection girondine, la Convention nationale dut se départir des sentiments d'indulgence qui tout d'abord l'animaient à l'égard des vaincus du 31 mai. Mais avant de jeter un rapide coup d'œil sur les déchirements dont la France va être le théâtre, il importe de nous arrêter un moment sur la constitution de 1793, laquelle fut discutée et votée vers ce temps-là III Il n'y a certainement pas eu de constitution plus décriée que celle de 1793, parce qu'il n'y en a pas de moins connue, et qu'on la juge d'ordinaire d'après les calomnies dont elle a été poursuivie, comme l'ont été ses auteurs. Il n'y en a point pourtant où respire un plus profond amour de l'humanité, et où soient plus nettement affirmés ce qu'on est convenu d'appeler les grands principes de 1789 : l'égalité, la liberté, le droit d'association, les franchises de la pensée, l'élection populaire appliquée sur la plus vaste échelle, le renouvellement fréquent des fonctionnaires publics, les garanties les plus minutieuses contre les empiétements du pouvoir. Elle ne fut pas, comme on l'a dit, bâclée en quelques jours par des jeunes gens. Depuis le mois de février, date à laquelle Condorcet avait présenté son projet, la constitution avait occupé tous les esprits sérieux de l'Assemblée, et de longues discussions y avaient été consacrées. L'œuvre girondine avait le tort de se perdre dans des détails infinis ; elle fut écartée avant même que la Gironde eût succombé définitivement.. Dans la séance du 30 mai, la Convention avait adjoint au comité de Salut public Hérault-Séchelles, Couthon, Saint-Just, Ramel et Mathieu, qui, se trouvant chargés, de concert avec les membres du comité, de poser de nouvelles bases constitutionnelles[16], n'eurent qu'à condenser, en quelques articles clairs et nets, les grands principes démocratiques exposés déjà par Robespierre et d'autres députés à la tribune de la Convention. La constitution était attendue de toutes parts avec une fiévreuse impatience ; chacun l'appelait de ses vœux comme l'ancre de salut, la réparation de tous les maux, la fin de toutes les discordes ; et, quoi qu'en aient dit tous les ennemis de la Révolution, on peut affirmer que, si défectueuse qu'elle fût, elle eût parfaitement fonctionné si des complications imprévues n'eussent pas forcé la Convention de l'ajourner jusqu'à la paix. Le 9 juin 1793, dans la soirée, Couthon, Hérault-Séchelles, Saint-Just, Ramel et Mathieu soumirent à leurs collègues du comité de Salut public le projet qu'ils avaient rédigé[17]. Le lendemain matin, le comité l'adopta dans son ensemble, avec quelques modifications, et, le même jour, Hérault-Séchelles en donna lecture à l'Assemblée. Des membres rédacteurs de cette constitution, deux, Couthon et Saint-Just, étaient étroitement unis de cœur à Robespierre. Mais, s'ils s'inspiraient généralement des idées de leur ami, ils ne parvinrent pas à les faire complètement triompher, car nous allons voir Robespierre combattre sur plus d'un point le nouvel acte constitutionnel, et, tout en le jugeant supérieur à tout ce qui s'était produit jusqu'ici, il fut loin de le considérer comme le pacte social définitif des Français[18]. Seulement, après tant de séances perdues, employées en agitations stériles, il lui sembla indispensable que la Convention prouvât au peuple français et au monde entier qu'elle avait à cœur de s'occuper sans relâche de la mission dont elle avait été spécialement chargée. Aussi l'entendit-on s'écrier, après qu'au milieu des
applaudissements Hérault-Séchelles, au nom du comité de Salut public, eut
présenté son rapport et lu le projet d'acte constitutionnel : La seule lecture du projet de constitution va ranimer les
amis de la patrie et épouvanter tous nos ennemis. L'Europe entière sera
forcée d'admirer ce beau monument élevé à la raison humaine et à la
souveraineté d'un grand peuple. Il demanda ensuite que le projet fût
imprimé en placard, envoyé à toutes les administrations, aux sociétés
populaires, aux armées, et que dès le lendemain la discussion commençât[19]. Si démocratique et si populaire que fût en somme ce projet de constitution, adopté en principe par la Convention malgré l'opposition de quelques membres de là droite qui auraient voulu ajourner la discussion jusqu'à ce qu'il eût été statué sur le sort des députés détenus, il n'en fut pas moins l'objet de critiques assez vives de la part de certains députés montagnards. Le soir, aux Jacobins, Robespierre, après avoir rendu compte, avec beaucoup de détails, de la séance de l'Assemblée, ayant proposé à la société d'envoyer une adresse aux départements sur l'heureux événement qui lui paraissait devoir concilier les suffrages du peuple et de tous les amis de la liberté, sur cette constitution sortie en huit jours du sein des orages et devenue le centre où il était permis à la nation de se rallier sans se donner de nouvelles chaînes, Chabot protesta. Cette constitution, la meilleure réponse des patriotes à toutes les calomnies, selon Robespierre, contenait, d'après Chabot, des germes de royalisme. Le pouvoir exécutif, dans lequel le comité avait essayé d'asseoir la garantie même de la liberté, lui semblait monstrueux et liberticide. Aux yeux de l'ex-capucin, la guillotine seule devait être la garantie de la liberté. L'idée n'était pas heureuse de faire intervenir dans une discussion toute constitutionnelle l'instrument sinistre des vengeances révolutionnaires. Je désire la discussion, répondit Robespierre, et je ne regarde point cette constitution comme un ouvrage fini ; j'ajouterai moi-même des articles populaires qui y manquent, et je ne demande qu'une adresse analogue aux circonstances, dont le but soit de relever l'esprit public abattu et de répondre aux calomnies de nos ennemis. Vivement appuyée par Jean Bon Saint-André, la motion de Robespierre fut adoptée, et la société le chargea du soin de rédiger cette adresse en lui adjoignant Saint-André et Chabot[20]. Dès le lendemain 11 juin, comme l'avait réclamé Maximilien, la discussion s'ouvrit sur la constitution ; elle se prolongea jusqu'au 23. Pour l'exercice de sa souveraineté, le peuple français était distribué en assemblées primaires de canton, et, pour l'administration et la justice, en départements, districts et municipalités. Tout homme né et domicilié en France était admis à l'exercice des droits de citoyen. C'était le suffrage universel, réclamé par Robespierre depuis l'origine de la Révolution, et, pour la première fois, inscrit dans l'acte constitutionnel. Par une disposition assurément fort touchante, la constitution nouvelle accordait les droits de citoyen à tout étranger qui, domicilié en France depuis un an, y vivait de son travail, ou acquérait une propriété, ou épousait une Française, ou adoptait un enfant, ou nourrissait un vieillard. Le peuple nommait directement ses députés ; il déléguait à des électeurs le choix des administrateurs, des arbitres publics, des juges criminels et de cassation. Ce dernier article amena d'assez vifs débats. Dans la
séance du 15, un membre de la droite et un membre de la gauche, Guyomard et
Chabot, combattirent la création de corps électoraux, comme de nature à
détruire l'unité et l'indivisibilité de la République, et insistèrent pour
l'élection directe en toutes choses. Mais n'était-il pas à craindre que, si
le conseil exécutif, les corps judiciaire et administratif, étaient élus
directement et sortaient de la même source que le Corps législatif, ils ne
s'attribuassent une importance égale, n'empiétassent sur ses attributions ?
L'article XXIX spécifiait bien que chaque député appartenait à la nation
entière ; toutefois, malgré cela, n'était-il pas possible qu'un jour le
conseil exécutif vînt dire aux mandataires de la nation : J'ai été élu par l'universalité des citoyens, vous n'êtes
vous que le produit d'élections partielles : donc, mon mandat est supérieur
an vôtre ? Levasseur et Thuriot défendirent le plan du comité, et
Robespierre, avec son grand sens politique, appuya en ces termes leurs
observations : Si le système de Chabot semble au
premier coup d'œil plus conforme aux principes démocratiques, cette illusion
disparaît bientôt, quand on examine quel en serait le résultat pour ou contre
la liberté. Quel est l'écueil ordinaire de la liberté dans tous les pays ? C'est
le trop grand ascendant que prend à la longue le pouvoir exécutif, qui, par
cela même qu'il a entre ses mains toutes les forces de l'État et qu'il agit
sans cesse, domine bientôt toutes les autorités. De là vient la nécessité
bien constante de mettre dans la constitution de fortes barrières à son
usurpation. De là nécessité d'empêcher qu'il n'ait dans son origine un
caractère aussi imposant que celui rie la représentation nationale ; de la
nécessité de ne point le faire nommer immédiatement par le peuple. Si vous
n'adoptez pas ce système, vous verrez bientôt, sous des formes nouvelles,
ressusciter le despotisme, et les autorités particulières, puisant dans leur
nomination un caractère de représentation, se liguer ensemble pour lutter
contre l'autorité naissante de la grande représentation nationale[21]. De quelles
garanties et de quelles précautions il voulait entourer la liberté, ce
sincère grand homme que la calomnie et l'ignorance poursuivent encore de
l'accusation de dictature ! Convaincue par ces raisons, l'Assemblée adopta
les vues du comité. On a comparé à tort, d'ailleurs, ces corps électoraux à
ceux de la Constituante, lesquels, issus d'un suffrage restreint, nommaient à
la fois la représentation nationale, les juges et les administrateurs, tandis
que, sortis eux-mêmes du suffrage universel, les premiers étaient seulement
chargés de l'élection de fonctionnaires que la constitution entendait
subordonner au Corps législatif. Robespierre, avons-nous dit, ne se trouva pas toujours d'accord avec les rédacteurs du projet ; en plus d'une circonstance on l'entendit critiquer leurs idées. Ainsi il essaya, mais en vain, de faire modifier l'article en vertu duquel un député démissionnaire ne pouvait quitter son poste qu'après l'admission de son successeur. C'était là selon lui, une atteinte à la liberté individuelle[22]. Il s'éleva également contre le vague de l'article qui permettait aux assemblées primaires, en dehors de leur session annuelle, — laquelle devait avoir lieu tous les ans, le 1er mai, — de se former extraordinairement, par la réunion de la majorité des membres dont elles étaient composées. Quel serait l'objet de-leurs délibérations, et pour combien de temps seraient-elles réunies ? N'appréhendait-on pas d'établir par là une démocratie turbulente et incertaine au lieu de cette démocratie dont la stabilité est assurée par de sages lois ? Qu'arriverait-il ? disait Robespierre. C'est que les riches et les intrigants demeureraient seuls au milieu de ces assemblées, que les pauvres et les artisans seraient forcés de déserter pour aller travailler, n'ayant que leur travail pour vivre. Ce qu'il voulait, c'était le gouvernement du peuple par des mandataires directement élus et sérieusement responsables, et non ce système de prétendu gouvernement du peuple par lui-même, système qui, sous une apparence plus démocratique, eût mis la République à la discrétion de tous les intrigants, de tous les potentats de villages, et laissé à la nation l'ombre de la souveraineté pour la réalité. A la demande de Robespierre, la Convention ajourna la rédaction de cet article, qu'elle modifia légèrement un peu plus tard[23]. Maintenant, dans quelle mesure les mandataires du peuple exerceraient-ils leur mandat sans encourir de responsabilité ? D'après le comité, ils ne pouvaient être accusés, recherchés ni jugés en aucun temps pour les opinions par eux émises au sein du Corps législatif. C'était là selon le vieux Raffron du Trouillet, un brevet d'impunité pour tous les mauvais citoyens qui trahiraient les intérêts du pays. Un représentant du peuple ne devait pas être au-dessus de la loi commune ? Il est impossible, disait Robespierre répondant à Raffron, de ne pas rendre hommage aux motifs patriotiques qui ont inspiré le vénérable vieillard qui m'a précédé à cette tribune. Sans doute, continuait-il, il était pénible de penser que des représentants du peuple pourraient se montrer impunément infidèles à leur mandat ; mais, d'autre part, il y avait à craindre que la liberté des suffrages ne se ressentît d'une sorte de menace perpétuellement suspendue sur la tête des députés. Puis, comment répondre que des représentants fidèles ne seraient point poursuivis par des factieux ou des intrigants ? Il songeait sans doute à cette véritable persécution dont il avait été victime lui-même de la part des Girondins au début de la Convention. Enfin, comment concilier la liberté des opinions, celle du peuple même, avec le droit laissé aux autorités constituées de juger un de ses mandataires ? C'était-là à son avis, une matière environnée d'écueils. Il pensait toutefois que, de manière ou d'autre, tout député était tenu, à la fin de chaque législature, de rendre compte de sa conduite à ses commettants. Il croyait donc que la Convention, tout en adoptant l'article du comité, ferait bien de le charger de lui soumettre un projet de loi sur la responsabilité des représentants du peuple, de façon que, sans gêner la liberté du législateur, on opposât pourtant une forte barrière à la corruption. Mais l'Assemblée, sans s'arrêter à ces considérations si graves, passa outre et vota purement et simplement l'article présenté par le comité[24]. Il eut plus de succès le lendemain en demandant que dans l'intitulé des lois, décrets et actes publics, on substituât à ces mots : Au nom de la République française, ceux-ci : Au nom du Peuple français ; car, disait-il, le mot de république caractérise le gouvernement, celui de peuple, au contraire, caractérise le souverain. Son amendement, conforme aux principes, fut adopté, malgré l'opposition de Thuriot[25]. Toujours préoccupé de la crainte de voir s'accroître, dans des proportions fatales à la liberté, l'autorité du pouvoir exécutif, il obtint la suppression du droit de faire les traités, attribué par le comité au conseil exécutif, qui dut se borner à les négocier[26]. Il n'était si petites choses sur lesquelles, à cet égard, il ne crût devoir insister. Ainsi, le comité avait abandonné au conseil le soin d'accuser les agents en chef, s'il y avait lieu, devant les juges ordinaires ; mais au moyen de cette disposition, disait Robespierre, les agents trop fidèles ne seraient-ils pas exposés à être victimes du conseil, et devait-on les effrayer d'avance par la perspective d'accusations dont serait souvent payé le patriotisme ardent ou une surveillance trop active ? Il faut, au contraire, ajoutait-il, trouver le moyen de mettre un frein aux prévarications des dépositaires de l'autorité ; il ne faut pas s'en reposer sur le Corps législatif, car, loin de dénoncer le conseil, il pourrait s'unir à lui, profiter des abus et usurper la souveraineté nationale. On n'avait qu'à suivre pour les agents les règles ordinaires de la poursuite des crimes[27]. L'Assemblée, conformément à ces observations, se borna à autoriser le pouvoir exécutif à dénoncer les agents de la République en cas de prévarication ou de forfaiture. On sait de reste à présent avec quel soin jaloux Robespierre s'est constamment attaché à sauvegarder l'indépendance, la liberté des citoyens et l'intégrité de leurs droits ; on a vu de quelles garanties sérieuses il s'est efforcé de couvrir les conquêtes de la Révolution contre les empiétements du pouvoir. Investir le gouvernement de la puissance nécessaire pour défendre la liberté contre les entreprises des factions, et le mettre hors d'état d'attenter lui-même à cette liberté, tel était le problème dont il ne cessa de poursuivre la solution. Toute sa théorie en matière de gouvernement, on la trouve dans son magnifique discours sur la constitution, dont nous avons, dans notre dernier livre, donné une analyse assez complète. Laisser aux familles, aux communes, aux individus, la plus grande somme de liberté possible ; se bien garder de comprimer dans son essor, par la rage des réglementations, l'initiative privée ; n'abandonner au pouvoir exécutif que l'autorité nécessaire à la bonne gestion des affaires de la communauté ; fuir enfin la manie ancienne des gouvernants de vouloir trop gouverner : voilà quels étaient, selon lui, les principes fondamentaux d'une constitution républicaine. Eh bien ! croirait-on qu'un grand esprit de ce temps, que Proudhon, dans son aveugle prévention contre Robespierre, et aussi dans son amour immodéré de ce qu'il appelle l'AN-ARCHIE, a fait de l'immortel législateur un fanatique de gouvernement ? Je ne voudrais pas contester la bonne foi de l'auteur fameux du Mémoire sur la Propriété, mais quand on a lu attentivement les productions de cet esprit bizarre, dont les qualités étincelantes sont voilées de tant d'insupportables défauts, on est contraint d'avouer qu'en toutes choses il a toujours été beaucoup plus dominé par son tempérament fougueux, ses préventions étonnantes et sa manie de contredire, que parla justice, la raison sévère et la passion de la vérité. Personne n'ignore de quels procédés ordinaires usait Proudhon envers ses adversaires politiques et littéraires, et même envers certains hommes qui eussent été en droit d'attendre de lui, sinon des éloges, au moins des ménagements et des égards. C'est un débordement d'invectives destinées à couvrir la plupart du temps l'absence complète de tout argument sérieux. N'est-il pas étrange et triste de voir ce démocrate s'évertuer à ressasser contre Robespierre les outrages du parti royaliste et girondin ? Imbécile messie de Catherine Théot[28], rhéteur pusillanime, apostat de la démocratie, etc.[29], telles sont les banales injures dont le paradoxal auteur de La Justice dans la Révolution et dans l'Église poursuit l'auteur de la DÉCLARATION DES DROITS DE L'HOMME ET DU CITOYEN. Du reste, en jugeant ce grand homme, dont les hautes conceptions paraissent lui avoir échappé, Proudhon se contente d'affirmer, avec son outrecuidance habituelle, les faits les plus contraires à la vérité. Tout ce qu'il a dit en général des hommes et des choses de la Révolution dénote qu'il n'en avait qu'une teinte toute superficielle, qu'il ne l'avait jamais étudiée sérieusement et aux sources. Quand, par exemple, il écrivait que Robespierre aurait été du gouvernement de Juillet, il faisait preuve, par cette simple induction, de l'ignorance la plus profonde ou du plus absolu défaut de jugement. Ce n'est un mystère pour personne qu'en fait de liberté et de démocratie, la constitution de 1791 dépassait de beaucoup celle de 1830. Qu'étaient les citoyens actifs de la première époque auprès des censitaires de la seconde ? Et qui donc, plus que Robespierre, avait combattu sans relâche les instincts réactionnaires de quelques-uns des membres influents de l'Assemblée constituante ? Qui donc, dans la période de révision, avait mis plus de courage et de dévouement à défendre les conquêtes de la Révolution, à revendiquer pour chacun sa part d'existence politique et sociale ? Qui donc s'était montré l'adversaire plus éloquent et plus convaincu des Feuillants, ces ancêtres des doctrinaires ? Qui donc enfin avait écrit la Déclaration des droits de l'homme, posé les bases d'une véritable constitution démocratique, et tracé d'une main plus ferme les limites étroites dans lesquelles devait être circonscrit un gouvernement républicain ? Il ne fallait pas beaucoup de perspicacité pour apercevoir les abîmes qui séparaient Robespierre des pâles réformateurs de 1830. Mais, esprit essentiellement négateur, Proudhon n'était pas d'un tempérament à rendre justice aux hommes dont les doctrines né concordaient pas entièrement avec les siennes. Et Robespierre n'avait aucune espèce de penchant pour l'anarchie. Ah ! c'est que, comme Mirabeau, il savait fort bien que les partisans de l'anarchie font trop souvent les affaires de la dictature et du despotisme[30]. IV Mais revenons à la constitution. Un des points les plus importants était certainement l'organisation de la justice. A la place de nos anciennes institutions judiciaires, tombées, on s'en souvient, aux applaudissements du pays tout entier, l'Assemblée constituante avait établi une magistrature offrant des garanties d'indépendance et d'impartialité suffisantes. Temporairement élus par le peuple, les juges se trouvaient entièrement distraits de l'influence gouvernementale, et ils n'avaient qu'une seule manière de se recommander aux suffrages de leurs concitoyens, c'était de se montrer incorruptibles dans l'exercice de leurs fonctions. Les premiers rédacteurs de la constitution de 1793 crurent devoir simplifier encore cette organisation, et aux magistrats élus ils imaginèrent de substituer des arbitres laissés au choix des citoyens. Séduits par l'apparente simplicité de ce mécanisme, Hérault-Séchelles et ses collègues s'étaient contentés d'emprunter leur organisation judiciaire au plan de Condorcet. Mais comment forcer les citoyens à se soumettre à ce régime d'arbitrage dans un pays où les mœurs s'éloignaient tant de la simplicité primitive qui rapproche l'homme de la nature ? Sans doute ; le système des arbitres était excellent en soi, mais à la condition de n'être pas obligatoire, sinon il tournerait fatalement au profit du riche contre le pauvre. Le citoyen peu fortuné sera-t-il sûr de trouver des arbitres ? Devra-t-il donc demander la justice comme l'aumône ? Tels furent les principaux arguments à l'aide desquels Robespierre combattit l'idée girondine adoptée par le comité montagnard. Et là on peut encore admirer combien cet esprit éminemment pratique s'égarait peu dans les voies de l'utopie. Entre les arbitres forcément choisis par les parties et des juges nommés par le peuple et exerçant la justice en son nom, il n'y avait pas a hésiter, selon lui. Le pauvre, au moins, était sûr, dans le système actuel, dont il était aisé de réformer les défauts, d'obtenir justice sans payer son juge ; la publicité des jugements était une garantie sérieuse contre les prévarications du magistrat, garantie à laquelle l'arbitrage échappait par sa nature même. Ces considérations, vainement combattues par le girondin Pénières et par Chabot, pesèrent d'un grand poids sur la décision de l'Assemblée ; tout en laissant les citoyens libres de faire prononcer sur leurs différends par des arbitres de leur choix, la Convention institua sous le nom d'arbitres publics des juges élus par les assemblées Rectorales, et dont le Corps législatif devait déterminer le nombre et la répartition par arrondissement[31]. Plusieurs membres, Cambacérès et Barère entre autres, auraient voulu qu'on appliquât aux affaires civiles l'institution du jury, et Robespierre lui-même, au temps de la Constituante, avait été de cet avis. Mais des jurés choisis par un officier public, comme cela se pratiquait, au lieu d'être élus par le peuple, ne lui paraissaient pas une garantie suffisante. Dans l'état actuel des choses, il préférait encore des juges issus du suffrage populaire et prononçant à la fois sur le fait et sur le droit. Sur sa demande, appuyée par le rapporteur lui-même, les propositions de Cambacérès et de Barère furent renvoyées au comité de Salut public, qui ne s'y montra pas favorable, prenant sans doute en considération le surcroît de charge qu'entraînerait, pour les citoyens, l'institution du jury au civil[32]. Une question non moins importante ramena Robespierre à la tribune dans la séance du 17 juin ; il s'agissait des contributions publiques. Robespierre avait, autrefois, pensé que les citoyens ne possédant que l'absolu nécessaire devaient être exonérés de tout impôt ; mais, en y réfléchissant, il s'aperçut que ce serait porter atteinte à l'égalité des citoyens et tracer entre eux une ligne de démarcation funeste. Ducos ayant, dans un discours assurément très-populaire, soutenu le principe d'exemption proposé par Levasseur, Robespierre lui répondit en ces termes : J'ai partagé un moment l'erreur de Ducos, je crois même l'avoir écrite quelque part ; mais j'en reviens aux principes, et je suis éclairé par le bon sens du peuple qui sent que l'espèce de faveur qu'on lui présente n'est qu'une injure. En effet, si vous décrétez, surtout constitutionnellement, que la misère excepte de l'honorable obligation de contribuer aux besoins de la patrie, vous décrétez l'avilissement de la partie la plus pure de la nation ; vous décrétez l'aristocratie des richesses, et bientôt vous verriez ces nouveaux aristocrates, dominant dans les législatures avoir l'odieux machiavélisme de conclure que ceux qui ne payent point les charges ne doivent point payer les bienfaits du gouvernement ; il s'établirait une classe de prolétaires, une classe d'ilotes, et l'égalité et la liberté périraient pour jamais. N'ôtez point aux citoyens ce qui est le plus nécessaire, la satisfaction de présenter à la République le denier de la veuve. Bien loin d'écrire dans la constitution une distinction odieuse, il faut au contraire y consacrer l'honorable obligation pour tout citoyen de payer ses contributions. Ce qu'il y a de populaire, ce qu'il y a de juste, c'est le principe consacré dans la Déclaration des droits que la société doit le nécessaire à tous ceux de ses membres qui ne peuvent se le procurer par leur travail. Je demande que ce principe soit inséré dans la constitution : que le pauvre, qui doit une obole pour sa contribution, la reçoive de la patrie pour la reverser dans le trésor public. Ce fut en effet ce que décréta la Convention nationale[33]. Le législateur de 1793, dans une pensée de défiance assez naturelle d'ailleurs contre le pouvoir exécutif, avait composé le gouvernement de vingt-quatre membres choisis par le Corps législatif sur une liste générale de candidats désignés par les assemblées électorales, a raison d'un candidat par département. De cette façon, le pouvoir exécutif n'avait rien du caractère de la représentation nationale, comme le demandait Robespierre, et il ne pouvait opposer au Corps législatif la qualité supérieure de son origine. Le véritable représentant du souverain, c'était donc celui-ci ; mais son autorité était également resserrée dans d'étroites limites, la durée de son mandat était limitée à un temps très-court : ses pouvoirs expiraient au bout d'une année. De plus, les lois, — et l'on comprenait sous ce nom toute la législation civile et criminelle, l'administration générale des revenus et des dépenses ordinaires de la République, les contributions publiques, la déclaration de guerre, l'instruction publique, en un mot tout ce qui constitue la vie même d'une nation, — étaient soumises à la sanction du peuple[34]. Quant aux actes dont la prompte exécution importait à la bonne administration des affaires et à la sûreté de l'Etat, tels que le contingent des forces de terre et de mer, la défense du territoire, les dépenses imprévues, la nomination des commandants en chef des armées, la ratification des traités, etc., ils étaient réunis sous le nom particulier de décrets, et affranchis du contrôle populaire[35]. Le Corps législatif n'en demeurait pas moins investi d'une puissance assez considérable. Prévoyant le cas où les pouvoirs publics viendraient à abuser de leur autorité, Robespierre appuya l'idée d'un grand jury national composé d'un membre élu dans chaque département par les assemblées primaires, et institué pour garantir les citoyens de l'oppression du Corps législatif et du conseil exécutif ; et, sans insister positivement sur le mode proposé par le comité, il réclama instamment un frein quelconque, afin que la législature ne put pas impunément commettre des actes d'oppression[36]. Sa proposition fut bien adoptée en principe, mais il n'y fut point donné suite. Du reste la Convention ne prétendait pas enfermer le peuple français dans les réseaux d'une constitution immuable. Elle savait que les améliorations sont filles du temps, et elle admit le principe de la révision par une Convention nationale spécialement convoquée. Le projet du comité, imité en cela de celui de Condorcet, portait que la Convention s'assemblerait à vingt lieues au moins du Corps législatif. Ainsi les deux Assemblées auraient exercé concurremment leurs pouvoirs. Robespierre vit là un immense danger. Il lui semblait impossible qu'une Convention existât à côté du Corps législatif sans produire des secousses fatales à la liberté. Une double représentation ne contenait-elle pas le germe du fédéralisme et de la guerre civile ? L'objection tirée de la différence de leurs fonctions était sans valeur à ses yeux. Qu'arriverait-il si, se trouvant en désaccord, l'une venait à s'armer de la constitution existante, l'autre à se prévaloir de cet intérêt plus vif que prend généralement un peuple à de nouveaux représentants ? Ne verrait-on pas les haines se réveiller, la lutte s'engager, et les ennemis de la liberté ne profiteraient-ils pas de ces dissensions pour bouleverser la République, la fédéraliser ou rétablir la tyrannie[37] ? Hérault-Séchelles fut tellement frappé de ces considérations qu'il se rangea tout de suite à l'opinion de Robespierre. L'Assemblée, adoptant en conséquence la question préalable sur l'article proposé, décréta que la Convention se réunirait de la même manière que la législature, dont les pouvoirs lui seraient dévolus, et elle n'assigna aucune durée à sa session, comme le réclama encore Robespierre[38]. Dans cette même séance eut lieu une scène vraiment digne de la grande Assemblée où la démocratie affirmait si fièrement son avènement. On venait de décréter les trois premiers articles du chapitre concernant les rapports de la République française avec les nations étrangères[39], et l'on mettait aux voix l'article IV, ainsi conçu : Le peuple français ne fait point la paix avec un ennemi qui occupe son territoire, quand le Girondin Mercier demanda si l'on se flattait d'être toujours victorieux, et si l'on avait fait un pacte avec la victoire. Nous en avons fait un avec la mort ! s'écria une voix partie de la Montagne[40]. Sans s'inquiéter des applaudissements dont fut couverte cette noble protestation, Mercier reprit : A peine avez-vous des idées justes sur la liberté, et déjà vous osez vous placer au niveau des Romains. Je demande la radiation de cet article, parce que la génération présente n'est point encore à la hauteur où elle devrait être. — A ces froides paroles, contrastant si violemment avec l'enthousiasme général, à ce doute injurieux pour la nation, une sorte de frisson d'indignation parcourut toute la salle. Robespierre s'élança à la tribune, et, laissant déborder son cœur : Je n'aurais jamais cru qu'un représentant du peuple français osât proférer ici une maxime d'esclavage et de lâcheté. Je n'aurais jamais cru qu'il osât contester la vertu républicaine du peuple qu'il représente. Où a-t-il vu, cet homme, que nous fussions inférieurs aux Romains ? Où a-t-il vu que la constitution que nous allons terminer fût au-dessous de ce sénat despotique qui ne connut jamais la Déclaration des droits de l'homme ? Où a-t-il vu que ce peuple qui verse son sang pour la liberté universelle fût au-dessous des Romains, qui furent non pas les héros de la liberté, mais les oppresseurs de tous les peuples ? Mais il n'y a rien à répondre à un tel homme. Nous décréterons un article que nous sommes dignes de soutenir en dépit de lui et de ses pareils. Qu'ils sachent, tous ceux qui ne savent pas deviner l'énergie d'un peuple libre, qu'ils sachent que cet article est l'expression de sa volonté. Un peuple qui traite sur son territoire avec les ennemis est un peuple déjà vaincu et qui a renoncé à son indépendance[41]. Ce fut, électrisée par de telles paroles, que la France accomplit les prodiges qui signalèrent les années 1793 et 1794 ! La Convention tout entière battit des mains, et l'article IV fut adopté au milieu des acclamations. Venait ensuite la garantie des droits, parmi lesquels le comité avait oublié l'instruction commune, l'instruction obligatoire, sans laquelle on n'arrivera jamais à donner aux masses la somme de connaissances indispensable à l'homme. Robespierre réclama vivement en faveur de l'instruction commune. Les collèges, dit-il, ont été des pépinières de républicains, ils ont formé l'esprit de la nation, et l'ont rendue digne de la liberté. Cette grave omission fut aussitôt réparée sur sa motion[42]. Le principe de la liberté des cultes figura également au nombre des droits garantis par la constitution de 1793. Robespierre trouvait inutile de l'y inscrire en toutes lettres, la liberté des cultes découlant nécessairement, selon lui, de celle des opinions, consacrée par la constitution. Il craignait qu'à l'abri de cet article des conspirateurs ne se réunissent sous prétexte de célébrer leur culte. Il voyait chaque jour avec joie l'opinion publique s'éloigner de la superstition, et le zèle religieux affecté par les chefs des rebelles de la Vendée n'était à ses yeux que l'hypocrisie des aristocrates qui voulaient au nom de la religion recouvrer leur puissance et leurs privilèges. Mais quand bientôt des intolérants d'un autre genre alarmeront inutilement les consciences, et feront à la République des millions d'ennemis en persécutant la religion au nom d'une prétendue Raison, il comprendra la nécessité de formuler nettement ce principe de la liberté des cultes, il le fera consacrer par un décret, et il l'écrira de sa main dans l'acte fameux relatif à l'Être suprême. En résumé, la constitution de 1793 garantissait à tous les Français l'égalité, la liberté, la sûreté, le libre exercice des cultes, la propriété, l'instruction commune, des secours publics, la liberté indéfinie de la presse, le droit de pétition et de réunion, en un mot la jouissance de tous les droits de l'homme[43]. Il s'en faut de beaucoup toutefois qu'elle ait réalisé tout ce qu'avait entrevu Robespierre dans sa Déclaration des droits. C'est donc à tort qu'elle a été un peu étourdiment considérée comme l'œuvre personnelle de ce dernier par un historien de nos jours[44]. Elle a été l'œuvre collective de la Montagne ; et, contrairement à de fausses assertions, les Girondins demeurés au sein de la Convention ont très-bien pris part aux débats d'où elle est sortie. Quant à la participation de Robespierre, nous l'avons à dessein très-soigneusement indiquée. Si beaucoup de ses idées furent adoptées, quelques-unes, d'une haute importance, se trouvèrent négligées. Il avait défini la propriété : le droit de chaque citoyen de jouir et de disposer de la portion de biens qui lui était garantie par la loi ; la constitution de 1793 semble craindre de restreindre le droit de propriété et de le subordonner à la loi, elle le définit : le droit appartenant à chaque citoyen de jouir et de disposer, à son gré, de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie[45]. A ce droit elle n'assigne en quelque sorte aucune limite, tandis que Robespierre le restreignait par l'obligation de respecter les droits d'autrui, et qu'il regardait comme essentiellement illicites et immoraux toutes possessions, tous trafics, préjudiciant à la sûreté ou à la liberté d'autrui[46]. Enfin, bien plus fidèle au titre Déclaration des droits de l'homme, et poussant jusqu'à ses conséquences extrêmes le principe de la fraternité humaine et de la solidarité des peuples, Robespierre considérait comme frères les hommes de toutes les nations ; il leur recommandait comme un devoir de s'aider entre eux comme les citoyens d'un même État ; quiconque opprimait une seule nation était par lui déclaré l'ennemi de tous les peuples. Dans l'œuvre conventionnelle, au contraire, on se contente de proclamer le peuple français l'ami et l'allié naturel des peuples libres, et, suivant une maxime énoncée un jour par. Danton, on déclinait toute espèce d'intervention dans les affaires des autres nations[47]. Absente du plan de Condorcet, l'idée de Dieu apparaît au frontispice de la constitution montagnarde. C'était du reste un retour aux traditions de l'Assemblée constituante, qui avait également proclamé en présence de l'Être suprême la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Est-ce là comme on l'a dit, ce qui signe du nom de Robespierre la constitution de 1793 ? On peut répondre non, sans crainte de se tromper, car le déisme de Rousseau était la religion des membres les plus illustres delà Convention. Saint-Just, Couthon, Hérault-Séchelles, Danton, Desmoulins, une foule d'autres, pensaient à cet égard comme Robespierre. Celui-ci dans sa Déclaration s'était servi d'une autre expression ; c'était à la face de l'univers et sous les yeux du Législateur immortel qu'il avait proposé à la Convention de proclamer la Déclaration des droits. Au reste, c'était exactement la même chose. Le Dieu qu'il invoquait n'était certes pas le Dieu des prêtres, fait à l'image de l'homme, le Dieu jaloux, capricieux, implacable et cruel du judaïsme ou du catholicisme ; mais cette idée consolante d'un Être suprême, essentiellement morale en soi, était selon lui un rappel continuel à la justice, et par cela même elle lui paraissait sociale et républicaine au premier chef. Nous aurons bientôt l'occasion de parler plus longuement du sentiment religieux chez Robespierre, sentiment si profond, si pur, si désintéressé, et si calomnié de nos jours cependant par des gens qui jugent ce grand homme avec leurs passions étroites et l'intolérance dont sont animés à la fois et certains ennemis de toute idée religieuse, et certains partisans des doctrines catholiques ou protestantes. La constitution était terminée ; restait à voter la Déclaration des droits. Hérault-Séchelles en donna lecture à la Convention dans la séance du dimanche 23 juin. Un député de Paris, Raffron du Trouillet, aurait voulu qu'au mot droits on ajoutât celui de devoirs. Mais Robespierre rappela que la Constituante, à l'époque où elle était encore digne du peuple, avait soutenu pendant trois jours un combat contre le clergé pour qu'on n'insérât pas le mot devoir dans la Déclaration, parce que des droits du peuple dérivaient naturellement ses devoirs, et l'Assemblée passa outre[48]. Aucun débat ne s'ouvrit sur cette Déclaration. C'est un chef-d'œuvre qui ne doit point souffrir de discussion ! s'écria Philippeaux. En effet, après en avoir entendu une seconde fois lecture, la Convention l'adopta d'enthousiasme par assis et levé. Une partie des membres du côté droit étaient restés immobiles à leurs bancs. Plusieurs députés de la gauche, Billaud-Varenne entre autres, réclamèrent vivement l'appel nominal, afin que la France entière connût quels étaient ceux de ses représentants qui s'étaient opposés à son bonheur. Cette mesure, très-grave en ce qu'elle désignait les abstenants à la colère du peuple, allait être votée, quand Robespierre se leva. Suivant lui, la Déclaration des droits n'avait besoin, pour être adoptée par le peuple, que des principes qu'elle renfermait et de la presque-unanimité de la Convention nationale. Je m'étonne, ajouta-t-il, qu'on se soit aperçu de ce que quelques citoyens qui siègent là (au côté droit) ont paru immobiles, et n'ont point partagé notre enthousiasme. Ce procédé de quelques individus m'a paru si extraordinaire que je ne puis croire qu'ils adoptent des principes contraires à ceux que nous consacrons, et j'aime à me persuader que, s'ils ne se sont pas levés avec nous, c'est plutôt parce qu'ils sont paralytiques que mauvais citoyens. L'Assemblée applaudit et passa à l'ordre du jour[49]. En couvrant ainsi d'une pitié dédaigneuse les gens de la droite, Robespierre eut évidemment pour but de les sauver de vengeances certaines, et la preuve de ses intentions en cette circonstance, nous la trouverons bientôt dans la conduite qu'il tiendra à leur égard. Reçue et fêtée avec acclamation par les sections de Paris, lue, méditée, discutée avec calme dans la presque-totalité des assemblées primaires, acceptée par l'immense majorité des citoyens, puis suspendue jusqu'à la paix pour ne pas être déchirée ou altérée par les factions, la constitution de 1793, on le sait, ne fut jamais exécutée. Elle était destinée à périr avec ses principaux auteurs, pour faire place à la constitution girondine de l'an III, laquelle devait consacrer en quelque sorte l'avènement de la féodalité bourgeoise et rétablir cette inique division du pays en citoyens actifs et citoyens passifs, contre laquelle, depuis l'origine de la Révolution, Robespierre s'était élevé avec tant d'énergie et de persévérance. V Si profondément empreinte qu'elle fût de l'esprit démocratique, la nouvelle constitution rencontra une très-vive opposition, non-seulement de la part des Girondins, qui affectèrent de ne trouver de bon en elle que ce qui avait été emprunté au projet de Condorcet[50], mais encore de la part d'une certaine classe de révolutionnaires, dont les instincts de désordre ne pouvaient supporter aucune règle ni aucun frein. Ce sont ces hommes qui de tout temps ont rendu impossible l'établissement définitif de la démocratie ; ce sont les royalistes plus royalistes que le roi. Heureux encore quand, sous leur patriotisme d'apparat et leur zèle exagéré, il y a une conviction sincère et une foi profonde. C'était en songeant à ces gens-là que Robespierre disait : Le faux révolutionnaire s'oppose aux mesures énergiques et les exagère quand il n'a pu les empêcher... Plein de feu pour les grandes résolutions qui ne signifient rien, très-attaché, comme les dévotes dont il se déclare l'ennemi, aux pratiques extérieures, il aimerait mieux user cent bonnets rouges que de faire une bonne action[51]. Parmi ces hommes qu'on appela les enragés, et que Robespierre considérait comme aussi funestes à la Révolution que les royalistes eux-mêmes, parce que, suivant lui, les deux extrêmes aboutissaient au même point et qu'on manquait également le but en étant en deçà ou au delà se trouvait un ancien prêtre nommé Jacques Roux. Le 23 juin, la Convention venait d'entendre plusieurs adresses de félicitations, au sujet de l'achèvement de la constitution, de te part des corps administratif et judiciaire de la ville de Paris, et de décréter l'abolition de la foi martiale, cette loi dont s'était si souvent indigné Robespierre au temps de la Constituante, quand Jacques Roux, qui avait été admis à la barre, prit la parole au nom de la section des Gravilliers. Aux premiers mots sortis de la bouche-de l'orateur, Robespierre devina une menace dans la pétition dont on allait entretenir l'Assemblée. Or, était-il d'un patriotisme bien entendu de jeter au milieu de la Convention quelque nouveau brandon de discorde à l'heure où son œuvre à peine achevée était saluée avec enthousiasme par l'intelligente population de la capitale ? Robespierre vit là un péril qu'il jugea urgent de conjurer. S'élançant précipitamment à la tribune : Je demande, s'écria-t-il, à être entendu avant ce citoyen. Il faut que tous les esprits restent aujourd'hui fixés sur les idées touchantes et sublimes présentées par les autorités constituées au nom des citoyens de Paris. Livrons-nous au sentiment consolateur qu'elles inspirent ; occupons-nous de l'achèvement de la constitution ; que ce grand ouvrage ne soit interrompu par aucun intérêt-particulier. Ce jour est une fête nationale. Tandis que le peuple jure la fraternité universelle, travaillons ici à son bonheur ; je demande donc que la pétition soit remise à un autre jour. Les motifs qui m'inspirent sont dignes du peuple. Cette proposition, vivement applaudie, fut sur-le-champ décrétée[52]. Mais le surlendemain soir Jacques Roux revint à la tête de quelques citoyens du club des Cordeliers et d'une députation des sections Bonne-Nouvelle et les Gravilliers, et il donna lecture de la fameuse pétition écartée l'avant-veille sur la motion de Robespierre. C'était un morceau d'une extrême violence, où l'on reprochait à l'Assemblée de n'avoir point proscrit l'agiotage dans la constitution même, et de n'y avoir point prononcé de peines contre les accapareurs et les monopoleurs. On sommait la Convention, en termes impérieux, de prendre des mesures pour éviter la hausse du prix des denrées ; le mot de trahison avait été prononcé. Députés de la Montagne, disait l'orateur en achevant, ne terminez pas votre carrière avec ignominie. Cette sorte de manifeste, qu'un citoyen de la section des Gravilliers s'empressa de désavouer au nom de sa section, causa dans l'Assemblée une émotion extraordinaire. Plusieurs membres réclamèrent l'arrestation immédiate de Jacques Roux. Billaud-Varenne l'accusa de s'être transporté dans diverses sections et au club des Cordeliers pour y décrier l'acte constitutionnel. Il y avait là ajouta Robespierre, une véritable perfidie, car jeter sur les patriotes de la Convention une fausse teinte de modérantisme, n'était-ce pas vouloir leur enlever la confiance du peuple[53] ? Sur la proposition de Legendre, l'Assemblée chassa le malencontreux orateur, qui alla se plaindre aux Cordeliers, où, de concert avec Leclerc, il se répandit en récriminations amères contre Legendre, Léonard Bourdon, Collot d'Herbois et Danton. De Robespierre, pas un mot. Maximilien, il est vrai, n'appartenait pas au club des Cordeliers ; il n'en était pas moins compris dans la réprobation dont Jacques Roux avait frappé la Montagne, trop modérée à ses yeux. Par une coïncidence fâcheuse, Paris fut dans la journée du 27 le théâtre de regrettables désordres ; les déclamations de Jacques Roux contre l'agiotage s'étaient traduites en actes dans quelques endroits de la ville. Certes, personne plus que Robespierre n'avait de mépris pour les agioteurs et les accapareurs, et plus d'une fois on l'avait entendu prononcer contre eux des paroles sévères ; mais, dans les circonstances où l'on se trouvait, il ne put voir sans perplexité certains hommes sembler prendre à tâche de jeter le trouble dans les esprits au moment où l'on espérait encore, sans user de moyens violents, mener à bonne fin l'œuvre constitutionnelle. Jacobins, commune et même Cordeliers témoignèrent en cette conjoncture une réprobation égale de la conduite des enrayes. Paris, s'écria Robespierre aux Jacobins, dans la séance du 28 juin, Paris, s'il conserve le caractère qu'il a montré jusqu'à ce jour, caractère qui en a imposé à tous les malveillants, Paris sera digne d'achever une Révolution qu'il a si glorieusement commencée. La constitution la plus populaire qui ait jamais existé vient de vous être offerte. Il s'étonnait alors des calomnies dont un individu couvert du manteau du patriotisme avait poursuivi les plus vieux athlètes de la liberté, et s'indignait à la pensée que Jacques Roux s'était présenté aux Cordeliers pour y répéter ses anathèmes contre la constitution ; puis, apprenant que cet homme avait été ignominieusement chassé de ce lieu sacré que les patriotes de fraîche date n'envisageaient qu'avec une vénération mêlée d'effroi, il ajoutait : S'il est vrai qu'on lui ait rendu la justice qu'il mérite, alors mon attente est remplie ; mais je ne puis que présumer mal de ceux qui, sous l'ombre de s'attacher plus fortement aux intérêts du peuple, voudraient donner de la suite aux vociférations délirantes de ce prêtre forcené. Se félicitant ensuite d'avoir vu la Convention nationale devenir en quinze jours la plus populaire et la plus démocratique des assemblées, il engageait vivement ses concitoyens à se défier de ces gens transformés tut à coup en révolutionnaires ardents, eux qu'on n'avait pas comptés au, nombre des sincères défenseurs de la liberté qui depuis quatre ans luttaient contre la tyrannie. S'en tenir aux vrais principes, ne point adopter de fausses mesures, telles étaient, selon lui, les règles à suivre. On avait accusé le comité de Salut public de tendances contrerévolutionnaires ; c'était là à ses yeux, une suprême injustice. Ce comité avait pu se tromper, commettre des fautes, mais on ne devait pas mettre en oubli ses services. Quant à lui, qui ne voyait pas toujours en beau, il était plein de confiance, à cette heure, dans les ressources de la France, et il avait la conviction que jamais les ennemis de la République n'avaient eu autant besoin de composer avec elle[54]. De telles paroles étaient certainement marquées au coin de la véritable sagesse ; elles indiquent bien le caractère de modération particulier à Robespierre, caractère auquel il demeurera toujours fidèle. Le surlendemain, la société des Jacobins le chargea d'aller, en compagnie de Thirion, de Lafaye, de Collot d'Herbois et de quelques autres membres, éclairer les Cordeliers sur le mal causé par la pétition de Jacques Roux. Traité comme un scélérat et un fanatique par Collot d'Herbois, par Legendre et même par Hébert, Roux fut conspué et rayé de la liste des Cordeliers. Le Lyonnais Leclerc eut un sort pareil. Varlet faillit être traité de même ; on ajourna à statuer sur son compte jusqu'à ce qu'il eût été soumis au scrutin épuratoire ; mais en attendant on lui interdit l'entrée du club[55]. Ainsi se dessine bien nettement la politique révolutionnaire de Robespierre : éloignement égal pour l'hypocrisie décorée du nom de modération et pour celle qui, sous le fiasque d'un patriotisme exagéré, risquait de jeter la Révolution hors des voies de la justice, lesquelles étaient seules capables de mener sûrement au port le vaisseau de la République. VI L'étude attentive de tous les documents authentiques et sérieux relatifs à la Révolution française prouve irrésistiblement que, loin de pousser aux mesures extrêmes de rigueur, Robespierre conseilla toujours, à la Convention comme aux Jacobins, la sagesse et la prudence, tout en leur soufflant l'énergie sans laquelle il n'y avait pas de salut possible pour le pays. Si plus d'une fois sa franchise fut âpre et rude, si en plus d'une circonstance ses paroles s'imprégnèrent d'amertume, si, lui aussi, il se montra sévère et inflexible, c'est que des événements imprévus et terribles surgirent auxquels il fallut opposer des moyens extraordinaires et terribles ; c'est que d'immenses crimes excitèrent d'immenses colères, des défiances sans bornes, et assombrirent étrangement ce cœur si plein de tendresse pour l'humanité. Toutefois, et c'est ce qui distingue particulièrement Robespierre d'un si grand nombre de ses collègues, il va s'efforcer, comme on le verra, d'établir une ligne de démarcation profonde entre l'erreur et le crime, entre les véritables coupables et ceux qui n'étaient qu'égarés. C'est là surtout ce qu'il importe de mettre en lumière. La Convention nationale, tout le prouve, n'avait pas l'intention de se montrer bien rigoureuse envers les députés décrétés d'arrestation dans la journée du 2 juin. On s'était contenté de les consigner chez eux sous la surveillance d'un gendarme, et leur fuite, comme le dit plus tard Saint-Just, attesta le peu de rigueur de leur détention. Ils avaient d'ailleurs conservé dans l'Assemblée même beaucoup de partisans et d'amis ; la preuve irréfragable en est dans la protestation contre les événements du 31 mai, signée par soixante-treize de leurs collègues, protestation qui faillit devenir si fatale à ses auteurs, dont Robespierre seul disputera résolument les têtes au bourreau. Si donc, s'inclinant, comme avait fait Marat, devant le coup qui les frappait, ils eussent patiemment attendu les résolutions de l'Assemblée, on peut croire que, plus heureux que l'Ami du peuple, jeté par eux comme une proie au tribunal révolutionnaire, ils auraient échappé même au décret d'accusation. Fuir n'était rien ; mais au moment où la France était entamée sur toutes ses frontières, où pour se défendre contre l'Europe elle avait besoin des bras de tous ses enfants, attiser dans son sein le feu de la guerre civile, se répandre dans l'Ouest, au Centre, dans le Midi, pour ameuter contre Paris et la Convention les départements aveuglés, servir enfin d'avant-garde au royalisme qui à Lyon et à Toulon, comme en Vendée, arborait franchement son drapeau, c'était impardonnable, et voilà quel fut le crime des Girondins ; ce crime, la postérité ne les en absoudra jamais[56]. Si quelques députés, comme Vergniaud, Valazé, Gensonné, demeurent à Paris et se contentent d'irriter la Montagne par la violence de leurs récriminations, la plupart s'échappent de jour en jour afin d'aller prêcher l'insurrection. C'est Buzot, Gorsas, Pétion, Louvet, Barbaroux, Guadet, Meilhan et Duchâtel, — ces deux demies non décrétés, — qui courent soulever l'Eure, le Calvados, la Bretagne[57] ; c'est Chasset et Biroteau qui se rendent à Lyon, où leurs voix seront trop entendues ; Rabaut-Saint-Étienne à Nîmes, Brissot à Moulins. Aussitôt des comités conspirateurs s'organisent à Caen et à Bordeaux. De cette dernière ville partent des envoyés chargés de proposer un pacte fédéral à tous les départements. Un arrêté des administrateurs d'Evreux déclare qu'une force armée sera organisée pour marcher contre les factieux de Paris[58]. Il faut bien dire tout cela pour expliquer l'attitude de Robespierre en présence d'une situation devenue certainement très-critique ; sa contenance en ces conjonctures va prouver une fois de plus combien peu son âme était accessible à la crainte, combien elle était au-dessus du découragement, et quelle foi il avait dans le triomphe de la cause républicaine. A des envoyés de la Société populaire de Vernon, venus pour dénoncer l'arrêté séditieux des autorités constituées du département de l'Eure, il disait[59] : Les citoyens de Vernon sont les premiers martyrs de la Révolution, ils en sont aujourd'hui les premiers soutiens dans un département agité par les intrigues des Brissotins. Les agitations qui se manifestent aujourd'hui ne sont que l'effet du patriotisme égaré. Allez donc, citoyens de Vernon, et songez que, quand votre ville serait seule à résister aux intrigues, vous êtes sûrs de triompher, car vous êtes du parti de la Convention nationale et de la France entière. On sent de reste quel profit les insurgés de la Vendée durent tirer des excitations girondines, et combien leur ardeur s'en accrut. La Gironde, on ne saurait trop le répéter, apporta au royalisme un appoint formidable, et les contre-révolutionnaires se couvrirent de son nom, comme naguère ils s'étaient abrités derrière les Constitutionnels. La prise de Saumur par les Vendéens coïncidait avec le soulèvement du Calvados. D'autre part, Custine, appelé au commandement de l'armée du Nord, était violemment dénoncé comme indigne de la confiance de la République. Dans un sombre discours prononcé le 9 juin à la tribune des Jacobins, Billaud-Varenne le présenta comme un complice de Dumouriez, et lut une lettre venue de Cambrai., dans laquelle ce général était accusé de traiter publiquement Pache de scélérat, et Marat et Robespierre de conspirateurs[60]. Toutes ces nouvelles arrivées coup sur coup, les adresses menaçantes de plusieurs départements contre la Convention et contre la capitale, l'organisation militaire des forces girondines dans un certain nombre de villes, n'étaient pas capables d'abattre le courage de patriotes de la trempe de Robespierre. Deux fois, dans la séance du 19, juin, il monta à la tribune des Jacobins. Jamais le patriotisme irrité ne trouva d'accents plus brûlants, plue énergiques. Les paroles de l'orateur retentirent dans tous les cœurs comme un bruit de tocsin appelant la nation entière au secours de la patrie -en danger. Se trompait-il quand, après avoir annoncé les malheurs de la Vendée, il prêtait aux ennemis de la Révolution le plan de détruire la République par la guerre étrangère combinée avec la guerre civile ? Selon lui, il ne fallait pas trop dégarnir la capitale de ses défenseurs, parce qu'on n'attendait pour fondre sur elle que le moment où elle se trouverait entièrement livrée aux aristocrates, aux escrocs, à tous les ennemis de la liberté. Or, Paris étant, à ses yeux, la citadelle de la liberté, il était indispensable d'y laisser une armée capable d'imposer à tous les despotes, et cette armée devait être tout le peuple de Paris. Je ne m'oppose à rien, disait-il ; qu'on parte si l'on veut, mais je déclare que, si la Convention ne s'unit pas au peuple, si l'on ne déploie toutes les forces morales et physiques pour écraser la ligue des tyrans conjurés contre notre liberté, avant un mois vous verrez de nouvelles trahisons éclater de toutes parts ; vous en verrez au Nord, aux Pyrénées et peut-être en Vendée ! Alors vous ferez de vains efforts pour résister aux dangers qui vous presseront de tous côtés, vous serez vaincus, vous monterez à l'échafaud, et ce sera le digne prix de votre imprévoyance et de votre lâcheté[61]. A Robespierre succéda Legendre. Le boucher patriote se
plaignit de l'attitude morne de la Convention, dont la plupart des membres,
disait-il, demeuraient muets et immobiles au lieu de déployer une énergie à
la hauteur des circonstances. Mais il se consolait en pensant que
Robespierre, qui, suivant lui, ne s'était jamais trompé sur les événements
politiques, descendrait du Rocher, et électriserait tous les cœurs par
l'ascendant de son éloquence. Quelques murmures ayant éclaté : Je ne sais, s'écria l'orateur, si je blesse les oreilles de quelqu'un en parlant de
Robespierre, mais je répète que j'honore ses principes, que j'admire son
courage. Legendre s'était mépris sur le sens des murmures qui avaient
accueilli ses paroles. Ils avaient été soulevés sans nul doute par le peu de
confiance qu'il avait paru témoigner à l'égard de la Convention. Robespierre
remonta à la tribune pour dissiper le mauvais effet produit par le discours de
son collègue. Il était, pour sa part, plein de confiance dans les autorités
constituées et dans la Convention nationale ; seulement la présence de la
Montagne sur les bancs de l'Assemblée ne lui semblait pas suffisante si l'on
ne suivait un plan arrêté, si l'on ne se mettait d'accord sur les principes,
seule condition capable d'assurer le triomphe de la République. Mais, isolé,
que faire ? Lui-même ne se sentait plus la vigueur nécessaire pour combattre
les intrigues sans cesse renaissantes de l'aristocratie. Épuisé par quatre
années de travaux pénibles et infructueux, il craignait que ses forces
physiques et morales ne fussent plus au niveau de la Révolution, et parlait
même de donner sa démission. Des acclamations sympathiques effacèrent bien
vite cette appréhension passagère, et, concluant à ce que tous les députés
patriotes se concertassent pour aviser aux moyens de sauver la patrie,
Robespierre termina en ces termes : Il faut qu'on se
réunisse avec la volonté ferme d'opposer une phalange redoutable aux efforts
combinés de nos ennemis, car telles sont les circonstances périlleuses où
nous sommes. Il faut que le peuple déploie toute la force dont il est
capable, et qu'il soit secondé par tout ce qu'il y a de plus pur et de plus
incorruptible, pour résister à ses ennemis intérieurs et extérieurs. Voilà
mes dernières réflexions[62]. D'unanimes
applaudissements attestèrent le patriotisme de ce grand club des Jacobins qui
contribua tant à sauver la République. Restait à faire sanctionner solennellement par la Convention nationale les événements du 31 mai. Jusque-là l'Assemblée avait flotté indécise, comme le lui avait reproché Legendre ; mais ; en présence des faits dont les départements de l'Eure et du Calvados étaient le théâtre, il n'y avait plus à hésiter. La nouvelle de l'arrestation de Prieur et de Romme, — un des futurs martyrs de la constitution de 1793, — commissaires de la Convention, par les administrateurs du Calvados, le public appel de Buzot à la révolte, rendaient désormais tout compromis impossible. Le 13 juin Danton parut à la tribune. Accusé de tiédeur quelques jours auparavant, il se montra d'une excessive violence pour remonter dans l'estime des révolutionnaires ardents. En parlant de Brissot, tout récemment arrêté à Moulins, il dit : Ce n'est plus qu'un misérable qui ne peut échapper au glaive des lois. Déjà la Convention avait décrété d'accusation Buzot, les administrateurs de l'Eure, ceux du Calvados, et privé la ville d'Évreux de -son titre de chef-lieu, quand Couthon proposa à ses collègues de déclarer que dans les journées des 31 mai, 1er et 2 juin, la commune et le peuple de Paris avaient puissamment concouru à sauver la liberté, l'unité et l'indivisibilité de la République. Quelques murmures, aussitôt couverts par les applaudissements de la très-grande majorité de la Convention, accueillirent cette proposition, dont Durand-Maillane demanda l'ajournement. Mais Robespierre fit observer que déjà elle avait été implicitement adoptée. Au moment où des récits calomnieux dénaturaient dans les départements les événements arrivés à Paris, il était d'une extrême importance de fixer sur ces événements l'opinion de la France. La Convention, en n'adoptant pas la mesure proposée, paraîtrait en quelque sorte, disait-il, se liguer avec les calomniateurs de Paris et donner son approbation aux fauteurs de guerre civile. Ces simples observations suffirent pour entraîner l'Assemblée. Mise immédiatement aux voix, la motion de Couthon fut adoptée sans discussion à une très-grande majorité, aux applaudissements de La Convention et des citoyens des tribunes[63]. Ainsi se trouva sanctionnée et consacrée cette insurrection du 31 mai, que plus tard la réaction devait ranger au nombre des journées néfastes pour glorifier le coup d'État du 9 Thermidor. Et cela se comprend, car, de ces deux événements à jamais fameux dans l'histoire de notre Révolution, l'un consolidait la République, l'autre la détruisait. VII Il y a en révolution deux choses également à craindre : d'une part, le manque d'énergie et de résolution, ce qu'on appelait en 1793 le modérantisme, cette sorte de pusillanimité qui permet à la réaction de relever la tête, de reprendre le dessus, d'autre part, l'exagération révolutionnaire, qui épouvante les timides, les faibles, les indifférents, et rejette violemment dans le camp des ennemis de la liberté des millions de citoyens tout disposés d'abord à embrasser la cause de la démocratie. On a pu voir déjà avec quel soin Robespierre se tenait -entre ces deux extrêmes. Rien-ne saurait mieux peindre la prudence de ses vues et la sagesse de sa politique que le discours qu'il prononça le 14 juin aux Jacobins, à l'occasion du général Beauharnais, que le cauteleux Barère était parvenu à faire nommer pour un moment ministre de la guerre à la place de Bouchotte, et dont la nomination avait excité au plus haut degré les défiances de la Montagne. Après avoir déclaré, dès le début, que c'était désormais par les lumières et l'expérience combinées avec l'énergie du peuple français que la Révolution devait surmonter tous les obstacles, Maximilien disait : Nous avons deux écueils à redouter : le découragement et la présomption, l'excessive défiance et le modérantisme, plus dangereux encore. C'est entre ces deux écueils que les patriotes doivent marcher vers le bonheur général. Dans la crise suprême où la guerre étrangère et les menées des intrigants avaient conduit le pays, il ne suffisait pas, selon lui, de l'impétuosité et de l'indignation pour assurer le triomphe de la République ; il fallait encore que la sagesse dirigeât les effets de cette indignation, et alors on marcherait à pas de géant au but souhaité, la régénération politique ; et l'on arriverait rapidement au jour où, pour être ambitieux, il serait avant tout nécessaire d'être juste, où la fortune d'un citoyen serait attachée à la fortune publique. Le peuple, ajoutait-il, ne doit pas écouter ceux qui veulent lui inspirer une défiance universelle. Il faut un point de ralliement, et l'on doit sentir que quelques faiblesses, qu'un défaut de perfection qui n'est pas accordée à l'humanité, ne doivent pas être un motif de calomnier indistinctement tous les représentants de la nation. Ce point de ralliement, c'était Paris, qui dans la dernière insurrection avait donné tant de preuves de patriotisme ; c'était la Convention, qui, débarrassée de la faction perfide par laquelle ses travaux avaient été si longtemps entravés, n'avait plus qu'un but, celui d'assurer la paix, le bonheur et la liberté du pays. Malgré cela, l'élévation de Beauharnais au ministère de la guerre avait excité contre l'Assemblée de nouvelles défiances ; déjà l'on parlait d'une pétition des sections de Paris réclamant impérieusement la révocation de ce ministre. Robespierre alors ne connaissait pas Bouchotte, il ne lui avait jamais parlé ; mais d'après ses actes il le regardait comme un excellent patriote dont le talent égalait le patriotisme, et il avait vu avec douleur son remplacement. Quant à Beauharnais, il convenait que cet officier n'avait point joué à l'Assemblée constituante le rôle d'un contre-révolutionnaire ; seulement le crédit dont sa famille avait joui jadis à la cour l'empêchait d'avoir en lui une entière confiance. Néanmoins il croyait que le comité de Salut public l'avait proposé de bonne foi. Après avoir jugé lui-même assez sévèrement les membres de ce comité, il avait fini par se convaincre qu'ils désiraient sincèrement tous le salut de la République. Aussi engageait-il ses concitoyens à ne pas apprécier sur des mesures partielles des hommes occupés d'intérêts si multipliés et nécessairement exposés à des surprises, mais bien sur l'ensemble de leurs travaux. Il les engageait surtout à ne point fournir aux ennemis de la liberté le prétexte de dire que la Convention n'était pas libre dans le choix de tel ou tel ministre et que le peuple lui imposait des lois. Ne suffisait-il pas de l'opinion publique ? C'était à elle à s'expliquer sur le compte de Beauharnais ; et il était du devoir des bons citoyens de ne pas créer de nouveaux obstacles à la Convention nationale, au sort de laquelle étaient liées les destinées du peuple français. Il faut, s'écriait Robespierre en terminant, moins faire attention à quelques fautes qui sont un résultat de la faiblesse humaine qu'à la nécessité de nous rallier à un centre unique de force et de moyen pour repousser nos ennemis. Voilà mon dernier mot. Ne vous occupez point des individus, ne les désespérez pas. Ne troublons pas cette heureuse harmonie qui règne entre les patriotes. Laissons-les achever leur ouvrage et fonder le bonheur public sur des bases inébranlables ; je ne doute pas du succès de leurs travaux. C'est la liberté, c'est la raison, qui triompheront, et avant six mois peut-être tous les tyrans seront anéantis[64]. De très-vifs applaudissements accueillirent ce discours, dont, suivant un journal du temps, l'éloquence rachetait la longueur[65], et qui eut un double résultat : d'empêcher les sections de Paris de se porter à une démarche inconsidérée, et de déterminer la Convention nationale à conserver Bouchotte au ministère de la guerre. C'était sous l'empire des mêmes idées que, le surlendemain, Robespierre combattait une motion de Terrasson tendant à réclamer de la Convention la publicité des séances de tous les comités sans distinction, comme si, par exemple, il était possible à un comité exécutif d'administrer en présence du public. C'étaient là selon Maximilien, de ces mesures qui, sous l'écorce de la popularité, favorisaient surtout les projets des ennemis de la Révolution. La société des Jacobins, beaucoup plus raisonnable que ne se sont plu à l'écrire tous les écrivains de la réaction, s'était empressée, à sa voix, de passer à l'ordre du jour[66]. Elle adoptait également par acclamation, quelques jours plus tard, une proposition par laquelle il engageait ses collègues à ne point s'arrêter à une dénonciation contre un prêtre réfractaire accusé d'avoir servi d'aumônier à des prisonniers. Rien de si mortel à la patrie, disait-il avec raison, que de venir lui parler de choses inutiles et insignifiantes, et rien de plus ridicule que de l'entretenir de cloches, de prêtres, de messes et de faits particuliers, dans le moment où la République se trouvait attaquée de toutes parts[67]. Ah ! si au lieu de s'occuper à faire la guerre à Dieu, aux saints et aux ministres de la religion catholique, même les plus dévoués à la Révolution, les Hébertistes, que nous allons bientôt voir arriver sur la scène, et que certaines personnes s'efforcent de présenter aujourd'hui comme les types essentiels de la démocratie, avaient suivi les conseils de Robespierre, s'étaient contentés de défendre Paris, de combattre l'ennemi extérieur et les rebelles du dedans, ils eussent évité à la République bien des malheurs. Au moment où nous sommes, Hébert n'avait pas encore entrepris la grande croisade contre le culte, ni donné le signal d'une intolérance qui n'avait d'égale que celle qu'on avait si justement reprochée à la religion catholique et qu'on allait avoir le tort d'imiter. Il louait sans réserve alors la sagesse de Robespierre. Dans ce langage grossier qui répugnait si fort à Maximilien, il disait : Quand Robespierre se débattait à la tribune des Jacobins comme un lutin dans un bénitier pour empêcher Capet de déclarer la guerre à l'Autriche, quand il arrachait le masque de Brissot, on le traitait de factieux, de désorganisateur. Cependant le temps nous a prouvé qu'il avait raison ; tout ce qu'il nous annonçait il y a un an nous est arrivé : — N'allons pas chercher noise à nos voisins, disait ce bougre à poil. C'est avec le temps et la raison que toutes les nations détruiront la tyrannie, et jamais f...... la philosophie n'établira son règne avec des canons et des baïonnettes. — Ainsi parlait ce véritable ami du peuple[68]. Eh bien ! Robespierre n'aura pas moins raison quand il dira aux disciples du Père Duchesne : Vous n'avez pas le droit de violenter les consciences, de toucher à la liberté des cultes ; comme il était également dans le vrai quand, au nom des défenseurs de la liberté, il exhortait les Jacobins à fixer leur attention sur les objets d'intérêt général, et non pas sur des questions de prêtre ou de messe. VIII Les occasions n'allaient pas manquer d'ailleurs où il serait indispensable de déployer une énergie suprême ; cette énergie, il ne fallait donc pas la dépenser en pure perte ou la tourner contre des individus égarés et inoffensifs. Encourager par tous les moyens possibles le courage et l'exaltation patriotique des citoyens, accorder aux départements fidèles d'éclatants témoignages de sympathie, éviter avec soin toutes les mesures propres à accroître le nombre des ennemis de la Révolution, opposer enfin aux traîtres et aux conspirateurs un front terrible, un cœur indomptable : telle fut la politique constante de Robespierre. C'est ainsi qu'à sa voix la Convention décrétait que le département de la Manche, qui venait de donner des preuves non équivoques de dévouement à la République à l'heure même où le Calvados se mettait en pleine insurrection, avait bien mérité de la patrie[69], et qu'elle accordait un secours de mille livres à la femme Hébert, dont le mari, un des vainqueurs de la Bastille, venait de périr glorieusement sur un des champs de bataille de la Vendée[70]. C'est ainsi encore que le 21 juin, Mallarmé ayant présenté un projet d'organisation de l'emprunt forcé d'un milliard, décrété en principe dans une des séances du mois précédent, projet d'après lequel cet emprunt était assis non sur les propriétés ou les capitaux, mais sur tous les revenus fonciers, mobiliers et industriels indistinctement, Robespierre réclamait la parole pour une motion d'ordre. De la manière dont l'Assemblée apprécierait les bases de ce projet dépendaient, à son sens, le repos et la tranquillité de la République. Il était donc très-important d'éviter tout ce qui était de nature à jeter des alarmes dans les esprits. On avait eu surtout en vue de faire contribuer les riches aux besoins extraordinaires de l'État, et le projet en question n'avait nul égard pour les fortunes médiocres, comme si l'on eût voulu ménager l'opulence aux dépens des petits propriétaires. Robespierre reprochait en outre aux auteurs du projet d'établir pour la recherche des revenus une espèce d'inquisition cruelle se rapprochant par trop de l'esprit des lois de l'ancienne fiscalité. On devait, suivant lui, concilier les besoins de nos finances avec les exigences de la tranquillité publique. Il demanda donc le renvoi au comité des finances, afin qu'un plan plus étudié et plus sage fût soumis à la Convention. Par une détermination aussi prudente, dit-il[71], vous arracherez une arme puissante des mains des ennemis de la chose publique et des fauteurs d'anarchie, et vous aurez également montré et votre énergie, et votre sagesse, et votre dévouement à la liberté. Représenté le lendemain avec de légères modifications, le projet du comité trouva dans Cambacérès et dans Jean-Bon Saint-André des censeurs qui reproduisirent à peu près les critiques de Robespierre, et l'Assemblée, tout en maintenant l'assiette de la contribution sur les revenus fonciers, mobiliers et industriels, — ce qui était, en définitive, exempter les détenteurs de capitaux, les agioteurs, qu'il aurait surtout fallu atteindre, — ne soumit à l'emprunt forcé que les personnes mariées ayant un revenu supérieur à dix mille livres, et les célibataires dont le revenu excédait six mille livres[72]. Et certes, s'il était essentiel de ne pas froisser brusquement les-intérêts particuliers, de ménager les petits rentiers, les industriels dcmt les affaires étaient en souffrance, c'était bien en ce moment de crise où l'insurrection girondine gagnait de proche en proche, et où les députés qui la fomentaient accusaient hautement la Convention de vouloir amener violemment l'égalité des fortunes[73]. En effet, par tous les moyens les représentants rebelles essayaient de grossir leur parti. Ils avaient établi dans le département du Calvados le quartier général de l'insurrection, parce que dès longtemps ce département leur était entièrement acquis. Là surtout avaient été accueillies comme d'incontestables vérités les calomnies odieuses répandues contre la ville de Paris et ses principaux députés ; la diffamation y avait fleuri comme sur son sol naturel. Les délibérations du conseil général de la commune de Caen n'étaient depuis quelques mois qu'un écho des déclamations de la Gironde. On y traitait de reptiles venimeux les Danton, les Robespierre et autres membres patriotes de la Convention[74]. Choisissez une autre arène pour y tracer nos destinées, écrivait cette commune à la Convention ; que désormais elles ne soient plus en butte aux efforts des monstres sanguinaires dont l'existence est un opprobre et la destruction un devoir[75]. N'est-ce pas bien là le style des Louvet et des Barbaroux ? N'est-ce pas à cet appel que répondra Charlotte Corday en s'armant du poignard dont bientôt elle frappera Marat ? Des députés, envoyés à Paris par le conseil général pour connaître les véritables motifs de la journée du 31 mai, ne craignirent pas de s'abaisser jusqu'à commettre à leur retour d'odieux mensonges ; ils répandirent le bruit que le projet des membres de la Montagne était d'élire un dictateur, mais que déjà la division s'était mise entre eux, les uns voulant Robespierre, les autres Danton, ceux-ci Garat, ceux-là Chaumette ou Hébert[76]. Cette nouvelle exalta naturellement le républicanisme girondin du conseil général de Caen, et dans une séance qu'animèrent la présence de Gorsas, le thuriféraire des journées de Septembre, et celle du royaliste Henri Larivière, on se livra à des transports d'une violence dont le registre des délibérations de ce conseil garde fidèlement l'empreinte. C'est au sommet du Calvados que se forma ce torrent qui, en se réunissant avec les autres départements, entraînera dans son cours précipité le limon et la fange de l'anarchie[77]. Comme la Gironde comptait beaucoup de membres riches, dont la bourse s'ouvrait facilement pour les besoins du parti, elle continua d'entretenir à sa solde une armée de pamphlétaires et de libellistes, et, vaincue, persévéra dans ce système de calomnies dont elle avait tant abusé lorsqu'elle était au pouvoir. Hélas ! les plumes mercenaires ne manquaient pas, sans compter celles des principaux meneurs de la faction. On fit circuler dans les départements formés de la ci-devant Normandie et de la ci-devant Bretagne une lettre portant la signature de Garat, lettre par laquelle le ministre de l'intérieur invitait les corps administratifs à admettre dans la République une dictature composée de Marat, de Danton, de Robespierre et de lui Garat. Dans la séance du 16 juin, le ministre vint, indigné, dénoncer à la Convention cette manœuvre odieuse et les calomnies absurdes avidement accueillies par certains journaux. Il tenait à la main une feuille intitulée Tableau politique et littéraire de Paris, et donna lecture d'un article qu'elle contenait, article daté de Caen, dans lequel on annonçait qu'un des commissaires du ministre de l'intérieur, chargé de prêcher la dictature dans les départements, avait été arrêté par la municipalité de Lisieux. On n'avait pu lui arracher l'aveu de sa mission, ajoutait-on, qu'en singeant le maratisme le plus hideux[78]. Ainsi, disait le ministre, voilà les moyens atroces dont se servent, pour fomenter des luttes fratricides entre les départements et la ville de Paris, des hommes qui, tout en parlant de leur amour pour la République, sont allés semer partout les fureurs de leur vengeance[79]. Robespierre, prévenu par Garat des calomnies dont il était également l'objet, prit la parole après le ministre. Il n'avait pas à s'étonner des manœuvres dont la coterie girondine usait à son égard ; depuis un an elle n'avait pas changé de tactique et ne savait que répéter ces éternelles déclamations de Barbaroux et de Louvet dont à diverses reprises la Convention avait fait bonne justice. Cette Révolution, dit Robespierre, était destinée à démontrer à l'univers la puissance de la calomnie. Quelle sinistre puissance en effet que celle qui put mettre la main sur les deux tiers du pays, et qui pèse encore aujourd'hui d'un si grand poids sur la mémoire des plus purs défenseurs de la Révolution ! Et cette conspiration de libellistes ne s'en prenait plus seulement aux particuliers, c'était à la République elle-même qu'elle s'attaquait. Y avait-il pour la liberté une conjuration plus redoutable ? Ce ne sont plus, continuait Robespierre, les patriotes ardents, forcés trop longtemps de soutenir des combats à outrance, qui sont en butte aux calomnies, ce sont les patriotes d'un caractère ferme et juste. Il ne serait permis à aucun homme d'être impunément vertueux tant que cette faction existerait, Donc il était nécessaire de prendre contre elle des mesures rigoureuses. Et ici Robespierre citait la Convention à sévir contre les journalistes mercenaires et infidèles, les plus dangereux ennemis de la liberté. En toute occasion, on s'en souvient, il avait défendu avec ardeur la liberté de la presse ; il l'avait défendue, il y avait quelques mois à peine, contre Buzot, quand celui-ci essayait d'arracher à l'Assemblée une loi contre de prétendus écrits séditieux ; il l'avait inscrite, enfin, dans sa Déclaration des droits de l'homme, comme le palladium, comme la plus sûre garantie d'un gouvernement démocratique. Mais s'ensuivait-il qu'au milieu de la guerre civile et étrangère la Convention dût tolérer cette foule d'écrits de journalistes aux gages des factions royaliste ou girondine, et qui provoquaient ouvertement à la rébellion contre l'Assemblée ? Il y avait là une question de vie ou de mort pour la République : autoriser ce système de diffamations et de calomnies contre la représentation nationale, c'était se condamner à périr infailliblement. La Convention ne le voulut pas ; elle renvoya donc au comité de Salut public la proposition de Robespierre, et décréta, également sur la motion de Maximilien, que deux circulaires seraient adressées au peuple français, destinées, l'une à l'éclairer sur les dangers de la patrie, l'autre à lui dévoiler tous les faits démontrant la conspiration formidable contre laquelle la République avait à se défendre[80]. Mais, tout en prenant cette mesure nécessaire de conservation, l'Assemblée entendait si peu porter atteinte au principe de la liberté de la presse, qu'elle repoussait sans discussion une proposition que lui fit Fabre d'Eglantine immédiatement après, à savoir d'autoriser le comité de Salut public à arrêter l'envoi des journaux dont il aurait reconnu l'incivisme[81]. IX Parmi les rédacteurs des feuilles girondines qui avaient
survécu au 31 mai, quelques-uns ne furent pas sans concevoir des craintes
assez sérieuses sur l'existence de leurs publications, car on ne manqua pas
3e répandre le bruit que les journaux étaient menacés d'une proscription
générale. Le libraire Panckoucke, dont la feuille ne s'était pas montrée une
des moins dévouées au parti de la Gironde, tant que celui-ci avait été au
pouvoir, eut peur de voir sa gazette supprimée, quoique depuis la chute des
Girondins elle ne leur eût pas épargné l'outrage. Le journaliste Granville,
rédacteur en chef de l'article Convention nationale au Moniteur, écrivit à Robespierre
une lettre d'une extrême platitude pour le prier de lui communiquer
paternellement les reproches que les patriotes pourraient avoir, à lui
adresser. Si le Moniteur, avant le 31 mai, avait commis des erreurs, la faute
en était à la pression dont il était alors l'objet, disait Granville. Nous étions forcés, sous peine d'être dénoncés, sous peine
de perdre la confiance de nos abonnés, de publier les diatribes les plus
absurdes des imbéciles ou des intrigants du côté droit. Les
articles de nature à exciter le plus de préventions étaient dus, selon lui, à
Rabaut-Saint-Étienne, qu'on s'était empressé d'exclure. Au reste, ajoutait-il, il
suffit de jeter un coup d'œil sur nos feuilles, depuis un mois, pour voir
qu'il n'est aucun journal qui ait plus contribué à culbuter dans l'opinion
les intrigants dont le peuple va faire justice[82]. Nous ne savons
si Robespierre répondit autrement que par le dédain à cette lettre assez peu
digne, mais le prudent Moniteur ne fut pas un seul instant inquiété. Toujours
empressé à mettre les plumes de ses rédacteurs au service des puissants du
jour, il fut, jusqu'au 9 Thermidor, l'organe de la Montagne, comme il avait
été jadis celui de la Gironde, pour devenir ensuite l'écho complaisant de
toutes les fureurs thermidoriennes. C'est également au discours prononcé par Robespierre dans la séance du 16 juin que se rapporte bien évidemment une note trouvée dans ses papiers et dont le représentant Courtois a tiré parti avec cette perfidie qui éclate à chacune des pages de son rapport, lequel est le chef-d'œuvre le plus complet qu'on puisse imaginer dans l'art de la calomnie. Nous dirons plus tard quels titres honorables Robespierre avait personnellement à la haine de Courtois. Ce conventionnel avait confié le soin de rédiger son rapport à un littérateur lié d'ancienne date avec les hommes de la Gironde et qui, après avoir servi les rancunes des Girondins, eut le tort de mettre sa plume à la dévotion des féroces vainqueurs de Thermidor. Auteur de la comédie L'Ami des lois, dans laquelle, sous des noms fabriqués, il avait mis en scène, aux grands applaudissements de ses amis de la Gironde, Marat, Danton et Robespierre, sans que celui-ci se fût beaucoup préoccupé de cette facétie qui avait singulièrement ému les patriotes[83], Laya, dont la bonne foi fut évidemment trompée, s'acquitta de sa tâche à la complète satisfaction de ses nouveaux amis. Nous analyserons plus loin en détail cette œuvre, où tous les historiens de la réaction ont puisé à l'envi comme dans une source empoisonnée, et qui sera dans l'avenir le témoignage le plus éclatant de la bassesse et de la mauvaise foi des Thermidoriens. Signalons, dès à présent, une des fraudes de ce rapport, dans lequel, à côté de mensonges exorbitants, d'interprétations sciemment erronées, de rapprochements tout à fait odieux, se rencontrent des faux matériels dignes, avons-nous dit déjà de la police correctionnelle et de la cour d'assises, et que nous ne manquerons pas de placer sous les yeux de nos lecteurs. Dans le nombre considérable de pièces et de lettres trouvées chez Robespierre, les Thermidoriens ont choisi, comme on sait, tout ce qui leur a paru de nature à jeter une teinte défavorable sur la mémoire de leur victime. Une foule de notes, destinées à servir de jalons à des improvisations ou à des rapports, notes dont les unes ont été utilisées et les autres complètement laissées de côté par lui, ont été précieusement recueillies, commentées traîtreusement, et ont servi de texte aux accusations les plus ineptes. Pas un lambeau de papier n'a été épargné. Les lignes même raturées ont été reproduites, comme s'il était permis de se prévaloir de telle pensée d'un écrivain quand il l'a répudiée lui-même en l'effaçant de sa main. Mais cela ne leur a pas suffi : non contents de torturer le sens, ils ont poussé l'infamie jusqu'à altérer le texte de ces notes ou de ces lettres. Robespierre, on l'a vu, avait engagé la Convention à prendre des mesures sévères contre ces libellistes gagés qui la dénonçaient à la France et à l'Europe comme un foyer d'anarchie, et à éclairer le peuple par une adresse où seraient relatées toutes les preuves de la conspiration girondine. Il avait, suivant la coutume des orateurs, jeté sur le papier quelques-unes des idées qu'il se proposait de développer. Voici cette note : Quel est le but ? L'exécution de la constitution en faveur du peuple. Quels seront nos ennemis ? Les hommes vicieux et les riches. Quels moyens emploieront-ils ? La calomnie et l'hypocrisie. Quelles causes peuvent favoriser l'emploi de ces moyens ? L'ignorance des sans-culottes. Il faut donc éclairer le peuple. Mais quels sont les obstacles à l'instruction du peuple ? Les écrivains mercenaires qui l'égarent par des impostures journalières et impudentes. Comment ferez-vous taire les écrivains mercenaires, ou comment les attacherez-vous à la cause du peuple ? Ils sont à ceux qui les payent ; or, les seuls hommes capables de les payer sont les riches, ennemis naturels de la justice et de l'égalité, et le gouvernement qui tend sans cesse à étendre son pouvoir aux dépens du peuple[84]. Que conclure de là ? 1° Qu'il faut proscrire CES écrivains comme les plus dangereux ennemis de la patrie. 2° Qu'il faut répandre de bons écrits avec profusion. On retrouve bien là en substance le discours prononcé par Robespierre dans La séance du 16 juin. Il y a même au Moniteur des lambeaux de phrases reproduits à peu près textuellement, par exemple à propos de ces journalistes infidèles qui sont les plus dangereux ennemis de la liberté. Eh bien ! qu'ont imaginé les Thermidoriens ? Robespierre n'étant plus là pour répondre et personne n'osant prendre sa défense, il s'agissait de le présenter comme l'ennemi-né des écrivains, lui le glorieux lutteur qui, de tous les hommes de la Révolution sans exception, avait combattu avec le plus d'ardeur et de dévouement en faveur de la liberté de la parole et de la pensée. Une phrase supprimée ou altérée, une simple lettre changée, et leur but était atteint. Ainsi, au lieu d'écrire comme dans le texte : Il faut proscrire CES écrivains — les écrivains mercenaires qui égarent le peuple par des impostures —, ils ont écrit en lettres capitales : Il faut proscrire LES écrivains comme les plus dangereux ennemis de la patrie. On voit comme ils se sont attachés à généraliser, alors que dans la pensée de Robespierre il n'était question que des libellistes stipendiés, aux gages de la Gironde ou du royalisme[85]. Ainsi encore, au lieu de la phrase du texte rétablie par nous : Comment ferez-vous taire les écrivains mercenaires, le rapporteur a écrit : Comment ferez-vous taire les écrivains[86]. Après avoir de cette façon tronqué et falsifié les phrases de Robespierre, il lui est facile de s'écrier : Les écrivains surtout, comme institués délateurs de la tyrannie, sont ceux sur lesquels il se déchaîne avec le plus d'acharnement. Dans cette note étaient encore indiquées certaines idées développées par Robespierre soit à la tribune de la Convention, soit à celle des Jacobins. Il se demandait, par exemple, quels étaient les autres obstacles à l'établissement de la liberté ? La réponse n'était pas difficile à trouver : c'étaient la guerre étrangère et la guerre civile. Comment les terminer l'une et l'autre ? En mettant à la tête de nos armées des généraux républicains ; en punissant les traîtres et les conspirateurs, surtout les députés et les administrateurs coupables ; en envoyant des troupes patriotes sous des chefs patriotes partout où avait été arboré l'étendard de la rébellion et du royalisme, à Lyon, à Marseille, à Toulon, dans la Vendée ; enfin en assurant les subsistances et en faisant des lois populaires. Maximilien avait aussi tracé ces lignes : Le peuple. Quel autre obstacle y a-t-il à l'instruction du peuple ? La misère. Quand le peuple sera-t-il donc éclairé ? Quand il aura du pain, et que les riches et le gouvernement cesseront de soudoyer des plumes et des langues perfides pour le tromper ; lorsque leur intérêt sera confondu avec celui du peuple. Quand leur intérêt sera-t-il confondu avec celui du peuple ? — Jamais ! Hélas ! en présence du déchaînement des anciens privilégiés et de l'aristocratie bourgeoise contre la Révolution française, il était bien permis d'écrire ces lignes de mélancolie et de désespoir. Qui donc, plus que Robespierre, souffrait de l'antagonisme fatal et persistant entre la bourgeoisie et le peuple, lui qui dès les premiers temps de la Constituante s'était si énergiquement opposé à l'absurde et inique division de la nation en citoyens actifs et passifs, momentanément supprimée par la Convention nationale. Mais un esprit de cette trempe ne pouvait désespérer longtemps ; la fusion finirait par se faire, pensait-il ; et, d'un trait de plume, il s'était empressé de raturer les lignes où dans une heure de découragement il avait formulé ses anxiétés et ses doutes. Sous les ratures, les Thermidoriens sont allés rechercher cette pensée d'un moment qu'il avait étouffée aussitôt comme pour se faire illusion à lui-même sur la réalité de ses craintes, et ces histrions de la République ont trouvé joli de mettre en lumière une réflexion dont ils sembleront prendre à tâche de démontrer l'effrayante vérité. Ce seront eux, en effet, qui sur les débris de la démocratie vaincue édifieront le règne de la féodalité bourgeoise, en rétablissant la catégorie des citoyens passifs ; ce seront eux qui inaugureront la Terreur blanche, qui décimeront en masse les patriotes de 1789 et les républicains de l'an II, et qui, après avoir soumis la France à un régime de boue et de sang, la contraindront à se jeter, haletante et désespérée, entre les bras d'un général victorieux. X Il faut être dans une ignorance complète de la situation de la République en ce mois de juin 1793 pour s'étonner des décrets rigoureux arrachés à la Convention vers cette époque par la gravité des événements. Quand par exemple Robespierre demandait l'envoi de généraux et de troupes patriotes dans les départements insurgés, et s'écriait, en engageant ses collègues à se montrer inexorables pour les conspirateurs : Plût à Dieu que nos armées fussent aussi bien conduites que celle des rebelles ! nous venions de subir dans la Vendée des échecs successifs[87]. Quand il réclamait le rappel des commissaires envoyés dans ce pays, et fortement soupçonnés d'avoir favorisé les révoltes, la Convention venait, sur un rapport de Berlier, de décréter d'arrestation un de ces commissaires, Duchâtel, dénoncé par Bourbotte et Choudieu, et dans les poches duquel on avait trouvé une lettre prouvant qu'il était en relations avec des chefs royalistes[88]. Et comme pour justifier d'avance le décret rendu par la Convention, Duchâtel était allé rejoindre ses amis les Girondins, dont la troupe grossissait de jour en jour. A la nouvelle des soulèvements qui éclataient dans les départements, la plupart des Girondins restés à Paris ne songèrent qu'à s'enfuir pour aller retrouver les instigateurs de l'insurrection. Successivement s'échappèrent Louvet, Bergœing, Lanjuinais, Kervélégan, Pétion, ce dernier en laissant pour adieu une brochure très-virulente, dans laquelle il déclarait que la Convention nationale n'existait plus[89]. Comment l'espoir d'un succès criminel ne serait-il pas entré dans leurs cœurs ? Tout le midi de la France s'ébranlait en leur faveur. A l'exemple de Bordeaux, de Marseille, de Toulon, Nîmes et Toulouse entraient dans la coalition. L'Isère et le Jura s'inspiraient de l'exemple du Calvados et des départements de la Bretagne. On eût dit que tous, d'un commun accord, voulaient marcher sur Paris. Marseille menaçait la capitale de ses pièces de siège et appuyait son manifeste d'un corps de six mille hommes destiné à renforcer l'armée girondine du Nord, dont le commandement était confié au général royaliste Wimpfen. On connaît la réponse de cet officier à l'invitation que lui adressa la Convention de se rendre à Paris pour donner des renseignements : Le général ne pourrait le faire qu'accompagné de soixante mille hommes. A cette forfanterie militaire la Convention répondit, elle, par un décret d'accusation. Il faut lire les délibérations du conseil général du Calvados pour avoir une idée du degré de confiance auquel étaient arrivés les meneurs de l'insurrection. A les en croire, la terreur des scélérats de la capitale était au comble, et les citoyens de la ville de Paris, même les canonniers, étaient tout disposés à aller sans armes, en véritables repentants, au devant des légions départementales. Il ne s'agissait plus pour eux de savoir si l'insurrection serait couronnée de succès, ce n'était pas un doute, mais de la faire réussir avec le moins de dangers, de convulsions et de lenteur possible[90]. A la grande Marseillaise, qui entraînait les phalanges républicaines contre les rois coalisés, ils avaient substitué un chant normand dédié aux hommes du Nord. Voici un échantillon des strophes qu'au théâtre de Caen on chantait sur l'air immortel : Allons, enfants de la patrie ! Paris, ville longtemps superbe, Gémit sous un joug odieux, Bientôt on chercherait sous l'herbe Ses palais, ses murs orgueilleux. Mais vous marchez, Paris respire, Les brigands pâlissent d'effroi, Sur eux le glaive de la loi Brille, et le despotisme expire. Aux armes, citoyens ! Terrassez les brigands. La loi ! c'est le seul cri, c'est le vœu des Normands. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Quoi ! le farouche Robespierre Serait l'arbitre de l'État ! Quoi ! Danton, quoi ! le vil Marat, Régneraient sur la France entière ! Aux armes citoyens, etc. Voilà bien les discours des Isnard, des Barbaroux et des
Louvet, mis en mauvaises strophes. Qui croirait que dans cette même ville de
Caen Robespierre était, avant la venue des Girondins, regardé comme le
modèle, comme le plus pur des patriotes ? SALUS ET HONOR ! Salut à l'incorruptible Robespierre, lui
écrivait-on alors. La Société de Caen sait que le
père du patriotisme était à son poste quand il fallut défendre ses enfants du
Calvados poursuivis par les stylets de la calomnie ; elle le sait. et vient
silencieusement ajouter une palme à sa couronne civique. Robespierre, ce nom qui fait ta
gloire, ce nom qui porte l'effroi dans l'âme des tyrans, sera le mot d'ordre
qui nous ralliera pour les combattre. Nous ne prétendîmes pas le rendre plus célèbre en te faisant cette adresse : l'entreprise était au-dessus de nos forces ; seulement elle est le gage précieux de notre reconnaissance et le tribut particulier de l'estime publique[91]. Robespierre, ceci est à noter, n'avait aucune position officielle quand il reçut cette lettre si louangeuse de la Société populaire de Caen, hommage d'autant plus flatteur, en conséquence, qu'il était plus désintéressé. Par quel miracle s'était-il donc opéré un tel changement dans l'esprit des citoyens de la ville de Caen ? Ah ! c'est que, depuis, le département du Calvados avait été inondé des pamphlets girondins, c'est que les émissaires de la coterie étaient parvenus à faire de Caen la cité d'élection du parti ; et en présence du formidable succès de leur œuvre ténébreuse, on ne peut que rester confondu, avec Robespierre, de cette sinistre puissance de la calomnie[92]. Il n'y a donc pas à s'étonner si, en apprenant les menées criminelles de la Gironde et l'évasion de la plupart des députés mis en arrestation chez eux, la Convention nationale finit par prendre des mesures rigoureuses. Le 24 juin, Amar vint au nom du comité de Sûreté générale lui proposer de faire transférer dans des maisons nationales ceux de ses membres détenus jusqu'ici dans leurs domiciles. Combattue par Ducos et par Fonfrède, qui demandaient qu'au préalable un rapport fût immédiatement présenté sur leurs amis, la proposition d'Amar se trouva vivement soutenue par Robespierre. Celui-ci témoigna, en des termes pleins d'amertume, son étonnement de ce qu'à l'heure où les rebelles de la Vendée, encouragés par les cris de révolte retentissant autour d'eux, ravageaient nos départements, on osât, en quelque sorte, mettre en parallèle les représentants du peuple et une poignée de conspirateurs. A ces mots le côté droit ayant éclaté en murmures, Legendre, hors de lui, réclama l'arrestation du premier qui interromprait l'orateur. On demande un rapport, continua Robespierre avec une indignation croissante, comme si l'on ne connaissait pas les crimes des détenus. Leurs crimes, citoyens, ce sont les calamités publiques, l'audace des conspirateurs, la coalition des tyrans, les lois qu'ils nous ont empêchés de faire depuis six mois, la constitution sainte qui s'est élevée depuis qu'ils n'y sont plus, la constitution qui va rallier les Français ; car, n'en doutez pas, citoyens, c'est à la constitution que s'attacheront les Français, et non à Brissot, à Gensonné. Les départements pouvaient être égarés par leurs administrateurs, mais le peuple, il en avait la conviction, resterait avec l'Assemblée. Quant au rapport demandé, sans doute on le ferait, seulement il fallait d'abord réunir toutes les pièces et tous les faits. En attendant, il engageait la Convention à mettre aux voix sur-le-champ le projet de décret présenté au nom du comité de Sûreté générale[93]. Ce décret fut voté malgré les résistances de la droite, qui obtint du moins, le lendemain, que le rapport sur les députés détenus serait présenté dans la séance du 26. Mais le soir même la Convention revint sur cette décision, à la demande de Robespierre appuyée par Levasseur et par Jean-Bon Saint-André. Selon Maximilien, on s'occupait beaucoup trop de ces individus, au lieu de songer aux mesures à prendre pour sauver la République et la tirer du précipice où ils l'avaient entraînée. Ne vous y trompez pas, dit-il, les plaies de l'État sont profondes ; la misère publique est grande ; prenez garde que les malveillants ne profitent des malheurs qui accompagnent les révolutions pour égarer le peuple. Faites des lois populaires ; posez les bases de l'instruction publique, régénérez l'esprit public, épurez les mœurs, si vous ne voulez pas perpétuer la crise de la Révolution. Avait-on formé le projet d'amener de nouvelles divisions au sein de la Convention en réclamant avec tant d'affectation un rapport immédiat sur des hommes dont les agitations qui s'étaient produites dans les départements attestaient le crime ? Ne fallait-il pas laisser le temps au rapporteur de s'éclairer sur les véritables causes des maux du pays, sur le long système de calomnies inventé pour discréditer la Révolution aux yeux de la France et de l'Europe ? N'était-il pas beaucoup plus urgent de chercher les moyens les plus prompts d'écraser les rebelles de la Vendée ? Et n'était-ce pas insulter la Convention, poursuivait l'orateur, que de venir lui parler en faveur des Vergniaud et des Brissot, alors qu'il s'agissait de réduire tous les ennemis de la liberté conjurés contre la République ? Il demandait donc que, sans avoir égard au décret surpris dans la matinée par des hommes à qui leur situation personnelle commandait le silence, on ajournât le rapport, et que la Convention s'occupât uniquement des grands intérêts de la patrie[94]. Ce langage, dont l'amertume s'explique de reste par l'état de crise où les Girondins avaient plongé le pays, amena dans l'Assemblée un revirement d'opinion. Telle était l'exaspération de certains esprits que Tallien proposa à ses collègues de décréter qu'il serait permis à tout citoyen de courir sus aux députés qui s'étaient soustraits au décret d'arrestation. Mais c'était là une des exagérations familières à l'ancien secrétaire de la commune. Il appartenait à Jean-Bon Saint-André de replacer la question sur le terrain où l'avait posée Robespierre. Après avoir annoncé que le comité de Salut public avait chargé un de ses membres de rédiger un rapport digne de la nation et de ses représentants, et que ce membre travaillait jour et nuit à ce rapport, il ajouta : C'est ici, comme on vous l'a dit, un grand procès ; c'est avec le calme et la sévérité de la raison qu'il faut examiner cette chaîne de conspirations. J'appuie les propositions de Robespierre. Et ces propositions furent aussitôt adoptées[95]. Le rapporteur dont parlait Jean-Bon Saint-André, c'était Saint-Just. Ce ne fut qu'une douzaine de jours après, dans la séance du 8 juillet, que le jeune Conventionnel donna lecture de son travail à l'Assemblée, après l'avoir soumis à diverses reprises à ses collègues du comité de Salut public, qui l'avaient définitivement adopté dans la soirée du 2 juillet[96]. Quand on se reporte à la situation de la République en ces heures critiques ; quand on considère que la municipalité de Bordeaux venait de proclamer d'un ton hautain que les grandes villes des départements pourraient fort bien se passer de Paris ; quand on jette les yeux sur cette déclaration ridicule des administrateurs de la ville de Toulouse menaçant la capitale de la traiter comme une autre Sodome, — ce qui amena Robespierre à demander la question préalable sur une proposition de Couthon tendant à la suspension d'un décret rendu contre les administrateurs de la Haute-Garonne[97] ; quand on se rappelle l'adresse fameuse du Calvados où tout le côté gauche de la Convention était accusé d'être un ramassis de brigands vendus aux puissances étrangères ; quand on réfléchit enfin que tout cela était en partie l'œuvre des Girondins réfugiés à Caen, on est bien obligé d'avouer que, relativement, ce rapport de Saint-Just est d'une extrême modération. La liberté, y est-il dit, ne sera point terrible envers ceux qu'elle a désarmés et qui se sont soumis aux lois. Proscrivez ceux qui ont fui pour prendre les armes ; leur fuite atteste le peu de rigueur de leur détention : proscrivez-les, non pour ce qu'ils ont dit, mais pour ce qu'ils ont fait ; jugez les autres, et pardonnez au plus grand nombre ; l'erreur ne doit pas être confondue avec le crime, et vous n'aimez point à être sévères (3)[98]. Les membres du côté droit eux-mêmes se montrèrent étonnés de la modération de Saint-Just. Ce ne fut pas, on le sait, à la suite de ce rapport que plus tard les Girondins furent renvoyés devant le tribunal révolutionnaire, mais bien sur le rapport autrement violent d'Amar, un des ennemis de Robespierre, un des futurs proscripteurs de Thermidor. XI Au reste, il faut le dire, tout devait contribuer à porter au comble l'exaspération populaire contre les vaincus du 31 mai ; les progrès de la coalition, les développements qu'allait prendre la guerre civile déchaînée par eux, n'étaient certes pas de nature à éveiller dans les cœurs des sentiments de commisération à leur égard. On les regarda comme les auteurs du bruit répandu vers cette époque que le fils de Louis XVI avait été enlevé de sa prison et que les membres de la Montagne voulaient relever le trône en sa faveur ; ce bruit avait pris une telle consistance, que le comité de Sûreté générale chargea Dumont, Chabot, Maure et Drouet de se rendre au Temple afin d'y constater officiellement la présence du jeune prince. Selon Robespierre, une telle extravagance, imputée aux auteurs de la constitution républicaine, ne méritait pas que la Convention s'y arrêtât, au moment même où son enceinte venait de retentir des acclamations touchantes et sublimes d'un peuple s'élançant d'un tel cœur vers la liberté et l'égalité. — Allusion à la récente acceptation de la constitution par les sections parisiennes. — Mais dans cette nouvelle manœuvre il voyait une preuve de plus de l'acharnement avec lequel les intrigants et tous les ennemis de la Révolution s'efforçaient de tuer la liberté par la calomnie. Il les montrait, dans les convulsions de leur désespoir, répandant partout l'imposture et la division pour empêcher tous les Français de se rallier sous les auspices de la constitution et d'assister avec confiance à la fête commémorative du 10 août. Tout cela ne se liait-il pas fatalement aux combinaisons perfides des agioteurs royalistes qui, à Bordeaux par exemple, avaient tenté de relever les assignats royaux et de faire baisser ceux qui portaient l'empreinte de la République ? Il fallait que la France entière en fût bien convaincue, disait-il, le peuple français n'aurait ni paix ni trêve avec d'aussi opiniâtres conspirateurs, tant que les coupables n'auraient pas été frappés par la loi. Et c'était là le seul rapport sous lequel l'absurde bruit dont on avait entretenu l'Assemblée lui parût mériter quelque attention. La Convention couvrit d'applaudissements le discours de Robespierre et décréta qu'il serait inséré au Bulletin comme un nouveau moyen d'éclairer l'opinion sur le système de calomnies qui si longtemps avait compromis la tranquillité et la liberté publiques[99]. Point de compromis avec les révoltés si l'on tenait à assurer dès ce moment et d'une manière définitive le triomphe de la liberté. En face d'insurrections naissant les unes des autres et tenant en suspens l'existence même de la République, fallait-il montrer de l'hésitation ? Robespierre ne le crut pas ; et ce fut bien pour cela que dans la séance du 9 juillet, le ministre de l'intérieur Garat ayant proposé à la Convention de prolonger le délai de trois jours accordé aux administrateurs rebelles pour rentrer dans le devoir, il combattit cette proposition : J'engage la Convention, dit-il, à persévérer dans les principes d'une juste sévérité : il ne faut pas, après l'acceptation de l'acte constitutionnel, laisser subsister de nouveaux germes de division ; il faut étouffer la faction scélérate qui a si longtemps exposé la patrie ; sans cela elle renouerait bientôt ses trames et forcerait le peuple à de nouvelles convulsions. Nous triompherons des tyrans, nous triompherons des armées qui nous environnent, mais pour cela il faut exaucer les vœux du peuple et punir les traîtres[100]. L'Assemblée repoussa sans discussion la demande du ministre, et comme pour lui prouver combien peu elle partageait ses sentiments d'indulgence, elle prononça, sur une motion de Lacroix, la peine de mort contre les administrateurs rebelles qui vendraient des domaines nationaux[101]. Si Robespierre montrait contre les insurgés royalistes et girondins une âpreté de langage trop justifiée par leurs sinistres projets, quel empressement ne mettait-il pas à défendre les patriotes injustement attaqués ! Chabot ayant très-vivement critiqué, dans la séance du 8 juillet aux Jacobins, le comité de Salut public, et témoigné le désir de voir la Convention le renouveler tout de suite, en ne conservant de ses anciens membres que Jean-Bon Saint-André, Couthon et Saint-Just, qui, dit-il, avaient fait leurs preuves, et dont le patriotisme et la probité étaient connus de toute la France, Robespierre se leva pour défendre d'office tout le comité. Chabot m'a paru trop exalté, dit-il en rendant justice d'ailleurs au patriotisme que respirait le discours de l'ancien capucin. Sans doute, continuait Robespierre, tous les membres de ce comité n'étaient pas également éclairés et vertueux ; mais où trouver une perfection impossible ? Il fallait se garder de décourager des hommes dont on ne pouvait oublier les services rendus à la chose publique et qu'on avait tort de déprécier aujourd'hui. Oui, nous lui reprocherons des fautes, ajoutait-il ; est-ce moi qui pencherai vers l'indulgence, moi qui crois qu'on n'a pas assez fait pour la patrie quand on n'a pas tout fait, moi qui crois que la liberté exige tous nos vœux, tous nos sacrifices, et que la plus légère de ses faveurs nous dédommage amplement ? Mais il y a une grande différence entre des erreurs qu'on peut reprocher à un corps et un arrêt de proscription dont on veut l'envelopper. Oui il est dans son sein des membres purs, irréprochables. En un mot, vu les grandes et importantes affaires dont il est chargé en ce moment, je soutiens qu'il serait impolitique d'appeler la défaveur du peuple sur un comité chargé de grands intérêts et en qui réside le salut de l'État[102]. Il n'en fallut pas davantage pour réduire à néant les critiques de Chabot. Il est bon de remarquer que Robespierre était ici complètement désintéressé dans la question ; il n'appartenait pas encore au comité de Salut public, où il n'entra qu'à regret un peu plus tard, et ses amis Couthon et Saint-Just étaient au nombre des trois membres dont Chabot avait demandé la conservation. Il fut donc guidé en cela, comme il l'était toujours quoi qu'en aient dit ses détracteurs, par le seul amour de la justice et de la patrie. Le surlendemain, la Convention décidait que le comité de Salut public ne serait plus composé que de neuf membres au lieu de quatorze dont il était présentement formé, et dans sa séance du soir elle procédait au renouvellement mensuel de ce comité[103]. Vers la même époque Robespierre prenait énergiquement la défense d'un officier cher aux patriotes, du commandant de la trente-cinquième division de gendarmerie, de Rossignol, incarcéré à Niort, pour quelques propos contre le général Biron, par les ordres de Westermann, fort suspect déjà à cause de ses relations d'intimité avec Dumouriez. Les officiers plébéiens élevés par l'élection populaire aux premiers grades de l'armée plaisaient peu en général aux officiers de bonne maison, que la Révolution, si disposée d'abord à se montrer accommodante, avait maintenus à la tête de nos armées. Biron avait paru se rallier sincèrement à cette Révolution qui ne l'avait pas repoussé, et Robespierre, on s'en souvient peut-être, n'avait pas hésité, un jour, à lui donner d'un mot un certificat de civisme. Mais l'arrestation d'un officier républicain, lestement ordonnée à cause de certaines paroles contre l'ancien duc de Lauzun, devait paraître infiniment suspecte aux patriotes. Aussitôt cette nouvelle reçue à la Convention, plusieurs membres demandèrent le renvoi de l'affaire à l'examen du comité de Salut public. Robespierre, lui, réclama de toutes ses forces la mise en liberté immédiate de Rossignol. C'est un acte arbitraire, dit-il, qui ne doit plus exister dès qu'il est connu[104]. Vivement appuyée par Jean-Bon Saint-André et par Thuriot, cette proposition fut aussitôt convertie en décret. Mais déjà Rossignol n'était plus en prison ; mis en liberté par un -des commissaires de la Convention, Goupilleau, il s'était empressé d'accourir à Paris pour se plaindre et demander justice. Son arrivée fut annoncée aux Jacobins par le docteur Souberbielle, un des plus chauds amis de Robespierre[105]. Appelé, après s'être pleinement justifié, au commandement de l'armée de La Rochelle, Rossignol trouva dans Bourdon (de l'Oise), lequel était fort lié avec Westermann et Biron, un persécuteur et un calomniateur acharné ; et nous verrons bientôt, à propos des persécutions et des calomnies dont Rossignol fut l'objet de la part de Bourdon, éclater entre ce dernier et Robespierre des démêlés qui aboutirent plus tard à des déchirements profonds et à un éclat funeste. XII Ce qu'il est impossible de contester, c'est qu'à l'heure sombre où nous sommes, en ce temps de divisions et de haines implacables fomentées par les Girondins, Robespierre s'épuisa en efforts pour établir la paix et l'harmonie entre les patriotes et empêcher de nouvelles scissions d'éclater parmi eux. Et c'est quand les faits lui auront démontré l'inutilité de ses efforts que, tout en combattant les royalistes déguisés sous le nom de modérés, il entrera résolument en lutte contre les révolutionnaires insensés dont les folies ou les crimes jetteront la perturbation dans la République et en compromettront de nouveau l'existence. Quant à présent, nous le voyons repousser les dénonciations vagues, les accusations irréfléchies prodiguées avec plus ou moins de bonne foi par des hommes d'un civisme quelquefois douteux. Hier, il se faisait d'office l'avocat de membres du comité de Salut public dont il était loin d'être l'ami, aujourd'hui, c'est le ministre de la marine, d'Albarade, c'est Danton qu'il couvre de sa parole puissante. D'Albarade avait, sur la recommandation spéciale du vieux tribun des Cordeliers, appelé au poste d'inspecteur du port de Toulon un citoyen nommé Peyron, ancien commandant des volontaires marseillais, contre lequel on avait articulé des faits assez graves dont on faisait remonter la responsabilité jusqu'au ministre et jusqu'à Danton. Ce n'était pas la première fois que celui-ci était l'objet d'une inculpation ; déjà on lui avait reproché d'avoir tenu une conduite un peu équivoque dans les événements du 31 mai. Mais était-il opportun de le dénoncer comme un ennemi de cette Révolution à laquelle il avait rendu tant de services ? Voudrait-on essayer de nous le rendre aussi suspect ? s'écria Robespierre. Serait-il permis à des malveillants de ruiner en un quart d'heure une confiance méritée à tant de titres, et par le sacrifice de toute une vie à la cause de.la liberté ? Plus d'une fois encore il viendra au secours de Danton. Comment donc, obsédé par Barère et par Billaud-Varenne, finira-t-il par croire lui-même à sa culpabilité et à l'abandonner un jour ? C'est ce qu'expliqueront bien clairement les événements qui vont se dérouler sous les yeux de nos lecteurs. Quant à d'Albarade, il ne le connaissait point. Seulement, depuis son entrée au ministère, il n'avait trouvé dans sa conduite rien de contraire au plus pur patriotisme. Nous a-t-il trompés ? demandait-il, voilà ce qu'il faut examiner ; mais c'est avec le calme de la réflexion, ce n'est point en nous emportant légèrement à des dénonciations vagues, et qui servent si bien nos ennemis... Je remarque un projet qu'on suit avec trop d'acharnement, celui de perdre dans l'esprit du peuple les patriotes les plus fermes et les plus vertueux. Certes, c'est là le chef-d'œuvre de la malice de nos ennemis, et il leur est permis d'espérer tout s'ils parviennent à nous ôter si aisément la confiance du peuple. N'avait-on pas, poursuivait-il, calomnié également Bouchotte et Pache pour quelques choix malheureux ? Et cependant n'étaient-ce point deux vrais républicains, deux fermes soutiens de la liberté, deux fidèles enfants de la patrie, et n'étaient-ils pas les premiers à gémir d'être exposés à tomber dans de pareilles erreurs ? Il engageait en conséquence les dénonciateurs à se montrer plus circonspects, car, ajoutait-il en terminant, suffit-il de dire : un tel est coupable, je l'accuse ?... Exempterons-nous toujours de preuves l'homme qui a une dénonciation à faire ? Je voudrais que la société des Jacobins sentît enfin combien il est ridicule, combien il est mortel pour la chose publique de divaguer perpétuellement d'objets en objets. Je voudrais qu'elle restreignît beaucoup les sujets qu'on doit traiter à ses séances, et qu'elle adoptât enfin un ordre du jour capable de leur rendre ce caractère de grandeur qui distingue cette société[106]. C'étaient là certes, de belles et bonnes paroles, et bien du mal eût été évité si les sages conseils de Robespierre avaient été suivis. Maintenant, comme le disait Bentabole, il n'était pas toujours possible de fournir des preuves matérielles de la trahison. Peut-être même, à son avis, ne devait-on pas trop se plaindre des dénonciations dont retentissait le club ; car la société des Jacobins, c'était l'œil de la République constamment ouvert sur les machinations des ennemis de la Révolution ; et où en serait la liberté sans la surveillance perpétuelle exercée par ses défenseurs ? Danton parut abonder dans ce sens quand, le surlendemain, ayant pris la parole pour donner des explications, il déclara qu'il aurait voulu qu'on eût attaché des espions aux pas de l'individu recommandé par lui. La vraie, la seule politique à ses yeux, était de livrer les employés à l'espionnage les uns des autres[107]. Triste politique qu'il eût certainement réprouvée lui-même s'il ne se fût pas trouvé dans une situation assez embarrassée, et qui ferait d'un pays tout entier le domaine de la police. Quelle suprême injustice de la part de ces écrivains qui, systématiquement, présentent Robespierre comme encourageant les délations ! Lorsque, remplissant un devoir douloureux, il dénonçait tel ou tel général, il avait des raisons puissantes, et nous verrons combien légitimes, la plupart du temps, étaient ses griefs ; mais la vraie politique à ses yeux n'était pas de fonder un gouvernement sur l'espionnage. Il est même à croire qu'à sa voix on fût entré plus tôt dans une période d'apaisement, si des événements imprévus et formidables ne fussent pas venus déjouer tous ses calculs de modération, et si chacun, se sentant menacé, n'eût pas dans son for intérieur répété le mot de Marcel : Mieux vaut occire qu'être occis. Le lendemain même du jour où Robespierre invitait ses concitoyens à plus de circonspection, dans la soirée, une nouvelle sinistre se répandait dans Paris et déchaînait dans les cœurs des fureurs inconnues : Marat, l'Ami du peuple, venait d'être assassiné, traîtreusement frappé dans sa baignoire par la main d'une jeune fille fanatique. XIII Qui avait inspiré Charlotte Corday ? Certes, il serait injuste d'accuser les Girondins d'avoir à dessein armé son bras ; mais il est impossible de nier que leurs déclamations violentes contre leurs adversaires n'aient perverti son imagination. Plus d'une fois leurs joyaux avaient assez clairement désigné Marat, Danton et Robespierre aux poignards des assassins ; ce fut précisément, on s'en souvient, un des graves reproches adressés par Maximilien à Louvet. Singulière coïncidence ! trois jours avant le meurtre de l'Ami du peuple, on avait donné lecture, à l'assemblée de la commune, d'une lettre adressée de Paris à un citoyen de Strasbourg, lettre où il était dit : D'ici au 15 juillet nous danserons. Je désire qu'il n'y ait pas d'autre sang répandu que celui des Danton, Robespierre, Marat et compagnie... Vive Wimpfen ! Vivent les Normands, Bretons, Marseillais, Lyonnais, et tous les autres républicains[108]. Charlotte Corday, comme les Girondins, crut qu'il suffirait d'un coup de couteau pour changer les destinées de la France et remettre de nouveau le pouvoir entre les mains incertaines de ces hommes qui n'avaient su que troubler le pays, compromettre l'existence même de la République, et qui, vaincus dans cette Convention transformée par eux en, arène, ajoutaient a leurs fautes l'irréparable crime d'en appeler à la guerre civile. Quelle lamentable erreur ! Ah ! jeune fille à la mémoire sanglante, si tu avais deviné les résultats de ta noire action, si tu avais pu prévoir qu'en tuant ce représentant du peuple qui, vivant, n'avait en définitive sur ses collègues qu'une très-médiocre influence, et qui, consumé par une fièvre mortelle, n'aurait pas tardé à s'éteindre naturellement, tu ne ferais qu'ouvrir l'ère des vengeances implacables et précipiter la mort de tes coupables amis, tu aurais reculé d'épouvante devant ton forfait, et l'arme te serait tombée des mains ! La réaction transforme aisément en crime tout ce qui est contraire a ses vues et la froisse dans ses intérêts ; mais comme, en revanche, elle s'entend à diviniser le crime même quand il sert ses projets et ses rancunes ! Elle n'a pas manqué d'élever des statues à l'assassin ; la peinture a embelli les traits de Charlotte Corday, et tous les poètes royalistes l'ont chantée. Qui ne se rappelle les strophes furieuses d'André Chénier ? Eh bien ! étrange contradiction ! cette fanatique savait que pour parvenir jusqu'à Marat elle n'avait qu'à implorer sa pitié ; dans la crainte d'être éconduite, elle avait préparé un billet dont elle n'eut pas à se servir, du reste, et qui se terminait par ces mots : Je suis malheureuse ; il suffit, que je le sois pour avoir droit à votre protection. Moyen honteux, qui prouve combien froidement cette héroïne de la Gironde avait prémédité son action, et que l'impartiale histoire ne saurait se dispenser de flétrir. Il y avait en effet dans Marat deux hommes ; ce prédicateur obstiné de meurtres politiques n'était pas inaccessible à la pitié. Vivant de la vie du peuple, et bien supérieur en cela à ses prétendus successeurs qui prêcheront la médiocrité et parleront le langage des halles en s'asseyant à la table des riches et en travaillant à édifier leur fortune, il resta jusqu'à la fin fidèle à lui-même. On s'est grossièrement trompé lorsqu'on l'a présenté comme penchant vers l'indulgence au moment de sa mort ; ses derniers numéros démentent tout à fait dette supposition. La vérité est qu'il pensait absolument comme Robespierre à l'égard de la funeste secte des enragés dont nous avons déjà dit quelques mots, et qu'il harcelait impitoyablement les Varlet, les Jacques Roux et les Leclerc. Le plus cruel des fléaux que nous ayons à combattre pour faire triompher la liberté, écrivait-il dans son numéro du 4 juillet[109], ce n'est point les aristocrates, les royalistes, les contre-révolutionnaires, mais les faux patriotes exaltés qui se prévalent de leur masque de civisme pour égarer les bons citoyens et les jeter dans des démarches violentes, hasardées, téméraires et désastreuses. N'était-ce point là l'écho fidèle des paroles que déjà nous avons entendu Robespierre prononcer à la tribune de la Convention ou à celle des Jacobins ? Si Marat avait vécu, il aurait donc, on peut l'affirmer hardiment, suivi la ligne de Maximilien, dont il resta constamment l'admirateur, et auquel il ne reprocha jamais que deux choses, à savoir : de ne pas comprendre ses théories sanguinaires et de ne point admettre la nécessité d'un dictateur. Double reproche honorant également celui qui en fut l'objet. Mais son imagination maladive n'aurait-elle plus été en proie aux visions sanglantes, eût-il renoncé à ces exagérations de langage blâmées par Robespierre comme compromettantes pour la liberté même ? — ce qui avait fait dire à l'Ami du peuple, on ne l'a pas oublié, que Maximilien possédait toutes les vertus d'un excellent citoyen, mais qu'il n'avait ni les vues ni l'audace d'un homme d'État ; — cela est bien difficile à prévoir. Si donc Robespierre ne s'associa pas entièrement aux louanges un peu exagérées qui, à la Convention et aux Jacobins, tombèrent des bouches de Thirion, de Chasles, de Bentabole et de quelques autres, ce fut bien évidemment pour ne pas laisser croire au pays que la Convention partageait sans réserve toutes les idées de Marat, et non point par jalousie, comme on l'a dit. Jaloux de Marat vivant, passe encore ; nulle parole de lui n'autorise à le croire, et nous l'avons entendu défendre l'Ami du peuple abandonné par Danton lui-même ; mais jaloux de Marat mort ! pourquoi ? je cherche en vain. Est-ce que les honneurs rendus à la mémoire de l'Ami du peuple touchaient en rien à son immense popularité et à l'énorme influence morale dont il jouissait ? Il est, en conséquence, assez peu logique d'aller chercher dans un sentiment bas une explication qui ressort très-clairement et très-naturellement de l'opinion antérieure et constante de Robespierre. Il eut, du reste, pour la victime des paroles pleines de convenance. Seulement il regretta qu'on s'occupât d'hyperboles outrées, de figures ridicules et vides de sens, au lieu de songer aux remèdes exigés par la situation du pays, ce qui était à son sens la meilleure manière d'honorer la mémoire de Marat. On réclame pour lui les honneurs du Panthéon. — Oui, s'écria alors le maratiste Bentabole, et qu'il obtiendra malgré les jaloux. Sans répondre à l'interruption où sans doute il ne voulut pas voir une allusion personnelle, Robespierre conseilla à ses concitoyens d'ajourner au moment où la République serait victorieuse et affermie les honneurs dus à la vertu et à la mémoire de l'Ami du peuple. Il fallait d'abord que ses assassins et ceux de Michel Lepeletier expiassent le crime atroce dont ils s'étaient rendus coupables. Il fallait instruire partout le peuple et le ramener doucement à ses devoirs, rendre à tous une justice exacte, faire partout affluer les subsistances, s'occuper exclusivement de l'agriculture et des moyens d'en multiplier les rapports, lever une armée révolutionnaire, l'exercer et l'aguerrir. Il faut enfin, dit-il en terminant, que chacun de nous, s'oubliant lui-même au moins quelque temps, embrasse la République et se consacre sans réserve à ses intérêts. En commençant son improvisation, Robespierre avait prononcé quelques mots assez tristement prophétiques[110] : Je prévois que les honneurs du poignard me sont aussi réservés, que la priorité n'a été déterminée que par le hasard, et que ma chute s'avance à grands pas. Il était en effet de ceux qu'on désignait ouvertement aux couteaux, et dans la matinée même, à la Convention, Maure avait déclaré tenir de deux particuliers que Danton, Barère, Hérault, Cambon et Robespierre ne tarderaient pas à être égorgés[111]. La société des Jacobins prit si peu pour des paroles de dépit ou de jalousie le discours de Robespierre, qu'elle chargea Maximilien de rédiger, de concert avec Camille Desmoulins et Félix Lepeletier, une adresse aux Français sur la mort de Marat, adresse dont le frère de Lepeletier Saint-Fargeau donna lecture à la société un peu plus tard[112]. Néanmoins, il ne faut pas oublier que les Thermidoriens reprochèrent comme un crime à Maximilien de n'avoir pas témoigné assez d'enthousiasme pour Marat ; lorsque après Thermidor on porta au Panthéon les restes de ce dernier, on ne manqua pas d'invectiver contre Robespierre pour avoir fait ajourner ces honneurs suprêmes, dont les cendres de l'Ami du peuple ne devaient pas jouir longtemps. Mieux eût valu laisser reposer en paix les restes de Marat dans le jardin des Cordeliers, où d'ailleurs il fut inhumé avec une pompe extraordinaire. La Convention en corps assista à ses funérailles, dont le plan avait été tracé par David. Sur la tombe à peine fermée de l'Ami du peuple, Thuriot, qui présidait la Convention, prononça un éloge funèbre, et, tout en promettant vengeance aux mânes du défunt, il engagea les patriotes à ne point s'exposer, par des démarches hâtives et inconsidérées, à des reproches insidieux de la part des ennemis de la liberté. C'étaient là des recommandations déjà faites l'avant-veille aux Jacobins par Robespierre. Quelques jours après, une fête funèbre eut lieu en l'honneur de la victime, et ce jour-là Maximilien harangua longtemps le peuple du haut d'une tribune dressée devant le palais du Luxembourg[113]. En lisant aujourd'hui le récit des honneurs décernés à Marat, en songeant aux regrets soulevés par sa mort, et en voyant de quelle réprobation sa mémoire est encore l'objet aux yeux d'un nombre infini de personnes, on se demande où est l'erreur, où est la vérité. Pour ma part, j'incline à croire avec Robespierre qu'il y a eu exagération dans les regrets, comme il y a encore excès de réprobation. Le temps et surtout une connaissance plus approfondie de la Révolution rétabliront l'équilibre. Maintenant, — rapprochement étrange, bien de nature à faire réfléchir ceux qui dénigrent systématiquement, — un poète entonna l'hymne du poignard, chanta l'assassin et plaça son crime au rang des actes héroïques ; un autre poète composa les paroles du chœur à la gloire des martyrs de la liberté, chanté le jour de la translation du corps de Marat au Panthéon : l'un, c'est André Chénier ; l'autre, Marie-Joseph, son frère. XIV Le jour même où Charlotte Corday accomplissait son œuvre sanglante, Robespierre entretenait la Convention d'une des plus nobles choses et des plus essentielles dont puissent s'occuper des législateurs, je veux parler de l'instruction publique et de l'éducation nationale, double objet d'une importance capitale qu'avaient négligé les deux précédentes Assemblées. Ce sera l'éternel honneur de la Convention d'avoir, au milieu des plus terribles orages, apporté toute sa sollicitude à l'amélioration des hommes, et de n'avoir pas, au bruit de la foudre, détourné son attention des grandes questions économiques et sociales. A Robespierre revient sans conteste la gloire d'avoir considéré l'instruction comme un droit primordial, et de l'avoir posée comme une dette de la société[114]. C'était à sa demande qu'elle avait été inscrite comme telle dans la constitution de 1793. Le 13 juillet, il parut a la tribune de la Convention un volumineux cahier de papier à la main ; c'était un plan d'éducation publique par Michel Lepeletier de Saint-Fargeau, son testament politique pour ainsi dire. Félix Lepeletier, frère du défunt, avait sollicité l'honneur de présenter lui-même à l'Assemblée l'œuvre de son frère, et sa demande avait été d'abord favorablement accueillie ; mais plusieurs membres pensèrent qu'il serait d'un mauvais exemple de permettre à un citoyen étranger à la Convention d'occuper la tribune nationale ; et lorsque, dans la séance du 3 juillet, Chabot pria ses collègues de fixer le jour où Félix Lepeletier serait entendu, l'Assemblée, revenant sur sa décision première, décréta que l'œuvre de Lepeletier Saint-Fargeau serait seulement imprimée aux frais de la République[115]. C'était là une bien mince compensation, l'immense fortune de la famille Lepeletier lui permettant de se passer d'une pareille assistance, et l'avantage d'être imprimée aux frais de l'État ne pouvant équivaloir, pour une œuvre importante, à celui d'être lue en séance publique sous les yeux du pays et de l'univers. Il est facile de comprendre combien dut être froissée la piété fraternelle de Félix Lepeletier, et combien amers furent ses regrets. Il n'y avait qu'un moyen désormais de faire accorder au travail de Michel Lepeletier les honneurs d'une lecture en pleine Convention, c'était d'obtenir du comité d'instruction publique qu'il soumît lui-même à l'Assemblée ce plan d'éducation comme ayant un caractère d'utilité nationale. Robespierre, bien évidemment d'accord avec Félix, se chargea d'avoir l'assentiment du comité d'instruction publique, et ce fut au nom de ce comité même qu'il monta le 13 juillet à la tribune de la Convention[116]. Avant de donner lecture de l'œuvre de Michel Lepeletier, Robespierre voulut rendre à l'homme dont il avait été l'ami depuis l'origine de la Révolution un dernier et magnifique hommage. Il commença par annoncer à ses collègues que le comité serait bientôt en mesure de présenter l'ensemble du travail sur l'instruction publique confié à ses soins, mais qu'en attendant, comme garant de ses principes et pour satisfaire l'opinion, il tenait à faire connaître à la Convention l'ouvrage d'un homme illustre mis par le tombeau à l'abri des coups de l'envie et de la calomnie, si toutefois les satellites de la tyrannie savaient respecter même les droits des tombeaux ; puis il continua en ces termes : Avec la mémoire de ses vertus, Michel Lepeletier a légué à sa patrie un plan d'éducation que le génie de l'humanité semble avoir tracé. Ce grand objet occupait encore ses pensées lorsque le crime plongea dans son flanc le fer sacrilège. Celui qui disait : Je meurs content, ma mort servira la liberté, pouvait se réjouir de lui avoir rendu d'autres services moins douloureux à sa patrie. Il rie quittait point la terre sans avoir préparé le bonheur des hommes par un ouvrage digne de sa vie et de sa mort. Citoyens, vous allez entendre Lepeletier dissertant sur l'éducation nationale ! Vous allez le revoir dans la plus noble partie de lui-même. En l'écoutant vous sentirez. plus douloureusement la perte que vous -avez faite ; et l'univers aura une preuve de plus que les implacables ennemis des rois, que la tyrannie peint si farouches et si sanguinaires, ne sont que les plus tendres amis de l'humanité[117]. La Convention entendit avec une religieuse attention la lecture du remarquable travail de Lepeletier, laquelle ne dura pas moins de plusieurs heures. Jamais œuvre, du reste, n'avait mérité d'être écoutée avec plus de sympathie et d'intérêt. Former des hommes, d'une part, et de l'autre propager les connaissances humaines, telles étaient, suivant Michel Lepeletier, les deux parties bien distinctes du problème qu'on avait à résoudre et dont jusqu'ici l'on n'avait pas suffisamment établi la distinction. Offerte à tous, l'instruction serait, par la force même des choses, le partage du plus petit nombre ; l'éducation, au contraire, devait appartenir à tous sans distinction, et par conséquent être commune. Déjà l'on avait proposé quatre degrés d'enseignement : les écoles primaires, les écoles secondaires, les lycées et les instituts ; mais quelques-uns seulement étaient appelés à profiter de l'enseignement des lycées et des instituts, et les écoles primaires telles qu'on les avait imaginées n'avaient pas paru à Lepeletier en état de fournir les notions suffisantes. Il réclamait une instruction générale, comme la dette de la République envers tous ; en un mot, une éducation vraiment et universellement, nationale, a laquelle seraient astreints tous les enfants, les filles depuis l'âge de cinq ans jusqu'à onze, leur développement étant plus précoce que celui des garçons ç ceux-ci depuis cinq ans jusqu'à douze, parce qu'à ce dernier âgé les enfants, déjà propres à l'agriculture, au commerce et à l'industrie, peuvent gagner leur subsistance, apporter à leurs familles un surcroît de ressources, apprendre divers métiers ; parce qu'enfin c'est l'âge où l'esprit, déjà façonné, peut d'une manière fructueuse commencer à se livrer à l'étude des belles lettres, des sciences ou des arts. Ce qu'il voulait enfin donner aux enfants par cette éducation commune à tous et égale pour tous, c'était ces aptitudes morales et physiques qu'il importait à tous d'avoir dans le cours de la vie, quelle que fut d'ailleurs la position particulière de chacun d'eux. Il ne s'agissait point de les disposer à telle ou telle carrière déterminée, mais de les diouer des avantages dont l'utilité est incontestable dans tous les états, dé les mettre fi même de recevoir, en sortant de l'enfance, les modifications spéciales des professions diverses dont se compose la société. Bonne jusqu'à douze ans, parce que jusqu'à cet âge on avait à former des hommes, et non particulièrement des artisans, des laboureurs ou des savants, cette éducation première cessait dès que l'âge de prendre un état était arrivé. Préparer à la République des citoyens robustes et sains, tel était le but à atteindre en formant un bon tempérament aux enfants, en augmentant leurs forces, en favorisant leur croissance, en développant en eux la vigueur, l'adresse, l'agilité, en les endurcissant contre la fatigue et les intempéries des saisons. Donc absence de toutes superfluités, coucher dur, nourriture saine mais frugale, vêtement commode mais grossier ; de cette façon l'enfant du pauvre, en rentrant dans sa famille, n'aurait pas à changer d'existence ; quant à l'enfant du riche, qui sait si un jour il n'aurait pas, lui, à bénir l'âpre austérité, la rudesse salutaire de son éducation première ? Le point capital, c'était l'accoutumance au travail, c'est-à-dire ce courage et cette persévérance à entreprendre les tâches les plus pénibles. Créer de bonne heure dans las enfants le besoin et l'habitude du travail, n'était-ce pas les armer du meilleur préservatif contre la misère et le crime ? De là nécessité de les plier à une discipline exacte et de combiner le plus heureusement possible les travaux du corps et ceux de l'esprit. Leur enseigner, par la pratique, les notions élémentaires de l'agriculture et de l'industrie, de telle sorte que leurs labeurs fussent tout de suite relativement productifs, était indispensable. En ce qui concernait le développement de l'intelligence et de l'esprit, il y avait ce que Lepeletier appelait avec juste raison le nécessaire pour chaque citoyen. Il fallait par conséquent non-seulement instruire les enfants dans les principes de la morale, indépendamment de tout culte, leur apprendre à lire, à compter et à mesurer, mais encore leur fournir les éléments du dessin et de la géographie, leur donner une connaissance sommaire de la constitution de leur pays, des notions d'économie domestique et rurale, et développer en eux le don de la mémoire en y gravant les plus beaux récits de l'histoire des peuples libres et de la Révolution française. C'était, comme on le voit, beaucoup plus qu'on n'enseigne dans nos écoles primaires, et ce n'était pas trop. Partisan, en principe, de l'instruction obligatoire, Michel Lepeletier n'entendait pas astreindre les parents à envoyer immédiatement leurs enfants à l'école nationale, ne voulant pas rompre brusquement avec de vieux préjugés. Il proposait à la Convention d'accorder un délai de quatre ans pendant lequel l'éducation commune ne serait que facultative ; mais, passé ce délai, quiconque refuserait d'envoyer ses enfants à l'école devait être privé de L'exercice de ses droits de citoyen pendant tout le temps qu'il se serait soustrait à l'accomplissement de ce devoir civique, et, en outre, payer double la contribution applicable à l'enseignement. Il était en effet pourvu aux frais de ces établissements d'éducation nationale au moyen de taxes progressives, de manière que le pauvre, payant une somme à peu près nulle, trente sous par an, se trouvait secouru par le riche dans ce qui lui manquait. C'était une sorte d'assurance mutuelle contre l'ignorance, et les familles peu aisées n'avaient plus à se plaindre qu'on les accablât d'une charge nouvelle en les obligeant d'envoyer leurs enfants à l'école et à se priver de son travail, puisque c'était non-seulement l'instruction, mais encore la nourriture et le vêtement que la nation offrait à l'enfant pauvre. L'administration de ces nouveaux établissements d'instruction publique, répartis à raison d'un par canton, était confiée à un conseil de cinquante-deux pères de famille choisis tous les ans par tous les pères de famille du canton réunis. Chacun des membres de ce conseil était tenu de résider durant une semaine dans la maison d'éducation pour y suivre la conduite des enfants et des maîtres, s'assurer de la bonne qualité et de la juste distribution des aliments, et maintenir la stricte exécution des règlements ; de cette manière l'enfant n'échappait pas un seul instant à l'œil de la paternité. Là s'arrêtait l'instruction obligatoire donnée par l'État. En sortant des écoles nationales, les enfants étaient remis entre les mains de leurs parents, pour être ensuite répandus suivant leurs aptitudes dans les ateliers de commerce, d'industrie et d'agriculture, ou bien dans les instituts et les lycées où devait s'achever l'instruction par les soins de maîtres payés par la nation. Il faut lire en entier cette œuvre de Lepeletier Saint-Fargeau, si pleine des choses les plus vraies et les plus touchantes, et qu'anime d'un bout à l'autre le véritable amour de l'humanité. Malheureusement notre cadre ne nous permettait pas de longues citations de ce rapport, et nous ne nous y sommes si longtemps arrêté que parce que Robespierre, après en avoir donné lecture, déclara que, pour sa part, il adoptait, dans son ensemble, le plan d'éducation proposé par Lepeletier, et parce qu'il le défendit vivement contre l'abbé Grégoire, lorsque, quelque temps après, s'ouvrit la discussion sur l'instruction publique[118]. XV Au premier moment, la Convention nationale fut sur le point d'adopter d'enthousiasme le plan d'éducation de Lepeletier, tant elle se sentit touchée des idées neuves et ingénieuses de l'auteur ; mais on pensa qu'il ne fallait pas se laisser influencer par un mouvement d'admiration, et que l'adoption d'un tel plan devait être le résultat de la réflexion et d'une discussion approfondie[119]. Le 29 juillet, l'ordre du jour ayant appelé la discussion sur l'instruction publique, Robespierre monta à la tribune afin de soutenir le projet de son ami, projet auquel il avait apporté quelques modifications devenues nécessaires quand ; sortant du domaine de la théorie pure, on entrait dans celui de l'application[120]. Alors, comme aujourd'hui, il se trouva beaucoup de gens pour combattre l'instruction obligatoire, en invoquant la liberté et les droits du père de famille, comme si les droits de ce dernier ne se trouvaient pas restreints en beaucoup de points, comme si l'enfant n'appartenait pas à la société en même temps qu'au père, comme si enfin c'était une liberté bien respectable que celle qui permettait qu'on tînt l'enfant plongé dans une éternelle ignorance et qu'on le vouât peut-être fatalement ainsi à la misère, au crime, à l'infamie. On peut s'en rapporter au père pour élever son fils, disait-on comme à présent, et avec cette théorie-là on est arrivé à ce point qu'à présent encore, chose honteuse ! un tiers de la population dans notre pays n'a pub reçu les premiers éléments d'instruction. Parmi les opposants au projet de Lepeletier, amendé par Robespierre, nous avons le regret de citer l'illustre abbé Grégoire t bien que plusieurs de ses objections aient, à nos yeux, une grande portée. Mais sur celles tirées des dépenses énormes dont on aurait à charger le budget de la République, sur les inconvénients de priver la famille de la présence de l'enfant, sur les services que cet enfant pouvait rendre à la campagne, notamment pour la surveillance des bestiaux, la préparation des aliments et une foule de travaux rustiques, combien les réponses étaient faciles ! Quant à l'énormité des frais, s'il y a une dépense productive c'est assurément celle consacrée à l'instruction, et d'ailleurs les chiffres fournis plus tard par Lakanal durent-être de nature à rassurer tout à fait l'évêque de Blois. De son côté, Robespierre prouva très-bien que l'adoption du plan soutenu par lui ne coûterait aucun sacrifice à la tendresse des parents. Après avoir montré les avantages énormes dont profiteraient les familles pauvres en envoyant leurs enfants aux écoles nationales, il ajoutait : Il n'est pas vrai que l'enfant soit éloigné de ses parents, il reste avec eux les cinq premières années, il reste auprès d'eux les sept années d'éducation, quand il passe dans les mains de la patrie. D'ailleurs il y a dans ce plan une idée sublime en faveur de la nature, c'est la création du conseil des pères de famille qui surveillera et jugera les instituteurs des enfants. Si vous adoptes ce plan, la naissance d'un enfant, cette époque si heureuse pour la nature, ne sera plus une calamité pour une famille indigente, elle ne fera plus le sacrifice d'une partie de son existence pour l'alimenter. C'est la République qui pourvoit à ses premiers besoins. On oppose encore que le père indigent ne voudra point se priver des services que son enfant peut lui rendre après l'âge de cinq ans ; mais peut-on supposer qu'il regrettera ces services si souvent nuis, quand par l'instruction de son fils il en recevra dont l'importance ne peut pas même se comparer ? Jusqu'ici je n'ai entendu que plaider, la cause des préjugés contre les vertus républicaines. Je vois, d'un côté, la classe des riches qui repousse cette loi, et de l'autre le peuple qui la demande ; je n'hésite plus, elle doit être adoptée. Je demande la priorité pour le plan de Lepeletier[121]. Beaucoup de projets, en effet, avaient été mis en avant. Lacroix, tout en acceptant l'éducation commune comme une dette nationale, ayant combattu, lui aussi, le principe de l'obligation, Robespierre pria la Convention d'examiner d'abord si l'instruction publique serait forcée ou volontaire, et de décider tout de suite jusqu'à quel point la volonté particulière devait céder à la volonté générale, laquelle n'avait pour but que le bonheur commun[122]. La Convention nationale n'osa aller aussi loin que l'aurait voulu Maximilien ; mais en décrétant séance tenante qu'il y aurait des établissements nationaux où les enfants seraient élevés et instruits en commun, et que les familles qui voudraient conserver leurs enfants dans la maison paternelle auraient la faculté de les envoyer dans des classes instituées à cet effet, elle avançait d'un grand pas flans la voie du progrès et donnait au monde un noble exemple. A quel degré de civilisation ne serions-nous point parvenus aujourd'hui si tous ses décrets avaient été ponctuellement exécutés ! Et que d'admirables institutions vinrent se grouper autour de ces fondements de l'instruction publique, nées aussi au souffle puissant de la raison et de la philosophie ! C'est Voltaire, c'est Rousseau, c'est Diderot, qui triomphent, grâce à leurs élèves immortels. Nous n'avons pas à insister là-dessus ; il importe seulement de dire que, comme membre du comité d'instruction publique, Robespierre a sa part de gloire dans les grandes choses décrétées sur le rapport de ce comité. Mais à lui surtout, répétons-le, revient l'honneur d'avoir fait inscrire dans la constitution française l'instruction comme une dette de la société. Après avoir posé en principe que celle-ci était tenue de fournir à tous du travail et du pain, il comprit quelle ne pouvait se dispenser de donner également à tous la nourriture intellectuelle, non moins nécessaire et non moins précieuse. Eh bien ! après Thermidor, un homme osa lui reprocher d'avoir voulu empêcher l'instruction publique[123], comme Hourtois, dans son indigne rapport, l'accusa d'avoir été l'ennemi des écrivains et des artistes. Mais, cette fois, c'était un honnête homme, Lequinio, qui, après avoir été l'un des plus fervents admirateurs .de Robespierre[124], venait jeter la pierre au vaincu et se mêler à la tourbe de ses calomniateurs. Ce serait à n'y pas croire, en vérité, si Ton ne savait ce qu'il y a de lâchetés parmi les hommes, si l'on ignorait quel trouble moral les réactions jettent dans les meilleures natures, depuis le renoncement de Simon Barjone jusqu'à celui de tant d'amis et d'admirateurs de Robespierre qui, non contents de le renier après sa chute et de courber la tête en silence devant les insultes dont sa mémoire était l'objet, ont eux-mêmes apporté un appoint à la calomnie pour expier leur amitié et leur admiration. XVI Du récit de ces luttes pacifiques, auxquelles la Convention, calme au milieu du feu, se livrait au bruit du canon, de la coalition qui s'avançait, — elle discutait également alors et votait les premiers articles du Code civil, — il nous faut passer au récit de scènes terribles et violentes, mais d'une incomparable grandeur. De jour en jour la situation s'assombrissait. L'assassinat de Marat, avons-nous dit, avait été doublement funeste : d'abord il tuait les Girondins, et puis il faisait surgir une foule d'imitateurs qui, sans avoir le patriotisme morne et sincère de l'Ami du peuple, exagérèrent encore ses exagérations et causèrent un mal infini. Sur la scène de la Révolution nous allons en effet voir apparaître au premier plan des énergumènes d'un nouveau genre, lesquels, par des folies encore inconnues, soulèveront gratuitement contre le gouvernement républicain des millions de consciences. D'autre part, la République menaçait de périr étouffée entre les départements insurgés et l'Europe, qui la cernait de tous côtés. Tout le Midi était sous les armes ; encore quelques semaines, et Toulon, en se livrant aux Anglais, allait commettre le plus noir des crimes dont une population se puisse rendre coupable. A Lyon, la terreur, inaugurée par la Gironde, fonctionnait avec une violence inouïe contre les patriotes ; Chalier périssait, horriblement mutilé par la guillotine, et les Girondins, servant, sans le vouloir peut-être, de manteau aux royalistes, donnaient au royaliste Perrin, ci-devant comte de Précy, le commandement des troupes lyonnaises, comme dans le Calvados ils avaient mis à la tête des forces insurrectionnelles le royaliste Wimpfen. En présence de tels dangers, la Convention n'eut pas un seul instant d'hésitation ; son énergie semblait croître avec ses périls. Comment ne pas admirer sans restriction l'héroïsme de tous ceux qui dans ces suprêmes circonstances surent la maintenir à la hauteur de la situation ! Dans une de ces notes dont nous avons déjà parlé, et sur un de ces chiffons de papier mis au jour par les Thermidoriens, Robespierre écrivait à cette époque : Il faut une volonté une. Il faut qu'elle soit républicaine ou royaliste. Pour qu'elle soit républicaine, il faut des ministres républicains, des papiers républicains, des députés républicains, un gouvernement républicain. Des premiers mots de cette note, à laquelle les Thermidoriens ont, avec cette mauvaise foi dont ils ne se sont jamais départis, assigné une date voisine du 9 Thermidor, on a inféré que Robespierre aspirait au gouvernement d'un seul[125]. Il est clair comme le jour que, dans la pensée de Robespierre, c'est la volonté nationale qui doit être une, c'est-à-dire républicaine ou royaliste, comme cela résulte d'ailleurs des trois dernières lignes de la note : Les affaires étrangères ? — Alliance avec les petites puissances, mais impossible aussi longtemps que nous n'aurons point une volonté nationale. , d'ailleurs, nous le verrons combattre énergiquement tout ce qui était de nature à donner au gouvernement une allure dictatoriale, comme il s'était toujours montré radicalement opposé à l'idée favorite de Marat de donner à la France un dictateur temporaire. La guerre étrangère, poursuivait-il dans la note en question, est une maladie mortelle, tant que le corps politique est malade de la révolution et de la division des volontés. Quoi de plus vrai ? Dans ses grands discours sur la guerre, dont sans doute on a gardé le souvenir, n'avait-il pas, hélas ! trop bien prévu toutes les complications dans lesquelles la guerre étrangère, impolitiquement prêchée par les Girondins, jetterait fatalement la Révolution, déjà déchirée à l'intérieur par tant de factions diverses ? Or, ces dangers du dedans, ils ne venaient plus seulement des royalistes enragés, des Constitutionnels, des Feuillants, ils venaient de cette portion bourgeoise aveuglée qui de toutes parts se soulevait à la voix des Girondins. Ceux-ci ne s'en allaient-ils pas partout présentant leurs adversaires, suivant le tempérament des localités, ici comme des royalistes, là comme des prédicateurs de meurtres et des spoliateurs ? N'était-ce pas un appel aux plus viles passions, celles de la peur et de l'égoïsme, que cette phrase de l'adresse rédigée par la commission girondo-royaliste qui à Lyon organisait la révolte : Ne souffrez pas qu'on vienne ravir vos propriétés ? Stratagème d'autant plus odieux que ceux qui en usaient savaient parfaitement que les hommes de la Montagne avaient comme eux le respect de la propriété. C'est pourquoi, dans cette note confidentielle, dans cette sorte de memorandum où il consignait ses craintes, ses appréhensions, les arguments à développer à la tribune de la Convention ou à cette des Jacobins, Maximilien écrivait encore : Les dangers intérieurs viennent des bourgeois ; pour vaincre les bourgeois, il faut rallier le peuple. Tout était disposé pour mettre le peuple sous le joug bourgeois et faire périr les défenseurs de la République sur l'échafaud. — On n'a point oublié les cris : Robespierre, Danton à la guillotine ! — Ils ont triomphé à Marseille, à Bordeaux, à Lyon ; ils auraient triomphé à Paris sans l'insurrection actuelle. — L'insurrection du 31 mai. — Il faut que l'insurrection actuelle continue jusqu'à ce que les mesures nécessaires pour sauver la République aient été prises. Il faut que le peuple s'allie -à la Convention et que la Convention se serve du peuple. Il faut que l'insurrection s'étende de proche en proche sur le même plan ; que les sans-culottes soient payés et restent dans les ailles. Il faut leur procurer des armes, les colérer, les éclairer. Il faut exalter l'enthousiasme républicain par tous les moyens possibles. Et, en effet, si l'on examine de près la situation, on reste convaincu qu'il n'y avait pas d'autre voie de salut pour la République. A de suprêmes dangers il fallait de suprêmes efforts. La France était perdue, a dit avec raison un éminent écrivain, si ses ennemis eussent eu la centième partie du génie et de la vigueur déployés par le comité de Salut public[126]. Si les députés sont renvoyés, ajoutait Robespierre, la République est perdue ; ils continueront d'égarer les départements, et leurs suppléants ne vaudront pas mieux[127]. On avait proposé à la Convention de considérer comme ayant volontairement abdiqué leurs fonctions tous les représentants suspects d'attachement à la Gironde qui, absents par congé ou par commission, et qui, rappelés dans le sein de l'Assemblée, n'auraient pas obéi dans la huitaine à partir de la signification de cet ordre, et de les remplacer par leurs suppléants. Mais cette mesure impolitique n'avait pas été adoptée, et l'on peut certainement en attribuer le rejet à l'influence de Robespierre[128]. Procurer des armes au peuple, porter au comble son énergie et son exaspération contre les ennemis du pays, l'éclairer surtout, tel va être l'unique souci des patriotes en général et de Robespierre en particulier dans les trois mois que nous allons parcourir. Tout ce que le génie du patriotisme peut enfanter de grandeur, tout ce que l'imagination peut concevoir de plus sublime et de plus sombre à la fois, il va nous être donné de le contempler. Indomptable et toujours sur la brèche dans ces heures décisives où il s'agissait pour la République d'être ou de ne pas être, Maximilien fera retentir la tribune de la Convention et surtout celle des Jacobins de paroles plus terribles aux traîtres et aux envahisseurs de notre patrie que les baïonnettes de nos soldats, et cela sans jamais s'écarter de la voie qu'il s'était tracée entre la faiblesse d'une part et l'exagération de l'autre. Le peuple se sauvera lui-même, s'écria-t-il aux Jacobins, dans la séance du 9 août 1793. Il faut que la Convention appelle autour d'elle tout le peuple français ; il faut qu'elle réunisse tous nos frères des départements ; il faut que nous fassions un feu roulant sur nos ennemis extérieurs, il faut écraser tous ceux du dedans[129]. Et d'abord, malheur aux généraux dont la conduite laissait place aux soupçons. L'œil fixé sur eux, Robespierre épiait leurs moindres actions. Il savait bien que la liberté périt toujours par les chefs d'armée. Combien de fois nous l'avons entendu engager ses concitoyens à se méfier de l'engouement trop ordinaire des peuples pour les généraux victorieux, et combien de fois il demanda que les officiers d'un civisme douteux fussent remplacés par des officiers patriotes ! La Révolution avait, comme an sait, laissé une foule de nobles à la tête de nos troupes ; beaucoup avaient émigré. Parmi ceux qui étaient restés, les uns servaient à contre-cœur une cause dont ils ne souhaitaient pas le triomphe ; les autres, en bien petit nombre, s'étaient sincèrement attachés à la République. Malgré son peu de confiance dans le civisme de l'ancienne noblesse demeurée en France, Robespierre était loin de penser, comme plusieurs de ses collègues, que la seule qualité de noble dût être un titre de proscription. On l'avait entendu un jour parler en faveur de Biron, on va le voir prendre la défense de Lavalette. De regrettables différends avaient éclaté à Lille entre ce général et le général Lamarlière, intime ami et protégé de Custine qui commandait alors l'armée du Nord. Mais le premier s'était acquise la confiance du peuple en s'opposant jadis aux manœuvres de Dumouriez, en arrêtant de sa main le général Miaczinki, et surtout en organisait admirablement la défense de Lille, de cette ville héroïque contre laquelle s'épuisaient en vain tous les efforts des Autrichiens. Aussi avait-il pour lui les soldats, la garnison, la société populaire, tous les patriotes en un mot. Le général Lamarlière,. au contraire, s'était obstiné à rester à Lille en violation d'un arrêté du conseil exécutif qui remettait au général Favart le commandement de cette place, et ses anciennes liaisons avec Dumouriez l'avaient rendu fort suspect. On lui reprochait d'avoir, à diverses reprises dans une journée, laissé ouvertes les portes de la ville, comme pour habituer le peuple à cette infraction à la loi, et d'avoir permis à des parlementaires ennemis de s'avancer jusque sous les canons de la place. Malgré cela, les commissaires de la Convention, Duhem entre autres, influencés par Custine et trompés par ses insinuations, avaient suspendu le général Lavalette de ses fonctions et lui avaient ordonné de venir rendre compte de sa conduite au comité de Salut public, en enjoignant à Lamarlière, laissé, lui, dans son commandement, de se transporter également à Paris pour fournir des explications. Ces faits, révélés à 15 Convention nationale dans la séance du 24 juillet, amenèrent Robespierre à la tribune. Instruit de tous les événements qui s'étaient passés à Lille, et les mains pleines de preuves, il crut pouvoir attester sur sa tête à toute la France qu'il n'y avait pas de précautions que Lamarlière n'eût prises pour livrer Lille aux Autrichiens, et de moyens que Lavalette n'eut employés pour s'y opposer. Ail reste, ce dernier officier se justifierait aisément devant le comité de Salut public et serait tout de suite renvoyé à son poste, il en avait la conviction. Quant à Lamarlière et à Custine, son protecteur, leur trahison serait promptement mise à découvert ; il s'engageait à les confondre lui-même[130]. Bentabole accusa Duhem, dont il ne suspectait pas d'ailleurs le patriotisme, de s'être laissé tromper par les insinuations perfides de Custine, et il lui reprocha d'avoir écrit dans une lettre l'éloge de ce général. Alors Robespierre, avec trop peu de ménagement peut-être pour un patriote égaré, demanda rudement le rappel de Duhem, s'étonnant que ce représentant eût pu faire l'apologie de Custine et terminer sa mission par un acte aussi incivique. Ce rappel fut sur-le-champ voté par la Convention, laquelle confirma, séance tenante, un arrêté du comité de Salut public désignant de nouveaux commissaires près l'armée du Nord[131]. Le soir, aux Jacobins, un aide de camp de Lavalette, envoyé par le général Favart, commandant de la place de Lille, et en qui les républicains avaient pleine confiance, donna des explications très plausibles sur la conduite respective des généraux Lavalette et Lamarlière. Un membre nommé Portallier, tout en ne trouvant pas mauvais qu'on eût parlé en faveur de Lavalette, quoique noble, réclama, en s'appuyant de l'autorité d'Hébert, la proscription de tous les nobles. Cette motion fut fortement appuyée par le député Chasles. Celui-ci aurait voulu que les nobles fussent chassés de tous les emplois et ne pussent rentrer au service de la République qu'après avoir donné pendant dix ans d'incontestables preuves de civisme. Alors Robespierre : Je n'ai pas besoin de faire ma profession de foi sur les nobles, mais tous ces lieux communs sur la noblesse, qu'on vous répète maintenant, nous écartent de l'objet le plus intéressant qui puisse nous occuper en ce moment, la défense de Lille. Après avoir rappelé ce qu'il avait dit à ce sujet dans la journée à la Convention, il trouva étrange qu'on se fût tant appesanti sur la noblesse de Lavalette, quand Lamarlière et Custine, qui étaient non moins nobles, avaient trouvé parmi des représentants du peuple de si ardents défenseurs. Il montra la dénonciation contre Lavalette jointe à une dénonciation non moins calomnieuse dirigée contre Bouchotte, le ministre patriote, et vit dans cette coïncidence l'indice d'un complot aristocratique ; puis, en terminant, il engagea ses concitoyens à se méfier des gens dont les dénonciations sans fondement n'avaient d'autre but que de courtiser le peuple[132]. Moins de huit jours plus tard, la Convention nationale, après avoir entendu un rapport de Jean-Bon Saint-André, déchargeait Lavalette de toute accusation et traduisait le général Lamarlière au tribunal révolutionnaire comme prévenu de complot contre la sûreté de la République[133]. Quant à Bouchotte, Robespierre venait de nouveau à son aide dans la séance du 26 juillet, et, pour la seconde fois, le maintenait à son poste en obtenant de l'Assemblée le rapport d'un décret rendu la veille à la demande de Dartigoyte malgré les, protestations de Boucher Saint-Sauveur, décret en vertu duquel ce ministre que sa probité sévère et son patriotisme rendaient cher aux républicains se trouvait implicitement destitué[134]. Bouchotte, échappé sain et sauf aux orages de la Révolution, a vécu une longue vie, et, dans des mémoires encore inédits, a rendu, j'aime à le croire, pleine justice à celui qui, sans le connaître personnellement, l'avait à diverses reprises défendu contre d'injustes attaques ; mais le pauvre Lavalette, moins heureux, devait payer de sa tête, en Thermidor, la protection de Robespierre. XVII Or, à cette même heure, Custine se trouvait à Paris, où le comité de Salut public l'avait mandé afin qu'il eût à rendre compte de sa conduite. Les plus graves présomptions pesaient sur ce général, que ses liaisons avec les Girondins désignaient aux soupçons des patriotes. Appelé du commandement de l'armée du Rhin à celui de l'armée du Nord, après un échec regrettable, il avait été, à cette occasion, l'objet des plus vives attaques. Quand un général a des torts, écrivait dans le courant du mois de mai le rédacteur d'un journal populaire, on se contente de le changer de destination ; et il accusait formellement Custine d'avoir livré Francfort à l'ennemi. A l'appui des griefs articulés contre ce général, il citait une lettre adressée par lui au duc de Brunswick, à la date du 5 mai, lettre dans laquelle Custine avouait son affliction de n'avoir pu propager la bonne opinion qu'il avait eue jusqu'ici du roi de Prusse et du duc de Brunswick, ce duc qui avait lancé contre la France le manifeste que l'on connaît. J'espère, ajoutait Custine en témoignant l'espérance de conserver l'estime des uns et des autres, j'espère obtenir celle d'un prince que sa sagesse, sa philosophie et l'amour qu'il porte aux peuples qu'il gouverne, appelaient à être le soutien de l'opprimé et le pacificateur du monde[135]. Qu'en écrivant cette lettre, Custine n'ait pas eu la moindre intention coupable, on peut le croire, puisque lui-même la livra à la publicité ; mais de telles lignes, tombées de la plume d'un général placé à la tête des armées de la République, dénotaient au moins une grande légèreté, et il n'y avait rien d'étonnant à ce qu'aux yeux des républicains elles équivalussent presque à une trahison. La conduite ultérieure du général ne fut pas de nature à modifier l'opinion défavorable des patriotes à son égard, et nous avons dit comment, à l'armée du Nord, il s'était fait l'écho complaisant des calomnies girondines contre certains membres de la Montagne. A peine à Paris, on le voit se mêler au groupe des mécontents, et sa présence est saluée des cris de Vive Custine ! par les contre-révolutionnaires du Palais-Royal. Tout cela fut dénoncé à la Convention par Bazire ; et, de plus, ce représentant accusa le général de distribuer de l'argent à certaines femmes afin qu'elles excitassent un mouvement en sa faveur. Il n'en fallut pas davantage à l'Assemblée pour décréter sa mise en état d'accusation. La nation a des doutes sur Custine, s'écria de son côté Danton, il faut qu'il soit jugé. Et il demanda que le ministre de la guerre et le comité de Salut public fussent chargés de rendre compte de tous les faits à la charge de ce général[136]. Il n'y avait là rien de très-grave encore. Mais voilà que coup sur coup arrivent les plus fâcheuses nouvelles. Mayence a capitulé, et l'on apprend que, par un billet de Custine, le commandant de la place avait été engagé à la livrer aux Prussiens ; et les représentants Soubrany et Montaut, le général Houchard, écrivaient comme d'un commun accord : Faites arrêter Custine, c'est un traître[137]. Ce n'est pas tout : d'après une lettre du général Favart, on l'accusait encore d'avoir à dessein dégarni Lille d'une partie de son artillerie de siège ; on lui reprochait d'avoir recommandé à son successeur à l'armé du Rhin d'épargner les Prussiens, et l'on se rappelait involontairement la mission secrète dont son fils avait été chargé jadis auprès du roi de Prusse par Dumouriez. Le 28 juillet, son ancien apologiste, Barère, vint à1a Convention présenter contre lui un rapport foudroyant à la suite duquel il fut décrété d'accusation. Cela dit, et c'était indispensable, on comprendra mieux l'espèce d'acharnement que Robespierre va déployer contre Custine. Déjà à la séance du 24, il l'avait fortement inculpé à propos de l'affaire des généraux Lavalette et Lamarlière, et il se montra peut-être d'autant plus acharné que tout d'abord il était revenu sur son compte à la suite d'une visite d'un de ses affidés nommé Jaubert. Touché d'une lettre adressée par cet officier à ses frères d'armes, il avait même promis de rétracter ce qu'il avait pu dire contre lui aux Jacobins. Mais, informé par Labenette, le rédacteur de l'Orateur du Peuple, qu'on avait abusé de sa confiance[138], Robespierre sentit se changer en sourdes colères ses bonnes dispositions quand il connut les nouvelles dont nous avons donné un aperçu, et surtout quand il vit les ennemis de la Révolution mettre tout en œuvre pour soustraire à la vindicte publique un général fortement prévenu de trahison. Sa colère redoubla quand on apprit la reddition de Valenciennes, qui avait ouvert ses portes à l'heure même où Custine avait été décrété d'accusation, et la perte du camp de César, qui, situé à cinquante lieues de Paris, était de ce côté de la frontière la seule barrière couvrant la capitale. Ces revers désastreux étaient imputés à la trahison de Custine, et son procès n'était pas encore commencé. Laisserait-on sans vengeance la République devenir la proie de l'étranger ? N'était-il pas temps de donner aux généraux un grand exemple de sévérité ? Voilà ce que se demandaient les patriotes les plus fermes. Un jour, — c'était le 10 août 1793, — Robespierre parut aux Jacobins, plus sombre que de coutume, comme si déjà il eût porté le deuil de la patrie. Et pourtant personne moins que lui ne se laissait aller au découragement. Amis de la liberté, dit-il, vos armées ont éprouvé de nouveaux revers, vos ennemis reprennent une nouvelle audace ; tout cela tient à la même cause, à la scélératesse, à la trahison d'une part ; à la faiblesse, à la crédulité de l'autre. Après avoir récapitulé tous les faits à la charge de Custine, il ne put s'empêcher de trouver singulier le peu d'activité imprimé à la procédure. Le tribunal procédait avec la lenteur des anciens parlements ; on était sensible aux pleurs et aux instances des femmes ; mais les insurgés de Lyon et de la Vendée, qui égorgeaient les républicains par centaines, s'attendrissaient-ils aux douleurs des femmes des patriotes ? Et quel était l'homme pour qui l'on implorait la pitié des jurés ? Un général qui, avec la dernière barbarie, avait laissé massacrer dans Francfort des centaines de Français, et auquel était due la perte des villes les mieux fortifiées. Eh bien ! s'écriait Robespierre, sa tête est plus ferme sur ses épaules que la mienne. Mais les succès de l'ennemi n'étaient que le fruit de la trahison, et il n'y avait pas là selon lui, pour les républicains, matière à se décourager. Ce qui doit nous étonner, ajoutait-il, c'est qu'après tant d'échecs, c'est qu'avec tant d'ennemis contre elle, la République subsiste encore ; et, puisqu'elle subsiste, j'en conclus qu'elle est immortelle. D'unanimes applaudissements accueillirent ces paroles pleines de grandeur. Seulement, pour qu'elle triomphât de tant d'obstacles et de périls, il fallait, suivant Robespierre, surveiller d'un œil jaloux les généraux, tous les chefs de corps, et punir sévèrement leurs trahisons ou leurs fautes[139]. Le tribunal suivit très-lentement et avec un soin infini le jugement de Custine ; près de quinze jours y furent employés. Soupçonnant encore des influences étrangères, Robespierre développa aux Jacobins, dans la séance du 19 août, quelques réflexions.sur l'organisation défectueuse du tribunal criminel .extraordinaire, au sujet duquel le substitut du procureur de la commune venait de faire entendre des plaintes amères ; juges et jurés étant, prétendait Hébert, sur le point d'innocenter Custine, pour qui sollicitaient, à son dire, les plus jolies femmes de Paris. Plus d'un juré, assurait-on, avait hautement manifesté ses sympathies en faveur du général. D'après Robespierre, l'erreur du tribunal était de croire qu'un conspirateur aussi haut placé que Custine ne pouvait être jugé comme un coupable ordinaire ; qu'il fallait, pour le condamner, des preuves écrites, tandis que les traîtres sans nombre dont nos armées fourmillaient, les trahisons multipliées dans les campagnes dernières, les revers dus à une impardonnable impéritie, et dont une partie de la responsabilité pesait sur lui, suffisaient à démontrer sa culpabilité. Toutefois, il n'y avait pas lieu, à son avis, d'envelopper tous les membres du tribunal révolutionnaire dans l'espèce de proscription que semblait appeler sur eux la voix publique ; et, comme il les avait déjà défendus contre un homme de sinistre mémoire, contre Carrier, qui, quelque temps auparavant, s'était vivement récrié contre leur indulgence[140], il défendit cette fois encore des magistrats uniquement coupables, en définitive, de vouloir fonder leur conviction sur le plus de preuves possible[141]. Quelques jours plus tard, revenant sur les formes avocatoires dont lui paraissait s'être entortillé le tribunal, il insista sur la nécessité de le réorganiser sur de nouvelles bases, de façon que, n'ayant à juger qu'un seul genre de crime, celui de haute trahison, il pût, dans une époque déterminée et très-courte, frapper les coupables ou élargir les innocents. Indispensable également lui paraissait la création de plusieurs comités révolutionnaires chargés de juger les nombreux attentats qui, tous les jours, se formaient contre la liberté. Il exprima de plus le vœu, — car nous sommes, ici aux Jacobins, et non pas à la Convention, — que les fonctions du comité de Salut public et celles du comité de Sûreté générale fussent bien délimitées, afin qu'il n'y eût pas entre eux de conflit d'autorité. Jean-Bon Saint-André appuya énergiquement les réflexions de Robespierre. Sans s'étonner des excès de luxe et de débauche auxquels, assurait-il, Custine s'était livré à Mayence, il se plaignit amèrement de voir des hommes estimables se joindre à des femmes abusées pour sauver un conspirateur, et des juges, qui devraient venger la patrie sur un traître qui l'avait voulu perdre, conniver ouvertement avec lui. Entre voler et ne pas voler, assassiner ou n'assassiner pas, il n'y a point de milieu, ajouta-t-il. Mais un général qui paralyse ses troupes, les morcèle, les divise, ne présente nulle part à l'ennemi une force imposante, est coupable de tous les désavantages qu'il éprouve ; il assassine tous les hommes qu'il aurait pu sauver[142]. Le surlendemain, Custine était condamné à mort. Avant de prononcer cette condamnation, Coffinhal, — une des futures victimes de Thermidor, — qui du tribunal de cassation avait passé au tribunal révolutionnaire, n'avait pas manqué de recommander à l'auditoire de ne donner aucun signe d'approbation ou d'improbation ; le général Custine n'appartenant plus désormais qu'à la loi, dit-il, il fallait le plaindre de ne s'être pas mieux conduit. Car on se comportait au tribunal révolutionnaire beaucoup plus gravement et plus décemment qu'on ne se l'imagine d'ordinaire, d'après les facéties calomnieusement prêtées par les écrivains de la réaction aux membres de ce tribunal. La mort de Custine était un avertissement sinistre aux généraux placés à la tête de nos troupes. Et quand on songe à quel point les hommes de guerre sont enclins à se mettre au-dessus des lois, surtout, comme le disait Robespierre, lorsqu'une nation se trouve en état de crise et de révolution, on ne saurait s'étonner outre mesure de la sévérité de la République à leur égard. Plus d'intrigues, plus de compromis, plus de condescendance envers l'ennemi, sinon la mort ; plus de faiblesse même. Il arrivera, en effet, qu'un des plus violents accusateurs de Custine, le général Houchard, dont Robespierre avait presque prononcé l'éloge aux Jacobins[143], sera livré lui-même au tribunal révolutionnaire, tant étaient et, fatalement, devaient être grandes, hélas ! les défiances de la Révolution ! XVIII A l'heure où Custine expiait sur l'échafaud des fautes dont il serait difficile de l'excuser, et où il se trouvait si cruellement puni de la perte de Mayence, de Valenciennes, de Condé, du camp de César, causée par sa mollesse et sa nullité, Robespierre était depuis un mois déjà membre du comité de Salut public. Il y fut appelé par la Convention nationale à la place de Gasparin, sur la proposition de Jean-Bon Saint-André[144]. S'il faut l'en croire, — et jamais franchise ne fut plus large que la sienne, — il avait été vivement sollicité, et il y entra contre son inclination[145]. C'était le 26 juillet 1793, juste une année presque jour pour jour, avant sa chute. Jusque-là Maximilien n'avait dû qu'à son éloquence, à son patriotisme et à ses vertus publiques et privées son immense popularité et l'influence dont il jouissait, influence à peu près nulle, du reste, dans la Convention pendant les six premiers mois de l'existence de cette Assemblée, entièrement dominée alors par la Gironde. Durant toute cette période, il n'avait pas eu la moindre part au pouvoir, et quand il parlait de son peu de goût pour l'exercice de cette autorité si enviée des hommes, on pouvait le croire, car, en voyant de près le gouvernement, il se sentit tout de suite saisi d'un profond dégoût à l'aspect des intrigues dont il fut témoin[146]. Le voici maintenant, pour n'en sortir que par une mort violente, membre de ce fameux comité qui dirigea si glorieusement et si heureusement les affaires de la République à l'heure là plus périlleuse et pendant la crise la plus violente-où jamais nation ait été plongée. Là encore nous allons le suivre jour par jour, heure par heure. Nous avons pour cela un guide sûr, infaillible, et dont aucun historien ne s'est encore servi, ce sont les registres des délibérations et arrêtés du comité de Salut public, conservés aux Archives nationales[147]. Nous dirons à quelles mesures il s'associa, et aussi à quelles mesures il s'opposa, en refusant sa signature, quoique présent. Et quand il s'agit d'un homme dont la mémoire a été si légèrement et si méchamment chargée de tout le mal qu'il n'a pu ni empêcher ni prévenir, il était indispensable de se livrer à cette sorte 4 ?autopsie et de procéder aussi minutieusement. C'est ce que comprendra tout lecteur intelligent jet désireux de connaître enfin mérité sur les hommes et sur les choses de la Révolution. Traiter Robespierre dictateur est devenu, depuis les Girondins et les Thermidoriens, une banalité. Je sais même de ses partisans qui, acceptant le mot, lui ont-fait un mérite de sa prétendue dictature. Que par sa seule puissance morale il ait obtenu de la Convention l'approbation de décrets donnes uns sont, à mes yeux, dignes de tous éloges, et les autres plus ou moins regrettables, cela est incontestable. Mais et quoi y a-t-il là apparence de dictature ? Quel étrange abus on a fait de ce nom d'une magistrature romaine ; comme il l'a dit lui-même ! A qui fera-t-on croire sérieusement que les hommes qui composaient avec lui le comité de St public se soient laissé subjuguer par lui ? Nous priverons au contraire que dans certaines circonstances, comme dans l'affaire de Danton, pur exemple, ce fut lui qui, malheureusement, eut la faiblesse de céder. On saura désormais, grâce à nous, quelle doit être sa part de responsabilité dans cette quasi-dictature du comité de Salut public, couverte par l'omnipotence de la Convention. Le jour même de sa nomination, 26 juillet, il siégea pour la première fois au comité, dont les membres, au nombre de neuf, étaient : Barère, Thuriot, Couthon, Saint-Just, Prieur (de la Marne), Robert Lindet, Hérault-Séchelles, Jean-Bon Saint-André et Robespierre[148]. Sa présence, on n'en peut douter, imprima à la marche des affaires plus de netteté, de précision, de rapidité. Le comité arrêta que ses séances s'ouvriraient chaque jour à huit heures du matin au plus tard ; qu'il s'occuperait d'abord de la correspondance, dont le secrétaire-général lui présenterait régulièrement un extrait ; qu'il délibérerait ensuite sur toutes les mesures de salut public ; qu'à une heure ses membres se rendraient à la Convention pour y demeurer jusqu'à la fin de la séance, et qu'enfin, à sept heures du soir, il se réunirait de nouveau[149]. Au reste, le comité n'était pas encore passé à l'état de gouvernement ; le pouvoir exécutif était toujours entre les mains des ministres. Mais ce pouvoir, faible, sans ressort, étranger pour ainsi dire à l'Assemblée, semblait insuffisant à tout le monde. Dans la séance du 1er août, on vit Danton paraître à la tribune. Il venait, à l'instigation de plusieurs membres de l'Assemblée et du comité de Salut public, comme il le déclara lui-même, proposer à la Convention d'ériger en gouvernement provisoire son comité de Salut public et de mettre cinquante millions à la disposition de ce comité. Appuyée par Couthon et par Lacroix, cette proposition trouva dans Robespierre un adversaire résolu. Maximilien en demanda l'ajournement, en se fondant sur ce que l'organisation actuelle du comité était trop défectueuse pour qu'on pût, sans péril, détruire l'autorité du conseil exécutif et paralyser tout à coup le gouvernement existant. L'innovation proposée avait besoin, selon lui, d'être longuement méditée pour être susceptible d'application. L'Assemblée ajourna, malgré l'insistance de Danton, lequel, craignant sans doute qu'on ne soupçonnât dans sa proposition un sentiment d'ambition personnelle, jura hautement de ne point accepter, pour sa part, de fonctions dans le comité[150]. Est-ce que par hasard Robespierre, qu'on n'a pas manqué de présenter en envieux de Danton, comme sans plus de raison plausible on en a fait un envieux des Girondins, eut un seul instant, en combattant la motion de Danton, l'idée d'augmenter encore sa popularité, si c'était possible, au détriment de celle de son collègue ? On va en juger. La secte des enragés, les Vincent, les Varlet, les Lecler tous intimes d'Hébert, s'ameuta contre Danton, dont la proposition devint entre leurs mains une arme avec laquelle elle essaya de détruire le vieux lutteur des Cordeliers. Vincent courut dénoncer cette motion aux Jacobins comme un attentat à la souveraineté du peuple, comme contraire à la constitution, comme émanée de conspirateurs. Pas un ami de Danton ne soufflait mot. Robespierre, indigné, se leva et ne ménagea pas ces hommes nouveaux, ces patriotes d'un jour, qui voulaient perdre dans le peuple ses plus anciens amis. C'est Danton que l'on calomnie ! s'écria-t-il, Danton sur lequel personne n'a le droit d'élever le plus léger reproche ; Danton qu'on ne discréditera qu'après avoir prouvé qu'on a plus d'énergie, de talents ou d'amour de la patrie. Je ne prétends pas m'identifier avec lui pour nous faire valoir tous deux, je le cite seulement comme exemple[151]. Pouvait-on défendre avec de plus nobles accents un vieux compagnon d'armes[152] ? Ah ! si Danton n'avait pas fléchi en chemin, Robespierre, sans aucun doute, ne l'eût jamais abandonné. Non-seulement il le défendit, mais il attaqua avec [une extrême vivacité ses agresseurs, les exagérés dont nous l'avons déjà entendu flétrir les excès patriotiquement contre-révolutionnaires, suivant son expression[153]. Il nomma Jacques Roux, ce prêtre connu seulement, dit-il, par deux actions horribles : la première, d'avoir voulu faire assassiner les marchands, les boutiquiers, parce qu'ils vendaient trop cher ; la seconde, d'avoir décrié la constitution dès le premier jour. Il nomma Leclerc, venu de Lyon pour intriguer, suivi de quelques imposteurs. Quoique dénoncés l'un et l'autre par Marat comme des saltimbanques révolutionnaires, ils s'étaient emparés du titre de l'Ami du peuple et battaient monnaie avec ce nom si vénéré alors[154]. Trois jours après cette nouvelle sortie de Robespierre contre les enragés, veuve de Marat, Simonne Évrard, celle qu'il avait épousée par un beau jour, à la face du ciel, dans le temple de la nature, était admise à la barre de la Convention et s'y plaignait des attentats nombreux commis contre la mémoire de celui dont elle portait le nom. Elle dénonça les folliculaires qui chaque jour vantaient sans pudeur l'assassin de Marat, comme pour encourager les meurtriers à égorger le reste des défenseurs de la liberté, et dont plusieurs, Dulaure et Carra par exemple, siégeaient au sein même de la Convention. Elle dénonça surtout ces écrivains soudoyés, les Jacques Roux et les Leclerc, qui, sous le nom de Marat, s'en allaient prêchant les maximes les plus extravagantes, et s'efforçaient de tromper la foule en se parant du titre de l'Ami du Peuple, sous lequel paraissait leur feuille. C'est là, dit-elle, qu'on ordonne en son nom d'ensanglanter la journée du 10 août, parce que, de son âme sensible, déchirée par le spectacle des crimes de la tyrannie et des malheurs de l'humanité, sont sortis quelquefois de justes anathèmes contre les sangsues publiques et contre les oppresseurs du peuple ; ils cherchent à perpétuer après sa mort la calomnie parricide qui le présentait comme un apôtre insensé du désordre et de l'anarchie. Qu'espérait-on ? continuait-elle. Ah ! sans doute égarer les Français qui de tous les points de la République accouraient à Paris pour l'anniversaire du 10 août, et troubler par quelque catastrophe sanglante cette belle et solennelle journée. Aussi, en terminant, priait-elle, les législateurs de ne pas souffrir que le crime insultât à la vertu, de ne pas laisser impunis ceux qui dévouaient aux poignards les défenseurs de la République, et ceux qui par leurs maximes insensées empoisonnaient l'opinion. La mémoire des martyrs de la liberté est le patrimoine du peuple, dit-elle. En défendant celle de Marat, l'unique bien qu'il eût laissé, l'Assemblée vengerait à la fois la patrie, l'honnêteté, l'infortune et la vertu[155]. Robespierre a-t-il été, comme on l'a cru, et comme on l'a dit, l'instigateur de la démarche de Simonne Évrard, le rédacteur de l'adresse présentée par elle ? Il est difficile de se prononcer à cet égard ; mais il est certain qu'on reconnaît dans cette adresse, ses idées et même son style. S'il avait cru devoir empêcher la translation immédiate du corps de Marat au Panthéon, pour ne pas laisser croire à la France entière qu'en rendant de tels honneurs à l'Ami du peuple, la Convention et la société des Jacobins adoptaient sans réserve les principes d'un homme au patriotisme duquel il avait rendu hommage, mais dont .il avait blâmé l'intempérance de style et les excentricités de langage comme étant de nature à jeter dans la réaction les esprits timides et les amis tièdes de la liberté, il est fort possible qu'il ait cru utile d'opposer l'ombre même de Marat à ses prétendus successeurs, qui n'avaient ni sa bonne foi sauvage ni son austérité, et de mettre par là le peuple en garde contre des exagérations funestes. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il appuya très-vivement la pétition touchante de Simonne Évrard ; qu'il en fit voter l'insertion au Bulletin de la Convention, et que sur sa proposition l'Assemblée chargea son comité de Sûreté générale d'examiner de près la conduite de ces usurpateurs du nom de Marat, qui, tout en comparant l'Ami du peuple à un dieu, attachaient à son nom l'opprobre dont ils étaient eux-mêmes couverts[156]. XIX Le grand problème, aux yeux de Robespierre, ne cessons pas de le répéter, était d'éviter les excès d'une part, et, de l'autre, de ne point tomber dans une faiblesse impolitique capable de permettre à la réaction déjà si forte de reprendre tout à fait le dessus et d'étouffer la République. De là résultait, à ses yeux, la nécessité de ne poursuivre que lés véritables coupables, ceux qui traduisaient en faits leur haine contre la Révolution, et non point les indifférents ni même les malveillants ; de là encore la nécessité de respecter tous les cultes afin de ne pas alarmer les consciences et de ne pas créer inutilement à la République des ennemis sans nombre. Donc, tolérance absolue à l'égard des anciens nobles et des prêtres qui ne donnaient lieu à aucune plainte. C'est pour cela qu'à une séance des Jacobins on le vit s'insurger si vivement contre une proposition d'Hébert et de Chaumette tendant à la déportation en masse de tous les nobles[157] ; c'est pour cela que plus d'une fois encore nous l'entendrons défendre les ministres du culte, par respect pour le principe de la liberté. Il était sage, selon lui, de ne pas rompre trop brusquement avec certaines habitudes et certains préjugés invétérés. C'est pourquoi, dans la séance du 31 juillet 1793, à la Convention, il demanda une étude plus approfondie de la loi du maximum, dont, en beaucoup d'endroits, les ennemis. de la Révolution tiraient parti pour tramer leurs complots en s'adressant à la cupidité et aux passions égoïstes. Le comité de Salut public préparait alors un projet destiné, au dire de Robespierre, à assurer l'abondance et la tranquillité publique. Déjà peu de jours auparavant, Maximilien avait réclamé contre certains articles de la loi terrible punissant de mort les accapareurs. Il aurait voulu, par exemple, qu'on eût égard aux habitudes tu peuple, qui souvent faisait provision de sucre sans avoir l'intention d'accaparer. Mais sa réclamation n'eut aucun succès. Comment, lui dit son ami le vieux Raffron du Trouillet, il semble que vous voulez transiger avec le crime. Je demande contre les accapareurs de sucre, comme contre tous les autres accapareurs, la peine de mort[158]. Et le sucre resta au nombre des denrées dont l'accaparement devait envoyer tant d'obscures victimes à l'échafaud. En peu plus tard, Robespierre s'élèvera également contre l'excessive rigueur d'une loi proposée par Collot d'Herbois, laquelle rangeait parmi les suspects les marchands convaincus d'avoir vendu à un prix exagéré les objets de première nécessité. Et certes on ne pouvait l'accuser de favoriser l'agiotage ou les accaparements, lui qui si éloquemment avait, en toute occasion, flétri l'égoïsme de la plupart des riches. Sans doute, disait-il, en songeant aux maux causés par les accapareurs, on ne saurait trouver de loi trop sévère pour les réprimer ; mais le législateur, ajoutait-il, n'était-il pas obligé parfois de suspendre les mouvements de son indignation pour peser les inconvénients de telles mesures à l'aide desquelles on risquerait d'atteindre les malheureux ? Je suppose votre loi entre les mains d'une administration corrompue ; si elle prête à l'arbitraire, le riche accapareur, et corrompant le magistrat infidèle, échappera à la loi, qui alors pèsera sur l'indigent. Ce ne sont pas des principes sévères ni des lois rigoureuses qui nous manquent, mais leur exécution, et c'est dans le vague d'une loi que les administrateurs malintentionnés trouvent les moyens d'en éluder l'exécution... Il faut mettre une différence entre une mesure particulière et une loi générale qui, étant vague, donnerait les moyens à des administrateurs peu patriotes de vexer les bons citoyens. C'était là le langage de la véritable sagesse ; l'Assemblée s'y rendit en ajournant la proposition de Collot d'Herbois[159]. Non moins prudente était la politique conseillée par Robespierre à l'égard des étrangers. On commençait à s'inquiéter beaucoup de la masse d'individus qui, venus de différents pays, affluaient à Paris, où on les voyait figurer pour la plupart au nombre des plus violents exagérateurs. La société des Jacobins en était infestée. Faut-il s'étonner que la défiance des patriotes se soit émue quelquefois même outre mesure ? Nier l'influence désastreuse des étrangers sur la Révolution française, ce serait nier l'évidence même. On sait les manœuvres odieuses devant lesquelles ne recula pas le ministre Pitt, et dont sa mémoire restera éternellement flétrie. C'était par les étrangers que se tramaient les complots les plus criminels ; par eux que toute la République était inondée de ces assignats faux qui jetaient la perturbation dans notre crédit ; par eux que les ennemis de l'intérieur, encouragés et soutenus, multipliaient leurs machinations. Il faut enfin vous dire une vérité qui me pèse depuis longtemps sur le cœur, s'écria Robespierre aux Jacobins dans la séance du 29 juillet 1793, c'est que je vois ici beaucoup trop de mines autrichiennes et prussiennes[160]. Cette exclamation lui était échappée à propos d'une demande de service d'un officier autrichien qui se vantait d'avoir déserté les drapeaux de son pays par amour pour la France. Ce seul fait de s'appuyer du titre de déserteur auprès d'une société patriotique, était déjà aux yeux de Maximilien, une assez mauvaise recommandation. Les prétendus déserteurs pouvaient bien n'être que des espions, et une longue expérience, disait-il, devait rendre suspects à la nation ces sujets autrichiens. Un décret de la Convention ayant ordonné l'arrestation de tous les déserteurs étrangers accourus à Paris, il engageait ses collègues à donner au maire, chargé de la police de la ville, le conseil de tenir la main à l'exécution de ce décret. Si l'officier en question était vraiment de bonne foi, il serait, ajoutait-il, dédommagé d'une tribulation passagère par la confiance et l'amitié des patriotes. Duhem appuya très-chaudement cette proposition ; mais,
allant beaucoup plus loin, il la généralisa, et réclama la mise en état
d'arrestation, indistinctement,. de tous les étrangers en résidence à Paris.
Robespierre reprit aussitôt la parole : La
proposition de généraliser ma motion et de l'étendre à tous les étrangers est
impolitique ; je dirai mieux, elle est indiscrète. A quelles alarmes ne nous
laisserait-elle pas en proie ? Quels dangers n'en peuvent résulter ? Je n'ai
pas dû demander que tous les étrangers fussent arrêtés... Il en est un grand nombre dont les lumières, les vertus
et le patriotisme servent utilement la chose publique... La société se
borna à suivre son conseil, et, sur une nouvelle motion de lui, appuyée par
Bentabole, elle décida que tous les membres de la société seraient
prochainement soumis à un vaste scrutin épuratoire, au moyen duquel la
conduite de chacun serait scrupuleusement examinée[161]. Nous
assisterons, en effet, assez prochainement, à des scènes étranges, mais non
dépourvues de grandeur, où tous les membres de la fameuse société auront à
faire leur confession publique. XX S'agissait-il de défendre la patrie contre les entreprises de ces ennemis du dedans et du dehors que la force seule, il faut bien le reconnaître, pouvait dompter, oh ! alors Robespierre devenait de bronze. Chacun, d'ailleurs, sentait la nécessité d'opposer désormais aux factions et à la coalition étrangère un cœur indomptable ; c'était à qui prendrait l'initiative des mesures inflexibles. Et quand, laissant de côté tout esprit de parti, on envisage, après tant d'années de distance, la situation inouïe dans laquelle se trouvait la République à cette époque, les périls de tous genres auxquels elle avait à faire face, on ne peut s'empêcher d'admirer l'énergie et la volonté déployées par nos pères dans ces deux mois d'août et de septembre, où l'ardeur révolutionnaire et patriotique atteignit son maximum d'intensité. Le 30 juillet, la Convention, sur la proposition de Prieur (de la Marne), réorganisait le tribunal révolutionnaire afin d'en accélérer la marche, et mettait en état d'accusation le propre président de ce tribunal, Montané, accusé d'avoir altéré le texte du jugement dans l'affaire dite des assassins de Léonard Bourdon et dans celle de Charlotte Corday. Le surlendemain, à la suite d'un rapport de Barère, elle décrétait la translation en poste de la garnison de Mayence dans la Vendée, l'incendie des bois, des taillis et des genêts où s'abritaient les rebelles, la destruction des forêts qui leur servaient de repaires, le transport des femmes et des enfants des rebelles dans l'intérieur du pays, sauf à pourvoir à leur sûreté avec tous les égards dus à l'humanité, la confiscation des biens des insurgés au profit de la République et des citoyens fidèles dont les propriétés auraient été ravagées. Elle décrétait encore le renvoi de Marie-Antoinette devant le tribunal révolutionnaire, et son transfèrement immédiat à la Conciergerie, la déportation de tous les membres e la famille Capet et la destruction des tombeaux et mausolées des ci-devant rois. En même temps, au nom de l'humanité outragée, elle dénonçait à tous les peuples, et même au peuple anglais lui-même, innocent des turpitudes de son gouvernement, la conduite lâche, e et atroce du gouvernement britannique, qui soudoyait l'assassinat, le poison, l'incendie et tous les crimes pour amener le phe de la tyrannie et l'anéantissement des droits de l'homme, et, par voie de réciprocité, elle déclarait traître à la patrie tout Français qui placerait des fonds sur les banques des pays en guerre avec la République[162]. Le 2 août, Couthon faisait, au nom du comité de Salut public, un rapport foudroyant contre un homme dont les écrits, disait-il, semblaient être salariés par Pitt, contre Carra, échappé jusqu'ici à la proscription de ses amis de la Gironde. On n'a point oublié les accusations, qu'avaient attirées à Brissot et à quelques-uns de ses amis les étranges articles dans lesquels Carra avait implicitement proposé à la France de se donner pour roi un prince de la maison de Brunswick, proposition qu'il avait même formulée en termes formels en plein club des Jacobins. Ce fut le principal grief relevé par le rapporteur. Vivement soutenu par Robespierre et par Lacroix, le décret d'accusation fut rendu, malgré les protestations de Carra contre la manière dont on interprétait ses écrits. Mais, répondait Maximilien, ils paraissaient tandis que les Prussiens, Brunswick à leur tête, occupaient nos frontières. Comme Carra interrompait : Je vous impose silence, lui cria rudement Danton, qui présidait. Et Robespierre : Ce n'est point aux conspirateurs à interrompre le défenseur de la liberté. Puis, reprenant, au milieu des applaudissements, le réquisitoire de Couthon, il accusa l'imprudent Girondin d'avoir par ses écrits, dont il incrimina l'intention même, encouragé la coalition étrangère, et lui imputa une partie des malheurs et des revers de la République dans le Nord. Carra, on ne l'ignore pas, avait été, quand ses amis se trouvaient au pouvoir, envoyé en Champagne auprès de Dumouriez, en qualité de commissaire. Ce fut encore là un texte d'amers reproches. Comment le même homme qui, au mois de juillet 1792, préparait si bien les esprits à recevoir favorablement Brunswick, avait-il été chargé d'une mission près une armée qui avait à combattre et à vaincre les troupes aux ordres de ce général ? La République doit être vengée ! s'écria Robespierre, et la Convention, après avoir encore entendu Amar, Gaston et Lacroix dans le même sens, décréta Carra d'accusation[163]. Le rédacteur du Courrier des 83 départements devait bientôt payer de sa tête la singulière idée d'avoir présenté à la France comme le restaurateur de la liberté le généralissime des troupes coalisées[164]. Plus sombre de jour en jour devenait la situation. Plus de pitié, plus de compromis, plus de transactions ; criminel de lèse-nation quiconque oserait parler de composer avec l'ennemi. Tous les esprits, vers cette époque, semblent se pénétrer de cette conviction qu'il n'y a plus qu'à vaincre ou à mourir. Le comité de Salut public, par mesure de sûreté générale, ordonna l'arrestation de tous les généraux destitués ou suspendus, et de tous ceux qui alors se trouvaient à Paris sans autorisation[165]. Informé des manœuvres contre-révolutionnaires dont la ville de Toulon était le théâtre, il manda à Paris les citoyens Puissant-Chaussegros, Saint-Julien et Trogoff, cet étranger élevé par la France à la dignité d'amiral et qui allait si puissamment contribuer à livrer aux Anglais notre premier port militaire[166]. En même temps devenait plus menaçant le langage des orateurs. Entendez Danton : Il n'est plus temps d'écouter la voix de l'humanité qui nous criait d'épargner ceux qu'on égare. Nous ne devons plus composer avec les ennemis de la Révolution ne voyons en eux que des traîtres ; le fer doit venir à l'appui delà raison[167]. Et Robespierre : Une mesure essentielle est que le peuple, ranimant son énergie au souvenir du dévouement, de Lacédémone et d'Athènes, jure de s'ensevelir sous les ruines de la République si jamais elle venait à être anéantie. Des lâches seuls d'ailleurs, selon lui, pouvaient être effrayés à l'aspect des périls de la situation, et ceux-là on pouvait les reléguer parmi les aristocrates, ajoutait-il aux applaudissements delà société. Ceci se passait le 9 août, aux Jacobins, dont la veille il avait été nommé président. Dans la matinée, un membre avait proposé à la Convention nationale de se séparer pour laisser sa place à une Assemblée législative. Cette proposition avait paru insidieuse à Robespierre. Quoi ! voulait-on substituer aux membres épurés de l'Assemblée actuelle les créatures de Pitt et de Cobourg ? Moins que personne il était partisan des longues législatures, et il l'avait suffisamment prouvé ; mais la Convention pouvait-elle se dissoudre avant d'avoir sauvé la patrie ? — Non, non ! s'écria tout d'une voix la société. — Pour moi, avait' dit Robespierre, nulle puissance humaine ne saurait m'empêcher de faire connaître à la Convention la vérité tout entière, de lui signaler -les dangers courus par la chose publique et de lui proposer les mesures capables de nous tirer de l'abîme entr'ouvert sous nos pas[168]. Quatre jours après, descendant du fauteuil, il tonnait contre les généraux perfides et les folliculaires salariés dont la plume mercenaire distillait tous les jours sur la Révolution le venin de la calomnie. Un membre ayant émis l'avis que les commissaires envoyés dans les départements fussent investis d'une autorité discrétionnaire sur toutes les administrations départementales, Robespierre critiqua vivement cette proposition, laquelle tendait à revêtir d'une sorte de dictature une foule de citoyens bien intentionnés peut-être, mais inconnus pour la plupart. Or, il est à remarquer que les abus du gouvernement révolutionnaire viendront précisément du pouvoir exagéré accordé aux innombrables comités répandus sur la surface de la République. Appelant à son secours tous les citoyens pleins de zèle pour le bonheur de la patrie, Maximilien s'engageait, aidé du génie de la liberté et de l'énergie de ses compatriotes, à confondre toutes les calomnies et à faire triompher à la fois la vérité et le patriotisme[169]. Quand parfois on semblait douter de la possibilité d'opposer des remèdes efficaces aux maux de la patrie, ou des troupes suffisantes aux armées formidables de la coalition, il apparaissait soudain, et d'un mot rendait cœur aux plus effrayés. Ce ne sont jamais les hommes et les chevaux qui nous manqueront, disait-il, sachant bien ce qu'à cet égard on pouvait attendre du peuple français. La chose la plus difficile et la plus importante à ses yeux, c'était de réduire les ennemis de l'intérieur, dont les manœuvres paralysaient nos victoires mêmes. Il fallait seulement se garder des mesures inconsidérées, et, à ce propos, il défendait encore le ministère, composé, assurait-il, d'hommes vraiment républicains[170]. Le changer brusquement, comme le réclamaient certaines personnes, ce serait porter un coup funeste à la liberté. La République n'en serait certainement pas perdue, disait-il, mais cinquante années de calamités peut-être expieraient cette extravagance[171]. Le soupçon farouche était alors dans tous les cœurs, et l'on avait entendu tout récemment un des membres les plus modérés de la Convention, l'ancien constituant Gossuin, demander que le glaive de la loi fît tomber sans pitié les têtes des ministres coupables[172]. Ce langage, on le comprend, était forcément en rapport avec les événements. C'est ainsi que dans la séance du 7 août, l'incendie d'Huningue, attribué à l'Angleterre, ayant été annoncé à la Convention, Garnier (de Saintes) proposa à l'Assemblée de déclarer que Pitt était l'ennemi du genre humain, et qu'il était permis à tout le monde de l'assassiner. Cette motion sauvage excita, il faut le dire, de violents murmures. Je n'appuierai pas, dit Couthon, l'ami de Robespierre, la proposition qui vous est faite d'autoriser l'assassinat de Pitt ; mais je demande au moins que vous décrétiez solennellement que Pitt est l'ennemi de l'espèce humaine[173]. Cette fois tout le monde se trouva d'accord, et le ministre anglais fut flétri par un décret qui devra éternellement rester attaché à sa mémoire. Robespierre lui-même, comme on l'a pu voir, n'était pas toujours exempt d'un certain emportement dans ses paroles. Mais, outre d'ailleurs qu'il était bien difficile de mesurer ses expressions au compas dans des discours presque constamment improvisés et nés au souffle brûlant de la fournaise au milieu de laquelle se débattait la République, encore est-on obligé de reconnaître qu'il ne s'écarta jamais des voies tracées par la véritable sagesse. A cette époque Paris était en proie aux plus vives inquiétudes. Le pain était rare, la foule alarmée assiégeait en quelque sorte les boutiques de boulangers, et l'on craignait que le peuple, excité par les malveillants, ne se portât à quelque extrémité. Comment s'exprimait alors Robespierre ? Dans la séance du 7 août, aux Jacobins, après avoir rendu compte des mauvaises nouvelles survenues dans la journée, et dont, selon lui, les républicains n'avaient pas à s'effrayer, parce qu'ils ne devaient s'effrayer de rien et qu'un malheur de plus était l'assurance réitérée d'un succès plus constant, il s'attachait à mettre le peuple en garde contre tous les mouvements à l'aide desquels on s'efforçait de produire dans Paris une disette factice. On voulait, disait-il, faire piller les magasins par le peuple, ou plutôt par des scélérats déguisés sous l'habit du peuple, sous l'habit respectable de la pauvreté ; on voulait porter le peuple vers les prisons, et y renouveler les horreurs de Septembre. Puis, après avoir tracé un sombre tableau des calamités où de tels événements plongeraient la nation, il engageait les envoyés des départements à inviter ce peuple au courage, à la persévérance, par l'aspect du bonheur que lui procureraient son obéissance aux lois, sa confiance dans ses législateurs, son union et son dévouement au maintien de la République[174]. On voit comment Robespierre entendait fonder cette République, comment la sagesse, exempte de toute fausse modération, parlait par sa bouche. Et c'est par où d'ailleurs il s'est montré supérieur à presque tous les révolutionnaires de l'époque. XXI En ce temps-là arrivaient en foule à Paris les députés des assemblées primaires, qui au nombre de huit mille environ venaient apporter à la Convention nationale l'acceptation de la constitution par les départements. Comme on craignait que les révoltés de Lyon, de Bordeaux ou de Marseille, n'eussent confié à quelques-uns de ces commissaires, les croyant à l'abri de toutes recherches, d'importantes dépêches pour leurs amis ou leurs complices de Paris, on soumit les envoyés des départements en révolte à une investigation rigoureuse, et plusieurs furent trouvés porteurs de papiers compromettants. Cette mesure donna lieu à une réclamation assez vive de la part de l'évêque de Saint-Flour, Thibault, membre de la Convention. Or, il se trouva précisément que plusieurs lettres adressées à Thibault, et déposées au comité de Salut public, contenaient des détails sur le système et les espérances des révoltés. A cette révélation faite par Couthon, l'évêque invoqua sur son républicanisme le témoignage de Robespierre, auquel, dit-il, il s'était trouvé accolé quand, du temps de l'Assemblée constituante, son collègue avait été calomnié pour prix de son courage et de ses sentiments républicains. Ainsi appelé en témoignage, Robespierre convint que sous la première Assemblée l'évêque de Saint-Flour ne s'était pas montré excellent royaliste. Mais cela ne couvrait pas à ses yeux les fautes commises depuis, et il ne put s'empêcher de lui reprocher amèrement d'avoir écrit, dans le temps, à la société de Saint-Flour, pour l'engager à faire marcher des troupes contre Paris et contre la Montagne[175] ; ce qui expliquait parfaitement la nature des dépêches adressées à l'évêque et dont Robespierre demanda la lecture pour l'enseignement de tous. L'affaire en resta là et si l'évêque Thibault eut quelques inquiétudes, il en fut quitte pour la peur. Au reste, l'immense majorité des commissaires était animée du patriotisme le plus ardent. Témoins des désordres occasionnés en France par la levée de boucliers girondine, et pouvant se convaincre, par leurs yeux, combien étaient calomnieux les bruits répandus contre la capitale et la Convention, ils maudissaient les promoteurs de guerre civile. Le 7 août, ils parurent aux Jacobins, et l'un d'eux, Royer, curé de Châlon-sur-Saône, prit la parole en leur nom pour flétrir les libellistes infâmes qui avaient calomnié Paris, et dont la mort seule pouvait expier les forfaits. Mais non, ajoutait-il, ils vivront pour endurer le supplice de l'égalité, pour être témoins de notre bonheur, et ils seront livrés à d'éternels remords. Robespierre alors monta à la tribune au bruit des applaudissements provoqués par la harangue du précédent orateur. Il félicita les envoyés des assemblées primaires de donner pour la quatrième fois un démenti aux espérances des coupables ennemis de la Révolution. En 89, lorsque, malgré les intrigues des ordres privilégiés, ils s'étaient rangés sous les étendards de la liberté naissante ; au 10 août, en marchant en masse pour écraser la tyrannie ; après le 31 mai, quand ils avaient su résister aux fallacieuses paroles des plus perfides des hommes, toujours ils s'étaient montrés les plus dévoués enfants de la patrie, comme ils le faisaient aujourd'hui encore en unissant leurs vœux et leurs efforts à ceux de leurs frères de Paris pour le triomphe de la République et l'anéantissement des conspirateurs. Maximilien engagea les commissaires des départements à faire hommage de leur adresse à la Convention, afin que, sous les auspices de l'Assemblée, elle fût distribuée à tout le peuple et obtînt par là plus de poids et d'authenticité. Et comme ces envoyés de la République s'étaient engagés solennellement à ne pas rentrer dans leurs foyers avant que la France fût libre et la patrie sauvée, il engagea la société des Jacobins à profite, de leur présence pour maintenir à son ordre du jour cette question qui dominait toutes les autres : le salut public. Tout cela fut adopté à l'unanimité[176]. Le lendemain même les commissaires étaient admis à la
barre la Convention, et, après avoir présenté l'énergique adresse dont la
veille ils avaient donné lecture aux Jacobins, ils défilaient dans la salle
au retentissement des chants patriotiques et aux cris mille fois répétés de
vive la République ! vive la Montagne ! Une sorte de commotion électrique fut
ressentie par tous les membres de l'Assemblée, C'était le moment, selon
Robespierre, de porter le dernier coup à la tyrannie et de proclamer l'arrêt
de mort de ceux qui déchiraient le sein de la République. Ce manifeste de la
liberté, de l'égalité et de la vertu, il voulait qu'on le proclamât à la face
de l'Europe. Il faut, dit-il, présenter cet acte sublime aux amis et aux ennemis de la
France : aux amis de la France, afin qu'ils relèvent une tête triomphante ;
aux patriotes opprimés, afin qu'ils essuient leurs pleurs. Interrompu
un moment par les plus vifs applaudissements : Il
faut, reprit-il, le présenter aux tyrans,
afin qu'ils reculent d'épouvante en voyant ce faisceau sur lequel doivent se
briser toutes les puissances de l'Europe. Sur sa proposition,
l'Assemblée décréta que cette adresse serait insérée au Bulletin et
distribuée, à un grand nombre d'exemplaires, dans toutes les parties de
l'Europe[177]. Le 10 août 1793, jour anniversaire de la chute de la monarchie, avait été consacré à l'inauguration de la constitution républicaine. Ce fut une grande et solennelle journée, comme toutes les fêtes de la République, lesquelles témoignent de la foi sincèrement patriotique de nos pères. Nous n'avons à rendre compte ni des cérémonies, dont l'ordonnateur fut David, ni des discours prononcés par Hérault-Séchelles, comme président de la Convention, aux diverses stations où s'arrêta le cortège : disons seulement que tous les cœurs frémirent d'espérance, et que les ennemis de la Révolution durent retirer de ce spectacle la conviction qu'on ne viendrait pas aisément à bout d'un peuple qui mêlait tant d'enthousiasme à tant d'héroïsme[178]. Ce jour-là la Convention n'avait point eu de séance, mais dès le lendemain elle reprenait courageusement l'œuvre du salut de la patrie. On aurait pu croire, au début de la séance, que, fatiguée déjà elle était disposée à abandonner à d'autres la conduite de- la Révolution. En effet, Lacroix, jugeant finie la mission de cette Assemblée, en avait implicitement demandé le remplacement. Cette proposition, convertie d'abord en décret, n'eut cependant pas de suite, et nous avons vu plus haut avec quelle vivacité Robespierre la combattit aux Jacobins[179]. La Convention ne pouvait se séparer, à son avis, avant le jour où la République aurait triomphé de tous ses ennemis ; et les envoyés des assemblées primaires avaient fait serment de ne se retirer qu'après que la Convention aurait décrété des mesures de salut public. Ces mesures suprêmes, ils allèrent eux-mêmes, le 12, les réclamer à la barre. Barère venait de présenter un sombre tableau de la situation de la République, quand le délégué des commissaires obtint la parole. Il n'est plus temps de délibérer, il faut agir. Tel fut le texte de son discours. Le moment était arrivé, suivant lui, de donner un grand exemple à l'univers, de faire mordre la poussière à nos ennemis, et pour cela il conseillait l'appel au peuple, la levée en masse, l'arrestation, de tous les suspects. Hérault-Séchelles, président actuel de la Convention, Garnier (de Saintes) et Fayolle, appuyèrent tour à tour les vœux de l'orateur de la députation. Le dernier témoigna un étonnement profond de ce que, malgré les décrets rendus contre les aristocrates, aucun de ceux-ci n'eût encore reçu la moindre égratignure. Puis retentit encore à la tribune, comme un coup de tonnerre, la grande voix de Danton. De même qu'il avait naguère provoqué l'établissement du tribunal révolutionnaire, de même il va être aujourd'hui le porte-voix de la Terreur. Les députés des assemblées primaires, s'écria-t-il, viennent d'exercer parmi nous l'initiative de la terreur contre les ennemis de l'intérieur. Répondons à leurs vœux. Point d'amnistie à aucun traître. L'homme juste ne fait point de grâce au méchant. Signalons la vengeance populaire par le glaive de la loi promené sur les conspirateurs de l'intérieur. A son tour il réclama l'arrestation de tous les suspects, et, s'emparant d'une idée précédemment émise par Barère au nom du comité de Salut public, il proposa à la Convention d'investir les huit mille envoyés des assemblées primaires du droit de dresser dans tous les départements l'état des armes, des subsistances, des munitions et de mettre quatre cent mille hommes en réquisition. Robespierre prit ensuite la parole. La victoire est certaine, dit-il, puisqu'enfin nous sommes déterminés à vaincre. Le terme des coupables victoires de la tyrannie est passé, puisqu'enfin nous allons déployer contre elle les seules armes qui puissent la terrasser : le courage invincible et la sagesse qui doit le diriger. Ne nous le dissimulons point : c'est moins à leurs forces et même à leur perfidie que nos ennemis doivent leurs succès. Nous avons trop facilement cru que le génie du peuple suffisait pour rompre les entraves de la trahison. Nous avons été trop indulgents pour les traîtres. D'après lui, l'impunité de La Fayette et de Dumouriez avait été un encouragement aux conspirateurs. Il fallait avec soin purger l'armée de tous les généraux perfides. Craignait-on de ne pouvoir les remplacer ? Il suffit de trois héros, poursuivait-il, pour sauver la République ; ils sont cachés dans les rangs ; ayez la volonté de les découvrir, et vous trouverez des généraux vraiment dignes de la confiance nationale. Comme il prophétisait ! Hoche, Marceau, Jourdan, allaient surgir en effet au soleil de la République. Appuyant de sa parole les redoutables propositions de Danton, il demanda, lui aussi, que le glaive de la loi planât sur les têtes des conspirateurs afin d'apaiser les mânes de tant de patriotes immolés à Toulon, à Marseille et à Lyon, par la hache des tyrans ; il demanda qu'on mît la plus grande activité à déjouer les manœuvres et les trames ourdies par le gouvernement anglais ; que Custine, qui n'était pas encore jugé, le fût dans les vingt-quatre heures ; qu'on poursuivît sans relâche le procès des conspirateurs mis en état d'arrestation par un décret ; qu'enfin les commissaires, dont le patriotisme était connu, fussent chargés de remplacer dans leurs départements respectifs les administrateurs contre-révolutionnaires par des patriotes sûrs, actifs, énergiques, et qui, par leur fermeté au milieu des persécutions, se fussent rendus dignes de la confiance publique. A peine avait-il fini, que le futur thermidorien Lecointre, l'homme de Versailles, réclama impérieusement le jugement, sous huitaine, de la femme de Louis Capet, en s'écriant que c'était la plus coupable de tous[180]. Ainsi, à la voix de Danton, la terreur allait s'ériger en système de gouvernement. Mais, en baptisant de la sorte l'action révolutionnaire, le puissant tribun des Cordeliers ne se doutait guère que les plus affreuses terreurs s'effaceraient devant le spectre de la terreur révolutionnaire, qu'elles se pareraient des noms de nécessités politiques, mesures de sûreté générale, tandis que la Convention, dans sa bonne foi farouche, ne recula pas devant un vocable sinistre, quand elle décréta cette Terreur, sur laquelle nous aurons à revenir tout à l'heure, et qui seule, peut-être, aurait son excuse dans l'histoire, si nous pouvions concevoir la Terreur. XXII Sur ces entrefaites, un ministre cher à Robespierre, un philosophe, un esprit délicat, le ministre de l'intérieur, Garat, donna sa démission. Tout récemment décrété d'arrestation pour un délit imaginaire, sur la dénonciation de Collot d'Herbois, Garat s'était aisément justifié et n'avait pas eu de peine à obtenir de la Convention le rapport du décret rendu contre lui. Mais il n'était pas d'un caractère assez ferme et assez résolu pour conserver son poste dans des circonstances aussi périlleuses ; il préféra se retirer, laissant sa place à Paré, créature de Danton. Dans ses Mémoires de 1795, dont nous avons déjà parlé, il raconte qu'il eut, vers cette époque, une longue entrevue avec Robespierre. Voici à quel sujet : Il avait composé, paraît-il, un volumineux écrit sur la situation présente, et avait offert au comité de Salut public de lui en donner communication. Le comité avait chargé Robespierre et Saint-Just d'entendre la lecture de cet ouvrage et de lui en faire un rapport. Au jour et à l'heure fixés, Robespierre vint seul au rendez-vous. C'était aux Tuileries, dans un petit cabinet dépendant du pavillon où le comité de Salut public tenait ses séances. Garat lut l'ouvrage tout entier à Robespierre. Comme, dès le début, il annonçait à la République qu'il allait l'entretenir des divisions de la Convention et des catastrophes qu'elles avaient amenées, Robespierre l'interrompit en lui disant : Quelle catastrophe ? Quant aux divisions, il n'y en a plus : le 31 mai les a terminées. Hélas ! plût à Dieu qu'il eût dit vrai ! Garat avait peint en quelques phrases énergiques les horreurs des journées de Septembre ; sur quoi Robespierre, l'interrompant de nouveau, lui aurait dit : On a menti quand on a imprimé que j'y ai eu quelque part ; mais il n'a péri là que des aristocrates, et la postérité que vous invoquez, Loin d'être épouvantée du sang qu'on a répandu, prononcera qu'on a trop ménagé le sang des aristocrates. Ici, on peut l'affirmer, Garat a été, intentionnellement peut-être, mal servi par sa mémoire. Il écrivait, on le sait, au plus fort de la réaction thermido-girondine, et il fallait bien se mettre un peu au goût du jour. Je ne crois nullement à l'appréciation qu'il prête à son
interlocuteur sur la façon dont la postérité envisagerait les journées de
Septembre, et voici pourquoi : c'est qu'à l'époque où Garat se met en scène
avec Robespierre, celui-ci s'élevait énergiquement, aux Jacobins, contre ceux
qui voudraient porter le peuple vers les prisons et
y renouveler les horreurs de Septembre[181]. Qu'au ministre
parlant continuellement, dans le cours de son ouvrage, des partis, des causes
qui les avaient fait naître, et de leur esprit, Robespierre ait répondu : Il n'y a pas eu de partis, il y a eu la Convention, et
quelques conspirateurs, cela est assez vraisemblable, et prouve
combien peu le faible Garat avait de sens politique. Le fait suivant le
démontre encore davantage. Garat s'était appliqué, comme une espèce de
devise, un emblème figuré dans une gravure placée en tête de la Logique de
Wolf, et représentant la terre livrée aux orages de toutes les passions. Dans
les régions inaccessibles aux tempêtes, on voit sortir de l'espace un bras
qui ne tient à aucun corps, et auquel est suspendue une balance aux plateaux
parfaitement égaux et immobiles. Sur une banderole, flottant au-dessus de la
balance, on lit : Discernit pondera rerum.
Pourquoi, demanda Robespierre, ce bras ne tient-il à aucun corps ? — C'est, dit Garat, pour
représenter qu'il ne tient à aucune passion. — Mais, tant pis ! répliqua Maximilien, la
justice doit tenir à la passion du bien public, et tout citoyen doit rester
attaché au corps de la République. Combien Robespierre avait raison,
et se montrait là supérieur au ministre ! Garat poursuivit sa lecture sans trouver un mot à répondre. Il y avait, assure-t-il, dans son écrit un passage très-virulent contre les Jacobins. Maximilien, l'arrêtant de nouveau, lui répondit ce qu'on pourrait répondre aujourd'hui à tous ceux qui, de parti pris, fulminent encore contre la fameuse société : Vous ne connaissez point du tout les Jacobins. — Il est vrai que je n'y vais jamais ; mais je lis très-exactement les comptes de leurs séances. — Les comptes sont faux. — Ils sont rendus par des Jacobins. — Ces Jacobins sont des traîtres. — C'est ce qui nous a fait dire plus haut qu'il était impossible d'accepter, sans réserve, les débats des Jacobins tels qu'ils ont été reproduits par les journaux du temps, parce qu'ils sont évidemment inexacts et rendus avec la dernière négligence. Garat louait beaucoup Robespierre d'avoir, dans un de ses discours, pris l'engagement d'oublier toutes les offenses personnelles et de ne se préoccuper désormais que du dommage causé à la République. Pendant toute cette partie de la lecture, Maximilien tint la main posée sur ses yeux, comme s'il eût voulu cacher au ministre les impressions de son âme. Si Robespierre fut fidèle à sa promesse, c'est ce que nous ne tarderons pas à montrer. Somme toute, s'il faut nous en rapporter à Garat, son écrit tout entier était un blâme sévère des événements du 2 juin. Quand il eut achevé, Robespierre se leva, et, d'une voix altérée, lui dit : Vous faites le procès à la Montagne et au 31 mai. — A la Montagne, non, au contraire, répliqua le ministre, je la justifie, et complètement, des inculpations les plus graves qui lui ont été faites. Quant à quelques-uns de ses membres et au 31 mai, j'en dis ce que j'en pense. — Vous jetez une torche allumée au milieu de la République. —J'ai voulu, au contraire, jeter de l'eau sur les flammes prêtes à l'envelopper. — On ne le souffrira pas. Bref, le comité de Salut public, prétend Garat, s'opposa à la publication de l'ouvrage, dont les deux éditions furent livrées aux flammes. Mais ce n'est pas tout ; comme à l'époque où écrivait le ministre il fallait, pour être écouté favorablement des puissants du jour, voiler d'une teinte sombre la mémoire de Robespierre, Garat assure que sa vie fut menacée par ce dernier. Et sur quoi se fonde-t-il pour nous donner cette assurance ? La chose vaut la peine d'être racontée. Un homme de loi, du nom de Gouget-Deslandes, se trouvait par hasard à la porte du cabinet où causaient le ministre et Maximilien. Il avait écouté les derniers mots de la conversation, et Garat sut par lui, plusieurs jours après, qu'un garçon de bureau avait surpris quelques paroles sur son compte et le jugeait, un homme perdu[182]. Voilà pourtant ce qu'en 1795 écrivait un homme grave, sensé, et à qui son honnêteté avait valu l'estime de Robespierre. Ah ! ce qu'il y a de vrai, c'est que si les Girondins avaient triomphé au 31 mai, ils eussent très-probablement envoyé Garat à l'échafaud avec les principaux membres de la Montagne, comme le dit fort bien Robespierre au ministre. Qu'on lise les appréciations haineuses de Mme Roland sur le successeur de son mari. Ce qu'il y a de vrai encore, c'est que si, en quittant le ministère, Garat fut chargé de rédiger, avec le jeune Rousselin, un journal républicain, fondé sous les auspices du comité de Salut public, Robespierre ne fut pas étranger à cette décision[183] ; ce qu'il y a de vrai enfin, c'est que si plus tard Garat fut l'objet des plus graves inculpations, ce fut uniquement à cause de ses anciennes relations avec le martyr de Thermidor ; car l'amitié de Robespierre était devenue un titre de proscription. XXIII Ce n'est donc pas dans un mémoire justificatif publié au plus fort de la réaction thermido-girondine qu'il faut aller chercher l'opinion vraie de Garat sur Maximilien Robespierre. L'ancien ministre de l'intérieur s'y montre plein de ménagements pour Danton et pour les Girondins proscrits au 31 mai[184]. Pourquoi cela ? Parce que les Thermidoriens dantonistes et les nombreux survivants de la Gironde rentrés dans le sein de la Convention s'étaient donné la main sur les ruines accumulées par la journée de Thermidor. Mais, longtemps après, il vint une heure où, reportant sa pensée vers cette époque de trouble et de tempête qu'il avait traversée sain et sauf, et songeant au drame immense dans lequel il avait joué un rôle important, Garat se prit à réfléchir sur les injustices imméritées dont restait accablée la mémoire des plus illustres citoyens. C'était en pleine Restauration, c'est-à-dire à un moment où le nom de Robespierre était maudit, non-seulement par les royalistes, qui poursuivaient en lui l'apôtre le plus pur de la démocratie, mais par la plupart des libéraux du temps, héritiers des passions girondines et thermidoriennes, et sous l'inspiration desquels s'écrivirent les premières Histoires de la Révolution un peu dignes de ce titre. Les âmes les plus pures, dans les révolutions, songea alors Garat, ne sont pas celles qui ont le moins besoin d'apologie ; et, dans des Mémoires historiques qu'on a grand soin d'invoquer moins souvent que le fameux Mémoire intéressé de 1795, il laissa déborder son âme et jeta un cri du cœur qu'entendra l'avenir. Sont-ce les Girondins, est-ce Danton dont il s'occupe à cette heure de réparation, en faisant un retour sur les hommes et les choses du cycle révolutionnaire, sur les grandes luttes auxquelles il assista ? Non, c'est un autre nom, un nom jadis sacrifié par lui au lendemain de Thermidor, qui lui revient en mémoire, que lui souffle la voix de sa conscience. Écoutons-le : Dans ce nombre si grand d'orateurs toujours prêts et toujours environnés de guerre avec l'Europe, de tribunaux révolutionnaires et d'échafauds qui ruissellent de sang, un seul cherche curieusement et laborieusement les formes et les expressions élégantes de style ; il écrit, le plus souvent, ayant près de lui, à demi ouvert, le roman où respirent en langage enchanteur les passions les plus tendres du cœur et les tableaux les plus doux de la nature : la Nouvelle Héloïse ; et c'est l'orateur que ses collègues et la France ont le plus constamment accusé d'avoir dressé le plus d'échafauds et fait couler le plus de sang : c'est Robespierre. Tandis que les prêtres portent à la tribune nationale des professions de foi d'athéisme, et que d'autres prêtres y confessent, au péril de leur vie, le Dieu et la loi des Évangiles, ce même Robespierre fait ériger un autel et consacre une fête au Dieu que la nature révèle, et non les hommes : à l'Éternel ; et le discours qu'il prononce comme grand pontife de cette fête et de cet autel paraît si beau, si religieux, si pathétique à l'un des dispensateurs les plus illustres des couronnes dues aux premiers talents, à La Harpe, qu'il lui adresse avec empressement une lettre éloquente elle-même, et dans laquelle les éloges sont plus prodigués qu'ils ne le furent jamais à l'auteur des Éloges du Dauphin et de Marc Aurèle[185]. Robespierre, que l'Europe croit voir à la tête de la nation française, vit dans la boutique d'un menuisier dont il aspire à être le fils ; et ses mœurs ne sont pas seulement décentes, sans aucune affectation et sans aucune surveillance hypocrite sur lui-même, elles sont aussi sévères que la morale du Dieu nourri chez un charpentier de la Judée[186]. Se peut-il entendre de plaidoirie plus saisissante et plus vraie ? Allez donc après cela invoquer l'opinion émise par Garat dans un écrit composé pour le besoin de sa défense personnelle et destiné à fléchir les assassins de Robespierre ! Sa véritable pensée sur cette grande victime, c'est bien celle qu'il exprima sur le soir de sa vie, à l'heure où l'âme, se repliant sur elle-même, laisse échapper de ses profondeurs des accents dictés par la seule conscience, et c'est celle-là que ratifiera la postérité. XXIV Quelques jours après la fête anniversaire du 10 août, entra au comité d'e Salut public un homme qui est bien loin d'avoir montré à l'égard de Robespierre le même esprit de justice et d^partialité. Nous voulons parler de l'illustre Carnot. Appelé le 14 août à faire partie du comité, il y siégea dès ce jour-là[187]. De tous les anciens membres du grand comité échappés à la proscription thermidorienne, Carnot est celui qui a poursuivi avec le plus d'acharnement la mémoire de Robespierre ; et, dans les circonstances où il a cherché à rejeter sur des collègues qui n'étaient plus là pour se défendre sa part de responsabilité dans les actes du comité, il a fait preuve d'un abaissement de caractère que ne Suffisent pas à racheter les incontestables services qu'il a rendus à la France. Loin de se renfermer exclusivement, comme il l'a prétendu, dans la gestion purement militaire, il a pris part à toutes les opérations du comité, comme cela était son devoir d'ailleurs. Il a prétendu encore, il est vrai, avoir donné la plupart du temps sa signature de confiance, sans savoir ce qu'il signait. Cela n'est pas exact, nous le prouverons sans peine ; mais cela fût-il vrai, Carnot n'en serait que plus coupable, et sa responsabilité ne se trouverait nullement dégagée. Sa signature se rencontre au bas des lettres les plus sévères, des arrêtés les plus rigoureux, où ne figure pas celle de Robespierre. Loin d'être de ceux qui prêchèrent la modération, il fut, contre Robespierre, l'allié des Fouché, des Collot d'Herbois, des Billaud-Varenne, c'est-à-dire des partisans de la terreur à outrance. Il n'entre aucunement dans notre pensée d'incriminer sa conduite pour les actes auxquels il a pris part avant le 9 Thermidor et dont il doit, comme ses collègues, répondre devant l'avenir ; mais l'inflexible histoire rend à chacun ce qui lui est dû, et nous ne saurions admettre les indignes complaisances de ces historiens qui nous ont présenté un Carnot immaculé au point de vue de la réaction, en acceptant comme vraies les explications qu'il lui a plu de donner après Thermidor. Non, Carnot n'a pas été plus sincère en essayant de mettre après coup sur le compte de Robespierre et de Saint-Just la responsabilité de tous les actes terribles de la Révolution qu'il ne l'a été lorsque, reniant une amitié de jeunesse, il n'a pas craint d'affirmer qu'il connaissait à peine Maximilien au moment où ils vinrent s'asseoir ensemble sur les bancs de la Convention[188]. Est-il vrai, comme on l'a avancé, que Robespierre se soit opposé à son entrée au comité de Salut public[189] ? Cette prétention est tout à fait injustifiable. Il est bien certain, au contraire, que si Robespierre, ayant pour lui Saint-Just, Couthon, Jean-Bon Saint-André et même Barère, eût soulevé quelques objections, Carnot serait bel et bien resté en dehors du comité. Mais alors il n'y avait entre eux aucune divergence d'opinion. Nous dirons plus tard les causes de leur regrettable rupture, et l'on verra de quel côté furent les torts. Maximilien n'était pas homme à ménager la vérité, même à ses plus chers amis. A propos d'une proposition de Lacroix dont nous avons parlé déjà proposition tendant implicitement au remplacement de la Convention nationale, il avait, trois jours auparavant, laissé tomber quelques paroles de blâme sur certains de ses collègues qui sans doute avaient approuvé une mesure que lui, Robespierre, jugeait funeste dans de pareilles conjonctures ; mais, ne voulant pas envelopper tout le comité dans ce blâme, il avait déclaré qu'il avait vu d'un côté des membres patriotes faire tous leurs efforts pour sauver le pays, et de l'autre, des traîtres conspirer jusque dans le sein de ce comité[190]. Ses paroles ont-elles même été fidèlement rapportées ? j'en doute fort ; car, à quelque temps de là il défendait dans la personne de Barère le comité tout entier, dont, à plusieurs reprises, il s'était fait l'avocat alors qu'il n'en était pas membre, et ce fut sur sa proposition formelle que, le mois suivant, la Convention déclara que son comité de Salut public avait bien mérité de la patrie[191]. Ce terrible comité, si méconnu et si calomnié, était animé de sentiments de tolérance dont jamais gouvernement ne s'inspira ; nous aurons plus d'une preuve éclatante à en donner. Ainsi, les anabaptistes français lui ayant député quelques-uns d'entre eux pour lui représenter que leur culte et leur morale leur interdisaient de porter les armes et pour demander en conséquence qu'on les employât dans les armées à tout autre service, il adressa aussitôt aux corps administratifs une lettre dans laquelle il était dit : Nous avons vu des cœurs simples en eux, et nous avons pensé qu'un bon gouvernement devait employer toutes les vertus à l'utilité commune ; c'est pourquoi nous vous invitons à user envers les anabaptistes de la même douceur qui fait leur caractère, à empêcher qu'on ne les persécute, et à leur accorder le service qu'ils demanderont dans les armées, tel que celui de pionniers et celui des charrois, ou même à permettre qu'ils acquittent ce service en argent[192]. En lisant ces lignes, se fût-on cru si près des temps horribles où, pour crime de religion, on était exposé aux persécutions les plus violentes, et où ces malheureux anabaptistes étaient poursuivis comme des bêtes fauves ? Et pourtant la patrie avait alors besoin de tous ses enfants pour les lancer contre l'ennemi. Il faut, avait dit Robespierre[193], que la Convention appelle autour d'elle tout le peuple français ; et, le 23 août 1793, sur le rapport de son comité de Salut public, elle décrétait que tous les Français seraient en réquisition permanente pour le service des armées jusqu'au moment où les ennemis auraient été chassés du territoire de la République. Qui ne connaît ce décret immortel où le génie de la patrie se déploie dans toute sa majesté et toute sa grandeur ? C'était la levée en masse décrétée. Nul ne pouvait se faire remplacer. Devaient marcher les premiers et se rendre sur-le-champ au chef-lieu de leur district, pour s'y exercer tous les jours au maniement des armes, en attendant l'ordre du départ, les jeunes gens non mariés ou veufs de dix-huit à vingt-cinq ans. Tandis qu'ils marcheraient au combat, les hommes mariés forgeraient des armes, s'occuperaient des subsistances ; les femmes feraient des tentes, des habits, serviraient dans les hôpitaux ; les enfants mettraient le vieux linge en charpie ; et les vieillards, se transportant sur les places publiques pour exciter le courage des guerriers, prêcheraient la haine des rois et l'unité de la République. Le salpêtre manquant pour la fabrication de la poudre, ordre de lessiver les caves pour le fournir ; les maisons nationales devaient être converties en casernes, les places publiques transformées en ateliers d'armes, comme l'avait un jour demandé Robespierre. A chaque bataillon organisé au district il était enjoint de se réunir sous une bannière portant cette inscription : Le peuple français debout contre les tyrans ![194] Le jour où la Convention nationale rendait ce décret empreint d'un tel cachet de grandeur, Robespierre, dont l'influence n'avait pas été étrangère à l'adoption de ces vigoureuses mesures, présidait pour la première fois l'Assemblée. Il avait été nommé président la veille, dans la séance du soir, avec Merlin (de Douai), Lavicomterie et Lakanal pour secrétaires[195], de sorte qu'il se trouvait en même temps président de la société des Jacobins et de la Convention. XXV Sous sa présidence va se produire ce que le général Foy a appelé le colossal effort de la France. Un moment on put croire, vers la fin de ce mois d'août, à un apaisement général dans le pays, et que tous les départements en révolte allaient rentrer dans le devoir. Depuis quelques semaines déjà le Calvados était venu à résipiscence, laissant fuir dans toutes les directions les Girondins, auteurs de son soulèvement ; dès le 25, Marseille avait capitulé, et Bordeaux avait fait sa soumission. Le 30, des commissaires de cette dernière ville se présentèrent à la barre de la Convention pour réclamer l'indulgence et l'impunité en faveur de la commission populaire dont les membres avaient été frappés d'un décret de hors la loi par l'Assemblée, en se fondant sur ce que la punition des coupables pourrait exaspérer le peuple. Cette proposition, vivement combattue par Lacroix et par Chabot, fut renvoyée au comité de Salut public. Le soir, aux Jacobins, Robespierre prit la parole afin d'établir une ligne de démarcation profonde entre le peuple et les administrateurs des villes rebelles. Selon lui, le peuple était bon partout ; et à Lyon, à Bordeaux, comme à Marseille, les autorités constituées seules étaient coupables ; seules elles avaient attiré sur les villes dont l'administration leur avait été confiée les malheurs qui y étaient arrivés. Se montrer indulgent envers les traîtres, ce serait se montrer criminel envers le peuple, à qui était due une satisfaction légitime[196]. Cependant ni la Convention ni le comité de Salut public n'avaient l'intention de se montrer implacables. A la date du 18 août, Couthon, Carnot, Robespierre, Saint-Just et Barère avaient recommandé, par une lettre spéciale, la douceur aux représentants Dubois-Crancé et Gauthier, chargés de surveiller les opérations du siège de Lyon. On espérait alors une reddition volontaire, et le comité enjoignait aux commissaires de l'Assemblée d'épargner ceux qui se soumettraient. Parcere subjectis et debellare superbos, était-il dit dans cette lettre. Mais, en présence de la résistance désespérée de la ville de Lyon, qui, loin de suivre l'exemple de Marseille et de Bordeaux, redoubla d'ardeur contre-révolutionnaire, force fut au comité de Salut public de renoncer à ses projets d'indulgence. Le 1er septembre, il chargeait trois proscrits lyonnais, les citoyens Achard, Pilot et Gravier, de se rendre dans le département du Rhône à l'effet de fournir aux représentants du peuple tous les renseignements nécessaires et de se concerter avec eux sur les moyens de réduire les rebelles. Leur mission devait consister spécialement à faire connaître dans le Midi les décrets rendus par la Convention depuis le 31 mai, à reconstituer les sociétés populaires dissoutes, à indiquer aux commissaires de l'Assemblée les autorités contre-révolutionnaires qui s'étaient mises dans le cas d'être punies ou destituées, et à signaler les véritables patriotes pour qu'ils ne fussent pas confondus avec les coupables[197]. Nous verrons bientôt comment Couthon exécutera les décrets rigoureux rendus par la Convention contre la cité lyonnaise, et comment ce représentant de la politique de Robespierre se trouvera contraint en quelque sorte de céder la place à des exécuteurs plus énergiques, à Fouché et à Collot d'Herbois. Mais plus la France républicaine s'épuisait en efforts pour s'affirmer et pour vivre, plus ses ennemis semblaient prendre à tâche de l'exaspérer. Et partout apparaissait la main sinistre de l'Angleterre. Le 28 août 1793, par un de ces crimes heureusement assez rares et que rien ne saurait ni excuser ni laver, Toulon était livré à l'amiral anglais par des bourgeois avides et égoïstes, moitié royalistes, moitié girondins, agissant de concert avec les contre-amiraux Trogoff et de Grasse. Or, à ce moment même, les comédiens du Théâtre-Français, fort hostiles pour la plupart à la Révolution, qui les avait privés d'une foule de petites faveurs de cour, s'imaginèrent de jouer une pièce de François de Neufchâteau, intitulée Paméla, dans laquelle l'auteur avait tracé un éloge pompeux du gouvernement britannique. Cette pièce, il est vrai, datait de 1788 ; mais on ne pouvait plus mal choisir l'heure de la représenter. L'opinion publique s'émut ; l'ouvrage fut dénoncé au comité de Salut public, qui enjoignit à la municipalité de Paris d'en suspendre les représentations, et se fit immédiatement remettre le manuscrit[198]. Le lendemain l'auteur de Paméla se présenta lui-même au comité, lequel, connaissance prise des modifications introduites par François de Neufchâteau dans sa comédie, rapporta son arrêté de la veille[199]. La pièce fut reprise le 1er septembre. Tout ce que Paris comptait de contre-révolutionnaires n'avait pas manqué de se rendre au théâtre, et le moindre passage de la pièce prêtant à une allusion hostile à la Révolution fut accueilli par des acclamations frénétiques. Un officier d'état-major de l'armée des Pyrénées, employé au siège de Lyon, et en mission à Paris, assistait à la représentation ; il se leva indigné et cria à la calomnie. Interrompu à l'instant, cerné, couvert d'injures et obligé de quitter la salle, cet officier courut aux Jacobins, où il dénonça ce qui venait de se passer et les violences dont il avait été l'objet. Robespierre présidait ; il prit la parole et raconta dans quelles circonstances le comité avait autorisé les comédiens à reprendre les représentations de Paméla. N'étant pas encore arrivé au comité au moment où ses collègues avaient examiné la pièce, il n'avait pu juger par lui-même du ton général de l'ouvrage ; mais, d'après les explications fournies à la société, il lui paraissait que les changements promis n'avaient pas été faits à la scène. Des paroles sévères pour François de Neufchâteau et les acteurs du Théâtre-Français tombèrent de sa bouche. Il rappela le décret récent de la Convention qui prescrivait aux théâtres de jouer au moins trois fois par semaine des pièces patriotiques, avec menace de fermeture s'ils venaient à représenter des pièces injurieuses pour la Révolution. En abusant de l'indulgence du comité de Salut public, en laissant percer leurs intentions perfides, l'auteur et les acteurs s'étaient exposés à la sévérité des lois, et le Théâtre-Français devait être fermé pour l'exemple. Assez et trop longtemps, dit-il, les habitués de ce théâtre, qui est encore le repaire dégoûtant de l'aristocratie de tout genre, ont insulté la Révolution. Ils iront porter ailleurs leur inutilité et leur insouciance. Pour finir, il engagea l'officier dénonciateur à s'adresser au comité de Salut public et à y déposer des faits dont il -avait été témoin[200]. Le lendemain, 2 septembre, le comité de Salut public, se fondant sur les troubles suscités pendant la dernière représentation du Théâtre-Français, sur les insultes prodiguées aux patriotes et sur les preuves réitérées d'incivisme données par les acteurs et actrices de ce théâtre depuis l'origine de la Révolution, ordonnait, par un arrêté, la fermeture du théâtre et l'arrestation de l'auteur de Paméla et des comédiens[201] ; arrêté qu'au bruit des applaudissements la Convention convertissait en décret, dans sa séance du 3, sur le rapport de Barère[202]. On se ferait difficilement une idée du déchaînement auquel donna lieu la conduite des comédiens du Théâtre-Français. Telle était l'exaspération contre eux, que le jeune ami de Danton, Alexandre Rousselin, émit la proposition que tous les pensionnaires ordinaires du ci-devant Veto fussent détenus jusqu'à la paix dans des maisons de force, jetés, à cette époque, sur les plages d'un pays despotique, et qu'afin de purifier leur local on y établît un club pour les sans-culottes des faubourgs Saint-Marceau et Saint-Antoine[203]. Le surlendemain il réitéra sa proposition, et se plaignit surtout de ce que le comité de Sûreté générale eût autorisé certaines exceptions en faveur des comédiens frappés du décret d'arrestation. A quoi Robespierre répondit que, dans un comité composé de vingt-quatre personnes, plusieurs d'entre elles avaient pu peut-être se montrer accessibles aux sollicitations de princesses de théâtre, mais que ces exceptions étaient nulles, le comité de Sûreté générale ayant à exécuter et non pas à interpréter le décret de la Convention[204]. Robespierre n'avait pu s'empêcher de témoigner l'étonnement où il avait été plongé en apprenant que l'auteur de Paméla était François de Neufchâteau[205], à qui il portait une estime toute particulière. Membre de l'Assemblée législative, François de Neufchâteau avait toujours voté avec les patriotes les plus énergiques, et, tout récemment, il avait été proposé pour ministre en concurrence avec Paré, auquel la protection de Danton avait obtenu la préférence. Son arrestation provisoire — il avait été tout simplement mis en arrestation chez lui — ne paraît pas l'avoir brouillé avec Robespierre, dont il resta l'admirateur, et auquel il adressa les vers les plus élogieux, vers qu'il essaya bien de racheter plus tard dans un discours sur l'anniversaire du 9 Thermidor, mais dont on ne lui fit pas moins un crime[206]. XXVI La présidence de Robespierre, inaugurée par le décret fameux sur la levée en masse, se trouva signalée par des événements d'une importance capitale, et dont la portée fut tout d'abord incalculable. Mais, comme nous l'avons dit, plus audacieuses étaient les tentatives des ennemis de la Révolution, plus gigantesques étaient les efforts de la République pour les surmonter. Au milieu de tout cela l'Assemblée trouvait le moyen de continuer ses discussions sur le Code civil ; les séances des 24, 29 et 31 août 1793 y furent en partie consacrées[207]. Par un hasard assez singulier, ce fut sous la présidence de Maximilien que l'athéisme se révéla hautement, et, pour la première fois, afficha ses prétentions à la barre de la Convention. C'était le dimanche 25 août. Une députation d'instituteurs venait de présenter une pétition par laquelle ils réclamaient l'instruction gratuite et obligatoire, quand un des enfants qui accompagnaient la députation, et auquel on avait fait la leçon, demanda qu'au lieu de les prêcher au nom d'un soi-disant Dieu, on les instruisît des principes de l'égalité, des droits de l'homme et de la constitution. C'était le prélude des folies hébertistes. Le mouvement d'indignation et les murmures improbateurs par lesquels la Convention accueillit cette étrange et inutile attaque contre la Divinité témoignèrent du moins que la grande majorité de l'Assemblée n'était pas disposée à tomber dans l'abîme du matérialisme[208]. Ce fut également sous la présidence de Maximilien que Billaud-Varenne rendit compte d'une mission dans les départements du Nord, dont il avait été chargé dans les derniers jours du mois précédent. La désorganisation de l'armée était extrême vers cette partie de la République. L'esprit des troupes était excellent, leur courage au-dessus de toute épreuve, mais elles n'avaient pas de confiance dans les généraux de l'ancien régime et marchaient avec plus d'allégresse au combat quand elles y étaient menées par un représentant du peuple. On sait quels prodiges s'accomplirent à la voix des commissaires de la Convention. Seulement, disait avec raison Billaud-Varenne, il fallait éviter d'envoyer ces commissaires en trop grand nombre sur le même point, parce qu'ils entravaient mutuellement leurs opérations, et que, par jalousie, les uns défaisaient quelquefois ce que les autres avaient fait. On verra notamment cet inconvénient se- produire dans la Vendée et causer une véritable perturbation au sein des armées républicaines. Billaud se plaignait surtout des maux causés par l'inexécution des décrets de la Convention, et, rejetant sur les ministres la responsabilité d'une pareille négligence, il demanda qu'une commission fût spécialement chargée de surveiller le ministère pour l'exécution de ces décrets, et que, dans le cas où il y aurait des coupables, leurs têtes tombassent sur l'échafaud. Cette proposition, vivement applaudie, allait être votée sans doute, quand Robespierre se leva. L'institution du comité de Salut public suffisait amplement, à ses yeux, pour surveiller les ministres et les forcer à l'exécution de la loi. Une commission établie entre le comité et le conseil exécutif ne serait-elle pas une cause perpétuelle de conflits ? Il est à craindre, dit-il, que cette commission ne s'occupe plutôt d'inimitiés personnelles que de surveillance loyale, et ne devienne ainsi un véritable comité de dénonciation. Malgré l'improbation de quelques membres, il n'en persista pas moins à réclamer la question préalable sur la proposition de Billaud, laquelle, tout en tendant à donner plus de vigueur au gouvernement, l'avilissait et l'anéantissait pour ainsi dire. Vivement appuyés par d'autres, les motifs de Robespierre prévalurent ; seulement, l'Assemblée décida que trois membres adjoints au comité de Salut public seraient chargés de remplir l'objet de la proposition de Billaud-Varenne[209]. Ceci se passait le 29 août. Le surlendemain parut à la barre un officier du nom de Bonnard, aide de camp du général Cartaux. Il était porteur de trois drapeaux enlevés aux rebelles marseillais, et d'une épée dont il voulait armer un Parisien prêt à partir pour les frontières. Après avoir déclaré, au nom de son général, qu'on pouvait regarder les républicains comme étant déjà à Marseille, — et ils y étaient en effet au moment où l'aide de camp s'exprimait ainsi, — il présenta à la Convention deux boulets de plomb tirés sur les représentants Albite et Nioche, et qui avaient failli tuer ce dernier, plus il réclama de l'Assemblée un renfort tiré en partie de la gendarmerie parisienne, dont la bravoure et l'ardeur républicaine étaient proverbiales. Vaincre ou tomber avec gloire, répondit Robespierre, voilà la destinée des défenseurs de la liberté. Les exploits qui honorent l'humanité sont ceux que vous venez de nous annoncer ; ils unissent les palmes du civisme aux lauriers de la victoire. Renvoyez à nos ennemis les boulets lancés par des mains coupables ; achevez la défaite de l'aristocratie hypocrite que vous avez vaincue. Que les traîtres expirent ! que les mânes des patriotes assassinés soient apaisés, Marseille purifiée, la liberté vengée et affermie !... Dites à vos frères d'armes que les représentants du peuple sont contents de leur courage républicain ; dites-leur que nous acquitterons envers eux la dette de la patrie ; dites-leur que nous déploierons ici, contre les ennemis de la République, l'énergie qu'ils montrent dans les combats[210]. On comprend l'effet de telles paroles, et combien elles devaient retentir profondément au cœur de nos soldats ! Invité aux honneurs de la séance, l'aide de camp Bonnard prit place dans la salle au milieu des plus vives acclamations, et quand il fut revenu parmi ses compagnons d'armes, il put leur dire de quel cœur les représentants de la nation s'associaient à leurs efforts et à leurs dangers. Moins bien accueillie, certes, avait été la citoyenne Rose Lacombe, lorsque cinq jours auparavant elle s'était présentée devant la Convention nationale, à la tête d'une députation de la société des Républicaines révolutionnaires. Les loustics de l'histoire n'ont pas manqué de qualifier du nom de Tricoteuses de Robespierre les femmes qu'on voyait suivre assidûment les séances de la Convention, des Jacobins et des Cordeliers. Il les favorisait en secret, prétendent-ils ; il connaissait l'art de se ménager ces actifs instruments de succès. Et sur quoi fondent-ils leur opinion ? C'est ce dont ils seraient fort embarrassés de rendre compte. Mais il est aisé de comprendre quel admirable parti on a espéré tirer, au point de vue réactionnaire, de cette association du nom de Robespierre avec ce troupeau de femmes immondes qu'on a appelées les furies de la guillotine[211]. S'il avait les suffrages de ce que le parti démocratique comptait de femmes distinguées et sincèrement éprises des sublimes principes de la Révolution, il n'était nullement sympathique à celles qui avaient pour évangile le journal du Père Duchesne ou le Rougyff du représentant Guffroy, et qui poursuivirent des mêmes imprécations sur le chemin de l'échafaud Marie-Antoinette et Maximilien. On n'a pas oublié peut-être l'étrange sortie de Théroigne de Méricourt, au club des Jacobins, un jour que Robespierre s'était exprimé avec un peu trop de franchise sur les extravagances de la belle Luxembourgeoise. Celle-ci ne lui avait pas pardonné la leçon, et d'emblée elle avait passé dans le parti de la Gironde, avec lequel finit sa courte et orageuse carrière politique. D'une nature plus exaltée que Théroigne, Rose Lacombe appartenait à la secte de Varlet, de Jacques Roux et du jeune Leclerc ; on la soupçonnait fort d'être la maîtresse du dernier. Pour elle et ses compagnes, Robespierre était un monsieur qui osait les traiter de contre-révolutionnaires[212]. Contre-révolutionnaires, oui, par exagération, à la façon des Vincent, des Varlet et des Hébert, dont elle se fit l'écho quand elle vint à la Convention réclamer impérieusement la destitution de tous les nobles, l'arrestation de tous les suspects, et reprocher à l'Assemblée de se jouer du peuple[213]. Cette fois le président ne répondit pas un mot, et le silence remarquable de Robespierre en cette occasion démontre suffisamment, ce semble, combien peu il approuvait les manifestations où la femme compromettait à la fois la pudeur de son sexe et sa dignité d'épouse et de mère. XXVII La destitution en masse de tous les nobles, c'était ce
qu'à diverses reprises avait réclamé Hébert[214], malgré
l'opposition de Danton et celle de Robespierre, lequel ne cédera que plus
tard, et non sans faire des réserves, à l'entraînement général. Nous touchons
à l'heure sombre et terrible où le soupçon farouche va envahir la plupart des
esprits, la pitié déserter presque tous les cœurs. Cette heure, les royalistes
semblaient prendre à tâche de la précipiter en poussant, par tous les moyens
possibles, le peuple à un soulèvement. Mais d'autre part, quelles tristes
leçons ce peuple recevait de certains professeurs de démagogie, et en quel
style écœurant lui parlait chaque jour le Père Duchesne ! Citons-en un
échantillon : Qu'on mette le grappin sur tous les
contre-révolutionnaires ; que tous les Feuillants, royalistes, aristocrates,
accapareurs, soient mis à l'ombre ; qu'ils soient enfermés dans des églises
et que l'on braque vis-à-vis des canons chargés à mitraille jusqu'à ce que la
paix soit faite. Voilà f..... ! les moyens de salut public que je propose ;
ils valent mieux que ceux du bateleur Barère[215]. Nul respect
pour le malheur. Dans un autre numéro, il témoigne sa grande joie de voir que
la louve autrichienne, qu'il montre se lamentant comme une guenon, va être à
la fin raccourcie[216]. Et plus loin :
Ce qu'il faut faire, f..... ! il faut d'abord mettre
à l'ombre tous les hommes suspects, chasser de nos armées tous les nobles et
les intrigants ; il faut ensuite renouveler toute la Convention et ne la
composer cette fois que de véritables républicains. La contre-révolution sera
faite avant un mois si on Laisse le comité de Salut public organisé comme il
l'est aujourd'hui[217]. On va tout à l'heure, dit-on, commencer le procès de
l'architigresse d'Autriche. Si elle n'est pas jugée et raccourcie dans
vingt-quatre heures, je dirai, f..... ! que nous ne sommes pas libres et que
nous ne sommes pas dignes de l'être[218]. Purgeons si bien la République qu'il n'y reste plus que
des hommes libres. Que tous les gredins qui vendirent le peuple au tyran dans
l'Assemblée constituante, dans l'Assemblée législative et dans la Convention,
perdent également le goût du pain. Point de quartier pour les ennemis de la
sans-culotterie. Le jour de la vengeance est arrivé, l'heure de la mort va
sonner ; qu'ils périssent tous jusqu'au dernier, f.... ![219] Et l'on
s'étonne que Robespierre n'ait pas été pénétré d'admiration pour ce pauvre
Hébert, comme quelques enthousiastes de l'hébertisme appellent aujourd'hui le
rédacteur du Père Duchesne ! Dans la soirée du 1er septembre, Hébert prononça à la tribune des Jacobins un discours qui n'était qu'un écho des articles de son journal. Il provoqua toutes les sections, les sociétés populaires, le peuple entier de Paris, à se transporter en masse à la Convention pour obtenir le jugement des Girondins et de leurs complices, c'est-à-dire des soixante-treize signataires de la protestation secrète contre le 31 mai, et quelques membres l'invitèrent à rédiger une adresse à ce sujet[220]. Le lendemain, se répandait dans Paris le bruit que la ville de Toulon s'était livrée aux Anglais. Cette nouvelle, jointe à tant d'autres nouvelles sinistres, aux excitations des royalistes, à la crainte de la famine, porta au comble la fermentation de la capitale. Le 4 septembre, dès la pointe du jour, des groupes nombreux parcourent les rues et entourent l'hôtel de ville en criant : Du pain ! du pain ! Chaumette se rend à la Convention, présidée par Robespierre. Il informe l'Assemblée de ce qui se passe. La Convention, répond Robespierre, s'occupe des subsistances, et, par conséquent, du bonheur du peuple[221]. Le procureur général de la commune retourne à l'hôtel de ville et donne lecture d'un décret portant que le maximum des objets de première nécessité serait incessamment fixé. Mais cela ne suffit pas à calmer l'agitation de la foule. Ce ne sont pas des promesses qu'il nous faut, s'écrient les meneurs, c'est du pain, et tout de suite. Chaumette alors requit le transport à la halle d'une quantité de farines suffisante à la subsistance du lendemain, et il ajourna le peuple au jour suivant pour aller inviter la Convention à mettre sur pied une armée révolutionnaire destinée à assurer les levées, à favoriser les arrivages et à arrêter les manœuvres des riches. Hébert, après lui, émit le vœu sinistre que la guillotine suivît chaque rayon, chaque colonne de l'armée révolutionnaire[222]. La séance des Jacobins s'ouvrit, on le conçoit, sous de
sombres auspices. Dès le début, le luthier Renaudin annonça que les
contrerévolutionnaires se réjouissaient tout haut, aux portes mêmes du club,
de la chute prochaine de la République, comme si déjà ils eussent été sûrs de
la réussite de leurs noirs projets. Un membre engagea ensuite la société à
s'occuper du renouvellement du personnel des postes, composé encore en
majeure partie des créatures de Roland et de Clavières, et fort capable en
conséquence d'entraver le service. Robespierre appuya cette proposition, puis
il s'étendit longuement sur le complot formé par les ennemis de la Révolution
d'affamer Paris et de plonger le peuple de la capitale dans le sang et dans
le désespoir, complot dont le comité de Salut public avait, dit-il, les
preuves entre les mains. Quelques jours auparavant, répondant, comme
président de la Convention, à une députation de citoyens de Vincennes qui
étaient venus manifester leurs craintes au sujet de la rareté des vivres, il
s'était écrié : L'aristocratie, l'avarice et la
tyrannie coalisées font tous leurs efforts pour perdre la liberté ; ils
mettent tout en usage pour réussir, et la Convention n'a cessé de veiller
pour déjouer leurs complots. Elle a une dernière conspiration à déjouer :
c'est celle qui a pour but d'affamer le peuple... Mais ce n'est pas assez que la Convention veille, il faut
qu'elle soit secondée par ceux qui sont dépositaires d'une portion de
l'autorité nationale, et qui trop souvent ont trahi leurs devoirs. Respectez
les lois, ayez confiance dans vos représentants, et soyez sûrs qu'ils ne
négligeront rien pour apporter remède à vas maux[223]. A peu près
semblable fut son langage, dans la soirée du 4, aux Jacobins. Des lois sages
et en même temps terribles, dit-il en substance, pourvoiront aux besoins du
peuple et déjoueront les trames perfides ourdies par ses ennemis pour
l'insurger par la faim, l'affaiblir par le dénuement, l'exterminer par la
misère. Si les accapareurs et les fermiers opulents voulaient n'être que les
sangsues du peuple, le peuple en ferait justice lui-même ; mais il fallait se
méfier, ajoutait-il, des contre-révolutionnaires, dont le but était de rendre
les patriotes suspects aux patriotes, et qui, mêlés aux groupes station- nant
aux portes des boulangers, s'efforçaient d'irriter la foule par des propos
perfides. On trompait les citoyens en les inquiétant sur les subsistances. La
malveillance et la trahison étaient, selon lui, les principales causes des
désordres dont la capitale avait été le théâtre dans la journée. On a voulu, dit-il, armer
le peuple contre lui-même, le jeter sur les prisons pour égorger les
prisonniers. On espérait sans doute sauver les coupables et faire
périr l'innocent, le patriote incarcéré par erreur. Et même, lui avait-on
assuré, dans le moment où il parlait, Pache était assiégé à l'hôtel de ville,
non parle vrai peuple, mais par des intrigants dont il avait à subir les
insultes et les menaces[224]. Aussitôt la société arrêta l'envoi d'une députation de vingt membres à la commune pour vérifier les faits et instruire le peuple sur ses véritables intérêts. La députation venait de partir quand un citoyen déclara avoir été averti par un membre même de la commune qu'un attroupement de malveillants stationnaient sur la place de Grève, et que déjà le maire avait été injurié par etix. — Vous voyez, reprit alors Robespierre, quels sont les moyens employés afin d'égarer le peuple. C'était à la Convention, aux sociétés populaires, aux sections, au peuple tout entier de Paris, à s'unir étroitement pour surveiller les intrigants et prévenir les coups qu'on s'apprêtait à porter aux autorités constituées. Après Robespierre parut à la tribune le curé de Châlon-sur-Saône, Royer. Il venait, l'âme navrée de douleur, incriminer certains membres du comité de Salut public, d'après une conversation qu'il avait eue à Auxerre avec le patriote Loys. Barère et Cambon, entre autres, auraient avoué à Loys qu'à leurs yeux l'état de Marseille et de Lyon n'était point un état de rébellion, et que les réclamations de ces deux villes étaient légitimes. Cette dénonciation était grave et pouvait amener un orage sur les membres ainsi inculpés. Robespierre s'empressa de le conjurer. Sans révoquer en doute le propos rapporté par un de ses collègues du club, il fit remarquer qu'il avait été tenu du temps de l'ancien comité, par des gens peu aptes a deviner une conspiration, et à une époque sans doute où Lyon et Marseille n'avaient pas encore levé ouvertement l'étendard de la révolte. Mais il ne se contenta pas de cela. Cet envieux, qui à diverses reprises avait défendu les ministres, le comité de Salut public et Danton, prit cette fois la défense de Barère, dont personnellement il n'avait cependant pas eu à se louer. On n'a peut-être pas oublié l'ordre du jour perfide proposé par ce dernier lors de l'inconcevable attaque de Louvet contre Maximilien. Quant à Barère, dit-il, j'aurais peut-être plus d'une raison de me plaindre, car Barère m'attaqua personnellement dans un temps où tous mes ennemis réunissaient leurs efforts contre moi ; mais je ne sais pas me ressouvenir des injures particulières quand il s'agit du salut public. Je déclare donc que j'ai toujours vu dans Barère un homme faible, mais jamais l'ennemi du bien public. Je vous le répéterai quand il le faudra, si jamais on cherchait à faire valoir contre lui des inculpations de même nature. Puis il vanta les services rendus par Barère, l'ardeur avec laquelle, au sein du comité de Salut public, il s'occupait des intérêts de la patrie. Si un moment il avait pu être abusé par une faction criminelle, il n'avait pas laissé échapper depuis l'occasion de témoigner énergiquement combien il abhorrait les principes de cette faction. Robespierre, ne paraissant pas concevoir l'ombre d'un doute sur la sincérité de son collègue, ne lui ménagea pas les éloges, et il s'étendit complaisamment sur son zèle, sur sa franchise et sur son énergie, qui croissait avec les dangers de la patrie. Le curé de Chalon-sur-Saône se montra beaucoup plus
sceptique ; il connaissait bien l'âme double de Barère. Aussi, après avoir
signalé sa marche tortueuse dans la Révolution, ne craignit-il pas d'affirmer
que si le côté droit eût été victorieux, Barère, triomphant et tranquille,
insulterait aujourd'hui aux Jacobins anéantis. Robespierre,
dit ensuite Royer, ton âme est pure ; tu crois
telles celles de tous ceux avec qui tu communiques, et c'est tout simple : il
est de l'essence d'une âme candide, d'un cœur pur, d'un esprit droit, de ne
pas soupçonner dans autrui le crime qui n'est pas dans lui-même[225]. Combien avait
raison le curé de Chalon-sur-Saône, et comme après Thermidor Barère prendra
soin de justifier ses paroles sévères ! Mais il était dans la destinée de
Robespierre d'être indignement et lâchement calomnié par ceux dont il fut le
défenseur, et par ceux mêmes qu'il sauva de l'échafaud. XXVIII Royer ne s'était pas contenté de rendre hommage à la pureté d'âme de Robespierre. Au dire de celui-ci, la foule qui avait parcouru les rues de Paris. et envahi la place de Grève aurait été menée par des intrigants auxquels il attribuait les insultes prodiguées au maire. Le curé de Chalon-sur-Saône sembla croire, lui, que cette multitude avait été dirigée par d'ardents et sincères révolutionnaires, puisque, par une motion d'une excessive violence, il engagea les Jacobins à s'associer à ses manifestations. La vérité est que le peuple obéit à la fois aux excitations des enragés qui poussaient la Révolution aux extrêmes, et à celles des royalistes qui, sous le masque du patriotisme, cherchaient à la perdre par l'exagération des mesures révolutionnaires. Tout présageait pour le lendemain une sombre et décisive journée. Il faut suivre pas à pas dans le Moniteur les péripéties de cette longue et mémorable séance du jeudi 5 septembre. C'était le dernier jour de la présidence de Maximilien Robespierre. Depuis le 23 août, date où il avait pris le fauteuil[226], il n'avait pas manqué une seule fois de présider la Convention, et pour rien au monde il n'aurait déserté son poste un jour qui devait être signalé par des orages annoncés d'avance. C'est donc par la plus étrange des inadvertances qu'un historien célèbre affirme qu'on ne le vit pas le 5, et que les Dantonistes seuls reçurent le choc de la foule[227]. Ce fut précisément le contraire qui eut lieu, et si, dans le courant de cette longue séance, Robespierre descendit un moment du fauteuil, il le reprit presque aussitôt. Cette séance fameuse prit, dès le début, une tournure formidable, et l'on put voir combien tous les cœurs étaient disposés à l'inflexibilité. Merlin (de Douai), le puissant jurisconsulte, vint, au nom du comité de constitution, présenter à l'Assemblée un rapport sur la nécessité de diviser le tribunal révolutionnaire en quatre sections. Surchargé d'affaires, le tribunal, disait le rapporteur, ne peut suffire à tout. Cependant, ajoutait-il, il importe que les traîtres, les conspirateurs, reçoivent le plus tôt possible le châtiment dû à leurs crimes ; l'impunité ou le délai de la punition de ceux qui sont, sous la main de la justice enhardit ceux qui trament des complots : il faut que prompte justice soit faite au peuple. Et sans discussion l'Assemblée vota le redoutable décret proposé par son comité de législation. Ce décret était à peine adopté que le président annonçait
à la Convention qu'une députation de la section de la Cité demandait à lui
donner lecture d'une pétition sur les subsistances. A cette députation en
succéda une autre ayant à sa tête le maire de Paris, Pache, et le procureur
général de la commune, Chaumette. Dans un sombre discours, celui-ci développa
les griefs populaires. De nouveaux seigneurs, non moins avides, non moins
cruels et insolents que les anciens dont ils avaient acheté ou affermé les
terres, s'étaient élevés, dit-il, sur les ruines de la féodalité et
spéculaient sur la misère publique, tarissaient les sources de l'abondance.
Les lois sages rendues par la Convention pour la répression du crime et du
brigandage demeuraient sans exécution. A la voix de l'Assemblée, les métaux
se changeaient en armes tyrannicides, mais où était le bras qui devait
tourner ces armes contre les poitrines des traîtres ? demandait l'orateur. Il
était temps d'en finir avec les ennemis de l'intérieur. C'était à la masse du
peuplé à les écraser, sans rémission, de son poids et de sa volonté. Puis,
s'animant par degrés : Et vous, Montagne, à jamais
célèbre dans les pages de l'histoire, soyez le Sinaï des Français ! Lancez au
milieu des foudres les décrets éternels de la justice et de la volonté du
peuple !... Plus de quartier, plus de
miséricorde aux traîtres ! — Non ! non !
s'écrie-t-on à la fois dans toutes les parties de la salle. — Si nous ne les devançons pas, ils nous devanceront ;
jetons entre eux et nous la barrière de l'éternité ! Presque à chaque
phrase des tonnerres d'applaudissements interrompaient le procureur de la
commune. Les patriotes de tous les départements, et
le peuple de Paris en particulier, ont jusqu'ici montré assez de patience...
Le jour de la justice et de la colère est venu...
Hercule est prêt, remettez dans ses mains robustes
la massue, et bientôt la terre de la liberté sera purgée de tous les brigands
qui l'infestent ! En conséquence, il réclama au nom du peuple la
formation immédiate d'une armée révolutionnaire suivie d'un tribunal
incorruptible et de l'instrument du supplice, et portant sur ses enseignes
l'inscription suivante : Paix aux hommes de bonne
volonté, guerre aux affameurs, protection aux faibles, guerre aux tyrans,
justice et point d'oppression. De tous les points de la salle de
nouvelles acclamations retentirent et se prolongèrent durant plusieurs
instants. Robespierre, comme président, répondit à la députation que
l'Assemblée ne manquerait pas de prendre sa demande en considération, et il
l'invita aux honneurs de la séance. La liberté,
dit-il, survivra aux intrigues et aux projets des
conspirateurs. La sollicitude de la Convention s'étend sur tous les maux du
peuple. Que les bons citoyens se réunissent ; qu'ils fassent un dernier
effort : la terre de la liberté, souillée par la présence de ses ennemis, va
en être affranchie. Aujourd'hui leur arrêt de mort est prononcé, et demain
l'aristocratie cessera d'être[228]. Chaumette
reprit la parole afin de proposer à la Convention de décréter que les jardins
de tous les domaines nationaux renfermés dans Paris seraient défrichés et
cultivés pour l'approvisionnement de la ville. Au lieu de statues et de
fleurs aliments du luxe et de l'orgueil des rois,
des pommes de terre. Cette proposition fut moins bien accueillie, chacun
sentant avec raison que les arts étaient tout aussi nécessaires aux
républiques qu'aux monarchies, et que, les grands artistes sortant du peuple,
il eût été absurde de priver de leurs chefs-d'œuvre la masse de la nation. Il
ne faut pas oublier que les plus gracieux ornements du jardin des Tuileries
ont été commandés par le comité de Salut public[229]. A peine
Chaumette a-t-il cessé de parler, qu'une foule immense défile dans la salle,
au bruit d'acclamations enthousiastes. Alors se croisent dans tous les sens
les propositions les plus terribles. Moïse Bayle convertit en motions toutes
les mesures réclamées par les citoyens de Paris, et il en demande l'insertion
au Bulletin. Raffron du Trouillet veut qu'il soit enjoint au ministre de
l'intérieur d'organiser dans la journée même l'armée révolutionnaire ;
Dusaulx opine pour que les Champs-Elysées soient, comme les Tuileries, transformés
en culture utile ; Billaud-Varenne insiste pour l'arrestation immédiate de
tous les ennemis de la Révolution ; il somme ses collègues de décréter la
peine de mort contre tout administrateur coupable de négligence dans
l'exécution d'une loi quelconque, et de voter séance tenante le mode d'organisation
de l'armée révolutionnaire. Il n'avait point parlé du tribunal ambulant
destiné à marcher à la suite de cette armée, Léonard Bourdon répare cet oubli
ou cette omission volontaire. Nous sommes dans une salle d'armes, il n'est
plus temps de temporiser, s'écrie Gaston, et il demande la fermeture des
barrières et l'incarcération de tous les mauvais citoyens. Jean-Bon
Saint-André, au nom du comité de Salut public, engage la Convention à ne
point précipiter ses décisions, le comité devant sous une heure lui présenter
un rapport sur la situation ; l'Assemblée, frémissante, se refuse à tout
délai, docile à la voix de Billaud-Varenne, qui lui crie : Il faut agir ! A ce moment paraît à la tribune l'énergique figure de Danton, et à sa vue éclatent dans les galeries et dans la salle d'incroyables applaudissements. Jamais l'âpre génie de la Révolution ne se révéla avec plus de puissance et d'énergie. A quoi bon attendre le rapport du comité de Salut public pour décréter l'armée révolutionnaire ? La mesure était d'ailleurs insuffisante à ses yeux. Il reste à punir, dit-il, et l'ennemi intérieur que vous tenez, et ceux que vous aurez à saisir. Il faut que le tribunal révolutionnaire soit divisé en un assez grand nombre de sections pour que tous les jours un aristocrate, un scélérat, paye de sa tête ses forfaits. Et les applaudissements de redoubler. Il demanda encore que les assemblées sectionnaires s'assemblassent extraordinairement le jeudi et le dimanche ; qu'une paye de quarante sous indemnisât l'homme du peuple du temps enlevé à son travail, proposition jadis émise par Robespierre, et qu'une somme de cent millions fût confiée au ministre de la guerre pour la fabrication des armes et l'armement de tous les bons citoyens. Sa triple proposition fut adoptée au milieu d'un enthousiasme qui tenait du délire. Une communication électrique s'était établie entre la salle et les tribunes ; tous, députés et assistants, les mains en l'air et agitant leurs chapeaux, faisaient retentir l'enceinte de la Convention des cris mille fois répétés de Vive la République ! comme si en effet, par ces mesures extraordinaires, on venait d'assurer son salut. Mais cela ne suffit pas à Billaud-Varenne. Il réclame le rapport d'un décret qui interdisait les visites domiciliaires pendant la nuit. Il nous faut, dit-il, aller chercher nos ennemis dans leurs tanières. Tout noble ou tout prêtre qui, à la réception du présent décret, ne se trouverait pas en résidence dans sa municipalité, devait être, selon lui, considéré comme suspect. Barère veut présenter quelques observations là-dessus ; on se refuse a l'entendre, comme si on le soupçonnait capable d'intentions modérées ; il fallut toute la fermeté de Robespierre pour lui maintenir la parole. Il se borna, du reste, à proposer que les comités révolutionnaires, réorganisés et composés de vrais patriotes, fussent chargés de procéder sur-le-champ au désarmement et à l'arrestation des gens suspects, et qu'il leur fût donné plein pouvoir à cet effet pour agir sans l'intervention d'aucune autorité quelconque. Mise aux voix par Thuriot, à qui Robespierre, épuisé, venait de céder le fauteuil, cette proposition est aussitôt convertie en décret. Survient alors une députation des sections de Paris jointe à des commissaires de la société des Jacobins. Elle réitère les demandes précédemment exprimées, réclame le prompt jugement des Girondins et invite l'Assemblée à mettre la Terreur à l'ordre du jour. Thuriot l'informe des mesures déjà décrétées. Les bons citoyens, au lieu de trembler, béniront, pense-t-il, le moment où l'on aura arrêté les moyens de fixer le sort de la Révolution. Tous les scélérats périront sur l'échafaud, la Convention l'a juré solennellement. Admise également aux honneurs de la séance, cette nouvelle députation traverse la salle au bruit des plus chaleureux applaudissements. Peu après, Merlin (de Douai) reparut à la tribune. Rappelant la perfidie avec laquelle, depuis le commencement de la Révolution, l'aristocratie s'était attachée à discréditer les assignats, et les efforts qu'elle tentait aujourd'hui pour faire hausser le prix des objets de première nécessité, il proposa à la Convention l'adoption d'un décret punissant de mort tout individu convaincu d'avoir, avec intention de favoriser les ennemis de la République, tenu des discours tendant au discrédit des assignats, de les avoir refusés en payement, et donnés ou reçus à perte. Ce décret sévère venait d'être adopté sans avoir soulevé aucune objection quand Robespierre reprit le fauteuil. Il y était à peine remonté qu'arrivent des commissaires de
la section de l'Unité, porteurs de vœux pareils à ceux qu'avait déjà entendus
l'Assemblée. Ils insistent de plus pour l'exécution des lois contre
l'agiotage et l'accaparement, et le maintien de la Convention à son poste
jusqu'à l'établissement définitif de la constitution. La réponse de
Robespierre mérite d'être mise sous les yeux du lecteur : Le peuple sera libre, dit-il, car il est aussi raisonnable, aussi éclairé et généreux
qu'il est intrépide. Il sera libre, car le génie de la liberté guide ses démarches.
Il fait tourner contre ses ennemis les pièges qu'ils lui tendent, et chaque
conspiration n'est qu'un nouveau moyen de faire éclater la vertu publique. La
Convention nationale doit être digne d'un tel peuple, elle le sera. Elle a
senti dès longtemps les grandes vérités que vous venez de lui rappeler ; elle
en a fait la règle de ses devoirs. Elle a pris, depuis qu'elle est dégagée
des conspirateurs qu'elle renfermait dans son sein, les moyens de rendre le
peuple heureux. Et si, pour son bonheur, il ne faut que le sacrifice de notre
vie, nous nous dévouerons tous, pourvu que la liberté triomphe. Notre
récompense sera l'amour et l'estime de ce peuple pour lequel nous nous serons
glorieusement immolés. Cette fois ce furent les paroles de son
président que l'Assemblée salua de ses plus vives acclamations. On entendit ensuite un homme célèbre dans les fastes de la Révolution, Drouet, le maître de poste de Varennes, dont le langage contrasta singulièrement avec celui de Robespierre. Patriote intègre et sincère, mais nature exaltée, Drouet, dans le délire de son patriotisme, eut des expressions qui révoltèrent la conscience de la Convention. Avertissez les suspects, dit-il, que si par impossible la liberté était menacée, vous les massacreriez impitoyablement. Et, continuant, malgré les murmures : Déclarez que vous ne rendrez aux tyrans la terre de la liberté que couverte de cadavres... que les hommes suspects répondront sur leurs têtes des malheurs de l'État... Mais l'Assemblée aima mieux s'associer à ces belles paroles de Thuriot : Loin de nous l'idée que la France soit altérée de sang ; elle n'est altérée que de justice. En les couvrant d'universels applaudissements, elle les fit siennes. Seulement la justice même commandait, à ses yeux, la punition exemplaire des coupables. Enfin parut Barère, dont le langage devait nécessairement se ressentir des émotions de cette journée orageuse. Reflet des passions qui avaient agité la séance, son discours fut d'une violence excessive. On l'eût dit écrit à la lueur des torches qui incendiaient notre arsenal à Toulon ou nos magasins à Huningue. Plaçons la Terreur à l'ordre du jour ! s'écria-t-il à son tour. Les royalistes veulent du sang, eh bien ! ils auront celui des conspirateurs, des Brissot, des Marie-Antoinette ! Selon lui, Brissot avait dit et imprimé que les têtes d'une partie des membres de l'Assemblée tomberaient avant la sienne ; on cherchait à arrêter par la terreur la marche de la Révolution ; mais la terreur se retournerait contre les ennemis de la République. Les royalistes veulent troubler les travaux de la Convention ; conspirateurs, elle troublera les vôtres ! Vous voulez faire périr la Montagne !... eh bien ! la Montagne vous écrasera. La Convention, après l'avoir entendu, décréta, séance tenante et sans discuter, qu'il y aurait à Paris une force armée composée de six mille hommes et de douze cents canonniers, destinée à comprimer les contre-révolutionnaires, à exécuter, partout où besoin serait, les lois révolutionnaires et les mesures de salut public prises par la Convention nationale, et à protéger les subsistances. Quant au tribunal et à la guillotine, dont plusieurs membres avaient réclamé l'adjonction à l'armée révolutionnaire, le comité de Salut public n'en voulut pas. Enfin, sur une dernière proposition de Billaud-Varenne, l'Assemblée renvoya devant le tribunal révolutionnaire les anciens ministres Lebrun et Clavières. Il était cinq heures et demie quand fut levée cette séance à jamais fameuse où fut en quelque sorte décrétée la Terreur[230]. Nous avons dû en rendre compte avec quelques détails, parce qu'elle est pour ainsi dire le point de départ d'une ère nouvelle dans la Révolution, et parce qu'il était indispensable de faire connaître de la façon la plus précise dans quelle mesure Robespierre s'associa aux actes de cette rude journée. Sa coopération, comme on l'a vu, se borna à diriger les débats et à répondre à quelques députations. Le soir, l'Assemblée lui nomma un successeur, et elle choisit, pour le remplacer à la présidence, l'homme dont l'impulsion avait été décisive, Billaud-Varenne, cœur d'acier, figure austère, et qui représente bien la Révolution dans ce qu'elle a de plus implacable et de plus sombre. XXIX La Terreur ! à ce mot nous sentons tressaillir tout ce que notre nature renferme de généreux et de sensible. Nous ne nous demandons pas si ce terrible 93 n'a pas été précédé d'une Terreur permanente et dix fois séculaire, et surtout s'il n'a pas été suivi d'une autre terreur d'autant plus odieuse qu'elle était plus hypocrite, et que, s'exerçant au nom de la modération, elle égorgeait, cette fois, les patriotes par milliers, au lieu d'écraser les ennemis de la Révolution ; malgré nous, l'humanité se révolte dans notre. sein quand nous nous prenons à songer à toutes les victimes immolées, même pour le salut de la France. Et pourtant, si l'on y réfléchissait bien, telle bataille, parfaitement inutile et dont par dérision nous voilons d'un prestige de gloire les péripéties sanglantes, a coûté dix fois plus de sang au genre humain que la Révolution tout entière. C'est une question encore débattue si le mouvement terrible imprimé par cette Révolution a été nécessaire pour sauver la République. J'incline à croire, pour ma part, que, dans les circonstances tout exceptionnelles où s'est trouvée celle-ci, il lui eût été difficile de ne pas s'armer d'une sévérité imposante. Laissons à cet égard répondre des hommes peu suspects d'engouement révolutionnaire. Si nous interrogeons Napoléon, il nous répond que sans la Terreur la Révolution ne serait point parvenue à s'affirmer[231]. Joseph de Maistre lui fait honneur d'avoir conservé l'intégrité du royaume. Le mouvement révolutionnaire une fois établi, dit-il[232], la France et la monarchie ne pouvaient être sauvées que par le jacobinisme. Enfin Châteaubriand n'hésite pas à reconnaître que ce sont les Jacobins qui ont donné à la France des armées nombreuses, braves et disciplinées ; que ce sont eux qui ont trouvé moyen de les payer, d'approvisionner un grand pays sans ressources et entouré d'ennemis[233]. Pour de Maistre comme pour Châteaubriand, le jacobinisme c'était la Terreur. Il est assez remarquable que certains écrivains royalistes, malgré leur haine profonde de la Révolution, se sont montrés plus justes envers elle et l'ont mieux appréciée qu'une foule de prétendus amis de la liberté qui, sans tenir compte de la situation critique où se sont trouvés les robustes lutteurs de 93, les poursuivent encore aujourd'hui de l'anathème traditionnel. Il y a d'ailleurs une distinction capitale à établir, dans ce système que Danton qualifia du nom de Terreur comme pour jeter par le mot même l'effroi dans le cœur des ennemis de la Révolution, entre le degré de sévérité jugé indispensable par la Convention nationale et les exagérations auxquelles se livrèrent les ultra-révolutionnaires, excités par une foule de royalistes déguisés, et qui n'eurent pas de plus vigoureux adversaires que Robespierre. Justice et non persécution, telle fut la constante devise de ce dernier, et nous allons le voir s'épuiser en efforts, inutiles hélas ! pour la faire mettre en pratique. S'imaginer que la Terreur sortit tout armée du cerveau d'un individu, c'est le comble dei la puérilité ; c'est surtout témoigner d'une ignorance absolue des faits les plus élémentaires de la Révolution. Nous avons dit déjà combien à son début cette Révolution se montra débonnaire, disposée à ouvrir ses bras à tous les privilégiés de l'ancien régime. Ses colères naquirent de la perfidie avec laquelle elle fut attaquée, et grandirent en raison directe des machinations dirigées contre elle. Sa marche vers la Terreur fut donc progressive ; elle y fut amenée par les résistances de ses ennemis- de l'intérieur et de l'extérieur, comme l'a fort bien dit un homme qui, après avoir, du milieu du marais où il siégeait, approuvé toutes les mesures de rigueur votées par la Convention, s'est, une fois l'orage passé, complaisamment présenté comme un type de modération et de douceur[234]. Nous avons, dans la seconde partie de cette histoire, indiqué avec soin dans quelles conjonctures et par qui furent votées les premières lois de sang. Les décrets terribles rendus contre les prêtres et les émigrés, cette batterie de canons déchargée par la Révolution sur ses ennemis, suivant l'expression de Mallet du Pan, datent de l'Assemblée législative et sont l'œuvre des Girondins. On a vu également combien passif avait été le rôle de Robespierre dans la formation du tribunal révolutionnaire, dans la réorganisation de ce tribunal, décrétée sur le rapport de Merlin (de Douai), et dans l'adoption du système de terreur inauguré avec un si furieux enthousiasme par la Convention dans sa séance du 5 septembre. Il demeura non moins étranger aux lois complémentaires de ce système rendues dans le courant du même mois Dès le lendemain, en effet, sur le rapport de Garnier (de Saintes), parlant au nom du comité de Sûreté générale, l'Assemblée décréta d'arrestation les étrangers, à l'exception des artistes, des ouvriers et de ceux qui fourniraient des preuves de leur attachement à la Révolution française. Le même jour elle adjoignait au comité de Salut public, sur la proposition de Barère, et conformément à une motion émise par Danton peu de temps auparavant, deux hommes qui personnifiaient en eux la Terreur, Billaud-Varenne et Collot-d'Herbois[235]. Quelques jours plus tard, le 17 septembre, elle décrétait le véritable code de la Terreur, la loi fameuse connue sous le nom de loi des suspects. Ce fut au nom du comité de législation, présidé par Cambacérès, que Merlin (de Douai) présenta cette loi, d'un vague effrayant, et qui fut adoptée sans discussion. Étaient réputés suspects et décrétés d'arrestation tous ceux qui, par leur conduite, leurs relations, leurs propos ou leurs écrits, s'étaient montrés partisans de la tyrannie ou du fédéralisme et ennemis de la liberté, ceux à qui avaient été refusés des certificats de civisme, les fonctionnaires suspendus de leurs fonctions par la Convention ou par ses commissaires, les ci-devant nobles, maris, femmes, pères, mères, fils ou filles, frères ou sœurs et agents d'émigrés qui n'auraient pas constamment manifesté leur attachement à la Révolution. Les comités de surveillance étaient chargés de dresser, dans leurs arrondissements respectifs, la liste des gens suspects, et dé décerner contre eux les mandats d'arrêt. Nous n'avons pas besoin d'insister sur la rigueur d'un décret pareil ; on comprend de reste quelle large porte il ouvrait à l'arbitraire. Eh bien ! pas un membre ne se leva pour protester. Non pas, comme on l'a niaisement écrit, parce que la Convention elle-même était terrorisée. Les anciens Conventionnels, comme Durand-Maillane et quelques autres, qui ont essayé de se couvrir de cette honteuse excuse ont commis une lâcheté inutile, car elle ne dégage point leur responsabilité. L'Assemblée avait sa pleine et entière liberté d'action ; seulement, à des dangers dont l'histoire n'offrait pas encore d'exemple, elle jugea indispensable d'opposer des moyens de défense extrêmes. Est-ce que, par hasard, comme on l'a écrit également, elle subissait les influences du dehors et se contentait d'enregistrer docilement sous forme de décrets les volontés populaires ? Un fait bien significatif, qui se passa dans cette même séance du 17 septembre, prouve surabondamment le contraire. Robespierre venait d'appuyer chaleureusement une proposition de Jean-Bon Saint-André tendant à l'improbation d'une pétition irrespectueuse par laquelle les administrateurs du département de Seine-et-Oise demandaient la réintégration de trois d'entre eux destitués par Roux, commissaire de la Convention, — l'Assemblée, avait-il dit, ne doit jamais souffrir que les lois ou les principes soient outrageusement traités en sa présence[236], — quand se présenta à la barre une députation se disant déléguée par les sections de Paris. Elle avait à sa tête Varlet, avec lequel nos lecteurs ont déjà fait connaissance. Ce jeune démagogue avait été chassé des Jacobins pour avoir déclamé contre la constitution de 1793, jugée par lui trop peu démocratique ; il venait cette fois se plaindre du décret par lequel la Convention avait décidé que les assemblées sectionnaires se réuniraient extraordinairement deux fois par semaine, et alloué une indemnité de quarante sous aux citoyens nécessiteux qui quitteraient leurs travaux pour y assister. C'était au nom des sans-culottes, disait-il, qu'il demandait le rapport d'un décret déshonorant, selon lui, pour le peuple de Paris. Billaud-Varenne répondit comme président ; il invoqua le
respect dû à un décret rendu aux applaudissements du peuple lui-même ;
toutefois il promit qu'on prendrait la pétition en considération, et il
invita les commissaires aux honneurs de la séance. Mais Robespierre : Le peuple n'a pas dicté la pétition qui vient de vous être
présentée ; il avait, au contraire, provoqué le décret contre lequel on
réclame, et lorsqu'il fut rendu, il vous témoigna sa reconnaissance par ses
applaudissements. Vous le savez, citoyens, et vous en avez acquis la triste
expérience, c'est pour anéantir les droits du peuple que quelques intrigants
ont l'air de réclamer pour lui une étendue illimitée de ces droits. Robespierre
avait, à diverses reprises, et notamment du temps de l'Assemblée
constituante, défendu le principe de la permanence des sections ; c'est
qu'alors artisans, ouvriers, industriels, avocats, médecins, marchands,
hommes de lettres, se sentaient animés d'un commun amour pour la Révolution ;
une barrière immense ne s'était pas encore élevée entre la haute bourgeoisie,
satisfaite à présent d'avoir à son profit dépossédé les privilégiés
d'autrefois, et la petite bourgeoisie, mêlée au peuple, qui voulait la Révolution
pour tout le monde. Mais, depuis, tout était bien changé. Les riches seuls,
les oisifs, pouvaient assister régulièrement aux assemblées quotidiennes des
sections et régner en maîtres en l'absence de la majorité des citoyens.
Robespierre les accusait, et non sans quelque fondement, d'être les auteurs
de toutes les propositions insensées qui sous les couleurs les plus
patriotiques n'avaient d'autre but que le rétablissement de la royauté.
C'était pourquoi la Convention n'avait pas hésité, dans sa séance du 5, à
autoriser les sections à s'assembler extraordinairement le jeudi et le
dimanche. C'est ainsi que par des combinaisons sages,
disait Robespierre, nous avons assuré les droits du
peuple et déjoué les projets des malveillants. Aussi en apprenant votre
décret, l'aristocratie et la gent muscadine ont-elles frémi. Elles ont dit :
Nous ne pourrons plus régner dans les sections ; les artisans s'y rendront,
et leur bon sens déjouera notre astuce. Il ne nous reste plus qu'un moyen
pour ressaisir l'autorité qui nous échappe, c'est de faire rapporter ce
décret qui nous est si préjudiciable ; et, pour y parvenir, disons au peuple
que là Déclaration des droits est violée, et qu'il est avili par l'indemnité
qui lui a été accordée. Le peuple est bon, il est généreux ; ses vertus
seconderont nos desseins, et nous, irons insulter la Convention nationale en
lui demandant le rapport d'un de ses décrets. Quant à cette indemnité
votée sur la proposition de Danton, jugée indispensable par l'Assemblée pour
stimuler le zèle des patriotes que la nécessité de vivre retiendrait à
l'atelier, elle n'était pas plus avilissante aux yeux de Robespierre que
l'indemnité allouée aux représentants du peuple et sans laquelle beaucoup de
députés se seraient trouvés obligés de résigner leur mandat. Les avocats des
riches, des aristocrates et des muscadins pouvaient seuls s'élever contre
cette mesure préservatrice des droits du peuple. En conséquence, au nom même
de ces droits, au nom de l'honorable indigence et de la vertu laborieuse, il réclama
l'ordre du jour pur et simple sur la pétition dont Varlet avait été
l'interprète[237]. Aux applaudissements prodigués aux paroles de Robespierre, on pressentit aisément le sort de la pétition Varlet. Vivement appuyée par Jean-Bon Saint-André, la proposition d'ordre du jour fut adoptée à l'unanimité. Coupé (de l'Oise) saisit ce moment pour réclamer un prompt rapport sur les muscadins qui, par tous les moyens, tentaient de se soustraire à la réquisition. C'était chose remarquable et triste à la fois que le peu d'empressement de la plupart des jeunes gens riches à répondre à l'appel de la patrie en danger. Barère demanda tout à coup pourquoi Varlet n'était pas à la frontière. On parla même de décréter d'arrestation ce jeune énergumène ; mais l'Assemblée s'y refusa par respect pour le droit de pétition. XXX On sait maintenant combien Robespierre fut étranger à l'établissement du régime de la Terreur. Aussi, quand on voit tant d'écrivains de toutes finances et de tous partis persister à rejeter sur sa mémoire tout l'odieux de ce système à l'édification duquel il prit une part si indirecte, on se demandé si la vérité n'est pas un vain mot, et si nous sommes destinés à tourner éternellement dans ce cercle d'erreurs, de mensonges et de calomnies où jusqu'ici l'on a semblé se complaire à rechercher des renseignements sur les plus grands hommes de notre Révolution. Ce n'était pas que Robespierre désapprouvât les mesures sévères décrétées par la Convention ; seulement il voulait qu'on les appliquât avec discernement, que rien ne fût livré à l'arbitraire, et que, dans la répression des crimes révolutionnaires, on ne confondît pas l'erreur avec le crime, ceux qui n'étaient qu'égarés avec les coupables. TERREUR était un mot impropre à ses yeux ; l'idéal, c'était JUSTICE. Et plus tard, quand nous entendrons Camille Desmoulins, devenu comme par enchantement le plus doux des révolutionnaires, proposer un comité de clémence, nous l'entendrons proposer, lui, un comité de justice. La clémence, en effet, c'était le sort des accusés livré au bon plaisir des hommes puissants. Quel serait le mobile de leurs préférences ? Cléments pour les riches, pour ceux dont les sollicitations seraient appuyées d'un présent ou du sourire d'une jolie femme, ne seraient-ils point inexorables pour les prévenus sans appui et sans fortune ? La justice, au contraire, c'était l'égalité pour tous. Personne plus que Robespierre ne déplorait les abus d'influence. Maure, membre du comité de Sûreté générale, étant venu aux Jacobins, dans la séance du 8 septembre, dénoncer les abus de tous genres qui s'étaient glissés au sein de ce comité et demander son remplacement par un comité composé non plus de vingt-quatre, mais de neuf membres, bien surs, inaccessibles aux séductions et surtout aux dîners, Maximilien l'engagea à soumettre cette proposition à la Convention nationale. Maure n'y manqua pas, et cinq jours après le comité de Sûreté générale se trouvait entièrement reconstitué. Dans cette même séance des Jacobins, le libraire Prudhomme, qui depuis quelques semaines avait suspendu la publication de son journal les Révolutions de Paris, envoya en hommage à la société un ouvrage intitulé : Les crimes des Empereurs d'Allemagne, avec une lettre dans laquelle il protestait de sa ferme volonté de remplir toujours le devoir d'un bon républicain malgré les calomnies dont il était assailli, et promettait l'envoi des ouvrages où il se proposait de dévoiler les forfaits de tous les scélérats couronnés. Son offrande et sa lettre furent accueillies avec un médiocre enthousiasme : on connaissait l'homme. Robespierre avait un mépris instinctif pour cette espèce d'industriels qui font des passions du temps métier et marchandise, et qui, après avoir édité les crimes et les erreurs des monarchies, éditent les crimes et les erreurs des républiques, selon que le vent souffle d'un côté ou d'un autre. Je demande, dit Maximilien, que pour toute réponse on invite le républicain Prudhomme à écrire, ou plutôt à faire imprimer les crimes des écrivains, des imprimeurs, journalistes, soudoyés par les puissances étrangères[238].Tel fut le remercîment envoyé par la société au libraire-imprimeur Prudhomme, qui plus tard, quand là République fut abattue de fait, n'oublia pas, dans son fameux livre Des crimes et des erreurs de la Révolution, de jeter à pleines mains la calomnie et la boue sur la mémoire de Robespierre. XXXI Vers cette époque éclata entre Maximilien et Bourdon (de l'Oise) une querelle sur laquelle nous avons à nous arrêter un moment, parce qu'elle creusa dans le cœur de Bourdon des abîmes de haine sans fond, et qu'elle eut pour le premier les plus fatales conséquences. Thermidor est en germe" dans la séance des Jacobins dont nous allons bientôt rendre compte. Un général plébéien, défendu déjà par Robespierre, on s'en souvient, le général Rossignol, fut la cause involontaire de cette querelle. De simple ouvrier orfèvre devenu général des armées de la République, Rossignol devait être et était réellement sympathique à Robespierre, qui depuis si longtemps conseillait à ses concitoyens de substituer des chefs patriotes et populaires aux généraux, de l'ancien régime entachés de suspicion ; on n'avait qu'à frapper le sol, disait-il, pour en faire sortir des héros. Et sa prédiction ne manqua pas de s'accomplir. Il protégea Rossignol comme il protégea Hoche, Jourdan, Marceau et tant d'autres illustrations militaires issues des rangs plébéiens[239]. Mais l'ancien vainqueur de la Bastille avait dans Goupilleau (de Fontenay) et Bourdon (de l'Oise), commissaires de la Convention en Vendée, des ennemis implacables. Ex-procureur, très-corrompu, ivrogne et furieux, selon M. Michelet[240], le représentant Bourdon (de l'Oise) était tout au général Tunk, dont il était le compagnon de débauches. Aussi, malgré une suspension prononcée contre cet officier par le ministre de la guerre, l'avait-il conservé dans son commandement, de concert avec ses collègues les deux Goupilleau, lesquels, ayant leurs propriétés en Vendée, n'étaient pas fâchés d'avoir à leur disposition en quelque sorte un général tout dévoué à leurs intérêts. En conséquence, et malgré le décret de la Convention qui avait investi Rossignol du commandement de l'armée des côtes de La Rochelle, Bourdon et Goupilleau n'hésitèrent pas à le suspendre, prétextant qu'il avait commis des pillages et qu'il passait ses journées dans les cabarets. Mais c'étaient là de pures et odieuses calomnies, comme la Convention le sut bientôt par le récit de Bourbotte. En effet, ce député avait, à l'instigation de ses collègues Merlin (de Thionville), Reubell, Choudieu et Richard, précipitamment quitté la Vendée pour informer l'Assemblée de ce qui se passait et demander la réintégration de Rossignol. On sut de lui toutes les persécutions exercées par Bourdon (de l'Oise) contre l'élu de la Convention, et l'on n'apprit pas sans frémir qu'un hussard, pour avoir traité Rossignol de général, en dépit de l'arrêté des représentants Goupilleau et Bourdon, avait été indignement sabré sur l'ordre de ce dernier[241]. Ce fut vraisemblablement d'après les renseignements fournis par Bourbotte et Choudieu, deux patriotes intègres et sincères, que Robespierre écrivit dans ses notes : Bourdon (de l'Oise) s'est couvert de crimes dans la Vendée, où il s'est donné le plaisir, dans ses orgies avec le traître Tunk, de tuer des volontaires de sa main. Il joint la perfidie à la fureur. Cet homme se promène sans cesse avec l'air d'un assassin qui médite un crime. Il semble poursuivi par l'image de l'échafaud et des Furies[242]. On ne pouvait mieux peindre Bourdon, un des forcenés de la Terreur républicaine et de la Terreur blanche. Rossignol s'était empressé d'accourir à Paris. Le jour même où la Convention entendait sa justification de la bouche de Bourbotte, de Tallien et de Lacroix, il parut à la barre. En quelques mots très-dignes et très-fermes, il remercia l'Assemblée, qui venait d'annuler l'arrêté de ses persécuteurs, et il prit l'engagement solennel de ne jamais capituler avec les ennemis du peuple. Rossignol, lui répondit Robespierre qui présidait, on connaît ton courage, on t'a vu au feu de la Bastille ; depuis ce temps tu as marché ferme dans le sentier du patriotisme. La Convention s'est empressée de te rendre justice, elle t'invite aux honneurs de la séance[243]. Deux jours après, un des Goupilleau venait réclamer contre la décision de l'Assemblée. Ce fut à peine si on voulut l'entendre. Robespierre essaya en vain de lui maintenir la parole, en disant que pour lui il avait lu les pièces et que c'était là qu'il puiserait son opinion. La réclamation de Goupilleau fut renvoyée au comité de Salut public, malgré quelques opposants qui accusaient le comité de favoriser l'intrigue[244]. Un redoublement de popularité dédommagea Rossignol des calomnies de Bourdon. Dans sa séance du 6 septembre, la société des Jacobins exprima le vœu de le voir investi seul de la mission de diriger les opérations dans la Vendée, et elle chargea Danton et Lejeune de transmettre ce vœu au comité de Salut public. Les choses en étaient là quand Bourdon (de l'Oise), rappelé par la Convention, arriva à Paris. Il se présenta aux Jacobins dans la soirée du 11 septembre. Robespierre et Danton venaient précisément de défendre Hanriot, accusé par un officier de la gendarmerie des tribunaux d'avoir mangé avec les députés détenus. Celui qui n'a pas été calomnié par les ennemis du peuple, avait dit le premier, n'est pas son ami zélé ; et il avait promis au général la justice de ses contemporains et la reconnaissance de la postérité. Mais Hanriot a eu le sort des vaincus. Nous verrons plus tard si en effet ce général de la garde nationale parisienne .mérite l'anathème stupide dont sa mémoire est chargée. La salle retentissait encore des applaudissements prodigués aux paroles de Robespierre, quand un citoyen, désignant du doigt Bourdon (de l'Oise), réclama son expulsion. Aussitôt Bourdon monta à la tribune. Il imputa l'arrestation de Rossignol à Westermann, que, malgré sa liaison bien connue avec lui, il accusa, entre autres délits, du vol de quelques couverts d'argent ; mais il refusa de s'expliquer en public sur les motifs de la mesure prise au sujet du général. Robespierre, avec une modération singulière, et poussant l'urbanité jusqu'à rendre justice au patriotisme de Bourdon, insista pour qu'il eût à se justifier d'une conduite réprouvée par tout le monde. Eh bien ! répliqua Bourdon en se laissant emporter à la violence de son caractère, je dirai tout, puisque l'on m'y force. Robespierre, reprenant, attribua les désastres de la Vendée à la cabale dont Rossignol avait été victime. Il traça un portrait peu flatteur des hommes substitués à cet officier, et se plaignit de la lenteur de Goupilleau à déposer entre les mains du comité les pièces de cette affaire. Tantôt ce député prétextait qu'elles n'étaient pas encore copiées, tantôt qu'il se désistait de sa dénonciation contre Rossignol. Quant à moi, s'écria Bourdon, je ne me désiste pas. Robespierre réclama pour le dénonciateur toute l'attention de la société. Bourdon dit alors qu'il allait découvrir la vérité tout entière. Somme toute, il se borna à tâcher d'affaiblir l'effet des victoires du général et lui reprocha d'avoir été cause de l'insuccès d'une opération capitale en ne donnant pas l'ordre à sa division de marcher sur Fontenay, comme cela avait été convenu. Ce fait ayant été démenti par plusieurs membres, Bourdon affirma en avoir donné les preuves au comité, et interpella Robespierre de déclarer si telle était la vérité. Maximilien se levait pour répondre, lorsqu'Hébert lui coupa la parole et s'opposa à ce qu'on répondit à une interpellation insidieuse. Un tumulte effroyable s'ensuivit. Hébert traita Bourdon (de l'Oise) de calomniateur. Un moment on crut qu'ils allaient en venir aux mains à la tribune. Le calme s'étant peu à peu rétabli, Bourdon reprit la parole, et laissant Rossignol, il se lava d'un reproche qu'on ne lui avait pas fait et qu'on n'avait pas sujet de lui adresser, celui d'avoir été trop modéré : il avait brûlé sept châteaux, trois villages, douze moulins. Et c'est bien ce que plus tard lui reprocha Robespierre : de s'être couvert de crimes dans la Vendée. Interrompu par les murmures, il revint au général, vanta ses qualités ; mais, interrompu de nouveau, il quitta la tribune. Robespierre lui ayant succédé, blâma la conduite tortueuse des commissaires de la Convention. Comment avait-on pu dénoncer un général sur des faits si vagues. et des inculpations si légères ? Et puis, que signifiaient ces assertions nouvelles, très-graves assurément, et dont on entendait parler pour la première fois ? A tant d'astuce.il opposa la franchise de Rossignol, son républicanisme ardent, sa fidélité dans l'observation des lois. Danton parla ensuite dans le même sens. Mais une autre accusation attendait Bourdon : on lui reprocha très-amèrement d'avoir voulu faire chasser Marat, et le citoyen Brichet réclama sa radiation de la société. Elle allait certainement être prononcée, quand Robespierre vint à son secours. Personne plus que lui, dit-il, n'était indigné de la conduite de Bourdon, cependant il le croyait plutôt coupable d'erreur et d'entêtement que d'intention perfide. Jusqu'à ce jour d'ailleurs il l'avait vu patriote, il engagea donc la société à ne pas se montrer trop rigoureuse pour un moment d'égarement, et il demanda, en terminant, qu'on voulût bien ajourner la condamnation de Bourdon, comme sans doute celui-ci n'avait fait qu'ajourner son repentir[245]. La société, au milieu des applaudissements, se rallia à cette proposition. Mais Robespierre ne connaissait pas encore Bourdon (de l'Oise). Déjà aigri par son rappel, ce député considéra comme une injure la pitié un peu dédaigneuse dont il venait d'être couvert, et il garda à Robespierre une rancune qui aura, comme nous l'avons dit, de déplorables conséquences. XXXII Tout disposé à prêter la main aux officiers patriotes, à ces généraux sortis du sein du peuple et qui, devant tout à la République, semblaient tenus d'y être attachés d'âme et de corps, Robespierre, comme la plupart de ses collègues du reste, n'entendait pas les armer d'une grande autorité. On n'a pas oublié les justes méfiances manifestées par lui contre les chefs d'armée, dans ses mémorables disputes avec les Girondins au sujet de la guerre agressive. Il savait combien peu, communément, les gens d'épée sont favorables à la liberté. Son instinct lui disait que là était le danger pour elle. Aussi n'aimait-il pas à voir s'agrandir outre mesure la situation des généraux. Il demanda même le rapport d'une loi qui leur accordait, en dehors de leurs traitements, des rémunérations pécuniaires. C'était d'ailleurs, à ses yeux, une récompense indigne de la nation française ; la plus flatteuse distinction dont pussent s'enorgueillir les officiers pour prix des services rendus par eux au pays consistait, selon lui, dans l'estime de leurs concitoyens[246]. Sa défiance à l'égard des hommes de guerre était donc
constamment en éveil. Il ne fut sans doute pas étranger à la destitution de
Kellermann, qu'il accusa d'être, sinon le seul auteur, du moins la principale
cause des lenteurs du siège de Lyon[247]. Ses soupçons
contre cet officier lui venaient très-probablement d'un homme dont le nom a
conservé quelque réputation, de Soulavie, déjà connu pour une édition des Mémoires
de Richelieu, et récemment nommé résident de la République à Genève.
Soulavie était alors dans les meilleurs termes avec Robespierre ; de Genève
il lui adressa, sur les affaires publiques, un certain nombre de lettres dont
quelques-unes ont été publiées. Ces lettres portent toutes le cachet d'une
véritable affection : Mon cher Robespierre, vous
avez l'esprit juste et le cœur bien fait[248]. L'ancien abbé
y donnait quelquefois à Maximilien des conseils dans le sens le plus révolutionnaire
: Nous sommes perdus, lui écrivait-il par
exemple, nous tombons dans la contre-révolution
bourgeoise, parce que les sans-culottes sont détruits ; parce qu'il n'y a
plus de finances ; parce que nous sommes fédéralisés ou royalisés[249]. A propos de
Kellermann, il lui écrivait, après lui avoir fait part d'une dénonciation
lancée contre ce général par un citoyen dont il garantissait le patriotisme :
En voici aujourd'hui une autre qui me vient d'un
patriote qui m'a déclaré être fondé dans son accusation, pour avoir ouï dire
chez les plus notables du pays que Kellermann était vendu à l'Empereur et au
Piémont[250]. Emanant d'un
homme grave et revêtu d'un caractère officiel, cette accusation pouvait avoir
pour le général un résultat plus fâcheux qu'une disgrâce provisoire ; mais
Robespierre, ce semble, n'y attacha pas beaucoup d'importance. Quand plus
tard, sur une dénonciation formelle du représentant Levasseur, Kellermann fut
livré au tribunal révolutionnaire, par lequel il fut acquitté, Maximilien
n'était plus. Quoi qu'il en soit, les mesures de précaution prises à cette époque contre les généraux sont pleinement justifiées, et il n'y a pas lieu de s'étonner si le comité de Salut public leur traçait minutieusement les limites dans lesquelles devaient s'exercer leurs pouvoirs. Nous avons sous les yeux un arrêté en date du 18 septembre 1793, où, entre autres dispositions assez rigoureuses, il leur était enjoint de faire dresser un état de tous les objets saisis en pays ennemis, et d'en envoyer sur-le-champ copie au ministre de la guerre et au comité de Salut public. La République n'entendait pas que la guerre servît de moyen de fortune à ses généraux, auxquels, par le même arrêté, il était expressément recommandé de veiller à ce que les contributions fussent régulièrement levées, suivant les droits de la guerre, et d'empêcher les soldats de se livrer à aucun excès chez les habitants des pays conquis[251]. Le soir même du jour où le comité de Salut public prenait cet arrêté, Robespierre tombait malade d'une indisposition qui dura quelques jours. Ce fut pendant son absence qu'en exécution du décret rendu le 17 par la Convention, sur le rapport de Merlin (de Douai), ses collègues Barère, Hérault-Séchelles, Jean-Bon Saint-André, Carnot, Prieur (de la Marne) et Prieur (de la Côte-d'Or) ordonnèrent l'arrestation de tous les suspects à Rouen, à Toulouse, à Nîmes, à Montpellier, à Avignon, à Lorient, à Brest, à Cherbourg, et leur transfèrement dans le Nord à cinquante lieues de leurs pays[252]. Le 24 septembre, jour où Robespierre revint pour deux jours seulement, car il retomba presque aussitôt malade[253], le comité décréta l'établissement du télégraphe, nouvellement inventé par Chappe, sur les tours, clochers et emplacements choisis par l'inventeur. Ainsi la science ne restait pas stationnaire tandis que la Révolution marchait à pas de géant en affranchissant l'humanité. A l'heure où Robespierre reparaissait, une sorte de croisade s'était organisée contre le comité de Salut public. Elle avait pour meneurs un certain nombre de représentants revenus de mission et qui reprochaient au comité de n'avoir pas favorise leurs créatures, ou suffisamment accueilli leurs réclamations. On y voyait figurer Merlin (de Thionville), à qui l'on pardonnait difficilement la reddition de Mayence, et dont Robespierre écrivait, dans un rapport qu'il ne prononça pas d'ailleurs : Merlin, fameux par la capitulation de Mayence, plus que soupçonné d'en avoir reçu le prix[254]. Puis venaient Cochon de Lapparent et Briez, coupables, aux yeux de Maximilien, de ne s'être point ensevelis sous les ruines de Valenciennes ; les deux Goupilleau, dont la conduite dans la Vendée, se trouvait fortement incriminée ; Courtois, déjà dénoncé au comité de Salut public comme déprédateur, et dont les liaisons avec Custine avaient été l'objet d'une grave dénonciation[255] ; son ami Bourdon (de l'Oise), qui avait à venger sa dernière humiliation aux Jacobins ; Duhem, toujours furieux de son rappel, et Thuriot, qui venait de se séparer de ses collègues du comité, où du reste on ne le voyait guère, pour passer dans le camp de leurs adversaires[256]. Il faut ajouter à ce parti de mécontents dans la Convention la faction d'Hébert, laquelle commençait à se montrer, et dont les principaux chefs, après avoir accaparé les emplois les plus élevés au ministère de la guerre, supportaient difficilement leur état d'infériorité à l'égard des membres du comité de Salut public et des représentants en mission. L'agression commença le 24, à propos d'une lettre du ministre de la guerre annonçant la destitution des généraux Houchard, Landremont et Shombourg, et leur remplacement par les généraux Jourdan, Delmas et Moreau. Ces mesures furent immédiatement l'objet du blâme des représentants Duroy et Génissieu. Le premier demanda que le pouvoir exécutif ne pût suspendre, destituer ni remplacer les généraux sans avoir au préalable consulté la Convention. Billaud-Varenne répondit assez aigrement que ces destitutions avaient été décidées d'accord avec le comité de Salut public ; Jean-Bon Saint-André, lui succédant, reprocha à Houchard de s'être entouré de contre-révolutionnaires. Mais le grand crime de ce général, aux yeux du comité, était de n'avoir pas su profiter de la victoire d'Hondschoote. La querelle, un moment apaisée, se raviva à la lecture d'une nouvelle lettre de Bouchotte faisant à l'Assemblée part de la nomination de Vilain d'Aubigny comme second adjoint au ministère de la guerre pour la deuxième division. Ce d'Aubigny, grand ami de Danton et camarade de Saint-Just, — c'était à lui que Saint-Just avait écrit la fameuse lettre : Arrachez-moi le cœur et mangez-le, vous deviendrez ce que vous n'êtes pas, grands ![257] — ce d'Aubigny, dis-je, avait été violemment poursuivi par la faction girondine, qui l'avait calomnieusement accusé d'avoir commis des vols aux Tuileries dans la journée du 10 août, à laquelle il avait pris une part glorieuse. Avec une mauvaise foi évidente, Bourdon (de l'Oise) demanda si c'était ce même d'Aubigny qu'on élevait à un poste important du ministère de la guerre, où du reste il avait déjà l'année précédente, occupé une haute position. Le comité de Salut public n'avait pas eu connaissance de cette nomination, il le déclara par la bouche de Billaud-Varenne[258]. Nous verrons bientôt ce qu'il advint de cette affaire. Ce n'était là que le prélude d'attaques plus sérieuses. Le lendemain, Aimé Goupilleau, Duhem et Briez prirent tour à tour la parole. Le premier dénonça Rossignol comme ayant refusé de se conformer au plan général arrêté pour la campagne de la Vendée ; le second, tenant à la main une lettre de Bentabole datée d'Arras, annonça que subsistances et administrations allaient très-mal dans le Nord. Tout cela tombait d'aplomb sur le comité de Salut public. Enfin Briez, un des commissaires de la Convention à Valenciennes lors de la reddition de cette ville, donna lecture d'un mémoire sur la situation de l'armée du Nord, mémoire dans lequel il reprocha au comité de Salut public de garder le silence et de ne pas prendre les mesures nécessaires. Ces reproches injustes devaient profondément toucher les hommes dévoués qui siégeaient au comité de Salut public ; mais autre chose en augmenta singulièrement l'amertume, ce fut l'approbation que sembla leur donner la Convention en décrétant l'impression du mémoire de Briez, et en adjoignant son auteur au comité. C'était une sanglante ironie. Merlin (de Thionville) et Delaunay (d'Angers) apportèrent aussi leur contingent de critiques mal fondées. Billaud-Varenne prit la parole pour défendre les actes du comité auquel il appartenait, et qui, dit-il, frémissait depuis quarante-huit heures de l'horrible coalition formée par tous les intrigants, dont le but était d'anéantir la République et la Convention nationale, laquelle, ajouta-t-il avec raison, répondait en masse du salut public. Barère vint après, et parla au nom de tous ses collègues. Il parla longuement, après avoir promis, dès le début, de déjouer les intrigues et les dénonciations artificieuses d'une secte de petits ambitieux. Il répondit à tous les reproches, expliqua très-nettement les mesures prises par le comité, mais tout cela en termes humbles et prolixes. Du mémoire de Briez qui, après avoir rendu à l'ennemi une ville frontière, n'avait pas craint de prendre à partie le comité de Salut public, pas un mot ! Tant d'habiletés et de précautions oratoires ne pouvaient convenir au caractère, à la franchise de Robespierre. Se dirigeant d'un pas rapide vers la tribune : Si ma qualité de membre du comité de Salut public, dit-il, doit m'empêcher de m'expliquer avec une entière indépendance sur ce qui s'est passé, je l'abdique à l'instant, et après m'être séparé de mes collègues, que j'estime et que j'honore — et l'on sait que je ne suis pas prodigue de ce sentiment —, je vais dire à mon pays des vérités nécessaires. Après cet exorde, il flétrit, aux applaudissements de l'Assemblée, comme un ennemi de la patrie, celui qui cherchait à avilir, à diviser et à paralyser la Convention, soit qu'il siégeât dans cette enceinte ou qu'il y fût étranger, soit qu'il agît par sottise ou par perversité. Ce projet d'avilissement, il existait, disait-il, là où le patriotisme devrait régner et dans des clubs se prétendant plus que patriotes. On voit tout de suite la double allusion. Quelques membres envieux et prévenus entreprenaient une guerre injuste contre le comité de Salut public, ajoutait-il, et traitaient comme des protecteurs de l'aristocratie ceux qui, au milieu des poignards et au péril de leur, vie, avaient ici défendu les droits du peuple et de la liberté ; mais la Convention ne permettrait pas la continuation de ce lâche système d'attaques, car sa gloire était liée au succès des travaux des hommes qu'elle avait investis de sa confiance. Et dans quel moment venait-on lancer contre le comité de Salut public des traits empoisonnés ! On nous accuse de ne rien faire, poursuivait Maximilien, mais a-t-on réfléchi à nôtre position ? Onze armées à diriger, le poids de l'Europe entière à porter, partout des traîtres à démasquer, des émissaires soudoyés par l'or des puissances étrangères à déjouer, des administrateurs infidèles à surveiller, partout à aplanir des obstacles et des entraves à l'exécution des plus sages mesures, tous les tyrans à combattre, tous les conspirateurs à intimider, eux qui se trouvent presque tous dans une caste si puissante autrefois par ses richesses et encore par ses intrigues : telles sont nos fonctions. Se demandant ensuite comment, sans unité d'action, sans secret dans les opérations, et surtout sans là certitude de trouver un appui dans la Convention, le gouvernement triompherait de tant d'obstacles et de tant d'ennemis, il ne pouvait qu'attribuer à l'extrême ignorance ou à la plus profonde perversité ce jeu qu'on semblait se faire de chercher à avilir la Convention dans ceux de ses membres à qui elle avait confié le timon des affaires. Le comité de Salut public destituait-il un général encore
couvert de l'éclat d'un triomphe apparent, on lui imputait à crime sa fermeté
même. On critiquait ses travaux sans les connaître ; on le dénonçait pour
avoir-remplacé deux officiers nobles par des généraux patriotes, tandis qu'à
côté de cela on ne cessait de déclamer contre les nobles. On osait lui
reprocher ses choix ; mais n'était-ce pas à Jourdan, au successeur de
Houchard, qu'était due la victoire de Hondschoote ? Valaient-ils moins les
officiers placés à la tête des armées de la Moselle et du Rhin ? Et cependant
ils étaient encore un prétexte de calomnies contre le comité. Quelle était
donc la cause de ces dénonciations ? Ah !
s'écria-t-il alors, cette journée a valu à Pitt,
j'ose le dire, plus de trois victoires. A quel succès, en effet, peut-il
prétendre, si ce n'est à anéantir le gouvernement national que la Convention
a établi, à nous diviser, à nous faire déchirer de nos propres mains ? Et si
nous passons dans l'Europe pour des imbéciles ou des traîtres, croyez-vous qu'on
respectera davantage la Convention qui nous a choisis ? Il est donc important
que le gouvernement prenne de la consistance et que vous remplaciez les
membres d'un comité qui vient d'être dénoncé avec succès dans votre sein.
Non, non ! s'écria l'Assemblée d'une voix unanime. Alors lui, reprenant : Il ne s'agit pas ici des individus, il s'agit de la patrie
et des principes. Combien perfides étaient les continuateurs de ceux
qui jadis avaient aussi entrepris d'avilir et de dissoudre la Convention ! Et
à ce sujet il rappela que la faction n'était pas morte, qu'elle conspirait du
fond de ses cachots, que les serpents du marais n'étaient pas encore tous
écrasés. C'est vrai, c'est vrai ! s'écria-t-on de toutes parts. Mais il ne suffisait pas à Robespierre d'avoir défendu avec tant de puissance et de logique le comité de Salut public si injustement attaqué ; il poussa droit aux auteurs de l'agression. Qu'on brisât cet instrument qui avait mérité la haine des rois et des fripons, c'était bien ; mais auparavant il voulait faire connaître les dénonciateurs, lesquels avaient été eux-mêmes dénoncés au comité. D'accusateurs, dit-il, ils vont devenir accusés. De violents applaudissements accueillirent ces paroles. Plus d'un trembla, — parmi ceux qui si maladroitement avaient lancé ce brandon de discorde, en voyant la tournure que prenaient les choses et le revirement soudain de l'Assemblée sous l'impression du discours de Robespierre. Beaucoup toutefois, et non des moins envieux, se rassurèrent lorsqu'ils entendirent Maximilien se borner à désigner Custine pour avoir persécuté les patriotes à Lille, et Briez, auquel il ne pouvait pardonner d'avoir rendu une place dont on lui avait confié la défense. La liberté était perdue, pensait-il, si de tels hommes parvenaient à prouver que le comité de Salut public n'était pas composé de bons citoyens. Il n'avait pas d'ailleurs l'intention de rendre ici imputation pour imputation. Je prends, en terminant, l'engagement de ne jamais diviser les patriotes ; mais je ne comprends pas parmi les patriotes ceux qui n'en ont que le masque, et je dévoilerai la conduite de deux ou trois traîtres qui sont ici les artisans de la discorde et de la dissension. Et comme, à ses yeux, la patrie était perdue si le gouvernement ne jouissait d'une confiance illimitée et n'était composé d'hommes la méritant, il renouvela sa proposition de procéder au remplacement des membres du comité de Salut public. Non, non ! s'écria de nouveau tout d'une voix la Convention nationale. La coterie était vaincue. Nul de ceux qui s'étaient montrés si arrogants au début de la séance n'osa répondre à ce discours foudroyant, tant il avait causé d'impression sur l'Assemblée. Seul Briez vint balbutier de timides excuses. Il n'avait point eu, dit-il, l'intention d'inculper le comité de Salut public. Quant à sa conduite au siège de Valenciennes, ils avaient, ses collègues et lui, vu la mort de très-près, et conservé du moins à la République une garnison importante. Ne se reconnaissant pas, du reste, les talents nécessaires pour appartenir au comité, il déclina l'honneur d'y être adjoint. Sur-le-champ la Convention rapporta son décret. Puis elle entendit un autre membre du comité de Salut public, Jean-Bon Saint-André, dont elle couvrit d'applaudissements les paroles. Enfin, comme des soupçons insidieux avaient été répandus sur le compte du comité, Billaud-Varenne réclama le rapport du décret qui mettait des fonds à sa disposition. Quelques membres ayant vivement demandé l'ordre du jour, Barère s'y opposa, tenant à ce que la Convention exprimât par un vote formel son opinion sur son comité de Salut public. Clore le débat par l'ordre du jour pur et simple, c'était assurément ce que voulaient les imprudents auteurs de cette levée de boucliers ; c'était donner aux agresseurs un avantage dont ils n'eussent pas manqué de se prévaloir au dehors. Robespierre le sentit bien, et il reprit la parole pour soutenir la motion de Barère. Il ne put s'empêcher d'exprimer le sentiment pénible qu'il avait éprouvé dans cette discussion en entendant applaudir Barère par ceux-là mêmes qui n'avaient cessé de calomnier indistinctement tous les membres du comité. Certainement chacun avait le droit d'émettre son opinion sur les opérations de ce comité, de dire toute sa façon de penser, seulement c'était à la Convention de le soutenir dans ses pénibles fonctions ; car il fallait, pour sauver la patrie, non-seulement de grands caractères et de grandes vertus, mais aussi des hommes qui osassent proposer les plus fortes mesures et attaquer l'amour-propre de tel ou tel individu. Robespierre avait promis à la Convention la vérité tout entière ; il lui reprocha de ne s'être point montrée, dans ce débat, à la hauteur de la situation. Comment, après avoir entendu un rapport où, sous prétexte de l'instruire des circonstances de la reddition de Valenciennes, on avait eu uniquement pour but d'incriminer le comité de Salut public, avait-elle pu adjoindre au comité l'auteur de ce rapport ? Je vous le déclare, dit-il, celui qui était à Valenciennes lorsque l'ennemi y est entré n'était pas fait pour être membre du comité de Salut public. Les plus vives acclamations retentirent à ces mots. Briez avait tout à l'heure essayé de se justifier de la reddition de Valenciennes. Ce membre, reprit Robespierre, ne répondra jamais à cette question : ÊTES-VOUS MORT ? A cette rude et étrange parole qu'on ne manquerait pas, à coup sûr, de trouver sublime dans Corneille, et qui dut percer comme un trait la poitrine de Merlin (de Thionville), car lui non plus n'était pas mort dans Mayence, un tonnerre d'applaudissements plusieurs fois réitérés éclata soudain. Puis, quand le silence se fut rétabli : Si j'avais été à Valenciennes en cette circonstance, je n'aurais jamais été dans le cas de vous faire un rapport sur les événements du siège ; j'aurais voulu partager le sort des 'braves défenseurs qui ont préféré une mort honorable à une honteuse capitulation. L'Assemblée applaudit encore ici avec enthousiasme ces paroles de Robespierre, où l'on reconnaît la trempe énergique de son caractère si mal connu et si calomnie. Pour lui, ajoutait-il, il n'aurait pas voulu rester membre du comité le Salut public si un tel homme en avait fait partie. Cela pouvait paraître dur, mais il ne savait s'attendrir que sur la vertu malheureuse, l'innocence opprimée, et sur le sort d'un peuple généreux froidement égorgé. Presque à chaque phrase l'orateur était obligé de s'arrêter, interrompu par les acclamations de l'Assemblée Elle applaudit encore quand, relevant une proposition dictée à Billaud-Varenne par un excès de susceptibilité au sujet des fonds mis à la disposition du comité, Robespierre, avec une fierté pleine de grandeur, déclara qu'il ne faudrait pas croire à la probité pour soupçonner le comité de Salut public ; quand il adjura ses collègues de laisser aux tyrans et aux journalistes stipendiés par eux le soin d'avilir la Convention, ajoutant qu'il lui suffirait, pour lui, de conserver l'estime de soi-même et celle des plus purs républicains, de sentir dans son cœur la force de défendre jusqu'à la mort la cause du peuple et de mépriser tous les tyrans et les fripons qui les servaient ; quand enfin il somma la Convention de proclamer, pour déjouer les calculs des imposteurs, qu'elle conservait toute sa confiance au comité de Salut public[259]. L'Assemblée écouta, distraite, quelques explications nouvelles de Briez et de Duroy, mais elle retrouva son enthousiasme à ces paroles de Barère : L'homme qui n'a pas souffert pendant cette misérable discussion n'a pas de vertus civiques. Où en serions-nous donc si Robespierre avait besoin de se justifier devant la Montagne ? Il proposa, en conséquence, à la Convention de déclarer, par un vote solennel, à la face du pays, que le comité de Salut public avait toute sa confiance. A ces mots l'Assemblée, comme électrisée, se leva tout entière, par un mouvement spontané, et d'une voix unanime, elle donna un vote de confiance à son comité. Billaud-Varenne demanda alors si elle approuvait également toutes les mesures prises par ce comité, et avec une égale unanimité l'approbation fut votée au milieu des applaudissements universels. L'importance de cette séance et de ces votes n'échappera à personne. De ce jour, en effet, date la toute-puissance, la dictature morale, non point de Robespierre, mais du comité de Salut public tout entier. Et afin qu'il n'y eût plus de confusion possible, la Convention décréta, sur un nouveau rapport de Barère, que son comité de Salut public porterait seul désormais cette dénomination. Quant aux autres comités de ce nom, établis dans les diverses sections des départements de la République, on les appela comités de surveillance[260]. Sans doute tout l'honneur de cette discussion mémorable revient à Robespierre, et sa popularité s'en trouva consacrée dans le pays ; mais Billaud-Varenne, mais Barère, Prieur, Jean-Bon Saint-André, avaient également pris la défense du comité. Si Maximilien l'emporta sur ses collègues, si ce fut lui surtout qui tint charmée sous sa parole la Convention nationale, qui détermina son vote, ce fut par la puissance de l'éloquence et de la raison, les seules armes dont il disposa jamais, les seules forces devant lesquelles il soit permis aux hommes de s'incliner sans bassesse. La Convention pouvait, d'un mot, briser son comité de Salut public, elle ne le voulut pas, parce qu'elle comprit qu'en le remplaçant par un comité d'envieux et d'impuissants, — on le vit trop après Thermidor, — elle livrerait la patrie aux factions de l'intérieur et aux rois coalisés. Par son vote, qui valait une armée, elle laissa à son comité une liberté d'action sans laquelle tous ses efforts eussent été paralysés, et la République fut sauvée. Nous aurons d'ailleurs à revenir plus d'une fois sur le rôle effectif de ce fameux comité de Salut public, et à dire quelle part de responsabilité revient à chacun de ses membres. XXXIII Les Jacobins devaient nécessairement ressentir le contre-coup de la séance conventionnelle. Coupé (de l'Oise), qui présidait, commença par en faire l'historique. Parmi les membres de la cabale, il cita Thuriot, Duhem, Duroy, et engagea vivement les Jacobins à se rallier autour du comité de Salut public, dont il vanta la fermeté, l'énergie et les talents. Après lui, un membre, nommé Raisson, s'attacha à établir une sorte de connexité entre la conduite des Montagnards hostiles au comité et celle de Vincent et d'Hébert, qui avaient demandé, l'un aux Cordeliers, l'autre aux Jacobins, la réorganisation du pouvoir exécutif, la réunion d'une nouvelle législature et le rappel des représentants en mission près les armées. C'était uniquement par une tactique habile, dit un autre membre, qu'on avait l'air de plaindre les généraux des rigueurs dont ils avaient été l'objet de la part des autorités constituées. Robespierre se leva alors pour justifier les mesures
prises par le comité de Salut public. A l'égard du général en chef de l'armée
du Nord, il s'expliqua en ces termes : Un plan dont
le succès était infaillible avait été formé et communiqué à Houchard ; son
but était d'anéantir d'un seul coup tous les efforts, de nos ennemis. Il ne
fallait pas de connaissances militaires pour s'en convaincre, il était
impossible, pour quiconque connaît les hommes et les localités, qu'il
échappât un seul Anglais pour porter à ses compagnons la nouvelle de ce
désastre. Robespierre, on le voit, ne ménageait pas l'éloge à Carnot,
car ce plan si infaillible, c'était l'œuvre de son éminent collègue, qui, on
peut le dire, ne lui rendit jamais pareille justice. Houchard n'avait pas
exécuté ce plan, et le succès n'ayant point couronné celui qu'il avait suivi,
sa conduite en cette circonstance avait équivalu, aux yeux du comité de Salut
public, à une véritable trahison. Ce fut donc vraisemblablement Carnot qui
demanda la destitution de Houchard, comme plus tard il exigea, pour une
obstination analogue à celle de ce général, la destitution et l'arrestation
de Hoche[261].
Si nous n'avions pas été vaincus à Hondschoote, poursuivait Robespierre,
c'était grâce à un vrai républicain qui se trouva là pour réparer les fautes
du général en chef. Un général de division,
dit-il, dont le nom est respecté dans la Révolution,
Jourdan, se met à la tête de sa division, lui inspire tout le feu du
républicanisme dont son âme est embrasée ; il se précipite sur Hondschoote,
il l'emporte. C'est lui qui succède à Houchard, tel est le prix de sa valeur
et de son patriotisme. Robespierre énuméra ensuite les nominations des
généraux de brigade et de division, toutes basées, dit-il, sur les
témoignages de leurs armées et la connaissance qu'avaient d'eux les hommes
qui les plaçaient dans des emplois si importants. Hoche, Ernouf, Dumas, le
père de notre célèbre romancier, faisaient partie de ces promotions. Puis,
après avoir résumé en quelques mots rapides ce qui s'était passé dans la
journée à la Convention, et expliqué comment, en demandant à l'heure présente
la réorganisation du pouvoir exécutif, des patriotes égarés cédaient
involontairement aux suggestions des ennemis de la Révolution, il termina en
rappelant aux Jacobins qu'ils avaient fait cette Révolution pour le seul
plaisir de rendre leurs frères libres. Vous
soutiendrez la Montagne qu'on attaque, vous soutiendrez le comité de Salut
public qui se montre digne de la liberté, et c'est ainsi qu'avec vous il
triomphera des attaques des ennemis du peuple ; c'est ainsi que par vous il
fera triompher la liberté et triomphera avec elle[262]. Épuisé par les fatigues de cette journée, Robespierre se trouva de nouveau obligé de garder la chambre. Jusqu'au 3 octobre il ne parut pas au-comité de Salut public[263]. Ce fut pendant son absence que furent décrétés d'accusation le général Houchard et son chef d'état-major Barthélémy, ce dernier violemment incriminé par Jean-Bon Saint-André dans la séance du 15[264], les généraux d'Hédouville, Dumesny, de Mars et Beysser[265]. Il vint un instant aux Jacobins dans la soirée du 28, se plaignit de la lenteur que mettait le ministre de la justice à promulguer la loi portant réorganisation du tribunal révolutionnaire[266], et engagea la Société à n'apporter aucun retard dans la désignation des candidats indiqués au choix du ministre de la guerre pour le commandement de l'armée révolutionnaire. On négligeait ainsi, selon lui, le seul moyen d'atterrer les ennemis du peuple, qui de toutes parts relevaient une tête insolente et se promettaient des succès[267]. Le surlendemain, 30 septembre, on le vit à la Convention, où il accourut à la réception d'une lettre désespérée de d'Aubigny, adjoint du ministre de la guerre, récemment inculpé par Bourdon (de l'Oise). Le ministre avait fait parvenir à l'Assemblée, par l'entremise même de Robespierre, des pièces justificatives concernant d'Aubigny, dont l'innocence avait été solennellement reconnue par les tribunaux, et ces pièces n'avaient pas encore été lues. A quoi donc tiennent toutes ces longueurs ? écrivait d'Aubigny à Maximilien. Vous connaissez mon cœur, il vous est tout dévoué, ainsi qu'à sa patrie, qu'il aime avec transport. Il est fier, sensible ; il est couvert des blessures de l'aristocratie, des Feuillants, des modérés et de tous les scélérats qui les servent sous différents masques. Jugez de ma position, elle est douloureuse[268]. Robespierre ne perdit pas un instant ; il se rendit, quoique malade, à la Convention, où, séance tenante, et à sa demande vraisemblablement, un des secrétaires donna lecture des pièces justificatives qu'il appuya de quelques paroles en faveur de d'Aubigny. Sauver l'honneur d'un innocent, dit-il, c'est plus que lui sauver la vie. Je vais remplir cette tâche honorable. Si pour perdre un patriote il suffisait qu'il fût accusé, il n'en serait pas un seul qui ne dût succomber sous les atteintes des calomniateurs et des ennemis du peuple. D'Aubigny est inculpé : il ne faut pas qu'un homme appelé à une fonction importante soit chargé d'un soupçon, il doit avoir la confiance des patriotes ou être destitué. Il expliqua ensuite comment, au temps de la puissance des Girondins, d'Aubigny avait été victime des calomnies de la faction, et les applaudissements avec lesquels l'Assemblée accueillit ses paroles furent pour son client la plus éclatante des justifications[269]. XXXIV Tandis que la Convention et le comité de Salut public, décidés à en finir avec les ennemis actifs de la Révolution, ajoutaient aux lois sévères déjà rendues par l'Assemblée législative, et se disposaient à les appliquer rigoureusement, mais sans sortir des limites de la justice inflexible et du bon sens, les enragés semblaient prendre à tâche de rendre la République odieuse au monde entier par l'exagération sanguinaire de leurs actes et de leur langage. Depuis longtemps on réclamait le jugement des Girondins, coupables d'avoir allumé la guerre civile et soulevé contre la Convention une partie des départements. Dans la matinée du 1er octobre, une députation des diverses sociétés populaires de Paris vint à la barre de l'Assemblée demander de nouveau le renvoi immédiat de Brissot et de ses complices devant le tribunal révolutionnaire. Il importe, s'écria le dantoniste Thuriot, que ceux qui ont combiné la perte de la patrie subissent un prompt jugement. Le vœu des pétitionnaires est celui de la France entière, c'est celui de la justice. Et il voulait que, séance tenante, le comité de Sûreté générale présentât l'acte d'accusation[270]. Cette proposition avait été décrétée quand, sur des observations de Voulland, la Convention, revenant sur son vote, accorda au comité un délai de trois jours. Mais il ne suffisait pas aux enragés des quelques Girondins désignés par Saint-Just à la vengeance nationale ; il leur fallait une plus vaste hécatombe. Hébert, par exemple, ne voulait pas de distinction entre les auteurs et les agents de la conspiration, et par agents il entendait les soixante-treize signataires de la protestation contre le 31 mai. Il n'y a plus à reculer, f...... ! écrivait-il dans son journal ; les traîtres sont au pied du mur. Il faut que justice soit faite. Cartouche-Brissot et sa bande de voleurs et d'assassins vont recevoir le prix de leurs forfaits[271]. Et plus loin : Eh ! vite donc, maître Samson, graisse tes poulies et dispose-toi à faire faire la bascule à cette bande de scélérats[272]. Les soixante-treize Girondins vont être sauvés comme par miracle, ainsi qu'on le va voir ; mais cela n'empêchera pas le Père Duchesne de revenir à la charge. Après s'être réjoui, dans son langage immonde, de la mort des Girondins guillotinés, il s'écriera bientôt, à propos des soixante-treize : Les autres j..... f..... qui sont en arrestation ne sont-ils pas aussi coupables qu'eux ?... Est-ce donc parce qu'ils sont députés que l'on voudrait les épargner ?... Point de pitié, f..... ! Point de quartier, f..... ! Quand on a du mauvais sang, il faut le tirer. La Convention s'est couverte de gloire en se purgeant de ces immondices ; ceux qui veulent la faire revenir sur ses pas sont des traîtres et des complices de la faction brissotine...[273] Robespierre était donc du nombre de ces complices, suivant Hébert. Et si des voix furieuses dévouaient ainsi à l'échafaud les soixante-treize signataires de la protestation contre le 31 mai, ce n'était pas seulement en dehors de la Convention. Il y avait au sein même de l'Assemblée un certain nombre d'hébertistes qui présentement voulaient tout égorger au nom du peuple : royalistes, Girondins, Feuillants, comme plus tard, sous prétexte de modération, ils prendront plaisir à se baigner dans le sang des patriotes. Parmi ces forcenés de la Terreur se trouvait un compatriote de Robespierre, nommé Guffroy, l'un des membres les plus féroces de la bande thermidorienne, un des signataires du rapport de Courtois, — c'est tout dire ! — Ce misérable, que les lauriers d'Hébert empêchaient sans doute de dormir, avait, vers la fin de juillet 1793, fondé sous le nom de Rougyff, anagramme de son nom, un journal du plus révoltant cynisme. Lisez plutôt : Je sonne mon tocsin sur toutes les oreilles françaises ; sur l'infernale Marie-Antoinette ; elle a paru à la Conciergerie avec l'insolence de la p..... de Jupiter. Ces bougres de dieux de l'ancien temps ont une morgue incorrigible. Il n'y a que la guillotine qui puisse effacer leurs grimaces et les empêcher de nous faire la figue. On la mène, alerte, alerte, crack... faites-lui faire le saut de carpe en avant, les mains derrière le dos. Vite, ou sinon ![274] Voilà pour la reine ; voici pour les Girondins : Qu'on prépare le crâne de Louis XVI, qu'on fasse un gobelet pour donner à boire aux députés qu'on veut essayer. Holà ! hé ! Samson, prépare soixante guillotines. Allons, vite, que la guillotine soit en permanence dans toute la République[275]. Et chaque numéro de cette feuille affreuse était rédigé dans ce style. On conçoit quel dégoût devaient inspirer de pareilles turpitudes à un esprit qui rêvait l'émancipation du genre humain par la sagesse et par la raison, l'élévation du peuple au point de vue moral et matériel, et non l'égalité dans la boue. Robespierre ne put s'empêcher de manifester hautement combien lui répugnait cette feuille qu'on eût crue rédigée pour les bagnes. Comme Guffroy était son compatriote, il se permit à son égard quelques remontrances, et tâcha de lui faire comprendre à quel point était dégradante dans la forme et dans la pensée la prose de son journal. Mais Rougyff s'embarrassait bien de la dignité populaire ! Tu me dis, Robespierre, de changer mon style, et que mon journal prendra, répondit-il. D'autres me disent que mon style est bon et que mon journal prend. Que veux-tu ? On ne peut faire une sauce qui plaise à tous les goûts. Tu sais bien que je veux écrire d'une autre manière ; mais mes lorgnettes, mes porte-voix, mes bougreries plaisent aux sans-culottes, et je me plais à jaser pour eux et avec eux. Crois que quand je leur glisse un petit bout de raison bien assaisonné de sang-froid et de calcul patriotique, ils l'entendent bien, je le sais : mais toujours parler gravement, toujours raisonner avec un compas ! Non, je n'écris pas pour les gens d'esprit ; j'écris pour mes amis les sans-culottes, pour nos braves guerriers, qui me trouvent un bon bougre ; pas vrai, Tranche-Montagne ?[276] Ceux qui lui vantaient le succès de son journal, c'étaient les Tallien, les André Dumont, les Bourdon (de l'Oise), tous ses futurs complices de Thermidor ; mais le peuple, disons-le à son honneur, ne reconnaissait point pour ses véritables amis ces écrivains qui lui parlaient un langage d'argousins et couraient à la popularité par des voies honteuses. Il distinguait bien où était la comédie indigne et brutale, et où étaient la conscience et le cœur. Aussi Robespierre était-il et restera-t-il pour lui le patriote pur et vrai, le républicain par excellence. Supérieur en cela aux rois, qui se laissent toujours prendre aux bassesses des courtisans, le peuple n'aime ni n'estime ceux qui le flattent lâchement. On a vu en plus d'une circonstance déjà combien peu Robespierre était disposé & sacrifier à l'engouement populaire le sentiment de sa dignité, ou à étouffer le cri de sa conscience pour complaire à la foule ; de son indépendance de caractère nous allons fournir une nouvelle preuve tout à fait concluante. Ce fut une sombre séance que celle du 3 octobre 1793. Et cependant de vifs applaudissements partirent de tous les points de la salle quand Amar parut à la tribune pour donner lecture du rapport du comité de Sûreté générale .contre les Girondins. — Avant de .commencer, le rapporteur pria la Convention de décréter qu'aucun de ses membres ne pourrait se retirer avant qu'elle eût entendu le rapport tout entier et pris une décision. Cette proposition ayant été adoptée, les portes furent fermées et Amar prit la parole. Il y avait loin de son rapport à celui de Saint-Just, dont nous avons signalé la modération. Quarante-six députés cette fois étaient impliqués dans l'affaire et renvoyés devant le tribunal révolutionnaire. Amar termina son rapport par la lecture d'une protestation, restée secrète jusqu'ici, contre les événements des 31 mai et 2 juin, et il proposa l'arrestation des signataires, en attendant qu'un rapport particulier sur leur compte fût présenté par le comité de Sûreté générale. On allait passer aux voix quand Billaud-Varenne se leva pour réclamer l'appel nominal. Il faut, dit-il, que chacun se prononce et s'arme du poignard qui doit frapper les traîtres. C'était désigner d'avance aux rancunes populaires et aux coups des enragés ceux qui croiraient devoir se refuser à sanctionner l'ostracisme d'un si grand nombre de leurs collègues. Pareille proposition, on s'en souvient peut-être, avait été faite par Billaud lors du vote sur la constitution, et elle avait échoué devant la résistance de Robespierre, lequel, sentant combien il était impolitique de chercher de nouveaux suspects dans la Convention, combattit, cette fois encore, la motion de Billaud-Varenne. Je ne vois pas, répondit-il, la nécessité de supposer que la Convention nationale est divisée en deux classes, celle des amis du peuple et celle des conspirateurs et des traîtres. Nous ne devons pas croire qu'il y ait ici d'autres conspirateurs que ceux désignés dans le rapport. En conséquence, il demanda la mise aux voix pure et simple du décret d'accusation. C'était rendre à l'Assemblée sa liberté d'opinion. La Convention, s'empressant d'adopter la motion de Maximilien, vota par assis et levé aux cris de Vive la République ! les conclusions du rapport de son comité de Sûreté générale. Tout à coup, comme on allait, sur la proposition de Thuriot, procéder à l'appel nominal des accusés pour qu'ils eussent à descendre à la barre, un membre inconnu s'écria qu'on n'avait pas pris une mesure assez sévère à l'égard des signataires de la protestation. Il les regardait comme aussi coupables que ceux dont ils avaient soutenu la cause, et réclamait également contre eux le décret d'accusation. Un silence lugubre plana sur l'Assemblée à cette proposition inattendue. — L'ordre du jour, balbutia timidement une voix. — Mais Osselin soutint vivement la proposition. Il signala comme des contre-révolutionnaires, comme de vrais coupables, ceux qui avaient signé des protestations quand la République était en feu, et demanda aussi leur renvoi devant le tribunal révolutionnaire. La Convention couvrit d'applaudissements ses paroles. Le glaive, on le voit, était suspendu sur les têtes des malheureux signataires. Amar se leva, comme pour leur porter le dernier coup. La conduite en apparence nulle de la minorité de l'Assemblée depuis le 2 juin, était, à ses yeux, un nouveau plan de conspiration concerté par Barbaroux, et il offrit de lire les pièces contenant les preuves du complot. Interdits, les membres inculpés étaient muets sur leurs bancs. Où donc étaient alors ceux qui, depuis, se sont donnés comme ayant voulu sauver les Girondins ? Où donc Barère ? où Durand-Maillane, un des plus lâches parmi ces lâches qu'on a appelés les crapauds du marais ? où donc tous ceux qui, après Thermidor, se couchant à plat ventre devant les survivants de la Gironde, se vanteront d'avoir tenté d'arracher à la mort les membres de cette faction ? Quoi ! pas un cri de salut ne s'échappera de -la poitrine de ces hommes ! Quoi ! personne ne tentera d'arrêter la hache prête à frapper ! C'en était fait des soixante-treize, car le décret d'accusation, c'était la mort ; l'Assemblée allait les livrer au bourreau, quand on mt un membre quitter précipitamment sa place et s'élancer à la tribune. C'était Maximilien Robespierre. Un silence profond se fit. Qu'allait-il dire ? De ses paroles dépendait le sort des accusés. Or, la plupart d'entre eux lui étaient essentiellement hostiles, et ce n'était certes pas leur faute s'il n'était point depuis longtemps tombé sous les coups de la Gironde. Mais on n'a peut-être pas oublié que Robespierre avait, dans une circonstance solennelle, déclaré que le plus beau jour de sa vie serait celui où, agissant comme accusateur public, il rencontrerait un innocent dans son plus mortel ennemi livré aux tribunaux, et pourrait lui prêter son appui[277]. Eh bien ! aujourd'hui il trouvait moyen de tenir cette sorte de promesse. Il commença par s'opposer à la lecture des pièces dont avait parlé le rapporteur, la Convention ayant, selon lui, satisfait pour le moment à la justice nationale. Elle s'était honorée en n'épargnant pas ceux de ses membres qui, lâchement perfides, avaient tourné contre le peuple les armes qu'il leur avait confiées pour sa défense ; seulement, ajoutait-il, la Convention nationale ne doit pas chercher à multiplier les coupables. C'est aux chefs de la faction qu'elle doit s'attacher ; la punition des chefs épouvantera les traîtres, et sauvera la patrie. Que s'il était d'autres criminels, le comité de Sûreté générale en présenterait la nomenclature, et l'Assemblée serait toujours libre de les frapper. Mais, citoyens, faites attention que parmi les hommes que vous avez vus traîner le char des ambitieux que vous avez démasqués, il en est beaucoup d'égarés. Sachez... Ici Robespierre fut interrompu par quelques murmures ; les enragés, les Guffroy, les hébertistes de l'Assemblée voyaient déjà leur proie leur échapper. Je dis mon opinion en présence du peuple, reprit-il avec fermeté, je la dis franchement, et je le prends pour juge de mes intentions. Sachez, citoyens, que vous ne serez véritablement défendus que par ceux qui auront le courage de dire la vérité, lors même que les circonstances sembleraient commander leur silence. Les applaudissements éclatèrent à ces fières paroles et aucun murmure ne s'y mêla. Robespierre continua en ces termes : Je suis loin de faire l'apologie de la faction exécrable que j'ai combattue pendant trois ans, et dont j'ai failli plusieurs fois être la victime ; ma haine contre les traîtres égale mon amour pour la patrie. Et qui osera douter de cet amour ? Je reviens à mon raisonnement, et je dis qu'ayant ordonné au comité de Sûreté générale de faire un rapport sur les signataires de la protestation, il est de votre justice d'attendre ce rapport ; je dis que la dignité de la Convention lui commande de ne s'occuper que des chefs, et il y en a déjà beaucoup parmi les hommes que vous avez décrétés d'accusation. S'il en existe encore, le peuple est la, il vous en demandera justice. Je dis que parmi les hommes mis en état d'arrestation, il s'en trouve beaucoup de bonne foi, mais qui ont été égarés par la faction la plus hypocrite dont l'histoire ait jamais fourni l'exemple ; je dis que parmi les nombreux signataires de la protestation, il s'en trouve plusieurs, et j'en connais, dont les signatures ont été surprises. Il fallait donc, selon lui, laisser les choses dans l'état ; s'il y avait de nouveaux coupables, il s'engageait à appeler sur eux la vengeance des lois[278]. L'Assemblée, ramenée à de tout autres sentiments, ne resta pas sourde à ce langage généreux, et au milieu des applaudissements décernés au courageux orateur, elle se rangea à son avis. Les soixante-treize étaient sauvés. XXXV Dans sa haine du mal et du crime, a écrit un historien de nos jours, Robespierre alla jusqu'à tuer ses ennemis, qu'il crut ceux du bien public[279]. Eh bien ! il n'est pas, que je sache, de plus éclatant démenti à ces paroles, très-légèrement échappées à un homme de cœur, que cette mémorable séance du 3 octobre, où Robespierre sauva soixante-treize de ses collègues, dont la plupart étaient ses ennemis déclarés. Peu d'hommes politiques ont, je crois, moins écouté leurs ressentiments personnels et se sont moins étudiés à ménager des susceptibilités ombrageuses. Un exemple récent a montré combien peu il se laissait arrêter par des considérations d'intérêt particulier quand sa conscience lui commandait de parler. Ni Briez ni Duhem ne figuraient parmi ses adversaires ; ils siégeaient, l'un au centre, l'autre sur les bancs de la Montagne, et cependant, les croyant coupables, il n'avait pas hésité à les prendre à partie, au risque de s'en faire d'irréconciliables ennemis. La reconnaissance est d'un jour, mais les rancunes sont éternelles. Hélas ! qui le prouve mieux que là conduite des députés sauvés par lui ? Et ce ne fut pas seulement dans cette séance du 3 octobre qu'il vint à leur secours. Plus d'une fois encore il eut l'occasion de les arracher à la fureur de ceux qui réclamaient leurs têtes, et ce fut grâce à lui si, après sa chute, ils purent rentrer dans le sein de la Convention. Mais quand le danger fut passé pour eux, ils ne se souvinrent plus guère de celui qu'ils avaient appelé leur sauveur, sinon pour accabler d'outrages sa mémoire et grossir le nombre de ses calomniateurs. Ils oublièrent alors les lettres qu'au temps de leur captivité ils lui avaient adressées, et dans lesquelles ils ne marchandaient pas les expressions de leur reconnaissance. Ô toi, s'écriait l'un d'eux, qui trois fois nous as garantis de la fureur des hommes cruels qui demandaient nos têtes ; toi qui as si bien su distinguer entre les effets de l'erreur et du crime, c'est à toi qu'il appartient aujourd'hui d'achever ton ouvrage et d'accélérer la décision de notre sort que mille et mille incidents peuvent encore reculer d'une manière indéfinie[280]. Ces lettres, en effet, ils les supposaient détruites, car les Thermidoriens, on le comprend, s'étaient bien gardés d'insérer, à la suite de leur odieux rapport, des lettres si honorables pour leur victime. Mais voici qu'aujourd'hui elles remontent au jour et viennent, comme des voix d'outre-tombe, témoigner en faveur de Maximilien Robespierre et protester contre l'ingratitude de ceux qui lui durent la vie[281]. Citoyen notre collègue, lui écrivaient, au nom de leurs compagnons d'infortune, les députés Hecquet, Queinec, Ruault, Saint-Prix, Delamarre, Blad et Vincent, nous avons emporté du sein de la Convention et dans notre captivité un sentiment profond de reconnaissance excité par l'opposition généreuse que tu formas le 3 octobre à l'accusation proposée contre nous. La mort aura flétri notre cœur avant que cet acte de bienfaisance en soit effacé[282]. C'est Dabray, député des Alpes-Maritimes, qui le prie d'appuyer une demande qu'il a faite au comité de Salut public, à l'effet d'obtenir la mainlevée de ses scellés. J'y joins, dit-il, un exemplaire de mes adresses, pour vous prouver que je ne suis point indigne de l'intérêt que le sauveur de la France et de l'humanité a pris pour mon malheur. Salut et fraternité ![283] C'est Blanqui, du même département, qui, après lui avoir déclaré que presque toujours il avait conformé son opinion à la sienne, ajoute, comme la meilleure preuve de sa confiance en lui- : Aujourd'hui, je dois faire quelque chose de plus, je vous appelle à ma défense[284]... Voici maintenant Royer, l'évêque de l'Ain, son ancien collègue à l'Assemblée nationale : Je vois avec plaisir combien tu as mérité la confiance de nos collègues. Témoin de ma fermeté dans les temps orageux de l'Assemblée constituante, où mon amour pour la chose publique m'a plus d'une fois exposé aux derniers dangers, qui mieux que toi peut attester mon patriotisme ?... Lis dans mon cœur, et tu y découvriras, ainsi que dans celui de nos collègues, le feu sacré qui dévore ton âme, l'amour de la patrie, l'amour des lois, le seul hommage que puisse t'offrir un vrai républicain, le seul digne de toi[285]. Puis c'est un de ses anciens adversaires, et non le moins
acharné, Guiter, qui s'adresse également à lui, au moment où la Convention
est sur le point de prononcer sur son sort : J'ai
recours à toi avec confiance, parce que j'ai enfin reconnu que tu n'avais
cessé d'être juste[286]. Ecoutez
maintenant Garilhe, député de l'Ardèche à la Convention : La loyauté, la justice et l'énergie que vous avez
développées le 3 octobre, en faveur des signataires de la déclaration du 6
juin, m'ont prouvé que, de même que vous savez, sans autre passion que celle
du bien public, employer vos talents à démasquer les traîtres, de même vous
savez élever votre voix avec courage en faveur de l'innocent trompé. Cette
conduite généreuse m'inspire la confiance de m'adresser à vous, quoique je
n'en sois pas connu, pour vous prier de permettre, dans l'impuissance où je
suis d'être entendu moi-même, qu'au nom de la justice, de l'humanité et du
peuple, à qui j'appartiens comme vous, je vous constitue mon défenseur.
Certes, vous avez dit une grande vérité lorsque vous avez avancé que la
plupart des signataires avaient signé de bonne foi, sans aucune intention
criminelle[287]. Écoutez Salmon,
député de la Sarthe : Vous prendrez, j'en suis
d'avance convaincu, depuis les observations que vous présentâtes à la
Convention le jour de l ?arrestation des signataires, la défense de
l'innocent qui croyait bonnement servir la chose publique, et n'avait nulle
intention de seconder des projets perfides et contre-révolutionnaires[288]. Lisez enfin
ces quelques lignes écrites de la Force à la date du 3 messidor (21 juin 1794), et signées de trente et un Girondins
: Citoyen, tes collègues détenus à la Force
t'invitent à prendre connaissance de la lettre dont ils t'envoient copie. Ils
espèrent que, conséquemment à tes principes, tu l'appuyeras. QUOIQUE NOUS TE DEVIONS BEAUCOUP, nous ne te parlerons point de notre reconnaissance, il
suffit de demander justice à un républicain tel que toi[289]. Donc, avant
Thermidor, il n'y avait qu'une voix sur les sentiments de modération et de
justice de Robespierre. Étonnez-vous, après cela, qu'au moment de sa chute un
morne effroi se soit répandu dans les prisons, et qu'on se soit écrié : Nos malheurs ne sont pas finis, puisqu'il nous reste encore
des amis et des parents, et que MM. Robespierre sont morts[290]. On ne saurait faire entendre en faveur de Robespierre de plaidoirie plus saisissante que ces lettres citées par nous en entier ou par fragments. Point d'emphase, point de lâche flatterie, c'est la vérité prise sur le fait. Jusqu'ici la plupart des historiens de la Révolution ont écrit sur des documents fabriqués après coup ; et, avec la plus déplorable légèreté, en supposant entière leur bonne foi, ils ont accepté les contes les plus ineptes, les plus grossières calomnies, ils leur ont imprimé le cachet sévère de l'histoire, et ont égaré ainsi la conscience du pays. Que d'Histoires de la Révolution n'ont pas défrayées, par exemple, les historiettes de Riouffe, un des plus effrontés menteurs qu'on puisse imaginer, et dont les récits reposent sur les témoignages du bourreau, transmis par des geôliers ! Que d'impostures, que de suppositions hasardées s'évanouiront devant les témoins irréfragables, devant les preuves vivantes que nous produisons aujourd'hui ! L'heure de la justice est lente à venir, avons-nous dit, mais elle vient, elle est venue. |
[1] Voyez le Moniteur du 4 brumaire de l'an III (25 octobre 1794).
[2] Michelet, Histoire de la Révolution, t. VI, p. 50.
[3] Nous avons déjà démontré combien erronée est l'opinion de ceux qui font des Girondins les fondateurs de République parce qu'un des leurs avait eu le premier à la bouche, en 1791, ce mot de la république. Dieu sait quels républicains et quels libéraux furent les Girondins ! Demandons à un franc royaliste quels étaient, dans l'opinion publique, les vrais républicains. Écoutez Mallet du Pan ; voici comment il s'exprimait en avril 1792 : Cela n'empêche pas qu'il n'existe un parti de véritables républicains, à la tête desquels est M. Robespierre, qui ne chemine pas avec MM. Condorcet, Brissot. (Mémoires de Mallet du Pan, t. I, p. 260.)
[4] Compte rendu, par Saladin, des journées des 29 et 31 mai, 1er et 2 juin 1793, cité dans l'Histoire parlementaire, t. XXVITI, p. 44, en note.
[5] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 428.
[6] Archives de la Ville. Registre des délibérations du conseil général de la commune. V. 30, carton 0, 30, 0.
[7] Séance du 4 juin. — Voyez le compte tendu de cette séance dans le Moniteur du 7 juin 1793.
[8] Adresses des communes d'Amboise et d'Arcis-sur-Aube, transcrites sur le registre des délibérations du conseil général. (Archives de la Ville, ubi supra.)
[9] Archives de la ville, ubi supra. Voyez dans le Moniteur du 8 juin 1793 le discours de ce député d'Arras.
[10] Voyez la lettre de Dufriche-Valazé dans le Moniteur du 7 juin 1793, et dans le numéro 203 du Républicain français, où elle se trouve plus complète.
[11] Voyez la lettre de Vergniaud dans le Moniteur du 8 juin 1793.
[12] Rapport de Barère, dans le Moniteur du 9 juin 1793.
[13] Voyez le Moniteur du 9 juin, et notre Histoire de Saint-Just, p. 220 de la première édition.
[14] Dans son Histoire de la Révolution, M. Thiers, entre autres erreurs, attribue à Maximilien Robespierre un discours prononcé par Robespierre jeune au club des Jacobins dans la séance du 3 juin 1793. (Voyez le Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins.)
[15] Voyez le discours de Robespierre dans le Moniteur du 10 juin, et dans le Journal des débats et des décrets, numéro 264, p. 101.
[16] Voyez le Moniteur du 31 mai 1793. Les membres du comité de Salut public étaient alors Cambon, Barère, Danton, Guyton-Morveau, Treilhard, Lacroix, Bréard, Delmas et Robert Lindet.
[17] Registre des délibérations et arrêtés du comité de Salut public (Archives, 434 a a 71).
[18] Ce qui n'empêche pas M. Michelet d'écrire que la Montagne lui remit en réalité la constitution (t. VI, p. 35). Mais, étranges contradictions de l'éminent écrivain ! il ajoute, à la page suivante, que les rédacteurs de la constitution se contentèrent de découper le médiocre projet girondin. Or, on a pu voir, dans notre précédent volume, combien plus larges et plus élevées étaient les vues de Robespierre en matière de constitution. Telles sont d'ailleurs les erreurs capitales commises par M. Michelet, qu'il se plaint (p. 37) de ce que le droit de résistance à l'oppression ne figure pas dans l'énumération des Droits de l'homme. Pour quoi donc compte-t-il les articles XXXIII, XXXIV et XXXV de la Déclaration : La résistance à l'oppression est la conséquence des autres droits de l'homme ?
Il y a oppression contre le
corps social lorsqu'un seul de ses membres est opprimé.
Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est pour le peuple, et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits.
[19] Journal des débats et des décrets, numéro 266, p. 133, et Moniteur du 12 juin 1793.
[20] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 431. Le discours de Robespierre a été reproduit in extenso dans l'Histoire parlementaire, t. XXVIII, p. 186.
[21] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 271, p. 232.
[22] Moniteur du 16 juin 1793, séance du 14.
[23] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 271, p. 250.
[24] Moniteur du 18 juin 1793, séance du 15.
[25] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 273, p. 263.
[26] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 273, p. 266.
[27] Moniteur du 20 juin 1793, séance du 17.
[28] Voyez le livre De la Justice dans la Révolution et dans l'Eglise.
[29] Idées générales de la Révolution au XIXe siècle.
[30] C'est surtout dans ses Idées générales de la Révolution au XIXe siècle que Proudhon s'est montré à l'égard de Robespierre d'une révoltante injustice. Avec les révolutionnaires comme Robespierre on fonde la liberté et la démocratie ; nul doute pour moi que, sans le coup d'État de Thermidor, il ne fût parvenu à les asseoir en France sur des bases indestructibles. Avec des révolutionnaires de la trempe de Proudhon, lequel s'est donné quelque part pour l'héritier de Varlet et de Vincent, et s'est vanté, dans ses Confessions d'un Révolutionnaire, d'avoir voulu faire peur, on patauge dans le gâchis jusqu'au jour où, de dégoût et de lassitude, la majorité du pays se jette dans les bras du despotisme. Et voyez où aboutissent d'ordinaire ces esprits excentriques. Après s'être posé en véritable croquemitaine et avoir eu la prétention d'étonner le monde par l'audace de ses propositions, Proudhon en est venu, aux applaudissements des journaux légitimistes, à lancer un pamphlet contre le peuple italien, et ce terrible ennemi de Dieu a fini par faire campagne avec les cléricaux.
[31] Voyez le Moniteur du 20 juin 1793, séance du 17.
[32] Moniteur du 22 juin 1793, et Journal des débats et des décrets, etc., numéro 277, p. 343 ; séance du 19 juin.
[33] Constitution de 1793. Art. XXI de la Déclaration des droits et CI de l'acte constitutionnel.
[34] Articles LIV, LVIII et LIX de la constitution.
[35] Article LV de la constitution.
[36] Moniteur du 19 juin 1793.
[37] Moniteur du 21 juin 1793 ; séance du 18.
[38] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 276, p. 321.
[39] Art, I. Le peuple français se déclare l'ami et l'allié naturel des peuples libres.
Art. II. Il ne s'immisce point dans le gouvernement des autres nations ; il ne souffre pas que les autres nations s'immiscent dans le sien.
Art. III. Il donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté ; il la refuse aux tyrans.
[40] D'après le Moniteur et le Journal des débats et des décrets, ce cri aurait été poussé par Barère. Mercier semble l'attribuer à Robespierre.
[41] Journal des débats et des décrets, numéro 276, p. 323 ; Moniteur du 21 juin 1793. — Il suffit de citer de telles paroles pour faire comprendre au lecteur combien Proudhon s'est montré ridicule quand, se traînant dans l'ornière des calomniateurs royalistes ou girondins, il a traité Robespierre de rhéteur pusillanime.
[42] Moniteur du 21 juin.
[43] Art. CXXII de la constitution.
[44] Il est difficile d'accumuler plus de contradictions et d'erreurs que ne l'a fait M. Michelet dans les pages qu'il a consacrées à la constitution de 1793. Nous en avons déjà signalé une capitale. A cette constitution il manque, selon M. Michelet, deux choses : l'homme et Dieu (t. VI, p. 41) ; et un peu plus loin (p. 43), il reproche à Robespierre personnellement de l'avoir placée sous l'invocation divine, d'où il tire la conséquence que par là Maximilien devenait l'espoir des amis du passé, du parti prêtre (p. 49) : ce qui est tout aussi logique que de présenter Robespierre comme le défenseur attitré des propriétaires (p. 48). M. Michelet ferait croire, en vérité, qu'il n'a pas lu un mot de la DÉCLARATION de Robespierre et de sa belle définition de la propriété, si supérieure à celle qu'en avaient donnée les Girondins. Maintenant, est-ce que l'œuvre de Robespierre n'est pas toute pleine du sentiment de l'humanité ? Et quant à la justice, que M. Michelet paraît ne pas avoir aperçue dans la constitution montagnarde, est-ce que Robespierre ne la donne pas pour règle à la liberté ? (Art. IV de sa Déclaration et art. VI de la Déclaration conventionnelle.)
[45] Art. VII de la DÉCLARATION de Robespierre, et XVI de la Déclaration conventionnelle.
[46] Art. VIII, IX et X de la DÉCLARATION de Robespierre, et XVII de la Déclaration conventionnelle.
[47] Art. XXXIV et XXXV de la DÉCLARATION de Robespierre, et art. CVIII et CIX de la constitution.
[48] Journal des débats et des décrets, numéro 279, p. 375, et Moniteur du 26 juin 1793.
[49] Moniteur du 26 juin 1793.
[50] Dans la séance du 8 juillet 1793, Condorcet fut décrété d'arrestation, sur la dénonciation de Chabot, pour avoir lancé un pamphlet virulent contre la constitution. On connaît sa fin malheureuse.
[51] Rapport sur les principes de morale politique qui doivent guider la Convention dans l'administration intérieure de la République.
[52] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 279, p. 379.
[53] Moniteur du 28 juin 1793.
[54] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéros 441 et 442, et Républicain français, numéro 228.
[55] Voyez le Républicain français, numéro 228.
[56] Le Journal des débats et des décrets de la Convention, tout dévoué aux Girondins, contient sous ce titre : RAPPROCHEMENT IMPORTANT, un article extrêmement curieux. C'est une comparaison entre la conduite si calme des sections parisiennes, lors des décrets d'accusation rendus contre Marat et d'Orléans, et la conduite des départements se soulevant à la voix de la Gironde. Voyez le numéro 269, p. 197.
[57] Voyez à cet égard les propres aveux de Meilhan dans ses Mémoires, p. 65. Il se vante de sa participation à l'insurrection girondine.
[58] Voyez cet arrêté dans l'Histoire parlementaire, t. XXVIII, p. 149.
[59] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 434, séance du 16 juin aux Jacobins.
[60] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 430, séance du 9 juin aux Jacobins.
[61] Le Journal des débats et de la correspondance, etc., ne dit mot de te discours. Voyez le Républicain français, numéro 213.
[62] Voyez le Républicain, Journal des Hommes libres, de Charles Duval, numéro 213.
[63] Moniteur du 16 juin 1793.
[64] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 431.
[65] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 433.
[66] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 435, séance du 16 juin 1793.
[67] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 438.
[68] Le Père Duchesne, numéro 225.
[69] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 270, p. 221, séance du 14 juin.
[70] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 284, p. 454, séance du jeudi soir 27 juin.
[71] Moniteur du 24 juin 1793.
[72] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 278.
[73] Voyez ce que dit à ce sujet Levasseur, dans la séance du 21 juin. (Moniteur du 24.)
[74] Registre des délibérations du conseil général de la commune de Caen. Délibération en date du 20 avril 1793.
[75] Registre des délibérations du conseil général de la commune de Caen. Délibération en date du 14 mai.
[76] Registre des délibérations du conseil général de la commune de Caen. Séance du dimanche 9 juin 1793.
[77] Registre des délibérations du conseil général de la commune de Caen. Séance du 13 juin 1793.
[78] L'article dont se plaint Garat se trouve en substance dans la délibération du conseil général de Caen en date du 9 juin, ubi supra.
[79] Voyez dans le Moniteur du 18 juin 1793 ce très-curieux discours de Garat. Tous ces détails, d'une si réelle importance, et qui jettent une lueur si vive sur la conduite des Girondins, sont complètement omis dans les histoires générales.
[80] Voyez le Moniteur du 18 juin. — Le discours de Robespierre, qui dut avoir une certaine étendue, s'y trouve résumé en vingt-cinq lignes. Le Journal des débats et des décrets de la Convention (numéro 272) avait promis de le donner en entier, mais il ne tint pas sa promesse. Le Bulletin de la Convention assigne la date du 18 juin à la séance dans laquelle. Garat et Robespierre dénoncèrent, les calomnies girondines ; c'est une erreur Garat s'est bien gardé de rappeler cette séance dans ses Mémoires, où il s'agissait avant tout d'intéresser en sa faveur les Girondins, devenus de nouveau les maîtres du pouvoir.
[81] Voyez le compte rendu de la séance du 16 dans le Républicain, numéro 215 de l'année 1793.
[82] La lettre de Granville figure à la suite du rapport de Courtois, n° XVII. Nous avons, d'après la minute de cette lettre existant aux Archives, rétabli le nom de l'auteur, dont Courtois, pour des raisons faciles à deviner, n'avait donné que l'initiale. Après Thermidor, il faillit en coûter cher à Granville d'avoir écrit cette lettre. Tous ses collaborateurs le désavouèrent, entre autres le futur baron Trouvé, le plat et ardent adulateur et serviteur de tous les régimes, depuis la République jusqu'à la Restauration.
[83] Ce qui n'a pas empêché le rapporteur d'écrire : Un des projets de Robespierre fut d'abolir les spectacles : il ne pardonnait pas qu'on eût osé le traduire sur la scène. (P. 27 et 28.) Comment, à l'appui de cette assertion, n'a-t-il pas apporté un de ces faux qui lui coûtaient si peu ?
[84] Cette phrase a été omise tout entière dans la pièce qui figure a la suite du rapport de Courtois, n° XLIII, p. 180, sous ce titre Espèce de catéchisme de Robespierre, écrit de sa main ! Elle se trouve, il est vrai, dans le corps du rapport (p. 27), mais tronquée et altérée. Ainsi les réacteurs de Thermidor se sont bien gardés de parler du gouvernement qui tend sans cesse à étendre son pouvoir aux dépens du peuple. Il ne faut pas oublier qu'on voulait prouver que Robespierre avait aspiré à la dictature.
[85] On se retrancherait en vain derrière une erreur possible d'impression. Le faux est tellement prémédité qu'il se reproduit trois fois : deux fois dans le corps même du rapport (p. 27), lignes 4 et 10, et une fois, p. 480, avec omission complète d'une phrase. — Voyez l'original de cette note aux Archives, F 7, 4436, liasse R. Ce n'est là du reste qu'un faible échantillon des faux que nous avons découverts.
[86] Page 27 du rapport. Le rapporteur prétend que fous les auteurs accusés ou soupçonnés d'avoir pensé à Robespierre. devinrent les objets de ses vengeances. Il est fâcheux, en vérité, qu'il n'ait pu citer un seul exemple, un seul. Un certain baron Massias, dans un livre oublié comme son auteur (Mouvement des idées dans les quatre derniers siècles), a trouvé moyen d'aller plus loin que Courtois, Il a prétendu que Robespierre avait proposé à la Convention, le 15 janvier 1794, de proscrire tous les savants, tous les gens de lettres, tous les érudits. — Et ces gens-là se prenaient pour de très-honnêtes gens.
[87] Moniteur du 21 juin, séance du 18.
[88] Voyez le Moniteur des 17 et 18 juin 1793.
[89] Voyez à ce sujet les Révolutions de Paris, numéro 207, p. 593.
[90] Registre des délibérations du conseil général de la ville de Caen, séance du 30 juin 1793.
[91] Adresse de la société populaire des Amis de la Constitution de Caen, en date du 9 mars 1792, et signée des membres du comité de correspondance : Ménard, président ; Hardy, vice-président ; Victor, Féron, Lelarge fils et Récamier. — Cette pièce, dont l'original est aux Archives, figure à la suite du rapport de Courtois, sous le n° II (p. 102). Courtois, dans son rapport, établit un rapprochement entre cette société, qui a pris pour mot d'ordre le nom de Robespierre, et Joseph Lebon, qui aurait pris le mot pillage (p. 10). Or, Courtois trouve aussi moyen de calomnier Joseph Lebon, car ce mot d'ordre n'est pas de lui ; il est du commandant de la place d'Arras Francastel, et il fut renvoyé avec indignation au comité de Sûreté générale. Tous les honnêtes gens me sauront gré de suivre de près ce monstrueux rapport, dont le rédacteur n'a pas craint d'écrire : La vérité a si fidèlement conduit ma plume que, si l'histoire, dans quelques siècles, désire retracer cette époque de notre révolution, je veux qu'elle n'ait qu'à signer ce discours. (P. 9.) Les faussaires s'imaginent toujours que leurs faux ne seront point découverts.
[92] On comprend maintenant pourquoi les hommes les plus modérés, les plus hostiles même à l'esprit révolutionnaire, se montrent peu favorables aux Girondins. ... Je vous l'ai souvent dit dans mes conversations, et je me plais à le rappeler dans ces graves circonstances, écrivait, il y a quelques années, M. Odilon Barrot, nul d'entre nous ne se soucie de suivre les errements des émigrés, ni même les exemples des Girondins. (Lettre à M. Garnier-Pagès, en date du samedi 26 février 1848.)
[93] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 280, p. 388 ; et Moniteur du 27 juin 1793.
[94] Moniteur du 28 juin 1793, et Journal des débats et des décrets, numéro 282.
[95] Moniteur du 28 juin 1793, et Journal des débats et des décrets, numéro 282.
[96] Registre des délibérations et arrêtés du comité de Salut public. Archives, 434 a a 71. Étaient présents à cette séance du 2 juillet : Cambon, Guyton-Morveau, Delmas, Robert Lindet, Barère, Danton, Couthon, J.-B. Saint-André, Berlier, Hérault-Séchelles et Saint-Just.
[97] Voyez à ce sujet le Moniteur du 30 juin 1793, séance du 28. — Ce qui prouve, par parenthèse, combien M. Michelet est dans l'erreur quand il écrit : Robespierre entra réellement au comité par ses hommes Couthon et Saint-Just. (Histoire de la Révolution, t. VI, p. 58.) Unis de cœur et de pensées à Maximilien, Couthon et Saint-Just étaient trop grands l'un et l'autre pour n'être que ses serviles instruments.
[98] Voyez notre Histoire de Saint-Just (t. Ier, p. 252 et suiv., édit. Meline et Cans). On s'explique difficilement comment M. Michelet, dans son Histoire de la Révolution, a pu écrire : Son rapport fut atroce de violence (t. VI, p. 65) ; et plus loin (p. 70) : l'atroce rapport de Saint-Just. Pourquoi donc alors M. Michelet a-t-il écrit plus haut (p. 50), en parlant de la Gironde : Elle précipita sa chute, en la méritant, par l'appel à la guerre civile ? Nous n'avons eu que trop souvent déjà l'occasion de signaler les contradictions dont fourmille l'œuvre de l'éminent écrivain.
[99] Moniteur du 9 juillet 1793, et Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 293, p. 88, séance du 7 juillet 1793.
[100] Voyez le Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 295, p. 122. Garat, dans ses Mémoires (p. 245 de l'édit. de 1862), rapporte ainsi les paroles de Robespierre : Vous n'avez que trop longtemps usé de clémence ; vous devez et vous voulez sauver la République : il faut laisser tomber la hache des lois sur les têtes criminelles. Selon Garat, la Convention était toute disposée à voter sa proposition. Cela ne ressort en rien ni de la version du Moniteur, ni de celle du Journal des débats et des décrets. Enfin, comme dans ces Mémoires de 1795, l'ancien ministre de la Révolution s'attache, et pour cause, à assombrir le rôle de Robespierre ; il prétend que Maximilien se leva en colère, et repoussa avec indignation sa demande. Mais cela est démenti par les premières paroles mêmes de Robespierre : Réjouissons-nous de l'allégresse avec laquelle le peuple français accepte la constitution ; livrons-nous aux transports sublimes que cet accord de la grande majorité du peuple français nous inspire ; mais loin de nous des idées de faiblesse au moment où la liberté triomphe et où la République commence à s'asseoir. (Moniteur du 11 juillet 1793.)
[101] Journal des débats et des décrets, ubi supra.
[102] Voyez les versions combinées du Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéros 446 et 447, et du Journal de la Montagne, numéro 41.
[103] Registre des arrêtés et délibérations du comité de Salut public. Archives, 434 a a 71. Des quatorze anciens membres du comité, sept furent renommés, savoir : Hérault-Séchelles, Couthon, Saint-Just, Gasparin, Barère, Robert Lindet et J.-B. Saint-André ; sept en sortirent : Danton, Berlier, Lacroix, Delmas, Guyton-Morveau, Cambon et Ramel. Deux membres nouveaux y entrèrent, Prieur (de la Marne) et Thuriot.
[104] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 295, p. 118, séance du 9 juillet 1793.
[105] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 447.
[106] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 148, séance du 10 juillet 1793.
[107] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 148, séance du 12.
[108] Registre des délibérations de la commune, Archives de la Ville.
[109] Le Publiciste de la République française, par Marat, l'Ami du peuple, numéro 233.
[110] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 449.
[111] Moniteur du 17 juillet 1793, séance du dimanche 14.
[112] Journal des débats et de la correspondance, etc., numéro 458.
[113] Aucun journal du temps n'a, que je sache, reproduit ce discours. Dans la séance du 9 Thermidor, Collot-d'Herbois rappela que le jour de la fête funèbre de Marat Robespierre avait longtemps parlé à la tribune dressée devant le Luxembourg, et il lui fit un crime de n'avoir pas prononcé le nom de l'Ami du peuple. Voyez le Moniteur du 12 thermidor an II (30 juillet 1794).
[114] Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, par Maximilien Robespierre (article XV).
[115] Voyez le compte rendu de la séance du 3 juillet 1793, dans le Moniteur du 6.
[116] Que penser à présent de la fable imaginée trente ans plus tard par Félix Lepeletier ? A l'en croire, ayant rencontré Robespierre au jardin des Tuileries, dans l'après-midi du 12 juillet, Maximilien lui aurait demandé quand il ferait connaître l'ouvrage de feu son frère sur l'éducation. A quoi il aurait répondu : qu'il s'était promis de ne le faire voir à personne avant de l'avoir soumis lui-même à la Convention, dont il attendait les ordres. Sur l'insistance de Robespierre, il le lui aurait envoyé, sous promesse de sa part de le rendre le lendemain, à pareille heure ; et il ajoute : Quel fut mon étonnement, le lendemain, d'entendre, sur les cinq heures, les crieurs de journaux faire retentir les rues de Paris de ces paroles foudroyantes pour moi : Grand rapport à l'Assemblée du plan de Michel Lepeletier sur l'éducation publique, par Maximilien Robespierre. (Note DD, p. 429, à la suite des Œuvres de Michel Lepeletier, publiées par son frère, Bruxelles, 1826, 1 vol. in-8.) Ainsi, selon lui, Robespierre aurait abusé de sa confiance. Mais, pour deux raisons péremptoires, le récit de Félix Lepeletier est tout à fait inadmissible. D'abord Félix ne pouvait pas, le 12 juillet, attendre les ordres de l'Assemblée, puisque, par un décret formel, la Convention, dans sa séance du 3, avait décidé que l'œuvre de son frère ne serait pas lue en séance, mais seulement imprimée ; ensuite, d'un discours de Félix Lepeletier aux Jacobins, il résulte qu'il assista à la séance conventionnelle où Robespierre donna lecture de l'œuvre de son frère, car ce fut lui-même qui vint rendre compte des réflexions dont la fit précéder Robespierre ; et il ajouta : Je n'ai pu céder qu'à Robespierre un devoir qui m'était si précieux à remplir. (Voyez le Journal des débats et de la correspondance des Jacobins, numéro 450. Séance du 15 juillet.) A quoi donc attribuer son récit malveillant pour Robespierre ? Ah ! nous avons déjà parlé de ces apostasies du cœur dont fut victime Maximilien. Étroitement lié avec celui-ci, hôte assidu de Duplay, avec lequel il fut compromis dans l'affaire de Babœuf, Félix Lepeletier, après avoir échappé aux tempêtes de la Révolution, était devenu l'ami de quelques survivants de la Gironde et de certains Thermidoriens qui n'avaient pas manqué de lui persuader, paraît-il, que Robespierre s'était opposé à ce qu'il ne fut pas compris dans la loi qui éloignait de Paris les ci-devant nobles.
[117] Voyez le Moniteur du 17 juillet 1793.
[118] Le Moniteur du 17 juillet 1793 contient un extrait assez étendu du plan de Michel Lepeletier ; voyez le complet dans ses Œuvres, publiées par son frère, p. 267 à 330.
[119] Voyez ce que dit à ce sujet Félix Lepeletier aux Jacobins, séance du 15 juillet. (Journal des débats et de la correspondance de la société, numéro 450.)
[120] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 315.
[121] Voyez le Moniteur du 15 août 1793.
[122] Voyez le Moniteur du 15 août 1793.
[123] Moniteur du 29 thermidor an II (16 août 1794), séance des Jacobins du 17 thermidor.
[124] Voyez notamment, à ce sujet, le Moniteur du 21 floréal an II (10 mars 1794).
[125] Page 33 du rapport. Ce seul écrit, dit le rapporteur, suffit pour prouver que Robespierre aspirait au gouvernement d'un seul. Et procédant, suivant sa coutume, par suppressions et transpositions, il ajoute : Il faut que l'insurrection continue, au lieu de il faut que l'insurrection actuelle continue jusqu'à ce que les mesures nécessaires pour sauver la République aient été prises. Et plus bas il écrit : Il faut que la Convention se serve du peuple. — Ce qui donne lieu de sa part à cette réflexion : Ainsi ce factieux réduit le peuple au rôle d'un vil instrument ; (P. 34) tandis qu'il y avait dans le texte : Il faut que le peuple s'allie à la Convention et que la Convention se serve du peuple. Enfin il n'y avait pas à se méprendre sur la date précise de cette note, puisqu'il y est dit : Custine ; — à surveiller par des commissaires nouveaux bien sûrs, et que ce fut dans la séance du 24 juillet 1793 que Duhem et Lesage-Senault, commissaires près l'armée du Nord commandée par Custine, furent rappelés et remplacés par de nouveaux commissaires. Aussi Courtois a-t-il eu soin de supprimer dans son rapport cette ligne : Custine, etc. car elle eût levé tous les doutes.
[126] Louis Blanc, Histoire de la Révolution. Voyez le chap. intitulé : La coalition s'avance, t. IX, p. 130.
[127] L'original de cette note est aux Archives, A F 4436. Elle figure sous le numéro XLIV, p. 181, à la suite du rapport de Courtois.
[128] Voyez à ce sujet le Moniteur du 27 juin 1793, séance du 24.
[129] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 470.
[130] Voyez le Moniteur du 25 juillet 1793 et le Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 310.
[131] Voilà ce qui faisait dire à Duhem, — luttant, après Thermidor, contre la réaction, — qu'il avait été sous les couteaux de Robespierre, pour répondre à Thuriot, qui, devenu réactionnaire furieux, demandait ironiquement à la Convention d'autoriser Duhem à faire le panégyrique de Robespierre. Voyez le Moniteur du 28 thermidor an II (15 août 1794).
[132] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 457.
[133] Moniteur du 2 août 1 793, séance du 31 juillet.
[134] Moniteur du 28 juillet 1793, et Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 312, p. 336.
[135] Voyez dans le numéro 201 des Révolutions de Paris, l'article intitulé : Un mot sur Custine, et la lettre à la suite, p. 345, 346.
[136] Moniteur du 23 juillet 1793 ; séance du 22.
[137] Voir, pour tous les détails des griefs articulés contre Custine, le Moniteur du 31 juillet 1793, et les Révolutions de Paris, numéro 211, p. 44.
[138] Voyez à ce sujet, dans le journal de Marat, une lettre de Labenette à Robespierre, et une lettre de Joubert à Custine, numéro 239, du 11 juillet 1793.
[139] Cette rapide et violente improvisation de Robespierre se trouve, avec quelques variantes, dans le Journal de la Montagne, numéro 72, le Républicain français, numéro 276, et le Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 470.
[140] Voyez à cet égard le Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins.
[141] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 478.
[142] Séance des Jacobins du 25 août 1793. Voyez le Journal des débats et de la correspondance..., numéro 480 ; le Républicain français, numéro 285 ; le Journal de la Montagne, numéro 97. — Les fréquentes improvisations de Robespierre ont été certainement rapportées d'une façon très-défectueuse ; nous devons en avertir le lecteur. Parfois il y a, entre les diverses relations, des différences très-sensibles ; le plus souvent elles sont identiques ; d'où il faut conclure que, dans ce cas, la même copie servait à plusieurs journaux. Quanta l'exactitude de ces comptes rendus, il y a beaucoup à s'en défier, puisque Robespierre lui-même les arguait de faux. Il dit, en effet, un jour au ministre Garat, qui, n'allant jamais aux Jacobins, jugeait de leurs séances par les comptes rendus qu'en donnaient les journaux : Ces comptes rendus sont faux, et les Jacobins qui les rédigent sont des traîtres. (Mémoires de Garat, p. 299, édit. de 1862.)
[143] Voyez le Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 470, séance du 9 août.
[144] Moniteur du 30 juillet 1793.
[145] Journal des débats et de la correspondance..., numéro 470, séance du 9 août 1793. D'après Barère, Robespierre, sentant croître son ambition, aurait fait plusieurs démarches auprès de certains membres de la Convention et des comités, pour qu'ils témoignassent le désir de le voir entrer, lui Robespierre, au comité de Salut public. Il disait aux Jacobins qu'il serait utile pour observer le travail et la conduite des membres du comité ; il disait aux Conventionnels qu'il y aurait plus d'harmonie entre la Convention et le comité s'il y entrait. (Mémoires de Barère, t. II, p. 115.) Or, Robespierre disait aux Jacobins, dans la séance du 9 août : Appelé contre mon inclination au comité... et personne ne le contredit. On sait de reste que dans ses Mémoires le vieux Barère a souvent menti avec une rare impudence, et péché tout aussi souvent par défaut de mémoire. C'est ce dont sont parfaitement convenus, d'ailleurs, ses honorables éditeurs, MM. Carnot et David (d'Angers) : La mémoire de Barère le trahit parfois, et il serait à craindre qu'une autorité comme la sienne induisît en erreur quelques écrivains. (T. II, p. 108, en note.)
[146] C'est ce qu'il donna très-bien à entendre dans la séance du 9 août aux Jacobins. (Voyez le Journal des débats et de la correspondance..., numéro 470.)
[147] M. Michelet, qui les a eus sous les yeux, n'a pas su en tirer un parti utile pour rétablir la vérité sur beaucoup de points.
[148] Registre des délibérations et arrêtés du comité de Salut public, Archives, 434 a a 71.
[149] Registre des délibérations et arrêtés du comité de Salut public, Archives, 434 a a 71, séance du 3 août. Étaient présents : Barère, Thuriot, Robespierre, Saint-Just et Prieur (de la Marne).
[150] Moniteur du 3 août 1793.
[151] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 465, séance du 6 août 1793.
[152] M. Michelet, il faut l'avouer, n'a guère bien choisi son époque pour placer dans la bouche de Danton ces mots à l'adresse de Robespierre : Ce b... là n'est pas seulement capable de faire cuire un œuf. Certes, en le défendant alors contre des fureurs déjà puissantes, Robespierre lui prouvait le contraire. Mais Danton a-t-il jamais prononcé ces paroles ? Cela est plus que douteux. Est-ce qu'un historien sérieux devrait admettre, sans réserve, ces phrases banales, faites après coup et prêtées par l'un et par l'autre aux grands acteurs de notre drame révolutionnaire ? Et pourquoi Danton les aurait-il prononcées ? Parce que, selon M. Michelet, on était consterné de cette inertie du premier homme de la République. — (Hist. de la Révolution, t. VI, p. 213.) Ce reproche d'inertie est étrange, en vérité, adressé à un homme qui jour et nuit était sur la brèche.
[153] Rapport sur la faction Fabre d'Églantine.
[154] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 465.
[155] Voyez l'adresse de la veuve Marat dans le Moniteur du 10 août 1793.
[156] Voyez le compte rendu de cette séance dans l'Histoire parlementaire, t. XXVIII, p. 424.
[157] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 486 ; Journal de la Montagne, numéro 91, séance du 30 août 1793.
[158] Mercure universel, numéro du 28 juillet 1793.
[159] Voyez le Moniteur du 21 septembre 1793, séance du 18.
[160] Journal de la Montagne, numéro 60.
[161] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 460.
[162] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 318.
[163] Voyez le Moniteur du 5 août 1793 et le Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 319. — C'est ici le lieu d'observer avec quelle légèreté certains écrivains traitent l'histoire. Dans une compilation des œuvres de Robespierre, publiée récemment par M. Vermorel, et qui fait regretter la consciencieuse édition des œuvres de Robespierre qu'avait donnée Laponneraye, les faits relatifs à cette séance du 2 août sont présentés sous un aspect complètement faux. De la rédaction de M. Vermorel (p. 111) il semble résulter que ce soit Robespierre qui ait imposé silence à Carra. M. Vermorel omet de signaler l'intervention du président. Il fait dire à Robespierre : Le décret d'accusation est assez justifié, après avoir montré Guyomard et Pons (de Verdun) parlant en faveur de Carra, tandis que ce fut tout le contraire qui eut lieu. Puis, il ajoute : Et la mise en accusation est décrétée par la Convention ; de sorte qu'on pourrait croire que Robespierre seul soutint les conclusions du comité de Salut public. Eh bien ! après Robespierre parlèrent successivement : Guyomard en faveur de Carra ; Gaston pour réclamer son renvoi devant le tribunal révolutionnaire ; Pons (de Verdun) pour attaquer Gaston ; un orateur, que le Moniteur ne nomme pas, et qui, après avoir déclaré que la présence de Carra souillait la Convention, demanda également que ce député fût traduit devant le tribunal révolutionnaire ; et enfin l'ex-girondin Lacroix, lequel commença par défendre Gaston contre les attaques de Pons (de Verdun) et conclut au renvoi de Lacroix devant le tribunal révolutionnaire. On peut juger par là dans quel esprit de dénigrement systématique a été faite cette édition tronquée des œuvres de Robespierre.
[164] Rien d'embarrassé et d'évasif comme les réponses de Carra devant le tribunal révolutionnaire quand on lui demanda comment il avait pu proposer aux Jacobins d'appeler au trône de France le duc d'York et tracer un éloge exagéré du duc de Brunswick. Quant au duc d'York, c'était pour détourner de la coalition le roi d'Angleterre, son père, et, pour ce qui était de Brunswick, c'était afin de le brouiller avec la maison d'Autriche. Voyez le procès des Girondins, dans l'Histoire parlementaire, t. XXIX, p. 471, 472.
[165] Registre des délibérations et arrêtés du comité de Salut public, Archives, 434 a a 71. Séance du 28 juillet. Étaient présents : Barère, Robespierre, Hérault-Séchelles, Prieur (de la Marne) et J.-B. Saint-André.
[166] Registre des délibérations et arrêtés du comité de Salut public, Archives, 434 a a 71, séance du 29. Présents : Couthon, Barère, Saint-Just, Robespierre, Thuriot et Hérault-Séchelles.
[167] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 462, séance du 31 juillet.
[168] Ibid., numéro 470.
[169] Journal des débats et de la correspondance.de la société des Jacobins, numéro 473, séance du 13 août 1793.
[170] Le ministère était alors composé de : Gohier, à la justice ; Garat, à l'intérieur ; Destournelles, aux finances ; Bouchotte, à la guerre ; d'Albarade, à la marine, et Deforgues, aux affaires étrangères.
[171] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 479, séance du 23 août.
[172] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 328, p. 146, séance du 12 août.
[173] Moniteur du 9 août 1793.
[174] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 467.
[175] Moniteur du 7 août 1793.
[176] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 467.
[177] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 325, p. 104.
[178] Voyez, pour les détails de cette fête, l'Histoire parlementaire, t. XXVIII, p. 436 et suiv.
[179] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 470. Séance du 11 août, ubi supra.
[180] Voyez, pour cette importante séance, le Moniteur du 14 août 1793.
[181] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 467. Séance du 7 août 1793.
[182] Voyez le récit de Garat dans ses Mémoires, ch. XV, p. 292 et suiv. de l'édition de 1795.
[183] Registre des délibérations et arrêtés du comité de Salut public. Archives 434 a a 71. Séances des 3 et 8 août 1793.
[184] Ce qui ne l'empêcha pas d'être l'objet des assertions les plus calomnieuses de la part du royaliste Henry Larivière, en plein conseil des Cinq-Cents. Voyez le Moniteur du 15 thermidor an V (2 août 1797).
[185] Les lettres de La Harpe à Robespierre sont de celles qui ont été supprimées par les Thermidoriens. Elles lui furent rendues par le représentant Courtois, et La Harpe paya cette complaisance en devenant un des plus lâches détracteurs de celui qu'il avait porté aux nues.
[186] Mémoires historiques sur le XVIIIe siècle, etc., t. II, p. 338, 339 de la 2e édition. 1829. Ancien ministre, directeur de l'École normale, sénateur, comte de l'Empire, membre du Corps législatif pendant les Cent-Jours, Garat n'orna point de sa personne, comme certains Girondins, la chambre des pairs de la Restauration. Rentré dans la vie privée, il mourut en 1833.
[187] Carnot fut adjoint au comité de Salut public, ainsi que Prieur (de la Côte-d'Or), dans la séance du 14 août, et l'un et l'autre siégèrent au comité le jour même. (Voyez le Moniteur du 15 août 1793, et les registres des délibérations et arrêtés du comité de Salut public, Archives, 434 a a 71.) C'est donc à tort que M. Hippolyte Carnot, dans ses Mémoires sur son père (t. Ier, p. 336), prétend qu'à cette époque Carnot était encore en-mission dans le Nord. Que d'erreurs dans ces Mémoires, que ne saurait justifier la tendresse filiale !
[188] Voyez à cet égard le premier volume de notre Histoire, liv. 1er.
[189] C'est ce que M. Michelet trouve indubitable. Et la raison qu'il en donne est vraiment curieuse : C'est, dit-il, que Carnot avait protesté contre le 31 mai (t. VI, p. 239). Et où cela ? Dans les Mémoires publiés sur lui, et encore bien faiblement. Mais à l'époque ? Voilà ce que M. Michelet aurait bien dû nous apprendre. Si Carnot avait protesté contre le 31 mai, il eût été du nombre des signataires de la protestation que non sans peine Robespierre arracha à l'échafaud.
[190] Voilà ce que M. Michelet, sans distinguer, appelle une diatribe épouvantable contre ses collègues. (T. VI, p. 240). Mais M. Michelet se garde bien de dire qu'à diverses reprises Robespierre avait énergiquement défendu le comité de Salut public, alors qu'il n'en faisait pas partie, notamment dans la séance du 24 juillet 1793, où, s'adressant à Brichet. il disait : Il est ridicule de vouloir tenir le comité de Salut public en lisière ; on doit supposer que le comité est composé d'hommes d'esprit et de politiques ; qu'il sait, jusqu'à un certain point, comment il en doit user, et on devrait bien s'en rapporter à lui un peu davantage. (Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 457.)
[191] Voyez le Moniteur des 27 et 28 septembre 1793. Séance du 25. — Ce sont toutes choses dont M. Michelet ne s'est pas rendu compte.
[192] Registres des délibérations et arrêtés du comité de Salut public. Séance du 19 août. Étaient présents : C. A. Prieur, Robespierre, Carnot, Barère, Hérault-Séchelles, Prieur (de la Marne). Archives 434 a a 71.
[193] Séance des Jacobins du 11 août, ubi supra.
[194] Voyez dans le Moniteur du 25 août 1793 le texte de ce décret rendu dans la séance du 23.
[195] Moniteur du 24 août, séance du 22.
[196] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 485.
[197] Registres des délibérations et arrêtés du comité de Salut public. Archives 434 a a 71. — Séance du 1er septembre 1793. Étaient présents : Hérault-Séchelles, Barère, Carnot, C. A. Prieur, Robespierre et Prieur (de la Marne). — On trouve à la suite du rapport de Courtois une correspondance privée d'Achard, de Pilot et de Gravier, et l'on se demande tout d'abord pourquoi elle y figure. Il suffit d'en prendre connaissance pour comprendre la tactique de Courtois et de ses collaborateurs : les lettres de ces patriotes sont empreintes d'une grande exagération révolutionnaire. Pilot et Achard, qui avaient été persécutés par la réaction lyonnaise, applaudissent en effet aux exécutions ordonnées par Collot d'Herbois et par Fouché, à qui nous entendrons Robespierre demander compte du sang versé par le crime. Mais les Thermidoriens savaient bien que les lecteurs superficiels ne feraient point cette distinction.
[198] Registres des délibérations et arrêtés du comité de Salut public. Archives, ubi supra. Séance du 29 août. Étaient présents ; Thuriot, Robespierre, Barère, Jean-Bon Saint-André, C. A. Prieur, Hérault-Séchelles, Carnot, Prieur (de la Marne).
[199] Registre des délibérations, etc. Archives, ubi supra. Séance du 30 août. Etaient présents : Jean-Bon Saint-André, C. A. Prieur, Thuriot, Barère, Robespierre, Prieur (de la Marne).
[200] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 488.
[201] Registres des délibérations et arrêtés du comité de Salut public, séance du 2 septembre. Étaient présents : Hérault-Séchelles, C. A. Prieur, Carnot, Thuriot, Robespierre, Prieur (de la Marne).
[202] Voyez le Moniteur du 5 septembre 1793.
[203] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 490. Séance du 4 septembre.
[204] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 491. Séance du 6.
[205] Séance des Jacobins du 1er septembre. Voyez le Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 488, ubi supra.
[206] Voyez le Moniteur du 3 floréal an VII (22 avril 1799). L'auteur de l'article François de Neufchâteau dans la Biographie universelle, Lamoureux, passe légèrement sur les hymnes et les vers de François. Il signale seulement une prière que le dictateur Robespierre lui avait commandée pour sa fête à l'Être-Suprême. On ne traite pas plus cavalièrement l'histoire que la plupart de ces faiseurs de notices biographiques. Était-ce aussi le dictateur Robespierre qui avait commandé à Chénier et à tant d'autres des odes et des hymnes sur cette solennité ?
[207] Moniteur des 26 août et 1er septembre 1793 ; Journal des débats et des décrets de la Convention, numéros 349 et 350.
[208] Moniteur du 27 août.
[209] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 345, p. 406, et Moniteur du 31 août 1793.
[210] Moniteur du 2 septembre 1793.
[211] Voyez le chapitre intitulé les Furies de la guillotine, dans les Femmes célèbres de 1789 à 1795, par Lairtullier, t. II.
[212] Voyez ce que dit à cet égard Barère aux Jacobins dans la séance du 16 septembre 1793, Moniteur du 21.
[213] Moniteur du 28 août 1793.
[214] Voyez notamment la séance du 31 juillet aux Jacobins, Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 462.
[215] Le Père Duchesne, numéro 265.
[216] Le Père Duchesne, numéro 268.
[217] Le Père Duchesne, numéro 269.
[218] Le Père Duchesne, numéro 278.
[219] Le Père Duchesne, numéro 286.
[220] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 488.
[221] Moniteur du 6 septembre 1793.
[222] Voir, pour plus de détails, les pièces citées dans l'Histoire parlementaire, t. XXIX, p. 26 et suiv.
[223] Séance du 26 août 1793. — Voyez le Moniteur du 28.
[224] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 490.
[225] Voyez le Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 490, ubi supra.
[226] Et non pas le 26, comme le dit M. Michelet, t. VI, p. 270.
[227] C'est ici qu'il convient d'admirer les fantaisies historiques auxquelles se livre M. Michelet. Il suppose, d'après son éternel système, que des amis inquiets gardaient Robespierre. Les dames Duplay, vives, tendres, impérieuses, auront fermé la porte et tenu sous clé Robespierre. Ce qui est sûr, c'est qu'on ne le vit pas le 5. t. VI, p. 271. — D'où il résulte que, pour cette séance si importante du 5, M. Michelet n'a même pas consulté le Journal des débats et des décrets de la Convention, ni le Moniteur — des 6, 7 et 8 septembre, où la présence de Robespierre est si nettement indiquée.
[228] C'est par erreur que MM. Buchez et Roux mettent cette réponse dans la bouche de Thuriot ; ce ne fut que plus tard que celui-ci remplaça pour quelques instants Robespierre au fauteuil. — Voyez l'Histoire parlementaire, t. XXIX, p. 38.
[229] Voyez aux Archives les plans et projets soumis au comité et exécutés en partie.
[230] Voyez, dans le Moniteur des 6, 7 et 8 septembre 1793, la reproduction la plus complète qui existe de cette mémorable séance, dont les émouvantes péripéties semblent avoir été retracées avec un soin particulier.
[231] Esprit du Mémorial de Sainte-Hélène, t. II, p. 475.
[232] Considérations sur la France.
[233] Essai historique, politique et moral sur les révolutions, t. Ier, p. 84, édit. de 1797.
[234] Mémoires sur la Convention et le Directoire, par Thibaudeau, t. Ier, p. 46. Dans ce livre, publié sous la Restauration, l'ancien Conventionnel n'a pas, comme on pense, ménagé Robespierre. On doit reconnaître, toutefois, qu'il a apporté dans ses attaques une certaine pudeur, et que parmi les calomniateurs de Robespierre il a été l'un des plus modérés. Comte et préfet du premier Empire, pair de France pendant les Cent-Jours, il lui a été donné de figurer parmi les sénateurs du second Empire. Il est mort fort âgé en 1854.
[235] Voyez le Moniteur du 8 septembre 1793, séance du 6. Granet avait été également adjoint au comité, mais il n'accepta point. Le comité de Salut public, le grand comité se trouva alors au complet. Ses membres étaient : Barère, Jean-Bon Saint-André, Prieur (de la Marne), Robert Lindet, Saint-Just, Couthon, Hérault-Séchelles, Robespierre, Carnot, C. A. Prieur (de la Côte-d'Or), Billaud-Varenne et Collot-d'Herbois.
[236] Moniteur du 19 septembre 1793, et Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 364, p. 236.
[237] Moniteur du 19 septembre 1793, et Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 364, p. 233.
[238] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 492. Voyez aussi le Moniteur des 11 et 12 septembre 1793. C'est à partir de cette séance que le Moniteur commence à rendre compte d'une manière suivie des séances des Jacobins.
[239] Le faible de Robespierre pour Rossignol s'explique certainement, dit M. Michelet.
Nous ne voyons pas cependant, ajoute-t-il, qu'il ait été le même pour les vrais héros sans-culottes, pour Hoche, pour Jourdan. (T. VI, p. 285.) C'est que M. Michelet n'a pas voulu voir, comme on pourra s'en rendre compte.
[240] Histoire de la Révolution, t. VI, p. 282.
[241] Voyez le récit de Bourbotte dans le Moniteur du 30 août 1793, séance du 28.
[242] Note sur Dubois-Crancé, Delmas, Thuriot, Bourdon (de l'Oise), et Léonard Bourdon, qui figure sous le numéro LI, à la suite du rapport de Courtois, et dont l'original est aux Archives, F 7, 4436.
[243] Moniteur du 30 août 1793.
[244] Moniteur du 1er septembre 1793.
[245] Le compte rendu de cette séance est complètement tronqué dans les journaux du temps. Voyez le Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 495, et le Moniteur des 16 et 17 septembre 1793.
[246] Voyez le Moniteur du 9 septembre 1793, séance du 7.
[247] Voyez à ce sujet le Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 452, séance du 8 septembre aux Jacobins.
[248] Lettres de Soulavie, dans les Papiers inédits trouvés chez Robespierre, etc., t. Ier, p. 125.
[249] Lettres de Soulavie, dans les Papiers inédits, t. Ier, p. 128.
[250] Lettres de Soulavie, dans les Papiers inédits, t. Ier, p. 122. — Courtois n'a pas jugé à propos de donner, à la suite de son rapport, les lettres de Soulavie. — Caractère assez bas, Soulavie n'a pas manqué, après Thermidor, de calomnier, avec quelque modération il est vrai, celui que dans ses lettres il appelait mon cher Robespierre. Voyez ses Mémoires historiques et politiques, le t. VI principalement.
[251] Registre des délibérations et arrêtés du comité de Salut public, séance du 18 septembre. Étaient présents : Jean-Bon Saint-André, Carnot, C. A. Prieur, Saint-Just, Robespierre, Hérault-Séchelles, Billaud-Varenne. Archives, 434, a a 71.
[252] Registre des délibérations et arrêtés du comité de Salut public, séance du 19 septembre. Étaient présents : Barère, Hérault-Séchelles, Jean-Bon Saint-André, Carnot, C. A Prieur, Prieur (de la Marne). Archives, ubi supra.
[253] Robespierre fut malade du 19 au 23 septembre et du 26 septembre au 2 octobre. Ses absences sont constatées par les registres du comité.
[254] Rapport sur la faction Fabre d'Églantine. Il figure sous le numéro LII à la suite du rapport de Courtois. Voyez p. 199.
[255] Voyez une dénonciation de Saintexte contre Courtois à ce sujet dans le numéro 499 du Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, séance du 18 septembre. Voyez aussi — singulier rapprochement — ce que dit Courtois du général Custine, dans son rapport (p. 15, en note).
[256] M. Carnot, dans ses Mémoires sur son père, attribue la démission de Thuriot à des démêlés de celui-ci avec Robespierre (t. 1er, p. 347). Mais il aurait fallu appuyer cette assertion de quelque preuve, et c'est ce que M. Carnot n'a pas fait, suivant d'ailleurs sa constante habitude. Thuriot donna sa démission le 20 septembre, c'est-à-dire pendant la maladie de Robespierre.
[257] Au sujet des relations de d'Aubigny avec Saint-Just, voyez notre Histoire de Saint-Just.
[258] Voyez le Moniteur du 26 septembre, séance du 2.
[259] Voyez, pour cette séance, le Moniteur du 27 septembre 1793, et le Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 372, dont la version, quant aux discours de Robespierre, diffère d'une façon assez sensible de celle du Moniteur. Nous avons suivi en grande partie celle du Moniteur, qui nous a paru plus complète. — Il n'est pas possible de dénaturer une séance de la Convention comme l'a fait M. Michelet pour cette mémorable séance du 25 septembre. Il met en présence Robespierre et l'Assemblée seuls, pour ainsi dire, comme si Billaud-Varenne, Barère, Jean-Bon Saint-André, n'avaient pas, avec une énergie égale, défendu la politique du comité de Salut public contre ses détracteurs. (Voyez t. VI, chap. VIII.)
[260] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 372, p. 357.
[261] M. H. Carnot a beau dire, dans ses Mémoires sur son père, que Carnot fit de vains efforts pour sauver la vie à Houchard (t. Ier, p. 399), nous n'en croyons rien. Il assure, et sans doute il a raison, que ce fut Carnot qui, témoin de la belle conduite de Jourdan à Hondschoote, le désigna au comité comme successeur de Houchard, mais aussi, par une logique inflexible, il dut réclamer la destitution du général coupable de n'avoir pas réparé par le succès la faute d'avoir dédaigné d'exécuter le plan que lui, Carnot, avait tracé.
[262] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéros 503 et 504 ; et Moniteur du 30 septembre 1793.
[263] Registres des délibérations et arrêtés du comité de Salut public. Archives.
[264] Registres des délibérations et arrêtés du comité de Salut public, séance du 27 septembre. Archives, 435 a a 72.
[265] Registres des délibérations et arrêtés du comité de Salut public, séance du 28. Étaient présents : Collot d'Herbois, Prieur (de la Marne), Barère, Billaud-Varenne, C. A. Prieur, Jean-Bon Saint-André.
[266] Dans la séance du 28 septembre, Voulland, au nom des comités de Sûreté générale et de Salut public, présenta à la Convention et fit adopter la liste des citoyens arrêtée par les deux comités pour compléter la formation des quatre sections du tribunal révolutionnaire. Voyez cette liste dans l'Histoire parlementaire, t. XXIX, p. 154. Voulland n'était rien moins qu'un ami de Robespierre ; mais M. Michelet, qui n'y regarde pas de si près, écrit : Au tribunal, il (Robespierre) mit les siens, des hommes à lui, et qui lui appartenaient personnellement. (T. VI, p. 304.)
[267] Le Journal des débats et de la correspondance de la société est muet sur cette apparition de Robespierre aux Jacobins dans la soirée du 28. Voyez le Moniteur du 4 octobre 1793.
[268] Cette lettre ne figure pas à la suite du rapport de Courtois. — D'Aubigny était dantoniste comme ce dernier. — Voyez Papiers inédits, t. Ier, p. 356.
[269] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 377, p. 411, et Moniteur du 2 octobre.
[270] Moniteur du 2 octobre 1793, et Journal des débats et des décrets, numéro 378, page 2.
[271] Le Père Duchesne, numéro 294.
[272] Le Père Duchesne, numéro 303.
[273] Le Père Duchesne, numéro 312.
[274] Rougyff ou le Frank en vedette, avec cette épigraphe : Recedant vetera, nova sint omnia, corda, voces et opéra. — Numéro 8.
[275] Rougyff ou le Frank en vedette, numéro 6.
[276] Rougyff ou le Frank en vedette, numéro 38.
[277] Discours à propos de l'installation du tribunal criminel, séance des Jacobins du 11 février 1792.
[278] Pour cette séance du 3 octobre, voyez le Moniteur du 5 octobre 1793 et le Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 380. — Toujours fantaisiste, M. Michelet appelle l'action de Robespierre une restauration du droit de grâce, mais enfin il lui rend justice : Robespierre seul, dit-il, eut le mérite de la modération, tranchons le mot, de la clémence. (T. VI, p. 308.) Que dire maintenant des écrivains qui trouvent moyen de calomnier les plus pures intentions ? Nous ne nous sommes guère occupé de l'Histoire de la Convention par M. de Barante, parce que cette œuvre calomnieuse n'est qu'une parodie de l'histoire à l'usage de la réaction. Il faut dire pourtant comment dans ces sortes de livres on trouve moyen d'empoisonner ce qu'à regret sans doute on est obligé de révéler. Si Robespierre s'est jeté entre le bourreau et les soixante-treize, c'est que, suivant M. de Barante, comprenant combien il pourrait avoir besoin des votes de la Plaine, il se proposait de ménager ce reste du parti modéré, et surtout de s'assurer de ses votes. (Histoire de la Convention.) M. de Barante n'est d'ailleurs ici que le plagiaire du maniaque Mercier, un des soixante-treize, lequel témoigna sa gratitude à Robespierre en calomniant sa mémoire (voyez le Nouveau Paris), et de Durand-Maillane, qui a écrit, à propos de la séance du 3 octobre : C'est ici le lieu de remarquer que cet homme (Robespierre), satisfait d'avoir abattu ses rivaux, et désireux d'augmenter le nombre de ses partisans, a toujours préservé le côté droit des coups dont le menaçait la Montagne ; et certes, il ne nous fallait pas moins qu'un si puissant protecteur. (Histoire de la Convention, p. 143.) Ce qui n'a pas empêché ce Durand-Maillane de calomnier Robespierre tout le long de son livre, calomnies du reste qui ne souillent que lui, et qui tombent devant sa lettre à Robespierre, que nous avons insérée dans le livre X de cette Histoire.
Nous lisons dans un mémoire manuscrit de M. Suard, dont nous devons la communication à notre ami M. Campenon : C'était après le 31 mai, Danton ne voulait plus qu'on parlât de guillotine, il voulait qu'on pardonnât à ceux qu'on ne pouvait plus craindre ; au milieu de ces propos, appuyés par Lacroix, Thuriot, etc., Robespierre dit : Cependant, est-ce que nous ne guillotinerons pas quelques-uns de nos Girondins ? — Est-ce assez bête et assez contraire à la vérité ? N'est-ce pas Thuriot, le dantoniste Thuriot, qui, dans la séance du 18 juillet 1792 (Moniteur du 19 juillet), avait proposé à la Convention de faire raser à Évreux la maison de Buzot et de décréter que sur son emplacement on élèverait une colonne portant une inscription infamante ? N'est-ce pas Thuriot qui, le 1er octobre suivant, s'écriait qu'il importait que les Girondins subissent un prompt jugement et ne jouissent plus longtemps de l'impunité (Moniteur du 2 octobre) ? Voilà pourtant comme l'opinion alla se formant après Thermidor.
[279] Michelet, Histoire de la Révolution, t. VI, p. 127.
[280] Lettre de Girault, député des Côtes-du-Nord. De la Force, le 26 prairial an II.
[281] Nous avons déjà dans notre précédent volume, donné des fragments de ces lettres et dit comment elles avaient été conservées.
[282] Lettre en date du 9 nivôse an II (de la collection Porlier de l'Oise). Cette lettre a été citée par M. Louis Blanc dans le t. XI de son Histoire de la Révolution.
[283] De la Force, le 25 floréal an II.
[284] De la Force, le 25 brumaire an II.
[285] De la Force, le 4 messidor an II.
[286] Cette lettre, dont nous avons déjà cité des passages dans notre précédent volume, ne porte point de date.
[287] Lettre en date du 1er du 2e mois (22 octobre 1793).
[288] De la Force, le 11 brumaire.
[289] Les trente et un signataires sont : Laplaigne (du Gers), Laurenceot (du Jura), Hecquet (de la Seine-Inférieure), Queinec (du Finistère), Laurence (de la Manche), Ruault (de la Seine-Inférieure), Vincent (de la Seine-Inférieure), Dugué-Dassé (de l'Orne), Blad (du Finistère), Royer (de l'Ain), Delamarre (de l'Oise), Dabray (des Alpes-Maritimes), Bohan (du Finistère), Corbel (du Morbihan), Salmon (de la Sarthe), Guiter (des Pyrénées-Orientales), Varlet (du Pas-de-Calais), Blaux (de la Moselle), Olivier-Gérente (de la Drôme), Lefebvre (de la Seine-Inférieure), Mercier (de Seine-et-Oise), Dubusc (de l'Eure), Marboz (de la Drôme), Periès (de l'Aude), Dusaulx (de Paris), Obelin (d'Ille-et- Vilaine), Richoux (de l'Eure), Peyre (des Basses-Alpes), Garilhe (de l'Ardèche), Fleury (des Côtes-du-Nord), Serres (des Hautes-Alpes).
[290] Charles Nodier, Souvenirs de la Révolution, t. Ier, p. 305, édit. Charpentier.