HISTOIRE DE ROBESPIERRE

TOME DEUXIÈME — LES GIRONDINS

 

LIVRE DIXIÈME. — DÉCEMBRE 1792 - JUIN 1793.

 

 

Louis XVI peut-il être jugé ? — Opinion rigoureuse de Robespierre. — Attitude des Girondins dans le procès du roi. — Qu'une nation ne peut se donner un roi. — Défense de Roland. — De la police des assemblées délibérantes. — Sur la nécessité de l'ordre. — Étrange proposition de Guadet. — Furieuse sortie contre les Girondins. — Les volontaires nationaux. — Appel en faveur des défenseurs de la patrie. — Séance du 14 décembre aux Jacobins. — Opinion de Robespierre sur la proposition de bannir tous les Capet. — Résistance des sections parisiennes. — Comparution de Louis XVI à la barre. — Robespierre recommande le calme. — Plaidoyer de Desèze. — L'appel au peuple. — Second discours de Robespierre sur le jugement du roi. — Réponse envenimée de Vergniaud. — Proposition d'envoyer à toutes les sociétés jacobines les discours de Robespierre. — Effet des menées girondines. — Gensonné et les oies du Capitole, — Portraits différenciés de Robespierre et de Marat. — Adresse du département du Finistère. — Discussion sur la permanence des sections. — Lettre à Vergniaud, Guadet Gensonné et Brissot. — Dubois de Fosseux, maire d'Arras. — Triple appel nominal. — Vote motivé de Robespierre. — Condamnation de Louis XVI. — Réfutation des défenseurs du roi. — Le vote de Philippe Égalité. — Rejet du sursis. — Assassinat de Lepeletier Saint-Fargeau. — Honneurs rendus à sa mémoire ; les Girondins menacés. — Robespierre combat une motion tendant à faire punir de mort quiconque recèlerait l'assassin de Lepeletier. — Oraison funèbre de Michel Lepeletier. — Démission de Roland. Fureur des Girondins. — Des périls de la situation. — Guerre à l'Angleterre. Des moyens de combattre utilement. — Quelques mots sur l'instruction publique et la constitution. — Observations à propos d'une pétition sur les subsistances. — Les députés de Paris à leurs commettants. — Troubles du mois de février. — Adresse des Jacobins aux sociétés affiliées. — La question des émigrés. — Le condamné Lanoue. — Robespierre appuie les propositions de Lacroix. — La section Bonne-Nouvelle. — Événements du 10 mars. — La contrainte par corps abolie. — Demande d'un gouvernement plus actif. — Le tribunal révolutionnaire. — Opinion de Robespierre sur les troubles publics. — Vaine tentative de réconciliation. — La société populaire d'Amiens. — Adresse marseillaise. — Défaite de Dumouriez à Neerwinden. — Mesures révolutionnaires. — Le comité de défense générale. — Demande d'expulsion contre les Bourbons. — Vive sortie contre Dumouriez. — Danton attaqué par les Girondins. — Déchirement suprême entre les Girondins et les Montagnards. — Robespierre soutient Danton. — Trahison de Dumouriez. — Violente sortie contre Brissot. — Création du comité de Salut public. — Démission de Rebecqui. — Séance du 10 avril à la Convention. — Réquisitoire de Robespierre contre la Gironde. — Réponse de Vergniaud. — Les Girondins et la contrainte par corps. — Encore Pétion et Guadet. — Décret d'arrestation contre Marat. — Robespierre prêche le calme aux Jacobins. — L'Ami du peuple mis en état d'accusation. — Conseils de modération. — Débats sur la. Constitution. — Discours sur la propriété. — Déclaration des droits de l'homme. — Triomphe de Marat. — Mort de Lazouski. — La réquisition et les Girondins. — Mesures révolutionnaires — Discours sur la constitution. — Crise imminente. — Journées des 31 mai et 2 juin. — Conclusion de ce livre.

 

I

Aujourd'hui encore, quand, reportant nos regards en arrière, nous jetons les yeux sur le grand procès instruit, du mois de novembre 1792 au mois de janvier 1793, par la Convention nationale, une sorte de trouble involontaire nous saisit, et nous sommes tentés de nous demander si le peuple français n'a pas commis un sacrilège en portant la main sur l'héritier de tant de rois. Cela tient évidemment à ce que nous sommes toujours sous l'empire des préjugés monarchiques, et que nous ne pouvons nous habituer à considérer comme de simples mortels les individus que le hasard ou la fortune a placés sur les marches d'un trône. Si le prisonnier du Temple eût été un homme ordinaire, sa condamnation et son supplice eussent été à peine aperçus. Il a été puni, et c'est bien fait, dirait-on. Mais c'était le roi, le roi de France ! aussitôt la pitié, qui dédaigne tant de victimes innocentes, tant d'obscurs malheureux, s'éveille sur le coupable, et charge de malédictions les juges consciencieux qui l'ont frappé !

Moi-même, si j'interroge mon cœur, je suis saisi d'une compassion puissante en présence de ce personnage tombé de si haut. Et lorsque j'envisage son éducation première qui, dans ces millions de citoyens s'élançant à la conquête de la liberté, lui montrait des sujets en révolte, lorsque surtout je vois une poignée d'intrigants, ayant uniquement souci de leurs intérêts particuliers, lui présenter l'appui des rois étrangers comme une assistance légitime, je sens presque fléchir en moi la rigueur des principes. Mais, pour apprécier sainement ce terrible épisode de notre Révolution, il faut s'élever au-dessus des considérations vulgaires, et se dire que, si la pitié est une bonne chose en général, elle court risque de s'égarer quand elle s'exerce au détriment d'un peuple. Aux yeux de nos pères, Louis XVI vivant, c'était la contrerévolution en armes, c'était à l'intérieur la tranquillité publique incessamment troublée par les partisans du roi déchu, c'était l'émigration ouvrant elle-même aux puissances coalisées le chemin de la France ; c'était Brunswick vouant d'avance à une mort ignominieuse tous les défenseurs de la liberté, et menaçant la ville de Paris d'une destruction totale[1] ; c'était enfin la République éternellement contestée. Il n'y avait donc même pas de procès à faire, pensaient quelques membres de la Convention qui voyaient dans les longueurs inévitables d'une cause à instruire de nouveaux sujets de troubles : le jugement, disaient-ils, avait été prononcé par le peuple dans la journée du 10 août. Si Louis XVI est innocent, s'était écrié Jean-Bon Saint-André, vous êtes tous des rebelles ; s'il est coupable, il doit périr[2]. Et ces paroles avaient été vivement applaudies. Le seul point à résoudre, disait Saint-André à ses collègues, était l'application de la peine : vous n'avez pas à juger Louis XVI en rhéteurs, mais en républicains.

C'était aussi l'opinion de Robespierre. A son avis, l'Assemblée avait été jusqu'ici entraînée loin de la véritable question. Louis n'était point un accusé, c'était un ennemi, contre lequel on avait une mesure de salut public à prendre, un acte de providence nationale à exercer, nullement une sentence à rendre. En conséquence les membres de la Convention n'avaient pas à prononcer en juges, mais en hommes d'État, mandataires de la nation. Telle fut la thèse qu'il soutint avec une force étonnante dans la séance du 3 décembre. Était-ce, disait-il, le moyen d'inspirer à tous les cœurs le mépris de la royauté que de présenter comme un problème le crime du monarque détrôné ? Louis fut roi et la République est fondée ; la question fameuse qui vous occupe est décidée par ces seuls mots. Louis dénonçait le peuple français comme rebelle ; il a appelé, pour le châtier, les armées des tyrans ses confrères, la victoire et le peuple ont décidé que lui seul était rebelle ; Louis ne peut donc être jugé, il est condamné ou la République n'est point absoute. Proposer de faire le procès à Louis XVI, de quelque manière que ce puisse être, c'est rétrograder vers le despotisme royal et constitutionnel ; c'est une idée contre-révolutionnaire, car c'est mettre la Révolution elle-même en litige. En effet, si Louis peut être encore l'objet d'un procès, Louis peut être absous ; il peut être innocent. Que dis-je ? il est présumé l'être jusqu'à ce qu'il soit jugé. Mais si Louis est absous, si Louis peut être présumé innocent, que devient la Révolution ? Si Louis est innocent, tous les défenseurs de la liberté deviennent des calomniateurs. Tous les rebelles étaient les amis de la vérité et les défenseurs de l'innocence opprimée ; tous les manifestes des cours étrangères ne sont que des réclamations légitimes contre une faction dominatrice. La détention même que Louis a subie jusqu'à ce moment est une vexation injuste ; les fédérés, le peuple de Paris, tous les patriotes de l'empire français sont coupables ; et ce grand procès, pendant au tribunal de la nature, entre le crime et la vertu, entre la liberté et la tyrannie, est enfin décidé en faveur du crime et de la tyrannie.

Ce début causa une impression profonde sur l'Assemblée qui applaudit à diverses reprises. On semblait confondre, continuait l'orateur, un peuple en état de révolution, ayant un ennemi à frapper, avec une nation ayant à punir, dans un temps ordinaire, un fonctionnaire public. Ce qui était à ses yeux l'ordre même de la nature paraissait un désordre à beaucoup de personnes, parce qu'elles s'inspiraient des règles du droit civil et positif là où les seuls principes du droit des gens étaient applicables. Que pouvait-on invoquer en faveur du roi ? Le pacte social ? il l'avait anéanti. Et le droit de punir le tyran dérivait de celui même de le détrôner. Le peuple n'était point comme une cour judiciaire : il ne rendait pas de sentence, il ne condamnait pas les rois, il lançait la foudre. C'était, comme on voit, la doctrine de Saint-Just, l'exaltation républicaine poussée à sa dernière limite. Est-il vrai qu'en ce moment Marat, se penchant vers Dubois-Crancé, lui ait dit : Avec ces doctrines-là on fera plus de mal à la République que tous les tyrans ensemble ! C'est du moins ce qu'a prétendu un historien très-consciencieux[3] ; mais nous n'en croyons pas un mot, pour trois raisons : d'abord, parce que de tels scrupules nous paraissent essentiellement contraires au génie et aux habitudes de Marat, en second lieu, parce que Dubois-Crancé, personnage fort équivoque, ne mérite aucune créance, enfin parce que l'on a complètement omis de nous donner la moindre preuve de l'authenticité d'une pareille allégation.

Pour ma part, je n'hésite pas à condamner toute doctrine qui met un intérêt quelconque au-dessus de la justice ; néanmoins, dans la circonstance particulière du procès de Louis XVI, il faut reconnaître que ceux qui condamnèrent le roi en s'appuyant sur les raisons des Jean-Bon Saint-André, des Robespierre et des Saint-Just, se montrèrent plus de bonne foi que ceux qui crurent mettre leur conscience à l'abri derrière de vaines formalités judiciaires ; car, — on essayerait en vain de soutenir le contraire, — les membres de la Convention frappèrent Louis XVI non en juges mais en hommes d'État. A coup sur, une foule d'arguments décisifs de Robespierre se présentèrent à leur esprit quand ils eurent à se prononcer. Les ennemis de la liberté, atterrés depuis la journée du 10 août, ne relevaient-ils pas audacieusement la tête depuis la mise en question de la culpabilité du roi, et les écrivains les plus décriés de l'aristocratie ne reprenaient-ils pas leur plume avec confiance ? Ne témoignait-on pas pour lui un zèle bien tendre, quand on poursuivait avec un acharnement singulier les plus dévoués défenseurs du peuple ? Que serait-ce si le procès venait à traîner jusqu'au printemps ? Louis XVI, du fond de son cachot, combattait encore contre la République ; des hordes féroces s'apprêtaient à déchirer en son nom le sein de la patrie, et l'on invoquait en sa faveur une constitution détruite 1 Mais alors, ajoutait Robespierre, on n'avait pas le droit de le retenir en prison, et il n'y avait plus qu'à aller à ses pieds invoquer sa clémence. Non, ce n'était point là une grande cause, selon lui. Ceux-là seuls la grandissaient qui sans doute voulaient arracher le coupable à la vindicte populaire. La punition de Louis devait, pour être efficace et confondre la criminelle tentative des despotes de l'Europe, porter le cachet d'une vengeance publique. Mais il fallait se hâter, car tout retard entretenait inutilement l'inquiétude dans l'État. On avait proclamé la République, et depuis deux mois on n'avait pas encore fait une seule loi qui justifiât ce nom, et sous d'autres formes, on était encore en proie aux plus viles factions. La République enfin paraissait, à l'orateur, incompatible avec l'existence du roi déchu.

La peine de mort semblait trop cruelle ; elle répugnait d'ailleurs, en principe, à quelques membres, et Robespierre lui-même, on s'en souvient, avait le premier élevé la voix pour en réclamer la suppression. Il y avait donc de sa part une véritable contradiction à demander qu'elle fût appliquée à Louis XVI. Voici, à cet égard, comment il s'expliqua en terminant l'immense discours si rapidement analysé par nous : Avocats du roi, est-ce par pitié ou par cruauté que vous voulez le soustraire à la peine de ses crimes ? Pour moi, j'abhorre la peine de mort prodiguée par vos lois, et je n'ai pour Louis ni amour ni haine ; je ne hais que ses forfaits. J'ai demandé l'abolition de la peine de mort à l'Assemblée que vous nommez encore constituante, et ce n'est pas ma faute si les premiers principes de la raison lui ont paru des hérésies morales et politiques. Mais, si vous ne vous avisâtes jamais de les réclamer en faveur de tant de malheureux dont les délits sont moins les leurs que ceux du gouvernement, par quelle fatalité vous en souvenez-vous seulement pour plaider la cause du plus grand de tous les criminels ? Vous demandez une exception à la peine de mort pour celui-là seul qui peut la légitimer. Oui, la peine de mort en général est un crime, et par cette raison seule que, d'après les principes indestructibles de la nature, elle ne peut être justifiée que dans les cas où elle est nécessaire à la sûreté des individus ou du corps social. Or, jamais la sûreté publique ne la provoque contre les délits ordinaires, parce que la société peut toujours les prévenir par d'autres moyens et mettre le coupable dans l'impuissance de lui nuire. Mais un roi détrôné, au sein d'une Révolution qui n'est rien moins que cimentée par les lois, un roi dont le nom seul attire le fléau de la guerre sur la nation agitée, ni la prison ni l'exil ne peuvent rendre son existence indifférente au bonheur public, et cette cruelle exception aux lois ordinaires que la justice avoue, ne peut être imputée qu'à la nature de ses crimes. Je prononce à regret cette fatale vérité. Mais Louis doit mourir parce qu'il faut que la patrie vive. Chez un peuple paisible, libre et respecté au dedans comme au dehors, on pourrait écouter les conseils qu'on vous donne d'être généreux. Mais un peuple à qui l'on dispute encore sa liberté, après tant de sacrifices et de combats, un peuple chez qui les lois ne sont encore inexorables que pour les malheureux, un peuple chez qui les crimes de la tyrannie sont des sujets de dispute doit désirer qu'on le venge... La conclusion de Robespierre était qu'il fallait statuer séance tenante sur le sort du roi prisonnier, donner un grand exemple au monde dans le lieu même où étaient morts le 10 août les martyrs de la liberté, et consacrer à jamais cet événement par un monument destiné à nourrir dans le cœur des peuples le sentiment de leurs droits et l'horreur des tyrans, et dans l'âme des tyrans la terreur salutaire de la justice du peuple[4].

Hélas ! l'événement mémorable s'est réalisé ; mais point ne s'est accomplie la prophétie de Robespierre quant au reste. L'horreur de la tyrannie n'a pas disparu de la terre, et l'âme des despotes n'a pas été pénétrée de cette terreur salutaire dont il augurait si bien. Toutefois, c'est une erreur profonde de penser que l'échafaud de Louis XVI amena la résurrection du fétichisme monarchique. Quoi qu'on en ait dit, le 21 janvier porta à la royauté un coup dont elle ne se serait pas relevée sans des événements auxquels fut complètement étrangère la vengeance du roi décapité. Et lorsque, pour répondre aux injustes agressions des princes coalisés, la République française leur jetait en défi la tête d'un des leurs, elle affirmait énergiquement son principe ; les factions seules porteront atteinte à ce principe, mais non pas l'étranger.

 

II

Le discours de Robespierre, plein de traits éloquents, suivant l'expression de Condorcet, mais qui brillaient quelquefois à côté de paradoxes[5], n'empêcha pas la Convention de s'ériger en cour de justice. Quand, pour répondre à Pétion, qui avait insisté pour que le roi fut solennellement jugé, il voulut reprendre la parole et lire son projet de décret, de fortes clameurs étouffèrent sa voix, et, séance tenante, l'Assemblée décida, sur la proposition de Lecarpentier, que Louis XVI serait jugé par elle[6].

Ce procès du roi allait devenir un thème où tout devait être prétexte à combats et à récriminations entre les Girondins et les Montagnards. Ceux-ci, isolés et peu nombreux au début de la Convention, commençaient à se compter, à se discipliner, à voir leurs rangs se garnir ; mais l'heure n'était pas venue où à leur tour ils domineraient la Convention, gouvernée jusqu'ici par leurs adversaires. Les Girondins étaient encore environnés d'une grande puissance ; la nomination d'une de leurs créatures, du médecin Chambon, comme maire de Paris, semblait assurer leur influence sur le conseil municipal : aussi saluèrent-ils cette élection de leurs plus vives acclamations. Voilà donc enfin le patriote Chambon maire de Paris, malgré les clameurs et les intrigues des anarchistes, s'écria le Patriote français[7]. Chambon avait eu pour compétiteur un avocat du nom de Lullier, accusateur public près le tribunal du 17 août, qui, à ce que prétendait mensongèrement la feuille de Brissot, avait été proposé aux Jacobins par Robespierre[8]. Mais le renouvellement de la commune, de cette fameuse commune du 10 août, contre laquelle les Girondins s'étaient si violemment déchaînés, fut loin de leur être aussi favorable, et ils n'eurent pas lieu de se féliciter du résultat des élections municipales.

Grand fut leur embarras, j'imagine, dans le procès du roi. L'absoudraient-ils ? le condamneraient-ils ? L'absoudre, n'était-ce point risquer leur popularité dans le pays, où il semblait n'y avoir qu'une voix pour la condamnation ? Nous sommes entourés de morts et de blessés. C'est au nom de Louis Capet que les tyrans égorgent nos frères, et nous apprenons que Louis vit encore ! écrivaient un jour les représentants Hausmann, Reubell et Merlin (de Thionville) en mission[9]. D'un autre côté, appartenait-il aux Girondins, ou du moins aux principaux d'entre eux, de frapper Louis XVI d'un arrêt de mort, eux qui, jusqu'au dernier moment, avaient tout fait pour sauver sa couronne ? Dès le mois de décembre 1791, Robespierre, on s'en souvient, combattant une allégation de Brissot, avait prétendu que le véritable ennemi était aux Tuileries et non à Coblentz ; et un mois avant l'insurrection du 10 août, jugeant l'Assemblée législative incapable de sauver la liberté, il avait réclamé la convocation d'une Convention nationale ; il était donc logique en poursuivant dans le roi la royauté elle-même. Mais Vergniaud. qui, dans la matinée du 10 août, s'exprimant au nom de l'Assemblée législative, promettait au roi le maintien des autorités constituées ; mais Guadet et Gensonné, qui, de concert avec Vergniaud, avaient, par l'entremise du peintre Boze, donné des conseils au monarque, comment pouvaient-ils aujourd'hui se porter ses accusateurs ? Cette dernière circonstance, révélée en pleine Convention, devant laquelle Boze eut à donner des explications[10], influença sans aucun doute le vote de ces députés, et leur condescendance passée envers le roi déchu sembla leur faire une loi de se montrer plus sévères à son égard. Peut-être même cette nécessité d'être inexorables redoubla-t-elle leur acharnement contre la Montagne, dont les soupçons pesaient sur eux.

Comme s'ils eussent senti le besoin d'affirmer bien hautement leur haine de la royauté, ils vinrent, par la bouche de Buzot, proposer la peine de mort contre quiconque tenterait de rétablir la monarchie en France, sous quelque dénomination que ce fût. Est-il vrai que dès lors ils crurent que leurs adversaires voulaient relever l'autorité suprême, asseoir le duc d'York sur le trône, pour y mettre ensuite d'Orléans et le remplacer lui-même par Marat et par Robespierre, que devait plus tard supplanter Danton ? C'est du moins ce qu'affirme l'ancien ministre Garat, à qui cela aurait été confié par Salles. Et comme, étonné, Garat demandait au député girondin si tous pensaient comme lui de son côté : Tous ou presque tous, lui aurait répondu Salles[11]. Si cet aveu de Salles est exact et sincère, il montre bien jusqu'à quelles limites d'aveuglement et de crédulité peut aller la haine. Maintenant on doit lire avec quelque méfiance le mémoire justificatif de Garat, lequel, écrit et publié après le 9 Thermidor, contient évidemment beaucoup de choses inspirées par le seul intérêt de la défense personnelle. Nous aurons d'ailleurs à revenir sur ce sujet.

Quoi qu'il en soit, la proposition de Buzot, faite le lendemain du jour où Robespierre avait prononcé son discours sur le parti à prendre à l'égard de Louis XVI, souleva dans la Convention une formidable tempête. D'une objection plus ou moins opportune, présentée par Merlin et appuyée par Chabot, sur le droit des assemblées primaires, Guadet tira une étrange conséquence : il y vit la clef d'un projet, énigmatique selon quelques-uns, mais formé depuis quelque temps suivant lui, de substituer un despotisme à un autre. Cette interprétation déloyale lui attira de la part de Bazire une virulente apostrophe : Vous venez d'entendre le plus lâche, le plus infâme, le plus atroce des calomniateurs ![12] Il y avait dans les paroles de Guadet comme une réminiscence de ces calomnies de Barbaroux et de Louvet dont la Convention avait fait justice. Robespierre ne crut pas devoir demeurer muet, et il demanda la parole pour une motion d'ordre. Mais l'Assemblée, au milieu du tumulte, passa à l'ordre du jour sur l'incident et adopta purement et simplement la proposition de Buzot[13].

Cependant Robespierre ne voulait pas laisser la Convention sous l'impression des paroles injustes de Guadet. On venait de reprendre la discussion du procès de Louis XVI ; il monta à la tribune après Philippeaux et Pétion ; mais, devinant son projet, les Girondins s'efforcèrent d'étouffer sa voix sous les clameurs. Si, profitant d'une minute de silence, il ouvrait la bouche, les cris recommençaient. Et comme, indigné, il prenait à témoin ses collègues de la manière indécente dont on violait la liberté des délibérations, un membre, par dérision sans doute, dénonça le despotisme. de Robespierre. Lui, impassible : Je réclame contre cette intrigue abominable... Aussitôt les cris : A l'Abbaye ! à l'Abbaye ! retentirent autour de lui, poussés par de véritables forcenés. Et au milieu de cette effroyable oppression d'un homme par une partie de l'Assemblée, le président, — c'était Barère, — ne prenait aucune mesure pour faire respecter la dignité de la Convention outragée dans un de ses membres. De guerre lasse, Robespierre quitta la tribune. Mais alors éclatèrent de bruyantes réclamations. Le président se décida à tenter quelques efforts pour ramener le calme, et il rendit la parole à Robespierre. Revenant alors sur ses pas, Maximilien traversa la salle au milieu des acclamations d'un grand nombre de ses collègues et des spectateurs et il remonta à la tribune pu les applaudissements le suivirent encore.

Il se plaignit d'abord, en termes dont la modération contrastait avec la violence de ses adversaires, de la violation du droit de représentant plusieurs fois répétée en sa personne par des manœuvres multipliées, et il se demanda s'il n'y avait pas un projet de perdre la Convention nationale, en mettant le trouble dans son sein. Ne fallait-il pas, pour juger le ci-devant roi, qu'elle fût dans un état de délibération calme et digne d'elle, et surtout qu'elle fût justement pénétrée des principes de la justice et de l'intérêt public. Arrivant ensuite à la motion insidieuse de Buzot, il détruisit en ces termes tout l'effet des imputations des meneurs girondins : Si on avait écouté des explications nécessaires, qui auraient en même temps contribué à diminuer les préventions et les méfiances, on aurait peut-être adopté une mesure grande, qui aurait honoré la Convention : c'était de réparer l'outrage fait à la souveraineté nationale par une proposition qui supposait qu'une nation avait le droit de s'asservir à la royauté. Non, c'est un crime pour une nation de se donner un roi. Ce qu'il m'a été impossible de proposer dans le tumulte, je le propose dans le calme de l'Assemblée nationale, réfléchie et pensant aux intérêts de la patrie. Je demande que d'abord il soit décrété en principe que nulle nation ne peut se donner un roi. Puis, reprenant sa thèse de la veille et combattant la permanence de la Convention, réclamée par Philippeaux pour le jugement du roi, comme de nature à entrainer des longueurs funestes, il demanda que Louis XVI fût jugé tout de suite, sans désemparer, et condamné sur-le-champ en vertu du droit d'insurrection. Mais déjà l'Assemblée s'était prononcée à cet égard, et adoptant une idée émise par Pétion, elle décida que tous les jours, depuis midi jusqu'à six heures, elle s'occuperait du procès de Louis XVI[14].

 

III

Trois jours plus tard, le 7 décembre, Robespierre remontait à la tribune pour défendre... Roland, accusé par un intrigant du nom de Viard, d'intelligences avec les émigrés réunis en Angleterre. On connaît cette scène maladroitement préparée par Chabot, où madame Roland comparut en véritable héroïne devant la Convention, à la barre de laquelle avait été mandé ce Viard dont les réponses équivoques provoquèrent ces paroles accablantes de Robespierre : Tout ce qui me paraît résulter de ces réponses et de l'affaire tout entière, c'est que l'un des coupables est l'homme qui vient de répondre. Achille Viard sourit et salua Robespierre. La Convention, après avoir entendu les explications de madame Roland, décréta l'arrestation de l'imprudent dénonciateur[15], à la confusion de Chabot et à l'indignation de Marat, qui tonna dans son journal contre la fourberie, l'hypocrisie, l'astuce et la profonde scélératesse de la clique Roland[16].

Mais que de violence aussi et de mauvaise foi dans les paroles et dans les écrits des Girondins ! Chaque fois que, depuis l'ouverture de la Convention, Robespierre était monté à la tribune, il avait eu, pour prendre la parole, une vraie bataille à livrer. Jamais pareille animosité ne s'était vue contre un orateur : les Maury, les Cazalès et autres interrupteurs du côté droit de l'Assemblée constituante étaient largement dépassés. Tant d'intolérance de la part de ses adversaires lui inspira un remarquable article sur la police des assemblées délibérantes, dont le premier objet devait être, selon lui, d'assurer la liberté des suffrages, liberté sans laquelle il n'y avait ni gouvernement ni lois. C'était, d'un bout à l'autre, une allusion au triste tableau que présentaient les séances orageuses de la Convention, où le désordre semblait croître en proportion des dangers de la patrie, quand les délibérations auraient eu besoin du calme le plus imposant, de l'attention la plus soutenue. Je ne puis m'accoutumer, disait-il, à voir le sanctuaire de la législation changé en une halle de marchands, et le président du sénat devenu le rival du faiseur de tours d'adresse le plus subtil. Tel était, en effet, le spectacle affligeant offert par la cabale girondine : dès qu'un député n'appartenant pas à la faction ouvrait la bouche, on criait à tue-tête, on l'interrompait à chaque mot, et trop souvent le malheureux orateur se voyait contraint d'abandonner la tribune sans avoir pu exprimer son opinion. Combien plus calme et plus majestueuse, plus soucieuse de sa dignité, plus pénétrée de la grandeur de sa mission, s'était montrée l'Assemblée constituante ! Robespierre pouvait en parler savamment, lui qui y avait livré de si glorieux combats. Et même, au temps de sa décadence, la grande Assemblée nationale avait eu pour la liberté des opinions un respect que ne connaissait pas encore la Convention dominée par la Gironde[17].

Cet ordre et ce calme, dont Robespierre regrettait tant l'absence au sein de la Convention nationale, il les recommandait également au peuple de Paris dans un long discours qu'il prononça aux Jacobins, à la séance du 7 décembre. Rappelant les perfides manœuvres employées pour persuader aux départements que la ville de Paris était au pouvoir d'un petit nombre de factieux, il engageait la population à ne se porter à aucun mouvement de nature à nuire à la chose publique. Les intrigants, qui disposaient d'une force armée excitée contre la capitale, cherchaient à fomenter des troubles en retardant inutilement depuis trois mois l'issue du procès de Louis XVI, en accusant les meilleurs patriotes de vouloir ressusciter la tyrannie ; mais il fallait déjouer leurs desseins funestes et ne pas leur offrir la satisfaction de voir la capitale en proie à ces désordres qu'ils dénonçaient chaque jour. Et en effet, à entendre les Girondins parler sans cesse des agitations imaginaires de Paris, on pouvait certainement croire qu'ils n'auraient pas été fâchés de quelque soulèvement qui eût donné à leurs déclamations continuelles un semblant de raison. On devait donc en ce moment s'opposer à toute insurrection, se contenter d'éclairer l'opinion publique par tous les moyens possibles et désabuser les fédérés, les départements par de bons écrits, par des circulaires capables de dissiper le mensonge et l'erreur. Que si le pouvoir exécutif continuait son affreux système, il fallait encore attendre le jour où la conspiration contre la liberté éclaterait tout à fait, et alors, disait Robespierre, nous combattrons comme des hommes qui ont toujours voué leur vie à la cause de la liberté. Puis, en terminant, faisant appel à ceux de ses collègues de la Convention présents dans la société, il les engagea à ne plus souffrir qu'un représentant du peuple fût scandaleusement privé du droit d'exprimer librement son opinion à la tribune nationale. Et, au milieu des applaudissements les plus vifs : Jurons tous de plutôt mourir à la tribune que d'en descendre lorsqu'on nous refusera la parole. Tous ses collègues s'associèrent à ce serment, qu'accueillirent d'unanimes acclamations[18].

 

IV

Tel était l'aveuglement des Girondins et telle leur fureur qu'ils semblaient aller au-devant de tous les moyens propres à exaspérer leurs adversaires. A propos d'une adresse, peut-être concertée, et dont l'un d'eux, Ducos, donna lecture au nom de l'assemblée électorale du département des Bouches-du-Rhône, adresse où l'on rappelait à la Convention que le peuple avait conservé le droit de révoquer ses représentants, ils imaginèrent, par la bouche de Guadet, de proposer à la Convention d'autoriser par décret les assemblées primaires à se réunir pour prononcer sur le rappel des membres de la Convention qui auraient perdu la confiance du peuple. Or, il était facile de prévoir quels étaient les membres qu'à l'aide de tous les papiers publics dont le ministre de l'intérieur disposait, la Gironde dénoncerait aux soupçons du pays. Cependant, sur le premier moment et sans réfléchir, l'Assemblée adopta cette étrange proposition. Mais le piège était par trop grossier : les plus vives réclamations se firent jour aussitôt. Manuel, à moitié girondin pourtant, dénonça le stratagème : un parti puissant, dit-il, voulait purger la Convention de quelques hommes qui lui répugnaient. Autrement amer se montra Prieur (de la Marne). La motion de Guadet ne tendait, suivant lui, qu'à avilir l'Assemblée, et le décret, trop légèrement adopté, lui paraissait un appel anticipé à l'aristocratie du jugement qu'on prononcerait contre le dernier tyran de la France. Ainsi percée à jour, la motion de Guadet eut contre elle une imposante majorité, et la Convention rapporta son décret avec autant d'empressement qu'elle l'avait voté, en renvoyant toutefois la proposition girondine au comité de constitution[19].

Robespierre était resté muet durant cette séance ; mais, trois jours après, aux Jacobins, il éclata et prononça contre cette incorrigible faction de la Gironde un discours d'une extrême virulence. Le pouvoir exécutif, prétendait-il, était entre les mains de charlatans et de fripons politiques, car il appartenait à cette faction qui jadis disait à la cour : Nous armerons le peuple contre vous si vous ne voulez recevoir un ministère de notre main, — allusion très-juste à la journée du 21 juin, — et qui aujourd'hui, en possession du gouvernement, désignait les patriotes aux poignards des fanatiques. Quant à moi, s'écria-t-il, s'il faut s'en rapporter à un journal assez suspect[20], j'espère si peu de la liberté publique que je demande à être assassiné par Roland. On n'aurait, sous le nom de république, poursuivait-il, que le despotisme d'un seul, gouverné par une trentaine d'intrigants, tant qu'un ministre, à qui il n'était pas permis de demander compte des sommes immenses déposées entre ses mains, serait maître absolu de la liberté de la pensée et aurait le pouvoir de calomnier impunément tous les amis du peuple. Le but de cette faction, disait avec raison Maximilien en terminant, est d'accabler tout homme qui ne lui est point dévoué et de plonger le poignard dans le sein de tous ceux qui auraient le courage de lui résister[21].

Chasles et Bentabole appuyèrent vivement Robespierre. Le premier dénonça le bureau de la formation de l'esprit public, imaginé par le ministre de l'intérieur et d'où partaient chaque jour les calomnies dont la République était inondée. Selon le second, la conduite de Roland équivalait à un véritable crime de lèse-nation, et il était temps d'apprendre à ce ministre que l'opinion ne lui appartenait pas. Robespierre reprit la parole au moment où l'on allait se séparer : il venait proposer à la société d'avancer chaque jour l'heure de sa réunion, afin d'entendre la lecture des deux principaux journaux de la faction girondine, le Patriote français et la Chronique de Paris, où les débats de la Convention étaient reproduits avec la plus insigne mauvaise foi ; car, à son avis, il fallait lire les bons et les mauvais journaux pour montrer au public jusqu'où pouvait aller la perversité de certains journalistes et lui apprendre à distinguer les écrits empoisonnés[22]. Nous avons déjà donné bien des preuves de la déloyauté de ces deux feuilles girondines : nous en fournirons bientôt de nouveaux exemples qui dépassent toute croyance.

De plus en plus les esprits s'aigrissaient ; le moindre incident servait de prétexte aux récriminations les plus passionnées. Guadet ayant, dans la séance du 13 décembre, proposé, au nom des comités militaire, diplomatique et des finances réunis, un décret destiné à prévenir la désorganisation des bataillons de volontaires nationaux et contenant, 3ntre autres dispositions, un article en vertu duquel devaient être poursuivis comme voleurs les volontaires qui, en rentrant dans leurs foyers, auraient emporté leurs capotes ou leurs fusils, Robespierre s'éleva énergiquement contre l'excessive rigueur de cette disposition. 5i la République ne croyait pas pouvoir laisser aux généreux défenseurs dont le sang avait coulé pour elle une capote et leurs armes, n'était-il pas aussi cruel qu'impolitique de transformer en scélérats ceux qui se seraient crus autorisés à les conserver comme leur propriété ? Cette observation si juste amena la suppression de l'article honteux, suivant l'Ami du peuple, qui flétrissait si gratuitement les soldats de la République[23].

Le lendemain, aux Jacobins, un soldat blessé étant venu demander les secours à la société, Robespierre se plaignit de la négligence du gouvernement à l'égard des défenseurs du pays. Signaler cette négligence, c'était bien en effet ; mais, à son tour, il fut injuste, suivant nous, en l'attribuant à un projet préconçu de mécontenter l'armée et l'enchaîner le peuple. Hélas !... que n'avait-on pas fait pour l'amener, lui aussi, à se laisser égarer par les préventions personnelles. Il fut mieux inspiré en invitant ceux de ses collègues dévoués comme lui aux vrais principes, à se réunir à lui, afin de faire obtenir aux défenseurs de la patrie des récompenses proportionnées à leurs services. Ces derrières paroles furent accueillies par des applaudissements réitérés : elles étaient justes et bonnes, et elles retentirent profondément dans le cœur de tous les vrais patriotes[24].

Immédiatement après, Réal, au nom de l'assemblée électorale, donna lecture de deux pétitions adressées à la Convention, pétitions dont le double objet était de demander un traitement, sous forme d'indemnité, pour les électeurs, et la cassation d'un arrêté du pouvoir exécutif provisoire qui avait annulé la nomination de Lullier à la place de procureur syndic du département. Robespierre engagea Réal à supprimer quelques expressions un peu trop républicaines, et à ne point fonder la réclamation du corps électoral sur des raisons de localité, mais bien sur le droit naturel qu'avait tout citoyen d'être indemnisé du temps consacré au service de la patrie. Réal approuva ces observations et promit de les mettre à profit. Dans cette même séance, et comme pour légitimer ce qu'avaient eu d'acerbe les premières paroles de Maximilien, un membre arrivant de Lyon se plaignit vivement de ce que le discours de Robespierre dans le procès du roi avait été envoyé tronqué et dénaturé aux sociétés populaires, sous le cachet du ministre de l'intérieur. Le président de la Société lyonnaise avait voulu le lui remettre ; mais, jugeant que l'effet serait plus grand si cet exemplaire était adressé de la part de la Société de Lyon, ce membre de la société-mère avait invité le président à le garder précieusement avec l'enveloppe portant le cachet de Roland. Puis il donna lecture de la lettre de réclamation adressée par les citoyens de Lyon à la Convention nationale, lettre dont le club arrêta immédiatement l'impression et l'envoi au ministre de l'intérieur[25]. Ainsi, en toutes choses éclatait la mauvaise foi girondine.

 

V

Brissot et ses amis ayant vu tomber sous le mépris public cette formidable accusation de dictature à l'aide de laquelle ils avaient espéré foudroyer Robespierre, changèrent de batteries, et imaginèrent de lui prêter le projet de mettre le duc d'Orléans, Philippe Égalité, sur le trône[26]. Louvet se chargea d'accréditer ce bruit par ses libelles, et comme il n'est pas de sottises que n'admette avec empressement la crédulité humaine, on pensait bien ensevelir enfin sous cette nouvelle et non moins ridicule accusation une popularité qui avait résisté à tant de coups.

Ensuite, pour se donner à bon marché les airs d'un rigorisme républicain, les Girondins proposèrent, le 16 décembre, la proscription éternelle de tous les membres de la famille royale. Buzot, Louvet et Lanjuinais, dans un langage emphatique, déclamèrent contre d'Orléans nommé député à la Convention par les électeurs de Paris, et Lanjuinais ne manqua pas d'insinuer que ceux qui avaient soutenu la candidature de d'Orléans voulaient le rétablissement de la royauté, afin que les grâces de la liste civile se répandissent à profusion sur eux, tout cela assaisonné de force lieux communs sur la tyrannie et de protestations de haine contre la royauté[27]. Or c'était un fait notoire qu'au sein de l'assemblée électorale la candidature de d'Orléans n'avait pas eu de plus grand antagoniste que Robespierre ; personne ne démentit Chabot quand, répondant à Lanjuinais, il rappela cette circonstance[28]. Et, chose assez singulière, tandis que des hommes siégeant sur les bancs de la Montagne combattaient comme souverainement injuste cette mesure d'ostracisme réclamée contre un prince qui avait donné à la Révolution quelques gages de dévouement, on voyait certains personnages admis dans l'intimité du duc d'Orléans se ranger au nombre de ses proscripteurs. Barère n'était-il pas le tuteur de cette jeune Paméla, élevée par madame de Genlis avec les enfants de Philippe Égalité ? Pétion n'était-il pas des intimes de la maison ? n'avait-il pas, après la clôture de l'Assemblée législative, accompagné, dans un voyage en Angleterre, une partie de la famille ? Enfin, par quel hasard Sillery, le mari de la gouvernante des enfants d'Orléans, le confident intime et dévoué de cette maison, restait-il étroitement uni avec le parti qui voulait chasser celui dont il était depuis longtemps l'ami ? Ce fut ce que Robespierre ne manqua pas de signaler très-vivement le soir même aux Jacobins et dans un article de son journal où il s'expliqua assez longuement sur cette proposition de bannir tous les Capet.

Il n'était pas présent à la séance de la Convention, où il lui avait été impossible de se rendre ; mais il tint à déclarer qu'il aurait voté, comme Saint-Just, pour la motion de Buzot, se séparant en cela d'une partie de ses collègues dont il était loin d'ailleurs de soupçonner les intentions. Seulement, cette motion lui paraissait conforme aux principes, auxquels il croyait devoir immoler la maison d'Orléans sans révoquer aucunement en doute le patriotisme de son chef. Il avouait avoir eu lui-même le projet de demander le bannissement d'Égalité et de tous les Bourbon, et cette proposition n'avait rien d'inhumain à ses yeux ; car la famille exilée pourrait se réfugier à Londres ou la nation pourvoirait d'une manière honorable à sa subsistance, ses membres n'ayant point démérité de la patrie. Ce n'était pas d'ailleurs un bannissement éternel auquel il les condamnait : Leur exclusion n'est point une peine, disait-il, mais une mesure de sûreté ; et si les membres de cette famille aiment non pas les Brissotins, mais les véritables principes, elle s'honorera de cet exil, car il est toujours honorable de servir la cause de la liberté ; car cet exil ne durerait sûrement que pendant les dangers de la patrie, et elle serait rappelée lorsque la liberté serait affermie. On voit combien modéré se montrait Robespierre, en comparaison des promoteurs de la motion d'ostracisme dirigée contre la famille d'Orléans.

Là-dessous, du reste, il soupçonnait bien un piège. Ce n'était pas d'aujourd'hui que les hommes de la Gironde avaient tenté de faire admettre en principe que du moment où le nom d'un homme était de nature à alarmer ses concitoyens, on pouvait bannir cet homme par un décret d'ostracisme. Déjà huit mois auparavant, Guadet n'avait-il pas invoqué contre Maximilien cette vieille loi athénienne, remise depuis sur le tapis par Louvet et ses acolytes ? Mais si l'ostracisme se comprenait jusqu'à un certain point dans un gouvernement établi, comme une mesure consacrée par le pacte social pour défendre la liberté et les lois contre l'ambition d'un citoyen puissant, comment concevoir, écrivait Robespierre, qu'avant d'avoir élevé l'édifice de la constitution, les ouvriers chargés de le bâtir ensemble, s'occupent à se battre et à se chasser les uns les autres, et que les plus nombreux veuillent exterminer la minorité pour le construire suivant leurs convenances ou leurs fantaisies particulières ? L'application de cette loi était d'ailleurs à Athènes d'une excessive rareté. Robespierre rappelait que pour la prononcer il fallait une telle quantité de suffrages qu'elle pouvait difficilement frapper un citoyen dont l'absence ne fût pas absolument nécessaire à l'intérêt public. Souvent même elle devenait un titre de gloire, comme lorsqu'Aristide en fut atteint. Mais les modernes partisans de cette institution se montraient beaucoup moins difficiles. Disposés à n'admettre d'autres règles que leur caprice et leur intérêt particulier, ils veulent, continuait Robespierre, bannir tous les jours qui leur plaira, afin de prouver d'une manière sans réplique leur violent amour pour la liberté. Pour lui, disait-il aux Jacobins, si le système préconisé par ses adversaires pouvait un jour s'appliquer aux défenseurs de la Révolution, il s'y soumettrait avec joie, et vivrait heureux dans cet honorable exil, à la condition d'y trouver un asile obscur contre les persécutions de ses ennemis.

Ah ! que les Girondins ne se rendirent-ils alors aux sages observations de Robespierre ! Examinant dans quelle mesure les représentants relevaient les uns des autres, Maximilien regardait comme absurde l'idée de supposer qu'une Assemblée nationale pût arbitrairement retrancher de son sein quelques-uns de ses membres, chaque député appartenant au peuple et non à ses collègues : Le peuple seul avait le droit de révoquer ses mandataires ; autrement ses représentants pourraient altérer d'eux-mêmes la représentation nationale, et la souveraineté et la liberté publique ne seraient bientôt plus. Oui, si les Girondins avaient écouté ces conseils si sensés, ils n'auraient pas provoqué chaque jour la Convention à se décimer elle-même ; ils se seraient bien gardés d'entamer la représentation nationale, et n'auraient pas à répondre devant la postérité d'avoir pris l'initiative de proscriptions dont ils devaient finir par être victimes eux-mêmes. Toutes ces réflexions n'empêchaient pas Robespierre de se rallier à la proposition de Buzot. Cependant, en principe, il était d'avis qu'une nation puissante, bien pénétrée d'horreur pour la tyrannie, n'était point réduite à redouter des individus, quels que fussent leurs noms et leur famille ; c'est pourquoi, afin de concilier l'intérêt de la liberté avec celui de la justice, il assignait pour terme de l'exil des membres de la famille d'Orléans l'époque, assez prochaine selon lui, où la constitution serait affermie. En effet, ou le peuple était mûr pour la République, et une proscription plus longue était inutile, ou bien il ne l'était pas, et elle était impuissante. Le meilleur remède à opposer aux périls de la liberté n'était donc point là. Il fallait, disait-il à ses adversaires, s'occuper avant tout et uniquement du soin d'élever l'édifice du bonheur public sur les bases de la justice et de l'égalité, et non présenter à tout moment au pays les deux seuls fléaux qui pussent détruire la République : la guerre civile et l'anarchie. Pour moi, je voterai volontiers avec vous pour l'exil des Capet ; mais garantissez-moi que ce sera là le dernier acte de proscription ; garantissez-moi que le lendemain vous nous permettrez de présenter de bonnes lois[29]. On voit une fois de plus combien modéré il était encore auprès de ses adversaires. Mais l'Ami du peuple n'était point de son avis ; il s'opposait absolument à la proscription d'Egalité, parce que, suivant lui, la faction girondine ne voulait frapper la représentation nationale dans d'Orléans que pour atteindre les amis du peuple ; vous-même, Robespierre, ajoutait-il, vous seriez à la tête. On le sait de reste, si Maximilien ne fut point proscrit dès cette époque, ce ne fut pas la faute des Girondins.

La Convention avait voté d'enthousiasme Je bannissement de toute la famille des Bourbon et ajourné sa décision à deux jours en ce qui concernait particulièrement Philippe Égalité. Mais ce jour-là, c'était le 19 décembre, se présenta une députation des quarante-huit sections, ayant à sa tête le maire de Paris, Nicolas Chambon. Elle était chargée de remettre à l'Assemblée une adresse de protestation tendant au rapport du décret de proscription. La présence des commissaires autour de la Convention avait excité dans les couloirs et au dehors un assez grand tumulte. Robespierre demanda la parole, et l'ayant obtenue, non sans peine, il essaya de démontrer combien étaient dangereuses en ce moment les motions de la nature de celle de Buzot et de Louvet. Il y voyait un complot contre la tranquillité publique, comme dans la proposition récemment émise par Guadet de faire réviser par les assemblées primaires la nomination des députés élus à la Convention nationale. Ceux-là mêmes qui accusaient Paris d'être un foyer de troubles semblaient prendre à tâche de fomenter le désordre ; tandis que les députés sur lesquels on déversait la calomnie à pleines mains ne cessaient de prêcher le calme. De violents murmures et des applaudissements non moins vifs accueillirent ces paroles.

Les auteurs mêmes de la motion objet des réclamations populaires étaient, à ses yeux, les véritables instigateurs du désordre. On n'avait, dit-il, provoqué la pétition des sections parisiennes que pour faire croire aux départements qu'on voulait influencer les délibérations de la Convention nationale, que Paris n'était pas digne de la posséder, et qu'il fallait la transférer ailleurs. Était-ce là un pur effet de l'imagination de Robespierre, ou bien y avait-il dans la circonstance quelque chose qui pût prêter matière à ses soupçons ? Il dut fort s'étonner à coup sûr de voir Chambon, créature des Girondins, à la tête d'une députation venant protester contre une motion girondine. Bazire étant allé trouver les pétitionnaires pour leur faire comprendre combien leur démarche était intempestive, on lui avait répondu : Cette démarche nous a été suggérée par des hommes qui nous sont suspects ; c'est Chambon surtout qui tient à ce que nous soyons admis, et vous savez avec qui Chambon a des relations[30]. On voit d'où étaient nés les soupçons de Robespierre, et ils s'accrurent certainement quand il entendit Tallien déclarer qu'il avait engagé en vain le maire de Paris à ne point présenter cette pétition. J'atteste ma patrie, s'écria Maximilien en terminant, que j'ai dit une vérité utile au repos public. Je rends le cœur des hommes impartiaux dépositaire de mes intentions... Je demande qu'on fasse taire toutes les passions, et qu'on examine cette question avec toute la maturité qu'elle exige[31]. Interrompu de nouveau par de bruyants murmures, il ne put achever ses explications, et, de guerre lasse, il quitta la tribune.

De tout ceci, il résultait en somme que l'idée des proscriptions inutiles était encore antipathique à la population parisienne, et que Robespierre avait été son organe fidèle en disant à ses adversaires : Je voterai volontiers avec vous pour l'exil des Capet, mais garantissez-moi que ce sera là le dernier acte de proscription. Introduit sur la demande de Pétion, le maire de Paris se défendit d'avoir en aucune façon provoqué la pétition ; seulement il n'avait pas cru devoir se refuser à se mettre à la tête de la députation[32]. L'Assemblée se déclara satisfaite ; toutefois elle se rendit en partie au vœu des sections en rapportant son décret du dimanche 16 décembre, et en décidant qu'elle ne statuerait sur le sort de la famille des Bourbon qu'après le jugement de Louis XVI.

 

VI

Cependant le procès du roi s'instruisait. L'ex-monarque avait comparu le 11 décembre à la barre de la Convention, où il s'était montré assez peu digne de lui-même en déniant sa signature apposée au bas des pièces qu'on lui présentait et en prétendant qu'il n'avait aucune connaissance de l'armoire de fer. Ces mensonges inutiles, inexplicables, ne contribuèrent pas peu à jeter sur sa personne une défaveur marquée. Le surlendemain, dans la séance du soir, une députation du conseil général de la commune vint soumettre à la Convention un arrêté concernant les mesures prises pour assurer le dépôt de la famille royale dont la garde lui avait été confiée. Quelques dispositions trop minutieuses à l'égard des conseils de Louis excitèrent de vives réclamations ; on demanda l'annulation de cet arrêté. Robespierre défendit la commune en se fondant sur ce qu'ayant la garde de l'accusé, elle était seule juge de l'opportunité des mesures à prendre, et il conclut à l'ordre du jour pur et simple sur l'arrêté du conseil général. L'Assemblée, en effet, passa à l'ordre du jour, mais en le motivant sur un décret de la veille qui ordonnait que les conseils de l'accusé communiqueraient librement avec lui[33].

Qu'il y eût un parti décidé à tenter de grands efforts pour sauver le roi, cela n'est pas douteux, et les éternelles déclamations des Girondins contre Paris donnaient à croire qu'eux-mêmes n'étaient pas étrangers à ce parti. Comme on l'a vu, on les accusait de vouloir exciter des mouvements tumultueux dans la capitale pour les attribuer aux patriotes, afin de fournir à l'Assemblée un prétexte d'aller s'établir ailleurs. Tel était, aux yeux de Robespierre, le but des amis de Brissot ; aussi ne cessait-il de recommander au peuple de rester calme et de conserver sa dignité. Louis XVI devait comparaître pour la seconde fois devant la Convention le mercredi 26 décembre. Si ce jour-là le roi n'est pas encore condamné, disait Robespierre aux Jacobins dans la séance du 23, il faudra regarder comme suspect quiconque parlera de lui donner la mort, et ne point s'opposer au délai qu'on pourrait demander. Suivant Albite et Jean-Bon Saint-André, Louis XVI devait être entendu et jugé dans la même séance ; mais, d'après Robespierre, la force des patriotes était dans leur patience. Si l'on demeurait tranquille, il ne donnait pas deux mois aux intrigants de la Gironde pour être forcés de s'enfuir et d'aller chercher un refuge en Angleterre. Voilà le terme de leurs complots ; disait-il, mais soyons calmes et ne faisons aucun mouvement qui causerait la joie de nos ennemis[34]. Deux mois ! Plût à Dieu que la prédiction de Robespierre se fût de point en point accomplie. La Convention eût été délivrée plus tôt d'une faction qui jetait à chaque instant dans son sein le trouble et le désordre, et nous n'aurions peut-être pas à regretter la mort violente de quelques hommes d'un grand talent et d'un grand cœur.

Le mercredi 26 décembre, Louis reparut à la barre de l'Assemblée. Ce jour-là Desèze, avocat de Bordeaux, protégé par la Gironde, prononça la défense du monarque déchu. Robespierre la trouva simple et faible. Elle ne répondit pas, à son avis, à ce que les partisans de la royauté étaient en droit d'en attendre, ni à ce que les amis de la liberté pouvaient craindre des efforts de l'éloquence unis à des préjugés très-vivaces encore. Dans une pareille cause, il eût été nécessaire le déployer ces mouvements pathétiques, de pousser ces cris du cœur auxquels on est rarement insensible : l'avocat de Louis n'en avait rien fait, et il lui avait paru au-dessous de sa tâche[35]. Nos lecteurs connaissent le plaidoyer de Desèze, il leur est donc facile d'apprécier 3ar eux-mêmes la justesse des observations de Robespierre ; ce qu'il y a de certain, c'est que la Convention ne fut nullement touchée.

On sait de quel indescriptible tumulte l'Assemblée devint le théâtre quand vers cinq heures Louis XVI se fut retiré avec ses défenseurs. L'accusé, après avoir prononcé quelques paroles, ayant déclaré qu'il n'avait rien à ajouter à sa défense, le débat était clos, disait un député de Paris, le vieux Raffron du Trouillet, et l'on devait passer tout de suite au jugement[36]. Mais ce n'était point là le compte d'une partie des membres de la Convention ; toutefois, après une séance des plus orageuses, l'Assemblée décida, sur la proposition de Couthon, que la discussion était ouverte sur le jugement de Louis Capet, et qu'elle serait continuée, toutes affaires cessantes, jusqu'à la prononciation du jugement.

Un incident inattendu surgit tout à coup au milieu de ce procès, et compliqua les embarras. Un ancien constituant, enrôlé dans les rangs de la Gironde, le député Salles, vint inopinément, dans la séance du 27, proposer à ses collègues d'ériger en quelque sorte toutes les assemblées primaires en tribunaux et de leur abandonner la ratification du jugement prononcé par la Convention. Les Girondins, a-t-on dit, avaient imaginé ce système de l'appel au peuple dans le but de sauver le roi. Ne voulant pas compromettre leur popularité, — hélas ! déjà bien compromise ! — en essayant ouvertement d'arracher eux-mêmes le roi à une condamnation capitale, ils comptaient sur leur nombre et sur leur influence dans les départements pour obtenir des assemblées primaires une décision favorable. C'est du moins ce qu'un des leurs a soutenu[37], mais cela ne me parait nullement conforme à la vérité. Comment ! ils voulaient sauver Louis XVI, et ce dessein ils l'auraient hypocritement dissimulé sous une question de forme ; et les plus fougueux défenseurs de ce système de l'appel au peuple, comme Buzot et Vergniaud, auraient ensuite voté la mort ! Non, c'eût été une lâcheté dont je ne crois pas de tels hommes capables. Passe encore pour Salles ; lui du moins ne se prononça point pour la mort. D'ailleurs, comme ne manqua pas de le rappeler Robespierre, Salles était précisément le membre qui, du temps de l'Assemblée constituante, alors qu'après la fuite de Varennes on proposait déjà de mettre le roi en jugement, avait défendu la doctrine de l'inviolabilité absolue, et qui, deux jours après les massacres du Champ-de-Mars, en juillet 1791, avait soutenu un projet de décret portant établissement d'une commission chargée de juger souverainement dans le plus bref délai les patriotes désignés aux vengeances de la cour[38]. Un tel homme était naturellement bien disposé à prêter son concours à toute mesure contre-révolutionnaire.

Ce qui nous semble, à nous, bien évident, bien constaté, c'est qu'en provoquant l'appel au peuple, les Girondins reprirent tout simplement, en sous-œuvre et sous une autre forme, l'étrange proposition, récemment faite par Guadet, de convoquer les assemblées primaires afin de soumettre à leur révision le choix des députés, proposition insidieuse, ne tendant à rien moins qu'à remettre en question l'existence de la Convention, et que l'Assemblée avait repoussée avec horreur, disait Robespierre[39]. Salles avait eu le tort de terminer son discours en insinuant qu'on attribuerait au seul peuple de Paris le jugement de Louis XVI, comme si la Convention n'était pas la France entière. C'était d'ailleurs une injure gratuite à cette grande Assemblée que de la supposer capable de voter sous la pression de la place publique en cette solennelle circonstance. Buzot, qui dès le lendemain soutint aussi l'appel au peuple en ce sens que les assemblées primaires auraient seulement à ratifier la peine de mort portée par la Convention, eut le tort plus grand, selon son habitude du reste, de provoquer inutilement ses adversaires, de parler d'un ton de mépris de ces hommes qui invoquaient sans cesse dans : leurs discours la souveraineté du peuple pour l'en dépouiller, de les traiter de déclamateurs insensés, et de les accuser d'agiter la République par leurs calomnies[40]. De telles paroles, sortant de la bouche d'un des principaux membres de cette faction qui depuis plus de trois mois gouvernait la France par la calomnie, n'étaient guère de nature à apaiser les ressentiments. On sentait trop percer l'esprit de parti sous cette question de l'appel au peuple jetée comme un brandon de discorde au milieu de la Convention. N'était-ce pas, de gaieté de cœur, appeler des représailles infaillibles et trop légitimes ?

 

VII

A Buzot succéda Robespierre. Certes si une idée pouvait être populaire, flatter les masses, c'était bien celle de l'appel au peuple, mise en avant par les Girondins. Robespierre entreprit de la combattre, sans s'inquiéter de savoir si sa popularité en souffrirait, fidèle en cela à son système constant de mettre les questions de principe au-dessus de toute considération d'intérêt personnel. Rarement, je crois, une assemblée de législateurs ne fut ébranlée par un discours plus puissant que celui dont nous allons mettre l'analyse sous les yeux de nos lecteurs.

Après s'être étonné, en débutant, de voir une question sur laquelle tous les suffrages auraient dû, selon lui, se trouver d'accord, devenir une cause de dissensions et de tempêtes, Maximilien déclara qu'il n'en était pas moins convaincu que tous les membres de la Convention étaient pénétrés d'une égale horreur pour le despotisme, animés d'un même zèle pour l'égalité. Puis, il prit en quelque sorte l'engagement de raisonner au point de vue du système qui avait prévalu, c'est-à-dire de ne plus envisager la cause du roi comme une affaire sur laquelle les membres de la Convention auraient mieux fait de prononcer en hommes d'État et par mesure de sûreté générale, mais de la traiter comme un procès criminel soumis à l'appréciation de l'Assemblée transformée en cour souveraine de justice. Je pourrais même ajouter, dit-il, que je partage, avec le plus faible d'entre vous, toutes les affections particulières qui peuvent l'intéresser au sort de l'accusé. Inexorable quand il s'agit de calculer d'une manière abstraite le degré de sévérité que la justice des lois doit déployer contre les ennemis de l'humanité, j'ai senti chanceler dans mon cœur la vertu républicaine en présence du coupable humilié devant la puissance souveraine. La haine des tyrans et l'amour de l'humanité ont une source commune dans le cœur de l'homme juste qui aime son pays. Mais, citoyens, la dernière preuve de dévouement que les représentants du peuple doivent à la patrie, c'est d'immoler ces premiers mouvements de la sensibilité naturelle au salut d'un grand peuple et de l'humanité opprimée. Citoyens, la sensibilité qui sacrifie l'innocence au crime est une sensibilité cruelle, la clémence qui compose avec la tyrannie est barbare.

Etait-ce, poursuivait-il, le désir de la nation qui forçait l'Assemblée à se montrer rigoureuse envers Louis XVI ? Nullement ; c'était la nécessité de cimenter la liberté et la tranquillité publiques. Or, que proposait-on ? un mode de jugement ou de ratification devant facilement entraîner les retards les plus funestes. N'eût-on pas condamné dans les vingt-quatre heures, sur des preuves mille fois moins convaincantes, un malheureux accusé d'un crime ordinaire ? Quand, après son arrestation à Varennes, le roi était rentré humilié dans son palais, une clameur universelle s'était élevée contre lui ; mais on avait adroitement laissé reposer l'affaire ; peu de temps après, c'était un crime d'invoquer contre lui la sévérité des lois, de réclamer la punition de son attentat, et ceux qui étaient restés fidèles à la cause publique, aux principes sévères de la liberté, étaient persécutés et calomniés dans toute l'étendue de la France. Pareille chose n'arriverait-elle pas aujourd'hui ? Et quel prétexte invoquait-on pour retarder le jugement ? L'honneur de la nation, la dignité de l'Assemblée ! L'honneur de la nation consistait à foudroyer les tyrans, et la gloire de la Convention à sauver la patrie et à cimenter la liberté par un grand exemple donné à l'univers. La postérité, disait-il à ses collègues, vous admirera ou vous méprisera selon le degré de vigueur que vous montrerez dans cette occasion ; et cette vigueur sera la mesure aussi de l'audace ou de la souplesse des despotes étrangers avec vous ; elle sera le gage de notre servitude ou de notre liberté, de notre prospérité ou de notre misère. Citoyens, la victoire décidera si vous êtes des rebelles ou les bienfaiteurs de l'humanité ; et c'est la hauteur de votre caractère qui décidera la victoire. On n'avait donc pas réfléchi à toutes les lenteurs qu'entraînerait cet appel au peuple ? On allait convoquer les quarante-quatre mille assemblées primaires de la République, soit ; mais n'était-ce pas décréter la guerre civile en permanence ? Prévoyait-on les luttes orageuses auxquelles donnerait lieu une pareille question au sein de cette multitude de sections où ne manqueraient pas de se rendre en foule tous les mauvais citoyens, les Feuillants, les aristocrates et les émigrés, qu'on verrait revenir tout exprès pour peser sur les délibérations des assemblées primaires, pour influencer les hommes simples et corrompre à prix d'argent toutes les âmes vénales ? Ne s'était-on pas aperçu qu'un semblable système était le meilleur moyen de-rallier tous les royalistes, tous les ennemis de la République, de leur donner la facilité de se compter ? Oui, tous les intrigants s'empresseraient de courir aux assemblées primaires ; mais le cultivateur abandonnerait-il son champ, l'ouvrier le travail auquel était attachée son existence journalière ? Ici Robespierre combattait avec un grand sens politique cette thèse impossible du gouvernement direct du peuple par lui-même. Le peuple avait manifesté sa volonté après l'insurrection du mois d'août, et il avait délégué ses pouvoirs à des mandataires chargés du salut de l'État et de la rédaction d'une constitution qu'on soumettrait à sa ratification, parce qu'alors il s'agirait du pacte social et non point d'une circonstance particulière à laquelle se trouvait lié l'intérêt général.

En renvoyant aux quarante-quatre mille assemblées primaires la cause de Louis, voulait-on persuader au peuple qu'un roi était au dessus de l'humanité ? Et si la Convention n'avait pas osé trancher elle-même la question de la peine, les sections ne se croiraient-elles pas en droit de la discuter éternellement ? Ainsi donc c'était un procès sans terme, engagé à l'heure où la guerre étrangère n'était point terminée, où les despotes, alliés de l'accusé, se disposaient à déployer toutes leurs forces contre la République naissante ; et pour trancher la question, les intrigants attendraient peut-être le moment où les patriotes auraient abandonné leurs foyers pour courir aux frontières, où il ne resterait plus dans les assemblées primaires que des hommes lâches et faibles et les champions du feuillantisme et de l'aristocratie. Alors on verrait tous les bourgeois orgueilleux, tous les ci-devant privilégiés, cachés sous le masque du civisme, décider insolemment des destinées de l'État. Ne remettrait-on pas en question jusqu'à la République elle-même, dont la cause était naturellement subordonnée au procès du roi détrôné ? Et cela pendant que la véritable majorité se trouverait bannie des assemblées primaires, puisqu'elle serait dans les camps, à l'atelier ou aux champs. N'était-ce pas se jouer de la majesté du souverain que de lui renvoyer une affaire qu'il avait chargé ses représentants de terminer ? Si le peuple avait eu le temps de s'occuper de ce procès ou de décider des questions d'État, il n'eût point confié à une Assemblée nationale le soin de ses intérêts. Le seul moyen qu'avait la Convention de lui témoigner sa fidélité, c'était de lui donner des lois justes, non la guerre civile.

Jusqu'ici Robespierre, en répondant aux partisans de l'appel au peuple, s'était tenu sur le terrain des principes ; mais les précédents orateurs, Buzot surtout, étaient entrés dans la voie des récriminations et des personnalités les plus regrettables. Robespierre les y suivit, et il les y suivit forcément, parce que certaines attaques, faites ainsi à la face du pays, ne pouvaient rester sans réponse. Citoyens, dit-il, je connais le zèle qui vous anime pour le bien public ; vous étiez le dernier espoir de la patrie ; vous pouvez la sauver encore. Pourquoi faut-il que nous soyons quelquefois obligés de croire que nous avons commencé notre carrière sous d'affreux auspices ? C'est par la terreur et par la calomnie que l'intrigue égara l'Assemblée constituante dont la majorité était bien intentionnée, et qui avait fait d'abord de si grandes choses. Je suis effrayé de la ressemblance que j'aperçois entre deux périodes de notre Révolution que le même roi a rendus mémorables...

Aujourd'hui Louis a encore cet avantage sur les défenseurs de la liberté que ceux-ci sont poursuivis avec plus de fureur que lui-même. Personne ne peut douter qu'ils ne soient diffamés avec plus de soin et à plus grands frais qu'au mois de juillet 1791... Alors nous étions des factieux, aujourd'hui nous sommes des agitateurs et des anarchistes. N'est-il pas évident que c'est moins à Louis XVI qu'on fait le procès qu'aux plus chauds défenseurs de la liberté ? Est-ce contre la tyrannie de Louis XVI qu'on s'élève ? non ; c'est contre la tyrannie d'un petit nombre de patriotes opprimés. Sont-ce les complots de l'aristocratie qu'on redoute ? non ; c'est la dictature de je ne sais quels députés du peuple, qui sont là tout prêts à la remplacer. On veut conserver le tyran pour l'opposer à des patriotes sans pouvoir. Les perfides ! ils disposent de toute la puissance publique et de tous les trésors de l'État, et ils nous accusent de despotisme ! Il n'est pas un hameau dans la République où ils ne nous aient diffamés ; ils épuisent le trésor public pour multiplier leurs calomnies ; ils osent, au mépris de la foi publique, violer le secret de la poste pour arrêter toutes les dépêches patriotiques, pour étouffer la voix de l'innocence et de la vérité ! et ils crient à la calomnie ! Ils nous ravissent jusqu'au droit de suffrage, et ils nous dénoncent comme des tyrans ! Ils présentent comme des actes de révolte les cris douloureux du patriotisme outragé par l'excès de la perfidie, et ils remplissent ce sanctuaire des cris de la vengeance et de la fureur !

Si donc le projet d'avilir et d'anéantir la Convention existait, ce n'était ni parmi les défenseurs ardents de la liberté, ni dans le peuple qui lui avait tout immolé, ni dans l'Assemblée elle-même, laquelle cherchait le bien et la vérité, ni même dans les dupes d'une intrigue fatale, mais dans une vingtaine de membres s'acharnant à priver du droit de suffrage les représentants du peuple qui avaient refusé de servir leur ambition. Pour éterniser la discorde et pour se rendre maîtres des délibérations, ils avaient imaginé de partager la Convention en majorité et en minorité. Mais la majorité, est-ce qu'elle, appartenait à aucun parti ? Est-ce qu'elle ne se renouvelait pas incessamment, là où les délibérations étaient sérieuses et calmes ? Est-ce qu'elle ne devait pas être acquise à la cause publique et à la raison éternelle ? Pour lui, il répudiait ces majorités formées dans des conciliabules ténébreux, autour des tables ministérielles ; et, après avoir invoqué le droit des minorités de faire entendre partout la vérité, il ajoutait ces paroles si connues : La vertu fut toujours en minorité sur la terre ! A cette noble protestation contre l'oppression des minorités par les majorités, des applaudissements, que ne put réprimer le président, partirent des tribunes et d'une partie de l'Assemblée[41]. Sans cela, continuait-il, la terre serait-elle peuplée de tyrans et d'esclaves ? Hampden et Sidney étaient de la minorité, car ils expirèrent sur un échafaud ; les Critias, les Anitus, les César, les Clodius étaient de la majorité, mais Socrate était de la minorité, car il avala la ciguë ; Caton était de la minorité, car il déchira ses entrailles. Je connais ici beaucoup d'hommes qui serviront, s'il le faut, la liberté à la manière de Sidney et d'Hampden ; et, n'y en eût-il que cinquante, cette seule pensée doit faire frémir tous ces lâches intrigants qui veulent égarer la majorité. Les dernières paroles de Robespierre furent encore un appel à la conciliation et à la concorde ; il engagea même le peuple à ne donner, par l'expression un peu trop vive de ses sentiments, aucun prétexte à des mesures dangereuses et à garder ses applaudissements pour le temps où l'Assemblée aurait fait quelque loi utile à l'humanité. Lui rappelant le jour où un simple ruban tricolore, étendu par les citoyens eux-mêmes dans le jardin des Tuileries, avait suffi pour garantir la demeure de Louis XVI encore sur le trône, il lui disait : Souviens-toi de la police maintenue jusqu'ici sans baïonnettes, par la seule vertu populaire ; et il le conjurait de déjouer la malveillance perfide et d'arrêter dans ses écarts le patriotisme trompé[42].

Ce discours magistral avait été écouté au milieu d'un silence religieux ; jamais la Convention n'avait présenté le spectacle d'un calme pareil ; elle s'était trouvée comme subjuguée par la grandeur et par la majesté de la discussion. Le discours de Robespierre eut sur elle une influence décisive. Inutile de demander si son immense succès exaspéra les feuilles girondines. Le journal de Brissot notamment vomit contre l'orateur un torrent d'injures, et l'on put lire dans le Courrier des quatre-vingt-trois départements, que ce discours était un chef-d'œuvre d'astuce, où la perfidie se pliait et se repliait sous toutes les formes[43]. Cette nouvelle infamie de Gorsas fut vivement dénoncée aux Jacobins dans la séance du 30 décembre ; mais, s'écria Thuriot, que nous importent les diatribes de Gorsas et de tous les journalistes vendus à la faction brissotine[44] ! Au reste, entre ses critiques et lui, Robespierre résolut de prendre le public pour juge : il inséra dans son propre journal, à la suite de son discours, les appréciations émises par les feuilles de Brissot et de Gorsas, dont chacun put ainsi juger la bonne foi[45]. Bourdon, aux Jacobins, traita d'admirable, de sublime, le discours de Maximilien, et il demanda que, toutes affaires cessantes, on invitât son auteur à en donner lecture à la société. Cédant aux instances de l'assemblée, Robespierre monta à la tribune. Son discours fut écouté au milieu d'un calme imposant, accueilli par des applaudissements enthousiastes, et plusieurs membres s'empressèrent de souscrire afin qu'il fût répandu par la voie de l'impression, au plus grand nombre d'exemplaires possible[46]. Nous verrons tout à l'heure quelle influence il eut sur la décision de la Convention nationale.

 

VIII

Laisser l'Assemblée sous l'impression des paroles de Robespierre, c'était abandonner à peu près la question de l'appel au peuple ; la Gironde chargea donc son plus brillant orateur du soin de combattre Maximilien. Le 31 décembre 1792, Vergniaud montait à la tribune et y prononçait un des plus beaux mais aussi un des plus haineux discours qui soient sortis de sa bouche éloquente.

Nous n'avons à le considérer, quant à nous, on le comprend, qu'au point de vue des attaques dont il est rempli à l'égard de Robespierre. Nous

avons cité avec le plus grand soin les passages du discours de celui-ci, dans lesquels, prenant à partie ses impitoyables adversaires, il s'était laissé aller à des récriminations d'où la colère et l'amertume n'étaient pas exclues. Mais du moins, si, amené par Buzot sur le terrain des personnalités, Robespierre avait énergiquement usé du droit de représailles, il s'était tenu dans les généralités, et, en flétrissant l'épouvantable système de calomnie imaginé contre les meilleurs patriotes, il n'avait rien dit, hélas ! qui ne fût rigoureusement vrai. Vergniaud, dans son discours, accumula mensonges sur mensonges, calomnies sur calomnies ; ce fut une nouvelle édition orale des libelles de Louvet. Avec une injustice qui n'eut d'égale que sa mauvaise foi, il jeta à la face de Robespierre le sang des victimes de Septembre ; il lui reprocha de s'être caché dans sa cave le jour de l'insurrection du 10 août ; il renouvela contre lui cette absurde accusation de dictature dont, a deux reprises, la Convention avait déjà fait justice, et revint insidieusement sur cette fausse allégation de Louvet, à savoir, que Robespierre aurait, le 2 septembre, dénoncé à la commune tout le parti de la Gironde, quand lui-même Vergniaud, devant une vive dénégation de Robespierre, s'était félicité, on s'en souvient, d'un démenti qui lui prouvait que lui aussi Robespierre avait pu être calomnié. Tout cela était singulièrement perfide, calomnieux, archifaux, l'orateur girondin le savait ; mais il savait aussi que toute calomnie fait sûrement son chemin, et Dieu merci ! depuis cette époque jusqu'à nos jours, on n'a pas manqué de ressasser les mensonges et les calomnies.

Mais où l'étonnement ne dut pas être médiocre pour toutes les personnes ayant la moindre notion des choses de la Révolution, ce fut d'entendre Vergniaud reprocher à Robespierre d'avoir rédigé ou fait rédiger cette fameuse pétition du Champ-de-Mars qu'il avait au contraire vigoureusement combattue, on ne l'a pas oublié, et dont Brissot avait été le premier rédacteur. Comment, s'écria Robespierre dans son journal, comment les flots de la Gironde ne se sont-ils pas soulevés contre ceux de la Seine, quand M. Vergniaud rompit enfin ce long silence qu'il s'était imposé jusqu'alors sur les crimes de Capet, pour accuser les intrépides défenseurs de la liberté et tous les citoyens témoins de ce scandale[47]. Qu'on s'étonne maintenant du fiel longuement amassé dans le cœur de Robespierre, qu'on s'étonne qu'un jour il en soit arrivé à diriger, lui aussi, contre Vergniaud personnellement de furieuses attaques ! Quel était donc le but du glorieux orateur en mentant si grossièrement ? C'était de montrer Robespierre s'inclinant jadis devant la souveraineté populaire, et ne la considérant plus aujourd'hui que comme une calamité pour le genre humain. Telle était du moins l'opinion que lui prêtait très-gratuitement Vergniaud, lequel ajoutait traîtreusement : Je vous entends, vous voulez régner. Et d'où venait cette singulière interprétation du discours de Robespierre ? Apparemment de ce que ce dernier s'était écrié : La vertu a toujours été en minorité sur la terre. On l'accusait d'avoir eu l'impudence de diffamer l'espèce humaine, de présenter toute la nation comme composée d'intrigants, d'aristocrates et de Feuillants. Vergniaud, qui faisait de son adversaire un flatteur du peuple, s'entendait fort bien, on le voit, à caresser les masses. La vertu, suivant lui, était en majorité sur la terre, parce que Catilina avait été une minorité dans le sénat romain — César avait-il été une minorité dans ce même sénat ? — Mais les rois étaient en minorité sur la terre ! Bel argument, en vérité ! Est-ce que les courtisans, les flatteurs des rois, est-ce que les êtres bas et rampants prêts à s'incliner devant toute puissance, est-ce que les gens qui n'ont d'autre opinion que leur intérêt, ne sont pas en immense majorité dans ce monde ? Oui, Robespierre avait mille fois raison, lorsque, sans s'inquiéter de savoir si ses paroles seraient plus ou moins agréables à la multitude, il disait tristement : La vertu a toujours été en minorité sur la terre. Et si vrai d'ailleurs avait paru cet apophtegme peu consolant, hélas ! qu'il avait été salué des applaudissements de la portion du peuple garnissant les tribunes[48].

Le soir, aux Girondins, Robespierre jeune se plaignit amèrement de la virulente diatribe de Vergniaud, de ce discours, digne, à son sens, d'un Néron. Il n'y a pas d'horreurs, dit-il, qu'il n'ait vomies contre mon frère. Dubois-Crancé et Anthoine s'attachèrent ensuite à réfuter avec beaucoup de vigueur les éloquentes invectives du député de Bordeaux. Dans cette séance, un membre proposa à la société d'envoyer à toutes les sociétés, et notamment à celle de Marseille, les discours de Maximilien Robespierre, afin de combattre l'effet des calomnies que ne cessait de répandre, au milieu d'elles, la faction girondine. Cette proposition fut adoptée au milieu des plus vifs applaudissements[49].

Le lendemain 1er janvier 1793, le président de la société des Jacobins — c'était alors Saint-Just — rappela à ses collègues qu'une souscription était ouverte pour l'impression du dernier discours de Robespierre, si propre à ouvrir les yeux de tous les Français et à démasquer les projets ambitieux de la faction girondine. Puis, un membre d'une société affiliée prit la parole. Il raconta ce qui se passait dans les départements. Le ministre de l'intérieur, Roland, avait partout des émissaires, qui s'en allaient de commune en commune, colportant les écrits des Carra, des Gorsas, des Brissot et des Perlet. On devait, pensait-il, suivre la même marche que les calomniateurs. Il s'offrit en conséquence, si la société-mère voulait l'accréditer comme son fondé de pouvoir, à parcourir les campagnes, à aller de ville en ville, de village en village : J'assemblerai les citoyens, je leur lirai l'admirable discours de Robespierre. Et il se faisait fort de répandre partout l'instruction, d'encourager les faibles, de ramener les égarés et d'ouvrir tous les yeux sur les vertus de cette minorité de la Convention qui était alors la Montagne. La société accorda un diplôme à ce zélé citoyen[50]. Mais c'était là une bien faible force à opposer aux menées de la Gironde, aux efforts d'un parti qui était alors le gouvernement lui-même, et qui, dans un des plateaux de la balance, pouvait mettre le trésor de l'État.

 

IX

La rage des Girondins contre Robespierre semblait croître en raison de l'impuissance de leurs tentatives pour ébranler à Paris cette réputation colossale. La question de l'appel au peuple était pour eux un thème excellent, en ce qu'il leur fournissait l'occasion de paraître soutenir une opinion beaucoup plus démocratique que celle de leurs adversaires, et ils ne se firent pas faute d'insister sur ce point. Brissot et Gensonné suivirent l'exemple de Vergniaud ; le second surtout engagea contre Robespierre une lutte toute personnelle. Seulement, de même que son ami Vergniaud avait menti avec la dernière impudence en attribuant à Robespierre l'initiative et la rédaction de la pétition du Champ-de-Mars, de même il eut le tort d'avancer, avec la plus déplorable légèreté, des faits sur lesquels le premier venu pouvait à l'instant même lui donner un démenti. Ainsi, selon lui, Robespierre s'était proclamé le défenseur du peuple, puisque, disait-il, il avait publié un journal sous ce titre. Or, le journal de Robespierre était assez connu pour qu'une aussi grossière erreur ne fût pas permise à un membre de la Convention. Le discours de Gensonné abondait en traits de cette force. Il attribuait, par exemple, à Robespierre, un fragment du discours d'un autre orateur pour en conclure judicieusement que Robespierre invitait le peuple à lui conserver la dictature. De manière, lui disait Maximilien, dans une réponse dont nous parlerons tout à l'heure, que vous voilà convaincu d'avoir fait une fausse citation pour en tirer une conséquence d'un genre si extravagant que vos commettants doivent être véritablement inquiets sur l'état physique de votre cerveau[51]. Gensonné, toutefois, voulait bien reconnaître aux citoyens de la Montagne le mérite d'avoir aidé au salut de la chose publique, mais à la manière des oies du Capitole, par instinct. Cette délicate saillie dérida la Convention ; seulement elle valut à l'ingénieux orateur le plus spirituel de vous quatre, disait Robespierre en s'adressant à Vergniaud, à Guadet, à Brissot et à Gensonné, cette réponse terrible : Les oies du Capitole ont sauvé la patrie ; sentinelles vigilantes, inspirées par les dieux, elles criaient à l'approche des brigands et des ennemis : voilà des circonstances qu'il était maladroit de rappeler. Ainsi, monsieur Gensonné, les oies du Capitole valent bien les crapauds des marais Pontins[52].

En même temps, en dehors de la Convention, les Girondins continuaient avec plus d'acharnement que jamais leurs déloyales agressions. C'était la dictature de la calomnie élevée à la dernière puissance. Nous avons déjà signalé leur indigne tactique d'accoler constamment le nom de Robespierre à celui de Marat, dont quelques pages extravagantes, à bon droit réprouvées par le premier, leur fournissaient le prétexte de calomnier le patriotisme et de dénaturer les intentions. Chaque jour arrivaient au club des Jacobins des adresses de sociétés affiliées demandant la radiation des Marat, des Robespierre, des Danton et de toute la bande des agitateurs. Tout cela, du reste, coulé au même moule et bien marqué du véritable cachet officiel ; il n'y avait pas à s'y méprendre[53]. Tour à tour venaient des lettres des Sociétés de Blois, de Meaux, d'Agen, de Saint-Quentin, etc., pleines d'invectives contre les plus sincères patriotes, mais, en compensation, toutes parsemées d'éloges en l'honneur de Roland, de Brissot et de Louvet, dont on demandait la [réintégration au sein de la société-mère[54]. Il est aisé de comprendre quelle surexcitation causaient aux Jacobins ces adresses passionnées. On se demandait comment les départements ne mettaient aucune différence entre Robespierre et Marat. Voilà, disait-on, l'ouvrage des Brissotins, des Roland ; voilà l'emploi qu'on fait des finances de l'État. Il fut décidé qu'on enverrait a toutes les sociétés affiliées les portraits bien différenciés de Robespierre et de Marat[55], et dans la séance du 6 janvier 1793, La Faye lut un projet d'adresse dont l'impression et l'envoi furent aussitôt arrêtés. Il y était dit : Vous semblez puiser votre opinion dans les pamphlets de Brissot et de Roland. Robespierre restera avec nous, parce qu'il a toujours été le défenseur des principes, l'ami du peuple et de l'humanité. Nous n'exclurons pas Marat, quoiqu'il soit exalté dans les journaux. Nous n'approuvons pas tout ce qu'il dit ; mais on ne détruit pas les aristocrates avec des phrases académiques[56].

Dans la séance du 1er janvier au soir, l'Ami du peuple avait, à la Convention, formellement accusé la faction girondine d'envoyer dans les départements des modèles d'adresse pour demander l'expulsion de Robespierre, de Billaud-Varenne et de lui-même[57]. Quelques jours plus tard, le 6 janvier, Ducos donnait lecture d'une adresse du conseil général du département du Finistère où l'on invitait la Convention à chasser de son sein, comme des scélérats, comme de véritables contrerévolutionnaires, comme les plus grands ennemis du pays, les Danton, les Robespierre, les Chabot, les Marat, les Bazire, les Merlin et leurs complices. On demanda les noms des signataires de cette pièce, où se révélait si bien le style des Girondins. Je les connais, s'écria un membre : ce sont des aristocrates. Et Marat : Je demande que cette adresse soit renvoyée à sa source, au boudoir de la femme Roland[58]. En même temps, Le Bas dénonçait une invitation faite par le département du Pas-de-Calais à tous les autres départements d'envoyer une force armée à Paris pour y contenir les anarchistes.

L'Assemblée se trouvait encore dans une sorte d'agitation causée par cette double communication, quand tout à coup le député Richaud lui propose de décréter la suppression de la permanence des sections de Paris et des conseils généraux de toutes les villes de la République. A cette motion, vivement combattue par Thuriot et par Marat, un trouble indescriptible se produit au sein de la Convention. Une demande d'ajournement, formée par quelques membres, est rejetée par assis et levé. Mais l'épreuve ayant paru douteuse, cinquante ou soixante membres réclament l'appel nominal. L'appel nominal ou la mort ! s'écrie impétueusement David. Au milieu du tumulte arrive le ministre de l'intérieur Roland. La Montagne demande qu'il soit entendu ; mais ses amis s'y opposent et veulent qu'avant tout la question de la permanence des sections soit décidée. La fermentation est au comble. Salles prend la parole et présente les sections comme capables de recourir à de nouveaux massacres. Robespierre, à son tour, se dirige vers la tribune. Du temps de l'Assemblée constituante, il avait, on s'en souvient peut-être, insisté avec beaucoup de force pour le maintien de la permanence des districts, de ces districts auxquels la Révolution était redevable de son triomphe, et les arguments qu'il avait fait valoir alors il venait les invoquer aujourd'hui. Sa présence à la tribune excite un redoublement d'orage. Le président, — c'était Barère, — se mit de la partie. A peine Robespierre a-t-il ouvert la bouche que les plus violentes apostrophes sont dirigées contre lui. Les cris : A l'ordre ! à la censure ! à l'Abbaye ! retentissent sur les bancs de la droite. Quel était donc son crime ? Il avait demandé si la liberté des opinions n'existait que pour les calomniateurs. La gauche, indignée, se soulève à son tour. De toutes parts les interpellations se croisent, et cinq ou six cents membres debout semblent se menacer, prêts à en venir aux mains. Calme au milieu de cette orgie parlementaire, Robespierre veut continuer. Le scélérat ! s'écrie Chambon. Lui, sans se troubler : La parole m'a été assurée par un vœu de l'Assemblée ; il n'appartient pas à un parti de me la ravir. Baraillon, dont les Girondins avaient surpris la bonne foi, l'arrête par ces mots : Il se croit au 2 Septembre, il veut dominer. — Sans doute, reprend l'orateur imperturbable, je n'ai pas, comme tant d'autres, un cœur vénal. Les cris des intrigants ne m'en imposeront pas. Chambon l'interrompant de nouveau : Ah ! Robespierre, nous ne craignons pas tes poignards !... Était-il possible de pousser plus loin l'intolérance ? Marat n'y put tenir, il éclata : F.... faction rolandine ! gredins déhontés ! vous trahissez impudemment la patrie ! On aurait pu croire que le président censurerait les membres qui avaient si indécemment apostrophé l'orateur : eh bien ! ce fut Robespierre qu'il rappela à l'ordre, avec censure. La force semblait du côté de la Gironde, et Barère présidait : tout s'explique.

Quand, de lassitude, l'Assemblée se fut apaisée, Robespierre, en réponse à la censure du président, contre lequel il avait demandé la parole, dit que la censure n'était point déshonorante lorsqu'elle n'était pas méritée, et il ajouta que le mépris de la nation devait porter sur celui-là seul qui l'avait injustement exercée[59] : paroles sévères pour Barère, et qu'il s'était justement attirées. Puis, dans un langage noble et grave, mais où perçait le ressentiment involontaire de tant d'injures gratuites, l'orateur flétrit le ministre qui, sous prétexte de former l'esprit public, ne cessait de dépraver l'opinion, en se peignant, lui et ses amis, comme des modèles de modération et de vertu, et il fit entendre en faveur de la permanence des sections des arguments tellement forts que la Convention, sans annuler son décret de suppression, en ajourna l'exécution jusqu'à nouvel ordre[60]. N'est-ce pas ici lé cas d'admirer une fois de plus l'inconséquence de ces Girondins ? Ils accusaient leurs adversaires de violer la souveraineté populaire en repoussant l'appel au peuple, et ils voulaient interdire à ce peuple de rester assemblé dans ses sections : ce qui était désarmer la Révolution.

 

X

Aux calomnies de Vergniaud, de Guadet, de Gensonné et de Brissot, répétées à l'envi par toutes les feuilles girondines, Robespierre crut devoir une réponse publique : ce fut l'objet du premier article de la deuxième série de ses lettres à ses commettants. Parmi les journaux dévoués au parti de la Gironde, il en est un dans lequel, chose étrange ! il trouva tout à coup un appui indirect, mais inespéré. Les gens du côté droit avaient eu le courage d'applaudir l'adresse du Finistère et celle non moins criminelle du département de la Haute-Loire. Le journal de Brissot, dans un article plein de fiel, d'aigreur et de violence contre Thuriot, Marat et Robespierre, considérait la première comme un acte patriotique, et la seconde lui paraissait l'organe fidèle de toute la France. Irrité de tant de mauvaise foi et surtout des éternelles déclamations de ses amis contre la ville de Paris, le rédacteur des Annales patriotiques leur reprocha vivement d'encourager dans les départements la violation de la loi, tandis qu'ils trouvaient si mauvais qu'elle ne fût pas strictement observée à Paris. N'est-ce donc que pour Paris que vous voulez faire des lois ? s'écria-t-il. Pour que cette ville ne soit pas la cité reine des départements, faut-il absolument qu'elle en devienne la conquête ?... Vous criez contre les anarchistes, les agitateurs, et vous avouez sans pudeur des projets de tyrannie ![61] Voilà précisément le thème que, dans une longue épître adressée à Vergniaud, à Guadet, à Gensonné et à Brissot, développa Robespierre, en y joignant tout ce qui était nécessaire à sa défense personnelle.

Nous dirons peu de chose de cette lettre, infiniment longue et où d'ailleurs se trouvent répétés la plupart des arguments déjà invoqués dans le discours contre l'appel au peuple. Paris ne sera ni déshonoré ni détruit, s'écriait à son tour Robespierre. Les Gensonné, les Vergniaud, les Brissot, les Guadet passeront : Paris restera. Paris sera encore le rempart de la liberté, le fléau des tyrans, le désespoir des intrigants, la gloire de la République et l'ornement du globe longtemps après que vous serez tous émigrés. Mais, hélas ! ce n'était pas l'émigration, comme le croyait Robespierre, c'était l'échafaud qui attendait ces malheureux Girondins, et ils vont y courir tête baissée en voulant y précipiter leurs adversaires. Vergniaud, dans son discours, s'était comparé à Tibérius Gracchus, victime de l'ingratitude populaire. Robespierre ne manqua pas de relever cette comparaison tant soit peu ambitieuse. Ni Vergniaud ni ses amis n'étaient de la trempe des Gracques ; ils étaient trop du parti de l'aristocratie bourgeoise.

Où Robespierre insista particulièrement dans sa lettre, ce fut en signalant la perfidie avec laquelle ses adversaires s'obstinaient à accoler son nom à celui de Marat, perfidie qui avait excité tant d'indignation aux Jacobins. Nous avons fait suffisamment connaître son opinion sur Marat, dont il estimait le patriotisme et les vertus, mais dont les idées exagérées, dans la forme surtout, lui étaient antipathiques. Il ne l'avait pas cependant complètement renié, on l'a vu, comme avait fait Danton ; indirectement même, sans le nommer, il n'en avait pas moins appuyé sa candidature au sein de l'assemblée électorale, et Dieu sait si les Girondins le lui avaient imputé à crime. Au reste, Marat, qui avait beaucoup plus de sens politique qu'on ne se l'imagine généralement, eut toujours Maximilien en estime singulière ; et, s'il lui refusait les vues et l'audace d'un véritable homme d'État, — on sait pourquoi, — du moins jusqu'à son dernier moment, jusqu'à l'heure où il fut atteint dans son bain par le poignard mis aux mains de Charlotte par les déclamations de la Gironde, il le considéra comme le type du patriote pur et désintéressé. Mais enfin, comme il est de règle absolue que chacun réponde de ses propres paroles et de ses propres actes et non de ceux d'autrui, il était bien naturel que Robespierre cherchât à prémunir le public contre une confusion établie avec une mauvaise foi digne des mépris de tous les cœurs honnêtes. C'est ce qu'il fit d'ailleurs en des termes qu'il convient de mettre sous les yeux du lecteur : Vouloir m'identifier avec Marat, y a-t-il conscience ? J'en appelle à votre jugement, monsieur de Warville ! Quelle obstination de vouloir que je sois un autre que moi-même ! Il ne tient pas même à vous que tout le monde croie que je me nomme Marat : n'ayant pu y réussir, vous avez pris le parti de répéter si souvent mon nom avec le sien, que l'on me prit au moins pour un accessoire de ce grand personnage, tant célébré dans vos feuilles, comme si je n'avais pas une existence propre plusieurs années avant que vous vous fussiez avisés de m'en dépouiller... Jadis, il m'en souvient encore, Brissot et quelques autres étaient entrés dans je ne sais quelle conspiration pour rendre mon nom presque synonyme de Jérôme Pétion, tant ils prenaient à tâche de les accoler ensemble. Je ne sais si c'était pour l'amour de moi ou de Pétion ; mais ils semblaient avoir comploté de m'envoyer à l'immortalité avec le grand Jérôme. J'ai été ingrat, et pour me punir, ils ont dit : Puisque tu ne veux pas être Pétion, tu seras Marat. Eh bien, je vous déclare, moi, messieurs, que je ne veux être ni l'un ni l'autre. J'ai le droit, je pense, d'être consulté là-dessus, et vous ne disposerez peut-être pas de mon être malgré moi-même. Ce n'est pas que je veuille refuser à Marat la justice qui lui est due. Dans ses feuilles, qui ne sont point toujours des modèles de style ni de sagesse, il a dit pourtant des vérités utiles et fait une guerre ouverte à tous les conspirateurs puissants, quoiqu'il ait pu se tromper sur quelques individus. Et, ajoutait non sans raison Robespierre, pour deux ou trois phrases absurdes et sanguinaires de l'Ami du peuple, répétées sur tous les tons et commentées à satiété par les Girondins, on poursuivait tous les patriotes et l'on compromettait l'œuvre de la Révolution[62]. Mais Robespierre, après avoir réfuté un à un tous les mensonges de ses adversaires, avait beau les rappeler aux principes, ils étaient dans une sorte de démence, sourds et aveugles. Tout à l'heure, nous allons voir la colère des Girondins monter à un degré d'exaltation incroyable. Quand, par la force des choses, le pouvoir leur tombera des mains, quand la majorité de la Convention, mieux renseignée et lasse à la fin de tant de luttes stériles, leur échappera pour passer du côté des hommes d'action, ils crieront à leur tour à l'oppression, oubliant à quel point, pendant quatre mois, ils s'étaient montrés oppresseurs ; et, au lieu de se rallier franchement à cette majorité, de travailler de concert à l'œuvre laborieuse du salut de la Révolution, impérissable si Montagnards et Girondins s'étaient unis, ils aboutiront de résistance en résistance à l'abîme où ils seront engloutis. Plus de trêve, plus de pitié, plus de merci ! C'en est fait, le sort en est jeté !

 

XI

Nous voici dans le cercle de feu. Je ne sais quel sombre pressentiment s'était emparé de la plupart des âmes ; mais chacun présageait des choses terribles. Un ancien ami de Robespierre, qui, vraiment doué du don de prophétie, lui écrivait avant la Révolution :

Tu ne veux de vengeur que la postérité[63].

Dubois de Fosseux, devenu président de l'administration de la ville d'Arras, prononçait ces lugubres paroles au sein d'une réunion des administrateurs de la ville, après avoir gourmandé les hommes faibles qui s'apitoyaient sur le sort de l'ex-roi menacé de la hache nationale : Une lutte effroyable va s'établir ; l'année 1793 est destinée à faire époque dans les fastes de l'univers. Le combat à outrance aura lieu entre la liberté et le despotisme dans les angoisses de l'agonie ; celui-ci fait un dernier effort : il faudra que l'un ou l'autre soit écrasé, et des flots de sang décideront si l'espèce humaine appartiendra, comme de vils 'troupeaux, à une poignée de tyrans ; si Dieu a donné à l'homme une âme fière, libre et indépendante, pour qu'il rampe sous le poids de l'esclavage[64]. On voit comme déjà la Terreur était dans les esprits, avant de se formuler en lois et de se traduire en faits.

Le premier acte sanglant de cette sanglante année fut la mort de Louis XVI. Dans sa séance du 16 janvier, la Convention s'occupa des questions à résoudre relativement à l'accusé. Daunou en proposa une série beaucoup trop compliquée ; il y en avait, on peut le dire, pour tous les goûts, et chaque parti y pouvait trouver satisfaction. Un célèbre historien de nos jours, qui a pris ici Danton pour Daunou, s'est empressé d'imaginer que le farouche Montagnard, mettant une planche sur l'abîme où menaçait de s'enfoncer la Gironde, lui tendait une main qu'elle repoussa, et il nous montre Robespierre regardant froidement, si Danton allait se perdre en avançant vers cette Gironde[65]. Fantasmagorie ! qu'un mot suffit à faire évanouir : ce jour-là, Danton n'était pas encore de retour de Belgique, où il était allé en mission avec Lacroix[66], et quand le surlendemain il bondit au milieu de la Convention, ce fut pour s'écrier, comme on perdait son temps à s'occuper d'une mauvaise comédie contre-révolutionnaire de Laya, dont la commune avait eu le tort de suspendre les représentations : Il s'agit de la tragédie que vous devez donner aux nations, il s'agit de faire tomber sous la hache des lois la tête d'un tyran, et non de misérables comédies[67].

Pour en revenir aux questions relatives à l'accusé, l'Assemblée les réduisit au nombre de trois, dans l'ordre suivant : 1° Louis est-il coupable de conspiration contre la liberté de la nation et d'attentat contre la sûreté générale de l'État ? 2° Le jugement de la Convention nationale contre Louis Capet sera-t-il soumis à la ratification du peuple ? 3° Quelle peine sera infligée à Louis ? Le lendemain, 15 janvier, à la presque unanimité, l'Assemblée répondit affirmativement sur la première question. Le même jour, sur la seconde, 423 membres, contre 281, adoptèrent l'avis de Robespierre et sa prononcèrent contre l'appel au peuple. Le 16 janvier, à huit heures du soir, commença l'appel nominal pour le vote sur la troisième question. Tout le monde connaît les détails de cette funèbre et imposante séance, de cette nuit solennelle où les représentants de la nation décidèrent de la destinée du monarque déchu. Beaucoup d'entre eux motivèrent leurs votes. On en vit, comme Pétion, Brissot, Vergniaud, Guadet et autres, se diviser en deux personnes, celle du juge et celle de l'homme d'État, prononçant la mort comme juges, et comme hommes d'État demandant à la Convention de discuter le point de savoir s'il conviendrait à l'intérêt public que l'exécution eût lieu sans retard ou qu'elle fût différée ; proposition d'ailleurs indépendante de leur vote.

Appelé par son rang à voter le premier des membres de la députation de Paris, Robespierre s'exprima en ces termes : Je n'aime point les longs discours dans les questions évidentes ; ils sont d'un sinistre présage pour la liberté. Je me pique de ne rien comprendre aux distinctions logomachiques imaginées pour éluder la conséquence d'un principe reconnu. Je n'ai jamais su décomposer mon existence politique pour trouver en moi deux qualités disparates, celle de juge et celle d'homme d'État... Je ne sais pas outrager la raison et la justice en regardant la vie d'un despote comme d'un plus grand prix que celle des simples citoyens, et en me mettant l'esprit à la torture pour soustraire le plus grand des coupables à la peine que la loi prononce contre des délits beaucoup moins graves et qu'elle a déjà infligée à ses complices. Je suis inflexible pour les oppresseurs, parce que je suis compatissant pour les opprimés ; je ne connais point l'humanité qui égorge les peuples et qui pardonne aux despotes. Le sentiment qui m'a porté à demander, mais en vain, à l'Assemblée constituante l'abolition de la peine de mort, est le même qui me force aujourd'hui à demander qu'elle soit appliquée au tyran de ma patrie et à la royauté elle-même dans sa personne. Je ne sais point prédire ou imaginer des tyrans futurs ou inconnus pour me dispenser de frapper celui que j'ai déclaré convaincu avec la presque unanimité de cette Assemblée. Je vote pour la mort[68].

Tandis que les secrétaires s'occupaient du recensement des suffrages, deux lettres parvinrent à l'Assemblée, l'une, des avocats de Louis XVI, l'autre, de je ne sais quel agent du roi d'Espagne, qui, faiblement et tardivement, venait intercéder en faveur de son parent. Passant à l'ordre du jour sur celle-ci, la Convention délibéra immédiatement sur la première, par laquelle les défenseurs du roi demandaient à être entendus. Mais, disait Robespierre, il faut, dans tous les cas, qu'avant tout l'arrêt soit rendu et prononcé. Et même, après cela, l'audition et les réclamations des avocats de Louis seraient, selon lui, contraires aux principes. En adoptant le système des défenseurs ne s'exposerait-on pas à voir chaque jour, sur le moindre prétexte, les plus minutieuses chicanes s'élever contre un décret de l'Assemblée ? Il concluait donc à ce que, dès à présent, le président prononçât le résultat du scrutin et à ce qu'ensuite on passât à l'ordre du jour sur la demande des défenseurs de Louis. L'Assemblée se contenta d'ajourner leur admission après le dépouillement du scrutin. Trois cent quatre-vingt-sept voix, sur sept cent vingt et un votants, s'étant prononcées pour la mort, le président, — c'était Vergniaud, — déclara, au nom de la Convention nationale, avec l'accent d'une profonde douleur, que la peine encourue par Louis Capet était la mort[69]. Un silence profond, imposant, régnait dans l'Assemblée[70] : chacun sentait l'importance du vote qu'il venait d'émettre, et que désormais la question était bien tranchée entre la monarchie de l'ancien régime et la Révolution. On a prétendu quelquefois que la Convention nationale avait voté sous la pression des sections parisiennes, on a menti ; jamais le calme et la tranquillité n'avaient été plus grands dans Paris : cela fut attesté par deux lettres, l'une du maire de Paris, l'homme de la Gironde ; l'autre du ministre de la justice, Garat, l'homme de la Montagne[71]. Ils songeaient bien à la peur, ces géants de la Convention, qui, suivant l'expression de l'un d'eux, avaient fait un pacte avec la mort. Quels que puissent être nos regrets de cet arrêt rigoureux, au point de vue de la politique ou du sentiment, nous ne devons pas en blâmer nos pères, parce qu'ils accomplirent un acte de conscience. Maintenant il y a une remarque à faire : c'est que la plupart des gens qui jettent sans cesse à la face de la République les victimes de la justice révolutionnaire se montrent d'ordinaire d'une excessive indulgence à l'égard des massacres et des meurtres juridiques dont, après le 9 Thermidor et les événements de 1815, ont été victimes tant de grands citoyens, qui n'avaient commis qu'un seul crime, celui d'avoir trop aimé et trop bien servi la patrie.

 

XII

Quand la sentence de mort eut été rendue, on introduisit les trois défenseurs du condamné. Après avoir donné lecture d'un acte de protestation de Louis XVI contre le jugement qui le frappait, ils réclamèrent pour leur client la faculté d'en appeler au peuple français de l'arrêt prononcé contre lui, et prétendirent que les formalités protectrices de l'accusé n'avaient pas été observées, en ce que la loi exigeait pour la condamnation les deux tiers des voix. L'Assemblée, tout émue des larmes du vieux Malesherbes, accorda d'une voix unanime aux défenseurs les honneurs de la séance.

Mais était-il possible de revenir sur un décret Tendu, celui de l'appel au peuple, sans remettre pour ainsi dire tout ce grand procès en question ? La mesure proposée ne jetterait-elle pas la nation dans une position plus critique que celle où elle se trouvait auparavant ? Comment ! on avait condamné un roi pour donner un grand exemple au monde, pour consolider la liberté en France, hâter son avènement dans toute l'Europe et surtout pour raffermir la tranquillité publique ébranlée, et tout cela serait compromis par des moyens dilatoires, et l'on courrait au-devant de maux qu'on avait cru guérir par un décret sévère ! Ce fut ce que Robespierre s'efforça de faire valoir en quelques paroles dont la rigueur était tempérée par une sensibilité qui y ajoutait plus de poids : Vous avez donné aux sentiments de l'humanité tout ce que ne lui refusent jamais des hommes animés de son pur amour. Et moi, qui ai éprouvé aussi les sentiments qui vous animent, je vous rappelle dans ce moment à votre caractère de représentants du peuple, aux grands principes qui doivent vous guider si vous ne voulez pas que le grand acte de justice que vous avez accordé à la nation elle-même ne devienne une nouvelle source de peine et de malheur. L'appel dont les défenseurs de Louis XVI avaient demandé acte était à ses yeux capable de devenir une semence de discorde et de troubles, un signal de ralliement et de révolte pour l'aristocratie, et un moyen de reproduire dans un autre moment des prétentions coupables. En conséquence, loin d'en faire mention dans son procès-verbal ou de le consacrer par son silence, la Convention se devait à elle-même de le déclarer nul, attentatoire à la liberté, et de défendre à qui que ce fût d'y donner suite, sous peine d'être poursuivi comme perturbateur de la tranquillité publique et comme ennemi de la patrie[72].

Quant au moyen tiré de la prétendue inobservation des formes, moyen appuyé un peu à la légère par Guadet, le jurisconsulte Merlin se chargea de le combattre. Et sa compétence était irrécusable, il venait lui-même de pratiquer la loi pendant neuf mois comme président du tribunal criminel de Douai. Sans douté pour la déclaration du fait, il fallait non pas seulement les deux tiers des voix, mais dix sur douze : or, sur ce point la Convention s'était, on l'a vu, prononcée presque à l'unanimité ; mais il n'en était pas de même quand il s'agissait de l'application de la peine : trois voix sur cinq suffisaient dans ce cas[73]. Robespierre reprit la parole pour combattre à son tour le discours insidieux de Guadet[74] ; et, sur sa proposition, l'Assemblée, déclarant qu'il n'y avait pas lieu à statuer sur l'ajournement demandé par Guadet, rejeta l'appel interjeté par Louis ; puis elle ajourna au lendemain la discussion de la question de savoir s'il serait sursis à l'exécution de l'arrêt de mort[75]. Ce fut le dernier acte de cette longue et dramatique séance ; elle n'avait pas duré moins de trente-six heures. Quand, le jeudi, les membres de la Convention quittèrent la salle de leurs séances, il était près de onze heures du soir.

Robespierre avait joué dans ce procès un rôle considérable, et il est possible, comme le prétend Garat dans son Mémoire justificatif, que les considérations politiques développées par lui aient décidé un certain nombre de ses collègues à voter une mesure que réprouvaient leurs cœurs. Lui-même avait dû faire violence à ses sentiments les plus chers pour insister avec autant de force sur la nécessité d'appliquer la peine capitale au dernier roi des Français. Il y eut cependant un homme dont le vote rigoureux l'étonna et l'affligea singulièrement, ce fut celui du ci-devant duc d'Orléans : Uniquement occupé de mon devoir, convaincu que tous ceux qui ont attenté ou attenteront par la suite à la souveraineté du peuple méritent la mort, je vote pour la mort ! avait dit Philippe Égalité, et ses paroles avaient été accueillies par une sourde rumeur. Comment la parenté séculaire qui l'unissait à l'accusé n'avait-elle pas arrêté sur ses lèvres ce mot terrible : la mort ? La crainte de compromettre sa réputation de patriote avait-elle étouffé dans son cœur tous les sentiments de famille, ou, comme on l'a dit, espérait-il ramasser un jour la couronne de France dans le sang de l'aîné de sa race ? Ah ! sombres abîmes du cœur humain, qui pourra vous sonder jamais ! Quoi qu'il en soit, Robespierre ressentit de ce vote une impression affreuse. Il rentra tout attristé dans la maison de Duplay, où on l'attendait avec impatience. En racontant à ses hôtes toutes les péripéties de la longue séance, il ne put s'empêcher de revenir sur ce vote d'Égalité, dont il avait été si péniblement affecté : Quoi ! dit-il, lorsqu'il pouvait se récuser si aisément ![76]

Le lendemain s'agita, dans une séance orageuse, la question du sursis. Au début, Bréard proposa à la Convention de rédiger une adresse au peuple pour lui expliquer les motifs qui l'avaient déterminée à voter la mort de l'ex-roi. Robespierre, après divers membres, Thuriot, Tallien et Lacroix entre autres, prit la parole afin de combattre et le projet d'adresse et le sursis. Pourquoi une adresse au peuple ? Bien de plus impolitique à ses yeux. La mesure prise par l'Assemblée était donc tellement audacieuse et étonnante qu'elle eût besoin d'excuse et d'explication ? Il fallait écarter par l'ordre du jour une proposition injurieuse même pour le peuple, dont elle semblait révoquer en doute les sentiments, les vertus et l'énergie républicaines. Quant au second point, il ne concevait pas par quel prétexte, après les délibérations précédemment prises, on pouvait chercher à éluder ou à retarder l'exécution d'un jugement rendu. Voulait-on, en invoquant des sentiments de pitié ou de terreur, réveiller des espérances coupables et funestes ? L'humanité même, pensait-il, commandait une prompte exécution ; car n'était-ce pas une torture horrible que celle qui, chaque jour, à toute minute, présentait au condamné l'image de son supplice et de sa mort ? A ce propos, il rappelait, comme un monument honteux pour le gouvernement brisé par la Révolution, qu'un des édits de Lamoignon mettait un intervalle entre la condamnation d'un accusé et son supplice. Enfin tout délai était un danger pour la tranquillité publique. Garderait-on Louis comme otage, pour transiger au besoin avec les despotes coalisés contre la République ? Quel Français ne frémirait à cette idée ? s'écriait Robespierre. Si nous pensions seulement à composer avec la tyrannie, nous serions déjà vaincus, notre liberté serait ébranlée ou anéantie par ce caractère honteux de servitude et de pusillanimité. Si l'Assemblée se refusait à prononcer sans désemparer, il lui demandait de décréter au moins qu'il serait statué le lendemain, sur la question de sursis, et que, si le résultat était contraire au condamné, l'exécution aurait lieu dans les vingt-quatre heures.

On vit une fois de plus, dans cette séance, combien étaient violentes toutes les passions qui agitaient la Convention nationale. La Montagne, dont les rangs se grossissaient, devenait menaçante à son tour. Au sein du comité de défense générale, Guadet, s'adressant à Marat, lui avait dit qu'on ne devait condamner le tyran à mort qu'après avoir prononcé cette peine contre tous les coquins[77], et l'on entendit Poultier s'écrier en pleine Assemblée : C'est une occasion superbe d'anéantir tous les royalistes. — Et les Brissotins, ajouta une voix. — Répandus confusément dans la salle, les membres de la Convention refusaient de se remettre en séance. L'obstination avec laquelle un certain nombre d'entre eux réclamaient le sursis fit craindre aux autres qu'on ne cherchât à soustraire par quelque intrigue le roi à sa condamnation. Au moment où l'on allait se séparer, Robespierre remonta à la tribune et supplia les bons citoyens d'user de tous leurs efforts pour empêcher le peuple, dans son impatience, de se porter à quelque extrémité. Il demanda que le commandant général de la garde nationale, la municipalité, les sections de Paris, les fédérés, ces braves citoyens qui en cimentant par leurs embrassements fraternels la paix entre eux et leurs frères d'armes de Paris, allaient assurer à jamais la tranquillité publique, fussent avertis, et surtout qu'on leur recommandât le calme le plus profond. Maintenant, citoyens, dit-il, retirons-nous ; demain nous viendrons reprendre nos glorieux travaux pour épouvanter les rois et affermir la liberté[78]. Le jour suivant 19, comme si déjà la Convention n'était pas assez divisée, Buzot, soutenu par Barbaroux et par Brissot, recommença ses éternelles diatribes contre Paris. On n'était si pressé de se défaire du roi déchu, prétendait-il, que pour en mettre un autre à sa place. A cette calomnie, l'Assemblée répondit en repoussant par 380 voix contre 310 la demande de sursis. Il était trois heures du matin quand elle se sépara. Dans la soirée du 20, aux Jacobins, Robespierre, après avoir fait l'éloge d'un tout jeune homme nommé Charles Bernier, qui avait perdu un bras au siège de Lille, engagea tous ses collègues du club à prémunir leurs concitoyens contre les pièges qu'on leur tendrait pour exciter de la fermentation dans Paris. Un calme imposant et terrible autour de l'échafaud de Louis XVI, tel était, selon lui, le moyen de glacer d'effroi les ennemis de la liberté. Il fallait oublier les intrigants, les laisser tomber sous le mépris public. Nous n'avons qu'une passion, dit-il, c'est la liberté ; nous en jouirons, et nous ferons le bonheur de la République. Il demanda donc qu'une adresse, recommandant à la population parisienne la plus stricte tranquillité, fut affichée le lendemain dans les rues à la pointe du jour. La société s'empressa d'adopter cette sage proposition[79]. Le lendemain, — c'était le 21 janvier, — Duplay tint soigneusement fermée, dès le matin, la porte cochère de sa maison, devant laquelle devait passer le funèbre cortège menant Louis XVI à l'échafaud. Éléonore, l'aînée des filles du menuisier, étonnée de cette mesure inaccoutumée, en demanda la raison à Robespierre. Ah ! répondit Maximilien, qui sans doute avait suggéré cette idée à son hôte afin d'épargner à l'honnête famille la vue pénible d'un patient conduit au supplice, c'est qu'il passera aujourd'hui devant la maison de votre père quelque chose que vous ne devez point voir[80]. Ce jour-là, vers dix heures et demie, la tête du roi tombait sur la place même où s'élevait naguère la statue de son aïeul, de ce Louis XV dont il expiait le règne honteux. Citoyens, s'était écrié Cambacérès à la Convention nationale, en prononçant la mort du dernier roi des Français, vous avez fait un acte dont la mémoire ne passera point, et qui sera gravé par le burin de l'immortalité dans les fastes des nations[81]. — Quand jadis un roi mourait à Versailles, on criait : Le roi est mort, vive le roi, comme pour faire comprendre l'immortalité du despotisme, écrivit Robespierre ; lorsque tomba la tête de Louis, le cri de Vive la République s'échappa de cent mille poitrines, comme, pour apprendre à l'univers qu'avec le monarque était morte la monarchie[82].

 

XIII

La veille, un événement tragique avait jeté la stupeur et la colère dans l'âme des patriotes. Un membre de la première Assemblée constituante et de la Convention, un ancien grand seigneur, devenu l'un des plus intimes amis de Robespierre, près duquel il siégeait sur les bancs de la Montagne, Lepeletier Saint-Fargeau, avait été assassiné au Palais-Royal, chez le restaurateur Février. Son assassin était un ex-garde du corps, nommé Pâris, lequel avait voulu venger la mort de son roi. Plus d'un représentant avait reçu des menaces anonymes. A Jean-Bon Saint-André on avait écrit qu'on l'assassinerait lui et sa femme, s'il votait la mort de Louis. Couthon avait reçu une lettre semblable[83]. Combien peu ils connaissaient de tels hommes, ceux qui s'imaginaient les effrayer par des menaces pareilles !

On sait quelle universelle émotion causa la nouvelle de ce meurtre ; il eut cela de funeste surtout qu'il commença à bannir du cœur des républicains toute indulgence et toute pitié. Le jour même où l'on conduisait Louis XVI à l'échafaud, Barère appuyait la motion d'ordonner des visites domiciliaires, à la condition de les entourer de toutes les formes protectrices de la liberté des citoyens ; puis, il proposait à l'Assemblée de décréter la peine de six années de fers contre tous citoyens qui, recélant des émigrés dans leurs maisons, n'en feraient pas 4a déclaration aux municipalités et aux sections dans le plus bref délai, et terminait en réclamant pour Michel Lepeletier les honneurs du Panthéon.

Robespierre prit ensuite la parole. C'était bien sur la tombe d'un ami de la liberté qu'on devait prêter le serment de sauver la patrie, disait-il ; mais il ne fallait pas que cet attentat fût une occasion de violer les principes. Il combattit donc vivement une motion de Bréard, tendant à faire attribuer à la Convention elle-même l'exercice de la police afin d'assurer la sécurité de ses membres. C'était aux autorités constituées à déjouer les complots de la malveillance, et il n'y avait pas de raison pour porter atteinte à la hiérarchie des pouvoirs. Quant à la proposition de Barère concernant les recéleurs d'émigrés, il l'appuyait, pourvu toutefois que la loi n'atteignît pas des citoyens qui sans le savoir auraient donné asile à un émigré.

Lui aussi demanda les honneurs du Panthéon pour Michel Lepeletier, dont il prononça l'éloge. Plus qu'un autre peut-être ce grand citoyen avait droit à cette récompense nationale, puisque, né dans la caste privilégiée, il était, depuis la Révolution, resté constamment l'ami du peuple et le soutien de la liberté. Ces honneurs, Robespierre les réclamait pour les vertus de son ami, pour ses sacrifices à la patrie, et enfin pour donner un grand caractère à la République naissante. Sur cette tombe entr'ouverte, il aurait voulu comme un autre voir se sceller l'union de tous les citoyens ; cette union, il l'avait appelée de se ? cris plaintifs ; mais comment y parvenir sans supprimer la cause des troubles qui ne cessaient d'agiter la Convention ? Or, la cause essentielle de ces troubles, n'étaient-ce point ces calomnies atroces dirigées contre les membres les plus populaires de l'Assemblée, calomnies dont Lepeletier lui-même avait été quelquefois victime ? Robespierre profita de cette occasion pour sommer la Convention de porter un regard attentif sur l'emploi des sommes destinées à former l'esprit public et d'examiner avec une sévérité républicaine si celui qui avait été chargé de ce dépôt en avait fait un usage respectable[84].

Après avoir, avec tant d'acharnement et depuis si longtemps poursuivi leurs adversaires, les Girondins devenaient à leur tour l'objet des plus sérieuses attaques. Juste retour des choses d'ici-bas ! Le vote de la Convention dans la question de l'appel au peuple, en les avertissant d'une défaite prochaine, aurait dû les rendre plus sages. Dans ce grand procès du roi ils avaient décidément compromis l'énorme influence dont ils avaient joui jusque-là dans le sein de l'Assemblée. Et en réalité, combien n'avait-il pas été ridicule d'entendre Brissot et ses amis menacer, pour ainsi dire, la République des armes de l'Angleterre et de la colère des tyrans de l'Europe ! Ce fut grâce à ce pitoyable argument sans doute que Pitt put se vanter, dans la chambre des communes, de s'être assuré la majorité des voix dans la Convention nationale, et de n'avoir trouvé de résistance que dans un petit nombre de républicains intraitables[85]. Quel triste spectacle donné à la République par ces membres de la Convention qui du haut de la tribune avaient, à grands cris, appelé de tous les départements des gens armés pour exterminer les principaux membres de la Montagne hautement désignés comme des anarchistes, comme des agitateurs et même comme des royalistes, témoin la fameuse brochure de Louvet : A Maximilien Robespierre et à ses royalistes. Mais les Girondins virent leurs propres armes se retourner contre eux. Il arriva, en effet, qu'une foule de fédérés accourus à leur voix, reconnurent bientôt leur erreur en présence du calme et du patriotisme de la grande cité. Dans une fête patriotique, improvisée sur la place du Carrousel la veille du jugement de Louis XVI, ils se joignirent au peuple de Paris et jurèrent de faire cause commune avec lui. Ainsi la faction girondine trouva des adversaires et des surveillants dans les citoyens mêmes qu'elle avait appelés comme ses soldats et ses satellites[86].

Et pourtant Pétion avait exprimé une grande vérité quand, prenant la parole après Robespierre, il avait dit que les hommes les plus opposés en apparence voulaient également la liberté. — La liberté oui, mais non la démocratie franche, sans laquelle la liberté n'est que le privilège de quelques-uns. — Seulement n'y avait-il point quelque naïveté de sa part à se demander quelle fatalité empoisonnait les intentions ? Ne savait-il pas d'où étaient partis les premiers coups, et que le ministère de son ami Roland était l'arsenal où se fabriquaient ces épouvantables calomnies si justement flétries par Robespierre et qui, par malheur allaient entraîner de terribles représailles ? Enfin lui-même, qui aurait pu si bien être le trait d'union entre la Gironde et la Montagne, n'avait-il pas envenimé la querelle en donnant son appoint à la première et en diffamant à son profit l'ami dont il avait si longtemps pressé la main loyale ? Son étonnement était donc à la fois bien ridicule et bien naïf. Il appuya complètement, du reste, quant aux mesures proposées à l'égard de Lepeletier, l'opinion de Robespierre, et, après un rapport du ministre de la justice, la Convention décréta qu'elle assisterait tout entière aux funérailles de Lepeletier, assassiné pour avoir voté la mort du tyran, et que les honneurs du Panthéon seraient décernés à l'illustre victime[87]. Mais en même temps, elle décidait le renouvellement du comité de sûreté générale ; puis, adoptant la proposition de Robespierre, elle supprimait le trop fameux bureau de formation d'esprit public institué par Roland, et ordonnait que ce ministre rendrait compte de sa gestion[88]. C'était un premier coup porté aux Girondins, coup d'autant plus terrible que dans la séance du soir la Montagne entrait en masse dans le comité de sûreté générale renouvelé.

Bazire, un des nouveaux membres du comité, proposa à l'Assemblée de décréter, séance tenante, la peine de mort contre quiconque aurait caché l'assassin de Lepeletier ou simplement favorisé sa fuite. Boyer-Fonfrède et Defermon combattirent ce décret, mais seulement sous le rapport de la rédaction ; Defermon en préparait une autre, quand Robespierre monta à la tribune. Il venait combattre le fond même de la motion, et, de l'aveu d'un de ses plus mortels ennemis, il opposa à tout ce qu'on avait dit pour la soutenir des arguments irréfragables[89]. Elle était, selon lui, contraire à tous les principes. Mais il importe de mettre sous les yeux du lecteur les paroles mêmes de ce grand calomnié : Quoi ! au moment où vous allez effacer de votre code pénal la peine de mort, vous la décréteriez pour un cas particulier ! Les principes d'éternelle justice s'y opposent. Pourquoi d'ailleurs sortir de la loi pour venger un représentant du peuple ? Vous ne le feriez pas pour un simple citoyen ; et cependant l'assassinat d'un citoyen est égal, aux yeux des lois, à l'assassinat d'un fonctionnaire public. Je demande que les lois existantes soient exécutées contre le meurtrier de notre malheureux collègue, et que, sur les propositions que l'on a faites, l'Assemblée passe à l'ordre du jour[90]. Ce qui fut à l'instant adopté. On voit combien lui répugnaient les sévérités inutiles, et surtout combien il était opposé aux mesures sanguinaires. A cette heure encore il songeait à effacer du code pénal la peine de mort. Ah ! certes, il fallut que les ennemis de la Révolution fussent bien implacables pour amener ces fondateurs de la démocratie à se montrer sans pitié à leur tour.

 

XIV

Le 2i janvier eurent lieu les funérailles de Michel Lepeletier ; elles dépassèrent en magnificence celles même de Mirabeau. Chargé par la société des Jacobins de prononcer devant la France entière l'oraison funèbre de son ami, Robespierre avait rendu, en quelques pages écrites à la hâte, un éclatant hommage à la mémoire du patriote mort au champ d'honneur. Il montra l'ancien grand seigneur passant, dès le premier jour, du sein d'une corporation puissante tout acquise au despotisme, dans les rangs des défenseurs de la liberté, et, depuis le commencement de la Révolution, luttant de zèle avec eux ; il le montra tout dévoué à la cause de l'égalité, et, à Paris, dans le département de l'Yonne dont il était le député, partout enfin où étaient situées ses propriétés, employant sans ostentation son immense fortune au soulagement des malheureux. Mais c'était surtout dans ces derniers temps, disait Robespierre, qu'on l'avait vu déployer son âme tout entière. Sourd aux obsessions des intrigants qui occupaient le pouvoir, il avait préféré, dédaignant les avantages qu'offre aux hommes de bonne volonté la faveur des hommes en place, rester fidèle à la cause populaire, au risque d'être réputé séditieux et flatteur du peuple, et se déclarer l'ami, le compagnon d'armes des députés républicains qu'une armée de libellistes, soudoyés par un ministre coupable, dévouait à la rage des contre-révolutionnaires sous le nom d'anarchistes, d'agitateurs et de factieux. Enfin, président des Jacobins peu de temps avant le crime exécrable dont il avait été victime, il avait lutté énergiquement contre les fatales lenteurs suscitées à dessein dans le procès du roi pour arracher le coupable à la vindicte nationale. Ô Peletier ! s'écriait Robespierre, tu étais digne de périr pour la patrie sous les coups de ses assassins ! Ombre chérie et sacrée, reçois nos vœux et nos serments. Généreux citoyen, incorruptible ami de la vérité, nous jurons par tes vertus, nous jurons par ton trépas funeste et glorieux, de défendre comme toi la sainte cause dont tu fus l'apôtre... Nous envions ta mort, et nous saurons imiter ta vie. En terminant, il engageait la France entière à joindre ses éloges et ses hymnes funèbres à ceux des citoyens de Paris qui allaient déposer au Panthéon les restes de cette grande victime. Lepeletier laissait à son pays un monument digne, à lui seul, d'immortaliser à jamais sa mémoire : c'était un plan d'éducation commune où était posé le principe de l'instruction gratuite et obligatoire, et que Robespierre se chargera plus tard de faire connaître à la République.

Cette sorte d'oraison funèbre destinée à toutes les communes de France avait été lue aux Jacobins le 23 janvier, la veille même des funérailles, et accueillie par de vifs applaudissements. La société en avait immédiatement ordonné l'impression, l'envoi aux départements, aux sociétés affiliées, et la distribution à chacun de ses membres[91]. Robespierre avait-il été lui-même l'objet d'une tentative d'assassinat, c'est ce que nous ne sommes point parvenu à découvrir ; mais comme, après avoir achevé sa lecture, il se disposait à se rendre à la Convention où la nomination du président était à l'ordre du jour, un militaire demanda qu'il fût accompagné jusqu'à la porte de l'Assemblée, parce qu'un des soirs précédents il avait failli être assassiné[92]. Il ne paraît pas qu'on ait statué sur cette proposition, dont, sans nul doute, Robespierre n'eût pas accepté le bénéfice.

Plusieurs départements imitèrent l'exemple de Paris, et rendirent à la mémoire de Michel Lepeletier des honneurs extraordinaires. Dans la séance du 1er février, aux Jacobins, un membre se disposait à tracer le tableau de ces cérémonies diverses, quand on réclama l'ordre du jour. Mais, s'écria Robespierre, le véritable ordre du jour, n'est-ce point d'entendre le récit des honneurs funèbres rendus à un martyr de la liberté ? Rien n'était plus propre, selon lui, à enflammer les cœurs du saint amour de la patrie et à jeter la consternation dans l'âme des traîtres qui, à l'intérieur, travaillaient au succès de la coalition étrangère, c'était donc un excellent moyen de combattre les tyrans et les prêtres[93]. Ce fut l'avis de la société. Lepeletier Saint-Fargeau reçut dans cette séance une dernière ovation. Plus tard l'amitié de Robespierre devait être un titre de proscription pour sa mémoire. En pluviôse de l'an III, on fit le procès à tous les martyrs de la liberté, ombres inutiles, disait le terroriste André Dumont, sur lesquelles les buveurs de sang fondaient leurs espérances, et les cendres de Lepeletier furent bannies du Panthéon où, au temps de l'enthousiasme républicain et du patriotisme sincère, les avait portées la piété de ses concitoyens.

 

XV

Le lendemain même du jour où, sur la proposition de Robespierre, la Convention supprimait le bureau de la formation de l'esprit public organisé par le ministre de l'intérieur, et enjoignait à ce dernier d'avoir à rendre compte de sa gestion, Roland envoyait sa démission, que l'Assemblée acceptait purement et simplement, dans sa séance du 22 janvier, en décrétant que le portefeuille du département de l'intérieur serait remis au ministre de la justice. Malheureux Roland ! que de mal il avait fait, et que de bien il aurait pu accomplir, si au lieu d'être le serviteur d'une coterie, il avait été le véritable ministre de la République française !

Bien que, par Clavière, Monge et Le Brun, les Girondins conservassent encore la majorité au sein du conseil exécutif, la retraite de Roland portait à leur influence un coup irréparable. Ils le sentirent bien ; aussi, dans leurs journaux, redoublèrent-ils de violence contre celui dont la motion avait en quelque sorte forcé leur ministre favori à donner sa démission. N'ayant aucun grief sérieux à invoquer et n'osant trop avouer le sujet réel de leur colère, ils se répandirent en injures banales, en invectives grossières, en facéties calomnieuses. La Chronique de Paris, le Journal des Amis, le Patriote français, rivalisèrent de fureur, et semblèrent prendre à tâche de ressusciter ces fameux Actes des Apôtres où l'insulte et la calomnie étaient jadis prodiguées chaque jour aux meilleurs citoyens. Qui régnera sur moi ! se demandait Claude Fauchet, dans un article plein de rage peu évangélique. Est-ce la vipère d'Arras, le rejeton de Damiens, cet homme que son venin dessèche, dont la langue est un poignard et dont le souffle est du poison ? Est-ce lui qui sortira du trou qui le recelait durant les vrais combats de la liberté pour étendre sur ma tête républicaine le despotisme de la crainte et la dictature de l'anarchie ?[94] Le bon évêque ! il oubliait que dans son propre journal, la Bouche de fer, il avait porté Robespierre aux nues pour avoir défié presque seul les fureurs de la contre-révolution victorieuse, et pour s'être désigné d'avance et sans peur aux coups de la réaction. Il le montrait alors toujours ferme, inébranlable, indifférent aux attentats préparés contre sa personne. On croyait, disait-il dans son enthousiasme, entendre l'infortuné Rawleigh dire à ses bourreaux : Frappez ; quand le cœur est droit, qu'importe où va la tête ? De son côté, l'ingénieux Girey-Dupré mettait en couplet une phrase d'un article de Condorcet :

Suivi de ses dévotes,

De sa cour entouré,

Le dieu des sans-culottes,

Robespierre est entré...[95]

Ainsi s'évanouissaient les espérances chimériques d'une réconciliation générale des patriotes scellée du sang du dernier roi.

Sans daigner répondre à ces calomnies indignes d'un prêtre chrétien et à ces plaisanteries de gamin, Robespierre examinait froidement la situation, et s'occupait de rechercher les moyens d'y remédier. Sentant combien les événements extérieurs avaient d'influence sur ceux de l'intérieur, il se prenait à regretter cette diversion de la guerre qui forçaitla République à s'épuiser d'hommes et d'argent, dévorait à la fois la fortune publique et les meilleurs citoyens, et favorisait les projets ambitieux en distrayant la Convention des soins nécessaires à l'établissement de la liberté. Toutes les raisons invoquées par lui l'année précédente dans ces grandes discussions sur la guerre, où avait pris naissance la haine implacable des Girondins contre lui, il les faisait de nouveau valoir, et il est impossible de nier que la guerre extérieure n'ait singulièrement contribué à compliquer la situation. Pour lui, il craignait moins les despotes étrangers et l'Angleterre, dont la neutralité semblait sur le point d'être rompue, que les intrigues du dedans ; là était le véritable danger de la liberté. Le succès de la guerre dépendait moins, selon lui, de la grandeur des préparatifs et du nombre des soldats mis sur pied, que de l'esprit du gouvernement et des principes républicains dont la nation serait imprégnée. Les représentants du peuple français étaient à ses yeux la providence du genre humain, ils pouvaient, à leur gré, remuer la machine du monde. Et s'adressant à eux : C'est à vous surtout que ce destin est réservé, à vous à qui la plus puissante nation de l'univers a confié tout pouvoir, excepté celui de l'asservir ; à vous qui avez fait descendre la royauté au tombeau ; à vous qui pouvez imprimer le plus grand essor au courage d'un peuple magnanime que l'enthousiasme de la liberté rend capable de tous les prodiges. Seul entre tous les peuples du monde, il est fait pour rétablir sur la terre le règne de la liberté. Seul il joint les vertus douces aux vertus énergiques, et la modération des peuples éclairés à la vigueur des peuples libres.

Que ne pouvaient obtenir les législateurs d'un tel peuple, poursuivait-il, si, foulant aux pieds les viles passions, ils s'élevaient à la hauteur de leurs destinées, s'ils consentaient à devenir les bienfaiteurs de l'humanité ? Pour cela il fallait anéantir l'intrigue, confondre les factieux, punir le ministre dont la coupable condescendance avait entretenu pendant quatre mois le trouble et l'inquiétude au sein de la République, réprimer enfin l'audace de certains directoires qui, trop dociles instruments d'une faction pernicieuse, et d'accord présentement avec la Gironde comme jadis ils l'étaient avec la cour, osaient, de leur autorité privée, lever des armées pour marcher sur Paris. On se souviendra de ces paroles de Robespierre, quand trop prochainement, hélas ! on verra, à la voix des Girondins, une partie des départements se soulever contre Paris et contre la Convention nationale. Mais ce n'était pas tout, continuait l'inflexible logicien : il fallait encore, par des lois sages et humaines, assurer la subsistance du pauvre, l'arracher aux spéculations barbares d'une administration dévorante et à la cupidité homicide du monopole ; il fallait surveiller l'emploi des finances et les soustraire à l'empire de l'agiotage et de la friponnerie, se hâter d'abroger les lois oppressives, héritage de la tyrannie royale. — Hélas ! ces sortes de lois, on le sait, trouvent toujours moyen de surnager au milieu des révolutions et de leur survivre. — Il fallait enfin s'occuper des moyens de terminer promptement la guerre, ne pas permettre aux généraux de violer jamais impunément la loi, et surtout exciter le zèle des défenseurs de la patrie en leur garantissant un sort, à eux, à leurs femmes et à leurs enfants, dette contractée envers eux, et qu'on n'avait pas assez fidèlement acquittée jusqu'ici. A ces conditions, on pouvait espérer de faire enfin régner en France la droiture et la liberté, sinon on livrait le pays à la guerre civile et à l'anarchie[96].

Ces observations avaient à peine paru que, poussée à bout par les provocations de Pitt, la Convention nationale déclarait solennellement la guerre au gouvernement anglais (séance du 1er février 1793). Ce surcroît d'embarras pour la République inspira à Robespierre des réflexions nouvelles. Comparant le peuple français à Hercule, qui, pour atteindre ses glorieuses destinées, fut forcé de dompter tous les monstres par des travaux supérieurs aux forces humaines, il ne doutait pas que ses concitoyens n'élevassent leur caractère et leur énergie à la hauteur des circonstances. Un des moyens les plus propres, selon lui, à assurer notre triomphe, c'était de donner aux peuples étrangers une idée exacte de nos principes, afin qu'ils ne partageassent pas l'animosité de leurs tyrans contre la Révolution. Le cabinet de Londres, disait-il avec raison, est le centre de toutes les intrigues qui remuent l'Europe contre nous et qui agitent la France elle-même. Il n'eût pas osé sans doute se conduire de la sorte si le peuple anglais eut été parfaitement éclairé sur les principes de notre Révolution, si l'on ne lui en eut pas présenté sous un faux jour les principaux événements. Notre devoir, celui du conseil exécutif, était donc de propager la lumière parmi les peuples étrangers. Mais jusqu'à présent qu'avait-on fait pour réaliser cette utile mesure ? Ne trouvait-on pas dans la plupart des papiers soudoyés par le ministère anglais le style des journaux d'un certain parti ? Et ici Robespierre avait beau jeu contre ses adversaires de la Gironde. N'était-ce pas eux qui avaient accumulé calomnies sur calomnies contre les plus dévoués patriotes, et présenté Paris, ce berceau de la Révolution, comme le séjour du crime et le domaine de brigands et d'assassins. Quels moyens, s'écriait-il, de rendre la République naissante respectable aux yeux des peuples que de flétrir son berceau par les idées de sang, d'assassinats, de troubles et de factions ! Et, — fâcheuse coïncidence, — à qui s'adressaient les éloges de ces ministres et de ces membres du parlement anglais si acharnés contre notre Révolution ? à Roland et aux représentants perfides qui, de concert avec lui, inondaient la République de libelles diffamatoires.

Il s'agissait donc de réparer le mal. Un des remèdes les plus efficaces était, à son avis, de traduire dans la langue des différents pays et de publier au plus vite des écrits dictés par l'amour de la patrie et de l'humanité, exempts de toute influence d'esprit de parti. Puis, songeant au triste spectacle qu'avait déjà donné au monde la Convention nationale par ses divisions intestines, il engageait l'Assemblée à se souvenir qu'elle délibérait en présence de l'univers ; et fidèle à ses principes de modération, il invitait ses collègues à se tenir en garde contre les écarts même du zèle le plus sincère. Cela l'amenait à conseiller à ses concitoyens le respect de certains préjugés religieux chez des peuples étrangers, moins avancés que nous sous le rapport philosophique, mais tout disposés à ouvrir les bras à la Révolution. Au reste, rien de facile, suivant lui, comme d'attirer à nous ces mêmes peuples chez lesquels nous étions obligés de porter la guerre. Et ici quels conseils pleins de sagesse, avoués par la saine politique, tombaient de la plume de ce grand méconnu. Déjà par son manifeste du 15 décembre 1792, à l'auteur de laquelle Robespierre rendait un éclatant hommage, la Convention nationale avait déclaré que la République ne faisait pas la guerre aux peuples opprimés, mais aux gouvernements oppresseurs. Eh bien ! le moment était venu de mettre en pratique cette belle maxime. Il fallait surtout se garder de blesser l'orgueil et les préjugés nationaux de ces peuples, et leur offrir, en leur garantissant l'exercice de leur souveraineté, le droit de se donner librement une constitution. Au contraire, en violant ce principe, on risquait de se les aliéner, de fortifier le parti aristocratique, et de ménager à leurs gouvernements mêmes des ressources dans leur propre mécontentement.

Les événements de 1813 sont là pour nous apprendre combien Robespierre voyait juste. On peut aider la liberté, disait-il encore avec raison, jamais la fonder par l'emploi d'une force étrangère. Car, pensait-il, ceux qui veulent donner des lois les armes à la main, passeront toujours pour des conquérants et des étrangers. Je n'aime pas les missionnaires armés, avait-il dit l'année précédente dans un de ses grands discours sur la question de la guerre. Donc, après avoir proclamé chez les peuples étrangers la souveraineté des nations et la Déclaration des droits, on devait les laisser régler eux-mêmes la forme de leurs gouvernements, et interdire sévèrement à nos généraux et à nos armées de s'immiscer dans leurs affaires publiques. C'était là l'unique moyen de ne point décréditer le nom français, et il était plus que jamais urgent de l'appliquer au moment où l'on allait envahir la Hollande et tirer l'épée contre l'Angleterre.

Précisément se trouvaient à Paris, en ce moment, des délégués du peuple batave. Ils avaient donné lecture aux Jacobins d'une adresse où étaient éloquemment dépeintes la situation et les espérances des Hollandais, lesquels réclamaient l'intervention de la France pour se délivrer du stathouder, leur tyran ; à quoi le président des Jacobins avait répondu que la seule ambition de la République était de porter aux peuples esclaves cette liberté sans laquelle tous les autres biens n'étaient que des calamités publiques. Sur la proposition de Robespierre, la société avait voté l'impression du discours des délégués bataves et de la réponse du président, comme devant contribuer au triomphe des gueux et des sans-culottes[97]. De cette sorte d'attrait qu'exerçait sur les peuples voisins notre Révolution, Robespierre tirait cette conséquence qu'on avait tout intérêt à les traiter avec le plus grand ménagement. Ainsi, il recommandait qu'après les avoir laissés absolument maîtres de délibérer sur leur constitution, on apportât le plus grand soin à ménager leurs intérêts pécuniaires en opposition avec les idées politiques et philosophiques importées chez eux, et il souhaitait vivement que la Convention nationale décrétât la restitution de tous les navires pris par la République aux peuples qui feraient alliance avec elle. En agissant de la sorte, on était sûr, à son avis, de fraterniser avec les nations étrangères, de les intéresser à la cause de la Révolution, et de changer en actes utiles et glorieux les magnifiques formules déjà promulguées[98].

 

XVI

La mort du roi semblait avoir donné à la Convention nationale une vie nouvelle. A l'ordre du jour se trouvaient incessamment les questions les plus importantes : guerre, finances, réorganisation du gouvernement, instruction publique. Quand Robespierre ne prenait point de sa parole part aux débats provoqués par ces importantes questions, il ne manquait pas de les étudier avec un soin tout particulier dans son journal. C'est ainsi qu'il avait rédigé des observations générales sur un plan d'instruction publique proposé à l'Assemblée. Que de préjugés à vaincre, pensait-il, pour obtenir une bonne loi sur cette matière, qui pourtant était intimement liée aux destinées de la République. De même que le premier objet des institutions politiques devait être de défendre la liberté des citoyens contre le gouvernement lui-même, de même le but de l'éducation publique devait être de poser une nouvelle barrière autour des droits du peuple : d'où résultait nécessairement, selon lui, la liberté de l'enseignement ; car l'éducation des citoyens laissée dans la dépendance absolue des gouvernants courrait risque de devenir un obstacle aux progrès des lumières. Dans les plans d'éducation proposés jusqu'à ce jour il avait trouvé quelques institutions antiques, des réminiscences historiques, mais point de principes, point de conceptions morales ni philosophiques. Au reste il fallait d'abord, pensait-il, repousser les ennemis de la République, déconcerter les complots qui chaque jour se renouvelaient dans l'intérieur, et l'on serait digne alors d'entreprendre le grand ouvrage de l'instruction publique[99]. Nous aurons à examiner plus tard avec un peu plus de développement ses vues sur cet objet.

Vers le même temps, la Convention nationale songeait à la nouvelle constitution à donner à la France ; la société des Jacobins s'en préoccupait surtout singulièrement : on semblait appréhender d'avance qu'elle ne renfermât les mêmes vices qui avaient déparé l'œuvre de la Constituante. Non, disait Robespierre à la séance du 15 février, le jour même où Condorcet avait présenté à la Convention le plan de l'acte constitutionnel, ces vices ne reparaîtront pas ; ils ont été généralement sentis, et les principes éternels de la raison et de la justice ont fait assez de progrès pour qu'on ne retombe pas dans les mêmes erreurs. Le seul obstacle à craindre, c'était peut-être le reste de défiance dont quelques membres de la Convention, influencés par les libelles de la faction girondine, semblaient encore animés à l'égard de quelques-uns de leurs collègues ; mais Robespierre n'en croyait pas moins très-prochain le triomphe des vrais patriotes, auxquels il garantissait la victoire s'ils prenaient une attitude calme et déployaient la raison dans toute sa majesté. On arriverait par là à présenter au monde une constitution empreinte du caractère de la fierté républicaine et de la philanthropie. Seulement, il était indispensable de montrer un respect inviolable pour la loi, afin de ne pas fournir aux ennemis de la liberté l'occasion de décrier le gouvernement populaire et de le présenter comme un foyer d'anarchie, comme une source d'éternelles dissensions. On parviendrait ainsi, ajoutait-il, à déjouer les noirs desseins d'émissaires payés pour diviser les citoyens et troubler la capitale[100]. Quelques jours après, il était nommé membre d'un comité organisé par la société pour étudier les bases d'une nouvelle constitution républicaine[101].

Au moment même où Robespierre donnait à ses concitoyens de si sages conseils et où il les exhortait à se prémunir contre les excès auxquels les ennemis de la liberté ne se feraient pas faute d'essayer de les porter, — car il savait bien que la Révolution ne pourrait avoir de plus dangereux adversaires que ceux qui, sous prétexte de la servir, tendraient à l'exagérer-se produisit dans Paris une agitation très-vive produite par la cherté des subsistances. Des pétitionnaires s'étaient présentés à la barre de la Convention dans la séance du 12 février, et, du ton le plus inconvenant, ils avaient sommé l'Assemblée de rendre au plus vite une loi sur les subsistances. Cette démarche hautaine et provocante, faite au moment où la Convention s'occupait sans relâche de résoudre le plus vite possible les questions intéressant le plus la grandeur et la prospérité du pays, où elle traçait un plan de l'armée digne des héros et des législateurs de la République française, où elle adoptait l'idée nouvelle de l'impôt progressif de façon à charger principalement les grosses fortunes du poids des dépenses publiques, où enfin elle abolissait les procédures relatives aux troubles populaires, cette démarche, disons-nous, parut à Robespierre avoir été provoquée par les ennemis de la Révolution, lesquels n'ignoraient pas que de tous les moyens propres à abuser la population, le plus favorable et le plus fécond était de répandre des inquiétudes au sujet des subsistances. Il n'hésita donc pas à blâmer hautement une pareille manœuvre et à flétrir dans son journal ceux qui, sous le masque d'un patriotisme d'emprunt, cherchaient à porter le peuple à des excès.

Il est un art exécrable, familier à tous les adversaires de la liberté, c'est d'en exagérer les principes pour les décréditer ensuite. Cette dernière ressource de l'aristocratie au désespoir, elle était bien connue de Pitt, disait Robespierre, de ce ministre odieux, secondé par tous les intrigants, par tous les fripons de l'Europe et de la France. Ce génie malfaisant, digne d'être vanté par tous les ennemis de la vertu, qui bannit de l'Angleterre tous les patriotes français, tandis que. nous ouvrons généreusement notre sein à tous les espions et à tous les assassins qu'il entretient au milieu de nous, n'a pu sauver le tyran par son or ni par ses intrigues ; il lui reste la détresse publique pour obtenir les troubles qu'il a tant de fois tenté d'exciter. Sans doute, poursuivait Robespierre, la majorité des pétitionnaires qui avaient comparu à la barre étaient bien intentionnés, mais parmi eux s'étaient glissés des hommes intéressés à diriger vers un but sinistre les démarches les plus légitimes en elles-mêmes ; et l'emportement avec lequel ils cherchaient à irriter les esprits était étranger au véritable patriotisme. Ne les avait-on pas entendus, à cette occasion, menacer d'une révocation les députés de Paris, accusés de vouloir faire mourir le peuple de faim ? C'était à la raison publique, au peuple lui-même à confondre cette nouvelle manœuvre. Passagères et rares, les erreurs du peuple étaient toujours le crime des circonstances fatales ou d'individus pervers. Mais il devait compter sur la Convention nationale comme elle comptait sur lui, déjouer les complots de l'intrigue et de l'aristocratie par sa sagesse, par son éloignement pour les excès, et se garder de compromettre la République par des désordres funestes. Quant à ses représentants, ne lui avaient-ils pas donné déjà toute la mesure de leur dévouement ? Ce n'est pas du pain seulement que nous devons au peuple françaisles despotes en donnent à leurs sujets —, disait Robespierre en terminant ; c'est la liberté cimentée par des lois humaines, c'est la dignité des citoyens, c'est la jouissance des droits sacrés de l'humanité et l'exercice de toutes les vertus sociales que la République développe[102]. Eh bien, ces conseils, marqués au coin de la modération et de la véritable sagesse, Robespierre ne cessa de les faire entendre aux jours les plus sombres de la Terreur.

En même temps, il rédigeait, au nom de ses collègues de la représentation de Paris, une adresse aux électeurs de ce département, dans laquelle se trouvaient reproduites en substance les observations dont nous venons de tracer une analyse sommaire, et où il adjurait de nouveau la population de cette grande ville de ne point compromettre la cause de la liberté par une précipitation insensée. A ces personnages, dont le civisme bruyant semblait dépasser celui des premiers lutteurs de la Révolution, on n'avait qu'à demander autant de preuves de patriotisme désintéressé qu'ils exigeaient eux-mêmes autrefois de preuves de noblesse ; car il n'était pas impossible que ceux qui avaient toujours cherché à avilir le peuple voulussent le pousser aujourd'hui aux extrêmes pour perdre la Révolution par ses propres excès. Détruire Paris, son influence morale, tel était le but de tous les ennemis de la liberté et de l'égalité ; c'était au peuple à déjouer leurs coupables-manœuvres, en persévérant dans un calme imposant, sans rien perdre de son énergie républicaine. Modéré parce qu'il était fier, doux parce qu'il était fort, patient parce qu'il était invincible, il trouverait sa récompense dans le triomphe des principes de l'éternelle justice et dans la gloire d'avoir opéré des prodiges destinés à changer la face du monde[103]. Mais, inutiles conseils ! je ne sais quelle sombre fatalité semblait pousser la Révolution jusque dans ses derniers retranchements et ne lui offrir d'autre moyen de salut qu'un désespoir terrible.

 

XVII

L'émotion causée par la pétition relative aux subsistances était dissipée, on le croyait du moins, quand une fermentation extraordinaire se produisit tout à coup. Dans la journée du lundi 25 février, des bandes de femmes, auxquelles s'étaient réunis un certain nombre d'hommes, envahirent les boutiques d'épiciers, et se firent délivrer le sucre, le café, le savon au-dessous du cours. Parmi les fauteurs de ces attroupements, on remarqua des domestiques d'aristocrates connus et des émigrés même, qui, sous le costume populaire, excitaient aux désordres. On en arrêta plusieurs dont l'identité fut reconnue[104]. Ainsi l'émigration et l'étranger étaient complices de ces troubles. On entendait dans les groupes des orateurs déclamer contre la Révolution et attribuer la misère publique à la mort de Louis XVI. Aux abords de la Convention nationale, on arrêta un nommé Lescombiez, signalé pour avoir trempé à Nîmes dans une conspiration royaliste. Et, — chose digne de remarque, — les pillards s'en prirent de préférence aux boutiques des marchands réputés patriotes ; les gros magasins des accapareurs furent généralement respectés. Au reste, si quelques hommes se laissèrent égarer par des suggestions perfides, la majeure partie du peuple demeura étrangère à ce mouvement. Aucun marchand ne fut inquiété dans le faubourg Saint-Marceau, et des femmes, venues de quartiers éloignés, essayèrent en vain de soulever les bons et vigoureux habitants du faubourg Saint-Antoine. Ce qui fit dire à Robespierre : Le peuple de Paris sait foudroyer les tyrans ; mais il ne visite point les épiciers. Le peuple de Paris, uni aux fédérés des quatre-vingt-trois départements, a renversé le trône ; il avait renversé la Bastille deux ans auparavant ; mais il n'a point assiégé les comptoirs de la rue des Lombards[105].

Les adversaires du parti démocratique ne manquèrent pas d'attribuer aux hommes de la Montagne les désordres dont Paris venait d'être le théâtre, et quelques lignes malencontreuses de l'Ami du peuple fournirent à point nommé un texte excellent à leurs accusations. Avec cette intempérance de langage qui, plus d'une fois, avait contristé Robespierre et d'autres patriotes, Marat avait écrit dans son journal, la veille même du pillage des boutiques d'épiciers : Dans tout pays où les droits du peuple ne sont pas de vains titres, consignés fastueusement dans une simple Déclaration, le pillage de quelques magasins, à la porte desquels on pendrait les accapareurs, mettrait fin aux malversations[106]. Par bonheur, on ne pendit personne. Mais cette phrase malheureuse de Marat donna lieu aux Girondins et en particulier à Buzot de recommencer leurs récriminations. Nous avons déjà suffisamment prouvé combien Robespierre était opposé à ces mouvements populaires, exploités avec tant de perfidie par les ennemis de la Révolution. Dans presque chacun des numéros de son journal, dont la modération contraste singulièrement avec l'emportement de la plupart des autres feuilles publiques, il conseille au peuple le calme, cette force de la raison, et emploie toute son éloquence pour le mettre en garde contre les menées de ces intrigants et de ces émigrés qui, rentrés au mépris des lois, dans le sein de la patrie, cherchaient à exciter dans Paris de petites émeutes pour trouver de nouveaux prétextes de calomnier la liberté et pour en dégoûter les peuples. Mais, s'écriait Maximilien plein de confiance, ils ne changeront pas les destinées de l'Europe et n'arrêteront pas le torrent qui doit renverser les trônes des tyrans[107].

Le 27 février, il parut à la tribune des Jacobins. Un membre de la société, Desfieux, venait d'annoncer que la majorité des sociétés affiliées demandait le rappel des députés infidèles à la cause du peuple. En effet, depuis le jugement de Louis XVI, un étrange revirement d'opinion s'était opéré dans un certain nombre de départements à l'égard des Girondins, et le crédit de ces premiers dominateurs de la Convention y était fortement compromis. Une lettre, signée des membres composant la société républicaine de Marseille, lettre à laquelle avaient adhéré toutes les sections de la cité phocéenne, venait d'être adressée à Barbaroux. On y traitait de perfide et de parjure ce véritable don Quichotte de la Gironde, et l'on vouait lui et ses adhérents au mépris, à l'infamie et l'exécration nationale[108].

Les députés dont le rappel était demandé par les sociétés jacobines de province étaient les ennemis personnels de Robespierre, ceux qui depuis si longtemps n'avaient reculé, pour le perdre, devant aucun mensonge, devant aucune calomnie, et qui, dans ce cœur si disposé aux sentiments fraternels, avaient fini par faire germer cette haine dont ils étaient animés. Malgré cela, il n'en blâma pas moins la mesure proposée par les sociétés affiliées. Ce n'était pas au moment où l'on avait à se défendre à la fois contre l'ennemi extérieur et celui du dedans qu'il fallait songer à troubler la paix par des élections nouvelles, où la cabale et l'intrigue ne manqueraient pas d'user de tous leurs efforts. Pour déjouer les complots des infidèles mandataires du peuple, il suffisait de démasquer entièrement ces députés indignes et de les marquer du sceau de l'ignominie. C'était là l'affaire des sociétés populaires. Armés de leurs droits de censure, et forts de l'opinion publique, les patriotes pouvaient aisément briser le sceptre du despotisme et de l'intrigue. Voilà, selon Robespierre, tout ce qu'il y avait à répondre aux sociétés affiliées ; séance tenante, l'assemblée le chargea de rédiger pour elles une adresse dans ce sens, et de les éclairer en même temps sur les causes et la nature des événements survenus à l'occasion de la cherté des denrées[109].

Le surlendemain 1er mars, il reparaissait à la tribune des Jacobins et y donnait lecture de son travail. Après un exposé de la situation, Robespierre rendait compte de la pétition inconvenante lue à la barre de la Convention par un orateur plus que suspect, des efforts tentés par les députés de Paris pour amener le peuple à demeurer calme en présence des manœuvres imaginées pour l'irriter, et enfin des désordres du 25 février, dus plutôt à des menées contre-révolutionnaires qu'à la rareté et à la cherté des denrées, dont on avait saisi le prétexte. Et cependant, ajoutait Robespierre, les mêmes hommes qui ont plaidé la cause du tyran et vomi tant de blasphèmes contre les défenseurs de la République n'ont pas rougi d'accuser les Jacobins de ce mouvement, auquel les vrais patriotes s'étaient opposés de toute leur énergie. Alors, retournant l'accusation contre ses adversaires, il vengeait la population parisienne des calomnies répandues contre elle, comme on l'a vu plus haut : Le peuple de Paris sait foudroyer les tyrans, mais il ne visite point les épiciers. Il n'a point assiégé les comptoirs de la rue des Lombards. Quand les oppresseurs de l'humanité ont comblé la mesure de leurs crimes et que le peuple irrité sort de son repos majestueux, il ne s'amuse point à écraser de petits accapareurs, mais il fait rentrer dans la poussière tous les despotes, tous les traîtres et tous les conspirateurs. Il établit solidement l'édifice de la prospérité publique sur les bases de la justice et de la raison[110]. Quant à ses calomniateurs éternels, qui étaient-ils ? N'étaient-ce point ceux qui sans cesse outrageaient ses plus intrépides défenseurs ? ceux qui, à la tribune, avaient insulté Michel Lepeletier, le glorieux martyr ? ceux qui, en ce moment même, à Lyon, patrie et domicile du vertueux Roland, venaient de dissoudre les sociétés populaires, de profaner l'arche de la liberté et de persécuter les patriotes ? Mais la liberté triompherait d'une faction qui n'avait pas hésité à employer le plus vil des moyens, celui du mensonge et de la calomnie ; car il s'agissait, disait-il, d'avancer d'un demi-siècle la félicité du monde. Au reste, ajoutait-il en terminant, soyez sûrs que nous sommes toujours les Jacobins de 1789, les Jacobins du 10 août. Si vous en doutez, venez voir, venez observer les Jacobins et leurs adversaires. Venez jurer une nouvelle alliance contre les tyrans et les intrigants, et dès ce moment tous les ennemis de la liberté pâliront devant vous, comme ils pâliraient devant les fédérés, qu'ils avoient eux-mêmes appelés contre nous[111]. Cette adresse avait été, à diverses reprises, très-vivement applaudie ; l'impression et l'envoi à toutes les sociétés affiliées en furent sur-le-champ arrêtés.

 

XVIII

La présence, à Paris et dans plusieurs autres villes, d'un grand nombre d'émigrés, rentrés au mépris des lois rendues contre eux, ne pouvait manquer d'éveiller l'attention sévère de la Convention nationale. La question se trouva soulevée le jour même où avaient lieu dans Paris les troubles dans lesquels ils étaient fortement soupçonnés d'avoir trempé. Le 25 février, Saladin dénonça le tribunal du district d'Amiens pour avoir ordonné l'élargissement d'un prêtre arrêté au moment où, après émigration, il disait la messe au milieu d'une nombreuse réunion. Saladin demanda que ce jugement fût cassé et que les juges fussent traduits à la barre de la Convention. Goupilleau vint, après lui, proposer à l'Assemblée, attendu que les prêtres déportés semblaient sortir de dessous terre, d'autoriser les corps administratifs à faire des visites domiciliaires dans tous les lieux suspects de recéler des prêtres ou des émigrés. Puis Lehardi (du Morbihan) montra ces monstres fanatiques parcourant toute la Bretagne et répandant l'esprit de discorde et de haine dans les chaumières des cultivateurs[112]. On était à la veille du soulèvement de la Vendée.

Robespierre prit alors la parole. Les troubles dont à cette heure les subsistances étaient le prétexte, les mouvements, contre-révolutionnaires qui en ce moment même éclataient à Lyon, coïncidaient d'une façon assez significative à ses yeux avec la rentrée illégale des émigrés dans le pays. Le sol de la République était présentement inondé de ces ennemis jurés de la Révolution. Un tel état de choses tenait d'abord aux vices, essentiels de la loi sur les émigrations, ensuite aux infidélités des fonctionnaires chargés de la mettre à exécution. Aucune mesure de précaution n'avait été prise contre les directoires convaincus de connivence avec les émigrés et les prêtres. Or, il arrivait ceci : c'est que l'on sévissait contre les émigrés faibles, pauvres et impuissants, tandis que les riches trouvaient aide et protection au sein d'un grand nombre de municipalités et de directoires, où, pour juges, ils rencontraient des amis, des parents, leurs anciens baillis, leurs fermiers, leurs procureurs fiscaux, et parvenaient à rentrer dans la possession de leurs biens. Les émigrés suppliants étaient peut-être plus dangereux qu'armés et menaçants. Et, ajoutait Robespierre dans son journal, je ne dis rien de leurs femmes ! mot bien profond. Ne sera-ce point par elles que s'évanouira le patriotisme inflexible de tant de révolutionnaires ardents ? Ne sera-ce point le sourire d'une enchanteresse qui entraînera le perfide et immoral Tallien dans cette voie de réaction fatale au bout de laquelle la République finira par s'abîmer dans le despotisme ?

Robespierre appuya donc la proposition de Saladin et demanda ensuite qu'allant à la source même du mal, on révisât complètement la loi en y ajoutant une pénalité contre les directoires convaincus de connivence avec les émigrés. Sans doute c'était là une mesure révolutionnaire en dehors des règles ordinaires de la jurisprudence civile, mais le régime des temps de guerre et d'orage, disait-il avec raison, ne pouvait être en tout semblable à celui des époques de paix et de concorde. Ce qu'il voulait, d'ailleurs, c'était une loi conçue en termes précis et n'ouvrant pas carrière à des interprétations évasives ou arbitraires[113]. Après les observations de Robespierre, la Convention adopta les propositions de Saladin et de Goupilleau.

Quelques jours plus tard, le 5 mars, La Source étant venu proposer à la Convention de ne point ranger dans la catégorie des émigrés les garçons de dix-huit ans accomplis, non coupables d'avoir porté les armes contre la République, et les filles de vingt et un ans, à la charge par eux de revenir en France dans un délai de trois mois et d'y rester, Robespierre réclama vivement l'ajournement de cette motion ; car, dit-il, si l'on admet une exception en faveur des filles, pourquoi ne pas en admettre une également au profit des femmes. Celles-ci n'étaient-elles pas moins indépendantes encore ? A cela La Source répondit que c'étaient les femmes qui, la plupart du temps, avaient engagé leurs maris à s'armer contre la République, et il s'étonna d'entendre Robespierre embrasser leur défense. Mais, en s'exprimant ainsi, Maximilien voulait tout simplement faire toucher du doigt les dangers et l'inconséquence de la proposition de La Source. Tout en partageant les sentiments d'humanité dont paraissait animé son collègue, il ne concevait pas comment on pouvait songer au rappel des fils d'émigrés. Ne serait-ce pas grossir de nouveaux alliés les rangs des intrigants et des traîtres ? Ne serait-ce pas inoculer dans les veines de la République naissante le poison de l'incivisme ? On devait, selon lui, adopter la question préalable sur toute idée de rappeler les enfants mâles d'émigrés, et, quant aux filles, réviser la loi afin d'adoucir la peine. L'Assemblée, en effet, maintint l'article concernant les garçons et substitua, pour les filles, la déportation à la peine de mort, en cas d'infraction à la loi[114].

Si, dans toutes les circonstances où le triomphe de la liberté et le salut de la République lui semblaient engagés, Robespierre n'hésitait pas à se montrer inflexible, il témoignait le plus grand éloignement pour toutes les pénalités inutiles, comme cela se vit dans la séance du 1er mars.

Héritière d'un régime pénal inhumain, la Révolution, tout en supprimant les rigueurs excessives, n'avait pas moins conservé certaines peines en disproportion évidente avec le délit commis. De même que l'ancien régime frappait de mort les fabricateurs de fausse monnaie, de même elle prononça la peine capitale contre tout fabricateur ou distributeur de faux assignats. Or, le vendredi 1er mars, au moment où l'on allait commencer la discussion d'une nouvelle loi contre les émigrés, le ministre de la justice, appelé à rendre compte d'un sursis qu'il avait accordé à l'exécution du jugement d'un nommé Philibert Lanoue, condamné à mort pour distribution de faux assignats, s'excusait en disant que l'exécution avait été suspendue, non de son fait, mais par suite d'un recours en cassation. Pour sa part, ajoutait-il, il eût été tout disposé à présenter à la Convention ses scrupules sur un jugement qui frappait si sévèrement un malheureux non convaincu de complicité avec les fabricateurs de faux assignats ; la crainte de suspendre le cours de la loi l'avait seule retenu. Robespierre, ému, prit aussitôt la parole. Je frémis, dit-il, en songeant qu'un homme qui paraît n'avoir été séduit que par la crainte de perdre un assignat qu'il avait reçu sera puni de mort. Je crois qu'il nous serait facile de concilier l'intérêt de la fortune publique avec celui de l'humanité en suspendant l'exécution du jugement déjà rendu, et en perfectionnant la loi pour l'avenir. Souvenons-nous que sous l'ancien régime, l'homme qui donnait une fausse pièce de monnaie après l'avoir reçue, ne perdait point la vie, et que ce soit une raison de plus pour adoucir, sous le régime de la liberté, la peine appliquée à une faute souvent involontaire. En conséquence, il proposa à l'Assemblée de charger son comité de législation d'examiner de nouveau la loi, et il demanda en outre que, cédant à un sentiment de bienfaisance et de pitié bien naturel à l'homme, la Convention décrétât l'ajournement de l'exécution du jugement prononcé contre Philibert Lanoue. L'une et l'autre proposition furent aussitôt adoptées. Plus tard, dans des circonstances à peu près semblables, la Convention rejettera, sur un rapport de son comité de législation, un sursis vivement sollicité en faveur d'un notaire de Paris[115]. Nous insistons à dessein sur ces détails peu importants en apparence, mais qui prouvent assez de quels sentiments humains était animé ce Maximilien Robespierre si injustement et avec tant de mauvaise foi accusé de cruauté.

 

XIX

Dans les premiers jours de mars, tout contribua à assombrir la situation, à irriter les esprits. Le 5, la Convention apprenait la cessation du bombardement de Maëstricht, au milieu d'une séance extrêmement orageuse où Buzot et Isnard s'étaient livrés à de nouveaux emportements ridicules contre la capitale, à ce point que Thuriot avait comparé les paroles du premier à ces feuilles incendiaires de l'aristocratie où l'on écrivait que l'herbe croîtrait dans les rues de Paris. Le lendemain, une lettre des commissaires Lacroix, Merlin (de Douai) et Gossuin, annonçait l'évacuation d'Aix-la-Chapelle et la déroute de l'armée française. Le 7 mars, après un rapport de Barère sur les actes d'hostilité commis par l'Espagne depuis le commencement de la Révolution, la guerre était déclarée à cette puissance. Ainsi la France avait à lutter à cette heure contre l'Allemagne tout entière, contre l'Espagne, contre l'Angleterre, et l'on n'ignorait pas que Pitt négociait avec la Russie pour l'entraîner dans la coalition. Mais l'énergie de la République croissait avec ses dangers, et, d'un front indomptable, elle se disposa à faire face aux revers.

Dans la séance du 8 mars, un des commissaires de la Convention dans la Belgique, Lacroix, confirma à la tribune les nouvelles désastreuses parvenues les jours précédents, et proposa d'énergiques moyens pour conjurer les périls de la situation. Robespierre, prenant ensuite la parole, appuya de toute sa force le rapport de son collègue. Lorsque Carnot a déclaré qu'au sein du comité de Salut public Robespierre ne prenait aucune part aux délibérations concernant la guerre, il en a imposé à l'histoire sur ce point comme sur tant d'autres ; nous verrons au contraire Maximilien très-assidu aux séances du comité dans lesquelles il sera question de la défense du pays. Il ne resta étranger à rien de ce qui intéressait la grandeur, la prospérité et le salut de la République. Tout récemment, à propos du plan d'organisation de l'armée proposé par Dubois-Crancé au nom du comité militaire, il avait publié dans son journal de remarquables observations sur ce sujet. Son but avait été de défendre ce plan contre les critiques dont il avait été l'objet ; car il le trouvait très-capable d'exalter le patriotisme des soldats français et de les transformer en héros, très-bien approprié en un mot aux défenseurs de la patrie, traités désormais en hommes raisonnables et libres[116]. Mais revenons à la séance du 8.

Vous venez d'entendre, dit Maximilien, de la bouche d'un de vos commissaires le récit du revers qu'a éprouvé l'une de vos armées dans la Belgique. Citoyens, quelque critiques que paraissent les nouvelles circonstances dans lesquelles se trouve la République, je n'y puis voir qu'un nouveau gage du succès de la liberté. Pour un peuple libre et naissant à la liberté, le moment d'un échec est celui qui présage un triomphe éclatant, et les avantages passagers des satellites du despotisme sont les avant-coureurs de la destruction des tyrans. Nous nous sommes trouvés dans des circonstances bien autrement difficiles, et nous sommes sortis victorieux du fond de l'abîme, Rappelez-vous l'époque glorieuse du 10 août, vos défaites du mois de septembre : alors vous n'aviez point d'armée ; des généraux perfides nommés par la cour, et d'intelligence avec nos ennemis, avoient livré nos places sans défense. Nos soldats nus, mal approvisionnés, étaient disséminés sans ordre sur une frontière immense. Et malgré cela, poursuivait Robespierre, nous avons vaincu. Valmy et Jemmapes ont répondu aux menaces de la coalition. Il n'y avait donc pas, suivant lui, à se décourager pour un échec passager ; car le peuple qui avait repoussé l'ennemi des plaines de la Lorraine et de la Champagne existait encore, et, s'écriait l'orateur dans un élan d'enthousiasme, le génie de la liberté qui a précipité leur fuite est impérissable. C'était à la Convention de diriger son impulsion toute-puissante vers la chute des despotes et la prospérité des peuples. Donc, point de pitié pour les traîtres, pour les conspirateurs puissants, pour les généraux perfides, que le glaive de la loi soit sans cesse levé sur leurs têtes ; mais protection à tous les amis de la liberté ; et la nation entière seconderait le zèle de ses représentants, et bientôt la République sortirait triomphante de cette nouvelle épreuve. En terminant, Robespierre invitait l'Assemblée à adopter sur-le-champ les propositions de ses commissaires dans la Belgique[117].

Un calme imposant présidait à cette séance de la Convention. Chacun comprenant la gravité de la situation, tout le monde, cette fois, était d'accord. Et c'est ce qui fait déplorer plus amèrement encore ces fatales querelles des Girondins et des Montagnards : les uns et les autres, — la plupart d'entre eux, du moins, — voulaient sincèrement le triomphe de la République. Pourquoi faut-il qu'ils se soient méconnus et déchirés ! Séance tenante, l'Assemblée enjoignit aux militaires et officiers de tous grades d'avoir à rejoindre immédiatement l'armée ; puis, sur la proposition de Danton, elle décréta que des commissaires pris dans son sein iraient le jour même dans les quarante-huit sections de Paris les instruire de la situation actuelle de l'armée, rappeler à tous les citoyens en état de porter les armes le serment qu'ils avaient prêté de maintenir jusqu'à la mort la liberté et l'égalité, et les requérir, au nom de la patrie, de voler au secours de leurs frères[118]. Dans la soirée, Robespierre et Billaud-Varenne se rendirent à la section Bonne-Nouvelle qu'ils avaient été chargés de visiter en qualité de commissaires et d'échauffer du feu de leur patriotisme. Cette mission allait attirer au premier une nouvelle et odieuse calomnie de la part du journal de Brissot.

 

XX

L'avant-veille, aux Jacobins, Maximilien avait flétri de nouveau l'abus indigne qu'un ministre avait fait des trésors de la République en les employait à répandre partout d'atroces libelles contre les patriotes, et vivement reproché à Roland et à Brissot d'avoir égaré l'opinion publique et provoqué ainsi les divisions fatales existant entre les citoyens des diverses parties du pays ; mais il s'était surtout efforcé de rallier tout le monde autour de la Convention, la meilleure '1 Assemblée qu'on eût eue jusqu'à ce jour, à son avis. Fidèle à son amour.de l'ordre et à son respect de la légalité, il avait de plus conseillé au peuple le calme et U modération. La patience, avait-il dit, doit être la vertu des républicains. Des mouvements précipités briseraient la machine politique. Sans doute il était cruel de siéger dans une Assemblée à côté de libellistes infâmes qui, aux frais du trésor public, inondaient les départements du poison de la calomnie. Sans doute il était étrange qu'un ministre qui devait tout à la Révolution, eût pu diffamer impunément la vertu républicaine ; mais il n'y avait pas à songer pour le moment à punir de pareils crimes. Seulement, il était urgent de porter partout la lumière et de propager, au moyen de sacrifices individuels, des écrits capables de ranimer le patriotisme des Lyonnais, des Marseillais et de tous les citoyens des départements. En conséquence, et sur sa proposition, la société avait chargé son comité de correspondance de prendre les mesures les plus convenables et les plus promptes pour former une étroite alliance entre toutes les sociétés populaires et éclairer les départements sur l'abominable système d'intrigues et de calomnies à l'aide duquel une faction puissante était parvenue à jeter le trouble au sein de la République et à diviser les patriotes[119].

C'était là certes quelque chose de parfaitement légal, un moyen de défense très-légitime, et Robespierre, on l'a vu, s'était bien gardé de prêcher l'insurrection contre une partie de la Convention nationale. Mais le républicain Brissot n'était pas homme à supporter la discussion, et pour se venger de la juste défaveur désormais attachée à son nom, il calomnia de plus belle. Dans son journal du 9 mars, il écrivit que Robespierre avait parlé en véritable Mazaniello à la section Bonne-Nouvelle et engagé le peuple à se lever contre ce qu'il appelait les intrigants et les modérés. Enfin, à en croire la feuille girondine, le sens des paroles de l'orateur aurait été si bien saisi qu'un canonnier qui l'accompagnait aurait fait la motion d'égorger les signataires de la pétition des huit mille et des vingt mille. Une indignation générale aurait éclaté, et le canonnier ayant été blessé au milieu du tumulte, Robespierre aurait prononcé l'éloge de cet excellent citoyen[120].

Eh bien ! tout cela était un tissu d'odieux mensonges. Heureusement le procès-verbal de la section Bonne-Nouvelle pour la séance du 8 mars existe ; nous l'avons sous les yeux, et la simple lecture de ce document donne la mesure exacte du cynisme avec lequel Brissot et Girey-Dupré ne craignaient pas d'en imposer au public. Nous citons textuellement : Une députation de la Convention se présente et est introduite dans le sein de l'assemblée. Billaud-Varenne et Robespierre, membres de cette députation, exposent les dangers de la patrie, le péril imminent où se trouvent nos frères de la Belgique et les prompts secours qu'il est instant de leur porter ; ils invitent, au nom de la liberté menacée par tous les tyrans, au nom de la chose publique en danger, ils conjurent tous les citoyens de se lever, de s'armer et de voler au secours de la République et de nos frères les Belges. Ils jurent, de leur côté, de terrasser les ennemis du dedans, de veiller aux intérêts des défenseurs de la patrie, de pourvoir aux besoins des parents de ceux qui vont se sacrifier pour la liberté et de s'exposer plutôt à la mort que de souffrir qu'il soit porté atteinte aux droits du peuple. L'assemblée générale partage tous leurs sentiments, et le président répond en son nom à la députation que la section de Bonne-Nouvelle, toujours animée du plus pur patriotisme, n'a cessé de s'occuper des mesures à prendre pour fournir son contingent, et qu'elle va se presser d'employer tous les moyens en son pouvoir pour répondre aux nouveaux efforts que la patrie attend de ses enfants. Ainsi, de ce prétendu appel de Robespierre contre les intrigants et les modérés, pas un mot. Mais est-il davantage question du canonnier qui l'accompagnait ? nullement. Après que le président eut répondu aux commissaires conventionnels, un citoyen de la section, nommé Poirier, fit une proposition qui, mal accueillie, souleva un violent tumulte. Obligé de quitter la salle, il fut blessé en se retirant, et rentra aussitôt afin de se plaindre des violences exercées contre sa personne parce qu'il avait énoncé une opinion, blâmable sans doute, dit-il, mais dont l'assemblée seule pouvait le punir. Le tumulte ayant redoublé à ces mots, un commissaire de la Convention, — le procès-verbal ne dit pas si c'est Robespierre, Billaud-Varenne ou quelque autre, — prit la parole, parvint à obtenir le silence, et invita les citoyens, au nom de la chose publique, à faire régner la paix et à s'occuper uniquement des moyens de repousser l'ennemi. Puis, la députation se retira au milieu des applaudissements. Quant au citoyen blessé, il fut invité à déposer sa plainte sur le bureau, et l'assemblée renvoya l'affaire au tribunal criminel de l'arrondissement pour qu'il pût sévir contre les coupables.

Était-il possible de mentir avec plus d'impudence et d'effronterie que le Patriote français ? Et y a-t-il assez de mépris pour les hommes capables de telles manœuvres ? Dira-t-on que Brissot et Girey-Dupré ont été trompés eux-mêmes par quelque imposteur ? Il leur était bien facile d'envoyer aux renseignements à la section Bonne-Nouvelle. La vérité était consignée dans le procès-verbal. Mais qui donc s'imaginerait d'aller consulter le procès-verbal d'une section ? personne. Ils le savaient parfaitement, et ils savaient aussi que la calomnie, colportée par leur feuille, se répandrait sûrement dans toute la République, sans qu'il fût possible à Robespierre de la combattre[121].

 

XXI

Au moment où la Convention nationale s'épuisait en efforts pour réparer nos revers en Belgique, où à la voix de Carnot, parlant au nom du comité de défense générale, elle décrétait l'envoi de quatre-vingt-deux de ses membres dans les départements afin d'y hâter le recrutement et de pousser la nation aux frontières, où enfin, décidée à punir sévèrement tous les traîtres et les conspirateurs, elle décrétait en principe l'établissement d'un tribunal criminel extraordinaire jugeant sans appel et sans recours au tribunal de cassation, on vit un certain nombre d'agitateurs, menés par les Varlet, les Fournier et autres énergumènes dont les exagérations devaient tant contribuer à compliquer les embarras de la Révolution, essayer, mais en vain, de soulever le peuple contre l'Assemblée. Le simple examen des discussions qui eurent lieu aux Jacobins dans les séances des 8, 9 et 10 mars 1793, prouve jusqu'à l'évidence que la société fut complètement étrangère et se montra opposée aux mouvements partiels dont Paris fut le théâtre dans les journées du 9 et du 10 mars. Dans la soirée du 9, une bande d'hommes armés alla briser les presses du Courrier des quatre-vingt-trois départements et de la Chronique de Paris, comme en 1849 on a vu des bataillons de la garde nationale en délire mettre à sac et à pillage l'imprimerie de certains journaux démocratiques. Mais cet acte de vandalisme ne tenait à aucun plan concerté ; ce fut l'effet de l'effervescence du moment, le crime de quelques individu égarés. Il n'y eut nul complot contre les Girondins, sinon dans l'imagination de Louvet qui, sur le récit de sa Lodoïka, trace de la séance des Jacobins, dans la soirée du 10, une effrayante peinture[122]. Robespierre n'assistait pas d'ailleurs à la séance du 9 ; il était alors assez peu assidu aux séances de h société. Ayant, dans l'après-midi du 9, rencontré Desfieux, il l'avait prié de recommander à tous les députés de se rendre exactement le soir à la Convention afin de ne pas laisser inachevées les grandes mesures de salut public ébauchées dans la journée[123].

Dans cette journée, et au milieu du trouble où semblaient plongés les esprits, une grande mesure d'humanité avait été adoptée : la Convention avait décrété l'abolition de la contrainte par corps sur une motion de Danton et de Jean-Bon Saint-André, vivement appuyée par Robespierre, qui réclama l'exécution immédiate de cette loi de justice[124]. N'est-ce pas, en effet, chose souverainement inique que la personne d'un citoyen soit le garant de sa dette, et que pour une question d'argent on puisse être, comme un malfaiteur, privé de sa liberté, le bien le plus précieux de l'homme ? En vain objecte-t-on la nécessité de sévir contre les débiteurs de mauvaise foi ; s'il y a abus de confiance, le code pénal est là. Mais les détenteurs du pouvoir, si empressés d'ordinaire à mettre à exécution les lois rigoureuses, paraissent avoir beaucoup moins de hâte quand il s'agit de lois intéressant l'humanité. Un mois après, le décret relatif à l'abolition de la contrainte par corps n'était pas encore exécuté, et, le 12 avril, Robespierre venait se plaindre amèrement du retard apporté à l'exécution d'une mesure dictée par l'humanité et par la justice. Il y a un mois, dit-il, que vous avez détruit l'usage inhumain de la contrainte par corps et ordonné l'élargissement de tous les prisonniers détenus pour dettes, et ces lois salutaires, ces lois de bienfaisance, ne sont pas encore exécutées. Il demanda qu'enfin les pères de famille fussent rendus à leurs femmes et à leurs enfants, des défenseurs à la patrie menacée, d'estimables et utiles artistes à leurs travaux ; que les représentants du peuple et tous les agents de la République s'intéressassent plus vivement à l'infortune du pauvre ; que désormais il n'y eût plus un si long intervalle entre la création d'une loi et son exécution ; que le ministre de la justice fût tenu de prendre les mesures les plus promptes pour la mise en liberté de tous les prisonniers pour dettes, et que sous deux jours il eût à rendre compte à la Convention de l'exécution de ce décret. Tout cela fut adopté sans discussion dans les termes mêmes proposés par Robespierre[125].

Mais revenons aux événements du mois de mars. Dans la soirée du 9, la Convention, après avoir appris par une simple lettre particulière le pillage des presses de Gorsas, lesquelles n'étaient autres que celles de l'abbé Royou concédées au journaliste girondin après le 10 août, et que Billaud-Varenne lui reprocha durement d'avoir prostituées comme ce royaliste, la Convention, dis-je, enjoignit à tous ses membres d'avoir à opter entre la qualité de journaliste et celle de représentant du peuple, mesure infiniment grave, adoptée sur la motion de Lacroix, et évidemment attentatoire à la liberté de la pensée[126]. Marat y échappa en supprimant de sa feuille le titre de Journal, ne voulant pas, dit-il, donner l'exemple de la désobéissance à une loi même irréfléchie. Quant à Robespierre, il continua pendant quelques semaines encore la publication de ses Lettres à ses commettants, et s'arrêta au numéro 10 de la deuxième série, vers la fin du mois d'avril.

On rendra à la Convention nationale cette justice que dans les circonstances critiques où elle se trouva, elle ne désespéra jamais du salut de la République. Elle fut admirablement secondée d'ailleurs par le patriotisme des citoyens. Pache, récemment promu à la mairie de Paris, en quittant le ministère de la guerre, où l'avait remplacé Beurnonville, avait paru le 9 à la barre et assuré l'Assemblée du zèle ardent dont étaient animées toutes les sections de la capitale. Le lendemain, un des secrétaires venait de donner lecture de quelques lettres rassurantes de Dumouriez quand Robespierre monta à la tribune. Son discours fut à la hauteur de la situation, et bien de nature à rendre cœur aux plus effrayés. Pour sa part, il était loin de se décourager de la marche rétrograde de notre armée ; car, selon lui, il n'était point de revers réels pour des hommes. On irait de nouveau à l'ennemi, et de nouveau l'on terrasserait les despotes qui voulaient attenter à notre liberté. Seulement, il fallait seconder le courage de nos soldats par de sages mesures, par la punition des officiers coupables et par une meilleure organisation du pouvoir exécutif. D'après le rapport des commissaires Lacroix et Danton, le général Stengel se trouverait convaincu de trahison ; comment un décret d'accusation n'avait-il pas encore été rendu contre lui ? On devait, pour l'exemple, le renvoyer devant les tribunaux, ou, s'il avait fui, confisquer ses biens Quant à Dumouriez, à qui Danton venait de servir en quelque sorte de caution en rendant témoignage de son patriotisme, Robespierre déclarait alors avoir confiance en lui, parce que l'intérêt personnel de ce général, l'intérêt de sa gloire même, lui semblaient attachés au succès de nos armes. Assez médiocre, en définitive, était son estime pour cet officier, puisqu'il fondait sa confiance en lui sur une question d'intérêt personnel, et non sur le profond et sincère amour de la patrie. Comment imaginer qu'à quelques semaines de là, Dumouriez, calomniant Robespierre à l'instar des Girondins, infidèle à sa gloire et à son propre intérêt, trahirait odieusement la République, et, de gaieté de cœur, vouerait sa mémoire à l'infamie !

Mais ce n'était pas assez, continuait Robespierre, de porter ses regards sur un fait isolé, il était de toute nécessité de pousser la guerre avec vigueur, avec audace même, afin de la finir bientôt, afin de mettre un terme à des dépenses énormes et d'établir la liberté sur les débris de toutes les aristocraties. Au nom de la patrie, il engageait donc la Convention à modifier le gouvernement actuel, privé de force par un défaut absolu d'unité, et d'en instituer un, agissant sous les yeux mêmes de la Convention, et dont toutes les parties fussent rapprochées. Ainsi l'on ne serait plus exposé à marcher sans se rendre compte de ce qu'on avait fait et de ce que l'on allait faire ; ainsi l'on ne verrait plus se répéter les opérations invisibles d'un ministre trop puissant, dont on n'avait jamais examiné la conduite. Et quels avaient été les résultats de sa gestion ? Une calomnie perpétuelle contre la Révolution, l'envoi. avec profusion, dans tous les pays, de libelles où les principaux événements de notre Révolution -étaient dénaturés, et dont l'effet était d'aliéner l'opinion des peuples et de dénigrer les hommes qui ont le plus à combattre pour la liberté[127]. Tout le mal venait, suivant Robespierre, de ce qu'on avait un gouvernement sans activité et sans unité, où tout était livré aux influences individuelles. Il concluait en conséquence à beaucoup de réformes sur ce point, sinon, disait-il à ses collègues en terminant, vous irez toujours de révolutions en révolutions, et vous conduirez enfin la République à sa perte[128].

Après Robespierre on entendit Danton. Il nous suffit d'indiquer son apparition à la tribune. Tout le monde sait comment, après un pompeux éloge de Dumouriez, il apostropha les Girondins. Dans des circonstances plus difficiles, quand l'ennemi était aux portes de Paris, j'ai dit à ceux qui gouvernaient alors : Vos discussions sont misérables ; je ne connais que l'ennemi, battons l'ennemi. Vous qui me fatiguez de vos contestations particulières, au lieu de vous occuper du salut de la République, je vous répudie tous comme traîtres à la patrie. Je vous mets tous sur la même ligne. Je leur disais : Eh ! que m'importe ma réputation ! Que la France soit libre, et que mon nom soit flétri ! Que m'importe d'être appelé buveur de sang ? Eh bien ! buvons le sang des ennemis de l'humanité, s'il le faut ; combattons, conquérons la liberté... On sait aussi de quelle indéfinissable émotion fut saisie l'Assemblée à ces paroles d'une sauvage grandeur.

La Convention, résolue, conformément au vœu exprimé par Robespierre, à examiner de très-près la conduite des officiers auxquels étaient imputés nos derniers échecs, décréta qu'e les généraux Stengel et Lanoue vivement inculpés par les représentants Carra, Lacroix, Thureau et Gaston, seraient traduits à sa barre[129]. Mais là ne fut point le grand intérêt du jour. Dans cette séance à jamais fameuse, devait être forgée l'arme terrible de la Révolution : le tribunal révolutionnaire, dont le principe avait été décrété la veille. Il convient de nous arrêter un moment sur cette institution extraordinaire, non que Robespierre ait pris une part active à l'organisation de ce tribunal, mais parce que, grâce à la légèreté et à la mauvaise-foi avec lesquelles a été trop souvent écrite l'histoire de notre Révolution, on a voulu plus d'une fois le rendre responsable de la création de ce formidable instrument de la Terreur.

 

XXII

On venait d'ordonner la comparution des généraux Stengel et Lanoue à la barre, et l'on allait se séparer, lorsque Cambacérès, le futur archichancelier de l'Empire, s'écria : Il s'agit de sauver la chose publique, il faut des moyens actifs et généraux. Je m'oppose à ce que la séance soit levée avant que nous ayons décrété l'organisation du tribunal révolutionnaire et d'un ministère moins incohérent. La crainte de voir l'autorité suprême passer entre les mains de la Convention, souleva les vives critiques de Buzot, ce qui lui attira de Marat cette réponse assez fondée : Il ne s'est pas plaint quand tous les pouvoirs étaient entre les mains de Roland. La discussion s'ouvrit aussitôt sur deux projets d'organisation du tribunal révolutionnaire présentés par Lesage (d'Eure-et-Loir) et par Robert Lindet. Elle fut extrêmement animée ; Robespierre n'y prit aucune part. Comme la Convention se disposait à lever sa séance sans avoir rien décidé, Danton courut à la tribune, et de sa voix impérieuse : Je somme tous les bons citoyens de ne pas quitter leur poste. Puis il demanda, comme Cambacérès, l'organisation immédiate du tribunal révolutionnaire, et que le pouvoir exécutif fût pourvu des moyens d'action et d'énergie qui lui étaient nécessaires.

La discussion fut reprise dans la séance du soir, et continuée le lendemain 11 mars. Après avoir entendu le rapport de son comité de législation, l'Assemblée décréta, à une énorme majorité, l'organisation d'un tribunal criminel extraordinaire, après avoir introduit de légères modifications au projet primitif. Le premier article proposé par le comité était effroyablement vague ; il s'appliquait indirectement à tous les conspirateurs. Ce défaut de définition, si propre à prêter à l'arbitraire, effrayait Robespierre et l'amena à la tribune. Il est important, dit-il, de bien définir ce que vous entendez par conspirateurs ; autrement les meilleurs citoyens risqueraient d'être victimes d'un tribunal institué pour les protéger contre les entreprises des contre-révolutionnaires. Il fallait spécifier bien exactement, selon lui, ce qu'on entendait par conspirateurs, contre-révolutionnaires, de peur qu'à l'aide de ces expressions élastiques, un tribunal aristocrate ne vînt à poursuivre les amis mêmes de la liberté et de l'égalité. Il lui semblait également indispensable qu'on avertît de la sévérité des lois révolutionnaires tous les individus animés de mauvaises intentions contre la sûreté de la République, en inscrivant dans le décret même la peine qui les attendait. Puisque, dit-il, vous avez déclaré révolutionnairement que quiconque provoquerait le rétablissement de la royauté sera puni de mort, je veux que le décret le mentionne. Devaient être aussi, à son avis, justiciables du nouveau tribunal les administrateurs coupables d'avoir, de leur autorité propre, et au mépris des lois, envoyé des forces armées contre la capitale, et les auteurs d'écrits tendant à provoquer le renversement des principes de la liberté et de l'égalité et la restauration de la monarchie.

Thuriot et Albite invitèrent Robespierre à formuler sa proposition en article, mais il n'avait rien préparé. Le Girondin Isnard présenta la rédaction suivante que la Convention adopta sur-le-champ : Il sera établi à Paris un tribunal criminel extraordinaire, qui connaîtra de toute entreprise contre-révolutionnaire, de tous attentats contre la liberté, l'égalité, l'unité et l'indivisibilité de la République, la sûreté intérieure et extérieure de l'État, et de tous les complots tendant à rétablir la royauté ou à établir toute autre autorité attentatoire à la liberté, à l'égalité et à la souveraineté du peuple, soit que les accusés soient fonctionnaires civils ou militaires, ou simples citoyens.

Cinq juges chargés d'appliquer la loi d'après la déclaration du jury, un accusateur public et deux adjoints ou substituts, nommés les uns et les autres par la Convention nationale à la pluralité relative des suffrages ; douze jurés, et quatre suppléants, nommés aussi par la Convention, et pris dans le département de Paris et les quatre départements voisins, tel était le principal personnel de ce tribunal. Une commission de six membres de la Convention était chargée de rédiger et de présenter les actes d'accusation, de surveiller l'instruction et de rendre compte à l'Assemblée de toutes les affaires envoyées à ce tribunal. Les jurés devaient voter à haute voix et formuler publiquement leur déclaration. Cette disposition tout à fait en dehors des usages admis jusque-là avait été adoptée après quelques débats, dans la soirée du 10 mars, sur la proposition de Thuriot. Enfin les biens des individus condamnés à mort étaient acquis à la République, à la charge par elle de pourvoir à la subsistance des veuves et des enfants, s'ils n'avaient pas de biens personnels[130]. On voit quelle part tout à fait indirecte Robespierre prit à l'établissement de ce tribunal révolutionnaire enfanté à la voix de Cambacérès et de Danton sous l'empire d'inexorables nécessités, et qui, formé pour être un moyen de salut public, devait devenir l'instrument de mort de tant de républicains illustres et de généreux patriotes. Qui le croirait cependant ? certains historiens n'ont pas craint de présenter Robespierre comme le créateur du terrible tribunal[131]. Faut-il voir là l'ignorance au service de la mauvaise foi ? Ah ! misérable esprit de parti qui entraîne des hommes honnêtes et estimables dans les choses ordinaires de la vie à mentir ainsi à la vérité !

A l'heure même où la Révolution forgeait le redoutable instrument de ses vengeances, la Vendée était en feu : les défenseurs du trône et de l'autel, inaugurant par d'épouvantables massacres leur premier triomphe, instituaient, suivant l'expression de M. Michelet, un comité d'honnêtes gens qui fit périr, en six semaines, cinq cent quarante-deux patriotes[132]. L'établissement de la Terreur blanche précédait celui de la Terreur révolutionnaire. Mais celle-ci du moins n'avait qu'une chose en vue : sauver la patrie et la liberté ! Or, l'assassinat, à Rome, de notre ministre plénipotentiaire Hugon de Basseville, cet ancien collaborateur de mademoiselle de Kéralio au Mercure national, tué pour avoir substitué aux armes royales l'écusson de la République, 'le meurtre de Lepeletier Saint-Fargeau, les mouvements contre-révolutionnaires excités à Lyon, les troubles fomentés à Paris par l'or de Pitt, par les émigrés revenus en masse depuis peu, le soulèvement de la Vendée, tout cela, joint à la nécessité de se défendre contre les trois quarts de l'Europe coalisés était bien fait pour allumer les colères de la Révolution et rendre impitoyables ses défenseurs. Quelle excuse à ses fureurs pouvait au contraire invoquer la contrerévolution ? une seule, et la moins honorable de toutes, l'intérêt particulier. C'est pour cela que, de toutes parts, elle pactisait avec l'étranger, crime impardonnable dont ne se souillèrent jamais les patriotes, et qu'en Vendée elle tendait les bras aux Anglais.

 

XXIII

Il était donc tout naturel qu'alors Montagnards et Girondins fussent unis dans une même pensée de défense et de vengeance contre les ennemis déclarés de la Révolution ; sur ce point ils étaient parfaitement d'accord. Si Robespierre avait contre la faction girondine les plus justes griefs, il ne fut pas de ceux qui à cette époque conseillèrent contre elle l'insurrection. Il écrivit dans son journal un nouvel article pour avertir ses concitoyens des dangers amenés par les troubles publics, et pour conseiller à la Convention nationale de soulager la misère du peuple en rapprochant le prix des denrées du salaire de l'ouvrier, en décrétant des travaux qui contribuassent à la gloire et à la prospérité de l'État, en arrêtant le brigandage des sangsues publiques, en rétablissant le crédit des assignats et en punissant sévèrement les prévaricateurs et les fripons[133].

Bien mieux, on l'entendit aux Jacobins, dans la séance du 13 mars, blâmer très-sévèrement la tentative insurrectionnelle du 10, laquelle avait échoué devant le bon sens de la population parisienne. Désigné par la calomnie aux coups de la réaction, il se vanta d'avoir plusieurs fois cependant arrêté les effets du patriotisme irrité contre la tyrannie. Partisan des insurrections nécessaires, il détestait les mesures partielles, les mesures avortées que désiraient les despotes, parce qu'elles leur offraient l'occasion d'écraser la liberté. Ainsi, les scènes dont la Convention, la veille, avait été le théâtre, la pétition furieuse et intempestive par laquelle la section Poissonnière avait réclamé un décret d'accusation contre Dumouriez et demandé les têtes de Gensonné, de Vergniaud et de Guadet, pétition flétrie par Marat lui-même comme tendant à la dissolution de la Convention, paraissaient à Robespierre une manœuvre dirigée contre la liberté. En effet, qu'en était-il résulté c'est qu'on en avait profité pour faire le procès au patriotisme ardent. Des propos indiscrets avaient été érigés en crimes, et leurs auteurs marqués d'avance comme les premières victimes qui devaient tomber sous les coups du tribunal révolutionnaire. Rien de plus impolitique en conséquence que cette échauffourée du 10 mars, présentée par le libelliste Louvet comme l'œuvre de la Montagne et de la faction d'Orléans[134]. Au reste la société des Jacobins était si bien dans les sentiments de Robespierre à cet égard, qu'elle s'était, d'un élan à peu près unanime, élevée contre Varlet et Fournier, les principaux instigateurs de cette journée.

Eh bien ! malgré cela, — et c'était ce dont s'indignait Robespierre, — on avait inculpé la société, en la rendant responsable de conversations inconsidérées tenues dans les cafés par des individus soudoyés ou égarés. Là se reconnaissait le système d'hommes toujours acharnés à persécuter les patriotes, à calomnier Paris, le système de ceux que Marat désignait sous le nom des hommes d'État, et qu'à plus juste titre il appelait, lui, les intrigants, et qui paraissaient plus soucieux de livrer au tribunal révolutionnaire les Jacobins et les députés de la Montagne que les émigrés et les généraux traîtres à la patrie. Quant à ces membres de la Convention, dénonciateurs continuels des Jacobins, qu'ils déployassent le même zèle contre les émigrés, contre les banquiers coupables de Londres et de Paris, les patriotes leur pardonneraient ; car, disait Robespierre, nous ne demandons pas la perte de tous les ennemis de la liberté, nous demandons qu'ils se convertissent et qu'ils vivent. De grands murmures l'avertirent ici que toute la société ne partageait pas sa modération. Déjà, reprit-il, ils sont connus pour de vils intrigants ; avertissons la nation, rallions les citoyens, mais sans imprudence ; montrons à la fois une sagesse profonde et une énergie invincible. La Convention, avait-il dit, serait toujours le boulevard de la liberté ; à cette heure elle se trouvait placée entre l'alternative de devenir l'esclave d'une faction ou de mourir pour la liberté ; mais non, s'écriait-il en terminant, ma patrie ne sera pas esclave d'un Brissot, d'un Brunswick... Nous saurons mourir, nous mourrons tous. Oui, tous, tous, répétèrent plusieurs voix au milieu des applaudissements[135]. Mais tel n'était point l'avis de Marat. Se rappelant le vieux proverbe : Mieux vaut occire qu'être occis, il répondit : Non, nous ne mourrons point ; nous donnerons la mort à nos ennemis ; nous les écraserons. Il n'y avait pas d'ailleurs, selon lui, à s'alarmer du vain triomphe d'une faction scélérate[136]. On ne doit pas s'étonner outre mesure des violences de Marat contre la Gironde, et que, plus que personne, il ait travaillé à sa perte, car jamais homme n'a été plus indignement outragé ; et si ses adversaires avaient assurément le droit de combattre des exagérations de plume, dont ils étaient loin d'être exempts eux-mêmes, son patriotisme, qu'il était ridicule de révoquer en doute, leur commandait plus de modération et plus d'égards.

Vers ce temps-là eut lieu, paraît-il, une tentative de réconciliation entre les Girondins et les Montagnards. Danton, dont les emportements patriotiques tenaient plutôt, à mon avis et d'après l'étude attentive que j'ai faite de ce personnage fameux, à une question de tempérament qu'à des principes bien arrêtés et longuement médités, aurait, je crois, volontiers tendu les mains aux premiers s'il les avait trouvés plus accommodants. Il était en communication avec eux, comme cela résulte d'une interpellation de Boyer-Fonfrède à la séance du 13 mars. Le surlendemain, s'il faut s'en rapporter à Marat, il était, au sein même du comité de défense générale, l'objet de flagorneries outrées de la part de Guadet[137]. De son côté, Robespierre eut avec Buzot une explication toute fraternelle. Ils avaient été jadis liés si intimement, aux beaux jours de l'Assemblée constituante ! Pourquoi donc ne tomberaient-ils pas, ces nuages qui s'étaient élevés entre eux ? Ah ! était-on tenté de leur dire, bannissez donc le soupçon malsain, les défiances injustes perfidement semées sous vos pas ; vous avez l'un et l'autre dans le cœur la haine des tyrans, l'amour de la République et de la liberté ; vous êtes vraiment frères : reconnaissez-vous à ces signes certains ; allons ! embrassez-vous, et la patrie est sauvée, la République fondée ! Mais vain espoir ! On convint de se réunir[138] ; la réunion n'eut pas lieu, empêchée peut-être par les irascibles amis de Buzot. Le sort en est jeté désormais ; plus de trêve ! la lutte sans fin, la lutte à mort !

Habiles à tirer parti de cette prétendue conspiration du 10 mars contre la Convention nationale, conspiration qui n'avait existé que dans leur imagination, et à laquelle un magnifique discours de Vergniaud, plein d'assertions hasardées et mensongères, avait, après coup, donné un semblant d'existence, les Girondins recommencèrent de plus belle à inonder les départements de leurs diatribes journalières. Une longue adresse de la société populaire d'Amiens, lue à la Convention nationale dans la séance du 24 mars, réclamait impérieusement, entre autres choses, un décret de bannissement éternel contre la race exécrée de tous les Bourbon, une loi contre les provocateurs au meurtre et les fauteurs d'anarchie, une force départementale autour de l'Assemblée, la destitution de la commune de Paris, le rappel de Roland, le rapport du décret commercicide et monstrueux portant abolition de la contrainte par corps, et un décret d'accusation contre les criminels Robespierre, Danton, leurs infâmes affiliés, et le parricide Marat, médecin du frère du tyran Capet. La lecture de cette adresse, si manifestement écrite sous l'inspiration girondine, souleva quelque tumulte. La Convention se contenta de l'improuver et de passer à l'ordre du jour[139]. Robespierre, comme Marat et Danton, avait dédaigneusement gardé le silence.

Tout cela n'était pas fait pour apaiser les haines ; et cependant, de son respect pour la Convention nationale, Robespierre semblait s'attacher à fournir une preuve nouvelle chaque jour. Ainsi, le 22 mars, aux Jacobins, Desfieux ayant donné lecture d'une adresse venue de Marseille, adresse dans laquelle les signataires déclaraient ne plus reconnaître pour membres de la Convention que les représentants qui siégeaient sur la sainte Montagne, et conseillaient au peuple de Paris de se porter en force à l'Assemblée pour déjouer les manœuvres des ennemis de la liberté, Robespierre, tout en applaudissant au patriotisme des Marseillais, blâma ce zèle inconsidéré dont les intrigants pourraient se prévaloir. La société des Jacobins de Paris n'avait à prendre aucune décision, quant à elle, avant de connaître le vœu de tous les départements ; elle devait donc se contenter d'écrire à la Société de Marseille pour l'assurer de son amitié et ne pas s'arrêter aux mesures conseillées par elle. Je conclus, disait-il, à ce que nous soyons calmes et prudents, parce que je veux la liberté, parce que je veux désarmer les calomnies contre la société, parce que je veux que les sociétés populaires restent intactes, et qu'on ne les engage pas dans des démarches inconsidérées, dont on ne manquerait pas d'abuser contre vous, c'est-à-dire contre les amis de la liberté[140]. Conformément à ces observations, les Jacobins passèrent à l'ordre du jour sur l'adresse de la Société marseillaise.

La veille au soir avait été connue dans Paris la défaite de Dumouriez à Neerwinden. Cela, joint à la nouvelle des événements de la Vendée, n'avait pas peu contribué à assombrir la situation. Aussi les mesures prises par la Convention devenaient-elles de plus en plus rigoureuses, et l'on ne saurait s'en étonner. Le 18 mars, en apprenant les soulèvements dont quelques départements de l'Est venaient d'être le théâtre, elle décrétait, sur la proposition de Duhem et de Charlier, que toute personne convaincue d'émigration encourrait la peine de mort et serait exécutée dans les vingt-quatre heures[141]. Le lendemain, après un rapport de Cambacérès, elle adoptait sans discussion un projet de loi d'une excessive sévérité. Les circonstances sont pressantes, avait dit le rapporteur, et vous n'oublierez pas que les circonstances commandent presque toujours les décisions. Tout le secret de la Terreur est là. Était mis hors la loi tout individu prévenu d'avoir pris part à quelque émeute contre-révolutionnaire et arboré la cocarde blanche ou tout autre signe de rébellion. Et, entre autres dispositions, il était dit que les prêtres, les ci-devant nobles, les ci-devant seigneurs, les agents et domestiques de ces personnes, etc., subiraient la peine de mort[142], ce qui explique pourquoi tant de gens de condition inférieure ont été livrés au tribunal révolutionnaire. Le 21, la Convention, sur le rapport de Jean Debry, instituait dans chaque commune de la République et dans chaque section des communes divisées en sections un comité de surveillance, d'où étaient exclus les ci-devant prêtres et les ci-devant nobles[143]. Ce furent les fameux comités révolutionnaires, ces instruments si actifs de la Terreur. Le 26, sur la proposition de Génissieu, l'Assemblée décrétait le désarmement de tous les ci-devant nobles, seigneurs et prêtres, de leurs agents et domestiques, et autorisait les communes, les directoires de districts et de départements à désarmer toutes les personnes reconnues suspectes[144]. Enfin, le 28 mars, la Convention nationale, sur le rapport de ses comités de législation, de finances, de la guerre et diplomatique réunis, rendait la terrible loi qui bannissait à perpétuité du territoire français les émigrés, punissait de mort toute infraction à ce décret de bannissement, les frappait de mort civile et déclarait leurs biens acquis à la République[145].

Robespierre, on le voit, était resté complètement étranger à ces mesures extrêmes, dont l'application deviendra d'autant plus rigoureuse que les périls de l'État grandiront. Au reste, ces mesures, commandées par une situation exceptionnelle et sans précédents, avaient sans doute son approbation ; autrement il les eût combattues. Quoi ! disait-il, les prêtres, les nobles et leurs complices auraient plongé un fer sacrilège dans le sein de Lepeletier, et nous n'aurions pas le droit de nous défendre, nous n'aurions pas le droit de les bannir de nos sections, de mettre entre eux et nous les colonnes d'Hercule ! C'était aux assemblées sectionnaires, pensait-il, à purger Paris de tous les intrigants, de tous les scélérats, de tous les émissaires de l'aristocratie qui se faufilaient dans leur sein, couvraient la voix des meilleurs patriotes et prêchaient des excès funestes. L'intérêt de la Convention nationale et celui de toutes les sections de la République étaient identiques : celles-ci n'avaient donc rien à imposer à celle-là. Seulement la première avait besoin du peuple pour sauver le pays[146]. Le peuple ne lui manquerait pas, Robespierre en avait l'assurance.

 

XXIV

En des conjonctures aussi pressantes, il fallait, de toute nécessité,, donner au pouvoir exécutif plus de force, plus d'action, et surtout établir entre lui et la Convention des rapports plus intimes : c'est ce qu'avait récemment essayé de démontrer Robespierre. Il existait bien, depuis le 4 janvier précédent, un comité de défense générale, composé d'un certain nombre de membres tirés des divers comités de l'Assemblée, et dont Kersaint, Pétion et Guadet avaient été successivement élus présidents ; mais ce comité, n'ayant pas d'attributions bien délimitées, fonctionnait mal. Le 25 mars, sur une motion de Quinette, amendée par Isnard, l'Assemblée remplaçait cet ancien comité de défense générale par une commission dite de salut public, laquelle, composée de vingt-cinq membres, était chargée de préparer et de proposer toutes les lois et mesures nécessaires à la défense extérieure et intérieure de la République. Les ministres étaient tenus de lui fournir les renseignements dont elle aurait besoin et de lui rendre compte dans la huitaine de tous les arrêtés généraux. Ce nouveau comité devait lui-même soumettre à la Convention celles de ses opérations susceptibles de publicité et désigner chaque jour deux de ses membres pour répondre à toute demande d'explication sur l'état de la République.

Dans une pensée de conciliation, on forma ce nouveau comité de membres appartenant aux diverses fractions de l'Assemblée : les Girondins et les Montagnards y entrèrent en nombre à peu près égal. Danton, Robespierre, Rühl, devenu ardent Montagnard, Camille Desmoulins, Dubois-Crancé, y figurèrent à côté de Pétion, de Barbaroux, de Vergniaud, de Guadet et de Buzot. Composée d'éléments si contraires, cette commission portait en elle un germe de mort, et elle n'eut en effet qu'une existence éphémère. On a fort légèrement avancé que Robespierre n'y faisait que de rares apparitions, soit à cause de la présence des Girondins, soit en raison de son incapacité dans les questions militaires qui s'y agitaient. Cette assertion de Carnot est fausse d'abord, et en second lieu, ridicule[147]. Il est constaté par les registres mêmes de cette commission que, jusqu'au 6 avril, date où elle fut remplacée par le grand comité de Salut public, Robespierre assista assez régulièrement aux séances, lesquelles avaient lieu deux fois par  jour, à midi et à sept heures du soir[148]. Je ne le vois absent que dans la matinée du samedi 30 mars et dans celle du 2 avril, et rarement la commission comptait la moitié de ses membres. Quant aux questions débattues, c'étaient surtout des questions intérieures, et il n'était nullement besoin d'être militaire pour s'occuper des moyens de défense du pays. Sans avoir la prétention de tracer aux généraux leur ligne de conduite au point de vue de la stratégie, Maximilien leur avait souvent donné, dans son journal, d'excellents conseils ; si Dumouriez.les avait suivis, il aurait vraisemblablement débarrassé en très-peu de temps la République de ses ennemis et n'aurait pas terminé sa carrière politique d'une aussi déplorable façon.

Sur la foi de Danton, Robespierre, jusqu'à ces derniers temps, avait eu assez de confiance en Dumouriez, l'intérêt même du général lui paraissant un gage de sa fidélité à la République. Et puis, dans un de ses derniers voyages à Paris, Dumouriez ne s'était-il pas, aux Jacobins, jeté avec affectation dans les bras du rude et austère tribun ? Comment croire tout d'abord que cela n'était que comédie et hypocrisie ? Mais les derniers événements survenus en Belgique, les lettres ambiguës du général, qui attribuait nos revers à l'indiscipline de nos soldats et non à l'impéritie ou à la trahison de quelques officiers supérieurs, commencèrent à inquiéter Robespierre et à jeter dans son âme de violents soupçons contre le vainqueur de Jemmapes. Dès le 27 mars, il éclatait à la tribune de la Convention. Précisément Danton venait d'accuser les Girondins d'avoir conduit le général à sa perte par des insinuations perfides ; Dumouriez, prétendait-il, lui avait montré une lettre de Roland par laquelle ce ministre l'invitait à se liguer avec lui et ses amis pour écraser le parti de Paris et surtout ce Danton[149].

Sans s'occuper des Girondins dans cette séance, Robespierre poussa droit au général. Par quel phénomène les brillantes espérances dont on s'était bercé il y avait à peine quelques jours s'étaient-elles si vite évanouies ? Comment la liberté avait-elle été trahie à Aix-la-Chapelle, au moment même où l'on comptait accomplir en Hollande la révolution de l'Europe ? Et c'était à l'heure où l'on se croyait à la veille d'un triomphe complet qu'on apprenait la nouvelle de tant de désastres, que nos principales places fortes, Lille, Givet, Thionville, étaient sans garnison, que nous étions de toutes parts cernés par nos ennemis, qu'un général commandait en dictateur dans le pays, où il occupait encore quelques places, et qu'il avait dans sa retraite abandonné quatre millions à l'ennemi ! De plus, ajoutait Robespierre, nous recevons des lettres qui annoncent qu'il est très-prévenu contre la Convention, que ses opinions politiques doivent alarmer tous les ennemis de la liberté, et nous ensevelissons dans un comité toutes ces nouvelles importantes, toutes ces dénonciations ! Et, singulière coïncidence, continuait-il, les ennemis de l'intérieur avaient en même temps des armées formidables et entraient en lutte ouverte contre la Révolution. En eût-il été de la sorte si les fonctionnaires publics prévaricateurs, si les chefs d'armée infidèles n'avaient pas joui d'une longue impunité ? Comment ! pour réduire les rebelles de la Vendée, on avait été choisir des officiers aristocrates tels que Marcé, Menou et Vittenkoff ! Dans une telle crise, il était indispensable de déployer toutes les vertus que supposait la République, toute l'énergie du patriotisme, de sévir contre tous les agents coupables. Vous ne vaincrez, s'écriait Robespierre, que lorsque le peuple se lèvera en masse contre les ennemis de l'intérieur, qu'il mettra à sa tête des chefs qui auront sa confiance. Un général, quelque puissant qu'il soit, n'est à craindre que lorsqu'il n'est point environné d'une grande nation, supérieure aux trahisons comme aux talents. Mais, si vous ne ralliez pas les parties pures du peuple, si vous ne donnez pas l'éveil au patriotisme, depuis très-longtemps comprimé, alors la puissance de certains généraux pourra devenir vraiment redoutable, alors vous aurez tout à craindre.

Toutefois cela ne suffisait pas. Dumouriez avait sous ses ordres un membre de la famille d'Orléans, le fils aîné de Philippe Égalité. Était-il téméraire de supposer le général capable de conspirer dans l'intérêt de cette famille ? Dans tous les cas, il parut à Robespierre qu'au moment où la République était outragée avec tant d'insolence, trahie avec tant d'audace, elle devait donner une nouvelle force à l'esprit public et une preuve de plus de son antipathie pour la royauté. En conséquence, il renouvela une proposition précédemment faite parles Girondins et défendue par lui à la tribune des Jacobins, celle d'ordonner à tous les membres de la famille Capet d'évacuer, dans un délai de huit jours, le territoire français et toutes les contrées occupées par les armées de la République. Il demanda en outre que Marie-Antoinette d'Autriche fut traduite devant le tribunal criminel extraordinaire, comme prévenue de complicité dans les attentats commis contre la liberté et la sûreté de la nation[150]. Robespierre fut vivement applaudi[151], mais en pure perte.

Les Montagnards, qui déjà s'étaient opposés à la motion d'exclure tous les Bourbon, en raison des grands services rendus par d'Orléans à la cause de la Révolution, la combattirent de nouveau ; Lamarque parut surpris d'avoir entendu Robespierre reproduire une proposition déjà faite par des ennemis de la patrie. Cette fois cependant, la Gironde vota avec la Montagne, puisqu'à la presque unanimité l'Assemblée écarta par l'ordre du jour la motion de Robespierre. S'il faut en croire un ancien Conventionnel, quand Maximilien fut revenu à sa place, un de ses collègues, Massieu, évêque de Beauvais, qui siégeait à ses côtés, lui aurait demandé comment il se faisait qu'après avoir, dans le temps, combattu la motion de Louvet, il vînt la reproduire aujourd'hui. A quoi Robespierre aurait répondu : Je ne puis expliquer mes motifs à des hommes prévenus et qui sont engoués d'un individu, mais j'ai de bonnes raisons pour en agir ainsi et j'y vois plus clair que beaucoup d'autres[152]. Or cela est tout à fait inadmissible, par un excellent motif : c'est que, loin de combattre la motion de Louvet et de Buzot, Robespierre, comme on l'a vu plus haut, avait déclaré, en plein club des Jacobins, que s'il eût été présent à la séance où cette proposition avait été présentée, il l'aurait appuyée parce qu'elle était conforme aux principes. On trouve là une preuve de plus de la légèreté avec laquelle sont écrits la plupart de ces mémoires de personnages ayant joué dans la Révolution un rôle plus ou moins important, heureux encore quand ce ne sont pas tout à fait des œuvres de mensonge et de mauvaise foi. Mais, chose très-possible, comme le pense un illustre historien de nos jours[153], Robespierre aura très-bien pu avouer à son collègue Massieu qu'il considérerait la République comme en péril tant qu'un membre de la famille des Capet serait en France[154]. Moins de dix jours après, la Convention nationale donnait pleinement raison à Robespierre. Seulement au lieu de se contenter, comme il le demandait, de bannir tous les Bourbon du territoire de la République, elle ordonnait leur arrestation, sur la motion de Boyer-Fonfrède, et leur transfèrement dans une prison d'Etat, afin de les avoir sous la main en otages, et que leurs têtes pussent rouler au pied des échafauds, suivant l'expression de l'ardent Girondin, si les tyrans osaient porter un fer assassin sur les représentants du peuple français.

 

XXV

N'ayant pu obtenir l'expulsion des membres de la famille Capet, Robespierre demanda qu'au moins toutes les pièces de la correspondance de Dumouriez fussent lues à la tribune. Le surlendemain 29 mars, aux Jacobins, il prenait directement à partie ce général dont il soupçonnait maintenant la trahison. Il n'y avait plus à s'étonner de la politesse dont cet officier avait usé à l'égard du roi de Prusse, alors qu'il aurait dû le vaincre et ensevelir son armée dans les plaines de la Champagne. Malgré cela, il avait conservé la confiance du pays à cause de ses belles promesses et de son plan d'envahissement de la Hollande. Vaincu aujourd'hui, au lieu de s'en prendre de cet insuccès à des chefs imbéciles ou traîtres, il accusait l'indiscipline et l'insubordination des soldats, digne imitateur de ce La Fayette qui jadis avait compté tant de partisans au sein de l'Assemblée législative. Mais les soldats de la République avaient déjà prouvé ce que peut l'amour de la liberté, et, selon Robespierre, il ne leur manquait que des chefs dignes d'eux. Du reste, les ennemis les plus dangereux n'étaient pas à l'extérieur, mais au dedans. Voudrait-on nous faire accroire que nous n'avons plus d'ennemis parce qu'on s'est promené dans les rues et qu'on a visité les maisons ? disait-il. Allusion au désarmement des suspects qui avait eu lieu la veille. Il ne fallait pas s'y tromper, c'était à Paris surtout qu'on en voulait, c'était dans le sang de ses habitants qu'on chercherait à étouffer la dernière espérance du triomphe des droits de l'homme. Le peuple devait donc rester armé et demander actuellement des chefs qui le conduisissent à la victoire, non des bourreaux qui le menassent à la mort. Pour lui, quant à présent, il ne voyait pas d'un bon œil que les députés désertassent la Convention pour accompagner les défenseurs de la patrie, car l'Assemblée se privait de ses membres les plus ardents ; et nous verrons bientôt les Girondins profiter de l'absence d'une foule de représentants' patriotes pour obtenir de la Convention des mesures déplorables, telles que le décret d'accusation contre Marat par exemple.

Nos maux, poursuivait Robespierre, viennent en partie des corps administratifs, où se sont glissés un trop grand nombre d'aristocrates et de scélérats entretenant dans nos départements ce feu de la sédition qui s'approchait de nous, menaçant de tout embraser si l'on ne se hâtait pas de l'éteindre. Ah ! sombre prophétie, nous la verrons trop tôt se réaliser ! Le remède, où était-il ? dans le peuple et dans la Convention. Qu'on se lève dans toutes les parties de la France pour écraser l'ennemi intérieur, sans cela tout est perdu. Le peuple sauvera la Convention, et la Convention sauvera le peuple à son tour. Puis Robespierre ajouta : Quand je propose des mesures fermes et vigoureuses, je ne propose pas ces convulsions qui donnent la mort au corps politique. Je demande que toutes les sections veillent, et s'assurent des mauvais citoyens sans porter atteinte à l'inviolabilité des députés. Je ne veux pas que l'on touche à ces fragments de la représentation nationale, mais je veux qu'on les démasque, qu'on les mette hors d'état de nuire. Et, après avoir assimilé aux Cazalès et aux Maury tous ceux qui blasphémaient contre les vrais principes, il déclarait encore, aux applaudissements unanimes de l'Assemblée, qu'en se levant pour exterminer ses ennemis, la nation était tenue de respecter la Convention nationale[155].

Quelques jours plus tard, dans un long article de son journal, Robespierre défendait les troupes républicaines contre les calomnies du général Dumouriez, lequel, par compensation, avait fait l'éloge de Stengel et de Lanoue, si gravement compromis l'un et l'autre. Quelques personnes avaient paru attacher la destinée de la République à la tête de tel ou tel individu, de tel ou tel chef d'armée ; c'était là, selon lui, un véritable blasphème. Le salut du peuple tenait à son caractère et à son énergie. Comment ! un général avait pu impunément fouler aux pieds les décrets et l'autorité du gouvernement français, emprisonner ses agents, paralyser les sociétés populaires, aliéner la Belgique, parler enfin et agir en dictateur ! Un tel état de choses ne se pouvait supporter plus longtemps. Reprenez d'une main vigoureuse les rênes de la Révolution, s'écriait Robespierre en s'adressant à ses collègues de la Convention. Destituez les généraux prévenus d'incivisme et de trahison ; punissez sévèrement les coupables ; donnez-leur pour remplaçants des citoyens avoués par l'opinion publique. Dans les états-majors, substituez par ordre d'ancienneté, aux officiers suspects, des hommes attachés aux principes républicains, et bientôt tous les François, embrasés d'un nouveau zèle, accourront avec confiance sous les drapeaux de la liberté, et le peuple tout entier formera derrière l'armée une armée invincible[156].

Dans la soirée du 31 mars, parurent au nouveau comité de défense générale les citoyens Proly, Pereyra et Dubuisson qui, chargés par le ministre des affaires étrangères, Le Brun, d'une mission particulière auprès de Dumouriez, venaient donner au comité lecture du procès-verbal des trois conférences qu'ils avaient eues à Tournay avec le général, du 26 au 28 de ce mois. Dans ces conférences, Dumouriez, avec une brutalité toute militaire, avait laissé entrevoir ses desseins de jouer le rôle de Monk, et s'était emporté contre les principaux patriotes, contre Robespierre en particulier, aux plus violentes invectives[157]. Séance tenante, le comité de défense générale, après avoir entendu le procès-verbal des trois envoyés de Le Brun, décerna des mandats d'arrêt contre un certain nombre de personnes, parmi lesquelles les deux fils de Philippe Égalité, le général Valence, Choderlos de Laclos et madame de Genlis, femme du député Sillery, et décida que les scellés seraient apposés sur les papiers de l'ex-ministre de l'intérieur, Roland. On comprend quelle irritation une pareille décision dut jeter dans l'âme des Girondins. Cambacérès fut chargé du rapport de toutes les mesures prises et des motifs qui y avaient donné lieu. Le comité avait siégé toute la nuit ; il était près de midi quand le 1er avril 1793 il leva sa séance[158].

Ce jour-là, un déchirement suprême, une irréparable scission allait se produire à la Convention entre la Montagne et la Gironde. Après la lecture du procès-verbal des citoyens Proly, Pereyra et Dubuisson, le rapporteur du comité de défense générale, Cambacérès, donna en quelques mots l'explication des mesures urgentes prises pendant la nuit par le comité. Boyer-Fonfrède aurait voulu qu'avant toute discussion on entendit Dumouriez ; il réclama donc l'ordre du jour. L'ordre du jour, répondit Robespierre, est de prendre les mesures nécessaires pour sauver la République exposée aux plus grands dangers. L'attitude de Dumouriez, ses folles prétentions, son audace, prouvaient assez qu'il se croyait sûr du succès de ses infâmes projets. Il n'y avait donc pas un moment à perdre, selon Maximilien, et il demanda l'ouverture immédiate de la discussion sur les moyens à prendre pour sauvegarder nos frontières.

L'Assemblée allait-elle se rendre à ce sage avis ? On était en droit de l'espérer, car la situation était critique ; il n'en fut rien pourtant. Les Girondins, profondément irrités du coup frappé sur Roland, s'en prirent à Danton, soit qu'ils le regardassent comme le principal auteur de cette injure, soit qu'ils le jugeassent plus vulnérable. Danton, en effet, avait été assez étroitement lié avec Dumouriez. Commissaire en Belgique, il avait vécu dans son intimité, et de retour en France, il n'avait pas tari en éloges sur son compte. Un jour même, tout récemment, au sein du comité de défense générale, Robespierre avait insisté pour qu'on examinât très-attentivement et sans retard la conduite de Dumouriez, jugeant tout délai dangereux. Danton s'y était opposé, parce que, pensait-il, on ne devait rien décider contre le général avant la complète évacuation de la Belgique, et son opinion avait prévalu. Pénières commença l'attaque contre le vigoureux athlète ; ensuite vint La Source, qui groupa fort habilement tous ces faits, y joignit force insinuations perfides, et, dans son accusation contre Danton, enveloppa Lacroix, cet ancien allié des Girondins, passé tout à coup dans le camp montagnard. L'âpre orateur revint encore sur cette éternelle dictature, fantôme sans cesse évoqué par son parti ; il se plaignit de l'inaction du tribunal révolutionnaire et termina en demandant que chacun jurât de donner la mort à quiconque tenterait de se faire roi ou dictateur. L'Assemblée, d'une voix unanime, prêta ce serment aux applaudissements des tribunes.

Tout le monde connaît la foudroyante réponse de Danton. On avait eu l'air de suspecter sa probité relativement à une somme de cent mille écus mise à sa disposition et à celle de Lacroix pour les besoins de leur mission en Belgique, il s'en rapporta à cet égard au témoignage de Cambon. Puis, après une sorte d'invocation aux citoyens vraiment amis du peuple qui siégeaient sur la Montagne, il prit corps à corps La Source et les Girondins, et deux heures durant les tint sous sa rude étreinte. On avait incriminé ses relations avec Dumouriez ; mais ses ennemis, les hommes d'Etat, les intrigants, n'avaient-ils pas été, n'étaient-ils pas encore les plus ardents partisans du général ? N'avaient-ils pas eu pour lui les plus grands ménagements ? N'était-ce pas un journal de la faction girondine, le Patriote français, qui écrivait que Dumouriez était loin d'associer ses lauriers aux cyprès du 2 Septembre, dont Brissot et ses amis, avec cette mauvaise foi dont nous avons donné tant de preuves, s'efforçaient de rejeter la responsabilité sur leurs adversaires ? Eh bien ! s'écria Danton de sa voix formidable, après avoir renvoyé à ses imprudents accusateurs le reproche de vouloir rétablir la royauté, eh bien ! je crois qu'il n'est plus de trêve entre la Montagne, entre les patriotes qui ont voulu la mort du tyran, et les lâches qui en voulant le sauver nous ont calomniés dans la France. Hélas ! non, il n'y avait plus de trêve possible, et les applaudissements mêlés de cris de fureur qui interrompirent de moment en moment la dernière partie de cette puissante improvisation, donnèrent la mesure du degré d'exaspération où étaient montés l'un et l'autre parti[159].

L'Assemblée, après avoir entendu le discours de Danton, passa à l'ordre du jour ; mais elle prit une mesure bien grave et grosse de conséquences fatales. Frappons les traîtres quelque part qu'ils se trouvent ! s'était écrié Marat. Aussitôt le Girondin Biroteau, formulant cette menace en motion, proposa à la Convention de mettre en état d'accusation celui de ses membres sur la tête duquel flotteraient de violents soupçons. Les Girondins étaient en majorité, ils appuyèrent en masse la demande de leur ami, — personne ne protesta du reste, — et l'Assemblée aveuglée décida, que sans avoir égard à l'inviolabilité d'un représentant de la nation française, elle décréterait d'accusation celui ou ceux de ses membres contre lesquels il y aurait de fortes présomptions de complicité avec les ennemis de la liberté, de l'égalité et du gouvernement républicain[160]. Ainsi cette charte tutélaire d'inviolabilité réclamée jadis par Robespierre au sein de l'Assemblée constituante, la voilà détruite, anéantie, déchirée par les mains des Girondins, et Robespierre n'avait pas réclamé, tant de part et d'autre les passions étaient devenues violentes, les haines furieuses ! Seulement, de ce droit de proscrire, — droit exorbitant ! — les Girondins, en majorité à cette heure, espéraient bien user à leur profit, et ils en donneront prochainement la preuve. Les malheureux ! ils venaient de décréter leur mort !

 

XXVI

Robespierre avait laissé la Convention sous l'influence des paroles de Danton, mais le soir même il montait à la tribune des Jacobins pour flétrir la déloyauté avec laquelle on avait essayé d'incriminer la conduite de cet ardent patriote. La calomnie avait pris prétexte de sa trop grande crédulité et de ce qu'il ne s'était pas permis de mettre de lui-même Dumouriez en état d'accusation. On était allé jusqu'à proposer au sein du comité de défense générale l'arrestation de Danton. Pourtant, disait Robespierre, vous savez avec quelle supériorité ce patriote a écrasé ses ennemis. Vous savez avec quelle énergie il a élevé toutes les âmes. Dans l'extrême péril de la République, et au moment où les royalistes levaient audacieusement la tête, il fallait, ajoutait-il, ne voir que le salut de l'État. On avait, par mesure de prudence, ordonné l'arrestation de certaines personnes suspectes, mais on était dans un temps où les amis de l'humanité ne pouvaient sacrifier la patrie à des sentiments de commisération particulière. Pour lui qui, sans attaquer les individus, ne croy.ait pas au patriotisme des princes on général, il conseilla à la société de décider, par un arrêté solennel, à l'exemple du département des Bouches-du-Rhône, que tout homme appartenant à la famille ci-devant royale serait incapable d'être membre d'aucune société populaire. Le décret contre la famille des Bourbon n'était pas rendu encore. L'avis de Robespierre rencontra quelques contradicteurs ; cependant, après une courte discussion, il fut adopté à une forte majorité dans cette même séance. Maximilien avait aussi recommandé aux citoyens de Paris le plus grand calme, et le respect de la Convention. Je vous dis, dans la vérité de mon cœur, que la plus fatale de toutes les mesures serait de violer la représentation nationale[161]. C'était précisément li jour où les Varlet et les Fournier instituaient à l'archevêché un comité d'insurrection permanent.

Le lendemain 2 avril était lue à la Convention, entre autres pièces importantes, une lettre adressée par Dumouriez au ministre de la guerre Beurnonville, son intime ami, et dans laquelle, après avoir violemment récriminé contre Cambon et contre Robespierre, le général fondait sa confiance sur les hommes de bien de l'Assemblée et déclarait qu'il ne pouvait plus être question de conciliation avec les scélérats[162].

Or, — singulier et fatal rapprochement ! — dans le numéro du Patriote français portant la date du 12 mars, on lisait : Dumouriez est trop élevé par son courage, par son génie, par ses victoires, au-dessus de la faction anarchiste pour qu'elle espère le renverser. Elle croit, par d'indignes flagorneries, mettre dans son parti un homme qu'elle craint, elle le flatte. Mais leur espérance est folle. Dumouriez aime la gloire, il ne voudra pas partager leur infamie. Dumouriez aime la patrie, il la sauvera avec les républicains. il ne voudra pas la perdre avec les anarchistes[163]. Les républicains, sous la plume du secrétaire de Brissot, les gens de bien, sous celle de Dumouriez, c'était Brissot, c'étaient Guadet, Vergniaud, Gensonné, tous les adversaires de l'insurrection du 10 août ; les anarchistes, les scélérats, c'était Robespierre, c'étaient Danton, Marat, Cambacérès, Merlin, toute la Montagne. Quand Robespierre, sur la foi de Danton, croyait encore à la fidélité de Dumouriez, il fondait sa croyance sur l'intérêt particulier du général, comme on l'a vu, non sur son patriotisme dans lequel il avait une très-médiocre confiance ; eh bien ! à l'heure même où lecture était donnée de cette lettre qui semblait un écho des feuilles girondines, ce général si élevé par son courage, par son génie, par son amour de la patrie, suivant le jeune Girey-Dupré, portait une main sacrilège sur les quatre commissaires de la Convention envoyés près de lui, Quinette, Lamarque, Bancal et Camus, sur le ministre de la guerre lui-même qui les accompagnait, et il les livrait au général autrichien Clairfayt.

On comprend de quel anxiété poignante étaient saisis les patriotes. Dumouriez marchait sur Paris, c'était certain. Le rédacteur du journal de Brissot, qui, la veille encore, avait entonné ses louanges, était bien obligé d'écrire : Lorsque hier nous prenions la défense du vainqueur de Valmy et de Jemmapes, nous étions loin de penser que Dumouriez était las de jouer le rôle d'Épaminondas, et qu'il voulait jouer celui d'Alcibiade ou de Monk. Puis, en exprimant encore une sorte de doute, il ajoutait : Si ses crimes sont prouvés, sa tête doit tomber[164]. Mais Robespierre ne doutait pas. Comme si à quatre-vingt-dix lieues de distance il eût pu lire dans le cœur du général, il le montrait nouant des intelligences avec les puissances étrangères ; — et déjà Dumouriez avait eu avec le colonel Mack plusieurs entrevues dans lesquelles il s'était engagé à marcher sur Paris pour y rétablir la monarchie[165], — il le montrait s'offrant comme médiateur afin de forcer le peuple français à transiger sur sa liberté. Mais quoi ! la République, cette République dont l'enfantement était si pénible, courberait la tête, s'humilierait devant un soldat insolent ! Non, mille fois non. C'était l'heure où le génie de la liberté devait enfanter des miracles. Et Paris est le boulevard de la liberté, s'écria Robespierre aux Jacobins, dans le séance du 3 avril. Si quelqu'un désespéra du salut de la République, ce ne fut certes pas lui. Sombre et terrible, il communiqua à tous l'ardeur de patriotisme dont il était dévoré. Comme député de Paris, il fit appel aux sections, à la municipalité, au département. La capitale du monde ne succomberait pas ! Il fallait, selon lui, lever une armée révolutionnaire composée de tous les patriotes, et dont la force et le noyau seraient dans les faubourgs ; il fallait désarmer non pas les nobles et les prêtres, mais seulement les citoyens douteux qui auraient donné des preuves d'incivisme. Dumouriez sans doute précipitait ses pas ; il n'y avait pas de temps à perdre : c'était à la capitale menacée à se défendre. Le moment est venu de transiger avec les despotes ou de mourir pour la liberté. J'ai pris mon parti, que tous les citoyens m'imitent. Et au milieu des transports soulevés par ses paroles enflammées, il ajouta : Que tout Paris s'arme, que les sections et le peuple veillent, que la Convention se déclare peuple. Le génie de la liberté triomphera ! Le lendemain on lisait à la tribune de la Convention la circulaire insurrectionnelle de Dumouriez ; et l'Assemblée, après avoir, à la voix de Thuriot, mis le général hors la loi, promettait 300,000 livres à ceux qui s'en saisiraient et l'amèneraient à Paris mort ou vif. On sait comment Dumouriez, abandonné de ses soldats indignés, passa à l'ennemi, flétrissant par une indigne trahison sa carrière si brillamment commencée.

Dans son numéro du 2 avril, la feuille de Brissot, s'emparant d'une phrase de Robespierre, mal rendue peut-être par le Journal des débats de la Société des Jacobins, dont le rédacteur, tout dévoué à la Gironde, avait été chassé un jour pour avoir faussement rendu compte des séances, avait eu l'effronterie d'accuser l'énergique tribun de prêcher la guerre civile[166]. Il était impossible d'aller plus loin dans la calomnie que le Patriote français à l'égard de Robespierre. Depuis un an, c'est-à-dire depuis le jour où un discours de Brissot et un discours de Guadet avaient été solennellement déclarés calomnieux par la société des Amis de la Constitution, c'était une guerre sans trêve et sans relâche, odieuse, déloyale au suprême degré[167]. Non, je ne sache pas de cœur, si cuirassé qu'il fût, qu'une si persistante mauvaise foi et de si sanglantes calomnies n'eussent fini par jeter hors de lui-même. Et pour comble de démence, voilà les Girondins qui imaginent à présent d'accuser la Montagne d'être complice de Dumouriez ! Mais pouvait-on oublier que mis en relation avec eux par leur ami Gensonné, le général avait été élevé par eux au ministère ? N'était-ce pas en leur compagnie qu'au mois de janvier précédent on l'avait toujours rencontré ? N'était-ce pas sur eux que, dans ses lettres toutes récentes, il fondait son espoir pour arracher la France à ce qu'il appelait l'anarchie, par une touchante imitation de leur langage ? Enfin, n'était-ce pas le jour même où éclatait la trahison de Dumouriez que paraissait dans le journal de Brissot ce malheureux article si élogieux à l'égard de ce général ?

Le 3 avril, à la séance du soir, comme on proposait à la Convention des mesures insignifiantes, Robespierre demanda tout à coup la parole pour une motion d'ordre, et, de sa place, il se plaignit de l'insuffisance des moyens adoptés jusqu'ici pour parer aux dangers publics. Le comité de défense générale, divisé comme il l'était, lui paraissait incapable de sauver le pays. Ce comité, dit-il, avait le tort de compter dans son sein certains hommes professant des principes réprouvés par la liberté. Ici de vifs murmures interrompirent l'orateur. — À la tribune ! à la tribune ! crièrent plusieurs voix. — Mais, répliqua un membre, il est impossible aux amis de la liberté d'aller à la tribune, on les injurie. Jean Debry, qui présidait, ayant pris l'engagement de maintenir la liberté des opinions, Robespierre monta à la tribune. Convaincu que les mesures nécessaires au salut de la Révolution ne seraient jamais adoptées par un pareil comité, il ne se regardait plus, dès à présent, comme en faisant partie et tenait à le déclarer hautement. Il ne voulait pas délibérer avec des gens disposés à accepter un système où la république se trouverait combinée avec une sorte de constitution monarchique, avec des gens qui d'ailleurs avaient tenu le langage de Dumouriez, et qui, à l'exemple de ce général, avaient calomnié sans cesse Paris et les patriotes les plus purs de la Convention. A l'appui de ses paroles, Robespierre invoqua le propre témoignage du général, lequel, dans une de ses lettres lues à la tribune, applaudissait au choix des députés composant le comité de défense générale, à l'exception de six membres, parmi lesquels l'orateur s'honorait de figurer. Enfin il s'étonnait que ceux qui depuis six mois s'acharnaient contre les plus ardents défenseurs de la liberté fussent restés muets jusqu'ici sur les crimes de Dumouriez. Il n'y a que nous, s'écria-t-il, tant calomniés, qui ayons élevé la voix sur les perfidies de ce traître. — A ces mots Brissot se leva et demanda la parole. — Alors revinrent à la mémoire de Robespierre toutes les infamies incessamment répandues sur son nom par la feuille du célèbre Girondin. Ce matin encore n'avait-on pas odieusement travesti ses pensées ? Puisque Brissot, dit-il, demande la parole pour me foudroyer, je vais faire sur Brissot l'application de ce que je viens de dire. Il n'avait pas de faits certains à alléguer contre lui, mais il le montra intimement lié depuis longtemps avec Dumouriez, ayant, dans toutes les circonstances, pris ardemment sa défende, et de concert avec lui, poussé à la guerre contre l'Autriche avant de songer à abattre la cour et à remplacer les généraux aristocrates comme le voulaient tous les vrais patriotes. Il reproduisit le reproche déjà lancé du haut de la tribune contre Roland et les Girondins par Danton d'avoir, après le 10 août, aux jours des grands périls, comploté d'abandonner Paris avec le roi et sa famille, et désespéré lâchement du salut de la France ; il scruta d'un œil sévère la conduite de ce Dumouriez qui, après avoir débuté par des succès brillants, marchait maintenant de revers en revers et s'en prenait à l'indiscipline des soldats républicains au lieu d'accuser l'impéritie ou la trahison.de généraux étrangers dont quelques-uns, comme Miranda, étaient des créature s de Brissot. Dumouriez était donc, selon Robespierre, d'intelligence avec ce dernier, et l'un et l'autre devaient être décrétés d'accusation[168].

Brissot n'eut pas de peine à prouver qu'il était parfaitement étranger à la trahison du général ; mais quand, au début de sa défense, il déclara hypocritement qu'il n'avait pas voulu se prononcer sur les crimes de Dumouriez avant d'avoir été provoqué à s'expliquer, il s'attira cette violente apostrophe de Poultier : Il est convaincu ; je demande qu'il lise le numéro du 2 avril de son journal : vous en verrez la preuve. La Convention nationale passa à l'ordre du jour, parce qu'en définitive rien n'indiquait la moindre participation de Brissot dans les projets du vainqueur de Jemmapes ; mais il n'en est pas moins vrai que, jusqu'au dernier jour, les Girondins, comme cela ressort clairement des articles du Patriote français, comptèrent sur l'épée du général pour les aider à réduire leurs adversaires de la Montagne.

 

XXVII

Tellement violentes étaient les passions que, dans la séance de nuit du lendemain, Vergniaud proposa à la Convention de déclarer complice de Dumouriez quiconque ferait perdre le temps de l'Assemblée, et si cette motion insensée ne fut pas adoptée, elle n'en fut pas moins couverte d'applaudissements[169].

Le comité de défense récemment réorganisé sous le nom de commission de Salut public, et composé de membres entre lesquels toute entente était devenue impossible, se trouvait, comme venait de le démontrer Robespierre, dans l'impuissance de diriger l'action gouvernementale et de sauver le pays. Tout le monde le sentait. Le mercredi soir 3 avril, Isnard et Cambon avaient proposé au sein de ce comité une nouvelle organisation du pouvoir exécutif[170]. Ce fut ce projet que le Girondin Isnard vint soumettre a la Convention dans la séance du 6 avril, et qui fut adopté, avec quelques modifications, par l'Assemblée. Un comité de Salut public, formé de neuf membres de la Convention, renouvelables de mois en mois, était chargé de surveiller et d'accélérer l'action du conseil exécutif, dont il lui était permis de suspendre les arrêtés, à la condition d'en informer sans délai la Convention nationale. Investi du droit de prendre dans les circonstances urgentes des mesures de défense générale extérieure et intérieure, il devait adresser chaque semaine à l'Assemblée un rapport écrit de ses opérations et de la situation de la République, et tenir registre de ses délibérations. Ainsi fut créé le grand comité de Salut public, qui eut pour mission de sauver la France et dont le souvenir frappe encore de terreur aujourd'hui tous les partisans de la royauté.

Les premiers membres de ce comité furent Barère, Delmas, Bréard, Cambon, Danton, Guyton-Morveau, Treilhard, Delacroix et Robert Lindet, nommé à la place de Jean Debry non acceptant. Pour que Robespierre y entrât tout d'abord, l'influence girondine était encore trop grande sur la Convention ; il n'en deviendra membre qu'au mois de juillet suivant. Telle était alors l'exaspération des Girondins contre lui, qu'un des leurs, le Marseillais Rebecqui, un de ses premiers accusateurs, envoya à la Convention nationale sa démission, fondée, — c'est à n'y pas croire ! — sur ce que Robespierre n'avait pas porté sa tête sur l'échafaud pour avoir proposé un chef, un régulateur[171]. La lettre par laquelle le député de Marseille annonçait sa résolution, lettre d'un véritable maniaque, ne produisit aucun effet, contre son attente sans doute, et l'Assemblée accepta purement et simplement la démission du compère de Barbaroux, de ce faux témoin suborné par la Gironde, comme disait Camille Desmoulins.

La trahison de Dumouriez avait porté au comble l'irritation des esprits. L'inquiétude était partout, le soupçon farouche dans tous les cœurs. Dumouriez avait été le collègue des Girondins au ministère ; il tenait d'eux sa nomination de général en chef des armées de la République. A la suite du renvoi de Roland, de Clavière et de Servan, un éclat scandaleux avait eu lieu. A Brissot, imprimant qu'il était, lui Dumouriez, le plus vil des hommes, le général avait répondu que Brissot était le plus grand des fripons ; mais la paix s'était faite entre eux, et nous avons vu le journal de Brissot porter aux nues, jusqu'au dernier moment, le criminel général. Rien d'étonnant, en conséquence, à ce que les sections parisiennes, à bon droit irritées des éternelles et iniques déclamations des Girondins contre la capitale, les aient enveloppés dans l'anathème dont était désormais frappé Dumouriez. L'injustice appelle l'injustice. Le 8 avril, dans la séance du soir, parut à la Convention une députation de la section de Bon-Conseil. Parmi ceux que la voix publique désignait comme les complices de Dumouriez, elle nomma les Brissot, les Guadet, les Gensonné, les Vergniaud, les Louvet, les Buzot, et réclama contre eux un décret d'accusation. Si les gens de la droite poussèrent les hauts cris et trépignèrent de fureur, cela se comprend de reste. Les pétitionnaires n'en obtinrent pas moins, sur la demande de Marat, les honneurs de la séance[172].

Le surlendemain, Pétion, plein de colère, venait dénoncer un projet d'adresse à la Convention nationale, émanant cette fois de la section de la Halle-aux-Blés et conçue dans le même esprit que la précédente pétition. La lecture de cette adresse souleva au sein de l'Assemblée un de ces orages comme on en avait déjà trop vu, hélas ! Danton proposa une mention honorable de l'adresse lue par Pétion, et au milieu du tumulte, on l'entendit, de sa voix tonnante, crier aux Girondins : Vous êtes des scélérats ! Pétion reprit, et mit tout sur le dos de Marat, se plaignant qu'aujourd'hui l'Ami du peuple obtînt sans cesse la parole et dénonçât les meilleurs citoyens. — Et Dumouriez ? lui objecta-t-on. — Sans doute il a dénoncé Dumouriez, fut obligé d'avouer l'ancien maire ; mais il ne dénonçait pas Égalité, mais il le défendait, mais il allait chez lui... On voit comme la haine aveuglait l'un et l'autre parti. Si les Montagnards reprochaient aux Girondins d'être les complices de Dumouriez, ceux-ci, avec bien moins de raison, accusaient leurs adversaires de conspirer en faveur de d'Orléans. La conclusion de Pétion fut qu'il fallait renvoyer devant le tribunal révolutionnaire le président et les secrétaires de la section de la Halle-aux-Blés, s'ils avaient signé l'adresse dénoncée par lui.

Danton, avec beaucoup plus de calme, combattit cette motion. Quel exemple on donnait à la nation 1 On voulait sévir contre le peuple, et on le dépassait en violence ! Paris n'avait-il pas le droit d'ailleurs de porter à son tour la guerre contre ceux qui l'avaient tant calomnié, après les services qu'il avait rendus à la cause de la liberté ? Telle fut à peu près l'argumentation de Danton. Il essaya cependant, par quelques paroles pleines de sens et de cœur, d'apaiser les colères. Mais toutes les digues étaient rompues. Boyer-Fonfrède reprit, contre la Montagne, la thèse absurde de cette prétendue conspiration en faveur de d'Orléans. Après lui parut Guadet, l'homme le plus propre à tout envenimer. Il s'opposa à ce qu'on traduisît dès à présent Égalité et ses complices au tribunal révolutionnaire, parce que ce tribunal refusait de poursuivre les fauteurs de la conspiration du 10 mars, laquelle, prétendait-il, tenait -essentiellement à celle de d'Orléans. Pour quiconque a consciencieusement étudié l'histoire de ces temps orageux, il est évident que cette problématique conspiration du 10 mars n'exista jamais que dans la cervelle des Girondins, qui s'ingénièrent pour s'en faire une arme contre leurs adversaires. Nous avons d'ailleurs suffisamment prouvé avec quelle persistance Robespierre, personnellement, avait combattu toute tentative illégale contre la Convention, avec quel soin il avait recommandé le plus grand calme à la population. L'insinuation perfide de Guadet le tira de la réserve où il était resté jusque-là dans cette séance agitée, Je demande la parole après Guadet pour dénoncer les vrais coupables ! s'écria-t-il. Guadet recommença de plus belle. Les véritables complices de Dumouriez étaient, soutenait-il, les auteurs de. la conspiration du 10 mars, les acolytes d'Égalité, c'est-à-dire, dans sa pensée, les Danton, les Marat. Quant à l'opinion publique qui les écrasait, ses amis et lui, c'était une opinion factice, semblable au coassement de quelques crapauds. Grossièreté inutile, qui lui attira de la part de Marat cette apostrophe non moins grossière : Vil oiseau, tais-toi ![173]

Robespierre avait jusqu'alors laissé Danton et Marat dresser devant la Convention l'acte d'accusation contre la Gironde en masse, mais cette fois il était venu avec un discours tout préparé, comme il le laissa très-bien entendre dès ses premières paroles. Les provocations de Pétion et de Guadet l'amenèrent à la tribune. Bien insensé, pensait-il, serait celui qui présenterait comme corrompue la majorité de la Convention ; mais de temps à autre elle se laissait égarer par certains hommes profondément corrompus. Cela ne se pouvait nier. Pour lui, les conspirations dont la République était environnée formaient comme une chaîne immense, qui circulait dans tous les cabinets de l'Europe et dont un des anneaux aboutissait dans l'enceinte même de l'Assemblée. Après avoir cherché avec douleur les causes des périls de la liberté, il voulait les dévoiler aujourd'hui. Les hommes qu' il avait à dénoncer étaient encore en possession de dominer, et peut-être ses efforts seraient-ils inutiles, mais du moins il aurait la conscience d'avoir rempli son devoir. Il ne faut pas perdre de vue -qu'au moment où Robespierre enveloppa, dans le vaste réquisitoire dont nous allons donner l'analyse, les principaux membres de la Gironde, cette faction était encore toute-puissante et en majorité dans l'Assemblée, comme, quelques jours auparavant, Robespierre jeune n'avait pas manqué d'en faire la remarque aux Jacobins : La Montagne est presque déserte ; les patriotes sont dans les départements[174]. Ce n'était donc pas un parti à moitié abattu qu'à son tour il venait attaquer en face ; au contraire. Parlez ! parlez ! lui crièrent plusieurs voix. La Source et Vergniaud lui-même insistèrent pour qu'il fût entendu sur-le-champ. On était prêt à répondre à un discours artificieusement apprêté, disaient-ils, reproche outrecuidant et assurément bizarre dans la bouche de gens qui, si souvent et à brûle-pourpoint, avaient jeté à la tête de Robespierre des libelles préparés dans l'ombre et longuement médités. La Convention décida qu'il serait entendu séance tenante.

 

XXVIII

Du long réquisitoire que nous allons rapidement examiner, tout est vrai, tout... excepté les inductions qu'a tirées Robespierre de faits dont il était impossible de contester la réalité. Les historiens contrerévolutionnaires, les écrivains hostiles à ce grand citoyen, n'ont pas manqué de lui faire un crime de ce discours qu'ils ont présenté comme un monument d'astuce et de perfidie ; mais ils se sont bien gardés de dire par quels mensonges odieux, par quelles calomnies répétées à satiété, par quelles manœuvres ténébreuses, les Brissot, les Guadet, les Vergniaud, les Louvet, avaient jeté l'irritation dans le cœur de ce collègue qui, à diverses reprises, au début de la Convention, les avait adjurés de dépouiller toute haine particulière ; comment ils l'avaient en quelque sorte amené fatalement à confondre sa propre cause avec celle de la République, et à considérer comme des ennemis de la liberté ceux qui avec tant d'acharnement et de mauvaise foi conspiraient la perte de ses plus intrépides défenseurs.

Robespierre commença par déclarer qu'une faction puissante conspirait avec les tyrans de l'Europe pour donner un roi à la France avec une constitution aristocratique. C'était bien là le système qui convenait à Pitt, à tous les ambitieux, à ces bourgeois aristocrates ayant horreur de l'égalité et auxquels on avait fait peur même pour leurs propriétés, aux anciens nobles enfin, heureux de retrouver dans une nouvelle cour les distinctions dont la Révolution les avait dépouillés. La République, disait Robespierre, ne convient qu'au peuple, aux hommes de toutes les conditions qui ont une âme pure et élevée, aux philosophes amis de l'humanité, aux sans-culottes, qui se sont en France parés avec fierté de ce titre dont La Fayette et l'ancienne cour voulaient les flétrir, comme les républicains de Hollande s'emparèrent de celui de gueux, que le duc d'Albe leur avait donné.

L'orateur traça ensuite un sombre tableau de la conduite des Girondins depuis leur apparition sur la scène de la Révolution. Il les montra terribles contre les émigrés et les prêtres, défendant les droits du peuple et les sociétés patriotiques jusqu'à ce qu'ils fussent parvenus à s'emparer du pouvoir, objet de leurs ardentes convoitises ; puis, devenus en tout point semblables à ces gens connus sous le nom de Feuillants et de modérés, cachant leur ambition sous le masque de la modération et de l'amour de l'ordre, traitant d'anarchistes et d'agitateurs tous les patriotes coupables de ne pas s'être enrôlés sous leurs drapeaux et de n'avoir pas cru que les destinées de la Révolution fussent conciliables avec les prétentions des gens de cour, même sous un ministère girondin. Leur éloignement du pouvoir les avait seul pour un temps rejetés dans le parti populaire ; mais que d'efforts pour ressaisir ce pouvoir perdu ! La journée du 20 juin n'avait pas eu d'autre mobile que leur ambition. Ils trouvaient bon de se servir du peuple comme d'un marchepied pour monter aux honneurs, sauf à l'écraser sous prétexte de maintenir l'ordre quand on n'avait plus besoin de lui. N'ayant pas réussi par l'émeute, ils étaient entrés en négociations avec la cour, par l'entremise du peintre Boze, pour obtenir le rappel de leurs ministres d'élection. Aussi que de luttes, que de menaces contre ceux qu'ils appelaient alors les républicains en les menaçant du glaive de la loi ! Avec quelle persistance ils s'étaient opposés à la journée du 10 août, jusqu'à promettre au roi, dans la matinée de ce jour, de faire respecter les autorités constituées ! Tout cela fut rappelé par l'orateur avec une verve désespérante. Continuant l'examen de la conduite de ses adversaires, Robespierre les représenta cherchant, une fois la monarchie détruite, à s'attribuer tout l'honneur de son renversement, recueillant seuls les fruits de la victoire populaire, calomniant, dès le lendemain du 10 août, le conseil général de la commune, aux efforts duquel était dû le triomphe de la nouvelle révolution, et s'empressant de rappeler au ministère leurs créatures, Servan, Clavière et Roland. Maîtres une seconde fois du pouvoir, et maîtres absolus, ils font remettre entre les mains de Roland des sommes énormes pour façonner à leur gré l'opinion publique, pour payer tous les écrivains disposés à se vendre, à chanter leurs louanges et à calomnier indignement toutes les personnes opposées à leurs vues. Avec quelle perfidie et quel machiavélisme ils excitaient contre Paris la défiance et la jalousie des autres parties de l'Empire, et travestissaient en brigands et en assassins les citoyens dont ils redoutaient l'énergie ! L'ennemi marche sur la capitale ; Longwy et Verdun tombent sous ses coups ; que font-ils ? Ils songent à fuir avec l'Assemblée législative, sans s'inquiéter de la capitale livrée aux vengeances de Brunswick ; et sans la résistance de Danton, sans le sublime élan du peuple de Paris, nul doute qu'ils n'eussent accompli leur dessein.

La Convention arrive, la République est proclamée ; vont-ils fraterniser sincèrement avec ses véritables fondateurs, s'unir avec eux dans un même cri d'enthousiasme et de victoire ? Point. Dans la crainte qu'on ne vienne leur demander une part du pouvoir dont ils sont restés détenteurs, ils s'attachent, dès le premier jour, à jeter la division et le trouble dans l'Assemblée par les plus odieux mensonges et par les plus indécentes calomnies. A la piste des nouveaux députés trompés d'avance par des papiers imposteurs, ils pratiquent sur eux un système d'embauchage honteux et parviennent ainsi à se former une majorité au sein de la Convention. Pour donner le change sur la dictature qu'ils exerçaient eux-mêmes, ils inventent et répètent à l'envi cette ridicule fable de dictature dont ils imputent le projet à un citoyen sans pouvoir comme sans ambition. Puis, comme pour déshonorer à plaisir la Révolution française aux yeux du monde entier, ils chargent de toutes les iniquités imaginables les patriotes dont ils redoutent l'opposition. De là ces éternelles déclamations contre les journées de Septembre, contre la justice révolutionnaire qui avait immolé les Montmorin et les de Lessart, et dont la responsabilité, si responsabilité il y a, devrait peser plutôt sur les Girondins que sur leurs adversaires, comme nous l'avons surabondamment démontré[175]. Dans leur rage insensée contre Paris, ces mêmes hommes, pour écraser le patriotisme de la capitale, appellent illégalement une masse de fédérés, qui d'abord poursuivent de leurs cris de fureur les véritables amis de la liberté. Mais bientôt, ô toute-puissance de la vérité et de la vertu ! ces généreux citoyens, revenus de leurs erreurs au contact des habitants de la capitale, cimentent dans une fête civique, sur la place du Carrousel, leur alliance avec le peuple de Paris, et jurent avec lui une haine éternelle aux tyrans. Les longs délais apportés au jugement de Louis XVI, l'appel au peuple qui, au dire de l'orateur, équivalait à un appel à la guerre civile, la précipitation avec laquelle les Girondins avaient rompu la paix et soulevé l'Europe contre nous, quand à la tête de nos armées se trouvaient des généraux notoirement hostiles à la Révolution, quand nos soldats étaient sans armes et nos places fortes sans moyens de défense, quand la France regorgeait encore d'ennemis intérieurs, étaient autant de griefs relevés par Robespierre à la charge de ses adversaires.

Un historien de nos jours trouve exorbitant qu'il ait reproché aux Girondins d'avoir voulu la guerre, c'est-à-dire d'avoir pensé que la France devait étendre au monde le bienfait de la Révolution[176]. Voilà, il faut l'avouer, une singulière façon pour un peuple d'être le bienfaiteur d'un autre peuple, que de porter dans son sein le fléau de la guerre, le ravage dans ses champs et dans ses villes, la désolation dans ses familles. Pour nous, plus ménager du sang des hommes, nous sommes pleinement de l'avis de Robespierre, qui réprouvait les missionnaires armés, et qui, avec son grand sens politique, ne voulait pas qu'on mît du côté de l'Europe un semblant de raison et de droit pour envahir notre territoire. Il fallait attendre. Les missionnaires armés ! toute nation qui les supporte est une nation dégénérée et indigne d'estime.

Une fois sur ce chapitre de la guerre, Robespierre incrimina minutieusement toutes les relations des Girondins avec Dumouriez, porté par eux au pouvoir, et par eux placé à la tête de nos armées. Suivant alors pas à pas le général depuis sa promotion au commandement des troupes de la République, il le montra toujours en rapport avec Brissot et ses amis, acceptant de leurs mains un général étranger, Miranda, a qui incombait la responsabilité de l'échec de Maëstricht, et en toutes circonstances soutenu et défendu par eux. Et l'on est bien obligé d'avouer que jusqu'à l'heure même où fut dévoilée au sein de la Convention la trahison de Dumouriez, les Girondins le comblèrent d'éloges dans leurs journaux, parce qu'ils comptaient sur lui pour avoir raison de leurs adversaires. Robespierre leur reprocha aussi comme un crime l'élévation au ministère de la guerre du général Beurnonville, qui en Vendée avait mis à la tête des troupes républicaines des officiers perfides et attachés à l'ancien régime comme Marcé et d'Hermigny. La conduite des membres de la Gironde au sein du comité de défense générale relativement à Dumouriez, les éloges publics que ce général leur avait adressés, étaient à ses yeux un indice bien fort de leur complicité. En terminant, il demanda le renvoi devant le tribunal révolutionnaire de la famille d'Orléans, de Sillery, de la femme de ce dernier et du général Valence, passé à l'ennemi avec Dumouriez et le fils d'Égalité, et que ce tribunal fût également chargé d'instruire le procès de tous les autres complices de Dumouriez. Je n'ose pas dire que vous devez frapper du même décret des membres aussi patriotes que MM. Vergniaud, Guadet, Brissot et Gensonné ; je n'ose pas dire qu'un homme qui correspondait jour par jour avec Dumouriez doit être pour le moins soupçonné de complicité ; car à coup sûr cet homme est un modèle de patriotisme, et ce serait un sacrilège que de demander le décret d'accusation contre M. Gensonné. Aussi bien je suis convaincu de l'impuissance de mes efforts à cet égard, et je m'en rapporte pour tout ce qui concerne ces illustres membres à la sagesse de la Convention. Puis, renouvelant la proposition qu'il avait déjà faite à l'égard de Marie-Antoinette, il engagea l'Assemblée à s'occuper sans relâche des moyens tant de fois annoncés de sauver la patrie et de soulager la misère du peuple[177]. Robespierre descendit de la tribune au milieu des applaudissements d'une grande partie de l'Assemblée[178].

Comme nous l'avons dit, et comme on a pu s'en rendre compte, tous les faits allégués par Robespierre dans ce long acte d'accusation étaient bien réellement vrais ; ce qui ne l'était pas, c'étaient la plupart des inductions qu'il en avait tirées. Mais comment s'étonner qu'il se soit trompé à ce point lui-même, après les longues vexations dont il avait été l'objet de la part de ceux dont, à son tour, il incriminait la conduite. Ah ! certes, ce n'était point la faute des Girondins si un décret d'accusation n'était pas venu l'arracher de son banc de législateur ; ce n'était pas leur faute si le poignard de quelque fanatique n'était pas allé frapper traîtreusement ce prétendu aspirant à la dictature. Ces fabricateurs de calomnies criaient bien haut maintenant à la calomnie. Eux qui, depuis six mois, avaient, avec un acharnement sans exemple, dénoncé, dénoncé sans preuves et sans l'ombre d'un prétexte, ce Robespierre, leur aîné dans la carrière de la Révolution, ils ne pouvaient concevoir qu'on les dénonçât aussi et qu'on appelât sur leurs actes l'attention sévère de la Convention. Vergniaud utilisa cette éloquence facile et sonore dans l'art de laquelle il était passé maître. On connaît sa réponse et la fameuse broderie sur ce thème banal : Nous sommes des modérés ! Or, Vergniaud s'était donné là le facile avantage de répondre à un argument que Robespierre n'avait pas eu à invoquer contre la Gironde. Les Girondins n'étaient pas des modérés dans l'acception vraie du mot, Maximilien le savait mieux que personne. N'étaient-ce pas eux qui avaient rempli de leurs fureurs tant de séances de la Convention ? Et l'amertume dont à celle heure débordait le cœur de leur adversaire, n'étaient-ce pas eux qui l'y avaient versée goutte à goutte ? Robespierre leur avait reproché de se couvrir du masque de la modération, ce qui était bien différent, et il avait comparé leur conduite à celle de ces personnages connus sous le nom de Feuillants et de modérés. Comparaison parfaitement juste.

Au reste Vergniaud, tout en se plaignant d'avoir été calomnié, ne se priva pas d'user contre son accusateur de l'arme détestable forgée par son propre parti, et il ressassa toutes les vieilles calomnies dont, à diverses reprises, la Convention avait fait bonne justice, et sur laquelle lui-même avait passé condamnation. Avec une grande habileté d'avocat, Vergniaud répondit, tantôt au nom de son parti, tantôt en son nom propre. Ainsi, quand les faits allégués contre la faction tout entière étaient incontestables, il commençait par dire : On nous accuse, et terminait en s'écriant que jamais il n'avait commis tel acte. Je veux citer un exemple frappant de cette tactique. Robespierre avait, à bon droit, reproché aux Girondins d'avoir employé l'argent de l'Etat à corrompre par leurs journaux et par leurs correspondances l'esprit des départements. Ceci s'adressait au ministre Roland, qui, par ses odieux procédés et l'Abus qu'il avait fait, dans l'intérêt d'une coterie, des sommes confiées à sa probité, aurait certainement mérité d'être mis en état d'accusation. Que répondit Vergniaud ? Il adjura son département de déclarer s'il avait tenté d'égarer ses opinions, et affirma que jamais il n'écrivait de lettres. Cette réponse évasive ressemblait beaucoup à de l'hypocrisie. Mais Brissot trouva moyen de se montrer plus fort. Dans une longue réfutation publiée en brochure, et insérée dans son journal une dizaine de jours après, il ne craignit pas d'écrire : Robespierre m'accuse de gouverner le ministère depuis le 10 août, et j'affirme, moi, que c'est Robespierre, Danton et leur parti qui l'ont gouverné et le gouvernent encore par la terreur. Ainsi c'étaient Robespierre et Danton qui avaient dirigé Roland, et probablement l'avaient déterminé à inonder les départements de ces milliers de libelles dirigés contre eux. Il m'accuse, continuait Brissot, de distribuer des places, et j'affirme que c'est Robespierre, Danton et leur parti qui les distribuent depuis le 10 août[179]. Brissot, comme on voit, ne détestait pas de se montrer bouffon quelquefois. Or, que dut-on penser de la bonne foi de ce maître ès-intrigues, quand un peu plus tard on put lire la lettre suivante déjà citée, mais qu'il importe de remettre sous les yeux de nos lecteurs : Je souhaite bien le bonjour à la respectable madame Roland... Je lui envoie pour son mari et pour Lanthenas une liste de patriotes à placer ; car il doit toujours avoir une pareille liste sous les yeux. Tout aux amis. Signé : J.-P. Brissot[180]. Par une pareille lettre, Brissot s'était lui-même d'avance convaincu d'infamie.

Dans la soirée du 10, Robespierre, aux Jacobins, engagea vivement les pétitionnaires de la Halle-aux-Blés à effacer de leur adresse tout ce qui sentait la menace et l'emportement. Rédigée d'un style plus décent et plus convenable, elle n'en aurait, disait-il, que plus de force et de majesté, et serait signée par tous les amis de la liberté. Pas de mesures violentes, pas de ces expressions indiscrètes dont les intrigants se faisaient une arme contre les patriotes. Ceux-ci, d'ailleurs, trouveraient toujours au besoin dans le peuple un appui et un sûr moyen de triompher. En attendant il fallait demeurer calme et tranquille[181]. Vergniaud, à la fin de son discours, avait déclaré qu'il se proposait de demander le renvoi des signataires de la pétition en question devant le tribunal révolutionnaire ; ce n'était guère le moyen d'apaiser La population parisienne. Quand Robespierre eut cessé de parler, l'orateur de la section de la Halle-aux-Blés monta à la tribune, déclara que la majorité des sections était de l'avis de Robespierre, mais que malgré la dénonciation dont la sienne avait été l'objet de la part de Pétion, elle n'en marcherait pas moins d'un pas républicain dans le chemin du salut public[182]. De terribles orages s'amassaient contre la Gironde.

 

XXIX

Montagnards et Girondins ne pouvaient plus travailler ensemble à l'établissement de la République ; il fallait que l'un ou l'autre parti disparût de la scène ; toute conciliation était désormais impossible. Comment, au milieu de luttes journalières pour des questions de personnes s'occuper utilement de la chose publique ? Certaines séances de la Convention dégénéraient en véritables batailles. Le 11 avril, un député, longtemps indécis et flottant, Duperret, que ses relations-avec Charlotte Corday devaient mener à l'échafaud, inaugura par un accès de délire étrange son entrée définitive dans le camp girondin. On le vit tout à coup tirer l'épée, comme pour fondre sur la Montagne. À l'Abbaye ! s'écrièrent à la fois David, Panis, Marat et Bentabole. Mais les Girondins étaient en nombre ; l'Assemblée passa à l'ordre du jour[183]. Que de cris de fureur, si un Montagnard se fût rendu coupable d'un pareil acte !

Le lendemain, nouvel orage. Robespierre venait précisément de se plaindre des retards apportés a l'exécution du décret concernant l'abolition de la contrainte par corps, et de faire voter, sans discussion, la mise en liberté des détenus pour dettes, mesure d'humanité et de justice contre laquelle s'était vivement élevé l'organe le plus accrédité du parti de le Gironde[184]. La séance promettait d'être plus calme, quand, pour le motif le plus insignifiant, Pétion, dont la mission semblait être maintenant de mettre le feu aux poudres, réclama la censure d'un membre de la gauche nommé Poultier. Et moi, s'écria aussitôt Robespierre, je demande la censure de ceux qui protègent les traîtres. Pétion, s'élançant d'un bond à la tribune : Je demanderai en effet que les traîtres et les conspirateurs soient punis. — Et leurs complices ! riposta Robespierre. — Oui, leurs complices, reprit Pétion, et vous-même. Il est temps enfin que toutes ces infamies finissent. Il est temps que les traîtres et les calomniateurs portent leurs têtes sur l'échafaud, et je prends ici l'engagement de les poursuivre jusqu'à la mort. — Réponds aux faits, dit Robespierre sans s'émouvoir. — C'est toi que je poursuivrai ! réplique encore Pétion au milieu des murmures d'un grand nombre de membres indignés des violences de l'ancien maire de Paris.

Spectacle navrant ! Échafaud ! mort ! telle était donc l'arme dont les Girondins entendaient se servir contre leurs adversaires, tel le but qu'ils se proposaient. Et ces mots cruels, de quelle bouche tombaient-ils ? De la bouche de Pétion, qui, placé mieux que personne pour servir de modérateur entre les deux partis, n'avait fait aucune tentative sérieuse pour les rapprocher, de cet homme qui, sans provocation aucune, et par le plus lâche oubli de tant de marques de dévouement et d'amitié que lui avait prodiguées Robespierre, l'avait traîtreusement frappé d'un libelle odieux, et par cette intervention inutile était venu envenimer le débat. Et aujourd'hui cet apostat de l'amitié demandait que son ancien compagnon d'armes fût marqué comme autrefois les calomniateurs, et après avoir de nouveau invoqué l'échafaud contre ses adversaires, il les accusait d'exciter le peuple à égorger une partie de la Convention, si bien que Robespierre lui dit avec raison : C'est nous qu'on veut faire égorger ! et que le peintre David, s'élançant au milieu de la salle et découvrant sa poitrine, cria à l'orateur : Frappez, je demande que vous m'assassiniez[185].

Après Pétion parut un des énergumènes de la Gironde, Guadet, qui, le premier avec Brissot, avait jeté la division et la haine dans le cœur des patriotes, Guadet, ce prêtre de l'intolérance, qui un jour avait fait un crime à Robespierre d'avoir invoqué le nom de Dieu. Son discours fut une nouvelle édition de celui de Vergniaud, avec grand renfort de calomnies. Nous avons dit le moyen commode imaginé par tous les écrivains hostiles à Robespierre pour le présenter comme ayant gratuitement diffamé la Gironde : ils ont tout simplement passé sous silence les calomnies sans nom que depuis un an ses ennemis lui avaient prodiguées, et que longtemps il avait endurées en silence. Les Girondins avaient trouvé plaisant de le ranger jadis au nombre des membres du comité autrichien, de le transformer en agent de la liste civile ; — on n'a pas oublié ces perfides insinuations des feuilles de Brissot et de Condorcet ; — et maintenant ils jetaient les hauts cris, parce qu'en répondant à leurs déloyales attaques, Maximilien dépassait aussi le but. Guadet reprit la vieille thèse : Le complice de Cobourg, c'est toi ! cria-t-il à Robespierre ; et il lui imputa les troubles et les pillages dont Paris avait été le théâtre dans ces derniers temps, et que personne cependant n'avait blâmés avec plus d'énergie que lui. Il ne borna pas ses récriminations à Robespierre, il accusa toute la Montagne de conspirer en faveur de d'Orléans, parce qu'elle avait repoussé le décret de bannissement proposé contre des Bourbon[186]. Ayant nommé Danton, il s'attira cette apostrophé : Ah ! tu m'accuses, moi !... tu ne connais pas ma force... Je te répondrai, je prouverai tes crimes. Mais il fallait aux Girondins une victime. L'absence d'un grand nombre de membres de la Montagne, envoyés en mission aux armées et dans les départements, leur rendait une force dont ils résolurent de profiter. Guadet, en terminant son discours, donna lecture d'une adresse des Jacobins aux départements, signée de Marat, et dans laquelle la Convention était dépeinte comme renfermant la contre-révolution dans son sein. A peine Guadet a-t-il achevé, que de toutes parts retentissent les cris : A l'Abbaye ï à l'Abbaye ! En vain Danton prononce cette parole désespérée et profonde : N'entamez pas la Convention ! Boyer-Fonfrède, dans un discours où toutes les sombres colères de Marat étaient présentées comme autant de crimes dignes de mort, réclama contre l'Ami du peuple le décret d'accusation. L'Assemblée, sourde à l'avertissement de Danton, décida que Marat serait mis en état d'arrestation à l'Abbaye, et que, dès le lendemain, son comité de législation lui ferait un rapport sur le décret d'accusation proposé[187].

Il était alors neuf heures du soir. Qu'allait dire Paris à cette nouvelle ? Rien n'était plus propre à soulever la capitale, déjà travaillée de tant de causes de fermentation. Et même, à en croire beaucoup de personnes, le but des Girondins était d'exciter un tumulte de nature à précipiter le dénouement d'une crise dont ils espéraient bien rendre l'issue fatale à leurs adversaires. Robespierre courut aux Jacobins en sortant de la Convention. D'une voix émue et indignée, il raconta les péripéties de la longue séance de ce jour, les violences de Guadet, la vaine défense de Marat, les efforts infructueux de Danton pour empêcher l'Assemblée d'adopter une mesure fatale. On voulait sans nul doute provoquer un mouvement partiel dans Paris pour légitimer l'insurrection générale des départements contre la capitale, on voulait se défaire de tous les patriotes et élever sur les ruines de la liberté une oligarchie despotique. Mais il fallait déjouer ces nouvelles manœuvres et réparer l'injustice dont avait été victime un représentant du peuple. Je n'ai pas besoin de vous en dire davantage, continua Robespierre, pour vous prouver que vous devez effrayer vos ennemis par une attitude imposante et calme, que vous devez veiller autour de vous afin que les émissaires soudoyés par eux ne puissent renouveler les désordres qu'ils ont précédemment excités et qu'ils essayeront de reproduire pour nous calomnier. Sur sa proposition, on arrêta la rédaction d'une adresse destinée à confondre la calomnie et à prêcher partout la tranquillité, et tous les membres de la société convinrent de se répandre dans les sections, afin d'éclairer le peuple et de lui recommander un calme absolu[188].

Le lendemain 13 avril, Robespierre s'opposait avec succès, au sein de la Convention, à la lecture d'une proclamation de Cobourg. Point de transaction avec l'ennemi ! Et à sa voix la Convention nationale décrétait la peine de mort contre quiconque proposerait de négocier ou de traiter avec des puissances étrangères qui n'auraient pas au préalable reconnu solennellement l'indépendance de la nation française, l'indivisibilité et l'unité de la République[189]. Sur ce point nulle discussion, tout le monde était d'accord ; il s'agissait en effet, comme l'avait dit Robespierre, d'ôter tout espoir aux adversaires de la République. Nulle opposition non plus lorsque, dans la soirée, il réclamait contre Beurnonville, formellement accusé par Ruamps, Montaut et Dubois-Crancé, l'application des mesures décrétées contre Dumouriez. A la suite de la motion de Robespierre, Danton était monté à la tribune, et avait proposé à son tour à l'Assemblée de déclarer que le peuple français ne s'immiscerait en aucune manière dans le gouvernement des peuples étrangers : ce qui avait été voté également. Mais, à ce compte, on repousserait donc sans pitié les supplications des nations qui, confiantes dans les promesses du mémorable décret du 15 décembre 1792, imploreraient contre leurs tyrans les secours de la France ? Robespierre réclama. Au moins fallait-il que la disposition décrétée sur la motion de Danton ne préjudiciât en rien aux pays réunis. Plusieurs membres ayant demandé l'ordre du jour pur et simple, on entendit, en cette circonstance, le girondin Ducos appuyer Robespierre, et l'Assemblée adopta l'ordre du jour motivé sur ce que les pays réunis faisaient partie de la République française[190]. Mais bien courtes étaient les heures de trêve et d'entente. Dans cette même soirée, la lecture du rapport sur la mise en état d'accusation de Marat ramena la tempête au sein de la Convention.

Ce fut Delaunay jeune, un ennemi de Marat, qui, au nom du comité de législation, présenta ce rapport ; il concluait naturellement à l'accusation de l'Ami du peuple comme ayant provoqué le pillage, le meurtre et la dissolution de la Convention. Les Girondins étaient sûrs de la majorité. Aux voix ! aux voix ! criaient-ils avant toute discussion. Robespierre tenta un suprême effort pour empêcher l'Assemblée d'adopter une mesure funeste. Marat avait pu commettre des erreurs, des fautes de style ; Robespierre les avait blâmées tout le premier. Mais parmi ses accusateurs sont les conspirateurs et les traîtres, dit-il sans se laisser intimider par les murmures de la droite. Ce n'était pas contre Marat seul qu'était dirigé le décret d'accusation ; il le sentait bien : c'était contre les vrais républicains, contre tous ceux dont la chaleur d'amé avait déplu, contre lui-même, bien qu'il se fût attaché constamment à n'aigrir, à n'offenser personne. L'Assemblée ayant, malgré ses protestations, voté l'impression et l'envoi aux départements du rapport de Delaunay jeune : Je demande, ajouta-t-il, qu'à la suite du rapport soit joint un acte constatant qu'on a refusé d'entendre un accusé qui n'a jamais été mon ami, dont je n'ai point partagé les erreurs qu'on travestit ici en crimes, mais que je regarde comme un bon citoyen, zélé défenseur de la cause du peuple, et tout à fait étranger aux crimes qu'on lui impute. Toute la gauche et les citoyens des tribunes applaudirent avec enthousiasme, mais rien n'y fit ; Danton n'essaya même pas de joindre sa voix à celle de Robespierre, dont la demande fut repoussée. Aussitôt on procéda au vote par appel nominal, et un certain nombre de députés tinrent à honneur de motiver leurs suffrages. Robespierre motiva longuement le sien : Comme la République ne peut être fondée que sur la vertu, et que la vertu ne peut admettre l'oubli des premiers principes de l'équité ; comme le caractère de représentant du peuple doit être respecté par ceux que le peuple a choisis pour défendre sa cause... comme tous ces principes ont été violés, et par la fureur avec laquelle un décret d'accusation a été provoqué, et par le refus d'entendre l'accusé et tous -ceux qui voulaient discuter l'accusation... comme l'adresse des Jacobins qui a été le prétexte de cette affaire scandaleuse, malgré l'énergie des expressions provoquées par le danger extrême de la patrie et par les trahisons éclatantes des agents militaires et civils de la République, ne contient que des faits notoires... comme ce ne sont point les anathèmes d'un écrivain contre les accapareurs, mais les émissaires de l'aristocratie et des cours étrangères qui ont excité un attroupement chez les épiciers... attendu que je ne vois dans cette délibération que la continuation du système de calomnie entretenue aux dépens du trésor public par une faction qui depuis longtemps dispose de nos finances et de la puissance du gouvernement, et qui cherche à identifier avec Marat, auquel on reproche des exagérations, tous les amis de la République qui lui sont étrangers... comme je n'aperçois dans cette affaire qu'une vile intrigue ourdie pour déshonorer le patriotisme dans les départements infestés depuis longtemps des écrits de liberticides, de royalistes, je repousse avec mépris le décret d'accusation proposé[191]. A peine l'Assemblée comptait-elle la moitié de ses membres ; la plupart des députés de la gauche étaient en mission, comme nous l'avons dit. Deux cent vingt voix contre quatre-vingt-douze donnèrent à la Gironde la satisfaction qu'elle cherchait depuis six mois. Mais, — cruelle victoire ! et que plus d'une fois durent maudire dans leurs cœurs ceux qui l'obtinrent, — la Convention nationale était entamée ! Il était sept heures du matin quand fut rendu le décret qui renvoyait devant le tribunal révolutionnaire Jean-Paul Marat, l'Ami du peuple, frappé aujourd'hui par les Brissot, les Guadet, les Vergniaud, les Gensonné, comme il l'avait été jadis par les Maury, les Cazalès, les de Virieu, les Montlosier et autres[192].

Le lendemain 15 avril, au moment où Robespierre venait adjurer la Convention de poser dès à présent les bases de la nouvelle Déclaration des droits et de maintenir le décret qui mettait à l'ordre du jour la discussion sur cette Déclaration, parut à la barre une députation des sections parisiennes, ayant Pache à sa tête. Elle était chargée de présenter une adresse rédigée par les commissaires des quarante-huit sections, et à laquelle trente-cinq assemblées sectionnaires avaient adhéré. Cette adresse, dont un jeune et ardent ami de Danton, Alexandre Rousselin, donna lecture, concluait à l'expulsion de vingt-deux membres de l'Assemblée dans le cas où les départements consultés jugeraient, comme les sections parisiennes, ces membres coupables d'avoir jeté le trouble dans la Convention et violé le mandat de leurs commettants. Les Girondins étaient en force, et ils n'eurent pas de peine à faire déclarer calomnieuse, dans la séance du lendemain, l'adresse lue par le jeune Rousselin. Mais ce n'en était pas moins là un avertissement sinistre de l'imprudence qu'ils avaient commise en traduisant un des membres de l'Assemblée au tribunal révolutionnaire. Pressentirent-ils dès-lors qu'un jour ou l'autre la loi du talion pourrait bien leur être appliquée !

 

XXX

Une fois entré dans les voies de l'arbitraire, on en sort difficilement : pour atteindre leur but, pour frapper leurs ennemis, les Girondins n'allaient pas reculer devant la violation des principes les plus élémentaires de la liberté, eux qui se prétendaient les purs disciples de cette liberté. Dans la séance du 18 avril, des envoyés extraordinaires du département de la Gironde, parmi lesquels se trouvait le frère de Grangeneuve, déposèrent sur le bureau de la Convention un certain nombre de pièces saisies illégalement sur un courrier de la société des Jacobins. C'étaient des imprimés, des adresses patriotiques et quelques lettres particulières. L'une de ces lettres était d'un commerçant de Bordeaux, nommé Blanchard, lequel, écrivant à sa femme au sujet de ses affaires, lui disait qu'il regardait les députés de la Gironde comme les principaux auteurs des maux dont souffrait la République. C'étaient des lettres confidentielles, intimes, privées : eh bien ! on s'en était emparé, on en avait brisé les cachets, on les avait lues au mépris du respect dû au secret des lettres, et Grangeneuve n'eut pas honte de demander l'arrestation de Blanchard et de Delpech, de qui émanaient deux des lettres remises à l'Assemblée.

A cette étrange proposition, Robespierre s'élança à la tribune : Je ne conçois pas, dit-il au milieu des applaudissements, ce mépris pour les droits des citoyens ; je ne conçois pas cette odieuse tyrannie érigée en système au milieu d'une Assemblée qui a juré d'exterminer toute espèce de tyrannie. Aujourd'hui on décrète d'accusation un représentant du peuple sans l'avoir entendu, demain on mettra en état d'arrestation deux citoyens qui ne sont coupables d'aucun crime ; je ne reconnais dans cette conduite que la marche de la tyrannie. Il fallait, suivant lui, donner lecture de toutes les pièces d'abord, et en second lieu discuter solennellement la motion de Grangeneuve[193]. Le girondin Buzot, d'accord cette fois avec Robespierre, déclara qu'il partageait tous ses sentiments sur la liberté individuelle et le respect dû au secret des lettres, et il proposa à l'Assemblée de renvoyer toutes les pièces au comité de législation. Mais un membre s'y opposa fortement, en se fondant sur ce que ce comité était l'auteur du rapport contre Marat. Alors Robespierre demanda le renvoi au comité de Salut public, dans les lumières duquel il avait la plus entière confiance, et dont la veille il avait parlé avec beaucoup d'éloge aux Jacobins, en engageant, selon son système constant, les membres du club à éviter toutes démarches inconsidérées[194]. La Convention, après avoir entendu Vergniaud, décréta le renvoi des pièces aux comités de Salut public et de législation réunis[195].

Ce qui venait de se passer à la Convention devait être, selon Robespierre, une leçon pour les patriotes. Puisque des directoires de départements marchaient à pieds, joints sur tous les principes, puisque le secret des lettres n'était plus respecté, c'était aux citoyens de garder le plus de mesure possible, même dans leurs correspondances particulières. Il eut soin de parler dans ce sens le soir aux Jacobins, et il revint encore sur la nécessité pour les patriotes d'opposer aux fureurs de leurs adversaires le calme le plus imposant, afin de déjouer la calomnie qui les présentait dans les départements comme ayant soif du sang d'un certain nombre de députés à la Convention. Un membre, au patriotisme duquel il se plut à rendre hommage, avait proposé à la société de rédiger une adresse tendant à empêcher la brusque confection de la constitution prochaine ; Robespierre combattit cette motion comme impolitique. On ne manquerait pas de crier bien haut que la société des Amis de la liberté protestait centre les décrets de la Convention, qu'elle ne voulait point de constitution ; elle ne saurait donc trop se mettre en garde contre les pièges tendus au patriotisme, dont les meilleures intentions étaient dénaturées par des journaux perfides. Peut-être, pensait Maximilien, serait-il utile d'éclairer les départements par une adresse capable de dévoiler à leurs yeux toutes les trames des intrigants ; mais alors il serait indispensable de la rédiger avec une extrême modération. A quoi bon, disait-il, se servir de ces expressions : Purger la Convention de tous les traîtres ? Cela fait qu'on nous peint comme des hommes qui veulent dissoudre la Convention et détruire les appelants et les modérés. Ces phrases donnent un ascendant terrible à nos ennemis. Je vous exhorte à bien peser les termes, et avec ces mesures de prudence vous sauverez la République[196]. Ainsi, au milieu des passions déchaînées de part et d'autre, dans ce violent et suprême état de lutte entre la Montagne et la Gironde, au milieu de ce concert de récriminations, de défiances, d'accusations plus ou moins fondées, plus ou moins injustes dont chaque parti fournissait les exécutants, quand l'irritation était dans tous les cœurs, la calomnie dans toutes les bouches, quand les Girondins, frémissant d'aise de leur victoire récente, se réjouissaient, — oui, c'est le mot, — se réjouissaient d'avance de voir tomber la tête de l'Ami du peuple, si quelqu'un gardait encore son sang-froid et conseillait aux patriotes irrités la modération et le calme, c'était surtout Robespierre.

 

XXXI

Il arriva cependant qu'au sein de ces orages il y eut des heures d'apaisement et de sérénité, qu'après tant de déplorables querelles Montagnards et Girondins semblèrent unis, sinon dans une même communauté de pensées, au moins dans un même amour de la liberté, et que, dégagés des passions stériles qui les agitaient, s'élevant ensemble dans la pure sphère des idées, ils se donnèrent en quelque sorte la main. Ah ! saluons-les ces heures rares et bénies où, dans les débats auxquels donna lieu le nouveau pacte constitutionnel, ils firent trêve à leurs discordes journalières, où Danton put s'écrier aux applaudissements unanimes : Nous avons paru divisés entre nous, mais au moment où nous nous occupons du bonheur des hommes, nous sommes tous d'accord[197].

Le bonheur des hommes ! c'était en effet l'objet unique des rêves de Maximilien Robespierre, et nous allons voir combien les doctrines à l'aide desquelles il espérait le fonder étaient supérieures à celles des Girondins. Continuateurs des Constitutionnels de la première Assemblée, ceux-ci croyaient qu'une simple transformation politique suffirait aux besoins de la société régénérée par la Révolution ; la réforme sociale, ils n'y tenaient guère. Robespierre, au contraire, y attachait une importance capitale. Si la Révolution se contentait de substituer une aristocratie bourgeoise à l'aristocratie nobiliaire, si elle ne prenait nul souci des intérêts sociaux, elle n'avait rien fait selon lui. Aussi sa Déclaration des droits, si grandiose, n'est pas seulement le cri de victoire sur la destruction de l'ordre chrétien-féodal, comme l'a justement remarqué un éminent philosophe de ce temps-ci, mais le prodrome d'un ordre nouveau fondé sur l'égalité et sur la science (2)[198].  Toute l'économie politique se trouve en germe dans sa théorie sur la propriété et dans sa définition des prolétaires et des oisifs. L'école Saint-simonienne, dit encore M. Pierre Leroux[199], n'a fait que féconder ces idées par les beaux travaux de son maître sur la philosophie de l'histoire, et par des études positives sur la production et la distribution des richesses. Quelques rapprochements entre la Déclaration des droits girondine et celle de Robespierre indiqueront mieux encore les différences essentielles existant entre l'une et l'autre.

Ce fut le 17 avril 1793 que commencèrent, dans la Convention nationale, les discussions sur l'acte constitutionnel, œuvre d'un comité entièrement composé d'hommes appartenant à la Gironde, et dont Condorcet était rapporteur. Robespierre demanda tout d'abord qu'on fixât bien nettement-la Déclaration des droits, comme la constitution mère d'où devait sortir le gouvernement de tout peuple libre[200]. Ainsi l'humanité tout entière occupait sa pensée. Les modes de constitution pouvaient varier selon les peuples, la Déclaration des droits devait être la même pour tous, parce qu'en matière de droits il ne saurait y avoir de systèmes distincts. Malgré l'opposition de Salles et de quelques autres membres aux yeux desquels était suffisante, quant à présent et sauf modification, la Déclaration émanée de l'Assemblée constituante, l'avis de Robespierre, prévalut pour cette raison donnée par Barère qu'on avait accompli d'abord la révolution de la liberté, puis celle de l'égalité. Séance tenante, en effet, on ouvrit les débats sur le projet du comité. L'Assemblée nationale de 1789 avait placé sa constitution sous les auspices de l'Être suprême, un député demanda que la Convention reconnût également par le premier article de sa Déclaration l'existence d'un Être suprême. Le frivole auteur de Faublas, Louvet, se récria indigné. Les Girondins, qui reculaient épouvantés devant le problème de la question sociale, écartaient Dieu comme aristocrate.

Robespierre prit aux débats relatifs à la Déclaration des droits et à la constitution une part très-active, et c'est là qu'il faut le chercher tout entier. Nous allons retrouver le législateur doux et profond de la Constituante ; car il va tout simplement essayer de faire triompher les principes pour lesquels il avait si vaillamment combattu durant les années 1790 et 1791. J'ai quelquefois entendu dire : Mais que voulait Robespierre ? Assurément les personnes qui posent cette question n'ont jamais lu ni sa Déclaration des droits de l'homme ni ses admirables discours sur la constitution. Il est là tout entier, je le répète. Rien de mieux conçu, de mieux combiné, de plus nettement précis que son système d'organisation politique et sociale, et c'est en quoi il est infiniment supérieur aux Girondins, à Danton et aux autres révolutionnaires. J'ai écrit, après d'autres, qu'il était le grand homme d'État de la Révolution, je devrais dire de la démocratie. Si jamais le règne de la justice arrive, si la démocratie est appelée à triompher un jour, ce seront les principes formulés par Robespierre qui gouverneront le monde. L'homme de lutte est du temps, le législateur est immortel.

Il ne manqua pas d'apparaître à la tribune le 19 avril, quand le député Durand-Maillane demanda qu'il fût apporté certaines restrictions à la liberté de la presse. C'était un nouvel hommage qu'il venait rendre à cette liberté de la pensée que si souvent et si énergiquement il avait déjà défendue. Il s'éleva contre toute espèce de restriction. Sans doute, les révolutions étant faites ordinairement pour reconquérir les droits des hommes, il pouvait arriver que dans un temps de révolution le succès d'une cause si juste exigeât la répression de quelque complot tramé à l'aide de la liberté de la presse, et l'on comprenait qu'elle fût alors momentanément restreinte, comme l'avaient demandé à diverses reprises les Girondins dans leur campagne contre Marat ; mais dans les temps calmes, ajoutait-il, ce serait compromettre la liberté publique que de modifier un principe qui en était la sauvegarde[201]. On entendit dans cette circonstance Pétion et Brissot parler dans le même sens que Robespierre, et l'Assemblée, passant à l'ordre du jour sur les restrictions proposées par Durand-Maillane, adopta l'article du comité : La liberté de la presse, ou tout autre moyen de publier sa pensée, ne peut être interdite, suspendue ou limitée.

Tout en prêtant sur certains points son concours à l'œuvre des Girondins, Robespierre était loin, bien loin de la trouver satisfaisante. En cela il était de l'avis du girondin La Source, qui reprochait à la Déclaration de ses amis de pécher par défaut de précision de principes[202]. Cependant il avait hâte de voir surgir enfin les bases de l'acte constitutionnel, car un des meilleurs moyens de déjouer les noirs projets des ennemis de la République était, suivant lui, de présenter au monde le manifeste de la Déclaration des droits du peuple français. Il faut, disait-il aux Jacobins dans la séance du 21 avril 1793, que les amis de la liberté et de l'égalité, étrangers à toutes les passions, à toutes les intrigues, mettent au jour un projet de constitution qui impose silence à la calomnie et qui soit le code universel des nations[203]. Il avait lui-même condensé en une série d'articles énergiques et précis ses idées sur les grands principes, les principes primordiaux, d'où devait découler comme de source une constitution républicaine ; et, dans cette séance des Jacobins, il donna lecture d'un projet de Déclaration rédigé par lui, véritable résumé de ses longues méditations sur la matière et des doctrines qu'il s'était efforcé de faire triompher depuis l'origine de la Révolution. Ce projet tout nouveau de Déclaration des droits de l'homme fut accueilli avec un enthousiasme extraordinaire. Maure demanda à la société de l'adopter solennellement comme sien, et cette proposition, appuyée par Bazire, fut aussitôt votée par acclamation[204]. Ainsi se posait bien nettement, en face de la profession de foi girondine, celle des Montagnards.

De la tribune des Jacobins, Robespierre porta son œuvre à la tribune de la Convention nationale. Un des points sur lesquels il trouvait tout à fait incomplète la définition donnée par le comité de constitution était la théorie de la propriété. D'après les Girondins, le droit de propriété consistait en ce que l'homme était maître de disposer à son gré de ses biens, de ses capitaux, de ses revenus et de son industrie[205]. Mais n'était-ce point là une définition trop absolue ? Ces biens, ces revenus ne pouvaient-ils pas provenir d'une source illégitime ? Et alors à quel titre auraient-ils droit à la protection de la société ? Ce fut ce que Robespierre entreprit de démontrer dans la séance du 24 avril. Citoyens, dit-il, je vous proposerai d'abord quelques articles nécessaires pour compléter votre théorie sur la propriété. Que ce mot n'alarme personne : âmes de boue qui n'estimez que l'or, je ne veux point toucher à vos trésors, quelque impure qu'en soit la source. Vous devez savoir que cette loi agraire dont vous avez tant parlé n'est qu'un fantôme créé par les fripons pour épouvanter les imbéciles. Il ne fallait pas une révolution sans doute pour apprendre à l'univers que l'extrême disproportion des fortunes est la source de bien des maux et de bien des crimes ; mais nous n'en sommes pas moins convaincus que l'égalité des biens est une chimère. Pour moi, je la crois moins nécessaire encore au bonheur privé qu'à la félicité publique. Il s'agit bien plus de rendre la pauvreté honorable que de proscrire la richesse. La chaumière de Fabricius n'a rien à envier au palais de Crassus. J'aimerais autant pour mon compte être l'un des fils d'Aristide, élevé dans le Prytanée aux dépens de la République, que l'héritier présomptif de Xerxès, né dans la fange des cours pour occuper un trône décoré de l'avilissement des peuples et brillant de la misère publique.

Un moment interrompu par les applaudissements, il s'attacha à poser ensuite les véritables principes du droit de propriété, trop souvent enveloppés de nuages par les vices et par les préjugés des hommes. Demandez à ce marchand de chair humaine ce que c'est que la propriété il vous dira, en vous montrant cette longue bière qu'il appelle un navire, où il a encaissé et serré des hommes qui paraissent vivants : Voilà mes propriétés ; je les ai achetés tant par tête. Interrogez ce gentilhomme qui a des terres et des vassaux, ou qui croit l'univers bouleversé depuis qu'il n'en a plus ; il vous donnera de la propriété des idées à peu près semblables. Interrogez les augustes membres de la dynastie capétienne ; ils vous diront que la plus sacrée des propriétés est sans contredit le droit héréditaire, dont ils ont joui de toute antiquité, d'opprimer, d'avilir et de s'assurer légalement et monarchiquement les vingt-cinq millions d'hommes qui habitaient le territoire de la France sous leur bon plaisir.

Aux yeux de tous ces gens-là, la propriété ne porte sur aucun principe de morale. Pourquoi notre Déclaration des droits semble-t-elle présenter la même erreur ? En définissant la liberté le premier des besoins de l'homme, le plus sacré des droits qu'il tient de la nature, nous avons dit avec raison qu'elle avait pour bornes les droits d'autrui. Pourquoi n'avez-vous pas appliqué ce principe à la propriété, qui est une institution sociale, comme si les lois éternelles de la nature étaient moins inviolables que les conventions des hommes ? Vous avez multiplié les articles pour assurer la plus grande liberté à l'exercice de la propriété, et vous n'avez pas dit un seul mot pour en déterminer la nature et la légitimité ; de manière que votre Déclaration paraît faite non pour les hommes, mais pour les riches, pour les accapareurs, pour les agioteurs et pour les tyrans. Il proposa donc à la Convention de consacrer les vérités suivantes : 1° La propriété est le droit qu'a chaque citoyen de jouir et de disposer de la portion de biens qui lui est garantie par la loi. 2° Le droit de propriété est borné comme les autres par l'obligation de respecter les droits d'autrui. 3° Il ne peut préjudicier ni à la sûreté, ni à la liberté, nf à l'existence, ni à la propriété de nos semblables. 4° Toute possession, tout trafic qui viole ce principe est essentiellement illicite et immoral.

Mais là ne se bornaient pas les différences essentielles entre sa Déclaration et celle des Girondins. La liberté, disaient ceux-ci, consiste à pouvoir faire tout ce qui n'est pas contraire aux droits d'autrui. Elle n'avait de bornes, selon eux, que celles qui assuraient aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. La liberté, disait Robespierre, est le pouvoir qui appartient à l'homme d'exercer à son gré toutes ses facultés. Elle a la justice pour règle, les droits d'autrui pour bornes, la nature pour principe et la loi pour sauvegarde. L'idée de donner la justice pour règle à la liberté avait échappé à Condorcet. Autre chose : les Girondins avaient bien consacré le principe que l'impôt ne pouvait émaner que de la volonté du peuple ; mais ils avaient omis, suivant Robespierre, de consacrer la progression de l'impôt. Or, à ses yeux, rien de plus conforme à l'éternelle justice que d'imposer aux citoyens l'obligation de contribuer aux dépenses publiques progressivement, selon l'étendue de leur fortune, c'est-à-dire selon les avantages qu'ils retiraient de la société. Il demandait donc que ce principe, si équitable et si rationnel, fût formellement consacré par la Déclaration. Si antipathique étaient aux Girondins les véritables questions sociales, qu'ils poussèrent les hauts cris. C'était, à leurs yeux, un système absurde, destructif de l'égalité, ruineux pour l'industrie, et de nature à entraver la vente des domaines nationaux[206]. Beaucoup de personnes pensent encore aujourd'hui comme les Girondins, et cependant le principe de l'impôt progressif a été consacré par nos lois, puisqu'il est admis en matière d'impôt mobilier ; par quelle étrange inconséquence n'a-t-il pas été appliqué en matière de contributions immobilières ? Robespierre songea aussi à exonérer de toutes charges les citoyens dont les revenus n'excédaient point ce qui était nécessaire à leur existence ; mais un peu plus tard il comprit qu'exempter les pauvres de tout impôt, c'était créer une distinction contraire à l'égalité politique. Il condamna lui-même son erreur, et préoccupé de cette idée que les riches, dont la domination était assurée dans les législatures, chercheraient à priver de toute participation au gouvernement ceux qui n'en supporteraient pas les charges, il réclama pour tous les citoyens la satisfaction de présenter à la République le denier de la veuve[207].

Robespierre, comme on a pu s'en rendre compte du reste, ne séparait jamais son pays de l'humanité, et certainement ses efforts n'ont pas été étrangers à la diffusion des principes de la Révolution française dans le monde. Or, le comité de constitution avait absolument oublié de consacrer les devoirs de fraternité qui unissaient tous les hommes à toutes les nations, et c'était là à son avis une lacune capitale dans le plan des Girondins. On dirait que votre Déclaration a été faite pour un troupeau de créatures humaines parqué sur un point du globe, et non pour l'immense famille à laquelle la nature a donné la terre pour domaine et pour séjour. Il proposa donc à ses collègues de combler cette lacune par quelques articles qui, s'ils pouvaient avoir l'inconvénient de brouiller la France avec les rois, lui concilieraient du moins l'estime de tous les peuples. Voici ces articles : 1° Les hommes de tous les pays sont frères, et les différents peuples doivent s'entr'aider de tout leur pouvoir comme les citoyens du même État. 2° Celui qui opprime une nation se déclare l'ennemi de toutes. 3° Ceux qui font la guerre à un peuple pour arrêter les progrès de la liberté et anéantir les droits de l'homme, doivent être poursuivis par tous, non comme des ennemis ordinaires, mais comme des assassins et des brigands rebelles. Cette consécration de la fraternité des peuples, cet appel à la solidarité universelle, formaient comme le couronnement de la Déclaration de Maximilien Robespierre. Comme l'a dit encore fort bien un philosophe dont nous avons déjà invoqué l'autorité, le sentiment d'un nouvel ordre social à fonder respire partout dans cette admirable Déclaration[208]. Obligation pour la société de pourvoir à la subsistance de tous ses membres, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d'exister à ceux qui sont hors d'état de travailler ; obligation pour la société de favoriser les progrès de la raison publique, en fournissant l'instruction à tous les citoyens tout cela est bien nettement affirmé, et dénote combien profondes étaient les vues de l'immortel législateur.

Après avoir exposé sa théorie de la propriété, Robespierre donna à la Convention lecture de son projet de Déclaration. L'effet en fut saisissant. Toutes les passions se turent ; et quand il descendit de la tribune, ce fut au milieu des applaudissements unanimes de l'Assemblée[209]. Trop heureuse la République si les haines particulières eussent pu disparaître dans ce concert d'enthousiasme ; mais il suffisait, hélas ! du moindre incident pour raviver les colères. Dans cette même séance, comme Saint-Just venait de prononcer un très-beau discours sur la constitution et de lire à son tour un projet de sa façon[210], un grand tumulte se fit. C'était Marat qu'une foule immense et joyeuse ramenait sur son banc de représentant, et qui, acquitté par le tribunal révolutionnaire, revenait en triomphateur, la tête ceinte d'une couronne de lauriers. On comprend quelles furent la fureur et la confusion des Girondins à ces cris réitérés : Vive la République ! vive Marat ! vive l'Ami du peuple ! L'échafaud où ils avaient voulu l'envoyer était devenu pour lui un autel. Et puis, comment atteindre Robespierre à présent ; car il entrait bien dans leurs desseins de ne pas s'en tenir à Marat. Fatal verdict ! pensèrent les Girondins[211]. Ils se doutaient bien que ce Marat, à qui ils avaient trop donné le droit de les haïr en toute conscience, ne les tiendrait pas quittes à si bon marché. Et, en effet, il ne les lâchera maintenant que lorsqu'à force d'imprudences nouvelles ils se verront eux-mêmes décrétés d'accusation à leur tour.

 

XXXII

Le soir du jour où Robespierre obtenait, au sein de la Convention, cet éclatant triomphe dans la région des idées, il prononçait aux Jacobins, l'âme brisée de douleur, l'oraison funèbre d'un citoyen dont la mort prématurée remplissait de deuil le cœur de tous les patriotes. Depuis deux jours je pleure Lazousky, et toutes les facultés de mon âme sont absorbées par la perte immense que la République vient de faire. Fils d'un Polonais depuis longtemps établi en France, où il était venu à la suite du roi Stanislas[212], Lazousky n'était point un réfugié, comme on l'a dit[213] ; il était parfaitement Français. Les larmes que les pauvres répandirent sur son cercueil attestèrent le noble usage qu'il avait fait de sa fortune. Mais autre chose le recommandait aux regrets des amis de la liberté. Partisan enthousiaste des principes de la Révolution, il avait été l'un des plus intrépides combattants du 10 août, et l'on ne pouvait oublier l'ardeur avec laquelle il avait conduit à l'assaut des Tuileries la compagnie de canonniers dont il était capitaine.

Son dévouement à la cause du peuple l'avait rapproché de Robespierre, et une étroite amitié s'était établie entre eux. Aussi n'est-il pas besoin de demander s'il était devenu, lui aussi, l'objet des attaques de la faction girondine. Après l'avoir loué jadis comme un modèle de patriotisme, elle le considérait maintenant comme un brigand. C'était là d'ailleurs sa tactique ordinaire. Dès qu'on n'était pas à sa dévotion, on était digne des gémonies. L'Orateur du genre humain, cet écervelé de Cloots, en savait quelque chose, lui qu'elle avait porté aux nues tant qu'il lui avait paru tout dévoué, et qu'aujourd'hui elle traitait de parasite et de voleur, depuis qu'il s'était imaginé de révéler les propos indiscrets tenus à la table de Roland. Mais, du moins, Lazousky n'avait jamais été le commensal de l'ex-ministre de l'intérieur. Toutefois madame Roland, dont la plume et la langue étaient si habiles et si promptes à manier la calomnie, ne l'épargna guère. L'élégant patriote n'est plus qu'un enragé ayant la face enluminée d'un buveur et l'œil hagard d'un assassin, et, s'il meurt en huit jours d'une fluxion de poitrine, c'est, suivant la dame, d'une fièvre inflammatoire, fruit des débauches, des veilles et de l'eau-de-vie[214]. Vergniaud, qui se plaignait tant d'être calomnié, et qui cependant, comme nous l'avons plusieurs fois fait remarquer, mettait avec empressement son éloquence au service de la calomnie, n'avait pas été un des moins acharnés détracteurs de Lazouski : on l'avait entendu, à propos des événements du mois de mars, transformer ce héros du 10 août en complice de Fournier l'Américain, et réclamer contre lui un décret d'accusation[215]. Robespierre vengea noblement son ami des outrages qu'on lui avait prodigués et qui n'avaient pas été épargnés non plus à Lepeletier Saint-Fargeau, cet autre ami dont il avait également pleuré la mort[216]. On fit à Lazousky des funérailles magnifiques, organisées par le grand peintre David. De nombreux musiciens précédèrent le convoi, exécutant une marche funèbre composée par Gossec, qui lui-même présida à l'exécution. Le cortège était formé des sociétés populaires, des sections, des compagnies de canonniers, de la commune d'Issy, où le défunt avait sa maison de campagne, et des membres de la municipalité et du conseil général de Paris ; chacun avait à la main un rameau de cyprès. Le corps de Lazousky fut enterré au pied de l'arbre de la liberté, sur la place du Carrousel, devenue la place de la Réunion ; son cœur fut gardé par la section du Finistère, à laquelle il appartenait, et la commune adopta sa fille[217].

Rien d'étonnant, avec le caractère que l'on connaît aux Girondins, à ce que leurs haines se soient réveillées plus ardentes sur cette tombe à peine fermée. La magnificence des honneurs rendus par les sections parisiennes à un patriote qu'ils détestaient, et dont Robespierre avait prononcé l'éloge, redoubla leurs préventions insensées contre la capitale. Ils se sentaient d'ailleurs tout puissants encore, malgré le triomphe de Marat ; et si tout récemment un pur jacobin, Bouchotte, avait remplacé Beurnonville comme ministre de la guerre, leurs créatures n'en remplissaient pas moins les bureaux des divers ministères. Aussi Bazire, à une séance des Jacobins, engageait-il les sociétés patriotiques à charger des commissaires de demander aux ministres la liste des citoyens employés dans leurs bureaux. Mais, selon Robespierre, il n'y avait pas à correspondre avec les ministres à ce sujet ; et mieux valait s'adresser au comité de Salut public, à qui il appartenait d'épurer toutes les administrations et de réformer les employés suspects[218].

Exaspérés de l'incessante surveillance des sections parisiennes, les Girondins eussent bien voulu transporter ailleurs qu'à Paris la représentation nationale. Le 30 avril, levant le masque, Guadet demanda formellement le transfèrement de la Convention à Versailles. Le lendemain même, un arrêté de la commune de Paris, en vertu duquel tous les employés non mariés, les clercs de notaires et d'avoués, les commis de banquiers, de négociants et autres, pouvaient être requis dans une proportion déterminée, donna à la faction girondine un appui dont elle eut le tort de se prévaloir. Comme s'ils eussent été sûrs d'être soutenus par elle, les jeunes gens désignés pour la réquisition se répandirent dans les sections, dans les rues, aux Champs-Élysées, au Luxembourg, criant : A bas la Montagne ! Vive la loi ! Des arrestations furent opérées, et parmi les personnes arrêtées se trouva le propre domestique de Buzot. Était-ce hasard ou bien lui-même était-il un des meneurs ? Toujours est-il que la résistance coupable de ces jeunes gens trouva dans le journal de Brissot un véritable encouragement. Ces cris à bas la Montagne, poussés par ceux que la patrie appelait à sa défense et qui restaient sourds à sa voix éplorée, indiquaient assez que la Montagne et les Jacobins formaient le parti national, et que déjà derrière les Girondins s'abritaient la bourgeoisie réactionnaire et les royalistes.

Vergniaud commença l'attaque contre la municipalité parisienne en demandant, le 6 mai, que le maire de Paris fût tenu de rendre compte, séance tenante et par écrit, de l'arrestation d'un certain nombre de citoyens, au milieu desquels figuraient plusieurs pétitionnaires qui, la veille, étaient venus témoigner leur confiance dans la majorité de la Convention, et dont les réclamations lui avaient été adressées. Robespierre prit vivement en main la défense de la municipalité mise en cause dans la personne du maire. Rappelant les mouvements séditieux dont précisément la veille la capitale avait été le théâtre, il s'étonna qu'on pût prendre la défense d'hommes coupables d'avoir provoqué des troubles dans l'espérance de se soustraire à une obligation sacrée. Il n'inculpa personne, ne sachant pas, quant à présent, si les pétitionnaires de la veille étaient au nombre des perturbateurs ; mais il invita la Convention à appuyer de toute sa force les autorités constituées de Paris ; car si elle laissait aux séditieux l'espoir de sa protection, elle trahirait elle-même ses devoirs. En vain, dit-il en terminant, on forme des complots contre la République, contre la liberté ; la liberté, la République triompheront de tous les complots[219]. Vergniaud persista dans sa motion et souleva de violents orages. Toutefois, la Convention finit par donner raison à la commune de Paris en improuvant une pétition qui demandait la substitution des enrôlements volontaires au mode de recrutement adopté par la commune. Les enrôlements volontaires ! Cette mesure d'enthousiasme ne suffisait plus aux dangers pressants de la patrie ! Malgré cela, les Girondins tentèrent encore, deux jours après, de couvrir de leur protection les jeunes gens arrêtés pour rébellion à l'arrêté municipal. N'était-il pas singulier d'entendre des hommes habitués à déclamer contre les anarchistes se récrier aujourd'hui avec tant d'emportement à propos d'une juste mesure prise contre des perturbateurs, contre ces muscadins que n'avait pas su émouvoir le cri de la patrie en danger. Ces infâmes, s'écria, dans la séance du 8 mai, Robespierre indigné, parcouraient les places publiques. Plusieurs ont arboré la cocarde blanche et crié : Vive le roi ! A bas la République ! Il est vrai qu'ils ont ajouté d'autres cris qui peuvent plaire à bien des gens ; ils ont crié : A bas les patriotes ! A bas la Montagne ! A bas les Jacobins ! Et l'on voudrait que de pareilles imprécations contre les amis de la liberté, contre la liberté elle-même, restassent impunies ! Sur sa demande, et malgré les résistances d'Isnard et de Buzot, l'Assemblée passa à l'ordre du jour[220].

Il était bien question, en effet, de songer aux lâches qui hésitaient à voler à la défense de la patrie, quand des frontières et de la Vendée arrivaient coup sur coup les plus fâcheuses nouvelles ! Allons ! que tous s'arment et partent, c'est désormais une nécessité inexorable. Paris, tête et cœur de la nation, a déjà donné l'exemple ; déjà, avait dit Robespierre dans cette même séance de la Convention, il a fourni, soit contre les despotes coalisés, soit contre les ennemis intérieurs, plus de cinquante mille hommes, et douze mille se préparent encore à marcher sur la Vendée. Mais du moins fallait-il être assuré qu'une fois dégarni de ses défenseurs, il ne deviendrait pas la proie des rebelles. Car c'était cette grande cité, berceau et rempart de la liberté, dont tous les ennemis de la Révolution conspiraient la ruine ; c'était elle que menaçaient Brunswick, Cobourg et tous les révoltés. Au lieu donc de déclarer la guerre à la municipalité, il fallait encourager les efforts de la commune et du maire, détenir en otages tous les gens suspects qui portaient le trouble dans les sections, et indemniser, le jour où ils montaient leur garde, les citoyens trop pauvres pour se distraire de leurs travaux sans compromettre la subsistance de leur famille. Mais ce n'était pas tout : en présence de ces flots d'ennemis de toute sorte poussés contre la République, il y avait à faire des efforts surhumains ; on les ferait. Et qui, plus que Robespierre, en ces heures décisives pour l'avenir du genre humain, sut électriser la nation par son indomptable énergie et ses paroles ardentes ? Il faut, dit-il, veiller à ce que l'on fabrique des armes de toute espèce. Il faut que des forges soient établies sur toutes les places publiques, afin de ranimer l'énergie des citoyens par la vue des nouveaux moyens de défense[221]. Le soir il prit la parole aux Jacobins, et, dans une sorte de délire patriotique, il traça le sombre tableau de la situation présente et indiqua les moyens énergiques sans lesquels lui paraissait impossible le salut de la République. Il n'y avait à ses yeux que deux partis eu France : celui des amis de la liberté et de l'égalité, et celui de tous les ennemis de la Révolution, révoltés de la Vendée, émigrés de Coblentz ou soldats de Cobourg. Il n'y avait pas de milieu, il fallait ou les exterminer ou périr. Une première condition pour vaincre, c'était d'être inaccessible à toute corruption. Les patriotes dignes de ce nom, guidés par les véritables principes de l'ordre social, n'ont jamais, disait-il, prétendu à une égalité de fortune, mais à une égalité de droits et de bonheur. Pour lui, il ne souhaitait point l'opulence : elle était trop souvent le prix du crime et de l'infamie. Les pouvoirs que le peuple m'a confiés, ajoutait-il, auraient été un supplice pour moi, si, au milieu du spectacle de l'hypocrisie dont il est victime, je n'avais élevé courageusement ma voix en sa faveur. Je n'aspire point à sa reconnaissance ; je ne connais d'autre ingratitude de la part du peuple que celle qui pèse sur lui-même. Puis, rappelant toutes les mesures extraordinaires proposées le matin par lui dans la séance de la Convention, il insistait sur les précautions à prendre pour qu'au moment où les patriotes allaient marcher contre les brigands de la Vendée, leurs femmes et leurs enfants ne fussent pas exposés à la rage des contre-révolutionnaires. L'heure était venue de tenter un suprême effort, si l'on voulait sauver le genre humain. Oui, oui, nous le voulons, s'écrièrent à la fois tous les membres en se levant par un élan simultané et en agitant leurs chapeaux. Alors, avec une émotion croissante et après avoir déploré les manœuvres employée pour séparer les départements du peuple de Paris, après avoir déclaré bien hautement que c'était la loi à la main, et non point en sr donnant des airs d'insurrection, qu'on devait engager cette lutte v mort avec les ennemis de la liberté, il poursuivait en ces termes : Si la liberté succombe, ce sera moins la faute des mandataires que du souverain. Peuple, n'oubliez pas que votre destinée est dans vos mains, vous devez sauver Paris et l'humanité ; si vous ne le faites pas, vous êtes coupable. En résumé, il demandait la punition des perturbateurs qui, dans les derniers jours, avaient été arrêtés pour cris séditieux, le châtiment exemplaire des généraux pris en flagrant délit de trahison, l'incarcération jusqu'à la fin de la guerre de tous les individus coupables d'incivisme, l'établissement de forges sur les places publiques. Il demandait en outre que les artisans, vivant de leur travail, fussent soldés pendant le temps qu'ils seraient obligés de se tenir sous les armes pour protéger la tranquillité de Paris ; que les sections levassent une armée suffisante pour comprimer l'aristocratie et former le noyau d'une armée révolutionnaire qui entraînerait les sans-culottes des départements à l'extermination des rebelles ; enfin, que les sections de Paris se réunissent à la commune afin de balancer par leur influence les écrits perfides des journalistes soudoyés par les puissances étrangères. En prenant toutes ces mesures, ajoutait-il, — et c'étaient ses derniers mots, — sans fournir aucun prétexte que vous ayez violé les lois, vous donnerez l'impulsion aux départements, qui s'uniront à vous pour sauver la liberté[222]. Une longue agitation régna dans la société à la suite de ce discours formidable qu'avaient accueilli de frénétiques applaudissements. Nous admirons les prodigieux efforts de nos pères pour vaincre à la fois l'ennemi du dedans et celui du dehors, nous admirons leurs sacrifices immenses, leurs triomphes si chèrement achetés, et, hommes inconséquents, nous laissons chaque jour insulter les grands citoyens qui leur ont soufflé le feu de leur indomptable énergie.

La liberté ne périra pas ! s'écriait le surlendemain Robespierre, après avoir flétri l'indigne conduite de ce Pitt qui prodiguait les millions de l'Angleterre pour arrêter l'essor de la Révolution, la liberté ne périra pas, mais elle ne sera que le fruit des plus grandes et des plus longues calamités ; des torrents de sang le plus pur couleront, et nos ennemis entraîneront dans leur tombe une partie des défenseurs de la République. Paroles, hélas ! trop prophétiques ! N'importe, la patrie ne pouvait être sauvée désormais que par les plus grands efforts de l'énergie républicaine et de l'héroïsme populaire. Il ne faut pas que Paris soit calomnié, s'écriait-il encore le 10 mai en défendant les pétitionnaires de la Halle aux blés, mais il faut que Paris soit à l'abri des conspirations, et les mesures que j'ai proposées sont suffisantes pour neutraliser les efforts de l'aristocratie et du modérantisme. Remarquez que j'écarte toute idée de violence contre nos ennemis intérieurs[223]. Les paroles de Robespierre n'auront pas retenti en vain, et la République sera sauvée, pour un moment du moins. Quant à lui, si l'esprit public ne se ranimait pas, si le génie de la liberté ne tentait pas un suprême effort, il attendrait calme et serein, sur la chaise curule où le peuple l'avait élevé, le moment où les assassins viendraient l'immoler[224]. Nous le verrons, au 9 Thermidor, fidèle à cette sorte d'engagement. Entrevoyait-il déjà l'aurore de cette sanglante et fatale journée ?

 

XXXIII

Cependant, au milieu des tempêtes, se continuaient les débats sur la constitution républicaine à donner au pays. Le 10 mai, Isnard proposa à la Convention d'adopter une sorte de pacte social, en vertu duquel les députés au Corps législatif auraient été considérés comme autant d'ambassadeurs de communautés diverses dont l'association dans son ensemble eût formé la nation française. Vivement combattu par Danton et par Marat comme entaché de fédéralisme, le projet d'Isnard, soutenu en vain par Buzot, fut écarté de la discussion.

Robespierre monta ensuite à la tribune. Il prononça un discours qu'on peut regarder comme la véritable profession de foi de la démocratie, et que devraient avoir toujours présent à la mémoire les gens qui font profession d'aimer la liberté et l'égalité. C'était du reste le développement logique de sa Déclaration, et, au point de vue de la mise en pratique des principes de la démocratie, rien ne prouve mieux que cet admirable discours la puissance de conception de ce législateur de trente-cinq ans. Comme d'un bout à l'autre il respire l'amour du bien, la passion de la justice, le désintéressement le plus pur ! L'homme fut né pour le bonheur et pour la liberté, et partout il est esclave et malheureux. La société a pour but la conservation de ses droits et la perfection de son être, et partout la société le dégrade et l'opprime. Le temps est arrivé de le rappeler à ses véritables destinées ; les progrès de la raison humaine ont préparé cette grande révolution, et c'est à vous qu'est spécialement imposé le devoir de l'accélérer. Jusqu'ici, poursuivait Robespierre, l'art de gouverner avait consisté à dépouiller et à asservir le grand nombre au profit du petit ; les rois et les aristocrates avaient bien fait leur métier, c'était présentement au peuple à rendre les hommes libres et heureux par les lois.

Le grand problème à résoudre était, comme maintes fois déjà nous le lui avons entendu déclarer, de donner au gouvernement la force nécessaire pour que les citoyens respectassent toujours les droits des citoyens, et de faire en sorte que jamais le gouvernement ne pût les violer lui-même. L'anarchie était moins à craindre à ses yeux que le despotisme et l'aristocratie ; l'anarchie, d'ailleurs, était-elle autre chose que la tyrannie qui plaçait sur le trône les fantaisies d'un homme au lieu de la loi ? L'histoire à la main, Robespierre prouvait que de tout temps l'ambition, la force et la perfidie avaient été les législateurs du monde ; que les nations avaient vu se tourner contre elles la puissance dont elles avaient investi leurs magistrats considérés comme essentiellement sages et vertueux, tandis qu'on supposait toujours le peuple insensé et mutin, d'où il était résulté qu'on avait eu des rois, des prêtres, des nobles, des bourgeois, de la canaille, mais point de peuple et point d'hommes. Le premier objet de toute constitution devait donc être de défendre la liberté publique et individuelle contre le gouvernement lui-même. Malheureusement, on avait à élever le temple de la liberté avec des mains encore flétries des fers de la servitude. Mépriser et être méprisé avait été trop longtemps la destinée commune ; de là tant de dédains insolents de la part des hommes de loi, financiers, robins ou hommes d'épée, à l'égard des classes inférieures. Et telle était la vanité humaine, que beaucoup de gens réclamaient des maîtres pour ne point avoir d'égaux. Il fallait donc poser en axiome que tous les hommes étaient égaux, et que dans la souveraineté populaire se trouvait l'unique préservatif contre les vices et le despotisme du gouvernement, dont la corruption avait toujours sa source dans un excès de pouvoir. Donc nécessité de modérer la puissance des magistrats.

Voyons maintenant comment ce prétendu partisan des doctrines autoritaires, — suivant des écrivains parfaitement ignorants ou de mauvaise foi, — entendait la science du gouvernement. Deux moyens avaient paru excellents à quelques politiques pour protéger la liberté : l'un c'était l'équilibre des pouvoirs, l'autre le tribunat. Robespierre combattait énergiquement l'un et l'autre moyen. L'équilibre des pouvoirs ! N'avait-on pas l'exemple de l'Angleterre pour dégoûter à tout jamais les véritables amis de la liberté de cette espèce de gouvernement monstrueux où les vertus publiques n'étaient qu'une scandaleuse parade, où le fantôme de la liberté anéantissait la liberté même, où les droits du peuple étaient l'objet d'un trafic avoué, où la corruption était dégagée du frein même de la pudeur ? Robespierre devinait bien ce qu'il y aurait d'hypocrisies et de mensonges dans ces prétendus gouvernements représentatifs où l'on voit assez communément la liberté et l'égalité devenir le monopole d'un petit nombre d'élus Du tribunat, il n'en voulait pas davantage. Pour lui, le seul tribun avouable, c'était le peuple lui-même. C'est à chaque section de la République française que je renvoie la puissance tribunitienne ; et il est facile de l'organiser d'une manière également éloignée des tempêtes de la démocratie absolue et de la perfide tranquillité du despotisme représentatif.

Donner au pouvoir des fonctionnaires, et surtout de celui dont l'autorité devait être la plus étendue, une courte durée, interdire sévèrement le cumul de plusieurs fonctions, séparer avec le plus grand soin le pouvoir législatif du pouvoir exécutif, telles étaient les premières précautions à prendre afin d'empêcher le retour du despotisme. Averti par une expérience personnelle du danger qu'il y avait pour la liberté et pour la réputation des citoyens à permettre au gouvernement et au ministre de l'intérieur de disposer de sommes immenses sous prétexte de former l'esprit public, il voulait qu'on enlevât au pouvoir central toute l'autorité qui n'était point indispensable à la bonne gestion des affaires politiques. Quant au reste, c'était aux citoyens de se gouverner eux-mêmes. Dans quelle erreur capitale sont tombés ceux qui, par une étrange ignorance de notre histoire révolutionnaire, ont confondu l'excessive centralisation du régime consulaire, empruntée aux errements de l'ancien régime, avec l'organisation administrative que la Révolution voulut donner à la France ! S'il est, au contraire, une décentralisation rationnelle, pratique, c'est évidemment celle qui ressort de la constitution de 1791, et surtout des constitutions de 1793 et de l'an III. Écoutez, écoutez à cet égard le langage de Robespierre : Laissez dans les départements, sous la main du peuple, la portion des tributs publics qu'il ne sera pas nécessaire de verser dans la caisse générale, et que les dépenses soient acquittées sur les lieux autant qu'il sera possible. Mais il est un moyen général et non moins salutaire de diminuer la puissance des gouvernements au profit de la liberté et du bonheur des peuples. FUYEZ LA MANIE ANCIENNE DES GOUVERNEMENTS, DE VOULOIR TROP GOUVERNER ; LAISSEZ AUX INDIVIDUS, LAISSEZ AUX FAMILLES LE DROIT DE FAIRE CE QUI NE NUIT POINT A AUTRUI ; LAISSEZ AUX COMMUNES LE POUVOIR DE RÉGLER ELLES-MÊMES LEURS PROPRES AFFAIRES, EN TOUT CE QUI NE TIENT POINT ESSENTIELLEMENT A L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE. EN UN MOT, RENDEZ A LA LIBERTÉ INDIVIDUELLE TOUT CE QUI N'APPARTIENT PAS NATURELLEMENT A L'AUTORITÉ PUBLIQUE, ET VOUS AUREZ LAISSÉ D'AUTANT MOINS DE PRISE A L'AMBITION ET A L'ARBITRAIRE. Était-il possible de mieux dire ? Quel ami sincère de la liberté ne signerait des deux mains ces lignes tout à fait admirables ?

C'était surtout dans les assemblées primaires que Robespierre voulait qu'on respectât la volonté du souverain. Plus de ces entraves qui, sous prétexte de régler les élections, finissaient par anéantir en quelque sorte le droit de suffrage. Responsabilité de tous les dépositaires du pouvoir : dans un État libre, les crimes publics des magistrats devaient être punis aussi sévèrement et aussi facilement que les crimes privés des citoyens. Révocation, selon des formes établies, des fonctionnaires qui auraient démérité de la nation : c'était aux mandants à avoir l'œil sans cesse ouvert sur leurs mandataires. La constitution doit s'appliquer surtout à soumettre les fonctionnaires publics à une responsabilité imposante, en les mettant dans la dépendance réelle, non des individus, mais du souverain. Aussi, quelles précautions il recommande au peuple dans le choix de ses magistrats, et quelle sincérité il exige dans les élections ! C'est, dit-il, sur cette double base que la liberté doit être fondée. Ne perdez pas de vue que dans le gouvernement représentatif il n'est pas de lois constitutives aussi importantes que celles qui garantissent la pureté des élections. Comme moyen de surveillance, il indiquait la publicité réelle des séances de tous les corps administratifs, judiciaires et législatifs. Il aurait voulu, par exemple, que les représentants de la nation siégeassent dans une enceinte majestueuse, capable de contenir dix ou douze mille auditeurs, et il regrettait l'exiguïté du nouveau local mis à la disposition de l'Assemblée. Ce jour-là même, en effet, la Convention avait quitté la salle étroite et incommode du Manège pour s'installer aux Tuileries, d'où la terreur, qui en était si souvent sortie pour frapper les amis de la liberté, allait s'abattre sur les despotes et sur leurs partisans.

A ceux qui pouvaient craindre que tant de précautions prises contre l'arbitraire et la tyrannie n'enlevassent toute force aux lois et au gouvernement, Robespierre répondit d'avance : Je rends aux lois et au gouvernement toute la force que j'ôte aux vices des hommes qui gouvernent et qui font des lois. Le respect qu'inspire le magistrat dépend beaucoup plus du respect qu'il porte lui-même aux lois que du pouvoir qu'il usurpe ; et la puissance des lois est bien moins dans la force militaire qui les entoure que dans leur concordance avec les principes de la justice et avec la volonté générale. Quand la loi a pour principe l'intérêt public, elle a le peuple lui-même pour appui, et sa force est la force de tous les citoyens dont elle est l'ouvrage et la propriété. La volonté générale et la force publique ont une origine commune. Quand la force publique ne fait que seconder la volonté générale, l'État est libre et paisible ; lorsqu'elle la contrarie, l'État est asservi ou agité. La force publique est en contradiction avec la volonté générale dans deux cas : ou lorsque la loi n'est pas la volonté générale, ou lorsque le magistrat l'emploie pour violer la loi. Telle est l'horrible anarchie que les tyrans ont établie de tout temps, sous le nom de tranquillité, d'ordre public, de législation et de gouvernement ; tout leur art est d'isoler et de comprimer chaque citoyen par la force pour les asservir tous à leurs odieux caprices qu'ils décorent du nom de lois. Législateurs, faites des lois justes ; magistrats, faites-les religieusement exécuter ; que ce soit là toute votre politique, et vous donnerez au monde un spectacle inconnu, celui d'un grand peuple libre et vertueux[225].

Tel était cet important et magnifique discours qu'on peut véritablement regarder comme le manifeste de la démocratie. Combien lui étaient inférieures les conceptions girondines ! Une foule des idées qui s'y trouvent exposées sont généralement admises aujourd'hui comme les règles d'un gouvernement sage. Je le répète, le jour où les grands principes posés par Maximilien Robespierre dans sa Déclaration des droits et dans son discours sur la constitution auront complètement prévalu, ce jour-là, mais ce jour-là seulement, la démocratie aura vaincu.

 

XXXIV

La séance dans laquelle Robespierre présenta à la Convention ce magnifique programme constitutionnel fut une des dernières séances où, jusqu'à la chute des Girondins, on s'occupa de l'œuvre pacifique de la constitution. Un effroyable esprit de discorde va souffler sur l'Assemblée ; la lutte devient plus vive, plus ardente ; toute conciliation est désormais impossible : nous touchons à l'heure suprême de la Gironde.

Et cependant Robespierre alors s'efforçait d'inspirer le calme aux patriotes, et, de toute son énergie, il s'opposait encore aux mesures violentes. Cela se vit bien aux Jacobins dans la séance du 13 mai. Un membre s'étant emporté contre la faction des hommes d'Etat, et ayant engagé le contingent parisien à ne point partir pour la Vendée avant d'avoir purgé la Convention des scélérats auxquels il attribuait les malheurs de la patrie et promené sur eux le glaive exterminateur, Maximilien s'élança à la tribune : Je n'ai jamais pu concevoir comment, dans des moments critiques, il se trouvait tant d'hommes pour faire des propositions qui compromettent les amis de la liberté, tandis que personne n'appuie celles qui tendent à sauver la République. Ceux qui, mettant ces mesures à l'écart, ne vous proposent que des mesures partielles, quelque violentes qu'elles soient, n'entendent rien aux moyens de sauver la patrie ; car ce n'est qu'après avoir épuisé toutes les mesures qui ne compromettent pas la société qu'on doit avoir recours aux moyens extrêmes, encore ces moyens ne doivent-ils pas être proposés au sein d'une assemblée qui doit être sage et politique. Ce n'est pas un moment d'effervescence passagère qui sauvera la patrie. Les mesures que l'on a proposées n'ont et ne pourront avoir aucun résultat ; elles n'ont servi qu'à alimenter la calomnie ; elles n'ont servi qu'à fournir des prétextes aux journalistes de nous représenter sous les couleurs les plus odieuses. Je n'en dirai pas davantage, mais je déclare que je proteste contre tous moyens qui ne tendent qu'à compromettre la société sans contribuer au salut public. Voilà ma profession de foi ![226] Robespierre avait bien engagé la Convention à examiner attentivement la conduite de quelques membres de la Gironde mais il était loin de vouloir leur perte ; et les applaudissements dont les Jacobins couvrirent ses paroles, bien qu'une voix l'eût accusé de modérantisme, prouvèrent que l'immense majorité de la société était de son avis. Le lendemain, voulant justifier une adresse bordelaise, écho des diatribes girondines, et où l'on semblait prendre à tâche d'exaspérer la population parisienne, Guadet récriminait amèrement contre le discours anarchique tenu la veille aux Jacobins par un homme exalté, mais il n'avait pas la bonne foi de dire avec quelle vivacité Robespierre avait combattu ce discours[227].

Les Girondins, du reste, étaient parfaitement décidés à n'admettre aucun compromis. Détruire leurs adversaires, tel était leur but, leur but unique ; cela ressort clairement de tous leurs actes, de toutes leurs paroles. Quelle n'avait pas été l'indignation des patriotes à la lecture d'une lettre de Rebecqui à Barbaroux, lettre dénoncée aux Jacobins, et dans laquelle cet ancien accusateur de Robespierre disait que le seul moyen de sauver la République était de faire marcher sur Paris les quarante mille hommes qui combattaient les rebelles de la Vendée[228] ! Ces messieurs veulent en finir, s'écriait dans le Patriote français l'énergumène Girey-Dupré, en parlant des Montagnards : qu'ils l'osent, nous le demandons ; LEUR MORT EST AU BOUT[229].

Le 17 mai, Isnard était nommé président de la Convention. En appelant à ces fonctions le sombre orateur dont on n'a pas oublié les menaces terribles contre les adversaires de la Révolution et qui était destiné à précipiter le dénouement d'une situation devenue intolérable, les Girondins témoignaient bien de leur peu de souci d'entrer dans une voie d'apaisement et de conciliation. Tout ce qu'il était possible de faire pour irriter et pousser à bout leurs adversaires, pour jeter en armes sur la place publique les patriotes de Paris, ils le firent. Eux qui, durant le ministère de leurs amis, avant comme après le 10 août, avaient inondé de leurs créatures toutes les places civiles et militaires, jetèrent les hauts cris pour quelques emplois supérieurs donnés à l'instigation de plusieurs membres de la Montagne, et Barbaroux proposa un jour à la Convention de décréter que quiconque dénoncerait un fonctionnaire public pour acquisitions illégitimes, obtiendrait en récompense la moitié des biens du dénoncé, faute par ce dernier de pouvoir justifier de ses moyens de fortune. C'était singulièrement encourager l'art de la dénonciation, et cela pouvait paraître au moins étrange de la part de gens si habitués à déclamer contre les dénonciateurs. quand ils étaient eux-mêmes l'objet des dénonciations. Robespierre demeura toujours étranger à ces distributions de places dont ne se firent faute les Girondins, et qui leur donnèrent tant de partisans dans les administrations publiques. Même au temps de sa plus haute influence, aucun de ses proches, de ses amis, n'arriva par lui à une haute position. Nous n'aurons pas de peine à prouver dans quelle erreur sont tombés les écrivains, passionnés d'ailleurs, qui, comme M. Michelet, par exemple, font des principaux membres du tribunal révolutionnaire et de la commune de Paris autant de ses créatures. Son compatriote Herman, homme, du reste, d'une probité et d'un patriotisme à toute épreuve, lui était à peu près étranger. Et les seules considérations auxquelles il s'attacha jamais quand il appuya la nomination de quelque citoyen à un poste important, furent précisément le patriotisme et la probité. A ce titre il crut pouvoir, vers cette époque, recommander un honorable praticien, du nom de Théry, pour une place de médecin vacante près le tribunal révolutionnaire. Il s'adressa à ce sujet à l'accusateur public Fouquier-Tinville ; et il le connaissait si peu qu'il l'appelait : Fouquet de Tainville. Un mois plus tard, son protégé était accepté comme médecin par le président Montané[230].

Mais revenons aux provocations girondines. Voici Vergniaud qui menace la capitale de l'abandon du département de la Gironde[231] ; et, d'une lettre violente de ce député, le chimiste Hassenfratz inférait, à une séance des Jacobins, qu'on cherchait à faire croire que les départements étaient prêts à marcher sur Paris[232]. Forts de leur majorité, les Girondins enlevaient à leurs adversaires le droit de requérir l'appel nominal (18 mai), et, dans la même séance, ne s'en tenant plus à leurs déclamations continuelles contre la capitale, ils demandaient, par la bouche de Guadet, la cassation des autorités de Paris, leur remplacement dans les vingt-quatre heures par les présidents des diverses sections, et la réunion immédiate des suppléants de l'Assemblée dans la ville de Bourges. Triple proposition trois fois imprudente, et qui arracha à Collot d'Herbois ce cri d'alarme : Voilà donc la conspiration découverte ! Une agitation extraordinaire s'était emparée de toute la gauche. Barère arriva à point pour ramener le calme en blâmant comme dangereuses et intempestives les mesures proposées par Guadet ; puis, pour consoler la Gironde, il obtint de la Convention un décret portant formation d'une commission de douze membres chargée d'examiner les actes et arrêtés de la commune de Paris depuis un mois. Cette mesure, bonne en elle-même si cette commission comprenait dans son sein une majorité de membres impartiaux et désintéressés, devenait une chose détestable si, comme cela était à craindre, elle se trouvait exclusivement composée de membres appartenant à la faction girondine. Les Girondins n'adoptèrent avec tant d'empressement la proposition de Barère que parce qu'ils étaient certains de former cette commission entièrement à leur gré, d'exercer par elle une véritable dictature et d'annihiler le comité de Salut public, lequel n'avait alors, pour ainsi dire, aucune influence sur la marche des affaires. Babaut Saint-Etienne, Kervélégan, Boyer-Fonfrède, Saint-Martin, Vigée, Boileau, Henri Larivière, Bergœing, Gomaire, Mollevault, Gardien et Bertrand, tels furent les membres dont se composa cette fameuse commission des Douze. A partir de ce jour jusqu'à la fin du mois, la Convention devint une arène où se croisèrent les apostrophes les plus violentes et des dénonciations respectives. Mais la formation de ce comité eut des résultats plus fâcheux encore ; elle porta au comble l'exaspération des sections parisiennes, dont les commissaires, réunis à l'archevêché, songèrent, dès lors, à résister à des mesures contre-révolutionnaires qu'on prévoyait. Telles étaient les fureurs qu'on entendit à la Convention Vergniaud et David se traiter mutuellement d'assassin[233]. La commission des Douze semblait comme à plaisir remplir Paris d'alarmes. D'heure en heure elle accueillait des dénonciations plus absurdes les unes que les autres, provoquées peut-être ; elle avait besoin d'un complot. Un jour, une députation de la section de la Fraternité vint annoncer à la Convention qu'une affreuse conspiration se tramait, tendant au massacre des représentants du peuple, et l'Assemblée s'empressa de décréter que cette section avait bien mérité de la patrie. A peine instruite de ce fait, la commune somma les dénonciateurs de venir lui donner les renseignements nécessaires afin que les prétendus conspirateurs fussent immédiatement livrés aux tribunaux. On ne sut nommer personne. La commission des Douze n'en continua pas moins de s'acharner contre la municipalité parisienne, comme si elle eût juré de la pousser à bout. Les véritables conspirateurs, si conspirateurs il y avait, c'étaient les Girondins, qui, réunis chez Valazé, en comité secret, délibéraient d'avance sur les mesures à arracher à la Convention. Ce fut ainsi que, dans la séance du 24 mai, Vigée, au nom de la commission des Douze, évoquant un complot imaginaire, proposa à l'Assemblée de s'entourer d'une garde formidable, et, malgré les énergiques protestations de Danton, ce projet, vivement appuyé par Vergniaud, fut voté d'urgence. Les Girondins se crurent entièrement maîtres de la situation, ce fut précisément ce qui les perdit.

Le soir, aux Jacobins, comme on faisait entendre de vagues accusations contre le général Kellermann, présent à la séance, Robespierre pria la société de laisser là les questions de personne pour s'occuper des dangers de la patrie. Quant à Kellermann, il allait voler à de nouveaux combats, c'était à lui à prouver son civisme par sa conduite à la tête de nos armées. Apprends, lui dit Robespierre, apprends qu'il existe des républicains en France... Les généraux se regardent comme des souverains ; ils se croient les dictateurs de la République. Eh bien ! Kellermann, apprends qu'il est encore des républicains purs et énergiques, et vois quels ennemis tu aurais à combattre si tu osais trahir la patrie. D'unanimes applaudissements retentirent à ce fier langage. Quand le calme se fut rétabli, Robespierre se plaignit amèrement du décret rendu dans la matinée. Et quel moment choisissait-on pour s'entourer d'une garde que la faction des intrigants composerait de créatures de son choix ? celui où la capitale se dégarnissait de ses défenseurs les plus énergiques pour les envoyer en Vendée. Il montra la faction girondine conspirant contre les patriotes, et, pour les proscrire, appelant à son aide, d'une part, une garde fournie par des corps administratifs vendus, et de l'autre le pouvoir judiciaire. Elle a, dit-il, établi un tribunal révolutionnaire composé d'hommes vertueux, mais les membres de ce tribunal vont cesser leurs fonctions et ils seront remplacés par les affidés et les créatures de la faction, qui, pour assurer l'exécution de ses trames criminelles, a créé une commission composée de membres tous pris dans le côté droit. Il ignorait jusqu'à quel point étaient fondés les bruits répandus contre les personnes de quelques représentants ; mais, ce dont il ne doutait pas, c'était du complot dont il entretenait la société. Quant à lui, il était disposé à combattre jusqu'à la mort les agents de cette horrible conspiration, et, pour sauver la liberté, prêt à tous les sacrifices, à commencer par celui de sa liberté. Il n'y a point d'armée contrerévolutionnaire qui puisse me faire pâlir, il n'y a point de faction qui puisse me faire trembler quand j'ai la foudre de la vérité à lancer contre elle[234]. Et à l'heure où Robespierre s'exprimait avec une telle énergie, les Girondins, il ne faut pas l'oublier, exerçaient encore une véritable dictature.

 

XXXV

Résolue à en finir au plus vite, la commission extraordinaire avait, dans cette journée du 2h, lancé des mandats d'amener contre deux administrateurs de police, Michel et Marino, et jeté dans la prison de l'Abbaye le substitut du procureur de la commune, Hébert, pour un article du Père Duchesne, où les Girondins, présentés comme des complices de Capet et de Dumouriez, étaient formellement accusés de chercher à allumer la guerre civile et à armer contre les Parisiens les citoyens des départements. Certes, le journal d'Hébert, sur lequel nous aurons à revenir plus tard, était une de ces feuilles dont le cynisme déplaisait souverainement à Robespierre, parce que c'était, suivant lui, mal servir le peuple que de lui parler un langage ordurier. Marat lui-même la trouvait de mauvais goût[235]. Du reste, pour la violence du style, les journaux girondins ne le cédaient en rien à celui d'Hébert, et l'acolyte de Brissot, le jeune Girey-Dupré, n'avait rien à envier au Père Duchesne. Mais on ne pouvait s'empêcher de remarquer que, si les Girondins mettaient tant d'empressement à décréter d'arrestation un écrivain populaire dont ils avaient personnellement à se plaindre, ils avaient, peu de temps auparavant, par la bouche de Buzot, défendu avec une étrange vivacité, en invoquant les droits de la liberté de la presse, le journaliste Nicolle, dont les articles poussaient ouvertement à la révolte contre la République. Il n'y a donc pas à s'étonner si l'arrestation d'Hébert, d'un magistrat du peuple, et celle de quelques autres patriotes ardents comme Varlet, causa une émotion extraordinaire.

On sait comment, le lendemain, des députés de la commune vinrent à la Convention réclamer la liberté ou tout au moins le prompt jugement du magistrat municipal, et l'on connaît la réponse insensée d'Isnard. Si jamais la Convention était avilie... je vous le déclare au nom de la France entière, Paris serait anéanti... Bientôt on chercherait sur les rives de la Seine si Paris a existé. Hyperbole ! dit-on. Sans doute, mais il n'en faut pas davantage pour mettre une ville en combustion ; et ce sera par de semblables hyperboles que plus tard ce même Isnard organisera la terreur blanche dans le Midi et fera verser des torrents de sang. Vivement appuyée par tous les membres de la droite, la sombre menace d'Isnard eut une sorte de caractère collectif qui porta au suprême degré l'irritation des patriotes de la capitale[236].

Les Girondins semblaient atteints de cette démence dont le Ciel, disait-on jadis, frappe ceux qu'il veut perdre. Déplorable était la partialité de la commission des Douze. D'une rigueur excessive à l'égard des citoyens hostiles à ses amis, elle se montrait, au contraire, d'une révoltante partialité pour les perturbateurs opposés à la Montagne, fussent-ils notoirement royalistes. Ainsi, le comité révolutionnaire de la section de l'Unité ayant ordonné l'arrestation de cinq individus convaincus, entre autres griefs, d'avoir déclaré publiquement que Marat, Danton, Robespierre et tous les Jacobins étaient des scélérats, le comité de législation s'empressa de demander la cassation de ce comité et la mise en liberté des détenus. Parmi ceux-ci se trouvait un professeur du collège des Quatre-Nations nommé Letellier. Marat répondit que s'il n'y avait pas d'autres motifs à alléguer contre lui, il serait le premier à réclamer son élargissement, mais que ce citoyen était prévenu de provocation au rétablissement de la royauté. Cela était bien possible, mais il avait dit du mal de Marat, de Robespierre et de Danton, donc il avait bien mérité de la patrie, c'est-à-dire des Girondins : en liberté ! Et sans s'arrêter aux observations de Marat, l'Assemblée vota purement et simplement les propositions du comité de législation[237]. En revanche, les Douze jetaient également à l'Abbaye Dobsent, président de la section de la Cité, et menaçaient Pache, à qui les Girondins ne pardonnaient point de n'être pas resté leur très-humble serviteur[238].

Robespierre avait assisté muet et désolé aux tristes scènes dont la Convention était le théâtre depuis quelques jours. On a vu avec quelle persistance il avait, dans ses derniers discours au club des Jacobins, recommandé au peuple de respecter l'intégrité de la représentation nationale. Mais la mesure était pleine à présent. — Tant d'impudence commence à nous peser, — se dit-il sans doute, comme Danton devait le déclarer hautement le lendemain à la séance de la Convention. Dans la soirée du 26 mai, il monta à la tribune des Jacobins et prononça contre les intrigants de la Gironde un formidable discours. On venait de lire une lettre adressée par Vergniaud aux habitants de Bordeaux. C'était un appel violent à l'insurrection des départements contre la capitale. Hommes de la Gironde, tremblerez-vous devant des monstres altérés de sang, dont la scélératesse égale la lâcheté... ? Et Vergniaud passait pour un des hommes modérés du parti de la Gironde ; que penser du reste ? Cette lettre dévoilait bien, aux yeux de Robespierre, le secret des trames criminelles de la faction girondine. Il rappela que Vergniaud était le même homme qui, par Thierry et par Boze, avait offert au roi de lui prêter son concours s'il voulait reprendre les ministres Girondins, le même homme hypocrite qui s'était opposé à la déchéance lorsqu'elle était réclamée par les plus ardents patriotes. Les écrits de Vergniaud livrés à la publicité étaient un spécimen de tous ceux dont les Girondins inondaient les départements. Mais il n'y avait pas à s'en effrayer, non plus que de cette foule d'adresses envoyées chaque jour par des contre-révolutionnaires et des royalistes. Quand le peuple se lève, s'écriait Robespierre, tous ces gens-là disparaissent ! Le moment lui paraissait venu, du reste, où, toute pudeur et toute bonne foi étant foulées aux pieds, les patriotes ouvertement persécutés, la loi violée, le peuple devait s'insurger. Quant à lui, il aimait mieux mourir avec les républicains que de triompher avec dès-scélérats, avec des hommes corrompus, quelques trésors qu'ils lui offrissent. Il se plaignait surtout de l'oppression dont les représentants patriotes étaient l'objet au sein même de la Convention : nulle liberté de suffrage ; à un signal donné, le président étouffait leurs voix. Douloureusement affecté d'un tel état de choses, il engageait le peuple à se mettre en insurrection contre les députés corrompus, comme il était résolu à le faire lui-même si on lui refusait la parole. Puis, il invitait tous les députés montagnards à se rallier ; pour eux il n'y avait qu'une alternative, ou de résister de tout leur pouvoir aux efforts de l'intrigue, ou de donner leur démission ; il fallait en même temps que le peuple français se joignit à eux, car, avait-il soin d'ajouter, ils ne pouvaient rien sans le peuple.

Toutefois, l'insurrection dont avait parlé Robespierre était loin d'être prochaine dans sa pensée. En effet, de ses dernières paroles il résulte bien qu'il la subordonnait à l'approche éventuelle de l'ennemi. Si la trahison appelle les étrangers dans le sein de la France, si, lorsque nos canonniers tiennent dans leurs mains la foudre qui doit exterminer les tyrans et leurs satellites, nous voyons l'ennemi s'approcher de nos murs, alors je déclare que je punirai moi-même les traîtres, et je promets de regarder tout conspirateur comme mon ennemi et de le traiter comme tel. L'énergie des paroles de l'orateur excita dans l'Assemblée un grand enthousiasme ; la société, en votant l'impression des lettres de Vergniaud, arrêta qu'on y joindrait les observations de Robespierre[239]. Au désordre qu'on remarque dans le dernier discours de celui-ci, on juge aisément des angoisses de son cœur et de l'incertitude où flotte encore sa pensée. Peut-être aussi le journal girondin auquel nous avons emprunté ce discours a-t-il altéré les paroles de Robespierre. C'est une chose dont il faut certainement se méfier, puisque plus d'une fois, on le sait, le rédacteur de cette feuille encourut le reproche de travestir à dessein les débats de la société des Jacobins.

Nous ne pouvons entrer dans tous les détails des faits qui précédèrent et amenèrent la chute de la Gironde ; il en est cependant qu'il nous est impossible de passer sous silence, tant ils sont nécessaires à l'intelligence de cette histoire. Ainsi, le 27 mai, lecture fut donnée à la Convention d'une longue lettre de Pache, dans laquelle le chef de la commune déclarait en terminant que nulle part les personnes des députés ne seraient plus en sûreté et l'Assemblée plus respectée qu'à Paris, si quelques membres voulaient oublier les haines et permettre à la Convention de s'occuper du grand objet à l'ordre du jour, c'est-à-dire de la constitution. Mais inutile appel à la concorde ! Les Girondins, nous l'avons dit, se croyaient sûrs d'abattre leurs adversaires. La section de la Cité étant venue réclamer la liberté de son président, — c'était Dobsent[240], — et celle de son secrétaire, nuitamment enlevés par ordre delà commission des Douze, uniquement pour avoir signé un arrêté pris par cette section relativement à la communication de ses registres, et ses envoyés ayant en même temps réclamé la punition des auteurs de cette arrestation arbitraire, Isnard, qui présidait, leur répondit d'un ton ridiculement hautain : Citoyens, la Convention pardonne à votre jeunesse... puis il se perdit en lieux communs sur la tyrannie siégeant sur un trône ou à la tribune d'un club, portant un sceptre ou un poignard, cela précisément au moment où la commission des Douze était prise en flagrant délit de tyrannie. Un orage épouvantable s'ensuivit.

Robespierre était à la tribune pour réclamer l'élargissement provisoire des citoyens arbitrairement emprisonnés ; mais au milieu du tumulte, il s'épuisa en efforts inutiles. Le président lui-même semblait prendre à tâche de lui ravir la parole. — Président, vous êtes un tyran ! — s'écria une voix. — Je l'accuse d'être le perturbateur de l'Assemblée, ajouta une autre. — Puis, comme pour jeter au sein de la Convention un nouveau brandon de discorde, Vergniaud demanda la convocation des assemblées primaires. Isnard, avec un empressement scandaleux, se disposait à mettre aux voix cette proposition insidieuse. Mais forcé de consulter l'Assemblée sur la question de savoir si Robespierre serait entendu, il annonça, d'un ton provocateur, que cette question avait été résolue négativement. Ainsi se vérifiaient les paroles prononcées la veille par Maximilien au club des Jacobins : Un signal rapide, donné par le président, nous dépouille du droit de suffrage. — Alors Danton : Tant d'impudence commence à nous peser... nous vous résisterons... Le refus de la parole à Robespierre est une lâche tyrannie. Et Thuriot apostropha Isnard en ces termes : Lui seul est cause du trouble qui règne ici en refusant la parole à Robespierre... Dans quel siècle vivons-nous donc, si un tel homme nous préside, si plus incendiaire que régulateur, le président de la Convention a l'air de tenir la torche qui doit allumer le canon d'alarme des départements dans Paris...[241] Cependant, après des scènes d'une violence inouïe, la parole du ministre de l'intérieur ramena un peu de calme, et parut exercer sur la Convention une salutaire influence. Homme assez impartial, ayant des amis dans l'un et l'autre parti, Garat accusa implicitement les membres de la commission des Douze d'être les auteurs des agitations auxquelles on était en proie, en les présentant comme des gens à l'imagination frappée. Ils croient qu'ils doivent avoir un grand courage, qu'ils doivent mourir pour sauver la République, ils m'ont paru dans des erreurs qui me sont incompréhensibles. Je les crois des gens vertueux, des hommes de bien ; mais la vertu a ses erreurs, et ils en ont de grandes...[242] Les observations de Garat, appuyées de renseignements très-précis fournis par le maire, modifièrent sensiblement les dispositions de l'Assemblée, et vers la fin de la séance, elle décréta la mise en liberté des citoyens arrêtés et la cassation de la commission des Douze. Hérault Séchelles, il est vrai, avait alors remplacé au fauteuil le fougueux et trop partial Isnard[243]. Une telle mesure était de nature à produire beaucoup de bien ; il y eut dans Paris comme une espérance de pacification. Mais les Girondins, furieux de voir tomber de leurs mains l'instrument de leur domination, ne l'entendaient pas ainsi ; ils ne voulurent pas remettre au fourreau l'épée qu'ils en avaient tirée ; désormais il n'y a plus d'accommodement possible.

 

XXXVI

Le lendemain 28, dès l'ouverture de la séance, les orateurs de la Gironde, Lanjuinais en tête, s'empressent de demander le rapport du décret réparateur, dont ils contestent la légalité. Jean Bon Saint-André se récrie contre un tel excès d'audace ; il qualifie de monstrueuse l'autorité de la commission des Douze ; mais vaine protestation ! La discussion est fermée, et il est décidé à l'unanimité qu'il sera procédé par appel nominal sur la question de savoir si le décret de la veille sera rapporté. Robespierre s'élance à la tribune : Au moment où la patrie est indignement et lâchement trahie, je dois à la Convention, à la France une déclaration solennelle. La liberté est assassinée ; les patriotes sont opprimés avec moins de bienséance, de précautions et de pudeur que lorsqu'ils étaient sous le glaive du tyran. On n'a pas rougi de nommer une commission inquisitoriale. Les patriotes sont dans les fers ; voilà les premiers actes de cette commission. Mais leurs réclamations ont retenti dans tout Paris. Cette nuit les patriotes avaient obtenu vengeance ; aujourd'hui un décret de rapport va sans doute être l'effet d'une trame nouvelle. — Et, rapprochement singulier et bien significatif, — les citoyens contre lesquels, depuis six mois, s'acharnait la faction girondine, étaient précisément les mêmes que ceux sur les têtes desquels, quelque temps avant la révolution du 10 août, elle appelait le glaive des lois, en les qualifiant de républicains et de factieux.

Robespierre donna alors lecture d'un passage du fameux discours royaliste prononcé par Brissot le 25 juillet 1792. En vain Barbaroux crut devoir rappeler qu'à cette époque Robespierre écrivait le Défenseur de la Constitution. N'était-ce pas Maximilien qui, le premier, avait déclaré à la tribune des Jacobins, comme dans son journal, que l'Assemblée législative était impuissante à sauver la France, qu'il fallait convoquer une Convention nationale ? N'était-ce pas à lui que s'adressaient les menaces de Brissot quand ce chef de la Gironde, dont les amis exaltaient si fort le républicanisme depuis la chute de la royauté, appelait sur les républicains le glaive de la loi ? Personne ne pouvait ignorer ces choses. D'après cette doctrine ouvertement professée par Brissot, continuait Robespierre, ne vous étonnez pas si les républicains, proscrits avant le 10 août, sont persécutés après ; ne vous étonnez pas si on nomme des commissaires liberticides, si d'infâmes libelles provoquent au massacre des patriotes ; ne vous étonnez pas si des généraux perfides trouvent des complices parmi vous ; ne vous étonnez pas si, au moment où nous éprouvons des revers aux frontières, où Valenciennes est bloquée, les plus scandaleux débats favorisent les entreprises de nos ennemis extérieurs et facilitent leurs succès. Je laisse finir leur carrière odieuse à ces hommes qui n'ont pas su mettre de bornes à leurs crimes ; je leur abandonne cette tribune ; qu'ils viennent y distiller le poison de la calomnie ; qu'ils viennent y secouer les brandons de la guerre civile ; la nation les jugera. Voilà ma déclaration[244]. Robespierre avait à peine achevé que le résultat de l'appel nominal était proclamé : 279 voix contre 238 s'étaient prononcées pour le rapport du décret. Fatale et dernière victoire des Girondins ! ils croyaient avoir triomphé, et ils venaient, suivant l'expression de Garat, de décréter le 31 mai et le 2 juin[245].

La nouvelle du rétablissement de la commission des Douze excita dans Paris un long frémissement d'indignation. Dès lors, sans doute, une foule de citoyens résolurent de mettre à exécution le projet d'exclure de la Convention nationale, coûte que coûte, un certain nombre de membres qui semblaient avoir juré une guerre à mort aux meilleurs et aux plus fermes patriotes. Dans la soirée du 29, Robespierre prononça aux Jacobins un discours d'une extrême énergie, mais dont malheureusement il ne nous a été conservé que la fin. De quelque façon que la crise se dénouât, il était difficile de maintenir désormais l'intégrité de la Convention. Il le sentait bien, et lui qui si souvent avait prêché le respect de la représentation nationale, il ne pouvait, au moment où sans doute une atteinte profonde allait y être portée, se défendre d'une indéfinissable mélancolie. Un jour, vers ce temps-là, causant avec le ministre de l'intérieur, Garat, de l'état critique où les intrigues et les menées des Girondins avaient mis le pays, il lui disait : Je suis bien las de la Révolution ; je suis malade ; jamais la patrie ne fut dans de plus grands dangers, et je doute qu'elle s'en tire. Eh bien ! avez-vous encore envie de rire et de croire que ce sont là d'honnêtes gens, de bons républicains ?[246] Il était certainement dans une pareille disposition d'esprit, pris d'une de ces tristesses involontaires qu'on éprouve toujours à l'aspect de grandes calamités prêtes à fondre sur son pays, au moment où, dans la soirée du 29, il harangua la société des Amis de la liberté et de l'égalité. Qu'allait devenir Paris, ce berceau de la Révolution ? Qu'allait devenir la France, cette terre promise de la liberté, envahie par l'étranger au midi, au nord, à l'est, et déchirée à l'intérieur par les factions ? Ô France ! qui donc te sauvera de l'abîme ? — Qui ? la Montagne, dont le soleil du 2 juin allait éclairer le triomphe.

En ces graves conjonctures, Robespierre ne se découragea point, et, loin de s'annuler en public, comme on l'a écrit fort légèrement[247], il rendit cœur aux plus effrayés. Le 29 au soir, comme nous venons de le dire, il déployait aux Jacobins une énergie suprême. En terminant, il recommandait à la commune de Paris, spécialement chargée du soin de défendre cette grande cité, de s'unir au peuple, de former avec lui une étroite alliance, sous peine de manquer.au premier de ses devoirs, lequel consistait à résister à l'oppression et à réclamer les droits de la justice contre la persécution dont les patriotes étaient l'objet. Lorsqu'il est évident que la patrie est menacée du plus pressant danger, ajoutait-il, le devoir des représentants du peuple est de mourir pour la liberté ou de la faire triompher. Je suis incapable de prescrire au peuple les moyens de se sauver. Cela n'est pas donné à un seul homme ; cela n'est pas donné à moi, qui suis épuisé par quatre ans de révolution et par le spectacle déchirant du triomphe de la tyrannie, et de tout ce qu'il y a de plus vil et de plus corrompu ; à moi, qui suis consumé par une fièvre lente, et surtout par la fièvre du patriotisme. J'ai dit : il ne me reste plus d'autre devoir à remplir en ce moment[248]. Ce qui revenait à dire : Il n'est permis à personne d'assumer sur soi la responsabilité des mesures à prendre dans ces suprêmes et décisives circonstances ; c'était au peuple à décider lui-même de ses moyens de salut. Il faut donc ranger au nombre des fables girondines les prétendus conciliabules tenus à Charenton, conciliabules où, lisait-on dans des placards, œuvre de quelque Louvet, Robespierre, Danton, Marat, Chaumette et Pache, protégés par une force armée imposante, délibéraient sur l'opportunité de nouveaux massacres de Septembre. Des milliers de ces placards ayant été apportés au ministère de l'intérieur, Garat se rendit au comité de Salut public, où l'on se chargea de faire prendre des renseignements à cet égard. Il y avait précisément au ministère de l'intérieur un employé supérieur nommé Champagneux, créature et ami intime de Roland, de la femme duquel il devait plus tard éditer les Mémoires. Champagneux connaissait à Charenton un propriétaire, à qui il écrivit aussitôt par les ordres de son ministre, et la réponse de cet ami, dit Garat lui-même, fut infiniment plus propre à dissiper qu'à confirmer les horribles accusations du placard[249].

Mais les scrupules de Robespierre, d'autres étaient loin de les avoir ; Marat suffit amplement, dans les dispositions où se trouvait la ville, à organiser le mouvement du 31 mai. Le 30, au soir, il se transporta à l'assemblée de l'Évêché, où étaient réunis les commissaires de trente-trois sections, munis de pouvoirs extraordinaires, et il leur souffla à tous ses colères et son audace[250]. Dans la journée, avait paru à la Convention une députation de vingt-sept sections, au nom desquelles Alexandre Rousselin, le jeune ami de Danton, avait impérieusement demandé la cassation de tous les décrets rendus sur la proposition de la commission des Douze et le renvoi des membres de cette commission devant le tribunal révolutionnaire. L'heure suprême des Girondins approchait. Camille Desmoulins venait de lancer contre eux son Histoire des Brissotins, formidable acte d'accusation, plein de choses perfides, comme sont, hélas ! presque tous les actes d'accusation en matière politique, mais aussi tout rempli de terribles vérités ; œuvre étincelante, où les fautes, les menées, les intrigues coupables de la faction girondine, étaient mises en relief avec un art infini, et qui ne servit pas peu à achever de perdre cette faction dans l'opinion publique[251].

Le 31 mai, dès six heures du matin, le tocsin et la générale retentirent dans les rues de Paris. On sait les décisions énergiques prises par la commune de Paris. Dès la veille au soir, elle avait eu soin d'informer le comité de Salut public qu'aucune puissance ne pourrait déranger les mesures adoptées, mais que ces mesures seraient grandes, sages et justes, que l'ordre serait maintenu et que la représentation nationale serait toujours inviolable et respectée[252]. Il s'agissait surtout d'une insurrection morale. Plus violents étaient les meneurs de l'Évêché ; pourtant il n'en est pas moins vrai que pas une goutte de sang ne fut versée dans les journées des 31 mai et 2 juin 1793. Ici apparaît sur la scène un homme dont l'histoire n'a guère été écrite jusqu'à ce jour que d'après les calomnies girondines et thermidoriennes, nous voulons parler du général Hanriot, industriel important, qui venait d'être appelé au commandement provisoire de la garde nationale de Paris. On en a fait un traîneur de sabre, un brutal, un ivrogne, que dis-je, un dépeceur de cadavres[253]. Son grand crime fut de s'être attaché à la cause de Robespierre ; il eût été transformé en héros si, dans la journée du 9 Thermidor, il se fût rangé du côté des Tallien, des Carrier et des Fouché ! mais il a eu le sort des vaincus. Nous verrons plus tard quel compte l'inflexible et impartiale histoire doit tenir des malédictions dont sa mémoire est restée chargée. Toujours est-il que ce jour-là, docile aux prescriptions de la commune, il fit tirer le canon d'alarme.

A ces lugubres et solennelles détonations, une émotion extraordinaire se produisit au sein de la Convention nationale. A Valazé, qui venait de demander l'arrestation d'Hanriot et de proclamer l'utilité de la commission des Douze, succéda Thuriot, lequel réclama la cassation immédiate de cette commission qu'il regardait comme le fléau de la France. Une discussion des plus vives s'engagea sur ce terrain, les uns, comme Vergniaud, Rabaut Saint-Etienne et Guadet, défendant leur chère commission et incriminant la commune ; les autres, comme Danton, parlant vigoureusement en faveur des autorités parisiennes et exigeant la suppression des Douze. Mais la tribune était presque exclusivement occupée par les orateurs de la Gironde. Est-ce que les Girondins ont le droit exclusif de parler, s'écria tout à coup une voix, Couthon a la parole. L'ami de Robespierre, dans un langage très-mesuré, montra dans la cassation de la commission des Douze l'unique moyen de ramener le calme, de sauver la liberté, d'éviter cette insurrection dont le fantôme se dressait aux yeux d'une foule de membres. Pour lui, il n'était ni à Marat, ni à Brissot, disait-il, il appartenait à sa conscience ; ses derniers mots étaient un appel à la concorde. Alors Vergniaud, comme s'il eût abondé tout à fait dans le sens du précédent orateur, déclara qu'il n'y avait qu'à parcourir les rues, qu'à voir l'ordre qui y régnait et les nombreuses patrouilles dont elles étaient sillonnées pour décréter que Paris avait bien mérité de la patrie. A peine énoncée, cette proposition fut convertie en décret aux applaudissements de toute l'Assemblée.

C'était là une sorte de porte ouverte à la conciliation. Mais voilà qu'une parole imprudente du député Camboulas rallume toutes les colères. On a sonné le tocsin, tiré le canon d'alarme, ce sont des crimes qu'il faut punir. Alors Robespierre jeune : Vous voulez savoir qui a fait sonner le tocsin ? je vais vous le dire. Ce sont les trahisons de nos généraux, c'est la perfidie qui a livré le camp de Pamars, c'est le bombardement de Valenciennes, c'est le désordre qu'on a mis dans l'armée du Nord ; ce sont les conspirateurs de l'intérieur, dont plusieurs sont dans le sein de la Convention. Et puis, on venait de décréter que les sections de Paris avaient bien mérité de la patrie, l'Assemblée ne se mettrait-elle pas en contradiction avec elle-même en adoptant la proposition de Camboulas ? Malgré cette observation si juste, la motion du député de l'Aveyron n'en est pas moins adoptée.

Sur ces entrefaites se présenta une députation de la commune de Paris. Elle demanda la création d'une armée révolutionnaire, le décret d'accusation contre les membres de la commission des Douze et les vingt-deux députés déjà dénoncés par les sections de Paris, l'établissement, dans toutes les places publiques, d'ateliers uniquement occupés à fabriquer des armes, le licenciement de tous les nobles occupant des grades supérieurs dans les armées de la République, l'arrestation des ministres Clavière et Lebrun, et l'allocation de secours aux femmes et aux enfants des soldats morts en combattant pour la patrie. Ajoutons qu'en réclamant le décret d'accusation contre les Girondins, la commune déclarait que les citoyens de Paris s'offraient en otages pour en répondre à tous les départements[254]. Les pétitionnaires venaient d'être admis aux honneurs de la séance, et l'impression de l'adresse votée sans discussion, quand Barère parut à la tribune. Au nom du comité de Salut public, il proposa à la Convention, entre autres mesures, d'arrêter qu'elle pourrait requérir à toute heure la force publique du département de Paris, de décréter la suppression de la commission des Douze et le dépôt de tous ses papiers au comité de Salut public, lequel serait tenu de présenter son rapport sous trois jours.

En ce moment survint une nouvelle députation composée de membres de l'administration de Paris réunis aux autorités constituées de la commune et aux commissaires des sections. A sa tête était le procureur syndic Lullier[255]. Dans un langage dont l'extrême énergie était tempérée par une singulière élévation, l'orateur demanda à l'Assemblée vengeance de l'insulte faite par Isnard à la ville de Paris. Parmi les ennemis de la patrie, il désigna, outre les membres de la commission des Douze, les Brissot, les Guadet, les Vergniaud, les Roland, les Gensonné, les Buzot, les Barbaroux, les Clavière et les Lebrun. Oui, vengez-nous d'Isnard et de Roland, disait, en finissant, l'orateur de la députation, après avoir rappelé que Paris était à la fois le berceau et l'école de la liberté, alors la constitution marchera d'un pas rapide ; vous ferez le bonheur d'un peuple magnanime et généreux qui portera vos noms chéris jusqu'à l'immortalité[256]. De frénétiques applaudissements partis des tribunes et des bancs de la Montagne accueillirent la lecture de cette adresse. Asselin en demanda l'impression et réclama l'adoption du projet de décret présenté par Barère. Mais la Gironde, éperdue, se fondant sur ce que les pétitionnaires s'étaient répandus dans la salle, cria à la violation de la représentation nationale, refusa de délibérer, et Vergniaud proposa à l'Assemblée d'aller se mettre sous la protection de la force armée qui garnissait la place du Carrousel. Il sortit, suivi d'une foule de ses collègues. Alors, comme on réclamait l'appel nominal pour connaître les noms des absents : Citoyens, ne perdons pas ce jour en vaines clameurs et en mesures insignifiantes, s'écria Robespierre, qui jusqu'alors avait gardé le silence. Ce jour est peut-être le dernier où le patriotisme combattra la tyrannie. Que les fidèles représentants du peuple se réunissent pour assurer son bonheur. — Vergniaud rentrait en ce moment : — Je n'occuperai point l'Assemblée de la fuite ou du retour de ceux qui ont déserté les séances, continua Robespierre. Passant ensuite à l'examen du projet de décret présenté au nom du comité de Salut public, il en approuvait les principaux articles, mais il repoussait formellement l'idée de laisser la Convention maîtresse de requérir à son gré la force armée du département, puisque cette force armée, composée de citoyens qui avaient dénoncé un certain nombre de membres de l'Assemblée, se trouverait ainsi à la disposition de ses ennemis.

En outre, il lui paraissait nécessaire qu'on adoptât quelques-unes des mesures proposées par la commune et par le département : Il faut purger l'armée, il faut... — Concluez donc, lui cria Vergniaud, impatienté. — Oui, je vais conclure, reprit Robespierre en se tournant vers l'interrupteur, et contre vous ; contre vous qui, après la révolution du 10 août, avez voulu conduire à l'échafaud ceux qui l'ont faite ; contre vous qui n'avez cessé de provoquer la destruction de Paris ; contre vous qui avez voulu sauver le tyran ; contre vous qui avez conspiré avec Dumouriez ; contre vous qui avez poursuivi avec acharnement les mêmes patriotes dont Dumouriez demandait la tête ; contre vous dont les vengeances criminelles ont provoqué ces mêmes cris d'indignation dont vous voulez faire un crime à ceux qui sont vos victimes. Eh bien ! ma conclusion, c'est le décret d'accusation contre tous les complices de Dumouriez et contre ceux qui ont été désignés par les pétitionnaires. A cette terrible apostrophe, que saluèrent les acclamations de tous les spectateurs et d'une partie de l'Assemblée[257], Vergniaud ne répondit rien, il resta comme foudroyé. Toutefois, la Convention se borna, ce jour-là, à voter le projet de décret du comité de Salut public, lequel portait suppression de la commission des Douze et ordonnait la saisie de tous ses papiers. C'était déjà un grave échec pour la Gironde. Mais ce demi-succès ne suffisait pas aux républicains ardents, et, voyant profondément ébranlé ce centre de la Convention qu'on appelait le Marais, voyant cette masse incertaine et flottante qui jusque-là avait presque toujours donné la majorité aux Girondins, se tourner complaisamment vers la Montagne, ils résolurent -de poursuivre leur victoire et de débarrasser la République d'une faction qui, depuis huit mois, tenait la Révolution en échec et paralysait tous les efforts des patriotes.

Est-il vrai qu'au comité de Salut public, Garat ayant, au souvenir d'une proposition faite à Athènes par Aristide, émis l'idée généreuse que ceux des membres de l'Assemblée dont les haines mutuelles étaient les plus connues s'offrissent d'eux-mêmes à l'ostracisme, se missent en otages de la paix publique, Robespierre ait, au sein de la Convention, couvert cette proposition de mépris et de risée comme un piège tendu aux patriotes ? C'est du moins ce que raconte dans ses Mémoires l'ancien ministre de l'intérieur. Mais quelle autorité invoque-t-il à l'appui de sa narration ? Aucune. Il a su depuis... écrit-il[258]. L'histoire ne saurait donc accueillir des assertions bâties sur des on dit si vagues. Quoi qu'il en soit, à partir de cette séance du 31 mai jusqu'à la consommation du sacrifice, Robespierre s'efface, ne dit mot. Aux Jacobins, où toutes les autorités constituées s'étaient réunies pour former une commission révolutionnaire, il avait gardé le silence ; il se tait également au club dans la soirée du 1er juin. Mais Marat, mais d'autres avaient agi. Mandé au comité de Salut public dans la journée, le maire y avait déclaré que toutes les sections s'étaient réunies, et que les citoyens de la capitale, fatigués d'éternelles déclamations ayant pour but de déchaîner les départements contre Paris, de diviser la République, avaient résolu de présenter une nouvelle pétition à la Convention nationale afin de lui demander justice. De leur côté, les Girondins, voyant la majorité de l'Assemblée leur échapper, songeaient à soulever contre Paris l'insurrection des départements, et à organiser la résistance, soit à Bordeaux, soit dans le Calvados, où déjà, dociles à leur appel, une foule de citoyens arboraient l'étendard de la révolte[259].

Cependant, vers neuf heures et demie du soir, parut à la barre de la Convention une députation de la commune et du département. Elle avait pour orateur Hassenfratz, lequel, après s'être félicité de ce que la révolution du 31 mai ne verserait pas une goutte de sang parce que le peuple et les autorités constituées obéissaient aux mêmes sentiments, récrimina amèrement contre la faction qui, depuis huit mois, avait perverti l'esprit public dans les départements et tout bouleversé par ses intrigues. Au nom du peuple debout, il réclama la mise en état d'accusation des membres les plus compromis du parti de la Gironde. Appuyée par Marat et par Barère, avec force précautions oratoires de la part de ce dernier, la pétition fut renvoyée au comité de Salut public. Le lendemain matin, Cambon, Barère, Robert Lindet, Bréard, Treilhard, Delmas, Lacroix et Danton, présents au comité, arrêtaient un projet de décret portant que le salut de la patrie appelait les membres de la Convention nationale, dénoncés par les autorités constituées de Paris, à suspendre et à déposer provisoirement dans le sein de l'Assemblée l'exercice de leurs pouvoirs[260]. Mais plus grave encore devait être la mesure prise contre les Girondins. La séance s'ouvrit sous les plus fâcheux auspices. L'annonce des progrès de la rébellion dans la Vendée et de soulèvements dans les départements de la Haute-Loire et de la Lozère, jointe à la nouvelle que neuf cents patriotes étaient tombés à Lyon sous les coups de la contre-révolution triomphante, ouvrit dans les cœurs de sombres abîmes. Le manifeste de la Terreur sortit de la bouche de Jean Bon Saint-André : Il faut de grandes mesures révolutionnaires.

Malheur à qui, depuis huit mois, a mis ses passions particulières au-dessus des grands intérêts du pays. Chacun commençait à se dire que si les hommes de la Gironde s'étaient ralliés autour des patriotes au lieu de se perdre en accusations ridicules et puériles quand elles n'étaient pas odieuses, au lieu d'irriter sans relâche les départements contre Paris et de souffler leurs haines aux quatre coins de la France, la République ne se trouverait pas dans ce violent état de crise d'où il n'était possible de sortir à cette heure que par un déchirement cruel.

D'avance les Girondins étaient donc condamnés. On connaît les péripéties de cette célèbre journée du 2 juin ; tous les historiens les ont contées en assombrissant le tableau. Comme la faction avait agi deux mois auparavant envers Marat, ainsi l'on en usait aujourd'hui à son égard. Toutefois, il ne fut point rendu de décret d'accusation. Il était plus de dix heures du soir quand, après une de ses plus laborieuses séances, la Convention vota un décret en vertu duquel Gensonné, Guadet, Brissot, Gorsas, Pétion, Vergniaud, Salles, Barbaroux, Chambon, Buzot, Biroteau, Lidon, Rabaut Saint-Etienne, La Source, Lanjuinais, Grangeneuve, Lehardy, Lesage, Louvet, Valazé, Kervélégan, Gardien, Boileau, Bertrand, Vigée, Mollevault, Larivière, Gomaire, Bergœing, Clavière et Lebrun, étaient mis en état d'arrestation chez eux, sous la sauvegarde du peuple français, de la Convention nationale et de la loyauté des citoyens de Paris. C'en était fait du parti de la Gironde[261].

 

XXXVII

La journée du 31 mai fut pour la France une journée de salut. Sans elle, le pays s'abîmait dans l'intrigue pour devenir inévitablement la proie de l'étranger et de la contre-révolution. De la chute des Girondins datent les prodiges opérés par la grande République à la voix de la Convention, libre désormais de se consacrer tout entière à la patrie, au lieu de perdre son temps et de consumer sa force dans les orages de discussions personnelles et déplorables.

Ni Robespierre, ni Danton ne contribuèrent efficacement à cette journée célèbre. Tout ce qu'on a écrit de contraire à cet égard est entièrement dénué de fondement et de preuves, et doit être mis au rang des erreurs et des mensonges historiques. Le premier appuya vigoureusement de sa parole les mesures proposées le 31 mai à la Convention par les autorités constituées de Paris ; tout son rôle se borna là. Il ne figura ni à l'Évêché ni à la commune, et même ne dit mot aux Jacobins dans les trois jours qui précédèrent l'événement du 2 juin. On a senti de quel trouble était remplie son âme le jour où il ne crut pas pouvoir dissimuler la nécessité d'une insurrection morale. Jusque-là, en effet, avec quel soin, avec quelle persistance il s'était opposé à toute violation de la représentation nationale ! Il dut, certes, lui en coûter beaucoup à l'heure suprême où il appuya cette mutilation de l'Assemblée et où il réclama lui-même l'ostracisme contre des hommes dont l'aveuglement et les passions étaient un obstacle perpétuel au triomphe de l'idée républicaine.

Privée de ses membres les plus énergiques, répandus alors sur toute la surface du pays, qui au nord, qui au midi, à l'est, à l'ouest, au centre, aux frontières, partout où il y avait danger, la Convention ne se fût sans doute pas résolue à se frapper elle-même sans une forte pression extérieure, sans la contrainte de l'opinion publique. La journée du 31 mai fut donc l'œuvre du peuple, et du peuple seul guidé par une pensée juste et une admirable intelligence de la situation. Ce ne fut point un coup d'État exécuté dans l'intérêt de quelques hommes, ce fut une révolution faite au profit de la Révolution. Jamais insurrection, d'ailleurs, ne coûta moins cher à l'humanité : pas un coup de fusil ne fut tiré, pas une goutte de sang répandue, et ces féroces vainqueurs si noircis par la calomnie se montrèrent, dès qu'ils eurent obtenu satisfaction, pleins de respect pour les vaincus. On peut même affirmer qu'il n'eût pas été touché à la vie des Girondins si, profitant du peu de surveillance dont ils étaient l'objet dans leur captivité illusoire, ils ne se fussent pas échappés pour aller mettre aux quatre coins de la France le feu de la guerre civile.

Ah ! certes, le cœur saigne d'une blessure cruelle quand on songe à tant de beaux talents prématurément éteints par la mort ; mais combien d'autres, parmi les hommes de la Montagne, tombèrent sur ce champ de bataille de la Révolution sans avoir démérité de la patrie et qu'aucun reproche sérieux ne saurait atteindre. Les Girondins, il faut bien le dire, furent le fléau de la Révolution. Ambitieux, intrigants, jaloux et vindicatifs, ils ne surent rien pardonner, et devant leur intérêt personnel disparut le grand intérêt de la patrie. Révolutionnaires quand il s'agissait de monter à l'assaut du pouvoir, tout leur semblait pour le mieux dès qu'ils occupaient les hautes fonctions de l'État. Malheur à quiconque, voyant les hommes changés, mais non l'esprit du gouvernement, se constituait en état d'opposition à leur égard, il était impitoyablement traité en ennemi. Durant six mois, ils donnèrent au monde le spectacle navrant de la dictature de la calomnie exercée comme elle ne l'avait jamais été, comme elle ne le sera jamais ; et, pris de vertige, leurs orateurs ne cessèrent de vomir des torrents de blasphèmes contre la capitale, en récompense, sans doute, du dévouement absolu de Paris à la cause de la Révolution et de la liberté. Cependant, de complaisants écrivains leur ont dressé des autels, comme cela devait être, puisqu'en définitive ils sont restés vainqueurs et ont surnagé sur les ruines de la Révolution. Nous les avons vus à l'œuvre jusqu'au 31 mai ; nous les reverrons à l'œuvre après le 9 Thermidor.

Qu'on cesse donc de les représenter comme des héros de modération et de mansuétude, opposés aux lois de sang et aux mesures terribles. Ce vieux mensonge historique ne supporte plus l'examen. Sur la nécessité indispensable de défendre la Révolution par des lois d'une inflexible sévérité, ils se trouvèrent toujours d'accord avec leurs adversaires, et, nous l'avons démontré de reste, les premiers décrets de proscription et de vengeance vinrent d'eux, d'eux seuls. Mais, où ils déployèrent des fureurs dont rien n'approche, ce fut contre les hommes qui, se méfiant de leur ambition et n'ayant dans leur patriotisme qu'une confiance médiocre, ne subirent pas l'ascendant de leurs talents et de leur éloquence. Oh ! contre ceux-là, que de colères, que de haines, que de violences ! Nulle trêve, nulle pitié ! La guerre, la guerre à mort. Ils la veulent, ils l'auront. On a vu l'effroyable déchaînement de ces fureurs dans la lutte gigantesque qu'ils contraignirent Robespierre de soutenir contre eux. Pleins d'admiration tout d'abord pour le grand patriote, alors qu'il combattait seul ou presque seul pour les doctrines de la démocratie pure, ils n'ont pour lui ni assez d'encens, ni assez de louanges ; c'est à qui du Patriote français, de la Chronique de Paris, du Courrier des quatre-vingt-trois départements et des Annales patriotiques, lui tressera le plus de couronnes. L'héroïne du parti, madame Roland, n'a pas assez d'expressions pour lui peindre son estime et son attachement, cet attachement qu'elle ne vouait, disait-elle alors, qu'à ceux qui plaçaient au-dessus de tout la gloire d'être juste et le bonheur d'être sensible[262]. Par quel hasard étrange, par quelle brusque transformation, le citoyen illustre qui, au mois de septembre 1791, confond la bienveillance universelle avec l'ardent amour de la liberté, devient-il l'homme au sourire amer, que, dans ses Mémoires envenimés, nous a dépeint la citoyenne ministre ? Et par quelles singulières vicissitudes les journaux girondins couvrent-ils d'injures et de boue le législateur immortel qu'ils portaient aux nues quelques mois auparavant ? Est-ce que Robespierre a changé de principes ? Est-ce que, cédant aux sollicitations dont il a été si souvent l'objet, il s'est laissé aller à quelque honteuse capitulation de conscience ? Est-ce qu'éclairé tout à coup par un rayon divin, il en est venu à reconnaître que les libertés publiques, au lieu d'être un droit primordial, antérieur et supérieur à tout, ne devaient exister qu'en vertu d'une sorte de concession du pouvoir ? Au contraire, il s'est plus que jamais affirmé dans l'idée démocratique. Quel est donc son crime ? — C'est d'avoir soutenu, contre l'opinion girondine, que la guerre offensive dirigée par la cour et par des généraux aristocrates ne pouvait être que funeste à la Révolution. — Et puis encore ? C'est d'avoir un jour, en plein club des Jacobins, osé invoquer le nom de la Providence. — Et encore ? — De n'avoir pas cru le ministère girondin à la hauteur des principes de la Révolution. — Et enfin ? — D'avoir précipité la chute de la monarchie et provoqué la convocation d'une Convention nationale au moment où les Girondins se flattaient de ressaisir le pouvoir et de gouverner sans conteste à l'ombre de la royauté. Pour cela, il n'est pas de coups dont ils n'essaieront de le frapper, pas d'injures qu'ils ne lui jetteront a la face. Membre du comité autrichien, complice de l'étranger, salarié de la liste civile, tels sont les traits perfidement dirigés contre lui. Puis, vienne la dictature girondine, et voici la diffamation érigée en système de gouvernement. Le ministère de l'intérieur tient boutique de calomnies, et les fonds de l'État sont employés à salarier les calomniateurs, à répandre à foison, dans toutes les parties de l'empire, les journaux de la coterie. Que dis-je, toutes les administrations de départements, les curés, sont mis en réquisition pour servir de véhicule au poison. Et l'on s'étonne que, dans ce cœur qui ne battait que pour la patrie, certaines fureurs aient fini par s'allumer ; qu'à son tour le puissant lutteur, pris de colère, ait tourné contre ses adversaires implacables les armes dont on le frappait si lâchement ; qu'il les ait flétris du nom d'intrigants, qui leur restera ; que, trompé par des propositions étranges et tout au moins intempestives de Carra, il ait cru sérieusement Brissot attaché au parti de Brunswick ? Ah ! que je sais de ces modérés d'apparat qui, ne lui pardonnant ni sa foi d'airain, ni son incorruptibilité, ni sa fière attitude en face de la Gironde, ont dans le cœur plus de fiel, de méchanceté et d'envie que n'en eurent peut-être les hommes de cette faction qu'ils ont prise sous leur garde.

Du volume qu'on vient de lire, il résultera pour tout esprit vraiment impartial que, dans cette longue et regrettable lutte des Girondins contre Robespierre, tous les torts vinrent des premiers ; que l'agression partit de leurs rangs ; que ce furent eux qui, dès l'ouverture des séances de la Convention, convertirent l'Assemblée en une arène de gladiateurs ; que ce ne fut point leur faute si, poursuivi sans relâche, par les enfants perdus de la coterie, de cette ridicule accusation d'aspirer à la dictature que reprendront plus tard les Thermidoriens, il ne fut point, dès lors, livré au bourreau ou frappé du poignard de quelque fanatique ; qu'enfin, ils subordonnèrent constamment les intérêts de la démocratie, ceux du pays entier, à leurs intérêts propres, à leur ambition, à leurs rancunes et à leurs haines. C'est bien pourquoi les historiens vraiment dignes de ce nom les ont irrémissiblement condamnés. Et je ne parle pas seulement des écrivains qui, dociles aux seules inspirations de la justice, n'ont eu qu'un but en traçant l'histoire de la Révolution, celui de montrer la vérité toute nue, je parle aussi des écrivains qui, séduits par le côté artistique et brillant de la Gironde, l'ont enveloppée d'une sorte d'auréole. C'est M. de Lamartine, qui déclare qu'entre les mains de ces hommes de parole, la France, reconquise par la contre-révolution et dévorée par l'anarchie, eût bientôt cessé d'exister, et comme république, et comme nation[263] ; c'est M. Thiers, qui avoue que par eux la révolution, la liberté et la France ont été compromises[264], c'est enfin M. Michelet, qui, après les avoir traités avec une indulgence inouïe, finit par s'écrier, vaincu par une inflexible logique : Nous aurions voté contre eux. La politique girondine, aux premiers mois de 93, était impuissante, aveugle, elle eût perdu la France[265]. C'était bien la peine d'avoir tant calomnié Robespierre à leur profit.

Les Girondins resteront donc condamnés devant l'histoire, parce que le jugement qui les frappe est juste, et, hélas ! trop bien motivé. Mais la postérité n'oubliera pas non plus, en le ratifiant, que le talent, le courage et le patriotisme furent aussi l'apanage de la plupart de ces hommes, et elle réconciliera dans la tombe -tous les glorieux combattants de la Révolution. Nous même qui, en déchirant les voiles dont trop de mains complaisantes avaient couvert les fautes des Girondins, avons été forcé de nous montrer sévère à leur égard, nous nous sommes senti pris d'une pitié profonde pour ces grands égarés. Si, d'ailleurs, Robespierre abandonna ceux qu'il crut réellement coupables, il se fit l'avocat intrépide des Girondins demeurés dans le sein de la Convention et qu'on voulut frapper également. Il arriva, en effet, que soixante-treize Conventionnels, de ceux qu'au début Brissot et ses amis avaient adroitement circonvenus, signèrent une protestation courageuse en faveur des vaincus du 31 mai et du 2 juin. Or, cette protestation sera considérée par beaucoup de membres de l'Assemblée comme un crime digne de l'échafaud ; des forcenés s'acharneront à réclamer les têtes des signataires. Eh bien ! que fera Robespierre, dont ces députés étaient, pour la plupart, les ennemis personnels, et dont plus d'un, après Thermidor, jettera l'insulte et l'anathème à sa mémoire ? il les sauvera.

 

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NOTE

Voyez le Moniteur du 25 avril 1793 et le Journal des débats et des décrets, numéro 219. — Le discours de Robespierre sur la théorie de la propriété a été imprimé à part (in-8° de 4 p., de l'Imp. nation.) Cette DÉCLARATION DES DROITS DE L'HOMME ET DU CITOYEN, PAR MAXIMILIEN ROBESPIERRE, est trop fameuse et a une importance trop réelle, pour que nous puissions nous dispenser de la mettre en entier sous les yeux de nos lecteurs :

Les Représentants du peuple français, réunis en Convention nationale, reconnaissant que les lois humaines qui ne découlent point des lois éternelles de la justice et de la raison ne sont que des attentats de l'ignorance ou du despotisme contre l'humanité ; convaincus que l'oubli et le mépris des droits naturels de l'homme sont les seules causes des crimes et des malheurs du monde, ont résolu d'exposer, dans une Déclaration solennelle, ces droits sacrés et inaliénables, afin que tous les citoyens, pouvant comparer sans cesse les actes du gouvernement avec le but de toute institution sociale, ne se laissent jamais opprimer et avilir par la tyrannie : afin que le peuple ait toujours devant les yeux les bases de sa liberté et de son bonheur ; le magistrat, la règle de ses devoirs ; le législateur, l'objet de sa mission.

En conséquence la Convention nationale proclame, à la face de l'univers et sous les yeux du Législateur immortel, la Déclaration suivante des droits de l'homme et du citoyen :

Art. Ier. Le but de toute association politique est le maintien des droits naturels et imprescriptibles de l'homme, et le développement de toutes ses facultés.

II. Les principaux droits de l'homme sont celui de pourvoir à la conservation de son existence et la liberté.

III. Ces droits appartiennent également à tous les hommes, quelle que soit la différence de leurs forces physiques et morales.

IV. L'égalité des droits est établie par la nature ; la société, loin d'y porter atteinte, ne fait que la garantir contre les abus de la force qui la rend illusoire.

V. La liberté est le pouvoir qui appartient à l'homme d'exercer à son gré toutes ses facultés. Elle a la justice pour règle, les droits d'autrui pour bornes, la nature pour principe et la loi pour sauvegarde.

VI. Le droit de s'assembler paisiblement, le droit de manifester ses opinions soit par la voie de l'impression, soit de toute autre manière, sont des conséquences si nécessaires de la liberté de l'homme, que la nécessité de les énoncer suppose ou la présence ou le souvenir récent du despotisme.

VII. La loi ne peut défendre que ce qui est nuisible à la société ; elle ne peut ordonner que ce qui est utile.

VIII. Toute loi qui viole les droits imprescriptibles de l'homme est essentiellement injuste et tyrannique, elle n'est point une loi.

IX. La propriété est le droit qu'a chaque citoyen de jouir et de disposer de la portion de biens qui lui est garantie par la loi.

X. Le droit de propriété est borné, comme tous les autres, par l'obligation, de respecter les droits d'autrui.

XI. Il ne peut préjudicier ni à la sûreté, ni à la liberté, ni à l'existence, ni à la propriété de nos semblables.

XII. Toute possession, tout trafic qui viole cc principe est essentiellement illicite et immoral.

XIII. La société est obligée de pourvoir à la subsistance de tous ses membres, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d'exister à ceux qui sont hors d'état de travailler.

XIV. Les secours nécessaires à l'indigence sont une dette du riche envers le pauvre ; il appartient à la loi de déterminer la manière dont cette dette doit être acquittée.

XV. La société doit favoriser de tout son pouvoir les progrès de la raison publique, et mettre l'instruction à portée de tous les citoyens.

XVI. La loi est l'expression libre et solennelle de la volonté du peuple.

XVII. Le peuple est le souverain : le gouvernement est son ouvrage et sa propriété ; les fonctionnaires publics sont ses commis.

XVIII. Aucune portion du peuple ne peut exercer la puissance du peuple entier ; mais le vœu qu'elle exprime doit être respecté, comme le vœu d'une portion du peuple qui doit concourir à former la volonté générale. Chaque section du souverain assemblé doit jouir du droit d'exprimer sa volonté avec une entière liberté ; elle est essentiellement indépendante de toutes les autorités constituées, et maîtresse de régler sa police et ses délibérations. Le peuple peut, quand il lui plaît, changer son gouvernement et révoquer ses mandataires.

XIX. La loi doit être égale pour tous.

XX. Tous les citoyens sont admissibles à toutes les fonctions publiques, sans aucune autre distinction que celle des vertus et des talens, sans aucun autre titre que la confiance du peuple.

XXI. Tous les citoyens ont un droit égal à concourir à la nomination des mandataires du peuple et à la formation de la loi.

XXII. Pour que ces droits ne soient point illusoires et l'égalité chimérique, la société doit salarier les fonctionnaires publics, et faire en sorte que les citoyens qui vivent de leur travail puissent assister aux assemblées où la loi les appelle, sans compromettre leur existence ni celle de leur famille.

XXIII. Tout citoyen doit obéir religieusement aux magistrats et aux agents du gouvernement lorsqu'ils sont les organes ou les exécuteurs de la loi.

XXIV. Mais tout acte contre la liberté, contre la sûreté ou contre la propriété d'un homme, exercé par qui que ce soit, même au nom de la loi, hors des cas déterminés par elle et des formes qu'elle prescrit, est arbitraire et nul ; le respect même de la loi défend de s'y soumettre ; et si l'on veut l'exécuter par la violence, il est permis de le repousser par la force.

XXV. Le droit de présenter des pétitions aux dépositaires de l'autorité publique appartient à tout individu. Ceux à qui elles sont adressées doivent statuer sur les points qui en sont l'objet ; mais ils ne peuvent jamais ni en interdire, ni en restreindre, ni en condamner l'exercice.

XXVI. La résistance à l'oppression est la conséquence des autres droits de l'homme et du citoyen.

XXVII. Il y a oppression contre le corps social lorsqu'un seul de ses membres est opprimé.

XXVIII. Quand le gouvernement opprime le peuple, l'insurrection du peuple entier et de chaque portion du peuple est le plus saint des devoirs.

XXIX. Quand la garantie sociale manque à un citoyen, il rentre dans le droit naturel de se défendre lui-même.

XXX. Dans l'un et l'autre cas, assujettir à des formes légales la résistance à l'oppression est le dernier raffinement de la tyrannie. Dans tout état libre la loi doit surtout défendre la liberté publique et individuelle contre l'abus de l'autorité de ceux qui gouvernent : toute institution qui ne suppose pas le peuple bon, et le magistrat -corruptible, est vicieuse.

XXXI. Les fonctions publiques ne peuvent être considérées comme des distinctions, ni comme des récompenses, mais comme des devoirs publics.

XXXII. Les délits des mandataires du peuple doivent être sévèrement et facilement punis. Nul n'a le droit de se prétendre plus inviolable que les autres citoyens. Le peuple a le droit de connaître toutes les opérations de ses mandataires ; ils doivent lui rendre un compte fidèle de leur gestion, et subir son jugement avec respect.

XXXIII. Les hommes de tous les pays sont frères, et les différents peuples doivent s'entr'aider selon leur pouvoir, comme les citoyens du même Etat.

XXXIV. Celui qui opprime une seule nation se déclare l'ennemi de toutes.

XXXV. Ceux qui font la guerre à un peuple pour arrêter les progrès de la liberté et anéantir les droits de l'homme, doivent être poursuivis par tous, non comme des ennemis ordinaires, mais comme des assassins et comme des brigands rebelles.

XXXVI. Les rois, les aristocrates, les tyrans, quels qu'ils soient, sont des esclaves révoltés contre le souverain de la terre, qui est le genre humain, et contre le législateur de l'univers, qui est la nature.

Nous reproduisons cette Déclaration d'après la version insérée par Robespierre lui-même dans le dernier numéro des Lettres de M. Robespierre à ses commettants. Il y manque l'article XV de la version donnée par le Moniteur du 5 mars 1793, et de celle imprimée par ordre de la Convention, article ainsi conçu : Les citoyens dont les reverras n'excèdent point ce qui est nécessaire à leur subsistance sont dispensés de contribuer aux dépenses publiques ; les autres doivent les supporter progressivement, selon l'étendue de leur fortune. Robespierre, comme nous l'avons dit, avait changé d'avis sur la première partie de cet article.

Cette Déclaration n'est point celle qu'adopta la Convention, après le 31 mai ; mais son esprit a passé tout entier dans la Déclaration placée en tête de la constitution de 1793, et dont nous aurons à dire quelques mots dans la troisième partie de cet ouvrage.

Il y eut à l'époque deux éditions successives de cette Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : l'une imprimée par ordre de la Convention nationale (in-8° de 8 p., de l'Imp. nation.), l'autre par ordre de la Société des amis de la liberté et de l'égalité (m-8° de 8 p., également de l'Imp. nation.). Laponneraye en a donné une édition avec commentaires ; Paris, de l'imprimerie de Mie, 1832 (in-8° de 8 p.). Une autre édition de l'imprimerie de Setier est annoncée dans la Bibliographie de la France, année 1832, et il y est dit que cette dernière est le vingt-deuxième tirage depuis août 1830. Une réimpression en a été faite en 1848 pour la Société des droits de l'homme ; Paris, de l'imprimerie de madame Dondey-Dupré (in-fol. de 2 p.).

 

FIN DU DEUXIÈME VOLUME

 

 

 



[1] On lit dans le Mémorial de Governor Morris, qui était alors ministre des États-Unis près le gouvernement français : 20 juillet. Ce matin, Bremond m'apprend que, par suite du mémoire qu'il a rédigé, d'après mes conseils, et que Monciel a présenté au roi, une conversation a eu lieu entre M. de Montmorin et M. Bertrand de Molleville. Il me communique les principaux passages du manifeste que le duc de Brunswick va publier... Il m'informe que M. Bertrand envoie au duc de Brunswick Mallet du Pan, en qualité de secrétaire... (Édition française, t. 2, p. 340.)

[2] Voyez le Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 72, p. 497.

[3] Villiaumé, Histoire de la Révolution, t. II, p. 340.

[4] Voyez Lettres de M. Robespierre à ses commettants, numéro 8, p. 353 à 372, Moniteur du 5 décembre et Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 77. Ce discours a eu deux éditions. Il fut imprimé d'abord par ordre de la Convention (in-8° de 12 p. de l'Imp. nat.), et par ordre de la société des Jacobins (in-8° de 16 p.).

[5] Chronique de Paris, numéro du 4 décembre 1792.

[6] Moniteur du 6 décembre 1792.

[7] Patriote français, numéro 1210.

[8] Patriote français, numéro 1197. Lullier avait été proposé aux Jacobins par Moras. Il serait difficile de rencontrer un journal mentant avec plus de cynisme que la feuille de Brissot. Quant à sa polémique électorale, en voici un échantillon : L'Huillier a été cordonnier. Il n'a fait aucune étude, il est ignorant, vindicatif. Il paraît s'adonner au vin, etc., numéro 1197. Étonnez-vous donc après cela, que, devenu procureur syndic du département, Lullier (et non L'Huillier) ait montré quelque acharnement contre les hommes qui l'avaient si cruellement déchiré. Et c'est sur la foi de ce journal-pamphlet que M. Michelet nous présente Lullier comme un cordonnier homme de loi, et l'homme de Robespierre.

[9] Voyez cette lettre dans le Moniteur du 12 janvier 1793.

[10] Moniteur du 5 janvier 1793.

[11] Mémoires de Garat, p. 101 de l'édit. de 1862.

[12] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 78, p. 85.

[13] Ce décret, ne manque pas d'écrire Brissot dans son journal, a paru atterrer quelques-uns des agitateurs, et on doit observer que Robespierre ne s'est pas levé pour ce décret, adopté par la presque unanimité. Patriote français, numéro 1213.

[14] Voyez pour cette séance le Moniteur du 6 décembre 1792 et le Journal des débats et des décrets, numéro 78.

[15] Moniteur des 9 et 10 décembre 1792 et Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 81.

[16] Voyez le numéro 72 du Journal de la République française, par l'Ami du peuple.

[17] Voyez cet article dans les Lettres de M. Robespierre à ses commettants, numéro 9, p. 365 à 391 ; il a été reproduit dans les Œuvres recueillies par Laponneraye, t. III, p. 21.

[18] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 315.

[19] Moniteur du 11 décembre 1792.

[20] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Jacobins ; le plus complet des journaux qui, en 1792, ont rendu compte des séances de la société. Comme le Moniteur et le Journal des débats et des décrets de la Convention, il était rédigé par des écrivains appartenant au parti le plus fort alors, c'est-à-dire à celui de la Gironde ; mais avec un caractère tout particulier de mauvaise, foi. Vivement dénoncé aux Jacobins, dans la séance du 21 décembre 1792 pour la perfidie de sa rédaction, son rédacteur principal avait été rayé de la liste des membres de la société, et s'était esquivé, emporté par le vent des huées universelles, numéro 324.

[21] Journal des débats et de la correspondance..., numéro 319.

[22] Journal des débats et de la correspondance..., numéro 319.

[23] Voyez Lettres de M. Robespierre à ses commettants, numéro 11, p. 426, et Journal de la République française, numéro 75.

[24] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Jacobins, numéro 320

[25] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 320.

[26] Voyez les Mémoires de Brissot, t. IV, p. 193, ceux de Louvet, p. 56 et suiv., et le libelle de Louvet, intitulé : A Maximilien Robespierre et à ses royalistes.

[27] Moniteur du 18 décembre 1792. Le républicain Lanjuinais, un des plus violents réacteurs après Thermidor, entra dans le sénat de Bonaparte un an après sa formation. Commandeur de la Légion d'honneur dès le consulat, il reçut en 1808 le titre de comte. Après avoir voté en 1814 la déchéance de Napoléon, il fut nommé membre de la chambre des pairs, où il siégea jusqu'à sa mort. (Biographie universelle, à l'art. Lanjuinais.)

[28] Moniteur du 18 décembre, ubi supra.

[29] Voyez le Journal des débats et de la correspondante de la Société des Jacobins, numéro 321, et dans les Lettres de M. Robespierre à ses commettants, le long et remarquable article intitulé : Sur la proposition faite de bannir tous les Capet, lequel n'est que le développement du discours improvisé prononcé par lui aux Jacobins dans la séance du 16 décembre 1792. (Numéro 11, p. 485 à 512.)

[30] Déclaration de Bazire. Voyez le Moniteur du 20 décembre 1792.

[31] Voyez le Moniteur du 21 décembre et le Journal des débats et des décrets (numéro 92, p. 335) combinés, en observant que ces deux journaux étaient alors rédigés, l'un et l'autre, avec la plus déplorable partialité, dans un sens tout girondin. Le Journal des débats avait Louvet pour rédacteur.

[32] Admirez maintenant la bonne foi du journal de Brissot : Pétion demande que le maire de Paris soit admis, et cela est décrété, malgré Robespierre et son parti.

Or, Robespierre n'avait pas dit un mot du maire de Paris. La pétition n'émanait pas du conseil général de la commune, mais bien des sections parisiennes. A quel titre le maire s'était-il mis à la tête de leurs commissaires ? Il y eut évidemment là-dessous une intrigue dont le mot est resté caché. Voyez à cet égard les réflexions fort justes des auteurs de l'Histoire parlementaire, t. XXI, p. 399 et 408.

[33] Moniteur du 16 décembre 1792. Robespierre n'avait rien dit à la Convention quand il s'était agi de donner des défenseurs à Louis XVI ; mais, dans son journal, il se moqua des députés qui, comme Pétion, voulaient lui accorder un nombre illimité de conseils. (Lettres à ses commettants, n. 9, à l'art. Convention.)

[34] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Jacobins, numéro 325.

[35] Lettres de M. Robespierre à ses commettants, numéro 12, p. 573.

[36] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 100, p. 441.

[37] Mercier, dans son Nouveau Paris, œuvre d'un maniaque, s'il en fut jamais.

[38] Voyez le discours de Robespierre dans les Lettres de M. Robespierre à ses commettants, numéro 12, p. 561 et 562. — Salles se défendit en disant, sur le premier point, qu'il fallait se reporter aux circonstances d'abord ; sur le second, qu'il n'avait parlé que comme membre du comité des rapports. Misérable excuse ! Est-ce que jamais on est obligé d'être rapporteur d'un projet de loi dont on est l'adversaire ? Voyez le Moniteur du 30 décembre 1792.

[39] Lettres de M. Robespierre à ses commettants, numéro 12, p. 553.

[40] Voyez le discours de Buzot dans l'Histoire parlementaire, t. XXII, p. 102.

[41] Moniteur du 30 décembre 1792.

[42] Voyez ce discours dans les Lettres de M. Robespierre à ses commettants, numéro 12, p. 533 à 571. Il se trouve dans le Moniteur du 30 décembre 1792 et dans le Journal des débats et des décrets (supplément au numéro 101), mais avec des variantes et des abréviations. Ce second discours a eu également deux éditions à l'époque, l'une de l'Imprimerie nationale (In-8° de 20 p.,) l'autre de l'imprimerie de Duplain, 1792 (In-8° de 10 p.) Il a été reproduit d'après le journal de Robespierre, dans l'Histoire parlementaire, t. XXII, p. 103 à 123, et dans les Œuvres de Robespierre, t. III, p. 126.

Trop rares sont les occasions ou M. Michelet s'est montré équitable envers Robespierre pour que nous ne signalions pas la justice qu'il lui a rendue en cette occasion. (Voyez son Histoire, t. V. p. 211.)

[43] Voyez le Patriote français, numéro 1235, et le Courrier des quatre-vingt-trois départements du 29 décembre 1792.

[44] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Jacobins, numéro 330.

[45] Lettres de M. Robespierre à ses commettants, numéro 12, p. 571 et 572.

[46] Journal des débats et de la correspondance, numéro 330.

[47] Lettres de M. Robespierre à ses commettants, numéro 12, p. 579.

[48] Voyez le discours de Vergniaud reproduit in extenso dans l'Histoire parlementaire, t. XXII, p. 137 à 154.

[49] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Jacobins, numéro 331.

[50] Journal des débats et de la correspondance..., numéro 332.

[51] Lettres de M. Robespierre à ses commettants (2e série, numéro 1, p. 42).

[52] Lettres de M. Robespierre à ses commettants, p. 26. Voyez le discours de Gensonné, reproduit in extenso dans l'Histoire parlementaire, t. XXII, p, 384.

[53] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Jacobins, numéros 327, 329.

[54] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Jacobins, numéros 335, 336, 338.

[55] Journal des débats et delà correspondance de la Société des Jacobins, numéro 332.

[56] Journal des débats et delà correspondance de la Société des Jacobins, numéro 335.

[57] Moniteur du 3 janvier 1793.

[58] Moniteur du 8 janvier 1793.

[59] Voyez, pour cette séance, le Moniteur du 9 janvier 1793 et le Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 111.

[60] Les Révolutions de Paris ne manquent pas de faire honneur de cette victoire à Robespierre : Le décret de suppression fut prononcé. La minorité, du liant de la Montagne, s'éleva contre cette violation de principe, ce renversement des idées. Enfin Robespierre parla, et la Convention, sans se désister de son système, sans reconnaître l'indécence de sa conduite, ce qui eût fait honneur à sa loyauté, décida que ce décret serait suspendu jusqu'à l'époque du rapport des ministres sur l'état de la France. Numéro 183, p. 111.

[61] Annales patriotiques du 7 janvier 1793.

[62] Lettre de Maximilien Robespierre à M. Vergniaud, Gensonné, Brissot et Guadet, sur la souveraineté du peuple et sur leur système de l'appel du jugement de Louis Capet (Lettres de M. Robespierre à ses commettants, numéro de la 2e série, p. 1 à 41). On trouve aussi cette lettre dans les Œuvres, réimprimées par Laponneraye, t. III, p. 158.

[63] Épître de M. Dubois de Fosseux à Robespierre, citée dans les Mémoires de Charlotte, p. 155.

[64] Extrait du rapport fait par M. Ferdinand Dubois, le 13 janvier 1793, en qualité de président de l'administration du département du Pas-de-Calais, sur le service départemental. (Communiqué par M. Billet, avocat à Arras.)

[65] Michelet, Histoire de la Révolution, t. V, p. 242. L'éminent historien a été trompé par le Moniteur qui porte Dannon au lieu de Daunou. Mais cette série de questions était si peu conforme au génie révolutionnaire de Danton, que cela seul eût dû le prémunir contre une erreur, et s'il eût ouvert le Journal des débats et des décrets de la Convention, il y eût trouvé le nom de Daunou, en toutes lettres, numéro 120, p. 194.

[66] Voyez le procès-verbal de la séance du 15, lequel constate que Danton était absent par commission. T. V des procès-verbaux, p. 193.

[67] Voyez le Moniteur du samedi 19 janvier.

[68] Voyez le vote motivé de Robespierre dans le Moniteur du 20 janvier 1793.

[69] Pour les détails, voyez le Moniteur du 20 janvier 1793 et le Journal des débats et des décrets, numéro 121.

[70] Lettres de M. Robespierre à ses commettants, numéro 4 de la 2e série, p. 223.

[71] Lettres de M. Robespierre à ses commettants, numéro 4 de la 2e série, p. 217, et Moniteur du 20 janvier 1793.

[72] Le décret de la Convention nationale concernant la condamnation de Louis XVI rappelle, dans son article III, les paroles mêmes de Robespierre. Voyez ce décret, Moniteur du 21 janvier.

[73] Voyez le Moniteur du 21 janvier 1793.

[74] Voyez les Lettres de M. Robespierre à ses commettants (numéro 4, 2e série, p. 226), où se trouve analysé le second discours de Robespierre.

[75] Moniteur du 21 janvier et Journal des débats et des décrets, numéro 123.

[76] Note dictée à M. Philippe Le Bas, par madame Le Bas, fille de Duplay.

[77] Moniteur du 20 janvier 1793.

[78] Moniteur du 22 janvier 1793.

[79] Journal des débats et de la correspondance, numéro 312.

[80] Ce détail ne se trouve point dans le manuscrit de madame Le Bas. Nous l'empruntons à M. Alphonse Esquiros, qui a beaucoup connu cette dame, et a eu d'elle de précieux renseignements. (Histoire des Montagnards, t. II, p. 291.)

[81] Moniteur du 24 janvier 1793.

[82] Lettres de M. Robespierre à ses commettants, 2e série, numéro 3, p. 104.

[83] Voyez le Journal des débats et des décrets, numéro 293.

[84] Moniteur du 24 janvier 1793.

[85] Lettres de M. Robespierre à ses commettants, numéro 3 de la seconde série, p. 98.

[86] Lettres de M. Robespierre à ses commettants, numéro 3 de la seconde série, p. 102.

[87] Moniteur du 25 janvier 1793.

[88] Journal des débats et des décrets, numéro 126, p. 304, et Lettres de M. Robespierre à ses commettants, 2e série, numéro 4, p. 242.

[89] Voyez le Journal des débats et des décrets, dont Louvet était rédacteur, numéro 127, p. 308.

[90] Voyez le Moniteur du 25 janvier 1793.

[91] Journal des débats et de la correspondance de la sociale des Jacobins, numéro 311. Ce numéro contient un extrait de l'adresse de Robespierre. Voyez-le in extenso dans les Lettres de M. Robespierre à ses commettants, numéro 3, p. 129 à 135.

[92] Journal des débats et de la correspondance, numéro 314.

[93] Journal des débats et de la correspondance, numéro 345.

[94] Voyez le Journal des Amis (numéro du 26 janvier 1793).

[95] Ce couplet est tiré d'un Noël que la Chronique de Paris s'empressa de reproduire, et où se trouvaient chansonnés les principaux membres de la Montagne. Un exemple fera voir jusqu'à quel point le Patriote français, le journal de Brissot, poussait l'art de la calomnie. Dans la séance du 13 janvier, aux Jacobins, le bouclier Legendre s'était écrié : C'est en vain que vous plantez l'arbre de la liberté dans les quatre-vingt-quatre départements, il ne rapportera jamais de fruit si le trône du tyran n'en fume les racines. (Journal des débats et de la correspondance..., numéro 339.) Or, le Patriote français du 15 janvier rapporte la phrase de la manière suivante, comme un extrait littéral de la séance des Jacobins du 13 : Legendre veut qu'on le coupe (le roi) en quatre-vingt-quatre quartiers, pour en envoyer une pièce à chaque département, et fumer, en le brûlant, l'arbre de la liberté. C'est cette version qui a fait fortune, une foule d'écrivains l'ayant trouvée plus émouvante.

[96] Lettres de M. Robespierre à ses commettants, 2e série, numéro 4, p. 195 à 204. Cet article a été reproduit dans les Œuvres publiées par Laponneraye, t. III, p. 205.

[97] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Jacobins, numéro 352.

[98] Lettres de M. Robespierre à ses commettants, numéro 5 de la 2e série, p. 243 à 267. Ce numéro 5 contient un plan d'organisation du ministère de la guerre par Fabre d'Eglantine.

[99] Voyez les observations de Robespierre sur un projet d'éducation publique dans les Lettres de M. Robespierre à ses commettants, numéro 2 de la 2e série, p. 49 à 60.

[100] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 356.

[101] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 358. Avec lui avaient été nommés membres de ce comité : Jean-Bon Saint-André, Robert, Thuriot, Bentabole, Billaud-Varenne, Anthoine, Saint-Just, auxquels avaient été adjoints Dubois-Crancé, Collot-d'Herbois, Anacharsis Cloots et Couthon.

[102] Voyez cet article, intitulé : Observations sur une pétition relative aux subsistances, présentée à la Convention le 12 février, l'an II de la République. Lettres de M. Robespierre à ses commettants, numéro 6 de la 2e série, p. 283 à 294.

[103] Voyez cette adresse dans les Lettres de M. Robespierre à ses commettants, numéro 6, 2e série, p. 29,5 à 306. Elle est signée de Maximilien Robespierre, Collot-d'Herbois, Billaud-Varenne, Camille Desmoulins, Marat, Lavicomterie, Legendre, Raffron du Trouillet, Panis, Robert, Fréron, Fabre d'Églantine, Beauvais, Robespierre jeune, David, Boucher Saint-Sauveur, Laignelot) L.-P. Égalité. On remarquera que le vieux Dusaulx, passé dès lors dans le camp de la Gironde, s'était abstenu.

[104] Sur ces journées des 24 et 25 février 1793, voyez les Révolutions de Paris, numéro 190.

[105] Adresse des Jacobins aux sociétés affiliées. Voyez Lettres de M. Robespierre à ses commettants, numéro 8 de la 2c série, p. 396.

[106] Journal de la République française, numéro du 24 février 1793. Lecture de l'article de Marat fut donnée par Pénières à la Convention dans la séance du 26 février. Voyez le compte rendu de cette séance dans l'Histoire parlementaire, t. XXIV, p. 354 et suiv.

[107] Lettres de M. Robespierre à ses commettants, 2e série, numéro 7. Voyez l'article intitulé : Sur la situation des affaires publiques, p. 331 à 340. Cet article a été reproduit dans les Œuvres publiés par Laponneraye, t. III, p. 269.

[108] Voyez le Journal des débats et de la correspondance, numéro 360, et le numéro 7 des Lettres de M. Robespierre à ses commettants (2e série), on se trouvent la lettre de la société républicaine de Marseille et les adhésions des sections 20, 21 et 22 (p. 341 à 345.)

[109] Journal des débats et de la correspondance de la société des Jacobins, numéro 363.

[110] Voici maintenant de quelle façon odieuse, sans tenir compte des efforts constants de Robespierre pour calmer le peuple, le journal de Brissot travestit ces paroles : Quand le peuple se lève, est-ce pour s'amuser à piller du sucre ? De plus grands projets doivent l'occuper ; les têtes des coupables doivent rouler dans la poussière. Je lui ai dénoncé les coupables ; ce sont ceux qui négocièrent, Vannée dernière, avec Brunswick. Après quoi Brissot ou son méprisable compère, Girey-Dupré, pouvait se donner le plaisir d'ajouter : Et l'on dira que Robespierre ne provoque pas son peuple à l'assassinat, ainsi que son chef Marat ! Et l'on dira qu'il ne veut pas un pendant au 2 septembre ! (Patriote français, numéro 1301.) Ô les honnêtes gens ! Ils étaient d'ailleurs coutumiers du fait. On se souvient du petit discours que Louvet mettait dans la bouche de Robespierre.

[111] Moniteur du 27 février 1793 et Lettres de M. Robespierre à ses commettants, numéro 8 de la 2e série, p. 379 à 385.

[112] Moniteur du 7 mars 1793, et Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 160, p. 60 et 61.

[113] Moniteur du 27 février 1793 et Lettres de M. Robespierre à ses commettants, numéro 8 de la 2e série, p. 379 à 385.

[114] Moniteur du 7 mars et Journal des débats et décrets de la Convention, numéro 168, p. 60 et 61.

[115] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 164, p. 9.

[116] Voyez cet article dans les Lettres de M. Robespierre à ses commettants, numéro 6 de la 2e série, p. 307 à 318. Il a été reproduit dans les Œuvres publiées par Laponneraye, t. III, p. 258.

[117] Moniteur du 10 mars 1793.

[118] Moniteur du 10 mars 1793.

[119] Voyez le Journal des débats et de la correspondance de la Société des Jacobins, numéros 362 et 363.

[120] Patriote français, numéro 1306.

[121] Les auteurs de l'Histoire parlementaire ont reproduit, in extenso, le procès-verbal de la section Bonne-Nouvelle, ainsi que l'article du Patriote français, t. XXV, p. 26 et 29.

Il est assez extraordinaire que M. Michelet, qui invoque souvent le témoignage des procès-verbaux des sections, n'ait pas cru devoir, en cette circonstance, recourir à celui de la section Bonne-Nouvelle. Il n'eût pas mérité le grave reproche d'avoir légèrement adopté une version calomnieuse qu'il a trouvé moyen d'aggraver. En effet, dans son récit, ce n'est plus un canonnier accompagnant Robespierre, c'est un des siens qui l'attendait à la porte, disant qu'on devait massacrer, non les Girondins seulement, mais tous les signataires des fameuses pétitions, les huit mille et les vingt mille (T. V, p. 374). Dépasser Brissot et Girey-Dupré !!!

[122] Mémoires de Louvet, p. 72.

[123] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Jacobins, numéro 369.

[124] Journal des débats et des décrets de la Convention. Supplément au numéro 172.

[125] Voyez le Moniteur du 14 avril 1793 et le Journal des débats et des décrets, numéro 207, p. 200. Pour toutes les bonnes et grandes choses, nous ne sommes guère que les plagiaires de la Convention. La Révolution de 1848 avait aboli la contrainte par corps, une assemblée républicaine l'a rétablie. Aujourd'hui enfin l'on nous en promet l'abrogation. Félicitons-nous-en, et n'oublions pas de faire remonter notre reconnaissance à la glorieuse Assemblée qui, la première, avait supprimé cette institution barbare.

[126] Voyez le Moniteur du 11 mars 1793.

[127] Il se mit (Robespierre) à remâcher ses éternelles dénonciations de la Gironde, a écrit M. Michelet (t. V, p. 385). Or nous avons cité à dessein les seules paroles qui, dans le discours très étendu de Robespierre, eussent directement trait au système de gouvernement des Girondins. Sont-elles rigoureusement exactes ? ne le sont-elles pas ? Toute la question est là. C'est au lecteur, aux yeux duquel nous avons déroulé toutes les manœuvres du ministre Roland, à décider.

[128] Voyez ce discours de Robespierre dans le Moniteur du 12 mars 1793.

[129] Moniteur du 12 mars 1793. — Toujours dominés par la crainte que le pouvoir ne passât entre les mains de leurs adversaires, les Girondins parvinrent, le lendemain Il mars, à faire écarter une proposition de Danton d'après laquelle la Convention aurait eu le droit de choisir les ministres dans son propre sein. L'Assemblée passa à l'ordre du jour, malgré l'avis de Robespierre, qui, sans partager l'opinion de Danton, demandait qu'au moins la proposition de son impétueux collègue fut sérieusement discutée. (Moniteur du 11 mars.)

[130] Voyez le Moniteur des 13 et 14 mars 1793. — Ce ne fut que six mois plus tard que, sur une proposition de Billaud-Varenne, le tribunal criminel extraordinaire prit légalement le nom de Tribunal Révolutionnaire.

[131] M. Mortimer Ternaux, par exemple, — pour en parler une dernière fois, — qui dit en propres termes : C'est Robespierre qui le fit établir le 10 mars 1793 (Histoire de la Terreur, t. III, p. 31). Or, Robespierre, comme on l'a vu, ne dit mot le 9 et le 10 mars, et, s'il parla le 11, ce fut surtout pour demander une rédaction plus précise, afin de donner moins de prise à l'arbitraire.

[132] Histoire de la Révolution, t. V, p. 397.

[133] Voyez dans le numéro 9 des Lettres de M. Robespierre à ses commettants (2e série) l'article intitulé : Sur les troubles de Paris, p. 427 à 439. Article reproduit dans les Œuvres, t. III. n. 280.

[134] À la Convention nationale et à mes commettants, sur la conspiration du 10 mars et la faction d'Orléans. Voyez à cet égard les Mémoires de Louvet, p. 76.

[135] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Jacobins, numéro 373. — Le blâme public infligé par Robespierre à certaines sections à cause de leur conduite dans les journées des 10, 11 et 12 mars, n'empêche pas M. Michelet (Histoire de la Révolution, t. V, p. 394) de prétendre que Robespierre voulait qu'on arrêtât les Girondins. Et pourquoi cela ! parce que tel avait été l'avis de la section de Bon Conseil, menée, dit-il, par Lhuillier, confident de Robespierre. Voilà bien des confidents prêtés à Robespierre par M. Michelet. L'illustre historien hante les esprits. Lullier, qui vraisemblablement était surtout attaché à Danton, puisqu'il fut poursuivi comme complice de ce dernier, s'est-il levé de sa tombe pour fournir ce renseignement à M. Michelet ?

[136] Journal des débats et de la correspondance, numéro 374.

[137] Voyez le Publiciste de la République française, numéro 147.

[138] Voyez à cet égard les explications fournies par Maure à la société des Jacobins (séance du dimanche 17 mars 1793), Journal des débats et de la correspondance de la Société, etc., numéro 377.

[139] Voyez le Moniteur du 26 mars 1793.

[140] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Jacobins, numéro 380.

[141] Moniteur du 20 mars 1793.

[142] Moniteur du 21 mars 1793.

[143] Moniteur du 23 mars 1793.

[144] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 189, p. 315.

[145] Journal des débats et des décrets de la Convention, supplément au numéro 191.

[146] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Jacobins, numéro 243. Séance du 27 mars 1793.

[147] Mémoires sur Carnot, t. I, p. 308.

[148] Registre des procès-verbaux et arrêtés du comité de Salut public, Archives 433. A G. 70.

[149] Voyez le discours de Danton dans le Journal des Débats et des Décrets de la Convention, numéro 190, p. 326.

[150] Moniteur du 29 mars 1793 ; Lettres de M. Robespierre à ses commettants, 2e série, numéro 9, p. 419.

[151] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 190, p. 331.

[152] Mémoires de Thibaudeau, t. I, p. 21.

[153] Louis Blanc, Histoire de la Révolution, t. VIII, p. 249.

[154] Mémoires de Thibaudeau, t. I, p. 21. Levasseur a reproduit, d'après son collègue, cette conversation manifestement inexacte de Robespierre et de Massieu. (Voyez ses Mémoires, t. I, p. 46.) Plusieurs historiens, M. Esquiros entre autres, dans sa belle Histoire des Montagnards, s'y sont laissé prendre.

[155] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Jacobins, numéro 384.

[156] Lettres de M. Robespierre à ses commettants, numéro 9, 2e série. Article intitulé : Des causes de nos revers, de la discipline (p. 443). Il a été reproduit dans les Œuvres, etc., t. III, p. 291.

[157] Voyez ce que dit à ce sujet Dubuisson au club des Jacobins, dans la séance du 2 avril. Journal des débats et de la correspondance, numéro 387.

[158] Registre des procès-verbaux et arrêtés du comité de Salut public, Archives 433, A. G. 70.

[159] Voyez pour cette séance fameuse du 1er avril le Moniteur des 3 et 4 avril 1793 et le Journal des débats et des décrets de la Convention, numéros 195 et 196.

[160] Moniteur du 4 avril 1793.

[161] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Jacobins, numéro 387.

[162] Voyez cette lettre dans le Moniteur du 5 avril 1793.

[163] Patriote français, numéro 1307 bis.

[164] Patriote français, numéro 1328.

[165] Voyez les propres aveux de Dumouriez dans ses Mémoires, t. IV, p. 121 et 122.

[166] Patriote français, numéro 1329.

[167] Voyez, pour ces derniers temps, les numéros 1244, 1257, 1306, 1317, 1329, 1338, 1340, 1341, etc., du Patriote français.

[168] Voyez le Moniteur du 6 avril 1792.

[169] Moniteur du 7 avril 1792.

[170] Registre des procès-verbaux et arrêtés du comité de Salut public. Archives 433, A. G. 70.

[171] Voyez le Moniteur du 11 avril 1793.

[172] Voyez le Moniteur du 10 avril. — M. Michelet, dont presque toute l'histoire est bâtie sur des suppositions, suppose que la section de Bon-Conseil ne faisait rien sans consulter M. Lhuillier ; et que la pétition fut dressée très-probablement par Lhuillier, ami de Robespierre et son candidat pour la mairie. (Histoire de la Révolution, t. V, p. 463.) Nous avons déjà démontré la fausseté de cette double assertion.

[173] Voyez le Moniteur du 12 avril 1793, et le Journal des débats et des décrets, numéro 205, p. 167.

[174] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Jacobins, numéro 389.

[175] Veut-on savoir de quelle façon étrange M. Michelet travestit les trois lignes où Robespierre, dans son discours, fait allusion aux massacres de Septembre, dont les Girondins, avec leur mauvaise foi habituelle, s'étaient efforcés de rejeter tout l'odieux sur leurs rivaux, qu'on ouvre son Histoire de la Révolution (t. V, p. 465) et on y lira : Il accuse (Robespierre) spécialement la Gironde de n'avoir pas voulu les massacres de Septembre, les pillages de février. Est-ce que c'est là de la probité historique ? On ne sait vraiment qu'en penser, dirons-nous avec M. Michelet lui-même, qui prétend que les plus aveugles partisans de Robespierre n'ont pas eu le cœur de rapporter le discours de Robespierre. — M. Louis Blanc en a donné une très-longue analyse dans son Histoire de la Révolution, t. VIII, p. 253 et suiv. — M. Michelet sait fort bien qu'il est impossible de donner tout entier un morceau d'une telle longueur. Nous nous sommes attaché, pour notre part, à mettre en relief les accusations les plus graves adressées par Robespierre contre les Girondins.

Maintenant tout homme consciencieux s'étonnera que M. Michelet n'ait pas placé sous les yeux de ses lecteurs les incroyables calomnies dont, depuis une année, et surtout depuis l'ouverture de la Convention, les Girondins n'avaient cessé d'accabler Robespierre. Et n'oublions pas qu'en fait de calomnies et de récriminations, l'initiative est venue d'eux, d'eux seuls. Si M. Michelet avait donné cette preuve d'impartialité, qu'hélas ! il ne faut pas lui demander, plus d'un de ses lecteurs eût été loin de trouver si haineux et si absurde ce qu'il appelle la diatribe de Robespierre, et tout en regrettant de si déplorables luttes, se serait écrié, en songeant aux Girondins :

Putimini legem quam ipsi fecistis.

[176] Michelet, Histoire de la Révolution, t. V, p. 465.

[177] Ce discours remplit presque entièrement le dernier numéro des Lettres de M. Robespierre à ses commettants (numéro 10 de la 2e série). Il se trouve avec quelques variantes dans le Moniteur des 12 et 13 avril 1792 et dans le Journal des débats et des décrets, numéro 206. Il a été reproduit, d'après le texte donné par Robespierre, dans l'Histoire parlementaire, t. XXV, p. 337, et dans les Œuvres publiées par Laponneraye, t. III, p. 303.

[178] Moniteur du 13 avril 1793.

[179] Patriote français, numéro 1346.

[180] Lettre trouvée sous les scellés de Roland. Voyez l'Histoire parlementaire, t. XXVIII, p. 99.

[181] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Jacobins, numéro 392.

[182] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Jacobins, numéro 392.

[183] Moniteur du 14 avril 1793.

[184] Il est assez curieux, au sujet de la contrainte par corps, de cette loi barbare qu'on songe enfin à extirper de nos codes, de mettre en regard de l'opinion de Robespierre celle du journal de Brissot, du Patriote français. Voici comment s'exprimait le principal organe de la Gironde à propos du décret de mise en liberté des détenus pour dettes : Ainsi plus de propriétés, puisque les créances étaient des propriétés et qu'on leur enlève leurs garanties ! (Patriote français, numéro 1307.) La liberté d'un citoyen servant de garantie d'une misérable somme d'argent ! ! On voit quelles idées étroites avaient au point de vue social les principaux Girondins.

[185] Moniteur du 14 avril 1793 et Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 207, p. 202.

[186] M. Michelet, qui va d'erreur en erreur quand il n'adopte pas, les yeux fermés, les calomnies des Girondins contre Robespierre, le présente comme s'étant opposé au bannissement de d'Orléans, oubliant qu'une première fois il avait déclaré qu'il aurait voté pour la proposition de Louvet, et qu'en second lieu il avait lui-même soumis à l'Assemblée un projet de décret contre la famille d'Égalité. (Voyez son Histoire de la Révolution, t. V, p. 406).

[187] Moniteur du 16 avril 1793.

[188] Journal des débats et de lu correspondance, etc., séance du 12 avril.

[189] Moniteur du 16 avril 1793.

[190] Moniteur du 16 avril 1793. D'après la narration de M. Michelet, qu'on croirait embrouillée à dessein, il semblerait que Danton ne veut ici qu'appuyer une proposition de Robespierre. (Hist. de la Révolution, t. V, p. 475.) La clarté est cependant une chose essentielle en histoire. Robespierre proposa une chose et Danton une autre. Voilà ce que M. Michelet ne dit pas.

[191] Les journaux du temps n'ont pas donné les votes motivés. Ils ont paru, à l'époque, dans une brochure de 78 p., imprimée par ordre de la Convention. Les auteurs de l'Histoire parlementaire en ont extrait le suffrage de Robespierre, (t. XXVII, p. xij.)

[192] Moniteur du 17 avril 1793.

[193] Voyez le Moniteur du 21 avril 1793.

[194] Journal des débats et de la correspondance, etc., numéro 386.

[195] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 219, p. 309.

[196] Journal des débats et de la correspondance, etc., numéro 397.

[197] Voyez les Révolutions de Paris, numéro 197, p. 144.

[198] Pierre Leroux, Discours aux politiques.

[199] Pierre Leroux, Discours aux politiques.

[200] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 212, p. 294.

[201] Voyez le Patriote français, numéro 1347, et les Révolutions de Paris, numéro 197, p. 144. Ces importantes discussions sont reproduites avec le plus déplorable laconisme par le Moniteur et par le Journal des débats et des décrets de la Convention.

[202] Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 212, p. 295.

[203] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Jacobins, numéro 399.

[204] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Jacobins, numéro 399.

[205] Nous le demandons, écrivait le rédacteur des Révolutions de Paris (journal devenu alors tout a fait girondin ou peu s'en faut), une définition aussi inexacte, aussi vaguement conçue, n'est-elle pas un brevet d'impunité accordé aux accapareurs et même aux filous ? (Numéro 198, p. 203.)

[206] Voyez le Patriote français, numéro 1354. — Il est à remarquer que la doctrine soutenue par Robespierre en matière d'impôts, l'a été également par les plus éminents économistes. Montesquieu, Esprit des lois, liv. 13, ch. 7 ; Adam Smith, Richesse des nations : J.-B. Say, Cours d'économie politique, t. VI, p. 55.

[207] Dans une œuvre de haute fantaisie sur la Révolution française, récemment publiée par M. Edgar Quinet, œuvre déplorable au point de vue historique, où les caractères des principaux personnages de la Révolution sont odieusement travestis, où les erreurs matérielles s'accumulent de page en page, l'auteur d'Ahasverus prétend que l'article par lequel Robespierre exonérait de toute charge les citoyens dont les revenus n'excédaient point la somme nécessaire à leur existence, fut une arme dirigée contre la Gironde ; et la preuve, il la trouve dans ce fait qu'après la chute des Girondins, Robespierre soutint une thèse toute contraire. M. Quinet témoigne ici d'autant d'ignorance que d'absence complète de logique et de critique. D'ignorance, car Robespierre n'attendit pas la chute des Girondins pour revenir sur ce qu'il appela lui-même son erreur, puisqu'en publiant dans son journal sa Déclaration des droits peu de jours après en avoir donné lecture à la Convention, il supprima l'article en question ; de logique, car lorsque, dans la séance du 17 juin 1793, Robespierre revendiqua pour le pauvre comme pour le riche l'obligation de payer sa quote-part d'impôt, il eut à lutter, comme on le verra, contre qui ? contre Ducos, un des membres les plus ardents du parti de la Gironde. J'ai partagé un moment moi-même l'erreur de Ducos. Dirons-nous pour cela que Ducos se faisait de son opinion une arme contre la Montagne ? Non. Il faut, en vérité, obéir à de bien mesquins sentiments pour rapetisser ainsi à plaisir de tels hommes. Nous dirons plus tard à quelle source suspecte et sans aucune valeur M. Quinet a puisé pour écrire une œuvre dont tous les ennemis de la Révolution se font une arme à cette heure, et qui n'est qu'un pâle décalque de l'Histoire de la Révolution de M. Michelet, avec moins de justice et d'équité encore : ce qui n'est pas peu dire !

[208] Pierre Leroux, Discours aux politiques.

[209] Voir la note à la fin du chapitre.

[210] Voyez notre Histoire de Saint-Just, liv. II, chap. IV.

[211] M. Michelet fait juger Marat par un tribunal robespierriste. (Histoire de la Révolution, t. V, p. 487.) Nous prouverons plus tard combien Robespierre fut toujours étranger, complètement étranger au tribunal révolutionnaire ; mais il importe de montrer ici, une fois de plus, avec quelle déplorable légèreté a écrit un historien dont on invoque quelquefois l'autorité. M. Michelet compose le tribunal qui jugea Marat, d'Herman, de Dumas, de Coffinhal. Parmi les jurés, il compte Duplay, Souberbielle, le peintre Topino Le Brun, nombre de menuisiers, etc., métier aimé de Robespierre. Voyez p. 484, 486. Comment un historien sérieux peut-il se tromper a ce point ? Si le tribunal révolutionnaire avait été à cette époque composé de robespierristes ou de maratistes, les Girondins se seraient bien gardés d'y renvoyer Marat. Mais ils comptaient évidemment sur un tribunal nommé par la Convention alors qu'ils y dominaient encore. Ce tribunal était composé de Moutané, président ; d'Etienne Foucault et de Roussillon, juges ; Fouquier-Tinville siégeait comme accusateur public. Les jurés adjoints au tribunal révolutionnaire étaient alors : Dumont, Brisson, Coppin, Lagrange, Langlier, Cabanis (médecin), Jourdeuil, Fallot, Poullain, Gaunet, Laroche, Fournier, lesquels avaient pour suppléants : Treteau, Hattinguais, Leroy, Maignon, Gaudin, Brochet, Chancerel de Courville, P. Duplain, Saintex, Grandmaison, Chrétien, Chasseloup. Pr. V, t. VII, p. 13.

[212] Révolutions de Paris, numéro 199, p. 266.

[213] M. Michelet, par exemple. (Voyez son Histoire de la Révolution, t. V, p. 518.)

[214] Mémoires de madame Roland (édit. Barrière et Berville, t. II, p. 167, 168).

[215] Moniteur du 16 mars 1793. Séance de la Convention du 13.

[216] Voyez le Journal des débats et de la correspondance de la Société des Jacobins, numéro 401.

[217] Pour les honneurs funèbres rendus à Lazouski, voyez les Révolutions de Paris, numéro 199, et le Moniteur du 2 mai 1793.

[218] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Jacobins, numéro 402.

[219] Moniteur du 8 mai 1793.

[220] Moniteur du 11 mai 1793.

[221] Moniteur du 10 mai.

[222] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Jacobins, numéro 409.

[223] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Jacobins, numéro 412.

[224] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Jacobins, numéro 411.

[225] Ce discours de Robespierre se trouve dans le Moniteur des 12 et 13 mai 1793. Il a été imprimé à part par ordre de la société des Jacobins, où Robespierre en donna lecture dans la séance du 12 mai (in-8° de 34 p., de l'imp. patriotique et républicaine, rue Saint-Honoré, numéro 355). Il a été réimprimé depuis en 1831. Paris, Prévost (in-8° de 28 p.). On le trouve également dans les Œuvres publiées par Laponneraye, t. III, p. 363, et dans l'Histoire parlementaire, t. XXVI, p. 432.

[226] Voyez le Journal des débats et de la correspondance, numéro 413, et le Républicain, journal des hommes libres, numéro 195. Suivant ce dernier journal, l'auteur de la motion violente combattue par Robespierre était un envoyé lyonnais.

[227] Moniteur du 16 mai 1793.

[228] Voyez l'Histoire parlementaire, par MM. Buchez et Roux, t. XXVI, p. 457.

[229] Patriote français, numéro 1369.

[230] Voici la lettre de Robespierre :

Paris, le 10 mai 1793, j'ai appris que le tribunal révolutionnaire devait nommer un médecin ; je vous indique et aux républicains le citoyen Théry, recommandable par ses talents dans l'art de guérir et par son patriotisme. Il n'est pas indifférent aux bons citoyens de connaître les hommes qui méritent leur confiance. Je me suis fait un devoir de vous annoncer un patriote qui a des principes et une conduite ferme dans la ligne révolutionnaire. Vous ne négligerez point l'occasion d'être utile à un républicain.

ROBESPIERRE.

Au citoyen Fouquet de Tainville, accusateur au Tribunal révolutionnaire à Paris.

En marge est écrit : Pris en très-grande considération. MONTANÉ, président.

Jean-Baptiste-Joseph Théry, accepté comme médecin du tribunal, le 11 juin, d'après l'avis unanime de mes confrères. MONTANÉ, président. — (Archives de l'empire.)

[231] Moniteur du 19 mai 1793.

[232] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Jacobins, numéro 415.

[233] Moniteur du 22 mai 1793. Séance du lundi 20.

[234] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Jacobins, numéro 420.

[235] Voyez le Moniteur du 28 mai 1793. Séance du 26.

[236] Enfin l'insurrection générale de l'opinion éclate contre l'anarchie et présage sa ruine, s'écriait le rédacteur du journal de Brissot, à propos de cette séance de la Convention, comme s'il eût été sûr du triomphe de son parti. (Patriote français, numéro 1381.) On trouve dans ce numéro un éloge de Roch Marcandier, un des plus vils folliculaires qui aient jamais déshonoré la presse.

[237] Moniteur du 28 mai. M. Michelet, par une étrange confusion, met ici la section de la Cité, dont Dobsent était le président, à la place de celle de l'Unité. Voyez son Histoire, t. V, p. 527.

[238] Avec quelle ardeur ils désiraient l'élection d'un nouveau maire et d'une nouvelle municipalité ! Voyez à ce sujet le Patriote français, numéro 1380.

[239] Journal des débuts et de la correspondance de la Société des Jacobins, numéro 422.

[240] Nous avons déjà signalé plus haut à quel point M. Michelet s'est trompe, relativement à Dobsent, sur les causes de l'arrestation de ce dernier. Voyez le Moniteur du 29 mai 1793.

[241] Moniteur du 29 mai 1793 et Journal des débats et des décrets de la Convention, numéros 252 et 253.

[242] Voyez le discours de Garat dans le Moniteur du 29 mai. Consultez aussi, au sujet de cette séance du 27, les Mémoires de Levasseur (de la Sarthe), t. I, ch. VI.

[243] Voyez le Moniteur du 30 mai 1793.

[244] Voyez le Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 253, p. 410.

[245] Mémoires de Garat, p. 214, éd. de 1862.

[246] Mémoires de Garat, p. 95.

[247] M. Michelet. Voyez son Histoire de la Révolution, t. V, p. 547.

[248] Journal des débats et de la correspondance de la Société des Jacobins, numéro 423.

[249] Mémoires de Garat, p. 220 de l'éd. de 1862. Robespierre est assez maltraité dans ces Mémoires de Garat. Mais, en les lisant, il ne faut pas perdre de vue qu'ils ont été écrits au plus fort de la réaction thermido-girondine, et que l'ancien ministre de l'intérieur avait précisément à se défendre d'avoir été le partisan de Robespierre. On ne peut donc que lui savoir gré des ménagements relatifs qu'il a osé garder envers le martyr de Thermidor. Mais ce n'est pas là qu'on doit chercher l'opinion de Garat sur Maximilien ; c'est au pair de France que nous la demanderons, à l'auteur des Mémoires sur Suard et le dix-huitième siècle. Il faut voir la façon dont madame Roland traite Garat. Or, comme en 1821 le successeur de Roland au ministère de l'intérieur occupait une grande situation, les éditeurs de la nouvelle édition des Mémoire de madame Roland n'ont pas manqué d'ajouter en note : De semblables reproches se détruisent par leur exagération même. Madame Roland était prisonnière, Roland était proscrit : les plus honorables caractères ne sauraient se placer toujours au-dessus des passions humaines. (T. II, p. 57.) Cela est très-vrai ; mais, pour être juste, il aurait fallu étendre cette note à tous ceux qu'a diffamés madame Roland, dont les grandes qualités ne sauraient excuser la manie de calomnier.

[250] Voyez, pour le rôle important que joua Marat dans les événements du 31 mai, l'Histoire des Montagnards, par Alphonse Esquiros (2 vol. in-8°).

[251] Histoire des Brissotins ou fragments de l'histoire secrète de la Révolution et des six premiers mois de la République, avec cette épigraphe :

Est-ce que des fripons la race est éternelle !

(in-8° de 8 p., de l'Imprimerie patriotique et républicaine, rue Saint-Honoré. no 355, vis-à-vis l'Assomption, 1793.)

[252] Registre des procès-verbaux et délibérations du comité de Salut public, Archives, 433, A. G. 70.

[253] Le Girondin Meillan, dans ses absurdes et calomnieux Mémoires (p. 52), confondant à dessein, peut-être, le général Hanriot avec un certain Henriot, auquel on a prêté un rôle dans les massacres de Septembre, le dépeint comme ayant déchiré les entrailles de la princesse de Lamballe, lesquelles ne furent nullement déchirées. C'est bien assez que des misérables aient coupé et promené dans Paris la tête de la malheureuse femme. Quant au corps, il resta intact, comme cela résulte clairement du rapport très-circonstancié du commissaire de police auquel il fut apporté, et qu'on peut consulter aux archives de la préfecture de police ; rapport devant lequel doivent s'évanouir les descriptions par trop obscènes auxquelles paraît s'être complu notre illustre confrère M. Michelet.

[254] Voyez dans le Journal des débuts et des décrets de la Convention le texte même de cette adresse, extraite du registre des délibérations du conseil général de la commune et signée de Dorat-Cubières (numéro 257, p. 457).

[255] Sous la plume fantaisiste de M. Michelet, les membres du département de Paris se transforment en une masse de sauvages armés de bâtons et de piques. Voyez son Histoire de la Révolution, t. V, p. 564. Quant à Lullier, — car telle est la véritable orthographe de ce nom, — M. Michelet persiste à le présenter comme l'homme de Robespierre. Or, il eût été bien plus dans le vrai s'il en eût fait l'homme de Danton, puisque Lullier, comme nous l'avons dit déjà, fut livré avec ce dernier au tribunal révolutionnaire. D'ailleurs, d'une lettre écrite par Lullier à Robespierre, à la date du 3 germinal de l'an II, il résulte que ce membre de la commune était loin d'être sur un pied d'intimité avec Maximilien. Ce qu'il y a de vrai, c'est que tous les patriotes ardents se liguèrent contre la Gironde, parce que, comme le dit M. Michelet lui-même, t. V, p. 612, la politique girondine, impuissante, avouons-le, eût perdu la France. M. Michelet tombe donc positivement dans l'absurde quand il répète à satiété : Lhuillier, c'était Robespierre.

[256] Cette adresse se trouve reproduite de façon un peu différente dans le Moniteur du 3 juin 1793, et dans le Journal des débats et des décrets de la Convention, numéro 257, p. 459.

[257] Moniteur du 3 juin et Journal des débats et des décrets, numéro 257, p. 461.

[258] Mémoires de Garat, p. 229, édit. de 1862.

[259] Voyez les propres aveux de Louvet dans ses Mémoires, p. 91.

[260] Registre des délibérations et arrêtés du comité de Salut public (Archives, 433, A. G. 70).

[261] On sait qu'au milieu de cette orageuse séance une partie de la Convention en corps se rendit sur la place du Carrousel, non point, comme le dit Barère dans ses Mémoires, pour aller se placer au devant d'une artillerie sacrilège conduite par des scélérats, mais pour s'assurer qu'elle n'avait rien à craindre du peuple armé et témoigner sa confiance dans la loyauté des Parisiens. Ce fut sur la proposition même de Barère. Est il vrai qu'au moment où il la faisait, Robespierre monta à la tribune et lui dit : Que faites-vous là ? Vous faites un beau gâchis. C'est du moins ce qu'il assure dans ses Mémoires, t. II, p. 92 ; et ce qu'il dit à la Convention dans la séance du 7 germinal de l'an III. Mais on sait avec quel aplomb mentait ce Montagnard équivoque.

[262] Lettre de madame Roland à Robespierre, en date du 27 septembre 1791.

[263] Histoire des Girondins, 1re édition, t. VI, p. 155.

[264] Histoire de la Révolution française, par M. Thiers, édition de 1839, t. IV, p. 187.

[265] Histoire de la Révolution française, par M. Michelet, t. V, p. 534 et 642.