HISTOIRE DE ROBESPIERRE

TOME DEUXIÈME — LES GIRONDINS

 

UN MOT AU LECTEUR.

 

 

Ce n'est pas chose facile que de révéler au monde de grandes et utiles vérités, et j'ai vu le moment où ce volume, qui devait paraitre il y a tantôt un an, allait être condamné à rester indéfiniment dans mes cartons.

La justice vient de me donner gain de cause dans un différend né de craintes non motivées, j'aime à le croire, de la part de mes éditeurs : elle a ordonné implicitement l'exécution pure et simple d'un contrat librement consenti, et il n'en pouvait être autrement. Mais, en présence de la situation faite par une condamnation récente aux hommes distingués qui s'étaient chargés de la publication de l'Histoire de Robespierre, je ne saurais me prévaloir de ce jugement. J'en décline donc le bénéfice, et je cours seul au-devant du péril, si péril il y a, comme se l'imaginent quelques personnes qui voient une sorte d'épée de Damoclès suspendue perpétuellement sur mon livre, et si en effet l'Histoire n'est possible, à cette heure, qu'à la condition de refléter certaines idées traditionnelles faites de mensonge et de calomnie, propagées par l'esprit de parti et trop souvent acceptées par l'ignorance.

Ces appréhensions, je ne les partage point, parce que je me suis trop attaché à me tenir dans les pures régions de la science pour mériter le reproche d'avoir prostitué l'histoire à de misérables querelles et à des rancunes de factions. Mais eussent-elles un semblant de fondement, que, comme tout homme de cœur, je n'hésiterais pas à sacrifier mon repos et ma tranquillité a l'œuvre de vérité à laquelle j'ai consacré déjà une partie de ma vie, et dont cette voix intérieure qu'on appelle la conscience me félicite chaque jour.

Si jamais, d'ailleurs, moment a été opportun pour la publication de ce volume, c'est bien l'heure présente, où je le soumets sans crainte au jugement du public, car c'est l'heure où la calomnie tente ses derniers et ses plus violents efforts contre le grand citoyen dont j'ai écrit l'histoire. Depuis longtemps on n'avait vu une telle avalanche d'injures et d'insultes prodiguées à la mémoire des vaincus de Thermidor. L'honnête Courtois doit sourire d'aise dans sa tombe, et Louvet semble avoir secoué son linceul pour rééditer ses ridicules Robespierrides.

Ces outrages sans nom, empruntés au vocabulaire de la faction thermido-girondine, ces audacieuses violations de la vérité historique pouvaient provoquer le rire et n'exciter que le dédain quand ils venaient d'un abbé de Montgaillard ou de quelque historien de son école, mais le cœur est douloureusement contristé lorsqu'on les voit se produire sous le couvert d'un nom honoré dans la démocratie. Le bruit qui s'est fait autour du livre de M. Quinet suffit à prouver que ce livre est avant tout une œuvre de parti. L'histoire impartiale et sereine, puisée aux sources authentiques et non dans des libelles ou des Mémoires intéressés, n'excite ni ces colères ni ces enthousiasmes. Tant de tumulte est réservé aux pamphlets, et quand l'auteur du livre intitulé : la Révolution, s'est imaginé, pour faire une niche au despotisme, de satisfaire certains ressentiments, certaines rancunes aux dépens des citoyens immortels qui ont sauvé la France aux jours des grands périls, il a écrit contre la Révolution française un véritable pamphlet. Aussi comme la réaction est en joie et bat des mains ! Voilà donc un bon livre ! écrivait tout récemment une des plumes les plus turbulentes de cette réaction. Ah ! il y a des éloges qui équivalent à de sanglantes critiques, et qui sont un terrible châtiment.

C'est pitié vraiment de voir de quelle ignorance des choses les plus élémentaires de la Révolution sont doués quelques-uns de ceux qui, transformant l'histoire en arme de parti, rompent des lances en faveur de ce livre mal venu, et qui, en parlant d'une époque dont ils ne connaissent pas le premier mot, se contentent, suivant l'expression d'un publiciste éminent, de témoigner autant de suffisance que d'insuffisance. Ne leur demandez jamais de preuves ; ils seraient fort en peine : car ils ressemblent singulièrement à ce critique qui, après avoir refait, à sa façon et d'après les plus impurs libelles, une biographie de Robespierre, s'écriait triomphalement : Vous voyez que vous ne m'avez pas converti. Pour ces gens-là l'histoire de la Révolution française est toujours dans le rapport de Courtois. Ils en sont encore au TRIUMVIRAT SINISTRE de Robespierre, de Saint-Just et de Couthon. C'est grotesque! Mais, sans qu'ils s'en doutent, la lumière s'est faite, et de plus en plus elle ira éclairant le monde.

Je ne puis donc trop m'applaudir d'avoir suivi Robespierre pas à pas, de l'avoir montré dans ses rapports de chaque jour avec les hommes et les choses de son temps. On jugera mieux ainsi ce que valent, à côté de la réalité toute nue, les déclamations plus ou moins niaises dont nous entendons encore les échos après soixante-dix ans.

Je n'ai pas la prétention d'opérer des conversions miraculeuses et instantanées. Je n'écris ni pour l'époque présente, ni pour ceux qui jugent une œuvre à la légère, après l'avoir effleurée d'un œil distrait. Ce livre demande à être lu lentement, aux heures de loisir, la plume à la main. Je le dédie à ce public sérieux, sans préjugés et sans parti pris, plus soucieux de s'instruire que de se distraire, et il me saura gré de mes efforts. Je ne suis pas inquiet d'ailleurs sur le résultat de cet ouvrage. J'aurai travaillé à dissiper bien des ténèbres, et ma plus douce récompense sera d'avoir contribué à faire jaillir la vérité, qui finira par s'imposer à tous, aujourd'hui, demain, qu'importe ? Ainsi que l'a dit Voltaire, elle est fille du temps !

 

Mars, 1866.