HISTOIRE DE ROBESPIERRE

TOME PREMIER — LA CONSTITUANTE

 

LIVRE DEUXIÈME. — MAI 1789 - DÉCEMBRE 1789.

 

 

La messe du Saint-Esprit à Versailles. — Ouverture des états généraux. — Les communes de France. — Scission entre les trois ordres. — Proposition de Robespierre. — Les communes se constituent en Assemblée nationale. — Opinion de Robespierre sur quelques membres de l'Assemblée ; lettre à son ami Buissart. — Sa réponse à l'archevêque d'Aix. — Séance du 20 juin ; serment du Jeu de Paume. — Déclaration du 23 juin. — M. de Brézé et Mirabeau. — La noblesse et le clergé se réunissent aux communes. — Mouvements dans Paris. — Les débuts de Robespierre à la tribune. — Il est nommé membre d'une députation envoyée au roi pour demander l'éloignement des troupes. — Renvoi de Necker. — L'Assemblée se déclare en permanence. — Prise de la Bastille. — Consternation à Versailles. — Premier convoi de l'émigration. — Robespierre accompagne Louis XVI à Paris. — Réception faite au monarque. — Visite à la Bastille. — Robespierre stimule le zèle de ses concitoyens d'Arras. — Il combat une proclamation proposée par Lally-Tollendal. — Se prononce pour l'ouverture des lettres saisies sur Castelnau. — Retour de Necker. - Robespierre appuie la proposition de Mirabeau concernant Besenval. — Sa motion sur les troubles des provinces. — Nuit du 4 août. — Discours en faveur de la liberté individuelle et de la liberté de la presse. — Il demande qu'à la nation seule appartienne le droit d'établir l'impôt. — Sa motion pour que chacun puisse s'exprimer en toute liberté sur la forme du gouvernement. — Son dire sur le veto royal. — Il demande que chaque législature soit fixée à un an. — Son opinion sur la promulgation des décrets du 4 août. — Il attaque la réponse du roi. — Journées des 5 et 6 octobre. — Stanislas Maillard et les femmes à l'Assemblée. — Robespierre combat les formules anciennes des arrêts du conseil et des déclarations royales. — L'Assemblée à Paris. - Discours de Robespierre contre la loi martiale. — Il réclame l'application du suffrage universel. — S'élève contre l'exception proposée en faveur des fils de famille. — Les parlements suspendus. — Jugement de Robespierre sur d'Éprémesnil. — Il demande l'impression d'un discours du vicomte de Mirabeau. — Insolence de ce dernier. — Réponse de Robespierre à l'abbé Maury au sujet des états du Cambrésis.- Nouvelle organisation du royaume. — Avis proposés par Robespierre. — Son opinion sur la conduite des citoyens de Toulon et celle de M. de Riom. — Discours en faveur des non-catholiques et des comédiens. — Premiers démêlés avec M. de Beaumetz. — Le club des Amis de la Constitution. — Robespierre rue de Saintonge, au Marais.

 

I

Le 4 mai 1789, jour d'éternelle mémoire, fut célébrée en grande pompe, à Versailles, la messe d'inauguration des états généraux. Ce jour-là battit plus fort que de coutume le cœur de la France entière, et presque tout Paris se donna rendez-vous dans la ville de Louis XIV, afin d'assister à l'installation d'une assemblée appelée à consacrer une Révolution qui était déjà dans toutes les idées. Ah ! ne l'oublions jamais, cette journée mémorable, car c'est la date de notre affranchissement ; et si nous n'avons pas encore vu se réaliser toutes les espérances de cette année féconde, le pur symbole de la liberté sainte est resté en nous comme un esprit vivifiant, et nous rattache à jamais au souvenir de cette glorieuse époque.

Rarement plus imposant spectacle avait frappé les regards d'un peuple. Les états s'étaient assemblés le matin dans l'église de Notre-Dame, où, en présence de toute la cour, on chanta le Veni Creator. Cette prière terminée, les députés se rendirent, entre deux haies de gardes-françaises et de Suisses, à l'église de Saint-Louis ; mais, au lieu de se grouper par bailliages, ils s'avancèrent par ordres ; ce qui mécontenta beaucoup de monde, tant déjà commençaient à paraître choquantes ces inégalités sociales formant entre les citoyens d'un même pays de si profondes lignes de démarcation. Les représentants du tiers état, au nombre de près de six cents, vêtus de noir, les épaules couvertes d'un léger manteau de soie, marchaient les premiers, graves et fiers dans leurs modestes costumes, comme s'ils se fussent sentis chargés du poids de l'avenir de la France.

Aux acclamations enthousiastes qui, à leur passage, sortirent de toutes les poitrines, et dont les échos prolongés devaient retentir aux deux extrémités de cette patrie retrempée dans -le baptême des élections populaires, Robespierre put se convaincre qu'il n'était pas le seul à considérer le tiers état comme l'ancre de salut du pays, et que, d'accord avec lui, l'immense majorité des citoyens mettait tout son espoir dans un ordre où résidaient en effet les forces vitales de la nation. Inconnu alors, on ne le montrait pas comme ce Mirabeau dont la tête puissante et superbement portée attirait tous les yeux ; nul parmi cette foule ne soupçonnait encore le prestige qu'exercerait sur elle l'obscur avocat d'Arras ; mais lui, sentant le peuple au diapason de sa pensée, avait déjà sans doute une sorte d'intuition de sa puissance future sur l'opinion.

Venait ensuite la troupe brillante des députés de la noblesse avec leurs habits tout chamarrés d'or, et le chapeau à plumes retroussé à la Henri IV[1]. Un silence glacial et de mauvais augure accueillit ces représentants d'un ordre qui, sans s'en douter, menait pour ainsi dire ses propres funérailles[2]. Le seul duc d'Orléans fut salué de quelques vivat ; mais cette passagère ovation lui porta un coup fatal en le désignant d'avance aux vengeances de la cour et aux soupçons du parti populaire. Le bas clergé, en soutane et en bonnet carré, les évêques, revêtus de leurs robes violettes, et portant leurs rochets, furent reçus avec le même silence. Au passage du roi les fronts semblèrent se dérider, d'assez vifs applaudissements éclatèrent ; c'était un hommage de reconnaissance montant vers le monarque qu'on croyait disposé sincèrement à ouvrir à la France l'ère des libertés publiques ; mais, en revanche, pas un murmure de faveur ne s'éleva sur les pas de la reine, et, devant ce froid accueil, la pauvre Marie-Antoinette, depuis longtemps déjà en butte aux calomnies des siens, et voyant combien la multitude lui était hostile, faillit s'évanouir[3].

Arrivés dans l'église de Saint-Louis, les trois ordres prirent place sur des banquettes disposées dans la nef. Après qu'au son d'une musique harmonieuse et expressive un chœur eut entonné l'hymne O salutaris hostia, l'évêque de Nancy, M. de la Fare, monta en chair et développa longuement ce thème usé : La religion fait la force des empires et le bonheur des peuples. Un tel discours sortant de la bouche d'un ecclésiastique n'avait rien que de très-naturel ; mais on n'entendit pas sans étonnement un prince de l'Église dresser en bonne forme l'acte d'accusation de l'ancien régime, se récrier amèrement contre les violences, les barbaries des agents fiscaux, et raconter avec une éloquence toute chrétienne les misères infligées aux campagnes par une administration sans pitié. On était dans une église, le Saint-Sacrement exposé, le roi et la reine présents, devant qui, même au spectacle, il était interdit d'applaudir ; mais, ô puissance des vérités éternelles ! ni la majesté du lieu, ni la présence des personnes royales ne purent contenir l'enthousiasme dont furent saisis les cœurs aux paroles de l'évêque, et presque de toutes parts des applaudissements retentirent[4]. Scène vraiment imposante, spectacle plein de grandeur qui permit aux esprits clairvoyants de deviner avec quelle facilité une partie des membres des ordres privilégiés allaient se laisser aller eux-mêmes à l'irrésistible entraînement de la Révolution.

 

II

Le lendemain, 5 mai, eut lieu dans la salle des Menus l'ouverture de la session des états généraux. On sait comment, dès le second jour, à propos de la vérification des pouvoirs, une scission profonde se produisit entre la noblesse et le clergé d'une part, et le tiers état de l'autre. Déjà la veille s'étaient clairement manifestées les intentions du tiers et la résolution bien arrêtée de ses membres de faire respecter dans leurs personnes la dignité de la nation, dont ils étaient en définitive les véritables représentants, quand, après le discours du roi, voyant les députés de la noblesse et du clergé se couvrir, ils avaient suivi leur exemple. Et tout cela sans entente préalable, tellement était grande alors la communauté de sentiments. On était loin du temps où le tiers se soumettait à l'humiliant usage d'entendre à genoux fès paroles du prince. Et cette servile habitude, les fanatiques de la noblesse et la cour elle-même la regrettaient ; car, il faut bien se le rappeler, les états généraux avaient éLé convoqués par le gouvernement pour se procurer de l'argent, non pour porter atteinte à la hiérarchie des ordres et aux privilèges de la noblesse et du clergé que, jusqu'au dernier moment, Louis XVI défendit comme la base essentielle de la monarchie en France[5].

Dans les questions sociales il n'y a pas de petites choses, tout se tient, tout s'enchaîne, tout se déroule logiquement ; les questions en apparence les plus futiles prennent tout à coup, sous l'empire des événements, des proportions inattendues. Les députés du tiers s'étaient montrés choqués de la différence des costumes assignés à la noblesse et à eux. Ce fut bien autre chose quand, le 6 mai, réunis dans la grande salle des Menus, qu'on leur avait laissée pour leurs assemblées particulières, ils apprirent vers deux heures et demie, après avoir inutilement attendu jusqu'à ce moment leurs collègues de la noblesse-et du clergé, que ces deux derniers ordres, réunis de leur côté dans des salles distinctes, venaient de se prononcer pour la vérification séparée des pouvoirs. A cette nouvelle, de violents murmures de désapprobation éclatèrent ; quelques membres impatients voulaient même que, sans attendre les deux ordres dissidents, le tiers état se constituât en Assemblée nationale. Tiers état !... ce titre avait été répudié déjà comme impropre, comme n'indiquant pas suffisamment que les députés de cet ordre représentaient en réalité à eux seuls les neuf dixièmes de la nation française. En conséquence, ses membres s'étaient fièrement intitulés Députés des Communes, témoignant par là qu'ils ressuscitaient en quelque sorte ces vieilles communes de France organisées jadis pour résister à la tyrannie féodale, et qu'ils entendaient bien détruire à tout jamais les derniers vestiges de l'oppression. Le mot de tiers état est ici proscrit comme un monument de l'ancienne servitude, écrivait Robespierre, le 24 mai 1789, à l'un de ses plus chers et de ses plus anciens amis, en lui donnant de curieux détails sur tout ce qui s'était passé à Versailles depuis l'ouverture des états généraux[6]. Cette nouvelle dénomination choqua au dernier point les privilégiés ; elle excita dans la chambre de la noblesse les plus vives rumeurs ; d'Eprémesnil, ce transfuge empressé de la cause libérale du moment où la liberté ne servait plus à ses intérêt propres, la qualifia d'inconstitutionnelle[7], et elle fut repoussée par la cour et par les ministres. On ne voulait pas la reconnaître, dit Bailly dans ses mémoires, et nous seuls nous nous en servions[8]. Mais les masses l'adoptèrent avec empressement, et, malgré l'opposition ministérielle, les députés du tiers état n'en demeurèrent pas moins les Communes de France.

La persistance de la noblesse et du clergé à vouloir délibérer à part et vérifier séparément leurs pouvoirs empêchait l'assemblée de commencer ses travaux. Les privilégiés, en effet, se sentaient vaincus d'avance du jour où ils se réuniraient au tiers, égal en nombre au clergé et à la noblesse réunis, comme on sait, et où, au lieu de voter par ordre comme autrefois, on voterait par tête, ainsi que l'exigeaient la raison, la justice et le bon sens. Les communes, au contraire, imbues des véritables principes, et convaincues que la représentation devait être une, voulaient que tous les députés, à quelque ordre qu'ils appartinssent, y eussent l'a même part d'influence. En conséquence ses membres, se jugeant d'autant plus forts que, si la noblesse et le clergé avaient pour eux le roi et la cour, ils s'appuyaient, eux, sur le peuple entier, résolurent de passer outre et de se constituer en véritables représentants y du pays dans le cas où la noblesse et le clergé s'obstineraient à ne pas se joindre à eux. Mais avant de prendre ce parti, écrit encore Robespierre, ils crurent qu'il falloit faire quelques démarches pour ramener, s'il étoit possible, les deux classes privilégiées à l'union et à l'unité désirées ; de là la patience avec laquelle on les attendit durant quelques jours dans la salle destinée aux états généraux ; de là l'invitation qu'on leur fit ensuite de se réunir au corps national pour procéder à la vérification des pouvoirs[9]. On sait à combien d'allées et de venues, de pourparlers, de discussions commencées, interrompues et reprises, donna lieu cette question de la réunion des trois ordres, qui contenait implicitement toutes les autres questions. La noblesse, en réponse aux premières propositions des communes, s'était tout d'abord constituée en chambre séparée ; mais le clergé, plus cauteleux que la noblesse[10], avait répondu à l'invitation du tiers par une députation chargée de lui porter de vagues protestations de zèle et d'attachement, et d'annoncer qu'il allait travailler activement à la prompte conciliation des trois ordres.

Les communes avaient sur les privilégiés un immense avantage : outre qu'elles représentaient réellement presque toute la France, elles se trouvaient en possession de la grande salle des états généraux, délibéraient en public, et, aux yeux de la foule, passaient pour la véritable assemblée nationale. Plusieurs avis avaient déjà été ouverts dans leur sein afin de provoquer le terme d'une scission dont souffrait l'intérêt général. Le 12 mai, Rabaut Saint-Étienne proposa à ses collègues de choisir un certain nombre d'entre eux et de les charger de conférer avec les commissaires de la noblesse et du clergé, à l'effet de réunir tous les députés dans la salle commune, sans qu'il leur fût permis toutefois de se départir en aucune façon du principe de l'opinion par tête et de l'indivisibilité des états généraux. Le breton Le Chapelier repoussa cette motion comme inutile et dangereuse. Suivant lui, les communes devaient envoyer à la noblesse et au clergé une adresse dans laquelle, après avoir rappelé la conduite respective des trois ordres jusqu'au moment actuel, elles déclareraient qu'elles ne reconnaîtraient désormais pour représentants légaux que ceux dont les pouvoirs auraient été examinés par des commissaires nommés en commun, chaque député n'étant plus, après l'ouverture des états généraux, le député d'un ordre ou d'une province, mais bien celui de la nation ; principe, ajoutait-il, qui doit être accueilli avec enthousiasme par les députés des classes privilégiées, puisqu'il agrandit leurs fonctions. Tel était aussi l'avis de Robespierre, à qui la motion de Rabaut Saint-Étienne, que l'assemblée adopta pourtant à une grande majorité, ne paraissait pas non plus devoir amener le résultat désiré. Je souhaite, écrit-il à propos de ces conférences et de la proposition de Le Chapelier, que lorsqu'elles seront finies il reste encore aux communes assez de fermeté pour y revenir ; je souhaite que les aristocrates ne profitent pas de ces conférences qui n'ont aucun objet, puisque ni la noblesse ni les communes ne peuvent se relâcher de leurs prétentions, la noblesse parce qu'il faudroit sacrifier son orgueil et ses injustices, les communes parce qu'il faudroit sacrifier la raison et la patrie ; je souhaite, dis-je, que ces aristocrates ne profitent pas de ces conférences pour remuer tous les ressorts de l'intrigue, pour énerver toute vigueur, pour nous diviser, pour semer dans l'assemblée et dans la nation le découragement et la défiance...

Lui aussi s'était vivement élevé contre la motion de Rabaut Saint-Étienne ; mais étant un des derniers à parler, et convaincu, d'après les avis exprimés par les précédents orateurs, qu'il était impossible de la combattre avec succès en lui opposant la proposition énergique et vigoureuse de Le Chapelier, il avait donné à ses collègues le conseil d'adresser au clergé seulement une invitation fraternelle de se réunir au corps national, et de joindre ensuite ses instances à celles des communes pour décider la noblesse à suivre cet exemple, auquel il lui eût été difficile de résister sans irriter contre elle l'opinion publique, qu'il n'est plus permis, écrit-il encore, de braver impunément dans les circonstances où nous sommes. Robespierre connaissait assez les dispositions et les intérêts des curés pour être assuré que le plus grand nombre ne balanceraient pas à se réunir aux communes. Une partie des nobles, pensait-il, les plus distingués par leurs vertus et leurs mérites, ne tarderaient pas à les imiter et à s'immortaliser par cet exemple de patriotisme et de magnanimité. Quelques aristocrates voués à la haine publique seraient seuls restés dans le camp opposé, et leur absence n'aurait pu mettre aucun obstacle à la constitution des états généraux en assemblée nationale. La proposition de Robespierre était de nature à rallier un grand nombre de voix, et beaucoup de membres l'en félicitèrent en lui déclarant qu'ils auraient de préférence voté pour elle, si elle avait été faite tout d'abord. Il l'avait cependant rédigée par écrit et déposée sur le bureau ; mais si inconnu était encore le député d'Arras, si bornée son influence, et si irrégulier aussi était alors le mode de procéder de l'assemblée, que l'on ne crut pas devoir soumettre à la discussion la motion de Robespierre, parce que la délibération n'avait roulé jusque-là que sur les propositions de Rabaut Saint-Étienne et de Le Chapelier[11]. Quelques jours après, Mirabeau reprit dans un discours, la motion de Robespierre. Laissons, disait-il, la noblesse continuer sa marche usurpatrice et orgueilleuse, et invitons le clergé à se joindre à nous. Malgré ce puissant appui, l'avis de Robespierre ne prévalut pas, et le 18, l'assemblée nomma, pour s'entendre avec ceux de la noblesse et du clergé, seize commissaires, au nombre desquels figuraient Rabaut Saint-Etienne, Le Chapelier, Mounier, Target, Volney, Garat, Bergasse et Barnave[12].

Comme le présumait Robespierre, le mauvais vouloir de la noblesse rendit ces conférences stériles ; elles fonctionnaient depuis huit jours que la question n'avait point avancé d'un pas. Un moment interrompues, elles avaient été reprises, par ordonnance du roi, sous la présidence de Necker. Mais la noblesse ayant décidé, dans la séance du jeudi 28 mai, que la délibération par ordres et la faculté d'empêcher appartenant à chacun d'eux étaient constitutives de la monarchie, on agita le lendemain, au sein des communes, la question de savoir si l'on devait continuer ou cesser les conférences. Robespierre reprit la parole et essaya de nouveau de prouver l'inutilité de ces conférences, condamnées maintenant par une première expérience[13]. Suivant lui, une seconde ne devait pas amener de meilleurs résultats, à cause de l'entêtement des nobles, qui tenaient plus à une question de forme capable de leur assurer une part d'influence supérieure à celle du tiers qu'à l'intérêt général[14]. Mais son avis, soutenu cette fois encore par Mirabeau, ne fut pas écouté ; les communes, voulant donner au roi une preuve de leur déférence et de leur respect, votèrent la reprise des conférences. Cependant leur patience finit par se lasser. Le 10 juin, sur la proposition de Sieyès, elles prirent une détermination très-grave en adressant aux deux ordres dissidents une sommation énergique par laquelle elles les invitaient à se réunir immédiatement à elles, en les prévenant que dans une heure il serait procédé à l'appel des bailliages, et que défaut serait donné contre les non-comparants. La noblesse et le clergé n'ayant pas obtempéré à cette sommation, excepté quelques ecclésiastiques, parmi lesquels l'illustre abbé Grégoire, les communes procédèrent à la vérification des pouvoirs, et le 17, après des discussions à jamais fameuses, elles se constituèrent définitivement en Assemblée nationale.

 

III

Jusqu'à ce jour l'immense majorité des députés du tiers avait paru parfaitement unie ; cependant il était facile de distinguer déjà ceux qui devaient défendre jusqu'au bout la cause populaire et ceux qui se disposaient à la trahir. Il est assez curieux de connaître sur ce point l'opinion intime de Robespierre. Au milieu de tant d'incertitudes, de mécomptes, d'agitations, une chose le consolait et le rassurait en même temps, c'était de voir dans l'Assemblée plus de cent citoyens capables de mourir pour la patrie. En général, il trouvait à ses collègues des lumières et des intentions droites, et leur savait un gré infini de la fermeté avec laquelle ils avaient adopté les motions les plus patriotiques. Il était surtout heureux d'entendre citer comme des patriotes décidés les membres de la députation du tiers état d'Artois, et entre autres les quatre cultivateurs qui en faisaient partie, ce dont il paraît se féliciter d'autant plus que quelques personnes à Arras avaient blâmé ce choix[15]. Il vivait, du reste, dans la plus parfaite union avec ses collègues de l'Artois, et demeurait avec eux à Versailles, rue Sainte-Élisabeth, à l'hôtellerie du Renard[16]. Les députés de la Bretagne, quatre au moins — il ne les nomme pas, mais il y comprenait sans aucun-doute Le Chapelier, qui avait combattu avec lui la proposition de Rabaut Saint-Étienne relative aux conférences — sont à ses yeux pleins de courage et de talent. Il leur serait difficile d'ailleurs, pense-t-il, de faire un faux pas sans être victimes du peuple qui les avait choisis. Quant aux députés du Dauphiné, ceux surtout dont une grande célébrité avait précédé l'arrivée à Versailles, ils ne lui inspirent pas à beaucoup près la même confiance. C'était une allusion directe à cet ardent agitateur des états de Grenoble, qui plus tard devait avoir l'idée de soulever le Dauphiné pour soutenir la cause du roi. M. Mounier, écrit-il, ne jouera pas ici un aussi grand rôle que dans sa province, parce qu'on lui soupçonne des prétentions et des liaisons avec le ministère ; il est loin d'ailleurs d'être un homme éloquent. Son opinion n'est pas non plus favorable à Malouet, dont il semble prévoir également les liaisons avec la cour et toutes les motions hostiles à la Révolution. Cet homme armé d'impudence et pétri d'artifices a fait mouvoir tous les ressorts de l'intrigue pour faire prévaloir le parti aristocratique parmi nous. Un jour qu'il proposa une motion insidieuse et digne de son âme servile, un murmure général s'éleva, et les députés d'Auvergne s'écrièrent : Nous désavouons ce que vient de dire M. Malouet ; il est député du bailliage de Riom, mais la province d'Auvergne ne le reconnaît pas pour son représentant. Plusieurs fois, en effet, il arriva au député de Riom d'être désavoué par ses collègues. Le 28 mai, au moment où l'Assemblée agitait de nouveau la question des conférences, il avait demandé, attendu la nature et l'importance de l'objet soumis à la discussion, que l'on délibérât en secret et que les étrangers fussent invités à se retirer. Il n'y a point d'étrangers parmi nous, s'était écrié impétueusement Volney, il n'y a que des concitoyens et des frères ; et la proposition de Malouet avait été enterrée sous le dédain général.

Dans la lettre où nous trouvons ces intéressants détails, Robespierre apprécie Mirabeau en quelques mots seulement, mais de la façon la plus sévère. Il est nul, dit-il, parce que son caractère moral lui a été toute confiance. L'immortel orateur, on le sait, avait, en entrant aux états généraux, à porter le poids d'une lourde réputation. Son passé décousu, ses aventures scandaleuses, sa plume vénale, n'étaient pas de nature à disposer l'Assemblée en sa faveur, et, à cette époque, il, n'avait pas encore eu le temps de s'imposer à ses collègues par la puissance de son génie. Ce n'est point là, du reste, l'opinion définitive de Robespierre, et nous l'entendrons bientôt, subjugué lui-même, s'exprimer tout autrement au sujet du comte plébéien, comme on appelait alors le député de Provence.

Mais si, dans un remarquable esprit d'impartialité, il crut devoir revenir sur sa première appréciation de Mirabeau, il n'en fut pas de même à l'égard de Target, dont il jugea bien tout de suite le caractère indécis et sans consistance. J'ai vu, écrit-il, Target arriver précédé d'une grande réputation ; il a ouvert la bouche pour donner son avis sur la motion dont je vous ai parlé ; on s'est apprêté à l'écouter avec le plus grand intérêt. Il a dit des choses communes avec beaucoup d'emphase pour se ranger de l'avis qui avoit déjà réuni la pluralité des voix ; il a cependant été applaudi. Aujourd'hui il est presque entièrement hors de combat ; on s'est aperçu que son mérite étoit beaucoup au-dessous de cette première prévention ; on lui a reconnu des principes versatiles. Target avait été envoyé aux états généraux par la vicomté de Paris (extra muros), et il ne parvint jamais à acquérir une grande influence dans l'Assemblée.

Ni moins ingénieuses, ni moins vraies ne sont les appréciations de Robespierre sur le clergé et sur la noblesse. Il ne manque pas de signaler tous les artifices employés par les prélats pour séduire les curés et leur persuader qu'on voulait porter atteinte à la religion catholique. Bailly, dans ses Mémoires, parle aussi de ces intrigues et de cet évêque qui mangeait tous les jours un curé[17]. Cependant les curés semblent à Robespierre très-disposés à se réunir aux communes à la première invitation solennelle. A l'égard des nobles, il se montre beaucoup plus sévère. Je ne vous ai point parlé de la chambre de la noblesse particulièrement, elle mérite à peine cet honneur. Elle est partagée en trois partis : le parti parlementaire, qui immoleroit le genre humain tout entier à la conservation des pouvoirs des parlements ; le parti des grands seigneurs de la cour, qui ont tous les sentiments que supposent l'orgueil des aristocrates et la bassesse servile des courtisans ; celui des hommes raisonnables, qui sont en très-petit nombre, et qui ne sont pas tous exempts des préjugés de la noblesse[18]. Parmi ces derniers il range La Fayette et le duc d'Orléans ; mais, en général, il y a, selon lui, dans l'ordre de la noblesse peu d'hommes de talent et animés d'un sincère patriotisme. Rappelant avec quel emportement d'Eprémesnil avait protesté contre la qualification de communes prise par le tiers état et s'était opposé à la renonciation des privilèges pécuniaires que la plupart des membres de la noblesse se montraient disposés à abandonner de bonne volonté, il le peint entassant tous les jours extravagances sur extravagances, au point de détruire son crédit, même dans son parti[19]. Quant au désintéressement de la noblesse, il le tient pour fort suspect. Si les nobles paraissent vouloir renoncer de bon gré à leurs privilèges pécuniaires, ce n'est pas, dit-il, dans des vues patriotiques, mais dans l'espérance de négocier avec plus de succès avec nous aux dépens des droits de la nation, lorsqu'ils auront fait ce sacrifice illusoire qui ne dépend plus de leur volonté, et qui ne doit pas être un don du corps de la noblesse, mais une loi constitutive que les états généraux seuls doivent porter. Dans l'Assemblée du tiers, à Arras, il avait à peu près tenu le même langage.

Sous le gouvernement de Juillet, la lettre dont nous avons extrait ces curieuses appréciations sur quelques-uns des membres de l'Assemblée constituante circula pendant plusieurs jours sur les bancs de la chambre des députés. Louis-Philippe, en ayant entendu parler, témoigna le désir de la lire, et elle lui fut apportée, si nos renseignements sont exacts, par M. Martin (du Nord). Le roi, dans sa jeunesse, avait été fort activement mêlé aux hommes et aux choses delà Révolution ; il les connaissait bien, et sa prodigieuse mémoire les lui retraçait tels qu'il les avait vus au début de sa carrière, quand, saisi d'enthousiasme, il avait applaudi, lui fils de privilégié, aux coups qui sapaient le vieil édifice social et frappaient en même temps sa maison. C'est parfaitement exact, dit-il, après avoir lu la lettre du grand citoyen dont il avait été le collègue au club des Jacobins ; et il ne put s'empêcher de s'émerveiller sur la ressemblance des portraits.

 

IV

Jusqu'au jour où, prenant un parti suprême et se constituant en Assemblée nationale, après avoir, au préalable, sommé la noblesse et le clergé de se réunir à eux, les députés des communes s'étaient déclarés les représentants légaux de la France, ils avaient persisté dans un système de complète inertie pour ne pas avoir l'air, en délibérant sur quelque motion d'intérêt général, de reconnaitre implicitement la séparation des ordres. Cela s'était bien vu lorsque, au commencement du mois de juin, l'archevêque d'Aix était venu dans la salle du tiers s'apitoyer sur les malheurs du peuple, les misères des campagnes, et, montrant un morceau de pain noir, avait prié les communes de Résigner quelques-uns de leurs membres pour conférer avec ceux de la noblesse et du clergé sur les moyens de remédier aux calamités publiques. Ce discours, comme on s'y attendait, n'avait pas manqué de produire un certain effet. Mais un député, renchérissant adroitement sur tous les sentiments de pitié étalés par le prélat en faveur des classes souffrantes, répondit que, si le clergé songeait sincèrement à soulager les maux du peuple, il n'avait qu'à venir se joindre aux communes afin de s'entendre avec elles sur les mesures à prendre à cet égard. Ce député, c'était Maximilien Robespierre.

Allez, s'écria-t-il, en s'adressant à l'archevêque, allez dire à vos collègues qu'ils ne retardent pas plus longtemps nos délibérations par des délais affectés. Ministres d'une religion sublime, fondée sur le mépris des richesses, qu'ils imitent leur divin Maître et renoncent à un étalage de luxe blessant pour l'indigence. Les anciens canons portent que l'on pourra vendre les vases sacrés pour soulager les pauvres, mais il n'est pas besoin d'en venir à une si triste ressource : renvoyez vos laquais orgueilleux, vendez vos équipages superbes, vos meubles somptueux, et de ce superflu, contraire aux traditions des premiers chrétiens, faites aux malheureux d'immenses aumônes. Tel fut le sens de son discours, qui obtint un très-grand succès et détermina l'Assemblée à repousser les propositions insidieuses du clergé.

C'était la troisième fois que Robespierre parlait à la tribune. Dans ses précédentes tentatives oratoires, il avait été à peine écouté ; cette fois, ses paroles furent accueillies avec un murmure flatteur. De toutes parts on se demandait quel était ce jeune homme dont le discours répondait si bien au sentiment public, et son nom, presque entièrement inconnu quelques minutes auparavant, circula bientôt de rang en rang dans la salle et dans les galeries où se tenait tout ému un nombreux auditoire[20].

Aussitôt qu'elles se furent constituées en Assemblée nationale, les communes se mirent en devoir de remplir leur mandat. Le 18, il n'y eut pas de séance parce qu'une partie des députés, leur président en tête, assistèrent à la procession du Saint-Sacrement ; mais, dès le 19, l'Assemblée s'occupa de l'organisation de ses bureaux et de ses comités et prit des mesures pour l'impression de ses arrêtés et leur envoi dans toutes les provinces. Robespierre, ainsi que Le Chapelier, fit partie du quinzième bureau[21].

Grande fut l'alarme parmi les privilégiés quand ils virent le tiers état décidé à se passer d'eux ; divers moyens d'entraver les travaux de l'Assemblée furent immédiatement suggérés à la cour. Lorsque, le samedi 20 juin, date immortelle dans l'histoire de notre pays, les députés des communes se présentèrent à la porte de leur salle, ils la trouvèrent fermée et gardée par des soldats. Une affiche toute sèche leur apprenait seulement qu'une séance royale devant avoir lieu le surlendemain, les préparatifs nécessaires pour cette séance exigeaient la suspension des assemblées des trois ordres jusqu'après sa tenue. A cette nouvelle, une sourde rumeur circula, comme une commotion électrique, au milieu des députés réunis dans l'avenue ; ce fut un long frémissement d'indignation. Ces hommes qu'on voyait debout, entassés, sous le ciel pluvieux, à quelques pas du château, où, sans doute, on riait de leur déconvenue, et qu'on mettait ainsi à la porte comme des vagabonds, c'était le pays assemblé. Mais de cette immense injure allait surgir un prodigieux événement.

Et d'abord la séance indiquée pour ce jour par le doyen des communes aurait lieu quand même ; c'est décidé d'une voix unanime. Mais où ? A Marly ! s'écrient quelques membres, au pied même du château, afin de porter dans le cœur de nos ennemis l'effroi qu'ils voudraient nous inspirer. Louis XVI était allé à Marly ce jour-là. Adopter un tel avis, c'était rompre tout à fait avec le roi ; il est donc écarté comme extrême. Enfin, sur la proposition du médecin Guillotin, on se porte en foule rue Saint-François, à la salle du jeu de paume, dont le maître, charmé d'un tel honneur, accueillit avec joie ces représentants d'une grande nation réduits à chercher un asile[22].

Les voici dans cette grande salle, triste, froide et nue, sans autres meubles que quelques bancs et une table prêtée par leur hôte ; mais la pauvreté du lieu emprunte à ces visages rayonnants d'enthousiasme et d'espoir une magnificence inconnue. Après quelques motions jugées intempestives, comme celle de transporter à Paris les séances de l'Assemblée, un membre a l'idée de proposer à ses collègues de s'engager, par un serment solennel, à ne pas se séparer avant que la constitution du royaume ait été achevée et établie sur des fondements solides.

Alors se passa une scène d'une incomparable grandeur ; les murs du jeu de paume allaient être le berceau de la liberté. Debout sur une table, le doyen des communes, Bailly, calme, impassible, lit la formule d'une voix si haute et si intelligible, que ses paroles furent entendues de la foule qui stationnait au dehors. En sa qualité de doyen, il demande à prêter le premier le serment[23]. Après lui jurent en foule tous les députés saisis d'une commune et sainte ivresse. Qui n'a vu le splendide dessin de David représentant cette scène impérissable ? Là, c'est Barère de Vieuzac, un crayon à la main, prêt à noter pour son journal le Point du Jour les faits de cette imposante séance ; ici, c'est Mirabeau, bien reconnaissable à sa tête léonine. Sur le premier plan, quels sont ces trois hommes au visage austère et mélancolique, qui, entrelacés, semblent se tenir unis dans une fraternelle embrassade ? C'est dom Gerle, un moine chartreux ; Rabaut Saint-Étienne, un ministre protestant, et le curé d'Embermesnil, Grégoire. Un peu plus loin, à droite, un député tout jeune encore écoute, avec une indéfinissable émotion, la lecture de la formule du serment, c'est Robespierre. Regardez-le bien : la tête inspirée, il lève vers le doyen des communes des regards attendris, et presse fortement des deux mains sa poitrine, comme s'il avait deux cœurs pour la liberté[24].

Après la prestation du serment, on procéda à l'appel des bailliages, sénéchaussées, provinces et villes ; chaque-député, à tour de rôle, s'approcha du bureau pour signer. La signature de Robespierre, sur le registre, vient la quarante-cinquième. Durant ce temps, de frénétiques applaudissements retentissaient au dehors : c'était le peuple qui, attaché aux fenêtres de la salle et répandu dans les rues, ratifiait le serment de ses députés[25].

 

V

Les communes, en se séparant, s'étaient ajournées au lundi 22 juin, jour où devait se tenir la séance royale ; mais, dans la nuit du dimanche, un billet très-laconique de M. de Brézé informa le président du tiers qu'elle était remise au lendemain, à dix heures du matin, et que les portes de la salle ne seraient ouvertes que pour ce moment. Les communes, persistant dans leur arrêté de l'avant-veille, se rassemblèrent dans l'église de Saint-Louis ; là vinrent bientôt les rejoindre l'immense majorité du clergé et deux membres de la noblesse, afin de soumettre leurs pouvoirs à la vérification en commun. C'était un indice de la réunion prochaine des trois ordres, avancée peut-être par les imprudences mêmes de la cour.

Le lendemain, la séance royale débuta par une inconvenance que sentirent vivement les députés du tiers. Tandis que ceux de la noblesse et du clergé pénétraient dans la salle par la porte donnant sur l'avenue, ils attendirent longtemps, par un temps pluvieux, à une petite porte de derrière ; et lorsqu'enfin, sur les vives réclamations de leur président, elle leur fut ouverte, ils trouvèrent les deux premiers ordres installés déjà, comme si l'on avait craint que les communes, constituées déjà en Assemblée nationale, n'eussent voulu s'emparer des premières places[26]. Quelques murmures, aussitôt réprimés, éclatèrent dans leurs rangs ; mais que leur importait de cette humiliation passagère allait sortir leur triomphe définitif. Ce jour était destiné à les grandir encore, et pour elles devaient se vérifier les paroles de l'Évangile : Les derniers seront les premiers.

On remarqua avec étonnement l'absence de Necker. Son projet de déclaration aux états généraux, jugé trop libéral, n'ayant pas été adopté, il s'était abstenu ; d'où l'on concluait assez logiquement qu'il blâmait d'avance la déclaration royale, œuvre de conseillers dangereux et notoirement hostiles à la Révolution. Quelle fut, en effet, l'attitude du roi ? Parla-t-il à la nation assemblée le langage de la liberté ? Souscrivit-il bénévolement aux réformes sociales indiquées par la justice, par le bon sens, par l'humanité et impérieusement réclamées ? C'est ce que n'ont pas craint d'affirmer quelques écrivains qui, contrairement à toute vérité, ont soutenu que la Révolution n'avait pas eu sa raison d'être, et que tous ses bienfaits avaient été spontanément et libéralement accordés par Louis XVI.

Examinons donc rapidement cette double déclaration du 23 juin, première tentative sérieuse de résistance à la volonté nationale, et qui jeta dans le cœur des patriotes d'ineffaçables soupçons. Et d'abord elle cassait comme illégaux les arrêtés du 17, par lesquels le tiers s'était constitué en Assemblée nationale ; elle maintenait formellement la distinction des trois ordres, séparés en trois chambres, et exceptait des futures délibérations des états généraux tout ce qui concernait les droits antiques et constitutionnels des trois ordres, tels que la forme de la constitution, les propriétés féodales et seigneuriales, les droits utiles et les prérogatives des deux premiers ordres. Le roi, il est vrai, daignait accorder à ses peuples le vote de l'impôt, l'abolition de quelques vieux abus, la suppression du nom de taille, l'abolition des lettres de cachet, avec modification, ce qui équivalait à leur rétablissement sous d'autres formes ; mais il conservait pour les deux premiers ordres de l'État l'exemption des charges personnelles, et recommandait expressément comme des propriétés sacrées les dîmes, cens, rentes, droits et devoirs féodaux et seigneuriaux. Tout cela dit roidement, en termes absolus et blessants pour les communes. Le roi, a écrit un membre de la noblesse peu suspect de partialité en faveur de la Révolution, parla plutôt en despote qui commande qu'en monarque qui discute, avec les représentants du peuple, les intérêts d'une grande nation. Des je veux souvent répétés choquèrent des hommes fatigués de la servitude, impatients de conquérir la liberté[27]. Après avoir menacé les états de se considérer comme le seul représentant de ses peuples dans le cas où ils l'abandonneraient dans l'entreprise des réformes dont l'exposé venait d'être lu par un des secrétaires d'État, il leur ordonna de se séparer tout de suite et de se réunir le lendemain dans leurs chambres respectives pour y continuer leurs travaux. Puis il sortit.

Sur ses pas se retirèrent également l'ordre de la noblesse tout entier et une partie du clergé ; mais les députés des communes, calmes et silencieux, demeurèrent à leur place, se disant tous, sous l'empire d'un même sentiment, que là où ils étaient, là était l'Assemblée nationales Et en effet, quand M. de Brézé rentra dans la salle et dit au président : Vous avez entendu l'ordre du roi, Mirabeau se chargea de répondre pour tous : Oui, monsieur, nous avons entendu les intentions qu'on a suggérées au roi, et vous qui ne sauriez être son organe auprès des états généraux, vous qui n'avez ici ni place, ni voix, ni droit de parler, vous n'êtes pas fait pour nous rappeler son discours. Cependant, pour éviter toute équivoque et tout délai, je vous déclare que, si l'on vous a chargé de nous faire sortir d'ici, vous devez demander des ordres pour employer la force, car nous ne quitterons nos places que par la puissance de la baïonnette[28]. M. de Brézé se retira tout interdit. L'Assemblée, après avoir déclaré qu'elle persistait dans ses précédents arrêtés, consacra sa souveraineté en décrétant l'inviolabilité de ses membres.

Le lendemain commença la procession des membres du clergé et de la noblesse qui venaient se réunir aux députés du tiers, en adoptant le principe de la vérification en commun et du vote par tête. Le 26, on vit arriver quarante-sept membres de la noblesse, ayant à leur tête le duc d'Orléans[29]. Le branle était donné ; tous suivirent. Le 28 juin, vers cinq heures du soir, la réunion était consommée. Les communes avaient vaincu.

A cette nouvelle, il y eut dans Versailles une véritable explosion de joie ; le soir, l'allégresse publique se traduisit par des illuminations générales et des réjouissances sur toutes les places.

 

VI

Tandis qu'à Paris l'enthousiasme excité par le triomphe des communes dominait les inquiétudes causées par la rareté des subsistances, la mauvaise qualité du pain et les souffrances populaires ; tandis que les électeurs, se constituant en assemblée politique, demandaient l'organisation d'une garde bourgeoise et rédigeaient des adresses pour l'éloignement des troupes ; tandis que le peuple courait délivrer quelques soldats des gardes françaises incarcérés à l'Abbaye pour avoir juré hautement de ne jamais exécuter d'ordres contraires aux décrets de l'Assemblée, et fraternisait avec eux, la cour songeait à prendre sa revanche des défaites de la noblesse et du clergé, qu'elle considérait comme un échec personnel.

L'Assemblée n'était pas indifférente à tous ces mouvements de la capitale, et quand une députation de jeunes gens vint la prier d'intercéder en faveur des gardes françaises, elle consacra toute une séance à l'examen de cette question, et finit par rédiger une adresse au roi pour obtenir sa clémence. Quelques membres eussent certainement désiré plus. Vous savez, écrivait Robespierre à son confident d'Arras, vous savez quelle preuve de patriotisme les gardes françoises ont donnée à la nation, non-seulement en refusant de servir la tyrannie, mais en faisant souscrire à d'autres corps militaires l'engagement de ne jamais tourner leurs armes contre le peuple[30]. Les formes de respect dont l'Assemblée prenait soin d'entourer ses relations avec la personne du roi — car presque tout entière elle était sincèrement royaliste — ne suffisaient pas à désarmer un parti violemment irrité, qui ne rêvait rien moins que le renvoi pur et simple des états. La reine, le comte d'Artois, les courtisans, la plupart des ministres, encouragés par la résistance d'une partie de la noblesse, qui, réunie chez le duc de Luxembourg, s'amusait à protester contre les décrets de l'Assemblée nationale, essayaient de porter Louis XVI aux résolutions extrêmes. Et comme tout ce qu'on tramait dans les conciliabules de la cour ne tardait pas à transpirer au dehors, des bruits sinistres se répandaient, auxquels l'incessante arrivée de nouvelles troupes donnait une certaine consistance. Il y a quelques jours, écrivait encore Robespierre, le despotisme et l'aristocratie, déconcertés par la fermeté peut-être inattendue de six cents représentants du tiers état, réunissoient tous leurs efforts pour échapper par les derniers attentats à la ruine dont ils se croient menacés[31]. De là cette multitude de troupes rassemblées autour de Paris et de Versailles. Trente régiments, en effet, marchaient sur la capitale. On prenait bien pour prétexte la nécessité de rétablir la tranquillité publique ébranlée, mais le véritable motif, c'était la dissolution des états[32].

Toutefois l'Assemblée avait alors une telle puissance, elle s'était si bien identifiée avec la nation dont elle était l'âme en quelque sorte, qu'il eût été difficile d'y porter atteinte sans exposer le pays à toutes les calamités d'une guerre civile. Elle ne manquait pas, d'ailleurs, de veiller sur elle-même avec un soin jaloux. Dans la séance du 8 juillet, Mirabeau, après avoir tracé un sombre tableau des menées contre-révolutionnaires et dénoncé cet appareil militaire plus imposant qu'il ne faudrait même si l'on était menacé d'une invasion ennemie, proposa d'adresser au roi des représentations respectueuses pour lui demander le prompt renvoi des troupes. On accueillit sa motion par les plus vifs applaudissements, et lui-même-fut chargé de la rédaction de cette adresse.

Le lendemain il présenta son projet, que l'Assemblée adopta sans discussion. C'était une invitation très-polie, obséquieuse même, mais ferme en même temps, au roi de renvoyer dans leurs garnisons les régiments récemment arrivés sous les murs de Paris et de Versailles. Mirabeau n'accusait pas le roi, il s'en prenait seulement à ces courtisans dangereux qui osaient assiéger le trône de leurs réclamations égoïstes et abuser le meilleur des princes. Puis, après avoir signalé le danger de mettre aux prises des soldats français et le peuple, il conjurait le monarque d'éloigner surtout les troupes étrangères payées pour défendre et non pour troubler le pays. Cette adresse eut l'entière approbation de Robespierre, dont l'opinion sur Mirabeau semble s'être sensiblement modifiée vers cette époque. Vous connaissez sans doute, écrit-il à son ami Buissart, une adresse au roi, présentée de la part de l'Assemblée nationale et rédigée par le comte de Mirabeau, qui, depuis quelque temps, s'est très-bien montré, ouvrage vraiment sublime et plein de majesté, de vérité et d'énergie[33].

Bien que nous n'ayons aucunement l'intention de refaire, à propos de Robespierre, l'histoire complète de la Révolution française, ce qui nous entraînerait à des développements beaucoup trop étendus pour le cadre que nous nous sommes tracé et dont nous ne voulons pas sortir, il nous a bien fallu indiquer sommairement, avec le plus de concision possible, les événements qui se sont passés jusqu'à ce jour, parce que d'abord c'était indispensable pour la clarté de notre récit, parce que ensuite Robespierre a dû prendre aux premières délibérations de l'Assemblée une part beaucoup plus active qu'on ne pourrait le croire en lisant le Moniteur ou les autres journaux de l'époque, qui, la plupart du temps, ne rapportent même pas ses paroles, et, lorsqu'ils les mentionnent très-brièvement, se contentent de désigner ainsi l'orateur : Un membre des communes, ou M***[34]. C'est qu'en effet, au début de la Constituante, il était à peine écouté de ses collègues ; son rôle fut modeste et un peu effacé. Ce n'était pas le talent qui lui manquait, mais il n'arrivait pas, comme d'autres, précédé d'une réputation bruyante ; sa renommée n'avait guère dépassé les limites de l'Artois, rien en lui n'éveillait encore la curiosité. Camille Desmoulins, son camarade de collège, qui bientôt devait le porter aux nues, ne le signale même pas, dans sa France libre, parmi ces tribuns éloquents, auxquels il attribue l'honneur de l'affranchissement du pays. Lui-même, n'étant pas encouragé par cette attention bienveillante que les assemblées accordent à ceux qui s'imposent à elles par une grande notoriété, se trouvait singulièrement gêné dans les premiers temps. Il avouait à l'un des secrétaires de Mirabeau qu'il tremblait toujours en abordant la tribune, et qu'il ne se sentait plus au moment où il commençait à parler[35].

Cependant, on s'en souvient, sa verte réponse à l'archevêque d'Aix avait été écoutée avec une faveur marquée, et dès le commencement du mois de juillet il était sans doute parvenu à se faire remarquer de ses collègues, puisque nous le voyons figurer au nombre des vingt-quatre députés choisis pour aller présenter au roi l'adresse rédigée par Mirabeau[36]. Du reste, il était tellement inconnu que la plupart des feuilles publiques et même les secrétaires de l'Assemblée estropiaient indignement son nom[37]. Il eut donc une peine infinie à rompre la glace ; mais il était de la trempe des forts ; soutenu par un patriotisme invincible, il ne se rebuta point, et si ses premiers discours, dont la trace a été à peine gardée par les journaux du temps, produisirent peu d'effet, le temps n'était pas très-éloigné où toutes ses paroles devaient être recueillies comme des oracles.

Le vendredi 10 juillet, dans la soirée, il alla avec ses collègues faine entendre au monarque, suivant l'expression de Mirabeau, le langage des hommes libres dans ce palais souillé des viles adulations de Louis XIV, et où, en ce moment même, se trouvaient les conspirateurs qui voulaient armer Louis XVI contre son peuple[38]. La réponse du roi, vague, sèche et menaçante, ne satisfit ni la députation, ni l'Assemblée, dont une partie se montra profondément affligée[39]. C'était, écrivait Robespierre, l'œuvre de ces perfides conseillers qui, dans des conciliabules tenus chez le comte d'Artois, chez madame de Polignac et leurs adhérents, ne cessoient de tramer la perte de l'Assemblée nationale[40]. La cour semblait ne rien négliger pour justifier les craintes universellement répandues. On eût dit qu'un vaste camp s'étendait de Paris à Versailles. Partout des soldats, écrit encore Robespierre ; un train d'artillerie considérable avait été déposé jusque dans les écuries de Marie-Antoinette. Dans le jardin du château, on voyait bivaquer des régiments allemands caressés, régalés par le comte d'Artois, par la Polignac et par la reine[41]. L'Assemblée nationale, ajoute-t-il, opposa une fermeté intrépide à l'audace et à la violence dont elle était menacée. Calme au milieu du danger, elle écoutait tranquillement la lecture d'un projet de déclaration des droits de l'homme, proposée par La Fayette.

Tout à coup on apprend le renvoi brutal de Necker, le ministre cher au peuple, et le remplacement des autres ministres par les hommes les plus impopulaires, tels que Breteuil, de Broglie et Foulon. On sait de quelle exaspération tous les esprits furent saisis à cette nouvelle, et les résultats graves qui s'ensuivirent dans Paris. Le 13 juillet, l'Assemblée, tout émue, prit les résolutions les plus énergiques. Invité à occuper le fauteuil en l'absence du président, l'abbé Grégoire, qui plus tard devait avoir l'honneur de provoquer l'abolition de la royauté, improvisa un discours violent sur les tentatives de la tyrannie, rappela à ses collègues leur serment du Jeu de Paume, et, par une allusion à la tranquillité courageuse avec laquelle l'Assemblée se montrait disposée à braver les périls, il termina par cette citation du vers d'Horace :

Si frætus illabatur orbis, impavidum ferient ruinæ[42].

Au récit des événements dont Paris était le théâtre, l'Assemblée nationale décide l'envoi immédiat d'une nouvelle députation au roi pour lui demander itérativement le renvoi des troupes et l'établissement d'une garde bourgeoise. La réponse de Louis XVI ne lui ayant pas paru satisfaisante, elle déclara solennellement qu'elle ne cesserait d'insister sur l'éloignement des troupes et l'institution d'une garde bourgeoise ; qu'entre elle et le roi il ne saurait exister d'intermédiaire ; que les ministres, conseils de Sa Majesté, de quelque rang qu'ils fussent — n'était-ce pas désigner la reine et les princes ? — et tous agents de l'autorité civile et militaire étaient personnellement responsables de toute entreprise contraire aux droits de la nation, aux décrets de l'Assemblée, et des malheurs présents ou de ceux qui pourraient survenir ; que la dette publique était mise sous la garde de l'honneur et de la loyauté française ; enfin qu'elle persistait dans ses précédents arrêtés, notamment ceux des 17, 20 et 23 juin, trois dates immortelles à inscrire au panthéon de l'histoire.

On décréta ensuite que la séance serait permanente. Dans ces circonstances critiques, écrit Robespierre, nous restâmes assemblés trois jours et trois nuits pour être en état de prendre promptement les délibérations que les événements pouvoient précipiter[43].

 

VII

Tandis que l'Assemblée votait ces vigoureuses résolutions, les événements se précipitaient à Paris avec une célérité prodigieuse. Le 13, un comité permanent, établi à l'hôtel de ville, organisait la garde nationale, et pour signe de ralliement adoptait cette cocarde rouge et blanche qui, transformée quelques jours après en cocarde tricolore, devait, suivant la prophétie de La Fayette, faire le tour du monde ; une armée patriotique s'improvisait comme par enchantement ; le 14, la Bastille tombait au pouvoir du peuple ; et MM. de Launay et Flesselles payaient de leur vie l'irréparable faute, le premier, d'avoir tourné contre les Parisiens les canons de l'antique forteresse de Charles V ; le second, d'avoir fait croire par des tergiversations fatales qu'il était de connivence avec la cour.

A cette nouvelle, parvenue à Versailles dans la soirée, l'Assemblée dépêcha au roi une députation de cinquante membres. Cette fois la réponse fut un peu plus satisfaisante. Et cependant, dans cette nuit suprême où les scènes sanglantes de la journée chassaient le sommeil de tous les yeux, la cour songeait encore à se débarrasser des états. Les régiments étrangers, rangés sur la terrasse de l'Orangerie, reçurent la visite des princes et des princesses, burent et dansèrent en présence d'une troupe de femmes, de courtisans, d'hommes vendus au despotisme[44] et entonnèrent des chants insultants pour la nation. Ce fut ce qui donna lieu le lendemain à la fameuse apostrophe de Mirabeau, au moment où une autre députation se disposait à se rendre au château : Dites au roi que les hordes étrangères dont nous sommes investis ont reçu hier la visite des princes, des princesses, des favoris, des favorites. Les membres de la députation allaient partir quand on annonça l'arrivée de Louis XVI, qui, par un mouvement spontané, s'était décidé à une démarche habile, dont l'issue pouvait lui être très-favorable. Ses paroles, en effet très-rassurantes, furent accueillie avec des marques non équivoques d'enthousiasme et d'affection. C'est moi qui me fie à vous, dit-il aux représentants de la nation, et peur la première fois il donna à l'assemblée le nom d'Assemblée nationale qu'il lui avait refusé jusqu'à ce jour. Alors des transports de joie éclatèrent de toutes parts[45]. En présence du monarque abaissant son orgueil devant la nation représentée, Robespierre ne peut se défendre d'un certain attendrissement ; voici en quels termes il raconte cette visite : Le roi vint tout à coup à l'Assemblée nationale, sans gardes, accompagné de ses deux frères, lui déclarer qu'il se fioit à elle, et qu'il venoit invoquer ses conseils dans la crise funeste où se trouvoit l'État. Cette déclaration fut reçue avec des applaudissements incroyables, et le monarque fut reconduit de la salle nationale à son château avec des démonstrations d'enthousiasme et d'ivresse qu'il est impossible d'imaginer[46].

Quel spectacle, en effet, que celui d'un roi de France, d'un descendant de l'orgueilleux Louis XIV, se retirant à pied et sans gardes, au milieu d'une immense cohue de peuple emplissant les rues et garnissant les arbres, les grilles et jusqu'aux statues ! Le silence des peuples est la leçon des rois, s'était écrié un membre de l'Assemblée, au moment où l'on annonçait la visite royale[47] ; mais ses applaudissements sont leur récompense, et ce jour-là Louis XVI se trouva largement payé de sa condescendance envers l'Assemblée nationale. La joie se peignait sur tous les visages ; partout on criait : Vive le roi ! Vive la nation ! et quand, à l'arrivée de son mari, la reine parti avec lui sur le grand balcon, tenant le petit dauphin dans ses bras et sa fille par la main, mille cris d'amour et de bénédiction montèrent vers le groupe royal. Hélas ! ce furent les derniers murmures de tendresse qui résonnèrent aux oreilles de Marie-Antoinette, et ils furent impuissants à rattacher à la cause de la Révolution l'altière fille de Marie-Thérèse. Étrangère désormais à ce peuple que peut-être elle eût pu fléchir, elle va bientôt devenir l'objet de l'animadversion publique, et n'entendra plus retentir au-dessous d'elle que des explosions de fureur et de haine.

 

VIII

Cependant des bruits alarmants se répandaient au château. Les Parisiens armés allaient, disait-on, arriver à Versailles pour inviter le roi à venir visiter sa capitale. Louis XVI, inquiet, pria aussitôt, par un message, l'Assemblée d'envoyer des députés au-devant des Parisiens, afin .de les engager à retourner sur leurs pas, en leur promettant que le roi lui-même se rendrait le lendemain, de sa personne, dans sa capitale[48].

Les députés partirent vers trois heures au nombre de cent et ne rencontrèrent personne. Ils furent assez étonnés, en entrant dans Paris, de voir cette ville, d'apparence si paisible d'ordinaire, transformée en un vaste camp et comme couverte d'une forêt de fusils[49]. La réception qu'on leur fit fut toute triomphale, depuis la barrière jusqu'à l'hôtel de ville. Là le conseil permanent nomma tout d'une voix La Fayette commandant général de la milice parisienne, et Bailly prévôt des marchands, ou plutôt maire de Paris, nouveau titre donné au premier magistrat de la grande cité. Les députés revinrent dans la nuit à Versailles, emportant le vœu des habitants de voir bientôt le roi dans leurs murs et Necker rappelé. Mais quand le nouveau maire, mandé au château pour rendre compte des dispositions de la capitale, transmit à la cour les désirs exprimés par les Parisiens, le voyage du roi était déjà une chose convenue ; il fut différé d'un jour, voilà tout[50].

Le lendemain 16, vers dix heures, l'Assemblée apprit avec la plus vive satisfaction que le roi, se rendant au vœu populaire, renvoyait ses ministres, rappelait Necker et se disposait à aller visiter sa capitale. Douze membres partirent aussitôt pour Paris afin d'annoncer cette bonne nouvelle aux habitants, qui se préparèrent à recevoir dignement le monarque. L'espérance emplissait alors tous les cœurs ; nul ne soupçonnait encore les défaillances, les trahisons futures qui devaient allumer tant d'ardentes colères. On ne songeait qu'à la paix et à la concorde scellées sur les ruines de la Bastille ; l'ovation du lendemain allait être en quelque sorte la consécration de la nouvelle royauté constitutionnelle. Une seule chose aurait pu assombrir la joie publique si tout d'abord on y avait attaché quelque importance. Au moment où le roi se préparait à resserrer les liens d'intimité qui doivent unir un chef d'État aux citoyens qu'il a l'honneur de gouverner, le comte d'Artois, les princes de Condé et de Conti, la famille Polignac, le maréchal de Broglie, le prince de Lambesc, Lenoir, de Villedeuil et quelques courtisans quittaient la cour pour se rendre en pays étranger et susciter à la Révolution d'implacables ennemis. C'était le premier convoi de l'émigration.

Cent membres furent désignés pour accompagner le roi[51]. Robespierre en était. Mais, en dehors de la députation officielle, une partie de l'Assemblée, entraînée par la curiosité, avide d'un spectacle inouï jusqu'ici, s'unit au cortège royal. On connaît toutes les relations publiées de ce voyage, mais celle de Robespierre, que nous avons manuscrite sous les yeux, est complètement ignorée. Témoin oculaire et acteur lui-même dans cet important événement, il en a minutieusement noté et décrit toutes les scènes ; et, séduit par la grandeur du spectacle, il s'est laissé aller à des élans d'enthousiasme que nous ne saurions passer sous silence. Suivons donc avec lui le roi à Paris. Aussi bien ce voyage de Louis XVI, raconté par Robespierre, est assez curieux pour qu'on s'y arrête un instant.

Le roi était monté dans une voiture très-simple où se trouvaient avec lui les ducs de Villeroi et de Villequier. Elle s'avançait lentement au milieu de deux files de députés, escortée seulement par un détachement de la garde bourgeoise de Versailles. A Sèvres le cortège s'accrut d'une masse considérable de citoyens venus à sa rencontre et faisant partie de la garde nationale. — C'était le nom nouveau, consacré désormais, dont avait été baptisée la milice parisienne. — Arrivé à la porte de la Conférence — barrière de Passy —, le roi fut reçu par La Fayette et par Bailly, lequel, en lui remettant les clefs de la ville, commença sa harangue par cette phrase restée célèbre : Ce sont les mêmes qui ont été présentées à Henri IV. Il avait reconquis son peuple ; ici c'est le peuple qui a reconquis son roi. L'affluence des citoyens armés et non armés, amoncelés sur tous les points, couvrant les faîtes des maisons, les moindres éminences, les arbres même, et surtout ces femmes qui décoroient les fenêtres des édifices, et dont les battements de mains et les transports patriotiques ajoutoient autant de douceur que d'éclat à cette fête nationale impressionnèrent singulièrement Robespierre. Il ne put se défendre d'une profonde émotion en rencontrant des moines revêtus des couleurs nationales, et en voyant sur le portail des églises les prêtres en costume portant sur leurs étoles la cocarde tricolore. Mais ce qui émerveillait le député d'Arras devait moins plaire à Louis XVI, et pour le roi la première partie de ce voyage fut assez triste ; car, si les acclamations de l'innombrable foule étaient vives, elles n'avaient rien de sympathique à sa personne ; et la scène, pour être grandiose, n'était pas de nature à offrir beaucoup d'attraits à un cœur habitué aux adulations des courtisans. Il est impossible, écrit Robespierre, d'imaginer un spectacle aussi auguste et aussi sublime, et encore plus les sensations qu'il excitoit dans les âmes capables de sentir. Figurez vous un roi au nom duquel on faisoit trembler la veille toute la capitale et toute la nation, traversant dans l'espace de deux lieues une nuée de citoyens rangés sur trois files dans toute l'étendue de cette route, parmi lesquels il pouvoit reconnaître ses soldats, entendant partout le peuple criant : Vive la nation ! vive la liberté ! cri qui frappait pour la première fois ses oreilles[52].

Lorsqu'à la porte de l'hôtel de ville le roi descendit de voiture, le nouveau prévôt des marchands, M. Bailly, à qui ses concitoyens venoient de déférer cette charge, à laquelle le gouvernement nommoit auparavant, continue Robespierre, lui adressa encore quelques mots en lui offrant la cocarde tricolore, que Louis XVI s'empressa d'attacher à son chapeau. Alors les cœurs semblèrent s'ouvrir pour lui, et de bruyantes acclamations éclatèrent. Ému et rassuré, il monta, toujours accompagné de la députation de l'Assemblée nationale, et sous un berceau d'épées entrelacées, l'escalier de l'hôtel de ville. Dans la grande salle l'attendait le corps électoral, dont le président, Moreau de Saint-Meri, lui adressa ces paroles libres dans un discours flatteur : Vous deviez votre couronne à la naissance, vous ne la devez plus qu'à vos vertus et à la fidélité de vos sujets[53]. D'unanimes applaudissements retentirent alors, et Louis XVI devint l'objet des démonstrations les plus expressives de joie et de tendresse. Timide de son naturel, trop émotionné pour parler, il pria le maire de répondre en son nom, et ajouta seulement ces mots : Vous pouvez toujours compter sur mon amour[54]. En revenant, il trouva sur son passage la population beaucoup mieux disposée ; la cocarde nationale lui tint lieu de talisman. En le voyant décoré de ce signe de la liberté, le peuple cria à son retour : Vive le roi et la nation ![55] Grande était l'inquiétude à Versailles. Aussi, quand vers neuf heures du soie Louis XVI arriva au château, la reine, à qui ses méfiances inspirèrent tant de déplorables résolutions, le serra-t-elle avec emportement dans ses bras, comme s'il venait d'échapper à de terribles dangers.

 

IX

Robespierre n'était pas retourné à Versailles avec le roi. Emerveillé du spectacle étrange qu'offrait cette population parisienne, transformée subitement en armée, et qui, au milieu du désordre présent, savait si bien maintenir la tranquillité et la sécurité dans la ville, il avait voulu visiter le Palais-Royal, devenu le forum du Paris de 1789, et surtout la prison célèbre où, trois jours auparavant, la Révolution s'était décidément affirmée, et qu'on venait de livrer à la pioche des démolisseurs. J'ai vu la Bastille, écrit-il ; j'y ai été conduit par un détachement de cette bonne milice bourgeoise qui l'avoit prise ; car après que l'on fut sorti de l'hôtel de ville, le jour du voiage du roi, les citoiens armés se fesoient un plaisir d'escorter par honneur les députés qu'ils rencontroient, et ils ne pouvoient marcher qu'aux acclamations du peuple. Que la Bastille est un séjour délicieux, depuis qu'elle est au pouvoir du peuple, que ses cachots sont vuides, et qu'une multitude d'ouvriers travaillent sans relâche à démolir ce monument odieux de la tirannie ! Je ne pouvois m'arracher de ce lieu, dont la vue ne donne plus que des sensations de plaisir et des idées de liberté à tous les citoiens[56].

L'institution de la garde nationale lui paraissait surtout admirable. L'idée d'un grand peuple se gardant par lui-même, toujours prêt à maintenir l'ordre dans son sein, sans le secours de soldats au service d'intérêts particuliers, souriait à cet esprit animé d'un si sincère patriotisme ; et, sans aucun doute, il fut du nombre des députés qui, le 18, demandèrent l'organisation immédiate des milices bourgeoises. Déjà, du reste, un certain nombre de villes, Versailles et Saint-Germain entre autres, sans attendre le décret de l'Assemblée, avaient établi une garde citoyenne à l'instar de celle de Paris. Robespierre le constate avec plaisir, et il espère que la France entière ne tardera pas à adopter cette institution nécessaire, non-seulement pour assurer la tranquillité publique, mais pour défendre la liberté de la nation contre les entreprises qu'elle peut craindre encore de la part du despotisme et de l'aristocratie, qui se sont, dit-il, étroitement alliés dans le temps où nous sommes. Il engage donc vivement l'ami auquel il écrit à provoquer dans leur cité natale l'établissement d'une pareille institution.

A cette époque, beaucoup de villes, pour témoigner leur reconnaissance à l'Assemblée nationale, lui avaient déjà fait parvenir des adresses d'adhésion à tous ses décrets, empreintes du patriotisme le plus ardent. Lyon, Grenoble, Nantes, avaient donné l'exemple ; et dans d'éloquentes protestations de dévouement aux représentants de la nation, les citoyens de ces grandes cités s'étaient déclarés prêts à se sacrifier aussi pour la cause de la patrie et de la liberté. A Angers se passa une scène qui prouve avec quel empressement ce peuple français, déshabitué depuis tant de siècles de la vie politique, s'y façonnait à présent. Les échevins avaient, au nom de la ville, envoyé une adresse à l'Assemblée constituante sans consulter les habitants ; ceux-ci alors s'étaient réunis spontanément, et après avoir protesté contre la conduite de leurs magistrats municipaux, ils avaient eux-mêmes rédigé une autre adresse que les députés de la province d'Anjou avaient prié l'Assemblée de considérer comme le vœu officiel de la ville d'Angers. Ni Arras ni les autres villes de l'Artois n'avaient encore suivi ces patriotiques exemples. Robespierre s'en plaint d'autant plus amèrement que, selon lui, leur proximité les mettait à même de devancer le zèle de toutes les provinces du royaume. Serions-nous donc forcés de rougir ici pour notre pays et de le voir seul garder le silence ? s'écrie-t-il. Si les échevins d'Arras refusent de réunir leurs concitoyens pour statuer avec eux sur les adhésions qu'il convient d'envoyer à l'Assemblée, poursuit-il, c'est aux habitants à imiter ceux d'Angers et à se réunir eux-mêmes, sûrs qu'on ne leur contestera pas un droit qui, au besoin, leur serait garanti par l'Assemblée nationale.

Robespierre envisageait la garde nationale, dont il recommandait l'institution à ses concitoyens, comme le meilleur moyen de remédier pacifiquement aux agitations qui de proche en proche gagnaient toutes les provinces. La cherté des subsistances, la crainte de la disette avaient occasionné sur quelques points du royaume d'assez graves désordres. Dans la séance du 20 juillet, Lally-Tollendal se leva tout ému, et, après avoir dénoncé les scènes de violence dont plusieurs provinces avaient été le théâtre, il proposa à ses collègues d'adresser au peuple une proclamation énergique pour lui rappeler tous les bienfaits du roi et l'inviter à ne plus troubler la paix publique. Ce projet d'adresse, lu à la tribune, reçut l'approbation d'un grand nombre de membres, mais quelques-uns y trouvèrent des expressions hasardées et des dispositions contraires aux principes[57]. En effet, les termes en étaient d'une élasticité dangereuse et pouvaient aisément donner prise à l'arbitraire. Était-ce bien le moment de réclamer la répression sévère d'agitations inséparables de la crise présente, et redoutables au seul despotisme ? Et quand on pouvait craindre de sa part des retours offensifs, était-il bien opportun de déclarer mauvais citoyens ceux qui s'armaient pour la défense de la cause nationale ? C'est ce que comprit très-bien Robespierre. Il faut aimer la paix, dit-il, mais aussi il faut aimer la liberté ! On parle d'émeute ! mais, avant tout, examinons la motion de M. Lally. Je la trouve déplacée, parce qu'elle est dans le cas de faire sonner le tocsin. Déclarer d'avance que des hommes sont coupables, qu'ils sont rebelles, est une injustice. Elle présente des dispositions facilement applicables à ceux qui ont servi la liberté et qui se sont soulevés pour repousser une terrible conjuration de la cour. Puis, après avoir montré à côté de Poissy, troublé par la faute des accapareurs, la Bretagne en paix, la Bourgogne tranquille, il engagea l'Assemblée à repousser les mesures précipitées et à ne pas adopter une proclamation de nature à porter l'alarme dans le cœur des bons citoyens, au moment où les intrigues des ennemis de la Révolution pouvaient rendre nécessaire encore l'énergie de tous les patriotes[58].

Soutenue par de Gleizen et Buzot, son opinion triompha ce jour-la, et la motion de Lally-Tollendal fut renvoyée à l'examen des bureaux. Si, quelques jours après, le 23, l'Assemblée constituante se décida à la voter, ce fut avec de profondes modifications, et sous l'impression d'un double meurtre accompli la veille en place de Grève.

Foulon a été pendu hier par arrêt du peuple ; tels sont les derniers mots de la longue lettre de Robespierre, qui nous a permis de préciser son rôle pendant les quelques jours antérieurs et postérieurs à la prise de la Bastille. Affreuses sans doute ont été les exécutions populaires dont Foulon et Berthier furent les victimes ; mais il s'en faut de beaucoup qu'elles aient excité à cette époque les répugnances avec lesquelles nous les envisageons aujourd'hui. Le sang qui coule est-il donc si pur ? n'avait pas craint de s'écrier Barnave. C'est qu'en effet de bouche en bouche circulaient ces mots féroces attribués à Foulon par presque tous les écrits du temps : Si j'étais ministre, je ferais manger du foin aux Français ! et il avait été ministre. La Fayette lui-même, en essayant de le sauver, déclarait hautement qu'il le considérait comme un grand scélérat[59]. Enfin, lorsque Lally-Tollendal reproduisait sa motion, il avait soin de dire que les coups terribles portés par un ministère coupable avaient amené ces catastrophes effrayantes[60]. Pour nous qui, profitant de l'œuvre de nos pères, avons le bonheur de vivre dans un temps où les mœurs plus douces ne permettraient sans doute pas le retour de pareilles scènes, nous avons raison de déplorer ces immolations inutiles ; mais n'oublions jamais qu'à l'heure où elles se commettaient, sous le règne même de l'Assemblée nationale, la torture et le supplice de la roue étaient encore usités pour des faits moins graves que ceux reprochés à Foulon ; n'oublions pas surtout que quelques jours auparavant, en comparant les soudaines vengeances de la multitude avec les méprises et les sanguinaires maximes des tribunaux d'alors, Mirabeau venait d'écrire : Si la colère du peuple est terrible, c'est le sang-froid du despotisme qui est atroce ; ses cruautés systématiques font plus de malheureux en un jour que les insurrections populaires n'immolent de victimes pendant des années[61].

 

X

Quand, le 23 juillet, à la nouvelle des meurtres qui avaient ensanglanté la capitale, Lally-Tollendal eut de nouveau présenté sa motion, Mirabeau répondit en proposant comme remède suprême la réorganisation de la municipalité parisienne. Barnave trouva qu'on était bien prompt à s'alarmer pour des orages dont les révolutions sont rarement exemptes. Les fureurs du peuple venaient, suivant lui, de l'impunité dont se targuaient de grands criminels envers la nation. Il fallait instituer une justice légale pour la répression des crimes d'État, alors le peuple s'apaiserait de lui-même et rentrerait dans l'ordre. C'était aussi l'avis de Robespierre.

Le même jour, dans la séance du soir, la motion de Lally fut reprise et discutée. Aux yeux d'un grand nombre de membres, elle avait le tort de ne pas offrir assez de garanties aux citoyens contre les entreprises du gouvernement. L'Assemblée leur donna satisfaction en décidant, en principe, la poursuite des agents de l'autorité coupables du crime de lèse-nation, et la création d'un comité destiné à recevoir les dénonciations contre les auteurs des malheurs publics. Il était une heure du matin quand la commission de rédaction, chargée de modifier le projet de Lally dans le sens des amendements acceptés par l'Assemblée, vint donner lecture de son travail. La proclamation fut enfin votée, non toutefois sans avoir subi de nouvelles modifications proposées par Robespierre[62]. D'après ces modifications, l'adresse portait que tous les dépositaires du pouvoir convaincus d'attentat envers le peuple seraient punis, mais seulement suivant les formes prescrites par la loi ; qu'en conséquence, dans la nouvelle constitution dont elle s'occupait sans relâche, l'Assemblée aurait soin d'indiquer le tribunal devant lequel seraient traduits les criminels de lèse-nation, afin qu'ils y fussent jugés selon la loi, et après une instruction publique.

C'était assurément d'une bonne précaution, car le peuple commençait à devenir terriblement soupçonneux, et lorsque de jour en jour on voyait s'expatrier les principaux personnages de la cour, tout concourait, il faut le dire, à exciter ses défiances. Dans la soirée du 24, le baron de Castelnau, ministre de France à Genève, fut trouvé porteur de plusieurs lettres, dont l'une était à l'adresse du comte d'Artois. Alors tout était suspect, tout exigeait la plus grande circonspection, dit Bailly[63]. Le maire de Paris s'empressa donc d'envoyer ces lettres au président de l'Assemblée nationale. On était en ce moment sous l'impression d'une catastrophe récemment arrivée chez un ancien conseiller au parlement de Besançon, M. de Mesmais, qui, ayant engagé les habitants de son canton à venir se régaler dans son château, y avait, disait-on alors, fait jouer une mine pour se venger de l'esprit révolutionnaire de ses invités et causé la mort d'un certain nombre d'entre eux. Les ménagements paraissaient donc hors de saison. Plusieurs membres, parmi lesquels le comte de Châtenay, Reubell et Gouy d'Arcy, demandèrent l'ouverture des lettres saisies sur M. de Castelnau. Sous tous les gouvernements, avant comme après la Révolution, le secret des lettres, on le sait, n'a jamais été une chose bien sacrée, et à aucune époque, même dans les temps les plus calmes, on ne s'est fait faute d'ouvrir des correspondances réputées suspectes[64]. Or, au mois de juillet 1789, quoi de plus propre à éveiller les soupçons qu'une lettre adressée à un prince notoirement hostile à la Révolution, et qui venait de quitter la France avec éclat pour lui chercher des ennemis ?

Nous sommes comme dans un état de guerre, où l'on arrête tout ce qui est suspect, disait Gouy d'Arcy. Cependant l'inviolabilité du secret des lettres fut vivement défendue, non-seulement par Mirabeau et Camus, mais encore par de fougueux partisans de cet ancien régime sous lequel la liberté individuelle était soumise à tous les caprices du despotisme. L'évêque de Langres cita l'exemple de Pompée jetant au feu sans les lire les lettres écrites à Sertorius et tombées entre ses mains. Mais Robespierre, suivant l'expression de Gorsas, foudroya l'argument de l'évêque[65]. Sans doute, dit-il en se tournant vers le prélat, les lettres sont inviolables, je le sais, j'en suis convaincu ; mais lorsque toute une nation est en danger, lorsqu'on trame contre sa liberté, lorsqu'on proscrit les têtes respectables des citoyens, ce qui est un crime dans un autre temps devient une action louable. Eh ! que m'importe qu'on cite César ou Pompée ! Quelle comparaison peut-il y avoir entre un tyran qui avait opprimé la liberté publique et les représentants d'une nation libre, chargés de la rétablir ? Vous avez voulu par votre proclamation apaiser le peuple en lui promettant la punition de ses ennemis, il faut donc conserver les preuves de leurs crimes ; je vous laisse le soin de peser ces considérations[66]. Malgré l'impression très-vive causée par le discours de Robespierre, l'Assemblée déclara par assis et levé qu'il n'y avait pas lieu à délibérer sur le rapport des papiers saisis, et cette décision-rendit quelque audace aux partisans de la cour, singulièrement intimidés depuis la chute de la Bastille. Quelques jours après, il est vrai, elle consacra, par un vote solennel, sur la proposition de Duport, l'établissement d'un comité de recherches chargé de recevoir toutes les dénonciations contre les dépositaires du pouvoir coupables d'entreprises contraires aux intérêts du peuple. Quant au secret des lettres, il devrait toujours demeurer inviolable, selon nous, bien que de ce temps-ci l'opinion contraire ait reçu une sorte de sanction. Nous verrons du reste que si, dans cette circonstance particulière, Robespierre crut devoir, par exception, demander, lui aussi, qu'on prît connaissance des papiers saisis sur un émissaire des princes émigrés, ce qui n'a aucune espèce d'analogie avec l'ouverture de lettres confiées à la poste, il défendit plus tard avec une extrême énergie le principe de l'inviolabilité du secret des lettres.

Necker venait d'être rappelé. Au moment où il rentrait au ministère, comme un gage de paix entre le peuple et le roi, quelques personnes, profitant de son retour, essayèrent de soustraire à la vindicte des lois M. de Besenval, ce général sur lequel on avait compté pour soumettre la capitale, et récemment arrêté dans sa fuite. A l'hôtel de ville, Necker, dans une heure d'enthousiasme et d'expansion sentimentale, avait obtenu la promesse de son élargissement. Mais l'Assemblée nationale s'éleva vivement contre ce qui lui parut une usurpation de la part de la municipalité parisienne. Il faut, s'écria Camus, apprendre à l'hôtel de ville à se renfermer dans les limites de son devoir et à ne pas rendre d'arrêtés de nature à exaspérer la population. Les électeurs, ajouta Mirabeau, n'ont pas le droit d'amnistie. M. de Besenval doit être détenu ; il n'est même pas au pouvoir de l'Assemblée de l'innocenter arbitrairement. Et Robespierre : Voulez-vous calmer le peuple ? parlez-lui le langage de la justice et de la raison. Qu'il soit sûr que ses ennemis n'échapperont pas à la vengeance des lois, et les sentiments de justice succéderont à ceux de la haine[67]. Volney, Pétion, Bouche, Barnave, Reubell, parlèrent également dans ce sens, et l'Assemblée décida que Besenval serait traduit en jugement.

Le temps n'était plus où les influences de cour pouvaient mettre à l'abri de la loi les coupables privilégiés. Ainsi poussée en avant par Robespierre et les hommes qui, de plus ou moins près, suivaient sa ligne, la Révolution s'avançait, irrésistible comme une marée montante. Encore quelques jours, et tout l'échafaudage de la vieille société française allait être anéanti complètement dans une nuit dont la mémoire des hommes ne perdra jamais le souvenir.

 

XI

Il y a dans la vie des peuples, comme dans celle des individus, des moments d'indescriptible élan, de désintéressement sublime. Alors disparaissent les passions mauvaises, les cœurs palpitent d'une émotion délicieuse, l'humanité se révèle sous ses aspects vraiment divins. Hélas ! vous êtes quelquefois bien courtes, heures des passions généreuses ! mais n'importe, vous n'avez pas sonné en vain, et l'on ne saurait vous évoquer trop souvent ; car vous rappeler aux générations qui grandissent, c'est le meilleur moyen de les encourager aux dévouements magnanimes.

Depuis quelques jours, de sinistres nouvelles arrivaient des provinces ; des troupes d'hommes inconnus parcouraient les campagnes, prêchant partout l'abolition du système féodal et le refus de payement des rentes, dîmes et redevances seigneuriales. Ils entraient dans les châteaux, s'emparaient de tous les papiers, titres et parchemins et en faisaient des feux de joie dans les cours, étranges incendies dont les lueurs allaient éclairer la nuit du h août. Il y avait eu tant de vexations commises au nom des seigneurs, il y avait tant de haines accumulées dans le cœur de ces malheureux paysans, taillables et corvéables à merci, qu'il ne faut pas s'étonner outre mesure si ; sur quelques points du royaume, on ne se contenta pas de s'en prendre aux choses. Le récit de ces événements, dénoncés à l'Assemblée nationale au moment où avaient lieu les débats sur la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, avait produit une vive fermentation. Un assez grand nombre de députés considéraient encore les droits fédéraux comme sacrés. Le 3 août, dans la séance du soir, le comité des rapports proposa un projet de déclaration pour le respect et la conservation des propriétés ; un membre de la noblesse insinua même qu'il fallait bien se garder de toucher à la féodalité jusqu'à l'entier achèvement de la Constitution.

Desmeuniers ayant paru révoquer en doute les faits révélés, Robespierre prit la parole. Assurément, selon lui, il fallait devant les tribunaux une certitude absolue, non équivoque ; mais, devant le corps législatif, de simples allégations par lettres étaient suffisantes pour que l'Assemblée prît tout de suite les mesures les plus propres à prévenir les désordres publics[68].

Ces mesures quelles étaient-elles ? Le Moniteur ne le dit pas. Seulement, quelques instants après, lorsqu'on reprit la discussion relative au projet de déclaration des droits, présenté par le comité des rapports, et que plusieurs membres trouvaient peu convenable, un député, peut-être était-ce Robespierre[69], s'écria : Il ne faut pas appeler droits légitimes des droits injustes et pour la plupart fondés sur la violence. Il ne faut pas parler des droits féodaux ; les habitants des campagnes en attendent la suppression, la demandent dans les cahiers, et ce serait les irriter que de faire une pareille déclaration. Ces observations, fortement appuyées par un député breton, impressionnèrent vivement l'Assemblée.

Le lendemain, à l'ouverture de la séance du soir, deux membres de la noblesse, le vicomte de Noailles et le duc d'Aiguillon, proposèrent l'abolition complète du système féodal comme le meilleur remède à opposer aux insurrections qui éclataient sur tous les points du royaume. Ce ne sont point des brigands, toujours prêts à profiter des calamités publiques pour s'enrichir, qui dévastent les propriétés, détruisent les châteaux et brûlent les titres et parchemins, dit le second ; c'est le peuple tout entier s'insurgeant contre la tyrannie féodale, et cherchant à briser le joug insupportable pesant depuis tant de siècles sur sa tête.

Une fois l'élan donné, il y eut entre les privilégiés comme un assaut de générosité et de sacrifices. En quelques heures on vit disparaître, emportée dans l'irrésistible élan, une institution dont pendant plus de dix siècles nos pères avaient supporté la dure étreinte. Tous les droits féodaux abolis, les uns sans indemnité, les autres moyennant rachat ; suppression des justices seigneuriales, de la vénalité des offices ; abolition du droit exclusif de chasse et de pêche, de toutes les dîmes ecclésiastiques, laïques et inféodées, de tous les privilèges particuliers des provinces, principautés, villes, corporations et communautés ; admission de tous les citoyens, sans distinction de naissance, à tous les emplois et dignités ecclésiastiques, civils et militaires, tout cela fut voté avec un merveilleux empressement, comme si chacun eût eu hâte d'abandonner des privilèges flétris désormais comme de monstrueuses usurpations.

Sans doute, à la veille du 4 août, le système féodal était d'avance frappé de mort ; sans doute, en en provoquant la destruction au nom du droit et de la justice, les grands seigneurs de l'Assemblée ne firent, pour ainsi dire, que demander la sanction d'une chose inévitable et déjà réalisée en fait ; mais il serait injuste de ne pas leur tenir compte des .sacrifices et des renonciations consentis par eux dans une heure de généreux entraînement. Sachons donc honorer les membres de cette noblesse expirante, dont la ruine a été marquée d'un tel cachet de grandeur. Assez tôt, d'ailleurs, nous aurons à maudire ceux qui, regrettant leurs privilèges perdus, essayeront, de les ressaisir par les armes, et, après avoir appelé l'étranger à leur aide, contribueront à déchirer le sein de la patrie.

Tout alors' était joie, concorde, espérance. Dans cette même nuit du h août, sur la proposition de Lally-Tollendal, l'Assemblée décerna à Louis XVI le titre de Restaurateur de la liberté. Ainsi se réalisaient les paroles de Robespierre lorsque, dans son plaidoyer pour un homme injustement détenu, il prononçait, après avoir conseillé au roi de travailler uniquement en vue de l'égalité, du bonheur et de la liberté à rétablir parmi les Français, ces paroles déjà citées : Oh ! quel jour brillant, sire, que celui où ces principes, gravés dans le cœur de Votre Majesté, recevront la sanction inviolable de la plus belle nation de l'Europe, ce jour où, non content d'assurer ce bienfait à votre nation, vous lui sacrifierez encore tous les autres abus, source fatale de tant de crimes et de tant de maux[70].

Les principes étaient proclamés, il s'agissait maintenant de passer à l'application.

 

XII

La réalisation de ces principes, qui paraissait à beaucoup de gens une chimère, Robespierre n'allait pas tarder à la poursuivre avec une volonté, une persévérance que rien ne devait lasser. Chaque fois qu'une motion menaçante pour la liberté se produisait au sein de l'Assemblée, soudain on le voyait apparaître à la tribune. Imperturbable, opposant aux rires et aux moqueries dont il était l'objet de la part du côté droit une indifférence méprisante, ne prenant conseil que de son cœur, il luttait avec une obstination sans égale contre les menées réactionnaires d'une partie des membres de l'Assemblée.

Après le mélange des trois ordres, les royalistes purs s'étaient placés à la droite du président, tandis qu'à sa gauche siégeaient les partisans des idées nouvelles ; au centre était la masse des députés flottant entre l'un et l'autre côté. Assis sur les bancs de l'extrême gauche, Robespierre avait alors auprès de lui les Pétion, les Barnave, les Lameth et les Duport. En aucune occasion on ne le vit transiger avec sa conscience ; toutes les tentatives faites, je ne dirai pas pour le corrompre, mais pour l'amener à une concession, demeurèrent infructueuses ; et pendant que quelques-uns de ses collègues, qui tout d'abord avaient paru attachés comme lui à la cause populaire, passaient dans le parti de la cour, entraînés par la séduction des dignités et des richesses, il demeurait immuable, isolé, digne élève de Rousseau, se couvrant de sa foi comme d'un bouclier impénétrable. Certains de ses collègues, ne soupçonnant ni la hauteur de ses vues, ni la profondeur de ses pensées, pouvaient sourire à ses motions inattendues ; mais d'autres, plus clairvoyants, semblaient déjà deviner en lui le futur régulateur de la Révolution. C'est ce que ne manqua pas d'apercevoir le regard perçant de Mirabeau. Assez grand lui-même pour rendre justice à un collègue, dans lequel il rencontra plus d'une fois un adversaire, il s'exprimait à son égard en ces termes, que nous devons encore rappeler : Cet homme ira loin, car il croit tout ce qu'il dit[71].

La liberté individuelle était, aux yeux de Robespierre, la liberté par excellence, et, selon lui, on ne saurait l'entourer de trop minutieuses garanties. L'arrestation illégale d'un citoyen, en temps ordinaire, lui paraissait un attentat contre la nation, tout le corps social étant frappé quand un de ses membres l'était. Aussi, dans la séance du 21 août, défendit-il résolument quatre citoyens de Marienbourg arrêtés par les ordres du comte d'Esterhazy et déférés au prévôt d'Avesnes, pour avoir concouru à l'élection de nouveaux officiers municipaux à la place des anciens. Le député Salomon, chargé de présenter le rapport sur l'arrestation de ces quatre personnes, ayant proposé le renvoi au pouvoir exécutif, Robespierre s'élança à la tribune, et combattit vivement cet avis. Il regardait cette détention comme un crime national ; en conséquence il était, selon lui, du devoir de l'Assemblée d'ordonner l'élargissement immédiat des quatre citoyens arbitrairement arrêtés, et d'infliger un blâme sévère au comte d'Esterhazy. L'Assemblée nationale décida qu'elle demanderait au garde des sceaux de surseoir à tout jugement jusqu'à ce qu'elle eût elle-même examiné les faits relevés à la charge des personnes détenues[72].

En même temps Robespierre insistait fortement pour que, dans l'article de la déclaration des droits, concernant la liberté individuelle, on introduisît une disposition sévère contre ceux qui rendraient ou exécuteraient des ordres arbitraires. Cette motion fut adoptée[73].

Une autre question de liberté, non moins importante, soulevée dans la discussion sur la déclaration des droits, le ramenait, trois jours après, à la tribune. Il s'agissait, cette fois, de la liberté de la presse, à laquelle, même aux plus mauvais jours de la Révolution, nous le verrons demeurer fidèle. C'était le lundi 24 août. Déjà, la veille, il avait, avec Mirabeau, combattu toute restriction en matière religieuse et contribué à faire rejeter comme contraire à la liberté de conscience l'article XVIII du projet de déclaration du sixième bureau, dans lequel il était question de culte établi. Malheureusement ses paroles n'ont pas été recueillies[74]. La liberté de la presse ne lui semblait pas moins sacrée que la liberté religieuse. Elle importe, en effet, à la dignité de l'homme et à la sécurité du citoyen ; il est donc d'une importance capitale que dans une constitution ou une déclaration de droits elle soit bien exactement définie. Le projet du sixième bureau était vague, insignifiant, par conséquent dangereux. La Rochefoucauld, après avoir démontré les avantages de la presse, à laquelle on devait la destruction du fanatisme et du despotisme, proposa de substituer au projet du comité un article conforme aux plus larges principes de la liberté. Soutenue par Rabaut Saint-Étienne, dont le discours plein de vues profondes impressionna beaucoup l'Assemblée, sa motion fut combattue par Target. Celui-ci prit la parole pour soumettre un nouveau projet, en termes à double sens, enveloppé dans ces restrictions banales où le despotisme trouve toujours à volonté une arme prête à frapper. Alors Robespierre, indigné : Vous ne devez pas balancer à déclarer franchement la liberté de la presse. Il n'est jamais permis à des hommes libres de prononcer leurs droits d'une manière ambiguë ; toute modification doit être renvoyée dans la constitution. Le despotisme seul a imaginé des restrictions ; c'est ainsi qu'il est parvenu à atténuer tous les droits. Il n'y a pas de tyran sur la terre qui ne signât un article aussi modifié que celui qu'on vous propose. La liberté de la presse est une partie inséparable de celle de communiquer ses pensées[75]. Après ces observations et celles de quelques autres membres, l'Assemblée décida, conformément à l'avis de Robespierre, que, la libre communication des pensées et des opinions étant un des droits les plus précieux de l'homme, il était loisible à tout citoyen de parler, d'écrire, d'imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi[76].

Le même jour Robespierre reprit la parole pour discuter les articles du projet de déclaration où il était question de la force publique. Ni son discours ni la rédaction proposée par lui n'ont été conservés ; nous savons seulement qu'il voulait fondre en un seul plusieurs articles du projet du sixième bureau, ce qui fut adopté. Rien de plus libéral, du reste, que l'article voté par l'Assemblée : La force publique, y était-il dit, nécessaire pour la garantie des droits de l'homme et du citoyen, est instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée.

Le lendemain s'ouvrit la discussion sur l'importante question des impôts. Le projet du sixième bureau portait que, la contribution publique étant une portion retranchée de la propriété de tous les citoyens, chacun avait le droit de la consentir librement. Robespierre attaqua cette rédaction comme vicieuse. Parler du droit de consentir, c'était, suivant lui, altérer le principe, donner à la nation un simple veto au lieu de lui laisser l'initiative de la loi en matière de contribution publique et l'entière disposition de l'impôt. La véritable expression était établir. Il soutint ensuite que, loin d'être une portion retranchée de la propriété des citoyens, l'impôt était une portion de cette propriété mise en commun entre les mains de l'administrateur public, simple dépositaire des contributions, et sans cesse obligé d'en rendre compte à la nation. M. Robert-Pierre, dit un journal du temps[77], a représenté avec énergie des principes très-vrais sur le droit qu'a la nation de faire seule la loi de l'impôt. Au projet du sixième bureau il proposa de substituer l'article suivant : Toute contribution publique étant une portion des biens des citoyens mise en commun pour subvenir aux -dépenses de la sûreté publique, la nation seule a le droit d'établir l'impôt, d'en régler la nature, la quotité, l'emploi et la durée. L'Assemblée n'adopta pas cette rédaction, mais elle modifia profondément celle du sixième bureau, et, dans la suite, nous la verrons, en matière d'impôts, se laisser constamment diriger d'après les principes exprimés par Robespierre.

L'avant-dernier article de la déclaration consacrait la séparation des pouvoirs ; il essaya de le faire rejeter en demandant la question préalable, parce que le principe de la séparation des pouvoirs lui semblait complètement étranger à une déclaration de droits ; mais l'Assemblée n'admit pas ses idées à cet égard. Le même jour, le projet de déclaration des droits de l'homme et du citoyen fut adopté dans son ensemble.

Certes, en relisant cette déclaration, imposant manifeste d'une société affranchie de la veille, et s'élançant à travers les obstacles vers des horizons inconnus, nous avons droit d'être fiers de nos pères. Ce n'est pas encore le dernier terme de la Révolution ; ce ne sont pas des droits aussi impérieusement affirmés que dans la fameuse déclaration nationale lue à la Convention par Maximilien Robespierre, mais quelle route parcourue en trois mois ! La féodalité anéantie, le despotisme déraciné, les droits des peuples révélés au monde dans une sorte de catéchisme national, suivant l'expression de Barnave ! Comme celle de la Convention, qui ne sera que son développement logique, la déclaration de la Constituante se trouve placée sous l'invocation de la Providence. Avant l'ouverture de la discussion, plusieurs membres avaient insisté pour que, dans le préambule, on mit sous les auspices du Créateur éternel l'œuvre à laquelle allaient être attachées les destinées d'un grand peuple ; d'autres, comme plus tard les Girondins, jugeaient inutile toute intervention religieuse[78]. L'Assemblée donna raison aux premiers, et les droits de l'homme et du citoyen furent solennellement énoncés par elle sous les auspices de l'Etre suprême. Cela dit pour qu'il soit bien entendu qu'en pareille matière Robespierre ne fit que suivre, sous la Convention, les traditions de l'Assemblée nationale.

 

XIII

Mais déjà entre les divers membres du côté gauche se manifestaient des dissentiments, avant-coureurs de déchirements profonds.

L'Assemblée tout entière, nous l'avons dit, était royaliste, et Robespierre lui-même, en ce sens qu'il admettait parfaitement bien un roi entouré des institutions les plus libérales et les plus démocratiques. Le mot monarchie, écrivait-il alors, dans sa véritable signification, exprime uniquement un État où le pouvoir exécutif est confié à un seul. Il faut se rappeler que les gouvernements, quels qu'ils soient, sont établis par le peuple et pour le peuple ; que tous ceux qui gouvernent, et par conséquent les rois eux-mêmes, ne sont que les mandataires et les délégués du peuple[79]. Aussi, à la différence de quelques-uns de ses collègues pour qui la royauté était l'arche sainte à laquelle il n'était pas permis de toucher, il lui semblait naturel, au moment où l'on allait préciser la forme du gouvernement, que chacun pût s'exprimer librement sur cette question.

Le vendredi 28 août s'ouvrirent les débats touchant la Constitution. Mounier venait d'en lire les premiers articles, relatifs au gouvernement, quand plusieurs membres s'élancèrent à la tribune pour proposer des modifications au projet du comité. Les idées exprimées par quelques-uns d'entre eux ayant causé du tumulte, Robespierre demanda la parole : D'aussi grands intérêts que ceux qui nous agitent, dit-il, me donnent le courage de vous proposer une réflexion que je crois nécessaire. Suivant lui il fallait, avant de continuer la délibération, laisser à tous les députés le droit de parler d'après les inspirations de leur conscience, et introduire dans le règlement quelques articles de nature à assurer le calme de la discussion ; car il est important, ajouta-t-il, que chacun puisse, sans crainte de murmures, offrir à l'Assemblée le tribut de ses opinions. A ces mots, comme si l'on y eût vu une attaque contre le principe monarchique, une formidable tempête éclate, et les cris répétés : A l'ordre ! à l'ordre ! interrompent l'orateur. Le président lui fait observer qu'il ne s'agit pas de règlement. Robespierre veut répondre, de nouvelles clameurs s'élèvent et étouffent sa voix. Il prend alors le parti de descendre de la tribune. Aussitôt quelques membres protestent contre un pareil despotisme et réclament énergiquement la liberté de la parole. L'ordre s'étant peu à peu rétabli, il remonta à la tribune et essaya de nouveau de démontrer à l'Assemblée la nécessité d'assurer la tranquillité des délibérations au moyen de quelques articles ajoutés au règlement. Mais sa motion, bien que vivement appuyée par Mirabeau, ne fut pas prise en considération[80].

D'accord avec l'immortel orateur sur la question de l'unité du pouvoir législatif, votée dans la séance du 10 septembre par huit cent quarante-neuf voix contre quatre-vingt-neuf, après des débats orageux[81], il se sépara complètement de lui sur celle de la sanction royale. Serait-elle admise ou non ? Et, dans le premier cas, serait-elle seulement suspensive ou pure et simple ? Telles étaient les deux propositions soumises à la délibération de l'Assemblée. Cette question du veto, on le sait, jeta toute la France dans une sorte de perturbation, comme si les destinées du pays y eussent été irrévocablement attachées. A Paris, la fermentation fut extrême ; à aucun prix on n'y voulait du veto. Peu s'en fallut que le peuple en masse, ayant à sa tête le fameux marquis de Saint-Huruge, ne s'en allât lui-même à Versailles signifier sa volonté. Deux citoyens partirent, porteurs d'une lettre rédigée au Palais-Royal ; et, s'étant adressés à Lally-Tollendal, ils lui déclarèrent, au nom du peuple, que l'on considérerait comme traîtres les députés qui se prononceraient pour le veto. Car, disait l'adresse, il n'appartient pas à un seul homme, mais à vingt-cinq millions. L'Assemblée, après l'avoir écoutée au milieu des cris d'indignation se croisant dans tous les sens, décida qu'il n'y avait lieu à délibérer. Cette fin de non-recevoir fut loin de calmer l'agitation. Ceci se passait le 31 août. Quelques jours après, Loustalot écrivait dans les Révolutions de Paris, dont la vogue était immense : Nous avons passé rapidement de l'esclavage à la liberté ; nous marchons plus rapidement encore de la liberté à l'esclavage. On endort le peuple au bruit des louanges qu'on lui prodigue sur ses exploits ; on l'amuse par des fêtes, des processions et des épaulettes. Puis, s'étonnant de l'importance qu'avait donnée l'Assemblée nationale à une adresse faite par quelques citoyens, et qui exprimait les vœux légitimes de la capitale, il ne proposait rien moins, dans le cas où le terrible veto serait prononcé, que de briser les députés votants et d'en nommer d'autres sur-le-champ[82], tant l'idée qu'un seul homme pourrait suspendre et enchaîner la volonté nationale exaspérait alors les esprits.

On comprend avec quelle faveur devaient être accueillis les discours des députés hostiles à toute espèce de sanction royale. Aussi, dans ces débats importants, vit-on chanceler un moment la popularité de Mirabeau, tandis qu'au contraire celle de Robespierre commença à s'élever. Cependant il ne lui fut pas permis d'exprimer son opinion à la tribune. La discussion, qui avait duré longtemps, ayant été close avant que son tour de parole fut venu, il prit le parti de livrer son discours à l'impression, afin de faire connaître à ses commettants son avis sur une matière aussi délicate.

Trois systèmes s'étaient trouvés en présence : celui du veto absolu, énergiquement appuyé par l'abbé Maury, de Liancourt, d'Antraigues, Mounier, Desèze, de Virieu et de Custine ; celui du veto suspensif, auquel s'était rallié Mirabeau, et que dix-sept orateurs avaient soutenu avec lui ; enfin sept membres avaient parlé contre toute espèce de veto, parmi lesquels Sieyès, dont on n'a pas oublié l'ingénieuse définition : Absolu ou suspensif, le veto n'est qu'une lettre de cachet contre la volonté générale. C'était un mot heureux, mais ce n'était pas une réponse suffisante aux arguments invoqués en faveur du veto.

Robespierre se prononça également contre toute espèce de veto. Les lois, disait-il, doivent être l'expression de la volonté générale : mais comme il est impossible à une nation d'exercer en corps la puissance législative, elle la délègue à des représentants dépositaires de son pouvoir, et dont l'autorité ne saurait être entravée par aucune volonté particulière, sans quoi la souveraineté nationale serait une pure fiction. Celui qui dit qu'un homme a le droit de s'opposer à la loi dit que la volonté d'un seul est au-dessus de la volonté de tous. Il dit que la nation n'est rien, et qu'un seul homme est tout. S'il ajoute que ce droit appartient à celui qui est revêtu du pouvoir exécutif, il dit que l'homme établi par la nation pour faire exécuter les volontés de la nation a le droit de contrarier et d'enchaîner les volontés de la nation ; il a créé un monstre inconcevable en morale et en politique, et ce monstre n'est autre chose que le veto royal. Suivant lui, en érigeant continuellement en principe que la France est un État monarchique, on a eu le tort de subordonner les droits des peuples à ceux des rois, qui, simples mandataires, n'ont que des devoirs à remplir. Déclarer les gouvernants supérieurs aux gouvernés, c'est altérer une constitution qui sembloit devoir être le chef-d'œuvre des lumières de ce siècle. Il engage donc fortement l'Assemblée à ne pas se laisser entraîner dans cette voie funeste.

Parmi les arguments développés en faveur du veto, un seul lui semble de nature à causer quelque impression : c'est la crainte de voir les représentants du peuple se transformer en assemblée tyrannique, et abuser de l'autorité dont ils sont revêtus. Sans doute il est d'une sage politique de prévenir par de justes précautions les abus de tous les pouvoirs ; mais est-il bien sensé d'augmenter la force du plus redoutable aux dépens du plus faible et du plus salutaire ? Qu'est-ce qu'une assemblée législative composée de députés élus pour un temps limité, qui rentrent dans la foule, à l'expiration de leur magistrature temporaire, pour se soumettre au jugement du peuple qui les a nommés, et dont l'intérêt même garantit la fidélité, auprès d'un monarque investi d'une puissance énorme, ayant dans ses mains les finances, les tribunaux, la force publique, la libre disposition des faveurs, c'est-à-dire, tous les moyens d'oppression et de séduction ? Et peut-on comparer l'ambition d'un corps électif à celle d'un roi héréditaire, et par cela même toujours enclin à étendre un pouvoir qu'il considère comme son patrimoine ? Telles sont les principales objections soulevées par Robespierre. Parcourez l'histoire, poursuit-il, quel spectacle vous présente-t-elle ? Les nations dépouillées partout de la puissance législative devenues le jouet et la proie des monarques absolus qui les oppriment et les avilissent, tant il est difficile que la liberté se défende longtemps contre le pouvoir des rois. Et nous qui sommes à peine échappés au même malheur, nous dont la réunion actuelle est peut-être le plus éclatant témoignage des attentats du pouvoir ministériel devant lequel nos anciennes assemblées nationales avoient disparu, à peine les avons-nous recouvrées que nous voulons les remettre encore sous sa tutelle et sous sa dépendance !

Quant au veto suspensif, auquel beaucoup de ses collègues lui avaient avoué s'être ralliés uniquement pour échapper au veto absolu que paraissait vouloir adopter une partie de l'Assemblée, il le repousse aussi parce qu'il ne voit entre eux qu'une différence illusoire. En vain lui objecte-t-on l'exemple de l'Angleterre. La nation française, au moment où elle accomplit son œuvre de régénération, se doit à elle-même de ne pas copier servilement une nation voisine dont le caractère est d'ailleurs d'une nature tout à fait distincte. Les lois civiles des Anglais, n'ayant pas été comme les nôtres enfantées par le génie du despotisme, lui semblent, jusqu'à un certain point, obvier aux inconvénients de leurs lois politiques. De plus, il les voit dispensés, grâce à la situation géographique de leur pays, d'entretenir ces forces militaires immenses, si terribles à la liberté, et auxquelles nous sommes comme fatalement voués.

Une excellente constitution, dit-il en terminant, peut en assez peu de temps conduire le peuple français à la liberté ; mais une constitution vicieuse, une seule porte ouverte au despotisme et à l'aristocratie doit nécessairement le replonger dans un esclavage d'autant plus indestructible qu'il sera cimenté par la constitution même[83]. L'opinion de Robespierre, si elle prévalut tout entière au dehors, ne l'emporta qu'en partie dans l'Assemblée : le veto suspensif fut adopté par six cent soixante-treize voix contre trois cent quinze.

 

XIV

Dans la soirée du même jour Lepeletier de Saint-Fargeau, qu'une étroite amitié commençait d'unir à Robespierre, monta à la tribune, et dit qu'au moment où l'on allait décider pendant combien de législatures le veto suspendrait la loi, il était essentiel de fixer la durée de chaque législature. Suivant lui, les pouvoirs des représentants du peuple ne devaient pas excéder une année. En effet, leur mission consistait à faire la loi, non à en suivre l'exécution. D'autre part, en bornant à un an l'exercice de la législature, on avait l'avantage d'abréger le veto, dont la prolongation ne pouvait qu'irriter le peuple. Il ne fallait pas non plus accorder au roi le droit de dissoudre l'Assemblée législative, car ce serait mettre à sa discrétion les élus du peuple, lui donner les moyens de se passer de surveillants et de contrôle. En outre, le renouvellement fréquent du Corps législatif, en amenant plus souvent les citoyens dans les réunions électorales, devait avoir pour effet de les instruire, de les former à la vie politique, et, à ses yeux, cela méritait considération. Il conclut donc en demandant que les assemblées législatives fussent renouvelées en totalité chaque année, et que les pouvoirs des députés actuels expirassent au mois de mai prochain.

Les sentiments exprimés par l'orateur étaient trop bien ceux de Robespierre pour qu'il ne les appuyât pas de sa parole. Le peuple, dit-il, ne pouvant, dans une grande monarchie, exercer lui-même la toute-puissance, doit renouveler souvent ses représentants, afin d'être à même de leur donner la mesure de sa confiance, de faire connaître son opinion et d'exprimer ses vœux. C'est dans le fréquent exercice de ses droits qu'il trouvera l'énergie nécessaire pour conserver cette liberté récemment conquise. Ce discours, dont nous ne pouvons offrir que cette analyse fort incomplète, produisit quelque impression sur l'Assemblée, à en juger par cette courte appréciation du Moniteur[84] : M. Robespierre parle avec beaucoup de force et d'éloquence en faveur de la motion de M. de Saint-Fargeau. Combattue par l'abbé Maury, son opinion, que plus tard devait adopter la Convention nationale, ne triompha pas entièrement devant l'Assemblée constituante, qui prit un moyen terme proposé par Buzot, et fixa à deux ans la durée des législatures.

Le 14 septembre, on allait reprendre la discussion relative à la question du veto suspensif, quand tout à coup Barnave développa une motion tendant à ce qu'il fût sursis à l'ordre du jour jusqu'à ce que le roi eût promulgué les arrêtés du 4 août, lesquels, ayant été rendus antérieurement à la loi du veto, ne devaient pas être, suivant lui, soumis à la sanction du roi, mais simplement à la promulgation. C'était aussi l'avis de Mirabeau. Les décrets du 4 août, dit-il, ne sont pas des lois, mais des principes, les bases essentielles de la Constitution, et il eût été impossible à l'Assemblée de remplir son mandat sans déblayer le terrain sur lequel elle était appelée à construire.

Plusieurs membres, entre autres Cazalès et l'abbé Maury, réclamèrent vivement l'ordre du jour, en se fondant sur ce que les arrêtés du h étaient purement législatifs et, comme tels, devaient être revêtus de la sanction royale. Robespierre prit alors la parole, et, dans une rapide improvisation, il n'eut pas de peine à démontrer que, en soumettant ces décrets au bon plaisir du roi, on compromettait la Révolution elle-même dont ils étaient le véritable point de départ. Et pour prouver la mauvaise volonté de la cour à l'égard de ces arrêtés, il fit remarquer, comme un fait extraordinaire et significatif, que le gouvernement en retardait indéfiniment la promulgation, tandis qu'il s'était empressé de sanctionner et de publier le décret relatif à la tranquillité publique, envoyé au roi le même jour. Il était donc indispensable, selon lui, de repousser la question préalable et de délibérer sur la motion de Barnave[85]. L'Assemblée se rendit à ces observations et décida que le veto suspensif ne pourrait être opposé aux décrets de l'Assemblée qu'après l'acceptation définitive des arrêtés rendus dans la nuit du à août[86].

Les craintes de Robespierre étaient bien fondées ; comme le prouva l'événement. Au lieu d'une sanction ou d'une promulgation, le roi adressa, le 18, à l'Assemblée une sorte de mémoire dans lequel il déclarait que, tout en acceptant les dispositions générales des arrêtés du 4 août, il ne pouvait donner à certains articles qu'une adhésion conditionnelle. La lecture de ce mémoire souleva de violents murmures. Le roi, disait-on, n'est pas juge des mesures constitutionnelles prises par l'Assemblée nationale dans la nuit du h août. Comme chef du pouvoir exécutif il a le devoir de les promulguer, voilà tout. En les envoyant à sa sanction, on avait entendu la promulgation, et il ne s'agissait nullement d'obtenir un consentement ; autrement c'eût été nier, anéantir le pouvoir constituant de l'Assemblée, et violer, dès le début, le serment du Jeu de Paume. Ce fut ce que soutinrent avec une grande énergie de langage Mirabeau, Le Chapelier et Robespierre. L'Assemblée, dit impétueusement ce dernier, a simplement attaché au mot sanction, dans cette circonstance, l'idée de l'authenticité donnée par le souverain aux décrets émanés d'elle. Si elle eût prévu l'interprétation prêtée à ce mot par quelques-uns de ses membres et par le pouvoir exécutif, elle n'eût pas permis qu'il pût y avoir d'équivoques sur ses déclarations. La nation, s'écria-t-il[87], en terminant, a-t-elle donc besoin, pour la Constitution, d'une autre volonté que la sienne ? Malgré une longue réfutation de Lally-Tollendal, l'Assemblée décréta que son président se rendrait au château pour supplier le roi de promulguer immédiatement ses arrêtés du 4 août, en l'assurant qu'il serait scrupuleusement tenu compte de ses observations quand on s'occuperait des lois de détail. Le lendemain, Louis XVI répondit qu'il allait s'empresser d'ordonner la promulgation des arrêtés, et, le même jour, en reconnaissance, l'Assemblée vota pour deux législatures le veto suspensif.

 

XV

Sur les grandes questions intéressant la liberté ou le principe de la souveraineté du peuple, Robespierre ne gardait jamais le silence. Dans d'autres occasions, quand la discussion lui semblait d'un moindre intérêt, il se tenait assez volontiers à l'écart. On ne l'entendit pas répondre au vicomte de Mirabeau lorsque celui-ci, à propos d'une motion de Volney, demanda insidieusement qu'aucun membre de l'Assemblée ne pût être réélu à la prochaine législature. Plus tard, au moment où son influence aura acquis un immense accroissement, nous le verrons reprendre, au nom des intérêts populaires alors, cette proposition du frère de Mirabeau, et la faire adopter par ses collègues, malgré la vive opposition des royalistes constitutionnels. Il ne se mêla non plus en rien, que nous sachions, aux importantes discussions auxquelles donna lieu la demande d'emprunt soumise à l'Assemblée par le premier ministre en personne, discussions à jamais célèbres, où le génie de Mirabeau s'éleva à de si prodigieuses hauteurs. Seulement le 2 octobre, après avoir accepté le projet de décret sur la taxe patriotique, il insista fortement pour qu'on exigeât, avant de le convertir en loi, la sanction royale de la déclaration des droits et des articles de la Constitution déjà votés.

Mais quand, trois jours plus tard, on vint lire la réponse ambiguë du roi, il éclata. Mal servi par ses conseillers, Louis XVI ne pouvait se résoudre à adopter une détermination ; or, dans les circonstances graves, on se perd par les hésitations. Deux partis se présentaient à lui : déclarer résolument la guerre à la Révolution, et tenter de l'emporter de haute lutte ; ou bien se mettre lui-même franchement à la tête de cette Révolution, l'incarner en quelque sorte en sa personne, aller spontanément au-devant de ses légitimes exigences. Dans le premier cas il eût été brisé sans nul doute, mais il serait tombé noblement, sur un champ de bataille, pour la défense d'intérêts que son origine et son éducation pouvaient rendre sacrés à ses yeux ; dans le second, il se fût acquis des titres immortels à la reconnaissance des peuples ; et la gloire d'être à la tête d'une grande nation libre eût largement compensé celle de commander à des esclaves. Mais à une politique ferme, nettement accentuée, il préféra une politique de faux-fuyants et de petits moyens, s'égara jusqu'à placer dans l'étranger l'espoir du salut de sa couronne, et se laissa fatalement entraîner dans une voie au bout de laquelle il devait trébucher sur l'échafaud.

Au lieu d'accorder franchement sa sanction à la déclaration des droits et aux articles de la constitution déjà votés, il parla simplement d'accession, trouvant dans la déclaration des principes susceptibles d'explication, et remettant pour l'accepter ou la répudier définitivement au jour où l'Assemblée se serait prononcée sur l'ensemble de la Constitution. La réponse du roi, dit Robespierre, est destructive, non-seulement de toute constitution, mais encore du droit national à avoir une constitution. On n'adopte les articles constitutionnels qu'à une condition positive ! Celui qui peut imposer une condition à une constitution a le droit d'empêcher cette constitution ; il met sa volonté au-dessus du droit de la nation. Est-ce au pouvoir exécutif à critiquer le pouvoir constituant de qui il émane ? Il n'appartient à aucune puissance de la terre d'expliquer des principes, de s'élever au-dessus d'une nation et de censurer ses volontés. Je considère donc la réponse du roi comme contraire aux principes, aux droits de la nation et comme opposée à la constitution. Puis, examinant la conduite des ministres, il les montrait essayant de rivaliser d'autorité avec l'Assemblée et faisant précéder les arrêtés et décrets déjà sanctionnés de l'ancienne formule du despotisme : car tel est notre bon plaisir. Il fallait donc au plus vite briser les obstacles, déchirer le voile religieux dont on voulait couvrir les premiers droits de la nation, et prendre des mesures énergiques pour qu'aucun empêchement ne pût désormais entraver la constitution[88]. Il déposa ensuite sur le bureau du président une motion ainsi conçue : Je demande : 1° que l'Assemblée nationale décide que la constitution ne peut être soumise au refus du pouvoir exécutif, que tous les actes émanés de toute Convention sont également indépendants de la volonté du pouvoir exécutif, et que le veto suspensif ne peut être accordé qu'aux décrets des législatures ordinaires ; 2° que l'Assemblée nationale détermine d'une manière précise la forme dans laquelle la constitution doit être promulguée, et celle de la sanction[89]. Il proposa enfin à l'Assemblée de charger son président de porter au roi sa motion formulée en décret, et de lui demander une réponse conforme. Plusieurs membres, parmi lesquels Duport, l'abbé Grégoire, Mirabeau, parlèrent dans le même sens, et l'Assemblée décida que son président, à la tête d'une députation, se rendrait chez le roi pour le prier d'accorder son acceptation pure et simple de la déclaration des droits et des articles de la constitution déjà votés. Louis XVI finit par se rendre ;-le jour même, il acquiesça au vœu si formellement exprimé des représentants de la nation.

 

XVI

Une pression formidable, il est vrai, avait à point nommé contrebalancé la mauvaise volonté des conseillers royaux, et en particulier celle de la reine, contre laquelle Mirabeau avait fait entendre une menace indirecte lorsqu'à propos de cris séditieux prononcés dans un repas donné peu de jours auparavant aux régiments de la garde et aux dragons, cris dénoncés à la tribune par Pétion, il s'était déclaré prêt à désigner lui-même les coupables, si l'Assemblée voulait préalablement décréter que la personne du roi était seule inviolable. Tout le monde connaît les détails des orageuses journées d'octobre. La rareté et la cherté des subsistances, les menées contre-révolutionnaires, les bruits alarmants incessamment répandus, et surtout le récit de la fameuse orgie où la cocarde tricolore avait été foulée aux pieds, avaient porté au plus haut degré l'effervescence de la population parisienne.

Poussées par la crainte de la famine, huit à dix mille femmes, accompagnées des vainqueurs de la Bastille, et bientôt suivies d'une partie de la garde nationale, inondèrent tout à coup Versailles dans la journée du 5, résolues à ramener le roi avec elles, dans la pensée que, une fois Louis XVI à Paris, leurs malheurs seraient finis et le pain assuré. Vers trois heures, au moment où l'on venait de voter l'envoi d'une députation chargée d'obtenir la sanction royale, un certain nombre d'entre elles, ayant à leur tête Stanislas Maillard, pénétrèrent dans la salle et se présentèrent à la barre de l'Assemblée. Organe de la bande, Maillard exposa la triste situation de la capitale, dénonça les accapareurs comme les principaux auteurs des calamités publiques, et sur la foi de plusieurs personnes qu'il avait rencontrées en chemin, dans une voiture de la cour, déclara qu'un ecclésiastique attaché à l'Assemblée avait promis deux cents livres par semaine à un meunier pour l'empêcher de moudre. Aussitôt quelques députés demandèrent le nom de cet ecclésiastique. Maillard hésitait, ne voulant, disait-il, compromettre personne. L'Assemblée persistant de son côté à vouloir connaître le membre dénoncé, Robespierre prit la parole, rappela que dans la matinée Grégoire avait exactement articulé le même fait à la tribune, et ajouta qu'en conséquence ce député pourrait fournir tous les éclaircissements désirés. Son discours, plein de patriotisme, calma comme par enchantement l'effervescence des femmes, et fit cesser leurs murmures[90]. Maillard se plaignit vivement ensuite de l'outrage dont la cocarde nationale avait été l'objet. Une cocarde tricolore apportée au même instant de la part des gardes du corps produisit un excellent effet sur les femmes. Enfin la décision prise par l'Assemblée d'envoyer au roi une nouvelle députation pour lui présenter le tableau de la position malheureuse de la- capitale, et lui demander l'exécution immédiate du décret rendu sur la libre circulation des grains, acheva d'apaiser leur colère, et cinq d'entre elles accompagnèrent au château le président Mounier et les autres membres de la députation.

Nous n'avons point à retracer les diverses scènes dont le palais de Versailles fut le théâtre dans la soirée du 5 et dans la nuit du 5 au 6 ; nous les indiquons seulement pour mémoire, et afin de bien marquer le point de départ de la nouvelle phase dans laquelle allait entrer à pleines voiles la Révolution. Désormais le peuple se mettait décidément de la partie. C'était la seconde fois qu'il apparaissait sur la scène ; mais comme son intervention accélérait-le drame ! En prenant la Bastille, il avait décapité la monarchie ; en ramenant le roi à Paris, il mettait en quelque sorte la royauté sous sa tutelle. C'est pourquoi il ne faut pas s'étonner si Louis XVI hésita avant de se rendre à l'impérieuse invitation populaire.

Necker lui conseillait d'accéder au vœu du peuple, de se confier à lui, d'accepter la Révolution sans arrière-pensée ; mais tel n'était pas l'avis des courtisans. Si vous quittez Versailles, vous êtes perdu, lui criaient les uns ; d'autres lui montraient Metz comme un refuge assuré. Mais fuir, c'était abdiquer, pensait, non sans quelque raison, le monarque anxieux. Et d'ailleurs, dans la matinée du 6, toute fuite était devenue impossible. Il fallut bien se résoudre à partir pour Paris. Les applaudissements, dont la foule houleuse qui remplissait la cour salua le roi et la reine à leur balcon, donnèrent à la famille royale un peu d'espoir et de courage. Il était midi environ quand elle quitta, pour n'y plus revenir, la somptueuse demeure de Louis XIV. Aux yeux de nombre de gens cette translation de la cour de Versailles à Paris c'était la réconciliation de la royauté avec le peuple ; mais combien eurent déjà le pressentiment que c'était la fin de la monarchie !

 

XVII

Lorsqu'elle -connut la résolution de Louis XVI, l'Assemblée, sur la motion de Barnave, se déclara inséparable du roi pendant toute la durée de sa session ; et, en attendant que les mesures nécessaires pour son installation à Paris fussent prises, elle continua paisiblement ses travaux.

Le 7 octobre, l'importante question de l'impôt était à l'ordre du jour. L'article 5 du comité, ayant trait à la proportionnalité, passa sans difficulté aucune ; mais l'article 6, qui n'accordait l'impôt que jusqu'à l'expiration de la législature suivante, donna lieu à une longue discussion. Les uns, pour assurer le payement de la dette publique et celui de la liste civile, voulaient l'impôt perpétuel. En limiter la durée à un an, disait Mirabeau, c'était donner au Corps législatif le droit de mettre tous les ans la nation en banqueroute. Les autres se ralliaient complètement au plan du comité. Suivant Robespierre, le principe établi dans l'article 6 n'était contraire ni aux engagements envers les créanciers de l'Etat ni à la dignité du trône, parce qu'il s'agissait simplement d'un article constitutionnel, et non d'une disposition de finances sur la dette et sur la liste civile ; mais il fallait avant tout laisser au pouvoir législatif sa pleine liberté d'action sur ces deux objets. Conformément à ces observations, l'Assemblée décréta le renouvellement annuel de l'impôt, et décida que chaque législature voterait de la manière qui lui paraîtrait le plus convenable les sommes destinées à l'acquittement de la dette et au payement de la liste civile.

Au commencement de cette séance on avait lu une lettre de deux Anglais respirant les sentiments les plus dévoués pour les membres de l'Assemblée, et toute pleine de protestations élogieuses en faveur de la Révolution française. Le lendemain Robespierre proposa à l'Assemblée de voter 'la traduction et l'impression de cette lettre : Car, dit-il, c'est un spectacle digne d'être mis sous les yeux du peuple que celui d'une grande nation applaudissant à nos efforts pour conquérir la liberté ; et c'est par de tels exemples qu'on verra les rivalités nationales disparaître devant le grand intérêt de l'humanité. La motion fut à l'instant convertie en décret[91].

Immédiatement après cet incident on passa à la discussion des termes dans lesquels seraient promulgués les actes sanctionnés par le roi. Appelé à parler le premier sur cette matière, Robespierre s'éleva vivement contre les formules usitées pour les arrêts du conseil et.les anciennes déclarations royales. Il est impossible, dit-il, de concilier le droit national avec les formes employées jusqu'à ce moment : de notre pleine puissance ; car tel est notre plaisir. Je voudrais que tous les décrets du pouvoir législatif fussent exprimés par le terme uniforme de loi ; que les formules usitées jusqu'à présent dans la promulgation des lois fussent abolies ; qu'elles fussent remplacées par une forme noble et simple, qui annonçât le droit national et le caractère sacré de la loi. Je propose qu'après ces mots : Louis, roi des Français, on transcrive littéralement le décret de l'Assemblée nationale terminé par ces mots : Que cette loi soit inviolable et sainte pour tous ; il sera scellé d'un sceau uniforme, adressé aux tribunaux, aux assemblées administratives et aux municipalités, pour être lu, publié et exécuté[92].

Mirabeau convint aussi qu'il fallait effacer des formes de la promulgation les expressions surannées condamnées par Robespierre, mais il insista, et plusieurs membres appuyèrent son avis, sur la conservation de la formule : Par la grâce de Dieu. Il y avait là, disait-on, une sorte d'intervention religieuse nécessaire à présenter au peuple, et l'idée de la justice divine devait figurer en tête des lois. Ce système, très en harmonie du reste avec les sentiments du jour, obtint les préférences de l'Assemblée. Mais pour Robespierre et pour Pétion, qui n'admettaient qu'un contrat purement civil entre la nation et le roi, c'était aller trop loin que de donner à un homme, même au premier citoyen de l'État, une consécration divine en vertu de laquelle il devenait en quelque sorte un être supérieur, et se trouvait en dehors du droit commun..

 

XVIII

Le départ du roi mit la perturbation dans une partie de l'Assemblée, il y eut comme une véritable désertion. Un des premiers Mounier abandonna son poste ; il se retira d'abord en Dauphiné, où il essaya de soulever les habitants, mais ayant échoué dans sa criminelle tentative, il quitta la France. Lally-Tollendal partit également. L'exemple menaçait de devenir contagieux : trois cents passeports avaient été délivrés dans l'espace de deux jours ; le 9 il en fut encore demandé deux cents au président. Pour remédier à un tel état de choses, on fut obligé de décréter qu'il n'en serait accordé désormais que sur des motifs exposés publiquement au sein de l'Assemblée. Le lendemain, plusieurs députés ayant fait valoir des raisons de santé pour obtenir des congés. : Il est plaisant, ne put s'empêcher de s'écrier un membre, de considérer combien la résidence prochaine de l'Assemblée à Paris a rendu malade.

Et cependant une réaction violente se manifestait dans la capitale contre l'effervescence populaire. La bourgeoisie s'était emparée du pouvoir ; satisfaite de la destruction de la féodalité et des restrictions apportées à l'exercice de la royauté, il lui semblait que tout était pour le mieux, et que la Révolution était finie. Ses deux chefs, Bailly et La Fayette, étaient bien faits pour la comprendre, et son esprit se personnifiait admirablement en eux.

Pour l'intelligence des événements qui vont suivre, il nous est indispensable de tracer en quelques lignes le tableau fie l'organisation communale de la ville de Paris à cette époque. Au lieu de se séparer après avoir nommé les députés aux états généraux, les électeurs, se posant en représentants légaux des soixante districts de la capitale, s'étaient attribué toute l'autorité municipale. Ils avaient, il est vrai, institué la garde nationale ; mais ils en avaient banni l'élément populaire, les ouvriers. Mécontents de la grâce accordée par les électeurs à M. de Besenval, les districts élurent, vers la fin du mois de juillet, cent vingt députés qu'on désigna sous le nom de représentants de la commune. Des additions successives portèrent bientôt à trois cents le chiffre des membres de la commune, ce qui la fit surnommer le Conseil des Trois Cents. Elle se décomposa en municipalité, véritable pouvoir exécutif formé du maire, du commandant général de la garde nationale et de soixante administrateurs, et en assemblée délibérante, formée de deux cent quarante députés exerçant la puissance législative[93]. C'était un gouvernement dans toutes les règles, mais un gouvernement usurpé, dont Loustalot, dans son journal, dénonça vivement l'organisation tyrannique[94]. Il n'y eut pas, en-effet, d'administration plus tracassière. A chaque instant elle prenait des arrêtés arbitraires, et, à une époque où il n'y avait nullement péril en la demeure, les arrestations étaient multipliées à l'occasion des faits les plus insignifiants. Déplorable exemple pour l'avenir, et dont on ne devait pas manquer de s'autoriser à l'heure des périls réels.

La municipalité parisienne désirait vivement être armée d'une loi qui lui permît de repousser par les armes les attroupements provoqués, la plupart du temps, par le chômage et la crainte de la disette ; et, dès le 14 octobre, Mirabeau s'était fait son interprète dans l'Assemblée en déposant une motion à ce sujet. Il n'y avait, du reste, alors aucun sentiment de haine contre le roi ; les Parisiens l'avaient accueilli avec amour et reconnaissance, et Brissot, l'un des trois cents, écrivait dans une adresse aux provinces : Les représentants de la commune de Paris s'engagent à une fidélité inaltérable pour la personne du roi. Louis XVI était devenu le véritable monarque de la bourgeoisie, dont les chefs allaient essayer, par tous les moyens possibles, de comprimer l'enthousiasme et l'élan populaires. Un événement tragique leur fournit bientôt l'occasion de réclamer les mesures nécessaires à la réalisation de leurs projets. Et cependant un membre de l'Assemblée, M. Martineau, avait pu dire dans la séance du 15 : Il y a à Paris plus d'ordre, de police que partout ailleurs. Personne ne l'avait démenti.

Le 19 octobre, après une suspension de séances de quelques jours, l'Assemblée vint s'installer à Paris, dans une des salles de l'archevêché, en attendant que la salle du Manège des Tuileries fût disposée pour la recevoir. Dès le 20 on reprenait la discussion relative à la contribution, et l'on s'occupait des conditions requises pour l'éligibilité, quand un député de Bretagne demanda qu'on interrompît la discussion pour la lecture d'un rapport sur le mandement incendiaire de l'évêque de Tréguier. M. de Clermont-Tonnerre, réclamant l'ordre du jour, proposait à l'Assemblée de remettre à un jour déterminé l'examen des affaires de la nature de celle dont il venait d'être question. Robespierre répondit aussitôt qu'il était impossible d'assigner un jour fixe à des affaires surgissant chaque jour des événements. Quand le feu de la guerre civile est allumé dans un diocèse, dit-il, quand la ville de Rouen est exposée aux plus grands périls, est-il permis de différer un instant de statuer sur leurs affaires ? Suivant lui, on était enveloppé dans les trames d'une vaste conspiration, et il serait téméraire, en de pareilles circonstances, de se résoudre à des délais de nature à amener le bouleversement de l'ordre public. M. de Clermont-Tonnerre essaya en vain de répondre, sa motion fut ajournée[95].

Le lendemain, dans la matinée, un boulanger de la rue du Marché-Palu, nommé François, accusé par une femme d'avoir caché un certain nombre de pains, fut arraché de son magasin, traîné à l'hôtel de ville, et, un moment après, mis à mort par quelques forcenés. Les auteurs de ce meurtre, hâtons-nous de le dire, ne tardèrent pas à être punis du dernier supplice ; mais les membres de la commune profitèrent de ce déplorable événement pour dépêcher à l'Assemblée nationale deux députés, avec mission de la prier de vouloir bien décréter immédiatement la loi martiale.

Un tel crime, commis à quelques pas de l'Assemblée, ne pouvait manquer de l'impressionner douloureusement ! Barnave, dénonçant, lui aussi, les trames auxquelles, la veille, avait fait allusion Robespierre, attribua ce meurtre à des mouvements contre-révolutionnaires. Déjà, en effet, certains hommes avaient imaginé de tuer la Révolution par ses propres excès. Effrayer le peuple et l'irriter, au lieu de le calmer par des lois sages et douces n'était pas, selon Buzot, d'une politique habile. Repoussant énergiquement l'idée d'une loi martiale, il se rangea à l'avis d'un membre qui avait demandé la formation d'un tribunal destiné à poursuivre à la fois les fauteurs de désordre et à punir les crimes de contre-révolution.

Robespierre prit la parole, à son tour, pour appuyer cette motion. Il fallait se garder, suivant lui, de prendre des mesures précipitées. Dans son opinion, les ennemis de la Révolution avaient prévu le cas où, les subsistances venant à manquer par suite de menées criminelles, on pourrait réduire le peuple aux dernières extrémités, et le ramener facilement à l'ancien régime. Ils ont prévu, dit-il, que les subsistances manqueraient ; qu'on vous montrerait au peuple comme sa seule ressource ; ils ont prévu que des situations terribles engageraient à vous demander des mesures violentes, afin d'immoler à la fois et vous et la liberté. On demande du pain et des soldats ; c'est-à-dire : le peuple attroupé veut du pain ; donnez-nous des soldats pour immoler le peuple. On vous dit que les soldats refusent de marcher. Eh ! peuvent-ils se jeter sur un peuple malheureux dont ils partagent le malheur ? Ce ne sont donc pas des mesures violentes qu'il faut prendre, mais des décrets sages pour découvrir la source de nos maux, pour déconcerter la conspiration qui peut-être, dans le moment où je parle, ne nous laisse plus d'autre ressource qu'un dévouement illustre. Il faut nommer un tribunal vraiment national.

Ce tribunal, destiné à réprimer les crimes de lèse-nation, il fallait, selon lui, le composer de membres pris dans le sein même de l'Assemblée nationale, et, surtout, ne pas laisser le procureur du roi du Châtelet remplir les fonctions de procureur général de la nation. Il fallait sommer la municipalité de remettre toutes les pièces qu'elle avait entre les mains, lesquelles pouvaient jeter un grand jour sur les menées criminelles, et ne pas perdre un instant pour déjouer tous les complots ourdis contre la chose publique et la liberté. Ici, s'écria-t-il, ce sont des évêques qui donnent des mandements incendiaires ; là ce sont des commandants de provinces frontières qui laissent passer les grains dans des pays étrangers. Puis, après avoir engagé le comité des recherches et celui des rapports à dénoncer à l'Assemblée tous les faits parvenus à leur connaissance, il invitait ses collègues à ne pas se laisser endormir par le mot de constitution que, dans une intention suspecte, certaines gens avaient toujours à la bouche, et à songer avant tout à assurer la subsistance du peuple. Souvenez-vous, dit-il en terminant, que pendant que l'on se préparait à faire avorter la liberté dans son berceau, on ne cessait de nous parler de constitution, qui ne serait qu'une chimère si nous ne portions remède aux maux actuels[96].

La voix puissante de Mirabeau se fit également entendre en cette occasion. Il voulait à la fois et la loi martiale et un tribunal national, mais il demandait aussi qu'avant tout on s'occupât d'assurer les subsistances de la capitale. Car, disait-il, que serait une loi martiale, si le peuple attroupé s'écrie : Il n'y a pas de pain chez les boulangers ? Mais l'Assemblée avait hâte de fortifier le pouvoir exécutif, d'assurer sa propre tranquillité, et, malgré les énergiques protestations de Robespierre, elle vota la loi martiale que, dans la même séance, Target vint lui lire au nom du comité de constitution. C'était le projet de Mirabeau, légèrement modifié.

Terrible était cette loi et désastreuses étaient destinées à en être les conséquences. Dans le cas où la tranquillité publique se trouverait en péril, le drapeau rouge devait être hissé à la principale fenêtre de l'hôtel de ville et promené dans les rues. A la troisième sommation adressée par les officiers municipaux, -les attroupements étaient tenus de se dissoudre immédiatement, sous peine d'être dispersés par le feu. Il est aisé de comprendre combien pouvait être dangereux l'exercice d'une loi si vague, si élastique, entre les mains d'un pouvoir hostile à la Révolution et juge lui-même des cas où la tranquillité publique serait menacée. Il n'était pas impossible de prévoir dès lors qu'un jour ou l'autre ce drapeau rouge ferait le tour du Champ de Mars, baigné dans le sang du peuple ; et lorsque, quatre ans plus tard, le chef de la municipalité qui avait réclamé une telle loi, l'illustre et malheureux Bailly, monta sur l'échafaud, une voix secrète, mêlée aux clameurs de la foule, lui cria sans doute : Souviens-toi de la loi martiale !

 

XIX

C'est le propre de la tyrannie de profiter des incidents particuliers pour étendre sa domination et attenter à la liberté de tout un peuple. Et c'est parce que la loi martiale pouvait être d'un grand secours au despotisme que sa promulgation fut diversement accueillie. Les partisans de la cour, tous les ennemis de la Révolution la reçurent avec joie, mais elle excita parmi les patriotes beaucoup de mécontentement. Quelques-uns des districts de Paris s'élevèrent vivement contre ses dispositions, et celui de Saint-Martin-des-Champs alla jusqu'à émettre la proposition d'une résistance à force ouverte. Des royalistes eux-mêmes trouvèrent excessive la rigueur de ce décret. Il conférait à la commune un droit de vie et de mort bien capable d'alarmer de bons citoyens, a écrit, depuis, le marquis de Ferrières[97]. Tandis que dans son journal le Patriote français, — et ceci n'est pas à oublier, — Brissot défendait avec acharnement toutes les mesures compressives prises par l'hôtel de ville, les sentinelles avancées de la Révolution, suivant l'expression de Bailly[98], se répandaient en plaintes amères contre la loi martiale et ceux qui l'avaient provoquée. Cette loi, écrivait Loustalot, dont le nom seul devait choquer des hommes qui viennent d'éprouver toutes les horreurs du gouvernement militaire, a paru destinée à favoriser les menées, les projets des aristocrates, et à forcer le peuple à tendre ses mains à de nouveaux fers[99]. En même temps commençait à grandir singulièrement dans l'opinion l'homme qui, en termes si fermes et si convaincus, avait essayé d'arrêter l'Assemblée dans les voies où quelques meneurs semblaient vouloir la jeter. Il faut, en effet, assigner au discours sur la loi martiale le point de départ de l'immense faveur dont le député d'Arras n'allait pas tardera jouir parmi le peuple. La motion de M. Robespierre m'a frappé ; écrivait au rédacteur des Révolutions de Paris un citoyen du district de Saint-Jacques-la-Boucherie, ses cris n'ont point été écoutés ; l'éloquence fastueuse l'a emporté sur l'éloquence de la raison, et son énergie a été qualifiée d'irascibilité, d'amour-propre. Oui, proclamer la loi martiale avant d'avoir établi un tribunal pour les criminels de lèse-nation est un acte impolitique ou un coup de despotisme vigoureux. L'auteur de cette lettre ne manquait pas de faire remarquer que, depuis le vote de la loi martiale, l'abondance était revenue comme .par enchantement, jusqu'au jour où l'on croirait nécessaire de provoquer une nouvelle disette. Si je m'égare, détrompez-moi, disait-il en terminant. Mais, loin de le détromper, le rédacteur des Révolutions de Paris trouvait les dispositions effroyablement vagues de la loi beaucoup trop favorables au despotisme ministériel et à l'aristocratie municipale, et il émettait le vœu qu'elle fût révisée dans un moment plus calme, où les esprits ne seraient plus troublés par le spectacle sanglant d'un innocent massacré[100].

Il ne faut pas laisser le procureur du roi du Châtelet faire les fonctions de procureur général de la nation, s'était écrié Robespierre dans la séance du 21 octobre, en demandant, la création d'un tribunal national Tout en chargeant son comité de constitution de lui présenter très-prochainement un projet de tribunal appelé à statuer sur les crimes de lèse-nation, l'Assemblée n'en avait pas moins décidé que jusqu'à nouvel ordre le Châtelet connaîtrait de ces sortes d'attentats. Confier le soin de réprimer les ennemis de la Révolution à des juges qui avaient été si longtemps les exécuteurs dociles des rigueurs de l'ancien régime, c'était le comble de l'imprudence. La manière dont ce tribunal s'acquitta des redoutables fonctions dont il venait d'être investi ne justifia que trop les craintes manifestées par Robespierre, et sa profondeur de vue lui valut de nouveaux éloges de la part du journal le plus accrédité de la capitale[101].

Mais ce qui le grandissait dans l'opinion publique acharnait contre lui les défenseurs de l'ancien ordre de choses et les principaux chefs de la baute bourgeoisie, laquelle ne demandait en définitive qu'à asseoir irrévocablement sa puissance sur les ruines de la féodalité. On pouvait déjà prévoir l'heure où La Fayette, Bailly, Barnave, Mirabeau inclineraient vers la cour et tenteraient d'enrayer la Révolution. Mais Robespierre, lui, immuable dans ses principes, la voulait complète, logique et profitable au pays tout entier. Il ne faut donc pas s'étonner s'il devient dès lors le point de mire des attaques les plus passionnées, des diatribes les plus ineptes, des calomnies les plus saugrenues[102]. Sa résistance aux tendances réactionnaires d'une partie de l'Assemblée est taxée d'exagération, d'amour-propre ; sa perspicacité, hélas ! si clairvoyante à prévoir les trames des ennemis de la Révolution, n'est qu'une irascibilité sombre et soupçonneuse. Sa haine de la tyrannie, son amour pour l'égalité, se transforment en basse jalousie, en envie contre les nobles et contre les riches. C'est ainsi qu'on parvient à dénaturer les plus généreux sentiments. Mais, ô puissance de la vérité ! les écrivains royalistes qui lui sont le plus hostiles, tout en accumulant contre lui les accusations les plus mensongères, se trouvent comme forcés de rendre hommage a l'austérité de ses mœurs, à son désintéressement, à sa foi absolue. L'un d'eux écrit, après avoir dépeint son attitude dans la discussion relative à la loi martiale : Tandis que les députés nobles, ecclésiastiques et riches des communes se vendaient à la cour ou se ralliaient au peuple, gagnaient et perdaient la faveur populaire, Robespierre se maintint sur cette mer orageuse, et demeura inviolablement attaché aux principes qu'il avait adoptés[103]. On lui reprochait de flatter le peuple, d'être un ambitieux. C'est la tactique ordinaire des partis de jeter ce reproche d'ambition et de flatterie à la tête de tous les hommes dévoués aux intérêts démocratiques. Cette histoire prouvera par d'irréfragables preuves que jamais personne ne fut moins ambitieux que Robespierre — j'entends ambitieux d'honneurs, d'emplois ou de richesses — et ne flatta le peuple moins que lui. Car, le servir au nom des principes de l'éternelle justice, ce n'était point le flatter. Jamais on ne vit Robespierre faire à sa popularité le sacrifice de sa dignité personnelle ou d'une de ses idées. Ah ! certes, il aurait été moins calomnié si, confondu parmi les adulateurs ordinaires de la multitude, il avait mis toutes ses facultés au service des caprices et des passions du peuple. On ne l'a tant attaqué que parce qu'il est véritablement la pierre angulaire de la Révolution.

 

XX

Y aurait-il encore dons la France nouvelle des parias politiques, c'est-à-dire des hommes déclarés incapables à priori de prendre la moindre part aux affaires du pays, ou bien tous les citoyens exerceraient-ils les mêmes droits en vertu de leur seule qualité de Français ? Telle était l'importante question soumise aux délibérations de l'Assemblée le lendemain du jour où elle avait décrété la loi martiale.

Il s'agissait des conditions requises pour être électeur et éligible dans les assemblées primaires. Sur les trois premières les débats n'avaient pas été longs ; et l'on avait rapidement décidé qu'il fallait être Français, âgé de vingt-cinq ans et domicilié depuis un an au moins dans l'arrondissement ; mais la quatrième condition proposée par le comité de constitution et consistant dans le payement d'une contribution directe de la valeur de trois journées de travail souleva une très-vive discussion. Les uns, comme Blin et Desmeuniers, comme Lanjuinais qui voulait qu'on ne pût être électeur à moins d'être porté au rôle des contributions, trouvaient dans la condition exigée par le comité une garantie contre la corruption des suffrages. Garantie bien illusoire, car il n'y avait pas de raison pour que les citoyens payant une contribution égale à la valeur de trois journées de travail fussent moins accessibles à la corruption que ceux qui ne payaient rien du tout. L'expérience l'a prouvé d'ailleurs, la vénalité des hommes n'est pas en raison directe de leur position de fortune, et puis les consciences ne s'achètent pas toujours à prix d'or. Les riches se laissent trop souvent tenter par la séduction des dignités et des honneurs, comme les malheureux par l'appât d'une modique somme d'argent. Or les plus coupables ne sont pas ces derniers. Le mieux est donc de s'en tenir aux principes, tout en faisant la part des faiblesses humaines.

Au nom de ces principes quelques membres combattirent sans peine les arguments spécieux invoqués en faveur du projet du comité. Grégoire trouva des paroles touchantes pour plaider la cause des pauvres. Duport s'éleva aussi contre cette inégalité des droits fondés sur la fortune ; la qualité de citoyen actif devait être, selon lui, indépendante de toute contribution.

Dans une question où les droits primordiaux des citoyens étaient menacés, Robespierre ne pouvait demeurer neutre : il prit la parole à son tour pour réclamer le suffrage universel. Tous les citoyens, quels qu'ils soient, dit-il, ont droit de prétendre à tous les degrés de représentation. Faire dépendre l'exercice des droits politiques du payement d'un impôt quelconque, c'était, à ses yeux, anéantir la liberté individuelle, déchirer la déclaration des droits et violer la constitution, qui plaçait la souveraineté dans le peuple. Tous les individus, sans distinction, devaient donc concourir à la formation de la loi. Sinon, poursuivait-il, il n'est pas vrai que tous les hommes sont égaux en droits, que tout homme est citoyen. Si celui qui ne paye qu'une imposition équivalente à une journée de travail, a moins de droits que celui qui paye la valeur de trois journées de travail, celui qui paye celle de dix journées a plus de droits que celui dont l'imposition équivaut seulement à la valeur de trois ; dès lors, celui qui a cent mille livres de rentes a cent fois autant de droits que celui qui n'a que mille livres de revenus. Il résulte de tous vos décrets que chaque citoyen a le droit de concourir à la loi et, dès lors, celui d'être électeur ou éligible, sans distinction de fortune[104].

Mais malgré cette vigoureuse argumentation, et par une étrange inconséquence, l'Assemblée, se mettant en contradiction avec les principes posés par elle dans la déclaration des droits de l'homme c-t du citoyen, adopta l'article proposé par son comité. Cela seul servirait au moins à prouver, contre une opinion trop répandue, que, au moment où l'Assemblée nationale se sépara, la Révolution n'était pas complète encore. On ne saurait admettre en effet dans un pays de liberté et d'égalité cette outrageuse division d'un peuple en citoyens actifs et en citoyens passifs.

Si les paroles de Robespierre n'exercèrent aucune influence sur la détermination de ses collègues, trop défiants à l'égard du peuple, elles retentirent profondément dans le cœur des masses, dont une partie se trouvaient exclues de la vie politique. Un peu plus de trois ans après, la Convention répara l'injustice de la Constituante, mais la réaction de Thermidor, en brisant la constitution de 1793, vint encore une fois violer le droit affirmé dès 1789 par Robespierre. Il a fallu arriver jusqu'à nos jours pour le triomphe complet du suffrage universel, sorti victorieux des barricades de février 1868. Aujourd'hui même nous voyons un certain nombre de personnes, mécontentes de la façon dont il fonctionne, le contester et réagir contre lui au moyen d'une foule d'arguments plus spécieux que solides au fond ; on aura beau entasser tous les sophismes du monde, on ne parviendra jamais à prouver qu'une partie de la nation, se déclarant plus instruite et plus indépendante, ait le droit de confisquer, au détriment de l'autre, la part de légitime influence qu'il appartient à chacun d'exercer sur les affaires de son pays, c'est-à-dire sur ses propres affaires. Eclairez le suffrage universel par la presse libre, par les réunions publiques, par l'instruction obligatoire et gratuite, cette dette dont toute société est tenue envers les générations à venir, soit ; mais ne touchez pas au principe ; il n'y a point de droit contre le droit.

Quelques jours après, l'Assemblée, décidée à consacrer l'aristocratie des richesses, exigea comme condition d'éligibilité à la représentation nationale le payement d'une contribution d'un marc d'argent au moins. C'était priver plus d'un tiers des citoyens, et même une partie des députés actuels, de la faculté de représenter leurs concitoyens. Quelques membres ayant réclamé une exception en faveur des fils dont les pères payaient la contribution exigée, Robespierre la repoussa comme n'étant pas justifiée. Cette exception, dit-il, serait odieuse et injurieuse à une grande partie des habitants du royaume. La discussion étant devenue tumultueuse, on ajourna la question au mardi suivant. Ce jour-là, 3 novembre, Robespierre demanda si, oui ou non, tout était jugé pour les fils de famille comme pour les autres citoyens[105]. L'Assemblée, au milieu du bruit, décida qu'il n'y aurait pas d'exception pour les fils de famille.

Le décret du marc d'argent excita dans le public d'amères récriminations. Le patriotisme expirera donc dans son berceau ? s'écria Loustalot. On rira peut-être de ma prédiction ; la voici toutefois : Avant dix ans, cet article nous ramènera sous le joug du despotisme, ou il causera une révolution qui aura pour objet des lois agraires[106]. C'était en effet créer un déplorable antagonisme entre ceux qui possédaient et ceux qui ne possédaient pas. Véritable interprète des sentiments populaires, Robespierre comprenait bien ce danger. Le seul titre à l'éligibilité était, à ses yeux, la confiance de ceux qui doivent être représentés, et nous l'entendrons plus d'une fois attaquer à la tribune, avec une impérieuse éloquence, un décret si contraire aux principes de la Révolution.

 

XXI

De toutes les institutions de l'ancien régime celle des parlements n'était pas une des moins en harmonie avec le nouvel ordre social auquel travaillait l'Assemblée constituante. Corps politiques, avaient-ils servi, comme on l'a dit trop complaisamment, de contre-poids au despotisme royal, de frein à ses emportements ? L'impartiale histoire est tenue de répondre : Non.

Ont-ils jamais opposé une résistance sérieuse à toutes les iniquités qui resteront comme d'éternels stigmates au front de la monarchie française ? Et ne sait-on pas qu'il suffisait d'un lit de justice pour avoir raison de leurs remontrances ? Quelques grands caractères, se détachant en relief sur le fond commun, ne suffisent pas à couvrir et à racheter le servilisme général.

Corps judiciaires, avaient-ils mieux mérité du pays ? Hélas ! leur histoire n'est que le martyrologe du peuple ; il faudrait l'écrire en lettres de sang. Qui dira jamais le nombre des malheureux que, dociles instruments des vengeances royales ou des colères de l'Église, ils ont envoyés au bûcher et au gibet ? Il n'est pas jusqu'aux criminels sur qui leurs arrêts féroces ne soient parvenus à faire descendre la pitié. On ne lira jamais la description de l'effroyable supplice de Damiens sans maudire les juges qui l'ont ordonné. Ni les progrès de la philosophie, ni la douceur des mœurs du jour ne semblaient avoir prise sur le cœur des magistrats. Ajoutez à cela leur corruption dénoncée au monde entier par la plume incisive de Beaumarchais, corruption d'autant plus funeste que la justice entre les mains des titulaires était devenue un véritable patrimoine, transmissible par héritage ou par vente. Or, du moment où les fonctions judiciaires, cette chose réputée sainte, pouvaient être vendues comme un fonds de commerce, la justice perdait aux yeux du peuple son caractère auguste et sacré.

La cause des parlements était donc perdue d'avance quand éclata la Révolution. Eux n'en jugeaient pas ainsi. Ils le prirent même avec l'Assemblée constituante sur un ton de hauteur qui indisposa vivement contre eux les représentants de la nation. Celui de Paris ayant un jour adressé à l'Assemblée un acte d'adhésion par un mot très-laconique, elle se fâcha. Voici comment Robespierre raconte l'aventure : ... Un membre fit l'observation que le parlement, n'étant dans l'État qu'un corps particulier, ne pouvoit traiter de corps à corps avec l'assemblée générale qui représente la nation dont il n'est qu'une infiniment petite partie, et qu'il auroitpu se donner la peine de lui adresser directement ses hommages. Le duc d'Aiguillon se leva et déclara qu'en qualité de membre du parlement il adhéroit à la réflexion du préopinant ; le duc de Larochefoucauld dit la même chose ; un conseiller du parlement d'Aix, qui n'est pas du tout parlementaire, M. Dandrets, dit : S'il étoit permis à un chétif conseiller de province de s'expliquer sur cet objet, je dirois que je suis du même avis. Enfin M. d'Éprémesnil, le plus ardent défenseur de toutes les sottises parlementaires, et qui n'avoit pas encore ouvert la bouche dans l'Assemblée nationale, prit la parole pour dire qu'il adhéroit à tout ce qui venoit d'être dit. Je préfère à ce procédé lâche et hypocrite la conduite de M. Fréteau, qui essaya de proposer quelque excuse en faveur de ce corps[107].

Les parlements en étaient venus à favoriser eux-mêmes les résistances aux décrets de l'Assemblée, au lieu d'aider à la marche pacifique de la Révolution. Suspendus jusqu'à nouvel ordre, sur la motion d'Alexandre de Lameth, dans la séance du 3 novembre, le jour même où les biens du clergé avaient été mis à la disposition de la nation, ils se montrèrent profondément irrités. On connaît les arrêtés séditieux des parlements de Normandie et de Metz. Ce dernier, tout en enregistrant le décret du 3, déclara nettement que ni l'Assemblée ni le roi n'étaient libres, appelant en quelque sorte ouvertement le peuple à la révolte, comme le dit très-bien Rœderer, un de ses propres membres.

Cassé immédiatement par le roi, cet arrêt du parlement de Metz n'en occasionna pas moins une tempête dans l'Assemblée. Dénoncé comme attentatoire aux droits de la nation, il trouva dans le vicomte de Mirabeau un défenseur plus funeste qu'utile. Les paroles peu mesurées de l'orateur, qui concluait à ce que l'Assemblée reconnût elle-même sa liberté par un décret, augmentèrent encore le tumulte. Une foule de membres demandèrent aussitôt son rappel à l'ordre ; les uns voulaient que la parole lui fût interdite pour trois mois, les autres se contentaient de réclamer la question préalable.

Robespierre, repoussant et la motion du vicomte de Mirabeau et la question préalable, monta à la tribune pour invoquer les grands principes de la liberté. Il demanda l'impression du discours irrespectueux qu'on venait d'entendre, comme la meilleure preuve de la liberté dont jouissait l'Assemblée. Le député Lavie, qui avait réclamé contre l'orateur la mesure de la suspension, se rallia tout de suite à la proposition de Robespierre, jugeant que l'impression d'un tel discours était une peine, suffisante[108].

L'Assemblée, pour en finir, décida, après une assez longue discussion, que les membres du parlement de Metz, signataires de la délibération séditieuse, paraîtraient à la barre afin d'y rendre compte de leur conduite. Une supplique de la municipalité de Metz sauva les parlementaires de cette humiliation, et, quelques jours après, l'Assemblée, déférant au vœu de leurs concitoyens, les dispensa, par une dédaigneuse indulgence, de comparaître à sa barre.

Le mois suivant, l'affaire du parlement de Rennes, dont les arrêtés contre-révolutionnaires avaient été également dénoncés, mit encore en présence Robespierre et le vicomte de Mirabeau. Les conseillers bretons avaient refusé d'enregistrer le décret du 3 novembre et déclaré qu'ils ne rendraient plus la justice. Quelques membres, Le Chapelier et Regnaud (de Saint-Jean d'Angély), entre autres, proposèrent à l'Assemblée de décréter immédiatement d'accusation le parlement de Bretagne. D'autres conseillaient la temporisation et l'indulgence. Mais, suivant Robespierre, de telles mesures ne convenaient plus à la dignité de l'Assemblée nationale. Non-seulement, dit-il, le parlement de Rennes a offensé la nation en refusant la justice au peuple, mais il a eu l'audace d'écrire des lettres au pouvoir exécutif. A ces mots une voix s'écria : Non, cela n'est pas vrai ! Cette voix, c'était celle du vicomte de Mirabeau. Robespierre, sans répondre à l'interrupteur, continua d'exposer son plan, déclara qu'il adoptait la motion de Le Chapelier concernant l'établissement d'un tribunal provisoire à la place du parlement de Rennes, et demanda seulement, en plus, que les nouveaux juges fussent élus par le libre choix du peuple[109]. C'était le principe de l'élection des magistrats nettement posé devant l'Assemblée nationale. Ce principe était destiné à triompher dans la Constitution.

Le vicomte de Mirabeau ayant continué ses invectives, l'Assemblée, insultée dans un de ses membres, décida qu'il serait rappelé à l'ordre avec mention au procès-verbal. Quelques députés avaient réclamé une punition plus sévère ; mais M. de Menou mit tout le monde d'accord en s'écriant que la plus belle grâce qu'on pût faire au vicomte de Mirabeau était de croire qu'il n'était pas de sang-froid[110]. Ce fait s'était passé à une séance du soir. Camille Desmoulins ne manqua pas de flétrir dans son quatrième numéro des Révolutions de France et de Brabant l'insulte faite à Robespierre, cet excellent citoyen, l'ornement de la représentation nationale. Faisant allusion au banquet des apôtres, le jour de la Pentecôte, l'enfant terrible de la Révolution, après avoir prêté à saint Pierre ces paroles irréligieuses : Messieurs, nous ne sommes point ivres, car il n'est que neuf heures du matin et le cabaret n'est point encore ouvert, ajoutait : Si mon cher camarade de collège Robespierre avait dit la même chose au vicomte, celui-ci n'eût pu répondre comme saint Pierre, car il étoit neuf heures du soir, et il avait dîné chez Mars[111]. C'était la paraphrase un peu brutale du mot de M. de Menou ; mais l'article de Camille indique déjà la faveur croissante du député d'Arras dans l'opinion publique.

Il aurait fallu aux parlements de meilleurs défenseurs que le vicomte de Mirabeau : ils étaient dès lors abolis de fait, et l'on peut dire qu'ils tombèrent sans exciter le moindre regret dans la nation, tant ils étaient parvenus eux-mêmes à se frapper de discrédit. On sait avec quelle amertume, au mois de janvier suivant, les conseillers du parlement de Bretagne furent censurés à la barre de l'Assemblée nationale.

 

XXII

Il n'y avait pas que les parlements dont les fureurs se trouvassent excitées par la dislocation de l'ancien régime ; certains pays d'états n'avaient pas vu sans colère la destruction des privilèges provinciaux. Ceux du Cambrésis, notamment, renforcés de quelques nobles et de quelques ecclésiastiques, venaient de prendre un arrêté séditieux par lequel ils révoquaient les députés de la province et invitaient clairement les citoyens à résister aux décrets de l'Assemblée. Dénoncés par Treilhard et par Merlin, qui demandèrent la traduction de leurs membres à la barre, les états du Cambrésis eurent dans l'abbé Maury, fougueux défenseur de tous les vieux abus, un apologiste passionné.

Robespierre se leva pour répondre à l'abbé. Il l'accusa d'avoir déplacé la question en mettant en cause la province de Cambrésis, tandis qu'il s'agissait seulement d'examiner et de juger une simple délibération, un acte de folie d'une commission inconstitutionnelle et vraiment aristocratique. Cette dernière expression souleva dans l'Assemblée une double émotion : d'une part, des murmures violents, car beaucoup de membres du côté droit étaient trop attachés au parti aristocratique pour demeurer de sang-froid en l'entendant attaquer ; de l'autre, des applaudissements frénétiques. Deux fois l'orateur fut interrompu. Quand le président eut enfin obtenu la cessation du désordre, qu'un journaliste du temps attribua principalement aux aristocrates des galeries, se refusant à croire que l'Assemblée fût encore infectée de cette engeance[112], Robespierre reprit : On ne peut se défendre d'un mouvement d'indignation contre ces hommes qui, sans qualité légale, ont osé attaquer vos décrets. Ce corps aristocratique a poussé le délire jusqu'à vouloir révoquer des députés qu'il n'a point nommés, et les révoquer sans l'avis des peuples qui ont chargé ces mêmes députés de détruire le régime actuel des états ; mais tant d'absurdité fait changer l'indignation en pitié. Combattant ensuite les mesures de rigueur proposées contre les états incriminés, que, avec une pitié dédaigneuse, il présentait comme plus ignorants que coupables, l'orateur poursuivait ainsi : Ils n'ont pu se dépouiller encore des préjugés gothiques dans lesquels ils ont vécu ; les sentiments de justice et d'honneur, la raison et le patriotisme n'ont pas encore pénétré jusqu'à eux. Ce sont des orgueilleux qu'il faut humilier, des ignorants qu'il faut instruire. Je vous propose donc d'inviter les députés des communes du Cambrésis, ses véritables défenseurs, à écrire aux membres des états une lettre capable de dissiper leur ignorance, de les rappeler aux sentiments patriotiques et aux idées raisonnables[113].

Mirabeau ne trouva pas que Robespierre se fût montré assez sévère : Nous avons vu, écrivit-il dans son journal, se résoudre en ironie les traits terribles qu'on s'attendait à lui voir lancer contre les états. Cet arrêté, a-t-il dit, vient d'un excès de folie ou d'un excès d'ignorance. M. de Robespierre ne pensoit pas que la maladie de l'ignorance est incurable quand elle se complique avec l'orgueil et l'intérêt[114].

Moins indulgents que Robespierre, quelques députés, comme Barnave, Alexandre Lameth et Le Chapelier, voulaient qu'on déférât à la justice l'arrêté séditieux et les membres qui y avaient concouru. Ajournée à cause de la divergence' des opinions, la question, fut reprise quelques jours plus tard, le 24 novembre ; et l'Assemblée, s'inspirant de cette indulgence recommandée par Robespierre, décida, après avoir annulé la délibération des états du Cambrésis comme attentatoire aux droits de la nation, que le roi serait supplié de donner les ordres nécessaires pour faire rentrer les membres des états dans le devoir et les forcer à exécuter les décrets de l'Assemblée.

 

XXIII

On discutait alors la nouvelle organisation du royaume, et c'étaient précisément les bases posées par l'Assemblée qui irritaient si vivement dans les provinces un certain nombre d'individus attachés par routine, et surtout par intérêt, à l'ancien état de choses. En anéantissant le despotisme royal et celui de la féodalité, l'Assemblée constituante avait accompli une grande œuvre, et ce sera son éternel honneur ; mais ce n'était là que la moitié de sa tâche. Ses principaux membres comprenaient très-bien que, après avoir brisé cette double tyrannie, il leur fallait encore dissoudre les éléments divers et multiples dont elle se composait, et reconstruire à la place du vieil édifice en ruines un nouvel édifice social mieux entendu, plus en rapport avec l'égalité récemment conquise, plus digne enfin de cette liberté qu'on venait de proclamer à la face du monde émerveillé.

Mais que d'obstacles à surmonter pour édifier un pareil monument ! On se rappelle l'inexprimable confusion existant sous tous les rapports dans l'ancienne organisation de la France. Nulle homogénéité, vingt nationalités dans une ; là c'étaient les pays d'états ; ici les pays d'élection. Il y avait des provinces soumises à la juridiction du droit romain et des provinces de droit coutumier ; ce qui était erreur d'un côté était vérité de l'autre. Finances, justice, langue, tout était disparate. C'était la tour de Babel. Telle province avait des privilèges et des immunités dont telle autre était entièrement privée. L'Artois avait conservé certains droits soigneusement stipulés dans sa capitulation, mais dans aucune province peut-être le joug féodal ne pesait d'un poids plus lourd que dans la patrie de Robespierre. La ville d'Arras en particulier était, on s'en souvient, comme enlacée dans la suzeraineté de l'abbé de Saint-Waast et celle de l'évêque.

Il fallait mettre de l'ordre dans ce chaos ; de tant de nations diverses faire une nation une, forte et compacte. Ce fut ce qu'entreprit victorieusement l'Assemblée nationale. L'unité française, c'est son œuvre impérissable, un de ses plus beaux titres à notre reconnaissance. Gloire donc à tous ceux de ses membres qui y concoururent, qu'ils s'appellent Robespierre, Larochefoucauld, Thouret, Barnave ou Mirabeau !

Mais en toutes choses nous verrons toujours le premier devancer singulièrement ses collègues et émettre des propositions qui, jugées irréalisables sur le moment, ont été réalisées depuis, ou seront adoptées plus tard, tant elles sont dans la logique des progrès de l'humanité. Il avait demandé que tous les citoyens fussent électeurs et admis à tous les degrés d'élection ; son système, repoussé par l'Assemblée constituante, momentanément sanctionné par la Convention, est en pleine vigueur aujourd'hui.

Après avoir décrété la division du royaume en départements, celle des départements en districts, et celle des districts en cantons, l'Assemblée avait décidé que dans les assemblées primaires de chaque canton les électeurs nommeraient un électeur du second degré à raison de cent citoyens actifs présents ou non présents à la réunion ; que les électeurs nommés par les assemblées primaires se réuniraient en une seule assemblée de département pour élire les députés à l'Assemblée nationale, et que le nombre de ces députés serait déterminé selon la triple proportion du territoire, de la population et de la contribution directe. Dans la discussion préalable, Robespierre n'avait pas manqué de s'élever contre les chiffres trop restreints, suivant lui, proposés par le comité de constitution. Il aurait voulu que le nombre des électeurs du second degré fût au moins de trois cents par assemblée électorale, et que l'on portât à mille celui des députés aux Assemblées nationales. Car, disait-il, plus ces assemblées seront nombreuses, plus l'intrigue aura de peine à s'y introduire, et plus la vérité paraîtra avec éclat. La vertu n'a pas besoin d'être entourée de témoins, mais la corruption a besoin d'un grand nombre de surveillants[115]. Malgré ses observations, le plan du comité passa avec cette modification antilibérale et .restrictive du droit électoral, proposée par M. d'Ambli, que les députés devraient être choisis parmi les éligibles du département électeur.

En vertu des mêmes principes il demandait, quelques jours plus tard, que le nombre des membres de l'assemblée administrative de chaque département fût porté à quatre-vingts au lieu de trente-six, chiffre proposé par le comité de constitution. Un peuple qui veut se régénérer, disait-il, et qui veut fonder sa liberté sur les ruines de toutes les aristocraties, doit avoir des assemblées nombreuses pour que ses représentants soient plus impartiaux. Comme il était question d'allouer une rétribution aux administrateurs du département, quelques députés proposèrent de réduire leur nombre a vingt-quatre, en invoquant la nécessité de l'économie, cachant peut-être sous ce prétexte leur désir de voir les administrations départementales se transformer en oligarchies aristocratiques. Suivant Robespierre, la considération de l'économie devait céder à l'avantage plus essentiel de multiplier les soutiens et les défenseurs du peuple[116]. Barnave aussi voulait des assemblées nombreuses, comme étant moins exposées à l'esprit de parti et de faveur, mais il jugeait suffisant le chiffre fixé par le comité ; l'Assemblée constituante fut de son avis.

Aux assemblées départementales, ressortissant à l'Assemblée nationale législative, forent subordonnées les assemblées de district et les municipalités. Ainsi se trouva constituée en partie cette puissante unité à laquelle, quelques années après, la France fut redevable de ne pas succomber sous le poids de l'Europe coalisée. Peut-être l'Assemblée constituante ne laissa-t-elle pas la commune vivre assez de sa propre vie, mais la Constitution de 1793 eut soin de remédier à cet inconvénient ; et si plus t3rd, le jour où le principe d'autorité prit d'effrayantes proportions, la centralisation française fut portée à un point excessif et fatal, il n'en faut pas rejeter la faute sur la Révolution. Il y a d'ailleurs une distinction fondamentale à établir entre la centralisation administrative et la centralisation politique. Nous aurons à revenir sur ce sujet ; disons seulement tout de suite qu'autant Robespierre était partisan de celle-ci, autant il était hostile à la première dans son exagération.

 

XXIV

Depuis l'ouverture de ses séances, l'Assemblée nationale avait presque complètement renouvelé la France. On est stupéfait quand on considère le pas franchi et les travaux accomplis par elle en quelques mois. Et ce bouleversement de l'ancien état social était accueilli avec un enthousiasme bien naturel par l'immense majorité de la population. Souvent même on se plaignait amèrement de ce que les décrets libérateurs ne fussent pas assez promptement mis à exécution. Dans la séance du 21 novembre, lecture fut donnée de plusieurs adresses par lesquelles un certain nombre d'électeurs de bailliages réclamaient contre le retard apporté dans quelques localités à la promulgation des arrêtés rendus le 4 août et les jours suivants. Si le gouvernement se hâtait de publier dans tout le royaume les décrets favorables au pou voir exécutif, tels que ceux relatifs à la contribution du quart des revenus et à la loi martiale, il mettait beaucoup moins d'empressement à faire parvenir aux municipalités les arrêtés destructifs des privilèges de la noblesse et du clergé, arrêtés qu'il n'avait sanctionnés qu'à contre-cœur. Ce fut ce que ne manqua pas de signaler Robespierre. Quelques jours auparavant, une lettre de sa sœur lui avait annoncé en ces termes la promulgation à Arras d'un décret qu'il avait vivement combattu : On vient de publier aujourd'hui dimanche la loi martiale. J'ai marqué mon étonnement d'entendre immédiatement après la lecture de cette loi déclarer que la garde nationale étoit toujours libre[117]. Il supplia donc l'Assemblée de prendre les mesures les plus efficaces pour la prompte et exacte publication de tous les décrets dans chacune des municipalités du royaume. Conformément à ses observations, on décida immédiatement que quatre commissaires spéciaux seraient chargés de s'assurer de l'envoi et de la réception de tous les décrets sanctionnés ou acceptés par le roi[118].

Il arrivait ainsi qu'à chaque instant l'Assemblée était obligée d'interrompre les débats relatifs à la constitution, à l'organisation du royaume et aux grandes mesures financières, pour statuer sur des questions incidentes dont la décision n'admettait pas de retard. Tantôt c'étaient des parlements en révolte dont il fallait châtier l'insolence, tantôt des municipalités dont il était nécessaire de soutenir le patriotisme contre les réactions aristocratiques. On était sûr alors de voir aux prises les membres qui, dans la salle du Manège, où l'Assemblée était venue s'installer depuis peu, à quelques pas du château des Tuileries, siégeaient à la droite du président, et ceux qui siégeaient à la gauche. Nous avons récemment montré Robespierre luttant contre l'abbé Maury à propos d'une délibération séditieuse des états du Cambrésis ; nous allons l'entendre défendre le peuple de Toulon, violemment incriminé par Malouet et de Virieu.

Une décision injuste prise par le commandant Albert de Riom centre les ouvriers de la marine enrôlés dans les rangs de la garde nationale avait profondément irrité celle-ci, déjà blessée de plusieurs insultes dont la cocarde tricolore avait été l'objet. Soupçonnés d'avoir voulu faire tirer sur le peuple, le comte de Riom et plusieurs officiers furent arrêtés par la garde nationale et mis au cachot. Le bruit s'étant répandu que la ville était sur le point d'être attaquée par les flottes combinées de la Hollande et de l'Angleterre, on traita les prisonniers avec plus de sévérité, et toute la population prit les armes pour repousser l'attaque dont Toulon semblait menacé. Malouet annonça ces nouvelles à l'Assemblée sous les couleurs d'une insurrection populaire. Dans une séance précédente il avait proposé une motion tendant à ce qu'on réprimât énergiquement les désordres dont, suivant lui, la ville de Toulon avait été le théâtre, et qu'une réparation éclatante fût faite au commandant Albert de Riom. Cette fois, il se contentait de prier l'Assemblée d'autoriser le président à écrire aux officiers municipaux de Toulon qu'aucune escadre ne menaçait la ville, et que, lorsque la tranquillité serait rétablie, on prendrait en considération les réclamations des ouvriers touchant la décision prise à leur égard par le commandant de la marine. Mais, disait Robespierre, on n'avait encore aucun renseignement précis sur les faits dénoncés par Malouet. Adopter sa motion, ce serait blâmer la conduite des citoyens de Toulon sans la connaître, tandis qu'on avait les preuves de l'incivisme du commandant et de quelques-uns de ses officiers. A ces mots, l'abbé de Bonneval interrompit brusquement l'orateur, et de Virieu demanda son rappel à l'ordre. Mais lui, sans s'émouvoir : Le mépris le plus insultant du signe national, les menaces contre la liberté et la sûreté du peuple ont nécessité la légitime défense des habitants. Je demande donc que votre délibération soit suspendue jusqu'à ce que vous ayez pris connaissance des pièces nouvelles que les habitants de Toulon viennent de vous envoyer par un courrier extraordinaire, pour prouver les attentats commis par l'intendant[119].

Renvoyée au comité des rapports, l'affaire de Toulon fut reprise au mois de janvier suivant, et ramena Robespierre à la tribune. Un député, nommé de Champagny, avait essayé de disculper entièrement la conduite du comte Albert de Riom en passant sous silence la plupart des faits qui avaient motivé le ressentiment de la garde nationale et du peuple de Toulon. Après lui, le député Ricard, dans un discours énergique, présenta une sombre peinture des menées réactionnaires auxquelles s'étaient associés les officiers mis en état d'arrestation, et qui avaient déterminé le soulèvement des ouvriers toulonnais. Après avoir rappelé avec quelle persistance le commandant de la marine s'était opposé à ce que ses subordonnés se décorassent de la cocarde tricolore, il proposa à l'Assemblée de se déclarer satisfaite de la manière dont la municipalité de Toulon, la garde nationale et les troupes s'étaient comportées en ces circonstances orageuses. M. de Liancourt, tout en justifiant également la municipalité et la garde nationale de Toulon, concluait en demandant une déclaration entièrement favorable au comte de Riom et aux officiers arrêtés avec lui.

Mais, aux yeux de Robespierre, c'était une mesure injuste et impolitique que d'innocenter complètement des fonctionnaires convaincus d'avoir manifesté les sentiments les plus hostiles à la Révolution ; car les absoudre par un décret, c'était improuver la conduite des habitants de Toulon, qui n'avaient fait qu'user du droit de résistance à l'oppression. Je ne veux être, dit-il, ni l'accusateur, ni l'avocat des officiers de la marine ; ni l'un ni l'autre rôle ne convient aux représentants de la nation ; mais je crois que nous devons faire tous nos efforts pour empêcher qu'on ne donne des éloges aux sentiments et à la conduite des officiers qui ont manqué à la liberté et au respect dû au peuple. On vous parle beaucoup des ménagements à garder envers un commandant de la marine qui a bien servi ; et moi je réclame à la fois la commisération, l'amour, le respect pour le peuple ; je ne connais rien de grand pour l'Assemblée nationale que le peuple. On vous parle de consoler, d'honorer un officier général ; je vous supplie, au nom de la liberté, de ne pas décourager le patriotisme des bons citoyens. Protégez la liberté, honorez la nation et l'humanité. C'est au courage, c'est au généreux dévouement des défenseurs de la patrie ; c'est à l'inflexibilité de leurs principes qu'est attachée la destinée des grandes révolutions. Puis, après avoir rappelé les faits analogues qui s'étaient passés à Brest, où la liberté se trouvait compromise par la soldatesque, et à Marseille, où les meilleurs patriotes avaient été jetés dans les fers par les partisans de l'ancien régime, il retraçait à son tour les événements dont la ville de Toulon avait été le théâtre. Il fallait prendre garde, disait-il en terminant, de décourager le patriotisme en comblant d'éloges les ennemis de la liberté. Du reste, il ne proposait pas la mise en accusation des officiers dont il blâmait la conduite, mais, se ralliant à la proposition de son collègue Ricard, il réclamait, au nom de la prudence et de la justice, un vote de satisfaction en faveur du-conseil municipal et de la garde nationale de Toulon[120].

L'Assemblée nationale, ne voulant pas mécontenter la cour en incriminant la conduite de l'intendant de la marine et celle de ses officiers, ni irriter les magistrats municipaux et la garde nationale de Toulon, déclara que, présumant favorablement des motifs qui avaient animé les uns et les autres, il n'y avait lieu à aucune inculpation. C'était déjà beaucoup d'avoir empêché l'Assemblée, assez hostile aux effervescences populaires, de blâmer, malgré l'insistance de Malouet et de quelques autres députés du côté droit, un mouvement auquel s'était associée toute la population toulonnaise.

 

XXV

Quelques semaines auparavant, dans la séance du 23 décembre, Robespierre avait obtenu une victoire plus complète lorsque, appuyant une motion de Clermont-Tonnerre, il avait pris en main la cause de plusieurs classes de citoyens déshérités, depuis des siècles, de tous droits politiques, et dont il contribua largement pour sa part, on peut le dire, à faire décréter la participation à la vie civile.

Il s'agissait de savoir si les non-catholiques, juifs ou protestants, et les comédiens, ayant du reste les qualités requises pour être citoyens actifs, étaient aptes à occuper des fonctions municipales et à siéger au sein de la représentation nationale. Non, disaient les éternels défenseurs du passé, comme l'abbé Maury : il faut laisser à l'écart ces races maudites ; les comédiens, parce qu'ils exercent une profession infamante ; les juifs, parce qu'ils forment une nation dans la nation, et qu'ils sont le fléau des peuples. Tel était encore à cette époque l'empire du préjugé, que le district des Cordeliers, ayant élu un comédien comme officier de la garde nationale, vit se soulever contre lui les cinquante-neuf autres districts, et que François de Neufchâteau fut rayé du tableau des avocats de Paris uniquement parce qu'il avait épousé la fille du célèbre acteur Préville[121].

Attaquer de front une opinion inique, mais ancienne et invétérée, n'était donc pas une tâche très-facile. M. Robespierre, dit Mirabeau dans son Courrier de Provence, a réfuté l'abbé Maury en peu de mots, mais avec force[122]. On avait reproché aux juifs de vivre à l'écart, de s'occuper uniquement de spéculations lucratives, d'être enfin infestés de vices et de préjugés, comme si en cela ils formaient une exception dans l'humanité. Les lois anciennes invoquées contre eux étaient contraires aux principes et à la raison ; il était donc, disait Robespierre, de la dignité de l'Assemblée nationale de les abroger. Comment, s'écriait-il, a-t-on pu leur opposer les persécutions dont ils ont été victimes chez différents peuples ! Ce sont au contraire des crimes nationaux que nous devons expier en leur restituant les droits imprescriptibles dont aucune puissance humaine ne pouvait les dépouiller... Rendons-les au bonheur, à la patrie, à la vertu en leur rendant la dignité d'homme et de citoyen ; songeons qu'il ne peut jamais être politique, quoi qu'on puisse dire, de condamner à l'avilissement et à l'oppression une multitude d'hommes qui vivent au milieu de nous. Comment l'intérêt social pourrait-il être fondé sur la violation des principes éternels de la justice et de la raison, qui sont les bases de toute société ?[123] Belles paroles sorties d'un cœur profondément dévoué aux intérêts de l'humanité, et que ne devraient jamais oublier ceux dont Robespierre plaidait alors si chaleureusement la cause.

Quant à l'admission des protestants, la thèse était beaucoup plus facile à soutenir. L'abbé Maury lui-même avait déclaré qu'il ne les confondait pas avec les juifs. On se rappelait encore avec effroi les désastres occasionnés par la révocation de l'édit de Nantes, et il y avait en France une réaction presque générale en leur faveur. Rabaut Saint-Etienne, un des leurs, fils d'un vieux pasteur des Cévennes, n'avait-il pas été choisi pour président par l'Assemblée nationale ? Robespierre, en se faisant leur avocat, allait donc au-devant de l'opinion publique. C'était un procès gagné d'avance.

Il n'en était pas de même à l'égard des comédiens. Bien qu'ils ne fussent exclus des fonctions publiques par aucune loi positive, ils l'étaient en vertu de ces préjugés dont nous venons de citer deux exemples frappants et qui, selon l'abbé Maury, honoraient le peuple chez lequel ils se trouvaient en vigueur. Mais tel ne pouvait être l'avis d'un philosophe, d'un libre penseur. Proscrire toute une classe d'hommes parce que dans son sein il pouvait s'en rencontrer quelques-uns d'indignes, c'était le comble de l'iniquité. Etait-ce donc chose si rare de rencontrer au milieu de ce clergé, dont faisait partie l'abbé Maury, des individus souillés de crimes et de débauches ? Fallait-il pour cela jeter l'anathème à la corporation tout entière, déclarer tous ses membres indignes ? Robespierre n'avait pu maîtriser son émotion en entendant les paroles antichrétiennes de son fougueux collègue. Il était bon, dit-il, qu'un membre de cette Assemblée vînt réclamer en faveur d'une classe trop longtemps opprimée. Les comédiens mériteront davantage l'estime publique quand un absurde préjugé ne s'opposera plus à ce qu'ils l'obtiennent ; alors les vertus des individus contribueront à épurer les spectacles, et les théâtres deviendront des écoles publiques de principes, de bonnes mœurs et de patriotisme. Et après avoir, en peu de mots, résumé son opinion sur les non-catholiques et les comédiens, il terminait ainsi : On ne peut priver aucun des individus de ces classes des droits sacrés que leur donne leur titre d'hommes. Cette cause est la cause générale, il faut décréter le principe[124].

Son opinion, si libérale et si juste, devait plus tard triompher complètement ; mais, comme en beaucoup d'autres circonstances, il se trouva cette fois bien plus avancé que l'Assemblée, qui, d'accord avec lui sur les protestants, déclara qu'elle ne changerait rien quant à présent à la situation des juifs, sur l'état desquels elle se réserva de prononcer ultérieurement.

 

XXVI

Nous touchons au terme de cette admirable année 1789. Si l'on considère la marche lente de la civilisation depuis la venue du christianisme, on verra que, pendant les huit premiers mois de la session de l'Assemblée constituante, l'humanité a accompli plus de progrès que pendant les quinze siècles qui l'ont précédée. On ne saurait donc ménager la reconnaissance aux grands citoyens sous l'impulsion desquels tant de bienfaits ont été réalisés. Et parmi ces immortels défenseurs du droit, delà justice et de la liberté, qui, plus que Maximilien Robespierre, a payé de sa personne ? Pas de séance où sa voix n'ait retenti quand il s'agissait de réparer quelque iniquité ou de lutter contre le despotisme ancien. Où trouver une logique plus serrée, une perspicacité plus nette, une foi plus profonde, un désintéressement plus pur ? Nous avons suivi l'homme pas à pas ; et encore, à ses débuts dans la vie politique, n'avons-nous pu le présenter que sous un jour bien imparfait, puisque les journaux du temps ont à peine rendu compte de ses premiers discours. Souvent même, on s'en souvient, quand ils les mentionnaient en quelques lignes, ils ne nommaient pas l'orateur et se contentaient de le désigner par ces mots : Un membre ou M. N. ; ou trois étoiles ; non point par obstination ou sur la recommandation de ses amis, comme le dit malicieusement et sans aucune espèce de raison un célèbre historien[125], mais uniquement parce que Robespierre n'avait pas, dans les premiers temps de l'Assemblée, cette notoriété qui commande l'attention, et que pour lui, comme pour une foule d'autres orateurs inconnus, les journalistes n'y mettaient pas tant de façon. La sténographie n'était pas connue alors, et les comptes rendus de toutes les feuilles périodiques de l'époque sont très-incomplètes. Il est curieux de voir combien certains historiens se donnent de mal pour expliquer d'une façon extraordinaire les choses les plus simples du monde.

Rien d'étonnant d'ailleurs à ce qu'au début Robespierre n'ait pas été très-sûr de lui-même. S'il faut en croire le témoignage assez partial, et par conséquent suspect, d'Étienne Dumont, un des secrétaires de Mirabeau, témoignage invoqué déjà, il tremblait toujours en approchant de la tribune et ne se sentait plus au moment où il commençait de parler[126]. La plupart des hommes qui ont eu à prendre la parole en public ont pu avoir de ces défaillances dans le principe, mais la timidité de Robespierre ne fut pas de longue durée. Peu de personnages politiques ont parlé avec plus d'assurance sur des sujets plus variés et ont exercé sur leurs auditeurs une plus incontestable influence. Lorsqu'on l'entend, on le soupçonne orateur, disait-on de lui dans un des plus amers pamphlets du jour[127], car déjà il avait le don d'exciter les fureurs du parti contre-révolutionnaire ; mais comme on aime rarement à reconnaître le talent dans un ennemi, on supposait qu'au lieu d'improviser il récitait. Innombrables, au contraire, sont les discours prononcés par lui incidemment, sous le coup de quelque événement imprévu. Qu'importe, du reste ! Ce qui est vrai c'est que, comme Mirabeau, il écrivait ses discours de fonds, si je puis m'exprimer ainsi, parce que, si l'improvisation, dans une bouche exercée, est de nature à produire de merveilleux effets dans la chaleur de la discussion, elle ne saurait convenir à des matières auxquelles l'étude patiente et de longues méditations sont absolument nécessaires. Ce qui est vrai encore c'est que, à l'époque où nous sommes, Robespierre commençait à devenir une des puissances oratoires de l'Assemblée ; et déjà son nom se gravait dans le cœur des masses.

Le présenter comme l'homme ridicule de l'Assemblée, c'est faire de la fantaisie historique. On n'écrit pas l'histoire avec les anas et les Actes des Apôtres de Rivarol[128]. Un jour, il est vrai, à propos d'une formule de promulgation proposée par Robespierre, une saillie d'un député gascon mit le côté droit en belle humeur[129] ; mais s'il était souvent interrompu, et si sa parole excitait des murmures, c'est qu'on n'était pas accoutumé à ce fier langage d'homme libre au sein d'une Assemblée dont tant de membres avaient trempé dans le servilisme. Ses discours, loin de provoquer le rire, donnaient à penser ; car la Révolution était tout entière en lui. A la différence de la plupart de ses collègues, satisfaits d'avoir abaissé la noblesse et la royauté, il la voulait dès ce moment avec toutes ses conséquences politiques et sociales. Tel nous le voyons à l'Assemblée constituante, tel nous le retrouverons à la Convention nationale ; ses principes seront identiquement les mêmes ; seulement il ne s'agira plus de les faire triompher, il s'agira de les défendre et de défendre aussi la patrie envahie et mutilée. Quiconque s'est astreint à la tâche difficile et fastidieuse de suivre dans tous les journaux de l'époque les débuts de l'Assemblée a pu se convaincre que, dès l'origine, Robespierre a été parfaitement pris au sérieux par ses collègues.

Il marchait alors presque toujours complètement d'accord avec Mirabeau, Duport, Le Chapelier et les Lameth. Plus tard, il est vrai, nous les verrons se séparer, mais ce n'est pas Robespierre qui les laissera en chemin ; ce sont eux qui, retournant en arrière, tenteront vainement d'enrayer dans sa marche rapide et logique la Révolution qu'ensemble ils avaient déchaînée. Mirabeau, dont on ne soupçonnait pas encore les rapports avec la cour, s'était imposé à lui à force de génie. Robespierre avait fini par subir son ascendant, tout en le combattant quelquefois ; et, en certaines occasions, quand l'orage couvrait la voix du prodigieux orateur, on l'entendit réclamer contre les interrupteurs les sévérités de l'Assemblée. Dans la séance du 16 décembre il demanda l'insertion au procès-verbal du nom d'un gentilhomme nommé M. de Servière, qui, s'étant glissé parmi les députés, n'avait cessé d'interrompre Mirabeau dans son discours sur le recrutement militaire. Barère de Vieuzac rappela, à cette occasion, qu'à Athènes la loi punissait de la peine capitale l'étranger coupable d'avoir usurpé la puissance souveraine en venant s'asseoir parmi les législateurs[130].

 

XXVII

Dans un des derniers jours de l'année éclata entre Robespierre et l'un des députés de la noblesse d'Artois, M. de Beaumetz, une querelle dont nous aurons bientôt à nous occuper assez longuement, et dont l'origine remontait à la brochure publiée par le premier sur la nécessité de réformer les états artésiens, brochure que nous avons analysée dans notre précédent livre. On se rappelle avec quelle âpreté de langage l'ardent publiciste avait dénoncé, à une époque où il y avait quelque courage à le faire, les administrateurs de sa province, leur despotisme, leurs exactions, les formes arbitraires de leur administration. M. de Beaumetz, président du conseil et des états d'Artois, avait gardé à l'auteur de l'Adresse à la Nation artésienne une mortelle rancune.

Le 28 décembre, Target, au nom du comité de Constitution, venait de lire un article en vertu duquel il était enjoint aux assemblées provinciales, aux commissions intermédiaires et aux intendants de rendre, aux administrations appelées à les remplacer, compte des fonds qu'ils avaient eus à leur disposition depuis les derniers comptes arrêtés. La lecture de cet article donna lieu aussitôt à de nombreuses dénonciations sur les déprédations commises par les administrateurs et les intendants de provinces. Un membre, Regnaud — de Saint-Jean d'Angély —, émit l'avis qu'on demandât à tous les comptables, même aux officiers municipaux, une révision de comptes depuis trente années.

Mais, suivant Dumetz, il fallait prendre garde, en remontant trop loin dans le passé, de provoquer des inquisitions dangereuses et de nature à multiplier les ennemis de la Révolution. Je ne conçois pas, répondait Robespierre, comment l'Assemblée nationale peut craindre de demander des comptes à d'honnêtes administrateurs et comment elle n'y soumettrait pas des déprédateurs. Je ne crois pas qu'on puisse empêcher le peuple de demander compte de l'administration des dix dernières années et d'y comprendre les subdélégués, les intendants, les états provinciaux et les commissions intermédiaires. Il proposait donc à l'Assemblée de décréter la révision des comptes des dix dernières années ; et, afin de démontrer la nécessité de comprendre les états provinciaux dans cette révision, il rappela que, tout récemment, dans sa province, les états avaient exigé le payement de l'impôt de la milice, bien que le peuple en eût été exempté par arrêt du conseil, à cause des grêles qui, en 1788, avaient ravagé le royaume[131].

M. de Beaumetz se sentit atteint par ces paroles. Il s'élança à la tribune et, sans prétendre nier le fait matériel, chercha à l'expliquer en disant que, le roi s'étant réservé de demander pour l'année 1789 le double de l'impôt de la milice, on avait voulu tenir des fonds prêts pour le payement de cet impôt. Cette réponse, il faut l'avouer, n'était guère satisfaisante et laissait peser sur les états d'Artois la grave accusation d'arbitraire portée contre eux par Robespierre. On conçoit maintenant jusqu'à un certain point le ressentiment de Beaumetz et comment il en viendra à entreprendre contre son collègue et son compatriote une lutte d'où, malgré les artifices et les calomnies les plus savamment combinés, il ne sortira par victorieux.

L'Assemblée, au lieu d'adopter un des délais proposés, rendit un décret beaucoup plus élastique, par lequel -les états provinciaux, assemblées provinciales, commissions intermédiaires, intendants et subdélégués, étaient purement et simplement tenus de rendre aux - administrateurs qui les remplaçaient compte des fonds qu'ils avaient eus à leur disposition et de leur remettre toutes les pièces et papiers relatifs à l'administration de chaque commune.

 

XXVIII

On a vu comme insensiblement Robespierre grandissait dans l'Assemblée et dans l'opinion.

A côté de la tribune nationale s'en élevait une autre qui déjà commençait à attirer l'attention et dont les échos retentissants allaient bientôt se prolonger jusqu'aux extrémités du royaume : nous voulons parler de la tribune des Jacobins. C'est ici le lieu de dire quelques mots sur l'origine de cette société célèbre qui échauffa toutes les communes de France de l'ardeur du patriotisme dont elle était elle-même embrasée, et au sein de laquelle la popularité de Robespierre atteignit les dernières limites de la faveur humaine. L'enthousiasme pour lui alla jusqu'à l'adoration, et ce ne fut pas une des moindres causes des inimitiés sourdes suscitées contre lui et auxquelles il finit par succomber. Aussi les malédictions injustes poursuivent-elles encore dans cette société la mémoire de l'homme qu'elle entoura de respect et d'amour ; non pourtant que tous ses membres aient été également dévoués à Robespierre ; beaucoup, au contraire, furent ses adversaires constants. Il combattait la démagogie et le despotisme au nom de la démocratie ; il eut donc contre lui tous ceux qui, par esprit de désordre ou par haine de la Révolution, tendaient à exagérer le mouvement révolutionnaire pour perdre la République par ses propres excès. Mais n'anticipons pas sur les événements.

Quelque temps après l'ouverture des états généraux, un certain nombre de députés des pays d'états eurent l'idée de se réunir, en dehors des séances de l'Assemblée, afin de se concerter à l'avance sur les affaires publiques. Dans ces réunions, que leurs fondateurs baptisèrent du nom de club, emprunté à l'Angleterre, on comptait, à l'origine, Le Chapelier, Sieyès, Barnave, Adrien Duport, les Lameth et Robespierre. Comme les députés de la Bretagne étaient les promoteurs de cette société et s'y trouvaient en majorité, on l'appela le club Breton. Mais, dès le mois de juillet, ce nom n'étant plus en rapport avec l'extension qu'elle avait prise, on lui substitua celui de Société des Amis de la Constitution, nom plus en harmonie avec les tendances et les intentions des principaux membres du club, lesquels, voulant donner à leurs séances un organe de publicité suffisante, fondèrent un journal qu'ils appelèrent du nom même de la société.

Après les journées d'octobre, le club suivit l'Assemblée à Paris et s'y installa, d'abord dans une vaste salle servant de bibliothèque, louée, moyennant la somme de trois cents livres, à des moines dominicains établis rue Saint-Honoré, et plus vulgairement connus sous le nom de Jacobins ; puis dans l'église même du couvent, après la destruction de l'ordre[132]. On voit encore, dans la petite rue Saint-Hyacinthe, les trois grandes portes d'entrée donnant accès dans la maison où siégeait la société. Les bâtiments où se trouvait la salle des séances, aujourd'hui détruits, étaient au fond de la cour et avaient vue sur des jardins remplacés depuis par un marché. Sous le vestibule de la porte, à droite, existe toujours le vaste escalier par lequel les membres du club se rendaient aux bureaux, situés au premier étage.

Exclusivement composée de députés d'abord, la société s'accrut peu à peu d'une foule de citoyens qui sollicitèrent l'honneur d'être admis dans son sein. Il y en avait de toutes les conditions, avocats, hommes de lettres, médecins, marchands, mais point de peuple dans le sens technique du mot, du moins à cette époque. Il fallait, pour y être reçu, être présenté par deux membres et subir les chances du scrutin. Une fois admis, le récipiendaire prononçait à la tribune le serment dont voici la teneur : Je jure de vivre libre ou de mourir ; de rester fidèle aux principes de la constitution ; d'obéir aux lois, de les faire respecter, de concourir de tout mon pouvoir à leur perfection ; de me conformer aux usages et règlements de la société. Les séances avaient lieu quatre fois par semaine et n'étaient pas publiques dans le principe ; mais elles ne tardèrent pas à le devenir, et les tribunes ou galeries se garnirent d'auditeurs étrangers. Chacune de ces séances était, primitivement, une véritable répétition de la séance du lendemain à l'Assemblée nationale, car on y proposait et discutait les motions, aussi bien que la nomination des présidents et secrétaires de l'Assemblée.

A l'imitation de la Société des Amis de la Constitution s'organisèrent bientôt sur toute la surface de la France une foule de sociétés analogues tenant à honneur de ressortir à la société mère. Aujourd'hui, écrivait Camille Desmoulins[133], des clubs semblables formés dans une multitude de villes demandent à être affiliés à la société de la Révolution, et déjà ce grand arbre planté par les Bretons aux Jacobins a poussé de toutes parts, jusqu'aux extrémités de la France, des racines qui lui promettent une durée éternelle. Jacobins ! mot lancé d'abord par quelques journaux, et dont le peuple prit l'habitude de se servir pour désigner les membres de la Société des Amis de la Constitution, qui abandonna elle-même plus tard son nom pacifique pour adopter le nom de guerre sous lequel, dans les derniers jours de l'année 1789, elle était déjà universellement connue. Terrible en effet parut aux adversaires de la Révolution ce nom à jamais fameux, quand ils virent toute l'énergie révolutionnaire se concentrer au sein des sociétés qui l'avaient emprunté, au moment décisif où il fallut résister aux intrigues, aux trahisons, aux machinations des ennemis du dedans et du dehors, à l'invasion. Mais à l'époque présente, il s'agissait uniquement de poser et de discuter les bases du nouveau droit des Français, et nul ne soupçonnait les bouleversements auxquels donnerait lieu l'application de ces principes. Ce n'était pas encore Robespierre qui primait aux Jacobins, bien que sa parole y fût déjà singulièrement en faveur ; l'influence des Barnave, des Duport, des Lameth, des Mirabeau dominait la sienne. Mais, patience ! quand sonnera l'heure des réactions, quand les tentatives royalistes pour anéantir la Révolution rendront nécessaire une énergie plus grande, nous verrons la majorité des Jacobins purs se rallier autour de Robespierre et prendre en quelque sorte pour oracle celui que désignaient au peuple comme son guide naturel une éloquence toute brûlante de l'amour de l'humanité et une intégrité proverbiale.

 

XXIX

Robespierre, en arrivant de Versailles à Paris, était allé se loger rue de Saintonge, au Marais, chez un nommé Humbert, membre comme lui de la Société des Amis de la constitution[134]. Il avait loué, nous dit sa sœur, un fort modeste appartement qu'il partageait avec un jeune homme auquel il portait beaucoup d'affection[135].

Ce jeune homme n'était autre sans doute que Pierre Villiers, qui, sous le titre de Souvenirs d'un déporté, publia en l'an X un recueil d'anecdotes en tête duquel il a consacré plusieurs pages à la mémoire de l'homme dont il avait partagé l'existence durant une partie de l'année 1790. A les lire on croirait difficilement qu'il se fût jamais rendu digne de l'affection de Robespierre. Il écrivait, il est vrai, à une époque où la plupart des réacteurs de Thermidor occupaient une haute position dans l'État et où l'on eût été mal venu à mettre leur victime sur un piédestal[136]. Il faut donc encore lui savoir gré du peu de bien qu'il en a dit, car trop rares sont les gens de cœur qui ne se détachent pas d'un ami frappé par la calomnie.

Il avait été son secrétaire, ou plutôt lui avait rendu de temps à autre le service de recopier ses discours. Nous en avons quelques-uns sous les yeux, entre autres les discours sur l'établissement du jury et sur la pétition du peuple avignonnais, provenant des papiers trouvés chez Robespierre, et qui sont probablement de la main de ce Pierre Villiers.

Villiers nous représente Robespierre comme ayant été à cette époque dans une telle détresse que, pour porter le deuil de trois jours ordonné par l'Assemblée nationale, dans la séance du 11 juin 1790, sur la motion de Mirabeau, afin d'honorer la mémoire de Franklin, il aurait été forcé d'emprunter des vêtements noirs à un homme plus grand que lui de quatre pouces. Et un historien trop crédule, de s'écrier avec Juvénal : Nihil habet paupertas durius in se quam quod ridiculos homines facit[137]. Je nie d'abord, pour ma part, qu'une pauvreté dignement portée puisse jamais rendre un homme ridicule ; mais l'assertion de Pierre Villiers est ici évidemment inexacte. On possède la note curieuse de tous les effets emportés par Robespierre lorsqu'il quitta Arras pour venir exercer son mandat de député aux états généraux. Or nous y voyons figurer un habit et une culotte de drap noir ; il n'avait donc nul besoin d'en emprunter. Et le révélateur de cette note n'est pas suspect, c'est un des plus cyniques calomniateurs de Maximilien Robespierre.

Lui aussi le raille agréablement sur sa pauvreté, sur son maigre état de fortune. Seulement cette fois c'est un prêtre qui écrit[138]. Ô pauvreté, chose sacrée, compagne de tant de grands hommes, qui donc t'honorera et te respectera, si tu es reniée par les ministres du pauvre Prêcheur de Nazareth !

Au reste, de la pauvreté au dénuement il y a un grand pas. Il est complètement faux que jamais Robespierre ait été dans la détresse. Il avait laissé quelques biens à Arras[139] et touchait, comme député, dix-huit livres par jour, somme relativement élevée pour l'époque. Il était donc riche, n'ayant pas de besoins, ainsi que le disait Mirabeau, et professait un si profond dédain pour l'argent que plusieurs fois il négligea de toucher ses mandats d'indemnité de représentant.

De cette somme de dix-huit livres il faisait trois parts : un tiers était régulièrement adressé à sa sœur Charlotte, qui demeura à Arras pendant toute la durée de l'Assemblée constituante ; une autre part, si nous devons nous en rapporter à Pierre Villiers, passait entre les mains d'une personne chère qui l'idolâtrait[140] ; le reste servait à son usage personnel. Il était d'une extrême sobriété. Sa plus grande dépense consistait dans sa toilette ; sur ce point il avait des habitudes d'élégance avec lesquelles il ne rompit jamais. Plus tard, quand le débraillé régnera dans le costume comme dans le langage, nous le retrouverons tel que nous le voyons au début de sa vie politique, donnant à tous l'exemple de la dignité dans la vie privée, résistant à toutes les tentatives de corruption renouvelées sous mille formes et méritant le beau surnom d'incorruptible, qui lui restera dans l'histoire.

 

 

 



[1] Voyez pour ces détails les Mémoires de Ferrières, t. I, p. 18 et suiv. ; et les Souvenirs d'Etienne Dumont.

[2] C'est ce que Ferrières appelle complaisamment un silence respectueux.

[3] Mémoires de madame Campan, t. II, ch. XXXI.

[4] Mémoires de Ferrières, note de ma page 22. Voyez aussi le premier numéro du Journal des états généraux, par Mirabeau.

[5] Ferrières ne fait nulle difficulté d'en convenir. Le gouvernement ne voulait pas d'états, mais il avait besoin d'argent, dit-il. Voyez ses Mémoires, t. I, p. 34.

[6] Nous avons sous les yeux les originaux de cette lettre et de plusieurs autres lettres complètement inédites, d'une importance capitale, adressées par Maximilien Robespierre à son ami Buissart. Nous en devons la communication à l'obligeance de l'honorable M. Lenglet, avocat à Arras.

[7] Mémoires de Ferrières, t. I, p. 41.

[8] Mémoires de Bailly, t. I, p. 95.

[9] Lettre manuscrite de Robespierre, en date du 24 mai.

[10] C'est la propre expression de Robespierre. C'est aussi celle dont se sert Ferrières : Le clergé, plus cauteleux, presque entièrement composé de curés, détestait également les évêques et la noblesse, et désirait en secret s'unir au tiers. Voyez ses Mémoires, t. I, p. 48.

[11] Toutes ces circonstances nous sont révélées par la lettre manuscrite de Robespierre du 24 mai 1789. Sur sa participation dans la discussion relative à la réunion des trois ordres, comme sur la plupart de ses premiers essais à la tribune, le Moniteur et les journaux du temps gardent un silence à peu près complet.

[12] Procès-verbaux manuscrits de l'Assemblée nationale (Archives, c. I, 181-210).

[13] Le Moniteur se contente de dire : Les députés d'Artois. Or, comme le remarque malignement une brochure de l'époque, Robespierre s'était chargé de parler pour tous les autres. (Almanach des députés de l'Assemblée nationale, 1790, p. 22.)

[14] La noblesse et le clergé voulaient absolument qu'il y eût une différence quelconque entre eux et le tiers dans leurs manières respectives de s'exprimer devant le roi. Bailly, récemment appelé à la présidence des communes (3 juin) sous le nom de doyen, déclara nettement au ministre Barentin que les communes ne souffriraient aucune différence. On voit, dit-il, la futilité des prétentions des deux ordres ; on voit quelle vanité personnelle les occupait dans le moment où il s'agissait du sort de la France, et par quelles hauteurs déplacées ils semaient l'aigreur et provoquaient l'animadversion des communes. Bailly s'exprime comme Robespierre. (Voyez ses Mémoires, p. 105, t. I.)

[15] Lettre manuscrite du 24 mai.

[16] La rue Sainte-Elisabeth qui, en 1793, prit le nom de rue Voltaire, fait aujourd'hui partie de la rue Duplessis.

[17] Mémoires de Bailly, t. I, p. 177.

[18] Lettre manuscrite du 24 mai, ubi supra.

[19] C'est précisément ce que dit le marquis de Ferrières lui-même : D'Éprémesnil, Bouthilier, Lacqueuille se chargèrent de conduire la chambre de la noblesse ; ils l'engagèrent sans peine à commettre les sottises auxquelles on la destinait. D'Eprémesnil et Cazalès s'emparaient de la parole, traitaient avec une hauteur insultante ceux qui n'adoptaient pas leurs opinions, proposaient les arrêts les plus fous. (Voyez ses Mémoires, t. I, p. 37 et 45.)

[20] Tous les journaux du temps, qui reproduisent avec un laconisme déplorable les premiers débats de l'Assemblée constituante, sont très-sobres de détails sur cette séance pleine d'intérêt pourtant. Le Moniteur, rédigé après coup, se contente d'analyser en huit lignes le discours de Robespierre, sans nommer l'orateur (Moniteur du 6 au 10 juin 1789, numéro 6). Etienne Dumont, qui était présent à cette séance, nous fournit heureusement des renseignements plus complets. (Voyez ses Souvenirs sur Mirabeau, 2e édit., p. 60 et 61. Paris, chez Gosselin, 1832, in-8°.)

[21] Originaux des motions, arrêtés et discours relatifs aux procès-verbaux de l'Assemblée constituante (Archives, c. O, § 1, 216).

[22] Mémoires de Bailly, t. I, p. 187.

[23] Mémoires de Bailly, t. I, p. 190.

[24] C'est la propre explication donnée par David lui-même. Voyez l'Histoire de la Révolution, par M. Louis Blanc, t. II, p. 297.

[25] Mémoires de Ferrières, t. I, p. 56.

[26] Mémoires de Bailly, t. I, p. 208.

[27] Mémoires de Ferrières, t. I, p. 58.

[28] Telle est la seule version vraie, celle donnée par Mirabeau lui-même. Quant à la fameuse apostrophe : Allez dire à votre maître que nous sommes ici par la volonté du peuple, répétée par trop d'écrivains, elle est toute de convention. (Voyez la 13e Lettre de Mirabeau à ses commettants.)

[29] On peut lire leurs noms dans le journal de Barère. (Voyez le Point du jour, numéro 9, p. 60.)

[30] Lettre manuscrite de Robespierre à son ami Buissart, en date du 23 juillet 1789. Cette lettre n'est pas datée. Mais, comme elle a été écrite le lendemain de la mort de Foulon, nous avons cru pouvoir lui assigner cette date du 23 juillet.

[31] Lettre manuscrite de Robespierre à son ami Buissart, en date du 23 juillet 1789.

[32] C'est un royaliste lui-même qui le dit. (Voyez les Mémoires de Ferrières, t. I, p. 72.)

[33] Lettre manuscrite de Robespierre en date du 23 juillet. — Bailly est du même avis : On ne peut dire rien de plus grand, de plus fort, de plus digne en même temps que ce morceau. (Voyez ses Mémoires, t. I, p. 303.)

[34] Voir notamment le Moniteur du 6 au 10 juin 1789, numéro 6.

[35] Souvenirs sur Mirabeau, par Etienne Dumont. p. 251.

[36] Les douze députés des communes étaient Mirabeau, Coroller, Regnaud, Robespierre, Marquis, Barère de Vieuzac, Desèze, Delaunay, Petion de Villeneuve, Buzot, de Kervelegan, Tronchet. (Procès-verbaux manuscrits de l'Assemblée nationale, Archives C, § 1, 224, carton 15.)

[37] Mirabeau, dans ses Lettres à ses commettants (n° 18), Barère, dans le Point du jour, numéro 20, p. 151, l'appellent Robert-Pierre.

[38] Dix-huitième lettre de Mirabeau à ses commettants.

[39] Mémoires de Bailly, t. I, p. 312.

[40] Lettre manuscrite de Robespierre, en date du 23 juillet 1789.

[41] Bailly dit : Les officiers, les soldats même avaient été caressés ; la duchesse avait ramené les officiers chez elle. (Mémoires, t. I, p. 361.)

[42] Mémoires de Grégoire, t. I, p. 383.

[43] Lettre manuscrite en date du 23 juillet 1789.

[44] Mémoires de Ferrières, t. I, p. 132.

[45] Mémoires de Bailly, t. II, p. 5.

[46] Lettre manuscrite en date du 23 juillet 1789.

[47] On ne sait pas au juste par qui ces paroles ont été prononcées ; les uns, comme Ferrières, les attribuent à l'évêque de Chartres ; les autres, comme Bailly, à Mirabeau ; d'autres, comme Barère, ne nomment personne. (Voyez le Point du jour, numéro 25, p. 204.)

[48] Lettre manuscrite de Robespierre, en date du 23 juillet. Jusqu'à ce jour personne, nous le croyons, n'a révélé cette circonstance, que ce fut sur une demande officieuse du roi que l'Assemblée envoya dans la soirée du 15 une députation à Paris. Mais cela ressort assez clairement de la narration de Bailly. Il dit en effet que le rendez-vous était aux Écuries de Monsieur, et que les députés partirent tous de là avec un grand nombre de voitures précédées des gardes à cheval de la prévôté de l'hôtel. (Mémoires, t. II, p. 11.)

[49] Mémoires de Bailly, t. II, p. 20.

[50] Cela ressort également du récit de Bailly. Après avoir vu le roi, il se retirait quand il fut rappelé par M. de Breteuil, qui lui dit que le roi allait le lendemain matin à Paris. Il fut étonné que le roi ne me l'eût pas dit. (Mémoires, t. II, p. 43.)

[51] C'est le chiffre donné par le Moniteur (numéro 19), et par Bailly (Mémoires, t. II, p. 45.)

[52] Bailly n'est donc pas exact lorsque, dans ses Mémoires (t. II, p. 63), il fait pousser le cri de : Vive le roi ! avant l'arrivée de Louis XVI à l'hôtel de ville. Sur ce point les relations fournies par l'Ami du roi (4e cahier, ch. LIV, p. 39) et les Deux Amis de la liberté, auteurs d'une histoire assez peu impartiale de la révolution, confirment la lettre de Robespierre. On répétait sans cesse le cri de : Vive la nation ! Mais on n'y joignait pas ce tribut accoutumé d'amour et d'affection que les Français aiment tant à payer à leur souverain, etc.

[53] Lettre manuscrite de Robespierre, du 23 juillet. Ubi supra.

[54] Mémoires de Bailly, t. II, p. 68.

[55] Lettre manuscrite de Robespierre. Ubi supra.

[56] Lettre manuscrite du 23 juillet 1789. Ubi supra.

[57] Voyez le Point du jour, numéro 28, p. 244.

[58] Voyez le Point du jour, numéro 28, le Courrier de Versailles à Paris, numéro 18, p. 305, et le Moniteur du 20 au 23 juillet, numéro 21. Tout cela combiné. C'est la première fois qu'au Moniteur il est fait mention de Robespierre, dont les premiers discours, comme nous l'avons déjà fait observer, ont été singulièrement écourtés dans tous les journaux du temps.

[59] Discours de La Fayette à l'hôtel de ville, rapporté par les Deux Amis de la liberté, œuvre réactionnaire, ne l'oublions pas.

[60] Moniteur du 23 juillet 1789, n° 22.

[61] Dix-neuvième lettre de Mirabeau à ses commettants.

[62] Voyez le Point du jour, numéro 32. Le Moniteur est complètement muet.

[63] Mémoires de Bailly, t. II, p. 140.

[64] Qui ne connaît le fameux arrêt de la Cour de cassation du 21 novembre 1853, rendu, toutes chambres réunies, sous la présidence de M. Troplong ? Toutes lettres missives saisies à la poste sur l'ordre du préfet de police peuvent légalement, d'après cet arrêt, servir de base à la preuve du délit imputé à un prévenu, attendu, y est-il dit entre autres considérants, qu'en autorisant le préfet de police à rechercher, en quelque lieu que ce soit, la preuve des dénonciations et les pièces pouvant servir à conviction, la loi n'a fait aucune exception à l'égard des lettres déposées à la poste et présumées constituer soit l'instrument ou la preuve, soit le corps même du délit que le principe incontestable de l'inviolabilité des lettres n'est pas applicable en pareil cas ; que les correspondances par lesquelles s'ourdissent ou se commettent les attentats portés à la paix publique, à la propriété et à la sûreté des citoyens sont une violation du droit, et sortent de la classe de celles qui doivent être protégées par la loi ; qu'il n'est pas possible d'admettre, sans blesser les principes de la morale et de la raison, que l'administration des postes serve à couvrir de l'impunité des faits punissables et à, soustraire un corps de délit aux recherches de la justice, etc. On verra plus tard par quels abîmes l'opinion de Robespierre, en pareille matière, était séparée de cette doctrine.

[65] Le Courrier de Versailles à Paris, numéro 21, p. 7.

[66] Voyez le Moniteur du 25 au 26 juillet 1789, numéro 25, complété par le Point du jour, numéros 24 et 25, p. 299, 310 et suiv., et le Courrier de Versailles, numéro 21, lequel ajoute, entre parenthèse, que le discours de Robespierre fut fort applaudi.

[67] Moniteur, numéro 30 ; Point du jour, numéro 39, p. 365.

[68] Le Moniteur, après avoir donné huit lignes du discours de Robespierre, s'arrête tout court et termine par un etc. Voyez le numéro 32.

[69] Nous avons déjà fait remarquer que dans les premiers temps le Moniteur le désignait quelquefois ainsi : M***. Voyez le numéro 32.

[70] Plaidoyer pour le sieur Dupond. Voir le livre précédent.

[71] Voyez la Biographie universelle, à l'article Mirabeau, t. XXVIII de la nouvelle édition.

[72] Voyez le Point du jour, numéro 61, p. 190. Le Moniteur ne mentionne même pas la proposition de Robespierre.

[73] Voyez le Courrier de Provence, par Mirabeau, numéro 31.

[74] Le Point du jour seul l'indique parmi les nombreux orateurs qui ont combattu l'article 18 du sixième bureau. (Voyez le numéro 52, p. 201.)

[75] Moniteur, numéro 46. — Point du jour, numéro 53, p. 208.

[76] Voici comment Mirabeau, combattant aussi la rédaction du sixième bureau, s'exprimait dans son journal : M. Robespierre en a indiqué une qui se rapprochait davantage de la brièveté et de l'énergie des déclarations américaines et surtout du principe, qui certainement exigeait tout au moins dans les formes déterminées par la loi ; et non dans les cas prévus par la loi. (Courrier de Provence, numéro 32.)

[77] Point du jour, numéro 64, p. 215.

[78] Point du jour, numéro 59, p. 177.

[79] Dire de M. de Robespierre, député de la province d'Artois à l'Assemblée nationale, contre le veto royal, 1789, in-8°.

[80] Voyez le Moniteur, numéro 47, combiné avec le Point du jour, numéro 66, p. 237, et le Courrier de Versailles à Paris, numéro 54, p. 542-543. Voici en quels termes ce dernier journal raconte la scène : M. de Robetz-Pierre (sic) interrompt l'ordre pour faire une réflexion qui lui semble utile. Il observe qu'il est absolument essentiel que les délibérations soient paisibles ; il propose quelques articles à ajouter au règlement, car il se rappelle que certaines lacunes laissées à ce règlement ont fait grand bien au clergé le dimanche précédent. On le rappelle à l'ordre, mais le zèle qui l'anime l'engage à poursuivre ; il est encore interrompu. Enfin, voyant qu'il n'étoit pas toujours permis d'avoir de bonnes vues, et qu'on pouvoit déplaire en les exprimant, il sort de la tribune. Le président ne peut s'empêcher de remontrer à l'Assemblée que cette conduite n'est pas équitable. M. de Robetz-Pierre est invité à remonter à la tribune. Il s'y rend ; mais quelques choses excellentes qu'il dise, la contrariété incivile qu'il avoit éprouvée avoit beaucoup détruit de son énergie. — M. de Mirabeau répond à ceux qui prétendent que c'est à tort que M. Robetz-Pierre a parlé du règlement, qu'il est toujours temps d'en parler lorsque ce qu'on improuve ou ce qu'on approuve dans ce règlement a rapport à la question.

[81] Et non pas cinq cents, comme le dit M. Michelet, trompé par le Moniteur (Histoire de la Révolution, t. I, p. 245). Voyez le Point du jour, beaucoup plus exact que le Moniteur pour cette époque, numéro 76, p. 345.

[82] Révolutions de Paris, numéro 8.

[83] Dire de M. de Robespierre, député de la province d'Artois à l'Assemblée nationale, contre le veto royal, soit absolu, soit suspensif. A Versailles, de l'imprimerie de Baudoin, in-8° de 14 p. Ce discours ne nous paraît pas avoir été connu des principaux historiens de la Révolution ; aucun, du moins, ne l'a signalé.

[84] Moniteur du 14 au 15 septembre 1789, numéro 56.

[85] Voyez le Point du jour, numéro 79, p. 376.

[86] Histoire de la Révolution, par deux Amis de la liberté, t. III, ch. I.

[87] Point du jour, numéro 80, p. 34 et 39.

[88] Voyez le Moniteur du 5 au 6 octobre 1789, et le Point du jour, numéro 99.

[89] Minute de la main de Robespierre. (Originaux des motions, arrêtés et discours relatifs aux procès-verbaux de l'Assemblée nationale. — Archives C, § 1, 260, carton 18.)

[90] Déposition de Stanislas Maillard, dans la première partie de la procédure criminelle instruite au Châtelet sur les événements du 6 octobre. Voyez aussi les Mémoires de Ferrières, t. I, p. 312, et les Eclaircissements à la suite des Mémoires de Bailly, t. III, p. 419.

[91] Point du jour, numéro 102, p. 353 ; Moniteur du 5 au 8 octobre 1789, numéro 68.

[92] Le Moniteur, numéro 69, prête à Robespierre, dans cette séance une attitude tout à fait ridicule et invraisemblable. Nous avons dû préférer la version du Point du jour, numéro 102, p. 254, pour trois raisons : 1° parce que, rédigé au fur et à mesure des séances par Barère, assez favorable alors aux intérêts monarchiques, il présente un résumé, sinon très-complet, au moins très-exact des débats de l'Assemblée ; 2° parce qu'il y a dans le Moniteur, à l'occasion de Robespierre, dans cette séance, un double emploi inexplicable ; 3° parce qu'enfin le Moniteur de cette époque n'a été rédigé que plus tard d'après des versions plus ou moins sérieuses, plus ou moins complètes

Suivant le journal de Mirabeau, un député gascon se serait écrie, après avoir entendu la formule proposée par Robespierre : Il ne nous faut point de cantiques. (Voyez le Courrier de Provence, numéro 41). Bailly, dans ses Mémoires, n'a fait que copier le journal de Mirabeau. (Voyez t. III, p. 129.) Peut-être le rédacteur du Moniteur n'a-t-il fait que paraphraser ce passage. Dans tous les cas, les consciencieux auteurs de l'Histoire parlementaire de la Révolution ont eu tort d'accepter sans examen la version du Moniteur.

[93] Voyez dans l'Histoire parlementaire, par MM. Buchez et Roux, t. IV, p. 88, le plan de la municipalité de Paris tel qu'il existait au 31 décembre 1789.

[94] Révolutions de Paris, t. II, numéro 14, p. 15.

[95] Point du jour, numéro 112, p. 389, t. III.

[96] Les discours de Robespierre sont, encore à cette époque, singulièrement écourtés dans les journaux du temps. Nous avons résumé celui-ci d'après les versions données par le Moniteur, numéro 76, et le Point du jour, numéro 113, p. 399. Voyez aussi le numéro 17 des Révolutions de Paris, et le numéro 56 du Courrier de Provence, p. 5, 6 et 7.

[97] Mémoires de Ferrières, t. I, p. 354.

[98] Mémoires de Bailly, t. III, p. 222.

[99] Révolutions de Paris, numéro 16.

[100] Voyez le remarquable article de Loustalot, dans le numéro 16 des Révolutions de Paris.

[101] Les Révolutions de Paris étaient tirées à un nombre presque fabuleux d'exemplaires. Voyez le numéro 17, p. 24.

[102] M. de Montlausier raconte sérieusement qu'étant un jour à dîner chez le ministre directeur général des finances, dans les premiers temps de l'Assemblée nationale, il vit un homme à figure chafouine, qu'on lui dit être un membre du tiers, député d'Arras, nommé Robespierre, s'approcher de madame Necker et solliciter une place d'économe dans un des hôpitaux qu'elle dirigeait. Est-ce assez bête ! (Voyez les Mémoires de M. de Montlausier, t. I, p. 187.)

[103] Mémoires de Ferrières, t. I, p. 352.

[104] Voyez le Moniteur du 22 au 26 octobre 1789, numéro 77. Voir aussi le Point du jour, numéro 114, p. 415.

[105] Procès-verbaux manuscrits de l'Assemblée nationale. (Archives C, § 1, 276, carton 19.)

[106] Révolutions de Paris, numéro 17, t. II, p. 10.

[107] Lettre manuscrite de Robespierre, en date du 23 juillet 1789.

[108] Point du jour, numéro 138, p. 203.

[109] Point du jour, numéro 162, p. 133.

[110] Moniteur du 16 décembre 1789, numéro 116.

[111] Révolutions de France et de Brabant, numéro 4, t. I, p. 163.

[112] Gorsas. Voyez son Courrier de Versailles à Paris et de Paris à Versailles, t. VI, numéro 8.

[113] Voyez le Moniteur du 18 au 20 novembre 1789, numéro 92 ; le Point du jour, numéro 140, p. 226, et le Courrier de Versailles à Paris, t. VI, numéro 8, combinés.

[114] Courrier de Province, numéro 68, p. 21.

[115] Point du Jour, 139, p. 216 ; Moniteur du 17 au 18 novembre 1789, combinés.

[116] Point du jour, 139, p. 220 ; Moniteur de 1789, numéro 92.

[117] Lettre manuscrite de Charlotte Robespierre (d'Arras, sans date précise).

[118] Point du jour, numéro 141, p. 241.

[119] Point du jour, numéro 160, p. 116, et Moniteur du 15 décembre 1789, numéro 115, combinés.

[120] Voyez le Moniteur du 18 janvier 1789, et le Point du jour, numéro 188, p. 82, combinés.

[121] Révolutions de Paris, numéro 24, p. 6.

[122] Courrier de Provence, numéro 83, p. 7.

[123] Point du jour, numéro 168, p. 226.

[124] Voyez le Moniteur du 24 décembre 1789, numéro 124. Séance du 23.

[125] Michelet, Histoire de la Révolution, t. II, p. 322. Nous suivrons de près M. Michelet dans son Histoire de la Révolution. Il n'est pas de livre où, avec la plus entière bonne foi, on ait accumulé contre un homme plus de jugements faux et de grossières erreurs. Nous ne parlons pas, bien entendu, de ces histoires à l'usage des partis, comme l'Histoire de la Convention, par M. de Barante, où tout est dénaturé et odieusement travesti, ou certaine Histoire de la terreur en cours de publication, et dont nous aurons nous occuper plus tard.

[126] Etienne Dumont, Souvenirs sur Mirabeau, p. 251. Voyez plus haut.

[127] Les Grands Hommes du jour, p. 54, in-8°, 1790.

[128] Voyez l'Histoire de la Révolution, par M. Michelet, t. II, p. 321.

[129] Courrier de Provence, numéro 51. Voyez plus haut la note.

[130] Point du jour, numéro 162, p. 143.

[131] Point du jour, numéro 171, p. 256 et suiv. Le Moniteur du 28 décembre 1789 mentionne à peine cette importante discussion. Il ne nomme pas Robespierre, dont il résume le discours dans cette simple ligne : M*** est d'avis de borner cette révision à dix ans.

[132] Voyez à cet égard les Révolutions de Paris, numéro 139, p. 475.

[133] Révolutions de France et de Brabant, numéro 10.

[134] La maison que Robespierre habita, rue de Saintonge, pendant près de deux ans de sa vie (du mois d'octobre 1789 au mois de juillet 1791) et qui portait alors le n° 8, porte aujourd'hui le n° 64. Voyez dans le t. XIV de l'Histoire parlementaire de la Révolution, p. 441 et suiv., la liste des membres du club des Jacobins.

[135] Mémoires de Charlotte Robespierre, p. 74.

[136] Ce Pierre Villiers, ancien capitaine de dragons, dont M. Michelet a eu le tort de prendre beaucoup trop au sérieux les historiettes, avait été déporté le 18 fructidor. Il publia ses Souvenirs en l'an X (1802), et, suivant la mode du temps, commença son livre par quelques déclamations contre Robespierre, se félicitant de l'avoir quitté à temps, parce que, dit-il, j'avais eu avec lui quelques tracasseries que sans doute j'aurais lavées dans mon sang s'il se fût souvenu de moi. Mais, après cette hypothèse gratuitement calomnieuse, il prend soin de se donner à lui-même un démenti formel en racontant, à quelques pages de la, qu'au moment de sa plus haute faveur Robespierre s'informa de lui, et qu'ayant appris qu'il était au service de la République, il s'était écrié : J'étais bien sûr qu'il n'émigrerait pas et qu'il ne défendrait pas sa tête aux dépens de son cœur. (Voyez Souvenirs d'un déporté, p. 6.)

[137] Histoire de la Révolution, par Michelet. t. II, p. 324.

[138] Vie de Maximilien Robespierre, par M. l'abbé Proyard, chanoine de la cathédrale d'Arras (Arras, 1850), p. 42.

[139] C'est ce qui résulte d'une lettre de son ami Buissart, que nous avons sous les yeux, et d'un rapport de police cité par Peuclhet, dans ses Mémoires sur la police, p. 338 et suiv., rapport apocryphe, il est vrai, mais dont sur quelques points l'auteur paraît assez bien informé.

[140] Souvenirs d'un déporté, p. 2.