HISTOIRE DES FRANCS

CONSIDÉRATIONS SUR L’ESPRIT MILITAIRE DES FRANCS.

FRANÇOIS GUIZOT.

PARIS - 1834

 

PREMIER MÉMOIRE. — Depuis le commencement du règne de Clovis en 482, jusqu’à la fin de celui de Clotaire Ier, en 561.

SECOND MÉMOIRE. — Depuis la mort de Clotaire Ier, en 561 ou 562, jusqu’au règne de Clotaire II, en 613.

 

 

PREMIER MÉMOIRE. — Depuis le commencement du règne de Clovis en 482, jusqu’à la fin de celui de Clotaire Ier, en 561.

Espace d’environ 79 ans.

En traitant de l’esprit de guerre des Gaulois et des Germains, nous avons dans un autre ouvrage[1], suivi parallèlement celui des Francs en particulier, dès que l’histoire les a nommés, c’est-à-dire, pendant plus de deux siècles avant la ruine de l’empire romain d’occident. A cette grande époque, on a vu l’Italie transformée en un royaume demi-barbare entre les mains d’Odoacre, roi des Hérules, et la Gaule partagée en provinces ennemies, dont les plus belles étaient occupées par les Visigoths et les Bourguignons, quelques-uns par les Francs et les Allemands : plusieurs se disaient encore romaines en reconnaissant l’autorité des empereurs d’orient ; et d’autres, libres ou rebelles, se soutenaient par leur propres forces. Tel était sommairement l’état violent de la Gaule, lorsque Clovis, petit-fils, selon l’opinion commune, de Mérovée, dont le nom est reste ; à la première race de nos rois, monta sur le trône de Childéric son père, à l’âge de quinze ou seize ans. Nous avons aussi rapporté en leur place, les noms et les faits d’armes des rois antérieurs. Par conséquent, après l’étude qu’il fallait faire préalablement du caractère militaire de la nation avant Clovis, ce premier ; mémoire n’est qu’une continuation immédiate des précédents.

Quand le témoignage de nos anciens écrivains ne nous assurerait pas qu’au moins depuis Clodion, les Francs avaient conservé dans la Belgique des possessions plus ou moins étendues ; le tombeau de Childéric, trouvé à Tournai en 1653, les choses précieuses qu’il renfermait, le sceau de ce prince avec son effigie, et la légende Childerici regis, prouvent assez qu’il avait été inhumé dans une ville, dans une contrée de sa domination. D’ailleurs, si Clovis son successeur n’eut régné que dans la France Germanique, et s’il lui eut fallu passer le Rhin pour attaquer les Gaulois, comment nos chroniqueurs auraient-ils omis son entrée, ses premiers pas, sa première incursion dans la Gaule ? Leur profond silence sur tout ce qu’il avait pu faire avant que de se présenter, la cinquième année de son règne[2], devant Soissons, suppose sans doute, qu’il n’y arrivait pas de la Germanie, comme des savants[3] l’ont voulu conjecturer pour sa gloire ; mais de Tournai, peut-être, ou de quelque autre lieu de sa résidence dans la Belgique : ce qui n’empêche point que Clovis ne doive être regardé comme le vrai conquérant, de la Gaule, et le glorieux fondateur de l’empire français.

Lors donc que la vigueur de l’âge et les circonstances du temps lui firent prendre les avines, il les tourna d’abord contre les Gaulois qui continuaient de reconnaître pour maîtres ou pour protecteurs, les empereurs romains de Constantinople, et combattit [en 486] auprès de la ville de Soissons, le comte Syagrius, gouverneur de la province, et fils du célèbre Ægidius. Le faible historien, appelé le litre de notre histoire, en reconnaissance d’un nombre d’anciens faits et d’anecdotes curieuses qu’on ignorerait sans lui, ne dit rien de l’ordonnance. ni des manœuvres des Francs dans cette bataille. Il nous apprend seulement que Clovis[4] y marcha renforcé des troupes de Ragnachaire son proche parent, qu’on voit dans la suite roi de Cambrai ; et de celles de Cararic, autre roi du même sang[5], qui demeura perfidement spectateur de l’action : que Syagrius battu[6], alla chercher un asile à Toulouse auprès d’Alaric, et que le fier vainqueur se le fit livrer par le roi des Visigoths : qu’après cette première victoire il eut de pareils succès dans beaucoup d’autres entreprises, et qu’il subjugua les Thoringiens [Thoringos], ou plutôt les Tongriens [Tungros], les habitants de la cité de Tongres déjà nommée Thoringia par le même écrivain[7], non les Thuringiens de la Germanie.

Assuré, quelques années après, de la bienveillance ou de la neutralité des deux rois Bourguignons, Gondobald, vulgairement Gondebaud, et Godegesile, par son mariage [en 493] avec la princesse Chrotochilde ou Clotilde leur sœur[8], Clovis continua plus hardiment de fatiguer les Romains de la Gaule, poussa ses conquêtes jusqu’à la Seine[9], et fit de la ville de Melun une de ses places d’armes. Soissons était sa demeure ordinaire depuis la défaite de Syagrius, Il fut également heureux contre les Allemands, auxquels il eut affaire pour la défense de ses propres états, ou comme auxiliaire d’un prince de sa maison, appelé Sigebert, roi de Cologne, et plus voisin que lui des agresseurs. Les peuples distingués sous ce nom particulier de tous les autres Germains, comme nous l’avons observé ailleurs[10], conservaient probablement encore quelques possessions à l’entrée de la Gaule, outre leurs anciens établissements, vers le lac de Genève ; d’autres sur le Mœin, sur le haut Rhin ; et soit qu’ils eussent passé ce dernier fleuve avec les Suèves leurs alliés, pour chasser de la province appelée la seconde Germanique une nation rivale, ou seulement pour le pillage, leur nombreuse armée rencontra celle des deux rois, près du bourg de Tolbiac[11], aujourd’hui Zulpich, à quatre ou cinq lieues de Cologne. Dans la furieuse bataille qui s’y livra [en 496], les Francs commençaient à plier ; Sigebert[12] avait reçu une blessure grave, et Clovis sentit si vivement l’extrême danger où il se trouvait[13], que les fréquentes exhortations de Clotilde, ses pieux conseils d’abjurer le paganisme, rappelés à la mémoire du roi par le gaulois Aurélien, l’un de ses généraux, le décidèrent sur-le-champ à faire vœu d’embrasser le culte des chrétiens, si leur Dieu le secourait. Le sort des armes changea, le roi des Allemands fut tué, les Francs redoublèrent de courage, et leurs ennemis défaits prirent la fuite. Les uns se réfugièrent dans la Norique et la Rhétie[14], sous la protection de Théodoric, roi des Ostrogoths, successeur, en Italie d’Odoacre, et peut-être déjà marié avec la princesse Audeflède, sœur de Clovis. Les autres, implorant la clémence du vainqueur avec promesse de se renfermer à l’avenir dans leurs anciennes limites, le supplièrent de les admettre au rang de ses sujets. De sorte qu’après avoir vaincu une nation très guerrière, il s’en attacha la partie la plus nombreuse, et cette grande victoire lui facilita promptement de nouveaux triomphes non moins flatteurs, sans combattre, sans répandre de sang.

Dès que, fidèle à son vœu, il eut été baptisé solennellement à Reims, avec plus de trois mille de ses guerriers selon notre plus ancien écrivain[15], avec six mille suivant un autre, tous entraînés, sans doute, par l’exemple imposant de leur roi, ou persuadés comme lui du prodige de la bataille de Tolbiac, il ne fut plus si barbare aux yeux des Gaulois, qui s’empressèrent de respecter dans Clovis chrétien un catéchumène du saint évêque Rémi, un héros protecteur de leur foi catholique, coutre la doctrine arienne des Visigoths et des Bourguignons. Depuis ce rapprochement religieux, la domination des Francs parut moins intolérable que celle des autres oppresseurs de la Gaule[16]. Bientôt la nouvelle disposition des esprits en sa faveur détermina les Armoriques, c’est-à-dire, des cités maritimes, voisines de l’Océan, et d’autres, contrées proches de la Loire, confédérées auparavant pour leur liberté, à se donner [en 497] volontairement à un prince étranger contre lequel, jusque là, elles s’étaient vigoureusement, défendues, et à former avec les Francs, par la convenance d’une religion commune, l’association la plus étroite, qui les réunit[17], comme s’exprime un auteur presque contemporain, en un seul corps de nation.

La même raison fit aussi prendre le même parti aux troupes romaines encore employées, depuis la ruine de l’empire, à garder des villes, des forteresses, des châteaux, dans le voisinage des Bourguignons, et sur d’autres frontières. Les commandants et les soldats de ces garnisons, venus la plupart d’Italie, n’ayant pas les chemins libres pour y retourner[18], et résolus de ne pas se soumettre à des Ariens, livrèrent toutes leurs places à Clovis, ou à ses nouveaux alliés, et s’engagèrent à le servir dans ses guerres, en conservant leurs armes, leurs enseignes et leur ancienne discipline.

Cette double adjonction des troupes Armoriques, et des présides romains avec celles du roi des Francs, le mit en état d’essayer ses forces, contre les Bourguignons, possesseurs, outre les pays auxquels leur nom est demeuré, du Dauphiné, de la Savoie, d’une partie de la Provence et d’autres contrées vers le haut Rhin. Ardent à profiter de l’occasion d’une violente discorde entre les deux rois de la nation Gondebaud et Godegisil[19], il se ligua secrètement avec le second, que les usurpations de son aîné réduisaient à une très faible portion de la souveraineté commune, et s’engagea par un traité à le faire régner seul, à condition que tout le royaume de Bourgogne serait tributaire de celui des Francs.

Godegisil, pour perdre son frère, feignit de se raccommoder avec lui, et leurs deux armées marchèrent comme de concert à l’ennemi, qu’elles joignirent sur les bords de la petite rivière d’Ousche, à quelques lieues de Dijon. La bataille qui s’y livra [en 500] ne fut du côté de Gondebaud qu’une déroute sanglante. Chargé à la fois contre son attente par Godegisil et par Clovis, il prit dans sa fuite la route d’Avignon, où il soutint un siège qu’il ne fit lever qu’en consentant au tribut annuel, stipulé par son frère. Mais aussitôt que l’armée victorieuse eut été licenciée[20], Gondebaud, au mépris de ses serments, rassembla les débris du combat d’Ousche, courut à Vienne attaquer Godegisil, surprit la place, devint par un troisième fratricide l’unique souverain de sa nation[21], et refusa hautement de payer à l’avenir le tribut convenu au siège d’Avignon.

Ainsi trompé par le roi des Bourguignons, Clovis le fut encore l’année suivante, ou deux ans après, par celui des Ostrogoths, auquel il proposa de concerter ensemble une double invasion dans les états de Gondebaud[22]. La ligue conclue, le temps de l’expédition déterminé, les conquêtes qu’ils feraient en commun ou séparément soumises d’avance au par-t age le plus égal, Théodoric pensa moins à servir son allié et son beau-frère, qu’à ses propres avantages. Intéressé pour la sûreté de son royaume d’Italie, et d’autres possessions dans les Alpes, à voir les peuples guerriers qui se disputaient la Gaule, s’entredétruire eux-mêmes ; il donna l’ordre secret à ses généraux[23] d’allonger, de ralentir, de suspendre leurs marches, pour laisser tous les événements des combats à l’armée de ses confédérés, et de ne la joindre qu’au cas qu’elle serait victorieuse. Les Francs seuls, malgré cette perfidie, remportèrent en effet une grande victoire sur les Bourguignons, d’ans une bataille très meurtrière, très opiniâtre, où le sort des armes varia longtemps. D’ailleurs, en quel lieu se donna-t-elle ? Que s’y passa-t-il de remarquable du côté des vainqueurs ? Quel fruit en recueillirent Clovis et Théodoric ? Que conservèrent-ils des pays conquis ? Gondebaud les recouvra-t-il par la force ou par des traités ? on n’en sait rien de certain. Il parait seulement qu’ensuite il vécut toujours en paix avec son vainqueur[24], et qu’il continua de régner jusqu’à sa mort sans diminution sensible de sa première puissance.

Un ancien historien espagnol[25] suppose même les Bourguignons auxiliaires des Francs ; dans la guerre qu’entreprit Clovis contre un autre puissant voisin, Alaric, roi des Visigoths, lequel possédait dans les Gaules la Septimanie ou Languedoc, la Guienne, et plusieurs autres provinces entre la Loire et les Pyrénées, en même temps qu’il régnait sur presque toute l’Espagne. Mais Clovis, catholique, (car la religion eut beaucoup de part à cette guerre), se flattait d’avoir dans les états d’Alaric arien, comme dans les siens propres, le vœu des évêques, du clergé et des habitants en général attachés à l’ancien dogme, pour lequel il se montrait lui-même très zélé[26]. Renforcé des Bourguignons que lui prêta Gondebaud[27], et d’un autre corps de Francs[28] ; commandé par Clodoric, fils de Sigebert, roi de Cologne [en 507], il s’avança vers Poitiers, se hâta de joindre les Visigoths avant l’arrivée du secours que Théodoric leur envoyait, et de les combattre environ à trois lieues de la ville, dans la plaine de Vouillé ou Vouglé[29]. Vaincus, ils tournèrent le dos, suivant leur coutume, et prirent la fuite, comme s’exprime notre historien ; un peu prévenu contre eux par son état, et qui leur fait encore ailleurs le même reproche. Les troupes des Auvergnats, leurs braves auxiliaires, y périrent pour le plus grand nombre en se défendant valeureusement. Le roi Tarie fut tu ; dans l’action ou dans la déroute,  et de la main de Clovis, si l’on veut avec quelques commentateurs, donner ce sens à une expression qui, dans le récit de l’ancien historien, ne présente .point un combat singulier entre les deux princes.

Des succès éclatants suivirent de près la victoire de Vouglé[30]. Clovis fit enlever aux Visigoths, par son fils aîné Theuderic, que nous appelons Théodoric ou Thierry, le Rouergue, l’Albigeois et l’Auvergne : il s’empara lui-même de la capitale de l’Angoumois, de Toulouse, de Bordeaux, et d’autres villes dans la Septimanie et la Guienne. Ensuite, retenu apparemment par des affaires importantes à Paris[31], où il venait de transférer le siège de sa domination toujours croissante, il chargea un pie ses généraux, que l’histoire n’a point nommé, d’aller assiéger Arles ; et ce lut devant cette place, l’une des dernières restées ait .pouvoir des vaincus, que la fortune abandonna pour la première fois les enseignes des Francs. Vivement attaqués par une armée supérieure des Ostrogoths[32], que Théodoric envoya au secours de ses alliés à et par la nombreuse garnison de la ville assiégés, ils furent entièrement défaits ; et si le texte d’un historien goth[33] n’a pas été altéré, ils laissèrent plus de trente mille hommes sur le champ de bataille nombre remarquable, qu’on ne trouve cependant point dans d’autres anciens écrivains[34], qui nous ont donné quelques notions de ce siège, et du malheur des Francs : ils perdirent en même temps une partie de leurs nouvelles acquisitions, et ce ne serait pas ici le lieu de vouloir désigner les villes et les contrées reprises par les Visigoths et leurs confédérés, ni celles qui demeurèrent alors, ou revinrent dans la suite à Clovis, par les armes on par des traités.

On entrevoit seulement que, depuis la bataille d’Arles jusqu’à la fin de sa glorieuse et trop courte carrière î il eut encore dans le cours de trois ou quatre ans, quelques guerres contre les mêmes ennemis, et peut-être contre d’autres voisins ; mais elles sont à peine indiquées par d’arides historiens, et n’auraient pas sans : doute été mieux dépeintes que les précédentes, dont ils n’ont rapporté que des faits généraux, des combats sans description. Cependant, en mesurant les conquêtes, en comptant les batailles de Clovis, on reconnaît dans ses guerriers les mêmes Francs, que la préface de la loi, salique appelle[35] une nation renommée par ses exploits ; redoutable dans les combats, audacieuse, agile, (active), endurcie aux travaux de la guerre. Elle conservait donc son premier caractère militaire dont nous avons recueilli[36] ailleurs des traits plus marqués ; et l’on doit observer qu’il pouvait déjà avoir pris quelques nuances de celui des recrues gauloises, particulièrement des troupes Armoriques, volontairement adjointes, comme on l’a déjà vu, ainsi que les garnisons romaines, aux Francs de Clovis.

On désirerait qu’après avoir élevé au plus haut degré et si bien dirigé la valeur nationale, ce grand guerrier n’eut pas souillé les dernières années de sa vie, par les meurtres de Sigebert, roi de Cologne, et de son fils Clodoric ; de Chararic, régnant dans une autre cité, et de son fils ; de Ragnachaire, roi de Cambrai ; de Renomer, roi du Mans ; de Riquiaire leur troisième frère, et d’autres princes ses proches parents, ses compagnons d’armes, qu’il immola tous à son ambition ou à sa sûreté : car il craignait qu’ils ne lui enlevassent son royaume[37] dit notre historien, qui semble vouloir en quelque sorte l’excuser, eu donnant à entendre qu’il n’avait fait que prévenir ses rivaux. Ces crimes du trône sont à la vérité très communs dans l’histoire de tous les temps, et peut-être autant chez les peuples les plus policés, que chez les plus barbares. Clovis en avait des exemples à la cour des rois de Bourgogne, à celle des Visigoths, et le sien ne fut que trop imité, ou même surpassé, par sa postérité. Il dominait seul sur la moitié ou le tiers des Gaules, lorsqu’il mourut à Paris[38], dans la quarante-cinquième année de son âge, la trentième de son règne : on l’inhuma dans l’église de Saint-Pierre et Saint-Paul, aujourd’hui Panthéon, qu’il avait fait bâtir.

Il fallait qu’il montrât d’ailleurs de grandes vertus, ou qu’il possédât des qualités supérieures pour avoir su se faire obéir par les rois Francs, ses collègues, et réunir, après s’en cotre défait, leurs diverses tribus à la sienne ; pour se faire redouter de ses ennemis, aimer des Gaulois, et chérir de l’ordre sacerdotal. Mais quelques avantages qu’il eût pu retirer de la religion qu’il servait avec zèle, en s’en servant utilement, quelques moyens de prospérité que lui eussent fourni sa catholicité, sa politique, et si l’on veut, le diplôme de consul honoraire que lui envoya l’empereur Anastase ; comment en inférer qu’il n’ait pas lait ses vastes conquêtes dans la Gaule, à force ouverte, et par la supériorité de ses armes ? et comment lui refuser le titre de conquérant ? Cet étrange paradoxe d’un savant critique moderne[39], est suffisamment réfuté par les faits mêmes, par les guerres presque continues de notre héros, par ses éclatantes victoires sur les Romains ; sur les Gaulois et les Allemands, les Bourguignons et les Visigoths.

C’est aussi très improprement que le même critique a donné par anticipation à l’ancienne forme du gouvernement français, le nom de monarchie, suit dans le sens d’une autorité absolue, qui ne s’établit en France que bien des siècles après, soit dans la signification de l’autorité quelconque d’un seul chef. Les Francs, accoutumés de tout temps à la pluralité de leurs rois, étaient si éloignés d’avoir l’idée de l’indivisibilité du trône, qu’à la mort de Clovis, ils partagèrent entre ses quatre fils, ou leur laissèrent diviser, selon l’ancien usage, tout ce que leur père avait réuni[40], Thierry, le plus âgé, né d’une première femme ou d’une concubine, et qui s’était déjà distingué à la tête des armées, obtint où s’adjugea une part beaucoup plus forte que celle de chacune de ses trois frères, Clodomir, Childebert et Clotaire. Il est nécessaire, pour l’intelligence des guerres suivantes, de prévenir en général que les états de Thierry, appelés le royaume d’Austrasie, à cause de leur position orientale relativement à la Germanie, et le royaume de Metz, parce que cette ville fut la résidence du prince, comprenaient plusieurs provinces entre le Rhin, la Moselle et la Meuse, et confinaient dans la France Germanique aux Thuringiens : que le royaume de Clodomir eut pour capitale Orléans ; celui de Childebert, Paris, et celui de Clotaire, Soissons.

Les trois fils de Clotilde, maintenus par leur vertueuse mère dans une concorde fraternelle, et trop jeunes encore pour avoir l’impatience de prendre les armes, on la force de les porter, vécurent en paix environ huit ou neuf ans avec leur aîné, avec les Bourguignons et les deux nations Gothiques. Ce fut même contre d’autres ennemis que Thierry eut, pendant cette longue trêve, une guerre passagère. Ce prince, dans la vigueur de l’âge, et brave comme son père, informé [vers l’an 515 ou 516] qu’une flotte prodigieuse, sous la conduite d’un roi, ou d’un chef Danois, appelé Chlochilaïc, était arrivée à l’embouchure de la Meuse[41], d’où ces aventuriers du nord ravageaient des contrées du royaume d’Austrasie, y envoya une puissante armée. Son fils Theudebert, ou Théodebert, qu’il mit à la tête, n’était assurément pas en âge de la commander ; et l’on voit assez qu’il n’y allait que pour s’instruire sous les yeux du général, et se montrer dès l’adolescence sur le théâtre de la guerre, suivant la coutume des princes Francs. Les pirates et leur chef furent défaits avant que d’avoir pu se rembarquer, et périrent tous. Leur flotte fut attaquée en même temps par celle des Austrasiens, et presque entièrement enlevée avec les captifs, et le riche butin dont elle était chargée.

Quelques années après[42] cette double victoire sur les Danois, destinés a désoler un jour la France par leurs opiniâtres incursions, et à s’y établir sous le nom de Normands, Thierry ou Théodoric[43] alla lui-même dans la Thuringe renforcer d’une armée auxiliaire celle d’Hermanfried, vulgairement Hermanfroi, l’un des deux rois du pays, qui voulait perdre l’autre roi, son frère. Celui-ci, appelé Baderic, accablé par la jonction des Francs, périt dans une bataille : Hermanfried s’emparant de tous ses Etats, lorsque Thierry fut retourné en Austrasie, refusa de les partager avec son confédéré, suivant leur pacte, et s’en fit un ennemi implacable.

Le bruit de ces victoires du jeune Theudebert et de Thierry, quoique étrangères aux intérêts des trois autres rois. Francs, était bien propre, dans l’âge qu’ils atteignaient alors, à exciter leur ardeur guerrière ; et l’occasion se présenta bientôt d’essayer leur armes contre Sigismond et Gondemar, successeurs de Gondebaud, mort depuis quelques années. Voyant que l’aîné de ces deux rois de Bourgogne, père dénaturé, mari esclave d’une seconde femme[44], s’était avili jusqu’à lui sacrifier la vie du prince Sigeric, qu’il avait eu d’un premier mariage avec une fille du roi des Ostrogoths, et que cette cruelle lâcheté lui ôtait l’appui du redoutable Théodoric, ils réunirent les forces de leurs trois royaumes[45], et défirent [l’an 522 ou 523] les Bourguignons dans une grande bataille, dont le lieu n’est pas nommé. Malheureusement échappé par la fuite à une mort honorable, cherchant en vain un asile, Sigismond fut livré au roi d’Orléans qui, l’année suivante [523 ou 524] le fit tuer en prison, et jeter dans un puits avec sa femme, et deux petits princes leurs enfants. Barbarie calculée, représaille atroce du même traitement[46], exercé depuis bien des années par le père de Sigismond, sur le père et la mère de Clotilde.

Gondemar, sauvé de la défaite, avait déjà rassemblé une nouvelle armée avant le meurtre de son frère. Le bouillant Clodomir, de sou côté, se préparait à recommencer ses hostilités au printemps. N’ayant pu se faire suivre par ses premiers confédérés, Childebert, roi de Paris, et Clotaire, roi de Soissons, il[47]  obtint de Thierry des renforts suspects[48], rentra sur les terres des Bourguignons [en 523 ou 524], et les combattit vers le Rhône, probablement prés de Véséronce[49]. La bataille était perdue pour eux, lorsqu’en les poursuivant trop ardemment, et sans donner aux siens le temps de le joindre, il tomba[50] dans une troupe d’ennemis, qui lui coupèrent la tête, et la firent voir aux deux armées. Aisément reconnaissable à sa longue chevelure (costume particulier des rois Francs), et montré en l’air à la pointe d’une pique[51], aux vaincus pour les ranimer, aux vainqueurs pour les effrayer, elle transporta ceux-ci d’une telle fureur, qu’ils finirent en fuite, accablèrent leurs adversaires, et soumirent[52] en partie le royaume de Bourgogne. Cependant Gondemar le recouvra bientôt, comme en convient notre historien[53].

Les Francs, suivant un auteur grec[54], qui ne leur accorde pas une victoire bien décidée, furent au contraire si consternés à l’aspect de la tête chevelue, qu’ils craignirent de continuer la guerre, reçurent la paix de Gondemar, et se retirèrent aussitôt chez eux. Quelles qu’en eussent été les conditions, elle subsista non seulement tant que vécut Théodoric, trop puissant, et trop habile pour laisser les Francs envahir la Bourgogne, mais plusieurs années encore après sa mort arrivée en 526.

La vengeance que Thierry, furieux contre le roi de Thuringe, avait remise 5 des circonstances plus favorables, et longtemps suspendue, éclata [vers 530 ou 531] ; enfin il s’associa Clotaire, roi de Soissons, son troisième frère paternel[55], passa le Rhin, et défit les Thuringiens près de l’Unstrut. Les fuyards s’y jetèrent avec tant d’effroi et de confusion que leurs cadavres entassés firent un pont aux vainqueurs pour passer la rivière et consommer une victoire qui accrut de toute la Thuringe conquise les états de la France Germanique. Ou peut voir dans les anecdotes barbares de ces temps-là, comment Hermanfried, sauvé du carnage des siens[56], périt quelques temps après, indignement trompé par Thierry.

La même année ou la suivante, le roi de Paris Childebert, outré des mauvais traitements qu’une de ses sœurs, constamment attachée à la foi catholique[57], recevait d’Amalaric roi des Visigoths, son mari, arien intolérant, porta dans la Septimanie[58] une vive guerre, promptement terminée par le plus brillant succès. Amalaric vaincu auprès de Narbonne, perdit la vie dans la bataille ou dans la dérouter ; et Childebert, après avoir ravagé le pays, et dépouillé les églises ariennes, ramena en France la princesse ainsi vengée.

Childebert et Clotaire, peut-être déjà en possession du royaume d’Orléans, ou qui se le partagèrent bientôt, en égorgeant eux-mêmes deux de leurs neveux, fils de Clodomir, et dégradant le troisième par la tonsure cléricale, se lignèrent ensemble pour attaquer de nouveau Gondemar ; ils le mirent en faite auprès d’Autun, selon notre ancien historien[59], prirent cette ville et ne subjuguèrent cependant pas la Bourgogne entière, comme il le suppose, dès cette première campagne [de 532-534], ni même la suivante. Thierry, très occupé en même temps[60] à éteindre de violentes séditions dans ses provinces, à prendre des places sur les Visigoths dans la Septimanie, sur les Ostrogoths dans la Provence, exigeait des renforts de ses frères, au lieu de les aider des siens. Mais Theudebert succédant à Thierry, qu’une maladie enleva au milieu de ses grandes entreprises, se joignit à ses deux oncles : ils défirent ensemble Gondemar[61], dans une bataille dont on n’a ni le tableau, ni le nom du lieu, conquirent enfin [en 534] tous ses états, qu’ils partagèrent entre eut, et le renfermèrent[62] pour le reste de sa vie dans un château fort. Ainsi tomba le royaume des Bourguignons ou Burgondes, et s’éleva extrêmement la domination des Francs, moins anciennement établis dans la Gaule, et pendant quelque temps moins puissants.

Ensuite, plus redoutables qu’auparavant aux peuples voisins, les conquérants de la Bourgogne[63] acquirent encore, par de simples traités, tout ce que possédaient les Ostrogoths en deçà des Alpes, et dans la Provence, en s’engageant à les soutenir dans l’Italie, d’où l’empereur d’Orient menaçait de les chasser. Déjà les rois Francs avaient reçu de grosses sommes d’argent pour le servir contre la même nation ; nais bientôt infidèles à leurs premières promesses, et voulant cependant couvrir d’un voile spécieux ce manque de foi, ils n’envoyèrent[64] [en 538] au secours de leurs seconds alliés, que des Bourguignons, afin de pouvoir soutenir à Justinien que ce n’étaient que des volontaires étrangers à la nation des Francs, et qui avaient marché de leur propre mouvement au-delà des Alpes. Les dix mille hommes, braves, mais sans discipline, dont ce corps était composé, rendirent d’utiles services aux Ostrogoths, et commirent d’ailleurs,tant de violences, tant de désordres, que le roi Vitigès, quelque besoin qu’il en eût, les renvoya chez eux.

Dès l’année d’après [en 539], les rois de Paris, de Soissons et d’Austrasie[65], impatiens de s’affranchir des serments qui les réduisaient à une neutralité oisive entre Justinien et Vitigès, jugèrent qu’il était temps de profiter de l’état d’affaiblissement où des sièges, des combats fréquents avaient mis les forces respectives des Romains et des Ostrogoths ; qu’il ne serait peut-être pas difficile de leur enlever l’Italie, ou de la partager avec eux ; et, pour l’exécution de ce projet, ils imaginèrent un des plus hardis et des plus perfides moyens, dont il soit fait mention dans l’histoire. Theudebert, chargé de l’entreprise, parut tout à coup en Italie à la tête de cent mille hommes, y marcha comme en pays ami, sans faire aucun acte d’hostilité, jusqu’au Pô, près de Pavie ; traversa le fleuve sur un ancien pont Romain, dont la garde trompée lui avait volontiers laissé le libre passage ; s’avança rapidement vers l’armée des Ostrogoths, qui prirent de même la sienne pour un heureux secours, les surprit, les battit et les dissipa promptement. De là, courant aux impériaux campés à peu de distance, et persuadés, à la vue des Ostrogoths en déroute, que les vainqueurs ne pouvaient être que les fidèles allies de l’empire, le roi d’Austrasie fondit avec tant de fureur et de célérité sur nette seconde armée, que, sans avoir le temps de se reconnaître, ni de se former, elle s’abandonna dans sa terreur à une fuite précipitée.

Après ces deux singulières victoires, et la consommation de tous les vivres trouvés dans les deux camps, ou enlevés ensuite dans diverses contrées de l’Italie, les Francs couverts d’une fausse gloire, chargés d’amples dépouillés, mais manquant absolument de pain[66], et réduits à la chair des bestiaux, craignirent les progrès des maladies que cette nourriture, et la mauvaise qualité des eaux répandaient dans l’armée. Theudebert fut forcé par leurs plaintes de la ramener en France, déjà diminuée d’un tiers, et ne recueillit d’autre fruit réel de ses bruyantes aventures, que la conservation au-delà des Alpes, de quelques postes importants, où il laissa des troupes pour lui rouvrir au besoin les portes, de l’Italie. Dans l’impatience d’y rentrer il envoya [en 540], peu de mois après sa retraite, au nom de ses deux oncles et au sien, une ambassade[67] à Vitigès, assiégé alors dans Ravenne, pour lui offrir de l’aller délivrer de ses ennemis, à la tête de cinq cent mille hommes, dont il y avait déjà des bandes en chemin, et de se contenter de la portion de l’Italie, que les Ostrogoths voudraient bien céder à leurs alliés, mais l’excès même de ce secours le rendait trop dangereux, après ce qui s’était passé récemment vers le Pô. Vitigès découragé par ses malheurs, et près d’être forcé dans sa place, préféra aux magnifiques promesses de Theudebert, le parti plus sir de se rendre prisonnier au célèbre Bélisaire, général de Justinien, pour s’en aller vivre tranquillement à Constantinople, pensionnaire de l’empereur, avec le titre de patrice.

Ainsi déchus de leurs espérances, les princes Francs, tantôt rapprochés par l’intérêt commun, tantôt divisas par des jalousies, eurent à peine abandonné ou suspendu leurs grands desseins sur l’Italie, qu’ils tournèrent [en 540] contre eux-mêmes leur inquiétude belliqueuse. Les rois de Paris et d’Austrasie, confédérés, on ne sait pour quelle cause, contre celui de Soissons[68], le resserraient dans une forêt voisine, selon les conjectures les plus probables, de l’embouchure de la Seine, et l’auraient accablé avec des forces infiniment supérieures, si, au moment que la bataille allait s’engager, il ne fût survenu une espèce de médiateur bien imposant, un orage furieux, accompagné d’éclairs effrayants, d’horribles coups de tonnerre, d’une grêle énorme, et d’une pluie inondante ; la tempête en s’apaisant calma aussi la fureur des armes, donna lieu à la réflexion, à des sentiments de religion, de pitié, de justice, et la concorde se rétablit dans la famille royale.

Mais comment des rois ambitieux, cupides de gloire, et qui n’en connaissaient qu’une, comment leurs guerriers avides des dangers et du butin de la guerre, auraient-ils pu endurer longtemps l’inertie et l’ennui de la paix ? Il fallait donc qu’ils s’exerçassent contre des ennemis du dehors, et ce fut contre les Visigoths : Childebert et Clotaire allèrent bientôt [en 542 ou 543] les attaquer jusque dans l’intérieur de l’Espagne, où ils assiégèrent en vain Saragosse. Leurs troupes frappées[69], selon l’évêque de Tours, d’une frayeur religieuse, ou d’une terreur panique, abandonnèrent le siège de la place, pour retourner promptement en France avec les dépouilles de plusieurs provinces qu’elles avaient ravagées. Suivant un autre écrivain, évêque Espagnol[70], elles furent défaites par une armée du roi Theudès, accourue au secours de la place, et ne repassèrent le col des Pyrénées qu’avec beaucoup de peine, et la perte de leur arrière-garde.

Peu d’années après [en 547], Theudebert reprenant ses premiers desseins sur l’Italie[71], y envoya de nouvelles bandes de Francs et d’Allemands, sous le général Buccelin ou Butelin, qui s’empara, dans la Ligurie et dans la Vénétie, de villes, de vastes contrées, que les Romains et les Ostrogoths, retenus ailleurs par une vive guerre entre eux, ne pouvaient aller défendre. Le roi d’Austrasie écouta cependant les instantes sollicitations de Totila, successeur de Theudès[72], s’engagea, par un traité, à faire marcher promptement une seconde armée, assez forte pour enlever l’Italie à Justinien, à condition que les Francs en partageraient les possessions avec leurs confédérés. Mais la passion des conquêtes n’enflammait pas seule l’ardeur d’un prince héroïquement brave, plus audacieux qu’aucun de ses prédécesseurs, plus fier de la dignité de son rang, et plus jaloux de l’honneur de sa nation[73]. Indigné de voir, sur des monnaies et des édits d’un empereur plus légiste que guerrier, l’injurieuse et fausse qualification de Francique, c’est-à-dire, dans le style numismatique, de vainqueur des Francs, il forma le double et hardi projet de se porter lui-même dans l’Illyrie et dans la Thrace, avec une puissante armée ; pendant que ses autres renforts, joints aux armes des Ostrogoths, occuperaient en Italie les principales forces de l’empire, et d’aller,jusqu’aux portes de Constantinople braver Justinien. Des ambassadeurs envoyés de sa part aux Gépides, aux Longobards ou Lombards, pareillement insultés par les titres de Gépidique et de Longobardique, dont se décorait aussi l’empereur, et à d’autres peuples guerriers traités de même, citaient chargés de les associer à son ressentiment, de les animer par la honte à la vengeance commune, et de les presser de rompre de leur côté les barrières de l’empire d’Orient.

C’est ainsi, comme on l’a observé ailleurs[74], que, plusieurs siècles auparavant, les Germains transportés de colère à l’aspect de trophées outrageants, élevés après leur défaite sur le champ de bataille par la vanité romaine, n’avaient craint aucun péril pour se venger de cette insulte : et dans des temps qui ne sont pas encore bien éloignés du nôtre, n’a-t-on pas vu de pareils monuments aggraver, prolonger des guerres, en perpétuant l’animosité entre les nations rivales ?

Le superbe Theudebert hâtait les préparatifs de sa grande entreprise, lorsqu’il mourut subitement [en 548] à la chasse[75], par un accident, suivant un historien, plus lentement et d’une maladie selon un autre[76], laissant pour héritier de sa couronne, non de sa valeur ni de soit amour de la gloire, Theudebalde son fils unique, encore adolescent, et d’une faible complexion. Le jeune roi d’Austrasie, ou son conseil, ne retira pas d’Italie les troupes qui s’y trouvaient alors ; mais, à l’exemple de Theudebert, leur prescrivit de nouveau la neutralité apparente[77], que Lantacaire, leur général, tué dans un combat, dont on ne sait rien de plus, avait apparemment violée, et qu’ils gardèrent ensuite pendant plusieurs années entre les parties belligérantes. La preuve en est, parmi d’autres faits[78], que Narsès, très digne de remplacer Bélisaire, voulut en vain, pour aller par le chemin le plus court et le plus facile attaquer les Ostrogoths, passer l’Adige auprès d’un camp des Francs ; que Hamming leur général, rejeta fièrement la demande que lui eu firent des députés ; qu’il se refusa[79] de même aux diverses occasions de secourir tes ennemis de Narsès ; que simple spectateur des succès et des revers alternatifs des deux partis, il laissa périr[80] dans une terrible bataille l’intrépide Totila, qui avait relevé le courage de sa nation, et dans une autre le brave Teïas, son successeur, avec le plus grand nombre des Ostrogoths,

Ce qui restait aux vaincus de leurs guerriers les plus obstinés à ne pas subir le joug des Romains, implora encore la protection et la pitié, tant de fois sollicitées en vain, de Theudebalde, lequel se détermina enfin à faire passer au-delà des Alpes un puissant renfort, non dans le dessein d’y soutenir les Ostrogoths perdus sans ressources,’mais de les recueillir et de s’en servir avantageusement contre les impériaux, affaiblis eux-mêmes par de rudes et fréquents combats. Buccelin et Leutharis, Allemands, d’un rang distingué dans leur nation, probablement sujets alors, ou tributaires du roi d’Austrasie, deux frères en grande faveur auprès de lui, comme ils l’avaient été à la cour de son père[81], marchèrent [en 552 ou 553] à la tête d’une armée de soixante et quinze mille hommes. Il faut même la supposer plus forte, lorsqu’elle fut jointe en Italie aux troupes du général Hamming, qui ne paraissent pas avoir été comprises dans ce nombre par les écrivains, et dont on n’a d’ailleurs aucune évaluation, ni à cette époque, ni quant aux temps précédents.

Après avoir aisément soumis dans leur première campagne beaucoup de places, et ravagé plusieurs contrées ; après quelques faits d’armes, dont le bruit ranima d’abord les Ostrogoths et les unit étroitement aux Francs, les deux frères, soit pour la commodité des subsistances, soit pour étendre leurs conquêtes ou leurs rapines[82], partagèrent au printemps suivant [en 553 ou 554], l’armée française en deux corps, qui devaient agir séparément, ou se rapprocher selon les conjonctures. Mais Leutharis se trouva bientôt tellement surchargé des dépouilles enlevées dans ses courses, qu’il envoya proposer à son frère de s’en retourner ensemble, et d’aller chez eux jouir en paix des déprédations de la guerre. Buccelin, plus ambitieux, flatté par un parti des Ostrogoths[83] de l’espérance de devenir leur roi, s’il était leur restaurateur, leur avait donné sa parole de combattre résolument les Romains avec toutes les forces de sa division et de celle de son frère. Celui-ci partit néanmoins des environs du golfe Adriatique pour rétrograder vers les Alpes, en promettant, et peut-être dans l’intention réelle, de venir joindre Buccelin[84], ou de lui renvoyer ses troupes dès qu’il aurait mis ses richesses en lieu de sûreté : ce qu’il ne put exécuter, car, après quelques jours de marche sans obstacle, trois raille hommes envoyés a la découverte, tombèrent dans une embuscade, où le plus grand nombre fut accablé par un détachement de Narsès ; et Leutharis, sortant aussitôt de son camp de Fano, pour aller présenter la bataille aux ennemis, y laissa une faible garde : les prisonniers, qui s’y trouvaient en trop grand nombre, le pillèrent et emportèrent[85], avec leur liberté recouvrée, le plus précieux butin du cupide Allemand. Les troupes qui lui restaient étant arrivées ensuite dans une petite ville des Alpes, où la fatigue de la route les obligea de séjourner quelque temps, y furent assaillies par des maladies violentes, par une contagion destructive, qui les fit périr misérablement, ainsi que leur général.

Cependant Buccelin ignorait[86] le triste sort de l’armée de son frère, et s’étonnait de ne la pas voir revenir. Non moins inquiet pour la sienne des ravages que commençaient à y faire la disette et la mauvaise qualité des aliments, l’usage immodéré des raisins avant leur parfaite maturité, et du vin pernicieux qu’en tiraient les soldats, il résolut d’en venir le plus promptement à une action décisive : seul moyen de prévenir le progrès des malades de son camp, et de profiter de la supériorité numérique de ses forces, que l’historien grec évalue[87] à trente mille hommes, en réduisant à dix-huit mille celles de Narsès. De la fameuse bataille qu’ils se livrèrent auprès de Pavie, sur les bords du Casilin, on aurait pu dire alors, que tout y fut perdu du côté des Francs, fors l’honneur, comme s’exprima notre brave roi François Ier, défait 971 ans après, à la vue de la même ville. Leur plus grand nombre, combattant vaillamment[88], périt sur le champ de bataille avec le général, une autre partie dans la rivière ; et de tout le reste, enveloppé et fait prisonnier, cinq soldats seulement, échappés aux fers ou à la mort, revirent leur patrie.

Sans transcrire ici la curieuse relation que l’auteur, à peu près contemporain, nous à laissée de la journée du Casilin, il convient d’observer due c’est Jusqu’à cette .époque la, première bataille décrite d’une manière instructive, et presque la seule qui nous offre quelques images intéressantes et bien exposées du caractère militaire des Francs. On y voit qu’ils allèrent au combat[89] avec l’impatience de colère et de la rage ; qu’ils chargèrent en poussant des cris terribles ; qu’avec leur ordonnance en cour ou en triangle. ils rompirent d’abord celle des Romains ; que la passion effrénée du butin fit courir tout de suite les plus avides vers le camp ennemi pour le piller ; et que cette aveugle impatience rait leur premier ordre de bataille dans une confusion dont Narsès sut bien profiter. On peut juger encore par la même relation, que leur défaite aie doit, pas s’attribuer uniquement à l’habileté, à la tactique de ce grand capitaine, ni à la discipline de ses légions, mais aux casques, aux cuirasses, aux solides boucliers dont elles étaient munies, ainsi qu’à leurs longues et fortes lances, contre des corps nus, ou couverts seulement d’une targe mal fabriquée, et qui, avec l’épée et leur hache de guerre, appelée francique, n’avaient d’autre arme offensive[90] qu’une haste moyenné, doublement meurtrière par des hameçons ou crochets proéminents vers la partie inférieure de sa lame. Ils l’appelaient angon, et la maniaient également comme pique ou la dardaient comme javelot.

L’armée de Buccelin n’eut même ni cavaliers, ni archers, ni frondeurs à opposer aux troupes légères à pied et à cheval, avec lesquelles Narsès désordonna une infanterie sans appui, et l’accabla dans sa déroute. Il n’est pas de notre sujet d’examiner par quelles raisons les Francs continuaient de faire très peu, et souvent point d’usage de la cavalerie ; ni pourquoi, connaissant depuis si longtemps les armes romaines, ils refusaient ou négligeaient de s’en servir. Etait-ce par l’empire de l’habitude et par la confiance qu’ils avaient dans les leurs après tant de victoires et de conquêtes ? ou une fierté barbare leur faisait-elle penser que le courage et la fureur sont les meilleures armes ? Il parait néanmoins par un discours de Narsès, qu’il les regardait[91] comme une nation très brave, très guerrière, et qu’après sa victoire il craignait que leur armée détruite ne fût bientôt remplacée par une autre plus nombreuse et plus formidable.

Leur troisième commandant, le brave Hamming[92], qui ne put apparemment ou ne voulut pas joindre Buccelin, fut aussi vaincu[93] peu de temps après par Narsès, et tué avec ce qui leur restait dans un combat dont on n’a point de description. Mais on sait certainement que la destruction des diverses armées des Francs, entraîna rapidement la perte de toutes leurs conquêtes au-delà des Alpes, ainsi que la ruine des Ostrogoths ; qu’au milieu de cette révolution Theudebalde mourut d’une longue maladie, et que les nouvelles affaires qui occupèrent alors les rois de Paris et de Soissons, ne leur permirent pas, quand ils l’auraient voulu, de penser à celles de l’Italie.

Clotaire[94] abusant de l’état de Childebert son aîné, malheureusement très malade dans la circonstance d’une succession, et sans enfants mâles, s’empara de tout le royaume d’Austrasie. Bientôt [en 554 ou 555] il eut à réprimer l’audace des Saxons[95] qui refusaient de lui payer le tribut annuel que Thierry leur avait imposé, et faisaient probablement des incursions dans la France Germanique, soutenus par les Thuringiens rebelles. Il vainquit l’armée Saxonne, en détruisit la plus grande partie, et ravagea la Thuringe. Soit qu’après leur défaite les Saxons ne se fussent pas soumis à la continuation du tribut, soit qu’en étant convenus ils se fussent ensuite moqués de leurs engagements, une nouvelle révolte[96], comme s’exprime l’historien, ou leur nouveau manque de foi, ramena Clotaire vers la Saxe. Cette seconde guerre fut plus grave, et présente des images des passions les plus exaltées[97] : l’effroi des fiers Saxons à la vue d’une armée très supérieure, de modestes excuses sur le passé, de magnifiques promesses pour l’avenir, et les plus humbles soumissions faites à Clotaire par leurs députés ; les Francs, de leur côté, furieux de la violation des pactes, rugissant de colère, et ne respirant que la vengeance ; leur roi, touché des prières des envoyés, priant lui-même, conjurant en vain ses soldats de pardonner à des suppliants, et forcé de mener les mutins au combat, ou de les y laisser courir tumultuairement ; enfin les implacables Francs repoussés après un affreux carnage de part et d’autre, et leurs ennemis dictant les conditions de la paix.

Le roi d’Austrasie était d’ailleurs pressé de rentrer dans ses états de la Gaule, par une guerre intestine[98] qu’y allumait un de ses fils le fougueux Chramme, impatient de régner, et que’ soutenait le roi de Paris, son oncle, honteux d’avoir cédé sans résistance sa grande et légitime part à la succession de Theudebalde. Au reste ces troubles violents ne produisirent, dans le cours de deux ou trois années que vécut encore Childebert, ni combats, ni autres faits de guerre dignes d’être remarqués. La concorde fraternelle était même rétablie à sa mort, [en 558], qui laissa Clotaire monarque, ou seul roi de sa nation[99]. Chramme osa cependant se révolter une seconde fois, avec la présomption de retrouver dans ses partisans, dont il saurait augmenter le nombre, autant d’appui qu’il en avait perdu dans la personne du roi de Paris. Vivement poursuivi par soli père avant que d’être en état de lui résister, il se réfugia dans la province Armorique, à laquelle des colonies de l’Ile Britannique avaient, comme on l’a vu ailleurs, donné leur nom. Le comte Conomor ou Conobre, le seul ou le plus puissant souverain du pays, engagé, ou ne sait par quels intérêts, dans le parti du fugitif, leva promptement la plus forte armée qu’il put, et se présenta hardiment avec son protégé, devant celle que le roi de France amenait lui-même contre eux[100]. Les Bretons furent [en 560 ou 561] défaits dans une bataille que les historiens, à leur ordinaire, ont rapportée sans détails ; Conobre tué dans la déroute, le fils rebelle pris, puni par un genre de mort affreux comme son crime, et la Bretagne impitoyablement ravagée[101], suivant un chroniqueur ; le roi victorieux, selon un autre auteur[102], la rendit tributaire, et peut-être l’avait-elle été antérieurement. Il est même probable que les Francs possédaient déjà quelques contrées de cette province.

Ce premier Mémoire peut se terminer à cette dernière expédition de Clotaire, qui mourut l’année suivante [561 ou 569], la cinquante et unième de son règne. Nous avons sans doute, depuis la fin de celui de Clovis, assez parcouru, comme auparavant, les champs de bataille des Francs dans la Gaule et la Germanie, dans l’Italie et l’Espagne ; assez et peut-être trop énuméré leurs triomphes et leurs défaites, sans cependant y rencontrer, aussi souvent qu’on le désirerait, des traits bien prononcés du caractère militaire de la nation : mais à la place des tableaux qui nous manquent, les faits parlent, et certainement il en résulte que les agresseurs infatigables, les vainqueurs de tant de peuples très valeureux et très  guerriers, étaient supérieurement braves. On voit aussi qu’habitués, et parfaitement[103] exercés au métier de la guerre, ils avaient des principes de tactique, dont l’ordre du triangle ou du coin, qu’ils tenaient des anciens Germains, et qu’ils opposèrent à la phalange de Narsès, est un exemple. Il fallait aussi, pour attaquer et pour défendre des places fortes, qu’ils connussent la poliorcétique, et les machines de guerre usitées alors ; et s’ils n’étaient pas très savants dans cette partie, non plus que dans la tactique romaine, ils y suppléaient par ce courage national[104], à la fois fureur impétueuse et constance opiniâtre, comme le dépeignait un poète, plus d’un siècle auparavant, et dont l’honneur faisait la base. Car chez les Cattes, un des peuples qui formèrent la ligue Francique, c’était déjà un grand opprobre[105] que d’abandonner son bouclier pour fuir ; et la loi Salique, en vigueur dans les temps que nous examinons, infligeait des punitions au Franc qui, sans preuve, dirait d’un autre qu’il aurait jeté son bouclier, ou qui l’insulterait par le nom de lièvre, c’est-à-dire de fuyard. En un mot, à la mort du dernier des fils de Clovis, la fortune seule n’avait pas soumis à sa nation, non seulement toute la France d’aujourd’hui à l’exception de la majeure partie de la Bretagne et du Languedoc ou de la Septimanie ; mais ce que nous appelons la Flandre, les Pays-Bas et la Hollande, le Palatinat du Rhin, la Bavière, l’Helvétie, la Savoie, les Alpes citérieures sans compter les accroissements qu’avait reçus en même temps la France germanique ; et tant de conquêtes s’étaient faites en moins de quatre-vingts ans.

 

DEUXIÈME MÉMOIRE. — Depuis la mort de Clotaire Ier, en 561 ou 562, jusqu’au règne de Clotaire II, en 613.

Espace d’environ 52 ans.

La même erreur politique, la même loi[106], ou le même usage d’hérédité, qui avait divisé la monarchie de Clovis entre ses quatre fils, forma encore à la mort de Clotaire une tétrarchie semblable, en partageant sa succession aux quatre princes chai lui restaient[107]. Charibert ou Aribert, l’aîné, eut par le sort le royaume de Paris avec des adjonctions ; Guntachram ou Gontran, le royaume de Bourgogne, substitué à celui d’Orléans ; Chilpéric, le royaume de Soissons plus étendu qu’il ne l’avait été auparavant ; et Sigibert ou Sigebert, celui de Metz ou d’Austrasie, auquel on assigna aussi de nouvelles limites.

Cette répartition inégale, litigieuse à plusieurs égards, ne se fit pas tranquillement[108] ; et pendant les querelles violentes qu’elle excita dans la famille royale, des restes d’anciennes hordes d’Attila, les Huns Abares ou Avares, que Justinien, après s’en être servi contre d’autres nations, avait établis proche du Danube, se jetèrent sur les possessions de Sigebert, non dans les Gaules, comme l’ont dit par méprise tous nos chroniqueurs[109], mais, selon un historien[110] plus exact, dans la France Germanique. Le roi d’Austrasie les battit dans la Thuringe, près de l’Elbe, et força leur Can ou Chagan, à se retirer en demandant la paix.

Il y eut sans cloute encore, vers la Germanie, soit avant, soit après la défaite des Huns, une autre action dans laquelle un poète du temps[111] représente Sigebert combattant fièrement à pied, et devant les premiers rangs de son armée, contre les Saxons et les Thuringiens. Pressé de son côté de repasser le Rhin[112] pour aller défendre ses états de la Gaule contre le roi de Soissons, lequel abusant aussitôt des guerres germaniques, avait déjà enlevé à son frère absent la ville de Reims et plusieurs autres ; le vainqueur des Huns ramena promptement ses troupes aguerries. Il reprit d’abord toutes les places de son domaine, s’empara de la capitale du Soissonnais, y fit prisonnier le jeune Theudebert ou Théodebert, fils de Chilpéric, vainquit ensuite et dissipa l’armée de l’agresseur, avec lequel il se réconcilia bientôt.

Ce fut même, selon les apparences, quelque temps après cette paix ; que Chilpéric, suivant un de nos chroniqueurs[113], se joignit au roi d’Austrasie, dans une guerre contre les Saxons ; et le poète qu’on vient de citer, attribue aussi à Sigebert, ou à son général Lupus, une victoire remportée près de la rivière de Bordaa ou Bordia, voisine de celle de la Lône, sur les Saxons et les Danois confédérés. Au reste, dès que ces deux batailles (qui n’en font peut-être qu’une) ne sont nullement décrites ni l’une ni l’autre, peu nous importe d’en avoir les dates précises. On sait au moins[114] que Chilpéric et Sigebert étaient encore unis à la mort prématurée de Charibert [en 564 ou 565], et qu’ils s’accordèrent avec Gontran à partager paisiblement le royaume de Paris. D’ailleurs, par ce nouveau partage, aussi bizarrement combine ; que celui de la succession de Clotaire, chacun des trois co-partageants eut des villes, des portions de villes, des portions de provinces enclavées dans le domaine de ses frères. Voulaient-ils se donner ainsi des gages réciproques pour le maintien de la paix, ou s’assurer les moyens et la facilité de la rompre à leur gré ?

Mais, quelques années après, les mœurs de ces princes, plus mal réglées encore que les limites de leurs états, allumèrent entre eux d’affreuses discordes, dont il faut indiquer brièvement l’origine, pour n’y plus revenir. Sigebert, moins dissolu ou plus tôt corrigé que ses frères[115], avait épousé [vers 565] Brunichilde, vulgairement Brunehault, fille d’Atanagild, roi d’Espagne, et s’était attaché à cette princesse[116]. Peu de temps après, Chilpéric très déréglé, et d’un caractère violent, ayant répudié la reine Audovère sa femme, dont il avait trois fils, Theudebert, Mérovée et Clovis, quitta ou feignit de quitter Frédégonde, sa maîtresse, d’une naissance obscure[117], pour épouser, à l’exemple de son frère, et par la même raison de dignité, une autre princesse d’Espagne, Galsuinte, sœur aînée de Brunehault. Il s’en dégoûta bientôt, et n’eut pas horreur de la sacrifier à la cruelle ambition de Frédégonde, qui la remplaça sur le trône. De là les haines implacables des deux reines de Soissons et d’Austrasie, et l’animosité des deux rois : de là cette chaîne de guerres civiles qui ; en déchirant le sein de la France, enhardirent si souvent les ennemis du dehors. Quant aux noirs artifices, aux fureurs, aux meurtres ; aux empoisonnements dont l’histoire flétrit les noms trop fameux de Frédégonde et de Brunehault, on nous permettra de n’y plus toucher sans une nécessité absolue : les champs de bataille dans lesquels nous cherchons des traits de la valeur nationale intéressent assez ; des tableaux de crimes et de forfaits font trop d’horreur.

Les frères de Chilpéric, honteux et indignés de la mort atroce de Galsuinte armèrent de concert pour le punir[118], et l’auraient détrôné, si, après avoir excité la pitié de Gontran, naturellement bon, et peu délicat sur le nombre comme sur la condition de ses femmes ou concubines, il n’eût fléchi la colère de Sigebert[119], en cédant à Brunehault les villes et les terres qu’il avait auparavant données à Frédégonde, à titre de dot et de présent de noces.

Cette guerre était à peine terminée ou suspendue, que le Can on Chagan des Abares, comptant peut-être encore sur la continuation des troubles de la Gaule, fit [en 568] une seconde irruption dans la France transrhénane, où le roi d’Austrasie retourna promptement le combattre. Notre premier historien, sans parler du lieu de la bataille, ni des manœuvres des, deux armées, ni de la durée de l’action, conte ingénument que les Huns, magiciens habiles, fascinèrent les yeux des Francs, qu’ils les vainquirent, et les mirent en fuite en leur faisant voir des spectres, des fantômes[120]. Il ne pouvait pas dire que la figure farouche, hideuse et difforme des Huns, eût seule épouvanté une armée qui les avait vaincus précédemment ; mais, quoique contemporain, l’écrivain ecclésiastique ignorait peut-être les ruses et les stratagèmes employés sans doute par les barbares, ou ne les comprenait pas, et les trouvait trop naturels. Ce qu’il ajoute ensuite à la louange de Sigebert[121], que ce prince, investi dans un poste où le Can armait pu le forcer, gagna le vainqueur par des présents et par l’art avec lequel il les fit valoir, et qu’ils conclurent ensemble une paix perpétuelle, s’accorde assez avec le témoignage d’un écrivain grec[122], et l’on sait aussi que les Avares ne repartirent plus.

Sigebert délivré des Huns, fit lui-même l’année suivante, autant qu’on peut fixer des dates très incertaines, une invasion sur les domaines de Gontran. Quel que fat le prétexte ou le sujet de cette, hostilité, il envoya[123] des troupes de sa province d’Auvergne surprendre la ville d’Arles, qu’elles né gardèrent pas longtemps. Investies dans la place par une armée bourguignonne, elles en sortirent imprudemment pour combattre les assiégeants, sous ses murs et lités des bords da Rhône, furent défaites, et périrent en grand nombre, précipitées dans le fleuve. Gontran vengé, pardonna l’Insulte, et se raccommoda peut-être d’autant plus volontiers avec Sigebert, que les Langobards, ou Lombards, dont il a été parlé ailleurs[124], inquiétaient alors les frontières du royaume de Bourgogne. De ces nouveaux voisins de la Gaule, nation Germanique longtemps errante’, et récemment arrivée de la Pannonie, pour remplacer en Italie les Ostrogoths, quelques bandes [en 571] venaient de se montrer en-deçà des Alpes[125]. Elles n’avaient pas repassé impunément ; mais Gontran pouvait craindre leur retour ; et la manne avidité du butin ramena bientôt sur ses terres une armée des mêmes pillards[126], qui battit près d’Yvendun celle des Bourguignons, commandée par un nouveau général, le tua dans la déroute, fit un prodigieux carnage des fuyards, et s’en retourna chargé d’amples dépouilles. Plus ardents encore l’année d’après [en 572] à dévaster la Savoie et la province appelée aujourd’hui le Dauphiné[127], mais moins heureux cette fois-ci, les Lombards arrêtés auprès d’Embrun par le patrice Mummole, le meilleur des généraux de Gontran, furent forcés dans des bois, où ils s’étaient entourés, avec leurs immenses rapines, d’un fort retranchement d’arbres abattus : le plus grand nombre y perdit la vie ou la liberté, et peu de ces brigands purent rejoindre leurs compatriotes.

On est étonné, après ce châtiment, de voir un corps de Saxons, qui avait passé en Italie, de société avec les Lombards[128], oser seul pénétrer [en 573] aussi dans le royaume de Bourgogne, et ravager la Provence. Ces audacieux y étaient-ils excitas par Sigebert ou Chilpéric, alors peut-être brouillés avec Gontran ? ou comptaient-ils uniquement sur leurs propres forces, ou sur la célérité de l’expédition ? Bornons-nous aux faits de la guerre. Le diligent Mummole les surprit[129] auprès de Stablon ou Establon, dans le canton de Riez, leur tua, dit notre historien, beaucoup de milliers d’hommes, et ne fit cesser le carnage qu’à la nuit. Les vaincus, encore nombreux, reparurent cependant le lendemain matin en ordre de bataille, présentant fièrement le combat et demandant la paix, qui ne leur fut accordée qu’à condition de ne rien emporter de leurs déprédations, et de renoncer à l’alliance des Lombards. Ils obtinrent en même temps la liberté de retournes en Italie, d’en ramener leurs femmes, leurs enfants, le reste de leurs compagnons, et de repasser par le royaume de Bourgogne pour se rendre sur les terres du roi d’Austrasie, de la protection duquel ils étaient assurés, comme de son côté, en les faisant reconduire dans leur patrie, il s’en promettait des secours contre d’autres ennemis.

Soit qu’une nouvelle incursion des Lombards, plus grave que les précédentes, et qui parait avoir suivi de prés celle des Saxons, ne fut qu’une course de pillage, soit qu’ils prétendissent faire des conquêtes stables dans la Gaule, ils y rentrèrent encore sous la conduite de cinq Ethnarques, du nombre des trente-six qui gouvernèrent la nation pendant un assez long interrègne. Le brave Mummole en défit trois dans des combats qu’il leur livra auprès de Grenoble et d’Embrun ; et le peu de soldats qui restait à ces chefs, s’enfuit précipitamment au-delà des Alpes. Les deux divisions des Lombards, vaincues[130] par d’autres commandants de Gontran, prés du monastère de saint Maurice, ou des Augunes, dans le Valais, furent si maltraitées, qu’il n’en retourna que quarante hommes en Italie. Un autre général Franc, profitant de leur défaite pour aller par représailles ravager leurs possessions dans le Trentin[131], détruisit entièrement un premier corps de Lombards, dont le chef fut tué ; mais, dans un second combat contre des troupes plus nombreuses, il eut le même sort, ainsi que tous ses compagnons.

Pendant que Gontran repoussait, les Lombards et les Saxons, ses deux frères se rengageaient dans vine guerre intestine. Chilpéric, après la mort de Charibert[132], avait envoyé son troisième fils, Clovis, surprendre les villes de d’ours et de Poitiers, appartenantes à Sigebert, qui furent reprises par Mummole et rendues à leur souverain. Le même Clovis, que son père chargea encore dans cette nouvelle guerre [en 573] d’envahir les mêmes villes[133], fut battu par un général Austrasien, chassé de la Touraine, et vivement poursuivi. Chilpéric[134] furieux de sa défaite et de sa fuite, renvoya aussitôt à sa place sors fils aîné, Theudebert, qui vainquit un autre général dans une bataille où il fit un grand carnage des milices du pays, et ravagea ensuite cruellement la Touraine, le Poitou, le Limousin, le Quercy ; laissant piller et incendier dans ces contrées jusqu’aux églises mêmes et aux monastères.

La résolution que prit alors Sigebert[135] de faire venir d’au-delà du Rhin des guerriers barbares et idolâtres, dont on craignait l’avidité et la licence effrénée plus encore que leur valeur, épouvanta Gontran, qui, sollicité en même temps par le roi de Soissons, conclut avec lui un traité d’alliance défensive contre le roi d’Austrasie : celui-ci, renforcé de ses Francs Germaniques, de bandes nombreuses, qu’on peut supposer formées de Thuringiens, de Suèves, des Saxons peut-être, qu’il avait servis antérieurement, on d’autres nations voisines, marcha sans obstacles jusqu’à un endroit de la Seine, duquel on ne sait ni le nom, ni la position. Dans l’impossibilité de passer la rivière devant l’armée ennemie, postée sur le bord opposé, il alla chercher un autre passage sur les terres de Gontran, qu’il força par de hautes menaces à changer subitement de parti, en se déclarant pour le plus fort[136], et joignit Chilpéric déjà effrayé de la défection du roi de Bourgogne, et campé près d’un bourg [Avallocium] ou village du pays Chartrain : là, soit pitié fraternelle, soit horreur des désordres affreux, commis malgré lui par ses troupes Germaniques sur leur route, et crainte de plus grands excès après leur victoire, Sigebert écouta moins les murmures séditieux des pillards, pressés de combattre pour le butin, que les prières de Chilpéric, auquel il accorda la paix, et même à des conditions assez modérées.

Si l’on ne peut, comme s’exprime ici l’évêque de Tours[137], rapporter sans douleur ces odieuses guerres civiles, il faut donc au moins en abréger les dernières scènes, en disant sommairement, après lui, que la réconciliation des deux frères ne dura qu’un an : que Chilpéric fit encore varier en sa faveur le mobile Gontran : qu’il s’avança [en 575] jusqu’à Reims, ville du partage de Sigebert, et qu’il envoya Théodebert son fils, à la tête d’une autre armée, vers la Touraine et le Poitou : que le roi d’Austrasie rappela d’au-delà du Rhin ses redoutables auxiliaires, et qu’il fit marcher vers l’ours ou Poitiers deux commandants de ses provinces avec leurs troupes renforcées de celles de la Touraine et du Dunois, contre Théodebert : que ce prince abandonné par la plus grande partie de ses soldats, aux environs probablement d’Angoulême, se présenta intrépidement au combat et qu il y perdit la vie.

Enfin (car nous touchons aux catastrophes de cet horrible drame), Chilpéric consterné d’avoir perdu une armée, un fils, et la protection de Gontran[138], déjà réconcilié avec, le roi d’Austrasie, alla se renfermer dans les murs de Tournai, que la puissante armée de Sigebert investit bientôt. Il y marcha ensuite pour presser le siége, et n’y arriva pas. On sait que deux scélérats envoyés par Frédégonde, de concert probablement avec Chilpéric, l’assassinèrent à Vitry[139], entre Arras et Douai.

Malheureusement pour notre travail, toutes les guerres dont on vient de parler, les batailles des rois Francs les uns contre les autres, et celles qu’ils livrèrent aux Huns, aux Lombards, aux Saxons, et à d’autres ennemis étrangers, sont si sèchement narrées, ou si légèrement effleurées, qu’en nous donnant en général l’idée d’une nation très brave, très belliqueuse, qui n’en redoutait aucune autre, elles n’offrent que peu de traits bien distinctifs de son caractère militaire. Il importe cependant d’observer que Sigebert, comme on l’a vu, avait pris la ville d’Arles avec des milices de l’Auvergne, parmi lesquelles on ne peut supposer que très peu de Francs : qu’il opposa plusieurs fois à Chilpéric celles de la Touraine et du Poitou ; et l’on verra que trois ou quatre ans après la défaite de Théodebert, il employa[140] non seulement les levées gauloises de ces deux provinces, mais celles de Bayeux, du Maine, de l’Anjou, et d’autres cantons, contre un duc de Bretagne ; et qu’il imposa des amendes à des églises, pour n’avoir pas envoyé à son armée leurs jeunes gens, c’est-à-dire, apparemment, leurs clercs ou leurs jeunes serviteurs, soit domestiques soit ruraux, qui certainement étaient tous Gaulois.

Remarquons encore que la dignité de patrice attachée plus particulièrement au royaume de Bourgogne, celles de ducs, de comtes, de préfets, et d’autres charges militaires ou civiles, étaient indistinctement remplies par des Gaulois, très reconnaissables à leurs noms latins, et par des Francs : que les Magnats de la Gaule, quelqu’eût été le partage des terres avec les conquérants, avaient conservé leur rang, et de grandes possessions : que les autres citoyens ménagés aussi, libres de vivre suivant leurs lois romaines, on d’adopter la loi salique, et rapprochés des vainqueurs par une religion commune, avaient été non seulement admis, mais obligés comme eux au même service de guerre : qu’ainsi, après un peu moins d’un siècle, à compter de la première année du règne de Clovis à la dernière du roi Sigebert son petit-fils, les deux nations étaient déjà militairement incorporées, en même temps que les mariages respectifs et d’autres affinités sociales avançaient leur réunion ; et ne serait-ce pas ici l’époque où l’on pourrait (ce que je n’ai pas osé faire plus tôt) substituer le mot de France à celui de Gaule, et donner aux Francs mélangés avec les Gaulois, le nom de Français, équivalent à celui de Gallo-Francs ?

Quoique les guerres à suivre dans le cours des neuf années entre l’assassinat du roi d’Austrasie et la fin semblable de celui de Soissons, ne soient pas mieux exposées par nos guides que celles d’auparavant, il ne nous conviendrait pas, pour les rendre plus intéressantes, d’y mêler les tableaux des intrigues, des passions, des haines, des fureurs qui agitèrent les diverses cours. C’est à l’histoire à raconter comment Childebert, fils unique de Sigebert, enfant de cinq ans, arrêté avec la reine Brunehault sa mère, fut presque aussitôt enlevé de sa prison, et porté sur le trône d’Austrasie par les grands de ce royaume : comment, contre les canons de l’Eglise et ceux de la décence, la veuve de Sigebert épousa Mérovée plus jeune qu’elle, neveu de son mari, et fils d’un père complice du meurtre de ce mari : comment Chilpéric n’osant forcer à Rouen une église de saint Martin, où Mérovée s’était réfugié avec Brunehault, jura, pour les tirer d’un asile sacré, de consentir à leur mariage, s’il était selon les lois ecclésiastiques, mena son fils avec lui à Soissons, et renvoya la princesse à Metz, ou l’y laissa retourner : comment ensuite Mérovée suspect à son père, dégradé par la tonsure cléricale, échappé d’un monastère, fuyant d’église en église, investi dans la ville de Térouane, s’y tua lui-même, où fut tué par des émissaires de Frédégonde : comment le faible Gontran, salis héritiers après la prompte mort de ses deux fils, put se défendre contre les séductions et les entreprises des, prétendants à sa succession : continent Frédégonde se vit aussi enlever trois princes, déjà grands, par une épidémie, fit ensuite périr Clovis comme Mérovée, perdit encore un dernier fils, et peu après accoucha d’un cinquième, qu’on nomma Clotaire.

Encore une fois, nous sommes restreints dans notre travail, et il ne s’agit ici que des seuls faits de guerre pour l’espace de temps qu’on vient de marquer. Chilpéric sorti triomphant, de Tournai, plus fier qu’avant les grands dangers qu’il avait courus, et furieux de l’évasion de son neveu Childebert, recommença aussitôt ses premières hostilités. Mais pendant qu’un de ses généraux [Roccolenus][141], ravageait la Touraine avec des bandes de Manceaux, un autre [Bodinus][142] commandant Austrasien qui, après avoir quitté précédemment le parti de Sigebert four celui de Chilpéric repassait au service du nouveau roi d’Austrasie, rassembla dans la Champagne une armée qu’il mena investir Soissons. Chilpéric arrivé en forces au secours de sa capitale, défit les Champenois, et leur tua beaucoup de braves guerriers. A la suite de cette victoire[143], il envoya deux armées, l’une aux ordres de Clovis son fils, soumettre la Touraine, l’Anjou et la Saintonge ; la seconde sous le duc Desiderius, que l’usage nomme Didier, dans le Limousin, où elle en rencontra une plus forte de Bourguignons, commandée par le patrice Mummole. Dans la sanglante bataille qu’ils se livrèrent, il y eut, du côté de Didier vaincu, vingt-quatre mille hommes de tués, le vainqueur en perdit cinq mille, et le nombre des victimes est tout ce qu’on sait sur ce combat de plus que sur le précédent.

L’année suivante [576], Gontran, à la place de ses deux fils qu’il avait perdus, adopta Childebert[144], s’unit plus étroitement avec le conseil du jeune prince, pour contraindre le roi de Soissons à restituer aux royaumes d’Austrasie et de Bourgogne tout ce qu’il en avait usurpé ; mais de simples menaces ne l’épouvantèrent point ; et la prouve qu’il n’eut aucun égard aux réclamations de leurs députés, c’est qu’environ un an après, il se servit., parmi d’autres recrues provinciales, de celles de la Touraine[145], de l’Anjou, et du Poitou, pays qui n’étaient pas de son partage, contre Waroch, duc ou comte de Bretagne. Ce présomptueux voisin, qui régnait sur les Bretons avec un autre co-souverain[146], et ne possédait qu’un très petit état à la pointe de la péninsule Armorique, refusait cependant d’en faire hommage à Chilpéric son suzerain. Il avait même envahi la ville de Vannes ; et le roi de Soissons fit marcher une armée pour le punir[147]. Waroch canapé derrière la Vilaine, vis-à-vis les Français, passa la rivière dans un autre endroit ; surprit., à la faveur de la nuit, un de leurs quartiers ; y fit un grand carnage des troupes de Bayeux ; demanda la paix dès le lendemain aux généraux de Chilpéric, et lui rendit Vannes, en jurant de lui être toujours fidèle à l’avenir : serment, qu’en profitant encore des divisions de la famille royale, il viola les deux années suivantes[148], par des irruptions, des courses de brigandages sur les territoires de Rennes et de Vannes.

Il y avait près de six ans que le roi de Bourgogne, protecteur généreux, puis père adoptif de Childebert, était cultivé et ménagé, comme il le méritait, par la cour d’Austrasie, lorsque [en 581] de nouveaux ministres ou des courtisans gagnés par Chilpéric, abusant de l’enfance de Childebert, l’engagèrent dans une alliance toute contraire avec le roi de Soissons[149], ou plutôt dans une conjuration pour de trôner celui de Bourgogne, et se partager son royaume. En même temps Mummole, le plus habile de ses généraux, disgracié ou mécontent, on ne sait pourquoi[150], l’abandonna se retira dans Avignon, sous la protection de Childebert auquel cette ville appartenait, et bientôt [en 581 ou 583] il y reçut un fils[151] ou prétendu fils du feu roi Clotaire, nommé Gondovald, appelé de Constantinople par des factieux qui voulaient en faire un roi pour leur propre ambition, que sa reconnaissance l’obligerait de servir. Pendant que cette trame s’ourdissait, sans effrayer d’abord les princes intéressés, une armée de Childebert se saisit de la ville de Marseille[152], dont la moitié lui appartenait de droit, comme l’autre moitié à Gontran, qui avait jusque-là retenu les deux parts sans croire faire grand tort à son fils adoptif. Chilpéric de son côté[153] envoya le duc Didier dans le Périgord et l’Agenois, où il mit en fuite un général bourguignon, et soumit au roi son maître les villes et les cantons que Gontran y possédait. Une seconde armée du roi de Soissons, se porta dans la Touraine[154] sous un autre chef pour s’opposer aux milices du Ferri, qu’il empêcha d’y pénétrer, comme elles en avaient l’ordre du roi de Bourgogne, non de faire de terribles dévastations sur les frontières de cette province. Chilpéric fit encore marcher un troisième corps d’armée contre les Gascons[155], que l’occasion de cette nouvelle guerre, et leur avidité du butin avaient apparemment excités à envahir des terres de son partage, voisines des Pyrénées. Son général (et c’est tout ce qu’en dit l’historien) alla dans la Vasconie ou Gascogne, et y perdit la plus grande partie de son armée.

On désirerait aussi plus de lumières, plus de détails sur deux batailles livrées l’année suivante [583] l’une dans le Berri[156] près de Mehun sur Yèvre, ou, ce qui est plus probable[157], près de Château-Meillant, entre les milices de la province pour Gontran, et celles de la Touraine, du Poitou, de l’Anjou, pour Chilpéric : l’autre que Gontran gagna lui-même auprès de Melun[158] sur le roi de Soissons. Mais il faut se contenter de savoir assez inutilement qu’à l’action de Château-Meillant il y eut, tant d’une part que de l’autre, sept mille morts ; qu’à celle de Melun, l’armée de Chilpéric, suivant l’expression vague déjà employée plus haut par le même relateur, fut détruite pour la plus grande partie, et la paix conclue dès le jour suivant entre les deux frères.

Alors Childebert, mieux conseillé qu’auparavant, prit le sage parti de recourir à la bonté de son père adoptif, qui lui rendit avec son amitié[159], la portion contestée de Marseille : ils convinrent en même temps de joindre leurs forces[160] pour se faire restituer les possessions que Chilpéric leur avait enlevées, et cette effrayante union le contrai nit enfin de se tenir en repos. D’ailleurs Gontran aimait la pais, et le jeune roi d’Austrasie, en exécution d’un traité antérieur avec Maurice, empereur d’Orient[161], se préparait de son côté à essayer ses premières armes en Italie contre les Lombards. Il avait treize ou quatorze ans ; et l’on a déjà vu les princes de la famille royale se montrer de bonne heure sur le théâtre de la guerre, pour y prendre les grandes leçons du commandement des armées, le premier de leurs devoirs, et pour intéresser parleur présence l’honneur et l’affection des soldats. On en verra bientôt d’autres exemples. Nous avons aussi remarqué dans un autre ouvrage[162], d’après un témoignage grave[163], que cette ardeur de prendre les armes sans attendre la vigueur de l’âge était, des avant Clovis, une passion générale chez les Francs ; et certainement il est honorable pour la nation de conserver encore aujourd’hui le même goût précoce et distinctif. Childebert marcha [en 584] donc[164] en Italie avec ce courage prématuré ; mais ses généraux, au lieu de le mener à des combats, lui apprirent à violer sa foi. Corrompus sans doute par les présents d’Autharis, roi des Lombards, ils firent accepter au jeune prince de grosses sommes d’argent pour ne point attaquer les ennemis de l’empereur, comme il en avait reçu de l’empereur pour les combattre, et l’armée française repassa honteusement les Alpes.

Pendant cette expédition toute pécuniaire de Childebert, on peu après son retour, Chilpéric consolé de la perte d’un fils unique par la naissance d’un autre, et substituant les exercices du chasseur à ceux du guerrier, fut assassiné [en 584] à la porte de son palais de Chelles[165], près de Paris, en revenant de la chasse. Le meurtrier, que les ténèbres de la nuit dérobèrent aux poursuites, était-il envoyé par Frédégonde même[166], qui aurait prévenu la vengeance d’un mari outragé, ou par Brunehault vengeant la mort des siens[167], ou par le chambellan Eberulf[168], que Frédégonde en accusa ? ce problème historique n’est pas de notre sujet, non plus que le portrait de Chilpéric, théologien, grammairien et poète : il suffit ici de savoir qu’il était très brave, mais cruel et féroce : qu’il permettait ; qu’il ordonnait à ses troupes les plus horribles dévastations, des ravales, des incendies nautiles, et qu’elles y étaient si habituées qu’après une bataillé il ne put arrêter leurs excès, ni contenir leurs chefs mêmes, qu’en tuant de sa main un des principaux commandants. Il faut convenir aussi que les armées des autres royaumes, soit à son exemple, soit par l’animosité des représailles[169] commettaient en général les mêmes violences, et l’on a de la peine à comprendre que ces imprudents dévastateurs osassent revenir sur les territoires qu’ils avaient une fois ravagés, ou qu’ils y trouvassent encore des vivres, des animaux pour leur subsistance, et des hommes pour l’esclavage ; car les esclaves étaient, ainsi que le bétail, une portion du butin.

Après la monde Chilpéric, la conspiration formée ou projetée depuis environ trois ans, en faveur de Gondebaud, retiré quelque temps dans une île de la Provence, et revenu dans Avignon, auprès de Mummole[170], éclata d’une manière effrayante. Des généraux de réputation, tels que Didier et d’autres, des magnats ou seigneurs (seniores), des préfets, des comtes, des ducs, des évêques, magistrats civils et religieux très puissants alors, grossirent tout à coup la faction, menèrent Gondebaud dans le Limousin, le proclamèrent roi à Brives [en 584][171], en l’élevant suivant l’usage national, sur un bouclier, et le mirent à la tête de bandes rassemblées de toutes parts. Mais quelque succès qu’ils pussent se promettre de l’enfance de Clotaire, remplaçant â l’âge de quatre mois son père Chilpéric, de l’adolescence de Childebert, et de la mollesse de Gontran, l’orage se dissipa, le rêve s’évanouit à l’approche d’une armée bourguignonne[172], infiniment supérieure à celle de la ligue. Le nouveau roi abandonné par une partie de ses protecteurs et de leurs troupes, alla se renfermer avec le reste dans Comminges[173], place forte par sa situation sur une montagne isolée ; et presque aussitôt il s’y vit assiégé : là, trahi à son tour par des factieux qui l’avaient servi contre leurs maîtres légitimes, il périt misérablement le quinzième jour d’un siége [en 585] sur lequel il n’y a rien à observer que l’usage perpétué du bélier, et de quelques machines obsidionales des Romains. Mummole fut aussi tué avec d’autres chefs, et le dangereux complot entièrement dissous.

Aux horreurs de tant de troubles internes, succédèrent d’autres guerres au dehors, contre les Lombards, les Espagnols ou Visigoths, les Gascons et les Bretons : guerres moins révoltantes de leur nature, et d’ailleurs peu glorieuses. Les troupes que Childebert fit passer en Italie pour remplir les engagements auxquels il avait manqué, ne servirent pas mieux l’empereur d’Orient, et rentrèrent en France avec leurs chefs discordants[174], sans avoir rien tenté contre les ennemis de Maurice. Les Austrasiens, dans une seconde expédition [vers 588 ou 589] en Italie, postérieure de quelques années, y combattirent enfin les Lombards, on ne sait en quel lieu[175] ; mais si malheureusement, et avec une si grande perte, suivant notre historien, qu’on ne se souvenait pas que les Français en eussent jamais éprouvé une pareille ; et ce fut sans doute pour effacer sûrement cet affront, que Childebert leva l’année suivante une prodigieuse armée qui, avant d’arriver aux Alpes, désola, par une licence effrénée, les provinces de France qu’elle eut à traverser. Elle obligea par sa supériorité les Lombards à se retirer dans des places fortes, s’empara de beaucoup d’autres, ravagea librement de vastes contrées de l’Italie., et ne fut arrêtée dans ses déprédations que par des ennemis toujours victorieux[176], l’insalubrité de l’air, des chaleurs insolites pour les Français, des maladies destructives. La disette des vivres s’y joignit, et pressa les chefs de repasser les monts avec des troupes déjà fort diminuées, et que le manque de subsistances fit extrêmement souffrir dans leur marche rétrograde.

La guerre que Gontran déclara au roi d’Espagne en même temps à-peu-près que Childebert attaquait les Lombards, n’eut pas un meilleur succès, et par Ies mêmes causes. Une armée très nombreuse[177], tirée des diverses contrées du royaume de Bourgogne, commença, en marchant vers la Septimanie, par exercer d’indignes brigandages sur sa route, et sur son propre territoire[178]. Entrée ensuite dans celui des Visigoths, en trois corps, et par trois endroits différents, elle pilla les campagnes sens assiéger les places, se fit un jeu cruel de couper les vignes, d’abattre les arbres à fruits, d’incendier les moissons[179], et s’ôtant ainsi elle-même les vivres, se mit dans la nécessité d’évacuer le pays. Alors les dévastateurs, harcelés par l’ennemi sur les terres qu’ils quittaient, attaqués sur celles de France par les habitants désespérés qu’ils traitaient aussi barbarement qu’au premier passage, perdirent plus de cinq mille hommes dans le désordre d’une retraite honteuse, souillée encore de rapines, de meurtres[180], de profanations d’églises. Qu’on juge de leur licence et de leur indiscipline par cette réponse de leurs commandants au roi de Bourgogne[181]. Que tous les soldats mettaient leur plaisir à faire le plus de mal qu’ils pouvaient, qu’aucun d’eux ne redoutait le roi, qu’aucun ne respectait le comte ni le duc ; et qu’un chef, s’il osait menacer de châtiment, n’était pas en sûreté de sa vie. A quoi l’on doit ajouter que la plupart de ces dues et de ces comtes donnaient, aux officiers inférieurs et aux soldats, l’exemple contagieux de la rapacité la plus insatiable, de la cruauté, et de la rébellion ; qu’ils ne craignaient pas de désobéir à leurs rois, d’en changer, et même, comme on l’a vu, de les trahir.

Les violentes représailles[182], les courses répétées que le roi d’Espagne fit faire sur le territoire de Toulouse et sur d’autres cantons de la Septimanie, irritèrent encore le roi de bourgogne ; et ce fut le duc Didier, infidèle au roi éphémère Gondebaud, comme il l’avait été à Chilpéric, ensuite réconcilié avec Gontran, et l’un de ses commandants en Languedoc, qui se chargea d’y venger les insultes des Visigoths. En allant [en 587] attaquer Carcassonne il la tête d’une armée, il battit d’abord les troupes des habitants, qui en étaient sorties pour le repousser ; mais trop ardent à les poursuivre, il fut tué aux portes de la ville avec le peu de cavaliers qui avaient, pu l’accompagner[183].

De deux autres généraux sous lesquels le roi de Bourgogne renvoya dans la Septimanie une grande armée, continuer ou recommencer la guerre, suspendue quelque temps par des négociations de paix[184], le premier prit par capitulation Carcassonne avant l’arrivée du second. Celui-ci, indigné d’avoir été prévenu, alla camper séparément, méprisant également son collègue, et ses ennemis qui surent se prévaloir de son imprudence. Dans un moment qu’à table et dans la chaleur du vin il croyait insulter de loin les Visigoths, ils parurent subitement devant son camp, y battirent les premiers corps de troupes surprises, ou éparses, attirèrent par une fuite simulée la plus grande partie des autres dans une embuscade préparée d’avance ; et cette discorde des chefs coûta aux français près de cinq mille hommes tués, et plus de deux mille prisonniers. La perte est portée plus haut par des écrivains espagnols[185].

Gontran soupçonnant[186] que, pour l’empêcher d’accroître sa puissance de la conquête de toute la Septimanie, Brunehault et Childebert avaient fait périr son armée par des correspondances, par des traités secrets avec le roi d’Espagne, en était d’autant plus courroucé, qu’il regardait avec raison[187] comme une honte pour la nation française, que les Goths, qu’il appelait des gens odieux, eussent leurs limites avancées jusque dans les Gaules. Certainement depuis Clovis, ils n’avaient conservé dans la Septimanie des possessions tantôt plus étendues, tantôt plus resserrées, qu’à la faveur des jalousies et des guerres des rois de France, auxquels il eût été bien plus facile encore de subjuguer quelques contrées de la Bretagne, possédées précairement par un petit souverain, s’ils ne s’en étaient respectivement envié l’acquisition.

Au milieu de ces guerres principales, dans l’Italie ; et le Languedoc, les Gascons[188] fondant de leurs montagnes des Pyrénées sur les frontières de la France [en 587] y firent presque impunément de fréquentes incursions, emmenant des hommes pour l’esclavage, enlevant le bétail, brûlant les maisons, détruisant les moissons et les vignes. De son côté [vers 587] l’audacieux Waroch[189]  ravagea le territoire de Nantes avec ses Bretons, et s’y permit à peu près les mêmes brigandages. Sur les plaintes menaçantes que lui portèrent des envoyés de Gontran et de la cour de Soissons, il feignit de craindre, offrit une somme d’argent en indemnité des dégâts qu’il avait faits, promit avec serment (monnaie du temps aussi fausse en général qu’elle était commune) de ne plus manquer à la soumission qu’il devait aux rois de France, et, contre sa foi jurée, exerça encore de nouvelles rapines dans le même pays avant que d’en sortir.

Une année ou deux après [en 588 ou 589], il ne recommença que plus hardiment ses déprédations, dans les environs de Rennes et de Vannes, renforcé de troupes auxiliaires du pays de Bayeux, que Frédégonde, régente pour Clotaire son fils du royaume de Soissons, avait prêtées furtivement à Waroch, en les faisant raser et vêtir, afin de les déguiser à la mode des Bretons. Des deux généraux que Gontran envoya dans la Bretagne avec de grandes forces, l’un livra plusieurs combats, où il perdit toutes ses troupes, et la vie dans le dernier ; l’autre, gagné peut-être par Frédégonde, ou par Waroch, et demeuré jusque-là dans l’inaction, sans s’approcher de son collègue, conclut aussitôt la paix avec le rebelle, qui la lui demanda humblement ; il jura d’obéir toujours aux volontés de Gontran et des rois ses souverains, ses maîtres, et cautionna ses serments par des otages, Mais dès que le gros de l’armée française en marche pour se retirer eut passé la Vilaine, il oublia ses otages et ses serments, fit attaquer l’arrière-garde, enchaîner une multitude de traîneurs, qui n’attendaient au bord de la rivière que le moment du passage, et tuer ceux qui voulaient se défendre. Les troupes du général infidèle et trompé lui-même, perdirent aussi dans leur route, par l’Anjou, une bande de pillards sur laquelle les habitants, traités en ennemis, se vengèrent de même.

Regrettons encore que les diverses guerres qu’on vient de parcourir depuis la mort de Chilpéric aient été présentées par nos chroniqueurs d’une manière si peu militaire, et si peu analogue à l’objet spécial de notre travail. Il y avait environ trois ans que la France était tranquille au dedans et au dehors, lorsque Gontran mourut [en 593] dans la trente unième ou trente-deuxième année de son règne, laissant presque tous ses états à Childebert, un grand sujet de mécontentement à son autre neveu Clotaire, et de longues et horribles guerres à sa nation.

Soit que les deux royaumes d’Austrasie et de Bourgogne ne satisfissent point l’ambition de Childebert ; soit qu’il crût le temps arrivé de venger le meurtre du roi Sigebert son père, en perdant Frédégonde, et par la même haine le fils innocent de la coupable, il se hâta de faire passer[190] dans le Soissonnais une grande armée qui s’avança jusqu’à Troucy ; village à quelques lieues de la capitale. Frédégonde en forma promptement une autre fort inférieure, nais dont elle sut échauffer le zèle, y mena le jeune roi de Soissons ; le recommanda par des discours touchants aux soldats, par des distributions d’argent, par des promesses, par l’exemple de son propre courage, et s’approcha de la double armée des Austrasiens et des Bourguignons à une distance mesurée sur ses projets. De-là marchant à la tête de ses troupes[191], avec Clotaire son fils pigé de neuf à dix ans, à cheval comme sa mère et à ses côtés, elle surprit à la première lueur du jour le camp des ennemis, et les lit charger si impétueusement par son général Landéric, qu’ils furent d’abord accablés, et dissipés avec une perte énorme. Un historien Lombard[192], en l’évaluant à trente mille hommes, semble y comprendre celle des vainqueurs, qui dut être très médiocre ; et le puissant Childebert, après ce mauvais succès, n’inquiéta plus son cousin.

On peut aussi attribuer à l’adroite Frédégonde, liée depuis longtemps avec Waroch, les hostilités que ce turbulent voisin recommençait sur des contrées appartenantes auparavant à Gontran, et qui obligèrent le nouveau roi de Bourgogne à porter une armée dans la Bretagne[193]. Il s’y livra une bataille très sanglante des deux côtés, mais dont nous ignorons les faits et les suites. Il fallut encore que Childebert divisât ses forces pour combattre vers l’embouchure du Rhin les Warnes[194], voisins et vassaux ou sujets de la France Germanique, et peut-être révoltés aussi à l’instigation de Frédégonde. Le chroniqueur s’est contenté de dire que leur armée vaincue fut presque totalement anéantie ; et l’on n’est pas mieux instruit d’une autre expédition du même roi dans la Bavière, d’où il paraît seulement[195] qu’il chassa le roi ou le duc Garitalde, son vassal ou son tributaire rebelle, auquel il substitua le duc Tassilon.

La mort de Childebert, enlevé l’année suivante [en 596], à l’âge de vingt-six ans par une maladie ou par un crime[196], ôta tout frein à la rivalité de deux femmes ennemies, de deux reines impérieuses, et replongea la France dans de nouvelles guerres civiles. Brunehault, tutrice de ses deux petits-fils Theudebert ou Théodebert, et Theuderic ou Thierry, reconnus rois successeurs, le premier d’Austrasie, le second de Bourgogne, et régente de leurs états, fut prévenue par Frédégonde : celle-ci, avec des troupes diligemment rassemblées, courut se saisir[197] de la ville de Paris, de plusieurs autres places sur la Seine, et son armée défit complètement [en 597] celle de sa rivale dans une grande bataille, où le jeune Clotaire se montra comme il l’avait déjà fait à Troucy. Théodebert et Thierry, plus jeunes encore d’au moins trois ou quatre ans, y furent aussi présents ; et c’est tout ce qu’on sait de cette action, dont le lieu même ne se reconnaît plus aujourd’hui dans l’ancien nom Gaulois [Lafao ou Latofao].

Frédégonde mourut peu après sa victoire [en 598] : son ennemie, perdant de son côté l’amitié et la confiance de Théodebert[198], fut renvoyée de la cour de Metz, et ces deux événements donnèrent à la France quelque temps de repos. Mais Brunehault, accueillie à la cour de Bourgogne y reprit la même autorité qu’à celle d’Austrasie, et s’en servit[199] pour armer [en 600] Thierry contre le roi de Soissons. Celui d’Austrasie se joignit à son frère. Ils battirent[200] avec leurs armées réunies celle de Clotaire, auprès de Dormelle, dans le Sénonais, en firent un grand carnage, poursuivirent, accablèrent le vaincu dans sa fuite, et le forcèrent à un traité de paix, qui réduisait son royaume aux limites qu’il leur plut de lui prescrire.

Des courses de rapines qu’avaient fait apparemment, ou que firent ensuite les Gascons en-deçà des Pyrénées, fournirent à Théodebert et à Thierry, un an ou deux après l’affaire de Dormelle, une occasion de mieux employer leurs armes au-dehors [en 602]. lis marchèrent eux-mêmes[201], ou envoyèrent leur armée contre les pillards, qui furent défaits dans des combats sans détails, subjugués, rendus tributaires, et soumis à un duc [Génial] choisi dans la nation par les deux rois français.

Le pacte humiliant auquel Clotaire n’avait osé manquer depuis quatre ou cinq années, fut enfin rompu [en 604] par une invasion subite qu’il fit sur des cantons cédés malgré lui à Thierry. Le duc Landri, son maire du palais, chargé de les recouvrer[202], et d’en chasser Bertoald, maire du palais de Bourgogne, qui n’y était pas en forces, le poursuivit jusqu’aux portes d’Orléans, et refusa un duel proposé par celui-ci, du haut des murs de la ville, en acceptant néanmoins le défi pour la première bataille où ils se trouveraient. Thierry[203] arriva le mois d’après vers Étampes, suivi d’une autre armée à laquelle Bertoald réunit la sienne, et Landri alla au devant d’eux, menant avec lui Mérovée enfant de cinq ou six ans, confié par Clotaire son père au général, afin d’animer les soldats à la vue de ce précieux dépôt. Bertoald, passant une petite rivière[204] qui séparait les deux armées, attaqua hardiment les ennemis avec un tiers au plus de ses troupes[205], s’avança trop et se fit tuer, après avoir en vain appelé à haute voix Landri, qui ne l’entendit peut-être pas, ou qui crut pouvoir, sans déshonneur, refuser un combat singulier dans un combat général. Cependant, dès que les autres troupes de Thierry, deux fois plus nombreuses que le premier corps, eurent traversé la rivière, elles vainquirent celles du roi de Soissons, en tuèrent une grande partie, obligèrent Landri de fuir ; et Mérovée, dont l’histoire ne parle plus, fut pris dans la mêlée ou dans la déroute.

Les principes ou les préjugés de l’honneur qui faisaient exposer aux périls de la guerre la première adolescence, l’enfance même des rois ou de leurs fils, et l’usage des duels, dont le défi de Bertoald prouve l’ancienneté, présenteraient plus de réflexions que les autres faits de la bataille d’Etampes, dénuée à l’ordinaire d’images intéressantes, et qui est remarquable seulement par les suites qu’elle eut. A la nouvelle de la victoire du roi de Bourgogne, Théodebert, soit jalousie contre son frère et son confédéré, soit pitié pour le vaincu[206], fit la paix avec Clotaire à Compiègne, et les deux armées s’en retournèrent dans leurs foyers sans effusion de sang.

Mais cette paix produisit l’année suivante [en 605] une nouvelle guerre. Thierry, offensé d’un traité fait, à contretemps, sans sa participation, par son frère et son confédéré, vivement excité d’ailleurs par Brunehault à laquelle Théodebert était odieux depuis qu’il l’avait expulsée de Metz, entra sur les terres du roi d’Austrasie à la tête d’une armée[207], accompagné du général Protadius chargé auparavant de la régie du fisc, et créé récemment, à la place de Bertoald, majeur, ou grand maître de la maison du prince, autrement son maire du palais ; dignité qui déjà dominait toutes les autres. Pendant que les deux armées s’approchaient vers an lieu qu’il est difficile de déterminer[208], les leudes, les magnats Bourguignons, mécontents de servir dans une guerre sans cause, qu’ils désapprouvaient, exhortèrent en vain Thierry à s’en désister, et plus indignés encore d’obéir à un homme dont ils n’avaient que trop éprouvé la tyrannie et l’avidité fiscales, ils firent soulever contre lui leurs soldats, qui l’égorgèrent dans la tente même du roi. La frayeur dicta la paix, Thierry se réconcilia aussitôt avec son frère ; et, ce qui peut étonner, la concorde rétablie subsista pendant cinq ans.

On ignore les raisons ou les prétextes qu’eut Théodebert de la rompre le premier [en 6ic], en tombant brusquement sur l’Alsace[209], le Sundgau, et d’autres contrées du partage de son .frère, auquel il proposa ensuite de faire juger leurs droits, dans une assemblée nationale au bourg ou château de Seltz, où ils se rendraient l’un et l’autre. Thierry n’y mena qu’une escorte de dix teille hommes. Le roi d’Austrasie, avec une très  grande armée, l’enveloppa de tous côtés, et, par un traité forcé, s’appropria tout ce qu’il venait d’envahir. Les Allemands, à la faveur de cette guerre, et Peut-être par l’impulsion de Théodebert, se jetèrent en même temps dans la Bourgogne transjurane, pillèrent, incendièrent le territoire de Lausanne et d’autres cantons, battirent les troupes réunies de plusieurs commandants du pays, et ramenèrent chez eux une multitude de captifs avec un ample butin.

Furieux de la perfidie de son frère, et ne respirant que la vengeance, Thierry, s’assura [en 611][210] d’abord la neutralité de Clotaire, par de magnifiques concessions qu’il lui offrit, rassembla, le printemps suivant [en 612], de toutes les provinces de son royaume, la plus forte armée qu’il put, joignit celle des Austrasiens auprès de Toul, les vainquit, en détruisit le plus grand nombre et dissipa le reste. Théodebert, fuyant, ne s’arrêta qu’à Cologne, d’où il alla promptement au-delà du Rhin lever une armée nouvelle, mêlée de Francs indigènes, de Thuringiens, de Saxons, d’autres peuples voisins de la France Germanique, avec lesquels, et les débris de sa défaite, il revint attaquer le roi de Bourgogne proche de Tolbiac. Quoique la bataille, engagée entre les deux frères ennemis dans des champs déjà fameux par la victoire de Clovis sur les Allemands, et par celle de ses fils sur un roi des Thuringiens, ne nous fasse connaître ni la disposition du terrain, ni l’ordonnance des troupes, Ili leurs manœuvres omises par le chroniqueur, elle présente au moins quelques peintures des passions guerrières : une mêlée furieuse, un courage intrépide, une égale obstination à ne point meuler, des bataillons détruits conservant leur premier ordre, les morts entassés dans leurs rangs, et si pressés les uns contre les autres, que plusieurs restaient debout, comme s’ils eussent été envie. Les Austrasiens, fuyant vers Cologne, ne perdirent peut-être pas moins de soldats dans la déroute qu’ils n’en avaient laissé dans le combat ; et Théodebert, poursuivi au-delà du Rhin, ramené à Cologne, présenté à son frère, fut envoyé chargé de chaînes à Châlons-sur-Saône, où la vindicative Brunehault[211] lui fit d’abord perdre la dignité royale par la tonsure ecclésiastique, et la vie quelques temps après.

Clotaire s’était hâté de prendre possession d’un [Ducatus Entelini, ou Dentelin] duché considérable entre la Seine et la Somme, pris stipulé de la neutralité qu’il avait observée dans la guerre des deux frères. Thierry s’en offensa[212], réclama impérieusement contre une cession involontaire, fit entrer [en 613] dans le royaume de Soissons une grande armée, qui commença de nouvelles hostilités ; et des flots de sana allaient encore couler lorsqu’une maladie emporta l’injuste agresseur dans la vingt-sixième année de son âge, et la dix-huitième de son règne[213].

Mais la longue, la cruelle tragédie de ces guerres domestiques, se termina enfin par une dernière scène plus affreuse encore que les précédentes, et qui égale ou surpasse en horreur tout ce que les poètes nous ont dit d’Atrée et de Thyeste, d’Etéocle et de Polynice. Le roi de Soissons, délivre ; d’un ennemi redoutable, passa promptement de la crainte de perdre son royaume à l’ambition de s’emparer de deux autres[214]. Assez artificieux pour gagner, pour corrompre les grands. les plus accrédités d’Austrasie et de Bourgogne et s’attacher les chefs de parti, il fut assez cruel pour faire égorger deux fils de Thierry. Il chercha en vain le troisième qui. Ire reparut plus après son évasion, et n’épargna le quatrième, par une singulière pitié de parrain, qu’en le condamnant à une vie obscure. Plus barbare encore à l’égard de Brunehault, il la livra, sous les yeux d’une armée qui l’accabla d’injures, à des supplices atroces, trop outrageants, quelques crimes qu’on eût à lui reprocher, pour la dignité d’une reine, fille, femme, mère, aïeule de puissants rois.

Détournons les yeux d’une arène de bêtes féroces, et avant de passer au nouveau règne monarchique de Clotaire II, terminons par quelques résultats, qui auraient interrompu le fil historique des faits, un triste et fatigant mémoire, dans lequel, à l’exception d’un nombre de combats contre les ennemis du dehors, on n’a vu que des guerres sacrilèges se renouveler sans cesse dans la famille royale, entre des frères, des oncles, des neveux et des cousins ; les généraux d’armées, les chefs de factions ambitionner les dignités, convoiter la fortune plus que la gloire ; et des soldats indisciplinés s’abandonner à toutes sortes d’excès. Les Gaulois avaient-ils plus perdu de leur civilisation, ou les Français de leur barbarie, depuis qu’ils se trouvaient mêlés sous les mêmes enseignes ? et leur esprit de guerre, plus ou moins rapproché, était-il autre chose que le mépris des dangers, et l’avidité des rapines, qu’un ennui, qu’une aversion du repos qu’ils auraient regardé comme un état de langueur, comme une maladie, ainsi qu’il l’était pour les Francs, suivant un orateur grec[215], plus de deux siècles avant les temps qu’on vient d’examiner ? Ces questions ne paraissent pas difficiles à résoudre par les seuls faits recueillis dans le mémoire. On y a dei observer aussi que la cause principale des convulsions de la France fut la fréquente mutation des divers trônes, et la minorité successive de plusieurs rois enfants : que la nation armée contre elle-même ne put se livrer plus souvent ni aussi vivement qu’elle l’aurait souhaité à des guerres externes, et que celles. du dedans, quelques maux qu’elle en souffrît, quelque horreur qu’il faille en concevoir, l’entretenaient cependant pour un meilleur usage dans l’habitude des armes, dans l’exercice d’un courage redoutable à ses ennemis, et toujours prêt à se tourner impétueusement contre eux.

La rage des guerres civiles produisit même un bien, ou du moins elle apporta d’utiles soulagements à ces maux, en obligeant des hommes de toutes les conditions à chercher leur tranquillité dans des asiles inviolables. Rien probablement ne contribua autant que le désordre même à multiplier, à remplir les monastères dans le sixième siècle, comme dans le précédent, au milieu de la dépravation des mœurs ; et l’on peut, sans exclure les dévouements inspirés par la pitié seule, attribuer l’empressement qu’il y avait alors à se renfermer dans des cloîtres, plus généralement à la sûreté, qui ne se trouvait pas ailleurs, qu’aux vertus chrétiennes ; plus à la misère publique, qu’au mépris des richesses ; moins l’abnégation des plaisirs, qu’à l’avantage de s’enrôler dans une milice sacrée, vénérée par la milice profane, et qui n’était pas moins honorable ; car la majesté du culte extérieur et des dogmes du christianisme, professé dès lors par tous les Français, avait assuré à la religion une très grande autorité, et ses ministres tenaient déjà, dans la France, le même rang que César donne aux Druides[216] dans la Gaule, où il ne voyait que deux ordres, deux classes d’hommes distingues et honorés, les chevaliers ou gens de guerre, et les prêtres.

Mais si, dans ces temps malheureux, (et nomme on le voit encore dans le onzième siècle) la guerre fit par contrecoup des cénobites, ceux-ci défrichèrent, fécondèrent des terres qu’elle avait rendues stériles, et dont elle respecta presque toujours les moissons ; ils cultivèrent surtout la littérature autant qu’ils le pouvaient dans sa décadence, en conservant l’étude de la langue latine ; en gardant avec soin, en transcrivant laborieusement des manuscrits précieux. Par cet important service, ils ont fait avec le temps, des savants, des académies ; et quelle autre leur doit tous les jours plus de gratitude, que celle des belles-lettres[217] ?

 

 

 



[1] Considérations sur l’Esprit militaire des Germains, par Bourdon de Sigrais, 1786, in-12, pages 198 à 451.

[2] Grégoire de Tours, Collection des Mém., I, 85.

[3] Histoire de France du P. Daniel, tom, I, préface historique.

[4] Grégoire de Tours, Collection des Mém., I, 85.

[5] Grégoire de Tours, Collection des Mém., I, 107.

[6] Grégoire de Tours, Collection des Mém., I, 85.

[7] Grégoire de Tours, lib. 2, I, 67.

[8] Grégoire de Tours, lib. 2, I, 88.

[9] Gesta reg. Francorum, cap. 14.

[10] Esprit militaire des Germains, IXe Mémoire, p. 447.

[11] Grégoire de Tours, lib. 2, Collection des Mém., I, 90.

[12] Ibid.

[13] Ibid., cap. 30.

[14] Cassiodore, lib. 2, epist. 41. Grégoire de Tourd, lib. 2, Collection des Mém., I, 90.

[15] Grégoire de Tours, lib. 2, Collection des Mém., I, 90.

[16] Grégoire de Tours, lib. 2, Collection des Mém., I, 90.

[17] Procope, Bell. Goth., lib. I.

[18] Procope, Bell. Goth, lib. 2.

[19] Grégoire de Tours, lib. 2, Collection des Mém., I, 91-93.

[20] Grégoire de Tours, lib. 1, Collection des Mém., I, 93-95.

[21] Gondebaud avait déjà fait périr deux autres frères, Gondomar et Chilpéric.

[22] Procope, Bell. Goth., lib. I.

[23] Procope, Bell. Goth., lib. I.

[24] Procope, Bell. Goth., lib. I. Mariii Avent. Chro.

[25] Isodorus Hispal., Episc. Hist. Goth.

[26] Grégoire de Tours, lib. 2, Collection des Mém., I, 101. — Chlovechus rex ait suis : valde moleste fero quod hi Ariani partem teneant Galliarum.

[27] Procope, Bell. Goth., lib. I, cap. 12.

[28] Grégoire de Tours, lib. 2, Collection des Mém., I, 101.

[29] Procope, Bell. Goth., lib. I, cap. 12.

In campo Voglacense. Grégoire de Tours, lib. 2, Collection des Mém., I, 104. — Nota. Que dans Procope, on voit la bataille livrée près de Carcassonne, non de Poitiers. Méprise de l’auteur, ou faute de ses copistes.

[30] Grégoire de Tours, lib. 2, Collection des Mém., I, 104.

[31] Grégoire de Tours, lib. 2, Collection des Mém., I, 104.

[32] Cassiodore, lib. 3, Epist. 32 et 44 ; lib. 8, Epist. 10.

[33] Jornandès, de rebus Geticis.

[34] Cassiodore, lib. 3, Epist. 32 et 44 ; lib. 8, Epist. 10. Vita S. Casariii, Episcop. Arelat.

[35] Gens Francorum inclyta, fortis in armis, auda, velox (ou ferox) et aspera.

[36] Esprit militaire des Gaulois.

[37] Grégoire de Tours, lib. 2, Collection des Mém., I, 107-109.

[38] Le 27 novembre 511 ; Collection des Mém., I, 110.

[39] Histoire critique de la monarchie Française, par M. l’abbé Dubos, discours préliminaire.

[40] Grégoire de Tours, lib. 3, Collection des Mém., I, 12.

[41] Gesta regum Franc., cap. 19. — Grégoire de Tours, lib. 3, Collection des Mém., I, 114.

[42] Peut-être en 520, peut-être plus tôt ou plus tard : il n’est pas aisé de fixer cette date ni plusieurs des suivantes. J’avertis une fois pour toutes, que je choisis les plus probables, et que je ne dois pas m’arrêter i les discuter, dans un travail on il ne s’agit essentiellement que des faits.

[43] Grégoire de Tours, lib. 3. Collection des Mém., I, 115.

[44] Grégoire de Tours, lib. 3, Collection des Mém., I, 116, 117.

[45] Ibid, cap. 6. Passio S. Sigism.

[46] Grégoire de Tours, lib. 2, Collection des Mém., I, 87.

[47] Grégoire de Tours, lib. 3, Collection des Mém., I, 118.

[48] Frédégaire, Épitomé, cap. 36.

[49] Selon d’autres, Voiron en Dauphiné.

[50] Grégoire de Tours, lib. 3, Collection des Mém., I, 118.

[51] Grégoire de Tours, lib. 3, Collection des Mém., I, 118.

[52] Godomarum fugant, Burgundiones opprimunt, patriamque in suam redigunt potestatem, (au lieu de patriam, ne doit-on pas lire partim ?)

[53] Grégoire de Tours, lib. 3, Collection des Mém., I, 119.

[54] Agathias, Hist., lib. I.

[55] Grégoire de Tours, lib. 3, Collection des Mém., I, 119, 120.

[56] Grégoire de Tours, lib. 3, Collection des Mém., I, 121.

[57] Grégoire de Tours, lib. 3, Collection des Mém., I, 122. Procope, Bell. Goth., lib. I, cap. 31.

[58] Le Languedoc.

[59] Grégoire de Tours, lib. 3, Collection des Mém., I, 124.

[60] Grégoire de Tours, lib. 3, Collection des Mém., I, 126 et suiv.

[61] Marii Avent. chron.

[62] Procope, Bell. Goth., lib. I, cap. 13.

[63] Procope, Bell. Goth., lib. 1, cap. 14, et lib. 3, cap. 39.

[64] Procope, Bell. Goth., lib. 2, cap. 11 et 22.

[65] Procope, Bell. Goth., lib. 2, cap. 25.

[66] Procope, Bell. Goth., lib. 2, cap. 25.

[67] Procope, Bell. Goth., lib. 2, cap. 28.

[68] Grégoire de Tours, lib. 3, Collection des Mém., I, 142. Gesta reg. Franc., cap. 25, Sigebert. Chron.

[69] Grégoire de Tours, lib. 3, Collection des Mém., I, 143.

[70] Isidor. Hisp., Episcop., Hist. Goth.

[71] Grégoire de Tours, lib. 3, Collection des Mém., I, 146. Procope, Bell. Goth., lib. 4, cap. 24.

[72] Agathias, lib. 1.

[73] Agathias, lib. 1.

[74] Esprit militaire des Germains, troisième Mémoire. Tacite, Annal., lib. 11, cap. 18 et 22.

[75] Agathias, lib. 1.

[76] Grégoire de Tours, lib. 3, Collection des Mém., I, 149, 150.

[77] Procope, Bell. Goth., lib. 4, cap. 24.

[78] Procope, Bell. Goth., lib. 4, cap. 28.

[79] Procope, Bell. Goth., lib. 4, cap. 28 et sq.

[80] Procope, Bell. Goth., lib. 4, cap. 31, 32 et sq.

[81] Agathias, lib. 1.

[82] Agathias, lib. 1.

[83] Agathias, lib. 2.

[84] Agathias, lib. 2.

[85] Agathias, lib. 2.

[86] Agathias, lib. 2.

[87] Agathias, lib. 2.

[88] Agathias, lib. 2.

[89] Agathias, lib. 2.

[90] Agathias, lib. 2.

[91] Agathias, lib. 2.

[92] Menander protector.

[93] Appendix ad chron. Marcel. Paulus Diac., Hist. Lang., lib. 2.

[94] Agathias, lib. 2.

[95] Grégoire de Tours, lib. 4, Collection des Mém. I, 159.

[96] Collection des Mém., I, 166.

[97] Collection des Mém., I, 166.

[98] Grégoire de Tours, lib. 4, Collection des Mém., I, 169.

[99] Collection des Mém., 173.

[100] Grégoire de Tours, lib. 4, Collection des Mém., I, 174.

[101] Marii Avit. chron.

[102] Freculsus.

[103] Agathias, lib. 2.

[104] Sidonius Apoll, in panegyr. Majoriani.

[105] Tacite, in Germania.

[106] Agathias, lib. 2.

[107] Grégoire de Tours, lib. 4, Collection des Mém., I, 176 et suiv.

[108] Grégoire de Tours, lib. 4, Collection des Mém., I, 176 et suiv.

[109] Grégoire de Tours, Gesta reg. Franc. Ado. etc.

[110] Paulus Diac., Gesta Langob., lib. 2, cap. 10.

[111] Fortunatus, lib. 6, carm. 3.

[112] Grégoire de Tours, Collection des Mém., I, 176, 177.

[113] Fortunatus, lib. 7, carm. 7.

[114] Grégoire de Tours, lib. 4, Collection des Mém., I, 180. La date de la mort de Charibert doit être rectifiée et fixée à l’an 565.

[115] Grégoire de Tours, lib. 4, Collection des Mém., I, 181.

[116] Fortunatus, lib. 6, carm. 3 et 4.

[117] Grégoire de Tours, lib. 4, Collection des Mém., I, 182.

[118] Grégoire de Tours, lib. 4, Collection des Mém., I, 183.

[119] Grégoire de Tours, lib. 9, Collection des Mém., II, 28, 29.

[120] Grégoire de Tours, lib. 4, Collection des Mém., I, 183.

[121] Grégoire de Tours, lib. 4, Collection des Mém., I, 183.

[122] Menander Protector.

[123] Grégoire de Tours, lib. 4, Collection des Mém., I, 183, 184.

[124] Esprit militaire des Germains.

[125] Marii Avent. Chron.

[126] Grégoire de Tours, lib. 4, Collection des Mém., I, 201.

[127] Grégoire de Tours, lib. 4, Collection des Mém., I, 201.

[128] Grégoire de Tours, lib. 4, Collection des Mém., 204, 205.

[129] Grégoire de Tours, lib. 4, Collection des Mém., 204, 205.

[130] Grégoire de Tours, lib. 4, Collection des Mém., I, 204 et 205.

[131] Paulus Diac., Gesta Langob., lib. 3, cap. 9.

[132] Grégoire de Tours, lib. 4, Collection des Mém., I, 206.

[133] Grégoire de Tours, lib. 4, Collection des Mém., I, 206, 209.

[134] Grégoire de Tours, lib. 4, Collection des Mém., I, 206, 209.

[135] Grégoire de Tours, lib. 4, Collection des Mém., I, 211.

[136] Grégoire de Tours, lib. 4, Collection des Mém., I, 215.

[137] Grégoire de Tours, lib. 4, Collection des Mém., I, 215.

[138] Grégoire de Tours, lib. 4, Collection des Mém., I, 214.

[139] Marius Avent. Jonas in vita S Columbani.

[140] Grégoire de Tours, lib. 5, Collection des Mém., I, 264.

[141] Grégoire de Tours, lib. 5, Collection des Mém., I, 223.

[142] Grégoire de Tours, lib. 5, Collection des Mém., I, 223.

[143] Grégoire de Tours, lib. 5, Collection des Mém., I, 233.

[144] Grégoire de Tours, lib. 5, Collection des Mém., I, 244.

[145] Grégoire de Tours, lib. 5, Collection des Mém., I, 264.

[146] Grégoire de Tours, lib. 5, Collection des Mém., I, 245.

[147] Grégoire de Tours, lib. 5, Collection des Mém., I, 264 et suiv.

[148] Grégoire de Tours, lib. 5, Collection des Mém., I, 266 et suiv.

[149] Grégoire de Tours, lib. 6, Collection des Mém., I, 304 et suiv.

[150] Grégoire de Tours, lib. 6, Collection des Mém., I, 304 et suiv.

[151] Grégoire de Tours, lib. 6, Collection des Mém., I, 335.

[152] Grégoire de Tours, lib. 6, Collection des Mém., I, 322.

[153] Grégoire de Tours, lib. 6, Collection des Mém., I, 325.

[154] Grégoire de Tours, lib. 6, Collection des Mém., I, 325.

[155] Grégoire de Tours, lib. 6, Collection des Mém., I, 325.

[156] Grégoire de Tours, lib. 6, Collection des Mém., I, 344.

[157] Dissertation de l’abbé Le Beuf. — Ce texte corrige celui que nous avons donné, Collection des Mém., I, 344.

[158] Grégoire de Tours, lib. 6, Collection des Mém., I, 344.

[159] Grégoire de Tours, lib. 6, Collection des Mém., I, 347.

[160] Grégoire de Tours, lib. 6, Collection des Mém., I, 349.

[161] Grégoire de Tours, lib. 6, Collection des Mém., I, 363.

[162] Esprit militaire des Germains, p. 395.

[163] Sidonius Apoll., in Panegyr. Majoriani.

[164] Grégoire de Tours, lib. 6, Collection des Mém., I, 363, 364.

[165] Grégoire de Tours, lib. 6, Collection des Mém., I, 370.

[166] Gesta reg. Francorum, cap. 35.

[167] Frédégaire, Epit., cap. 93.

[168] Grégoire de Tours, lib. 7, Collection des Mém., I, 391.

[169] At isti qui Bituriges obsidebant tantas prædas sustulerunt, ut omnis illa regio, unde erant egressi, valde putaretur evacuata vel de hominibus vel de ipsis pecoribus... Ingressus exercitus Desiderii et Bladastis per Turonicum incendia, prædas, et homicidia tanta fecerunt, ut solet inter inimicos fieri : nam captivos abduxerunt, etc. Grégoire de Tours, lib. 6, Collection des Mém., I, 344.

[170] Grégoire de Tours, lib. 6 et 7, Collection des Mém., I, 336, 383, 400 et suiv.

[171] Grégoire de Tours, lib. 7, Collection des Mém., I, 383.

[172] Grégoire de Tours, lib. 7, Collection des Mém., I, 400 et suiv.

[173] Grégoire de Tours, lib. 7, Collection des Mém., I, 411.

[174] Grégoire de Tours, lib. 8, Collection des Mém., I, 446.

[175] Grégoire de Tours, lib. 8, Collection des Mém., II, 39.

[176] Paulus Diac., Hist. Long., lib. 3, cap. 30. - Grégoire de Tours, lib. 10, Collection des Mém., II, 85.

[177] Grégoire de Tours, lib. 8, Collection des Mém., I, 457.

[178] Tantaque per viam scelera, homicidia, prædas, direptionesque per regnum proprium fecerunt, ut.... tunc et Arvennæ regionis ecclesiæ, quæ viæ publicæ propinquæ, a ministeriis denudatæ sunt. Grégoire de Tours, lib. 8, Collection des Mém., I, 457 et suiv.

[179] Grégoire de Tours, lib. 8, Collection des Mém., I, 457 et suiv.

[180] Grégoire de Tours, lib. 8, Collection des Mém., I, 457 et suiv.

[181] Grégoire de Tours, lib. 8, Collection des Mém., I, 457 et suiv.

[182] Grégoire de Tours, lib. 8, Collection des Mém., I, 457 et suiv.

[183] Grégoire de Tours, lib. 8, Collection des Mém., I, 478.

[184] Grégoire de Tours, lib. 8, Collection des Mém., II, 45.

[185] Isidorus Hispal. et Joannes Biclar.

[186] Grégoire de Tours, lib. 9, Collection des Mém., II, 46.

[187] lndignum est ut horrendorum Gothorum terminus usque in Gallias extensus sit. Grégoire de Tours, lib. 8, cap. 30, Collection des Mém., I, 457.

[188] Grégoire de Tours, lib. 9, Collection des Mém., II, 8.

[189] Grégoire de Tours, lib. 9, Collection des Mém., II, 23.

[190] Chronique de Frédégaire, Collection des Mém., II, 170. — Gesta reg. franc., cap. 36.

[191] Gesta reg. Franc., cap. 36.

[192] Paulus Diac., Hist. Longob., lib. 4, cap. 4.

[193] Chronique de Frédégaire, Collection des Mém., II, 170.

[194] Chronique de Frédégaire, Collection des Mém., II, 171.

[195] Paulus Diac., Hist. Longob., lib. 3, cap. 29, lib. 4, cap. 9.

[196] Paulus Diac., Hist. Longob., lib. 4, cap. 12.

[197] Chronique de Frédégaire, Collection des Mém., II, 171.

[198] Chronique de Frédégaire, Collection des Mém., II, 172.

[199] Gesta reg. Franc., cap. 37.

[200] Chronique de Frédégaire, Collection des Mém., II, 172.

[201] Chronique de Frédégaire, Collection des Mém., II, 173.

[202] Chronique de Frédégaire, Collection des Mém., II, 175.

[203] Chronique de Frédégaire, Collection des Mém., II, 175.

[204] Le Loet, petite rivière qui se jette dans la Seine un peu au-dessous d’Étampes.

[205] Chronique de Frédégaire, Collection des Mém., II, 176.

[206] Chronique de Frédégaire, Collection des Mém., II, 176.

[207] Chronique de Frédégaire, Collection des Mém., II, 176.

[208] Probablement Cerisy.

[209] Chronique de Frédégaire, Collection des Mém., II, 187.

[210] Chronique de Frédégaire, Collection des Mém., II, 187, 188.

[211] Chron. S Benig. Jonas in vita S. Columbani.

[212] Chronique de Frédégaire, Collection des Mém., II, 189.

[213] Chronique de Frédégaire, Collection des Mém., II, 190.

[214] Chronique de Frédégaire, Collection des Mém., II, 191 et suiv.

[215] Libanius, Orat. 3 et 10.

[216] Cæsar, Bell. Gall., lib. 6, cap. 15.

[217] On sait que nous devons aux savants religieux Bénédictins de la congrégation de Saint-Maur, la première Collection des Historiens de France.