LA VIE PRIVÉE ET LA VIE PUBLIQUE DES GRECS

 

CHAPITRE XIV. — L’ART GREC.

 

 

SOMMAIRE. — 1. Les découvertes archéologiques en Grèce. — 2. Une fouille en Grèce (Délos). — 3. Aspect général d’un temple grec. — 4. La structure du Parthénon. — 5. La polychromie architecturale. — 6. Les débuts de la sculpture en Grèce. — 7. Les statues peintes de l’Acropole d’Athènes. — 8. Phidias. — 9. Une métope d’Olympie. — 10. Les marbres de Pergame. — 11. La peinture grecque. — 12. Polygnote. — 13. La fabrication des vases peints. — 14. Une peinture de vase. 15. La fabrication des terres cuites. — 16. Les figurines de Tanagra. — 17. L’orfèvrerie mycénienne. —18. Les vases d’or de Vaphio. —19. Le coffre de Cypsélos. — 20. Objets d’orfèvrerie trouvés dans le Bosphore Cimmérien. — 21. Les graveurs de monnaies. — 22. L’hymne à Apollon.

 

1. — LES DÉCOUVERTES ARCHÉOLOGIQUES EN GRÈCE.

Il y a une quarantaine d’années, pour le gros public et dans la littérature, l’archéologue était assez volontiers placé au rang des personnages comiques, destinés à amuser le parterre de leurs folles et ridicules billevesées. C’était le temps où Edmond About mettait en scène dans le Roi des Montagnes le doux M. Mérinay, archéologue français, membre de plusieurs sociétés savantes, en arrêt devant un petit monument de calcaire coquillier, haut de 35 centimètres sur 22, et planté par hasard sur le bord du chemin, l’esprit à la torture pour éclaircir l’inscription, absolument inédite, qui s’y trouvait gravée en caractères de la bonne époque et sculptés dans la perfection. Si je parviens à l’expliquer, disait ce docte jeune homme, ma fortune est faite. Je serai membre de l’académie des inscriptions et belles-lettres de Pont-Audemer ! Mais la tâche est longue et difficile. L’antiquité garde ses secrets avec un soin jaloux. Je crains bien d’être tombé sur un monument relatif aux mystères d’Éleusis. En ce cas, il y aurait peut-être deux interprétations à trouver : l’une vulgaire ou démotique, l’autre sacrée ou hiératique. Il faudra que vous me donniez votre avis. — Mon avis, lui répondis-je, est celui d’un ignorant. Je pense que vous avez découvert une borne comme on en voit beaucoup le long des chemins, et que l’inscription qui vous a donné tant de peine pourrait, sans nul inconvénient, se traduire ainsi : Stade 22, 1851. Le théâtre n’était pas plus clément à l’archéologie que le roman. Dans une comédie de Labiche, l’archéologie se présentait sous les espèces d’un académicien d’Étampes, flairant le romain à cent pas de distance, et capable de trouver sous un honnête poirier d’Arpajon le bouclier long, scutum, l’épée du centurion, gladium, pièce extrêmement rare, les saladiers dorés, signés F. C., Fabius Cunctator, et jusqu’au lacrymatoire de la décadence, trop connu pour qu’il soit utile d’insister. On pourrait citer bien d’autres exemples du cas que le monde faisait alors de l’archéologie ; pour bien des gens, comme pour un personnage de la Grammaire, l’archéologie était surtout un mot bien difficile à écrire..

Depuis lors, les choses ont changé. Nous avons perdu le goût des longs développements oratoires, des aperçus brillants et superficiels, des théories générales, des considérations abstraites. Nous avons pris peu à peu, dans ce siècle de grandes découvertes scientifiques, l’amour des recherches exactes et des méthodes précises, et nous avons compris alors que ces études dont on se moquait, apportaient à la connaissance historique des éléments nouveaux d’information, que ce n’étaient point là des sciences mortes et vaines, mais qu’elles nous faisaient pénétrer dans ce qu’il y a peut-être de plus vivant au monde, dans les Sentiments intimes, dans les formes de penser ordinaires des peuples disparus. Nous avons compris que l’archéologie n’est pas simplement la science des petits pots cassés, mais que cette science des objets et. des monuments antiques nous fait connaître une des expressions du caractère d’un peuple, et la plus intéressante peut-être, celle qui touche à ses idées et à ses mœurs.

Lorsqu’en 1830 Ottfried Müller dressa pour la première fois l’inventaire exact des conquêtes de l’archéologie, bien des nuages enveloppaient encore l’histoire de l’art antique. Sans doute, dès la fin du XVIIIe siècle, en 1764, Winckelmann, dans son Histoire de l’art chez les anciens, avait fondé la méthode des études archéologiques. Sans doute quelques séries admirables de monuments authentiques avaient déjà révélé la beauté grecque, telle qu’Athènes l’a conçue et réalisée. Les marbres du Parthénon, cédés en 1816 par lord Elgin au musée Britannique, les figures des frontons d’Épine, qui en 1820 formaient le noyau du musée de Munich, les frises du temple d’Apollon à Phigalie, dont le musée Britannique, vers le même temps, s’assurait la possession, tous ces monuments avaient initié les érudits et les artistes aux merveilles d’un art jusque-là presque inconnu. Mais à côté de ces lumineuses figures qui jetaient des clartés soudaines dans la nuit de l’antiquité, que de coins sombres encore où l’œil avait peine à percer les ténèbres ! Si les musées de Naples, de Florence et de Rome étaient pleins de figures antiques, ces œuvres de valeur inégale, trop souvent défigurées par de maladroites restaurations, n’apportaient que des informations incomplètes, et beaucoup de ces statues n’étaient que de médiocres copies sorties en foule des ateliers grecs de la décadence pour aller embellir et peupler les palais des empereurs et les villas des riches Romains. On commençait à mieux apprécier le style d’un Phidias ou d’un Praxitèle ; mais les premiers tâtonnements de l’art archaïque, le lent et douloureux progrès qui conduisit la statuaire de la gaucherie conventionnelle des primitifs à la splendeur de la perfection classique, tout cela, faute de monuments, demeurait lettre morte. On était à peu près fixé sur les principes de l’architecture grecque, par l’étude des temples de Pæstum en Italie, de Sélinonte et d’Agrigente en Sicile, des monuments de l’acropole d’Athènes ; mais qui soupçonnait la peinture antique ? qui songeait à chercher dans ces vases d’argile ornés de figures, que pendant si longtemps on s’est obstiné à nommer des vases étrusques, des imitations plus ou moins libres des tableaux anciens ? qui songeait à ressaisir, dans ces dessins conservés sur les vases, un reflet affaibli, mais vivant encore, de l’art des Polygnote et des Apelle ?

Soixante ans et plus ont passé depuis Ottfried Müller, et lui-même jugerait aujourd’hui que son œuvre est à recommencer. Par une émulation admirable et une féconde rivalité ; toutes les nations européennes se disputent la gloire de ramener au jour les débris du vieux monde antique ; l’Angleterre et la France, l’Allemagne et l’Autriche, la Grèce et l’Italie, l’Amérique elle-même, ont jeté des sommes considérables sur ces champs de bataille d’une guerre pacifique, où la victoire, comme ailleurs, appartient au plus tenace, au plus heureux, au plus riche. Ici, c’est Schliemann que l’ardent amour d’Homère entraîne vers les lieux illustrés par le souvenir de la guerre de Troie, et sous la pioche de l’intrépide explorateur l’acropole de Mycènes nous livre ses trésors, ses tombeaux remplis d’or et de bijoux où dorment ses morts illustres[1]. Là, c’est Délos, l’île sacrée d’Apollon, l’un des sanctuaires les plus anciens et les plus vénérables de la Grèce, où dix années de fouilles nous procurent plus de 1500 inscriptions et des séries de spécimens de la sculpture archaïque[2]. Les fouilles d’Olympie placent devant nos yeux les figures dont les sculpteurs du Ve siècle ont orné les frontons et les métopes du temple de Zeus ; elles nous donnent surtout ce beau groupe d’Hermès et de Dionysos, une œuvre originale de Praxitèle, où apparaît dans toute sa fleur la grâce souveraine du maître athénien[3]. La vieille acropole de Tirynthe, explorée par Schliemann, nous rend un palais des premiers temps de la Grèce. Da rocher de l’acropole d’Athènes le hasard fait surgir (depuis 1882) un peuple de statues, ensevelies pendant de longs siècles au pied du Parthénon, et qui se montrent à nos regards tout éclatantes encore de leurs fraîches couleurs, toutes parées du charme des œuvres primitives. Les fouilles que l’école française poursuit en ce moment à Delphes exhument jour par jour une foule de monuments précieux pour la connaissance de l’architecture, de la sculpture et même de la musique helléniques[4].

L’Asie Mineure nous ouvre aussi ses trésors. Tandis que les tumuli d’Issarlik nous rendent les ruines de Troie, les découvertes de Newton au temple d’Apollon Didyméen (1858) nous donnent les statues colossales qui décoraient l’avenue sacrée des Branchides. Les fouilles de Milet (1871-73) font entrer au Louvre les débris du sanctuaire d’Apollon. Le musée Britannique s’enrichit des dépouilles de l’Artémis d’Éphèse et de l’Aphrodite de Cnide. A Halicarnasse, le mausolée retrouvé par Newton (1856) nous fait connaître le style de l’école attique du IVe siècle, et pénétrer dans une de ces petites cours asiatiques, véritables colonies artistiques de la Grèce, où s’épanouissent dans toute leur fleur les arts et la civilisation de l’Hellade. Dans la pittoresque Lycie, où Fellows dès 1831 recueillait pour le musée Britannique les curieux monuments de l’acropole de Xanthos, une expédition autrichienne entreprenait récemment des recherches nouvelles et enrichissait le musée de Vienne de la frise de Göl-Baschi (1882). Enfin, sur l’acropole de Pergame, les fouilles exécutées par les Allemands[5] ont renouvelé vraiment l’histoire de l’art grec au ne siècle et révélé tous ces sculpteurs qui vécurent dans l’entourage des Attalides, et qui ont contribué pour leur part à l’éclat de cette cour savante, artistique et lettrée.

Et comme si ce n’était pas assez de tant de découvertes pour nous faire apprécier dans sa libre variété l’admirable développement de l’art grec, voilà que de l’ombre des nécropoles de Tanagra et de Myrina[6] est sortie une Grèce nouvelle, non point cette Grèce un peu grave et austère qui se plaît aux représentations des héros et des dieux, mais une Grèce qui s’amuse et sourit, qui descend des hauts sommets de l’idéal aux familiarités de la vie terrestre et de l’imposante noblesse des compositions héroïques à la libre intimité des sujets de genre. Dans les tombeaux de l’Asie Mineure et de la Béotie, la pioche de l’ouvrier a réveillé de leur sommeil tout un monde de figurines élégantes et coquettes, grandes et petites dames de l’antiquité, au nez retroussé, aux chevelures maniérées et capricieuses, aux allures piquantes, dont l’aimable abandon et l’air tout moderne rappellent moins les œuvres du IVe siècle hellénique que les charmantes fantaisies du XVIIIe siècle français.

Diehl, Excursions archéologiques en Grèce, Introduction ; Colin, édit.

 

2. — UNE FOUILLE EN GRÈCE (DÉLOS).

Un matin de 1876, je fus appelé chez M. Dumont (directeur de l’école française d’Athènes), qui me demanda si je voulais faire des fouilles. Sans hésiter un moment, j’acceptai. 1.328 fr. 25, tel était notre trésor pour aller à la découverte de l’île de Délos ; mais M. Dumont n’était pas de ceux qui rêvent de faire grand ; il aimait mieux obtenir de l’argent par le succès que de le solliciter par des promesses.

Le programme des recherches était nettement indiqué par l’histoire de l’île. Il fallait d’abord retrouver et déblayer le temple d’Apollon, le dégager, en déterminer l’enceinte ; on arriverait ensuite jusqu’aux établissements commerciaux, puisque sur ces deux points s’était concentrée la vie antique. Aussi bien le temple et le marché devaient-ils se toucher, car les foires avaient grandi à l’ombre du sanctuaire et le temple s’était enrichi des offrandes apportées par les marchands A la surface même du sol s’offraient au regard les témoins de l’activité commerciale et de la dévotion des anciens : une digue, des quais, des bassins, les piliers en granit des magasins, les colonnes en marbre des temples et des portiques, les bases des statues ; çà et là, quelques inscriptions demeurées en place parlaient un langage plus clair encore. Ce n’est pas tout : les Grecs de l’île avaient pratiqué d’autres cultes que celui d’Apollon ; autant de temples à retrouver. Les étrangers avaient introduit leurs dieux et élevé leurs sanctuaires ; à mi-côte de la colline du Cynthe, une terrasse étroite, mais longue de 100 mètres, était toute chargée de ruines, attribuées à Sérapis, Isis, Anubis, Harpocrate et Aphrodite, la déesse syrienne. Autour du lac sacré, des débris architecturaux annonçaient d’autres monuments ; aux pentes de la colline, le théâtre montrait ses flancs massifs comme des tours ; dans la plaine, des ruines marquaient l’emplacement de l’antique gymnase. Puis, sur toute la surface de file, éparses ou groupées, les anciennes habitations dressaient leurs murs à demi écroulés, mais hauts souvent de 3 à 4 mètres ; la maison grecque, jusqu’ici peu étudiée, se présentait à nous sous les formes les plus variées ; plans, aménagements intérieurs, décorations de peinture et de mosaïque, nous en ignorions presque tout, nous en pouvions là tout apprendre.

Dire que nulle difficulté ne s’opposait à l’exécution de ce programme et que l’on n’avait pour trouver que la peine de se baisser, serait une affectation inutile. D’abord, il était malaisé de se loger dans une île qui est déserte durant toute l’année, sauf au temps des semailles et des moissons, où pâtres et cultivateurs n’ont pour abri temporaire que de misérables gourbis, malpropres et ouverts à tout vent. Si l’on avait connu le long avenir que l’on avait devant soi, on aurait bâti dès le premier jour, peut-être même planté ; mais on se sentait toujours sans lendemain et l’on réservait ses fonds, peu abondants, à un meilleur usage. D’ailleurs, on avait mis à notre disposition, dans l’île voisine de Rhénée, les bâtiments du lazaret, jusqu’à la prochaine épidémie.

La question des approvisionnements était bien aussi sujette à quelques embarras : rien à Délos et rien à Rhénée. J’avais pour voisin à Rhénée un certain Basilis, mais il n’était pas toujours disposé à vendre, même à bon prix. Un jour, il me refusa une poule, disant qu’elle lui faisait des œufs ; et, comme je lui demandais alors quelques œufs : Mais les œufs, me répondit-il, font des poules, et il ferma sa porte. On vivait de conserves ; pour le pain, les vivres frais, Myconos, la ville la plus proche, nous les pouvait fournir. Tout eût été fort bien sans la mer, qu’il fallait traverser en barque, et qui ne permit pas toujours de renouveler à temps notre stock ; plus d’une fois on dut manger le pain moisi ou le mendier auprès des ouvriers et des matelots. .le garde un souvenir reconnaissant de certain filet. qui me fut offert un jour par le commandant de notre aviso le Sané, et de quelques bouteilles que l’amiral Cremer, de la marine russe, fit, sans nous en lien dire, déposer au fond de notre barque. Nous n’étions pas moins sensibles au réconfort moral que nous apportait la vue de nos couleurs nationales, le plaisir d’apprendre des nouvelles, de parler notre langue, de rentrer pour un moment en contact avec la patrie et le inonde civilisé.

Le climat était tempéré, quoique nous ayons toujours travaillé en été ; nous en étions redevables aux vents étésiens qui soufflent presque sans relâche de la fin de juin au commencement de septembre. Sauf les jours de calme, fort accablants à la vérité, nous avons moins souffert de la chaleur que souvent dans les journées de France. Le vent, nous n’aurions eu qu’à nous en louer, si, en rafraîchissant l’air, il n’avait soulevé les flots en tempête et déchaîné les courants ; or il fallait franchir la mer sans cesse pour aller au travail le matin et regagner son gîte le soir, pour acheter les provisions ou embaucher les hommes, et toujours sur une frêle barque non pontée. La vague fouettait au visage, entrait dans la barque, que nous vidions à grand’peine, nous transperçait jusqu’aux os ; elle m’enleva un jour mon gouvernail au large ; le vent, une autre fois, brisa mon mât et nous jeta sur un roc, en grand danger de nous y briser.

Outre nos vivres frais, nous tirions de Myconos tous nos travailleurs. Malgré le mauvais renom de querelleurs que les Myconiotes avaient dans l’antiquité et qu’ils gardent encore, je les ai trouvés dociles et quelquefois dévoués. Sauf un essai de grève aussitôt réprimé, les travaux pendant cinq années ont continué paisiblement, sans augmentation de salaire.

Les surveillants que la loi grecque impose à quiconque entreprend des fouilles, n’étaient pas toujours éclairés et bienveillants. Ces personnages possèdent une véritable omnipotence, exerçant la police des fouilles, en contrôlant la conduite et pouvant à leur gré les suspendre. Or, ces fonctions avaient été dévolues à un matelot sans emploi, plus ou moins cousin d’un ministre, et qui, pour avoir ramé sur quelque caïque, se décorait du nom de capitaine, brutal, autoritaire, tout gonflé de son importance et sachant tout juste lire. Je m’en délivrai sans trop de peine au premier esclandre, le ministre ayant changé. On me gratifia alors d’un autre épistate différant en tout du premier, doux, facile, accommodant, poli ; avec lui, tout devint non seulement aisé, mais agréable. Par malheur il dut fuir devant la fièvre. Le voyant grelotter, je le couvris d’un pardessus et payai son passage, car sa bourse était plate. Bientôt je reçus de lui une lettre chargée... de bénédictions ; la reconnaissance est une monnaie assez rare pour qu’on s’en contente. Puis ce fut le tour d’un poète, ardent réformateur socialiste, qui, me trouvant froid pour ses vers et ses théories, me signifia rudement l’interdiction des fouilles, avec l’aide de la gendarmerie. Après tant de misères, j’avais droit à une compensation ; je la trouvai dans la société d’un homme aimable et la collaboration d’un érudit tel que M. Cavvadias. Tout le monde n’a pas une chance semblable ; mais les surveillants grecs sont aujourd’hui sans exception bien élevés et souvent même instruits.

Maintenant que les ennuis sont passés, on regretterait presque de ne les avoir point subis : ils restent des incidents plus amusants que tragiques ; ils furent pour nous une école de patience et de diplomatie ; ils nous ont servi, en somme, sans nuire en rien aux fouilles. D’ailleurs, que de dédommagements aussi dans cette vie libre, au grand air, sous le plus beau ciel, en face d’une mer éclatante, au milieu de ce cercle d’îles aux contours élégants, qui toutes éveillaient mille poétiques souvenirs ! Et le meilleur encore, c’était la surexcitation constante de l’activité, la lutte perpétuelle avec les difficultés, l’impatience fiévreuse de la découverte, les incessantes surprises de l’inconnu, la joie enfin du succès qui a si fréquemment couronné nos efforts.

Homolle, Conférence faite au Trocadéro le 30 juin 1889.

 

3. — ASPECT GÉNÉRAL D’UN TEMPLE GREC.

D’ordinaire, il est sur une hauteur qui est l’acropole, sur un soubassement de roches comme à Syracuse, ou sur une petite montagne qui fût, comme à Athènes, le premier lieu de refuge et l’emplacement originel de la cité. On le voit de toute la plaine et des collines voisines ; les vaisseaux le saluent de loin en approchant du port. Il se détache tout entier nettement dans l’air limpide. Il n’est point, comme les cathédrales du moyen âge, serré, étouffé par les files de maisons, dissimulé, à demi caché, inaccessible à sauf dans ses détails et ses parties hautes. Sa base, ses flancs, toute sa masse et toutes ses proportions apparaissent d’un seul coup. On n’est pas obligé de deviner l’ensemble d’après un morceau ; son emplacement le proportionne aux sens de l’homme.

Pour qu’il ne mancie rien à la netteté de l’impression, on lui donne des dimensions moyennes ou petites. Parmi les temples grecs, il n’y en a que deux ou trois aussi grands que la Madeleine de Paris[7]. Rien de semblable aux énormes monuments de l’Inde, de Babylone et de l’Égypte, aux palais superposés et entassés, aux dédales d’avenues, d’enceintes, de salles, de colosses dont la multitude finit par jeter l’esprit dans le trouble et l’éblouissement. Rien de semblable aux gigantesques cathédrales qui abritaient sous leurs nefs toute la population d’une cité, que l’œil, même si elles étaient sur une hauteur, ne pourrait pas embrasser tout entières, dont les profils échappent et dont l’harmonie totale ne peut être sentie que sur un plan. Le temple grec n’est pas un lieu d’assemblée, mais l’habitation particulière d’un dieu, un reliquaire pour son effigie, l’ostensoir de marbre qui enferme une statue unique. A cent pas de l’enceinte sacrée qui l’entoure, on saisit la direction et l’accord de ses principales lignes.

D’ailleurs, elles sont si simples qu’il suffit d’un regard pour en comprendre l’ensemble. Rien de compliqué, de bizarre, de tourmenté, dans cet édifice ; c’est un rectangle bordé par un péristyle de colonnes ; trois ou quatre formes élémentaires de la géométrie en font les frais, et la symétrie de l’ordonnance les accuse en les répétant et en les opposant.

Il y a un lien entre les parties d’un temple comme entre les organes d’un corps vivant. Les Grecs ont trouvé ce lien. Ils ont fixé le module architectural qui, d’après le diamètre d’une colonne, détermine sa hauteur, par suite son ordre, par suite sa base, son chapiteau, par suite la distance des colonnes et l’économie générale de l’édifice[8]. Ils ont modifié de parti pris la rectitude grossière des formes mathématiques, ils les ont appropriées aux exigences secrètes de l’œil ; ils ont renflé la colonne par une courbe savante aux deux tiers de sa hauteur ; ils ont bombé toutes les lignes horizontales ; ils se sont dégagés des entraves de la symétrie mécanique ; ils ont entrecroisé, varié, infléchi leurs plans et leurs angles de manière à communiquer à la géométrie architecturale la grâce, la diversité, l’imprévu, la souplesse fuyante de la vie, et, sans amoindrir l’effet des masses, ils ont brodé sur sa surface la plus élégante trame d’ornements peints et sculptés. En tout cela, rien n’égale l’originalité de leur goût, si ce n’est sa justesse ; ils ont réuni deux qualités qui semblent s’exclure : l’extrême richesse et l’extrême sobriété.

La créature architecturale est ici saine, viable par elle-même ; elle n’a pas besoin, comme la cathédrale gothique, d’entretenir à ses pieds une colonie de maçons qui réparent incessamment sa ruine incessante ; elle n’emprunte pas l’appui de ses voûtes à des contreforts extérieurs ; il ne lui faut pas une armature de fer pour soutenir le prodigieux échafaudage de ses clochers ouvragés et découpés, pour accrocher à ses murailles sa merveilleuse dentelure compliquée, son fragile filigrane de pierre. Elle n’est point l’œuvre de l’imagination surexcitée, mais de la raison lucide. Elle est faite pour durer par elle-même et sans secours. Presque tous les temples de la Grèce seraient encore entiers si la brutalité ou le fanatisme de l’homme n’étaient intervenus pour les détruire. Ceux de Paestum sont debout après vingt-trois siècles ; c’est l’explosion d’un magasin de poudre qui a coupé en deux le Parthénon. Livré à lui seul, le temple avec demeure et subsiste ; on s’en aperçoit à sa forte assiette ; sa masse le consolide au lieu de le charger. Ajoutez à cet air de force l’air d’aisance et d’élégance. L’édifice grec ne songe pas seulement à durer comme l’édifice égyptien. Il n’est pas accablé sous le poids de la matière ; il se développe, se déploie, se dresse comme un beau corps d’athlète en qui la vigueur s’accorde avec la finesse et la sérénité. Voyez encore sa parure, les boucliers d’or qui étoilent son architrave, les acrotères d’or, les têtes de lion qui luisent en plein soleil, les filets d’or et parfois les émaux qui serpentent sur ses chapiteaux, le revêtement de vermillon, de minium, de bleu, d’ocre pâle, de vert, de tous les tons vifs ou sourds qui donnent à l’œil la sensation de la franche et saine joie méridionale. Comptez enfin les bas-reliefs, les statues des frontons, des métopes et de la frise, surtout l’effigie colossale de la cella intérieure, toutes les sculptures de marbre, d’ivoire et d’or, tous ces corps héroïques ou divins qui mettent sous les yeux de l’homme les images accomplies de la force virile, de la perfection athlétique, de la vertu militante, de la noblesse simple, de la sérénité inaltérable, et vous aurez une idée de leur génie et de leur art[9].

Taine, Philosophie de l’art, II, p. 150-150 ; Hachette, édit.

 

4. — LA STRUCTURE DU PARTHÉNON[10].

Le temple grec n’est pas un lieu d’assemblée ; c’est une enveloppe pour la statue de la divinité qu’on y vénère. Ses dimensions sont celles qui s’accommodent à cette fonction définie ; elles ont juste, ou dépassent de très peu la dimension d’un étui pour l’idole. Dans les plus anciens temples, dans beaucoup d’autres plus récents, la partie close, la cella, est d’une petitesse extraordinaire. Un édifice aussi célèbre que l’Érechthéion mesure à peu près 10 mètres sur 19. Encore ces 19 mètres sont-ils, à l’intérieur, divisés par des murs en trois appartements. Au Parthénon, le naos intérieur a environ 30 mètres sur 19[11] ; mais cet espace ne sert à rien moins qu’à contenir le peuple assemblé. Ce qui est plus significatif encore que la petitesse de l’espace enclos et couvert, c’est la hauteur relative du temple et de l’idole. La statue a 45 pieds de haut, sans sa lance, et le toit du naos n’en a guère que 55. Un rapport analogue était observé à Olympie ; Phidias avait fait Zeus si grand, que s’il se levait, dit Strabon, il enfoncerait le toit.

En Grèce, le temple n’est pas seulement un étui pour l’idole, c’est un trésor, un musée. Sous sa première forme, en effet, le simulacre n’est pas une statue ; c’est une offrande, un meuble de prix, un talisman doué d’une vertu magique. Rien de plus naturel que de serrer avec lui, dans le même écrin de pierre, les autres pièces du trésor national. Aussi voit-on la cella se diviser en deux, et la partie postérieure, l’opisthodome, devenir la caisse des deniers publics. Le naos lui-même, c’est-à-dire le sanctuaire, est, à un certain degré, une des chambres du trésor ; c’est la chambre des métaux travaillés, comme l’opisthodome est celle des métaux monnayés. Les ornements d’or de l’idole peuvent être détachés, et Périclès les compte parmi les ressources disponibles de la République[12]. En outre, dans ce même naos, on voit s’accumuler les objets précieux, absolument comme dans une sacristie s’accumulent le mobilier religieux et les ornements sacrés, lampes, chandeliers, calices, cassolettes. Il y avait dans le Parthénon des vases d’or et d’argent, des patères, des couronnes d’or, des boucliers, des casques, des cimeterres dorés, un masque d’argent doré, des griffons, des têtes de serpent d’or, des têtes de lion, une jeune fille sur une colonne, des pliants, une statue d’ivoire, des lyres de toute espèce, des têtes de Chio, des têtes de Milet, des carquois en ivoire, etc. De même, dans l’Érecthéion, des tableaux tapissaient le pronaos ; la cella contenait un pliant, œuvre de Dédale, une cuirasse de Masistios, chef de la cavalerie à Platées, le cimeterre de Mardonios.... Le temple de Delphes était littéralement encombré d’offrandes et de reliques. Tant il est vrai que ces édifices n’étaient point faits pour recevoir le peuple des fidèles ! On ne croyait point manquer de respect à la déesse citoyenne en mettant près d’elle les objets de luxe, les œuvres d’art votives qui rappelaient la gloire et prouvaient le prestige d’Athènes.

Le temple a enfin un troisième caractère, c’est un ostensoir. Tout y est disposé pour que le fidèle voie l’idole de la façon la plus favorable à l’effet.

Premièrement, l’édifice est hypèthre, c’est-à-dire qu’une ouverture, pratiquée dans les combles, donne accès au jour. La clarté tombait de haut, comme dans nos musées. Quand la porte s’ouvrait, quand le rideau tendu devant la statue s’élevait ou s’abaissait, la procession des adorateurs apercevait l’immense statue dans une sorte de gloire lumineuse ; les reliefs prenaient un modelé puissant, les pierreries de l’œil étincelaient, l’or resplendissait, l’ivoire semblait s’amollir ; une vie chaude et pourtant idéale animait le simulacre ; c’était le prestige mêlé du magnifique et du fantastique[13].

Une double colonnade intérieure[14] partageait la cella en trois nefs ; la nef du milieu était de très peu plus large que le piédestal ; ainsi elle semblait surtout destinée à diriger le regard et à faire paraître la statue dans une profondeur. Un tube de stéréoscope, telle est l’analogie qui représente le mieux la fonction de cette prétendue nef. Aussi la colonnade elle-même était-elle posée en vue d’un effet de perspective. Elle était double en hauteur, ce qui semble d’abord inexplicable, puisqu’il n’y avait aucune galerie au niveau du second étage de colonnes. Cet arrangement, qu’on retrouve à Pæstum et à Égine, n’ avait point été imaginé pour le service intérieur du temple, mais en vue d’une sorte d’illusion moitié spirituelle, moitié optique. L’artiste avait compris que la statue paraîtrait plus grande, s’il la rapprochait d’une construction moins haute, quoique à deux étages ; cela engendrait, au profit de la statue, l’impression fictive d’une hauteur plus considérable, et la majesté de la divinité en était, par suite, accrue.

Pallas était une déesse olympienne ; mais c’était aussi la déesse citoyenne, accessible et souriante. On s’appliqua donc à lui donner une grandeur sans exagération, une magnificence sans emphase et une majesté sans mystère, vraiment dignes de la divinité puissante et familière qui habitait le temple. Ce but fut atteint par un moyen aussi simple qu’efficace, le dégagement de la colonnade extérieure[15]. Dans les petits et probablement dans les anciens temples, le mur du sanctuaire devait s’offrir directement et au premier plan des regards des fidèles. Une mince cloison était le seul obstacle interposé entre la divinité et les hommes. Plus tard, l’artiste dédouble cette enceinte ; après l’avoir divisée, il en écarte sensiblement les deux parties, comme on sépare dans un arbre l’écorce du noyau. De son reliquaire simple, il fait un reliquaire à deux enveloppes. La plus intérieure abritera, pour ne le découvrir qu’à de certaines heures, le simulacre divin. L’autre le précédera et l’accompagnera de son magnifique et solennel cortège.

La colonnade périptère ressemble à une lente procession arrêtée dans son cours. Disposée en claire-voie, elle laisse apercevoir le mur de la cella ; elle se double par le devant et à la partie postérieure du temple, mais sans masquer la porte qui s’ouvre en face de la statue. Elle ne fait que ceindre l’édifice de majesté et d’éclat, sans rien ajouter à l’idée d’une clôture. Qu’on est loin des sept enceintes à murs pleins des pagodes hindoues, et de leurs portes décroissantes de hauteur jusqu’au sanctuaire écrasé où s’accroupit le dieu terrible ! Ici la déesse ne se dérobe point, elle se montre, et les grandes colonnes, vêtues de lumière, immobilisées dans leur marche, semblent n’être que le premier rang de la procession qui se déroule familièrement autour du Génie national.

Ce n’est pas tout : le temple n’est pas moins un édifice politique et municipal qu’un édifice religieux. Il n’est pas seulement le trésor, le garde-meuble. Dans une certaine mesure, il représente l’hôtel de ville d’une cité libre. C’est dans le temple qu’on inscrit les traités avec les peuples étrangers ; il tient lieu d’un cabinet d’archives. C’est là qu’on loge les princes et les personnages notables qui sont de passage dans les villes, comme on les logerait dans les préfectures de nos départements. Plutarque nous apprend qu’Agésilas, pendant ses voyages, habitait dans les temples, et les Athéniens donnèrent à Démétrius l’opisthodome du Parthénon pour résidence. Évidemment, l’architecte qui construit l’édifice, le sculpteur qui le décore, puisent bien plutôt leurs inspirations dans le patriotisme que dans un sentiment purement religieux. Ce qui occupe leur pensée, ce qui anime leur main, c’est l’enthousiasme national et municipal, ce sont les souvenirs de la gloire commune.

De là est sortie la forte conception qui a donné son caractère à l’entablement du temple grec. L’architecte sépare en deux le monument. En bas, dans la cella, il avait laissé une forme religieuse à la pensée politique ; il avait incarné la cité dans une image unique et dominante qui éveillait des idées d’adoration, de sacrifice et de prière. La frise de la cella avait le même caractère ; elle représentait la principale cérémonie du culte. En haut, sur l’entablement, apparaît dans tout son éclat l’ensemble des gloires nationales, des grands ancêtres qui ont illustré la patrie ; c’est une sorte de musée héroïque qui surplombe et couronne le temple religieux. Or, de même que dans la cella l’artiste a tout fait pour que l’œil se portât droit sur la statue de la divinité, de même aussi il s’est arrangé four que le regard fût attiré vers les hauteurs de l’entablement.

Prenez, par exemple, la colonnade extérieure. La colonne n’a qu’une fonction vraisemblable, c’est de soutenir, et par cela même elle appelle l’attention sur les parties soutenues ; elle conduit l’esprit et l’œil vers les constructions qu’elle supporte. Pour qu’elle remplisse mieux cet objet, l’artiste supprime la base. Il a pensé que si la colonne était terminée aux deux bouts, ici par sa base, et là par son chapiteau, le fût serait quelque chose de complet en soi, un véritable édicule sur lequel l’œil irait et viendrait d’une extrémité à l’autre, avant de pousser plus loin. De plus, il trace sur le fût des cannelures qui sont comme des canaux multiples où glisse le regard. II laisse subsister le chapiteau ; mais le chapiteau, loin d’arrêter net la vue, l’amène par une ligne courbe vers l’architrave.

Ici, le spectateur rencontre un premier lieu de repos et de recueillement. L’architrave n’est pas une transition, c’est une station ; l’œil s’y fixe un instant, et nage à l’aise dans ce large blanc prolongé, sans qu’aucun ornement l’excite et le fatigue[16] ; puis il passe dispos et avide au musée héroïque qui s’ouvre immédiatement après. C’est là que l’artiste a placé son admirable diadème de légendes sculptées. Dans les intervalles des triglyphes, il a mis les épisodes guerriers[17] ; dans le fronton, les grandes origines nationales[18]. Pour cette légende triomphante, le bas-relief ne suffit pas ; il faut qu’elle ressorte, qu’elle se détache fièrement, sous peine de passer inaperçue, en raison même de l’éloignement. C’est sur le fond rouge des métopes et du fronton, c’est avec une saillie puissante, sous un coloris relevé par d’étincelants placages métalliques, que s’offriront aux yeux la rivalité de Poseidon et d’Athéna, les combats des Lapithes et des Centaures, des Athéniens et des Amazones. Dans la frise de la cella, l’artiste avait affaire à un édifice d’un sens plus intime ; il traitait un sujet d’une allure plus calme, la cérémonie des Panathénées[19]. Voilà pourquoi il a employé le bas-relief. Dans la frise extérieure, il a dû recourir à la ronde bosse, à la statuaire, et à une riche polychromie.

Aujourd’hui, si l’on avait à choisir un terrain pour la construction d’une église, on le prendrait de niveau avec la ville, au milieu des maisons, sur le côté d’une large rue ; on ferait en sorte que les abords en fussent faciles ; car l’église moderne est un lieu d’assemblée et de prière, et il importe que les fidèles puissent y accéder commodément. Enfin, le temple n’est pas fait pour réunir le peuple, ni pour envelopper chaque jour de silence et d’ombre les dévotions particulières. L’homme privé fait chez lui ses invocations et ses sacrifices. Quand il approche du temple, c’est presque toujours en corps de nation, dans les processions publiques. Le Parthénon est, pour ainsi dire, un édifice férié. Sa destination essentielle est de servir de centre aux fêtes solennelles de la nation ; il fait partie de leur mise en scène. En même temps, c’est un trésor, il contient les deniers publics ; il est encombré d’œuvres d’art, d’objets de prix. A Sous ces titres, on pourra sans inconvénient le placer à une certaine distance de la ville habitée ; on devra le mettre à l’abri d’un coup de main. L’acropole, avec sa hauteur inexpugnable, ses enceintes, son escalier d’une largeur processionnelle, sera un emplacement très approprié aux usages du culte. Le même orgueil municipal qui faisait élever les tours des cathédrales gothiques, pour qu’elles pussent être distinguées de loin par le voyageur, réclamera, pour le temple grec, un lieu dominant et exposé aux regards. Il faudra que, de tous côtés, le citoyen d’Athènes le voie en levant les yeux ; il faudra que l’habitant d’Égine le contemple avec jalousie du bord de son île déchue ; il faudra que le navigateur, passant près de Salamine, l’aperçoive peint comme sur un fond d’azur, et emporte dans son esprit, avec cette image brillante, l’idée de la puissance et de la grandeur athéniennes. A ce titre encore, l’emplacement naturel du Parthénon est l’acropole, d’où il domine largement la ville, la campagne et la mer[20].

D’après Boutmy, Philosophie de l’architecture en Grèce, p. 163 et suiv. ; Alcan, édit.

 

5. — LA POLYCHROMIE ARCHITECTURALE.

L’emploi de la polychromie dans la décoration des temples grecs ne saurait aujourd’hui être nié par personne[21] ; mais on est loin d’être d’accord sur la qualité et l’harmonie des tons usités.

Les terres cuites vernissées ou peintes qui sont en si grand nombre au musée de Palerme et au musée d’Olympie semblent offrir le type de coloration des édifices grecs ; les couleurs qu’on y rencontre le plus souvent sont le blanc laiteux, le noir, le rouge sombre et le jaune. On a aussi découvert quelques vestiges de peinture sur certains édifices de l’antiquité.

Dans les temples doriques, les triglyphes étaient recouvertes de bleu sombre ; sur les métopes, le rouge servait de fond à des ornements colorés, à des bronzes, à des bas-reliefs ; enfin la bande ou tænia, passant sous les triglyphes au-dessus de l’architrave, était peinte en rouge sombre. Mais pour les autres parties de l’édifice, le système de coloration semble avoir été très variable. Ainsi l’architrave était blanche au Parthénon comme au temple de Zeus à Olympie, et la coloration n’était obtenue que par des appliques de boucliers dorés, reliés par des lettres de métal accompagnées de méandres[22] sur fond blanc ; tandis qu’au temple d’Égine, l’architrave a encore des traces de couleur rouge. Pour les colonnes, les renseignements nous manquent, et, sauf les palmettes des chapiteaux de Pæstum, on ne connaît rien de la polychromie du chapiteau et du fût de la colonne dorique. Quelques-uns veulent que tous les blancs des stucs et des marbres aient disparu sous des couches de couleur, sans en excepter les colonnes, ni les sculptures des métopes ou des frontons. D’autres, au contraire, pensent que les sculptures, tant des frontons que des métopes, devaient en grande partie rester blanches, ainsi que les colonnes, et qu’une coloration moins compliquée des éléments du temple s’accordait mieux avec le génie grec.

Au reste, les exemples d’ornements polychromés appliqués sur des moulures blanches sont assez fréquents : à Olympie, la cimaise du temple de Zeus était couverte de palmettes se détachant en couleur sur le blanc même du marbre, et si les têtes de lion de cette cimaise étaient rehaussées de couleurs, le marbre restait presque partout apparent. Les moulures couronnant les larmiers étaient en général couvertes de peintures ; le larmier demeurait blanc ou était décoré de grecques dessinées sur fond blanc. Peut-être les ors étaient-ils employés pour décorer les tympans des frontons, les gouttes des triglyphes et des mutules et aussi pour servir de fond à la décoration sculptée ou peinte des métopes.

Quelquefois, la polychromie était obtenue par l’alliance de matières de tons différents, comme par exemple l’alliance de l’or et de l’ivoire dans les statues chryséléphantines.

Le bronze semble avoir été lui-même d’un emploi très fréquent. C’est ainsi que les bas-reliefs des métopes étaient rehaussés d’ornements en bronze doré ; les statues des frontons présentent souvent de nombreux trous de scellement, attestant que certains détails des costumes, les boucliers, les javelots, etc., étaient en métal ; des acrotères en bronze brillaient aux angles des frontons et des boucliers dorés étaient appliqués sur les architraves.

Ces remarques sont vraies de l’intérieur de l’édifice comme de l’extérieur. Les armes accrochées aux architraves et au plafond, les statues en marbre ou en métal, les tables, les trépieds, les vases dorés et les tapisseries venaient encore ajouter à l’éclat des couleurs qui accompagnaient l’architecture. On peut se faire une idée de la magnificence de certains sanctuaires par la profusion des chefs-d’œuvre qui, au dire de Pausanias, y étaient entassés. Des statues, des portraits, un mobilier fort riche ornaient l’intérieur, et sur les murs étaient figurés les faits mythologiques et les événements où la divinité avait joué un rôle important.

Les monuments ioniques ont été moins étudiés ; mais ils gardent, eux aussi, de nombreuses traces de peinture. A Priène, à Halicarnasse, à Éphèse, à Didyme, deux teintes seulement semblent avoir été admises : le bleu d’apparence un peu poudreux et le rouge sombre et sans éclat. Ces deux couleurs ne sont pas jetées au hasard ; le bleu est réservé aux moulures en pleine lumière, tandis que le rouge se trouve de préférence dans le fond des moulures destinées à rester dans l’obscurité, comme le dessous du larmier et le fond des caissons. Les parties plates de la corniche, de la frise et de l’architrave, les canaux des volutes, le fût et la base des colonnes restaient blancs. Comme à l’Érechthéion, les ors étaient peut-être employés dans les édifices ioniques pour l’œil et les nervures des volutes, et pour faire valoir les décorations courantes des moulures sculptées.

Tels sont les principes de la polychromie générale des temples ioniques et doriques étudiés jusqu’ici. Des traces d’ornements recueillies sur le marbre de quelques architraves et sur le stuc de l’architecture intérieure ou extérieure ont montré que de fines peintures venaient intéresser parfois les grandes surfaces blanches de l’architrave, de la frise et de la corniche, donnant à la construction un aspect plus coloré. Ces décorations, probablement plus abondantes à l’intérieur et sur les portiques, étaient formées d’enroulements de palmettes, d’entrelacements divers, de méandres, de grecques, etc., qui semblent avoir eu une grande analogie de forme et de couleur avec celles qu’on retrouve sur les vases peints.

Laloux, l’Architecture grecque, p. 127 et suiv. ; Quantin, édit.

 

6. — LES DÉBUTS DE LA SCULPTURE EN GRÈCE.

Aujourd’hui, avant toute leçon, l’enfant, par l’effet d’une longue hérédité ainsi que par la vertu des images qu’il a partout autour de lui, est, de très bonne heure, moins inhabile à interpréter la forme vivante que ne l’était l’adulte dans la Grèce tout à fait primitive. Cette forme, elle est plutôt visée que copiée dans les idoles les plus anciennes. En classant ces ébauches, on finit par deviner une allusion à la figure humaine jusque dans ces morceaux de marbre taillés en forme de violon que l’on a recueillis à Troie. L’allusion y est pourtant ; à sa manière, l’ouvrier a figuré la tête, le cou et le torse, mais il a supprimé les membres. Ce qui révèle son intention, c’est un autre monument de même provenance, celui-là en os, où les proportions des différentes parties du corps sont déjà indiquées d’une manière moins imparfaite. Point encore de jambes ni de bras ; mais l’attache de ceux-ci est rappelée par une légère saillie qui se profile des deux côtés du buste.

Par d’insensibles transitions, on arrive au groupe des idoles que l’on regarde comme originaires des îles de l’Archipel. Toutes ou presque toutes, elles reproduisent un même type, celui d’une femme vue de face, qui a les bras croisés sur la poitrine. La facture est ici d’une lourdeur et d’une naïveté qui font sourire ; cependant il y a progrès. Dans les plus antiques de ces images, les jambes sont rapprochées les unes des autres et les bras collés au corps. La silhouette de l’image a été découpée dans une mince tablette de marbre. Le corps est très aplati ; mais la proportion de ses différentes parties est assez bien observée, sauf que la tête, pointue par en haut, est trop forte et le cou trop long. Le contour général de la forme est indiqué même par derrière ; la rondeur des fesses est légèrement marquée. Quand le ciseau eut repris quelque confiance en lui-même, il voulut séparer les jambes ; mais ne risquait-on pas par là de briser le marbre ? Certaines statuettes témoignent de ces craintes ; les membres inférieurs y sont restés adhérents au fond ; celui-ci s’aperçoit entre eux.

On finit, à la longue, par ne plus se préoccuper de ces dangers. On a des statuettes où les jambes sont écartées et les bras détachés du buste. On y sent l’instinct du réalisme, un désir de souligner, en les exagérant, les grands traits de la construction du corps humain. Le nombril et les plis transversaux du ventre sont parfois indiqués. Cette disposition s’accuse encore davantage, mais avec une insistance qui va jusqu’à la lourdeur, dans une série de figurines qui ont été découvertes près de Sparte. Une d’elles paraît accroupie ; mais on ne sait si c’est l’effet de la maladresse du sculpteur, ou bien s’il a voulu représenter un personnage assis et si le simulacre était complété par un siège.

Il est probable que ces figurines étaient peintes. La couleur a généralement disparu, para qu’elle n’était pas fixée d’une façon très solide ; mais parfois on trouve sur ces marbres des traces d’enluminure. Ainsi, sur une tête d’Amorgos, les yeux sont peints en noir ; des lignes rouges se voient sur le nez et le front ; une ligne circulaire limite le sommet du crâne, où le poli de la figure est plus fin que partout ailleurs. Il devait y avoir là une teinte brune qui représentait la figure. Peut-être ces détails indiquent-ils chez ces populations l’habitude de sa tatouer ou de se peindre le visage et certaines parties apparentes du corps, comme font partout les sauvages.

Perrot, Histoire de l’art dans l’antiquité, VI, p. 737 et suiv. ; Hachette, édit.

 

7. — LES STATUES PEINTES DE L’ACROPOLE D’ATHÈNES.

Le 5 et le 6 février 1886, on trouva sur l’Acropole d’Athènes quatorze statues de femmes, probablement des prêtresses, ou des dévotes, encore toutes brillantes d’une polychromie qui avait résisté à l’action des siècles. Ces statues avaient été les témoins de l’invasion persique. Jetées à bas de leurs piédestaux et mutilées par les soldats de Xerxès, elles avaient été pieusement recueillies au moment des grands travaux de Cimon et ensevelies avec les débris laissés par le passage des Asiatiques, dans tes remblais qui devaient servir d’assises aux futurs édifices de l’Acropole. Toutes ont entre elles un air de famille. Elles reproduisent un type uniforme, celui de la femme debout, la jambe gauche légèrement portée en avant comme si elle marchait, un bras plié avec la main tendue par un geste d’offrande, l’autre main abaissée, un peu écartée du corps et rehaussant les plis du chiton. Outre les renseignements curieux qu’elles nous fournissent sur le costume féminin du VIe siècle avant Jésus-Christ, ces images nous font connaître avec précision les règles qui présidaient alors à la polychromie de la statuaire de marbre. Au moment de la découverte, elles avaient gardé un merveilleux éclat de couleur que le grand jour a depuis terni et assombri. Les vêtements, les accessoires, les coiffures étaient rehaussés par un coloris conventionnel où dominaient le rouge et le bleu, mais où le jaune, le noir et l’or jouaient aussi leur rôle. En règle générale, la chevelure et les lèvres étaient revêtues d’un ton rouge. Un trait noir soulignait l’arc des sourcils et le bord des paupières ; la pupille était noire, entourée d’un cercle rouge figurant l’iris. On n’a pas jusqu’ici relevé de traces de couleurs sur les chairs. Pour le costume, la seule partie entièrement peinte est le chitonisque, et encore ce fait ne s’observe-t-il que pour les statues où il est en grande partie caché par l’himation ; dans ce cas, il est bleu avec des ornements rouges sur la bande du col et le bord inférieur. Sur le chiton et l’himation, le peintre n’a tracé que des bordures et des semis[23]. Ces dessins, gravés d’abord à la pointe, puis repris au pinceau, comportent des grecques, des quadrilles, des lignes de points, des fleurons, des fleurs dont les pétales sont disposés en étoiles. Il y a loin, comme on voit, de cette polychromie discrète, à une sorte de badigeon qui se serait étalé sur toute la statue. Ici la peinture ne vise pas à donner l’illusion de la réalité ; elle n’a d’autre objet que de rehausser le travail du sculpteur par le chatoiement de couleurs vives et gaies, de souligner les détails, d’accroître la valeur des accessoires. Quant aux surfaces restées blanches, on les frottait de cire ou d’huile, de façon que le marbre amortît son éclatante et dure blancheur, et prît un ton plus moelleux, un peu ambré, un brillant doux et ferme, voisin de celui de l’ivoire.

On a été frappé d’une particularité qui caractérise tous ces visages féminins. L’obliquité des yeux, le sourire qui bride les lèvres et rehausse les coins de la bouche, leur donnent un air railleur et ironique. On peut épuiser toutes les finesses du langage pour analyser, au gré de sa fantaisie, ce sourire auquel le ciseau des sculpteurs attiques imprime un singulier charme d’étrangeté. Mais il ne faut pas chercher là des subtilités de sentiment qui ne sont pas dans l’esprit de l’archaïsme grec. Le sourire de nos statues n’est ni énigmatique ni mystérieux. C’est une pure affectation, dit M. Heuzey, une de ces modes conventionnelles pour lesquelles les artistes croient ajouter à la beauté humaine. En réalité, toutes ces femmes sont des mortelles qui, sous leur vêtement de fête, se font pimpantes et gauchement souriantes pour plaire à la divinité.

D’après Collignon, Histoire de la sculpture grecque, I, p. 340 et suiv. ; Didot, édit.

 

8. — PHIDIAS[24].

Phidias naquit à Athènes entre les années 490 et 485. Son père était sculpteur et son frère peintre. Lui-même choisit d’abord la peinture, mais c’est vers la sculpture que l’entraîna sa vocation. Il eut pour maîtres l’Athénien Hégias et l’Argien Agélaïdas.

La première œuvre que l’on connaisse de lui est une statue en or et en ivoire qui se trouvait à Pallène, dans un temple d’Athéna. Vers 460, il fit un groupe votif en bronze dédié il Delphes par les Athéniens, en souvenir de Marathon. Ce groupe comprenait une série de figures dont Pausanias nous a conservé les noms : Athéna, Apollon et le héros de Marathon, Miltiade ; puis des personnages légendaires, Thésée et Phyleus, l’ancêtre mythique de la famille de Cimon ; Codros, un des rois de l’Attique, et enfin les héros éponymes des tribus athéniennes, Érechthée, Cécrops, Pandion, Léos, Antiochos, Égée et Akamas. On cite encore du même artiste une statue d’Athéna Aréia, sculptée pour un temple de Platées, une Aphrodite Ourania pour un sanctuaire d’Athènes, un Apollon de bronze surnommé le tueur de sauterelles (Parnopios), un Hermès Pronaos à Thèbes, et l’Amazone d’Éphèse que Lucien considérait comme un chef-d’œuvre.

Associé par Cimon aux travaux d’embellissement de l’Acropole, Phidias exécuta, aux frais du trésor public, une statue colossale, rappelant la part prise par les Athéniens à la lutte de la Grèce contre les Perses. C’était l’Athéna Promachos. Au dire de Pausanias, on apercevait de la pleine mer, après avoir doublé le cap Junium, l’aigrette du casque et la pointe de la lance scintillant au soleil. Il semble toutefois qu’elle n’eût pas plus de neuf mètres de haut, avec le piédestal. Si l’on en juge d’après les monnaies qui la reproduisent, la Promachos n’avait pas l’attitude du combat. Debout, immobile, vêtue d’une double tunique formant des plis droits et réguliers, elle tenait de la main droite la lance qui reposait sur le sol, la pointe au niveau de la tête ; les courroies du bouclier étaient passées au bras gauche. Elle abaissait son regard vers le flanc nord de l’Acropole, comme pour contempler la ville. L’ensemble de la statue offrait un aspect calme et sévère. D’après l’historien Zosime, lorsque les Goths d’Alaric assiégèrent l’Acropole (vers 400 ap. J.-C.), ils furent saisis de terreur à la vue de la déesse armée, qui semblait se dresser devant eux pour les repousser.

Phidias se rendit à Olympie dans les environs de l’année 451, pour faire la statue chryséléphantine (or et ivoire) de Zeus ; il emmenait avec lui son frère, le peintre Panainos, et son élève Colotès, rompu à la pratique de tous les arts du métal. La statue, haute de 14 mètres avec la base, était au fond de la cella ; en avant du piédestal, le sol était pavé de marbre noir ; on y répandait constamment de l’huile pour empêcher les émanations marécageuses de l’Alphée de ternir et d’altérer l’ivoire. Un voile, strictement baissé, la séparait du reste du temple. Au second siècle avant notre ère, le roi de Syrie, Antiochus IV, fit présent au sanctuaire d’un tapis de laine très riche destiné à cet usage ; on a quelque raison de croire que c’était le voile du Saint des Saints du temple de Jérusalem. Zeus était assis sur un trône, la tête ceinte d’une couronne d’or imitant le feuillage de l’olivier. De la main droite, dit Pausanias, il porte une Victoire, aussi d’ivoire et d’or ; elle tient une bandelette, et une couronne est posée sur sa tête. Dans la main gauche du dieu est un sceptre incrusté de toutes sortes de métaux et surmonté d’un aigle. Les chaussures du dieu sont également en or, ainsi que son manteau parsemé de figures et de fleurs de lis. D’après les monnaies, le manteau jeté sur l’épaule du dieu laissait à découvert toute la poitrine, formée d’une large étendue d’ivoire, à laquelle s’opposaient les plis d’or de l’himation émaillés de couleurs diverses. Le bras droit s’avançait, soutenant la Victoire tournée vers le dieu ; le bras gauche s’appuyait sur le sceptre, mais sans se développer outre mesure. Les cuisses n’étaient pas horizontales, mais inclinées, et l’œil en distinguait les contours sous les plis de la draperie.

Nous avons de la peine à nous figurer cette statuaire chryséléphantine, qui n’est qu’une forme de la statuaire polychrome. Sans doute Phidias avait mis en œuvre tous les secrets de son art pour amortir le contraste entre l’ivoire et l’or, pour couvrir d’une chaude patine les parties nues, varier les tons, l’or, et y faire habilement jouer les colorations de l’émail. La décoration du trône contribuait d’ailleurs, par la variété des matériaux qui y concouraient, à atténuer l’éclat trop uniforme du métal. Le trône était un travail de toreutique et de marqueterie fort riche, où entraient l’or, l’ébène, l’ivoire et les pierres précieuses ; il était décoré de reliefs, d’incrustations, de figures en ronde-bosse et de peintures. Les bras étaient supportés par des sphinx enlevant des enfants thébains ; au-dessous, on voyait d’un côté Apollon, de l’autre Artémis tuant les enfants de Niobé. Sur les pieds, quatre Victoires dansant, et en avant, deux autres Victoires. Pour mieux assujettir les pieds du trône, l’artiste les avait reliés entre eux par quatre bandes transversales ornées de reliefs. Sur celles de devant étaient représentées les luttes des anciens concours olympiques ; sur les trois autres se déroulait le combat d’Héraclée et de ses compagnons contre les Amazones. Au-dessus du dossier se dressaient les Heures et les Grâces, filles de Zeus.

Des précautions avaient été prises pour assurer la solidité de la statue. Quatre colonnes étaient placées sur le siège, mais cachées par des barrières pleines, comme par un mur. Ces barrières offraient à l’extérieur des peintures symétriques, dont voici les sujets : Atlas et Héraclès, Thésée et Pirithoüs, la Hellade et Salamine, Héraclès et le lion de Némée, Ajax et Cassandre, Hippodamie et sa mère Stéropè, Héraclès et Prométhée, Achille et l’Amazone Penthésilée blessée à mort, deux Hespérides avec des pommes d’or dans les mains.

Le tabouret lui-même était décoré de lions d’or et de reliefs montrant le combat de Thésée contre les Amazones. Tout l’ensemble, statue et trône, reposait sur une large base avec reliefs figurant le char d’Hélios, Zeus et Héra, Héphaistos et une Grâce, Hestia, Éros recevant Aphrodite sortant de la mer, Apollon et Artémis, Athéna et Héraclès, Amphitrite et Poseidon, Sélénè poussant ses chevaux.

Les témoignages anciens s’accordent à vanter la douceur infinie dont les traits du dieu étaient empreints. Il avait l’air pacifique et bienveillant ; on y reconnaissait celui qui dispense la vie et les autres biens, le père, le sauveur et le protecteur de tous les mortels. L’homme le plus malheureux, disait Dion Chrysostome, oubliait tous ses maux à l’aspect de la statue, tant l’artiste y avait mis de lumière et de grâce. C’était, ajoutait-on, une œuvre auguste et parfaitement belle, qui causait au regard un ineffable ravissement. Elle était plus qu’une admirable œuvre d’art ; elle éveillait une puissante émotion religieuse. Tite-Live raconte que lorsque Paul-Émile pénétra dans le temple, il crut voir le dieu en personne.

On ignore dans quelles circonstances elle a péri. Environ soixante ans après la dédicace du temple, les plaques d’ivoire commencèrent à se disjoindre. Les Éléens durent charger un sculpteur messénien, Damophon, de procéder à une restauration complète. Toutefois la statue était encore en place quand l’empereur Caligula essaya vainement de la faire envoyer à home. La légende disait quels prodiges avaient empêché le succès de l’opération : le dieu poussa un éclat de rire qui mit en fuite les ouvriers, et un coup de foudre fit sombrer le vaisseau destiné au transport. Suivant un écrivain byzantin, le Zeus fut amené à Constantinople et placé dans le palais de Lausos, où il disparut dans un incendie en 475 après Jésus-Christ. Mais on a peine à croire que la statue ait survécu à l’incendie du temple, ordonné en 408 par Théodose II.

De retour d’Olympie, Phidias devint, pendant l’administration de Périclès, une sorte de surintendant général des travaux (le l’Acropole, commencés vers l’année 447. A ce titre, dit Plutarque, il dirigeait tout, il surveillait tout, bien qu’il eût sous ses ordres de grands architectes et de grands artistes. Les architectes étaient Ictinos, Callicrate, Mnésiclès ; les artistes, Alcamène, Agoracrite de Paros, Colotès. Outre ces collaborateurs, Phidias avait autour de lui toute une armée d’ouvriers, pour mettre en œuvre le marbre, le bronze, l’ivoire, l’or, le bois d’ébène et de cyprès. Plutarque énumère tous les corps de métiers employés aux travaux ; c’étaient des charpentiers, des modeleurs, des fondeurs en bronze, des maçons, des artisans habiles à teindre l’or et à amollir les feuilles d’ivoire, des peintres, des ouvriers en marqueterie, des ciseleurs ; véritable organisme, ajoute l’historien, mis en mouvement comme pour animer un grand corps. La main de Phidias donnait l’impulsion à ces rouages multiples, et les travaux étaient conduits avec une rapidité qui étonna la Grèce.

La statue d’Athéna, œuvre personnelle de Phidias, fut consacrée dans le Parthénon en 431. L’artiste avait eu à sa disposition plus de 1.000 kilogrammes d’or fin. Dans la pensée de Périclès, cet or devait constituer une réserve en cas de détresse financière ; aussi s’était-on arrangé de telle manière qu’il pût être facilement enlevé. Une statue d’or et d’ivoire, faite de parties rapportées, impliquait naturellement une forte armature reproduisant les formes mêmes de la statue et sur laquelle étaient fixées des plaques d’ivoire découpées et les feuilles d’or battues au marteau. Ce mode d’assemblage des pièces permettait de les détacher à l’occasion. Il en résultait, par contre, de faibles garanties de durée. De très bonne heure il fallut faire des réparations à la statue. Pourtant, elle existait encore en 575 après Jésus-Christ ; mais nous ignorons comment et quand elle périt.

Athéna Parthénos, dit Pausanias, est faite d’ivoire et d’or. Au milieu du casque est la figure d’un sphinx, et de chaque côté sont des griffons. La statue est debout, vêtue d’un chiton tombant jusqu’aux pieds, et sur hi poitrine elle porte la tête de Méduse en ivoire. La Victoire a environ quatre coudées (1m.85) de hauteur. D’une main la déesse tient la lance ; à ses pieds est son bouclier, et près de la lance le serpent que l’on dit représenter Érichthonios. Sur le piédestal de la statue est figurée la naissance de Pandore. D’autre part, Pline nous apprend que la statue avait 26 coudées (12 mètres environ), que Phidias avait représenté, sur la partie convexe du bouclier, le combat des Amazones, et sur la partie Concave, la guerre des Dieux et des Géants, enfin que sur la tranche de la semelle des sandales, l’artiste avait ciselé la lutte des Centaures et des Lapithes, tant il excellait jusque dans les plus petits sujets ! Nous en possédons, soit dans la statuaire, soit dans les monnaies et les pierres gravées, des reproductions plus ou moins exactes.

Il n’est pas douteux que l’effet général ait été d’une grande richesse. Les parties nues exécutées en ivoire, les yeux en pierres précieuses, le vêtement en or, le bouclier orné de reliefs d’ivoire sur fond d’or et d’un gorgonéion en argent doré, le casque, le serpent en bronze doré, tout cela devait former un ensemble dont nous avons peine à nous figurer l’éclat. Dans quelle mesure l’éclairage du temple pouvait-il adoucir l’opposition de l’or et de l’ivoire et atténuer le brillant de ces niasses métalliques ? Comment, par l’emploi des ors verts ou pèles, par le patinage de l’ivoire, Phidias avait-il su éviter la monotonie et varier les nuances ? Autant de problèmes dont la solution nous échappe.

Phidias paraît avoir eu une prédilection pour le type d’Athéna. Outre la Promachos et la Parthénos, il avait fait pour l’Acropole l’Athéna Lemnienne, en bronze, offerte vers 446 par les colons athéniens de Lemnos. Il avait ici remplacé le caractère guerrier de la déesse par la grâce pudique de la jeune fille. La tête n’était pas couverte du pesant casque de guerre ; rien ne cachait les contours délicats du front et des joues dont Lucien admire la pureté. Pausanias en parle comme de l’œuvre la plus remarquable du maître : c’était, disait-on, la beauté  même. Les autres nous signalent encore plusieurs statues de lui, dont l’attribution, du moins pour quelques-unes, n’est pas absolument certaine.

La fin de sa vie fut troublée par les procès que lui suscitèrent ses ennemis, lesquels étaient aussi ceux de Périclès. On l’accusa d’impiété, pour avoir sculpté sur le bouclier de la Parthénos le portrait de Périclès et le sien ; mais il fut acquitté de ce chef. On l’accusa en outre de s’être approprié une partie des riches matériaux qu’on lui avait confiés, et il mourut en prison, avant que le jugement n’eût été rendu.

Phidias’ a réalisé avec une maîtrise incomparable l’expression parfaite de la beauté, à l’un de ces moments, si rares dans l’histoire, où tout concourt à créer les conditions les plus favorables pour l’activité d’un génie multiple et puissant : la force du sentiment national et de la foi religieuse, de grandes œuvres à accomplir, un art déjà formé, jeune, plein de sève, mais qui attend encore le génie capable de traduire sous une forme achevée, la pure beauté dont il a la vision confuse[25]. C’est là le rôle réservé à Phidias, et il y est préparé par une universalité de connaissances qui lui fait atteindre le niveau le plus élevé de la sculpture de son temps. Il résume en lui tout ce qu’un artiste peut savoir. Il n’a pas de rival dans la statuaire chryséléphantine ; il est le premier dans l’art de traiter le marbre et reste un modèle inimitable pour les statuaires ; on lui reconnaît l’honneur d’avoir révélé toutes les ressources de la toreutique et de l’art du métal. Alors même qu’il met cette science technique au service d’œuvres colossales, on admire à la fois la grandeur de l’œuvre et le fini du travail. Par-dessus tout il possède la largeur du style et l’ampleur magistrale de la conception. Il personnifie dans la plus haute expression l’idéalisme grec, c’est-à-dire la recherche d’une forme très belle, très vivante, dont tous les éléments sont empruntés à la nature, et qui traduit néanmoins des types supérieurs à toute réalité. C’est en ce sens que Platon l’appelle un créateur, et que d’autres le regardent comme un homme inspiré.

D’après Collignon, Histoire de la sculpture grecque, I, p. 518 et suiv.

 

9. — UNE MÉTOPE D’OLYMPIE.

Sur les métopes du temple de Zeus, à Olympie, étaient figurés les principaux travaux d’Héraclès. L’une d’elles représente la lutte contre le taureau crétois ; elle se trouve au Musée du Louvre[26].

Le roi de Crète Minos avait demandé à Poseidon de faire sortir de la mer un taureau, en promettant de le lui sacrifier. Sa prière avait été exaucée ; mais, saisi d’admiration pour la beauté de l’animal que le dieu lui avait envoyé, il le garda parmi ses troupeaux et en immola un autre à la place. Poseidon, irrité de ce manque de foi, rendit furieux le taureau, qui dévasta les environs de Cnosse jusqu’au jour où Héraclès s’en rendit maître et l’emporta vivant à Tirynthe.

Dans la scène qu’il reproduisait sur le marbre, l’artiste a choisi le moment décisif. Héraclès, affermi sur ses deux jambes écartées, reçoit, par une manœuvre familière aux toreros de nos jours, la charge de l’animal sur son bras gauche enveloppé de la peau de lion. Du bras droit il lève sa massue, et, pivotant sur lui-même, il va assener sur le front de la bête un coup, dont ce mouvement de l’ensemble du corps aura doublé la force. Cette attitude si vraie a fourni à l’artiste les éléments d’une composition très simple et très saisissante. Le corps du héros et celui de l’animal forment deux lignes diagonales dont l’intersection est presque au milieu de la métope ; le bras droit d’Héraclès et la massue qu’il brandit font contrepoids à la tête du taureau, et les pattes de la bête, s’entrecroisant avec les jambes de son dompteur, constituaient également, dans la partie perdue du marbre, deux groupes symétriques et fortement liés.

Le grand caractère de l’ensemble se retrouve dans l’exécution de chaque partie. Dans le corps du taureau, qui, placé au second plan, sert pour ainsi dire de fond de scène, le modelé est d’une sobriété extrême. La tête est brisée, mais on y devine une structure très simple ; la cuisse est disposée en larges méplats, et le jeu des muscles n’y produit que de faibles saillies. Le corps du héros, qui vient en avant, et dont certaines parties sont complètement détachées, est naturellement exécuté avec une plus grande étude de détails. Néanmoins, là encore l’artiste n’a pas oublié que son œuvre devait être vue de loin ; il a su arrêter à temps son ciseau et n’indiquer que le nécessaire. La tête, osseuse et carrée, n’a d’un peu poussé que la partie expressive ; les cheveux courts et la barbe en pointe sont figurés simplement par masses ; le soin de donner à ces parties plus de précision a été laissé à la peinture. Les muscles des épaules sont singulièrement puissants ; la poitrine, large et gonflée par une profonde inspiration, se compose de plans peu nombreux et nettement découpés ; le ventre est soulevé par l’effort, les hanches étroites, l’attache des cuisses fine et nerveuse.

Il est intéressant de comparer cette métope à celles du Parthénon, qui sont contemporaines. Elle n’est pas inférieure même aux plus belles. Certes, à côté de défauts dont bien peu sont exemptes, on trouve dans les métopes du monument athénien des parties d’une exécution excellente, ferme et élégante à la fois. Mais dans aucune la composition n’est aussi bien agencée, l’entente des nécessités décoratives aussi complète, le faire surtout aussi large et aussi plein. Nous sommes loin encore d’avoir assez de monuments de l’art grec du Ve siècle pour pouvoir avec certitude distinguer les diverses écoles et marquer les qualités propres de chacune : il semble cependant permis d’affirmer dès aujourd’hui que les sculpteurs du Péloponnèse ont eu plus de puissance et d’ampleur que les artistes de l’Attique, particulièrement épris de la grâce et soigneux du détail. Si l’on voulait chercher dans une œuvre antérieure les fortes qualités de notre bas-relief, ce n’est pas aux métopes du Parthénon qu’il faudrait aller, mais aux marbres de Phidias, aux figures des deux frontons de ce temple. Phidias en effet n’est pas plus un Attique, quoiqu’il soit né à Athènes, que Raphaël n’est un Romain pour avoir vu le jour au milieu du patrimoine de saint Pierre et pour avoir surtout travaillé à Rome.

Rayet, Monuments de l’art antique.

 

10. — LES MARBRES DE PERGAME.

Les archéologues allemands ont découvert dans ces derniers temps, sur l’ancienne acropole de Pergame, un ensemble de morceaux de sculpture, ayant une longueur totale de 80 mètres, et conservés aujourd’hui au musée de Berlin. Ces marbres proviennent d’un autel immense de Zeus et d’Athéna, élevé par les princes de la dynastie des Attales. Ils représentent une Gigantomachie, allusion transparente aux succès remportés en 239 avant J.-C. par ces souverains sur les Galates, c’est-à-dire par la civilisation hellénique sur la barbarie. Voici comment Rayet les apprécie :

C’est une grosse erreur que de regarder l’art grec comme un art froid, immobile dans la pureté de ses lignes et figé dans sa majesté. Les passions ne sont pas restées plus inconnues aux sculpteurs de la Grèce qu’à ses poètes tragiques. On pouvait même soupçonner qu’en Asie Mineure, sous les successeurs d’Alexandre, à une époque où le goût blasé voulait pour le réveiller des émotions plus fortes, et au milieu d’une population chez laquelle les soubresauts de l’âme étaient plus violents que chez les Hellènes, cet amour des choses dramatiques avait été poussé fort loin. Aux antithèses heurtées, à l’emphase d’expressions de l’éloquence asiatique, devait correspondre un art ami, lui aussi, des oppositions violentes et de l’exagération des effets. Et de fait, les quelques œuvres de cette époque et de ce pays que nous avons conservées, le groupe si tourmenté du Laocoon, œuvre d’Agésandros de Rhodes, le supplice de Dircé, sculpté à grand fracas par Apollonios et Tauriscos de Tralles, et la mêlée furieuse de Grecs et d’Amazones qui se développe sur la frise du temple construit par Hermogène à Magnésie du Méandre, prouvaient qu’il en était bien ainsi, et que l’art asiatique au IIIe et au IIe siècle avait recherché avant tout l’énergie des attitudes et l’intensité de l’expression.

Toutefois, aussi bien dans le Laocoon que dans le supplice de Dircé, la violence n’est qu’apparente et superficielle. On sent, en les examinant de près, qu’un sculpteur fort calme a cherché lentement, péniblement, et d’après les règles de l’École, comment il devait exprimer le paroxysme de colère d’Amphion et de Zéthus. Le Laocoon est un acteur qui étudie son rôle et cherche devant sa glace l’effet que produit la contraction de son visage. La frise de Magnésie, antérieure d’un siècle environ, laisse voir sous son exécution lourde et inachevée plus de vigueur véritable. Mais c’est bien autre chose dans les marbres de Pergame. Ici le brio n’est pas seulement dans le dessin, dans la facture : il est dans l’invention même. Dans cette mêlée furieuse, où s’entrechoquent de mille manières des êtres de natures différentes, les uns de race divine et conservant jusque dans leur fureur leur dignité olympienne, les autres nés de l’air ou de la terre, moitié hommes et moitié monstres, décelant, par leur conformation bizarre, leur caractère chaotique et exprimant sur leur visage les passions les plus farouches, il y a une fougue spontanée, une fertilité naturelle d’imagination qui frappent au premier coup d’œil et forcent l’admiration.

Dans cette époque de décadence on ne s’attendait pas à rencontrer une si vigoureuse poussée de sève.

Mais hélas ! ce sont là dons d’imagination seulement, et où l’âme n’est pour rien. Avec le Laocoon et le Taureau Farnèse nous étions en présence d’habiles metteurs en scène ; maintenant nous avons affaire à des dramaturges. Ces fureurs qu’ils représentent, ils ne les ressentent un moment que par un effort de la volonté. Ces géants dont ils font battre violemment les ailes ou dont ils allongent les jambes en replis monstrueux de serpent, ils savent bien qu’ils n’ont jamais existé. Ils développent avec une verve étourdissante un thème qui les intéresse ; mais ils ne croient plus....

Les groupes de Zeus et d’Athéna sont très supérieurs à tout le reste. Celui de Zeus surtout est une œuvre magistrale. Le dieu marche d’un pas rapide vers la gauche, tendant en avant, pour se couvrir, son bras gauche enveloppé de l’égide et brandissant dans la main droite un foudre. Ses draperies, dérangées par la violence de son action, découvrent un torse puissant. A ses pieds se débattent deux géants. L’un, la cuisse traversée par un coup de foudre, a été renversé en arrière, mais cherche encore à résister. L’autre, frappé au dos et tombé sur ses genoux, semble renoncer à se défendre. Un troisième, dressé sur les enroulements de serpents qui lui servent de jambes, la mine farouche et les cheveux au vent, combat contre l’aigle du maître de l’Olympe. Dans ce groupe si serré il n’y a ni enchevêtrement ni confusion. Les grandes lignes sont aussi simples et aussi harmonieuses que les détails sont beaux.

Le groupe d’Athéna est sensiblement inférieur. Les lignes y sont plus compliquées, les détails plus mesquins, l’exécution plus pauvre et plus sèche. Les plis profondément refouillés des étoffes donnent des ombres trop noires qui trouent la composition et blessent le regard. La déesse saisit par les cheveux un géant, tandis que son compagnon ordinaire, le serpent Érichthonios, le mord avec fureur au sein[27]. Le fils de la Terre, accablé par cette double attaque, tombe sur le genou, et, dompté, impuissant, ses ailes battant l’air en vain, il lève au ciel un regard désespéré et tend son bras défaillant vers sa mère Gé, qui, sortant à moitié du sol, semble implorer pour lui la pitié de Pallas. L’idée est heureuse, quoique un peu raffinée, mais elle est exprimée avec trop de recherche et par de trop petits moyens. Le mouvement du géant est beau, mais son corps est trop détaillé, et ses yeux, enfoncés à l’excès, ne rappellent en rien la nature. L’angoisse poignante du visage de Gé nous toucherait davantage, si ses cheveux ciselés avec un soin minutieux n’interrompaient, en attirant notre attention, le développement de notre sympathie. La pose d’Athéna est banale, et il est bien difficile de s’expliquer comment est fait le corps de la Victoire qui vole vers elle et lui tend une couronne.

Un autre fragment peut être comparé à ces deux groupes : c’est le débris d’un attelage d’hippocampes. La poitrine de ces animaux est superbe, et des espèces de nageoires placées sur les épaules dissimulent adroitement l’attache de leur corps de dragon à leur avant-train de cheval. Très beau également le torse d’Apollon, et même d’un style plus pur que le reste. L’artiste a encore très habilement disposé les trois têtes et les six bras d’Hécate ; tout en marquant d’une manière assez précise ce type imposé par la tradition, il en a dissimulé la bizarrerie. Mais dans le reste, à côté de quelques belles parties, que de choses médiocres ou même absolument mauvaises ! Que dire de cette Cybèle à longues tresses qui pousse à travers la mêlée son attelage de lions, et des animaux chimériques qui forment la meute d’Artémis ?

Telle est cette œuvre colossale et étonnante. Involontairement, en face des plus beaux morceaux de cette frise, je songe à cet admirable groupe du Départ, que Rude a sculpté sur l’Arc de Triomphe de l’Étoile. C’est peut-être le morceau de sculpture qui offre le plus d’analogies avec les marbres de Pergame. Mais le rapprochement est loin de tourner au désavantage du sculpteur moderne. Certes, il a bien moins que son prédécesseur la forme humaine au bout des doigts, mais il a de plus que lui la foi profonde. L’enthousiasme qui éclate dans son œuvre nous empoigne et nous transporte : la frise de Pergame nous surprend par sa fougue, nous séduit par sa variété. Entre le Départ et elle, il y a la même différence qu’entre le Cid et la Tour de Nesle.

Rayet, Études d’archéologie et d’art, p. 260 et suiv. Didot, édit.

 

11. — LA PEINTURE GRECQUE.

Les couleurs dont .se servaient Polygnote et ses contemporains étaient les suivantes : la terre de Mélos pour le blanc, le sil attique (espèce d’ocre) pour le jaune, la sinopis du Pont pour le rouge, et, pour le noir, l’atramentum, c’est-à-dire le noir de fumée additionné d’une matière agglutinante. Plus tard, les peintres eurent une palette beaucoup mieux fournie. Ainsi Apelle, outre qu’il possédait, pour chacun des anciens tons, plusieurs nuances, disposait encore du bleu et du vert.

On s’est demandé si l’œil des Grecs percevait toutes les couleurs que perçoit le nôtre, s’il était capable de la même précision, de la même délicatesse d’analyse. Ce qui est vrai, c’est que leurs mots ne désignent pas toujours ce que nous croyons ; mais il ne s’ensuit pas qu’ils connussent un moins grand nombre de tons et de nuances que nous. On voit, par exemple, dans Pline, qu’ils employaient diverses variétés de rouge : la sinopis, à elle seule, leur en donnait trois, et non seulement ils la faisaient venir de Sinope, mais l’Égypte, l’Afrique, les Baléares, Lemnos, la Cappadoce leur en procuraient d’excellente. Ils avaient de même plusieurs jaunes : pour peindre les parties ombrées, ils recouraient au jaune de Skyros ou au jaune lydien, plus foncé que le sil d’Athènes. En outre, l’esprit inventif de chacun tendait encore à multiplier les tons ou à perfectionner ceux qui existaient déjà. Polygnote et Micon avaient imaginé de faire du noir avec de la lie de vin séchée et cuite ; Apelle en obtenait de l’ivoire calciné ; Parrhasios trouvait à la craie d’Érétrie des qualités que n’avait aucun autre blanc ; Kydias de Kythnos avait eu, le premier, l’idée de brûler du. jaune pour avoir du vermillon. A toutes ces ressources s’ajoutaient celles qui provenaient des mélanges ; l’un des plus’ compliqués était celui qui permettait de rendre la couleur de chair.

Sur quelle matière peignaient les Grecs ? Les peintures préhistoriques de Mycènes et de Tirynthe étaient exécutées sur un enduit qui adhérait aux parois qu’elles décoraient. En était-il de même des grandes compositions murales de Polygnote ? Un texte du Ve siècle de notre ère nous apprend que les peintures du Pœcile à Athènes étaient sur bois, mais cela ne prouve pas qu’il en fût ainsi à Delphes. Certaines décorations pouvaient être appliquées directement sur la surface qu’elles devaient recouvrir, tandis que d’autres étaient peintes sur des panneaux fixés d’avance à la muraille, ou transportés sur le mur quand le peintre avait achevé son œuvre. Je croirais volontiers que, des deux méthodes, c’est la première qui émail la plus connue ; mais il est probable aussi que, de bonne heure, on peignit sur bois ; ces ais, faciles à remplacer, en cas d’accident, offraient des avantages que ne présentait pas la pierre immobile, et, si l’on admet qu’ils n’étaient fixés qu’après coup, ils avaient encore cette supériorité de pouvoir être peints dans l’atelier, sur chevalet. Ce qui est certain, c’est que le jour où, au lieu de décorer des murailles, on voulut faire de la peinture aisément transportable, on ne se servit que du bois. Il ne parait pas d’ailleurs que les Grecs aient eu l’habitude de peindre sur toile, du moins sur toile libre.

Connaissaient-ils la fresque, c’est-à-dire la peinture à l’eau sur l’enduit frais d’un mur ? Tel était sans doute le procédé usité pour les vastes compositions murales, quand elles étaient directement appliquées sur la paroi. On pratiquait également la détrempe, qui consiste à délayer les couleurs dans une substance qui les lie, comme la colle, la gomme, l’œuf, le lait, et à les étendre sur une surface préparée avec la même substance. On avait aussi recours à l’encaustique. Dans ce cas, on formait, avec de la craie blanche et des couleurs pulvérisées, des pains de nuances variées que l’on conservait dans une boite. Pour peindre, on liquéfiait ces pains dans des godets sur une palette métallique. On étalait ensuite la cire ainsi fondue avec un pinceau ; mais, comme elle se figeait vite en refroidissant, le pinceau ne suffisait pas à lier les tons. C’est alors qu’avait lieu la kausis ; à l’aide d’un fer chauffé, on reprenait les touches de cire déposées sur le panneau et on les étendait, on les liait avec soin ; c’était là la partie délicate de l’opération.

A considérer- la peinture grecque dans son ensemble, on remarque qu’à l’exception du paysage, qui n’a jamais été, dans l’art grec, qu’un cadre, elle a tout abordé, panneaux décoratifs et tableaux de chevalet, sujets d’histoire et sujets de genre, portrait, allégorie, nature morte. Elle a rendu les animaux avec une maîtrise qu’atteste la réputation des bœufs de Pausias, des chiens de Nicias, des chevaux d’Apelle. Elle a surtout reproduit la figure humaine avec une puissance et une individualité singulières. Dès les temps les plus reculés, les Grecs ont été frappés des traits propres à certaines races, et ils les ont fixés avec précision. Puis, leurs figures sont volontiers devenues plus impersonnelles, sans toujours prendre pour modèle le même idéal de beauté. Aux visages anguleux, aux nez longs et aquilins du vie siècle, ont succédé des visages ronds, des nez retroussés. Ces spirituelles physionomies ont été abandonnées à leur tour pour le visage sévère et un peu froid dans sa régularité, que nous nous sommes habitués, bien à tort, à regarder comme le type unique de la figure humaine chez les Grecs. Nous ne pouvons guère constater ces changements que dans la céramique ; mais nul doute qu’ils ne se soient produits aussi dans la peinture. Ce que la céramique, en tout cas, ne reflète qu’imparfaitement, c’est le mouvement dont la peinture animait les traits. L’art d’intéresser par des visages expressifs, par des gestes, des attitudes en rapport avec des situations déterminées, telle a été la grande originalité de la peinture grecque. Elle n’a pas eu nos délicatesses de coloris, »os exigences de blasés, rendus difficiles par des siècles d’art, et, d’ailleurs, affinés par une observation chaque jour plus pénétrante ; mais elle est profondément entrée dans le cœur de l’homme et a produit en dehors ses sentiments, ses passions. L’expression, voilà où elle a excellé, et cela seul suffirait pour nous en faire à jamais déplorer la perte[28].

P. Girard, la Peinture antique, p. 257 et suiv. ; Quantin, édit.

 

12. — POLYGNOTE[29].

Polygnote était originaire de Thasos ; son père, son frère, son neveu, furent peintres, comme lui. Il alla se fixer à Athènes peu de temps avant les guerres médiques, et il y fut l’ami de Cimon. Vivant parmi la haute aristocratie, il semble en avoir pris les mœurs et les allures. C’était un artiste grand seigneur : quand il s’agit de peindre le Pœcile, il refusa l’argent qu’on lui offrait, tandis que son collaborateur Micon se faisait payer. Les Athéniens reconnaissants lui conférèrent le droit de cité.

Sa première œuvre importante fut la décoration de la Lesché de Delphes. C’est ainsi qu’on désignait un vaste portique qui servait de promenoir aux pèlerins et qui avait été bâti près du temple d’Apollon par les soins des Cnidiens. Les peintures qu’y avait exécutées Polygnote sont décrites par Pausanias, qui les vit encore intactes au ne siècle de notre ère. Elles formaient deux compositions distinctes, se faisant suite sur le même panneau. Dans l’une, on voyait Troie et la campagne troyenne au lendemain de la victoire des Achéens (Ilioupersis) ; l’autre était une image du monde infernal.

Le principal épisode de l’Ilioupersis était l’attentat d’Ajax, fils d’Oïlée, contre Cassandre, ou plutôt le jugement d’Ajax, après cet attentat, par les principaux chefs des Grecs. Plusieurs groupes représentaient des captives gémissant sur la ruine de leur patrie, tandis qu’Hélène, la cause de ce désastre, était assise au milieu de ses femmes occupées à la parer. Puis venaient des blessés, des morts, notamment le vieux roi Priam. Des guerriers, ici et là, achevaient les restes des malheureux Troyens ; Épéos faisait tomber les remparts de la ville que dominait la tête du funeste cheval de bois ; Néoptolème, après avoir assené le coup de grâce à Élasos, frappait de son épée Astynoos à terre ; le traître Sinon, aidé d’Anchialos, traînait le cadavre de Laomédon. C’étaient les derniers actes de la grande tuerie qui avait commencé la veille. Tous ces groupes étaient enfermés entre deux scènes qui se faisaient pendant. A l’une des extrémités de la fresque, les Grecs se préparaient à partir ; les soldats de Ménélas démontaient sa tente. A l’autre, un Troyen, Anténor, dont la maison avait été respectée, parce qu’il avait jadis reçu à titre d’hôtes, Ménélas et Ulysse, envoyés, à Troie comme ambassadeurs, faisait, lui aussi, ses préparatifs de départ ; entouré de sa femme et de ses enfants, il jetait, avant de prendre le chemin de l’exil, un suprême regard sur la ville dévastée, pendant qu’un serviteur chargeait sur un âne un coffre et d’autres objets.

La seconde composition peinte dans la Lesché était empruntée à la Nékyia d’Homère, c’est-à-dire au chant de l’Odyssée dans lequel le poète montre Ulysse se rendant chez les Cimmériens pour consulter l’ombre du devin Tirésias, et oit, à ce propos, il décrit les enfers. Le centre du tableau était occupé par Ulysse, accroupi, l’épée nue, au bord de la fosse où les âmes des trépassés venaient boire le sang des victimes. Près de lui se tenait son compagnon Elpénor, vêtu de la bure grossière des matelots. L’ombre de Tirésias s’avançant vers la fosse et celle d’Anticlée, la mère d’Ulysse, assise sur une pierre, complétaient ce groupe central. Mais ce qui fixait surtout l’attention du visiteur, c’était la peinture des supplices infernaux, le châtiment du mauvais fils et celui de l’impie, la vue des grands audacieux, comme Thésée et Pirithoüs, des femmes coupables, comme Phèdre, des légendaires criminels, comme Tityos, Sisyphe, Tantale. Polygnote ne s’était point complu dans les détails horribles ; ce qu’il avait cherché à rendre, c’était moins la peine que l’appréhension de la peine ou ses effets. Il n’avait pas représenté Tityos offrant au bec et aux serres du vautour son foie sans cesse renaissant ; il l’avait figuré, épuisé par son supplice, dans un de ces courts répits plus poignants à la réflexion que l’aspect sanglant du supplice même. .

A ces lugubres scènes, d’autres, plus gaies, s’opposaient. Polygnote avait mêlé aux horreurs infernales la punition des félicités élyséennes. C’est ainsi qu’on apercevait dans son tableau les héros et les héroïnes des temps anciens se livrant à d’innocentes distractions. Les filles de Pandarée, couronnées de fleurs, jouaient aux osselets. Ajax, fils de Télamon, Palamède, Thersite, remuaient les dés en présence de l’autre Ajax et de Méléagre. Il y avait le coin des poètes, où Orphée, appuyé contre un saule, chantait en s’accompagnant de la lyre ; près de lui était Thamyris aveugle ; non loin de là, le satyre Marsyas enseignait à jouer de la flûte à Olympos enfant. Les grands champions de la guerre de Troie, Achille, Patrocle, Agamemnon, Hector, Sarpédon, Memnon, Pâris, l’Amazone Penthésilée, étaient groupés dans des attitudes diverses. Des scènes symboliques, des pratiques d’initiés, rappelaient les cérémonies des mystères d’Éleusis et les rapports du monde terrestre avec le monde souterrain.

Il est difficile de ne pas reconnaître entre cette fresque et la précédente une étroite relation. D’un côté, la vie humaine avec ses misères et ses crimes, ses fortunes changeantes, ses gloires passagères ; de l’autre, la vie des enfers, avec ses peines et ses récompenses ; ici, les actions des hommes, là, leur sanction. Ces deux peintures, rapprochées, contenaient donc de grands enseignements, conformes à ceux de la religion de Delphes.

Il faut encore attribuer aux débuts de Polygnote un tableau qui ornait le temple d’Athéna Aréia, à Platées. Ce tableau, inspiré de l’épopée, représentait le Meurtre des prétendants, ou plutôt Ulysse dans son palais, au milieu des prétendants morts ou expirants. Dans cette œuvre également, on remarque que ce n’est pas le vif même de l’action qui avait tenté le peintre, mais les suites et l’horreur de cette demeure ensanglantée, rendue à son maître vengé et satisfait.

Polygnote exécuta de grandes peintures décoratives à Thespies ; mais nous en ignorons le sujet. Sa réputation s’étendait donc au delà de l’Attique ; toutefois, ce fut surtout pour Athènes qu’il travailla. Dans le marché public, que Cimon avait planté d’arbres, se dressait un portique construit par son parent Peisianax. Il voulut que ce portique fût orné de peintures, et c’est Polygnote qu’il en chargea. Polygnote s’adjoignit deux peintres de valeur, Panainos et Micon, et bientôt le portique de Peisianax, devenu le Portique peint ou Pœcile (ποικίλη στοά), excita l’admiration par les belles fresques dont il était rempli. Dans le panneau central, Polygnote avait représenté, comme à Delphes, une Ilioupersis dont le principal sujet était toujours l’attentat contre Cassandre ; seulement, au lieu de montrer Ajax jugé par les chefs Achéens, il l’avait montré se purifiant auprès de l’autel d’Athéna et implorant la clémence de ces mêmes chefs. A gauche, Panainos et Micon avaient peint en collaboration la bataille de Marathon ; le moment qu’ils avaient choisi était la défaite des Barbares, qu’on voyait, d’une part, refoulés dans les marais, de l’autre, chassés vers les vaisseaux phéniciens qui bordaient le rivage. A droite, un tableau de Micon figurait la lutte de Thésée contre les Amazones.

Il existait encore d’autres fresques de Polygnote dans le Théséion, dans l’Anakéion ou sanctuaire des Dioscures, dans un édifice à destination incertaine, qu’on désigne habituellement sous le nom de Pinacothèque. En ce dernier bâtiment, c’étaient l’Enlèvement du Palladion par Ulysse et Nicomède, Ulysse et Philoctète dans l’île de Lemnos, Polyxène immolée sur le tombeau d’Achille, Oreste tuant Égisthe, Ulysse et Nausicaa, Achille à Scyros. Tous ces tableaux étaient-ils de Polygnote ? Pausanias, qui les énumère, ne le dit pas positivement. Quoi qu’il en soit, ils rentraient dans ses goûts, et s’ils n’étaient pas sortis de son pinceau, ils appartenaient sans aucun doute à son école.

Les anciens admiraient beaucoup la sobriété de son coloris. Sur la foi de Cicéron et de Pline, nous serions tentés de croire qu’il ne peignait qu’avec quatre tons, le blanc, le jaune, le rouge et le noir. Apparemment c’étaient là, pour lui, comme pour ses contemporains, comme pour ses successeurs immédiats, les couleurs fondamentales ; mais ces quatre couleurs lui fournissaient, par le mélange, un nombre de tons relativement considérable. li est étrange qu’il n’ait pas eu recours au bleu ; il y avait autour de lui tant de bleu sur les édifices et les statues, qu’on est surpris de ne pas trouver cette couleur au nombre de celles dont il se servait. Il est certain, pourtant, qu’il y avait du noir bleuâtre dans ses tableaux ; la Nékyia contenait l’image d’un vampire qui se nourrissait de la chair des morts, et dont la peau était d’un ton intermédiaire entre le noir et le bleu, semblable, dit Pausanias, aux mouches qui piquent la viande. Peut-être aussi la teinte de l’eau tirait-elle légèrement sur le bleu, bien que les flots de l’Achéron, dans la Lesché, semblent plutôt avoir été gris, avec des poissons qui paraissaient au travers, en silhouettes fugitives, à peine visibles. Quant aux feuillages, aux roseaux, aux saules, aux peupliers, ils n’étaient pas en vert : probablement ils étaient esquissés en noir ou en bistre, avec une grande délicatesse. A ces tons indécis, d’un charme pénétrant, étaient associés des tons francs, comme la pourpre de certains manteaux, la bizarrerie de certaines coiffures de femmes. De pareils effets de coloration étaient demandés au blanc, sans doute additionné de quelque matière cristalline, peut-être de sel : ainsi Ajax, fils d’Oïlée, avait le corps tout brillant d’une sorte d’efflorescence saline, en souvenir du naufrage qui l’avait, au retour de Troie, précipité dans le royaume d’Hadès. Cette simplicité de coloris était évidemment voulue. L’éclatante polychromie alors à la mode en sculpture et en architecture n’eût pas manqué de réagir sur la peinture, si celle-ci n’avait pas résisté ; mais, de plus en plus, elle tendait à la sobriété. Dans cet art épuré, le dessin est presque tout ; la couleur n’est qu’accessoire ; le peintre n’y cherche que de discrètes indications qui soulignent la beauté des formes et fassent valoir l’élégance des figures.

A cette convention s’opposait chez Polygnote un réalisme supérieur, qui visait surtout à exprimer la vérité des sentiments et des émotions. Ce qu’il recherchait de préférence, c’étaient les situations où pouvaient se manifester les troubles intérieurs de l’âme. A Delphes, les captives de l’Ilioupersis et la famille d’Anténor fuyant Troie témoignaient par leurs regards et leur attitude générale de l’affliction profonde et des cuisants soucis qui les tourmentaient. Des enfants étaient mêlés à ces scènes de deuil, les uns insouciants, comme ce fils d’Andromaque, tranquillement occupé à sucer le lait de sa mère, ou comme ce petit enfant d’Anténor déjà huché sur le dos de l’âne prêt à partir ; les autres épouvantés à la vue de tout ce qui se passait autour d’eux, comme celui qui s’attachait, rempli de crainte, à un autel, ou comme cet autre qui se cachait les yeux avec la main. Mais ce qu’il y avait de plus poignant, c’était l’expression de Cassandre, dont les sourcils et les joues colorées d’une légère rougeur rendaient si bien l’angoisse pathétique.

P. Girard, la Peinture antique, p. 154 et suiv.

 

13. — LA FABRICATION DES VASES PEINTS[30].

L’argile qui constitue la pâte céramique offrait en Grèce de grandes variétés. En raison de leurs qualités particulières, certaines terres se prêtaient mieux que d’autres au travail du potier : telle était l’argile blanche de la Corinthie, celle du territoire de Tanagra, et surtout la terre qu’on trouvait en Attique, à la pointe Coliade ; cette dernière, plus rouge de ton que l’argile corinthienne, fournissait une pâte excellente : c’était la terre attique, renommée entre toutes. Mais l’argile naturelle présente rarement une composition qui permette de l’utiliser sans aucune préparation. On avait soin par conséquent d’y ajouter les éléments qui lui manquaient, le plus souvent de la marne et du sable, parfois de l’oxyde de fer. Après quoi elle était lavée à grande eau et pétrie, pour qu’elle eût une parfaite homogénéité ; puis on la laissait reposer pour qu’une sorte de combustion lente la débarrassât des matières organiques, qui auraient produit à la cuisson des porosités ou des noircissements.

Un monument figuré nous montre des potiers grecs occupés à façonner des vases. D’un côté on voit l’intérieur d’un atelier, de l’autre un espace à l’air libre avec un four allumé. Plusieurs ouvriers sont au travail ; l’un d’eux, à gauche, tient sur ses genoux une amphore terminée, qu’un de ses compagnons prend à deux mains pour la porter au four. Plus loin, nous assistons à l’opération du tournassage : une amphore est posée sur le tour, auquel un apprenti, assis sur un escabeau très bas, donne vigoureusement l’impulsion ; un potier plus âgé a plongé son bras gauche dans le vase et en égalise avec la main les parois intérieures. Enfin un jeune ouvrier se dirige vers la porte, tenant avec précaution un vase déjà tournassé, qui va sécher au soleil. De l’autre côté, le maître potier, âgé et chauve, surveille deux ouvriers occupés à la cuisson ; l’un d’eux porte sur l’épaule un sac de charbon ; un autre active le feu du fourneau, dont la face antérieure est ornée d’un masque de Silène destiné à écarter les maléfices.

Les poteries primitives étaient modelées à la main, et simplement lustrées au polissoir. Mais ce procédé rudimentaire fit place avant Homère à l’emploi du tour, que les Grecs empruntèrent peut-être aux Égyptiens. C’était un tour bas, dont la roue était mise en mouvement par la main de l’ouvrier. Il est probable que la Grèce connut aussi le tour à roue, auquel on donne l’impulsion avec le pied.

Quand le corps du vase a pris par le tournassage sa forme définitive, l’ouvrier le fait sécher, soit au soleil, soit devant un feu doux. Il y ajoute ensuite les parties accessoires tournées ou moulées à part, telles que le col, le pied et les anses, après qu’elles ont été suffisamment séchées ; il soude ces pièces rapportées avec un peu de barbotine, qui provoque une adhérence très forte. Enfin, pour obtenir une surface parfaitement lisse et supprimer toute trace de soudure, on soumet le vase au polissage. Après cette dernière toilette le vase passe aux mains du potier chargé de le peindre.

Deux méthodes ont été successivement en faveur, celle de la peinture à figures noires sur fond rouge ou blanchâtre, et celle qui comporte des figures se détachant en clair sur un vernis noir. Le premier procédé a longtemps régné sans partage et n’a disparu de l’usage courant que dans la première moitié du Ve siècle. Il est inutile d’entrer dans l’explication technique de cette double opération ; il suffira de rappeler que c’était là un travail très ardu, où les artistes grecs ont fait preuve d’une dextérité de main, d’une souplesse et d’une précision incomparables. C’est, en effet, avec un simple pinceau qu’ils ont tracé ces lignes d’une extrême finesse, dessiné le tuyautage si régulier des lourdes étoffes, ou rendu, par des traits d’une infinie délicatesse, les mille plis des tissus légers et transparents.

La cuisson, mal réussie, pouvait tout compromettre. Aussi que de précautions on accumulait ! Une plaque du musée du Louvre représente un four de potier. Il est couvert en Mme, et la bouche du four, en saillie à la base, sert de prise d’air. Au sommet, un trou laisse échapper la flamme et la fumée. A mi-hauteur est pratiquée l’ouverture par laquelle on enfournait les vases ; cette dernière est fermée par une petite porte, mais on a eu soin d’y ménager un trou par où l’ouvrier peut jeter un coup d’œil dans l’intérieur. Avec la cuisson se termine l’œuvre du potier. Dès lors les vases sont prêts à être vendus et expédiés au loin.

Cet exposé nous laisse deviner à quel point l’art et l’industrie se confondent dans la fabrication des vases. A vrai dire, les céramistes ne les séparaient pas, et là est le secret de leur supériorité. Ils revendiquaient aussi bien l’honneur d’avoir modelé une amphore de forme irréprochable que celui d’avoir exécuté les peintures de ces vases. Néanmoins, c’est la décoration peinte qui réclamait le plus long apprentissage. Pour arriver jusqu’à la maîtrise, pour être capable de combiner savamment des scènes compliquées et acquérir l’habileté nécessaire, il fallait que le peintre s’essayât d’abord à des besognes plus modestes. Une peinture nous apprend quelle importance avait, aux yeux des Grecs, cette éducation professionnelle. Elle nous montre des apprentis travaillant dans un atelier. Assis sur des chaises ou des escabeaux, leurs pots de couleurs posés près d’eux, ils sont fort occupés à décorer des vases. L’un d’eux vient de tracer sur le col d’une amphore des postes et des oves ; un autre, plus âgé, tient sur ses genoux un canthare et le peint avec une extrême application ; un troisième dessine des palmettes sur un cratère ; enfin, un peu à l’écart, sur une petite estrade, une jeune fille couvre de peinture l’anse d’une amphore. A voir le zèle avec lequel ils s’acquittent de leur tâche, on devine quel sentiment d’émulation les stimule. Mais voici, par surcroît, d’autres figures qui donnent à la scène un sens fort net : deux Victoires ailées s’apprêtent à couronner deux de ces jeunes peintres, tandis qu’Athéna, debout au milieu de la composition, tient une couronne d’olivier destinée au laborieux artiste qui lui fait face. En exaltant ainsi, avec une sorte d’orgueil, la dignité de la profession, en la plaçant sous les auspices d’une puissante déesse, l’auteur inconnu de cette peinture nous a laissé un témoignage précieux à connaître ; il a dit clairement quelle ardeur de bien faire, quel désir de perfection animaient tous ses confrères, depuis .les plus obscurs jusqu’à ceux qui ont signé les plus belles productions de la céramique antique....

Il est d’usage de regarder les céramistes comme de simples ouvriers, strictement enfermés dans la pratique de leur métier.

Nous nous imaginons les voir, avec leur humble costume de travail, souillés de terre, assis sur leur escabeau, devant leur tournette ou ayant sur les genoux le vase qu’ils achèvent de décorer. Sans doute, c’est bien ainsi qu’étaient les manœuvres qui faisaient dans chaque atelier la besogne courante. Mais ceux qui signaient de leur nom les beaux vases du Ve et du IVe siècle, étaient d’une autre condition sociale et avaient une autre instruction. Les maîtres mêmes des grandes fabriques, quoique occupés surtout du tournassage et de la cuisson, étaient le plus souvent bien informés de l’art de décorer les vases et capables de les peindre eux-mêmes. Les uns comme les autres avaient fait de sérieuses études ; ils avaient reçu des leçons, soit des anciens de la fabrique, soit de véritables artistes ; ils étaient au courant de ce qu’accomplissaient la peinture et la sculpture dans les temples ou sur les places publiques d’Athènes, de Corinthe, d’Argos, de Thèbes, de Delphes, de Platées ; et ils avaient volontiers l’ambition de transporter sur les produits de leur atelier le plus qu’ils pouvaient prendre de la composition savante, de la magistrale beauté, du tranquille et majestueux aspect de ces décorations murales qui se multipliaient de tous côtés.

Rayet et Collignon, Histoire de la céramique grecque, Introduction et p. 157 ; Decaux, édit.

 

14. — UNE PEINTURE DE VASE.

Le vase dont il s’agit a pour auteur l’Athénien Euphronios, qui vivait dans la première moitié du Ve siècle avant notre ère ; il a été trouvé à Cœré, en Étrurie. C’est une cylix décorée à l’intérieur et à l’extérieur. Des trois scènes qui y sont peintes, deux sont des épisodes de la légende d’Achille et de Troïlos. La troisième peut être, sans trop d’effort, rattachée au même sujet. Celle-ci, qui occupe une des moitiés de l’extérieur de la coupe, représente quatre guerriers occupés à s’armer. Deux sont âgés et barbus : ceux-là, gens rompus à la guerre, ont presque terminé leurs préparatifs : l’un est complètement équipé ; non seulement il est casqué et cuirassé, mais il a déjà son manteau sur ses épaules et décroche son bouclier ; l’autre a, lui aussi, déjà le casque en tête et, se tenant debout, en équilibre sur sa jambe droite, il est en train de mettre ses cnémides ; toutefois, il n’a pas encore endossé sa cuirasse, et sa tunique finement plissée couvre tout son corps ; ses cheveux tombent en longues tresses sur ses épaules ; près de lui sa lance est plantée en terre.

Auprès de ces deux hoplites, hommes faits et bons donneurs de coups de lance, sont deux beaux éphèbes, vêtus d’une courte et élégante chlamyde, la tête découverte et les jambes nues. L’un passe sur son épaule le baudrier qui soutient sa courte épée ; l’autre, la main gauche appuyée sur le rebord d’un grand bouclier rond, prend de la droite le casque qu’il va mettre sur sa tête.

L’archéologue Gerhard a vu dans cette scène un armement des Myrmidons, et cette hypothèse est vraisemblable. Si on l’admet, toute la décoration de la coupe a une parfaite unité ; c’est en effet un exploit du chef même des Myrmidons, Achille, que représente la seconde des peintures extérieures. A droite de la composition est un autel rectangulaire, construit auprès d’un palmier, et à côté duquel est un trépied ; le palmier et le trépied indiquent que cet autel est consacré à Apollon. A gauche de l’autel, Achille, casqué et cuirassé, son bouclier et sa lance dans la main gauche, saisit de la main droite, par son épaisse chevelure, un jeune garçon sans armes et vêtu d’une simple tunique : c’est le fils de Priam, Troïlos. Troïlos, ainsi surpris, tombe en arrière, en étendant son bras droit et la main ouverte pour supplier son ennemi. Il a lâché les longes avec lesquelles il conduisait ses deux chevaux, et ceux-ci s’enfuient au galop.

A l’intérieur de la coupe est le dernier acte de cette cruelle tragédie. Troïlos a sans doute essayé de s’échapper et de s’asseoir sur l’autel, où il eût été inviolable. La pose de son corps est celle de la course ; mais Achille l’a de nouveau saisi aux cheveux, et le malheureux enfant cherche en vain avec la main gauche à desserrer la fatale étreinte, tandis que de la main droite étendue et ouverte il implore encore sa grâce. Son vainqueur, impitoyable dans sa colère, raidit sa jambe droite en avant et brandissant de son bras droit levé sa courte épée, renversant légèrement en arrière la tête de son prisonnier, il s’apprête à lui trancher la gorge. Cette figure d’Achille est tout à fait remarquable. Elle frappe par l’originalité de l’attitude, par la fierté du contour, par l’énergie du mouvement, et la physionomie en est très vivante. Les yeux grands ouverts, fixés sur la victime, la bouche distendue par un cri de rage satisfaite, le nez au vent et les lèvres frémissantes d’une joie féroce, il y a dans tout cela une intensité de vie que l’on ne retrouvera peut-être à si haut degré sur aucun autre vase grec ; tandis que le visage convulsé par la peur, le suprême effort de Troïlos, inspirent à quiconque les voit une émotion poignante.

Rayet, Histoire de la céramique grecque, p. 168 et suiv.

 

15. — LA FABRICATION DES TERRES CUITES[31].

La fabrication des terres cuites comprend cinq opérations : le pétrissage de la pâte argileuse, le façonnage à la main ou dans les moules, les retouches, la cuisson, la coloration.

Les anciens ont donné tous leurs soins à obtenir pour la confection des terres cuites une pâte d’argile bien homogène et parfaitement épurée. C’est la terre dite à foulon, dont les gisements sont très communs dans toutes les contrées, qui forme la matière première. La terre à modeler présente ordinairement de pays à pays, avec les mêmes qualités de densité et de ductilité, certaines différences de coloration qui n’échappent pas à un œil exercé.

Dans le façonnage, il faut distinguer deux méthodes : on modèle les objets en pleine pâte ou bien on les estampe dans un moule. Le premier procédé n’est employé que pour des figures de petite dimension, des animaux, des poupées servant à divertir les enfants, des maquettes en pâte étirée que l’on coupe à la grandeur voulue pour exécuter les jambes, les bras et le corps, et dont on soude ensuite les différentes parties. La fabrication au moule est de beaucoup la plus utilisée ; elle offre l’avantage, en donnant le moins d’épaisseur possible aux parois, d’avoir un faible retrait et d’éviter les accidents de cuisson. De plus, elle permet d’avoir des pièces creuses d’une grande légèreté.

Le moule lui-même était en terre bien cuite et devenue d’une grande dureté. Pour les figurines d’exécution sommaire, il donne le personnage entier, avec la tête et même le socle. L’ouvrier prend un morceau de pâte, le pose sur le moule, et avec ses doigts fait pénétrer l’argile dans tous les creux. Cette première couche est trop mince pour constituer une paroi solide ; aussi l’on superpose de la même manière plusieurs couches, jusqu’à ce qu’on obtienne l’épaisseur convenable. Le moule ainsi garni est laissé à l’air, où il sèche, et le retrait qui se produit dans la terre fraîche est assez considérable pour permettre, en peu de temps, de retirer l’épreuve de la matrice.

Si l’objet à reproduire était compliqué, s’il avait des bras et des jambes détachés du corps, des ailes, des accessoires, tels que chapeaux, éventails, troncs d’arbres, etc., surtout si c’était un groupe, une seule matrice ne suffisait pas, il en fallait une pour chaque partie, et l’on procédait ensuite à l’ajustage et au collage. Ce serait pourtant une erreur de croire que le nombre des moules employés dans un atelier céramique dût être très considérable. Les Grecs savaient tirer d’un outillage économiquement installé toutes les ressources nécessaires à une production très variée. Si l’on examine les statuettes sorties d’une même fabrique, on voit que les exemplaires identiques sont fort rares. Beaucoup de figurines peuvent avoir entre elles un air d’étroite parenté ; mais on remarque presque toujours une différence d’attitude, un geste, un mouvement de tête ou de bras, un accessoire changé de place, un rien, mais ce rien réussit à diversifier les motifs. On n’avait qu’à incliner une tête sur l’épaule, à relever un bras ou à l’abaisser, à porter une jambe en avant, à déplacer un accessoire, pour produire dix motifs au lieu d’un. Si l’on suppose maintenant la combinaison des moules entre eux, on conçoit que la variété allât presque à l’infini. Sur le corps d’une femme drapée on mettra, par exemple, une tête voilée de matrone ou bien une tête bouclée de jeune fille, sur cette tête un chapeau ou une couronne de feuillage, entre les mains un éventail ou une guirlande, un sac à osselets, un oiseau, etc. Les modeleurs grecs ont déployé dans cette partie de leur métier une fertilité d’invention et une ingéniosité étonnantes. Un petit atelier pouvait ne posséder que les moules d’une dizaine de types ; avec cet outillage restreint, il créait sans peine un monde de statuettes.

Quand les pièces d’une figurine ont été ajoutées et soudées l’une à l’autre avec un peu d’argile fraîche, il ne reste plus qu’à cuire l’objet. La majorité des statuettes passe alors des modeleurs dans le four. Mais, quand il s’agit de pièces soignées, une opération importante précède la cuisson. C’est le travail de retouche, qui consiste à reprendre avec l’ébauchoir l’argile rafraîchie au contact d’une matière humide et ramenée à l’état ductile, afin d’en perfectionner les détails. Là est la partie véritablement artistique du métier. Les ouvriers de Tanagra, en particulier, ont montré dans les retouches une science consommée et une finesse exquise. Il est rare qu’ils aient laissé une pièce à l’état brut. Dès qu’on se dispense de ce travail ou qu’on le néglige, on entre dans la voie de la pacotille.

La cuisson n’exige que de l’attention ; .mais c’est d’elle que dépend le succès. Si l’évaporation se fait mal par les ouvertures ménagées à cet effet dans la terre cuite, si la température est poussée à un degré trop élevé, la pièce éclate ou se fend, les soudures s’effritent, les morceaux ajoutés se détachent, et tout est perdu. Aussi prenait-on beaucoup de précautions pour éviter ces accidents. On attendait que les pièces fussent bien séchées à l’air libre, ce qui déterminait un retrait lent de l’argile humide. Les parois étaient faites d’une couche mince et légère, pour que ce retrait fût aussi faible que possible. De plus on pratiquait dans le revers de la statuette une ouverture assez grande, ovale, rectangulaire ou triangulaire, appelée le trou d’évent, de façon que la vapeur d’eau, en fumant à travers les pores de la terre sous l’action du feu, trouvât un passage facile. Le four était maintenu à une température modérée ; il n’était pas nécessaire de donner une grande dureté à l’argile, et l’on constate qu’en général les figurines antiques sont très peu cuites.

Elles arrivaient alors entre les mains du peintre. Les couleurs étaient toujours appliquées à froid, et c’est pourquoi l’adhérence à la terre est très faible. Pour l’augmenter, on passait la figurine dans un bain de lait de chaux ; cette matière pénétrait dans les pores de l’argile et formait une teinte blanche sur laquelle les autres couleurs prenaient et ressortaient mieux. Ces couleurs étaient le rouge, depuis le vermillon jusqu’au rose, le bleu, le vert, le jaune, le noir. Tout était peint, vêtements, corps, visage, chevelure, pieds, même le socle. Rien ne paraissait de l’argile, si ce n’est à la partie postérieure. La teinte est franche et n’admet pas de variété dans la même nuance. Le rouge et le bleu sont de beaucoup les plus fréquents. Le vert est plus rare. Le jaune est souvent réservé comme soutien à la dorure ; il est posé sur la tranche des ailes, sur les franges des tuniques, sur tous les accessoires qui devaient être dorés. Les cheveux sont traités en brun jaune ; les sourcils et les yeux marqués d’un trait noir ; la bouche soulignée par une ligne rouge ; les parties nues du visage et du corps portent un ton uni de brun rouge ou de jaune foncé, imitant la chair. Les draperies sont ordinairement roses ou bleues, quelquefois blanches avec des bandes de couleurs. La vraisemblance n’est pas toujours observée dans le choix des teintes : ainsi l’on trouve du bleu sur des feuillages, du vert sur des pelages d’animaux, etc. ; ce sont les indices d’un travail hâtif et machinal.

La dorure est employée exceptionnellement. A Tanagra et à Mycènes. on la rencontre sur les ornements des costumes, sur les bandelettes et diadèmes qui couronnent la chevelure, sur les boucles d’oreille, les bracelets et les colliers ; jamais on n’en aperçoit de traces sur le nu. Les produits de Smyrne dérogent seuls à cette règle. Dans plusieurs figurines de cette provenance le corps est entièrement doré. C’est une véritable contrefaçon, destinée à imiter les petits bronzes dorés dont les amateurs riches étaient friands, mais auxquels la classe populaire ne pouvait prétendre à cause du prix.

Ce qui frappe dans les procédés techniques de cette industrie, c’est la simplicité. L’esprit grec s’y retrouve tout entier, avec sa dose naturellement équilibrée de raison pratique et de sens artistique. Le beau est le but où tendent instinctivement les modeleurs ; l’utile n’est jamais perdu de vue par eux. Ils seront penseurs et créateurs à leur manière, en réduisant à des proportions plus maniables les sujets de la sculpture contemporaine ; ils entreront avec intelligence dans les conceptions philosophiques qui président à la création des motifs religieux et funéraires. Fournisseurs attitrés des sanctuaires et des nécropoles, ils n’oublieront pas que leur clientèle vient’ chercher chez eux des symboles en qui se résument, sous une forme gracieuse, les sentiments complexes d’adoration envers les dieux, d’espérance en la vie immortelle, de regrets et de tendresse pour les disparus. Mais leur philosophie reste vague et leur foi très large, comme celles de leurs chalands. Ils se contentent d’à peu près, et la rouerie du métier prime souvent la notion de l’idéal entrevu. Il faut juger leur nature d’esprit ni trop haut, ni trop bas. Ce sont des ouvriers supérieurement habiles, pénétrés à leur insu des pensées élevées qui se répandaient autour d’eux. Mais en même temps ce sont des industriels très pratiques, prompts .à faire leur profit de tout, contrefacteurs déterminés, âpres au gain, décidés à produire le plus possible avec l’outillage le plus pauvre, et expéditifs dans l’exécution, attentifs surtout au goût du public et même à ses engouements passagers. Aussi les œuvres des coroplastes, comme on les appelait, sont-elles, avec les vases peints, le plus clair miroir où se reflète la société antique.

Pottier, les Statuettes de terre cuite dans l’antiquité, chap. XI ; Hachette, édit.

 

16. — LES FIGURINES DE TANAGRA.

L’essor de la fabrication tanagréenne se place vers le milieu du IVe siècle avant notre ère. Ces statuettes si prestes d’allure, si coquettes d’ajustement, si familières et si pimpantes d’aspect, sont des types empruntés à la vie de tous les jours. Là est le grand intérêt de ces œuvres, hâtivement faites parfois, modelées toujours avec le sentiment le plus sincère et le plus fin de la réalité des choses. Ce qu’elles excellent à rendre surtout, c’est la figure féminine.

Voici une rêveuse assise sur un rocher, auprès d’une petite idole de Silène. Elle a mêlé à ses cheveux quelques feuilles de pampres comme au retour d’une fête de Bacchus. Le bras à demi replié sur la poitrine, la tête relevée et fixant un point vague dans l’espace, elle laisse errer ses pensées, et son visage s’éclaire d’un imperceptible sourire. Une autre, parée des mêmes feuillages, s’enfonce dans des rêveries plus mélancoliques, si l’on en juge d’après la tête penchée et le regard baissé vers la terre. D’une main elle s’appuie au rocher qui lui sert de siège et de l’autre elle tient la ceinture de sa tunique dénouée ; l’étoffe mal assujettie glisse et découvre l’épaule. Ailleurs, debout dans une attitude de noblesse un peu dédaigneuse, apparaît une femme sévèrement drapée. Le bras droit passé derrière la taille fait saillir le coude sous l’étoffe et plaque la draperie sur le torse. Les feuilles lancéolées dont la chevelure se couronne et le grand tympanon porté par la main gauche indiquent que cette beauté fière vient, comme les précédentes, de se mêler aux jeux et aux processions joyeuses de quelque fête. Une femme d’un âge plus mûr s’enfonce frileusement dans ses voiles : elle a couvert du pan de son himation le sommet de la tête et, le coude posé sur la main gauche, la joue appuyée contre la main droite, elle élève ses regards vers le ciel avec une expression pensive. Que l’on grandisse en imagination cette terre cuite, qu’on lui donne les proportions d’une statue, et l’on aura sous les yeux le portrait idéal de la matrone grecque. Veut-on voir la femme au dehors, vaquant dans la rue à ses occupations domestiques ? Voici les promeneuses enveloppées dans leur manteau à frange de couleur, un bout de draperie ou un léger chapeau de paille posé sur la tête, l’éventail à la main pour rafraîchir l’air embrasé autour de leur visage. Une d’elles s’arrête, et, prenant un instant de repos, s’appuie d’une main sur un court pilier ; elle ne craint pas les ardeurs du soleil et ses cheveux ne sont parés que d’un simple bandeau. Vu de côté, son fin profil se détache nettement dans l’air ; les plis de son manteau retombent en ondes savamment symétriques ; on ne voit rien du corps que le bout des pieds, et pourtant sous l’étoffe on sent la plénitude vigoureuse de tous les membres Comme ces créatures élégantes savent bien marcher et se poser ! Quel équilibre et quelle pondération exacte dans tous leurs mouvements, quelle impulsion de force tranquille et de santé imperturbable ! Comme elles sont bien les mères et les épouses de ces beaux athlètes qui, à la même heure, remplissaient les palestres et les stades de leurs vigoureux ébats ! L’excellence physique de la race grecque se trahit dans ces maquettes d’argile autant que dans les plus beaux marbres.

Pottier, les Statuettes de terre cuite dans l’antiquité, p. 80 et suiv.

 

17. — L’ORFÈVRERIE MYCÉNIENNE[32].

L’orfèvrerie de Mycènes nous est connue par une foule d’objets trouvés dans les tombes de l’acropole.

On peut diviser en deux catégories les vases que Schliemann a découverts. Il y a les vases destinés à contenir et à verser le liquide ; il y a les vases à boire. On voit déjà, parmi Ies premiers, des types qui ne manquent pas d’élégance ; mais c’est surtout dans les vases à boire que l’orfèvre a fait preuve d’invention. Il n’en est pas deux qui soient l’exacte copie l’un de l’autre. Beaucoup n’ont qu’une anse et présentent une forme plus ou moins évasée. Ici, pour tout décor, une suite de cannelures. Là, le champ est rempli par des rameaux que séparent des tiges terminées par une fleur épanouie. Le travail est plus compliqué dans un autre gobelet en or. A l’extérieur, une bande horizontale, en relief, composée de trois rubans, divise la panse en deux compartiments, qui sont ornés de poissons en relief. On a aussi des verres à pied. Dans l’un d’eux, le champ est uni, c’est l’anse qui a reçu l’ornement ; elle finit par la tête d’un chien qui semble mordre le bord du vase. Telle tasse n’a qu’une anse et très simple ; mais en dessous du rebord courent à toute vitesse trois lions. Les ouvriers de Mycènes paraissent avoir été très habiles. Nous en avons pour preuve une cruche dont la panse et le cou ont été exécutés séparément. La ligne de rencontre des deux pièces a été dissimulée par une bande du même métal dont les deux bouts se réunissent sur l’anse et sont fixés là par des clous ; mais ceux-ci n’auraient pas suffi pour obtenir une adhérence parfaite de l’applique au corps du vase. Sur tout le pourtour de la bande on distingue de tout petits trous ; ils ont reçu jadis des pointes qui n’étaient pas plus grosses que des têtes d’aiguilles. Dix-sept têtes de bœufs, au repoussé, parent la bande.

C’est dans la composition des bijoux que l’orfèvre s’est montré le plus fécond en ressources. Voici, par exemple, un diadème formé par une bande d’or d’un ovale très allongé. Il a pour principal ornement une série de neuf calottes. La plus grosse est au milieu ; les autres vont en décroissant, du centre aux extrémités. Deux cercles concentriques entourent chacune d’elles ; dans l’espace qui les sépare, des spirales et des torsades très fines. Des calottes plus petites, enveloppées d’un grènetis, meublent les angles courbes que laissent entre eux les cercles tangents. Tout cela est encadré par une baguette saillante, en arrière de laquelle règne une bordure. L’arrangement est heureux. La diminution graduelle des calottes s’explique à l’œil par le rétrécissement du champ ; les points et les torsades étoffent le décor sans l’embrouiller. Sur cette surface brillante, il se produit des jeux d’ombre et de lumière qui ont leur agrément. L’ensemble est d’une élégance sévère, riche sans confusion.

Dans une tombe, Schliemann n’a pas recueilli moins de 701 rondelles d’or ; elles devaient être collées sur l’étoffe du cadavre, de manière à bouclier tous les vides que laissaient entre elles les pièces principales de la parure mortuaire. Les motifs qui les décorent se répartissent en deux classes. Il en est qui sont faits de courbes diversement combinées ; il en est d’autres qui sont empruntés à ce monde des végétaux et des animaux inférieurs dont se sont si souvent inspirés les peintres de vases. La rosace forme la transition entre ces deux sortes de motifs. Une feuille à nervures rayonnantes, un poulpe et un papillon représentent la seconde catégorie de types. Toutes ces plaques ont été estampées sur matrice.

On possède des boutons faits d’une feuille d’or appliquée sur une âme de bois ou d’os où les dessins ont été tracés à la pointe ; puis, par une forte pression, la feuille d’or a été contrainte d’entrer dans les creux et d’épouser les reliefs du noyau. Le champ est un losange dont la partie médiane est occupée par une rosace ; celle-ci est inscrite dans une bordure que remplit une rangée de disques ou de feuilles disposées en croix ; aux quatre angles du losange, des bosses sont disposées deux par deux. L’idée de ces bosses a dû être suggérée par les têtes des clous qui, dans les meubles, servaient à fixer des plaques de cristal, de verre ou d’ivoire.

Les plaques qui s’attachaient sur les vêtements ont toutes les formes. Il y en a de triangulaires, où les courbes décrivent des enroulements compliqués ; il y en a de trapézoïdales, où se dressent des fleurons qui rappellent vaguement l’aspect de certaines liliacées. On a rencontré encore dans les tombes de grands pectoraux en or. On en a tiré aussi un ornement déjà trouvé à Troie. C’est, des deux côtés d’un petit tube où passait une cordelette, des spirales faites d’un fil d’or replié sur lui-même. La spirale décore également de larges boucles d’oreilles. On en a découvert plusieurs munies de l’anneau que soutenait le crochet passé dans le lobe de l’oreille. Les épingles à cheveux n’avaient pas un moindre développement ; on en connaît une notamment dont la tête s’épanouit en un cercle dans lequel une figure de femme étend les deux bras.

Les ouvriers mycéniens ne soudaient pas l’or sur l’or, du moins à l’origine ; c’est au moyen de clous à tête plate qu’ils fixaient les anses de leurs vases. Point de soudure non plus de l’argent à l’or ; quand on voulait rapprocher les deux métaux, on appliquait le second sur le premier à l’aide de petits clous, ou bien on incrustait l’or, par minces plaques, dans des creux ménagés à la surface de l’argent. On ne connaissait pas la dorure. On ignorait l’art de souder le cuivre ou le bronze ; les vases faits de ces métaux se composent de plaques de cuivre, jointes par une multitude de petits clous. Des clous à large tête attachent aussi toutes les anses. Enfin on savait déjà composer des alliages très divers. Une des matières incrustées dans l’airain d’une lame de Vaphio est un bronze très riche en étain ou un alliage de plomb et d’argent. On obtenait ainsi un métal tendre et blanc qui est sans doute le κασσίτερος d’Homère. Jusqu’au moment où furent exploitées les mines d’Espagne, l’étain était trop rare pour qu’on l’employât pur.

D’après Perrot, Histoire de l’art dans l’antiquité, VI, p. 959 et suiv.

 

18. — LES VASES D’OR DE VAPHIO[33].

La forme des deux gobelets est pareille, ainsi que les dimensions. L’un a 0m,083 de haut et 0m,104 de diamètre ; l’autre, avec la même ouverture, est plus bas de 3 millimètres. L’un pèse 276 et l’autre 280 grammes et demi. Le décor est exécuté au repoussé, mais le creux ne parait pas à l’intérieur ; chacun d’eux est formé de deux feuilles de métal appliquées l’une sur l’autre. Celle du dedans, tout unie, fait fonction de doublure ; elle cache l’envers du repoussé. L’ouvrier l’avait tenue un peu plus haute que la feuille extérieure ; il en a replié légèrement le bord par-dessus celle-ci, de façon qu’elle formât, tout à l’entour, une sorte d’ourlet.

Sur un de ces vases, l’artiste a représenté une chasse au taureau sauvage. Accroché à un arbre par ses bouts, un filet est tendu dans un étroit passage que laissent entre eux rochers et broussailles. Un taureau, effaré par les cris des traqueurs, s’est jeté à plein corps dans le treillis de cordes où ses pieds se sont engagés. Tous ses efforts sont impuissants à le rompre. Roulé sur lui-même, il se débat en vain, et sa tête, seule libre, se redresse avec angoisse. Averti par le malheur de son frère, un autre taureau a bondi, d’un formidable élan, par-dessus l’obstacle. Il n’a pas encore pris terre ; ses pieds de devant vont toucher le sol, mais il s’échappe vers la droite sans que personne songe à l’arrêter. Au contraire, de l’autre côté du filet, un taureau a trouvé sur son chemin deux hommes qui ont voulu lui barrer le passage ; mais il s’est débarrassé d’eux. D’un coup de sa corne gauche, il en a fait sauter un en l’air, qui retombe en ce moment sur le dos ; puis il s’est retourné vers l’autre assaillant ; il lui a percé la poitrine, et il le balance suspendu à sa corne droite et la tête en bas. Ces trois taureaux sont encadrés entre deux palmiers.

Sur le second vase, l’artiste a montré la bête vaincue et soumise. Au milieu, deux taureaux très rapprochés se tournent l’un vers l’autre, comme pour se parler. A droite, séparé de ce groupe par un arbre, un taureau, la tête baissée, marche lentement. A gauche du couple central, se trouve un taureau qu’un homme retient par une corde ; l’animal parait tirer sur ce lien, mais sans violence ; on devine qu’il ne fera pas de résistance sérieuse ; il ne proteste que par le mouvement de sa tête, relevée pour mieux lancer le beuglement d’appel et de plainte qui ne l’empêchera pas d’obéir.

On voit que les deux scènes se jouent sur le même théâtre, les défilés et les pâturages de la montagne ; elles ont mêmes acteurs, l’animal puissant dont il s’agit de discipliner la force, d’une part, et, de l’autre, l’homme qui commence par risquer sa vie dans cette poursuite hasardeuse, puis qui va lier les courroies du joug autour de ces cornes dont il a redouté longtemps les atteintes meurtrières. Ce sont bien là deux pendants. D’un vase à l’autre, le même thème se développe en deux parties dont le contraste est d’un heureux effet, et il est manifeste qu’ils sont sortis tous deux du même atelier.

Toutefois, il y a entre eux quelques différences de facture. Dans le premier, l’exécution est moins poussée, moins soignée dans le détail, mais, par là même, plus large et plus vivante ; le travail garde davantage le caractère d’une esquisse, enlevée avec une fougue et aussi avec une sûreté qui témoignent tout ensemble de la verve du maître et de sa science. Celui-ci se révèle par plus d’un trait. Ainsi, chez les taureaux auxquels l’homme donne la chasse, les membres ont une liaison plus intime avec le corps que chez ceux qu’il promène dans le pâturage ; ils se soudent mieux au tronc et en continuent mieux le mouvement. Les attaches des cuisses, dans le second vase, sont molles et conventionnelles ; il y a quelque chose de flasque dans l’aspect des pattes qui semblent pendre sous le ventre plutôt que s’articuler avec les os de l’épaule et du bassin ; les têtes y laissent également à désirer ; celle du bœuf de gauche, dans le couple du milieu, manque d’épaisseur ; si on la détachait du corps, elle donnerait plutôt l’impression d’une tête de bouc que d’une tête de taureau ; la tête du voisin, de l’animal qui regarde les spectateurs, est insignifiante et dénuée d’expression.

Si l’on examine avec attention le premier gobelet, on remarque des fautes grossières de dessin. La pose du taureau qui se débat dans le filet est vraiment forcée ; pour qu’il fût roulé de la sorte sur lui-même, pour que ses pattes de devant vinssent ainsi toucher ses cornes, il devrait avoir les reins cassés. On ne sait où prendre le train de derrière du taureau de gauche. Cette partie de son corps est censée couverte et cachée par le filet et par son contenu, mais cet inachèvement du contour gêne l’œil et le déroute. Enfin, il y a quelque chose de confus dans la figure de l’homme piqué par la corne du même taureau. Un de ses bras reste invisible ; la tête se renverse en arrière, quand on s’attendait à la voir pendante vers le sol. C’est que le sculpteur a eu ici de très hautes visées : il a entrepris de rendre des mouvements brusques et violents, qui n’ont qu’une très courte durée. Ce n’aurait pas été trop, pour mener à bien cette entreprise ardue, de toute la science d’un animalier tel que Barye. La tâche du sculpteur du second vase était plus facile ; là, les mouvements sont de ceux qui persistent chez l’animal et que l’on peut étudier à loisir. La pose du seul homme qui joue un rôle dans ce tableau est aussi des plus simples. Les figures, toutes au repos, que renferme le champ, s’y disposent sans effort.

Cependant, comme si l’artiste avait été stimulé par les difficultés de son programme, c’est encore dans la scène de chasse qu’il a fait preuve des qualités les plus sérieuses. Le dessin est souple, serré, et témoigne d’un regard plus pénétrant jeté sur la vie. Il y a dans ce vase plusieurs traits d’une vérité singulière. Pour peu qu’on ait assisté à un combat de taureaux, on sait que ceux-ci, dans l’ardeur de la lutte, redressent vigoureusement leur queue. Or ici, chez le taureau qui bondit par-dessus l’obstacle, la queue s’est levée ; elle va même jusqu’à se replier en avant, comme pour accompagner le mouvement du corps ; raidie par la colère, elle est toute droite, chez celui qui a renversé les chasseurs. Remarquez en outre comment ce dernier s’y prend pour atteindre son adversaire ; il a baissé la tête en la tournant de côté et frappe d’une seule corne. Les mauvais coups, c’est toujours ainsi que le taureau les porte dans l’arène, lorsqu’il a le front droit. Dans l’axe du corps, il peut heurter violemment l’ennemi et le jeter à terre, mais il ne lui fera pas grand mal, les cornes n’entreront pas dans la chair. Quant au taureau captif, sa figure prête à la critique ; mais combien sa physionomie est vivante, et comme on croit entendre le beuglement furieux qui sort de cette bouche largement ouverte !

D’après Perrot, Histoire de l’art dans l’antiquité, VI, p. 785 et suiv.

 

19. — LE COFFRE DE CYPSÉLOS.

Un des tyrans de Corinthe, probablement Périandre (629-585 av. J.-C.), avait consacré à Héra d’Olympie, en l’honneur de son père Cypsélos, un magnifique coffre en bois de cèdre, tout orné de figures sculptées dans le bois ou incrustées en ivoire et en or. Pausanias, qui vit cet objet au second siècle de notre ère, en fait une description détaillée.

Les sujets étaient distribués en cinq zones. Sur la zone inférieure, en allant de droite à gauche, on apercevait : Œnomaos monté sur un char et poursuivant Pélops qui enlevait Hippodamie sur un char attelé de chevaux ailés ; la maison d’Amphiaraos et une vieille femme portant Amphilochos enfant ; devant la porte, Ériphyle debout avec ses deux filles et son fils ; le cocher Baton, tenant d’une main les rênes de ses chevaux, de l’autre une lance ; Amphiaraos, le pied posé sur son char, menaçant de son épée sa femme coupable et réprimant à grand’peine sa colère. On voyait ensuite les jeux funèbres de Pélias, la foule des spectateurs, Héraclès assis sur un trône, et derrière lui une femme jouant de la flûte phrygienne : il y avait là des concours de pugilat, de lutte, de disque, de course à pied et en char. Plus loin, c’étaient Héraclès tuant l’hydre de Lerne et assisté d’Athéna, Phinée, roi de Thrace, et les fils de Borée chassant les Harpyes.

La seconde zone, de gauche à droite, représentait les sujets suivants : la Nuit ayant sur ses mains un enfant blanc assoupi qui était le Sommeil et un enfant noir, dormant, avec les pieds tordus, qui était la Mort ; puis une belle femme, la Justice, frappant avec un bâton une femme laide, l’Injustice ; des magiciennes préparant des philtres dans un mortier ; Idas ramenant chez lui Marpessa ; Zeus déguisé en Amphitryon et Alcmène ; Ménélas cuirassé se jetant l’épée nue sur Hélène après la prise de Troie ; Médée assise, entourée de Jason et d’Aphrodite ; les Muses chantant sous la direction d’Apollon ; Atlas chargé du poids de la terre et du ciel, avec les pommes des Hespérides dans la main, et Héraclès s’approchant de lui ; Arès emmenant Aphrodite ; Thétis défendue par un serpent contre Pélée qui cherche à la saisir ; les sœurs ailées de Méduse poursuivant Persée qui s’envole.

Sur la troisième zone étaient figurées deux armées où dominaient les fantassins, mêlés de quelques individus montés sur des chars ; les soldats étaient les uns prêts à se battre, les autres prêt à causer amicalement. On n’était pas d’accord dans l’antiquité sur l’interprétation de cette scène.

La quatrième zone offrait, de gauche à droite : Borée enlevant Orythie, tous deux avec des queues de serpent en guise de pieds ; Héraclès luttant contre Géryon, monstre à trois corps ; Thésée avec une lyre et Ariane lui tendant une couronne ; Achille et Memnon combattant sous les yeux de leurs mères ; Mélanion et Atalante accompagnée d’un jeune faon ; Ajax et Hector en lutte devant la Discorde ; les Dioscures enlevant Hélène et Œthra ; Agamemnon disputant à Coon le corps d’Iphidamas ; Hermès conduisant à Pâris les trois déesses qui rivalisent pour le prix de la beauté ; Artémis ailée tenant d’une main un lion, de l’autre une panthère ; Ajax arrachant Cassandre à la protection de la statue d’Athéna ; Étéocle et Polynice, ce dernier tombé sur un genou et guetté par la Kêr aux dents horribles et aux ongles crochus ; Dionysos barbu et vêtu d’une longue robe, une coupe d’or à la main, couché dans un antre qu’ornent des, ceps de vigne, des pommiers et des grenadiers.

La zone supérieure montrait : Ulysse et Circé dans une grotte et au dehors plusieurs servantes en train de travailler ; le Centaure Chiron ; Thétis recevant d’Héphaistos les armes d’Achille, au milieu d’un cortège de Néréides installées sur des chars que vont emporter des chevaux pourvus d’ailes d’or ; Nausicaa et une suivante montées sur des mulets et se rendant au lavoir : Héraclès lançant des flèches sur une troupe de Centaures dont quelques-uns ont été déjà tués.

Il est bien difficile de décider, dit M. Collignon, si l’auteur de ce chef-d’œuvre était un Corinthien ou un de ces artistes nomades qui, vers la fin du vile siècle, colportaient dans la Grèce continentale les procédés d’art industriel usités en Crète ; mais, quel qu’en soit l’auteur, le coffre de Cypsélos est une œuvre toute grecque.

Pausanias, V, 17-19.

 

20. — OBJETS D’ORFÈVRERIE TROUVÉS DANS LE BOSPHORE CIMMÉRIEN[34].

Dans le royaume du Bosphore, les tombeaux sont de vastes chambres surmontées de tertres élevés ; le mobilier funéraire est varié et abondant, et les objets précieux dont la possession avait fait pendant leur vie l’orgueil des chefs à demi barbares du pays sont scrupuleusement ensevelis avec eux. II est telle de ces tombes, le Koul-Oba[35], par exemple, qui contenait de véritables trésors. Or, dans les parures des hommes et des femmes, nous rencontrons bon nombre de pièces de fabrication purement grecque.

Ces objets vraiment helléniques sont rares dans les sépultures d’hommes, et cela s’explique aisément : les Grecs ne portaient pas de bijoux ; une pierre gravée à monture très simple était le seul ornement qu’ils se permissent ; encore la pierre gravée, dont l’empreinte en cire équivalait à une signature, était-elle un objet d’usage plutôt que de luxe. On n’eût point trouvé dans les boutiques d’Athènes un seul collier, un seul bracelet d’homme. Les chefs scythes du Bosphore, chez qui le goût des parures en or était aussi répandu que chez les femmes, devaient donc se procurer dans les villes grecques de leur pays, où les orfèvres travaillaient spécialement pour eux, les ornements qu’ils aimaient. Ce n’est qu’exceptionnellement qu’ils pouvaient en commander dans la Grèce propre. Les femmes, au contraire, n’avaient, dans l’étalage d’un marchand venu de Grèce, que l’embarras de choisir, et elles choisissaient parfois très bien : témoin celle dont les restes ont été trouvés dans le caveau de Koul-Oba, et celle qui était ensevelie dans le plus grand des deux tumulus appelés les Jumeaux ou les deux Frères, sur le territoire de Phanagorie (presqu’île de Taman)[36].

Le collier et les ornements d’oreilles de cette dernière sont peut-être, avec une parure trouvée à Phocée, en Asie Mineure, les plus belles pièces d’orfèvrerie grecque qui soient parvenues jusqu’à nous. Le collier se compose d’une triple rangée de pendeloques de dimensions graduellement croissantes, fixées par des chaînettes à une chaîne plate à six rangs qui s’agrafait autour du cou par des fermoirs en forme de têtes de lions. Les points de suspension des chaînettes sont alternativement décorés de disques à surface bombée et lisse et de petits fleurons à bouton central et à deux rangées de pétales : des fleurons semblables recouvrent l’attache des chaînettes aux pendeloques du deuxième et du troisième rang. Les pendeloques de la rangée d’en haut sont de simples glands oblongs, sur la partie postérieure desquels s’étendent des feuilles lancéolées. Celles qui leur font suite ont une forme intermédiaire entre celle d’un gland et celle d’un vase sans pied, dont la panse serait recouverte, dans la moitié supérieure, par des feuilles imbriquées, avec de petites baies saillantes. Celles de la rangée terminale, beaucoup plus grandes que les autres, ont plus franchement la forme de vases. Les feuilles qui les recouvrent, et dans les interstices desquelles sont également de petites baies rondes, sont alternativement, dans une des pendeloques sur deux, prolongées jusqu’à la pointe ou interrompues par un bandeau circulaire décoré d’enroulements filigranés. L’estampage de la feuille d’or qui forme ces pendeloques, la retouche à la pointe des feuilles dont elles sont ornées, la soudure des filigranes et des baies témoignent d’une habileté de main prodigieuse.

Le dessin permet de se rendre compte de l’aspect général du collier. Mais il ne peut naturellement donner aucune idée de la somptuosité de coloris que lui ajoutait l’application de l’émail dans certains de ses ornements. Les bandeaux circulaires des grandes pendeloques étaient remplis, entre les enroulements, d’une pâte d’un bleu profond qui rehaussait l’éclat de l’or très chaud employé par l’orfèvre. Les pétales des petits fleurons et les feuilles des pendeloques supérieures étaient recouvertes d’émail alternativement bleu et vert....

D’autres objets, de provenance également hellénique, trahissent de la part des fabricants un effort pour s’accommoder aux goûts particuliers de leurs clients du Bosphore auxquels étaient destinés ces articles d’exportation.

Voici, par exemple, un collier ouvert, qui a été fait évidemment pour un Scythe. Les ornements par lesquels se termine le câble d’or qui constitue la courbure du collier sont deux avant-trains de chevaux montés par des cavaliers, et qui, les jambes de devant repliées, semblent s’élancer au galop de la gaine où leur croupe est prisonnière. Les cavaliers sont des Scythes : leurs longs cheveux, noués sur la nuque, retombent derrière les épaules ; leur barbe est inculte et épaisse ; pour vêtement, ils portent une casaque à manches étroites, serrée à la taille par une ceinture, un large pantalon, et des bottes. Sauf que le pantalon est passé par-dessus les bottes, au lieu d’être entré dedans, c’est exactement le costume des moujiks russes ; c’est aussi leur type grossier, mais non brutal, leur nez long et fort, leurs grands yeux endormis, leur bouche lippue. Les chevaux non plus ne sont pas des chevaux grecs : la cambrure de leur chanfrein rend la confusion impossible. Et cet objet fait pour un barbare est fondu, puis ciselé, avec toute la perfection qu’eût pu exiger le goût de l’Athénien le plus connaisseur. Ajoutons que là aussi l’émail joue son rôle. La transition entre les cavaliers et la partie du collier enroulée en torsade est formée par des bandes décorées de palmettes ; les fonds de ces palmettes sont remplis de bleu et de vert.

Dans le même tombeau se trouvait un objet en or, épais et lourd, que l’on a eu tort de prendre pour la partie centrale et saillante d’un bouclier. C’est tout bonnement une coupe sans pied, servant aux libations, ce que les Grecs appelaient une phiale. Ces phiales reçurent presque toujours la décoration que leur avaient donnée leurs premiers inventeurs, les Égyptiens des fleurs de lotus, en creux du côté intérieur, en saillie vers le dehors, rayonnent autour de l’ombilic et viennent s’épanouir près des bords de la coupe. Ici, la disposition traditionnelle a été conservée, mais les fleurs de lotus sont surchargées d’une profusion d’ornements qui éblouissent par leur richesse. Ce sont d’abord, sur le premier rang de pétales, des têtes grimaçantes de Gorgones dont la chevelure de serpents se prolonge par des enroulements bizarres ; le second rang de pétales porte encore des têtes de Gorgones, mais plus petites ; sur le troisième, elles sont remplacées par des têtes de Scythes, avec leur bonnet conique et leur longue et épaisse barbe.

Parmi les objets découverts à Nicopol, sur le Dniéper, dans une sépulture anonyme comme toutes les autres, mais sans aucun doute royale, le plus important est une amphore d’argent, en partie dorée, et haute de trois pieds (0 m. 70). Elle est formée de deux plaques d’argent rivées l’une à l’autre, et munie de deux anses ; le corps du vase est décoré de palmettes et de rinceaux dessinés avec cette élégance un peu maigre qui caractérise l’époque macédonienne ; sur le devant, ces rinceaux sont faits au repoussé et présentent une légère saillie ; sur le derrière, ils sont simplement gravés. Au milieu de ces feuillages ornementaux sont posés des oiseaux, deux grands et deux petits de chaque côté. A la partie inférieure de la panse, deux ouvertures, que fermaient des bouclions fixés à de petites chaînettes, servaient à l’écoulement du liquide contenu dans le vase. Ces ouvertures sont ornées de têtes de lions, qui rappellent celles du Parthénon : nous sommes là en présence d’un vieux modèle, devenu classique, qui a continué à être en usage dans les ateliers des orfèvres. Plus haut est une troisième ouverture, décorée d’une tête de cheval ailé : l’animal, les oreilles dressées, l’œil effaré, les joues maigres, les naseaux dilatés et la bouche ouverte pour hennir, n’a rien du cheval grec tel que nous le montrent la frise du Parthénon et le tombeau de Mausole ; c’est le cheval sauvage du steppe, inquiet et frémissant au moindre bruit. Les grandes ailes éployées dont l’artiste l’a muni dérobent heureusement au regard la jonction de cette applique à la surface de la panse, et achèvent de lui donner un caractère étrange. Le haut de la panse, au bas de la naissance du cou, est décoré de chaque côté d’un groupe de deux griffons, les uns repoussés, les autres simplement gravés. Mais la partie la plus originale de cette ornementation, c’est la frise de figures en haut relief, fondues à part, retouchées au burin et soudées, qui court au point où la surface de la panse se recourbe pour gagner le cou. Le sujet de cette frise est emprunté à l’éducation du cheval. Au centre est une jument que trois hommes s’efforcent de renverser à terre en tirant sur des cordes attachées au bas de ses jambes (les fils d’argent qui figuraient ces cordes sont brisés). On sait que c’est là une manière encore usitée pour terrifier l’animal et mater sa résistance. A droite de ce groupe, un homme debout tenait entre ses mains un objet aujourd’hui manquant, peut-être des entraves qu’il préparait. Plus à droite encore, le propriétaire de la prairie et des bêtes qui y paissent vient de descendre de cheval : sa monture, sellée et bridée, attend paisiblement, pour se mettre à brouter, que son cavalier ait achevé de lui entraver les jambes de devant. A gauche du premier groupe, celui de la jument et des gens qui l’entourent, un homme placé devant un cheval qu’il tient par un licou lui prend et lui plie le genou gauche, en même temps que, pesant sur la corde, il lui fait tourner la tête vers la droite : tout à l’heure, en la lui ramenant vers la gauche par un mouvement brusque, il lui fera perdre l’équilibre et l’abattra sur le flanc. Sur le derrière du vase, deux autres serviteurs viennent de lancer des cordes à des chevaux qui bondissent et cherchent à fuir, tandis que les deux derniers chevaux du troupeau paissent encore sans inquiétude l’herbe rase du steppe. Tout dans cette pièce excite l’admiration : la rareté extrême d’objets de ce prix, l’intérêt du style, l’adresse de l’exécuteur. J’ai grand’peine à croire que l’orfèvre qui l’a faite Dit d’Olbia, ou du moins que sa main et son ail se fussent formés là : son habileté de ciseleur n’est certes pas indigne d’un atelier athénien.

Rayet, Études d’archéologie et d’art, p. 208-210 et 218-229.

 

21. — LES GRAVEURS DE MONNAIES.

L’art monétaire étant considéré par les anciens plutôt comme un métier que comme un art proprement dit, les auteurs n’ont pas daigné nous conserver aucun nom de graveur de monnaies. Mais nous, qui ne partageons pas ces préjugés, nous pouvons en placer au moins trois, parmi ceux qui ont signé leurs œuvres, au nombre des plus grands artistes de la Grèce ; ce sont Évainetos et Cimon de Syracuse et Théodotos de Clazomène.

Évainetos et Cimon étaient à peu près contemporains ; l’époque de leur grand éclat correspond à la tyrannie des deux Denys à Syracuse. C’est alors qu’ils ont été chargés d’exécuter lés grosses pièces d’argent, du poids de 10 drachmes attiques (44 grammes), que l’on appelait pentékontalitra, parce que leur valeur équivalait à celle de 50 livres de cuivre. Toutes celles de ces pièces qui sont jusqu’à présent connues pour l’époque indiquée sortent des mains de l’un ou de l’autre, et ce sont leurs plus merveilleux chefs-d’œuvre. Une partie seulement est signée.

Depuis longtemps, le jugement unanime des numismates a proclamé les pièces gravées par Évainetos et Cimon comme le nec plus ultra de l’art monétaire. Des deux graveurs, Cimon ne doit être classé que le second, et pourtant ses œuvres surpassent ce qui a été fait de plus remarquable dans le même sens à la Renaissance. Son style est loin d’être sans défauts ; il recherche un peu trop les tours de force et le côté gracieux des types, aux dépens d’une beauté plus idéale et plus sublime. Ses figures, trop surchargées de détails et d’ornements, manquent de simplicité et, par suite, perdent quelque chose du côté de la pureté et du grandiose. En même temps, il a toujours dans l’exécution une certaine âpreté, qui quelquefois atteint presque à la rudesse et contraste singulièrement avec la recherche de grâce dont il parait toujours préoccupé.

Cimon n’est qu’un grand artiste ; Évainetos est le plus grand de tous dans la branche qu’il a cultivée. Il est comme le Phidias de la gravure en monnaies. Regardez pendant quelque temps une pièce gravée par lui, et bientôt vous oublierez les dimensions exiguës de l’objet que vous tenez à la main ; vous croirez avoir sous les yeux quelque fragment détaché des frises du Parthénon. Car c’est le propre de l’art parvenu à sa perfection de donner autant de grandeur aux plus petits qu’aux plus immenses objets, et de rassembler sur un flan monétaire de 6 ou 7 centimètres de diamètre autant de beauté et de puissance que dans une statue colossale.

Comme beaucoup de grands maîtres, Évainetos a progressé constamment dans le cours de sa carrière et modifié sa manière d’une façon sensible. A ses débuts, dans les dernières années du Ve siècle, son style et son faire participent beaucoup de ceux d’Eumênos, avec qui il commença par être associé et qui semble avoir été son maître. li a déjà, de plus qu’Eumênos, ce je ne sais quoi de divin oh se sent l’artiste de premier ordre ; mais il lui emprunte un dernier reste de la raideur et de la dureté de l’ancien style. Peu à peu, son talent s’assouplit et se perfectionne ; il gagne de la douceur et de la liberté, mais en gardant toujours un accent de grandeur simple et de sévérité jusque dans la grâce, qui atteint au sublime. Comme précision et science du modelé, il est incomparable : ses têtes de divinités respirent un souille vraiment- idéal. Il sait être riche sans tomber dans cet excès d’ornements et de détails qui finit par rapetisser une œuvre d’art. Son exécution arrive à une finesse inouïe ; c’est même là son écueil, car dans les petites figures des revers de ses tétradrachmes il la pousse presque jusqu’à la sécheresse. C’est à ce moment le plus complet du développement de son génie qu’il grave les coins des pentêcontalitra et qu’il voit se dresser en face de lui, comme son émule et son rival, Cimon, lequel parait lui avoir survécu et avoir continué à graver après lui.

Au reste, ce n’est pas à l’école athénienne de Phidias que se rattachent les graveurs syracusains, mais à l’école dorienne de Polyclète. Le peu qui subsiste des œuvres originales des sculpteurs de l’école d’Argos, qui disputa un moment la palme à celle d’Athènes, présente comme art la plus étroite parenté avec les belles monnaies de Syracuse. C’est la même manière de sentir et de rendre la nature, la même conception de l’idéal, la recherche des mêmes lignes.

En revanche, Théodotos, le graveur de Clazomène, qu’il faut mettre sur la même ligné que les deux grands Syracusains, se rallie par son style aux enseignements presque romantiques des artistes qui travaillèrent à la décoration du tombeau de Mausole. C’est encore un maître de premier ordre, qui, pour la noblesse du style et la science du modelé, peut rivaliser avec Évainetos lui-même. Mais il n’a pas aussi bien compris les conditions spéciales de la composition des types monétaires. En employant au lieu d’un profil, pour décorer le droit de ses monnaies, une tête de trois quarts modelée en méplat, il s’est laissé aller trop complaisamment à une mode passagère de son temps. Et s’il y a trouvé l’occasion de prouver dans de très grandes difficultés toutes les ressources de son talent, il a fait preuve de moins de goût et d’intelligence en ne discernant pas les inconvénients qui devaient empêcher l’établissement définitif de la mode qu’il a subie, tandis qu’Évainetos n’y a jamais sacrifié.

Lenormant, Monnaies et médailles, p. 78 et suiv. ; Quantin, édit.

 

22. — L’HYMME A APOLLON[37].

L’école française d’Athènes, dès les premiers coups de sonde donnés à Delphes sur l’emplacement du temple d’Apollon, a mis au jour des fragments d’hymnes religieux, accompagnés de leur notation musicale[38]. Le plus important de ces fragments, désormais célèbre sous le nom d’Hymne à Apollon, est aux deux tiers intact.

Jusqu’ici les restes de musique grecque ne faisaient pas entièrement défaut, mais ils étaient en bien petit nombre, de basse époque, et ne compensaient pas leur brièveté par leur intérêt musical. Sans parler de quelques morceaux insignifiants ou d’une authenticité douteuse, l’héritage mélodique de l’antiquité se réduisait à trois hymnes du IIe siècle de notre ère. Ces hymnes, conservés par plusieurs manuscrits, sont attribués à deux compositeurs, Denys et Mésomède : le premier, complètement inconnu, et dont l’existence même est contestée ; le second, qui, à défaut de génie, sut se concilier la faveur de l’empereur Hadrien. De ces trois compositions, la plus courte est de beaucoup ta meilleure, c’est l’Hymne à la Muse. C’est un petit morceau d’un rythme facile et un peu vulgaire, d’un tour pur et gracieux. On y retrouve un reflet du charme sobre inhérent à toutes les productions de l’art hellénique ; mais ce reflet est ici déjà bien pâle et presque éteint.

Tout autre est l’Hymne à Apollon découvert sous les ruines du trésor des Athéniens. Cet édifice, construit peu de temps après la bataille de Marathon et décoré de charmantes sculptures, tenait à la fois d’un musée, d’un dépôt d’archives et d’une sacristie. C’est là que se réunissaient pour former leur cortège les ambassadeurs délégués par la république athénienne aux fêtes de Delphes ; c’est là aussi que s’accumulaient de siècle en siècle les offrandes des particuliers ou de l’État. Les murs étaient couverts d’inscriptions : décrets honorifiques, catalogues de délégués, poésies de circonstance. Plusieurs de ces poésies étaient accompagnées de signes, gravées entre les lignes du texte, où l’œil exercé reconnaît immédiatement des notes de musique. Tous les fragments célébraient la gloire d’Apollon ; tous appartiennent à des hymnes composés et exécutés à l’occasion d’une des grandes fêtes internationales qui se célébraient périodiquement à Delphes.

Ces fêtes étaient au nombre de deux : les Pythiques, dont l’origine se perd dans la nuit des siècles, et les Sôtéries, de création beaucoup plus récente. En 279 av. J.-C., des bandes gauloises, descendues de la vallée du Danube, avaient forcé le défilé des Thermopyles et marché sur le riche sanctuaire de Delphes, dont les trésors les attiraient comme une proie facile. Leur tentative fut déjouée, on ne sait trop comment. Toujours est-il que les Barbares, suivis à la piste par les milices helléniques, battirent en retraite. La légende, s’emparant bientôt de ces événements, grandit l’insuccès des Gaulois aux proportions d’un désastre qu’elle attribua à une intervention surnaturelle.

C’est en souvenir de cette délivrance du sanctuaire que furent instituées les Sôtéries, la fête du Salut. Elles comprenaient, comme toutes les solennités analogues, des sacrifices, des processions accompagnées de chants choriques, des concours de gymnastique, de poésie et de musique. Ces derniers étaient les plus importants de tous, car Delphes fut de tout temps la capitale musicale de la Grèce, comme Olympie en était la capitale athlétique. Athènes, qui avait pris une grande part à la victoire, n’en prit pas une moins active aux fêtes destinées à la célébrer. Ses poètes, ses musiciens entraient en lice pour la composition des hymnes, des péans qui vantaient la gloire d’Apollon, vainqueur des barbares impies. L’œuvre des lauréats était consignée sur le marbre, aux frais de leur gouvernement ; c’est une sorte de cahier d’honneur musical.

La plus longue et la mieux conservée de ces cantates, l’Hymne à Apollon par excellence, était gravée sur trois grands blocs de marbre qui se faisaient suite : le dernier, qui ne devait contenir que quelques vers, a péri ; le premier est sérieusement endommagé. Du nom de l’auteur, il ne subsiste que l’indication de sa patrie ; il était Athénien.

Une traduction littérale donnera une idée du style de l’ode.

Toi qui es illustre par le jeu de la cithare, enfant du grand Zeus, je dirai comment, auprès de ce pic couronné de neiges, tu révèles à tous les mortels d’impérissables oracles, comment tu conquis le trépied prophétique, que gardait un dragon ennemi, lorsque tes traits mirent en fuite le monstre bigarré aux replis tortueux.

Vient ensuite un passage trop mutilé pour se prêter à une tentative de restitution sérieuse : on entrevoit qu’il y est encore question du dragon qui pousse en expirant d’effroyables sifflements. Du monstre de la Fable, le poète rapproche les Gaulois féroces, qu’Apollon chassa de son sanctuaire en les frappant de terreur. Quand le texte reprend, à l’invocation d’Apollon succède l’invocation des Muses :

Vous qui avez reçu en partage l’Hélicon aux bois profonds, filles aux beaux bras de Zeus qui retentit au loin, venez, pour charmer de vos chants votre frère Phoibos à la chevelure d’or, qui sur le faite à double cime de cette roche parnassienne, parmi les illustres Delphiennes, visite les flots de Castalis aux belles ondes, sur le promontoire de Delphes, protégeant la colline prophétique.

Avance, illustre Attique, nation à la grande cité, toi qui, grâce aux prières de la déesse armée Tritonide (Pallas Athéna), habites un sol inviolé. Sur les autels sacrés, Héphaistos consume les cuisses des jeunes taureaux ; avec lui, l’encens d’Arabie monte vers l’Olympe. Le clair murmure du lotus (de la flûte) sonne en chants variés, et la cithare d’or aux doux sons répond à la voix des hymnes. Et voici tout l’essaim des théores (pèlerins officiels), natifs de l’Attique....

Là s’arrête le texte ; l’hymne s’achevait sans doute par une courte et fervente prière.

Cette cantilène se compose d’environ quatre-vingts mesures, dont un cinquième à peine présente quelques notes effacées qu’il a fallu suppléer par conjecture. Quoique la conclusion de l’hymne soit perdue, quoique l’accompagnement de flûte et de cithare que mentionne le texte n’ait jamais été noté sur la pierre, ce qui subsiste suffit pour déterminer le caractère général du morceau.

Les singularités n’y font pas défaut. D’abord le rythme à cinq temps, mesure très rarement employée dans la musique moderne, malgré les exemples donnés par Boieldieu dans un air de la Dame Blanche et par Gounod dans le duo de Magal (Mireille). L’effet naturellement passionné et quelque peu fébrile de ce rythme était sans doute atténué dans l’exécution par un mouvement très modéré. Une autre particularité, c’est la longue reprise (commençant aux mots Avance, illustre Attique...), qui est écrite tout entière dans le genre chromatique. La chromatique des Grecs ne nous était jusqu’à présent connue qu’en théorie ; en voici le premier exemple authentique. Devant cette accumulation insolite de demi-tons successifs et d’intervalles augmentés, des oreilles insuffisamment façonnées aux harmonies wagnériennes ont éprouvé d’abord quelque hésitation ; mais l’émotion, le charme enveloppant, presque sensuel, de cette mélopée continue, d’une pénétrant douceur, n’a pas tardé à les conquérir, et la surprise du premier moment a fait place à une jouissance aiguë et délicate.

On chercherait vainement dans ce morceau cette simplicité élémentaire, cette sécheresse et cette raideur où les critiques prétendaient naguère enfermer l’art musical des Hellènes ; rien non plus de ces vagues psalmodies et de ces cantilations incertaines où se complaît la musique des peuples orientaux, si mal à propos rapprochée de celle des anciens Grecs. Nous sommes en présence d’un art arrivé à sa maturité, nullement naïf, qui dispose de ressources abondantes et qui ne craint pas de s’en servir. La mélodie se déroule avec aisance à travers de savantes modulations, toujours liée de la manière la plus étroite aux replis de la phrase poétique, sans division en couplets bien définis, mais marquant de loin en loin, par des rimes de sons et de rythmes, les articulations des amples périodes. Procédant d’abord d’une allure joyeuse et décidée, comme il sied à un chant de victoire, elle s’atténue bientôt dans un murmure exquis, tour à tour doux comme une caresse ou fervent comme une prière ; puis tout à coup rebondissant d’un essor plus hardi, elle s’avance à grandes enjambées pour finir sans doute, ainsi qu’elle avait commencé, dans le calme, la sérénité et la secrète mélancolie du triomphe. Dans cette cantilène souple et variée, qui accompagne la poésie comme une draperie seyante, couvrant les défaillances du contour et soulignant ses beautés expressives, on a reconnu le génie grec fait de vérité, de sobriété et de lumière, mais on a salué aussi un précurseur de la mélopée contemporaine en ce qu’elle a de plus séduisant peut-être et de plus raffiné.

D’après Th. Reinach, Revue de Paris du 15 juin 1894.

 

FIN DE L’OUVRAGE

 

 

 



[1] De 1871 à 1890, Schliemann a exécuté des fouilles à Issarlik (emplacement de l’ancienne Troie), à Mycènes, à Tirynthe, à Orchomène et à Ithaque.

[2] Fouilles de M. Homolle à Délos, de 1877 à 1880.

[3] Des fouilles avaient été entreprises à Olympie en 1829 par l’architecte français Abel Mollet bien qu’elles aient duré à peine quelques semaines, elles furent très fructueuses. De 1875 à 1881, une commission d’archéologues allemands a fait une exploration complète de la contrée.

[4] Elles ont commencé au mois d’octobre 1892.

[5] Depuis 1869.

[6] L’exploration des tombes de Tanagra (Béotie) a débuté en 1872 ; on évalue à plus de 8000 celles qui ont été ouvertes.

[7] Par exemple, le temple de Zeus à Sélinonte, qui a 50 mètres sur 110, tandis que la Madeleine en a 41 sur 92.

[8] Au Parthénon, la colonne a une hauteur égale à douze fois son demi-diamètre ou module (pris à la base) ; la distance entre les colonnes est de 2 modules 2/3 ; la hauteur du chapiteau est d’un module ; la hauteur de l’entablement est la moitié de celle de la colonne. Les proportions varièrent suivant les époques ; ainsi, dans un vieux temple de Corinthe (VIIe siècle), la colonne n’a pas tout à fait 8 modules. Elles différaient aussi suivant les ordres : dans l’ordre ionique, les colonnes ont de 16 à 18 modules, tandis quo dans Tordre dorique elles sent beaucoup moins élancées.

[9] Il subsiste des ruines plus ou moins importantes de temples grecs à Athènes (Parthénon, Théséion, Érechthéion, temple de la Victoire Aptère), à Sunion, Éleusis, Égine, Corinthe, Delphes, Némée. Bassæ. Olympie, gilet, Priène, Pæstum, Syracuse, Sélinonte, Agrigente, Ségeste, etc.

[10] Le Parthénon ou temple de la Vierge fut construit en l’honneur d’Athéna sous l’administration de Périclès (milieu du Ve siècle). Il a pour architectes Ictinos et Callicrate. Il est d’ordre dorique. Après avoir servi d’église sous la domination byzantine, il fut converti par les Turcs en mosquée. Pendant le siège d’Athènes par les Vénitiens (1687), une bombe tomba dans la poudrière qu’on y avait établie, et la moitié de l’édifice sauta. Au commencement de ce siècle, lord Elgin le dépouilla d’une partie de ses sculptures au profit du musée Britannique.

[11] L’édifice entier mesure 68m,00 de long sur 30m,47 de large ; il est haut de 17m,93, jusqu’au sommet du fronton.

[12] L’or de la statue pesait 1.152 kilogrammes (valant 3 millions et demi).

[13] M. de Rouchaud pense que la statue était protégée contre la pluie et le soleil par un système de draperies qui remplaçait le toit absent.

[14] Elle était formée de 21 colonnes et de 2 piliers d’angle ; peut-être y avait-il entre elles des tapisseries.

[15] La colonnade extérieure avait 46 colonnes, dont 17 sur, chacun des côtés et 8 sur chaque façade (en comptant deux fois les colonnes d’angle). Entre les colonnes des deux façades et le mur de la cella, il y avait encore 6 colonnes.

[16] Vers la fin du IVe siècle av. J.-C., on appliqua des boucliers dorés sur l’architrave de la façade orientale.

[17] Les 92 métopes qui alternaient avec les triglyphes, représentaient : sur le côté est, la guerre des Dieux et des Géants ; sur le côté sud, le combat des Centaures contre les Lapithes, et les Athéniens venant avec Thésée au secours de Pirithoüs ; sur le côté ouest, la lutte de Thésée contre les Amazones ; sur le côté nord, la destruction de Troie, avec des allusions aux guerres médiques. Le musée du Louvre possède une tête de Lapithe et une métope entière (Centaure enlevant une femme).

[18] Dans les deux frontons étaient sculptées d’une part la naissance d’Athéna, de l’autre sa victoire sur Poseidon.

[19] Cette frise décorait le haut du mur de la cella, sur la colonnade extérieure. On y avait figuré la procession des Panathénées, longue suite de cavaliers, de conducteurs de chars, de victimes menées à l’autel, de lemmes et de jeunes filles portant l’appareil du sacrifice, etc. Les chevaux sont particulièrement beaux. Des traces de clous montrent que les rênes et les harnais (aujourd’hui disparus) étaient en métal. (S. Reinach.) La majeure partie de cette frise est à Londres ; un fragment est au Louvre.

[20] Je ne me porte pas garant de l’entière justesse de toutes ces observations, qui me paraissent trop systématiques. D’abord la prétendue division du temple en deux parties affectées l’une à Athéna l’autre aux héros nationaux, n’est pas absolument exacte, puisque la déesse est aussi bien glorifiée dans le fronton et les métopes que dans la cella. En outre, M. Boutmy fait trop bon marché de la théorie, actuellement fort répandue, qui explique la structure des temples grecs par le vieil usage des constructions en bois. (Sur cette théorie, voir Boulé, Histoire de l’art grec avant Périclès, Première partie, chap. I).

[21] Ce fait, soupçonné par Quatremère de Quincy dès 1815, a été mis hors de doute par Hittorff en 1831.

[22] Pour comprendre le sens des termes techniques employés dans tout ce chapitre, on peut consulter Adeline, Lexique des termes d’art, avec figures (Paris, Quantin).

[23] Le chiton est une longue robe ; le chitonisque est une sorte de tricot de laine à larges mailles qui se mettait sur le chiton ; l’himation est un grand châle.

[24] Les principaux sculpteurs ont été en Grèce : Archermos (vers 600 av. J.-C.), Théodoros (VIe siècle), Anténor (fin du Ve siècle), Onatas, Agélœdas. Calamis, Pythagoras, Pœonios, Alcamène, Myron (première moitié du Ve siècle), Polyclète, Phidias (milieu du Ve siècle), Praxitèle, Scopas, Euphranor (IVe siècle), Lysippe (milieu du IVe siècle), Écoles de Pergame et de Rhodes (IIIe et IIe siècles). Il faut noter que plusieurs de ces sculpteurs ont été en même temps des architectes.

[25] Ce qu’on appelle l’idéal chez les Grecs était surtout pour eux la beauté réelle, telle qu’ils la voyaient. La part de la convention resta longtemps presque nulle dans leur art. Les bas-reliefs, les stèles funèbres, les frises de quelques temples, surtout celle du Parthénon, le montrent nettement.... Les hommes, les éphèbes, les jeunes filles que Phidias représente, il les a vus, tous ses contemporains les voyaient ; son génie à lui fut d’être frappé plus qu’aucun autre par la réalité belle et de la rendre comme il la sentait. (Dumont, les Céramiques de la Grèce, deuxième partie, p. 191.)

[26] Les fouilles allemandes en ont fait retrouver quelques nouveaux fragments, dont on a ajouté un moulage au morceau du Louvre. Ces fragments sont la tête du taureau, les jambes de derrière, et l’attache du bras droit d’Héraclès. Le Louvre possède encore des morceaux de deux autres métopes (Combat contre Géryon, Oiseaux du lac Stymphale). Sur l’ensemble des métopes, voir Collignon, Histoire de la sculpture grecque, I, p. 429 et suiv.

[27] Le groupe du Laocoon (fin du IIe siècle av. J.-C.) est une imitation directe de cette partie de la frise.

[28] Il convient de remarquer que rien n’a survécu de la peinture grecque. Le seul moyen d’en avoir quelque idée, c’est d’étudier les peintures tracées sur les vases, et les fresques retrouvées à Pompéi ; les unes et les autres paraissent s’inspirer des tableaux qu’avaient peints les grands maîtres.

[29] Principaux peintres en Grèce : Eumarès et Cimon de Cléonées (deuxième moitié du VIe siècle), Polygnote, Micon et Panainos (Ve siècle), Zeuxis, Panainios et Parrhasios (fin du Ve siècle), Mélanthios, Pausias, Aristide, Nicias, Euphranor, Apelle (IVe siècle).

[30] D’après M. Pottier, il y a au musée du Louvre plus de 6000 vases peints ; en y ajoutant ceux de la Bibliothèque nationale, on peut évaluer à 8000 le nombre total des vases qui sont exposés au public parisien. Londres en a environ 5000 ; Berlin, à peu près autant ; Naples, plus de 4000.

[31] Il existe au musée du Louvre une riche collection de terres cuites, avec un excellent catalogue de M. Heuzey.

[32] Dans l’histoire de l’art grec, on appelle période mycénienne celle qui a précédé l’arrivée des Doriens dans le Péloponnèse ; elle s’étend du XVe au XIIIe siècle av. J.-C.

[33] Ces deux vases ont été trouvés en 1888 dans un tombeau de la plaine de Sparte, à l’ouest du hameau de Vaphio ; ils remontent à la période mycénienne.

[34] Le Bosphore Cimmérien était le détroit actuel d’Iénikaleh, entre la mer Noire (Pont-Euxin) et la mer d’Azov (Palus-Méotide). De bonne heure, les Grecs y fondèrent des colonies (Panticapée, Phanagorie, Tanaïs, Théodosia, etc.) qui finirent par tomber sous la domination des barbares du voisinage. Ainsi se forma le royaume, moitié hellénique, moitié scythe, du Bosphore, dont les chefs furent au IVe siècle Satyros (407-395), Leucon et Spartocos (393-318), et Pairisadès (348-310). Ces princes entretinrent des relations très amicales avec Athènes qui tirait du pays une grande quantité de blé.

[35] Près de Kertch (Panticapée).

[36] Ce fut un Français, Paul Dubrux, directeur des salines de Kertch, qui eut le premier l’idée de fouiller ces nécropoles antiques (1816). On continua après lui, et, aujourd’hui, les trouvailles qu’on y a faites sont une des richesses du Musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg.

[37] Le texte a été déchiffré par M. Weil, la mélodie transcrite et restituée par M. Th. Reinach ; M. G. Fauré lui a composé un accompagnement discret, où son art très moderne a su se faire suffisamment antique pour la circonstance.

[38] Le système de notation antique est très simple. Il n’a ni portées, ni clefs, ni armatures, ni indications de durée ou de mesure. Tout se réduit, pour chaque note, à un signe unique qui en indique l’acuité absolue ; lorsqu’une note est répétée plusieurs fois de suite, elle ne s’écrit qu’une fois, sur la première syllabe ; quant à la durée, elle résulte nécessairement do la constitution rythmique du texte chanté.