SOMMAIRE. — 1.
Sentence d’arbitrage entre deux cités. — 2. Paix de Nicias. — 3. Un ancien
traité d’alliance. — 4. Traité d’alliance et de commerce entre la Macédoine
et Chalcis. — 5. Concession d’un monopole commercial. — 6. Le droit de
représailles en Grèce. — 7. Convention monétaire. — 8. Les proxènes. — 9. La
colonisation grecque des VIIIe et VIIe siècles. — 10. Les colonies
athéniennes du Ve et du IVe siècle. — 11. Amphictyonie de Delphes. — 12. La
première Confédération athénienne. — 13. La ligue achéenne. 1. — SENTENCE D’ARBITRAGE ENTRE DEUX CITÉS (416 AV. J.-C.). Les Méliens et les Cimoliens ayant déclaré qu’ils accepteraient la décision des Argiens relativement aux îles en litige, le peuple des Argiens a jugé qu’aux Cimoliens appartenaient Polyæga, Hétéria, et Libia. Leur jugement donne gain de cause aux Cimoliens. Lobas, Inscriptions d’Asie Mineure, 1. 2. — PAIX DE NICIAS (421 AV. J.-C.). Les Athéniens et les
Lacédémoniens, ainsi que leurs alliés, ont fait la paix aux conditions
suivantes, dont chaque ville a juré l’observation : En ce qui concerne les temples communs à toute la Grèce, chacun pourra s’y rendre, sacrifier, consulter les oracles, assister aux fêtes, conformément aux usages de nos pères, soit par terre, soit par mer, avec une entière sécurité. Le temple d’Apollon à Delphes, et les habitants de Delphes, seront indépendants, affranchis de tout tribut, de toute juridiction étrangère, eux et leurs territoires, conformément aux usages de nos pères. La paix durera cinquante ans entre les Athéniens et leurs alliés d’une part, les Lacédémoniens et leurs alliés d’autre part, sans dol ni fraude, soit sur terre, soit sur mer. Tout acte d’hostilité est interdit aux Lacédémoniens et à leurs alliés envers les Athéniens et leurs alliés, ainsi qu’aux Athéniens et à leurs alliés envers les Lacédémoniens et leurs alliés. S’il s’élève entre eux quelque différend, ils auront recours aux voies légales et aux serments, et se conformeront aux transactions qui seront intervenues. Les Lacédémoniens et leurs alliés rendront aux Athéniens Amphipolis. Dans toutes les villes restituées par les Lacédémoniens, les habitants seront libres de se retirer où bon leur semblera, en emportant leurs biens. Ces villes se gouverneront d’après leurs propres lois.... Ce sont Argilos, Stagire, Acanthe, Scolos, Olynthe, Spartolos. Elles ne seront alliées ni de Lacédémone ni d’Athènes. Toutefois, si les Athéniens les persuadent d’entrer dans leur alliance, elles le pourront de leur plein gré.... Les Lacédémoniens et leurs alliés rendront aux Athéniens Panacton. Les Athéniens rendront aux Lacédémoniens Coryphasion, Cythère, Méthone, Ptéléos et Atalante. Les deux parties contractantes se restitueront mutuellement leurs prisonniers.... De part et d’autre, on prêtera le serment réputé le plus solennel dans chaque ville. La formule sera conçue en ces termes : Je serai fidèle aux conventions et stipulations du « présent traité en toute justice et sans aucune fraude. Ce serment sera renouvelé tous les ans. II sera gravé sur des stèles placées à Olympie, à Delphes, à l’isthme de Corinthe, à Athènes dans l’Acropole, à Lacédémone dans l’Amycléon.... Le traité date de réphorat de Plistolas, le 4e jour de la dernière décade du mois Artémisios ; à Athènes, de l’archontat d’Alcéos, le 6e jour de la dernière décade du mois Élaphébolion. Ont juré et fait les libations : pour les Lacédémoniens (suivent 45 noms), pour les Athéniens (17 noms). Thucydide, V, 18-19 ; trad. Bétant. 3. — UN ANCIEN TRAITÉ D’ALLIANCE. Traité entre les Éléens et les Héréens[1]. Qu’il y ait alliance pour cent ans, et qu’elle commence cette année. S’il est besoin de parler[2] ou d’agir, que les deux peuples s’unissent, et pour toute autre chose et pour la guerre ; s’ils ne s’unissent pas, que ceux qui auront rompu le traité paient un talent d’argent à Zeus Olympien. Si quelqu’un détruit la présente écriture, soit magistrat, soit peuple, qu’il soit frappé de l’amende sacrée ici inscrite. Michel, Recueil d’inscriptions grecques, 1. 4. — TRAITÉ D’ALLIANCE ET DE COMMERCE ENTRE LA MACÉDOINE ET CHALCIS (ENTRE 389 ET 383 av. J.-C.). Traité entre Amyntas, fils d’Arrhidæos, et les Chalcidiens. L’alliance est conclue entre eux pour une durée de cinquante années envers et contre tous. Si quelqu’un attaque Amyntas, il sera également en guerre avec les Chalcidiens. S’il attaque les Chalcidiens, il sera également en guerre avec Amyntas.... Les Chalcidiens pourront exporter de la poix et des bois propres à la construction des maisons et des navires, sauf les bois de sapin, à moins que l’État lui-même de Chalcis n’en ait besoin. Dans ce cas, l’exportation même des bois de sapin sera permise, après que les Chalcidiens en auront donné avis à Amyntas et qu’ils auront payé les droits établis. Pour tous les autres objets, l’exportation et le transit seront autorisés, sous réserve des droits à payer, soit de Macédoine à Chalcis, soit de Chalcis en Macédoine. Ni Amyntas ni les Chalcidiens ne feront amitié séparément avec les gens d’Amphipolis, de Bottiaea, d’Acanthe ou de Mendé ; niais ils traiteront avec eux d’un commun accord, si cela leur plaît. Serment de l’alliance.... Michel, Ibid., 5. 5. — CONCESSION D’UN MONOPOLE COMMERCIAL. Les trois villes de l’île de Céos, Carthæa, Corésos, et tune, rendirent des décrets à peu près identiques pour accorder aux Athéniens le monopole de l’exportation de leur vermillon. Voici le décret d’Iulis : Décret du conseil et du peuple d’Iulis. Au sujet de la demande des Athéniens, le conseil et le peuple d’Iulis ont décidé que le vermillon serait exporté à Athènes, et nulle part ailleurs, à dater de ce jour. Si un individu l’exporte ailleurs, la barque et toute la cargaison seront confisqués. La moitié appartiendra au dénonciateur. Si le dénonciateur est un esclave, il sera libre et il obtiendra un tiers (?) des objets confisqués. L’exportateur devra exporter le vermillon de Céos sur la barque que les Athéniens auront désignée ; sinon, il sera passible de.... S’il plaît aux Athéniens de prendre d’autres mesures pour s’assurer le monopole du vermillon, elles auront force de loi. Il ne sera payé aucun droit d’exportation (?) à partir du mois d’Hermaon.... Les dénonciations seront reçues à Athènes par les.., à Iulis, par les... et les prostates. Ceux qui auront été convaincus d’avoir exporté en violation de la loi auront leurs biens confisqués ; la moitié de ces biens sera dévolue au peuple d’Iulis, l’autre moitié au dénonciateur. Le conseil fera graver ce décret qui sera placé sur le port. Corpus inscript. Attic., t. II, 546. 6. — LE DROIT DE REPRÉSAILLES EN GRÈCE. Les plus anciens exemples de représailles se trouvent dans Homère. Nestor, dans l’Iliade, raconte une expédition faite par lui contre les Épéens qui avaient refusé de faire droit à ses réclamations (Iliade, XI, 670 et suiv.). Les intéressés prirent les armes sous sa conduite, ramenèrent de nombreux troupeaux et se les partagèrent pour, se payer de ce qui leur était dû. L’Odyssée parle d’une expédition du même genre, faite par Ulysse (Odyssée, XXI, 17 et suiv.). Ces représailles s’appelaient ρύσια ou σΰλαι. L’usage en fut de bonne heure réglé par les traités. Un des plus grands avantages que deux villes grecques pussent se conférer l’une à l’autre était la renonciation au droit de représailles, et par suite la sécurité pour les personnes et les biens (άσυλία et άσφάλεια). En l’absence d’un traité pareil, l’immunité dont il s’agit pouvait être conférée à titre de privilège personnel et héréditaire, par de simples décrets, aux étrangers qui avaient rendu des services, notamment aux proxènes. C’est par centaines que se comptent les monuments épigraphiques portant des traités ou des décrets de ce genre. La formule, presque toujours la même, est parfois accompagnée de clauses accessoires qui méritent d’être signalées. Ainsi l’άσυλία est généralement accordée tant sur mer que sur terre, et pour le cas de paix comme pour le cas de guerre. Toute infraction à la prohibition de la loi donne lieu à une amende, indépendamment de la mise en liberté des personnes et de la restitution des choses saisies. Une action en justice est ouverte à cet effet non seulement à l’étranger victime d’une saisie illégale, mais à toute personne, parce qu’il s’agit d’un fait qui touche à l’ordre public. Un des traités les plus remarquables, relatifs aux σΰλαι, est le traité passé au Ve siècle avant notre ère entre les deux villes locréennes d’Œanthé et de Chaléion. Les deux villes s’entendent pour supprimer absolument les (eut sur terre, niais elles les maintiennent sur mer, à l’exception du port. Toute saisie faite sans droit est punie d’une amende de quatre drachmes, et le saisissant doit restituer dans les dix jours ; faute de quoi, il est tenu de rendre moitié en sus. Les réclamations sont portées, suivant les cas, devant des juges différents. Si, par exemple, l’Œanthéen demandeur est établi à Chaléion comme métèque, il s’adressera aux tribunaux ordinaires de Chaléion. S’il n’est pas métèque, il s’adressera aux magistrats spéciaux institués à Chaléion sous le titre de juges des étrangers (ξενοδίκαι), et choisira parmi les notables de Chaléion neuf ou quinze jurés, selon l’importance de l’affaire. Enfin si l’action est intentée d’office par un citoyen de Chaléion, agissant au nom de l’ordre public, le tribunal est formé de jurés en nombre impair, choisis parmi les damiurges, qui sont les principaux magistrats de la ville, et jugeant à la majorité. (Röhl, Inscript. Græcæ antiq., 322.) D’autres traités plus récents confèrent la juridiction en matière de prises à l’arbitrage d’une ville tierce ou à un tribunal commun, qui parait être un tribunal mi-parti. En l’absence de traité, les représailles étaient de droit commun et de pratique constante. Lysias dit. que les Béotiens exerçaient des représailles contre les Athéniens, parce qu’ils ne pouvaient obtenir le payement d’une créance de deux talents (Contre Nicomaque, 12). Démosthène montre certains triérarques enlevant tout ce qui se trouve à leur convenance, exposant ainsi leurs concitoyens à tontes sortes de représailles, les réduisant à ne plus pouvoir se rendre à l’étranger sans sauf-conduit (Pour la couronne triérarchique, 13). Dans le plaidoyer contre Lacrite se lit un contrat de prêt maritime consenti par un Athénien et un Eubéen à des Phasélites. Il y est stipulé que si le navire fait relâche dans l’Hellespont, les marchandises seront mises à terre dans un lieu où elles soient à l’abri des représailles.... Parfois l’État prenait les représailles à son compte et s’en chargeait à titre d’entrepreneur. Les habitants de Chalcédoine avaient besoin d’argent pour payer leurs mercenaires. Ils invitèrent les citoyens et métèques ayant des représailles à exercer contre une ville ou un particulier, à en faire la déclaration. Ils chargèrent d’exercer ces représailles sur les navires qui se rendaient au Pont-Euxin, et qu’ils arrêtèrent sous ce prétexte. (Pseudo-Aristote, Économique, II, 12.) Dans la période macédonienne, l’usage des représailles ne fut pas moins fréquent, mais parait avoir été subordonné à l’autorisation du gouvernement. Au temps de Polybe, la justice ne se rendait plus en Béotie. Quelques Achéens, ne pouvant recouvrer les créances qu’ils avaient sur des gens de ce pays, obtinrent de Philopœmen, stratège de leur ligne, la permission d’exercer des représailles. Ailleurs on voit les Crétois d’Éleuthernes délivrer des lettres de marque contre les Rhodiens. Une autre fois, les Détiens réfugiés en Achaïe veulent exercer des représailles contre les Athéniens, mais les Achéens s’y opposent. En résumé, les représailles étaient considérées comme un acte juridique, une procédure internationale, servant de garantie et de sanction à un droit. C’était une institution qu’il ne faut pas confondre ni avec la course ni avec le brigandage et la piraterie. La course était un acte d’hostilité qui ne s’exerçait qu’en temps de guerre. Quant au brigandage et à la piraterie, c’étaient des faits de violence, souvent impunis, mais toujours tenus pour illégitimes. Dareste, Séances et travaux de l’Académie des sciences morales, t. CXXXIII, pp. 358-364. 7. — CONVENTION MONÉTAIRE. Chaque cité avait son système monétaire, car le droit de battre monnaie était l’indice de la souveraineté. Légalement, les monnaies de l’une quelconque d’entre elles étaient sans valeur dans la ville voisine, et il fallait, quand on allait à l’étranger, changer ses espèces contre celles du pays oh l’on arrivait. On devine les inconvénients qui résultaient de là, en raison du morcellement extrême de la Grèce. On essaya avec le temps de les atténuer. Au milieu de la diversité si grande des monnaies, il n’était pas rare que le commerce en choisît librement une, qui devenait ainsi l’instrument privilégié des échanges internationaux. Quels que fussent leur pays et leur résidence, les négociants s’engageaient et payaient en sommes de cette monnaie ; on pouvait la porter partout, car elle trouvait toujours en banque un cours de faveur. Tel fut le rôle que jouèrent au Ve et au IVe siècle les tétradrachmes d’Athènes et les statères de Cyzique, plus tard, les pièces frappées par la Macédoine. On fit même un pas de plus, et certains États eurent l’idée de conclure entre eux des conventions analogues à celle qui unit aujourd’hui la France, l’Italie, la Suisse, la Belgique et la Grèce. Par ces traités, les parties contractantes établissaient une forme de numéraire, d’un poids, d’un titre et d’une valeur convenus, qui devait avoir cours légal sur les marchés de l’un et de l’autre. Elles réglaient dans quelles proportions chacune pourrait en frapper chez elle ; et, si elles usaient d’un atelier commun, on déterminait la part de frais ou de bénéfices qu’aurait chaque cité. Nous possédons un fragment d’une convention de ce genre entre Phocée et Mytilène. (Michel, Recueil d’inscriptions grecques, 8.) Les deux villes émettront les espèces réglées par le traité, à tour de rôle pendant une année, et l’atelier de l’autre chômera pendant ce temps. Les pièces frappées à Phocée circuleront librement à Mytilène, et réciproquement. Le monnoyer qui aura fraudé sur le titre légal et augmenté indûment les proportions de l’alliage sera passible de la peine de mort. Responsable devant les deux cités, il sera jugé dans sa propre ville devant un tribunal mixte. D’après Lenormant, la Monnaie dans l’antiquité, II, pp. 54-63. 8. — LES PROXÈNES. Les proxènes ressemblaient beaucoup à nos agents consulaires. Mais, tandis que chez nous les consuls ne sont pas toujours sujets de l’État où ils résident, en Grèce c’était l’usage qu’ils le fussent. Ainsi les intérêts des Athéniens étaient protégés à Éphèse, non par un Athénien, mais par un Éphésien auquel le peuple d’Athènes conférait le titre de proxène, avec certains privilèges et certaines immunités. Les devoirs du proxène étaient à la fois d’ordre diplomatique et d’ordre consulaire. Les citoyens de l’État qui l’avait nommé pouvaient réclamer de lui l’hospitalité, faire appel à sa protection et à ses bons offices dans leurs procès. Il payait la rançon des prisonniers de guerre, -assurait une sépulture convenable aux individus morts pendant la guerre, et, dans le cas d’un décès, administrait les biens du défunt et les délivrait aux héritiers. En cela ses fonctions correspondaient à celles d’un consul moderne. Mais il en avait aussi qui le rapprochaient de nos ambassadeurs. C’était lui qui présentait aux autorités et à l’Assemblée du peuple les députés de l’État dont il était le proxène ; il devait faciliter l’accomplissement de ces missions par son influence personnelle sur ses concitoyens. Dans les cités grecques, les auberges étaient généralement fort médiocres, et les devoirs d’hospitalité qui incombaient au proxène lui causaient de lourdes dépenses, tandis que d’autre part la nature de ses attributions l’obligeait sans cesse d’avancer de l’argent à des voyageurs en détresse, qui ne le remboursaient pas toujours. Comme compensation à ces charges, il recevait des privilèges souvent héréditaires : par exemple le libre accès auprès du sénat et de l’assemblée de la cité qu’il représentait, la protection assurée à sa personne et à ses biens, sur terre et sur mer, en guerre et en paix, la liberté du transit, d’importation et d’exportation, le droit d’acquérir des terres, l’exemption de certaines taxes, parfois l’isopolitie, c’est-à-dire la jouissance de tous les droits civils. Newton, dans Reinach, Traité d’épigraphie grecque, pp. 45-47. 9. — LA COLONISATION GRECQUE DES VIIIe ET VIIe SIÈCLES. Les Grecs, en fondant leurs colonies, ne firent que suivre l’exemple des Phéniciens, qui longtemps avant eux avaient parcouru les côtes de la Méditerranée pour y établir des comptoirs. Mais, à la différence de leurs précurseurs, ils créèrent plus que de simples marchés ; ce furent des villes qu’ils élevèrent par centaines depuis le fond du Pont-Euxin jusqu’aux colonnes d’Hercule. Cette expansion de la Grèce ne fut point l’œuvre de telle ou telle race particulière ; toutes y participèrent, les Achéens et les Doriens, comme les Ioniens. Elle ne fut même pas l’œuvre exclusive des cités maritimes ; très souvent aussi les colons furent fournis par des cités continentales, et il n’y a pas eu dans toute la Grèce un seul canton qui soit demeuré étranger à ce courant d’émigration. Il fut provoqué par des raisons très diverses : le goût des aventures et l’amour du changement, la surabondance de la population, la concentration des terres dans les mains de l’aristocratie, les discordes civiles, un fléau qui s’abattait sur une contrée, une sentence de bannissement, la conquête étrangère, la nécessité de chercher au dehors des débouchés commerciaux, tels sont les motifs qui obligèrent les Grecs à multiplier leurs colonies. De proche en proche, ils occupèrent toutes les côtes de la Méditerranée, pénétrant peu à l’intérieur, sauf en quelques points, se bornant presque toujours à s’approprier sur le littoral, sinon une étroite banlieue, du moins un territoire assez restreint, d’où leur action rayonnait dans tous les sens. Leur diffusion s’arrêta aux limites du monde alors connu, et il se forma ainsi, hors de l’Hellade proprement dite, une Hellade nouvelle, disséminée partout, toute en longueur, morcelée en une foule de cités autonomes, mais où persistait cependant une certaine unité, fondée sur la parenté de race, sur la similitude des institutions, sur l’identité des croyances et sur la communauté des intérêts. Ces colonies primitives étaient, pour la plupart, des entreprises privées. La ville d’où partait chacune d’elles se contentait de fournir le feu sacré, destiné au foyer de la cité nouvelle, et le personnage religieux qui serait chargé d’accomplir les cérémonies de la fondation. Ce double bienfait suffisait pour établir entre la métropole et la colonie un lien durable. Mais celui-ci ne devait à l’autre que certaines marques de respect et de déférence. Elle n’était tenue ni de lui obéir ni de lui prêter son appui. S’il lui arrivait parfois d’implorer son aide, c’est parce qu’elle y trouvait son avantage, et elle était absolument libre de s’adresser ailleurs. Elle lui achetait volontiers ses produits et lui vendait les siens, mais elle n’était nullement forcée de lui donner la préférence. En général, elle vivait avec elle sur un pied de bonne amitié ; mais il n’était pas rare que cette amitié fit place à la haine, même à la guerre, pour peu qu’il y eût entre elles quelque divergence d’intérêt. Quand une colonie est bien traitée, disaient les Corcyréens, elle respecte la métropole ; si elle est opprimée, elle s’en détache. Lorsqu’on quitte le sol natal, on ne devient pas l’esclave de ceux qu’on laisse derrière soi, on demeure leur égal. (Thucydide, I, 34.) 10. — LES COLONIES ATHÉNIENNES DU Ve ET DU IVe SIÈCLE. Plutarque a marqué avec justesse le double objet que se proposaient les Athéniens par l’envoi de leurs colonies : d’un côté, soulager les pauvres et débarrasser la ville d’une foule turbulente ; de l’autre, occuper fortement les positions les plus propres à maintenir leurs alliés. Ces deux caractères, militaire et économique, se trouvent le plus souvent réunis ; parfois aussi l’un des deux domine. Potidée assure la possession de la Chalcidique ; Lemnos et Imbros veillent sur la mer de Thrace et sur les peuples barbares de la côte ; la Chersonèse remplit le même rôle pour l’Hellespont. On peut voir surtout l’intention de fournir des ressources aux citoyens pauvres dans la clause du décret de Bréa qui réserve les lots de terre aux deux dernières classes. Souvent encore, les Athéniens paraissent n’avoir songé qu’à jouir des fruits de la victoire en dépouillant les vaincus ; telle est la clérouquie de Lesbos, dont les colons affermèrent leurs lots aux propriétaires. Le ressentiment contre des ennemis acharnés et l’avidité des vainqueurs paraissent avoir été la principale cause de l’expulsion des Éginètes, des Méliens, des Samiens. La plupart des colonies n’eurent aucun caractère commercial, et les Athéniens ne voulurent pas, comme les Phéniciens, fonder des établissements pour développer le trafic avec des pays éloignés. Si quelques points ont été occupés pour garantir la sécurité de leur commerce, c’est seulement lorsque ce commerce était nécessaire à la vie de l’État. Ainsi la Chersonèse de Thrace protégeait le passage des convois dg blé qui arrivaient de la mer Noire ; de même le besoin qu’avait la marine athénienne des bois de la Thrace et de la Macédoine rendait utile la possession de Lemnos, d’Imbros et de quelques villes de la Chalcidique. Les colonies étant principalement des positions stratégiques, on ne pouvait laisser aux particuliers l’initiative de ces fondations, ni reconnaître à ces établissements une entière indépendance. C’est donc l’État qui fonde les clérouquies ; il arme les colons à leur départ, les transporte, leur distribue des lots de terre et les protège. Pour maintenir une étroite union avec la métropole, on leur conserve le titre et les droits des citoyens athéniens. L’éloignement entraîne sans doute pour ces petites cités une certaine autonomie, mais leur constitution est calquée sur celle d’Athènes. Les colons, déjà rattachés par tant de liens à la mère patrie, continuent d’obéir à ses lois et à ses décrets. Ces clérouquies, en un mot, sont une espèce d’Attique extérieure et forment une véritable fédération coloniale. Foucart, Mémoires présentés à l’Académie des inscriptions, tome IX, 1re partie, pp. 407409. 11. — AMPHICTYONIE DE DELPHES. L’amphictyonie de Delphes n’était pas la seule qui existât dans le monde grec ; mais elle était la plus importante de toutes. Elle comprenait douze peuples : Thessaliens, Phocidiens, Doriens de la Doride et du Péloponnèse, Ioniens d’Athènes et Ioniens d’Eubée ou d’Ionie, Béotiens, Achéens Phthiotes, Maliens, Œtéens, Perrhèbes et Dolopes, Magnètes, Ænianes, Locriens. Chacun d’eux avait deux voix. Mais quelques-uns de ces peuples, les Ioniens et les Doriens, ayant pris un accroissement extraordinaire et s’étant fractionnés en plusieurs États, il fallut partager aussi les suffrages. Les villes eurent donc tantôt un suffrage entier, tantôt une moitié ou même une part plus petite de suffrage. Par exemple, les Ioniens avaient deux suffrages, dont l’un appartenait à Athènes, l’autre aux Ioniens d’Eubée ou d’Asie. De même pour les Doriens ; Lacédémone possédait l’une des deux voix, la seconde appartenait aux autres villes de la Doride. On ne sait pas trop comment faisaient les cités qui avaient à plusieurs un suffrage unique. Élisaient-elles toutes ensemble un seul député, ou bien avaient-elles chacune un quart, un cinquième de vote ? Les documents ne nous éclairent pas sur ce point. Le conseil des amphictyons tenait deux assemblées par an, l’une aux Thermopyles, l’autre à Delphes. Il avait avant tout un caractère religieux ; c’était lui qui administrait le temple si riche d’Apollon et qui faisait célébrer les jeux Pythiens. Il avait en outre un certain droit de juridiction sur les villes confédérées ; il pouvait examiner les plaintes qu’une d’entre elles portait contre une autre, et prononcer des amendes. Mais, dès qu’un intérêt politique se trouvait en jeu, ses décisions n’étaient guère respectées. D’abord les grands Etats, tels que Sparte et Athènes, n’étaient guère d’humeur à se soumettre aux volontés d’un conseil où les suffrages étaient répartis d’une façon si bizarre. En second lieu, les amphictyons n’avaient à leur disposition aucune force matérielle, et leur autorité morale n’y suppléa jamais. Ils ne réussirent à jouer un rôle quelque peu important qu’au IVe siècle, mais ce fut à la condition de servir l’ambition de Philippe de Macédoine, et de concourir avec lui à l’asservissement de la Grèce. Foucart, Dict. des antiq., t. I, pp. 235-237. 12. — LA PREMIÈRE CONFÉDÉRATION ATHÉNIENNE. Après les batailles de Salamine, de Platées et de Mycale, les Athéniens s’efforcèrent de former une vaste confédération qui empêchât tout retour offensif des Perses, et qui même fût capable de les refouler loin des côtes de l’Archipel, en leur enlevant les villes grecques d’Asie Mineure. Les succès militaires de Cimon et la diplomatie d’Aristide eurent pour effet de grouper autour d’elle presque toutes les cités maritimes de la mer Égée, et ainsi naquit une ligue qui marque la tentative la plus sérieuse des Grecs pour arriver à l’unité politique. Cette ligue était placée sous le patronage d’Apollon, et avait son centre dans l’île sacrée de Délos. Elle avait un conseil fédéral, qui s’assemblait périodiquement ; chaque cité fournissait des navires et des soldats, ou une contribution annuelle ; et le chiffre total des subsides atteignait le chiffre de 460 talents (2 millions 700.000 fr.). A la longue, la confédération de Délos changea de caractère. Quand les alliés s’aperçurent que les Perses n’avaient plus de flottes dans l’Archipel ni de garnisons sur les côtes, ils furent tentés de croire que leur union était désormais inutile, et le lien fédéral commença à se relâcher. On eut moins de goût qu’auparavant pour les affaires communes ; on cessa d’envoyer des délégués à Délos ; on mit plus de mollesse à remplir ses obligations ; on se plaignit de leur lourdeur, et on ne désira plus que de s’y soustraire. Athènes ne favorisa cette tendance que dans la mesure où elle pouvait y trouver elle-même son compte. Ainsi le trésor fut transféré de Délos à Athènes. Les villes, sauf deux ou trois, furent dispensées de leur prestation en navires, et la remplacèrent par le paiement d’un tribut. Il n’y eut plus enfin d’assemblée fédérale, et le peuple athénien gouverna désormais la ligue sans contrôle, en faisant d’elle un véritable empire. Primitivement ces divers États étaient pour lui des alliés ; plus tard ils ne furent plus que des sujets. Leurs subsides étaient à ses yeux des impôts, qu’il avait le droit d’augmenter ou de diminuer à son gré. Il était libre d’employer ces fonds comme il l’entendait, de les affecter aux besoins de la république, pourvu qu’il garantit en même temps la sécurité des États confédérés, et la flotte n’était pas moins destinée à les maintenir dans l’obéissance qu’à les défendre contre les ennemis extérieurs. Athènes allait jusqu’à intervenir dans le gouvernement intérieur des cités. Elle voulait qu’elles fussent organisées en démocratie ; elle favorisait les révolutions qui devaient y amener la chute du parti aristocratique ; elle y concourait même de son mieux, et parfois elle rédigeait la constitution nouvelle, dont elle assurait la durée par l’envoi d’une garnison. Elle ne se contentait pas de punir tout allié qui se rendait coupable de quelque infraction au pacte fédéral ; elle jugeait même les crimes de droit commun, du moins les plus graves ; un Mytilénien accusé d’un assassinat commis hors de l’Attique fut traduit devant les héliastes athéniens. Les clauses du traité conclu entre Athènes et Chalcis, au moment où celle-ci entra dans l’empire, montrent bien l’étendue des obligations que contractaient les cités sujettes. Tout Chalcidien dut prêter le serment suivant : Je ne me séparerai du peuple des Athéniens par aucune ruse ni manœuvre, ni en paroles ni en actions, et je n’obéirai point à quiconque se séparerait d’eux. Si quelqu’un pousse à la défection, je le dénoncerai aux Athéniens. Je paierai le tribut comme je leur aurai persuadé de le fixer, et je serai le plus possible un bon et fidèle allié. Je me porterai au secours et à la défense du peuple athénien si quelqu’un lui fait tort, et je lui obéirai. Les Chalcidiens avaient la faculté de juger leurs magistrats sortis de charge. Mais s’ils les condamnaient à l’exil, à l’atimie ou à mort, ceux-ci pouvaient en appeler aux jurés athéniens. Les Athéniens, de leur côté, prirent des engagements dont le vague leur laissait une grande latitude. Le Conseil et les jurés durent jurer cette formule : Je ne chasserai point les Chalcidiens de Chalcis, et je ne détruirai pas leur ville. Je ne prononcerai contre aucun particulier ni l’atimie ni l’exil ; je ne priverai de la liberté, je ne condamnerai à la mort ni à la confiscation aucun d’eux, sans l’avoir entendu, à moins d’une décision contraire du peuple athénien. Je ne mettrai aux voix, sans citation préalable, aucune résolution contre la cité ni contre aucun particulier. (Dittenberger, Sylloge inscr. Græcar., 10.) 13. — LA LIGUE ACHÉENNE. La ligue achéenne, arrivée à sa plus grande extension vers 190 av. J.-C., embrassa tout le Péloponnèse. On a dit d’elle qu’elle fut la plus parfaite, la plus homogène des confédérations helléniques, celle qui sut le mieux concilier la souveraineté que gardaient les différentes cités avec l’existence d’un pouvoir central investi d’une autorité effective. Sans entrer dans le détail de son organisation, il suffira de rappeler qu’elle avait à sa tête un congrès, et que dans ce congrès chaque allié avait une voix. L’Assemblée avait la haute main dans la direction des affaires extérieures de la ligue. Ses décrets décidaient seuls de la paix et de la guerre, consacraient les alliances, nommaient les ambassadeurs envoyés au dehors ; c’était elle enfin qui recevait les représentants des puissances étrangères et qui leur donnait réponse. Elle réglait les contingents militaires qui seraient demandés aux cités confédérées, et en déterminait l’emploi. Elle administrait le trésor fédéral alimenté par les contributions des villes, votait les crédits nécessaires, et vérifiait les comptes des magistrats. Elle avait aussi des attributions judiciaires ; mais sa compétence se bornait aux crimes et délits commis au détriment de l’Union. Il faut d’ailleurs ajouter que le congrès n’était convoqué qu’à de longs intervalles et pour une très courte durée, et qu’il ne pouvait trancher toutes ces questions qu’après des études préparatoires faites par les magistrats fédéraux. (Dubois, les Ligues étolienne et achéenne, p. 141 et suiv.) Chaque cité, dans le sein de la ligue, conservait une part notable d’autonomie. Chacune avait, sauf les exceptions que la sécurité de l’association rendait nécessaires, ses lois, ses magistrats, ses finances, ses tribunaux. Le pouvoir central n’intervenait activement, dans les affaires locales, qu’à la dernière extrémité. Même les relations des membres de l’Union avec les États étrangers restèrent très libres. (Ibid., p. 183.) La monnaie était uniforme de poids, de titre, de valeur et de types ; mais chaque ville en frappait chez elle une certaine quantité, en prenant pour elle les dépenses et les profits, sous la responsabilité de ses propres magistrats, et comme signe de cette responsabilité, ainsi que comme moyen de contrôle pour les autorités fédérales, elle y plaçait, à côté des types communs de la ligue, sa marque particulière et la signature de son magistrat. (Lenormant, la Monnaie dans l’antiquité, p. 101.) En somme, c’est dans la ligue achéenne que les Grecs réussirent le mieux à constituer une forte autorité centrale, sans assujettir les cités qui la composaient à la prépondérance exclusive de l’une d’entre elles. |