DE LA RÉFORME DES COMICES CENTURIATES AU IIIe SIÈCLE AV. J.-C.

 

par Paul Giraud

 

 

I. — Système de M. Mommsen.

On sait que Servius Tullius avait proportionné le service militaire à la fortune. Il avait voulu que chacun eût dans l’armée la place que lui assignait sa richesse, que tel chiffre de cens fit entrer un citoyen dans la cavalerie, tel autre dans les premiers rangs de l’infanterie, tel autre dans les derniers, enfin que la pauvreté fût une cause d’exemption[1]. De là tout un système de classes et de centuries[2], où furent répartis, sans distinction de naissance, les patriciens et les plébéiens.

Au sommet de cette hiérarchie étaient les chevaliers, groupés en dix-huit centuries. Deux conditions étaient requises pour être admis parmi eux. Il fallait d’abord être choisi par les magistrats[3], et en second lieu posséder au moins 100.000 as, c’est-à-dire 56.000 francs environ[4]. Si l’on réfléchit d’une part que, pour déterminer le cens, les Romains ne tenaient compte que des biens fonciers[5], de l’autre que, pour convertir les as en francs, les modernes se préoccupent de la valeur intrinsèque de cette monnaie, non de sa valeur relative, laquelle est beaucoup plus élevée[6], on se convaincra que cette somme de 100.000 as représente un capital considérable et que peu de citoyens devaient y atteindre.

L’infanterie était divisée en cinq classes. Dans les trois premières, sinon dans toutes[7], on distinguait les juniores qui formaient l’armée active, et les seniores qui formaient une sorte d’armée territoriale : la limite d’âge qui les séparait semble avoir été fixée à quarante-cinq ans[8]. La première classe avait un cens égal à celui des chevaliers et se composait de quatre-vingts centuries[9]. La deuxième avait un cens de 75.000 as (42.000 francs), et comprenait vingt centuries ; Denys d’Halicarnasse y rattache deux centuries d’ouvriers (fabri) qui sont rattachées par Tite-Live à la première classe. La troisième avait encore vingt centuries, avec un cens de 50.000 as (28.000 francs). La quatrième, qui possédait un cens de 25.000 as (14.000 francs), et la cinquième, qui en possédait un de 12.500 as (7.000 francs), avaient respectivement vingt et trente centuries. Il faut y joindre deux centuries de musiciens (cornicines et tubicines), que Denys réunit à la quatrième classe et Tite-Live à la cinquième. Enfin les citoyens qui avaient une fortune inférieure à 12.500 as étaient tous confondus, sous le nom de prolétaires[10], dans une centurie unique, qui était au-dessous des classes, infrà classem, en raison de leur pauvreté, ils étaient dispensés à la fois du service militaire et de l’impôt personnel.

L’armée romaine ne tarda pas à prendre une grande place dans l’État et à devenir la principale assemblée de la République ; elle nomma les consuls, elle fit les lois, elle jugea les particuliers et les magistrats. Mais rien ne fut changé à son organisation ; on se contenta de décider que les classes et les centuries, qui d’abord étaient simplement des cadres militaires, seraient aussi des cadres politiques. Dans ces comices, on votait non par tête, mais par centurie. Or, sur un chiffre total de 193 centuries, les chevaliers et les citoyens de la première classe s’en étaient réservé 98, c’est-à-dire plus de la moitié. Il leur suffisait donc d’être d’accord entre eux pour avoir la majorité ; et, dans ce cas, les autres classes n’étaient même pas consultées, car c’était l’usage à Rome que le vote cessât dés qu’une majorité quelconque était acquise. Les riches avaient un second avantage. Les diverses centuries ne votaient pas simultanément, mais par ordre de préséance, et on proclamait au fur et à mesure le résultat. Or les Romains étaient portés à considérer comme l’expression de la volonté des Dieux le vote connu le premier, si bien que le plus souvent la centurie prérogative dictait aux autres leurs suffrages[11]. On avait eu soin, pour ce motif, de stipuler que l’ordre de préséance serait l’ordre même des classes, que par suite les chevaliers passeraient en tête, et que la prérogative serait toujours une de leurs centuries[12]. — Ainsi, dans l’assemblée centuriate, tout était disposé en vue des intérêts de l’aristocratie : les riches y dominaient, les gens de condition moyenne y comptaient rarement pour quelque chose, et les pauvres n’y comptaient pour rien.

Il y avait à Rome une autre assemblée, qui présentait un caractère tout différent ; c’était l’assemblée par tribus. Les tribus avaient été créées, comme les centuries, par Servius Tullius. On en établit d’abord quatre, puis vingt et une, et peu à peu leur nombre fut porté à trente-cinq[13]. Là, point de distinction fondée sur la naissance ou la fortune ; tous les citoyens étaient inscrits dans les tribus d’après leur domicile, et chacune d’elles avait dans son sein des patriciens et des plébéiens, des riches et des pauvres, en un mot des personnes de toute origine et de tout rang. Il en résulta que l’assemblée formée par la réunion des tribus eut, au moins dans le principe, un caractère absolument démocratique. Plus tard, il est vrai, le privilège parvint à s’y glisser, lorsque les censeurs eurent pris l’habitude de réserver les trente et une tribus rustiques aux propriétaires fonciers, et d’entasser dans les quatre tribus urbaines la foule de ceux qui ne possédaient rien. Mais, dans les premiers temps, il existait entre les diverses tribus et entre les citoyens qui les composaient une égalité presque complète de droits.

Rome connaissait donc deux modes de classement des citoyens, l’un qui avait pour base la fortune et qui avait engendré une assemblée aristocratique, l’autre qui reposait sur le domicile et qui avait donné naissance à une assemblée démocratique. Tout Romain faisait partie à la fois d’une centurie et d’une tribu ; mais il n’y avait pas la moindre relation entre ces deux cadres politiques ; c’étaient deux institutions parallèles qui n’avaient aucun point de contact.

Il ne semble pas que cet état de choses ait duré jusqu’à la fin de la République ; mais on ignore comment il a été modifié. Tout porte à croire qu’une réforme de l’assemblée centuriate s’est accomplie dans le cours du IIIe siècle av. J.-C. Mais nous avons sur cette question si peu de renseignements qu’il est presque impossible de rien affirmer. L’hypothèse la plus généralement admise est celle qui a pour premier auteur un savant du XVIe siècle, Pantagathus, et que, depuis, M. Mommsen a fortifiée par de nouveaux arguments[14]. Faute de mieux peut-être, on est aujourd’hui d’accord pour l’accepter[15].

Voici en quoi elle consiste dans ses traits essentiels.

Nous trouvons dans les auteurs anciens la preuve que vers la fin de la République il y avait un certain rapport entre la centurie et la tribu. Ce rapport, évidemment, n’a pu être établi que de deux manières : ou bien les centuries et les tribus étaient en nombre égal, ou bien le nombre des centuries était un multiple du nombre des tribus. Or, tout nous atteste que la dernière conjecture est seule plausible, et que la centurie était la moitié de la tribu. Chaque tribu fut divisée en deux centuries, une de juniores, une de seniores, ce qui donne pour chaque classe soixante-dix centuries, et pour les cinq classes trois cent cinquante. Il faut y ajouter dix-huit centuries de chevaliers, deux de fabri, deux de liticines et cornicines, une de prolétaires, et l’on arrive au chiffre de 373. De là le tableau suivant qui figure dans le livre de M. Mommsen sur les Tribus romaines (p. 92-93).

Ire Classe.

70 centuries d’ingenui (Freigebornen)

 

18 centuries de chevaliers.

 

1 cent. fabrum tignariorum.

 

 

89 centuries.

IIe Classe.

70 centuries d’ingenui.

 

1 cent. fabrum œrariorum.

 

 

71 centuries.

IIIe Classe.

70 centuries d’ingenui.

 

 

70 centuries.

IVe Classe.

70 centuries d’ingenui.

 

1 cent. liticinum.

 

 

71 centuries.

Ve Classe.

70 centuries d’ingenui.

 

1 cent. cornicinum.

 

1 cent. proletariorum.

 

 

72 centuries.

 

373 centuries.

La réforme porta encore sur un autre point. Jadis le droit de voter en premier lieu appartenait toujours à une centurie équestre, et l’on a expliqué plus haut combien ce privilège est considérable. Désormais la prérogative fut tirée au sort, non pas, il est vrai, parmi toutes les centuries, mais parmi celles de la première classe[16], et, après qu’elle avait émis son suffrage, le vote continuait selon l’ancien système.

La date de ce double changement nous est à peu près connue. Nous savons, en effet, par le récit que fait Tite-Live (XXIV, 7) des élections de l’an 215, que déjà il avait eu lieu. On peut même préciser davantage. En 241, deux tribus nouvelles furent créées pour que leur nombre total atteignit le chiffre de trente-cinq, et ce chiffre ne fut jamais dépassé. N’est-il pas naturel de penser que cette année-là vit s’accomplir la réforme des comices centuriates, et que, si dans la suite on cessa d’accroître le nombre des tribus, c’était pour ne point troubler l’équilibre établi entre elles et les centuries ?

Si l’hypothèse de M. Mommsen est justifiée, la composition primitive de l’assemblée centuriate a été gravement altérée au IIIe siècle av. J.-C., et M. Boissier a bien raison de dire qu’il y a eu là une grande victoire de la plèbe, une des plus grandes assurément qu’elle ait remportées[17]. Ce n’est pas que Rome, d’un seul bond, ait passé alors de l’aristocratie à la démocratie ; mais elle s’en est sensiblement rapprochée.

Même au cas où les riches auraient conservé le nombre de voix qu’ils avaient tout d’abord, leur influence aurait néanmoins baissé, car il est clair que la proportion entre quatre-vingts suffrages et cent quatre-vingt-treize est plus forte qu’entre quatre-vingts et trois cent soixante-treize. Mais il y a plus : la classe riche perdit des voix et les autres en gagnèrent. Autrefois la première classe avait quatre-vingts voix ; elle n’en eut plus que soixante-dix ; la deuxième, la troisième et la quatrième en avaient vingt ; elles en eurent soixante-dix ; la cinquième en avait trente ; elle en eut aussi soixante-dix. Dans la vieille assemblée centuriate, les chevaliers et les citoyens de la première classe réunis disposaient de la majorité, et, par leur accord, rendaient inutile le vote des classes suivantes ; dans la nouvelle, ils n’eurent même pas le quart des suffrages, tandis que chacune des classes inférieures en avait presque le cinquième ; et il fallut, pour constituer une majorité, descendre au moins jusqu’à la troisième classe. Les gens de moyenne fortune eurent donc dans ces comices un rôle plus actif, et, pour employer un terme de notre langue parlementaire, l’axe de la majorité se déplaça dans un sens favorable à la démocratie.

 

II Critique du système de M. Mommsen.

Je voudrais examiner, quelque téméraire que paraisse cette tentative, si réellement les comices centuriates subirent des modifications aussi graves qu’on le prétend. Cette question n’est pas seulement intéressante par les difficultés qu’elle oppose aux recherches ; elle est de plus très propre, une fois résolue, à nous faire bien comprendre l’esprit général des institutions romaines et l’histoire des derniers temps de la République.

Le système de M. Mommsen, si ingénieux qu’il soit, soulève de nombreuses objections.

Premièrement, il est assez étrange que les auteurs anciens gardent sur ce point un silence absolu. — Nous avons perdu les livres de Tite-Live où étaient racontés les événements des années 293-218 ; mais nous en possédons les résumés[18], et malgré leur brièveté, ils contiennent des faits presque insignifiants si on les compare à la grande réforme de l’année 241. C’est ainsi que nous voyons énumérées dans la periocha du livre XI une peste, la condamnation d’un consulaire, la fondation de deux colonies, la création des III viri capitales, dans la periocha du livre XIV la radiation d’un sénateur, la mort d’une vestale, dans les suivantes l’augmentation du nombre des questeurs, l’institution des combats de gladiateurs, l’inscription des affranchis dans les tribus urbaines, la construction de la voie Flaminia. Puisque Tite-Live entrait dans tous ces détails, il est probable qu’il n’aurait pas manqué de citer la réforme des centuries, s’il l’eût rencontrée sur son chemin, et que nous trouverions quelques indications a cet égard dans son abréviateur. — Polybe, cet historien si exact, cet esprit si sagace et si profond, a qui nous devons l’analyse la plus pénétrante que l’antiquité nous ait transmise de la constitution romaine, ne dit rien non plus d’un événement qui certes méritait bien de figer son attention. — Cicéron était, comme on sait, très curieux des choses du passé et très versé dans la connaissance des annales de Rome. Il n’est peut-être pas une loi importante, un fait quelque peu notable de l’époque républicaine qu’il ne mentionne, au moins par voie d’allusion. Comment expliquer dès lors qu’il se taise sur la réforme de 241 ? Dira-t-on qu’elle n’a pas été l’objet d’une loi ? La conjecture n’est point certaine ; supposez néanmoins qu’elle le soit, et que les centuries aient été remaniées par une simple décision des censeurs. Cela diminuait-il en rien la gravité de cette mesure ? Etait-elle, pour ce seul motif, moins digne d’intérêt ? et peut-on croire que le silence de Cicéron vient uniquement de ce qu’il n’a pas eu l’occasion d’en parler ? C’eût été, on l’avouera, un singulier hasard qu’un homme, qui a tant écrit et avec tant de savoir sur l’histoire, les institutions, les usages politiques de sa patrie, eût ignoré lui-même ou nous eût laissé ignorer une réforme aussi sérieuse. -Nous n’avons, en somme, qu’un témoignage au sujet de cette réforme, et il est loin d’être favorable à l’opinion de M. Mommsen. Denys d’Halicarnasse, après avoir exposé l’organisation de Servius Tullius, ajoute[19] : Ce système fut conservé par les Romains pendant plusieurs générations ; mais, û une époque plus voisine de nous, on a été forcé de le modifier dans un esprit démocratique. Ce n’est pas que les centuries aient été détruites ; on s’est contenté de les interroger dans un ordre différent, comme je l’ai constaté moi-même, ayant assisté souvent aux élections faites dans ces comices. Ainsi Denys atteste que depuis Servius jusqu’à la fin de la République, le seul changement survenu dans l’assemblée centuriate fut la suppression du droit qu’avaient les chevaliers de fournir la prérogative ; car c’est là le sens qu’il faut attribuer à ses paroles. S’il y avait eu quelque autre innovation accomplie vers le même temps, n’est-il pas probable qu’il l’aurait également signalée[20] ?

L’hypothèse défendue par M. Mommsen serait à la rigueur admissible, si, dans la période qui précède 241, on remarquait une tendance générale des esprits et des institutions vers la démocratie. Or, c’est justement le contraire qui nous frappe. A considérer dans son ensemble l’histoire intérieure de Rome depuis l’origine des guerres puniques jusqu’aux Gracques, on s’aperçoit que l’aristocratie n’a pas cessé de dominer dans cet intervalle, et même qu’elle a été constamment en progrès. Du jour où la loi consacra l’égalité politique des deux ordres, il se produisit dans la plèbe, entre les riches et les pauvres, une scission toute naturelle qui eut pour effet de rejeter les premiers du côté où les appelaient leurs intérêts, c’est-à-dire du côté des patriciens. La naissance séparait ces deux classes, mais la fortune les rapprochait, et de leur union sortit une caste nouvelle, qui se réserva tous les soins du gouvernement parce qu’elle voulait s’en réserver tous les profits. Elle mit la main sur les magistratures, même sur le tribunat, qui perdit bientôt son caractère révolutionnaire ; elle se rendit maîtresse du sénat et des comices ; elle garda pour elle seule l’administration si lucrative des provinces, la jouissance des domaines de l’État, et elle dépouilla, dans la pratique, les pauvres de tous les droits que la constitution leur accordait. Cet esprit de privilège se manifeste en particulier dans les mesures qui furent prises à l’égard de l’assemblée des tribus. On a vu plus haut que cette assemblée avait tout d’abord une organisation démocratique : les citoyens étaient groupés dans les tribus d’après leur domicile, et chacune d’elles avait une voix. Mais, dans la suite, cette égalité disparut. R y eut des tribus distinctes pour les riches et pour les pauvres, les premières très estimées, les dernières méprisées[21]. En 312, le censeur Appius Claudius eut l’idée de répandre les pauvres dans toutes les tribus, sans tenir compte du domicile ; les comices, dit Tite-Live, se trouvaient ainsi au pouvoir de la classe inférieure[22]. Mais en 304, un autre censeur, Q. Fabius Rullianus, rejeta cette classe dans les quatre tribus urbaines, et cet acte excita tellement la reconnaissance du sénat que Fabius reçut le surnom de Maximus (IX, 46). Vers l’année 220, on traita de même les affranchis. Jusque-là ils figuraient dans toutes les tribus ; on les déclara exclus des tribus rustiques[23], et en 167 ils furent inscrits dans une seule des tribus urbaines ; encore devaient-ils justifier de la possession d’un bien-fonds valant 30.000 sesterces (XLV, 15). Ces divers remaniements eurent pour résultat d’atténuer dans ces comices l’influence du nombre et d’y accroître celle de la richesse. Les hommes de naissance libre et de condition aisée y disposèrent de trente et une voix sur trente-cinq, et une anecdote racontée par Valère Maxime nous indique que quelques-unes au moins des tribus rustiques renfermaient peu de citoyens[24], surtout par comparaison avec les tribus urbaines. Voilà donc une assemblée où, dans les premiers temps, tous les suffrages avaient la même valeur, et où plus tard la prépondérance appartint aux propriétaires fonciers. Cette réforme s’était opérée lentement, sans dessein prémédité, en vertu de cette espèce de force latente qui poussait les Romains de préférence vers l’aristocratie. Elle avait eu lieu pendant les cent cinquante années qui précèdent les Gracques, c’est-à-dire précisément à l’époque où l’on prétend que les comices centuriates subirent une transformation toute contraire. N’y a-t-il pas là une contradiction qui nous avertit que l’une ou l’autre de ces deux réformes n’a pas été accomplie ? et puisque la réforme aristocratique des tribus est hors de doute, n’est-il pas’ évident que la réforme démocratique des centuries est fort douteuse ?

C’eût été d’ailleurs mal choisir son temps que de chercher à diminuer la puissance politique de l’argent, au moment même où il prenait dans la société une importance capitale. Le nie siècle avant notre ère fut en effet remarquable par une révolution économique dont les conséquences furent graves pour le développement des institutions de Rome. La soumission de la péninsule entière, les guerres avec Pyrrhus et avec Carthage, les premières conquêtes en dehors de l’Italie enrichirent le trésor de, la République, étendirent son territoire et son commerce, firent affluer dans la ville les métaux précieux, et ouvrirent un large champ aux spéculations[25]. Bien des faits attestent le haut degré de prospérité matérielle que Rome atteignit alors. Il suffit de rappeler qu’Appius Claudius, censeur en 312, inaugura les grands travaux, en construisant une voie militaire et un aqueduc[26], que la ville s’embellit et renonça à son vieil aspect rustique[27], qu’en 269 on frappa de la monnaie d’argent et en 209 de la monnaie d’or[28], que les grosses fortunes et les vastes domaines cessèrent d’être rares[29], que le goût du luxe s’accrut avec les moyens de le satisfaire[30], enfin que la République eut assez de ressources pour vaincre Carthage et commencer ses lointaines expéditions au-delà des mers. L’argent étant devenu plus abondant et la fortune plus accessible, il en résulta que les riches furent à la fois plus nombreux et plus puissants. On a essayé d’établir qu’en 220, à l’époque où il y avait 270.000 citoyens, ceux de la première classe, joints aux chevaliers, étaient environ 22.000[31]. Je n’ai pas contrôlé ce chiffre ; mais il ne parait point exagéré. En tout cas, cette classe jouait dans la société un rôle considérable. C’est d’elle principalement que sortaient ces hommes de finance qui, à Rome et dans les provinces, faisaient la banque et le commerce, qui prenaient à ferme la perception des impôts, qui se chargeaient même d’approvisionner les armées et d’exécuter les travaux publics. Ils trouvaient dans toutes ces opérations une source d’énormes profits, et ils savaient décupler par l’association leurs capitaux et leur influence. Ils avaient, à divers titres, une multitude de citoyens sous leur dépendance, et l’État lui-même, qui ne pouvait se passer de leurs services, les ménageait au point de tolérer parfois leurs fraudes les plus scandaleuses[32]. — Ce sont eux pourtant qui auraient été surtout atteints par la réforme de 241, dans l’hypothèse de M. Mommsen. Il n’est pas probable qu’on y ait seulement songé ; d’ailleurs tout projet de ce genre aurait échoué devant leurs résistances. Ils étaient intéressés à conserver la haute main sur l’assemblée qui nommait les consuls, les censeurs et les préteurs, qui décidait la guerre, et qui ratifiait les traités de paix. Si la direction des comices leur avait un moment échappé, ils n’auraient pas manqué de la ressaisir, de même que plus tard, quand Sylla leur eut enlevé la place qu’ils occupaient dans les tribunaux, ils ne négligèrent rien pour la reprendre. Au reste l’opinion publique ne leur était pas hostile. Dans cette société romaine, si positive, si âpre au gain, on respectait l’argent et ceux qui le possédaient ; les riches inspiraient un sentiment tout autre que la haine ou l’envie, et l’on ne trouvait pas étrange que la prépondérance politique appartînt à la fortune.

A ces preuves morales qui ne conduisent guère qu’à des probabilités, nous joindrons quelques textes qui conduiront peut-être à la certitude.

Lœlius Felix définissait ainsi les différentes espèces de comices[33] : Quand les hommes sont groupés d’après la naissance, ils forment les comices curiates ; quand ils le sont d’après l’âge et le cens, ils forment les comices centuriates ; quand ils le sont d’après le domicile, ils forment les comices par tribus. Cicéron s’exprime à peu prés de la même façon : On a voulu, dit-il, que les comices centuriates fussent seuls compétents pour juger un citoyen ; car le peuple, lorsqu’il est divisé suivant la fortune, l’âge, la situation sociale, vote avec plus de sagesse que l’assemblée plus mêlée des tribus[34]. On voit par ces deux textes qu’aux yeux des anciens le classement des citoyens dans l’assemblée des centuries se faisait d’après un principe qui n’avait rien de commun avec le domicile, que c’était même là ce qui distinguait cette assemblée des comices par tribus, et que les rangs y étaient déterminés uniquement par l’âge et la richesse. Or, d’après le système de M. Mommsen, ils y auraient été déterminés autant par le domicile que par la richesse et par l’âge.

Appien raconte ce qui suit des consuls de 88, Sylla et Q. Pompeius. Ils demandèrent, dit-il, que l’on votât non par tribus, mais par centuries, comme le roi Tullius l’avait ordonné ; ils espéraient que par ce moyen les suffrages cesseraient d’être aux mains des pauvres et seraient aux mains des riches[35]. On a prétendu que Sylla s’était proposé simplement de revenir sur l’innovation qui avait eu lieu en 241, de supprimer la concordance établie alors entre les centuries et les tribus, et de rendre à l’assemblée centuriate le caractère aristocratique qu’elle avait en partie perdu. Mais le passage d’Appien ne contient rien de pareil ; il indique seulement que Sylla voulait abolir les comices par tribus et ne laisser subsister que les comices par centuries. Il ne faudrait pas d’ailleurs le prendre au pied de la lettre ; Sylla, au fond, n’eut d’autre dessein que de priver les comices par tribus du droit de faire les lois. Abolir l’assemblée des tribus, c’était confier à l’assemblée des centuries la nomination des tribuns ; or rien ne prouve que Sylla en ait eu l’idée ; il semble même que, s’il diminua le pouvoir de ces magistrats[36], c’est parce qu’il n’avait point modifié leur mode d’élection. L’objet de la réforme mentionnée par Appien était de mettre un terme à un abus récent. Depuis les Gracques, les démocrates avaient l’habitude de porter leurs projets de loi devant les tribus plutôt que devant les centuries. Il n’y avait pas de ligne de démarcation entre les attributions législatives des unes et des autres ; les magistrats étaient donc libres de s’adresser à l’assemblée qui leur convenait le mieux, et ils choisissaient souvent celle qui était à la fois la plus populaire et la plus docile ; si bien que peu à peu les comices par tribus furent appelés à voter presque toutes les lois. Sylla préférait qu’elles fussent, comme autrefois, l’œuvre de I’aristocratie, et il pensait que deux mesures étaient propres à atteindre ce but : 1° l’obligation imposée aux magistrats d’obtenir pour leurs projets de loi l’autorisation préalable du sénat, avant de consulter le peuple ; 2° la défense d’en présenter aucun à l’assemblée des tribus[37]. Si l’on explique de la sorte le texte d’Appien, on s’aperçoit qu’il fournit un argument, non pas en faveur de la thèse de M. Mommsen, mais contre cette thèse. Appien, en effet, ne connaît que deux assemblées, celle où les suffrages se comptent par tribus, et celle où ils se comptent par centuries ; il ne connaît pas d’assemblée intermédiaire on ils auraient été comptés à la fois par centuries et par tribus. Il n’y a, d’après lui, qu’une seule espèce de comices centuriates, les comices institués par Servius. Enfin la différence entre l’assemblée des tribus et l’assemblée des centuries est, à ses yeux, si grande que dans la première les pauvres dominent et dans la seconde les riches.

Nous trouvons dans Tite-Live (XXIII, 16) un récit d’où il résulte qu’en 169 les voix étaient réparties entre les classes de la même manière qu’avant 241. Ti. Sempronius Gracchus, le père des Gracques, s’était montré sévère durant sa censure. On n’attendit pas qu’il fût sorti de charge pour le traduire devant l’assemblée centuriate. Déjà huit centuries de chevaliers et beaucoup de centuries de la première classe l’avaient condamné, lorsque ses amis quittèrent leurs anneaux d’or, prirent des vêtements de deuil et se mirent à supplier le peuple. Un revirement d’opinion se produisit, et Sempronius fut absous à la majorité de huit voix. Le texte de Tite-Live, examiné de près, montre clairement qu’à partir du moment où les partisans de Sempronius intervinrent, les dispositions de l’assemblée changèrent. Jusque-là on avait voté contre lui ; dès lors on vota pour lui, et néanmoins il faillit être condamné. Cela prouve que les chevaliers et les citoyens de la première classe avaient presque la majorité des suffrages. Or, si l’on adopte l’hypothèse de M. Mommsen, ils n’avaient que 89 voix sur 373 ; si on la rejette, ils en avaient 99[38] sur 193 ; nul doute par conséquent qu’elle ne doive être repoussée.

La même conclusion se dégage encore plus nettement d’un texte de Cicéron qui a été souvent mal interprété. Ce texte est un passage du De Republica où un des interlocuteurs du dialogue, Scipion Emilien, expose et apprécie l’œuvre de Servius Tullius (II, 22, 39). On sait que ce traité ne nous est parvenu ni en entier, ni en bon état ; le texte dont il s’agit est un de ceux qui ont le plus souffert ; il en dit assez cependant pour l’objet qui nous occupe. Le manuscrit porte deux leçons dont l’une, la seconde, est très claire : Nunc rationem videtis esse talent ut equitum centurie cum sex suffragiis et prima classis addita ceturia q. ad sumum usum urbis fabris tignariis est data LXXXVIIII ceturias habeat quibus ex cent. quattor centuriis tot enim reliquat sunt octo solas si accesserant cofecta est vis populi universa .... Il est aisé de démêler dans cette phrase que l’ordre équestre et la première classe disposaient de 89 centuries, et que les autres classes réunies n’en avaient que 104, ce qui donne pour l’assemblée entière un total de 193 centuries. Malheureusement nous ignorons l’origine, et par suite la valeur diplomatique de cette leçon. Elle est très plausible, et beaucoup de critiques l’ont adoptée ; mais, comme elle peut n’être que la correction personnelle d’un copiste, elle ne mérite pas une confiance absolue, et nous ne devons pas lui reconnaître plus d’autorité qu’aux restitutions tentées par Ritschl et Urlichs. Quant à la première leçon, elle est à peu près inintelligible ; la voici, telle que la cite Orelli[39] : Nunc rationem videtis esse talem ut equitum certamine cum et suffragiis et prima classis addita ceturia q. ad sumum usum urbis fabris tgnariis est data VIIII ceturias tot enim reliquae sunt octo solæ si accesserunt cofecta est vis poli universa. Si altérée que soit cette phrase, elle nous apprend que huit centuries ajoutées à celles des chevaliers et de la première classe forment la majorité. Sans doute cette idée n’est pas exprimée en termes précis ; mais elle apparaît, à travers les lacunes du texte, avec une netteté suffisante. Il est à remarquer en effet que ce passage pèche surtout par omission ; à part quelques erreurs de copiste, faciles à corriger, comme certamine pour centuries, poli pour populi, les fautes qu’on y constate proviennent principalement de ce fait que des mots ont été oubliés. La preuve en est que la seconde leçon se borne à combler les vides que laissent entre eux certains mots de la première. Ainsi, à s’en tenir à la lettre du manuscrit, on est forcé d’avouer que la conjecture de M. Mommsen a peu de chance d’être exacte, puisqu’elle n’attribue aux citoyens de l’ordre équestre et de la première classe que le quart environ des suffrages, tandis que, d’après Cicéron, ils en avaient près de la moitié. Que serait-ce si la leçon de la seconde main était la vraie ?

On objectera peut-être qu’il est question ici de la constitution de Servius, et que le nombre des centuries, fixé d’abord à 193, put être porté plus tard à 373. Cette opinion ne me parait pas fondée. Scipion décrit l’organisation des centuries comme on fait d’une institution qu’on a sous les yeux. Il n’entre pas dans de grands détails, parce qu’il sait que ses auditeurs la connaissent aussi bien que lui : Quæ descriptio, si esset ignota vobis, expli caretur a me ; il se contente d’en rappeler les traits essentiels. En outre, il ne s’exprime pas au passé, mais au présent. Il dit : nunc rationem videtis esse talem, et non fuisse ; il dit : centurias habeat, et non habuerit[40]. L’assemblée dont il nous trace le tableau n’est donc pas celle de Servius, mais celle que Scipion et ses amis voyaient fonctionner à la date présumée du dialogue. Or l’action de ce dialogue est placée d’ordinaire dans l’intervalle qui sépare la mort de Tib. Gracchus et la mort de C. Gracchus, c’est-à-dire entre les années 133 et 134 ; elle est en tout cas bien postérieure à 241, puisque Scipion Emilien naquit en 185[41]. La conséquence toute naturelle de ce fait, c’est que les comices centuriates n’avaient pas été sérieusement modifiés en 241, et qu’au IIIe siècle avant notre ère ils étaient à peu près tels qu’à l’époque des rois[42].

Voilà les principales objections que j’adresserai à M. Mommsen. II y en a de deux espèces : les unes, tirées de la marche générale des événements, tendent à établir qu’une réforme démocratique des centuries n’a pu s’accomplir au lue siècle ; les autres, plus positives et tirées des textes mêmes, nous permettent d’affirmer que cette réforme n’a pas eu lieu.

 

III — Hypothèse nouvelle.

Ce n’est pas à dire que l’assemblée centuriate soit demeurée immuable. Les textes prouvent le contraire ; ils attestent que depuis le début de la deuxième guerre punique jusqu’à la fin de la République il exista un rapport numérique entre les tribus et les centuries.

Cicéron appelle la centurie une portion de tribu[43]. Nous lisons dans un scholiaste d’Horace : Chaque tribu avait ses centuries de juniores et de seniores[44]. Tite-Live, après avoir décrit l’organisation servienne, ajoute : Il ne faut pas s’étonner qu’elle diffère de celle que nous voyons aujourd’hui ; car, depuis, le nombre des tribus s’est élevé à trente-cinq, et même ce nombre a été doublé par les centuries de juniores et de seniores .... Les tribus primitives ne répondaient nullement aux centuries, quant à la répartition et quant au nombre (I, 43). Ce passage est peu clair, et, pris à la lettre, il contient une erreur[45]. Mais il indique qu’après 241, lorsqu’il y eut trente-cinq tribus, on mit entre elles et les centuries une certaine concordance. Le même auteur, racontant les élections consulaires de L’année 215, dit que le sort désigna l’Aniensis juniorum comme centurie prérogative[46]. Il est naturel de penser qu’il y avait aussi une Aniensis seniorum, et qu’elles faisaient partie l’une et l’autre de la tribu Aniensis. Un récit que nous trouvons encore dans Tite-Live vient à l’appui de cette conjecture. Aux comices consulaires de 211, la centurie prérogative fut la Veturia juniorum ; elle donna sa voix à T. Manlius Torquatus et à T. Otacilius. Le premier déclina cet honneur et demanda que le vote fût annulé. On finit par céder à ses instances ; mais, avant de recommencer le vote, les citoyens de la Veturia juniorum prièrent le consul d’appeler la Veturia seniorum ; ils voulaient s’entendre avec leurs aînés, et ils suivirent en effet leur conseil[47]. N’est-il pas probable que ces deux centuries se rattachaient à la tribu Veturia, comme les deux précédentes à la tribu Aniensis, et qu’il en était de même pour toutes les tribus ?

Sur ce point, on le voit, M. Mommsen a pleinement raison. Il est également dans le vrai, lorsqu’il affirme qu’il y avait dans la première classe 70 centuries. Nous avons à cet égard le témoignage de Cicéron. Cet auteur ne dit pas expressément quel était le nombre des centuries de cette classe ; mais il le laisse aisément deviner. Il déclare que si l’on additionne ensemble les centuries équestres, celles de la première classe, huit de la seconde, et la centurie des fabri tignarii, on arrive à la majorité, c’est-à-dire évidemment à la moitié de 193 voix plus une, ou, si l’on veut, à 97. Par suite, pour savoir combien de centuries avait la première classe, il suffit de déduire de 97 la somme de toutes les autres, et le résultat de l’opération est 70. Ce chiffre d’ailleurs est le seul qui permette d’établir un rapport numérique entre les centuries et les tribus, le seul par conséquent qui soit d’accord avec les textes cités plus haut, lesquels prouvent que ce rapport existait. 70 en effet équivaut à 35 multiplié par 2. Il n’est donc pas téméraire de penser que la première classe renfermait deux fois autant de centuries qu’il y avait de tribus, que ces centuries étaient groupées deux par deux, l’une étant réservée aux seniores, l’autre aux juniores, et que chaque groupe était désigné par un nom de tribu.

Mais de ce que la première classe comptait 70 centuries, il ne s’ensuit pas que chacune des cinq classes fût pareillement composée. Rien ne montre que les comices aient été l’objet d’un remaniement aussi symétrique ; au contraire, si l’on se rappelle les arguments qui nous ont servi à réfuter la thèse de M. Mommsen, notamment Tite-Live, XLIII, 16, et Cicéron, De Republica, II, 22, 39, on reconnaîtra que l’assemblée entière resta toujours divisée en 193 centuries ; les suffrages purent y être répartis de différentes façons suivant les époques ; la première classe put en avoir 80 au temps de Servius et 70 seulement au IIIe siècle ; une chose en tout cas est sûre, c’est que le nombre total ne changea pas, et qu’il était identique avant la réforme et après. Ainsi toute la question est de savoir comment furent distribuées ces 193 centuries, ce point étant déjà acquis que la première classe en gardait 70. En réalité même, la question se réduit à chercher ce que devinrent les 10 centuries que perdit la première classe.

Deux systèmes ont été imaginés pour résoudre la difficulté. II en est un qui supprime dans la première classe la centuria fabrum, qui donne à la deuxième 70 centuries (35 de juniores et 35 de seniores), qui en donne 35 à la troisième, et qui abolit la quatrième, la cinquième et la centurie des prolétaires. Le second système modifie celui-ci de façon à ce que 35 centuries passent de la deuxième à la quatrième[48]. Voici un tableau qui rendra plus claire cette double combinaison.

Ier système

1re Classe

18 centuries équestres

35 centuries de juniores

35 centuries de seniores

2e Classe

35 centuries de juniores

35 centuries de seniores

3e Classe

35 centuries (sans distinction de juniores et de seniores)

Total

193 centuries.

 

IIe système

1re Classe

18 centuries équestres

35 centuries de juniores

35 centuries de seniores

2e Classe

35 centuries

3e Classe

35 centuries

4e Classe

35 centuries

Total

193 centuries.

Mais ici se présentent deux graves objections. D’abord rien ne nous autorise à négliger cette assertion du De Republica, qu’une centurie de fabri tignarii se rattachait à la première classe. De plus, nous savons qu’au temps de C. Gracchus il existait cinq classes qui votaient, et qu’elles existaient encore au temps de Cicéron[49].

Ces deux hypothèses ne sont pas les seules que l’on puisse concevoir. Il est possible que les six centuries aient été ajoutées en bloc à la deuxième classe, ou bien qu’elles aient été assignées aux diverses classes par fractions à peu prés égales, ou bien qu’elles aient été réparties proportionnellement au nombre de centuries que chaque classe contenait déjà. Parmi toutes les combinaisons qui ont pour elles la vraisemblance, la meilleure peut-être est celle qui consisterait a rejeter dans la deuxième classe les dix centuries, augmentées de cinq que l’on emprunterait à la cinquième. Nous aurions ainsi le tableau ci-dessous.   

1re Classe

18 centuries équestres

71 centuries de juniores (35 de juniores, 35 de seniores)

1 cent. de fabri tignarii

2e Classe

35 centuries

1 cent. de fabri œrarii

3e Classe

20 centuries

4e Classe

35 centuries

1 cent. de liticines

5e Classe

25 centuries

1 cent. de cornicines

1 cent. de proletarii

Total

193 centuries.

Ce n’est là d’ailleurs qu’une simple conjecture, et les textes ne sont pas plus en faveur de celle-ci que de toute autre. Il n’y a de certain ici que le nombre des centuries de la première classe et le nombre des centuries de l’assemblée entière. Mais c’est aussi le point qu’il importait surtout d’établir.

Ainsi se trouvent conciliés les témoignages, en apparence contradictoires, de Tite-Live et de Cicéron. L’un prétend que la première classe avait 80 centuries, l’autre donne à entendre qu’elle en avait 70[50]. De là, croyait-on, la nécessité d’avouer que le texte de Cicéron était altéré, et c’est en effet l’opinion qui prévalait. On n’avait pas assez remarqué qu’ils ont raison tous deux. Tite-Live parle des comices centuriates, tels que Servius les avait institués ; Cicéron parle de ces mêmes comices, tels qu’ils avaient été modifiés au IIIe siècle av. J.-C. Ce que dit chacun d’eux est vrai de l’époque pour laquelle il le dit.

La réforme accomplie entre les années 241 et 215[51] n’eut pas un caractère démocratique. Dans l’organisation nouvelle, on vota par classes, comme dans l’ancienne ; le fait a été parfois contesté ; mais il est établi par des textes qui ne prêtent pas à l’équivoque[52]. Le cens exigé pour chaque classe ne fut pas abaissé ; il est même probable qu’on l’éleva, pour compenser la diminution de la valeur réelle de l’as et l’avilissement de l’argent causé par l’affluence des métaux précieux[53]. Enfin la première classe perdit seulement dix centuries que l’on donna sans doute à la seconde, et elle conserva dans les comices presque la moitié des voix. Ces comices restèrent donc ce qu’ils étaient, une assemblée où les pauvres n’étaient rien et où les riches étaient à peu près tout.

L’objet véritable de la réforme des centuries ne peut être compris qu’à la condition d’avoir présente à l’esprit une autre réforme, qui eut lieu simultanément.

Nous avons mentionné plus haut le changement qui se fit dans l’ordre d’appel des centuries. Autrefois c’était toujours une centurie équestre qui votait la première ; vers le milieu du IIIe siècle, on étendit à toutes les centuries de la première classe le droit de désigner la prérogative par la voie du sort. La raison de cette innovation est facile a saisir. Entre les centuries équestres de la première classe et celles qui ne l’étaient pas, il n’y avait qu’une légère différence. Les unes se composaient de chevaliers equo publico, les autres de chevaliers equo privato, mais ces citoyens étaient tous chevaliers ; ils se distinguaient seulement par ceci, que l’État donnait aux premiers un cheval de guerre et n’en donnait pas aux seconds[54]. Tous aussi possédaient le même cens, avaient les mêmes occupations et les mêmes intérêts. Il était donc naturel qu’ils eussent tous les mêmes privilèges, et c’est pour cela que désormais la prérogative fut choisie parmi les quatre-vingt-huit[55] centuries de la classe tout entière. Cette réforme, si elle eut des conséquences politiques, ne fut point favorable à la démocratie ; car elle fortifia l’union des chevaliers en supprimant ce qui pouvait être entre eux un sujet de jalousie, et par suite elle augmenta leur puissance dans l’assemblée.

Du jour où les diverses centuries de la première classe eurent une chance égale d’être appelées à fournir la prérogative, on voulut que cette chance fût égale aussi pour Ies diverses tribus, et l’on décida que dans chaque tribu il y aurait deux centuries de la classe privilégiée. Les tribus, bien qu’elles fussent fondées sur le domicile, ne ressemblaient en rien aux quartiers de nos villes. Elles comprenaient des gens de toute condition, mais elles les mettaient en contact perpétuel les uns avec les autres. Chacune avait son chef, son culte, ses fêtes ; et de là naissaient fréquemment des occasions de se rapprocher et de se connaître[56] ; chacune était encore un cadre politique où l’on se groupait dans certains cas pour voter les lois ou élire les magistrats de la cité. En un mot, les citoyens d’une môme tribu ne se perdaient jamais de vue et se trouvaient souvent ensemble. Il s’établissait ainsi entre eux une sorte de solidarité et d’esprit de corps. Ce n’est pas que dans ces réunions on oubliât complètement les distinctions de la naissance et de la fortune, ni qu’on poussât l’amour de sa tribu jusqu’à lui sacrifier habituellement l’intérêt de sa classe ou de sa caste. Mais un noble ou un chevalier avait d’ordinaire une plus grande autorité morale d’ans sa tribu que dans les autres[57], et par contre, c’était pour un humble plébéien un titre de recommandation auprès d’un riche que d’être son contribulis, son collègue de tribu[58].

Chaque tribu était représentée par un certain nombre de citoyens dans les différentes classes. Mais la classe où il importait le plus que toutes fussent représentées était la première. D’abord les 193 suffrages étaient répartis de telle façon que la première classe votait souvent seule, en s’adjoignant quelques centuries de la seconde. Elle avait en outre cet avantage de pouvoir imposer presque sa volonté aux autres, puisque c’est d’elle que sortait toujours la prérogative. Il parut donc équitable de faire participer toutes les tribus au double privilège dont jouissait cette classe, et voilà pourquoi la réforme du me siècle fut opérée. Elle n’altéra pas le caractère aristocratique des comices centuriates ; mais elle assura à chaque tribu le droit d’exercer dans cette assemblée, par l’intermédiaire de ses principaux citoyens, une part égale d’influence.

 

Paul GUIRAUD.

 

 

 



[1] Tite-Live, I, 42 : Censura instituit (Servius) ... ex quo belli pacisque munia pro habitu pecuniarum fierent.

[2] Les mots classis et centuria désignaient primitivement des corps de troupes. Aulu-Gelle, X, 15 ; Varron, De lingua latina, V, 88.

[3] Tite-Live, V, 7 ; XXXIX, 19. Cicéron, Pro Cluentio, 48, 134.

[4] Tite-Live, I, 43 ; Denys d’Halicarnasse, Antiquitates romanæ, IV, 18. Pour la conversion des as en francs, j’adopte les chiffres de M. Belot, Hist. des chev. rom., I, 250-272.

[5] Ou plutôt de ce qu’on appelait res mancipi. Ulpien les définit ainsi (XIX, 1) : Mancipi res sont prædia in Italico solo, tam rustica, qualis est fundus, quam urbana, qualis est domus ; item jura prœdiorum rusticorum, velut via, iter, actus, aquæductus ; item servi et quadrupedes quæ dorso collove domantur, velut boves, muli, equi, asini. M. Mommsen prétend qu’en 312 le censeur Appius fit aussi entrer en ligne de compte les biens mobiliers (Hist. rom., trad. Alexandre, II, 86 ; Rœm. Forschungen, I, 305-306, 2e édit.).

[6] Marquardt-Mommsen, Handbuch der rœm. Alterth., V, p. 51 sq. — Belot, I, 150.

[7] Tite-Live (I, 43) mentionne cette distinction pour les trois premières classes, non pour la 4e et la 5e. Néanmoins on admet généralement qu’elle existait dans toutes.

[8] Tite-Live, XLIII, 14 ; Aulu-Gelle, X, 28. M. Belot a tort de croire que la limite d’âge était 35 ans (I, 378, note 1).

[9] L’identité du cens équestre et du cens de la première classe a été démontrée par M. Belot, I, 231 et suiv.

[10] Nonius Marcellus (édit. Quicherat), p. 67 : Proletarii dicti sunt plebeii, qui nihil Reipublicæ exhibeant, sed tantum prolem sufficiant. Cf. Cicéron, De Rep., II, 22.

[11] Cicéron, De divinatione, I, 45, 103 : Prærogativam majores omen justorum comitiorum esse voluerunt. Pro Plancio, 20, 49 : Una centuria prœrogativa tantum habet auctoritatis, ut nemo unquam prior eam tulerit quin renuntiatus sit... Pseudo-Asconius (Orelli, p. 139) : Sequente populo, ut sæpe contigit, prærogativarum voluntatem.

[12] Equites vocabantur primi, octoginta inde primæ classis centuriæ. (Tite-Live, I, 43.)

[13] Les opinions diffèrent en ce qui concerne le nombre des tribus primitives. Les uns disent que Servius en créa 20, dont 4 pour la ville, 16 pour la campagne ; d’autres pensent qu’il en institua 4 seulement. En tout cas, nous en trouvons 21 dès l’année 495 av. J.-C. (Tite-Live, II, 21), et le chiffre de 35 fut atteint en 241 (Periocha 19).

[14] Mommsen, Die rœmischen Tribus (Altona, 1844), p. 72-113.

[15] Tout récemment M. Boissier l’a exposée dans la Revue des Deux-Mondes (1er mars 1881). Cf. L. Lange l’adopte aussi. Voir ses Rœmische Alterthümer (3e édition, 1879), t. II, p. 498 et sq., et une dissertation intitulée : De magisiratuum romanorum renuntiatione et de centuriatorum forma recentiore (Leipzig, 1879), p. 30. M. Belot est également de l’avis de M. Mommsen, de même que M. Willems, Droit public romain, p. 167-170.

[16] Pseudo-Salluste, De republ. ordin., II, 8, prouve que ce privilège fut réservé à la première classe. V. Mommsen, Die rœm. Tribus, p. 73, note 23.

[17] Revue des Deux-Mondes, numéro du 1er mars 1881, p. 41.

[18] Ces résumés ne sont ni de Tite-Live ni, comme on l’a cru parfois, de Florus. On ignore à quelle époque ils furent écrits ; mais on peut voir par ceux des livres conservés qu’ils sont assez fidèles.

[19] Denys, IV, 21. Si, à l’exemple de M. Lange (Rœmische Alterthümer, 3e édit., II, 498), on entend l’expression έν τοίς xαθ̕ ήμάς χρόνοις comme indiquant l’époque de Denys, ce texte contient une erreur, puisqu’il est absolument certain que dès l’année 215 la centurie prérogative était tirée au sort. D’ailleurs ce détail importe peu dans le cas présent, et il n’en reste pas moins établi par Denys lui-même que, pendant toute la durée de la République, l’assemblée centuriate ne fut modifiée que sur un point, l’ordre d’appel des centuries.

[20] On a cru voir une allusion à la réforme de 241 dans un fragment de Salluste, ainsi conçu : Discordiarum et certaminis utrinque finis fuit secundum bellum punicum (hist. fragm., I, 9 ; édit. Dietsch, p. 4). On a supposé que, si l’époque de la seconde guerre punique marqua la fin des discordes civiles, cela tient à l’apaisement produit par la réforme démocratique des centuries. Mais la pensée de Salluste est tout autre ; c’est à la crainte de l’ennemi et aux dangers de la patrie qu’il attribue cette union des citoyens. Cf. I, 8 : Optumis moribus et maxuma concordia egit populus romanus inter secundum et postremum bellum Carthaginiense... At discordia et avaritia atque ambitio et cetera secundis rebus oriri sueta mala post Carthaginis exscidium maxume aucta sunt. I, 10 : Postquam remoto metu punico simultates exercere vacuum fuit, plurima ; turbæ, seditiones, et ad postremum bella civilia orta sunt... Ces divers passages, rapprochés les uns des autres, sont très clairs, et il est impossible d’en rien conclure au sujet de la réforme de 241, qui, comme on voit, n’est mentionnée par aucun auteur ancien.

[21] Pline l’Ancien, XVIII, 3 : Rusticæ tribus laudatissimæ eorum qui rura haberent, urbana vero in quas transferri ignominia esset, desidiæ probro.

[22] Tite-Live, IX, 45 : Humillimorum in manu comitia erant.

[23] Periocha 20.

[24] Tite-Live, VIII, 37 ; Valère Maxime, IX, 10, 1. En 323, les habitants de Tusculum furent accusés d’avoir trahi la cause de Rome, et l’affaire fut portée devant le peuple. Toutes Ies tribus furent d’avis de pardonner ; une seule, la tribu Pollia, se prononça pour la rigueur. Les Tusculans s’en souvinrent. Plus tard, ils y furent inscrits dans la tribu Papiria ; ils y eurent assez d’influence pour disposer de la majorité, et jamais cette tribu, où ils dominaient, ne donna sa voix à un candidat de la tribu Pollia.

[25] Belot, 1, 272-273 ; Duruy, Hist. des Rom. (II, 221-223 ; édit. de 1880). Mommsen, H. R., IV, 132 sq.

[26] Tite-Live, XXIX, 9. Mommsen, Hist. rom. (II, 280).

[27] Mommsen, H. R., II, 281-282 Duruy, Hist. des Romains (I, 514-515 ; édit. de 1879).

[28] Tite-Live, Periocha 15 : Tune primum populos romanus argento uti cæpit. XXVII, 10 ; Aurum vicesimarium promi placuit ; prompta ad quatuor initia pondo auri. Mommsen, H. R., II, 282. Marquardt-Mommsen, Handbuch der rœm. Alterth., V, p. 23. Belot, I, 274.

[29] Mommsen, H. R., IV, 94-95 ; 138-139.

[30] Mommsen, H. R., II, 281 ; IV, 176-177 ; Duruy, I, 516 ; II, 215.

[31] Belot, II, 99.

[32] Tite-Live, XXV, 3, en donne un exemple.

[33] Cité par Aulu-Gelle (XV, 27, 4). Lœlius Felix était un jurisconsulte du temps de Trajan et d’Hadrien (Real-Encyclop. de Pauly, IV, 727).

[34] De legibus, III, 19, 44.

[35] Appien, De b. c., I, 59. Χειροτονία signifie d’ordinaire élection. Mais Appien emploie souvent ce terme quand il s’agit du vote d’une loi. V. notamment De b. c., I, 11, et III, 7. — Le mot είσηγοΰντο ne permet ni d’affirmer ni de nier que ce projet de Sylla et Pompée ait été converti en loi.

[36] Velleius Paterculus, (II, 30) : Pompeius tribuniciam potestatem restituit, cujus Sulla imaginem sine re reliquerat. César, De bello civili, I, 7 ; Appien, De b. c., I, 100, II, 29 ; Asconius (Orelli), p. 78.

[37] Ces deux mesures sont nettement exposées dans Appien, De b. c., I, 59.

[38] Ou plutôt 89, comme on le verra au chap. suivant.

[39] Orelli (2e édit. revue par Halm 1861 ; t. IV, p. 804, en note).

[40] Le mot habeat ne figure que dans la 2e leçon ; mais il devait y avoir en cet endroit dans le texte authentique un verbe au présent ; sans quoi la 2e main n’aurait pas écrit habeat. D’ailleurs videlis esse entraîne après ut un présent.

[41] Person, De P. Cornelio Scipion Æmiliano (Paris, 1877), p. 8.

[42] M. Belot (I, 244-245) a bien vu que Cicéron ne décrit pas l’organisation primitive des centuries, mais celle qu’il a sous les yeux. Seulement il suppose que, sans le vouloir, l’auteur du De Rep., a commis un anachronisme, et affirmé de l’époque de Servius ce qui n’était vrai que de son temps.

[43] Pro Plancio, 20, 49 : (centuria) unius tribus pars.

[44] Cité par Mommsen, Die rœm. Tribus, p. 74 : Singulæ tribus habebant suas centurias juniorum et seniorum.

[45] À savoir que le nombre des tribus fut doublé (duplicato earum numero) ; ce qui signifierait qu’il fut porté de 35 à 70.

[46] Tite-Live, XXIV, 7.

[47] Tite-Live, XXVI, 22.

[48] Voir l’Onomasticon Tultianum d’Orelli (Pars IIIa, p. 375-377).

[49] Pseudo-Salluste, De rep. ordinanda, II, 8. Cie. (Acad., 11, 23, 73) : Qui mihi cum illo eubati quintae classis videntur.

[50] Tite-Live (I, 43) dit formellement : ex iis qui centum milium æris... haberent, octoginta fecit centurias ; ... prima classis omnes appellati. Cicéron (De rep., II, 22, 39) ne donne pas un chiffre précis pour la première classe ; mais, d’après les chiffres qu’il donne pour les chevaliers et les fabri tignarii, il est aisé de voir qu’il attribue à cette classe 70 suffrages.

[51] Tite-Live (I, 43, et XXIV, 7) atteste que la réforme doit avoir été accomplie entre ces deux dates ; mais on ne peut dire rien de plus.

[52] Cicéron, 2e Philippique, 33, 83 : Ecce Dolabellæ comitiorum dies : sortitio prærogativæ : quiescit (Antoine qui présidait). Renuntiatur : tacet. Prima classis vocatur, renuntiantur deinde ut assolet suffragia (sur cette leçon, voir Lange, De magistrat. romanor. renuntiatione..., p. 7, note 4) : tom secunda classis : quæ omnia sont citius facta quam dixi... Cf. Tite-Live, XLIII, 16 ; Pseudo-Salluste, De rep. ordin., II, 8.

[53] Ce n’est pas ici le lieu d’examiner longuement cette question. Je me contente de renvoyer à l’ouvrage de M. Belot (I, 272-285). Il est probable que le cens de la première classe fut porté à 1.000.000 d’as (400.000 sesterces), celui de la deuxième à 750.000 as (300.000 sesterces), celui de la troisième à 500.000 as (200.000 sesterces), etc., en un mot que le cens fut décuplé.

[54] Pour être chevalier equo privato, il suffisait de posséder le cens équestre ; pour être chevalier equo publico, il fallait de plus être admis par les censeurs dans les centuries équestres (voir plus haut, note 3). Entre ces deux catégories de citoyens il n’y avait pas de différence de fortune. L’État fournissait aux chevaliers equo publico, non pas un cheval, mais une somme pour acheter un cheval et une indemnité annuelle pour le nourrir. De là les expressions dare, assignere, adimere, jubere vendere equum.

[55] En laissant de côté la centurie des fabri qui évidemment ne pouvait devenir prérogative.

[56] Varron, De lingua Latina, VI, 86 ; Appien, III, 23 ; Denys, IV, 14-15 ; Asconius (Orelli), p. 7 ; Mommsen, C. I. L., tome I, p. 205. Cf. Lange, Rœm. Alterthümer (3e édit.), I, 508-509 ; Willems, Le droit public romain, p. 48-49. Les tribus restèrent des groupes très vivants jusque sous l’Empire ; on voit souvent les membres d’une même tribu s’associer entre eux. Orelli-Henzen, 740, 1000, 6419.

[57] Q. Cicero, De petitione consulatus, voir notamment 5 et 8.

[58] Le mot contribulis figure dans Orelli, 3107.