LE DIFFÉREND ENTRE CÉSAR ET LE SÉNAT — (59-49 AV. J.-C.)

 

CHAPITRE II. — DURÉE DU PREMIER GOUVERNEMENT DE CÉSAR.

 

 

Il n’est pas douteux qu’aux termes de la loi Vatinia le premier gouvernement de César devait durer cinq ans. Mais on n’est pas d’accord sur la date exacte où il commençait et où il finissait. Les opinions émises à ce sujet peuvent se ramener à deux : celle de Mommsen et celle de Zumpt.

Voici d’abord la théorie que Mommsen a développée dans son Mémoire intitulé : La question de droit entre César et le Sénat[1]. A l’origine, l’année romaine partait du 1er mars, et c’est seulement en 153 av. J.-C. que l’entrée en charge pour les magistrats suprêmes de la cité fut fixée au 1er janvier. Dès lors le 1er janvier marqua le commencement de l’année civile ; mais le 1er mars continua d’être le jour initial de l’année militaire et de l’année judiciaire. Il est vrai que ce principe était quelquefois violé dans la pratique : ainsi les soldats n’étaient pas toujours incorporés ni congédiés le 1er mars ; mais ces exceptions, si nombreuses qu’elles fussent, ne portaient nulle atteinte à la règle officielle. Cette règle ne s’appliquait pas uniquement aux simples soldats ; elle s’étendait aussi aux officiers, aux généraux, enfin à tous ceux qui avaient l’imperium. Le consul qui prenait possession de sa charge le 1er janvier ne prenait possession de l’imperium que deux mois après ; les propréteurs et les proconsuls qui se rendaient en province au sortir d’une magistrature urbaine ne quittaient Rome que le 1er mars ; même sous l’empire, l’année militaire était distincte de l’année civile, et elle allait du 1er mars au dernier de février. Mais en vertu de cet axiome de droit public : annus cœptus pro completo habetur[2], un semestre, un mois de service pouvait compter pour une année entière. D’autre part, il n’appartenait pas plus au général qu’au soldat d’abandonner son poste ; le soldat restait au corps jusqu’au moment où il recevait son congé, et le général demeurait à la tête de son armée jusqu’à l’arrivée de son successeur[3]. Il résulte de tout ceci que le quinquennium conféré à César par la loi Vatinia était compris entre le 1er mars 59 et le 1er mars 54 ; car en droit strict César devint proconsul le 1er janvier 58, bien qu’il ne soit parti pour la Gaule qu’à la fin de mars ; il eut donc l’imperium proconsulaire pendant les deux derniers mois de l’année militaire 59-58, et ces deux mois équivalaient à une année complète[4]. Telle est, dans ses traits essentiels, la thèse de Mommsen. Elle a été réfutée par Zumpt[5], à qui nous emprunterons la plupart de ses critiques en y ajoutant quelques observations personnelles.

Le premier argument invoqué par Mommsen est tiré d’un bronze du musée du Capitole, reproduit dans les recueils de Kellermann et d’Orelli[6]. Seize soldats de la deuxième cohorte des vigiles de Rome, entrés au service du 31 mai 199 ap. J.-C. au 13 février 200, élèvent un autel au génie de leur centurie parce que le 1er mars 203 ils ont été portés sur la liste de ceux qui reçoivent le blé de l’Etat, c’est-à-dire inscrits parmi les citoyens romains. Or un sénatus-consulte cité par Ulpien nous apprend que tout soldat de droit latin qui avait été vigile pendant trois ans acquérait le droit de cité[7]. Mommsen conclut de là que si les seize soldats dont nous parlons sont devenus citoyens le 1er mars 203, c’est ce jour-là qu’ils ont eu leur congé, preuve certaine que cette date était le terme officiel de l’année militaire[8]. A cela on peut répondre d’abord que le soin avec lequel ces soldats indiquent le jour précis où ils ont été faits citoyens est déjà une présomption défavorable à l’hypothèse de Mommsen ; il eût été plus naturel, en effet, de ne point noter cette date si, étant la même pour tous, elle eût été d’avance connue de tous. En second lieu, il n’est pas probable qu’y, peine arrivés à l’échéance légale de leur service, les vigiles prissent part aux distributions de blé. Le chiffre des pauvres que nourrissait l’Etat n’était pas illimité : César l’avait fixé à 150.000 et Auguste à 200.000[9]. Ceux qui étaient exclus de cette faveur attendaient que la mort fît des vides dans les listes ; tous les ans on révisait ces listes, on constatait les vacances, et on introduisait à la place de nouveaux noms[10]. Il pouvait donc arriver qu’au moment où le service d’un vigile expirait il n’y eût pas de place pour lui. Dans ce cas, un intervalle s’écoulait entre sa libération et son inscription. Or qui nous dit qu’il n’en a pas été ainsi des soldats qui figurent sur le bronze du Capitole ? On objectera peut-être que pour les vigiles il y avait toujours de la place. Cela est possible assurément ; mais quand même on admettrait qu’ils recevaient le même jour et leur congé et le droit de participer aux distributions de blé, il resterait encore à démontrer que ce jour-là était nécessairement le lei mars, et si l’on parvenait à faire cette démonstration, il suffirait, pour détruire les conséquences que Mommsen en déduit, de supposer que la révision annuelle de la liste des assistés s’achevait d’habitude le 1er mars.

Mommsen s’appuie encore sur d’autres textes épigraphiques qu’il semble avoir mal interprétés. L’un d’eux[11] nous atteste que sept prétoriens incorporés, cinq en 133 et deux en 134, ont été libérés le 7 janvier 150. Mommsen prétend que ces soldats ont dû commencer leur service dans la même année militaire, puisqu’ils l’ont terminée en même temps, et cette année militaire est d’après lui celle qui va du mois de mars 133 au mois de mars 134. Pour que cette opinion fût vraie, il faudrait que les premiers prétoriens eussent été enrôlés de mars à décembre 133 et les deux derniers en janvier ou février 134 ; or ce fait n’a pas été établi. Le raisonnement de Mommsen part d’ailleurs d’un principe faux, à savoir qu’on ne congédiait simultanément que des soldats de la même classe. Rien ne prouve qu’il en fût ainsi. On voit au contraire dans beaucoup de diplômes, l’empereur accorder l’honesta missio à des hommes qui quina et vicena plurave stipendia meruerunt[12]. Mais, dira-t-on, il y avait peut-être une exception pour les prétoriens ; la plupart des diplômes qui les concernent portent en effet l’expression suivante : milites qui militaverunt in cohortibus prætoris, qui fortiter et pie militia functi sunt[13]. Ce mot militia, que n’accompagne point l’indication des années de service, n’atteste-t-il pas que les prétoriens étaient toujours renvoyés dès que le terme légal était arrivé ? S’il existait réellement une règle pareille, il était très naturel de licencier tous ensemble les soldats qui avaient été admis ensemble dans les cohortes prétoriennes. C’est le système en usage chez nous ; il n’en était pas de même à Rome. Les prétoriens servaient en général pendant seize ans[14] ; mais il n’était pas rare que les empereurs, dans l’intérêt du trésor[15] autant que dans l’intérêt de l’armée, les retinssent plus longtemps. On en connaît un grand nombre qui n’eurent leur congé qu’après dix-sept ou dix-huit ans de présence au corps[16]. Il pouvait donc se faire qu’on libérât à la même date des prétoriens de plusieurs promotions différentes, et à cet égard ceux-ci ne se distinguaient en rien des légionnaires.

Une inscription de Lambèse mentionne des vétérans de la légion IIIa Augusta qui militare cœperunt Glabrione et Torquato, item Asiatico II et Aquilino Cos (c’est-à-dire en 124 et 125 ap. J.-C.) ; elle figure sur un monument destiné à honorer la mémoire de L. Novius Crispinus Martialis. Une autre est dédiée à Marc-Aurèle par les centurions et les vétérans qui militare cœperunt Glabrione et Homullo et Præsente et Rufino Cos (c’est-à-dire en 152 et 153). Enfin, une troisième est un hommage adressé par les mêmes individus au légat impérial A. Julius Pison[17]. Ces textes prouvent, d’après Mommsen, que l’année militaire était pour ainsi dire à cheval sur deux années civiles, puisqu’on la désignait en nommant deux consulats successifs[18]. Les inscriptions attestent au contraire qu’on la désignait toujours en nommant un seul consulat[19], et celles de Lambèse ne dérogent pas à cette régla. Il est aisé de voir que les soldats dont elles parlent appartenaient à deux classes distinctes et s’étaient associés, suivant l’usage, pour élever un monument à frais communs[20]. Mommsen le nie, il est vrai ; car il croit que l’occasion des trois inscriptions de Lambèse fut le passage de tous ces soldats dans le corps des vétérans[21]. Or s’ils étaient devenus vétérans au même moment, c’est dans la même année qu’ils étaient entrés au service. On n’ignore pas en effet que tout soldat qui avait fait ses vingt ans était de droit vétéran quand il restait dans l’armée[22]. Ces assertions seraient irréfutables si auparavant Mommsen avait eu soin de prouver que les inscriptions de Lambèse furent gravées en commémoration du jour où les légionnaires eurent la, vétérance. Il se contente de dire que la chose est hors de doute. Mais alors comment s’expliquer que la deuxième et la troisième placent des centurions à côté des vétérans ? En quoi ceux-là étaient-ils autorisés à témoigner publiquement leur reconnaissance pour une bonne fortune arrivée à ceux-ci ? Nous savons en outre la date de la deuxième inscription ; elle est de l’année 176[23]. Or, les soldate incorporés pendant l’année militaire 152-153 furent vétérans au plus tard en février 172. Est-il vraisemblable qu’ils aient laissé s’écouler quatre ans avant d’exprimer la joie que leur avait causée cet heureux événement ?

Si le 1er mars eût inauguré l’année militaire, c’est généralement vers cette date que les soldats auraient été enrôlés et licenciés. Or les textes épigraphiques et les textes des historiens montrent qu’il n’y avait point d’époque fixe pour l’opération du recrutement[24]. Quant aux congés, Mommsen affirme qu’ils étaient d’ordinaire expédiés de Rome aux armées du 4 au 7 janvier, et que par suite les soldats, souvent campés au loin, ne les recevaient guère qu’en mars[25]. Ce fait est inexact. Sur cinquante-deux diplômes publiés par M. Renier, six seulement sont du mois de janvier ; les autres ont été délivrés dans les différents mois de l’année. Cette variété de dates n’a point pour cause la distance plus ou moins grande qui séparait de Rome les divers cantonnements militaires. Pour les cohortes prétoriennes et urbaines, le recueil de M. Renier contient quatre diplômes datés de janvier et un du 6 mai ; ceux des flottes de Misène et de Ravenne sons, des mois de février, avril, septembre, octobre, décembre ; ceux de la Mésie inférieure sont d’avril, mai, juin, août ; ceux de la Dacie portent les indications suivantes : 17 février, 22 mars, 27 septembre, 13 décembre. On pourrait citer encore beaucoup d’autres exemples empruntés aux armées de Bretagne, de Sardaigne, de Germanie, d’Illyrie, de Pannonie, de Judée, d’Egypte, de Rhétie, et il en résulterait que les soldats n’étaient pas renvoyés à une époque déterminée. Tout dépendait des circonstances et de la volonté de l’empereur. Puisqu’on ne tenait pas plus compte du 1er mars pour les congés que pour les levées d’hommes, il n’est pas probable que ce jour-là fût considéré comme le commencement de l’année militaire.

Mommsen a tort également de prétendre que l’année judiciaire partait aussi du 1er mars. Ce fait pourtant lui semble certain, et il conclut de là qu’il devait en être de même de l’année militaire ; car, dit-il, le droit de commander des troupes et le droit de rendre la justice dérivaient l’un et l’autre de l’imperium. D’après lui, les préteurs ne procédaient à la répartition de leurs attributions qu’après le 1er janvier ; ce travail leur prenait deux mois, et les procès ne s’ouvraient que le 1er mars. Mais comme chaque affaire était nécessairement vidée par le juge à qui elle avait été d’abord soumise, on n’introduisait pas de nouvelles instances après le 1er septembre, et le deuxième semestre de l’année judiciaire était employé à juger les procès entamés dans le semestre précédent[26]. Des textes nombreux contredisent cette opinion. Verrés reçut du sort la province urbaine dés qu’il eut été désigné préteur[27]. Metellus obtint la présidence de la quœstio repetundarum avant d’entrer en charge[28]. Or il est impossible de croire que ce soient là des exceptions. Cicéron raconte qu’en 75 P. Annius Asellus légua tous ses biens à sa fille unique. Verrès, qui n’était encore que préteur désigné, s’entendit avec un parent du défunt, et il promit de casser le testament, sous prétexte qu’il n’était pas conforme à son propre édit. C’était violer ce principe de droit public qui refusait tout effet rétroactif aux lois et aux décrets ; le testament d’Annius étant antérieur à l’édit de Verrés, il était défendu de l’attaquer en se fondant sur cet édit même. Cicéron insiste longuement sur ce point, et il ajoute : Si finem edicto prœtoris afferunt kalendæ Januariæ, cur non initium quoque edicti nascitur à kalendis Januariis ! Il affirme donc que l’édit du préteur urbain a force de loi depuis le 1er janvier jusqu’au dernier de décembre. Or, si les attributions des préteurs n’avaient été réparties habituellement qu’après le 1er janvier, si par conséquent le préteur urbain n’avait fait connaître son édit qu’à la fin de janvier ou en février, l’édit nouveau aurait eu cet effet rétroactif que Cicéron lui conteste ; car il aurait nécessairement atteint tous les actes de la vie civile accomplis entre le 1er janvier et le jour de sa publication[29]. Il n’était pas rare, d’autre part, que des procès fussent engagés et jugés en janvier et en février par les préteurs de l’année courante. En 56, Sestius est accusé de brigue et de violence le 10 février, et il est acquitté le 11 mars. Le 11 février de la même année, Cicéron plaide pour Bestia devant le préteur Cn. Domitius[30]. Dans ses Verrines, il expose le calcul de son adversaire qui veut rejeter l’affaire à l’année suivante, espérant que les juges futurs lui seront plus propices. Or voici les paroles qu’il prête à Verrès : Hunc judicem ex kal. Januariis non habebimus..... Secundum kal. Januarias, et prætore et prope toto consilio commutato, magnas accusatoris minas eludemus[31]. Quant aux quatre derniers mois de l’année civile, ils n’étaient pas réservés, comme l’assure Mommsen, aux causes déjà admises par le préteur. A cet égard les preuves abondent. Vers la fin de 59, Caton veut accuser Gabinius de brigue ; les préteurs refusent d’accueillir sa plainte, et il ressort clairement d’un texte de Cicéron qu’ils n’en avaient pas le droit[32]. En 54, Gabinius revient de son gouvernement de Syrie dans les derniers jours de septembre ; aussitôt on lui intente une double accusation, et il est absous[33]. Au mois d’octobre, quatre candidats au consulat sont traduits en justice sous l’inculpation de brigue[34]. En décembre 52, le tribun T. Munatius Plancus Bursa sort de charge, et Cicéron le fait condamner[35]. On trouverait encore deux exemples analogues en 51[36]. Tous ces textes sont en désaccord avec la théorie de Mommsen, et ils montrent que l’année judiciaire n’était pas plus distincte que l’année militaire de l’année civile.

Il est inexact de dire que les consuls n’étaient pas autorisés à solliciter pour eux-mêmes une lex curiata de imperio avant le 1er mars[37]. Bien que les historiens anciens négligent presque toujours de mentionner cette formalité, ils racontent certains faits d’où l’on peut conclure que la loi curiate était généralement votée peu de temps après l’élection du magistrat qu’elle concernait. On sait que l’imperium était indispensable pour exercer un commandement militaire[38]. Or, en 89, le consul L. Porcius Cato fut tué par les Marses dans une expédition qui eut lieu l’hiver, dit Appien, et l’on voit, par la suite du récit, que c’était l’hiver de 90-89, non celui de 89-88[39] ; le consul avait donc été pourvu de l’imperium avant le 1er mars. Quand commença la guerre entre César et Pompée, les consuls de 49, Marcellus et Lentulus, entrèrent en campagne dès le mois de janvier ; ils avaient déjà l’imperium ; car dans le même paragraphe du De bello civili César blâme les préteurs qui partirent alors pour leurs provinces sans loi curiate[40]. Si les consuls avaient mérité un pareil reproche, il n’aurait pas manqué de le leur adresser. Son silence atteste implicitement qu’en janvier ils étaient investis de l’imperium et qu’il n’y avait à cela rien d’illégal. Un dernier exemple que nous rappellerons encore est celui du consul Hirtius, qui, au mois de février 43, était avec des troupes à Claterna, non loin de Modène[41]. On objectera peut-être que c’étaient là des cas exceptionnels ; mais il est à présumer que Lentulus et Marcellus, pour ne citer qu’eux, ne se firent pas donner l’imperium la veille du jour où ils franchirent les murs de la ville ; ils le prirent sans doute en 50, après les comices électoraux, à un moment où ils ignoraient que l’année suivante ils auraient à revêtir le paludamentum. S’ils le reçurent longtemps avant le 1er mars 49, ce n’était pas en raison des circonstances, mais simplement pour obéir à l’usage.

Officiellement le 1er mars était une date comme les autres. Il avait néanmoins ceci de particulier que d’ordinaire les proconsuls et les propréteurs attendaient ce jour-là pour aller dans leurs provinces. Leurs fonctions urbaines expiraient à la fin de décembre, et les préparatifs qu’ils avaient à faire exigeaient bien deux mois[42]. Du reste, ils ne pouvaient guère s’éloigner au cœur de l’hiver ; car, même en tenant compte du temps nécessaire au voyage, la plupart seraient arrivés dans leurs gouvernements à une époque de l’année où il n’eût pas été possible d’entreprendre soit une expédition, soit une tournée judiciaire. C’est donc habituellement le ter mars qu’ils quittaient Rome. Mais il n’y avait pas de règle précise à cet égard. Gabinius et Pison se rendirent en Syrie et en Macédoine dans les derniers mois de leur consulat[43]. Crassus suivit cet exemple en 55[44]. César demeura aux environs de la ville jusqu’à la fin de mars 58[45]. Cicéron ne se mit en route pour la Cilicie qu’au mois de mai[46]. Or, rien n’indique qu’en avançant ou en retardant ainsi leur départ ces personnages aient violé aucune loi.

Il reste donc établi :

1° En principe, que l’année militaire se confondait avec l’année civile ;

2° En fait, que le quinquennium décerné à César en 59 pouvait ne point finir le 1er mars 54.

 

C’est pourtant au 1er mars 54 que Zumpt place le terme du proconsulat des Gaules ; mais son argumentation est très différente de celle de Mommsen. Tout commandement extraordinaire, dit-il, courait depuis le vote de la loi qui le conférait. Or en 56 le sénat discuta la question de savoir si on ne désignerait pas immédiatement pour le 1er mars 54 les successeurs éventuels de César. Il résulte de là que la loi Vatinia avait été adoptée le 1er mars 59 et que le quinquennium était compris entre cette date et les calendes de mars 54 ; car, d’après Zumpt, il est impossible d’admettre qu’osa ait songé à dépouiller César de son gouvernement avant l’expiration légale de ses fonctions[47].

Il convient d’examiner cette théorie de prés et, de discuter minutieusement les textes sur lesquels on l’appuie ; c’est le seul moyen de parvenir à une solution exacte des difficultés que soulève cette grave question.

A Rome, une magistrature était réputée extraordinaire, quand elle ne faisait point partie de la série régulière des honneurs, quand elle n’entrait en exercice que dans certaines occasions dont le propre était de n’être pas périodiques. Ainsi le dictateur, le magister equitum, l’interroi, les triumviri coloniæ ducendæ, les triumviri agrarii, les Xviri legibus scribundis avaient un pouvoir extraordinaire[48]. Cette expression s’appliquait aussi à quiconque obtenait une charge publique par dérogation à un des principes essentiels de la constitution. Tel était le cas du citoyen qui était élu deux fois consul à moins de dix ans d’intervalle ou encore de celui qui arrivait au consulat avant d’avoir atteint l’âge légal et passé par la préture[49]. Si un proconsul était investi par le sénat d’une province déjà attribuée par le sort à son collègue, cette province lui était décernée extra ordinem ; car la loi voulait qu’en cette matière les décisions du sort ne pussent être annulées que par un accord survenu entre les intéressés[50]. Il en était de même de tout proconsul qui avait reçu son gouvernement non du sénat, comme l’exigeait la loi Sempronia, mais de l’assemblée populaire[51]. Ce fut dans cette dernière condition que César se trouva placé par le vote du plébiscite Vatinien. Il fut donc dans la Gaule cisalpine un magistrat extraordinaire. Est-ce à dire qu’il faille accepter toutes les conséquences que Zumpt tire de là et fixer comme lui la fin du quinquennium au 1er mars 54 ? C’est ce qu’il importe de rechercher. Pour cela il est indispensable de passer en revue les arguments qu’il emprunte à la première dictature de César, à sa loi agraire, à la loi Gabinia et au triumvirat de l’année 43.

Eusèbe, dit-il, et plusieurs autres chronographes prétendent que César régna quatre ans et sept mois ; donc son règne, ou, ce qui revient au même, sa dictature commença aux ides d’août, puisqu’il mourut aux ides de mars 44 ; d’où il suit qu’en droit ses pouvoirs partirent du vote de la loi, car il n’inaugura ses fonctions que vers le mois de décembre[52].

Nous remarquerons que la phrase d’Eusèbe, telle que Zumpt l’interprète, est en contradiction avec plusieurs textes d’une autorité irréfutable. Eusèbe lui-même place dans la première année du règne de César la mort de Pompée[53], qui, on le sait, fut tué en septembre 48[54]. Cette année commença donc au plutôt en septembre 49, et non, comme le croit Zumpt, en août. D’autre part il n’est pas douteux que César s’empara de Lérida le 2 août 49[55] ; puis il se rendit à Cordoue et à Cadix ; un navire le transporta de cette ville à Tarragone, d’où il alla par voie de terre à Marseille, et c’est là qu’il apprit que M. Æmilius Lepidus l’avait fait nommer dictateur[56]. Cette nouvelle était trop ‘grave pour qu’on ne se fût pas empressé de la lui transmettre ; elle ne dut pas non plus attendre César à Marseille, et il est probable que la loi venait d’être adoptée quand elle lui fut notifiée ; ainsi elle fut postérieure de plusieurs semaines au 13 août, date que Zumpt lui assigne, puisque César, suivant toutes les vraisemblances, n’arriva à Marseille que vers le milieu ou la fin d’octobre[57]. Nous sommes ici en présence d’une difficulté sérieuse. Il est impossible de rattacher le commencement du règne de César à un fait autre que sa première dictature[58], et cette dictature ne put pas lui être conférée aux ides d’août. Le seul moyen de résoudre ce problème est de supposer que Zumpt a mal compris le calcul d’Eusèbe et de l’expliquer comme il suit. Quand Eusèbe, dans le texte dont il s’agit, parle de quatre ans et sept mois, il entend sans doute parler d’un total de cinquante-cinq mois. Or César, pour réformer le calendrier, intercala soixante-sept jours supplémentaires entre le mois de novembre et le mois de décembre 46[59]. Si l’on admet qu’Eusèbe a compté, non par années, mais par mois, et que l’on remonte depuis les ides de mars 44 jusqu’au premier des cinquante-cinq mois qu’il attribue au règne de César, on arrivera aux ides d’octobre 49 et l’on assignera à cette dernière date le vote de la loi de Lepidus.

Quoi qu’il en soit de cette question de détail, il n’en est pas moins avéré qu’Eusèbe fait partir le règne de César du moment même où il fut élu dictateur, et il s’agit de savoir si légalement cette dictature datait en effet des ides d’octobre 49.

Le passage d’Eusèbe qui a donné naissance à toute cette controverse ne peut être bien saisi que si on le considère dans son ensemble. L’auteur, après avoir mentionné la guerre civile qui éclata entre César et Pompée, écrit sous forme de rubrique : Finis reipublicœ principiumque romani imperii. Puis il ajoute : C. Julius Cæsar primus apud Romanos singulare obtinuit imperium à quo Cæsares Romanorum principes appellati, et au-dessous : Romanorum primus (s.-e. regnavit) C. Julius Cæsar an. 4, me. 7[60]. Ainsi, dans sa pensée, le règne de César était le temps pendant lequel celui-ci avait été maître absolu ou empereur. Mais le propre des chronographes est d’assigner une date bien déterminée à des événements qui souvent ne comportent aucune précision de ce genre. Dans le cas actuel, il n’était pas possible de dire quand avait commencé l’empire. Obligé de marquer ce fait par une date arbitraire[61], Eusèbe choisit le jour où le peuple avait décerné à César la dictature. On se demandera peut-être pourquoi il n’adopta pas de préférence le jour où César prit possession de cette charge. C’est que la première de ces dates lui parut, au point de vue chronologique, plus digne d’être notée que la seconde. Aux ides d’octobre, celui qu’il appelle le premier empereur de Rome acquit un titre nouveau qui l’élevait au-dessus de tous les autres magistrats ; ses pouvoirs n’en furent point accrus, car ils étaient déjà absolus ; mais si la loi de Lepidus ne fut pas l’origine de sa toute-puissance, elle en fut du moins le signe. C’est pour ce motif qu’Eusèbe se crut autorisé à placer là le début du règne de César et du régime impérial.

Telle est, à ce qu’il semble, l’explication la plus naturelle de ce fameux texte d’où Zumpt a déduit une théorie que ses autres arguments ne démontrent pas mieux. Qu’importe que dès le lendemain du vote de la loi Gabinia Pompée ait usé des pouvoirs qu’elle lui conférait[62] ? Qu’importe qu’Antoine, Octave et Lépide, à peine élus triumvirs, aient aussitôt publié leur édit de proscription[63] ? Tout ce qu’on peut dire de ces deux exemples, c’est qu’ils ne sont ni contraires, ni favorables à la thèse de Zumpt. Pour établir un rapport quelconque entre cette thèse et ces faits, il faudrait prouver que l’empressement des triumvirs et de Pompée à inaugurer leurs fonctions venait du désir qu’ils auraient eu de ne point perdre un seul jour de charge. On ne voit pas non plus pourquoi Zumpt invoque, à l’appui de son opinion, la loi agraire de César. Cicéron, Appien, Dion, Plutarque ne font aucune allusion à la durée des pouvoirs dont furent investis les commissaires, ni surtout à leur point de départ. Nous savons que la loi fut présentée au sénat en janvier 59, puis au peuple, qu’en avril les commissaires étaient déjà nommés, qu’en 57 et en 56 on proposa vaguement de l’abroger, et qu’en 51 elle n’était pas encore complètement exécutée[64]. Mais les textes nombreux oh il en est question ne contiennent pas la moindre indication sur le jour initial de la charge des XXviri qu’on institua à cet effet. En somme le principe d’après lequel Zumpt compte les années des magistrats extraordinaires de Rome ne repose que sur un seul argument, celui qui est tiré de la première dictature de César, et cet argument même .a été réfuté plus haut.

Voilà pour ce qui concerne le point de droit. Quant au point de fait, il n’offre désormais qu’un médiocre intérêt. Supposons, en effet, que la loi Vatinia soit du 1er mars 59, comme le veut Zumpt ; cela ne prouverait nullement que le gouvernement de César dut finir le 1er mars 54. Que serait-ce si elle avait été votée après les calendes de mars ? Nous n’avons là-dessus que de vagues renseignements. Il est certain, néanmoins, que la loi est antérieure au mois de juin. Dans une lettre écrite en juin, Cicéron raconte à son ami Atticus que César songe à l’emmener comme légat[65], et ce texte ne laisse aucune place à l’équivoque. Elle parait même antérieure au mois de mai ; car, dans une seconde lettre, datée du commencement de mai, Cicéron attribue à Pompée ces paroles : Oppressos vos tenebo exercitu Cæsaris[66]. De quelle armée s’agit-il ici ? Evidemment des légions que le peuple et le’ sénat avaient décernées au proconsul des Gaules. D’un autre côté, Suétone, Dion et Appien attestent que Bibulus ne descendit plus au forum après le vote de la loi agraire, et que dès lors il demeura dans sa maison, d’où il ne cessa de lancer contre son collègue des décrets impuissants[67]. Or il n’est point d’auteur qui signale sa présence dans l’assemblée des comices réunis en vue de la loi Vatinia ; Caton essaya seul de combattre cette motion. Il était naturel d’ailleurs qu’avant de solliciter le gouvernement de la Cisalpine, César cherchât à gagner les sympathies de la foule, et l’on sait qu’une distribution de terres était à Rome un moyen sûr d’acquérir la popularité. Comme il est fort probable que la loi agraire de César fut adoptée dans la dernière semaine de janvier ou dans la première de février[68], le plébiscite vatinien doit être placé entre cette date et la fin d’avril. Dans cet intervalle même il convient de le rapprocher plutôt du mois de mai que du mois de janvier. Dion, qui d’ordinaire raconte les événements dans l’ordre chronologique, ne le mentionne qu’après toutes les lois juliennes de l’année 59. La plupart de ces lois furent en effet inspirées par le désir qu’avait César d’assurer le succès de la proposition relative au proconsulat des Gaules ; car il n’ignorait pas que de là dépendait sa fortune politique. Une société de publicains se plaignait qu’on lui eût affermé l’impôt d’Asie à un prix trop élevé, et depuis deux ans elle réclamait vainement soit une remise, soit la résiliation du bail ; par l’influence de César, la somme fut réduite d’un tiers[69]. Il porta des peines sévères contre les crimes de concussion ; mais on a des raisons de croire qu’il en exempta les chevaliers[70]. Il resserra son alliance avec Pompée, en faisant ratifier toutes les mesures que celui-ci avait prises en Orient[71]. Enfin il attacha à ses intérêts le chef de bandes, Clodius, en l’aidant à passer dans les rangs de la plèbe, et en lui ouvrant ainsi l’accès du tribunat[72]. L’objet principal de tous ces actes était de disposer les esprits à accueillir favorablement le projet de loi que Vatinius préparait. On peut donc prétendre que le vote de ce projet est postérieur au 1er mars, et même le reculer jusqu’en avril. Si cette conjecture est fondée, elle nous fournit un argument de plus contre la théorie de Zumpt.

 

A cette théorie et à celle de Mommsen nous essaierons d’en substituer une autre, qui semble à la fois plus simple et même justifiée par les faits.

Les lettres de Cicéron nous apprennent comment se comptait à Rome la durée des gouvernements provinciaux. Quand il fut envoyé en Cilicie, il savait qu’il y resterait un an, à moins que le sénat ne prorogeât ses pouvoirs. Or, dès son arrivée, il écrit à Atticus : Laodiceam veni pridiè kalendas sextiles ; ex hoc die clavum anni movebis[73]. Le 13 février 50, son langage est encore plus précis : Venimus, dit-il, in provinciam Laodiceam Sulpicio et Marcello consulibus (en 51), pridiè kalendas sextiles ; inde nos oportet decedere a. d. III kalendas sextiles (de l’année 50)[74]. Il revient sur ce point à plusieurs reprises, et toujours dans les mêmes termes[75]. Il parle de Bibulus qui ne se presse point d’entrer dans sa province de Syrie, et il ajoute : Id autem facere ob eam causam dicebant quod tardius vellet decedere[76]. Enfin, au commencement d’août 50, il annonce qu’il a mis son questeur Cœlius à la tête de la Cilicie et que ses propres fonctions sont terminées[77]. Que conclure de tous ces textes, sinon qu’en 51 les gouvernements proconsulaires dataient de l’instant où le magistrat prenait possession de sa province ? Ce principe était encore en vigueur sous Trajan. Pline, dans ses lettres officielles, a bien soin de mentionner le jour où il a débarqué en Bithynie, et Trajan ne manque pas de lui accuser réception de ce renseignement[78]. L’importance que l’un et l’autre paraissent y attacher témoigne qu’ils ne pouvaient s’empêcher de le noter, et que la légation de Pline partait de là. Mommsen remarque en outre que sous l’empire l’année proconsulaire allait du 1er juillet au 30 juin, et nous savons par Dion Cassius que le 1er juillet n’était pas le jour où les proconsuls avaient coutume de quitter Rome[79]. Le temps de leur voyage était donc en dehors du temps de leur charge, comme à l’époque où Cicéron administra la Cilicie.

Il ne devait pas en être autrement en 58. Si cette règle eût été postérieure à cette année-là, c’est en 52 qu’elle aurait été introduite dans le droit public ; car il n’y eut, de 58 à 51, qu’une lex de provinciis, celle de Pompée. Or cette loi nous est connue dans tous ses détails, et le silence des auteurs nous atteste qu’elle ne changea rien aux usages établis, en ce qui concernait le point de départ des années proconsulaires. D’ailleurs Cicéron, qui rappelle souvent ces usages pour fixer la date exacte où prendra fin son exil administratif, ne dit jamais qu’ils fussent d’origine récente ; il n’exprime même pas le principe sur lequel sont fondés ses calculs, il le suppose familier à Atticus, et il se contente de l’appliquer à sa situation personnelle. Il serait difficile d’admettre qu’en cette matière une coutume différente eût prévalu. Les provinces n’étaient pas toutes à égale distance de Rome. Quelques-unes, comme la Cisalpine et la Sicile, étaient fort rapprochées ; d’autres, comme la Syrie, étaient très éloignées. Il n’eût pas été juste que les proconsuls chargés de ces dernières eussent été condamnés à voir la durée réelle de leurs fonctions arbitrairement restreinte par la longueur de la route, par le mauvais état de la mer, par la violence des vents, par les accidents du voyage. Cette considération, il est vrai, n’aurait eu aucune importance dans la plupart des cas ; car les provinces étaient en général décernées pour un temps indéfini. Mais il n’en était plus ainsi lorsqu’on dérogeait à cette habitude, comme on fit pour César. Il fallait alors que l’on sût avec précision quel serait officiellement le jour initial du commandement dont le proconsul se trouverait investi. Tout gouverneur, dès qu’il avait franchi les murs de Rome, était libre de porter les insignes de l’imperium, mais il n’en exerçait les attributions que dans sa province[80], et il était naturel que le moment même où il y entrait fût celui d’où dataient ses fonctions. Outre les arguments qui viennent d’être énumérés, cette conjecture est confirmée par ce fait que toutes les autres magistratures couraient à Rome depuis l’inauguration effective de la charge. Pour le consulat, la préture, l’édilité, le tribunat, cela n’est point douteux[81]. De même pour la dictature, puisque le texte d’Eusèbe n’a aucune autorité juridique, et que les auteurs anciens assignent tous une durée de onze jours à la première dictature de César[82]. Quant au triumvirat de l’année 43, il est certain qu’Octave, Antoine et Lépide, en prirent possession le lendemain du vote de la loi qui le leur conférait ; mais rien ne prouve que leur quinquennium ait couru à partir du premier jour et non à partir du second. Nous en dirons autant des commissaires institués par les lois agraires ou des généraux qui, comme Pompée, furent placés par le peuple à la tête de quelque expédition militaire. Il n’existe point de texte d’où l’on soit en droit de conclure que l’origine légale de leurs pouvoirs se déterminait d’une autre manière que celle des pouvoirs d’un consul ou d’un tribun. La même règle s’appliquait évidemment aux magistratures ordinaires et aux magistratures extraordinaires, aux gouvernements provinciaux et aux fonctions urbaines.

Ceci posé, il ne nous reste plus qu’à rechercher quel jour César arriva dans la Cisalpine. Il s’éloigna de Rome aussitôt qu’il fut informé du dessein qu’avaient les Helvètes d’émigrer en Gaule. Une semaine lui suffit pour franchir l’espace qui le séparait de Genève. Immédiatement après il reçut dans cette ville une députation envoyée par les Helvètes ; il ajourna sa réponse au 13 avril, et dans l’intervalle il fit des préparatifs de défense. Telle est là suite des événements dans le De bello gallico (I, 6-8). A lire ce récit, il est clair que le mur et la tranchée dont parle César au chapitre VIII étaient achevés le 13 avril. Or il résulte d’une étude faite sur les lieux mêmes par le commandant Stoffel que ce travail put être exécuté en deux ou trois jours[83]. Il fut donc entrepris vers le 9 et à cette dernière date la première entrevue avec les Helvètes venait sans doute d’avoir lieu. Nous la placerons approximativement au 7. Elle dut être postérieure de deux ou trois jours à l’arrivée de César à Genève, d’où il suit que César se mit en route dans les environs du 27 mars. Mais la Cisalpine n’était guère qu’à deux cents kilomètres de Rome[84]. César s’y trouva par conséquent le 28 ou le 29, et ce fut alors que commença son quinquennium. Nous savons que pour entrer en charge les gouverneurs n’avaient qu’y, passer la frontière de leur province. Cicéron compte les jours de son proconsulat depuis le moment où il a été à Laodicée, in prima provincia[85]. Mais, dira-t- on, César avait à administrer trois provinces, la Cisalpine, la Transalpine et l’Illyrie ; dès lors il semblerait que ses fonctions ne pussent point partir d’une date unique ; il en faudrait une pour chacun de ses gouvernements. Il est aisé de répondre qu’aux yeux des Romains les territoires confiés à César n’étaient qu’une seule province. Le mot provincia désignait moins une circonscription administrative que la part d’autorité déléguée à un magistrat. Si deux contrées, jusque-là bien distinctes, étaient réunies dans les mains d’un même individu, leurs limites communes disparaissaient et elles ne formaient plus qu’une province unique. Ainsi César n’eut qu’à traverser le Rubicon pour inaugurer son proconsulat, et le quinquennium que lui avait accordé la loi Vatinia s’étendit de la fin de mars 58 à la fin de mars 53.

Ici pourtant se présente une grave objection. En 56 on proposa dans le sénat de décerner la Cisalpine et la Transalpine aux futurs consuls de 55, de telle sorte que César fût remplacé le 1er mars 54. Or le sénat n’avait pas qualité pour rappeler César avant l’expiration de sa charge ; car c’eût été annuler le plébiscite de 59, et un plébiscite ne pouvait être abrogé que par un autre plébiscite. Le 1er mars 54 était donc réellement le terme que la loi avait assigné au gouvernement de César.

Il est très vrai qu’en 56 on songea à nommer les proconsuls qui succéderaient à César en 54. Il est hors de doute également que le sénat n’avait pas le droit de casser une loi adoptée par le peuple ni de dépouiller de son commandement, avant l’échéance légale, un magistrat qui en avait été investi par un plébiscite. En 204 un sénateur voulant que l’on retirât à Scipion la direction de la guerre d’Afrique demanda que les tribuns provoquassent un vote des comices sur ce sujet[86]. Appien raconte qu’en 137 le consul Æmilius Lepidus, ayant été envoyé en Espagne, s’y conduisit mal, et que le peuple lui enleva à la fois son commandement et son consulat[87]. Ce fut aussi le peuple qui, en 104, abrogea l’imperium de Servilius pour le punir de la défaite que les Cimbres lui avait infligée[88]. En 56, lorsque C. Caton se mit en devoir d’arracher à Lentulus sa province de Cilicie, il s’adressa au peuple, non au sénat[89]. Ces exemples montrent que le sénat ne pouvait rien à l’encontre d’une résolution populaire.

Mais si ses prérogatives étaient restreintes à cet égard, la constitution du moins l’autorisait à frapper de nullité toute loi qui n’avait pas été votée dans les règles. Il abolit en 91 les lois du tribun Livius Drusus parce que celui-ci n’avait pas tenu compte des auspices, et Cicéron déclare que cet acte de vigueur était parfaitement légitime[90]. C’est pour un motif analogue que l’on attaqua la validité de l’adoption plébéienne de P. Clodius ; le jour où elle eut lieu, les présages du ciel avaient été défavorables ; en outre il n’y avait pas eu un intervalle de trois nundines entre la promulgatio de la loi et le vote définitif ; elle était donc entachée d’un double vice de forme et le sénat avait le droit de la considérer comme non avenue[91]. Dans les Philippiques, Cicéron, se fondant sur ce fait que plusieurs .lois d’Antoine ont été portées per vira et contra auspicia, invite ses collègues à décider que chacun est libre de les enfreindre[92]. Asconius nous a conservé un passage du discours Pro Cornelio où se trouvent énumérés, suivant l’expression de Cicéron, genera in quibus per senatum more majorum statuatur aliquid de legibus. Ces cas sont au nombre de quatre ; mais le texte mutilé d’Asconius n’en fait connaître que trois. 1° Le sénat peut émettre le vœu qu’une loi soit abrogée par le peuple (placere legem abrogari). 2° Il peut ordonner, dans une circonstance exceptionnelle, qu’il soit dérogé aux lois. 3° Il peut enfin casser toute loi inconstitutionnelle (ea non videri populum teneri) ; et Asconius cite à ce propos celles de Drusus[93]. Or, pour qu’une loi fut inconstitutionnelle, il suffisait que les auspices n’eussent pas été consultés ou respectes[94].

On s’est quelquefois mépris sur le sens de cette dernière formalité. On a dit que vers la fin de la République la religion avait perdu tout empire sur les esprits cultivés, que César s’en moquait en plein sénat, que Cicéron la tournait en ridicule avec ses amis, que par suite le maintien des règles qui subordonnaient tous les actes de la vie politique aux prétendues volontés du ciel était un expédient suranné dont se servait l’aristocratie pour gêner l’expression des sentiments populaires, que les démocrates avaient raison de passer outre quand le parti sénatorial, réduit à l’impuissance, se cantonnait sur le terrain religieux, qu’il eût été absurde de la part de César de se laisser intimider par les édits de Bibulus déclarant néfastes tous les jours de son consulat, et que l’historien ne saurait reconnaître au sénat, du moins dans le premier siècle avant notre ère, le droit d’annuler les plébiscites contraires aux lois Œlia et Fufia. Pour apprécier la valeur de cette assertion, il faut nous bien pénétrer du caractère des institutions républicaines de Rome ; car ce n’est pas avec nos idées modernes, c’est avec les idées des anciens qu’il convient de juger les choses de l’antiquité. Aux yeux des Romains, l’autorité publique était, de sa nature, absolue ; mais les pouvoirs de chaque magistrat étaient limités par les pouvoirs de tous les autres ; ils se tenaient réciproquement en échec, et de leurs conflits naissait la liberté, telle qu’on l’entendait alors. L’individu n’avait aucune garantie légale contre l’État pris dans son ensemble ; mais il avait des moyens de protection contre l’arbitraire des agents de l’État, pris isolément. Le sénat savait aussi se faire obéir des citoyens qui se partageaient le pouvoir exécutif : il avait recours, selon les circonstances, à l’imperium des consuls, à l’auxilium des tribuns, à la puissance du peuple, à la religion même[95]. En revanche on avait cru bon de se prémunir également contre ses caprices. Comme sa compétence n’était pas nettement déterminée, il en profitait parfois pour l’étendre ; mais ses décisions étaient toujours susceptibles d’être révisées et cassées par les comices. Il était entravé même dans l’exercice de ses attributions ordinaires : il ne nommait pas son président et il n’avait pas le droit d’initiative ; c’était un consul, un préteur ou un tribun qui le convoquait, qui dirigeait les débats et qui mettait les propositions aux voix ; nul ne parlait sans sa permission, rien n’était discuté qu’avec son consentement. Les comices ne durent pas échapper à la règle qui voulait que dans l’Etat il n’y eût pas de pouvoir sans contrôle. La démocratie athénienne, tout en reconnaissant le principe de la souveraineté du peuple, avait senti le besoin de la renfermer dans de justes limites. Aucun décret de l’assemblée populaire ne pouvait prévaloir contre une loi, et les lois elles-mêmes n’étaient modifiées qu’avec une extrême prudence ; des magistrats spéciaux étaient chargés de les préserver de toute innovation téméraire et le peuple ne les amendait que sur la double proposition des thesmothètes et du sénat[96]. Ces sages précautions étaient encore plus nécessaires à Rome qu’à Athènes ; car la foule qui votait au forum ou au champ de Mars était loin d’égaler en intelligence politique celle qui se réunissait au Pnyx. Il n’est pas probable d’ailleurs que dans la démocratique Athènes les prérogatives du peuple aient été plus restreintes qu’à Rome, dans une cité dont les mœurs demeurèrent toujours aristocratiques, même quand la législation eut cessé de l’être. Or, au temps de César, les lois Œlia et Fufia étaient la seule barrière que la constitution opposât au despotisme de la plèbe ; par elles les nobles exerçaient une sorte de veto préventif sur les décisions du peuple ; par elles ils empêchaient presque tout le mal que la démocratie pure eût fait à la République. Elles avaient peut-être été établies à l’origine dans un intérêt religieux ; mais, de l’aveu de Cicéron, elles ne furent maintenues dans la suite que pour un motif politique[97]. Ce n’est pas à dire qu’elles fussent sans importance à l’époque qui nous occupe, et que l’on considérât alors les auspices comme une vaine formalité. L’acharnement des uns à en proclamer la nécessité, des autres à la nier, prouve qu’au fond une grave question était là en jeu. Il s’agissait de savoir si Rome conserverait ou perdrait sa constitution actuelle, et avec elle cet admirable équilibre des pouvoirs qui garantissait la liberté. Délivrer la plèbe du dernier frein qui la maîtrisait encore, c’était assurer sa domination et par là préparer l’empire. Il n’est donc pas étonnant que le sénat, où les républicains ne cessèrent pas jusqu’à, la fin d’avoir la majorité, ait souvent usé du droit qu’il avait d’abolir tout plébiscite voté en dépit des lois Œlia et Fufia.

Ces lois, on l’a vu, avaient été violées par Vatinius en 59 et il en résultait que la Cisalpine avait été donnée à César illégalement. C’est là-dessus que se fondèrent quelques sénateurs en 56 pour demander que le proconsul des Gaules fût remplacé le 1er mars 54. La preuve nous en est fournie par le De provinciis consularibus. Un sénateur voulait laisser la Cisalpine à César et lui enlever la Transalpine ; un autre préférait lui laisser la Transalpine et lui enlever la Cisalpine. Alter, dit Cicéron au sujet de la deuxième motion, belli Gallici rationem habet, fungitur officio boni senatoris, legem quam non putat, eam quoque serva,t, præfinit enim successori diem[98]. Cette phrase, obscure au premier abord, doit s’expliquer de la façon suivante : L’auteur de la proposition qui maintient César dans la Transalpine lui permet d’achever la guerre des Gaule ; de plus, il se montre jaloux des prérogatives du Sénat, puisqu’il dépouille César de la province qu’il a reçue du peuple sans lui ôter celle que le Sénat lui a confiée. Mais, tout en contestant la légalité du plébiscite de 59, il le respecte dans une certaine mesure, car il interdit au futur successeur de César de pénétrer en Cisalpine avant le 1er mars 54. Ce texte nous apprend qu’aux yeux des constitutionnels purs, la loi Vatinia était nulle, et elle était nulle parce qu’elle avait été adoptée malgré l’obnuntiatio de trois tribuns et d’un consul[99]. Le Sénat pouvait donc réduire à son gré la durée du gouvernement de César ; cela est tellement vrai que Cicéron n’invoque contre le projet en discussion que des raisons d’opportunité. S’il en est ainsi, on se demandera peut-être pourquoi les ennemis même de César, au lieu de le rappeler immédiatement, reculaient jusqu’au 1er mars 54 la date où il sortirait de charge. Nous répondrons que c’était afin d’obéir à la loi Sempronia. La Cisalpine et surtout la Transalpine étaient, par suite de la guerre des Gaules, deux provinces trop importantes pour être données à de simples préteurs ; il fallait nécessairement les réserver à des proconsuls. Or, en 56, les seuls consuls à qui il fût possible de les assigner étaient ceux qui allaient être élus aux prochains comices[100] ; elles ne devaient donc passer en leurs mains qu’en 54, et l’on fixait au 1er mars de cette année l’inauguration de leurs fonctions parce qu’ordinairement, sinon officiellement, c’était vers le 1er mars que les nouveaux gouverneurs se rendaient à leur poste.

De tout ceci nous conclurons que l’objection tirée du De provinciis consularibus est sans valeur et que le quinquennium conféré à César en 59 finissait seulement en mars 53.

 

 

 



[1] Breslau, 1857. Ce Mémoire e été traduit presque en entier par M. Alexandre et inséré en appendice dans le VIIe vol. de H. R. de Mommsen.

[2] Digeste, L. 36, tit. 1, 74, 1 ; 50, 4, 8 ; 50, 16, 134. Cf. Die Rechtsf., 18, note 40.

[3] Die Rechtsfr., 12-36.

[4] Die Rechtsfr., 42-43.

[5] Zumpt, Studia romana, 185-193.

[6] Kellermann, 12 ; Orelli-Henzen, 6752 ; C. I. L., VI, 220. Cf. 3001.

[7] Ulpien, titre 3. 5 (Giraud, Enchiridion juris romani, 113).

[8] Die Rechtsfr., 14.

[9] Suét., César, 41 ; monument d’Ancyre (Ed. Mommsen, III, 21) ; Dion, 55, 10. Ce chiffre n’avait pas été dépassé au temps de Septime Sévère (Dion, 76, 1).

[10] Suét., ibid. Cf. Pline le Jeune, Panégyr., 25.

[11] Orelli-Henzen, 6563. C. I. L., VI, 209.

[12] Marquardt, Röm. Staatsverwaltung, II, 525.

[13] L. Renier, Recueil de diplômes militaires, 1, 2, 4, 5, 7.

[14] Tac., Ann., I, 17.

[15] Duruy, Hist. des Romains, III, 393.

[16] C. I. L., VI, 210, 2489, 2538, 2579, 2584, 2623. Cf. Marquardt, Röm. Staatsv., II, 525.

[17] L. Renier, Inscript. rom. de l’Algérie, 19, 45, 46.

[18] Die Rechtsfr., 15.

[19] C. I. L., III, 1078, 1172 ; VI, 2375, 2379, 2566.

[20] Ce fait est en effet très fréquent ; il suffit, pour s’en convaincre, d’ouvrir un recueil quelconque d’inscriptions. Voir par ex. C. I. L., VI, 212, 213, 218 ; Renier, Inscr. de l’Algérie, I, 56, 90.

[21] Die Rechtsfr., ibid.

[22] Zumpt, Stud. rom., 189.

[23] Zumpt, Stud. rom., 189.

[24] Mommsen l’avoue lui-même (Die Rechtsfr., 15). Cf. l’inscr. des vigiles et Mommsen, note 33.

[25] Die Rechtsfr., 16.

[26] Die Rechtsfr., 23-25.

[27] Cie., In Verrem, act. II, lib. I, 40, 104. Pour le sens de l’expression ut prœtor factus est. Cf. Ad fam., VIII, 4.

[28] Cie., In Verr., act. I, 8, 21.

[29] Cie., In Verr., act. II, lib. I, 41 et 42.

[30] Cie., Ad Quintum fratr., II, 3, 5-6 ; II, 4, 1.

[31] In Verr., act. I, 10.

[32] Cie., Ad Q. fr., I, 2, 15.

[33] Cie., Ad Q. fr., III, 1-4.

[34] Cie., Ad Q. fr., III, 3.

[35] Ad Fam., VII, 2, 2 ; Philip., XIII, 12, 27.

[36] Ad fam., VIII, 8, 14.

[37] Die Rechtsfr., 23-24.

[38] Cie., De lege agraria, II, 12, 30 : Consuli, si legem curiatam non tabet, attingere rem militarem non licet. Tite-Live, v, 52 ; Cie., Phil., V, 16, 45.

[39] App., De b. c., I, 50-51.

[40] César, De b. c., I, 6.

[41] Cie., Ad fam., XII, 5.

[42] Il y avait l’imperium à conférer ou à proroger, les lieutenants à désigner, le chiffre des troupes à fixer, quelquefois des soldats à lever et l’édit à rédiger, sans compter les affaires personnelles que le proconsul avait à régler pour toute la durée de son absence.

[43] Mommsen, Die Rechtstr., note 75.

[44] Cie, Ad Att., IV, 13.

[45] César, De b. g., I, 7. Hist. de César, II, 47.

[46] Cie., Ad Att., V, 1.

[47] Zumpt, Stud. rom., p. 74 et 82.

[48] Willems, Le droit public romain, 247-258 ; 284-285. Ces charges étaient en dehors de ce qu’on appelait certus ordo magistratuum (Cie., De lege agraria, II, 9, 24).

[49] César, De b. c., I, 32 ; Bruti epist. ad M. T. C., I, 4.

[50] Cie., Phil., XI, 7, Il ; De domo, 9, 24.

[51] Cie., De domo, 9, 24 ; Mommsen, Röm. Staatsr., I, 20, note 2.

[52] Zumpt, Stud. rom., 204.

[53] Eusebii chronicon, f° 78 au verso (édit. d’H. Estienne, Paris, 1518).

[54] Zumpt, 211.

[55] C. I. L., I, 398, col. 2.

[56] César, De b. c., II, 19-21.

[57] Voici sur quoi se fonde cette conjecture. Au temps de Polybe, il y avait dans l’Espagne orientale une route qui réunissait les Pyrénées h Carthagène (Pol., 3, 89), et au temps de Strabon, cette route atteignait Cordoue et Cadix (III, p. 160). D’après M. Hübner (C. I. L., II, 627), la dernière section fut construite par César ; elle n’existait donc pas en 49, et, en effet, les seules bornes miliaires qu’on y ait trouvées sont de l’année 7 av. J.-C. (C. I. L., II, 4936, 4937). César, lorsqu’il quitta Lérida, se dirigea probablement vers Tarragone, suivit la route du littoral, et de Carthagène marcha sur Cordoue par de mauvais chemins ; un trajet plus direct, par l’intérieur de l’Espagne, eût été beaucoup plus long. Or, l’Itinéraire d’Antonin marque de Lérida à Cordoue par Carthagène 680 milles romains (Fortia d’Urban, Recueil d’itinéraires anciens, Paris, 1845, p. 119-122), ou 1007 k. (1 mille romain = 1481 m.). Toute la question maintenant est de savoir combien César faisait de, kilomètres par jour en campagne. Plutarque atteste que huit jours lui suffirent en 58 pour franchir les 1200 k. qui séparent Genève de Rome (Plut., César, 17. Cf. Hist. de J. César, II, 57, note 2). Mais il semble, d’après le De bello gallico, I, 7, qu’il fût alors seul ; de même lorsque dans la campagne de Munda il alla en vingt-sept jours de Rome à Obulco, ville qui n’était qu’à 55 k. environ de Cordoue (Strabon, III, p. 160). En 49, au contraire, il était escorté de six cents cavaliers et précédé de deux légions qui partirent de Lérida dès que la ville eut capitulé, c’est-à-dire le 3 août au plus tôt, et qui paraissent être arrivées à Cordoue en même temps que lui (De b. c., II, 19-21). Donc, si l’on admet que César, comme cela est à peu près certain, ne s’éloigna pas de Lérida aussitôt qu’il l’eut prise, et si l’on suppose qu’en moyenne ses légionnaires ne firent pas plus de 25 à 30 k. par étape (Cf. Hist. de César, l. c.), on conclura qu’il parvint à Cordoue vers le 15 septembre ; et il faut compter plus d’un mois pour son séjour dans le midi de l’Espagne, pour son voyage à Cadix et à Tarragone par mer, et de Tarragone à Marseille par terre (De b. c., II, 22).

[58] Les autres dates importantes de l’année 49 sont le passage du Rubicon, la prise de Lérida et la prise de Marseille. Aucune évidemment ne put être choisie comme point de départ de l’empire.

[59] Dion, 43, 26. V. à ce sujet une note de M. Leverrier dans l’Hist. de César, II, 521. Cf. p. 523, note 1, et le tableau de la p. 551.

[60] Eusèbe, f° 78 au verso.

[61] C’est ainsi qu’il fait dater le règne d’Auguste depuis la mort de César. Il dit en effet qu’Auguste eut l’empire pendant cinquante-six ans et six mois (f° 14). Or, si l’on part du 19 août 14 ap. J.-C., et que l’on compte cinquante-six ans et six mois en remontant l’ordre des temps, on arrivé aux ides de mars 44.

[62] Plut., Pompée, 26.

[63] App., De b. c., II, 7-8. Les Fasti colotiani (C. I. L., I, 466) disent que les triumvirs eurent leur fonction à partir du 27 novembre ; mais rien ne prouve que cette date fût celle de la loi Titia et non celle de l’inauguration de leur charge.

[64] Dion, 38, 1 et 4. Cie., Ad Att., II, 7, 3 ; Ad Q. fr., II, 1, 1 ; II, 5 et 6 (édit. Wesenberg) ; Ad fam., VIII, 10, 4. En réalité, il y eut deux lois agraires (H. de César, II, 381, note 2 ; Zumpt, Comment. epigraph., I, 289).

[65] Cie., Ad Att., II, 18, 3.

[66] Cie., Ad Att., II, 16, 2.

[67] Suét., 20 ; App., De b. c., II, 12 ; Dion, 38, 6.

[68] Tout projet de loi, avant d’être porté au peuple, devait être affiché pendant un trinundinum (Cie., Pro domo, 16, 41). Or les nundines avaient lieu tous les neuf jours. Un trinandinum se composait donc au moins de dix-huit jours. César soumit sa loi agraire au Sénat en janvier, sans doute au commencement du mois. Il la présenta ensuite au peuple, mais au plus tôt dix-huit jours après, ce qui nous mène à la fin de janvier ou à la première semaine de février.

[69] App., De b. c., II, 13 ; Suét., 20 ; Cie., Pro Plancio, 14, 35 ; Schol., Bob. (Orelli), 261.

[70] Belot, Hist. des chev. rom., II, 313.

[71] Dion, 38, 7. Appien et Suétone, l. c.

[72] Cie., Pro domo, 16, 41 ; l’adoption eut lieu en mars 59 (Cie., Ad Att., II, 12).

[73] Cie., Ad Att., V, 15, 1.

[74] Cie., Ad Att., V, 21, 9.

[75] Cie., Ad Att., V, 20, 1 ; VI, 2, 6 ; VI, 3, 1.

[76] Cie., Ad Att., V, 16, 4.

[77] Cie., Ad Att., VI, 6, 3.

[78] Pline à Trajan, X, 28 : Aliquanto tardius quam speraveram, id est XV calend. octobres Bithyniam intravi. Trajan à Pline, X, 29 : Quo autem die pervenisses in Bithyniam cognovi litteris tuis.

[79] Mommsen, Etude sur Pline le Jeune, traduit par Ch. Morel dans la Bibl. de l’Ecole des hautes Etudes, p. 55. Dion, 57, 14 ; 60, 11.

[80] Ulpien au Digeste, I, 16, 1.

[81] Il y avait une exception à cette règle. Quand les magistrats urbains n’étaient pas encore nommés à l’époque où ils auraient dû entrer en charge, leurs pouvoirs n’étaient pas comptés du jour de l’inauguration réelle de leurs fonctions ; mais ce cas se présentait rarement.

[82] César, De b. c., III, 3. Plut., César, 38.

[83] Hist. de César, II, 49, note 1.

[84] Ibid., 505.

[85] Cie., Ad Fam., III, 6, 2. Les proconsuls devaient entrer dans leur province toujours par le même point (Ulpien au Digeste, I, 16, 4, 5).

[86] Tite-Live, XXII, 19.

[87] App., De reb. Hisp., 80 et 83.

[88] Asconius (Orelli), 78.

[89] Cie., Ad Q. fr., II, 3, 1.

[90] Asconius, p. 68 ; Cie., De leg., II, 6, 14.

[91] Cie., De domo, 15-16.

[92] Cie., Phil., V, 4, 10 ; XII, 5, 12.

[93] Asconius, p. 57, 67, 68.

[94] App., De b. c., I, 30.

[95] Tite-Live, IV, 26 9 ; XXVII, 5. Cie., Pro Sestio, 31, 68 ; Ad Fam., VIII, 8. Polybe, qui a si bien compris le mécanisme de la constitution romaine, remarque que ce qui en fait le mérite, c’est la dépendance réciproque des pouvoirs les uns à l’égard des autres (VI, 15-16).

[96] G. Perrot, Essai sur le droit public d’Athènes, 156-180. Fustel de Coulanges, La cité antique, 402-403.

[97] Cie., De divinatione, II, 18, 42 ; II, 35.

[98] De prov. consul., 15, 37.

[99] En 58, une loi Clodia abolit les lois Œlia et Fufia (Cie., Pro Sestio, 15, 26 ; Dion, 38, 13). Mais comme elle ne pouvait pas avoir d’effet rétroactif, elle n’empêchait pas le plébiscite de 59 d’être illégal. De plus, cette loi Clodia était nulle aux yeux des républicains, puisque l’adoption plébéienne de Clodius et, par suite, son élection au tribunat étaient irrégulières (De Prov. cons., 19). Elle fut souvent violée.

[100] On sait qu’en vertu de la loi Sempronia, le sénat devait chaque année, avant les comices, déterminer les provinces que les consuls, encore inconnus, de l’année suivante, auraient à administrer après leur charge urbaine.