Texte numérisé par Marc Szwajcer
Le président de l’assemblée était le prêtre de l’autel provincial[1]. On s’est imaginé qu’il y avait auprès de chacun de ces autels un collège de pontifes, et que l’un d’eux avait une certaine prééminence sur les autres[2]. Au premier abord, quelques documents semblent venir à l’appui de cette opinion. Une inscription de Narbonne fait mention d’un taurobole offert au nom de la province per C. Batonium Primum flaminem Aug(ustorum)[3]. Au lieu de voir dans Primum un cognomen[4], on a parfois lu primum, et on a pris ce mot pour un adjectif se rapportant à flaminem ; mais la conjecture n’a rien qui la justifié. Un texte épigraphique découvert près d’Orange dit d’un personnage dont le nom nous échappe : IIVIR.LVDOS.FE.... ET.OLEVM.PRI.... FLAMEN.ROM.ET..... HVIC.D.D. Il est évident qu’il s’agit là d’un flamine municipal, et qu’entre les mots pri(mus) et flamen devait se trouver un verbe, tel que dédit proposé par M. Allmer, pour régir oleum, qui ne saurait dépendre de fe(cit)[5]. La célèbre inscription de Trebellius Rufus[6] n’est guère plus probante. Ce Rufus était originaire de Toulouse ; il passa une partie de sa vie en Gaule, l’autre à Athènes, et dans ces deux contrées, il fut comblé d’honneurs. Il devint notamment άρχιερέα πρώτον έπαρχείας τής έκ Ναρβώνος. Comme il vivait probablement βμ début du second siècle, πρώτος ne doit pas avoir ici une signification chronologique[7], et l’on a conclu que Rufus avait été le président du collège des prêtres provinciaux de la Narbonnaise. On a oublié que l’expression πρώτος έπαρχίας est assez commune dans les textes[8] ; dès lors rien de plus légitime que de séparer άρχιερέα de πρώτον par une virgule. Il résultera même de cette ponctuation un léger doute sur la nature du sacerdoce exercé par Rufus. Άρχιερέα isolé parait désigner ici un prêtre du culte impérial ; mais il n’est pas sûr que ce soit un prêtre provincial[9]. Ces documents, les seuls qu’on invoque, ne confirment nullement, comme on voit, l’opinion rapportée plus haut, et il en est, en revanche, qui établissent l’opinion contraire. Les prêtres d’une province sont fréquemment qualifiés famines. Or ce terme exclut toute idée de collégialité. Le flamine est investi d’une sorte de sacerdoce individuel ; il a, pour ainsi dire, le monopole d’un culte, et il tire son nom du dieu qu’il est seul chargé de prier[10]. En outre, s’il y avait plusieurs prêtres délégués par les cités pour former le collège dont on parle, ils auraient été élus par leurs concitoyens, et nous remarquons que tous les prêtres de l’autel fédéral étaient nommés par le concilium[11]. Il faut donc admettre qu’il existait un prêtre unique par province, appelé, suivant les pays, άρχιερεύς, flamen, ou sacerdos. L’élection se faisait, en Asie, de la façon suivante. L’assemblée dressait une liste de candidats, rangés peut-être par ordre de préférence ; elle n’était pas tenue de les prendre nécessairement parmi les députés présents au congrès ; cette liste était envoyée au proconsul, qui choisissait[12], et le grand prêtre ainsi désigné n’entrait en fonctions que l’année d’après[13]. Bien ne montre que l’on procédât de la même manière dans les antres provinces. Les règles usitées en Asie n’étaient pas toujours communes à tout l’empire. Il est possible notamment que ce mode de nomination lui ait été particulier. Un document parait attester qu’un certain Q. Licinius Tauricus reçut des Trois Gaules le sacerdoce fédéral, sans doute par voie d’élection directe. Le malheur est qu’on n’arrive à ce sens que par une restitution due à M. Mommsen[14]. Dans la Bétique, on nous signale un personnage qui est devenu flamine par l’accord unanime de la province[15], et aucune allusion n’est faite à l’intervention du proconsul. Tacite nous dit de Sigismond, prêtre de l’ara Ubiorum, qu’il fut nommé (creatus) l’année même où les Germanies se révoltèrent[16]. Ailleurs il est question d’une femme qui a été honorée des plus hautes dignités par sa province et par sa patrie[17]. Nulle part enfin, sauf en Asie, on n’aperçoit la main du gouverneur dans ces élections. La seule règle qui semble avoir été partout en vigueur est celle qui faisait désigner le grand prêtre un an à l’avance. Dans les pays latins, on n’atteignait ces fonctions qu’après avoir géré les magistratures municipales[18]. Il y a apparence que c’était là en Gaule une condition absolue ; cor nous ne voyons personne qui en ait été dispensé. En Narbonnaise, tous les flamines ont passé également par le duumvirat ou par une charge analogue. On connaît un seul prêtre des Alpes Cottiennes ; il a été décurion et duumvir de la cité d’Embrun[19]. Nous possédons le cursus d’un habitant de la Bétique, qui a été d’abord pontife et flamine à Cordoue, puis duumvir, et finalement prêtre provincial[20]. L. Junius Maro n’obtint ce sacerdoce en Tarraconaise qu’après avoir rempli dans sa patrie tous les honneurs locaux, spécialement le duumvirat deux fois[21]. En Dacie, P. Ælius Strenuus fut décurion de la colonia Drobetarum, ensuite augure et duumvir des colonies d’Apulura et de Sarmizegethusa avant d’être, comme on disait, sacerdos arœ Augusti[22]. Plusieurs inscriptions décrivent la carrière complète de divers prêtres de la Pannonie ; chacun d’eux a été au préalable décurion, duumvir, quinquennalis, flamine municipal[23]. Dans toutes ces provinces, il arrive fréquemment que le sacerdoce fédéral soit confié à des chevaliers romains ; mais ceux-ci sont, en général, du pays même[24]. En Orient, les titres décernés à ces sortes de prêtres ne laissent non plus aucun doute sur la noblesse de leur naissance. Voici par exemple un άρχιερεύς d’Achaïe qui descend de Persée et des Dioscures ; il a été trots fois stratège de la confédération des Achéens, agonothète de sept jeux différents, amphictyon, panhellène ; il a exercé plusieurs charges à Argos ; enfin il a été envoyé en ambassade à Rome auprès du sénat et de l’empereur[25]. En voici un autre, président du κοινόν de Bithynie, qu’un document appelle le plus généreux des citoyens, illustre par ses ancêtres, un des dix premiers (de Prusias), sénateur et censeur à vie ; il a rempli brillamment les fonctions d’agoranome, fidèlement celles de défenseur de la cité, conformément aux lois celles de grenier ; il a été éprouvé dans toutes les charges ; il a été trésorier du sacré sénat ; il a été désigné sous d’heureux auspices premier archonte, prêtre et agonothète de Zeus Olympien[26]. On nous indique un individu. M. Ulpius Damasippus, dont le père avait été béotarque, et qui lui-même s’était acquitté de toutes les liturgies dans sa patrie, qui avait été archonte à Amphiclée, amphictyon, béotarque, grand prêtre du dieu Dionysos, panhellène[27]. Un prêtre de Galatie, chevalier romain, avait été deux fois premier archonte d’Ancyre, deux fois agonothète, trois fois ambassadeur auprès de l’empereur Caracalla, flamine d’Auguste ; on le qualifiait même de fondateur de la métropole[28]. Une inscription mentionne un άρχιερεύς d’Asie qui a été en toutes choses le premier de la ville et de la province[29], et les médailles nous en signalent un très grand nombre qui ont occupé dans leurs cités des situations officielles[30]. Certaines familles eurent le privilège de fournir plusieurs prêtres à leur province. Nous en connaissons au moins deux pour la Gaule. L’une, originaire de la cité des Petrocorii, donna pour prêtres à l’autel de Lyon C. Pompeius Sanctus et son fils, M. Pompeius Libo[31]. L’autre, sortie de la cité des Lemovices, fut représentée auprès de cet autel par Q. Licinius Tauricus, et par son fils Q. Licinius Venator[32]. Mais il faut avouer que le fait n’est pas commun en Occident[33]. Au contraire, il est très fréquent dans les pays helléniques. T. Ulpius Ælianus Papianus fut président du κοινόν de Bithynie, et son père l’avait été avant lui[34]. M. Aurelius Thoantianus, prêtre de Lycie, était d’une maison qui avait compté dans son sein des lyciarques et des pamphyliarques[35]. Une inscription de Thyatire mentionne un grand pontife d’Asie, dont le père, l’aïeul et le bisaïeul avaient été promus à cette dignité[36]. Philostrate nous dît du sophiste Scopelianus qu’il fut άρχιερεύς d’Asie, et que tous ses ancêtres avaient occupé la même charge de génération en génération[37]. Une famille de Sébaste exerça ce sacerdoce en l’année 5 après J.-C., et plusieurs fois dans la suite jusqu’au début du IIIe siècle[38]. L’asiarque Tib. Claudius Polémon était fils, frère et petit-fils d’asiarques[39]. Qu’on n’aille pas croire d’ailleurs que ce soient là des singularités. Nous avons choisi ces exemples parmi beaucoup d’autres, et il serait aisé d’en étendre la liste. C’était vraiment un titre pour être élevé à ces prêtrises que d’avoir des ancêtres qui les eussent déjà obtenues ; non que les assemblées fussent conduites par une sorte de respect invétéré pour le principe de l’hérédité, mais plutôt parce que les suffrages se portaient naturellement sur les hommes qui se recommandaient à elles par l’illustration de leur race. On avait égard également au prestige qui résultait de la gestion des magistratures romaines. Mais, tandis que les prêtres d’Occident sortaient au plus du rang équestre, il n’était pas rare qu’en Orient ils appartinssent à des familles sénatoriales et consulaires. Un des chefs du κοινόν d’Achale, Tib. Claudius Sæthida Cælianus, était fils d’un consul, et il parcourut lui-même toute la hiérarchie des fonctions réservées aux hommes de sa classe, depuis le vigintivirat jusqu’à la prêtrise[40]. Une inscription de Sinope porte le nom d’un pontarque dont la sœur était de rang sénatorial[41]. Un galatarque eut pour fils et petit-fils des personnages de la même condition[42]. Une famille de Carie, dont plusieurs membres furent grands prêtres d’Asie, avait place depuis longtemps dans l’aristocratie la plus haute de l’Empire[43]. Un asiarque, originaire de Milet, avait un père συναλητικός[44] ; un autre comptait d’anciens consuls parmi ses ancêtres[45] ; Thoantianus, pontife fédéral de Lycie, était, nous dit un document, γένους συνκλητικοΰ καί ύπατικοΰ[46]. Dans certaines provinces d’Orient, surtout en Asie, on voit toute une catégorie de personnes arriver souvent a la prêtrise, sans parfois que leur naissance y soit pour rien ; ce sont les rhéteurs et les sophistes. Ces virtuoses de la parole et de la philosophie étaient, pour la plupart, des hommes considérables ; on les écoutait avec un plaisir extrême ; on se faisait gloire de suivre leurs leçons ; et chaque ville s’efforçait de les fixer chez elle. Ils acquéraient par là de grandes richesses et une immense renommée. C’était un précieux avantage pour une cité que de les posséder. On avait en eux des professeurs qui groupaient de nombreux auditeurs dans leurs écoles, des orateurs capables de prononcer dans les fêtes officielles un de ces morceaux d’apparat qui donnaient au moins l’illusion de l’éloquence, enfin des défenseurs toujours prêts à prendre en main la cause de leurs concitoyens, et à accomplir auprès du gouverneur ou du prince des missions dont ils s’acquittaient d’ordinaire avec bonheur[47]. Les empereurs, soit par goût personnel, soit par désir de plaire aux populations, ne furent pas moins bien disposés pour eux. Ils en appelèrent quelques-uns aux fonctions les plus élevées de l’Etat[48], et ils conférèrent à tous en bloc de précieuses immunités[49]. Il n’y a donc pas Heu de s’étonner que ces rhéteurs, que ces sophistes aient été fréquemment jugés dignes des sacerdoces provinciaux. Plusieurs, parmi eux, avaient une noble origine. Tel est cet Héraclide de Lycie qui, d’après son biographe, était πατέρων άγαθών[50] ou encore ce Scopelianus qui eut des aïeux si illustres[51]. Le rhéteur Aulus Plotius Satyrus était fils d’un asiarque, frère d’un béotarque, et l’on vantait sa famille d’avoir été de tout temps la bienfaitrice de sa patrie[52]. Pomponius Cornelius Lollianus Edianus, asiarque et rhéteur, avait pour parents des consulaires[53]. Mais il en est aussi qui semblent avoir été des parvenus. Sans doute noue ne rencontrons nulle part la mention expresse de leur humble extraction ; leur vanité habituelle n’y eût pas trouvé son compte ; mais on peut sans témérité interpréter dans ce sens le silence des documents, quand ils se taisent sur leur noblesse, et il en est ainsi dans un assez grand nombre de cas. Pour ces derniers, on dérogea quelquefois à l’usage qui réservait les prêtrises aux membres de l’aristocratie. La règle n’en subsista pas moins, et elle ne souffrit guère d’exception qu’en Asie. Y avait-il des conditions d’âge ? Si l’on en croyait un document épigraphique restitué par M. Mommsen, il aurait été possible d’aspirer au sacerdoce des Trois Gaules dès l’âge de vingt-deux ans[54]. Mais ce texte, d’une lecture douteuse, n’a pas à lui seul une autorité suffisante pour trancher la question, et le champ reste ouvert à toutes les hypothèses. La nomination n’était pas faite à vie, mais à temps. Les inscriptions mentionnent plusieurs flammes de la Bétique arrivés au terme légal de leur mandat[55]. Un ancien duumvir de l’île de Minorque nous apprend lui-même sur un monument dressé par ses soins qu’il a occupé le sacerdoce de la Tarraconaise[56]. Dans beaucoup de provinces, il y avait un nom, celui de sacerdotal», pour désigner les prêtres fédéraux qui étaient sortis de charge[57], et ils étaient si peu en activité, qu’on pouvait être admis parmi eux par voie d’adlectio[58]. On a une inscription de Prusias consacrée à la louange d’un personnage encore vivant qui avait été à la tête du κοινόν de Bithynie[59]. On connaît enfin des individus qui ont obtenu deux fois le pontificat suprême de Galatie[60], et d’autres qui ont eu trois et quatre fois dans leurs mains celui d’Asie[61]. Si ces fonctions n’étaient pas viagères, étaient-elles du moins conférées pour une longue période ? Rien n’atteste qu’il en fût ainsi[62]. Il serait donc naturel de penser, même à défaut de preuves positives, que la durée de cette charge ne devait pas dépasser l’intervalle annuel compris entre deux sessions consécutives, et cette opinion est plus qu’une simple conjecture, depuis la découverte récente du document invoqué plus haut, où l’on voit qu’un personnage a été en telle année prêtre de la province d’Afrique[63]. Il est probable que cet honneur était très recherché de ceux tout au moins qui se trouvaient en état d’en supporter le poids, et nous voyons par Julius Paul us que la brigue allait souvent très loin[64]. D’abord il entourait l’homme d’un grand prestige ; de plus, c’était là le meilleur moyen pour un ambitieux de se signaler à l’attention du gouverneur et du prince. Il y avait cependant des cas, assez rares, oh l’on était en droit de le décliner. Tout père de famille qui n’avait pas moins de cinq enfants était libre de refuser cette dignité ; la règle avait été posée par Septime Sévère, en premier lieu pour l’Asie seule, et ultérieurement pour toutes les provinces[65]. Le même privilège avait été octroyé aux philosophes, aux rhéteurs, aux grammairiens, et aux médecins. Le Digeste, en effet, cite un rescrit proclamant que tous ceux-ci seront exemptés, entre autres choses, des sacerdoces et, en général, de toute charge provinciale[66]. Il est vrai que le nombre en était strictement limité dans chaque catégorie de villes[67]. Mais un homme d’un mérite exceptionnel, fixé dans une cité qui n’était pas son lien d’origine, pouvait, même si ce nombre était déjà atteint, jouir aussi de cette immunité, en vertu d’une décision rendue sans doute par l’empereur[68]. Enfin une dernière excuse considérée également comme valable était la gestion antérieure de la même prêtrise, nul n’étant rééligible à ces fonctions contre son gré[69]. Ces réserves faites, l’acceptation était obligatoire. Les empereurs recommandaient aux gouverneurs de veiller à ce que dans les villes les magistratures qui entraînaient des pertes de temps ou d’argent fussent réparties d’une manière équitable sur l’ensemble des citoyens aptes à les remplir[70]. Montraient-ils la même sollicitude en ce qui concerne les sacerdoces provinciaux ? Avaient-ils soin que chaque cité, à tour de rôle, en fournit les titulaires, afin de partager entre elles l’honneur que cette dignité conférait, et les charges qu’elle imposait[71] ? Gela est possible, bien qu’on n’en trouve aucune trace dans les textes. Nous nous contenterons de noter que, dans les provinces dont les prêtres nous sont le mieux connus, ceux-ci, loin de sortir d’un petit nombre de villes, toujours les mêmes, ont au contraire des origines très diverses. Les prêtres d’Asie, dont nous avons actuellement la liste, sont issus de trente cités différentes, et nous ignorons la patrie de plusieurs d’entre eux. Ceux de l’Espagne Citérieure sont environ soixante-quinze, et ils proviennent d’une quarantaine de villes. En Gaule, trois prêtres de l’autel de Lyon sont Ædui, deux Carnutini, deux Arverni, deux Lemovices, deux Petrocorii ; les douze autres ont été tirés de douze cités distinctes. Cette variété n’est évidemment pas due au hasard ; elle est plutôt l’effet d’un dessein prémédité. Il est permis seulement de se demander si ce sont les empereurs qui ont prescrit cette coutume, ou si les provinciaux l’ont adoptée d’eux-mêmes. Le prêtre, étant tenu de séjourner au moins quelques mois, sinon une année entière, auprès de l’autel fédéral, était par suite dispensé de toutes les charges qui auraient réclamé sa présence dans sa patrie, et que l’on désignait sous le nom de munera personalia[72]. Il était en réalité absent pour cause de service public. Dès lors il fallait bien le soustraire aux obligations qu’il ne pouvait matériellement remplir. Nous savons par le Digeste que la tutelle était du nombre[73]. Il y en avait sans doute beaucoup d’autres que les textes ne mentionnent pas expressément. A vrai dire, c’était là moins un privilège que la simple constatation d’un cas de force majeure[74]. En était-il de même de ces munera patrimonii qui exigeaient surtout des sacrifices d’argent ? On jugera peut-être que la chose est très probable[75], si l’on songe que ce sacerdoce constituait déjà une charge pécuniaire assez lourde, que certains prêtres, dont l’importance effective était a peu près nulle, échappaient à toute corvée de ce genre[76], et que dans Philostrate le mot άλειτονργησία sert à qualifier la prêtrise de Lycie[77]. Nous ne remarquons pas que l’on distingue jamais en pareil cas les deux sortes de munera ; les documents nous parlent toujours d’une immunité indéfinie, qui par conséquent s’étendait à tout. Il y a apparence que les flamines provinciaux jouissaient encore de quelques avantages généralement inhérents, chez les Romains, au caractère sacerdotal ; mais, comme les témoignages que nous en avons datent tous du Bas-Empire, il est prudent de les passer pour le moment sous silence[78]. Ces prêtres, à l’expiration de leur mandat, ne tombaient pas dans la condition privée. De même que pour les magistrats civils, il subsistait toujours en eux quelque souvenir de l’autorité dont ils avaient été un instant les dépositaires. Les anciens asiarques continuaient de porter ce titre qui, pour être désormais honorifique, ne leur assurait pas moins un certain prestige[79]. Le pontife du κοινόν d’Achaïe n’était appelé άρχιερεύς διά βίου que parce que son sacerdoce se changeait en honorariat après une année de gestion effective[80]. En Gaule[81], en Espagne[82], en Dacie[83], en Pannonie[84], en Afrique[85], nous trouvons des flaminales, des sacerdotales, qui sont sûrement des prêtres émérites de la province. Était-ce déjà là une classe sociale, un ordo légalement constitué, ayant ses privilèges bien déterminés, et peut-être aussi ses devoirs spéciaux ? Les documents ne nous le laissent guère apercevoir. Il ne paraît pas qu’au temps d’Ulpien, par exemple, la loi marquât nettement leur place parmi les autorités de la cité[86], et l’on sait qu’il en fut tout autrement au IVe siècle[87]. On serait probablement assez près de la vérité, si l’on disait que les sacerdotales formaient, pendant le Haut-Empire, une simple aristocratie de fait, en attendant qu’ils formassent une aristocratie de droit. |
[1] La preuve nous est fournie par ce fait que partout le grand prêtre nous apparaît comme le premier personnage de la province. Exemples : les Panhellènes semblent avoir eu pour divinité particulière le dieu Hadrien. Or le prêtre de ce dernier était en même temps άρχων τών Πανελλήνων (Lebas-Wadd., Inscr. d’Asie Min., 867, 869.) L’άρχιερεύς d’Asie est appelé asiarque, et il en est de même dans plusieurs autres contrées (voir le chapitre suivant). Πρώτος Άσίας, dans les Mittheil. des d. Instit. in Athn., 1883, p. 331.
[2] Hübner, Hermes, I, p. 113-116 ; Aug. Bernard, Le temple d’Auguste, p. 70, note 9 ; Boissieu, Inscr. de Lyon, p. 83.
[3] Herzog, Galliæ Narbon. historia, append., n° 7.
[4] Ce cognomen n’est pas rare ; voir l’Index de Wilmanns, II, p. 393.
[5] Revue épigr. du midi de la France, n° 294.
[6] C. I. A., 623-624. Cf. Lebègue, Bulletin épigr., 1884, p. 69-73.
[7] Marquardt dit à ce propos : Quod vero primus sacerdos provinciæ appellatur, id ad tempos refera ; cum enim Drusi consulis sacerdos postea fuerit, Tïberii æate vixisse censendus est. (Eph. epigr., I, 203.) Il y a là une grave erreur. Un prêtre vivant de Drusus est mentionné sur une liste éphébique de l’année 61 (C. I. A., III, 1085) et sur des documente du second siècle (ibid., 656, 669). M. Dittenberger n’hésite pas à placer l’inscription de Trebellius Rufus sous le règne de Trajan ou sous celui d’Hadrien.
[8] C. I. G., 3953 l ; Perrot, Exploration de la Galatie, p. 235 ; Mémoires d’archéol., p. 168 ; Dumont, Inscr. de Thrace, 72 j ; Bulletin de corr. hellén., 1883, p. 16, n°3 (voir ci-dessus, note 1). C. I. L., III, 1051 : primus municipii.
[9] Une inscription de Bétique mentionne un flamen Augustalis in Bœtica primus (C. I. L., II, 3971). Peut-être primus a-t-il ici un sens chronologique ; peut-être aussi faudrait-il une virgule après Augustalis.
[10] Cicéron, De leg., II, VIII, 20 : Divisque aliis alii sacerdotes, omnibus pontifices, singulis flamines sunto. Varron, De lingua latina, V, XV : Horum (les flamines) singuli cognomina habent ab eo deo cui sacra faciunt. Mommsen, dans Borghesi, V, 201, note 6.
[11] Marquardt, Eph. epigr., I, 202.
[12] Aristide, I, p. 531-532 (Dindorf).
[13] C. I. G., 2741.
[14] Annales de l’Institut archéol. de Rome, 1853, p. 60.
[15] C. I. L., II, 2344 : Hic provinciæ Bœticæ consensu flaminis munus est consequutus.
[16] Tacite, Annales, I, LVII.
[17] C. I. G., 1166.
[18] C. I. L., II, 2220.
[19] C. I. L., V, 7259.
[20] Eph. épigr., 1877, p. 37.
[21] C. I. L., II, 4223.
[22] C. I. L., III, 1109.
[23] C I. L., III, 3368, 3636, 4108. Eph. epigr., II, p. 358.
[24] C. I. L., 4238. Les honneurs sont évidemment énumérés dans l’ordre direct. C. I. L., III, 1513. C. I. L., VIII, 7986 et 7987. Wilmanns, 2223. On connaît, d’autre part, beaucoup d’individus qui ne conquirent le titre de chevalier romain qu’après avoir été prêtres provinciaux. C. I. L., II, 4225 ; III, 1209 ; Revue épigraphique du midi de la France, 1883, n° 386. Herzog, append., n° 108.
[25] C. I. G., 1124.
[26] Perrot, Exploration de Galatie, p. 32.
[27] C. I. G., 1738.
[28] C. I. G., 4016.
[29] C. I. G., 39531.
[30] Mionnet, II, p. 549, n° 235 ; III : Ionie, 1173, 1607, 1425 ; IV, p. 55, n° 285, p. 198, n° 737, p. 201, n° 31 et 35 ; suppl., V, p. 177, n° 10 et 11 ; p. 441, n° 1021 ; VII, p. 359, n° 190-191.
[31] Aug. Bernard, Le temple d’Auguste, p. 74. Il s’agit bien là de deux prêtres de l’autel de Lyon ; on a trouvé, en effet, à Périgueux l’inscription suivante : ... Et deo Apollini Cobledulitavo M. Pompeius C. Pomp. Sancti sacerdot(is) arensis fil. Quir. Lib(o) sacerdos arensis. (Galy, Catalogue du musée de Périgueux, p. 43.)
[32] Mommsen, Annales de l’Institut archéol., 1853, p. 60. Aug. Bernard croit même que la prêtrise fut encore exercée par Julius Sabinianus, oncle de Licinius Venator (qu’il appelle Ulpianus), et par Victor Licinius, fils de Sabinianus ; mais ses restitutions paraissent trop hardies.
[33] C. I. L., II, 4231, 4232. Exemple de deux frères, flamines de la Tarraconaise.
[34] Lebas-Waddington, Inscr. d’Asie Min., 1178.
[35] Lebas-Waddington, Inscr. d’Asie Min., 1224.
[36] C. I. G., 3495. Cf. 3497.
[37] Philostrate, Vies des sophistes, I, 21, 2. L’assertion est sans doute exagérée.
[38] Bulletin de corr. hellén., 1883, p. 449-451.
[39] Bulletin de corr. hellén., 1878, p. 594.
[40] Foucart, Inscriptions de Messénie, p. 159.
[41] C. I. G., 4157.
[42] Bulletin de corr. hellén., 1883, p. 16.
[43] C. I. G., 2782.
[44] Revue archéol., 1874, 2e semestre, p. 110.
[45] C. I. A., III, 712 a.
[46] Lebas-Waddington, Inscr. d’Asie Mineure, 1224.
[47] Vidal-Loblache, Hérode Atticus, p. 25-29, 43-44, 63.
[48] Le rhéteur Quadratus fut consul et proconsul d’Asie. (Waddington, Fastes des prov. asiat., n° 144.) Hérode Atticus, à l’âge de vingt-cinq ans, fut nommé διορθωτής des villes libres d’Asie (Vidal-Lablache, p. 39), et il devint consul éponyme en 143 (ibid., p. 59). Cf. Waddington, Mém. de l’Acad. des Inscr., XXVI, 1ère partie, p. 257-358.
[49] Voir, par exemple, un rescrit de Septime Sévère, où il dit que les sophistes ont άτέλειαν τών λειτουργιών. (C. I. G., 3718.) On reviendra plus loin sur cette question.
[50] Philostrate, Vies des sophistes, II, XXVI, 1.
[51] Philostrate, Vies des sophistes, I, XXI, 1.
[52] C. I. G., 2463 c.
[53] C. I. G., 3191.
[54] Mommsen, Annales de l’Institut archéol., 1853, p. 60 : Qui sacerdotium apud tram duo et (viginti annos natus obturuit). Cf. une autre inscription relative au même personnage : (Qui duo et vi)ginti anno(s)... Aug. Bernard croit que ces vingt-deux années indiquent la durée de sa prêtrise ; on verra que cette opinion est erronée. Il est à remarquer que le cas actuel est présenté comme une exception ; on n’en sautait donc déduire une règle générale, même si l’on acceptait la restitution de M. Mommsen.
[55] C. I. L., II, 2195, 2221.
[56] C. I. L., II, 3711.
[57] Voir la fin du chapitre.
[58] C. I. L., X, 7518.
[59] Perrot, Exploration de Galatie, p. 33.
[60] C. I. G., 4075.
[61] C. I. G., 3190. Lebas-Wadd., Inscript. d’Asie Mineure, 30. Mionnet, Phrygie, 768. Corn. Vettinianus fut même asiarque quatre fois (Mionnet, IV, p. 128, n° 737).
[62] Peut-être la grande prêtrise durait-elle quatre ans en Galatie. Une inscription de Pamphylie porte des mots (Bulletin de corr. hellén., 1883, p. 163.) dont on ne voit pas clairement si le sacerdoce dont il est question dans ce texte est d’ordre provincial.
[63] Cf. C. I. L., VIII, 4580. Il n’est pas sûr, toutefois, qu’il s’agisse ici de la prêtrise fédérale.
[64] Julius Paulus, V, XXX. Giraud, Enchiridion juris romani, p. 106.
[65] Papinien, au Digeste, L, V, 8.
[66] Ce texte, emprunté à Modestinus (Digeste, XXVII, I, 6, 8), n’est pas très clair. D’abord, on ne voit pas bien si ce rescrit émane de Marc Aurèle ou d’Hadrien. En outre, il n’est pu certain qu’il s’applique aux fonctions conférées par la province ; on n’y trouve, en effet, que les expressions de ίεροσυνών et de ύπηρεσίαν έθνικήν, lesquelles peuvent également désigner des magistratures municipales.
[67] Digeste, XXVII, I, 6.
[68] Digeste, XXVII, I, 6, 10.
[69] Hermogenianus, au Digeste, L, IV, 17 : Sponte provinciæ sacerdotium iterare nemo prohibetur. On était d’ailleurs toujours libre de ne pas se prévaloir de ces immunités.
[70] Hermogenianus, au Digeste, L, IV, 3, 15.
[71] Les villes étaient très fières de fournir un prêtre à l’autel fédéral. (Bulletin de corr. hellén., V, p. 192 ; Eckhel, III, 153 ; Mionnet, suppl., VII, p. 564, n° 355 ; Monceaux, De communi Asiæ provinciæ, p. 47-48.)
[72] Voir, sur ces munera, Digeste, L, IV, 1 et 18 ; Houdoy, Le droit municipal romain, p. 451-677 ; Karlowa, Röm. Reichtsgeschichte, I, p. 608-609.
[73] Modestinus, au Digeste, XXVII, I, 6, 14. Ce texte nous montre, en outre, que ces sortes de prêtrises avaient une courte durée. Les Institutes de Justinien déclarent que la tutelle était munus publicum (I, 36) ; c’est aussi un munus personal (Dig., L, IV, 4 ; L., IV, 18, 1). Qui reipublicæ causa absunt a tutele vel cura excusuntur. (Institutes, I, XXV, 2.)
[74] La vacatio muneris publici était accordée dans les cités même aux prêtres municipaux, qui ne s’absentaient pas (Lex col. Genevitæ, LXVI).
[75] Tel n’est pas cependant l’avis de M. Mommsen (Eph. epigr., III, 101), du moins en ce qui concerne les sacerdoces romaine ; mais le texte sur lequel il s’appuie (Tite Live, XXXIII, XLII) semble indiquer un fait exceptionnel (Marquardt, Röm. Staatsv., III, p. 216, note 6).
[76] Wilmanns, 2067 a : Sacerdoti et pontifici Lanivinorum immuni. C. I. L., X, 3704 : Cum privilegio sacerdoti Cœninensis munitus potuisset ab honorib. et munerib. facile excusari, præposito amore patriæ et honorem ædilat. laudabiliter administravit... Puis vient l’énumération des dépenses qu’il a faites.
[77] Philostrate, Vies des sophistes, II, XXVI, 1.
[78] La femme du grand prêtre en fonctions était appelée άρχιερεία. (C. I G., 2823, 3489, 4266 ; Lebas-Waddington, Inscr. d’Asie Min., 1297.)
[79] Lebas-Waddington, Inscriptions d’Asie Mineure, p. 245. Sur un grand nombre de monnaies asiatiques on lit des noms d’asiarques qui géraient en même temps la magistrature éponyme de leur cité. Cela montre qu’ils n’étaient plus que des asiarques honoraires. Mionnet, IV, p. 55. Eckhel, II, p. 455. Bulletin de corr. hellén., 1882, p. 288.
[80] C. I. G., 1164 ; Foucart, Inscr. de Messénie, 319. On connaît le cursus du personnage qui figure dans le second de ces textes ; ses fonctions l’ont obligé à résider longtemps hors de la Grèce.
[81] Pour la Gaule, on n’en a qu’un exemple ; encore est-il douteux. Aug. Bernard, Le temple d’Auguste, p. 58 : Sex. Jul. Lucano IIvir. civitat. Segusiavor... sacerdotali. Ce dernier terme, à lui seul, n’est pas assez explicite. Il parait bien se rapporter à une dignité municipale dans le texte suivant : D. M. Ti. Cl. Honoratiani Castrensis Morini in civitate sua sacerdotalis. (Gruter, p. 325, n° 12.)
[82] C. I. L., II, 4248 : Flaminales viros.
[83] Ephemeris epigraphica, IV, 63 : (Sac)erdotalis Daciæ.
[84] C. I. L., III, 3485, 3626, 4183 ; Eph. epigr., IV, p. 141 : monument élevé en l’honneur de Trajan par les sacerdotales ex colonia Savaria.
[85] C. I. L., VIII, 1827, 2343, 4252, 4600.
[86] Ulpien, énumérant trois catégories de personnes qui doivent être inscrites sur l’album des cités, à savoir : Qui dignitates principis judicio consecuti sunt, qui tantum municipalibus honoribus functi sunt, hi qui nullo honore functi sunt, ne fait pas la moindre allusion aux sacerdotales (Digeste, L, III, 1-2).
[87] Sur l’album de Thamugus (C. I. L., VIII, 2403), les sacerdotales figurent au-dessous des patrons de la cité et au-dessus du curateur.