Texte numérisé par Marc Szwajcer
Les assemblées provinciales ayant pour premier devoir la célébration du culte impérial, il s’ensuit que les dates de leurs fêtes nous indiquent celles de leurs réunions. Par malheur, nous n’avons sur ce point que des renseignements vagues et contradictoires. Suétone nous apprend que la plupart des provinces instituèrent presque dans toutes les villes des jeux quinquennaux en l’honneur d’Auguste encore vivant[1]. Ces jeux évidemment ne furent pas décrétés ni organisés par les assemblées qu’on appelait concilia ou κοινά. On ne s’expliquerait pas, dans ce cas, comment elles auraient pu les établir pene oppidatim. D’ailleurs, à l’époque dont parle Suétone, elles commençaient à peine elles-mêmes à fonctionner. Il s’agit donc ici de fêtes purement municipales, dans le genre de celles qui avaient lieu à Alexandrie[2], à Naples[3], à Antioche de Pisidie[4], à Cyzique[5], à Éphèse[6], à Adalia[7]. Ce n’est pas à. dire qu’il n’y en ait pas eu aussi de provinciales. Les textes, au contraire, nous en font apercevoir plusieurs où ce caractère est manifeste. Tel est par exemple le ίερός άγων πενταετηρικός τοΰ κοινοΰ τών Κρητών qui figure dans quelques inscriptions[8], ou encore le ίερόν πενταετηρικόν Συρίας, Κιλικίας, Φοινείκης έν Αντιοχεία que mentionne un document de la fin du premier siècle[9]. En Asie, il devait y avoir des fêtes analogues. On nous signale un individu qui a été vainqueur dans divers concoure, notamment aux jeux Pythiques, Actiaques, aux jeux du κοινόν d’Asie, et, ajoute le texte, aux autres jeux quinquennaux et triennaux[10]. Il serait donc naturel de conclure de tout ceci que les assemblées des provinces étaient convoquées seulement de quatre en quatre ans. Un texte souvent cité semble confirmer cette hypothèse. L’inscription commémorative de la dédicace du temple d’Ancyre énumère les largesses faites par certains personnages du pays aux trois peuples du κοινόν, et elle les groupe sous plusieurs rubriques, comme Έπί Μετέλλον, Έπί Φρόντωνος, Έπί Σιλουανοΰ, Έπί Βασιλά[11]. Ceux-ci ne peuvent avoir exercé que des fonctions provinciales, puisque leurs noms ont été gravés sur les murs du temple provincial. Rien de plus légitime dès lors que de voir en eux, suivant une conjecture de M. Perrot, des prêtres du κοινόν de Galatie. Or nous avons la preuve que l’un d’eux, Si Ivan us, est resté en place quatre années entières ; pendant son sacerdoce, en effet, quatre individus différents ont fourni, chacun une année, l’huile nécessaire aux athlètes[12]. La durée de son administration ayant été égale à l’intervalle qui séparait deux sessions, il était à peu près sûr que cet intervalle était de quatre ans. Si ces faits sont autant d’indices de la périodicité quinquennale des assemblées, il en est d’autres, par contre, qui conduisent a des conclusions tout opposées. Nous possédons les noms d’environ soixante-quinze flamines de la province d’Espagne Citérieure, tous antérieurs à Dioclétien. Si chacun d’eux avait été nommé pour quatre ans, cela nous donnerait un total de trois cents années, c’est-à-dire beaucoup plue qu’il n’y en a depuis la date probable de l’inauguration du temple provincial de Tarragone[13] jusqu’à la fin du IIIe siècle. En Asie, nous connaissons pour la même période plus de quatre-vingt-dix grands-prêtres[14]. Il est vrai que la construction du temple de Pergame fut décidée dès l’année 39 avant J.-C. Mais entre cette date et l’avènement de Dioclétien trois cent treize années s’écoulèrent, tandis qu’il en faudrait trois cent soixante pour l’ensemble de ces prêtrises. Il n’est donc pas admissible qu’il y ait eu, au moins dans ces deux provinces, un intervalle si long entre les réunions de l’assemblée. Étaient-elles annuelles ? Nous n’oserions l’affirmer, mais la chose est assez probable. Il est difficile, par exemple, qu’il en ait été autrement dans la province de Lycie, quand nous voyons le κοινόν honorer un personnage qui a occupé le sacerdoce fédéral έν τώ έξιόντι έτες[15]. La même règle parait avoir été en vigueur chez les Pan hellènes. Nous savons, en effet, qu’ils eurent une session dans l’année 139, et ils siégèrent encore en 157[16] ; la chose certainement n’aurait pas eu lieu, si leurs assemblées avaient été quinquennales. Bien plue, l’empereur Antonin reçut en 157 une députation envoyée par eux ; conformément à l’usage, il remit aux députés une lettre en date du 30 novembre, qui était adressée τώ Πανελληνίω, et dans ce document, qui dut être présenté à l’assemblée en 158, il appelle ceux dont le message lui est récemment parvenu : οί πρό ύμών Πανέλληνες[17] ; cela prouve qu’il y eut réunion du conseil deux années de suite. Un document nous signale un individu qui a été SAC(erdos) P(rovinciæ) A(fricæ) en l’année CXIII de quelque ère locale[18]. Nous avons des monnaies frappées à Pergame en 97 et en 98, et portant ces mots COM.ASI[19] ; elles attestent que le κοινόν se tint ces années-là dans cette ville. Enfin il n’est pas rare que sur les monuments de cette province le grand prêtre figure comme magistrat éponyme ; ce qui implique nécessairement le caractère annuel de ses fonctions[20]. Voici encore une autre considération. Les assemblées avaient le droit de décerner des éloges et d’intenter des accusations à leurs gouverneurs. Il importait donc que leurs réunions fussent assez fréquentes pour leur permettre d’atteindre, sinon immédiatement, du moins au bout de quelques mois, tout magistrat sortant de charge. Leurs louanges n’avaient de prix qu’à la condition d’être un titre de recommandation auprès de l’empereur, et elles auraient été bien superflues, si dans l’intervalle le légat ou le préteur avaient été appelés à des fonctions plus hautes. Leur colère de même eût été vaine, si elles avaient été sans cesse exposées à voir leurs poursuites se briser contre un homme déjà installé dans quelque autre position officielle, et couvert, par suite, d’une véritable immunité[21]. Claude avait l’habitude de laisser plusieurs mois s’écouler avant de confier à un gouverneur revenu de province une dignité nouvelle ; il voulait que les plaintes des administrés eussent le temps d’arriver à Rome[22]. Mais il est clair que la précaution eût été bien inutile, si le concilium n’avait pu s’assembler que deux ou trois ans après. Or il en eût été ainsi dans beaucoup de cas. Il n’y avait pas de règle uniforme pour la durée des gouvernements provinciaux. Ceux qui dépendaient exclusivement de l’empereur étaient conférés pour une période indéterminée, qui, dans la réalité, ne dépassait guère trois ans[23]. Les grandes provinces sénatoriales, telles que l’Asie et l’Afrique, étaient parfois maintenues trois et six ans aux mains du même titulaire[24] ; mais, en principe, elles ne devaient y rester qu’un an[25], et très souvent cette pratique fut en effet observée[26]. L’existence de cette règle pour les dernières et l’absence de toute règle pour les premières n’entraînaient-elles pas, comme une conséquence naturelle, l’obligation de convoquer annuellement le conseil fédéral ? N’était-ce point là le seul moyen de mettre les provinciaux en état d’exercer un droit qui sans cela eût été illusoire ? Comment expliquer, sans cette hypothèse, que l’Asie ait accusé en 22 le proconsul Silanus[27], et en 23 le procurateur Lucilius Capito[28] ? Comment surtout se rendre compte des incidents qui marquèrent les débats du procès intenté à Rufus Varenus, d’un procès où l’on vit le κοινόν de Bithynie envoyer, à quelques mois d’intervalle, deux députations, qui furent sans doute nommées dans deux sessions différentes[29] ? Nous sommes donc en présence d’une double série de textes qui nous font connaître dans les mêmes contrées, les uns des réunions quinquennales, les autres des réunions annuelles. Cette divergence est-elle si complète qu’il soit impossible de concilier ces divers témoignages ? Peut-être suffira-t-il, pour résoudre la difficulté, de se rappeler que c’était une coutume grecque de donner tous les quatre ans un éclat exceptionnel aux fêtes qui se renouvelaient chaque année[30]. Il s’ensuit qu’un κοινόν πενταετηρικόν peut n’être rien de plus qu’un κοινόν annuel, célébré cette fois avec une magnificence particulière. De ce que les documents mentionnent dans une province une assemblée de la première espèce, il n’en résulte pas qu’il n’y en ait pas eu aussi de la seconde. Rien ne s’oppose à la coexistence de ces deux institutions, et si l’on a, comme il parait bien, des raisons sérieuses de penser que les diètes provinciales avaient presque partout des sessions annuelles, elles ne sauraient être détruites par les textes qui nous montrent ces diètes s’appliquant à augmenter de temps en temps la pompe de leurs cérémonies ordinaires. |
[1] Suétone, Aug., LIX.
[2] C. I. L., II, 4136.
[3] Strabon, V, p. 246 ; Suétone, Aug., XCVIII ; Wilmanns, 2202.
[4] C. I. L., III, 296.
[5] Eckhel, IV, 448.
[6] Bulletin de corr. hellén., IX, p. 124 et suiv.
[7] Bulletin de corr. hellén., 1886, p. 149.
[8] C. I. G., 2583.
[9] Bulletin de l’Institut archéol. de Rome, 1877, p. 109.
[10] C. I. G., 1420, 1421.
[11] C. I. G., 4039.
[12] Il en fut de même pendant la prêtrise de son successeur Basilas.
[13] Tacite, Annales, I, LXXVIII.
[14] Dans ce chiffre sont compris les asiarques (voir plus loin, ch. VII).
[15] Lebas-Waddington, Inscr. d’Asie Mineure, 1221.
[16] Foucart, Inscr. de Messénie, 319.
[17] Lebas-Waddington, Inscr. d’Asie Mineure, 866.
[18] Cagnat, Nouvelles explorations en Tunisie, p. 17. Il n’est nullement démontré, comme le suppose M. Cagnat, que l’ère mentionnée sur ce monument ait pour origine l’année où fut institué le culte provincial en Afrique. L’usage de compter les années d’après une ère commune à toute la province parait avoir été particulier à la Maurétanie (C. I. L., VIII, p. 1062). Dans l’Afrique proconsulaire, on ne connaît jusqu’ici qu’une ère locale, celle qui remontait à la fondation de la colonie de Carthage par César ; et nous voyons qu’elle servait parfois aux cités voisines de cette ville (C. I. L., VIII, 805). Furni, où a été découverte notre inscription, devait être dans ce cas.
[19] Cohen, Médailles impér., I, p. 466, n° 1 ; II, p. 3, n° 6.
[20] Deux monuments d’Éphèse sont datés ainsi (Bulletin de corr. hellén., 1882, p. 286.)
[21] Walter, Hist. du droit criminel chez les Romains, p. 103 (trad. fr.).
[22] Dion, LX, XXV.
[23] Mommsen, Étude sur Pline le Jeune, p. 73 (trad. fr.).
[24] Une monnaie d’Utique porte : C. Vibio Mario pr. cos. III. Ce qui prouve que le personnage fut proconsul d’Afrique au moins pendant trois ans de suite, (Eekkel, IV, 148.) Q. Terentio Culleone procos. III. ΑΝΘΥ.ΕΠΡΙΩ.ΜΑΡΚΕΛΛΩ.Γ (en Asie) (ibid., 232.) C. I. L., VIII, 10568 : C.VIBIVS.MARSVS PR.COS.DEDICA. Waddington, Fastes des provinces asiatiques, n° 76 et 96 ; Borghesi, V, 217.
[25] Dion (LIII, XIII) appelle έπετησίους καί κληρωτούς les gouverneurs des provinces sénatoriales. Suétone oppose les provinces de l’empereur à celles qui sont administrées annuis magistratuum imperiis. (Aug., XLVII.) Tacite, Ann., III, LVIII : Unius anni proconsulare imperium. Saint Cyprien, lettre XV : Eant nunc magistratus et consules sive proconsules ; annuæ dignitatis insignibus et duodecim fascibus glorientur. Renier, Mélanges d’épigraphie, p. 124.
[26] Waddington, Fastes des prov. asiat., passim ; Marquardt, Röm. Staatsv., I, p. 546, note 3 (2e édit.).
[27] Tacite, Ann., III, LXVI.
[28] Tacite, Ann., IV, XV.
[29] Pline, Epist., V, XI ; VI, V et XIII ; VII, VI et X.
[30] Ainsi, à Athènes, les grandes Panathénées, qui tombaient dans la troisième année de chaque olympiade, avaient plus de solennité que les petites. (A. Mommsen, Heortologie, p. 116 et suiv. Cf. Perrot, Exploration de Galatie, p. 21 ; Arch. Zeitung, 1877, p. 192, n° 98.)