Louis-Napoléon soulève un régiment d'artillerie en garnison à Strasbourg (1836). — Résistance du général Voirol, gouverneur de la ville. — Après un semblant de succès, Louis-Napoléon et ses compagnons sont cernés et arrêtés dans une caserne. — Clémence de Louis-Philippe à l'égard de Louis-Napoléon, contre lequel il n'est pris d'autre sanction que le bannissement. — Après un court séjour en Amérique, Louis-Napoléon, apprenant que sa mère est gravement malade, revient en Europe. — Après la mort de la reine Hortense, il se fixe à Londres. — Nouvelle tentative de sédition militaire à Boulogne (1840). — Plus encore qu'à Strasbourg, l'échec est complet. — Détention de Louis-Napoléon à la citadelle de Ham. — Son évasion après plus de cinq années de captivité. — La révolution de 1848 lui permet de rentrer en France. — En septembre, il est élu député, et en décembre, président de la République.LORSQU'EN 1832, la gracieuse et frivole duchesse de Berry organisa très étourdiment un soulèvement en Vendée, mot courut à Paris : La pauvre duchesse est une victime de Sir Walter Scott. A cette époque, les œuvres du grand romancier écossais avaient une vogue extraordinaire. Le plus souvent, dans cette littérature qui a un peu vieilli, mais qui conserve encore un grand charme, le héros du récit, dépouillé de l'héritage et du château de ses ancêtres, les reconquiert près une série d'aventures dont le talent de l'écrivain voile l'invraisemblance. Nous savons par la correspondance du bon abbé Bertrand, le premier précepteur de Louis-Napoléon, que la lecture des œuvres de Walter Scott était un des agréments des soirées d'Arenenberg. Il est vraisemblable que lorsque le collégien d'Augsbourg venait en vacances, les aventures d'Ivanhoë, de Quentin Durward, du chevalier d'Avenel, exaltaient en lui la prédisposition aux rêveries d'avenir et le pressentiment qu'il jouerait un rôle dans l'histoire. Il y a, au cabinet des Estampes, un dessin qui représente le prince Louis guidant son cheval à travers la neige d'un chemin de montagne. Comparé à d'autres, le portrait ne parait pas très ressemblant ; mais la taille, serrée dans la redingote de coupe romantique, la moustache fine, l'ondoiement de la chevelure où semble passer un souffle d'orage, rappellent les héros de roman que dessinait alors Tony Johannot pour les œuvres de Walter Scott, de même que le promeneur solitaire d'Arenenberg fait songer au prétendant Charles-Édouard errant à travers lis bruyères d'Écosse. Après la mort du duc de Reichstadt, Joseph Bonaparte n'ayant que des filles, le roi Louis malade et misanthrope ne conservant d'autre ambition que la renommée littéraire, ce fut sur Louis-Napoléon que se fixa l'espoir du parti bonapartiste. A ne se fier qu'aux apparences, il semblait que le Prince, peu expansif et d'allure timide, n'était pas de taille à recueillir l'héritage politique même réduit du grand homme. Mais sous sa froideur se développaient la foi brûlante et l'espoir tenace d'un rêve silencieux. Très attentif à toutes les manifestations de l'opinion publique, il suivait avec émotion l'extraordinaire réveil des souvenirs bonapartistes, contemporain des premières années du règne de Louis-Philippe. Ce mouvement d'opinion ramenant l'attention sur le grand Empereur avait eu son point de départ dans les récits apportés en Europe par les compagnons de Sainte-Hélène. Las Cases, Gourgaud, Antommarchi, Montholon avaient divulgué et fait parvenir jusqu'au grand public ce qui jusqu'alors n'était connu que d'un petit nombre d'initiés. Le peuple suit plus volontiers les impulsions du cœur que celles de la raison. Cette agonie de cinq années sur un rocher perdu au fond des océans, cette fin d'une douleur grandiose et théâtrale, ajoutaient à la gloire de Napoléon l'auréole du martyre. Comme il avait souffert ! Comme les vainqueurs longtemps courbés sous la crainte avaient exploité bassement et cruellement leur victoire 2 Tels étaient les sentiments qui révoltaient les consciences et pénétraient les cœurs de pitié. On oubliait les fautes et le despotisme du grand homme pour ne se souvenir que de son génie et de ses malheurs. Bientôt la littérature, le théâtre, les beaux arts ajoutèrent à l'histoire l'embellissement et la cristallisation de la légende. En 1836, le républicain Edgar Quinet terminait son poème Napoléon par une clameur de prophète : Il n'est pas mort, il n'est pas mort. De son sommeil Le géant va sortir, plus grand à son réveil... Mais la figure du Napoléon du peuple s'ébauchait avec glus de relief dans des œuvres moins grandiloquentes. L'image lui bientôt s'imposera aux souvenirs populaires, ce ne sera pas le conquérant entrant en vainqueur dans les capitales, ce sera le héros de la campagne de France, le Napoléon de Béranger et de Charlet, venant s'asseoir, les bottes boueuses et le chapeau ruisselant de pluie, au foyer des chaumières de Champagne. Un soir, tout comme aujourd'hui, J'entends frapper à la porte J'ouvre. Bon Dieu, c'était lui ! Suivi d'une faible escorte. Il s'assied où me voila S'écriant — Ah ! quelle guerre ! — Il s'est assis là grand'mère... Il s'est assis là. Au cours des trois ou quatre années que précéda la révolution de 1830, plus de vingt pièces de théâtre firent apparaître l'Empereur dont le rôle était souvent tenu par des artistes de grand talent, Frédérick Lemaitre, Déjazet, etc. Au théâtre Comte, devant un public d'enfants, un groupe de marionnettes évoquait les grandes scènes de l'épopée impériale. A la Porte Saint-Martin, un acteur du nom de Gobert, bien oublié aujourd'hui, obtenait par sa ressemblance, sa mimique, le son de sa voix, des effets qui soulevaient la salle jusqu'au délire. C'est surtout à cette époque que furent vulgarisés les gestes fameux : les mains derrière le dos, le maniement de la lorgnette, la prise de tabac... inséparables désormais de la physionomie familière de Napoléon, et qui tiennent tant de place dans les recueils anecdotiques de la petite histoire. En général, cette littérature était de peu de valeur ; mais en un temps où pour vingt ou trente sous on pouvait entrer lu théâtre, elle constituait un puissant moyen de diffusion les classes populaires et préparait des recrues pour le parti bonapartiste. Elle apportait aussi un rayon d'espoir et de joie aux différents membres de la famille impériale dispersée par l'exil. Lorsque j'étais à Rome, a raconté la reine Hortense, j'allais tous les jours passer deux heures chez ma belle-mère, et souvent le soir, j'allais lui lire des pièces nouvelles que je recevais de Paris. J'en avais un grand nombre faites sur l'Empereur. Ces pièces, toutes médiocres qu'elles étaient, lui faisaient plaisir... Lætitia Bonaparte, celle que son épitaphe funéraire appelle fièrement Mater Regum, était alors octogénaire, aveugle, impotente, et achevait sa longue existence dans la douleur. En apprenant que son glorieux fils n'était pas oublié en France, elle s'animait, retrouvait avec sa mémoire toute la vivacité de la jeunesse. J'aimais à lui entendre parler de l'enfance de l'Empereur... Un politique aussi expérimenté que Louis-Philippe ne pouvait manquer de reconnaître que cette renaissance d'un parti étendant de puissantes racines dans la masse de la nation était bien autrement inquiétante que les agitations de la rue. On réprime plus facilement une émeute qu'un mouvement d'opinion. Ne pouvant maîtriser celui qui prenait une telle ampleur, Louis-Philippe prit le parti de s'y associer dans une certaine mesure et d'en rallier quelques éléments en paraissant approuver ce qu'il ne pouvait empêcher. En avril 1831, il alla visiter, en compagnie de la reine et de ses enfants, un diorama représentant le tombeau de Sainte-Hélène, et le Moniteur, organe officiel du Gouvernement, rendit compte de cette visite en associant au nom de Napoléon les expressions de grand homme... héros du siècle... géant..., etc. Au cours de la même année, le roi fit frapper à la Monnaie une collection de 165 médailles, représentant les faits mémorables du règne impérial. En 1831 encore, une ordonnance royale décida que la statue de Napoléon serait replacée au sommet de la Colonne Vendôme, d'où elle avait été enlevée en 1814. Enfin, les travaux nécessaires à l'achèvement de l'Arc de Triomphe furent repris et le monument inauguré en 1836. Malgré sa perspicacité, qui était grande, Louis-Philippe se trompait dans ses calculs. Avances et concessions furent interprétées comme une preuve de crainte et non comme une manifestation de bienveillance. D'ailleurs, différentes circonstances fortifiaient d'année en année le parti bonapartiste. Et d'abord, — ce qui à première vue peut sembler étrange — la mort du duc de Reichstadt. Aux yeux d'un grand nombre de Français, le frêle archiduc, figure effacée et douloureuse, était devenu un étranger. Son ascendance maternelle rappelait une des fautes politiques de Napoléon qui disait un jour que à Sainte-Hélène : Ce mariage autrichien m'a perdu. Avec le prince Louis, petit-fils de Joséphine, la bonne impératrice, compagne des jours heureux, l'ordre successoral reprenait une allure plus française et apportait plus de cohésion au parti. Autre circonstance, la monarchie de Juillet avait perdu l'appui de plusieurs personnages qui avaient puissamment contribué à l'établir, tels La Fayette et Laffitte, ce dernier abandonnant Louis-Philippe avec éclat en demandant pardon à Dieu et aux hommes d'avoir contribué à son élection. Il parait certain que Louis-Napoléon, très attentif à se créer des sympathies, échangea quelque correspondance avec La Fayette. Armand Carrel, l'un des chefs du parti républicain, ayant reçu le Manuel de l'Artillerie, publié par le prince, répondit par quelques mots aimables et, s'il faut en croire l'intermédiaire qui lui remit la brochure, exprima l'opinion que Louis-Napoléon portait le plus grand nom des temps modernes et que s'il n'oubliait pas le principe de la souveraineté du Peuple, il serait possible qu'il eût à jouer un grand rôle. A la Chambre des Pairs, en 1830, Chateaubriand avait parlé de Napoléon en termes bien différents de ceux de sa furieuse tin brochure de 1814, Buonaparte et les Bourbons. Il l'appelait l'Hercule, qui fut seul capable d'étouffer le monstre de l'anarchie... un de ces hommes fantastiques comme il y en a cinq ou six dans l'histoire... Quelques années plus tard, l'illustre vicomte, promenant sa gloire et son ennui à travers pat la Suisse, s'était arrêté à Arenenberg. Il avait daigné donner son approbation, sauf quelques mots, aux brochures politiques du prince, et comblé de ces prévenances délicates auxquelles il était sensible, il avait conservé la meilleure impression de ce jeune homme qui, disait-il, était grave, sérieux, studieux, et avait eu pour lui des égards qu'il n'avait jamais trouvés chez les princes pour lesquels il s'était dévoué. N'ayant que peu de goût pour l'existence d'un charme un peu somnolent d'Arenenberg, Louis-Napoléon faisait de fréquentes absences, pour excursionner le long de la frontière, où il avait chance de rencontrer des Français. Une étude technique, le Manuel d'Artillerie, lui permettait, par l'envoi de sa brochure, d'entrer en relations avec des officiers, sans laisser apparaître une arrière-pensée politique. Mais il était naturel qu'insensiblement et sans affectation, la politique devint l'objet de quelques conversations. A Kehl, à Offenbourg, et surtout à Bade, le prince rencontra plusieurs officiers de Strasbourg. En général, ces officiers, dont quelques-uns étaient déjà au service sous l'Empire, laissaient voir peu d'attachement pour la monarchie de Juillet, et peu d'enthousiasme pour un roi, dont la bonhomie pacifique et bourgeoise leur paraissait s'accommoder mieux d'un parapluie sous le bras que d'une épée au côté. Le colonel Vaudrey, qui commandait à Strasbourg le 4e régiment d'artillerie, était un de ces mécontents pour lesquels la lecture de l'Annuaire est un sujet de réflexions amères et de mauvaise humeur. Il n'était plus très jeune — cinquante-deux ans — et n'espérait plus parvenir au grade de général. Quoiqu'il fût marié et père de famille, les écarts de sa vie privée faisaient suivre ses états de service d'une note défavorable qui s'était manifestée par le refus d'une place d'aide de camp du duc d'Orléans et le rejet d'une demande de bourse pour un de ses fils. Parfaitement renseigné sur le caractère de Vaudrey, sur les mécomptes de sa carrière, sur son penchant au plaisir, Louis-Napoléon estimait que le colonel pourrait jouer un rôle important dans l'entreprise pour laquelle il recherchait des comparses, Une circonstance imprévue et bien étrangère à la politique lui permit bientôt de l'attacher à sa cause. Il y avait alors à Bade une jeune actrice, Eléonore Gordon, que le Prince avait connue à Londres, où elle chantait dans des concerts. Elle attirait l'attention autant par le charme de sa personne que par les aventures que lui attribuaient ceux qui connaissaient ou prétendaient connaître son passé. Fille d'un capitaine de la garde impériale, elle était ardemment et sincèrement bonapartiste. Restée orpheline et sans ressources, elle avait suivi les cours du Conservatoire, puis débuté au Théâtre Italien. Son mariage avec un Anglais, sir Gordon, l'avait éloignée momentanément du théâtre. Au bout de peu de temps, le veuvage l'y ramenait. On contait encore qu'elle était de première force en escrime, qu'elle avait été victime d'une tentative d'assassinat dans le parc de Saint-James, Avait-elle été la maîtresse du Prince ? Celui-ci l'a toujours nié et en effet, rien n'indique qu'il y ait eu entre eux autre chose qu'une aimable familiarité. Le sentiment qu'éprouvait le colonel pour Eléonore Gordon était d'autre nature. L'ayant vue dans une soirée donnée par le général Voirol, gouverneur de Strasbourg, il en conservait une vive impression. Sachant qu'elle était à Bade, il s'y rendit, et attendit l'occasion sur laquelle comptent les vieux viveurs, qui ne croient guère à la vertu des femmes, surtout s'il s'agit d'une femme de théâtre. Un soir, le Prince était au Casino, accompagné d'Eléonore Gordon. Vaudrey se fit présenter. L'innocent colonel venait s'offrir, sans qu'il fût nécessaire d'aller le chercher. Il est probable qu'il prêta moins d'attention aux longues conversations politiques qu'il eut avec le Prince qu'aux sourires encourageants de la cantatrice. Il était fort épris en regagnant sa garnison de Strasbourg et, par sa correspondance, confirma ce que ses assiduités avaient déjà fait suffisamment comprendre. La jeune femme répondit par un mot qui justifie l'appréciation que devait donner plus tard l'enquête judiciaire ouverte contre les conjurés : Froide et réfléchie, elle entraîna à sa ruine l'homme qui l'aimait. Elle ne pouvait, disait-elle, appartenir qu'à celui qui se dévouerait corps et âme au succès de la cause napoléonienne. Le colonel promit de se dévouer, et quelques semaines plus tard, il demandait une permission qu'il mit à profit pour excursionner entre Dijon, Colmar et Fribourg en compagnie d'Eléonore Gordon. Le couple voyageait sous le nom de Monsieur et Madame de Cessay. Les lettres que lui envoyait le Prince étaient signées d'un pseudonyme féminin, Louise Wernert. Cette jeune fille imaginaire remerciait le colonel de vouloir bien s'occuper de son mariage. Avant de vous connaître, écrivait-elle, j'errais sans guide... Dans les circonstances actuelles où mon mariage dépend de vous, je crois de mon devoir de vous dire que quelle que soit votre décision, cela ne peut influer en rien sur les sentiments que je vous porte, etc., etc. Entraîné par son ardeur de propagande, Louis-Napoléon commit l'imprudence de demander un rendez-vous au général Voirol, commandant la place de Strasbourg, et d'envoyer à Paris un émissaire au général Exelmans, vétéran des guerres de l'Empire. Voirol communiqua la lettre du Prince au maréchal Soult, ministre de la Guerre. Quant à Exelmans, il reçut assez mal l'envoyé, dont les explications volontairement embrouillées l'impatientaient. Ah ça, qu'est-ce qu'il veut, demanda-t-il brusquement. Vous pourrez lui dire que s'il croit avoir un parti en France il se trompe... Nous avons en vénération la mémoire de l'Empereur, voilà tout et ce serait folie que de songer à renverser le gouvernement actuel... Il est certain que ces deux démarches, ainsi que d'autres tentatives auprès d'officiers subalternes, mirent en éveil le gouvernement. Mais soit qu'il se crût assuré de la fidélité des troupes, soit qu'il attendit pour agir un commencement d'exécution, les mesures de surveillance furent si peu sévères que Louis-Napoléon put, sans attirer l'attention de la police, franchir la frontière et assister à Strasbourg à une réunion d'une vingtaine d'officiers auxquels il exposa son programme et ses projets. La voix lente, l'âpre accent germanique donnaient aux paroles une gravité inattendue chez un jeune homme de vingt-huit ans. Sans discuter les risques de l'entreprise, les officiers assurèrent au Prince qu'ils lui rendraient sa Patrie... qu'ils étaient las de l'inaction où on laissait leur jeunesse, et du rôle qu'on faisait jouer à l'année. La doctrine politique de Louis-Napoléon avait le mérite d'être simple, ce qui facilitait la propagande. Tout gouvernement doit désormais reposer sur le dogme de la Souveraineté du Peuple. Toute autorité doit émaner de lui. Cette autorité, le Peuple français l'a déléguée à plusieurs reprises à Napoléon Bonaparte et à sa famille. La restauration de Louis XVIII, imposée par les armées étrangères, l'élection de Louis-Philippe par deux cent vingt et un députés ne représentant que deux cent mille électeurs, sont un attentat à la souveraineté du Peuple. Tant que par son suffrage direct, universel, la Nation on n'aura pas repris possession de ses droits, tout gouvernement reposera sur une base illégitime. Pour le moment, Louis-Napoléon n'avait d'autre ambition que de donner au peuple français l'occasion de manifester sa volonté. Si, par ses suffrages, le Peuple dénonçait le pacte conclu avec les Bonaparte, il s'effacerait, redeviendrait simple citoyen. D'ailleurs, en prenant cet engagement, il était persuadé qu'il ne courait pas grand risque. Les informations qu'il recevait de France lui apportaient la preuve que le mouvement d'opinion bonapartiste suivait un développement continu. Publications littéraires, portraits, statuettes, médailles, bronzes de pendule pénétraient au foyer, s'insinuaient aux objets familiers de la vie quotidienne, entretenaient dans les mémoires le souvenir de la prodigieuse épopée. En décembre 1835, la mise en vente des costumes et accessoires de l'atelier du peintre Gros ayant offert au hasard des enchères le chapeau que portait Napoléon à Friedland, la précieuse relique avait été adjugée 1.930 francs, environ 12 à 15.000 francs de notre monnaie actuelle. Une nombreuse assistance de curieux avait fait retentir la salle d'applaudissements frénétiques en apprenant que l'acquéreur était un Français. Bon augure pour l'héritier de la dynastie et de la tradition napoléoniennes. Jusque-là sa personnalité était peu connue du peuple, mais que par un événement sensationnel il éveillât l'attention ou la curiosité, il prendrait avec l'opinion publique le contact d'où jailliraient l'étincelle, la flamme, la vie. A la fin d'octobre 1836, les résolutions de Louis-Napoléon étaient prises et avec les confidents de la première heure, notamment Vaudrey, Parquin, Fialin de Persigny, il arrêtait les dispositions suprêmes. Parquin, chef de bataillon en retraite et voisin de campagne, avait été marié par la reine Hortense à Mademoiselle Cochelet, sa lectrice et amie d'enfance. C'était un de ces sabreurs encore nombreux à cette époque, qui s'adaptaient difficilement à la vie bourgeoise et usaient les semaines, les mois, les années en ressassant le chagrin des rêves d'avenir brisés par l'écroulement de l'Empire. Fialin de Persigny, qui devait avoir une influence décisive dans la préparation du Coup d'État et le rétablissement du régime autoritaire, avait fait la connaissance de Louis-Napoléon dans des circonstances qui montrent quelle place peut tenir le hasard dans l'orientation d'une destinée. Après quelques années de service aux hussards, il s'était occupé vaguement de journalisme. Pauvre, de vive intelligence, ambitieux et désireux de se faire une place dans la vie, il avait l'audace de ceux qui n'ont rien à perdre et tout à gagner. Il ignorait l'existence du Prince, il ignorait même qu'il y eût un Bonaparte en situation et en âge d'être un prétendant, lorsque, voyageant en Suisse, il croisa une voiture occupée par un jeune homme, que des paysans saluaient en criant : Napoléon ! Il s'informa, apprit que le prince Louis, fils de l'ancien roi de Hollande, était fort populaire dans la contrée parce qu'il s'occupait des fêtes locales, prenait part aux concours de tir, s'intéressait à des œuvres de bienfaisance. Il apprit encore que depuis la mort du duc de Reichstadt, c'était le représentant légitime de la dynastie. Interrompant son voyage, renonçant même à poursuivre une intrigue galante qu'il avait ébauchée en cours de route, Persigny s'était fait présenter à Arenenberg, où les Français étaient toujours bien accueillis, et depuis, il était devenu un partisan enthousiaste, dont les initiatives et le zèle fougueux furent souvent utiles avant la conquête du pouvoir, et parfois gênants après. La garnison de Strasbourg se composait de deux régiments d'artillerie, trois régiments d'infanterie, un bataillon de pontonniers, soit d'une dizaine de mille hommes. De plus, la ville avait un arsenal contenant armes, munitions, uniformes, des caisses publiques pouvant fournir à vue dix ou douze millions. Un régiment d'artillerie était acquis et le prince pensait qu'au nom magique de Napoléon, les autres suivraient l'entraînement de l'exemple. Enfin, comme dans toutes les grandes villes, il y avait à Strasbourg un fonds de plèbe déclassée, oisive et flâneuse, prête à suivre toutes les impulsions. De petites sommes d'argent discrètement distribuées assureraient le recrutement de quelques douzaines de figurants qui, par des gestes et des cris, tiendraient le rôle du peuple s'associant au mouvement militaire. En général, on ne fait pas de révolutions avec des prix de vertu. En lisant les brochures écrites postérieurement par quelques complices de l'entreprise, on voit quelles espérances ou quelles illusions ils associaient à leurs projets. Dès le lendemain de cette grande révolution, on marcherait sur Paris, avec plus de douze mille hommes, près de cent pièces de canon, dix à douze millions de numéraire, et un convoi d'armes considérable pour armer les populations sur la route... Ainsi le prince Napoléon pouvait entrer en Champagne le sixième ou septième jour, à la tête de plus de cinquante mille hommes... (Récit du lieutenant Laity.) Dans la conception et l'exposé de ce scénario, on retrouve une réminiscence et un pastiche du retour de l'île d'Elbe. Le 25 octobre 1836, le prince quittait Arenenberg sous le prétexte d'une partie de chasse qui devait durer quelques jours. Il n'avait pas informé sa mère de ses projets, mais comme elle commençait à connaître ce caractère peu expansif, tenace et mystérieux, elle avait le pressentiment que l'absence pouvait se rattacher à la politique. Au moment du départ elle passa au doigt de son fils un anneau que Napoléon lui avait remis en quittant la Malmaison pour prendre le chemin de l'exil. Dans une lettre écrite après son arrestation, Louis-Napoléon a fait le récit assez circonstancié de l'entreprise vers laquelle, dit-il, l'entraînaient une voix secrète et la mission qu'il avait à remplir. C'est surtout à ce document que nous emprunterons les détails qui suivent. Arrivé dans la soirée du 29 à Strasbourg, où Persigny lui avait préparé une petite chambre, il se rendit de suite dans un modeste rez-de-chaussée de la rue des Orphelins pour rejoindre les principaux conjurés. La nuit était froide, mais claire et scintillante d'étoiles. Je prenais ce beau temps pour un favorable augure... Le silence des rues faisait impression sur moi. Par quoi ce calme sera-t-il remplacé demain ?... A la fin d'octobre, les heures de nuit sont longues. Elles furent employées à lire les projets de proclamations, au peuple, à l'armée, aux habitants de Strasbourg, à préciser le rôle de chacun dans l'exécution fixée au petit jour, puis à revêtir les uniformes dont devaient être costumés les principaux personnages. Parquin était en général, Persigny en officier d'état-major. Le Prince portait l'uniforme de l'artillerie, habit bleu, collet rouge, épaulettes de colonel et insignes de la Légion d'Honneur. Lorsque, après l'échec de la tentative, il parut opportun à quelques organes de la Presse de la ridiculiser, la légende fut mise en circulation que Louis-Napoléon s'était coiffé du chapeau de son oncle. La légende est absolument controuvée. La coiffure était celle d'un officier d'état-major dont la forme basse eût pu prêter à la confusion sans les dorures que n'eut jamais le petit chapeau historique. Une émotion profonde étreignit les cœurs lorsque le Prince montra l'aigle qui devait précéder le cortège des conjurés. C'était celle du régiment de La Bédoyère allant à la rencontre de Napoléon au retour de l'île d'Elbe. La précieuse relique passa de mains en mains et chacun la pressa sur sa poitrine. Puis on attendit. Le colonel Vaudrey devait se rendre vers cinq heures du matin à la caserne de son régiment et les sonneries de trompette annonceraient aux conjurés que le moment était venu de le rejoindre. Comme les heures semblaient longues ! des heures de plomb. A l'énervement de l'attente, deux incidents vinrent ajouter la crainte que le complot ne fût découvert. Au cours de la nuit la rumeur des conversations réveilla les occupants de l'étage au-dessus. On les entendit se lever, ouvrir les fenêtres. Le silence s'étant rétabli, ils crurent qu'ils s'étaient trompés et regagnèrent leur lit. Cette première alerte était à peine terminée lorsque des pas précipités, un piétinement de cavalerie, troublèrent le calme de la rue. N'était-ce pas la gendarmerie cernant la maison ? Non, on apprit bientôt que l'alarme était causée par des artilleurs ramenant leurs chevaux logés en dehors de la caserne. Enfin six heures venaient de sonner lorsqu'on entendit la fanfare des trompettes. Jamais les sons d'une horloge ne retentirent si violemment dans mon cœur ; la trompette du quartier d'Austerlitz vint encore en accélérer les battements... — Messieurs, c'est le moment, dit le Prince ; nous allons voir si la France se souvient encore de vingt années de gloire... et la petite troupe se mit en marche vers la caserne toute proche. Il faisait à peine jour ; le ciel s'était couvert ; quelques flocons de neige commençaient à tomber. Déjà devant la caserne, stationnaient quelques groupes, les uns attendant l'occasion de gagner leur salaire par des acclamations, les autres simples curieux. Trente-cinq cavaliers maintenaient l'ordre en dehors des grilles. Dans la cour le régiment était formé en bataille, ne sachant au juste ce qui allait se passer, mais mis en bonnes dispositions par les libéralités du colonel. Chaque batterie avait reçu quarante francs, chaque sous-officier deux cents. Dès que le Prince parut, Vaudrey se porta à sa rencontre et l'amenant au centre du carré, il mit sabre au clair en s'écriant : Soldats, une grande révolution s'accomplit... Voici le neveu de l'Empereur Napoléon ; il vient pour se mettre à votre tête... Soldats, votre colonel a répondu de vous. Répétez avec lui : Vive Napoléon, vive l'Empereur... Et de grands cris s'élevèrent... Le Prince prit alors la parole. Ces harangues à des soldats n'ont jamais rien de bien original. Après quelques lieux communs sur la gloire des aigles, l'honneur de l'armée, etc., le trait le plus saillant fut le rappel des états de service de Napoléon dans le régiment. Au siège de Toulon, dit le Prince, le grand Empereur était capitaine au 4e d'artillerie. C'était encore le 4e qui lui avait ouvert les portes de Grenoble lors du retour de l'île d'Elbe. Puis, tendant les bras à l'officier le plus proche, Louis-Napoléon l'embrassa convulsivement. Et de bruyantes acclamations retentirent encore : Vive Napoléon ! Vive l'Empereur ! Telle est du moins la version donnée soit par le Prince, soit par ses amis. Dans les récits officieux favorables au Gouvernement, ou dans la procédure de la cour d'assises, on cherche à donner l'impression qu'il y avait eu surtout chez les soldats surprise, étonnement, ahurissement. Un canonnier dépose : On disait : c'est le fils de l'Empereur, non c'est son neveu, non c'est l'Empereur lui-même. Un autre : On criait je ne sais pas trop quoi : Vive le roi ou vive l'Empereur ! Moi je criais : Vive le Roi ! Le colonel est venu sur moi en disant : Veux-tu bien crier Vive l'Empereur f..... ! Alors j'ai crié Vive l'Empereur ! Quoi qu'il en soit, la journée débutait par un succès. Il s'agissait maintenant d'enlever les autres casernes. Dans les rues l'affluence était devenue considérable. Le régiment se mit en marche, musique en tête, précédé de cavaliers ouvrant le passage. On criait beaucoup ; dans une foule rien n'est contagieux comme les acclamations. Des passants costumés en ouvriers demandaient à embrasser l'aigle. Toute la ville semblait conquise. Ma mère, jugez du bonheur que j'éprouvai en ce moment. Après vingt ans d'exil je touchais le sol sacré de la Patrie. La veille, le Prince avait préparé pour sa mère deux lettres dont une seule devait être envoyée, l'une en cas de réussite, l'autre en cas d'échec. La tournure des événements semblait tellement favorable, que Persigny fit partir la lettre annonçant le succès. Tout ce premier acte avait duré fort peu de temps. Il était à peine six heures et demie du matin, lorsque le Prince et Vaudrey envoyèrent à travers la ville cinq ou six détachements chargés de missions diverses, soulèvement du 3e d'artillerie, du bataillon de pontonniers, occupation du télégraphe, d'une imprimerie, arrestation du préfet, etc. Cette dernière besogne fut la plus facile. Le préfet était encore au lit, lorsque Persigny, escorté d'artilleurs, lui apprit qu'il le faisait prisonnier. Au nom de l'Empereur Napoléon. En bon fonctionnaire qui sait qu'en temps de révolution il ne faut pas se compromettre, le préfet s'habilla sans mot dire, suivit docilement les artilleurs qui le menèrent dans le local de leur salle de police. Il ne recouvra la parole que pour demander une geôle moins humide ; on lui accorda une chambre de sous-officier. Louis-Napoléon s'était chargé de la mission la plus délicate, celle de faire une dernière tentative d'embauchage auprès du général Voirol. Le général dormait lorsque son cocher le réveille brusquement pour lui apprendre que l'hôtel est cerné par le ne régiment que commande Vaudrey. Il se lève en hâte et commence à s'habiller quand le Prince, suivi de Parquin, entre dans sa chambre. Général, c'est un ami qui vient vers vous... Toute la garnison est pour moi. Je serais désolé de relever le drapeau tricolore sans un brave comme vous. Venez, général Voirol, que je vous embrasse. Voirol n'avait eu que le temps de revêtir un caleçon, costume qui n'est pas très favorable aux attitudes héroïques. Cependant, il repoussa avec énergie les avances de Louis-Napoléon : Non, Prince, vous vous trompez, la garnison n'est pas pour vous, je remplirai mon devoir. Alors Parquin, qui, dans la troupe des comparses, semble avoir un peu tenu l'emploi du matamore, crie aux artilleurs en désignant Voirol : Arrêtez-le... On l'arrête en effet et on l'enferme dans une chambre. Mais ne connaissant pas les aîtres, Parquin avait omis de faire garder une porte donnant sur un escalier. Le général s'évade, rencontre cinq ou six officiers accourus pour le défendre. Parquin, suivi de ses hommes, s'élance à sa poursuite et un corps-à-corps s'engage, bousculade un peu ridicule, à laquelle prennent part la femme et la belle-mère du général, qui finit par gagner la rue, où les artilleurs de Vaudrey n'osent porter la main sur lui et le laissent passer. Ce premier échec m'avait vivement affecté, raconte le Prince à sa mère ; je n'y étais pas préparé, convaincu que la seule vue de l'aigle devait réveiller chez le général de vieux souvenirs de gloire. Cependant il espérait encore soulever le régiment d'infanterie de la caserne Finkmatt et il s'y rendit it toujours suivi de Vaudrey et de ses artilleurs. Si l'on s'en rapporte au récit de Louis-Napoléon, les soldats qu'il harangua près de la porte l'accueillirent chaleureusement et se disposèrent à le suivre. Au contraire les débats de la cour d'assises firent apparaître des témoins, qui tous prétendirent qu'ils avaient répondu au Prince qu'ils ne connaissaient que le Roi. Il y a dans chacune de ces différentes versions une part de vérité. Sur les douze ou quinze cents hommes du régiment, il était facile au Prince de rallier des adhérents, et au procureur du roi de recruter des témoins favorables. Mais ce qui est certain, c'est que l'élan des premières heures de la matinée était brisé. Bientôt une rumeur circula, traînant après elle le doute et la méfiance : Ce prétendu Prince est un imposteur... Il n'appartient pas à la famille Bonaparte... C'est un neveu du colonel Vaudrey. Lorsque le général Voirol s'était échappé de son hôtel, il s'était rendu au casernement du 16e de ligne, comptant sur la fidélité de ce régiment qui avait tenu garnison à Compiègne et où avaient servi les fils du roi. Il avait fait réoccuper la Préfecture et les rues principales. La caserne Finkmatt occupée par le 46e de ligne était située au fond d'une impasse assez étroite, dont il était difficile de sortir. Entouré de groupes hostiles, le Prince essaya de saisir un des chevaux qui erraient dans la cour, pour galoper jusqu'aux canonniers du 4e d'artillerie, demeurés en dehors des grilles. Il n'en eut pas le temps. Les grilles venaient d'être fermées. Une violente poussée refluait dans la cour de la caserne, entraînant dans la même cohue canonniers ayant pris le parti du Prince et fantassins disposés à l'arrêter. On pouvait redouter une collision meurtrière. Le colonel du 46e fit tirer en l'air quelques coups de fusil pour intimider une troupe d'émeutiers qui, juchés au faîte du mur extérieur de la caserne, jetaient aux soldats pierres et mottes de terre. De son côté, le Prince assure qu'il interdit aux canonniers de se servir de leurs mousquetons et qu'il se borna à écarter du fourreau de son sabre un cercle de baïonnettes menaçantes. Tout se termina par une violente bousculade et l'arrestation de Louis-Napoléon et de quelques-uns de ses partisans, notamment Vaudrey et Parquin, ce dernier, au dire d'un témoin, faisant voltiger son sabre de tierce et de quarte, tous les tremblements, quoi ! L'échauffourée avait duré moins de trois heures. Pendant qu'on les menait à la prison du quartier, Parquin dit à ses compagnons : On va nous fusiller ; nous mourrons bien. — Oui, répondit Louis-Napoléon, nous avons échoué dans une belle entreprise. Les deux journées qui suivirent l'échauffourée furent pour le roi, sa famille et les ministres des heures d'incertitude et d'angoisse. Dans la matinée du 30 octobre, le télégraphe aérien avait transmis le début d'une dépêche. Ce matin, vers six heures, Louis-Napoléon, fils de la duchesse de Saint-Leu, qui avait dans sa confidence le colonel d'artillerie Vaudrey, a parcouru les rues de Strasbourg avec une partie de... La communication s'arrêtait là comme un feuilleton de romancier qui joue avec l'émotion du lecteur. Les employés du télégraphe faisaient savoir que le brumaire, empêchait de distinguer les signaux. Grave symptôme, qui laissait prévoir de mauvaises nouvelles. Pendant deux nuits, les ministres restèrent en permanence aux Tuileries. Les princes allaient et venaient, demandant si l'on savait quelque chose. Le roi était très triste, dit Guizot dans ses Mémoires. Enfin, le 1er novembre, un chef de bataillon, M. de Franqueville, apporta à Paris un premier rapport du général Voirol. Le duc d'Orléans écrivait à son frère Nemours : Je pense avec bonheur que, loin de nous, tu n'auras pas eu à subir les affreuses incertitudes que nous avons éprouvées. Toute la nuit dernière s'est passée à veiller sans nouvelles. A l'inquiétude succéda l'embarras causé par la capture de Louis-Napoléon. Aussi bien sous la Restauration que sous l'Empire, la répression des mutineries militaires avait presque toujours été suivie de condamnations capitales. Depuis le malheureux duc d'Enghien, fusillé pour une conspiration imaginaire, jusqu'aux sergents de La Rochelle guillotinés pour un complot, n'ayant reçu qu'un commencement d'exécution, la tradition d'une justice militaire impitoyable s'était maintenue et semblait entrée dans les mœurs. Aussi lorsque Parquin disait au Prince : Nous allons être fusillés, il apportait dans son attitude et ses paroles moins de fanfaronnade qu'on ne pourrait le penser. Dès que la reine Hortense avait appris la capture de son fils, elle avait redouté le pire dénouement, et malgré le mauvais état de sa santé, elle s'était mise en route pour aller à Paris implorer la clémence du roi. Mais Louis-Philippe était humain. Des souvenirs de sa jeunesse qui avait vu périr tant de victimes innocentes, il avait conservé un respect de la vie humaine qu'il étendait jusqu'aux criminels. Cette nuit, j'en ai sauvé sept, disait-il un jour à Victor Hugo en montrant les dossiers de recours en grâce empilés sur sa table de travail. Victor Hugo écrit encore : C'était une angoisse pour lui d'abandonner ces misérables têtes condamnées... Pendant les premières années de son règne, la peine de mort fut comme abolie et l'échafaud relevé fut une violence faite au Roi... A ses sentiments d'humanité, Louis-Philippe associait un sens politique qui lui fit comprendre qu'une condamnation même bénigne ferait de Louis-Napoléon un martyr. Il lui sembla plus habile d'atténuer la gravité du coup de main de Strasbourg en le considérant comme une gaminerie à laquelle ïl était inutile d'attacher plus d'importance qu'il ne fallait. Louis-Napoléon était un écervelé, un maniaque. On ne punit pas les écervelés, ni les maniaques, on les met hors d'état de nuire et on les soigne par l'isolement. Le g novembre, après quelques interrogatoires et une semaine de captivité, le Prince fut conduit de Strasbourg à Paris dans une chaise de poste gardée par un chef d'escadron, un lieutenant et quatre sous-officiers de gendarmerie. A Paris où il ne séjourna que deux heures, il apprit du préfet de police qu'il allait être dirigé sur Lorient et de là embarqué pour l'Amérique. Contre lui, il n'y aurait pas d'autre sanction que l'éloignement. Dans l'incertitude où il était du sort réservé à ses
compagnons, ce traitement de faveur lui fit éprouver un profond chagrin. Il
était désolé, humilié, mortifié à la pensée que seul il sortirait indemne de
l'aventure où il les avait entraînés. J'ai le cœur
déchiré, écrivait-il... J'aurais voulu être
la seule victime... Soit au cours de ses interrogatoires, soit dans
ses conversations et sa correspondance, il n'avait cessé d'attirer sur lui
les responsabilités. Moi seul ai tout combiné, moi
seul ai fait les préparatifs nécessaires... Lorsqu'il lui parut
certain que des poursuites seraient intentées contre ses principaux
complices, il écrivit au roi pour qu'il jette sur
eux un regard de bonté. Et à la reine Hortense : Je vous prie, ma chère Maman, de veiller à ce qu'il ne
manque rien aux prisonniers de Strasbourg. Prenez soin des deux fils du
colonel Vaudrey, qui sont à Paris avec leur mère... Je prendrais facilement mon parti si je savais que mes
compagnons d'infortune auront la vie sauve. Mais avoir sur la conscience la
mort de braves soldats, c'est une douleur qui ne peut jamais s'effacer...
Il écrivit encore au célèbre avocat Odilon Barrot pour le prier d'assurer un
défenseur au colonel Vaudrey. Naturellement, il prenait à sa charge tous les
frais du procès. Enfin il fut embarqué pour
une traversée qui devait durer près de un cinq mois. Avant de gagner la haute
mer, la frégate l'Andromède louvoya pendant une quinzaine de jours
dans le golfe de Gascogne. En route, le capitaine prit connaissance d'ordres
è .cachetés qui lui prescrivaient de s'arrêter au Brésil. Nouvelle escale de
vingt jours, à Rio, avec défense de descendre à terre. lit ' Pourquoi ces
lenteurs, ces retards et cet isolement dans une mi prison flottante ?
Louis-Napoléon en a donné lui-même la de raison : On
voulait m'empêcher de communiquer avec mes ris amis avant la fin du procès. Il était d'ailleurs entouré d'égards et de prévenances. Le commandant, capitaine de vaisseau H. de Villeneuve, est un excellent homme, franc et loyal comme un vieux marin. Les autres officiers sont aussi très bien à mon égard... J'ai relu les ouvrages de Monsieur de Chateaubriand et de Jean-Jacques Rousseau. Mais sa pensée restait obstinément fixée vers les prisonniers de Strasbourg et dans une lettre à sa mère, à l'occasion du Ier janvier 1837, il exprimait sa sollicitude par une phrase d'un tour ingénieux et charmant : Je songe toujours à eux. J'ai pensé qu'ils étaient plus malheureux que moi et cette idée m'a rendu bien plus malheureux qu'eux. Il est probable que si Louis-Philippe avait pu faire prévaloir son sentiment personnel, il eût étendu à tous les participants de l'entreprise l'indulgence un peu dédaigneuse qu'il venait de manifester à l'égard de Louis-Napoléon. Mais le Roi régnait et ne gouvernait pas. Il fallait qu'il comptât avec son ministère, les députés influents, les hauts fonctionnaires dont le sort était lié au régime. Ce n'était pas sans étonnement qu'on avait appris la mise hors de cause de l'organisateur du complot. Mais du moins Louis-Napoléon était dans son rôle de prétendant, en essayant de renverser une monarchie à laquelle ne l'attachait aucune promesse de fidélité. Tout autre était la situation d'un colonel et d'officiers entraînant leur régiment dans une rébellion contre un gouvernement auquel ils avaient prêté serment. A leur égard, l'impunité eût été un scandale et un danger Telle était en général l'opinion des chefs de l'année, d'un grand nombre de députés et d'une partie de la presse. Elle eut assez d'influence sur le roi pour lui faire prendre la décision d'autoriser les poursuites contre les principaux conjurés. Mais il comprenait qu'il serait imprudent de révéler au public combien l'échauffourée avait été sérieuse en amenant devant la justice un trop grand nombre d'accusés. Treize complices seulement furent poursuivis, dont six étaient en fuite. Les trois accusés de marque étaient le colonel Vaudrey, Tarquin, Eléonore Gordon. Parmi les contumaces, Persigny était le plus compromis. Il avait pu quitter Strasbourg grâce à l'adresse et la présence d'esprit de la jeune cantatrice. Profitant de la confusion qui avait suivi la bousculade de la caserne Finkmatt, il s'était échappé et rendu en hâte chez Eléonore Gordon pour se débarrasser de son uniforme. Bientôt quatre gendarmes l'y rejoignirent et lui mirent la main au collet. Eléonore poussa de grands cris en se saisissant d'une large enveloppe qui, disait-elle, contenait des papiers très importants, puis elle fit mine de s'évanouir. Désireux de s'emparer de la précieuse enveloppe, les bons gendarmes lâchèrent Persigny, qui se glissa par une porte donnant sur une cuisine, enfila une veste de marmiton et gagna la rue. Le lendemain, il était en sûreté dans le grand-duché de Bade. Les accusés comparurent devant la cour d'assises du Bas-Rhin. Les débats, commencés le 6 janvier 1837, traînèrent pendant une quinzaine de jours, en raison de la nécessité de faire traduire par interprète partie des interrogatoires ou plaidoiries pour des jurés comprenant mal le français. Dès les premières audiences, il apparut que l'accusation était en mauvaise posture et que la tâche de la défense serait facile. La mise hors de cause du principal coupable rendait difficilement explicable une condamnation de complices dont la culpabilité était moindre. Le Roi, avait dit le Procureur Général au cours de son réquisitoire, a usé de son droit de grâce envers le Prince. — Non, répliquaient les avocats, il n'y a pas eu de grâce, car juridiquement la grâce ne peut s'appliquer qu'à un condamné. Il y a eu abandon de poursuites contre l'auteur principal. Mais alors, pourquoi les autres accusés sont-ils ici ? Après avoir rappelé les brillants états de services de Vaudrey, son avocat révéla aux jurés qu'il avait obtenu le grade de colonel parce qu'en 1830, il avait pris part au mouvement révolutionnaire qui avait détrôné Charles X. Si aujourd'hui, il est traître et félon, pour avoir tenté de renverser le gouvernement établi, il l'était également en 1830 et cependant sa traîtrise et sa félonie ont été récompensées par l'obtention d'un grade. Parquin était défendu par son frère, avocat inscrit au barreau. Mais surtout, il se défendait lui-même, d'abord par son passé militaire — onze blessures — il passait pour avoir sauvé la vie au maréchal Oudinot —, puis encore par sa bonne humeur de troupier, le ton alerte et plaisant de ses réparties. Mes serments ? répondait-il au président, eh oui ! j'en ai prêté quelques-uns dans ma vie, pas autant cependant que ce grand diplomate, ce grand dignitaire — il désignait Talleyrand — qui en a prêté treize. Pour moi, il n'y en a qu'un qui compte, c'est le premier, c'est celui qui, il y a trente-trois ans, m'a lié comme soldat et comme citoyen à l'Empereur Napoléon. Il était évident que les sympathies de l'auditoire étaient pour les accusés et celle qu'inspirait Eléonore Gordon n'était pas la moindre. Œil noir et vif, boucles de cheveux noirs encadrant le visage clair, chapeau de satin blanc, col à grandes broderies... mentionnent les comptes-rendus de l'époque. Elle rougit beaucoup quand le président fit allusion à ses relations intimes avec Vaudrey et elle assura qu'il se trompait. Si l'on avait vu le colonel dans sa chambre, c'est qu'il venait prendre de ses nouvelles, parce qu'elle s'était démis l'épaule. L'explication fit sourire, mais ce sentiment de pudeur inattendue fit paraître la jeune femme encore plus charmante. Le verdict d'acquittement fut accueilli par des applaudissements, des cris d'enthousiasme : Vive le jury, vive l'Alsace ! Chacun se précipitait vers les accusés pour leur serrer la main, les toucher, les embrasser. Dès que la nouvelle se répandit, la ville prit un air de fête, et d'après les journaux, la garnison s'associa à la satisfaction générale. Le soir un banquet réunissait accusés et défenseurs auxquels une musique vint donner une aubade. L'échec était pénible pour le gouvernement qui dut reconnaître la maladresse de s'être arrêté à une demi-mesure. Louis-Philippe avait eu le mérite de la clémence, sans en recueillir le bénéfice. Combien j'ai été heureux en débarquant d'apprendre l'acquittement de mes amis. Cela me fait oublier tout ce que j'ai souffert, écrivait Louis-Napoléon le 30 avril 1837. Cependant, il trouvait encore en s'installant aux États-Unis bien des sujets de contrariétés ou de soucis. Les nouvelles d'Europe lui apprenaient que son équipée lui avait fait perdre le peu de sympathie que, par convenance plus encore que par affection, lui témoignait sa famille paternelle. Joseph Bonaparte ne répondait plus à ses lettres. Jérôme manifestait une indignation de père noble de comédie. Depuis plusieurs mois, il y avait projet de mariage entre sa fille Mathilde et Louis-Napoléon. La jeune fille, belle d'une beauté un peu grave de médaille romaine, était intelligente, artiste, et son cousin paraissait fort épris. Les fiançailles étaient retardées par de longues discussions d'intérêt entre les deux pères, Louis avare, Jérôme prodigue, mais tous deux ergoteurs et difficultueux en affaires. Lorsqu'il apprit la tentative de Strasbourg, Jérôme eut un accès d'irritation d'autant plus sincère que, par l'intermédiaire de Thiers auquel il avait fourni des documents qui devaient être utilisés par l'historien du Consulat et de l'Empire, il espérait obtenir l'autorisation de revenir en France, et moyennant un ralliement à la monarchie, un apanage et peut-être la pairie. La réussite, disait-il, ne l'eût pas justifié à mes yeux... dût-il être empereur, j'aimerais mieux donner ma fille à un paysan qu'à un homme assez égoïste pour aller jouer la destinée d'une pauvre enfant qu'on allait lui confier... En annonçant à son fils à quel point sa famille était irritée, Hortense essayait de le consoler en rappelant que souvent Napoléon avait eu à souffrir de l'insuffisance ou de la mauvaise volonté de ses frères. Que de fois j'ai entendu l'Empereur dire : Je voudrais être bâtard ! Le peu de ressources dont disposait Louis-Napoléon — une quinzaine de mille francs — le forçait à s'inquiéter du choix d'une profession et l'exemple de ses cousins Murat, installés aux États-Unis depuis plusieurs années, n'était pas très encourageant. De ces deux fils de roi, l'un était employé des postes, l'autre dirigeait avec sa femme une pension de jeunes filles. Enfin, le premier contact avec le peuple américain semble avoir causé au Prince une désillusion qui apparaît dans quelques-unes de ses lettres. Les États-Unis de 1837 ne ressemblaient plus guère à l'Amérique, un peu idéalisée par le recul de l'histoire, de Washington et de Franklin. Ce pays-ci a une force matérielle immense, écrivait le Prince, niais de force morale, il en manque totalement... La population se compose d'un type américain qui s'est très dessiné et d'émigrations journalières qui n'ont ni instruction ni tradition, partant point de patriotisme... Parmi ce peuple de marchands, il n'y a pas un homme qui ne spécule. Et dans son sentimentalisme d'Européen, Louis-Napoléon était ému, révolté de constater que sur cette terre de liberté on comptait deux ou trois millions d'esclave. Il était hésitant sur ce qu'il allait faire en Amérique — un moment il avait songé à s'établir au Brésil — lorsqu'il reçut des nouvelles alarmantes de sa mère. Elle était minée, rongée par l'affreuse maladie du cancer. Une opération paraissant résolue, Louis-Napoléon prit le parti de revenir de suite en Europe. Le 10 juillet, il arrivait à Londres où sa présence causa un certain émoi. A la demande des ambassadeurs de France et d'Autriche, le Gouvernement lui refusa un passeport pour la Suisse. Mais le Prince commençait à avoir suffisamment l'expérience des conspirations, pour savoir qu'il est parfois assez facile de donner le change à une administration policière. Sous le nom de Robinson, et muni d'un passeport en règle, il prit place sur un paquebot qui devait le débarquer à Rotterdam. Le 4 août, il était auprès de sa mère. Elle s'éteignait doucement, toujours bonne et gracieuse. Par un de ces pieux mensonges qui, lorsque la science est impuissante, permettent encore aux médecins de venir en aide à la misère humaine, ceux qui soignaient Hortense avaient déclaré qu'une opération n'était nullement nécessaire. Au Prince, ils avaient dit la vérité : l'opération serait inutile. La pauvre reine ne quittait plus la chambre. Quelques fruits, un peu d'eau sucrée, soutenaient encore une apparence de vie sous la pâleur du visage. Elle avait 54 ans. L'extrême maigreur, la grâce des attitudes, la douceur du sourire, faisaient illusion sur son âge. Elle nous paraissait être restée toute sa vie une jeune fille aimable et jolie, a écrit un des familiers d'Arenenberg en rappelant les derniers jours de la reine. Et à propos de sa mort, survenue le 6 octobre, le mémorialiste écrit encore : Jamais je n'ai si bien compris l'adoration que le Prince avait pour sa mère. Il fait peine à voir. Il l'a embrassée tendrement, violemment, comme une épouse, comme une maîtresse... Ce n'était pas sans inquiétude que Louis-Philippe et ses ministres avaient appris le retour en Suisse de Louis-Napoléon. La maladie de sa mère pouvait expliquer sa présence ; mais très peu de temps après la mort d'Hortense, le Gouvernement français commença officieusement des démarches auprès des autorités helvétiques pour obtenir l'éloignement du Prince. La diète fédérale de Berne, qui représentait le pouvoir central, renvoya l'examen de la demande du Gouvernement français au Conseil du Canton de Thurgovie, dont dépendait Arenenberg. L'excellent souvenir qu'avait laissé dans la région la reine Hortense, la popularité que s'était créée Louis-Napoléon en s'intéressant aux fêtes locales, aux œuvres d'éducation et de bienfaisance, dictèrent la décision du Conseil de Thurgovie, qui déclara qu'il n'y avait aucun motif d'empêcher le Prince de résider sur son territoire. Aux raisons de sentiment qui motivaient sa décision, le Conseil en joignit une autre qui avait une apparence juridique. Louis-Napoléon avait obtenu en 1832 le droit de bourgeoisie dans la commune de Sallenstein, dont dépendait Arenenberg. Il était donc citoyen suisse, et comme tel couvert de la protection que la République devait à ses nationaux. Le Gouvernement français éleva alors la voix. Aux conversations officieuses, il substitua l'envoi d'une note diplomatique insistant de la façon la plus pressante pour obtenir l'expulsion du Prince. Avec cette note, l'ambassadeur français, qui — rapprochement à noter était un fils du maréchal Lannes, reçut des instructions lui permettant de démontrer qu'aux termes du Code civil, Louis-Napoléon n'avait pas perdu la qualité de Français par l'obtention d'un droit de cité purement honorifique. A ce point de vue, le Gouvernement français avait pleinement raison. Les précédents étaient concluants. Il en était un notamment qui s'appliquait à un personnage historique. Plusieurs villes américaines avaient conféré le droit de cité au général La Fayette, sans qu'il fût jamais venu à la pensée de personne que cette manifestation de reconnaissance ait pu lui faire perdre la qualité de Français. Assez embarrassée sur la réponse à donner, la diète fédérale, qui devait se prononcer en dernier ressort, vota l'ajournement de la discussion pour demander l'avis des vingt-deux Conseils cantonaux. Il semble qu'il eût été plus habile de la part du Gouvernement français de ne pas insister. Non seulement il insista, mais il crut devoir appuyer sa demande d'une démonstration militaire. Un corps d'armée fut réuni à la frontière et le général qui le commandait publia un ordre du jour se terminant par une menace : Bientôt nos turbulents voisins s'apercevront peut-être trop tard, qu'il eût mieux valu satisfaire aux justes demandes de la France... Louis-Napoléon écrivit alors au Conseil de Thurgovie pour lui faire savoir qu'il était résolu à s'éloigner volontairement, pour éviter toute difficulté diplomatique à une nation qui l'avait si généreusement accueilli. La Suisse a su faire son devoir comme nation indépendante, je saurai faire le mien. En m'éloignant des lieux qui m'étaient devenus chers à tant de titres, j'espère prouver au peuple suisse que j'étais digne des marques d'estime et d'affection qu'il m'a prodiguées (Septembre 1838). En Angleterre, la conduite du Gouvernement français avait paru maladroite et peu généreuse. Aussi la presse et l'opinion étaient devenues favorables au Prince et c'est à Londres qu'il résolut de se fixer. Un journal qui passait pour être inspiré par le ministère anglais, écrivait railleusement : Reste à savoir si on adressera à la Grande-Bretagne les notes menaçantes adressées aux Cantons helvétiques. Si oui, la réponse serait bientôt faite. Dans la succession de sa mère, Louis-Napoléon avait recueilli environ cent vingt mille francs de rente. Pour la première fois, il avait sa disposition des ressources importantes. Pour la première fois aussi apparaît un aspect de son caractère, qui devait s'accentuer avec le temps, suivre une progression parallèle à celle de sa carrière politique. Soit comme particulier dans l'administration de son patrimoine, soit comme souverain dans l'emploi de la liste civile, il aura toujours grand'peine à adapter ses dépenses à ses ressources. Si dans son rôle de chef d'État il s'efforcera de développer pour le peuple des institutions de prévoyance — secours mutuels, caisses d'épargne, retraites, etc. pour lui-même, pour ses intérêts privés, il n'aura aucun souci de ce genre. En quatre ou cinq ans, ce qui lui vient de la fortune de sa mère sera dissipé. En 1846, il recueillera la succession paternelle, environ trois millions, dont le train de maison et surtout la propagande politique absorberont bientôt la majeure partie. Lors de son élection à la présidence de la République, Louis-Napoléon était déjà grevé de dettes assez lourdes, qui ne seront remboursées que sous l'Empire. Enfin, l'Empereur touchera une liste civile annuelle de vingt-cinq millions, soit pour les dix-huit années de règne quatre cent cinquante millions. On eut pu croire, et en effet, dans le public on croyait qu'il avait fait des économies considérables. Cependant, lorsqu'il mourut en 1873, les sollicitors chargés de la déclaration de sa succession ne l'évaluaient qu'à 120.000 livres sterling, trois millions de francs, mais avec cette réserve que cette somme était sujette à des réclamations qui la réduiraient sans doute de moitié. Dans cet entraînement de prodigalité, il y avait certes une large part de générosité ; mais peut-être y retrouverait-on aussi un peu de l'imprévoyance de la race créole, si sensible chez sa grand'mère Joséphine. Très bien accueilli par l'aristocratie anglaise, dont certains membres, surtout Lord Holland, qui vivait encore, avaient toujours protesté contre la conduite des ministres de George III et de George IV à l'égard de Napoléon, le Prince avait à Londres un train de vie assez dispendieux. Nombreux domestiques, équipages, réceptions absorbaient au delà de son revenu. Il réalisa en argent liquide la majeure partie de sa fortune. Il vendit même à remeré Arenenberg, puisant sans compter sur le capital. Dans son hôtel de Carlton-Gardens, il avait rassemblé un certain nombre de souvenirs napoléoniens, bustes, tableaux, armes, médailles, anneau du couronnement, écharpe que le général Bonaparte portait en Égypte et le talisman de Charlemagne, reliquaire de saphirs et d'orfèvrerie, trouvé dans le tombeau du Grand Empereur, enchâssant, disait-on, un morceau de la vraie croix, que le clergé d'Aix-la-Chapelle avait remis à Napoléon en 1804, musée glorieux que de nombreux visiteurs venaient contempler avec émotion et respect. L'aisance avec laquelle Louis-Napoléon s'exprimait en langue anglaise, le charme et la simplicité de ses manières, son application à l'étude, car l'élégant cavalier de Hyde-Park allait souvent s'asseoir à une table de bibliothèque publique, entretenaient autour de lui une curiosité sympathique. Un jour, quelques amiraux avaient organisé au Club de la Marine un banquet en son honneur. A l'heure des toasts, le Prince prononça quelques paroles, dont le tact et la mesure firent la plus heureuse impression. Messieurs, je ne parlerai pas ici de vos succès de guerre, car tous vos souvenirs de gloire sont pour moi des sujets de larmes, mais je parle avec plaisir de la gloire plus belle et plus durable que vous avez acquise en portant la civilisation à mille peuples barbares et dans les régions les plus lointaines. Cette existence agréable ne faisait pas oublier à Louis-Napoléon la politique. En Angleterre, il publia une brochure Les Idées Napoléoniennes (1839). Il en inspira une autre qui fut écrite par Persigny et publiée à Paris au début de 1840, le sous le titre de Lettres de Londres. Visite au Prince Louis, éloge enthousiaste, excessif même, où, parmi quelques vérités, apparaissent des affirmations bien audacieuses, dans ce passage notamment, qui a la prétention de prouver que, physiquement, il y a ressemblance frappante entre le prince Louis et Napoléon Ier : C'est le même front élevé, large et droit, le même nez aux belles proportions, les mêmes yeux gris, quoique l'expression en soit adoucie. C'est surtout la même inclination de tête, tellement empreinte du caractère napoléonien que quand le Prince se retourne, c'est à faire frissonner un soldat de la vieille garde... On retrouve la même puissance d'imagination dans l'ingénieuse explication que donne Persigny de l'échec de Strasbourg : La tentative devait réussir ; elle avait même réussi, lorsque fut répandu le mensonge que le prince Louis était un imposteur, qu'il n'était pas le neveu de Napoléon. Alors la colère des soldats s'est tournée contre lui, non pas parce qu'il était un Bonaparte, mais au contraire parce que, trompés par le mensonge, ils croyaient qu'il n'était pas un Bonaparte. A Paris, Louis-Napoléon avait créé deux journaux, le Capitole et le Commerce. Pour le Capitole seul, il avait envoyé comme première mise de fonds cent quarante mille francs. En outre de plusieurs journaux de province, il encourageait et subventionnait deux clubs bonapartistes. Les Culottes de Peau, pour les anciens militaires, les Cotillons, club féminin, auquel plusieurs dames apportaient la ferveur de propagande dont sont capables les femmes, lorsqu'elles s'occupent de politique. Tout cela coûtait fort cher, et les ressources du Prince s'épuisaient. Il avait trente-deux ans et touchait à l'âge mûr. Il lui semblait que campagnes de presse et agitation de clubs ne le mèneraient pas bien loin, si elles n'étaient pas complétées par un acte décisif, un coup de force analogue à celui de Strasbourg. Au début de l'année 1840, il était résolu à tenter une dernière fois la chance, et avec l'audace du joueur qui jette sur le tapis ses dernières ressources, ïl risqua la partie suprême dont l'enjeu étaient les débris de sa fortune, son avenir, sa vie... Le Prince, écrivait
Persigny, dans ses Lettres de Londres, connaît
le personnel politique de la France comme il en connaît l'armée. Il possède
deux registres. Dans l'un se trouvent inscrits, avec des notes détaillées sur
leur position, leur capacité, leur caractère, tous nos hommes d'État. L'autre
registre, consacré à l'armée, comprend tout l'État-major général, et chacun
des régiments, etc. Il y avait quelque exagération dans l'exposé de cette organisation politique, qui eût demandé un personnel, des ressources et des relations dont le Prince ne pouvait disposer. Mais il est certain qu'il apportait beaucoup d'attention à recueillir des renseignements sur ce qui se passait en France, et spécialement dans l'armée. En 1838, un comte Le Duff de Mésonan, chef d'escadron, ayant été mis d'office à la retraite, fit paraître dans les journaux une protestation contre cette mesure. Louis-Napoléon lui écrivit pour exprimer les regrets que lui causait l'injustice dont il était victime. De ce jour, il s'en était fait un partisan zélé. Lorsqu'en 1840 Louis-Napoléon commença l'organisation d'un projet de descente sur les côtes de France, ce fut d'abord sur la place de Lille que se porta son attention. Parquin et Lombard, qui avaient déjà figuré dans l'entreprise de Strasbourg, connaissaient à Lille quelques officiers. Quant à Mésonan, il était depuis une dizaine d'années en relations amicales avec le général Magnan, commandant la place. Il croyait savoir que Magnan, ancien soldat de l'Empire, sans fortune, ayant à se plaindre de certains passe-droits, serait une recrue facile à enrôler dans la cause bonapartiste. Il reçut la mission d'aller le voir, et suivant la disposition d'esprit où il le trouverait, de rester sur la réserve ou de hasarder quelques confidences. Dans les premiers jours d'avril 1840, Mésonan était à Lille. Le général Magnan le reçut cordialement et l'invita même à dîner. Mais parmi les convives figuraient le préfet du département et un officier général. Ce n'était pas l'occasion de se laisser aller aux confidences. Cette première visite resta donc sans résultat. Deux mois plus tard, en juin, Mésonan faisait une nouvelle
apparition à Lille. Cette fois, il était porteur d'une lettre de
Louis-Napoléon qu'il devait communiquer au général Magnan. Mon cher Commandant, il est important que vous voyiez de
suite le général en question. Vous savez que c'est un homme d'exécution et
que j'ai noté comme devant être un jour Maréchal de France. Vous lui offrirez
cent mille francs de ma part, et trois cent mille francs que je déposerai chez
un banquier de son choix, à Paris, dans le cas où il viendrait à perdre son commandement. Dans la déposition que fit plus tard le général Magnan devant la Cour des Pairs, il affirma qu'en recevant cette offre, il fut stupéfait, indigné, et qu'il dit au commandant : Je devrais vous faire arrêter, mais il est indigne de moi de dénoncer un homme que j'ai reçu à ma table. Bien qu'il soit certain que le général ait rejeté l'offre qui lui était faite, il semble que dans sa déposition il ait exagéré l'énergie de son attitude et de ses paroles. Ce qui parait l'indiquer, c'est qu'une quinzaine de jours plus tard, en juillet, Mésonan se présentait à nouveau chez le général et renouvelait ses propositions. C'est en outre qu'en 1851, le général et bientôt maréchal Magnan fut un des collaborateurs les plus attirer actifs du Coup d'État. Mais enfin, soit qu'en 1840 il n'ait pas eu confiance dans l'avenir politique du Prince, soit que sa vertu ait été plus ferme que dix années plus tard, il repoussa définitivement les offres transmises par Mésonan. Puisque le projet du coup de main sur Lille paraissait inexécutable, ce fut sur Boulogne que fut dirigée l'entreprise. La ville était occupée par deux compagnies du 42e de ligne. Un lieutenant du nom d'Aladenize qui, avec le reste du régiment, tenait garnison à Saint-Omer, était entré mystérieusement en relations avec le Prince et il se faisait fort d'entraîner le détachement de Boulogne. Notons qu'il ne devait guère y avoir à Boulogne que deux cents à deux cent cinquante hommes ; qu'Aladenize résidant à Saint-Omer y était peu connu ; que d'autres officiers, étrangers au complot, y exerçaient le commandement. D'ailleurs, eût-on réussi à enlever et à rallier le détachement de Boulogne, pouvait-on espérer opérer une révolution avec un si faible effectif ? A Strasbourg, l'entreprise était fort hasardeuse, mais enfin, elle offrait quelque chance de réussite. A Boulogne, on n'en voit aucune. En étudiant la vie de Louis-Napoléon, on constate qu'il était parfois déconcertant. A certains moments, calme, calculateur, réfléchi ; à d'autres, d'une imprévoyance brouillonne, il présente des alternatives de sagesse et d'aveuglement. A Boulogne, nous sommes en pleine crise d'aveuglement. Il faut reconnaître qu'il était forcé d'agir très rapidement, car il ne pouvait maintenir bien longtemps la progression de dépenses à laquelle l'avait amené la préparation de l'entreprise. On était alors dans la deuxième quinzaine de juillet. Depuis le début du mois, le Prince louait à raison de deux mille cinq cents francs par semaine un bateau de plaisance, l'Edimbourg-Castle, assez vaste pour loger une centaine de passagers. Il avait commandé des fusils à Birmingham et à Paris faisait acheter des uniformes à la rotonde du Temple. Mais le plus coûteux c'était l'enrôlement, la nourriture et l'hébergement d'une partie des conjurés. Ils étaient au nombre de cinquante-cinq, la plupart sans fortune, vingt-cinq environ figuraient sous la dénomination de domestiques. Pour ne pas attirer l'attention des autorités anglaises, ils étaient répartis dans plusieurs villes de la côte : Gravesend, Ramsgate, Margate. Parmi les conjurés de marque, on relève Parquin, Persigny, Mésonan, Conneau, le médecin qui devait suivre Louis-Napoléon à Ham, dans sa captivité en Allemagne, dans son exil de Chislehurst ; un colonel en retraite, Laborde, compagnon de Napoléon à l'île d'Elbe, et enfin, le plus décoratif de tous, le général de Montholon, survivant des captifs de Sainte-Hélène, — Vaudrey, le principal complice de Strasbourg, n'avait pas pris part à l'expédition. Le 4 août, dans la matinée, Louis-Napoléon s'embarqua à
Gravesend. En or, argent, billets de la Banque d'Angleterre, il emportait
quatre cent mille francs, qui, après les dépenses des dernières années,
devaient représenter ce qui restait de sa fortune. Avec les escales sur les
différents points de la côte, où l'on prenait des passagers, la traversée du
détroit dura deux jours. Si l'on en croit les déclarations ou dépositions
faites devant la Cour des Pairs — mais quelques-unes sont bien suspectes —
sauf deux ou trois affidés, personne, au moment de l'embarquement, n'était au
courant du but de l'expédition. On croyait qu'on allait faire une partie de campagne, ou une promenade en mer, ou une
partie de chasse, déclarèrent la plupart des domestiques. Il est
possible qu'ils aient dit la vérité, mais il est difficile d'accorder la même
créance aux déclarations de Parquin : Je n'ai rien su du tout ; de Mésonan : Le Prince n'a communiqué son projet à personne. Nous avons
reçu l'ordre de nous embarquer sans savoir pourquoi... ; du général de
Montholon : Je n'ai connu le projet qu'à bord... Dans la journée du 5 août, le Prince réunit tout l'équipage sur le pont, et par une allocution pleine de confiance, fit savoir aux compagnons de sa destinée qu'on débarquerait à Wimereux, à quatre kilomètres de Boulogne. ... Là nous trouverons des amis puissants et dévoués... Si je suis secondé comme on me l'a fait espérer, aussi vrai que le soleil nous éclaire, dans quelques jours nous serons à Paris, et l'histoire dira que c'est avec une poignée de braves tels que vous, que j'ai accompli cette grande et glorieuse entreprise... Une distribution de cent francs par homme, et de larges libations, car d'après la déclaration du capitaine, la cargaison comprenait seize douzaines de bouteilles sans compter les liqueurs, mirent l'équipage en bonne humeur. Le 6 août, à deux heures du matin, le navire arrivait à hauteur de Wimereux, à un kilomètre de la côte. Une barque faisant la navette déposa les conjurés sur la plage, où les attendait déjà le lieutenant Aladenize. Ce débarquement avait attiré l'attention de plusieurs douaniers. Aux premières demandes d'explications, les conjurés répondirent qu'ils étaient des soldats du 40e de ligne allant de Cherbourg à Dunkerque, mais que la roue de leur paquebot s'étant brisée, ils étaient forcés d'atterrir. Puis à l'arrivée d'un brigadier et d'un lieutenant des douanes, ils crurent inutile de déguiser plus longtemps la vérité. C'est le prince Napoléon qui est à notre tête. Dans quelques jours il sera proclamé empereur des Français. Le Ministère l'attend... Venez avec nous à Boulogne, vous nous servirez d'éclaireurs. Dans le rapport que le préfet envoya à son ministre, il prétend que les rebelles étaient presque tous ivres. Il exagérait ; mais il parait certain que quelques-uns d'entre eux étaient assez animés et qu'il y eut des paroles violentes : Si vous vous opposez au débarquement, vous serez traités comme des Bédouins. Le lieutenant et le brigadier ahuris, bouleversés, firent remarquer qu'ils seraient révoqués : Bah ! le Prince vous fera des pensions. Il est riche. Et comme le malheureux lieutenant alléguait encore comme excuse sa fatigue : Il n'y a pas de fatigue qui tienne... Il faut marcher. Et même un témoin raconta que Parquin mettant la main à la poignée de son sabre criait au lieutenant : Allons, marche ! Mais le Prince s'interposa : S'ils ne veulent pas venir, qu'ils retournent à Wimereux ; seulement, qu'ils promettent de ne rien révéler de ce qu'ils ont vu et entendu... Il n'était guère que cinq heures du matin lorsque les conjurés entrèrent dans Boulogne. A cette heure matinale, il y avait peu de monde dans les rues. Place d'Alton, sur le trajet qu'on suivait pour se rendre à la caserne, il y avait un petit poste de quatre hommes commandé par un sergent. En voyant un drapeau, un brillant état-major, le factionnaire crie : Aux armes, et le poste sort pour rendre les honneurs. Cependant le sergent remarque que le drapeau est surmonté de l'aigle impériale et que plusieurs des soldats n'ont pas une allure très militaire. Avec le flair du troupier français, il devine qu'il risque d'être mêlé à une aventure compromettante et ordonne à ses hommes de rentrer au poste. Mais je suis envoyé par le colonel, dit Aladenize, le Gouvernement est changé. Voici le prince Napoléon. Suivez-nous... Si tu ne viens pas, ajoute un autre, tu seras puni demain. Mais le brave sergent reste insensible aux promesses et aux menaces : Je ne quitterai pas mon poste sans un ordre du Commandant de place. Comme on n'a pas de temps à perdre, le Prince et son cortège reprennent leur marche, mal impressionnés de cet incident, qui, malgré son peu d'importance, parait d'un mauvais présage. Parquin grogne dans sa moustache : C'est encore une affaire ratée... Si dans deux heures Boulogne n'est à pas nous, nous sommes f... Avant d'arriver à la caserne, Aladenize aperçoit dans la rue un de ses collègues, le lieutenant de Maussion : Mon cher, vous ne connaissez pas le Prince, je vais vous présenter. — Quel prince ? demande de Maussion qui tout d'abord s'imagine qu'il s'agit d'un des fils du roi... Je ne suis pas en tenue convenable pour me présenter... Néanmoins, la présentation est faite et Louis-Napoléon accueille affectueusement cette nouvelle recrue. J'espère que vous serez des nôtres, je suis revenu pour rendre à la France humiliée le rang qui lui est dû. Le lieutenant interloqué balbutie quelques mots qui ne veulent dire ni oui ni non, et comprenant tout à coup la vérité s'éloigne du cortège sans être remarqué et court prévenir le capitaine Puygelier, commandant la place, du spectacle extraordinaire dont il vient d'être témoin. A la caserne, le contact avec la troupe fut facile. Aladenize étant le seul officier présent fit ouvrir la grille et sonner le ralliement dans la cour du quartier. Comme on avait pu le constater lors des débats judiciaires qui suivirent l'affaire de Strasbourg, on remarque dans la procédure de l'affaire de Boulogne, dans les dépositions de certains témoins, dans la presse favorable au Gouvernement, une tendance à ridiculiser l'attitude de Louis-Napoléon, ce qui était facile, car la conception de l'aventure était assez déraisonnable pour prendre aisément un aspect ridicule. Si donc, on s'en rapporte à plusieurs dépositions, le Prince disait à l'un en lui tendant la main : Bonjour, brave, je te fais officier. A un autre : Je te fais capitaine de grenadiers. A un sergent-major : Je vous décerne la Légion d'Honneur, avec la croix que j'ai portée moi-même... Et tout en parlant, le Prince essayait de détacher sa croix, mais elle était si bien cousue à l'uniforme qu'il ne put y parvenir : Peu importe, vous n'en êtes pas moins chevalier de la Légion d'Honneur... Pendant que Louis-Napoléon haranguait, serrait les mains,
et décernait grades et décorations, le capitaine Puygelier avait rallié les
cinq ou six officiers logés en ville, et s'était dirigé vers la caserne.
Sabre au clair, il pénètre dans la cour et appelle ses hommes qui docilement
se groupent autour de lui. En vain, les compagnons du Prince et le Prince
lui-même l'entourent, le sollicitent, le supplient : Soyez des nôtres, vous obtiendrez ce que vous voudrez.
— Non, répond le capitaine. Vive le Roi ! Et comme plusieurs assaillants
se jettent sur lui pour lui arracher son sabre, il crie : Vous le briserez, mais vous ne l'aurez pas. J'ai le
poignet solide... Dans la bagarre et la bousculade, le Prince met le
pistolet à la main, et le coup part blessant à la bouche un grenadier. Il y a des moments, dit plus tard Louis-Napoléon
devant la Cour des Pairs, où on ne peut se rendre
compte de ses intentions. Mon pistolet est parti sans que j'aie voulu le
diriger contre qui que ce soit. Fort heureusement, la blessure du
soldat était légère. Si elle avait été mortelle, le geste du Prince eût pris
un caractère odieux, qui eût entaché sa mémoire, entraîné peut-être une
condamnation capitale, brisé le cours de sa destinée. Finalement, après une courte lutte, Louis-Napoléon et ses compagnons furent refoulés hors de la caserne, dont le capitaine Puygelier fit fermer et garder les grilles, pour se donner le temps de reformer sa troupe et de lui distribuer des cartouches. Il savait d'ailleurs que les conjurés ne pouvaient aller si bien loin, car maintenant, toute la ville était en rumeur. Le sous-préfet, le maire, plusieurs habitants couraient de porte en porte pour alerter les gardes nationaux, leur indiquer comme point de ralliement la place d'Alton. En effet, comprenant bien que le coup était manqué, la petite troupe errait sans but précis. On convint d'aller jusqu'au château enfermant l'arsenal où l'on pourrait se barricader, soutenir un siège de quelques heures ou de quelques jours. Mais le château était bien gardé ; après avoir donné quelques coups de hache dans une des portes qui fut à peine entamée, les conjurés, entendant derrière eux le grondement des tambours, sortirent de la ville. Quelqu'un proposa d'aller planter le drapeau impérial sur la colonne de la Grande Armée, distante d'un kilomètre. Le drapeau fut attaché tant bien que mal avec des mouchoirs et des foulards. Mais déjà l'on voyait apparaître, sortant de la ville, un groupe de plusieurs centaines d'hommes, soldats de ligne et gardes nationaux, précédés de gendarmes à cheval. Les conjurés se dispersèrent, les uns dans la campagne, les autres dans la direction de la mer. Seul le Prince, sombre, désespéré, refusait de fuir, disant qu'il préférait se faire tuer au pied de la colonne. Ses compagnons l'entraînèrent vers la plage où il y avait quelque espoir de regagner le bateau anglais. Déjà par signes et par cris, les premiers arrivants avaient essayé d'appeler l'attention de l'équipage. Mais à l'immobilité, au silence du navire, il était aisé de comprendre que le capitaine, sujet britannique, ne se souciait pas de paraître prendre parti dans une querelle politique entre Français. La plupart des conjurés se laissèrent arrêter sans résistance, Les plus braves, parmi lesquels le Prince, Persigny, Conneau, Mésonan, se jetèrent à la mer pour nager jusqu'à un petit bachot ancré à très peu de distance du rivage. La plage fut alors le théâtre d'une scène de sauvagerie. Sur ces malheureux désarmés, ayant de l'eau jusqu'à mi-corps, les gardes nationaux dirigèrent une fusillade, Comme sur des canards, disait plus tard un témoin. Une balle alla se perdre dans les vêtements de Louis-Napoléon. Un de ses compagnons fut noyé, trois autres grièvement blessés, l'un d'eux dut être amputé du bras. Un pauvre diable d'ancien huissier, du nom de Faure, qui, dans la conjuration, tenait le rôle d'intendant militaire, fut tué à bout portant par un cordonnier, au moment où il faisait le signe de rendre son épée. Enfin, un brave homme, capitaine du port, alla recueillir les survivants. Louis-Napoléon, ruisselant, grelottant, accablé de chagrin, fut conduit dans une voiture, où se trouvaient déjà le sous-préfet et le maire qui le menèrent au château. Comme il paraissait souffrir du froid, un entrepreneur de bâtiments lui prêta un manteau dans lequel il s'enveloppa par-dessus ses vêtements glacés. Le lendemain, il était dirigé sur Ham où il ne séjourna que quelques jours, puis sur Paris, où il fut écroué à la Conciergerie, dans la cellule que cinq ans auparavant avait occupée Fieschi. Dans la presse, dans les milieux politiques, cette
aventure de Boulogne souleva une clameur d'indignation et de colère : Il a déshonoré le nom qu'il porte... Jusqu'ici, il n'avait été qu'insensé, aujourd'hui il est
odieux... Il n'a pas plus d'esprit que de
cœur... (Journal des Débats... Constitutionnel...
etc.). Même la presse anglaise, habituellement sympathique, fut sévère
jusqu'à l'injure. S'il avait reçu une balle,
écrivait le Times, c'eût
été après tout la meilleure fin d'un aussi mauvais imbécile (mischievous blockhead). Maniaque ridicule (Morning
Post). Bon à enfermer dans un hospice
d'aliénés (Sun). Dans les
salons royalistes, dans la société éclairée, l'impression dominante était
qu'on se trouvait devant un faible d'esprit. On le traitait couramment de nigaud impérial, d'idiot. Thiers disait un peu
plus tard : C'est un crétin. Dans une lettre
écrite aux journaux, son père, le roi Louis, en implorant la pitié des juges,
semblait alléguer comme excuse la faiblesse d'esprit : Mon fils égaré est victime d'une infâme intrigue...
Il est tombé dans un piège épouvantable... Cependant sa comparution devant la Chambre des Pairs parait avoir amené un revirement d'opinion plus favorable. On croyait voir apparaître un énergumène, un demi-fou, un minus habens, on vit un jeune homme grave, élégamment et sévèrement vêtu de noir, s'exprimant avec une calme énergie. Après un long exposé de ses principes politiques, il conclut avec hauteur ; Messieurs, vos formes n'abusent personne. Dans la lutte qui s'ouvre, il n'y a qu'un vainqueur et un vaincu. Si vous êtes les hommes du vainqueur, je n'ai pas de justice à attendre de vous, et je ne veux pas de votre générosité... Un certain nombre de membres de la Chambre des Pairs étaient assez embarrassés d'être transformés en juges d'un Bonaparte. C'était ceux, encore assez nombreux, qui sous Napoléon avaient occupé dans l'armée, dans la diplomatie, dans la magistrature, de hautes fonctions. La condamnation étant certaine et les ménagements étant inutiles, l'avocat du Prince, Berryer, leur fit entendre de rudes vérités. Berryer était légitimiste, un légitimiste éclairé, libéral, qui, au début de sa plaidoirie, rappela qu'en x815, il avait été l'un des défenseurs du maréchal Ney. Mais malgré la largeur de ses principes, il n'admettait comme gouvernement légitime que la branche aînée des Bourbons, et depuis que la Révolution avait rompu la tradition monarchique dix fois séculaire, il ne voyait en politique qu'incertitude, incohérence et chaos. Entre l'acte de Louis-Napoléon débarquant à Boulogne pour renverser la monarchie de Louis-Philippe, et celui de Louis-Philippe acceptant la couronne arrachée à Charles X par une révolution, La dissemblance lui paraissait insensible. Le prince Louis-Napoléon, dit-il, est venu contester la souveraineté de la maison d'Orléans ; il est venu en France réclamer pour sa propre famille les droits à la souveraineté. Il l'a fait au même titre et en vertu du même principe politique que celui sur lequel vous avez posé la royauté d'aujourd'hui. Puis, avec l'ampleur du geste qui semblait donner à la majesté du verbe la pesanteur d'un coup de massue : On veut vous faire juges, on veut vous faire prononcer une peine contre le neveu de l'Empereur. Mais qui êtes-vous donc ? Comtes, barons, vous qui fûtes ministres, généraux, sénateurs, maréchaux, à qui devez-vous vos titres, vos honneurs ? A votre capacité reconnue sans doute, mais ce n'est pas moins aux munificences de l'Empire... Avant de juger, dites, le droit, les lois devant les yeux, la main sur la conscience devant Dieu et devant mon pays, s'il eût réussi, s'il eût triomphé, j'aurais nié son droit, j'aurais refusé toute participation au pouvoir, je l'aurais méconnu, je l'aurais repoussé... — Moi, j'accepte cet arbitrage suprême ; celui qui, s'il avait réussi, aurait nié son droit, celui-là je l'accepte comme juge... Louis-Napoléon fut condamné à la détention perpétuelle. La durée des peines de ses principaux complices varia de deux à vingt ans. Une circonstance bien remarquable, c'est que l'arrêt fut rendu par une faible minorité. La Chambre des Pairs se composait de 312 membres, 152 seulement prononcèrent l'arrêt. Il y avait eu 160 abstentions. Les paroles de Berryer avaient produit quelque effet. Les journaux racontèrent que, lorsque le greffier vint donner à Louis-Napoléon lecture de l'arrêt prononçant une peine perpétuelle, il se mit à sourire en disant : Monsieur le Greffier, en France, il n'y a rien de perpétuel. La citadelle de Ham, construite sous Louis XI et transformée en prison d'État, fut désignée comme lieu de détention de Louis-Napoléon, Quatre grosses tours rondes, reliées par des remparts et baignées en partie par le canal de Saint-Quentin, donnaient à l'ensemble du bâtiment un aspect féodal ; mais dans la cour, des constructions en brique, destinées au logement d'une petite garnison, gâtaient le décor romantique des vieilles murailles. Dans une des tours, le Prince habitait deux pièces aux fenêtres garnies de barreaux. C'était le logement qu'avait occupé un des ministres de Charles X, M. de Peyronnet. Au mobilier très simple, Louis-Napoléon avait ajouté un certain nombre de livres, une collection du Journal des Débats et du Moniteur, des souvenirs napoléoniens, portraits de sa mère, de l'Empereur, de l'Impératrice Joséphine. Bien qu'il fût traité avec égards, la surveillance était sévère, surtout au début de la détention. Sa correspondance était ouverte ; dans sa promenade sur les remparts, il était accompagné d'un gardien ; défense était faite aux soldats de répondre quand il leur adressait la parole. Peu à peu cette rigueur s'atténua. Presque chaque jour, le prisonnier dînait avec Montholon et Conneau. Souvent le Gouverneur de la citadelle venait le soir faire une partie de whist avec les prisonniers. Habituellement, Louis-Napoléon affectait de porter une tenue d'allure militaire, capote de drap bleu, bonnet de police ou képi. Lorsqu'il se promenait sur les remparts dominant la campagne, ce costume le désignait à l'attention des habitants ou des détachements de troupes, qui avant de traverser la ville passaient à proximité de la citadelle. Dans la cour, il montait à cheval. Sur les remparts, il cultivait un jardinet d'une quarantaine de mètres. Il avait encore d'autres distractions sur lesquelles le gouverneur de la prison fermait les yeux avec indulgence. Suivant une tradition généralement admise, de ses relations avec une jeune blanchisseuse, Eléonore Vergeot, dite la belle sabotière, seraient nés deux fils pendant sa détention de Ham. Ce qui rend cette tradition vraisemblable, c'est qu'à plusieurs reprises on voit sur les comptes de la liste civile reparaître ce nom de Vergeot parmi les bénéficiaires d'importantes libéralités. Mais sa grande consolation, c'était l'étude. A quelqu'un qui plus tard s'étonnait de la variété de ses connaissances, il répondait gaiement : J'ai complété mon instruction à l'Université de Ham. En effet, pendant ses cinq années de détention, il fit montre d'une activité d'esprit vraiment remarquable. Des fragments historiques sur l'histoire d'Angleterre (1841) lui donnèrent l'occasion de rapprochements ingénieux et sans bienveillance entre la dynastie des Stuarts et la maison d'Orléans. Citons à titre d'exemple un portrait de Jacques II, qui contient des allusions s'appliquant clairement à Louis-Philippe : En 1685, le trône d'Angleterre était occupé par un roi, simple de mœurs, exempt de vices, et doué de qualités privées recommandables à son avènement. On se souvenait que, jeune encore, il s'était battu avec courage pendant les troubles civils et que, exilé avec sa famille pendant la République et le Protectorat, il avait été élevé à l'école du malheur. Il s'annonçait comme l'homme le plus capable de faire le bonheur du peuple qu'il était appelé à gouverner. Il en fut cependant tout autrement. Il appelait le progrès une utopie, la gloire une chimère, l'honneur un préjugé, la misère des classes pauvres une malheureuse nécessité. A l'intérieur, ce n'était qu'arbitraire et corruption, à l'extérieur, ce n'était que faiblesse et lâcheté. Le Roi avait beau se vanter d'être entouré d'hommes qui avaient servi tour à tour la République, Cromwell et Charles II, ces hommes ne représentaient aucun parti, aucun intérêt, car les transfuges n'emportent jamais leur drapeau... Au cours des années suivantes, il écrivait une étude sur le sucre de betteraves, un mémoire sur la production des courants électriques, dont Arago donna lecture à l'Académie des Sciences. Il commençait une histoire de Charlemagne. Il ébauchait un projet de canal reliant l'Atlantique au Pacifique par le percement du Nicaragua, et ce projet parut tellement intéressant que le Prince fut sollicité par le gouvernement du Guatemala de prendre sous son patronage une société de réalisation. Le nom de Votre Altesse, lui écrivait le ministre, attirerait la confiance des Deux Mondes. Il déclina sagement une responsabilité dans une entreprise qui pouvait dégénérer en spéculation financière ; mais il ne renonçait pas à poursuivre le projet qu'une vingtaine d'années plus tard, on retrouvera dans les origines de l'expédition du Mexique. Enfin, il continuait ses recherches sur l'artillerie et écrivait une étude sociale sur l'Extinction du Paupérisme, sans compter de nombreux articles anonymes envoyés à deux journaux régionaux, le Progrès du Pas-de-Calais et le Guetteur de Saint-Quentin. Dans ce captif studieux et curieux de toutes choses, on ne reconnaît guère l'aventurier de Strasbourg et de Boulogne. Nous avons déjà remarqué que la vie de Napoléon III offre d'étranges alternatives de sagesse et de légèreté. On eût pu croire que cette activité fébrile touchant à tant de sujets dissemblables ne pouvait y attacher qu'une attention un peu superficielle. Mais on voit par certaines lettres du Prince quel souci d'exactitude il apportait dans la recherche du document. Deux de ses correspondants habituels, Vieillard, l'ancien précepteur de son frère, et Madame Cornu, fille d'une ancienne femme de chambre de la reine Hortense et sa filleule, fréquentaient pour lui la bibliothèque royale, les librairies, et lui envoyaient livres ou copies de documents. Le ministère de Louis-Philippe d'ailleurs avait donné des instructions pour faciliter ces recherches. Ayez la bonté, écrivait Louis-Napoléon à Vieillard, de rechercher à quelle époque le procès de lord Stafford, exécuté sous Charles II, a été annulé, et si la mémoire de Sidney et de Lord Russel, mis à mort à la même époque, fut réhabilitée par les Parlements suivants. Je voudrais avoir aussi la copie textuelle du discours d'ouverture de Guillaume III au Parlement du 13 décembre 1701. A Madame Cornu, chargée de recueillir en Allemagne quantité de documents sur Charlemagne : Je voudrais aussi savoir une chose. Vous savez que Charlemagne conçut le projet d'unir le Rhin au Danube en réunissant les eaux de la Reidnitz et de l'Atmühl par un canal. Ce projet, dit l'historien James, semblait offrir de grandes facilités ; car l'état du Danube à cette époque était bien différent de ce qu'il est maintenant. En quoi consiste cette différence ? Le site a-t-il donc changé du côté de Bamberg ? Il écrit encore au sujet de l'artillerie : Je vous prierai de demander au maréchal Valée les effets des obusiers de 12 de montagne en Algérie... A la bibliothèque pouvez-vous copier Fonds Colbert : Le Miroir des Armes et instructions des Gens de pied, dédié à François Ier. Fonds Béthune : Compte de la recette et de la dépense faite par Arnould Bouchet, trésorier 1390-1392, etc. etc. Louis-Napoléon entretenait encore une correspondance avec Odilon Barrot, Chateaubriand, le maréchal Soult, Lamartine, Béranger, George Sand, Sismondi, Ledru Rollin... Il obtenait assez facilement la permission de recevoir des visiteurs, parmi lesquels on peut citer Alexandre Dumas et Louis Blanc. Ce dernier, sans partager les opinions politiques du Prince, déclarait après sa visite qu'il avait été étonné de son empressement à admettre les principes du socialisme. En effet, sa brochure sur l'Extinction du Paupérisme est largement imprégnée des théories socialistes. Nous en donnerons une brève analyse, car elle contribua à développer la popularité de Louis-Napoléon parmi la classe ouvrière. Sans doute, le peuple ne lisait pas beaucoup la brochure, mais le titre seul semblait contenir un programme de réformes, de justice et de bonté. Les Caisses d'épargne sont utiles pour la classe aisée des ouvriers, disait le Prince, mais vouloir soulager la misère des hommes qui n'ont pas de quoi vivre en leur proposant de mettre tous les ans de côté un quelque chose qu'ils n'ont pas est une dérision et une absurdité... La classe ouvrière ne possède rien, il faut la rendre propriétaire... En France, il y a neuf millions cent quatre-vingt-dix mille hectares de terres incultes. Que les Chambres décrètent que ces terres incultes appartiennent de droit à l'association ouvrière, sauf à payer annuellement aux propriétaires actuels ce que ceux-ci en retirent aujourd'hui. Qu'elles donnent à ces bras qui chôment ces terres qui chôment également et ces deux capitaux improductifs renaîtront à la vie l'un par l'autre... Les avances nécessaires seraient fournies par l'État. 300 millions seraient payés en quatre ans... L'intention était excellente, mais les moyens proposés pour sa réalisation étaient compliqués et confus. Si l'on comprend bien la pensée de Louis-Napoléon, l'Association Ouvrière aurait été constituée par l'ensemble de tous les prolétaires, aussi bien ceux des villes que ceux des campagnes. Parmi ces ouvriers, il y aura des travailleurs laborieux, d'autres qui le seront moins. Parmi ces terres mises en culture, il y en aura de bonnes, de médiocres, de mauvaises. Mais alors, qui dirigera le travail, comment et par qui seront répartis les bénéfices ? On voit apparaître ici le grave inconvénient de tous les systèmes sociaux artificiels dont le lourd mécanisme nécessite la création d'une armée de fonctionnaires. Cet inconvénient, Louis-Napoléon l'a vu ; mais il croit l'atténuer ou l'esquiver par ce qu'il appelle l'institution des prud'hommes. Nous voudrions qu'annuellement, tous les travailleurs ou prolétaires s'assemblassent dans les communes, pour procéder à l'élection de leurs représentants ou prud'hommes, à raison d'un prud'homme par dix ouvriers. Tout chef de fabrique ou de ferme, tout entrepreneur quelconque, serait obligé par une loi, dès qu'il emploierait plus de dix ouvriers, d'avoir un prud'homme pour les diriger... Ces prud'hommes rempliraient dans la classe ouvrière, le rôle que remplissent les sous-officiers dans l'armée... Au-dessus des prud'hommes, il y aurait des directeurs, élus par les ouvriers et les prud'hommes réunis. Au-dessus des directeurs, il y aura un gouverneur pour chaque colonie, nommé par les prud'hommes et les directeurs réunis... etc. etc. On voit la complication du système. Prud'hommes, directeurs ou gouverneurs ne seront en réalité que des fonctionnaires. Aux inconvénients d'un fonctionnarisme trop développé, l'élection annuelle ajoutera une aggravation, car elle apportera dans le mode de recrutement les rivalités, les luttes, les jalousies, les manœuvres qui accompagnent toujours une élection. Dans la pensée de Louis-Napoléon, la création des colonies agricoles serait un remède au chômage industriel. Les colonies agricoles, dit-il, auraient deux buts à remplir. Le premier, de nourrir un grand nombre de familles pauvres, en leur faisant cultiver la terre, soigner des bestiaux, etc. ; le second, d'offrir un refuge momentané à cette masse flottante d'ouvriers, auxquels la prospérité de l'industrie donne une activité fébrile, et que la stagnation des affaires ou l'établissement de nouvelles machines plonge dans la misère la plus profonde. Tous les individus sans ouvrage trouveraient dans ces lieux à utiliser leurs forces et leur intelligence, au profit de la communauté. Tous ceux qui ont pu étudier le douloureux problème du chômage savent que la solution n'en est pas aussi simple. Le chômage commence toujours par atteindre les industries de luxe ou les professions ayant demandé un apprentissage spécial. Il est bien difficile à un ouvrier bijoutier, à un coiffeur, à un musicien, à un comptable, à un mécanicien d'usine, etc., de s'adapter au rude travail de la terre, qui est à peu prés le seul qu'on puisse offrir à un chômeur comme occupation immédiate. Dans un programme de candidat, dans une conférence de sociologue, dans un article de journal, il est facile de trouver le remède devant guérir les maux dont souffre la société. Dans la réalité, cela est beaucoup moins aisé. En ce moment même (1933) où sévit en France une grave crise de chômage, il est visible qu'en général les agriculteurs ne se soucient guère d'employer la main-d'œuvre de chômeurs venant des villes dont ils redoutent l'insuffisance professionnelle et aussi — il faut bien le dire, parce qu'il faut toujours dire la vérité — le contact avec leurs ouvriers habituels. Reste alors l'expédient de l'État-Employeur, de l'Atelier National. On sait par quelle terrible insurrection s'est terminée la malheureuse tentative des Ateliers Nationaux de 1848. N'en concluons pas qu'il n'y ait rien à faire pour atténuer une situation douloureuse, devant laquelle une âme généreuse ne peut rester indifférente ; mais reconnaissons qu'il est nécessaire d'y apporter beaucoup d'expérience, de prudence, et de précautions. Ainsi, en laissant errer sa pensée à travers l'espace, e
temps, le rêve, la chimère, Louis-Napoléon se donnait l'illusion de
reconquérir un peu de liberté. Illusion bien fragile, qui disparaissait
rapidement, quand un incident quelconque ramenait le prisonnier aux réalités
de la vie. Une de ces réalités, qui tient tant de place dans nos sociétés
modernes, c'est la question d'argent. Les frais du procès, les pensions ou
secours que généreusement il avait prodigués à ses compagnons de Boulogne
eurent bien vite épuisé ce qui lui restait de son patrimoine. En avril 1842,
il écrivait à Madame Cornu : J'ai un devoir
sacré à remplir, c'est de soutenir tous ceux qui se sont dévoués pour moi, et
malheureusement les pensions que je paie sont au-dessus de l'état de ma
fortune. Je soulage aussi autant que je le peux les malheureux qui
m'entourent et, pour faire face à tout cela, je me retranche moi-même sur mes
plaisirs ; car j'ai vendu mon cheval, et je crois que je n'en rachèterai pas... Le seul de ses parents avec lequel il entretenait des relations cordiales était le fils de Jérôme, ancien roi de Westphalie. Sans être riche, le jeune Jérôme Bonaparte, ayant recueilli la succession de sa mère, disposait de quelque argent. Il semble qu'il vint en aide à Louis-Napoléon, qui, de Ham, lui écrivait le 6 juillet 1842 : Tu recevras sous peu de jours les 215.000 francs que je te dois. Je suis fâché de t'avoir fait attendre quelques semaines, mais ma position en est cause... En décembre 1843, nouvelle lettre, révélatrice de cruels soucis : Je suis maintenant dans une situation si malheureuse, que je cherche à vendre tout ce que je possède. Pourrais-tu faire acheter par Monsieur Demidoff un portrait de l'impératrice Joséphine, que j'ai à Paris, peint par Prud'homme — il voulait dire Prud'hon, et désignait le tableau qui se trouve actuellement au Musée du Louvre — et qui a été estimé 20.000 francs. J'ai encore un beau camée d'Auguste, trouvé par le Général Bonaparte en Égypte. Je voudrais le vendre 20.000 francs. Ma mère y attachait un tel prix que par son premier testament elle le destinait au roi de Rome... Le comte Anatole Demidoff, de nationalité russe, était le
beau-frère de Jérôme. Fort riche, mais brutal, sans instruction, lourdement
jouisseur — le tzar Nicolas disait : C'est une
canaille. —, il ne s'intéressait guère aux souvenirs historiques, et
ne semblait pas disposé à rendre le service que demandait Louis-Napoléon.
Cependant, de jour en jour, la situation pécuniaire du prisonnier devenait
plus angoissante. En octobre 1844, une lettre à son cousin est un appel de
détresse : Je te prie de nie rendre un immense
service. Je viens de recevoir une nouvelle désespérante pour moi, car elle me
prive de nies dernières ressources. Tout n'est pas entièrement perdu, mais
avant un an ou deux, je n'en tirerai plus rien... Fais-moi le plaisir de t'adresser à Demidoff de ma part et
de lui faire la proposition suivante, ou de m'acheter pour deux cent mille
francs les objets dont je te donnerai la liste, ou de me prêter cette somme
pour cinq ans. Voici en quoi ils consistent : 1° Le talisman de Charlemagne,
donné à l'Empereur par le clergé d'Aix-la-Chapelle. Je l'estime : Frs :
150 .000 2° Le Camée d'Auguste, que le
Général Bonaparte trouva en Égypte sur les ruines de Péluse, estimé : 20.000 3° Une tapisserie des
Gobelins : 20.000 4° Un superbe tableau de
l'Impératrice, de Prudhomme, estimé : 20.000 5° Le lavabo de Louis XIV : 5
000 Total : Frs : 215.000 Cela me tirerait d'un cruel embarras. Je t'en prie, mon cher Napoléon, n'épargne rien pour faire réussir cette négociation... Tu conçois combien ma position est cruelle, moi qui n'ai jamais pensé à l'argent et qui étais toujours heureux d'en donner pour obliger les autres... Mais le comte Demidoff faisait la sourde oreille et deux mois plus tard, Louis-Napoléon écrivait encore à Jérôme : Je te remercie d'avoir parlé à la Comtesse Camerata, [c'était la fille d'Elisa, sœur de Napoléon] des objets que j'ai à vendre... Je suis bien touché des preuves d'amitié que tu me donnes, et c'est un bonheur de retrouver en toi toute la tendresse d'un frère... Enfin, grâce à des intermédiaires opérant sur la place de Londres, Louis-Napoléon put contracter un emprunt de 150.000 francs, prêtés par le duc de Brunswick, résidant en Angleterre depuis qu'en 1830 une révolution l'avait chassé de son duché ; singulier personnage auquel sa fortune de soixante millions, ses excentricités, son fard, ses perruques de soie, ses diamants, ses carrosses d'un autre âge, attachaient à la fois un succès de curiosité, et le ridicule d'un prince d'opérette. A la fin de l'année 1845, Louis-Napoléon entrait dans la sixième année de sa captivité. Si l'on consulte sa correspondance contemporaine de 1844 et de 1845, il est visible que le moral fléchit et que ses espérances d'avenir sont moins fermes qu'au début de sa détention. A une dame habitant Florence, il écrivait : Il y a en moi deux êtres, l'homme politique et l'homme privé. L'homme politique est et restera inébranlable, mais l'homme privé est bien malheureux. Abandonné de tout le monde, de ses anciens amis, de sa famille, de son père même, il se laisse aller souvent à ses souvenirs, à ses regrets... Dans d'autres lettres : J'ai perdu ma fortune, mes amis, toutes celles que j'ai aimées se sont données à d'autres, et je reste seul ici, sans autre soutien qu'une espérance vague et incertaine... Chaque année, le retour de la mauvaise saison, la monotonie du paysage de Ham, baigné en hiver de la brume glacée des marécages, apportaient encore avec le déclin des jours une tristesse déprimante. Cependant en septembre 1845, une lettre du roi Louis apprend au Prince qu'il vient d'envoyer à Paris un de ses secrétaires, pour essayer d'obtenir du ministère sa libération ; car il veut revoir son fils avant de mourir... Aussitôt, Louis-Napoléon répond dans un élan d'affection : Mon cher Père, j'ai éprouvé hier la première joie réelle que j'aie ressentie depuis cinq ans, en recevant la lettre amicale que vous avez bien voulu m'écrire. Avant-hier encore, j'étais décidé à ne rien faire au monde pour quitter ma prison, mais aujourd'hui un nouvel espoir luit sur mon horizon, c'est d'aller vous entourer de mes soins, et de vous prouver que si depuis quinze ans il s'est passé bien des choses â. travers ma tête et mon cœur, rien n'a pu en déraciner la piété filiale... Les ministres, sans se montrer opposés à la libération du Prince, répondirent que la mesure dépendait du roi, seul dispensateur du droit de grâce. La grâce, Louis-Philippe l'eût accordée volontiers, mais à la condition qu'elle fût formellement demandée dans une requête qui pût être interprétée comme un engagement de renoncer à la politique, et cet engagement, Louis-Napoléon ne voulait pas le prendre. Cependant l'état de santé de son père s'aggravant et après des hésitations qui durèrent près de trois mois, il écrivit au roi, non pour demander la grâce, mais pour solliciter la permission de se rendre à Florence, en prenant l'engagement de revenir se constituer prisonnier aussitôt que le Gouvernement en exprimerait le désir, Les termes de la lettre, très déférents, avaient été assez étudiés pour qu'il ne s'y trouvât rien pouvant être considéré comme une renonciation à la politique militante. Le roi déclara que cette lettre ne pouvait suffire ; mais d'accord avec Odilon Barrot et son ministre de l'Intérieur, il proposa une autre rédaction. Le Prince se confierait purement et simplement aux généreuses inspirations de Sa Majesté, avec la conscience du devoir que lui imposerait la reconnaissance. Cette fois, ce fut Louis-Napoléon qui opposa un refus. Si je signais, écrivait-il à Odilon Barrot, je demanderais réellement la grâce sans oser l'avouer, je me cacherais derrière la demande de mon père comme un poltron qui s'abrite derrière un arbre pour éviter le boulet... Et à Madame Cornu, il écrivait encore : Je ne sortirai de Ham que pour aller aux Tuileries ou au cimetière... Trois mois encore s'écoulèrent, trois mois de méditations, de réflexions silencieuses et d'observations patientes. Le 15 mai 1846, Louis-Napoléon dit à son médecin : Conneau, je sois décidé à sortir d'ici... Oui, je veux tenter une évasion... Le médecin s'étonne, s'effraie, accumule les objections. Le fort est gardé par quatre cents hommes, dont chaque jour, une trentaine sont spécialement chargés de surveiller la principale porte. Deux gardiens se tiennent constamment aux abords de l'escalier qui mène au logement du Prince. La cour qu'il faudra traverser est dominée par les fenêtres du commandant du fort, qui peut d'un. coup d'œil en surveiller l'ensemble. Mais le Prince trouve réponse à toutes les objections. On fait des réparations de maçonnerie et de menuiserie dans l'escalier qui conduit à ma chambre... Je me déguiserai en ouvrier... Jamais occasion ne sera plus favorable... Quelques jours auparavant, Thélin, le fidèle valet de chambre, avait acheté blouse, pantalon, sabots, casquette et était parvenu à les introduire dans le fort. Lorsqu'on publia, après la chute de l'Empire, les papiers trouvés aux Tuileries, on remarqua parmi les souvenirs conservés par Napoléon III la note de l'achat, 25 francs, 25... Le 25 mai, dès l'aube, Louis-Napoléon rase ses moustaches, s'applique aux joues une couche de rouge. Sur une perruque brune, il enfonce une casquette. Comme elle paraissait trop neuve, Thélin l'avait usée à la pierre ponce. Le Prince enfile la blouse, le pantalon, qui, par-dessus ses habits, lui donnent un embonpoint factice. Des sabots rembourrés exhaussent sa taille. Mon Prince, lui dit Conneau, vous êtes méconnaissable. A six heures et demie, l'équipe des ouvriers arrive. Thélin leur offre un verre d'eau-de-vie et les occupe pendant que le Prince descend l'escalier. Pour compléter le déguisement, il avait une planche à l'épaule et la pipe à la bouche. Louis-Napoléon a lui-même raconté les incidents de son évasion : A peine eus-je quitté ma chambre, que je fus accosté par un des ouvriers qui me prit pour un compagnon de travail. Au bas de l'escalier, je me trouvai face à face avec le garde. Heureusement, la planche me cachait le visage. Je gagnai la cour en me dissimulant toujours sous la planche pendant que je passais devant les sentinelles. Arrivé devant la première je laissai tomber ma pipe ; elle se brisa en morceaux que je ramassai. Je rencontrai un officier de la garnison. Il lisait une lettre et ne fit pas attention à moi. Il n'en fut pas de même des soldats qui me regardaient avec défiance, surtout un tambour qui me vint considérer presque sous le nez. Pendant ce temps, le planton ouvrait la porte et je me trouvai hors de la forteresse. Là je rencontrai deux ouvriers qui s'approchèrent de moi et me regardèrent attentivement. Je pointai ma planche sur eux. Ils paraissaient ne pas vouloir lâcher prise, et je ne leur aurais sans doute pas échappé, si l'un d'eux n'avait dit : Ah ! c'est Berthoud. On était encore loin d'être assuré de la réussite. Il fallait maintenant gagner la gare de Valenciennes pour prendre un train sur Bruxelles. Trente bonnes lieues à couvrir en voiture. La veille, Thélin en avait retenu une à Ham, qui conduisit ses deux voyageurs jusqu'à Saint-Quentin. En vue des faubourgs, le Prince descendit, se débarrassa de ses vêtements ouvrier qu'il jeta dans un fossé, puis à pied il contourna la ville jusqu'à la route de Valenciennes, où Thélin devait amener une chaise de poste. Longue attente sur la route, si longue que Louis-Napoléon crut qu'il s'était laissé devancer par Thélin, et qu'avisant un cabriolet venant en sens inverse, il demanda au voyageur s'il n'avait pas croisé une chaise de poste. Non, répondit le voyageur, qu'à ses façons fort gracieuses, on devinait appartenir à la bonne société. En effet, on apprit plus tard que c'était le procureur du roi en personne. Enfin, la chaise de poste arriva. Les voyageurs activaient le postillon qui, dans l'enquête judiciaire, rappela à quel point ils étaient impatients. Il y en avait un qui disait : — Plus vite, postillon, plus vite... Cent sous de pourboire... — Ils me pressaient tellement que je leur ai dit : — Vous m'embêtez à la fin... Il fallait attendre deux heures à Valenciennes le passage du train sur Bruxelles. On peut imaginer dans quelles incertitudes inquiètes étaient encore les voyageurs, munis d'un faux passeport anglais, en songeant que peut-être à Ham l'évasion était découverte, que déjà dans toutes les directions étaient lancés courriers et estafettes. Et justement, dans cette gare où il se croyait inconnu, Thélin entend l'appel de son nom. C'est un ancien gendarme de Ham, devenu employé de chemin de fer, qui vient faire un bout de conversation et demande des nouvelles du Prince, qui volontiers se serait passé de cette marque d'intérêt. Pendant que les fugitifs, encore anxieux, calculaient heures et distances, Conneau resté dans la citadelle assurait le succès de l'évasion avec une présence d'esprit et un sang-froid imperturbables. Aussitôt après le départ, il avait installé dans le lit, le visage tourné au mur, un mannequin coiffé du madras dont le Prince se couvrait habituellement la tête. Puis, il avait envoyé à Ham l'homme de peine chargé des gros ouvrages, pour acheter une dose d'huile de ricin et autour du lit, avait préparé une mise en scène de fioles, verres et porcelaines. Le Prince était malade et prenait médecine. Un mélange de mie de pain, de marc de café et d'acide nitrique, que l'homme de peine vidait consciencieusement, assurait la vraisemblance de l'indisposition. Vers midi, le commandant du fort vint aux nouvelles. Conneau répondit que le Prince était très fatigué, que cependant il allait demander s'il pouvait recevoir. Il s'approcha du lit, que de la première pièce précédant la chambre le commandant pouvait apercevoir, et à mi-voix murmura quelques mots s'adressant au mannequin. Puis revenant : Non, le Prince est trop fatigué, il vous prie de l'excuser. Le brave commandant, entièrement dupe de la supercherie, n'insista pas et en remarquant que Thélin était absent, il offrit même à Conneau de lui envoyer son domestique. A sept heures du soir, nouvelle visite. Cette fois, le commandant semblait inquiet. Comment, le Prince dort toujours ? Eh bien j'attendrai. A ce moment, un roulement de tambour monta de la cour. Le commandant, de plus en plus se nerveux, ne tenait plus en place. Je crois que le Prince a bougé ? Puis, allant droit au lit, il découvrit le mannequin. Ah ! vous m'avez trompé, dit-il avec colère. Vous avez bien joué votre rôle, docteur, mais vous allez voir que je connais le mien. Il sortit précipitamment pour donner des ordres, consigner la troupe, envoyer dans toutes les directions des courriers. Trop tard ; depuis plusieurs heures, Louis-Napoléon était en sûreté à Bruxelles. Le 27 mai, il s'installait à Londres. La réussite de cette évasion eut un retentissement extraordinaire et ramena de la façon la plus heureuse l'attention sur Louis-Napoléon. On était alors à l'époque où en littérature la faveur s'attachait de préférence au roman et au drame historiques. Au cours des trois ou quatre années précédentes, Alexandre Dumas avait publié les Mousquetaires, la Reine Margot, Monte-Cristo. Conspirations, coups de main, évasions, constituaient la trame de récits qui, chaque jour, passionnaient un nombreux public de lecteurs. Les aventures de Strasbourg, Boulogne, Ham, avaient plus d'un point de ressemblance avec ces feuilletons populaires dont la vogue était alors dans toute son ampleur. Il y avait dans ce chef du parti bonapartiste un véritable héros de roman qui éveillait la curiosité et attirait la sympathie. Dès son arrivée à Londres, Louis-Napoléon avait manifesté l'intention de se rendre en Italie auprès de son père. Mais, la demande du Gouvernement français, tout passeport lui fut refusé. Le grand-duc de Toscane déclara qu'il ne tolérerait pas sa présence à Florence, même pendant vingt-quatre heures. Ainsi, on empêchait le Prince de se rendre à l'appel de son père mourant. En laissant échapper son prisonnier, le Gouvernement royal avait paru un peu ridicule. Maintenant, il semblait inhumain en lui enlevant la possibilité de remplir un devoir sacré. L'âme du peuple est très sentimentale. Lorsque deux années plus tard, avec la puissance d'une vague fond, le suffrage universel portera le Prince à la Présidence de la République, la majorité des électeurs aura bien moins la préoccupation de ses théories politiques, que le souci de réparer l'injustice dont depuis trente ans étaient victimes les Bonaparte, poursuivis, persécutés par la haine de l'Europe. Le roi Louis mourut le 26 juillet 1846. Il instituait comme légataire universel Louis-Napoléon, et la tendresse qu'exprimait son testament à l'égard du seul fils qui lui restait montre bien qu'il n'avait aucun doute sur sa paternité. La succession, qui se montait à environ trois millions, permit au Prince de reprendre à Londres l'existence élégante et luxueuse qu'avait interrompue l'aventure de Boulogne. Il semble bien qu'au cours de l'année 1847 il y ait eu quelque ralentissement dans la poursuite de ses projets politiques. En arrivant à Londres, aussitôt après son évasion, il avait écrit à l'ambassadeur français, M. de Saint-Aulaire : Monsieur, je viens déclarer avec franchise à l'homme qui a été l'ami de ma mère, qu'en m'échappant de ma prison, je n'ai cédé à aucun projet de renouveler contre le Gouvernement français les tentatives qui m'ont été si désastreuses... Je vous prie d'informer le Gouvernement de mes intentions pacifiques... Sans doute, la lettre avait été écrite dans l'espoir d'obtenir un passeport, mais elle laisse apparaître un peu de lassitude. Strasbourg et Boulogne, que le Prince lui-même qualifiait de tentatives désastreuses, avaient démontré qu'une sédition militaire n'offrait aucune chance de réussite. La monarchie de Louis-Philippe semblait encore bien solide. Après la mort accidentelle de l'héritier du trône qui laissait deux enfants, il restait au roi quatre fils, tous remarquables par l'instruction et l'intelligence et populaires dans l'armée. Il y avait bien un peu d'agitation dans le pays au sujet de la réforme électorale que le roi s'obstinait à refuser, mais sous tous les régimes il y a des mécontents et ceux de 1847 ne paraissaient pas encore bien dangereux. Six mois avant la révolution qui devait renverser la dynastie philippiste, son avenir avait semblé assez sûr à Jérôme Bonaparte pour qu'il sollicitât la permission de résider en France. Il l'avait obtenue en septembre 1847, et son ralliement lui avait valu une dotation annuelle de cent mille francs et la vague promesse d'un siège à la Chambre des Pairs. Le demi-frère de Louis-Napoléon, le futur duc de Morny, était reçu aux Tuileries. Le bonapartisme marquait un temps d'arrêt dont on retrouve un symptôme dans le rapport d'ensemble adressé à la fin de l'année 1847 par le préfet de police au ministre de l'Intérieur. Alors que le préfet s'arrête longuement sur les organisations communistes et socialistes, et le danger que présentent les publications de Cabet, Proudhon, Lamennais, Pierre Leroux, etc. ; alors qu'il mentionne un réveil de propagande légitimiste à l'occasion du mariage du comte de Chambord, il néglige de parler du bonapartisme dont le nom n'est même pas mentionné dans le rapport. La révolution de 1848 (24 février) fut une surprise pour tout le monde, même pour ceux qui l'avaient faite, Un Gouvernement provisoire, dont la personnalité la plus marquante était Lamartine, avait envoyé aux représentants diplomatiques une longue circulaire déclarant que la France est république ; que la république n'avait pas besoin d'être reconnue pour exister ; qu'elle était de droit naturel, de droit national, etc., phrases éloquentes, vagues et vides qui n'apportaient aucune solution ; car tant qu'une Assemblée nouvelle n'aurait pas été élue, tant qu'une Constitution n'aurait pas été votée, chaque parti pouvait situer dans l'avenir ses espoirs, ses ambitions ou ses convoitises. Dès le 26 février, Louis-Napoléon était à Paris et informait le Gouvernement provisoire de sa présence. La réponse ne se fit pas attendre ; c'était une injonction de retourner immédiatement en Angleterre. Avec une parfaite docilité, avec habileté aussi, car il avait tout intérêt à faire oublier le prétendant, le Prince reprit le chemin de l'exil. Sa lettre aux membres du Gouvernement était d'une correction exemplaire : Messieurs, vous pensez que ma présence est un sujet d'embarras ; je m'éloigne donc momentanément. Vous verrez dans ce sacrifice la pureté de mes intentions et de mon patriotisme... Aux élections d'avril 1848 à l'Assemblée constituante, il ne se présenta dans aucun collège. Plusieurs démissions ayant nécessité des élections complémentaires, Louis-Napoléon, sans avoir fait acte de candidat, obtint le mandat de représentant à Paris, dans l'Yonne, la Charente-Inférieure, la Corse. Le jour de la convocation de la nouvelle Chambre et les jours suivants, une foule de plusieurs milliers de personnes stationnait autour du Palais Législatif dans l'espoir de voir apparaître le Prince. Son nom était dans toutes les bouches. On criait : Vive Napoléon, et même : Vive Napoléon II. La Garde Nationale étant intervenue pour dégager les abords du Palais, il y eut bousculade et coups de fusil dont l'un blessa un officier. Mais le Prince était toujours invisible. Il savait qu'il y a souvent avantage à se faire attendre et désirer. Il comprenait encore que cette agitation autour de son nom n'était pas de nature à dissiper les préventions que justifiait son passé. Plusieurs représentants étaient d'avis de maintenir la loi qui bannissait de France les Bonaparte, d'autres de la restreindre à la personne de Louis-Napoléon. Il donna une nouvelle preuve de sagesse en envoyant sa démission de représentant. Monsieur le Président, je crois devoir attendre pour rentrer dans le sein de ma patrie, que ma présence en France ne puisse servir de prétexte aux ennemis de la République... Je veux que ceux qui m'accusent d'ambition soient convaincus de leur erreur... Suprême habileté, à laquelle vint se joindre cet impondérable qu'on appelle la chance. La démission, la prolongation volontaire de l'exil l'éloignèrent des responsabilités. Louis-Napoléon avait des amis compromettants, notamment Louis Blanc qui l'eût entraîné facilement aux utopies du droit au travail et des ateliers nationaux, dont la conception était vaguement ébauchée dans la brochure L'Extinction du Paupérisme. Au cours des journées de juin 1848, des cortèges parcouraient les boulevards, scandant sur l'air des Lampions des appels à la révolte : Nous l'aurons... Nous l'aurons. Les uns répondaient : La Sociale, la Sociale. ; d'autres : Poléon... Poléon... Un des insurgés du nom de Lahr, condamné plus tard à mort comme complice de l'assassinat du général Bréa, avait fait, avant l'insurrection, de la propagande parmi ses compagnons de travail en faveur de Louis-Napoléon. Le Gouvernement provisoire avait même cru que le Prince était en France et le 12 juin, le ministre de l'Intérieur avait nr envoyé à tous les préfets la dépêche suivante : Par ordre de la Commission du Pouvoir Exécutif, faites arrêter Charles-Louis-Napoléon Bonaparte s'il est signalé dans votre département. Signalement : Age : quarante ans, taille : 1 mètre 70, 2 cheveux et sourcils châtains, yeux petits et gris, nez grand, bouche moyenne, lèvres épaisses, moustaches blondes, visage ovale, teint pâle. Signes particuliers : tête enfoncée dans les épaules, dos voûté, mais sur des informations plus précises, il fut reconnu que le Prince était à Londres et presque immédiatement la dépêche fut suivie d'un contre-ordre. Si Louis-Napoléon avait siégé parmi les représentants, il n'eût pu se dispenser de s'associer à la répression d'une révolte dirigée contre l'Assemblée, répression impitoyable qui laissait derrière elle trois mille morts, onze mille arrestations. Comme Cavaignac, il eût figuré parmi ceux qu'on appelait les bourreaux du peuple. En septembre, il crut le moment venu de reparaître sur la scène politique. De nouvelles vacances nécessitaient de nouvelles élections. Cette fois, Louis-Napoléon posa sa candidature et fut élu par cinq départements. Avant de quitter Londres, il avait eu une entrevue avec Louis Blanc, un des chefs du parti socialiste. En arrivant à Paris, il en eut une autre avec Proudhon, dont l'esprit était trop original pour se plier à la discipline d'un parti, mais dont les théories sur le gouvernement, la propriété, la religion, étaient d'une outrance qui épouvantait la bourgeoisie. Après l'entrevue, Proudhon notait sur son carnet : Parait bien intentionné, chevaleresque, au demeurant génie médiocre. Louis Blanc reconnaissait que sur plusieurs points les théories sociales du Prince se rapprochaient des siennes. Le 25 septembre, l'Assemblée constituante était en séance, lorsqu'une rumeur de chuchotements interrompit l'orateur qui occupait la tribune : C'est lui... C'est lui... A cette époque, un certain nombre de députés étaient munis de lorgnettes comme au théâtre. Regards et lorgnettes étaient tournés vers une porte qui venait de livrer passage au Prince accompagné de son ami Vieillard. Après avoir cherché à ramener le silence, le président Marrast, tout en affectant l'indifférence, ne put réprimer un mouvement de curiosité, et la lorgnette en main, il examina le nouveau venu qui prenait place à un banc de gauche, un peu au-dessus de Lamartine. L'ordre du jour comprenait lecture du rapport concluant à la validation de Louis-Napoléon dans l'Yonne ; il fut adopté sans discussion. Le Prince se levait pour remercier de sa place, lorsque plusieurs voix, certainement peu bienveillantes, se firent entendre : A la tribune, à la tribune... Il gravit alors l'escalier et lut un discours qui parut modeste et convenable. Il demandait à ses chers collègues de le recevoir dans leurs rangs avec l'affectueuse sympathie dont il était lui-même animé... Aussitôt que sa présence avait été signalée, une foule nombreuse s'était massée aux abords du palais ; mais il eut le bon goût de se soustraire aux ovations en sortant par une porte dérobée. Il acquit bientôt la certitude qu'il ne trouverait pas l'affectueuse sympathie qu'il demandait à ses collègues. Derrière le représentant, ils voyaient le candidat à la présidence de la République, et derrière le futur président l'ombre de l'Empire. L'élection devait avoir lieu à la fin de l'année 1848 et l'on ne savait pas encore quel serait le mode d'élection, suffrage universel ou désignation par l'Assemblée. Le candidat de l'Assemblée était le générai Cavaignac et, réduite au suffrage des représentants, son élection n'était pas douteuse. Celle de Louis-Napoléon était probable si le choix était fait par le peuple, Après quelques-unes de ces longues discussions, où se révèlent les petits moyens, les hésitations et les faiblesses du parlementarisme, l'Assemblée n'osa pas se réserver le droit d'élection. L'opposition républicaine, bonapartiste, légitimiste, avait toujours reproché à Louis-Philippe, comme une tare d'avoir accepté de régner sur une nation de 35 millions d'habitants sans autre consécration de la puissance royale que le vœu émis par 221 députés. Il fut donc convenu que l'élection serait faite par le peuple, mais avec l'arrière-pensée de rendre impossible la candidature de Louis-Napoléon. Tout d'abord, Jules Grévy, futur président de la République, proposa de supprimer la présidence de la République et de confier le pouvoir exécutif au conseil des ministres. Ce système bizarre, qui rappelait un peu trop le Directoire, fut repoussé par une forte majorité. Il fallait trouver autre chose. Un représentant, Thouret, développa un amendement à l'article de la Constitution réglant le mode d'élection à la Présidence. Ne pourraient être candidats les membres des familles ayant régné en France. Une partie de l'Assemblée était hésitante; car si l'amendement excluait les Bonaparte, il eût rendu impossible la candidature d'un prince d'Orléans à laquelle songeaient un certain nombre de députés, qui mettaient en avant le nom du prince de Joinville. Louis-Napoléon assistait ces débats, muet, le regard vague, et sa froideur, l'immobilité de son visage blême, confirmaient la réputation de nullité et même de bêtise qui s'attachait à son nom surtout depuis l'aventure de Boulogne. L'occasion parut bonne à plusieurs de ses adversaires de rendre plus sensible son insignifiance en le sommant de s'expliquer à la tribune. Il a protesté de son dévouement à la République... Qu'il nous dise comment il entend tenir ses promesses. Louis-Napoléon n'était pas orateur. Avec le temps, il prit l'habitude de la parole ; mais le plus souvent il lisait et ne se fiait pas aux surprises de l'improvisation. Il rappelait un jour l'un de ses familiers que, dans son enfance à Augsbourg, dans sa jeunesse à Thoune, il ne parlait guère que l'allemand. C'était en allemand que la phrase se formait d'abord dans sa pensée, et il fallait un effort de traduction mentale pour la ramener à l'expression française. De là une lenteur, une lourdeur de langage qui ne prévenaient guère en faveur de la vivacité de l'intelligence. Dans cette séance du 9 octobre 1848, mis en demeure de monter à la tribune, il se contenta d'ânonner péniblement quelques phrases. Il protestait contre les calomnies qui le représentaient comme un prétendant, puis en promenant sur l'auditoire un regard mal assuré, comme un écolier qui n'est pas certain d'avoir bien récité sa lute leçon — mentionne un compte rendu — il regagna sa place dans un murmure de chuchotements et de sourires, auxquels Thouret, l'auteur de l'amendement, ajouta une impertinence : Après ce que je viens de voir et d'entendre, je considère que mon amendement est inutile ; je le retire... Ledru-Rollin disait à ses voisins : Quel imbécile que ce Monsieur Bonaparte, il est coulé. Le lendemain, les journaux accentuaient encore le dédain et l'ironie. La tribune, disait le National, est fatale aux médiocrités et aux impuissances. Nous ne voulons pas être trop cruels envers un homme condamné à cet accablant contraste en sa propre personne, d'une telle insuffisance et d'un tel nom... Ô surprises de la politique ! Cette prétendue insignifiance de Louis-Napoléon devint un élément de succès de sa candidature, en lui assurant l'appui de plusieurs députés influents, Thiers, Odilon Barrot, Victor Hugo même, qui préféraient un président fainéant, un président automate, destiné à devenir leur créature et leur protégé. État d'esprit qu'on rencontre à assez fréquemment, paraît-il, dans le monde des politiciens. De nos jours, n'a-t-on pas attribué à l'un d'eux, illustre enfant terrible de la politique, cette boutade : Dans une élection présidentielle je vote toujours pour le plus bête. En temps de polémique électorale, l'injustice, les inventions haineuses, les paroles violentes ne sont pas rares. Il ne faut le donc pas s'étonner de toutes celles qu'on retrouve dans l'immense quantité d'articles, chansons, pamphlets, caricatures, que fit éclore l'élection de décembre 1848. Le National, qui soutenait la candidature de Cavaignac, reprochait au Prince la prétendue illégitimité de sa naissance et les équivoques mystères d'alcôve qui lui avaient assuré une filiation problématique. Il l'accusait encore d'avoir tué de sa main à Boulogne un soldat français. D'autres voyaient en lui un aventurier de nationalité incertaine, qui avait exercé tous les métiers, notamment à Londres celui d'agent de police. La vérité était qu'en Angleterre des personnages appartenant à l'aristocratie manifestaient leur loyalisme en s'enrôlant parfois comme constables volontaires. Louis-Napoléon avait suivi leur exemple en prêtant serment comme constable pour une période de deux mois lors de l'agitation chartiste. On racontait encore que, lors de son équipée de Boulogne, on l'avait vu débarquer un aigle sur le poing comme un valet de fauconnerie. Plus tard, on ajouta un détail à cette légende. Le Prince avait un morceau de lard dans son chapeau, et l'aigle avait été dressé à se poser sur son épaule. Tout cela était inexact. Il y avait bien sur le bateau qui l'avait amené d'Angleterre un aigle apprivoisé dont s'amusait l'équipage ; mais il était resté à bord et n'avait pas figuré dans le scénario de l'entreprise. Une brochure donnait des détails sur l'existence de Louis-Napoléon à Londres : Se lever à midi, après avoir pris son chocolat dans son lit, avoir un nègre pour groom, se faire habiller par Staub, boire beaucoup, souper en tête-à-tête avec les faciles bayadères de Drury-Lane, voilà le bulletin officiel de la jeunesse du Prince... Naturellement, son ignorance était encyclopédique. Un journal satirique très répandu, le Charivari, donnait un spécimen de ses réponses à son professeur d'histoire : — Quel est le fondateur de la Monarchie française ? — Napoléon. — Qui a gagné la bataille d'Arbelles ? — Napoléon. — Par qui Pompée fut-il défait ? — Par Napoléon. Puis venait le récit d'une visite aux Invalides. — Prince, lui dit Vieillard, c'est le moment de dire à ces vieux braves les quelques mots que je vous ai fait apprendre depuis huit jours. Je vous soufflerai. — Bas engore, bas engore, che attends t'afoir fu la grante marmite, où l'on fait le pouillon. — Demandez à goûter le bouillon, disait Vieillard, cela flattera beaucoup ces glorieux débris. — Che n'aime bas le pouillon. — Il faut que nous partions. — Bas engore, bas engore, il reste à foir l'infalite à la tête de pois... Cette littérature, qui était abondante et dont nous ne citons que quelques extraits, pouvait amuser les oisifs ou les sceptiques. Mais elle n'eut guère d'influence sur le résultat du scrutin. Le 10 décembre 1848, Louis-Napoléon était élu président de la République par 5.572.834 voix, contre 1.469.156 obtenues par Cavaignac, 376.000 par Ledru-Rollin, 20.000 par Lamartine, 36.000 dispersées sur différents noms. |