ESSAI SUR LE RÈGNE DE L’EMPEREUR DOMITIEN

 

CHAPITRE X. — POLITIQUE DE DOMITIEN A L’ÉGARD DES JUIFS ET DES CHRÉTIENS. PERSÉCUTION RELIGIEUSE.

 

 

Sous Vespasien et son fils aîné, les Juifs ne furent pas persécutés à cause de leurs croyances. Leur fanatisme ne paraissait plus à craindre : Titus avait détruit le temple et dispersé la population de la ville sainte. Ils avaient, d’ailleurs, auprès du pouvoir des protecteurs fort influents : le roi Agrippa II et ses sœurs, Bérénice et Drusille, qui vivaient à Rome dans l’intimité des Flaviens[1], tout en restant très attachés à leur foi[2]. Vespasien leur permit donc le libre exercice de leur religion, mais à la condition d’en faire préalablement déclaration aux autorités et de payer au temple de Jupiter Capitolin un impôt de deux drachmes[3].

Nous avons fort peu de renseignements sur l’état des Juifs au temps de Domitien. Renan a pensé qu’une révolte avait éclaté sous son règne en Judée[4]. Voici les arguments sur lesquels il s’est fondé :

1° Nous savons par un diplôme militaire du 13 mai 86[5] qu’à cette date le droit de cité romaine fut accordé à des soldats appartenant à des troupes auxiliaires cantonnées dans ce pays, mais que, malgré leur vingt-cinq années de service, ils ne reçurent pas en même temps le congé réglementaire. Si on les retint sous les drapeaux, ce fut peut-être parce qu’on les occupait alors à faire la guerre.

2° Entre le 13 mai et le 13 septembre 86, Domitien reçut sa treizième salutation impériale ; peut-être doit-elle être rapportée à des succès remportés en Judée.

3° Henzen pense enfin que la cohorte I Lusitanorum qui, en septembre 85, était en Pannonie[6] est la même que la I Augusta Lusitanorum indiquée, dans le diplôme du 13 mai 86, parmi les troupes de Judée ; il voit dans ce déplacement la preuve d’une révolte des Juifs, qui aurait nécessité l’augmentation de l’armée de la province. La cohorte en question aurait alors reçu le titre d’Augusta en récompense de sa conduite.

Mais le maintien sous les drapeaux des soldats de Judée qui avaient terminé leur temps de service peut avoir eu une autre cause, peut-être l’attitude menaçante des Parthes. Vologèse était fort mal disposé pour l’empire ; vers 88, il soutint le faux Néron, et, dés 86, il peut avoir montré des intentions hostiles. Nous avons dit qu’il avait peut-être des relations avec Décébale ; or, c’est vraisemblablement vers le commencement de 86 que se place la première guerre de Domitien contre les Daces. La treizième salutation impériale de Domitien peut naturellement se rapporter à d’autres faits de guerre que la révolte supposée des Juifs : un succès sur le Danube par exemple. Enfin, la cohorte I Lusitanorum qui, en 85, était en Pannonie n’est pas la même que la I Augusta Lusitanorum indiquée, en 86, dans le diplôme concernant l’armée de Judée ! Outre qu’il est peu vraisemblable qu’à la fin de 85 ou au début de 86 on ait dégarni de troupes les rives du Danube, où la situation semble avoir été très grave, Henzen paraît avoir fait une confusion entre deux cohortes différentes. Si la I Lusitanorum avait reçu, en 86, comme il le suppose, le titre d’Augusta, ce titre apparaîtrait sur les diplômes de 98, 113/114[7], etc., où cette cohorte figure. Il faut donc distinguer : a) la I Lusitanorum qui est indiquée, en Pannonie, pour les années 84, 85, 98, 113/114, 167[8] ; b) la I Augusta Lusitanorum qui a appartenu à l’armée d’Orient ; sous Antonin et Dioclétien, elle était certainement en Égypte[9].

Il n’y a par conséquent pas lieu, je crois, d’adopter cette hypothèse d’une révolte en Judée en 86[10].

Suétone nous apprend[11] que l’impôt du didrachme fut perçu, sous Domitien, avec une grande rigueur. On déférait au fisc judaïque, dit cet historien, ceux qui menaient la vie juive sans le déclarer et ceux qui, dissimulant leur origine, ne payaient pas les tributs imposés à leur nation. Il s’agit, dans cette phrase : des hommes de race juive qui ne faisaient pas de déclaration à l’autorité et ne payaient pas le didrachme, soit parce qu’ils avaient renoncé à leur religion, soit simplement pour frauder l’État ; — des païens qui s’étaient convertis au judaïsme et fait circoncire, mais qui ne s’étaient pas fait inscrire sur les listes tenues par l’État et ne payaient pas le didrachme. Désormais, tous les circoncis furent déclarés contribuables. Suétone raconte[12] qu’il vit un procurateur examiner devant une assemblée nombreuse un vieillard de quatre-vingt-dix ans pour savoir s’il était circoncis. Dans Martial, on lit ces vers (VII, 55, 7) :

Sed quæ de Solymis vent perustis

damnatam modo mentulam tributis.

(mais sur celui d'un juif échappé de Solyme en cendres, et qui vient d'être soumis à un impôt.)

Et cet épigramme (VII, 82) :

Menophili penem tam gravis fibula vestit,

ut sit comœdis omnibus una satis.

Hunc ego credideram — nam sæpe lavamur in unum —

sollicitum voci parcere, Flacce, suæ.

Dum ludit media, populo spectante, palæstra,

delapsa est misero fibula : verpus mat.

(Le priape de Ménophile est enfermé dans un étui si vaste qu'il suffirait seul à tous les comédiens ensemble. J'avais pensé (car souvent nous nous baignons de compagnie) qu'il usait ainsi de précaution pour conserver sa voix : mais dernièrement, Flaccus, au moment où, en présence du peuple, il s'exerçait à la palestre, son étui se détache et tombe ; le malheureux était circoncis.)

C’était sans doute pour éviter de payer l’impôt que Ménophile ne voulait pas qu’on sût qu’il était circoncis.

Nous avons voulu citer ces textes parce qu’ils nous semblent prouver que le didrachme ne fut exigé que des circoncis. Us devaient être assez nombreux, car, à cette époque, la propagande juive était active[13]. A partir de quelle date l’impôt du didrachme fut-il exigé avec tant de rigueur ? il est difficile de le dire. Nous savons qu’au début de son règne, Domitien ne donna aucune marque de cupidité[14]. D’autre part, Suétone dit qu’il fut témoin du fait qu’il rapporte, quand il était encore enfant, adulescentulus, et, dans un autre passage, il nous apprend que, vingt ans après la mort de Néron, vers 88, il était jeune homme, adulescente me (Néron, 57). Si l’on donnait un sens précis à ces deux expressions[15], on pourrait en conclure qu’avant 88, l’impôt dont nous parlons donna lieu déjà à des délations nombreuses, à des perquisitions violentes[16]. Domitien, dont nous connaissons les embarras financiers, voulait augmenter les revenus de son trésor ; rien ne m’autorise à croire que l’âpreté dont il fit preuve dans la perception du didrachme ait eu une autre cause[17]. Beaucoup de Juifs et de prosélytes devaient s’abstenir de payer cet impôt[18] ; ces récalcitrants furent non seulement dénoncés et soumis à des examens humiliants, mais peut-être aussi punis d’amendes et de confiscations. Cette mesure fiscale et les conséquences qu’elle eut attirèrent sur Domitien la haine de beaucoup de gens affiliés ou sympathiques à la religion juive. Lorsqu’à la fin de l’année 96, Nerva interdit les dénonciations faites au profit du fisc judaïque et décida sans doute que le didrachme ne serait plus exigé que des Juifs restés fidèles à la religion de leurs pères, il en tira gloire et fit frapper des monnaies avec cette exergue : Fisci judaici calumnia sublata[19].

D’autres textes pourraient faire croire que Domitien persécuta et les Juifs. Dans des Actes apocryphes de saint Jean[20], on lit que cet empereur, ayant appris que Rome était remplie de Juifs, et se souvenant des décrets de son père à leur sujet, donna ordre de les chasser tous de Rome. L’auteur ajoute que les Juifs détournèrent le danger en accusant les chrétiens auprès de l’empereur. Mais cette indication ne mérite guère qu’on s’y arrête, la valeur historique des Actes dont il s’agit étant nulle. Dans le Talmud[21], il est question d’un César ennemi des Juifs qui dit aux grands de son royaume : Si l’on a un ulcère au pied, faut-il l’amputer et vivre, ou garder son pied et souffrir ? Tous furent pour l’amputation, sauf le sénateur Katia bar Schalom. Il fut condamné à mort et, avant de périr, il dit : Je suis tel qu’un vaisseau qui a payé soir impôt [allusion à la circoncision], je puis donc passer et me mettre en route. — Un midrash[22] raconte le même fait avec des amplifications. On y lit que pendant un voyage à Home de Rabbi Gamaliel, de Rabbi Eliezer, de Rabbi Josué et de Rabbi Akiba, docteurs célèbres[23], le Sénat de l’empereur décréta qu’au bout de trente jours il n’y aurait plus de Juifs dans le monde. Un sénateur, homme pieux, vint auprès de Rabbi Gamaliel et lui révéla la décision, qui affecta douloureusement les docteurs. Mais cet homme leur dit de se calmer, car, dans les trente jours, le Dieu des Juifs viendrait certainement à leur secours. Après vingt-cinq jours, le sénateur en parla à sa femme. Voilà déjà vingt-cinq jours écoulés, dit-elle. — Il en reste cinq ! Plus pieuse encore que son mari, elle reprit : N’as-tu pas de bague empoisonnée ? Suce-la et meurs : cela donnera aux Juifs un répit de trente jours encore et dans l’intervalle on abrogera le décret. Le sénateur l’écouta, suça la bague et mourut. On reconnut plus tard qu’il avait été circoncis : le vaisseau n’avait pas quitté le port sans payer l’impôt. — Ce récit a évidemment un caractère légendaire. En outre, les textes dont il s’agit ne disent pas sous quel empereur se passèrent les événements qu’ils rapportent. — Loin d’interdire le judaïsme, Domitien, comme ses deux prédécesseurs, semble au contraire l’avoir laissé libre de fixer définitivement sa doctrine et les pratiques qu’il imposait. Les écoles de la Judée, très florissantes alors, constituaient et interprétaient les textes saints ; le sanhédrin à Jabné, s’occupait de régler la vie religieuse des Juifs[24], sans que le gouvernement impérial intervint dans ces affaires de foi[25].

Les conversions au judaïsme furent très fréquentes sous les Flaviens, mais tous ceux que cette religion attirait à elle ne se soumettaient pas scrupuleusement aux obligations de la loi de Moïse. Ils étaient rebutés par la minutie des pratiques qu'elle imposait et que les docteurs aggravaient encore; les hommes répugnaient à la circoncision. D'ailleurs, la propagande était faite surtout par ceux qui mettaient la foi au-dessus des œuvres, par les agadistes, par les sibyllistes, par des lettrés dont l'esprit s'était ouvert au contact de la civilisation grecque. Aussi beaucoup de prosélytes empruntaient-ils au judaïsme sa doctrine théologique et sa morale, bien plus que ses observances, sauf les plus importantes, comme le repos du sabbat et certaines abstinences. Ils se distinguaient des Juifs de race et s'appelaient religionis judaicæ metuentes, en grec σεβόμενοι[26].

A cette époque, la propagande chrétienne était encore plus active. Le gouvernement impérial connaissait les chrétiens[27], mais il les considérait comme formant une secte du judaïsme, religion licite[28]. Après la persécution de Néron, l'Église ne fut plus inquiétée pendant trente ans[29], et elle put faire d'importantes conquêtes. Parmi ceux qui se convertirent alors, il faut très probablement compter un consulaire qui portait un nom illustre, M’Acilius Glabrio. Dion Cassius dit qu’il fut accusé d’athéisme et de mœurs juives, ce qui ne nous fait pas savoir s’il inclina vers la religion de Moïse ou vers celle de Jésus, car les Juifs, aussi bien que les chrétiens, étaient regardés comme des athées[30]. Mais des découvertes récentes permettent de préciser l’indication de l’historien. En 1888, M. de Rossi[31] a découvert dans le cimetière de Sainte Priscille une large galerie, creusée en gamma, dont les parois, recouvertes de stuc, étaient percées de niches ayant contenu autrefois des sarcophages : on y avait accès par un escalier particulier. A l’endroit où la galerie tourne h angle droit, se trouve une grande citerne (huit mètres de long sur quatre mètres de large), transformée dans l’antiquité en chambre funéraire. La décoration en était luxueuse, les parois étaient jadis couvertes de plaques de marbre et la voûte de mosaïques. Cet hypogée contenait les restes de plusieurs Acilii qui professaient la foi chrétienne : les inscriptions trouvées le prouvent avec évidence. Sur un fragment de marbre, appartenant au couvercle d’un sarcophage, on lit ces mots :

Acilio Glabrioni

fi[l]io

.........[32]

Un autre fragment de marbre, ayant peut-être aussi fait partie d’un couvercle de sarcophage, porte les mots :

M’Acilius · V...

C · V ·

.. Priscilla · C ·...

Le prénom rare Manius est ordinaire dans la famille des Acilii Giabriones, les signes C · V et C · [P ou F] (clarissimus vir, clarissima puella ou femina) indiquent des personnages de haute naissance qui ne vécurent pas antérieurement au second siècle. M. de Rossi a vu dans cette inscription l’épitaphe de M. Acilius V[erus] et d’(Acilia) Priscilla, enfants de M. Acilius Glabrio, consul pour la seconde fois, en 186, et d’Arria Plaria Vera Priscilla[33]. Sur un troisième fragment, on lit : [Aci]li... M(arci) Acili... Sur d’autres inscriptions, trouvées dans les galeries voisines et gravées sur des plaques de loculi, on retrouve encore des Acilii : 1° Un ou une Αxείλ[ιος ou ια] ; 2° un Αxείλιος Κοϊν[τος ou τιανός] et une Αxείλια ; 3° un [Α]xείλις Ρουφεϊνος : il ne s’agit probablement pas d’un affranchi, mais d’un parent d’Acilius Rufus, consul en 105 ou 106. Sur un couvercle de sarcophage, découvert prés de là, on lit encore : Κλ(αυδίου) | Αxειλίου | Ούαλερίου | ... | ...νίσxου. Enfin, de nombreux indices, qu’il serait trop long d’énumérer ici, portent à croire que la Priscilla qui donna son nom au cimetière et qui était ensevelie près de l’hypogée en question, était parente des Acilii Glabriones[34]. — Le christianisme de ces Acilii, dont plusieurs vécurent au second siècle[35] et parmi lesquels se trouve un Acilius Glabrio, rend plus que vraisemblable le christianisme du consulaire contemporain de Domitien.

On a été tenté aussi de considérer comme chrétiens deux autres consulaires de l’époque de Domitien, Civica Cerialis et Salvidienus Orfitus[36]. Suétone les nomme en même temps que Glabrion : Complures senatores, in his aliquot consulates, interemit ; ex quibus Civicam Cerialem in ipso Asiæ proconsulatu, Salvidienum Orfitum, Acilium Glabrionem in exilio, quasi molitores rerum novarum[37]. Il faut ajouter que Philostrate[38] parle de l’indolence de Salvidienus Orfitus ; or ce reproche d’indolence fut souvent fait aux chrétiens[39]. Mais ces textes sont beaucoup trop vagues pour autoriser une telle hypothèse. De plus, il est certain que Civica Cerialis fut mis à mort plusieurs années avant le meurtre d’Acilius Glabrion et le commencement de la persécution contre les chrétiens[40].

A la même époque le christianisme entra dans la famille impériale. La tradition catholique distingue deux Flavia Domitilla qui auraient été chrétiennes : l’une, femme de Flavius Clemens et fille d’une sœur de Domitien et de Titus ; l’autre, fille d’une sœur de ce même Clemens[41].

La première a certainement existé. Dion Cassius parle de Flavius Clemens, cousin de l’empereur et mari de Flavia Domitilla, qui était aussi parente de Domitien (LXVII, 14). Philostrate[42] dit qu’un certain Stephanus était un affranchi de la femme de Clemens : or Suétone (Domitien, 17) l’appelle Domitillæ procurator. D’autre part la parenté de Domitilla avec Domitien est expliquée par Quintilien, qui dit[43] : cum mihi Domitianus Augustus sororis suæ nepotum delegavit curam, d’où il résulte que Domitilla, mère de ces enfants[44], était fille d’une sœur de Domitien. Philostrate commet donc une erreur quand il dit[45] que la femme de Clemens était sœur de l’empereur : ώ [Κλημεντι] τήν άδεφήν τήν έαντοΰ έδεδώxει [Δομετιανός] ; mais peut-être faut-il attribuer cette erreur à un copiste qui a transformé άδελφιδήν (nièce) en άδελφήν. C’est à elle qu’il faut rapporter deux fragments d’inscriptions : [Flavia Domitilla], filia Flaviæ Domitillæ (la sœur de Titus et de Domitien s’appelait aussi Domitilla)[46], [Imp. Cæsaris Vespasi]ani[47] neptis, fecit, etc.[48][Flavia Domitilla, filia Flaviæ Domitillæ, D]ivi Vespasiani neptis, patri[49]. D’autres inscriptions mentionnent aussi cette Flavia Domitilla[50].

Quant à l’autre Domitilla, on se fonde sur deux textes d’Eusèbe pour croire à son existence. Nous lisons dans l’Histoire ecclésiastique (III, 18) Φλαουίαν Δομέτιλλαν..., έξ άδελφής γεγονυϊαν Φλαουίου Κλήμεντος. Dans ce passage, Eusèbe s’appuie sur l’autorité d’historiens païens. La Chronologie donnait une indication semblable. Saint Jérôme[51] dit : Flaviam Domitillam, Flavii Clementis ex sorore neptem (ici le mot neptem signifie nièce, non petite-fille) ; Georges le Syncelle[52] a Φλαυία Δομετιλλα, έξαδελφή Κλήμεντος Φλαυίου. Ces écrivains, dont l’un traduit et l’autre copie Eusèbe, disent que cette indication est tirée de Bruttius, Βρέττιος[53], qu’on a identifié avec Bruttius Præsens, dont la famille avait des biens confinant à ceux de Domitilla, femme de Clemens[54] ; ce personnage aurait vécu au temps de Pline le Jeune dont il aurait été l’ami (Pline dit seulement Præsens)[55]. On en a conclu que cet auteur devait être très bien informé sur la famille Flavienne. — On allègue en outre les Actes des saints Nérée et Achillée, qui présentent Flavia Domitilla comme une vierge, fille d’une certaine Mantille, sœur elle-même de Flavius Clemens[56]. — On fait observer que la Flavia Domitilla, mentionnée par Dion Cassius (LXVII, 4), fut exilée à Pandataria, tandis qu’Eusèbe (d’après Bruttius) et les Actes[57] parlent d’une Flavia Domitilla, reléguée à Pontia, indication que confirme saint Jérôme : cet écrivain nous apprend, en effet, que de son temps on allait encore visiter dans l’île de Pontia la demeure illustrée par la noble exilée[58]. — M. de Rossi remarque enfin que si la Domitilla dont pariait Bruttius avait été fourme de Clemens, il aurait mentionné en môme temps la condamnation de ce personnage, à laquelle il ne tait aucune allusion.

Mais aucun autour, ni Dion Cassius, ni Eusèbe, ni saint Jérôme, ni le rédacteur des Actes des saints Nérée et Achillée, ne parle de deux Flavia Domitilla, et les textes qui induisent à croire à l’existence de la seconde ne semblent pas convaincants. Dans la source dont Eusèbe s’est servi, plusieurs mots peuvent avoir été passés par erreur ; il faudrait peut-être restituer ainsi la phrase primitive : Φλαουίαν Δομετίλλαν, Φλαουίου Κλήμεντος [γυαϊxα, Δομετιανοΰ] έξ αδελφής γεγονυϊαν. Cette erreur serait l’origine du dédoublement de Flavia Domitilla. Rien n’autorise, du reste, à donner à Bruttius[59] le cognomen de Præsens, et rien ne prouve que Præsens, ami de Pline, s’appelât Bruttius. — On sait le peu de valeur historique des Actes des saints Nérée et Achillée ; d’ailleurs l’auteur se contredit, car il qualifie la Flavia Domitilla dont il parle de nièce de Domitien[60] : cette désignation conviendrait à la femme de Clemens. Considérant le célibat comme préférable au mariage, il fait de la sainte une vierge. — Les îles de Pontia et de Pandataria étaient l’une et l’autre assignées comme résidence aux personnages de la famille impériale condamnés à la déportation[61]. Dion Cassius a donc pu commettre une confusion sur un point sans importance pour lui[62]. — L’argument tiré du silence de Bruttius au sujet de Clemens n’est pas non plus très convaincant. De môme que Suétone, on racontant la condamnation de Clemens, ne mentionne pas celle de Domitilla, de même Bruttius, en parlant de Domitilla, a pu négliger de parler de Clemens. D’ailleurs, est-il certain que, dans le passage dont Eusèbe s’est servi, Bruttius n’ait rien dit de Clemens ? Ce qui avait rapport à ce personnage peut avoir été omis par Eusèbe (ou sa source), qui s’intéressait surtout à Domitilla : cette princesse semble, en effet, avoir témoigné aux chrétiens des sympathies encore plus vives que son mari.

Nous pensons donc qu’il n’est pas nécessaire d’admettre l’existence d’une seconde Flavia Domitilla, nièce de Flavius Clonions.

Après la mort de T. Flavius Sabinus et de Julie, fille de Titus, T. Flavius Clemens, frère de ce même Sabinus, et sa femme Domitilla, furent les plus proches parents de Domitien : nous avons vu que l’empereur destina sa succession à leurs deux fils. — Or Dion nous apprend que Clemens et sa femme furent, comme Glabrion, accusés d’athéisme et de recours juives (LXVII, 4), et Eusèbe, qui cite un autour païen, Bruttius, indique formellement que Flavia Domitilla était chrétienne[63]. Son témoignage semble confirmé par les belles découvertes de M. de Rossi, qui ont mis hors de doute le christianisme de plusieurs Flaviens. Dans le cimetière de sainte Domitille a été trouvée une inscription du second siècle portant les noms de Flavius Sabinus et de sa sœur Titiana : Φλ(αουίος) Σαβεϊνος xαί Τιτιανή άδελφοϊ[64], personnages qui descendaient probablement en ligne directe du frère aîné de Vespasien. A côté de cette inscription, il faut citer celles de Flavilla[65], de Flavia Speranda, peut-être qualifiée sur une inscription de Cl(arissima) f(emina)[66], de Φλ(αουίος) Πτολεμαϊος[67], recueillies au même endroit[68]. Enfin, il ne serait pas impossible que la célèbre vierge chrétienne Aurelia Petronilla[69], ensevelie aussi dans ce cimetière, ait été alliée à la famille Flavienne[70] : le grand-père de Vespasien s’appelait T. Flavius Petro[71]. — D’autre part, Flavia Domitilia posséda certainement un domaine sur la voie Ardéatine, à un mille et demi de Rome, au lieu appelé actuellement Tor Marancia. L’inscription suivant[72], qu’on y a trouvée en 1822, le prouve d’une manière certaine : Ser. Cornelio Juliano, frat(ri) piissimo, et Calvis[i]æ ejus, P. Calvisitis Philotas, et sibi, ex indulgentia Flaviæ Domitill(æ) ; in fronte p(edes) XXXV, in agro p(edes) XXXX[73].

C’est sous ce domaine qu’on voit encore le cimetière auquel M. de Rossi a rendu son véritable nom[74]. Domitille, étant propriétaire du lieu, pouvait seule accorder l’autorisation d’y faire des inhumations, et si l’on prouvait que des chrétiens y furent ensevelis pendant sa vie, ce serait une marque évidente de la protection qu’elle aurait accordée à leur foi. Mais à cet égard on ne peut rien affirmer de certain. Le nom de cœmeterium Domitillæ, donné par la tradition chrétienne[75] à la nécropole dont nous partons, semblerait indiquer que son origine remonte à la petite fille de Vespasien. En outre, plusieurs parties de ce cimetière sont fort anciennes, par exemple : a) un ambulacre découvert en 1860 par M. Michel de Rossi, et déblayé en 1865[76] ; b) un hypogée découvert en 1852[77] ; c) la crypte où furent enterrés sainte Pétronille, saints Nérée et Achillée[78]. Dans ce lieu, transformé à la fin du quatrième siècle en basilique[79] ; et tout auprès, on a trouvé des traces d’une haute antiquité chrétienne[80] ; de plus, rien n’empêche d’admettre, comme l’indique la tradition[81], que ces trois personnages aient vécu à la fin du premier siècle[82] ; d) l’hypogée d’Ampliatus, découvert en 1880[83].

Flavius Clemens se montra-t-il, comme sa femme, sympathique aux chrétiens[84] ? On est fort porté à le croire ; cependant Suétone, Philostrate, Eusèbe, qui parlent de lui, n’en disent rien ; c’est seulement dans Georges le Syncelle, auteur byzantin de la fin du huitième siècle qui copie la chronologie d’Eusèbe en y faisant quelques additions, qu’on trouve la mention du christianisme de ce personnage[85]. L’autre part, Clemens était, selon Suétone (Domitien, 15), un homme fort méprisé à cause de son inertie contemptissimæ inertiæ. Un reproche semblable fut souvent adressé aux chrétiens, qui s’intéressaient peu aux affaires publiques[86] ; mais c’est là un indice bien léger[87]. — On a pensé d’autre part, d’après plusieurs textes du Talmud[88], que Flavius Clemens s’était converti au judaïsme, mais le rapprochement est très forcé et ne semble pas pouvoir être accepté[89].

On sait qu’avant le triomphe de l’Église, bien des chrétiens cherchèrent des compromis entre leur foi et les mœurs, les institutions de la société païenne au milieu de laquelle ils vivaient[90]. Parmi les adeptes de la nouvelle religion, surtout parmi ceux qui appartenaient à la haute société, il en était qui ne renonçaient pas complètement aux pratiques du paganisme. Acilius Glabrion et Clemens suivirent la carrière des honneurs, ils furent consuls ; ils ne purent pas par conséquent se dispenser de présider d’importantes cérémonies du culte national. Proches parents de l’empereur, qui était grand-pontife, Clemens et Domitille durent souvent assister auprès de lui à des sacrifices solennels, à des fêtes dans lesquelles la religion païenne tenait une grande place. S’ils avaient renié hautement leur ancienne foi et fait profession publique de christianisme, Suétone n’aurait pas dit que Clemens fut mis à mort sur le plus léger des soupçons (Domitien, 15) ; et Quintilien, le précepteur de leurs deux fils, ne se serait peut-être pas permis de parler avec tant de mépris des Juifs[91], à une époque où, pour les païens, le christianisme n’était qu’une secte juive.

Vers la fin du règne de Domitien, éclata une violente persécution religieuse[92]. Domitien, dit Dion Cassius (LXVII, 4), fit mourir Flavius Clemens, qui était alors consul, bien que ce personnage fût son cousin et qu’il eût pour femme Flavia Domitilla, sa parente. L’accusation d’athéisme fut portée contre eux deux. De ce chef, furent condamnés beaucoup d’autres citoyens qui avaient adopté les coutumes juives : les uns furent mis à mort, les autres virent confisquer leurs biens. L’empereur fit aussi périr Glabrion, qui avait été consul avec Trajan : il l’accusait du môme crime que les autres. — Quelques textes permettent de compléter ces indications. Domitien, dit Suétone[93], tua, sur le plus léger des soupçons, son cousin Flavius Clemens, homme dont on méprisait fort l’inertie. Clemens venait à peine de sortir du consulat. Consul ordinaire en 95[94], vraisemblablement du 1er janvier au 30 avril, il périt donc dans le cours de cette année[95]. Domitille fut reléguée, non pas à Pandataria, comme Dion le dit, mais à Pontia, comme nous l’apprennent Eusèbe (d’après Bruttius), saint Jérôme et l’auteur des Actes des saints Nérée et Achillée[96]. Fut-elle exceptée de la mesure qui, au début du règne de Nerva, rappela les exilés et resta-t-elle plusieurs années, jusqu’à sa mort, dans cette île[97] ? Nous n’en savons rien ; il faut seulement observer que saint Jérôme parle de son long martyre à Pontia[98]. — Quant à Acilius Glabrion, il fut d’abord exilé, puis mis à mort[99]. Dion Cassius dit, qu’outre le crime d’athéisme, on lui reprocha d’être descendu dans l’arène pour y combattre des bêtes féroces, à l’époque où il était consul, en 91[100]. C’était cependant Domitien qui, voulant peut-être déjà se débarrasser de lui, l’avait contraint, un jour qu’il l’avait invité à Albano pour la fête des Juvenatia, à tuer nu lion énorme, épreuve dont Glabrion était sorti sans blessure. D’autre part, il fut, selon Suétone (l. c.), mis à mort pendant son exil, comme coupable de conspiration, quasi molitor novarum rerum. Faut-il confondre cette accusation avec celle d’athéisme qui, au témoignage de Dion, fut portée contre lui ? L’homme auquel on faisait un crime de mépriser la religion nationale, pouvait sans doute être considéré comme un molitor novarum rerum ; mais nous serions plus disposé à croire qu’il s’agit de deux accusations différentes. Il est possible que Glabrion ait été d’abord exilé pour ses croyances et sa conduite lors des fêtes d’Albano, et ensuite mis à mort comme conspirateur.

On lit dans Eusèbe[101] : Domitien, ayant fait preuve de sa cruauté à l’égard de beaucoup de gens et mis à mort par des arrêts injustes un grand nombre de nobles romains et d’hommes illustres... finit par se faire le successeur de Néron dans sa haine et sa guerre contre Dieu. A son tour, il entreprit de nous persécuter... A cette époque, la doctrine chrétienne avait un tel éclat que des écrivains, fort étrangers à notre foi [il s’agit de Bruttius, comme le montre la chronologie], n’hésitèrent pas à parler, dans leurs histoires, de la persécution et des martyres qui eurent lieu alors. Ils marquent même avec exactitude la date de la persécution ; car ils rapportent que, dans la quinzième année du règne de Domitien, beaucoup de chrétiens furent condamnés, entre autres Flavia Domitilla, etc. Malalas, citant aussi l’historien Bruttius, écrit ces mots[102] : Domitien condamna beaucoup de chrétiens, si bien qu’un grand nombre de fidèles s’enfuirent dans le Pont.

Dans la lettre de Pline le Jeune à Trajan au sujet des chrétiens, le gouverneur de Bithynie écrit : D’autres, dénoncés devant moi, ont reconnu qu’ils étaient chrétiens, puis l’ont nié, disant qu’ils l’avaient été, mais ne l’étaient plus, les uns depuis plusieurs années, quelques-uns même depuis plus de vingt ans (Lettres, 97, 6). La lettre datant de l’année 112[103], ces dernières apostasies semblent avoir eu pour cause la persécution de Domitien[104].

Méliton de Sardes, dans son Apologie, dit que, seuls parmi les empereurs, Néron et Domitien voulurent inquiéter la foi chrétienne[105]. — Domitien, écrit Tertullien, ce demi-Néron par la cruauté, essaya contre nous de la violence, mais comme il avait encore quelque chose d’humain, il renonça à son entreprise et rappela même ceux qu’il avait exilés[106].

L’auteur du libelle De mortibus persecutorum (attribué à Lactance) parle aussi de l’hostilité de cet empereur à l’égard du christianisme (c. III) : Quoiqu’il exerçât une injuste domination, sa tyrannie pesa fort longtemps sur ses sujets, et il régna tranquille jusqu’au jour où il leva ses mains impies contre le Seigneur. Mais après qu’il eut été poussé par les démons à persécuter les justes, il fut livré aux mains de ses ennemis et puni de ses crimes. Paul Orose[107] et Sulpice Sévère[108] mentionnent aussi cette persécution contre les chrétiens. Dans les Actes de saint Ignace, il est question des tempêtes excitées dans l’église d’Antioche par les nombreuses persécutions de Domitien[109].

On retrouve la trace de cette persécution dans un écrit chrétien qui date de la fin du premier siècle. La lettre qu’à cette époque[110] l’église de Rome adressa aux Corinthiens commence par ces mots (I, début) : Par suite des catastrophes, des malheurs soudains et répétés qui nous ont frappés, nous nous sommes occupés tardivement des questions que vous nous avez adressées. C’est là une allusion évidente à la persécution de Domitien. Dans le même écrit, on lit encore (LIX & LX) : Seigneur, sauve ceux d’entre nous qui sont dans la tribulation, réveille ceux qui ont failli, délivre nos prisonnier[111] ! Montre-toi à nous, afin que nous jouissions des bienfaits de la pais, que nous soyons protégés par ta main puissante et délivrés de toute iniquité par ton bras élevé ; sauve-nous de ceux qui nous haïssent injustement.

Parmi les victimes de la persécution de Domitien, l’Église compte saint Jean l’Évangéliste. A cette époque, il aurait été plongé, à Rome, dans une cuve d’huile bouillante[112], puis relégué à Patmos[113] ; ce serait alors qu’il aurait vu l’Apocalypse[114]. Sous Nerva, il aurait quitté son lieu d’exil et se serait rendu à Éphèse[115]. — Il ne semble pas qu’il y ait lieu de rejeter d’une manière absolue toutes les données de cette tradition. Le témoignage de saint Irénée qui, par saint Polycarpe avait pu avoir des renseignements exacts sur saint Jean, est ici d’une importance particulière. Ce fut, dit-il, à la fin du règne de Domitien que Jean vit l’Apocalypse. On sait que de nombreux savants ont cru trouver dans le texte même de l’Apocalypse la preuve que ce livre fut écrit vers le commencement de 69 après Jésus-Christ. Cette opinion a été fortement ébranlée depuis quelques années, surtout à la suite de la publication de MM. Vischer et Harnack[116], qui voient dans l’Apocalypse une œuvre juive remaniée ensuite dans le sens chrétien[117]. L’Apocalypse, sous la forme où nous la possédons aujourd’hui, pourrait dès lors être fixée à l’époque indiquée par saint Irénée, et il serait légitime d’y chercher dans les passages certainement chrétiens des allusions à la persécution de Domitien[118] :

Antipas, mon témoin fidèle, qui a été tué chez vous, à Pergame, là où habite Satan (II, 13). — J’ai vu... les âmes de ceux qui ont été décapités pour le témoignage de Jésus et pour la parole de Dieu, ceux qui n’ont pas adoré la bête, ni son image (XX, 4). — ...les âmes de ceux qui ont été tués pour la parole de Dieu et pour le témoignage qu’ils ont rendu (VI, 9). — Nos frères l’ont vaincu [le Dragon] par le sang de l’Agneau et par la parole de leur propre témoignage et ont méprisé la vie jusqu’à la mort (XII, 11). — J’ai vu la Femme ivre du sang des saints et du sang des martyrs de Jésus (XVII, 16).

D’autres allusions pourraient être cherchées à la rigueur dans le Pasteur d’Hermas[119] : legs visions d’Hermas y sont placées à l’époque où vécut saint Clément[120], c’est-à-dire vers la fin du premier siècle[121].

Ces témoignages sont pour la plupart vagues, quelques-uns même sont suspects : ils nous permettent cependant d’apprécier la nature de la persécution religieuse ordonnée par Domitien.

Le nombre des victimes fut grand : Dion Cassius et Bruttius le disent expressément, et le teste de Tertullien, qui semble indiquer que la persécution fut courte, ne prouve pas qu’elle ne fut point cruelle. — Des hommes de toute condition furent frappés : deux parents de l’empereur, le consulaire Glabrion, des riches (Dion parle de confiscations), des gens du peuple. — La persécution ne sévit pas seulement à Rome : elle s’étendit aussi en Asie, notamment dans la province d’Asie proprement dite, et en Bithynie[122].

Elle eut lien peu de temps avant la mort de Domitien : Flavius Clemens fut tué, sa femme exilée en 95 ; le martyre de Glabrion et des autres personnages auxquels Dion Cassius fait allusion doit probablement se placer à la même époque[123]. C’est aussi en 95 que Bruttius, copié par Eusèbe, place la persécution contre les chrétiens[124]. Lactance et Paul Orose disent qu’elle ne commença qu’à la fin du règne. C’est en 93 ou 94 qui est placé l’exil de saint Jean à Patmos. Le texte de Pline le Jeune, relatif aux apostasies qui eurent lieu vingt ans avant son gouvernement, semble indiquer que, dès l’année 93, des chrétiens furent inquiétés en Bithynie, mais il n’est peut-être pas nécessaire de considérer ce chiffre vingt comme rigoureusement exact.

Il semble impossible d’indiquer avec précision les moyens dont le prince se servit pour atteindre ses victimes. Suétone et Dion Cassius disent simplement qu’il mit à mort Clemens[125], expression vague à laquelle il ne faut pas attacher trop d’importance. Peut-être Domitien frappa-t-il un certain nombre de prosélytes par simple mesure de police, traitement sommaire qui fut souvent appliqué aux chrétiens[126] ; mais il est vraisemblable qu’il y eut aussi des poursuites régulières[127] intentées, soit devant la juridiction criminelle du prince, soit devant celle du Sénat[128].

D’après les textes cités plus haut, ce furent des chrétiens que la persécution atteignit : seul, Dion Cassius se sert d’une expression plus générale, a ceux qui avaient adopté les mœurs juives ; n mais des trois personnes qu’il nomme à ce sujet, Acilius Glabrion, Flavia Domitilla et Flavius Clemens, les deux premières ont été chrétiennes et Clemens a pu l’être aussi. Cependant le vague même de cette expression[129] et le fait que Nerva interdit les accusations de vie juive[130] peuvent porter à croire que ce ne furent pas les chrétiens seuls que l’on frappa. Il est possible que la persécution se soit étendue d’une manière générale à tous les prosélytes du judaïsme, chrétiens ou non. Parmi ces prosélytes, les plus fervents, les plus nombreux, étaient les chrétiens : eux surtout furent persécutés.

Peut-être les perquisitions faites pour soumettre à l’impôt du didrachme tous les circoncis ont-elles déterminé la persécution. Le pouvoir impérial put se rendre compte, mieux qu’auparavant, du nombre des anciens païens qui pratiquaient la religion juive, en en observant strictement toutes les prescriptions, en particulier la circoncision, du nombre infiniment plus grand de ceux qui, sans s’astreindre à toutes ces prescriptions, menaient la vie juive, qu’ils fussent prosélytes de la foi de Moïse ou de celle de Jésus.

Domitien qui, nous l’avons vu, ne semble pas avoir songé à détruire la religion juive, voulut du moins empêcher les progrès d’une propagande qu’il jugeait dangereuse. S’en alarma-t-il parce qu’il considérait le judaïsme et le christianisme comme des religions immorales[131] ? On sait qu’il prenait au sérieux son titre de censeur des mœurs. Regardait-il les chrétiens, en particulier, comme des magiciens malfaisants, reproche qui leur fut fait dés le premier siècle[132] ? Il ne faut pas oublier qu’il était très superstitieux et qu’à cette époque on redoutait fort la magie[133]. Fut-il entraîné à des mesures de rigueur par la haine et le mépris que la société païenne témoignait aux Juifs et aux chrétiens[134], par conséquent à leurs prosélytes ? Mais ce sont là des hypothèses qu’aucun texte ne confirme.

Ce que nous savons seulement, c’est que beaucoup de gens qui avaient adopté les mœurs juives furent frappés pour athéisme[135]. Or, rien ne nous empêche de croire que ce fut la cause et non le prétexte de la persécution. On reprochait souvent alors aux Juifs et aux chrétiens d’être athées[136], non parce qu’on était dans une ignorance complète de leur religion[137], mais parce qu’on les voyait refuser obstinément loura hommages aux dieux de l’État, dont ils niaient l’existence ou qu’ils considéraient comme des démons. Un certain nombre de prosélytes, nous l’avons vu, ne rompaient pas tout à fait avec les pratiques du paganisme, mais, évidemment, leurs nouvelles croyances ne pouvaient se concilier avec une foi sincère à la religion nationale. Il est naturel que Domitien, qui prétendait restaurer cette religion, les ait persécutés.

Hors de Rome, il y avait un dieu que l’on adorait partout : c’était l’empereur régnant. Il devait être adoré surtout sous Domitien qui, à Rome même, voulait qu’on crût à sa divinité. Or, ceux qui s’étaient convertis au judaïsme ou au christianisme ne reconnaissaient pas plus ce dieu que les autres. C’était, aux yeux de Domitien, le plus grand des crimes[138].

Le gouvernement impérial avait pu souffrir que le petit groupe des Juifs, naguère encore isolé dans ses croyances, refusât de reconnaître les dieux de l’État romain et la divinité du prince ; il ne pouvait permettre que ces sentiments de révolte se répandissent partout. Les prosélytes du judaïsme et du christianisme furent donc recherchés et punis rigoureusement comme athées[139].

S’il voulut empêcher cette impiété de s’étendre, Domitien chercha peut-être en même temps à subvenir à ses besoins financiers par des confiscations, et à se débarrasser de personnages illustres qui excitaient ses soupçons : on ne doit pas s’en étonner de la part d’un prince qui se montra si cupide et si hostile à l’aristocratie dans les dernières années de son règne.

A cette persécution, Eusèbe, citant Hégésippe, rattache le jugement des descendants de David par Domitien, jugement qu’il raconte en détail[140]. Après avoir dit que Domitien donna l’ordre de faire périr tous les descendants de David, il ajoute : Alors survivaient de la parenté du Seigneur les descendants de Jude qui, selon la chair, était frère de Jésus[141]. Ils furent dénoncés comme étant de la race de David. Un evocatus les amena devant Domitien, car ce prince craignait comme Hérode la venue du Christ. Il leur demanda s’ils descendaient de David, ce dont ils convinrent. Il s’informa ensuite de leur fortune : l’un et l’autre lui répondirent qu’à eux deux ils n’avaient qu’un bien de neuf mille deniers ; c’était la valeur d’une terre de trente-neuf plèthres, dont les revenus les nourrissaient, à condition qu’ils la cultivassent eux-mêmes. Ils montrèrent alors leurs mains calleuses, lotir peau durcie par le travail auquel ils avaient coutume de se livrer. Interrogés sur le Christ et sur sa royauté, sur le caractère de cette royauté, quand et où elle apparaîtrait, ils répondirent qu’elle n’était pas terrestre, mais céleste et divine ; qu’elle existerait à la fin des siècles, quand le Christ se montrerait dans sa gloire, juge-rait les vivants et les morts, et traiterait chacun selon ses mérites. Là-dessus, Domitien ne les condamna pas, mais, les méprisant comme de petites gens, les laissa partir libres. Ceux-ci, respectés comme des martyrs, dirigèrent les églises, la paix ayant été rétablie, et vécurent jusqu’à l’époque de Trajan. Voilà ce que dit Hégésippe[142].

Ce récit a l’air d’une légende. Eusèbe lui-même ne paraît pas bien sûr que les faits qu’il raconte, d’après Hégésippe, se soient réellement passés : il les présente en ces termes : Une vieille tradition rapporte, etc. — Cependant, ils ne sont pas tout à fait invraisemblables. Les parents de Jésus étaient réellement considérés par les chrétiens comme appartenant à la race de David : les prophètes ayant autrefois annoncé que le Messie descendrait de ce roi, et cette prédiction souvent répétée jouissant alors d’un grand crédit[143], on cherchait à rattacher Jésus à David par des généalogies, dont deux nous sont conservées dans les évangiles de saint Luc et de saint Matthieu. Il est possible que l’attention de Domitien ait été attirée sur ces personnages. Dans un pays dont la plupart des habitants attendaient leur salut d’un rejeton de David, se prétendre issu de race royale, c’était, semblait-il, menacer la paix publique[144]. Les parents de Jésus étaient d’ailleurs fort respectés d’une partie importante de la population de la Judée, des judéo-chrétiens, aux yeux desquels ils étaient, depuis la mort ou la disparition des apôtres choisis par le Christ, les seuls représentants du Maître. Peut-être les petits-fils de Jude furent-ils dénoncés par des Juifs[145] : après la prise de Jérusalem, les Juifs se montrèrent en effet de plus en plus hostiles aux chrétiens, qu’ils considéraient comme des renégats et des traîtres.

Mais, même si l’on admet que les parents de Jésus furent véritablement amenés devant Domitien et acquittés par lui, le récit d’Hégésippe prouverait : en premier lieu, qu’ils furent poursuivis, non pour leurs croyances religieuses, mais pour les ambitions politiques qu’on leur attribuait ; en second lieu, que dans cette persécution Domitien ne visait pas surtout les chrétiens de race juive, puisque les plus importants d’entre eux furent épargnés par lui, bien qu’ils eussent hautement confessé leur foi : c’étaient les prosélytes d’origine païenne qu’il prétendait frapper et effrayer[146].

La persécution dura peu.. Selon Tertullien, Domitien renonça bientôt à son entreprise contre les chrétiens et rappela môme ceux qu’il avait bannis. Eusèbe dit, d’après Hégésippe[147], qu’après avoir acquitté les parents de Christ, il rendit un édit pour faire cesser la persécution. Cependant, ce fut Nerva qui interdit les accusations contre les personnes menant la vie juive[148]. Peut-être Domitien suspendit-il les poursuites quelque temps avant sa mort : il espérait sans doute que les prosélytes du judaïsme et du christianisme, se sentant tous menacés après ces coups terribles, reviendraient à la religion nationale. Les textes de Pline et de la lettre des Romains aux Corinthiens semblent en effet indiquer que les apostasies furent nombreuses.

La persécution de Domitien a une très grande importance dans l’histoire du christianisme. Celle de Néron n’avait été qu’une crise passagère : Néron, cherchant des victimes expiatoires de l’incendie de Rome, les avait trouvées parmi les chrétiens. Ce fut sous Domitien que le pouvoir impérial manifesta pour la première fois sa volonté d’arrêter les progrès de la religion juive et du christianisme qui en était sorti. Il souffrit, comme par le passé, que les Juifs restassent attachés à leurs croyances ; mais il ne voulut pas admettre que ces croyances se répandissent librement parmi les populations du monde romain. Il vit, et avec raison, dans les nouveaux convertis, des ennemis de la religion nationale, du culte de l’empereur-dieu, culte qui était, dans une certaine mesure, le trait d’union des sujets de Rome. Il les considéra comme des impies, et désormais il sévit contre eux quand il lui plut. Domitien paraît avoir frappé aussi bien les prosélytes de la véritable religion juive que les chrétiens : ce furent les chrétiens seuls que ses successeurs eurent à poursuivre, car avec le second siècle la propagande juive s’arrêta. — Il est difficile de ne voir dans la persécution de Domitien que le caprice d’un tyran. Les historiens peuvent discuter aujourd’hui la question de savoir si le maintien de la religion romaine et du culte impérial était vraiment nécessaire à la conservation de l’empire. Il serait injuste de reprocher à Domitien de l’avoir cru, comme l’ont cru pendant deux siècles presque tous les hommes d’État romains ; ses cruautés seules sont inexcusables.

Cette persécution lui fut d’ailleurs très funeste. La condamnation de Clemens, mis à mort sur le plus léger des soupçons, souleva une vive indignation : on accusait Domitien d’avoir tué Titus, on se souvenait du meurtre de T. Flavius Sabinus et de la mort de Julie qu’il avait causée ; il fut regardé comme l’assassin de quatre de ses parents[149]. D’autre part, cette condamnation dut beaucoup diminuer le prestige des deux fils de Clemens, adoptés par l’empereur, aux yeux des partisans que la dynastie Flavienne conservait encore : ses ennemis n’hésitèrent plus à se débarrasser de lui ; ils furent désormais certains qu’aucun Flavien ne serait capable d’hériter de son pouvoir[150]. — En outre, le crime de a mœurs juives a n’étant pas toujours facile à constater, ce fut surtout en cette circonstance que Domitien dut se servir des délateurs, gens détestés et méprisés de tous. — Enfin, cette persécution ne frappa point seulement l’aristocratie ; elle fit aussi des victimes dans les rangs inférieurs de la société, où le judaïsme et le christianisme recrutaient la plupart de leurs prosélytes : le prince devint odieux à une partie du peuple[151].

 

 

 



[1] Dion Cassius, LXVI, 15 et 18. Suétone, Titus, 7.

[2] Josèphe, Guerre de Judée, II, 15, 1. Juvénal, VI, 159. Voir Derembourg, Histoire de la Palestine, p. 252 et 290, n. 3. Renan, l’Antéchrist, p. 504, n. 1. — A ces noms, il faut ajouter ceux du Juif Julius Alexander qui, étant préfet d’Égypte, reconnut le premier Vespasien, et de l’historien Josèphe qui, après la ruine de Jérusalem, vint à Rome et y fut traité avec honneur par les Flaviens.

[3] Josèphe, Guerre de Judée, VII, 6, 6 ; Dion Cassius, LXVI, 7 ; C. I. L., VI, 8694. Voir à ce sujet Mommsen, Historische Zeitschrift, t. LXIV, 1890, p. 424.

[4] Bonnische Jahrbücher, XIII, 1848, p. 35 et suiv. Cf. Darmesteter, Reliques scientifiques, I, p. 72 et suiv. Schürer (Geschichte des judischen Volkes im Zeitalter Jesu Christi, 2e édit., I, p. 541, n. 4) n’est pas de cet avis.

[5] C. I. L., III, p. 857.

[6] C. I. L., III, p. 855.

[7] C. I. L., III, p. 862, 869.

[8] Le diplôme de 84 est publié Ephem. epigr., V, p. 94 ; celui de 167, C. I. L., III, p. 888. Pour les autres, voir notes précédentes.

[9] Mommsen, Ephem. epigr., VII, p. 457.

[10] Une monnaie de 85 (Cohen, Domitien, 318) porte l’exergue : Judæa capta ; mais il est fort probable qu’elle est hybride. — Ces deux vers de Stace (Silves, V, 2, 138) :

An Solymum cinerem palmataque capta subibis

non sibi felices silvas ponentis Idumæ ?

ne doivent pas être invoqués à l’appui de l’hypothèse d’Henzen ; ils peuvent aussi bien se rapporter à la révolte juive, à laquelle Titus mit fin par la prise de Jérusalem.

[11] Domitien, 12.

[12] Loc. cit.

[13] Sur cette propagande et les progrès du judaïsme, voir Tacite, Hist., V, 5 ; Josèphe, contre Apion, II, 39 ; Juvénal, VI, 542 et suiv. ; XIV, 96 et suiv. Cf. Grätz, Geschichte der Juden, IV, p. 111 ; Renan, les Évangiles, p. 234 ; Schürer, Geschichte des judischen Volkes, 2e édit., II, p. 548 et suiv. En Judée, les docteurs s’occupaient beaucoup des prosélytes : Grätz, p. 40 et 110 ; Derembourg, Histoire de la Palestine, p. 313. A Rome, Josèphe, le favori des Flaviens, faisait alors connaître l’histoire du peuple juif dans ses Antiquités, terminées en 94 (XX, 11, 2). Dans le traité contre Apion, il essayait de justifier les Juifs des accusations répandues contre eux. — L’interdiction de la circoncision semble dater seulement de l’époque d’Hadrien (Mommsen, Römische Geschichte, V, p. 545 et 549 ; et à ce sujet Tacite, Histoires, V, 5).

[14] Suétone, Domitien, 9 : Cupiditatis quoque atque avaritiæ uix suspicionem ullam [dedit] (tant qu'il fut simple particulier, il ne fit naître le moindre soupçon de cupidité ou d'avarice).

[15] D’autres considérations portent à croire que Suétone est né vers 77 : voir Mommsen, Étude sur Pline le Jeune (traduction Morel), p. 13-14.

[16] Le vers de Martial, damnatam modo mentulam tributis, qui se trouve dans un livre d’épigrammes publié au mois de décembre 92, ne prouve pas que ce fut alors qu’un édit soumit les circoncis au didrachme. Il indique seulement, qu’à cette époque, de nombreux circoncis cherchaient à échapper au fisc judaïque et étaient condamnés à payer l’impôt lorsqu’on les découvrait.

[17] Le texte de Suétone que nous avons cité fait partie d’un chapitre dans lequel l’auteur parle en détail de la cupidité de Domitien.

[18] Les Juifs étant fort méprisés, l’obligation de payer le didrachme était presque une flétrissure publique. — D’autre part, un certain nombre de Juifs qui s’étaient convertis au christianisme se considéraient sans doute comme ayant abandonné le judaïsme, et se croyaient par conséquent dégagés de l’obligation de payer le didrachme ; ils ne voulaient pas être confondus avec leurs anciens coreligionnaires, qu’ils regardaient comme les ennemis de leur foi. On ne doit pas oublier que ce fut à cette époque qu’eut lieu la rupture complète entre le judaïsme et le christianisme. Les protestations des judéo-chrétiens contre la perception du didrachme contribuèrent peut-être à hâter cette rupture.

[19] Eckhel, VI, p. 404. Cohen, Nerva, nos 54 et suiv.

[20] Tischendorf, Acta apostolorum apocrypha, p. 266. Darmesteter (Reliques scientifiques, I, p. 76) a attiré l’attention sur ce passage.

[21] Aboda Zara, 10 b, cité par Derembourg, Histoire de la Palestine, p. 335. Cf. Grätz, IV, p. 123 ; Darmesteter, loc. cit., p. 55 et suiv.

[22] Debarim raba, chap. 11, Midrash Ialkout sur Psaume XVI13 10 ; cité d’après Derembourg, p. 334. Cf. Renan, les Évangiles, p. 308.

[23] Voir Derembourg, p. 319 et suiv., 366 et suiv.

[24] Voir Derembourg, Histoire de la Palestine, p. 295 et suiv. Renan, les Évangiles, p. 21 et suiv. Grätz, IV, premiers chapitres. Schürer, Geschichte des judischen Volkes, 2e édit., I, p. 551 et suiv.

[25] Selon une tradition juive (voir Grätz, IV, p. 119 ; Derembourg, p. 322), un empereur romain envoya deux hommes à Rabbi Gamaliel, afin de s’enquérir si les lois juives ne présentaient aucun danger pour l’État. Lorsqu’ils eurent pris connaissance des différentes parties de la doctrine, ils déclarèrent qu’ils en trouvaient toutes les prescriptions excellentes, sauf celles qui étalent inspirées par la haine contre les païens ; ainsi, il leur parut in juste que la loi ne défendit pas aussi sévèrement aux Juifs de voler les païens que leurs coreligionnaires. Cependant, ils promirent de ne pas dénoncer ces prescriptions. A la suite de cet entretien, le patriarche Gamaliel interdit avec la môme rigueur de voler les païens et les Juifs. — L'empereur dont il s'agit se serait donc inquiété des doctrines juives et aurait voulu les surveiller. Mais cet empereur peut avoir été Trajan aussi bien que Domitien : du reste, rien ne garantit l'authenticité de cette anecdote.

[26] Voir de Rossi, Bullettino di archeologia cristiana, 1865, p. 92: Renan, les Évangiles, p. 236, n. 3; Hausrath, Neutestamentliche Zeitgeschichte, II, p. 114 et suiv.; Schürer, II, p. 564 et suiv.

[27] En 64, il sut fort bien les distinguer des Juifs; il est vrai que ceux-ci l'y aidèrent peut-être (voir Aubé, Histoire des persécutions de l'Église jusqu'à la fin des Antonins, p. 73 et 101 ; Renan, l'Antéchrist, p. 1591. — Sulpice Sévère, II, 30 (peut-être d'après Tacite), fait dire à Titus, en 70 : Has superstitiones [Judærorum et Christianorum], licet contrarias sibi, isdem tamen auctoribus profectas, christianos ex Judæis extitisse.

[28] Voir Tertullien, Apologétique, 21. Le texte de Dion Cassius, que nous citerons plus loin, prouve qu'à la fin du premier siècle le christianisme n'était pas encore regardé comme une religion absolument distincte du judaïsme. Voir à ce sujet Greppo, Trois mémoires relatifs à l'histoire ecclésiastique des premiers siècles, p. 135, de Rossi, Bullettino di areheologia cristiana, 1865, p. 90 et suiv. — La pratique du judaïsme n'était licite que sous certaines conditions auxquelles tous les chrétiens ne devaient pas se soumettre, mais le pouvoir impérial pouvait fermer les yeux.

[29] Eusèbe, Histoire ecclésiastique, III, 17. Sur cette question, voir Görres, Das Christenthum enter Vespasian, Zeitschrift für wissenchaftliche Theologie, XXI, 1878, p. 292 et suiv.

[30] Voir plus loin.

[31] Bullettino di archeologia cristiana, 1888-1889, p. 15 et suiv. Cf. de Wahl, Römische Quartalschrift, IV, 1890, p. 305 et suiv.

[32] Suppléer quelque chose comme parentes fecerunt.

[33] Cette Arria Plaria Vera Priscilla (Orelli, 2228) peut cependant avoir été la femme de M’Acilius Glabrio Cn. Cornelius Severus, consul en 152.

[34] Voir de Rossi, Bull. di arch. crist., loc. cit., p. 111 et suiv., 115 et suiv.

[35] L’inscription d’Acilius Glabrio est en lettres d’une bonne époque (deuxième siècle). De plus, l’hypogée dont nous parlons présente les caractères d’une assez haute antiquité chrétienne : vaste galerie, bonne maçonnerie, pas de loculi, arcosolia pour recevoir des sarcophages. Plus tard, l’escalier fut muré et remplacé (sur le côté opposé) par un autre escalier qui mit l’hypogée en communication avec les sépultures de sainte Priscilla et de saint Crescention.

[36] Greppo, Trois mémoires relatifs à l’histoire ecclésiastique des premiers siècles, p. 190 et suiv.

[37] Domitien, 10. (Il mit à mort, comme coupable de conspiration, beaucoup de sénateurs, dont plusieurs avaient été consuls, entre autres Civica Cerealis, alors proconsul d'Asie, Salvidienus Orfitus et Acilius Glabrio, qui étaient en exil).

[38] Vie d’Apollonius, VII, 33 ; VIII, 7, p. 179 de l’édition Westermann.

[39] Voir plus loin.

[40] Civica Cerialis fut certainement mis à mort avant 93, date de la mort d’Agricola, peut-être en 87.

[41] Voir, sur cette question, Champagny, Les Antonins, t. I, p. 147 et s. ; de Rossi, Bull. di arch. crist., 1865, p. 17 et suiv. et 1875, p. 69 et suiv. ; Aubé, Histoire des persécutions de l’Église jusqu’à la fin des Antonins, p. 178 ; Renan, Les Évangiles, p. 227, n. 1 ; Hasonclever, Jahrbücher für protestantische Theologie, 1882, p. 69 et suiv., p. 230 et suiv. ; Lightfoot, S. Clement of Rom., I, p. 49 ; Art. Domitilla dans le Kirchenlexicon de Wetzer et Welte, 2e édit., III, p. 1953 et suiv.

[42] Apollonius, VIII, 25.

[43] Inst. Orat., IV, proœmium, 2.

[44] Suétone (Domitien, 15) dit qu’ils étaient fils de Clemens.

[45] Apollonius, VIII, 25.

[46] Suétone, Vespasien, 3.

[47] Le nom n’étant pas martelé, on ne peut suppléer [Domiti]ani.

[48] C. I. L., VI, 948.

[49] C. I. L., VI, 949. Nous donnons ici les restitutions de M. de Rossi (Bull. arch. crist., 1865, p. 21 et 23), quoiqu’elles soient contraires aux règles de l’épigraphie. La généalogie des Flaviens proposée par Mommsen (au Corpus, loc. cit.) est inadmissible : voir de Rossi, Bull. arch. crist., 1875, p. 70 et suiv.

[50] C. I. L., VI, 16246, et Orelli-Henzen, 5423. C’est à elle aussi, sans doute, que se rapportent les briques C. I. L., XV, 1139.

[51] P. 163, édition de la Chronologie d’Eusèbe par Schöne.

[52] P. 650, édition Dindorf. — La version arménienne d’Eusèbe a un texte fort incorrect dans ce passage. Dans l’épitomé syriaque (p. 214, édition Schöne), on lit : Flaviam Domitillam, filiam sororis Clementis consulis.

[53] Version arménienne : Brettius. Épitomé syriaque : Burtnus. Dans la Chronique pascale, il est appelé Βρούττιος (édit. Dindorf, I, p. 468).

[54] De Rossi, Bull. arch. crist., 1865, p. 24 ; 1875, p. 74.

[55] Lettres, VII, 3. — Un Bruttius Præsens fut consul pour la seconde fois en 139 : voir Klein, Fasti consulares, p. 67.

[56] Acta Sanctorum, mai, III, p. 8 F (je n’ai pas eu à ma disposition la version grecque des Actes, éditée récemment).

[57] Loc. cit., p. 9 D.

[58] Lettre 108, 7 (ad Eustochium).

[59] C’est, semble-t-il, le véritable nom de cet auteur. Dans Malalas, qui le cite (peut-être d’après Julius Africanus : voir Gelzer, Sextus Julius Africanus, I, p. 282), il est appelé Βούττιος, Βόττιος, Βώττιος (p. 34, 193, 262, édit, Dindorf).

[60] Loc. cit., p. 7 B : Domitillam, nobilissimam virginem, neptem Domitiani imperatoris.

[61] Suétone, Tibère, 53 et 54 ; Tacite, Annales, I, 53 : XIV. 63. Voir Hartmann, De exilio apud Romanos inde ab inilio bellorum civilium, p. 52-53.

[62] Le témoignage très précis de saint Jérôme doit nous décider pour Pontia, non pour Pandataria.

[63] Chronologie, p. 160, 163, 214 ; cf. Histoire ecclésiastique, III, 18. Voir aussi saint Jérôme, lettre 108, en tenant compte des observations faites plus haut.

[64] De Rossi, Bull. arch. crist., 1875, p. 40, 64, pl. V.

[65] Bull. arch. crist., loc. cit.

[66] Bull. arch. crist., 1881, p. 67 et suiv.

[67] Bull. arch. crist., 1875, p. 42 et 68.

[68] On a retrouvé dans le cimetière de sainte Domitille un fragment d’une grande Inscription que M. de Rossi serait tenté de restituer ainsi : [Sepulc]rum [Flavi]orum (Bull. arch. crist., 1874, p. 17, pl. I). Mais cette restitution n’est nullement certaine.

[69] Sur son nom, voir de Rossi, Bull. arch. crist., 1865, p. 46 ; 1879, p. 6, 9, 17, 145, 156.

[70] De Rossi, Bull, arch. crist., 1865, p. 22.

[71] Suétone, Vespasien, 1.

[72] C. I. L., VI, 16246.

[73] Une autre inscription (Orelli-Henzen, 5423) vient peut-être du même endroit (voir de Rossi, Bull. arch. crist., 1865, p. 23). M. de Rossi est porté à croire, mais à mon avis dans raison suffisante, que l’inscription C. I. L., VI, 948, a la même origine. Voir encore Actes des saints Nérée et Achillée, p. 11 E : quorum corpora in prædie Domitillæ in crypta aronaria sepelivit, via Ardeatina, a muro Urbis miliario uno et semis.

[74] Roma Sotterranea, I, p. 266.

[75] Index Cœmeteriorum e notitia regionum urbis Romæ (de Rossi, R. Sott., t. I, p. 180 : Cœmeterium Domitillæ, Nerei et Achillei ad S. Petronillam, via Ardeatina).

[76] R. Sott., I, p. 187 (et p. 60 du Supplément de M. Michel de Rossi) ; Bull. arch. crist., 1865, p. 23 et suiv. : 34 et suiv. ; 95 et suiv.

[77] R. Sott., I, p. 168 ; 187. Bull. arch. crist.,.1865, p. 34 ; 1874, p. 8.

[78] Bull. arch. crist., 1874, p. 8 et suiv. ; 1875, p. 1 et suiv. ; 1878, p. 132 et suiv. ; 1879, p. 158 et suiv.

[79] Bull. arch. crist., 1874, p. 12 et suiv., 26 et suiv., 68 et suiv. ; pl. IV et V.

[80] Bull. arch. crist., 1874, p. 9 et 10, 16 et suiv. ; 1875, p. 40 ; 1879, p. 158.

[81] Actes des saints Nérée et Achillée, p. 7 et suiv.

[82] Bull. arch. crist., 1874, p. 21 et suiv. ; 1879, p. 146 et suiv.

[83] Bull. arch. crist., 1880, p. 170 et suiv. ; 1881, p. 57 et suiv., pl. III et IV.

[84] Saint Clément, auquel une tradition fort ancienne attribue l’épître des Romains à l’église de Corinthe, saint Denys de Corinthe dans Eusèbe, Hist. ecclés., IV, 23 ; Hégésippe dans Eusèbe, IV, 22 ; cf. Pester d’Hermas, Visions, II, 4, etc.) et dont on a fait un des premiers papes (saint Irénée dans Eusèbe, V, 6 = Adversus Hæreses, III, 3, 3 ; Eusèbe, III, 15 et 21, Chronologie, p. 160 et 161, etc. : voir Duchesne, Liber Pontificalis, p. LXXI), vivait certainement à la fin du premier siècle (Eusèbe, Hist. ecclés., III, 15, 20, 34 ; Chronologie, loc. cit. ; saint Jérôme, De viris illustribus, 15 ; cf. saint Irénée, loc. cit.). Quelques textes sans autorité (Homélies pseudo-clémentines, IV, 7, où saint Clément est indiqué comme parent de Tibère ; cf. XII, 8 ; XIV, 10 ; Récognitions, VII, 8 ; IX, 35) font même de lui un personnage de la famille impériale. — Cependant il est impossible de l’identifier avec Flavius Clemens. Eusèbe (Hist. ecclés., III, 15, 16, 18, et Chronologie) les connaissait tous les deux (cf. Actes des saints Nérée et Achillée, p. 8 F). Selon Eusèbe, dans son Histoire ecclésiastique (III, 34) et saint Jérôme (loc. cit. ; voir aussi la relation du martyre de saint Clément dans Funk, opera patrum apostolicorum, II, p. 41 et suiv.), l’évêque de Rome mourut, non sous Domitien, mais sous Trajan. Enfin, si saint Clément avait été mis à mort lors de la persécution de Domitien, il est fort probable que les auteurs ecclésiastiques du deuxième et du troisième siècles parleraient du martyre d’un personnage aussi important. Or ce fut seulement au quatrième siècle que semble s’être établie la tradition qui fit de lui un martyr de la foi chrétienne (Duchesne, Liber Pontificalis, p. 123, n. 9). — Sur cette question, très discutée, voir en particulier : Funk, T. Flavius Clemens Christ, nicht Bischof, dans la Theologische Quartsischrift, LXI, 1879, p. 531 et suiv. ; Lightfoot, S. Clement of Rome, I, p. 52 et suiv.

[85] P. 650, édition Dindorf : αύτός τε Κλήμης ύπέρ Χριστοΰ άναιρεϊται.

[86] Voir Greppo, loc. cit., p. 144 et suiv. ; Allard, Hist. des persécutions de l’Église pendant les deux premiers siècles, p. XXV et suiv., 92 et suiv.

[87] L’indolence de Clemens ne fut peut-être qu’une feinte pour ne pas porter ombrage à Domitien : l’empereur, on s’en souvient, avait fait mettre à mort son frère Sabinus. Peut-être était-ce aussi un défaut naturel qu’il tenait de son père. Tacite (Hist., III, 75) dit en effet du frère aîné de Vespasien : in fine vitæ alii segnem [eum] credidere (sur la fin de sa vie on le crut pusillanime) (cf. II, 63. III, 59 et 65). On a supposé, il est vrai, que Flavius Sabinus inclina lui aussi vers le christianisme : préfet de la ville en 64 (Borghesi, Œuvres, IX, p. 264 et suiv.), lors de la première persécution, il fut alors chargé de faire saisir, et sans doute aussi de juger un grand nombre de chrétiens. C’est là une hypothèse bien hardie qui ne paraît guère admissible.

[88] Surtout d’après un passage où il est question d’un certain Onkelos, fils de Cleonimos, fils lui-même d’une sœur de Titus ; cet Onkelos aurait voulu se convertir au judaïsme.

[89] Je n’entre pas ici dans le détail de cette question, pour laquelle toute compétence me manque. Voir, d’un coté, Grätz, Geschichte der Juden, IV, p. 435 et suiv. ; de l’autre, Darmesteter, Reliques scientifiques, I, p. 59-60.

[90] Voir Le Blant, Les persécuteurs et les martyrs aux premiers siècles de notre ère, p. 21 et suiv. — M’Acilius Glabrio Cn. Cornelius Saverne, et Arria Plaria Vera Priscilla, dont il a été parlé plus haut, étaient l’un pontife à Rome (C. I. L., XIV, 4237), l’autre flaminique à Pisaurum (Orelli, 2228).

[91] Quintilien, Inst. Orat., III, 7, 21.

[92] Voir, sur cette persécution, Aubé, Histoire des persécutions de l’Église jusqu’à la fin des Antonins, p. 130 et suiv. ; Renan, Les Évangiles, p. 286 et suiv. ; Allard, Histoire des persécutions pendant les deux premiers siècles, p. 96 et suiv. ; de Rossi, Bull. di arch. crist., 1888-1889, p. 49 et suiv. ; Neumann, Der römische Staat und die aligemeine Kirche bis af Diokletian, I, p. 7 et suiv.

[93] Domitien, 15. Cf. Philostrate, Apollonius, VIII, 25.

[94] Klein, Fasti consulares, p. 51.

[95] Imhof (Domitianus, p. 116, n. 4) s’appuie sur un passage de Suétone pour placer la mort de Clemens en janvier 96. Après avoir raconté cette mort, l’historien ajoute : Quo maxime facto maturavit sibi exitium. Continuis octo mensibus tot fulgura facta nuntiataque sent, ut... (Cet acte contribua surtout à hâter sa fin. Durant huit mois consécutifs, on entendit et on annonça tant de coups de tonnerre). Il y aurait donc eu, selon Imhof, huit mois d’intervalle entre le meurtre de Clemens et celui de Domitien, de janvier à septembre 96. Mais, dans cette hypothèse, on ne pourrait concilier les textes de Suétone et de Dion Cassius (l’assertion de Dion s’explique par le fait que Clemens ayant été consul ordinaire, par conséquent éponyme, il figura comme consul sur les monuments publics ou privés de toute l’année 95). De plus, nous savons par Dion que Flavia Domitilla fut condamnée en même temps que lui : or elle le fut dans la quinzième année du règne de Domitien, dans celle où Clemens fut consul (Eusèbe, Hist. ecclés., III, 18), et très probablement dans les trois derniers mois de cette année. Eusèbe (Chronologie, p. 163), d’après la version de saint Jérôme, place sa condamnation en 2112 (= 1er octobre 98 - 30 septembre 96). Il ne faut donc pas chercher un lien d’idées dans les deux phrases consécutives de Suétone, qui supprime volontiers les transitions. Quant à ces huit mois remplis de présages, ils s’écoulèrent depuis le commencement de l’année qui devait être fatale à Domitien jusqu’au jour de sa mort.

[96] Il n’est pas impossible que saints Nérée et Achillée, qui furent plus tard ensevelis dans l’ancien domaine de Domitille, aient été ses serviteurs, et l’aient accompagné à Pontia comme le racontent leurs Actes (p. 9).

[97] Tillemont, Mémoires pour servir à l’histoire ecclésiastique, p. II, 127.

[98] Saint Jérôme, lettre 108, 7. Selon la passion des saints Nérée et Achillée (p. 12 A), qui ne mérite aucune confiance, elle aurait été martyrisée à Terracine. — Philostrate (Apollonius, VIII, 25) prétend que, trois ou quatre jours après la mort de Clemens, Domitien força Domitille à se remarier (c’est, semble-t-il, le sens de l’expression obscure : ές άνδρός φοιτάν) ; rien ne confirme cette assertion.

[99] Suétone, Domitien, 10.

[100] Dion Cassius, LXVII, 14. Cf. Juvénal, IV, 99 et suiv. ; Lettres de Fronton et de Marc-Aurèle, V, 23.

[101] Hist. ecclés., III, 17 et 18.

[102] X, p. 262, édition Dindorf. Faut-il supposer avec Lipsius (Chronologie der römischen Bischëfe, p. 157) que Malalas confond le Pont avec l’île de Pontia, et ne fait, par conséquent, que reproduire avec des inexactitudes du texte cité par Eusèbe ? Il est difficile de le dire.

[103] Voir Mommsen, Étude sur Pline, p. 30.

[104] Pline dit dans la même lettre (1) : cognitionibus de christianis interfui numquam (je n'ai jamais assisté aux informations contre les chrétiens). Par ces mots, il fait évidemment allusion à des affaires jugées de son temps, auxquelles il aurait pu assister si l’occasion s’en était présentée pour lui. Il ne peut donc être question, dans ce passage, de la persécution de Néron, car, en 64, Pline n’avait que trois ans (voir Mommsen, l. c., p. 51). Comme sous Vespasien, Titus et Nerva, il n’y eut pas de persécution, ces procès eurent lieu soit sous Domitien, soit sous Trajan. — La seconde hypothèse est, je crois, admissible ; quoique Trajan ne fasse pas mention de ces procès dans sa réponse. Mais cette réponse est fort courte et ne contient que les instructions indispensables à Pline.

[105] Cité par Eusèbe, Hist. Ecclés., IV, 26.

[106] Apologétique, 5 : Temptaverat et Domitianus, portio Neronis de crudelitate ; sed qua et homo facile cœptum repressit, restitutis etiam quos relegaverat.

[107] Histoires, VII, 10.

[108] Chronique, II, 31.

[109] Dom Ruinart, Acta sincera, p. 8 (édition d’Amsterdam, 1713) : [Ignatius] procellas vix mitigans multarum sub Domitiano persecutionum. Les martyres de divers saints, saint André, saint Denys l’Aréopagite, saint Onésime, saint Timothée, saint Marc d’Atina ont été placés sous Domitien, mais sans aucun fondement historique : voir Tillemont, Mémoires pour servir à l’histoire ecclésiastique, I, p. 539 ; II, p. 118, 119, 122 et suiv., 524.

[110] Sur la date de cette lettre, voir les éditions de Gebhart-Harnack, p. LIV et suiv. ; d’Hidgenfeld, p. XXXVII et suiv. ; de Funk (opera patrum apostolicorum), p. XXI et suiv.

[111] Il s’agit ici des chrétiens de basse condition détenus dans les carrières et dans les mines.

[112] Tertullien, De præscriptione hæreticorum, 36 (il n’indique pas la date). Cf. saint Jérôme, Adversus Jovinianum, I, 26 (d’après Tertullien) et Comment. in evang. Matth., III, 20.

[113] Tertullien, loc. cit. : in insulam relegatur (il ne nomme pas Patmos). Eusèbe, Hist. ecclés., III, 18 ; Chronologie, p. 169 (année 2199 =1er octobre 92 - 30 septembre 93, d’après la version arménienne), p. 163 (année 2110, d’après saint Jérôme). Saint Jérôme, Adv. Jovinianum, I, 26 ; Comment. in evang. Matth., III, 20 ; De viris illustribus, 9.

[114] Saint Irénée, dans Eusèbe, Hist. ecclés., III, 18 (= Adversus Hæreses, V, 30). Eusèbe (Chronologie, d’après Irénée). Saint Jérôme, Adv. Jovin., l. c. ; De viris, l. c., etc.

[115] Clément d’Alexandrie, Quia dives salvetur. 42. Eusèbe, Hist. ecclés., III, 20 ; Chronologie, p. 162 et 163. Saint Jérôme, De viris, loc. cit.

[116] Die Offenbarung Johannis, eine judische Apokalypse in christlicher Bearbeitung, dans les Texte und Untersuchungen zur Geschichte der altchristlichen Literatur de Gebhart et Harnack (t. II, cahier 3, 1886). Cette publication en a fait naître un très grand nombre d’autres, qu’il est inutile d’énumérer ici (voir le Theologischer Jahresbericht de Lipsius, à partir de 1886).

[117] La théorie nouvelle n’a du reste pas convaincu tout le monde. Voir en particulier Hilgenfeld, Zeitschrift für wissenschaftliche Theologie, XXXIII, 1890, p. 385 et suiv.

[118] Déjà cités par Neumann, Der römische Staat, I, p. 12.

[119] Visions, 11, 2,7. (cf. II, 3, 4 ; IV, 2, 4). Mais ces indices sont, bien légers.

[120] Visions, II, 4, 3.

[121] On pourrait aussi voir une vague allusion à la persécution dans la lettre attribuée à saint Barnabé (II, 1), qui semble avoir été écrite vers la fin du premier siècle. — Quant à l’épître aux Hébreux, les arguments invoqués pour la placer à cette époque paraissent bien fragiles ; il est donc très peu vraisemblable que certains passages de cette lettre (X, 32-34 ; XII, 4 ; XIII, 7) puissent être rapportés à la persécution de Domitien. — Renan (les Évangiles, p. 302 et suiv.) incline à croire que Josèphe fut mis à mort pendant cette persécution. Mais l’historien juif vivait encore en 100, date de la mort d’Agrippa II (Vita, 65 ; Photius, Bibliothèque, 33). Domitien se montra, au contraire, favorable à Josèphe (Vita, 76).

[122] Cf. aussi Orose VII, 10 : datis ubique crudelissimæ persecutionis edictis. Mais l’autorité d’Orose n’est pas très forte.

[123] Dion Cassius, qui sait l’ordre chronologique, d’une manière peu rigoureuse il est vrai, la mentionne en même temps que la condamnation de Clemens et de sa femme. Ce qui est sûr, c’est qu’Acilius Glabrion fut consul en 91 ; son exil et sa mort se placent donc dans les dernières années du règne de Domitien.

[124] Dans la quinzième année du règne, dans celle où Clemens fut consul, dit Eusèbe d’après des historiens païens (Hist. ecclés., III, 18). — En 2112 (1er octobre 95 - 30 septembre 96), selon la Chronologie d’Eusèbe, traduction de saint Jérôme ; la version arménienne donne 2110, par erreur. La Chronique pascale (p. 468, édition Dindorf) donne l’année 94 ; mais elle contient des erreurs pour les fastes de la fin du règne.

[125] Suétone, Domitien, 15 : interemit. Dion Cassius, LXVII, 14 : xατέσφαξεν.

[126] Voir Mommsen, Historische Zeitschrift, LXIV, 1890, p. 398 et suiv.

[127] Après avoir dit que Domitien mit à mort Clemens, mari de Domitille, Dion Cassius (loc. cit.) ajoute : έπενέχθη δέ άμφοϊν έγxλημα άθεότητος όρ’ ής xαί άλλοι ές τά τών Ίουδαίων έθη έξοxέλλοντες πολλοί xατεδιxάσθησαν. Il dit qu’Acilius Glabrion fut accusé du même crime : xατηγορηθέντα. Enfin, il rapporte (LXVIII, 1) que Nerva défendit les accusations de mœurs juives : ... οΰτ’ Ίουδαιxοϋ Βίον xαταιτιάσθαί συνεχώρησα.

[128] Nous avons fait observer plus haut que Domitien semble avoir préféré laisser au Sénat la responsabilité des procès criminels intentés à des personnages importants.

[129] Pour la persécution de Néron, qui ne frappa pourtant que d’humbles gens et non des membres de la famille impériale, Tacite (Annales, XV, 44) et Suétone (Néron, 16) indiquent expressément qu’elle fut dirigée contre les chrétiens. — Il est vrai que Dion Cassius semble avoir affecté dans son histoire d’éviter de prononcer le nom de chrétiens (excepté livre LXXII, 4).

[130] Ajoutons que si l’on admet que la persécution de Domitien a atteint aussi des prosélytes du judaïsme, on peut sans trop d’invraisemblance voir un très vague souvenir de cette persécution dans les textes hébreux cités plue haut.

[131] C’était l’opinion de beaucoup de ses contemporains. Voir Tacite, Annales, XV, 44 ; Hist., V, 5. Cf. Renan, Les Évangiles, p. 403.

[132] Voir à ce sujet Le Blant, Les persécutions et les martyrs au premier siècle de notre ère, p. 60 et suiv., 73 et suiv. Cuq, Mélanges de l’Ecole française de Rome, VI, 1886. p. 115 et suiv. Derembourg, Histoire de la Palestine, p. 360, 362. Renan, Les Évangiles, p. 64 et suiv., 534. Grätz, Geschichte der Juden, III, p. 250 ; IV, p. 88.

[133] Dion Cassius (LXVII, 11) raconte que, vers l’époque de la révolte d’Antonius, certaines gens piquèrent avec des aiguilles empoisonnées ceux qu’il leur plaisait, et que beaucoup mouraient sans le sentir des suites de ces blessures. On devait imputer à des enchanteurs ces crimes, qui furent commis non seulement à Rome, mais pour ainsi dire dans tout l’univers. — Alors vivait le fameux Apollonius de Tyane, qui fut peut-être réellement accusé devant l’empereur à cause de sa réputation de magicien (voir Philostrate, Apollonius, livres VII et VIII) : il l’aurait été à la fin du règne de Domitien, peu après l’expulsion, des philosophes (Philostrate, VII, 10).

[134] Pour les Juifs, voir Quintilien, Inst. orat., III, 7, 21 ; Tacite, Hist., V, 5 : Josèphe, contre Apion, livre II, et Guerre de Judée, II, 18, 1 et 8 ; II, 20, 2, etc. ; Friedlænder, Sittengeschichte, III, 6e édit., p. 625 et suiv. ; Renan, Les Apôtres, p. 288 et suiv. — Pour les chrétiens, Tacite, Annales, XV, 44 ; Suétone, Néron, 56 ; Pline le Jeune, Lettres à Trajan, 96 ; Eusèbe, Hist. ecclésiastique, III, 32.

[135] Le mot άθεότης veut dire athéisme, et n’est pas synonyme d’άσέβεια, lèse-majesté. Voir Allard, Hist. des persécutions, p. 104, n. 1 ; Neumann, Der römische Staat, p. 16, n. 4.

[136] Pour les chrétiens, voir les textes cités par Greppo, loc. cit., p. 133, et Allard, Hist. des persécutions, p. 104. — Pour les Juifs : Pline, Hist. Nat., XIII, 46 : Judaca, gens contumelia numinum insignis ; Tacite, Hist., V, 5 : Transgressi in morem eorum [Judæorum] idem usurpant ; nec quidquam prius imbuuntur, quam contemnere deos (Leurs prosélytes la pratiquent comme eux, et les premiers principes qu'on leur inculque sont le mépris des dieux). Cf. V, 13 : [Judæa gens] relligionibus adverse (cette nation, aussi ennemie de tout culte religieux). M. Allard a donc tort de dire (p. 105) que jamais les Juifs ne furent accusés d’athéisme.

[137] Cependant il ne faut pas oublier que les Juifs n’avaient pas d’images de leur Dieu, et qu’aux premiers temps de l’Église chrétienne, les statues n’étaient guère admises dans le culte. Voir Minucius Felix, Octavius, 10 et 32. Dans un discours prononcé à cotte époque, Dion Chrysostome (Discours XII) insiste sur l’utilité des images des dieux dans les temples.

[138] M. Neumann (Der römische Staal, p. 9 et suiv.) me semble insister avec raison sur ce point.

[139] Il ne semble pas qu’ils aient été punis alors comme coupables de lèse-majesté, crime qu’on reprocha souvent plus tard aux chrétiens (voir Mommsen, Historische Zeitschrift, LXIV, 1890, p. 395 et suiv.), car, dit Dion Cassius, Nerva défendit, après la mort de Domitien, qu’on accusât personne soit de lèse-majesté, soit de vie juive (LXVIII, 1 : οϋτ’ άσεβείας, οϋτ’ Ίουδαιxοϋ Βίον xαταιτιάσθαί τινας συνεχώρησε) : on voit qu’il s’agit de deux chefs d’accusation différents.

[140] Eusèbe, Hist. ecclés., III, 19 et 20.

[141] Ils vivaient au delà du Jourdain, en Batanée : voir Renan, Les Évangiles, p. 58 et suiv.

[142] Cf. Chronologie d’Eusèbe, p. 160 et 163. Eusèbe place cet événement dans la même année que le martyre de Domitilla. — La Chronique pascale (I, p. 408) indique l’année 93 par erreur.

[143] Voir Derembourg, Hist. de la Palestine, p. 348 et suiv. ; Vernes, Histoire des idées messianiques, p. 271 et suiv.

[144] Observons de plus, qu’aux yeux des Flaviens, Vespasien avait accompli les prophéties annonçant que le maître du monde sortirait un jour de la Judée (Suétone, Vespasien, 4 et 5 ; Tacite, Hist., V, 13 ; Josèphe, Guerre de Judée, III, 8, 9 ; IV. 10, 7 ; VI, 5, 4 ; Dion Cassius, LXVI, 1 ; Zonaras, XI, 16, p. 490). Avant Domitien, Vespasien avait fait rechercher les descendants de David (Eusèbe, Hist. ecclés., III, 12).

[145] Eusèbe (III, 19) dit : par des hérétiques, mais c’est une addition sans valeur au texte d’Hégésippe.

[146] Cela n’exclut du reste pas l’hypothèse qu’un certain nombre de Juifs aient été frappés dans cette persécution, mais comme coupables de propagande religieuse en faveur du judaïsme ou du christianisme. Ils ne furent pas punis à cause de leurs croyances personnelles, mais à cause des conversions qu’ils faisaient parmi les païens.

[147] Hist. ecclés., III, 20.

[148] Dion Cassius, LXVIII, 1.

[149] Voir Pline, Panég., 48.

[150] Aussi Suétone (Domitien, 15) dit-il en parlant de la condamnation de Clemens : quo maxime facto maturavit sibi exitium (cet acte contribua surtout à hâter sa fin).

[151] Peut-être Juvénal (IV, 153) fait-il allusion aux craintes que la persécution causa à beaucoup de gens du peuple :

Sed periit postquem œrdonibus esse timendus

cœperat...

(Un jour enfin il périt, ce fut quand il commença d’inspirer de la crainte aux savetiers...)

Mais ce n’est là qu’une supposition fort contestable.