ESSAI SUR LE RÈGNE DE L’EMPEREUR DOMITIEN

 

CHAPITRE VII. — HOSTILITÉ DE L’ARISTOCRATIE CONTRE DOMITIEN. PREMIERS COMPLOTS. RÉVOLTE D’ANTONIUS SATURNINUS.

 

 

Nous avons vu que tout en portant de graves atteintes au système politique inauguré par Auguste, Domitien n’osa pas fonder et organiser définitivement la monarchie ; il voulut ménager l’aristocratie, qui possédait alors une grande force morale. Il ne s’en attira pas moins, par ses tendances autoritaires, l’hostilité des sénateurs, mal disposés pour lui dès le début de son règne. Les honneurs extraordinaires, les noms de maître et dieu qu’il se faisait donner durent surtout leur déplaire. Ils se seraient peut-être résignés à voir Domitien devenir monarque en fait, mais qu’il en reçut le nom c’était une humiliation trop grande pour le Sénat, représentant de la souveraineté du peuple. Domitien n’avait même pas l’excuse de la gloire militaire : il n’était pas homme de guerre, et ses généraux, nous l’avons montré, essuyèrent plus de défaites qu’ils ne remportèrent de victoires. — Ceux que l’empereur introduisit dans le Sénat durent prendre, en y entrant, les sentiments de cette corporation, forte du respect qu’elle inspirait dans tout l’empire.

Ce n’était pas seulement la politique, mais aussi la personne du prince que l’aristocratie ne pouvait supporter. Domitien ne savait pas, comme Titus, inspirer la sympathie. — Son visage, qui dans sa jeunesse était régulier et avenant, avait pris, avec l’âge, une expression malveillante. Ses sourcils froncés, son front plissé, ses lèvres dédaigneuses, sa voix rude, la rougeur même dont sa figure était couverte[1] gênaient ceux qui s’approchaient de lui. Son abord, dit Pline le Jeune (Panég., 48), son aspect étaient terribles : l’orgueil sur le front, la colère dans les yeux, une pâleur de femme sur le corps, l’impudence dissimulée par une vive rougeur sur le visage. Parmi les rares portraits de Domitien qui nous sont parvenue, un surtout nous le montre avec cette physionomie farouche et méprisante dont nous parlent ses contemporains : c’est une tête adaptée à une statue du Bracchio Nuovo au Vatican[2].

On l’accusait de lâcheté et de mollesse[3] : marchant difficilement par suite d’infirmités[4], il se faisait porter en litière, même à la guerre[5] ; il n’aimait d’ailleurs pas les armes[6]. Beaucoup de Romains devaient déplorer cette indifférence de leur empereur pour les exercices militaires.

On s’indignait surtout des débauches qui souillaient le palais impérial. Domitien avait, nous l’avons dit, enlevé Domitia à L. Ælius Lamia Plautius Ælianus ; mais elle ne fut pas plus fidèle à son second mari qu’ail premier, et devint l’amante du fameux pantomime Paris. L’empereur ayant appris cette liaison, fit tuer en pleine rue le danseur et songea à mettre sa femme à mort ; mais, sur le conseil de Flavius Ursus, un de ses parents peut-être, il se contenta de la répudier. Cependant il l’aimait encore, car il feignit de céder aux prières du peuple et se réconcilia avec elle[7]. — De son côté, Domitien avait pour maîtresse Julie, fille de Titus, femme de T. Flavius Sabinus, et il ne s’en cachait pas[8]. Mais de peur d’un trop grand scandale, il ne voulut pas avoir d’enfants de sa nièce : il la fit plusieurs fois avorter[9], ce qui causa sa mort[10], survenue avant l’année 90[11]. Elle reçut les honneurs de la consécration[12], et Martial implora sa protection divine en faveur d’un enfant de Domitien qui allait naître[13]. — Domitien eut bien d’autres maîtresses, prises parfois parmi les filles publiques de la plus basse condition. Il qualifiait cyniquement ses rapports avec les femmes de xλινοπάλη[14]. Comme son frère, Nerva, Trajan, Hadrien, etc., il se livrait au vice grec[15]. Parmi ses nombreux favoris[16], on connaît un eunuque du nom de Flavius Earinus, son affranchi[17]. Un jour, il prit fantaisie à ce personnage de faire porter dans sa ville natale sa chevelure pour qu’elle fût consacrée à Asclépios, et afin que tout le monde le sût, il commanda des vers à Stace, à Martial[18], sans doute à d’autres. Ces poètes lui adressèrent les plus basses flatteries et célébrèrent l’amour de l’empereur pour lui : il semblait indifférent à Domitien de laisser étaler ses débauches aux yeux de tous[19]. — Une telle conduite était peu séante à l’homme qui se donnait des airs de censeur rigide et de restaurateur des mœurs antiques, qui punissait sévèrement l’adultère et interdisait la castration[20].

On lui reprochait son caractère froid et misanthropique. L’idée qu’il se faisait du pouvoir impérial l’amenait à éviter une trop grande familiarité avec ses sujets, mais c’était autant par Orgueil que par politique qu’il se montrait glacial, dédaigneux dans ses réceptions[21] et dans les dîners qu’il offrait[22]. Il ne savait rien accorder de bonne grâce[23]. Absolu et irascible, il ne souffrait pas la contradiction et n’admettait pas qu’on protestât contre ses actes on même contre ses goûts. Il faillit mettre à mort Flavius Ursus, parce que ce personnage avait désapprouvé sa conduite en diverses circonstances[24]. Un élève du pantomime Paris rappelait son maître par sa beauté et son talent : il le fit tuer, quoique cet enfant souffrît alors d’une grave maladie[25]. Il condamna aussi à mort tous ceux qui avaient apporté des fleurs et des parfums au lieu où Paris avait péri[26]. Dans l’amphithéâtre, un père de famille se permit un jour de dire qu’un Thrace valait un Mirmillon, mais non pas celui qui donnait les jeux, il le fit arracher du milieu des spectateurs et déchirer par les chiens dans l’arène, avec cet écriteau : Porteur de petit bouclier, puni pour avoir blasphémé[27]. Il allait jusqu’à s’offenser des plaisanteries faites contre les gens chauves, il y voyait des allusions blessantes à sa calvitie[28].

Quoiqu’il se fût montré d’abord doux et généreux, il avait un caractère cruel dont la perversité se révéla et se développa peu à peu[29]. Méprisant les hommes, il se souciait peu de leur vie. Un jour qu’il donnait un splendide combat naval sur la rive droite du Tibre, un orage accompagné d’une pluie torrentielle éclata. L’empereur cependant ne quitta point sa place et ne permit pas aux spectateurs de sortir, ni de changer de vêtements, bien que lui-même en prît d’autres. Un grand nombre d’entre eux tombèrent malades et moururent[30]. Il se divertissait des souffrances de ceux qu’il n’aimait pas. Dion Cassius raconte[31], sur un ton beaucoup trop tragique, il est vrai, une plaisanterie sinistre qu’il lit à plusieurs sénateurs et chevaliers. Pendant toute une nuit, ces malheureux ; invités à dîner par lui, crurent qu’ils assistaient aux apprêts de leur supplice.

Cette mauvaise grâce, cet orgueil, ces emportements d’un esprit autoritaire, ces traits de méchanceté blessaient et irritaient profondément l’aristocratie. Pline le Jeune pensait à Domitien quand il disait de Trajan (Panég., 3) : Il n’y a pas à craindre que quand je parlerai d’affabilité, il croie que je lui reproche l’orgueil ; quand je parlerai d’économie, le luge ; de clémence, la cruauté ; de libéralité, l’avarice ; de bienveillance, la jalousie ; de bonnes mœurs, la débauche ; d’ardeur au travail, la paresse ; de courage, la lâcheté. L’aristocratie n’oubliait pas que le prince qui traitait ses sujets de cette manière était le fils d’une femme qui pendant longtemps n’avait même pas été citoyenne romaine[32], l’arrière petit-fils d’un humble bourgeois de Réate[33]. Elle pensait que Domitien avait, moins que tout autre empereur, le droit de montrer tant de morgue, lui qu’on s’était accoutumé à dédaigner dans sa jeunesse, et que beaucoup regardaient comme indigne du rang suprême qu’il occupait. Elle comparait sa conduite avec celle de Vespasien et de Titus[34], qui avaient été simples dans leur vie, bienveillants pour tous, facilement accessibles, et avaient traité les principaux citoyens de Rome presque comme leurs égaux[35]. On lui reprochait l’animosité avec laquelle il attaquait la mémoire de son frère. Il n’était pas jusqu’à ses justes sévérités qui ne déplussent à beaucoup de nobles ; car les magistrats et les gouverneurs concussionnaires, les Vestales coupables qu’il punissait, appartenaient au premier ordre de l’État.

Telles furent les causes de l’hostilité que l’aristocratie témoigna à cet empereur.

A Rome, le Sénat ne lui fit, il est vrai, aucune opposition. Toute résistance aurait été brisée par la garde prétorienne, dévouée à l’empereur. Le peuple se serait sans doute abstenu de prendre parti. Incapable de protester contre la politique de Domitien, cette assemblée la servit ; elle lui décerna les titres, les magistratures qui modifièrent le caractère du principat ; plus tard, elle condamna docilement les victimes qui lui furent désignées. Quant aux sénateurs en particulier, ils flattèrent le prince par prudence et par intérêt[36]. Les plus mécontents eux-mêmes n’osèrent pas en général élever la voix ; ils savaient que leurs collègues ne les soutiendraient pas ; ils se souvenaient du sort d’Helvidius Priscus qui, sans aucun profit pour sa cause, avait payé de sa vie des paroles offensantes prononcées contre Vespasien, empereur si modéré pourtant[37]. Ils acceptaient les charges, les fonctions que Domitien leur confiait ; ils les exerçaient de manière à ne pas éveiller les soupçons d’un prince jaloux de son autorité[38] ; ils subissaient sans protester les disgrâces ; ils se rendaient avec empressement à ses audiences[39]. Après son retour de Bretagne, Agricola fut tenu à l’écart. Lors de son arrivée à Rome, Domitien le reçut d’une manière assez malveillante et ne lui adressa même pas la parole ; il ne lui donna point la légation de Syrie qu’il lui avait fait espérer[40] ; il l’obligea, quelque temps après, à renoncer au tirage au sort des proconsulats d’Asie et d’Afrique, et, contre l’usage suivi en pareil cas, il ne lui offrit pas l’indemnité à laquelle les proconsuls avaient droit[41]. Des dangers très graves menacèrent alors l’empire sur le Danube ; cependant Domitien n’eut point recours à l’expérience de cet excellent général. Agricola se résigna ; il évita de faire parler de lui et de trop se montrer en public[42] ; lors du tirage au sort des provinces sénatoriales, il déclara lui-même à l’empereur, en des termes fort humbles, qu’il ne voulait pas être proconsul[43]. Cette conduite lui permit de mourir de mort naturelle, en 93[44]. Tacite[45] oppose la prudence et la modération de son beau-père à cette insolence et à cette vaine ostentation de liberté qui provoquent la renommée et bravent la mort. Que les admirateurs de l’esprit de révolte apprennent que, même sous de mauvais princes, il peut y avoir de grands hommes, et que l’obéissance et la modération, si le talent et la fermeté les accompagnent, mènent à la même gloire que ces morts éclatantes cherchées dans les précipices, sans utilité pour la république. — Les téméraires dont parle ici Tacite furent rares sous Domitien ; encore attaquèrent-ils non le prince, mais ses favoris[46]. La plus grande marque de courage que l’on donnât alors était de s’abstenir de paraître aux séances du Sénat, pour ne pas ratifier des décisions qu’on désapprouvait, et de renoncer à la carrière des honneurs, pour ne pas être obligé de servir un gouvernement détesté. Bien peu l’osèrent. Nous avons donné, dit Tacite (Agricola, 2), un grand exemple de patience, et si nos aïeux connurent quelquefois l’extrême liberté, nous avons connu l’extrême servitude.

L’opposition, sous Domitien, eut deux formes. Parmi ses ennemis, les uns piut6t mécontents que factieux, plutôt discoureurs qu’hommes d’action, se bornèrent à des protestations discrètes faites devant des amis, ou, lorsqu’ils les rendaient publiques, anonymes et fort déguisées[47]. — Dans les entretiens privés, on faisait l’éloge de Titus[48], on maudissait le tyran, on le tournait en ridicule, on appelait de ses vœux le bienheureux jour où il disparaîtrait[49]. Les femmes mêmes, qui prenaient part à ces réunions, mêlaient leurs plaintes et leurs souhaits à ceux des hommes politiques[50]. — Selon une coutume fort répandue sous l’empire[51], on faisait des pamphlets et des épigrammes qui circulaient dans Rome. Le prince ordonnait-il d’extirper les plants de vigne ? on répétait deux vers grecs bien connus et l’on faisait dire par l’arbuste au bouc, c’est-à-dire à l’empereur : Tu auras beau me manger jusqu’à la racine, bouc, cependant, je porterai des fruits, et mon vin servira à faire des libations sur ton corps quand on te sacrifiera[52]. Le bruit ayant couru qu’une corneille, entendue sur le Capitole, avait dit : έσται πάντα xαλώς (Tout sera pour le mieux), on répandit ces vers :

Nuper Tarpeio quæ sedit culmine cornix,

est bene non potuit dicere ; dixit : Erit[53].

Dans des ouvrages d’histoire, dans des exercices d’éloquence, on faisait des allusions offensantes pour le pouvoir. Sous prétexte de raconter la vie des grands hommes, victimes du régime impérial, on critiquait le temps présent[54]. Entre autres lieux communs déclamatoires, les rhéteurs avaient conservé l’habitude d’exalter la liberté et de maudire les tyrans[55] ; ceux qui étaient hostiles au gouvernement précisaient leurs anathèmes[56]. Mais c’étaient surtout les pièces de théâtre, lues dans les salles de récitations, qui donnaient matière à des attaques indirectes. On mettait en scène des personnages célèbres et on leur faisait débiter des discours remplis de maximes et d’allusions que les auditeurs, amis et invités du poète, accueillaient par des applaudissements et des murmures[57]. On choisissait dans la mythologie ou l’histoire ancienne des sujets de pièces qui rappelaient des événements contemporains : ainsi Helvidius Priscus le Jeune écrivit un mime sur le divorce de Pâris et d’Œnone ; le public comprenait qu’en réalité il s’agissait de Domitien et de Domitia[58].

Cette opposition mondaine et littéraire ne menaçait pas beaucoup la sécurité du prince ; elle était surtout tracassière et irrespectueuse. Ceux qui la faisaient voulaient taquiner le pouvoir et soulager leur haine ; ils hésitaient d’ordinaire à passer des paroles et des écrits aux actes.

D’autres allaient plus loin dans leur hostilité contre Domitien ; ils songeaient à se débarrasser de lui. Ils ne devaient point ignorer que les Italiens et les provinciaux ne détestaient pas cet empereur et que l’armée l’aimait, mais ils voyaient que, tout en travaillant à détruire la dyarchie, Domitien n’établissait pas la monarchie sur une base solide ; que la gloire militaire, qu’il avait cherchée pour justifier sa politique et s’attacher l’armée, lui échappait, et surtout qu’il n’y avait prés de lui personne qui fût capable de recueillir son héritage et de compter sur les mêmes appuis que lui. Depuis 70, trois Flaviens avaient successivement exercé le pouvoir suprême. Beaucoup de gens s’étaient accoutumés à la domination de cette famille, et si Domitien avait eu un fils, celui-ci aurait sans doute trouvé de nombreux partisans après le meurtre de son père. Riais son fils, nous l’avons vu, mourut fort jeune. Le premier prince du sang était, au début du règne, T. Flavius Sabinus, biais Domitien et lui se haïssaient. L’empereur ne lui pardonnait peut-être pas la faveur dont il avait joui sous Titus ; Sabinus, de son côté, avait été outragé par Domitien dans son honneur conjugal. On pouvait donc espérer qu’une réaction aurait lieu si Sabinus succédait au second fils de Vespasien. Quant à Flavius Clemens, frère cadet de ce personnage et mari d’une nièce de l’empereur, il était sans doute jeune en 81 ; il ne fut consul pour la première fois que quatorze ans après, en 95[59] ; c’était, d’ailleurs, un homme sans talent, dédaigné à cause de son incapacité[60]. Ses deux fils, qui étaient probablement encore en bas âge en 96, furent adoptés par Domitien vers la fin de son règne, mais ils n’eurent pas le prestige dont aurait joui un propre fils de l’empereur. Plus tard, les princes consolidèrent leur pouvoir en s’associant des hommes faits qui n’appartenaient pas à leur famille ; mais Domitien n’y songea pas ; il voulait que l’empire restât, comme un bien héréditaire, dans la famille Flavienne. Il semblait donc qu’un coup de poignard ferait définitivement disparaître ce gouvernement, détesté de l’aristocratie.

Des conspirations furent formées ; nous en ignorons l’histoire. Dans la réaction qui suivit la mort de Domitien, on se souvint de ses crimes, mais non pas des attaques qu’on avait dirigées contre lui. Domitien y faisait allusion quand il prétendait que la condition des princes était bien malheureuse, car on ne voulait croire aux complots tramés contre eux que le jour où ils périssaient[61]. — Les empereurs, disait-il encore, qui ne punissent pas beaucoup de coupables ne sont pas vertueux, mais heureux[62]. — Dès l’année 83, il y eut peut-être une première conspiration[63]. Une autre fut découverte en 87[64]. Il n’est pas invraisemblable que T. Flavius Sabinus ait été complice d’une de ces deux entreprises ; des mécontents purent lui offrir l’empire : ç’eût été un moyen de se défaire de la tyrannie présente sans renverser la dynastie Flavienne.

Domitien, dont le caractère était peu généreux et qui, depuis longtemps, craignait do périr assassiné, punit ces complots d’une manière terrible. En 83, selon Eusèbe[65], il relégua et fit périr beaucoup de nobles. A la suite du complot de 87, il y eut sans doute de nouvelles condamnations. C’est peut-être à cet événement qu’il faut rapporter ce que dit Dion Cassius[66] : Domitien fit mettre à mort un grand nombre de personnages importants, faisant juger les uns par le Sénat et accusant les autres en leur absence. Il semble qu’il y ait dans ces derniers mots une allusion au meurtre de C. Vettulenus Civica Cerialis que Domitien fit tuer pendant son proconsulat d’Asie[67].

T. Flavius Sabinus fut aussi mis à mort, à une date inconnue[68], parce que, dit Suétone, le jour des comices consulaires, le héraut, au lieu de le proclamer consul en présence du peuple, l’avait qualifié d’Imperator par inadvertance[69]. Domitien dut être fort aise de se débarrasser d’un prétendant possible et du mari de sa maîtresse.

Ces supplices n’étouffèrent pas l’opposition. Une grande révolte éclata[70] à la fin de l’année 88. Cette date peut, en effet, titre fixée avec précision. Dans la onzième épigramme du livre IV, Martial prédit la défaite du rebelle, mais ne la célèbre pas. On peut donc en conclure que la guerre, qui fut très courte, était commencée, mais non terminée lors de la publication de ce livre, qui eut lieu, en tout cas, après le 24 octobre 88[71], et probablement au mois de décembre de cette aimée[72]. Il est permis de croire que, le 24 octobre, la révolte n’avait pas encore éclaté, car ce jour-là Martial, fêtant l’anniversaire de l’empereur, écrivait :

......... alma dies ..................

longs, precor, Pylioque veni numerosior ævo,

semper et hoc vultu vol meliore nite.

ce qui semble prouver qu’aucun danger ne menaçait alors l’empereur. Antonius Saturninus n’a même dit se révolter que vers la fin de novembre. Nous savons par Plutarque[73] que Domitien reçut la nouvelle à Rome et en partit précipitamment. Or il s’y trouvait encore, autant qu’il semble, au commencement de décembre. Martial dit que pendant un spectacle de l’amphithéâtre, auquel l’empereur assistait, il tomba de la neige[74] : il s’agit probablement d’une des représentations données par les questeurs au mois de décembre ; Suétone (Domitien, 4) nous apprend que Domitien y assistait toujours. — Bergk[75] a parfaitement montré que des vœux et sacrifices extraordinaires faits par les Arvales en janvier 89 se rapportent à la révolte d’Antonius. Au 12 janvier, nous y lisons[76] : in Capitolio, ex s(enatus) c(onsulto) pro salute et vict[oria et reditu] Imp(eratoris) .. [fratres Arvales vota] nuneupaverunt. — Au 17 : in Capitolio, ob vota adsuscipienda e[x ed]iclo co(n)s(ulum) et ex s(enatus) c(onsulto), pro salute et redit[u e]t victoria Imp(eratoris ... — Au 24 : in Capitotio, sænatus (sic) turæ (sic) et vino sup[plicavit]. — Au 25 : in Capitolio, ob lætitiava publicam, in tem[plo Jovis O(ptimi) M(aximi) fratres Arvales] Jov[i] O(ptimo) M(aximo) bovem marem immollarunt. — Au 29 : in Capitolio, ad vota solvenda et nuneupanda pro salute et re[ditu] Imp(eratoris).. fratres Arvales convener[unt], Jovi, Junoni, Minervæ, Saluti, Fortunæ, Victoriæ Reduci, [Genio po]puli Romani voverunt. — La guerre dont il s’agit dans ces Actes a eu lieu en hiver, elle a nécessité le départ de l’empereur et causé une fort vive émotion à Rome ; elle s’est terminée par une victoire son. daine à la suite de laquelle on ne fit plus de vœux que pour le retour de Domitien. Ces indications concordent bien avec ce que les auteurs nous apprennent sur la révolte. — Enfin, on peut remarquer que l’épigramme 84 du livre IX de Martial fut faite six ans au plus après la révolte[77]. Or ce livre fut certainement édité en 94[78], et les pièces de vers qu’il contient ne sont pas antérieures aux derniers mois de l’année 93[79]. — Ainsi nous devons placer le commencement de la révolte vers la fin de novembre 88. Antonins Saturninus fut vaincu et tué au commencement de janvier[80].

Cette guerre s’appelle, dans les auteurs, bellum civile[81]. Dans les inscriptions, on trouve le terme bellum Germanicum[82], qui désigne à la fois la révolte d`Antonius et la guerre contre les Cattes, ses alliés.

En entraînant une partie des légionnaires, les ennemis de Domitien voulurent le faire renverser par ceux qui avaient été jusque-là les meilleurs soutiens de la dynastie Flavienne, et s’assurer l’appui d’une force armée suffisante pour réprimer les troubles qui pouvaient suivre la mort du tyran. — L. Antonius Saturninus[83], légat de la Germanie Supérieure à cette époque[84], était un personnage assez méprisé, de mauvaises mœurs, et sans scrupules[85]. De grande naissance[86], il devait partager la haine que la noblesse ressentait contre Domitien, qui d’ailleurs l’avait offensé en lui reprochant ses débauches[87]. Il commandait une armée. composée de quatre légions (la XIIII Gemina, la XXI Rapax, la VIII Augusta, la XI Claudia) et d’environ dix mille hommes de troupes auxiliaires. Le parti aristocratique, où il avait certainement des complices, vit en lui un instrument pour renverser l’empereur. Domitien disparu, on aurait pu se débarrasser sans peine de cet homme.

Antonins choisit le moment où des préparatifs se faisaient pour recommencer la guerre contre les Daces et pour venger Cornelius Fuscus : une partie des légions que Domitien aurait pu lui opposer en d’autres temps était alors retenue sur le Danube. Il n’hésita pas à s’allier avec des Germains, sans aucun doute avec les Cattes[88] : c’était donner à ces barbares une nouvelle occasion de piller l’empire. Pour s’assurer l’appui de la XIV Gemina et de la XXI Rapax, les deux légions de Mayence, où il résidait[89], il s’empara des sommes déposées par les soldats dans les caisses d’épargne militaires[90]. Peut-être sut-il aussi tirer parti du mécontentement qu’avaient dû causer aux soldats les travaux fatigants du limes Germanicus, exécutés les années précédentes. Il se fit alors proclamer empereur[91].

Domitien montra une grande énergie. Dés qu’il reçut la nouvelle de la révolte, il partit de Rome avec la garde prétorienne[92].

Trajan, alors légat de légion[93], reçut l’ordre d’amener d’Espagne en toute hâte les deux légions qui y séjournaient[94], la VII Gemina et peut-être la I Adjutrix[95]. Ce pays, où la dynastie Flavienne était très populaire[96], pouvait être laissé sans armée. Quelques troupes furent peut-être même appelées du Danube[97]. — Cependant Rome était en émoi, les bruits les plus contradictoires y couraient ; un jour, on annonça la mort d’Antonins et la destruction de toute son armée : cette fausse nouvelle se répandit si bien que beaucoup de magistrats offrirent des sacrifices[98]. Comme Domitien était encore le maître, le Sénat et les consuls ordonnaient des vœux solennels pour son salut, son retour et sa victoire. Martial prédisait à Antonius qu’il serait vaincu (IV, 11) : Trop fier d’un vain nom [celui d’Antonius], malheureux, tu as honte d’être Saturninus, et tu as provoqué une guerre impie dans les pays situés sous la constellation de l’Ourse, comme jadis celui qui prit les armes pour l’Égyptienne. As-tu donc oublié le destin de ce nom qu’ensevelit à jamais la colère terrible des flots d’Actium ? Le Rhin t’a-il promis ce que lui a refusé le Nil ? et le fleuve du Nord pourrait-il davantage ? Souviens-toi que cet Antoine est tombé sous nos armes, lui qui, comparé à toi, perfide, était un César !

Quoique l’exemple des troupes de Mayence n’eût pas été imité par les autres légions de l’empire, tout le monde prévoyait une grande guerre[99]. Mais la révolte fut brusquement terminée par L. Norbanus Appius Maximus[100]. — Les suppositions les plus diverses ont été émises sur la fonction que ce personnage remplissait alors. Bergk[101] l’a regardé comme un procurateur de Rhétie, à cause de ce vers que lui adresse Martial (IX, 84, 5) :

Me tibi Vindelicis Rætus narrabat in oris.

Mais c’est une erreur, car plusieurs autres textes prouvent que Norbanus était de rang sénatorial. — Renier[102] en a fait un légat d’Aquitaine ; M. Asbach[103], un légat de Lyonnaise, à cause des briques de la VIII Augusta portant son nom qui ont été trouvées à Néris[104], en Aquitaine, et de celles qui ont été trouvées à Mirebeau[105], que M. Asbach place en Lyonnaise[106]. Mais ces briques indiquent simplement que la VIII Augusta, dont le camp était à Argentoratum, en Germanie Supérieure, avait alors des détachements sur plusieurs points de la Gaule[107]. Si Appius y est nommé, nous verrons que c’est peut-être parce qu’il commanda l’armée de Germanie Supérieure. — M. Pichlmayr[108] croit que Norbanus était légat de la légion qui était campée à Vindonissa. Rien ne permet, à mon avis, d’accepter cette hypothèse. — M. Mommsen[109] voit en lui un légat de Pannonie. Selon ce savant, qui s’appuie sur Martial, il vint par la Vindélicie et la Rhétie pour combattre Antonius. Mais les vers du poète (IV, 85) peuvent s’interpréter autrement :

Cum tua sacrilegos contra, Norbane, furores

staret pro domino Cæsare sancta fides,

hæc ego Pieria ludebam tutus in umbra,

ille tuæ cultor notus amicitiæ.

Me tibi Vindelicis Rætus narrabat in oris,

nescia nec nostri nominis Arctos erat...

Omne tibi nostrum quod bis trieteride juncta

Ante dabat lector, nunc dabit auctor opus[110].

Ces vers indiquent que, pendant l’espace des sis années précédentes, Norbanus vainquit Antonius et qu’il alla sur les bords du Danube, en Rhétie et en Vindélicie. Mais rien ne prouve, comme le fait remarquer M. Asbach[111] que ces deux actions aient été contemporaines. On peut admettre, par exemple, que Norbanus, qui acquit une grande réputation militaire par suite da sa victoire sur Antonins, reçut ensuite un grand commandement militaire sur le Danube, soit en 89, lors de la seconde expédition de Domitien sur le Danube (Rome eut alors à combattre les Marcomans), soit en 92, lors de la guerre suévo-sarmatique. Il est vrai qu’une inscription[112] nous apprend qu’un soldat qui appartenait sans doute alors à la légion XV Apollinaris combattit dans la guerre contre Antonins et les Cattes. Cela laisse supposer que quelques troupes furent appelées de Pannonie. Mais le moment n’était pas propice, alors que le Danube était très menacé par les Barbares, pour faire venir en Germanie le légat de Pannonie avec toutes ses troupes. — MM. Roulez[113] et Pfitzner[114] ont vu en lui un gouverneur de la Germanie Inférieure, mais ils ne s’appuyaient pas sur des arguments bien solides. La preuve me semble avoir été donnée par M. Ritterling[115]. Il a montré que les légions de l’armée de Germanie Inférieure et quelques autres corps de cette armée ont reçu alors les surnoms de Pia Fidelis. La VI Victris, qui n’avait pas ces surnoms sous Néron[116], et la X Gemina, qui ne les avait pas sous Vespasien[117], les portent sur des inscriptions peu postérieures à l’année 100[118]. La I Minervia, créée par Domitien, les portait en 112[119]. La XXII Primigenia, qui ne les avait pas en 86[120], les portait également en 112[121]. La classis Germanica les portait peu après l’année 100[122]. On lit aussi sur des inscriptions de la fin du premier siècle ou du commencement du second les surnoms de Pia Fidelis, appliqués à des troupes auxiliaires de la Germanie Inférieure : à l’ala Indiana[123], à une cohorte de Lucences[124], à une cohorte d’Astures[125]. — Or, il est très probable que ce fut leur conduite lors de la révolte d’Antonius qui valut cet honneur aux corps de troupes qui viennent d’être mentionnés, de même que les légions de Dalmatie (la septième et la onzième) reçurent les surnoms de Pia Fidelis sous Claude, en récompense de leur résistance à la révolte de Furius Camillus Scribonianus. Il n’y out pas à cette époque d’autres faits d’armes importants auxquels ait pu prendre part l’armée de Germanie Inférieure : sous Nerva, Vestricius Spurinna, légat de la province, fit une promenade militaire chez les Bructères, il n’eut pas à combattre. — Après ces mots P(ia) F(idelis) on trouve quelquefois la lettre D[126], que M. Ritterling[127] explique avec assez de vraisemblance par D(omitiana). Le surnom dont il s’agit ne fut naturellement porté que du vivant de Domitien, puisque la mémoire de cet empereur fut condamnée. Il aurait été donné, comme les surnoms de Pia Fidelis, aux troupes de Germanie Inférieure à la suite de leur victoire sur Antonius. D’après ces observations, il y a lieu de supposer que L. Norbanus Appius Maximus, qualifié de confector belli Germanici, commandait ces troupes, qu’il était légat de Germanie Inférieure[128].

Du reste, il peut avoir reçu alors de Domitien un grand commandement qui s’étendait sur les deux Germanies, avec autorité militaire dans toute la Gaule. Ainsi s’expliqueraient les briques de la VIII Augusta, trouvées à Néris et à Mirebeau, qui portent son nom[129].

Norbanus marcha contre les rebelles, les rencontra sur les bords du Rhin[130] et les vainquit contre toute attente[131]. Les Germains qui devaient soutenir Antonins furent empêchés à l’heure même du combat de passer le Rhin sur la glace, par suite d’un dégel subit[132]. L’usurpateur fut tué dans cette bataille[133]. A cette nouvelle, qui se répandit avec une rapidité surprenante[134], le Sénat et les collèges religieux offrirent de grands sacrifices[135] ; des présages heureux furent inventés après coup ; on raconta que, le jour même de la bataille, un grand aigle avait entouré de ses ailes la statue de l’empereur, en poussant des cris de joie[136].

Il ne restait plus qu’à punir les complices et les alliés d’Antonius.

Après qu’on eut reçu la nouvelle de la victoire de Norbanus, on crut peut-être à Rome que l’empereur reviendrait aussitôt. On fit des vieux, non plus pour sa victoire, mais seulement pour son retour[137]. Cependant Domitien continua sa marche vers le Rhin[138]. Il alla sans doute à Mayence, où il fit de terribles exécutions. Ceux qui avaient montré le plus d’empressement à reconnaître le rebelle furent mis à mort avec d’horribles raffinements de cruauté[139]. Selon Dieu Cassius, le nombre des victimes fut si grand que Domitien défendit de les mentionner dans les Actes, et qu’il n’écrivit rien au Sénat sur les exécutions ordonnées, bien qu’il eût envoyé à Rome les têtes des suppliciés, comme celle d’Antonius, et qu’il les eût fait exposer sur le Forum[140]. — La répression était terrible ; mais il ne faut pas oublier que la révolte avait éclaté au moment oui de grands dangers menaçaient l’empire du côté du Danube et qu’elle avait été appuyée par les ennemis de Rome, les Caties. Ces rigueurs n’atteignaient donc que des traîtres. D’un autre côté, Domitien, qui s’appuyait sur l’armée, qui avait fait tant d’efforts pour se la concilier, dut être indigné de cette sédition militaire ; il la punit comme un acte d’ingratitude. Il fut décidé que plusieurs légions ne prendraient plus désormais leurs quartiers d’hiver dans le même camp[141], circonstance qui avait beaucoup favorisé la révolte. D’autre part, Domitien défendit qu’à l’avenir chaque soldat déposât dans les caisses d’épargne légionnaires plus de mille écus[142]. On sait l’usage qu’Antonius avait fait des sommes gardées dans ces caisses.

Bergk[143] a supposé que la XXl Rapax fut supprimée alors à cause de sa participation à la révolte. Cela est peu vraisemblable[144] ; deux légions, la XXI Rapax et la XIV Gemina, étaient également coupables ; pourquoi Domitien n’en aurait-il frappé qu’une ? — Il y a cependant tout lieu de croire que l’empereur fit quitter Mayence à ces deux légions. Elles ne pouvaient rester en face des barbares qui avaient été leurs associés dans la révolte. En tout cas, l’une des deux quitta certainement ce lieu, puisque, comme nous venons de le voir, il n’y eut plus désormais de camp de deux légions. Elles furent peut-être envoyées l’une et l’autre sur le Danube. Nous avons vu qu’il y a des raisons de croire que la XXI Rapax fut détruite par les Sarmates en 92. Quant à la XIV Gemina, elle était en Pannonie sous Trajan, et rien n’empêche d’admettre qu’elle y ait été envoyée par Domitien[145]. Elles semblent avoir été remplacées à Mayence par la XXII Primigenia, qui appartenait à l’armée de Germanie Inférieure et qui ne pouvait rester à Noviomagus, camp de deux légions. Elle était certainement dans la province Supérieure en 97, et même si, dans deux inscriptions, l’une de Mayence[146], l’autre du Wurtemberg[147], où on lit : leg. XXII PFD, la sigle D signifie Domitiana, comme le suppose M. Ritterling (p. 79), ce serait une preuve qu’elle s’y trouvait dés l’époque de Domitien.

Il n’y a, je crois, aucune raison pour penser que les deux autres légions de Germanie Supérieure, la VIII Augusta et la XI Claudia, qui ne nous sont nulle part indiquées comme rebelles, aient été alors éloignées de cette province.

Quant aux Cattes, ils furent punis de leur participation à la révolte. Nous avons vu qu’à la fin de 89, Domitien triompha d’eux en même temps que des Daces.

L’empereur frappa durement les personnages de l’aristocratie qu’il soupçonna d’avoir été les complices d’Antonius. Malgré les veaux et les sacrifices officiels ordonnés par le Sénat avant et après la victoire, Domitien avait, au cours de toute cette révolte, éprouvé la sourde hostilité de ceux mômes qui le servaient. Lucianus Proculus, sénateur âgé qui vivait la plupart du temps à la campagne, était parti avec l’empereur pour ne pas sembler l’abandonner au moment du danger, ce qui aurait pu lui attirer une condamnation à mort. Mais lorsque la nouvelle de la défaite d’Antonius fut arrivée, il s’écria : Tu as vaincu, prince, comme je le désirais ; rends-moi donc à mes champs. Quittant alors l’empereur, il s’en alla dans ses terres, et bien qu’ayant vécu longtemps encore, il ne revint jamais auprès de lui dans la suite. — Quant à Norbanus, il aurait brillé tous les papiers trouvés dans les cassettes d’Antonins, aimant mieux risquer sa vie que de permettre qu’ils servissent à des accusations[148]. Mais cette anecdote, rapportée par Dion Cassius, pourrait bien être une légende. Le môme acte de courage est attribué par lui à Martius Verus, général qui vécut sous Marc-Aurèle (LXXI, 29).

Cela n’empêcha pas l’empereur de punir de la mort ou de l’exil un certain nombre de sénateurs, accusés de complicité avec Antonius ; mais nous n’avons aucun détail sur ces condamnations[149].

L’échec d’Antonins et les représailles sanglantes de Domitien exaspérèrent la noblesse. Dès lors, elle ne songea plus qu’à faire disparaître le tyran. Elle renonça à le renverser par une révolte militaire, car les derniers événements avaient prouvé la fidélité de la plus grande partie des troupes pour Domitien[150] ; mais elle forma sans cesse des conspirations. Quant au prince, cette épreuve augmenta sa méfiance et aigrit son caractère. Il montra dès lors une cruauté atroce et raffinée[151]. Connaissant la puissance de ses ennemis, il voulut frapper des coups terribles pour les abattre ; voyant partout des assassins et des traîtres, trompé par des flatteurs qui voulaient se concilier sa faveur ou écarter d’eux ses soupçons en lui désignant de prétendus coupables[152], il fit d’innombrables victimes. Il tua sans regret, sans pitié, se croyant en état de légitime défense. Entre le prince et les sénateurs, il y eut désormais une haine implacable[153]. Cette lutte acharnée dura longtemps, car pendant plusieurs années, toutes les conspirations échouèrent ; d’autre part, les rigueurs de Domitien, loin d’étouffer l’opposition, lui donnèrent plus de force. Chaque condamnation capitale fut suivie de nouveaux complots, dans lesquels entrèrent les parents, les amis, les protégés des victimes, par désir de vengeance ou par crainte d’are punis comme complices.

 

 

 



[1] Tacite, Agricola, 45. Philostrate, Vie d’Apollonius de Tyane, VII, 28.

[2] Bernoulli, Römische IKonographie, II, 2e partie, p. 55, n° 1 et pl. XIX.

[3] Dion Cassius, LXVII, 6 ; Tacite, Agricola, 40 ; Pline, Panég., 14 ; Tertullien, De pallio, 4. Cf. Suétone, Domitien, 19 : Laboris impatiens.

[4] Suétone (Domitien, 18) dit qu’il avait les doigts des pieds trop courts, et que ses jambes, par suite d’une longue maladie, maigrirent beaucoup. — De plus, Domitien pensait sans doute que sa dignité ne lui permettait pas de se mêler trop à ses sujets.

[5] Suétone, Domitien, 19. Pline, Panég., 24.

[6] Suétone, loc. cit. Il n’avait de goût que pour l’arc qu’il maniait avec une grande habileté. — Cf. Pline, Panég., 82.

[7] Dion Cassius, LXVII, 3. Zonaras, XI, 19, p. 499. Suétone, Domitien, 3 et 13 ; cf. Titus, 10 (allusion aux débauches de Domicia). Scolies de Juvénal, VI, 87.

[8] Suétone, Domitien, 22. Dion Cassius, LXVII, 3. Zonaras, loc. cit. Pline, Lettres, IV, 11, 6 ; Panég., 52 : incesti principis ; cf. 63. Scoliaste de Juvénal, II, 29 : Philostrate (Apollonius, VII, 7) raconte même que Domitien avait épousé Julie après avoir fait tuer Sabinus, et qu’Apollonius vit les Éphésiens fêter par des sacrifices le mariage de l’empereur. Ce récit est naturellement sans valeur. — Malgré ces relations incestueuses, connues de tous, Julie fit frapper des monnaies portant au revers l’image de la pudique Vesta (Cohen, I, p. 467, n° 15 et suiv.).

[9] Juvénal, II, 32.

[10] Suétone, loc. cit. Pline, Lettres, IV, 11, 6.

[11] Julie était certainement morte le 3 janvier 90, car ce jour-là les frères Arvales firent des vœux pour Domitien et Domitia seulement, non pour elle (C. I. L., VI, 2067), tandis que le 3 janvier 87 son nom figure dans les actes de ce collège (C. I. L., VI, 2065). Cotte observation est confirmée par deux pièces de vers de Martial, oh le poète parle de Julie comme d’une morte et qu’il a publiées dans le livre VI de ses épigrammes (3 et 13), édité dans l’été ou dans l’automne de 90 (Friedlænder, édition de Martial, préface, p. 57 ; le livre V fut édité aux saturnales de 89, voir plus haut, p. 199). Il semblerait que, lorsque Stace écrivit sa Silve sur la statue équestre de Domitien, très peu de temps après les deux triomphes de la fin de l’année 89, Julie ne fût pas encore morte, ou du moins ne fût pas encore consacrée. Stobbe (Philologue, XXVI, 1867, p. 57) a fait en effet remarquer que dans l’énumération des Divi de la famille impériale, le poète ne la mentionne pas (vers 94 et suiv.) :

Hue et sub nocte silenci

cum superis terrena placent, tua turba relicto

labetur cælo, misœbitque oscula iuxta.

Ibit in amplexus natus, fraterque paterque

et soror.

Il est, je crois, arbitraire de prétendre (Kerckhoff, Duæ quæstiones papinianæ, p. 7 et suiv.) que le mot soror désigne Julie, nièce de l’empereur : il s’agit de la propre sœur de Domitien, Flavia Domitilla. — Il faudrait donc conclure du silence de Stace que Julie mourut dans les derniers jours de 89. Cependant cette conclusion ne peut être adoptée sans réserves. D’après les circonstances de la mort de dulie, il semblerait que Domitien ait été à Rome quand cet événement survint. D’autre part, Julie étant morte enceinte des œuvres de son oncle, Domitien se trouvait auprès d’elle plusieurs mois avant sa mort. Or depuis la fin de l’année 88 on le début de 89 jusqu’à l’automne, l’empereur visita les bords du Rhin et du Danube (voir le chapitre précédent), et il est assez peu vraisemblable que Julie l’ait accompagné ou rejoint. Il faudrait donc placer la mort de Julie avant 89, et pour expliquer le silence de Stace, supposer que Julie n’obtint les honneurs de la consécration que plusieurs mois après sa mort, à la fin de 89 ou au début de 90.

[12] Cohen, I, p. 465 et suiv. C. I. L., IX, 1153. Martial, IX, 1, 6 :

Dum voce supplex, dumque ture placabit

matrona Divæ dulce Juliæ nomen...

[13] Martial, VI, 3.

[14] Suétone, Domitien, 22. Voir aussi Pline, Panég., 20, 49, 63. Martial, XI, 7. Dion Cassius, LXVII, 1 et 6. Zonaras, XI, 19, p. 501. Suidas, sub verbe Δομετιανός (cf. Cedrenus, p. 429, édit. Bekker).

[15] Dion Cassius, LXVII, 6. Il ne faut pas s’arrêter à l’anecdote racontée par Philostrate, Apollonius, VII, 42.

[16] Stace, Silves, III, 4, 56. Martial, IX, 36, 9.

[17] Dion Cassius, LXVII, 2.

[18] Stace, Silves, III, 4. Martial, IX, 11, 12, 13, 16, 17, 36.

[19] On blâmait aussi le goût immodéré de Domitien pour le jeu de dés (Suétone, Domitien, 21 ; Pline, Panég., 82 ; Ælius Aristide, Lettre sur Smyrne ; I, p. 765, édit. Dindorf). — C’était cependant une passion fort répandue à cette époque. Voir Juvénal, VIII, 10 ; IX, 176 ; XIV, 4.

[20] Pline, Lettres, IV, 11, 6. Juvénal, II, 29 et suiv.

[21] Pline, Panég., 24, 47, 48.

[22] Pline, Panég., 49. Cf. Suétone, Domitien, 21.

[23] Pline, Panég., 91 ; cf. 71.

[24] Dion Cassius, LXVII, 34.

[25] Suétone, Domitien, 10.

[26] Dion Cassius, LXVII, 3.

[27] Suétone, Domitien, 10. Cf. Pline le Jeune, Panég., 33. On sait que Domitien protégeait les gladiateurs porteurs de grands boucliers.

[28] Suétone, Domitien, 18. Cependant Martial se moque souvent des gens chauves (II, 41, 10 ; III, 93, 2 ; V, 49 ; VI, 57 ; VI, 74, 2). — Il est très douteux qu’une tête colossale de Mantoue (Bernoulli, Römische Ikonographie, II, 2e partie, p. 56, n° 10), représentant un homme chauve, soit un portrait de Domitien.

[29] Suétone, Domitien, 10 : Neque in elementiæ, neque in abstinentiæ tenore permansit ; et tamen aliquanto celerius ad sævitiam descivit, quam ad cupiditatem (Il ne persévéra ni dans son désintéressement, ni dans sa clémence. Toutefois il se laissa entraîner un peu plus vite à la barbarie qu'à la cupidité).

[30] Dion Cassius, LXVII, 8. Suétone, Domitien, 4, se contente de dire : inter maximos ambres perspectavit (Il ne quitta point le spectacle, malgré la pluie qui tombait à torrents).

[31] Dion Cassius, LXVII, 9. Nous ne rapportons pas son récit, qui est connu de tout le monde.

[32] Suétone, Vespasien, 3.

[33] Suétone, Vespasien, 1.

[34] Dion Cassius, LXVII, 2.

[35] Suétone, Vespasien, 12, 13, 21, 22 ; Titus, 7, 8. Dion Cassius, LXVI, 10, 11.

[36] Pline, Panég., 2 : Voces [adulationes] illæ quasi metus exprimebat (rejetons bien loin ces expressions que la tyrannie arrachait à la crainte). Cf. Panég., 72.

[37] Suétone, Vespasien, 15. Dion Cassius, LXVI, 12.

[38] Pline, Panég., 18, 93 ; Lettres, VIII, 14, 7.

[39] Pline, Panég., 48.

[40] Tacite, Agricola, 40.

[41] Agricola, 42.

[42] Agricola, 40.

[43] Agricola, 42.

[44] Tacite rapporte qu’un bruit accrédité attribua la mort d’Agricola au poison (chap. 43 ; Dion Cassius, LXVI, 20, est plus affirmatif). Cependant il ne se prononce pas ; s’il avait eu des raisons sérieuses pour croire que cette accusation était vraie, il l’aurait certainement accueillie.

[45] Agricola, 42. Cf. Annales, IV, 20, où une idée analogue est exprimée.

[46] Voir au chapitre IX la conduite Herennius Senecio.

[47] Voir à ce sujet Boissier, Opposition sous les Césars, p. 73 et suiv.

[48] Dion Cassius, LXVII, 2.

[49] Pline le Jeune, Lettres, I, 12.

[50] Voir chapitre IX.

[51] Dion Cassius, LXVI, 11. Cf. Tacite, Annales, 1, 72 ; Suétone, Auguste, 55 ; Othon, 3 ; Dion Cassius, LVII, 22.

[52] Suétone, Domitien, 14.

[53] Suétone, Domitien, 23.

La corneille a crié sur le mont Tarpéien

Non pas que tout est bien, mais que tout ira bien

[54] Voir, chapitres IX et XI, ce qui est dit de Junius Rusticus, d’Helvidius Priscus, d’Hermogéne de Tarse.

[55] Juvénal, VII, 151. Tacite, Dialogue des orateurs, 35.

[56] Voir plus loin, au chapitre XI, pour le rhéteur Maternus.

[57] Sous Vespasien, Curiatius Maternus avait lu des tragédies sur Caton, sur Domitius, etc. (Tacite, Dialogue, 2, 3, 11). Tacite (2 ; cf. 10) dit a propos du Caton, que Maternus avait blessé les puissances, car il s’était oublié lui-même pour ne songer qu’à son héros. Les auteurs des pièces de ce genre négligeaient plutôt leur héros, pour n’exprimer que leurs propres idées.

[58] Suétone, Domitien, 10.

[59] Klein, Fasti consulares, p. 51.

[60] Suétone, Domitien, 15. Voir chapitre X.

[61] Suétone, Domitien, 20. Cf. Gallicanus, Vie d’Avidius Cassius, 2.

[62] Dion Cassius, LXVII, 2.

[63] Eusèbe, Chronologie, p. 160 et 161 : Plurimos senatorum Domitianus in exilium mittit, à l’année 2099 (1er octobre 82 - 30 septembre 83) ; ce qui laisse peut-être supposer une conspiration qui se serait formée pendant l’absence de Domitien, alors occupé à combattre les Cattes sur le Rhin.

[64] C. I. L., VI, 2065, au 22 septembre, sacrifice des Arvales : in Ca[p]itolio, ob detecta scelera nefariorum.

[65] Dion Cassius (LXVII, 3) dit qu’avant de mettre à mort les trois Vestales (en 82 ou en 83), Domitien fit, sous divers prétextes, périr beaucoup de citoyens nobles.

[66] LXVII, 4 (entre le récit de la guerre contre les Cattes et celui des guerres du Danube).

[67] Suétone, Domitien, 10. Tacite, Agricola, 42. Civica Cerialis avait été tué depuis peu quand Agricola fut appelé à tirer au sort les proconsulats d’Asie et d’Afrique. Or Agricola avait été consul en 77. Si l’on place le meurtre de Civica à la fin de 87, on doit en conclure qu’Agricola aurait été proconsul onze ou douze ans après son consulat, ce qui concorde assez bien avec ce que nous savons de l’intervalle qui séparait ces deux magistratures à la fin du premier siècle (voir Waddington, Fastes des provinces asiatiques, p. 12 et 13 ; Marquardt, Staatsverwaltung, I, 2e édit., p. 546).

[68] En tout cas, un certain temps avant la mort de Julie (voir Suétone, Domitien, 22 ; Pline, Lettres, IV, 11, 6 ; Philostrate, Apollonius, VII, 7).

[69] Suétone, Domitien, 10. — Sabinus fut consul pour la première fois le 1er janvier 82. Ce fut donc à une époque ultérieure qu il fut désigné à un second consulat et, par suite de l’erreur du héraut, mis à mort.

[70] Sur la révolte d’Antonius Saturninus, voir Stobbe, Philologus, XXVI, 1867, p. 53 ; Eichhorst, Neue Jahrbücher für Philologie, XCIX, 1869, p. 354 et suiv. ; Mommsen, Étude sur Pline le Jeune (traduction Morel), p. 92 et suiv. ; Bergk, Zur Geschichte und Topographie der Rheinlande in römischer Zeit, p. 61 et suiv. ; Renier, Comptes rendus de l’Académie des inscriptions, 1872, p. 424 et suiv. ; Asbach, Westdeutsche Zeitschrift, III, 1884, p. 8 et suiv. ; Mommsen, Römische Geschichte, V, p. 137 ; Ritterling, De legione Romanorum X Gemina, p. 12 et suiv.

[71] Voir IV, 1.

[72] Voir IV, 88 ; cf. IV, 2 ; IV, 3 ; IV, 46. Friedlænder, édition de Martial, préface, p. 56.

[73] Vie de Paul-Émile, 25.

[74] IV, 2 ; IV, 3.

[75] Loc. cit., p. 61 et suiv.

[76] C. I. L., VI, 2066.

[77] Vers 9 :

Omne tibi nostrum quod bis trieteride juncta

ante dabat lector, nunc dabit auctor opus.

[78] Friedlænder, édition de Martial, préface, p. 61.

[79] Le livre VIII parut dans le courant de 93 : voir Friedlænder, loc. cit., p. 59-60.

[80] Il n’y a pas lieu, par conséquent, de rapporter à la découverte des complices qu’Antonius avait à Rome, les mots qu’on lit dans les Actes des frères Arvales, au 22 septembre 87 : ob detecta scelera nefariorum.

[81] Suétone, Domitien, 6 et 10. Stace, Silves, I, 1, 80 : civile nefas.

[82] C. I. L., VI, 1347 ; VIII, 1026 ; III, 7397.

[83] Dion Cassius (LXVII, 11), Plutarque (Vie de Paul-Émile, 25), Aurelius Victor (Épitomé, XI) l’appellent Antonius (Άντώνιος) ; Suétone (Domitien, 6 et 7) et Lampride (vie d’Alexandre Sévère, 1), L. Antonius ; Martial (IV, 11) et Suidas (sub verbe), Antonius Saturninus. — Une inscription de Constantine (C. I. L., VIII, 7032) nomme une Antonia, L(ucii) fille, Saturnina, femme de C. Artus Pacatus, tante maternelle d’Arrius Antoninus, d’Arrius Maximus et d’Arrius Pacatus, clarissimi viri. Une autre inscription d’Afrique (C. I. L., VIII, 8280) prouve que cette Antonia Saturnina avait de grandes propriétés à l’ouest de Constantine. C’était vraisemblablement la fille d’Antonius Saturninus. Voir Lacour-Gayet, Antonin le Pieux et son temps, p. 453.

[84] Suétone, Domitien, 6. Aurelius Victor, Épitomé, XI. Dion Cassius, LXVII, 11. — II avait peut-être été consul suffect en 82, car le nom de celui qui fut cette année-là collègue de P. Valerius Patruinus (C. I. L., IX, 5120) est martelé (voir Borghesi, Œuvres, VII, p. 395). Cependant ce nom peut être celui de quelque autre consulaire, mis à mort par Domitien (Asbach, Bonn. Jahrbücher, LXXIX, p. 137).

[85] Voir Suidas, sub verbo Αντώνιος Σατουρνϊνος. Cf. n. 87.

[86] Il descendait peut-être de Marc-Antoine, le vaincu d’Actium. Martial (IV, 11) s’adresse ainsi à lui :

Dum nimium vase tumefactus nomine gaudes....

et le compare au triumvir. Il aurait été, dans ce cas, le descendant de L. Antonius, petit-fils du triumvir, exilé par Auguste à Marseille (Tacite, Annales, IV, 44). — Mais le vers de Martial peut faire allusion seulement à la similitude des noms, et non pas à un rapport de parenté.

[87] Aurelius Victor, Épitomé, XI : His ejus sævitiis se maxime injuria verborum, qua se scortum vocari dolebat, accensus Antonius... (Les cruautés de Domitien, et surtout le nom injurieux de prostituée, qu'il donnait à Antonius, enflammèrent le courroux de ce dernier ...)

[88] Tacite (Hist., I, 2) faisait en partie allusion à la révolte d’Antonius, lorsqu’il disait que, depuis la mort de Néron jusqu’à celle de Domitien, il y avait eu des guerres civiles et étrangères tout ensemble.

[89] Suétone, Domitien, 7 : L. Antonius apud duarum legionum hiberna... (L. Antonius avait deux légions réunies dans un même quartier d'hiver...) Mayence était la seule ville de la Germanie Supérieure où il y eût alors deux légions, et le légat de la province y résidait (voir Bergk, Zur Geschichte, p. 72 et suiv. ; Zangemeister, Westdeutsche Zeitschrift, III, 1884, p. 313 ; Mommsen, Römische Geschichte, V, p. 137, n. 1). Fort rapprochée des Germains, alliés d’Antonius, réunie à la rive droite par un pont, Mayence était le lieu le plus favorable à la révolte.

[90] Suétone, Domitien, 7.

[91] Lampride, Alexandre Sévère, 1 ; Spartien, Pescennius Niger, 9 ; Vopiscus, Firmus, 1 ; Aurelius Victor, Épitomé, 11 ; Polemius Silvius, Nomina omnium principum romanorum, édition Mommen, Chronica minora, p. 520.

[92] Plutarque, Paul-Émile, 25. Cf. Dion Cassius, LXVII, 1. — L’inscription C. I. L., V, 3356, se rapporte peut-être à cette expédition : [Ti(berio) Claudio], Ti(berii) f(ilio) Quir(ina tribu), Alpino, præf(ecto) alas Gallic(æ), trib(uno) leg(ionis) II Aug(ustæ), præf(ecto) coh(ortis) II pr(ætoriæ), don(is) don(ato) bello Germ(anico)... Ce personnage vécut à l’époque de Domitien. Mais ce bellum germanicum peut aussi bien être la guerre contre les Cattes de 83 que celle de 89. — Selon Bergk (Zur Geschichte, p. 63), le départ de Domitien aurait été décidé le 12 janvier et aurait en lieu le 17. Il s’appuie sur les Actes des Arvales cités plus haut. Mais je crois que c’est forcer beaucoup le sens des textes.

[93] Voir de la Berge, Trajan, p. 42. M. von Domaszewski (Rheinisches Museum, XLV, 1890, p. 6) pense qu’il était alors légat de l’armée de l’Espagne Citérieure (composée de deux légions), et non pas seulement d’une seule légion.

[94] Pline, Panég., 14. Les phrases suivantes indiquent qu’il s’agit de la guerre contre Antonius : cum legiones duceres, seu potius (tanta velocitas erat) raperes (pour enlever vos légions au delà de cet espace immense, (car telle était votre vitesse)). Domitien se trouvait donc dans un danger pressant. — Nec dubito quin fille qui te inter ilia Germanise belle ab Hispania usque ut validissimum præsidium exciverât, iners ipso alienisque virtutibus tune quoque invidus imperator, cum ope earum indigeret... (Oui, sans doute, celui qui, du fond de l'Espagne, vous avait appelé, comme le plus puissant auxiliaire, aux guerres de Germanie, cet empereur fainéant, qui était jaloux des vertus d'autrui à l'heure même qu'il en avait besoin...) Cette guerre s’appela officiellement Germanicum bellum ; d’ailleurs, en 83, Trajan n’était pas encore préteur (voir de la Berge, p. 11). — Peut-être, au commencement du même chapitre XIV, faut-il lire : cum.., nomen Germanici jam tum mererere, cum ferociam superbiamque Chattorum ex proximo auditus magno terrore cohiberes (dès cette même époque vous acquériez des titres au nom de Germanique; le bruit de votre approche mettait à l'insolence et à l'orgueil des Cattes le frein de la terreur...) (voir Asbach, Westd. Zeitschr., III, 1884, p. 21). — Selon Pline, Trajan passa les Pyrénées et les Alpes. S’il avait marché directement contre Antonius, il n’aurait pas eu ces dernières montagnes à traverser. Peut-être ne faut-il pas donner un sens trop précis à la phrase oratoire de Pline. Mais il est possible que Trajan ait reçu l’ordre de se rendre à Vindonissa, où campait la XI Claudia restée fidèle : ce lien aurait servi de centre de ralliement à toutes les troupes venues d’Italie avec Domitien, du Danube, d’Espagne. II est aussi permis de supposer que Trajan reçut mission de barrer à Antonius la route de Rome (voir Asbach, W. Z., p. 10). — Les légions amenées d’Espagne ne prirent point part à la bataille dans laquelle Antonins fut tué, car Pline ne mentionne que la marche de Trajet. Le futur empereur fut récompensé de son zèle par le consulat ordinaire, qu’il reçut en 91 (voir Klein, Fasti cons., p. 49).

[95] La VII Gemina se trouvait en Espagne en 79 (C. I. L., II, 2477) ; après la guerre de 88-89, elle y retourna (voir, par exemple, Ptolémée, II, 6, 28). Sous Hadrien, elle fit de nouveau un court séjour en Germanie Supérieure (von Domaszewski, Rheinisches Museum, XLVII, 1892, p. 215). — Quant à la I Adjutrix, elle ne retourna pas en Espagne, mais fut envoyée sur le Danube.

[96] Vespasien avait concédé à l’Espagne le droit latin.

[97] Voir l’inscription de M. Julius Avitus, qui combattit dans la guerre germanique de 88-89, probablement comme centurion de la XV Apollinaris, légion de la province de Pannonie.

[98] Plutarque, loc. cit.

[99] Plutarque, loc. cit. Cf. Dion Cassius, LXVII, 11.

[100] Martial (IX, 84) l’appelle Norbanus ; Aurelius Victor (Épitomé XI), Norbanus Appius ; Dion Cassius (loc. cit.), L. Maximus ; une inscription (C. I. L., VI, 1347), Appius Maximus : Appi Maximi bis co(n)s(ulis), confectoris belli Germanici. — Il est sans doute identique au légat L. Appius, mentionné sur des briques de la VIII Augusta, trouvées à Néris (Allier) et à Mirabeau (Côte-d’Or). Voir Mowat, Bulletin épigraphique, III, 1883, p. 306, et Mommsen, Hermès, XIX, 1884, p. 438 : Leg(io) VIII Aug(usta) L(ucio) Appio leg(ato). L. Appius Maximus, proconsul de Bithynie sous Domitien (Pline, Lettres, X, 58), est le même personnage (voir Mommsen, Index de Pline le Jeune, édit. Keil).

[101] Zur Geschichte, p. 65.

[102] Comptes rendus de l’Académie des inscriptions, 1872, p. 426.

[103] Bonnische Jahrbücher, LXXIX, 1885, p. 122 et 139 ; Westdeutsche Zeitschrift, III, 1884, p. 22.

[104] Voir note 100.

[105] Voir même note.

[106] Mommsen (Hermès, XIX, 1884, p. 438) place Mirebeau en Germanie supérieure.

[107] On a aussi trouvé à Viviers en Narbonnaise des briques de la VIII Augusta, mais sans nom de légat (Mowat, Bulletin épigraphique, III, 1883, p. 303).

[108] T. Flavius Domitianus, p. 91.

[109] Étude sur Pline (traduction Morel), p. 93.

[110] Norbanus, tandis que ta pieuse fidélité défendait César notre maître contre de sacrilèges fureurs, assis à l'ombre des bocages chers aux Muses, et fier de cultiver ton amitié, je me livrais paisiblement aux jeux de la poésie. Un Rhétien te disait mes vers au fond de la Vindélicie, et l'Ourse apprenait ainsi. à connaître mon nom. O combien de fois, te rappelant ton ancien ami, tu t'es dit : C'est bien lui, c'est bien mon poète ! Ces poésies, que le lecteur, pendant six ans, n'a offertes qu'en détail à ton oreille, l'auteur t'en offre aujourd'hui le recueil.

[111] Westdeutsche Zeitschrift, III, 1884, p. 23 ; Bonnische Jahrbücher, LXXXI, 1886, p. 40, n. 2.

[112] Elle a déjà été indiquée à ce propos par M. von Domaszewski, Korrespondenzblatt der Westdeutschen Zeitschrift, XI, 1892, p. 115.

[113] Les légats propréteurs de la Germanie Inférieure, p. 28.

[114] Geschichte der Legionen, p. 79.

[115] De legione Romanorum X Gemina ; p. 12 et suiv., 119 et suiv.

[116] C. I. L., III, 4013.

[117] Orelli, 2008.

[118] Brambach, Corpus inscriptionum Rhenanarum, 660, 6629 et Ritterling, p. 40 et suiv.

[119] C. I. L., III, 550. Cf. C. I. L., III, 6819 (époque de Trajan).

[120] Bullettino della commissione comunale di Roma, 1886, p. 83.

[121] C. I. L., III, 550. Cf. C. I. L., III, 6819 ; Müller, Korrespondenzblatt der Westdeutschen Zeitschrift, V, 1886, p. 185-187, et Mommsen, ibid., p. 234.

[122] Brambach, 662.

[123] Orelli, 4039.

[124] Brambach, 6.

[125] Brambach, 678. Cf. Ritterling, loc. cit., p. 124, n. 1.

[126] Voir, pour la X Gamine, Brambach, 651 ; — pour la XXII Primigenia, Brambach, 140 d, 3 et 4 < le n° 4 porte peut-être même : [Le]g(io) XXII Pr(imigenia) P(ia) F(elix) Do(mitiana), >, Brambach, 1626 ; — pour la I Minervia, Bonnische Jahrbücher, LVII, 1876, p. 70 ; — pour la classis Germanica, Brambach, 684 ; — pour la (deuxième ?) cohorte d’Astures, Brambach, 678.

[127] Loc. cit., p. 15.

[128] Martial fait peut-être allusion à cette légation dans le vers (IX, 84, 6) : Nascia nec nostri nominis Arctos erat.

[129] Si l’hypothèse est fondée, il faut observer que cet état de choses ne dura pas longtemps : le 27 octobre 90, Javolenus Priscus était légat de la Germanie Supérieure (Ephem. epigr., V, p. 652).

[130] Où la bataille fut-elle livrée ? Mommsen (Étude sur Pline, p. 93 ; Römische Geschichte, t. V, p. 137) pense que ce fut près du lac de Constance. Cette opinion s’appuie sur le vers de Martial : Me tibi Vindolicis, etc., qui ne se rapporte probablement pas à la révolte. Il est plus vraisemblable que le combat eut lieu sur le Rhin moyen, près de Mayence, à proximité des Germains, alliés d’Antonius (dans les Champs décumates, il n’y avait pas de Germains). Il n’eut pas lieu à Mayence même, car, à cet endroit, existait probablement un pont sur le Rhin, et le dégel qui survint à l’heure même de la bataille n’aurait pas empêché les Barbares de traverser le fleuve.

[131] Dion Cassius, LXVII, 11. Les soldats qu’Antonius avait mis de son côte par des moyens violente le soutinrent peut-être mal, tandis que ceux de Norbanus, fidèles à Domitien, combattirent avec courage (voir Dion, loc. cit.). Il faut remarquer aussi que, depuis le règne de Vespasien, les soldats des troupes auxiliaires de l’armée de Germanie n’étaient plus des Germains, comme sous la dynastie julio-claudienne (voir, à ce sujet, Mommsen, Hermès, XIX, 1884, p. 214). Ils durent donc montrer une assez grande répugnance à suivre Antonius, l’allié des Germains.

[132] Suétone, Domitien, 6.

[133] Suétone, loc. cit.

[134] Plutarque, Paul-Émile, 25. Cf. Suétone, loc. cit.

[135] Actes des Arvales.

[136] Suétone, loc. cit.

[137] Actes des Arvales, au 29 janvier.

[138] Dion Cassius (LXVII, 11) raconte qu’un sénateur le quitta alors pour retourner chez lui. Voir d’ailleurs, les textes qui prouvent que Domitien alla alors sur le Rhin.

[139] Suétone, Domitien, 10 : Post civilis belli victoriam......, plerosque partis adversæ, dum etiam latentes conscios investigat, novo quæstionis genere distorsit, immisso per obscœna igne ; nonnullis et manus amputavit. Satisque constat duos solos e notioribus venia donatos, tribunum laticlavium et centurionem, qui se, quo facilius expertes culpæ ostenderent, impudicos probaverant, et ob id neque apud ducem, nec apud milites ullius momenti esse potuisse (Après avoir triomphé de la guerre civile, il imagina d'appliquer à un nouveau genre de question tous les partisans du parti adverse, qui depuis longtemps se tenaient cachés: c'était de leur brûler les parties naturelles. Il en est même auxquels il fit couper les mains. On sait qu'il n'y en eut que deux qui furent épargnés parmi les plus connus, un tribun laticlave et un centurion, qui pour mieux établir leur innocence, alléguèrent l'infamie de leurs mœurs qui devait leur ôter toute considération auprès du général et des soldats). Cf. Dion Cassius, LXVII, 11.

[140] Dion Cassius, loc. cit.

[141] Suétone, Domitien, 7.

[142] Suétone, loc. cit.

[143] Zur Geschichte, p. 67 et suiv. Cf. Asbach, Westdeutsche Zeitschrift, III, 1884, p. 10.

[144] M. Schiller (Geschichte der römischen Kaiserzeit, I, p. 942, en bas) a déjà montré l’invraisemblance de l’hypothèse de Bergk.

[145] Ritterling (p. 78) attribue, mais sans raisons suffisantes, à l’époque de Domitien la brique de la légion trouvée à Mursella, sur la Drave (C. I. L., III, n° 3755). Des briques de la XIV Gamine, vraisemblablement antérieures aux guerres daciques de Trajan, ont été trouvées à Vienne (Von Domaszewski, Korrespondenzblatt der Westdeutschen Zeitschrift, X, 1891, p. 253-254). — M. Meyer pense aussi que la XIV Gamine quitta Mayence après la révolte d’Antonius (Philologus, XLVII, 1888, p. 661).

[146] Brambach, 1377, g, 31 (brique).

[147] Inscription d’Alpirsbach : Brambach, 1626.

[148] Dion Cassius, LXVII, 11.

[149] Nous n’avons que le témoignage d’Eusèbe : Domitianus plurimos nobilium in exilium mittit atque occidit, selon Jérôme (p. 161) en 2105 (1er octobre 88 - 30 septembre 89 ; la version arménienne place le fait en 2104, p. 160). — Dion Cassius (LXVII, 9) dit qu’après son triomphe sur les Daces, Domitien fit périr quelques-uns des premiers citoyens, et qu’il confisqua les biens d’un homme qui avait donné la sépulture à l’un d’eux, mort dans sa terre. Peut-être ces condamnations frappèrent-elles des complices d’Antonius.

[150] Dion Cassius (LXVII, 11) laisse entendre que l’honneur de la victoire remportée sur Antonius revint autant aux soldats qu’au général Norbanus. La monnaie de bronze (Cohen, Domitien, 117) qui a pour exergue : avides exercit(uum). S. C., et qui représente l’empereur et quatre soldats sacrifiant est peut-être une allusion à la conduite de l’armée lors de la révolte d’Antonius.

[151] Suétone, Domitien, 10 : aliquanto post civilis belli victoriam sævior (plus furieux encore après avoir triomphé de la guerre civile). — Ce que Suétone dit encore (Domitien, 11) : erat non solum magnæ, sed etiam callidæ inopinatæque sævitiæ (sa barbarie était non seulement extrême mais encore raffinée et soudaine) s’applique aux dernières années de Domitien ; cf. chapitre 3 : quantum conjectare licet, super ingenii naturam inopia rapax, motu sævus (indépendamment de son penchant naturel, il devint rapace par besoin, et la peur le rendit cruel).

[152] Tacite, Agricola, 45. Juvénal, IV, 110. Aurelius Victor, Épitomé, XII (à propos de Veiento).

[153] Pline, Panég., 62 : Nonne paullo ante nihil magis exitiale erat, quam illa principis cogitatio ? Hunc senatus probat, hic senatui carus est. Oderat, quos nos amaremus; sed et nos, quos ille (Avons-nous oublié que naguère il n'était pas d'arrêt de mort plus certain que cette pensée de l'empereur : Cet homme est estimé, cet homme est chéri du sénat ? Le prince haïssait ceux que nous aimions, et nous ceux qu'il aimait). Cf. Panég., 72.