— I —
La contrée dont nous nous proposons d’étudier l’histoire
ancienne, jusqu’à la conquête arabe, s’étend, au Nord, entre le détroit de
Gibraltar et l’extrémité Nord-Est de la Tunisie ; au Sud, entre l’Anti-Atlas et le golfe
de Gabés. Nous adoptons pour la désigner le terme conventionnel d’Afrique du
Nord ; on l’a aussi nommée Berbérie, Afrique Mineure. Nous y joindrons, comme
une sorte d’annexe, le littoral du fond des Syrtes dans l’antiquité ; cette
lisière du Sahara a été rattachée à l’État carthaginois, puis à l’Afrique
romaine.
Vaste quadrilatère, baigné par la mer à l’Ouest, au Nord
et à l’Est, bordé harle désert au Midi,
l’Afrique du Nord est isolée comme une île : les Arabes ont pu l’appeler l’Île
de l’Occident[1].
Mais cet isolement fait seul son unité. Elle est composée d’un grand nombre
de régions disparates[2].
— II —
Celle qu’on nomme le Rif, et qui est encore fort mal
connue, s’étend au Nord du Maroc actuel, opposant à la
Méditerranée un front escarpé. A l’intérieur, se succèdent,
à des intervalles rapprochés, des plis parallèles au rivage ; dans la partie Nord-Ouest
du pays, ils se recourbent vers le Nord, constituant avec les montagnes de l’Espagne
méridionale un grand hémicycle, que le fossé de Gibraltar a coupé brusquement
et qui marque la bordure d’un massif ancien, effondré dans la Méditerranée. La
disposition du relief empêche la formation de rivières importantes, liais,
grâce au voisinage de la mer et à l’existence de montagnes élevées, les
pluies sont abondantes ; les vallées, courtes et étroites, qui sillonnent
cette région tourmentée et d’accès malaisé, se prêtent il l’arboriculture, à
l’élevage et, par endroits, et la culture des céréales ; elles peuvent nourrir une forte
population, capable de défendre son indépendance.
A l’Est du Rif, débouche la Moulouia, qui, du moins
dans son cours intérieur, a marqué pendant des siècles une limite entre des royaumes indigènes, puis des provinces
romaines.
Au Sud, une longue dépression[3], orientée de l’Est
à l’Ouest, établit une communication facile entre l’Algérie et la côte de l’Atlantique.
En suivant un affluent de gauche de la Moulouia, on arrive par Taza à un affluent de
droite de l’oued Sebou, fleuve qui se jette dans l’Océan. Ce fut probablement
par cette voie naturelle que passa la frontière militaire des Romains dans la Maurétanie
Tingitane.
Le reste du Marée a pour épine dorsale le Haut-Atlas.
Cette chaîne commence au-dessus de l’Océan, au cap Ghir, et, se dirigeant du
Sud-Ouest au Nord-Est, forme une
énorme muraille compacte, dont les sommets atteignent 4.500 mètres et
où les cols sont élevés et difficiles. Ce n’est qu’au Sud de la haute vallée
de la Moulouia
qu’elle s’abaisse et se morcelle, ouvrant des passages qui permettent d’atteindre
sans peine les oasis sahariennes de l’oued Zir, et de l’oued Guir.
Sur une grande partie de son parcours, le Haut-Atlas est flanqué,
au Nord-Est, par les plissements parallèles du Moyen-Atlas, au Sud-Ouest, par
la chaîne de l’Anti-Atlas, rattachée au Haut-Atlas par l’énorme volcan éteint
du Siroua.
Au Nord et au Nord-Ouest du Haut et du Moyen-Atlas, s’étend,
à partir du littoral, une région d’architecture tabulaire, que l’on a proposé
d’appeler soit le plateau subatlantique, soit la meseta marocaine — parce qu’elle
offre la même structure que la meseta ibérique,
plateau central espagnol —. Une longue falaise la divise en deux terrasses
superposées, la première d’une altitude moyenne de 150 mètres, la
seconde de 500
mètres, coupées par les lits profonds de quelques
rivières qui se dirigent vers l’Océan, en s’écartant comme les branches d’un
éventail. Étroites au Sud-Ouest, ces terrasses s’élargissent ensuite ; elles
disparaissent au Nord pour faire place à la plaine d’alluvions de l’oued
Sebou, entourée d’un pays de collines et de mamelons.
Le long des côtes et sur une profondeur moyenne de 70 kilomètres,
cette région est en général suffisamment arrosée par des pluies qu’amènent
les vents d’Ouest. Il y a là d’excellentes terres, surtout les sols noirs
auxquels on a donné le nom indigène de tirs
et dont l’origine est encore très discutée. Cette partie du Maroc, dépourvue
d’arbres, est, sur de vastes espaces, très propice à la culture des céréales
; elle offre aussi de riches pâturages au gros bétail ; chevaux et bœufs. Mais
les sources y sont très rares et l’on doit s’y procurer l’eau potable en
creusant des puits profonds, ou en établissant des réservoirs.
En arrière, s’allonge une zone de steppes, dont la
stérilité a pour cause la rareté des pluies, bien plus que la nature du sol.
L’irrigation y est difficile à cause de la hauteur des berges des fleuves. On
y élève des troupeaux qui, pendant l’été, doivent transhumer.
Enfin, à une altitude moyenne de 600 mètres, au
pied même des montagnes, qui attirent les pluies et dont les neiges’ gardent
des réserves d’eau jusque vers la fin du printemps, de nombreuses sources
peuvent servir à des irrigations et faire prospérer de magnifiques vergers.
Des ceintures de jardins entourent les villes et les villages qui ont pris
naissance dans cette région élevée, au climat tempéré et salubre.
Le Haut et le Moyen-Atlas forment des écrans qui arrêtent
les nuages chargés d’humidité. Au delà de ces montagnes, la vie n’est
possible que le long des rivières qui en sortent et dont l’eau sert à arroser
des cultures.
Du côté de l’Atlantique, entre le Haut-Atlas et l’Anti-Atlas,
l’oued Sous parcourt, sur environ 200 kilomètres,
une plaine étroite, très encaissée. C’est un désert en dehors de la bande de
jardins qui accompagne la rivière, entière sent utilisée pour les
irrigations.
L’oued Ziz, l’oued Guir et d’autres cours d’eau qui les
rejoignent naissent sur le versant méridional du massif atlantique et vont
alimenter, en plein Sahara, des chapelets d’oasis, dont les plus belles sont
celles du Tafilelt. Plus a l’Ouest, l’oued Draa, d’abord à peu prés parallèle
à ces rivières, tourne ensuite brusquement vers le couchant et son sillon se prolonge
jusqu’à l’Océan, a travers le désert. Des oasis bordent les rivières qui le
forment et celles qui, sortant de l’Anti-Atlas, cherchent a le rejoindre. Au
delà même du coude qu’il décrit, l’oued Draa garde quelque humidité
souterraine, et de maigres cultures sont possibles dans son large lit.
— III —
L’Algérie comprend dans toute sa longueur une zone
centrale de grandes plaines, situées à une altitude élevée, et, au Midi et au Nord, deux zones fort
accidentées. Au Sud, c’est la série de montagnes, orientées du Sud-Ouest au Nord-Est,
qui constituent l’Atlas saharien. Au fiord, s’étend, sur une largeur moyenne
de cent kilomètres, le Tell, dont le nom se rattache à un mot arabe
signifiant colline, plutôt qu’au mot latin tellus,
terre cultivable.
Le Tell est hérissé de chaînes confuses de différents âges
dirigées le plus souvent du Sud-Ouest au Nord-Est dans la partie occidentale
de cette contrée, de l’Ouest à l’Est dans la partie orientale, jusque vers
Bône, où une séparation assez nette est marquée par la plaine basse de la Seybouse. Il est fort
difficile de débrouiller le chaos des montagnes du Tell[4]. MM. Bernard et
Ficheur l’ont tenté dans un mémoire[5] que nous avons
beaucoup mis à contribution pour tracer cette rapide esquisse de l’Algérie.
Le littoral est bordé par les débris, épars çà et là, d’un
massif ancien, fait de gneiss et de schistes, contre lequel est dressée ait Sud
une chaîne calcaire. Le massif, qui couvrait une partie de l’espace occupé
aujourd’hui par la Méditerranée, a été presque entièrement
englouti. Le golfe de Bougie est une fosse creusée par cet effondrement, qui
eut lieu à l’époque pliocène et fut accompagné de phénomènes volcaniques sur
les bords de la fracture[6].
Entre les restes de ce massif, dans le voisinage immédiat
de la mer, s’insèrent quelques plaines basses, trias étendues, mais dont les
anciens n’ont pas pu tirer grand parti. Celle qui s’allonge au Sud-Ouest et
au Sud d’Otan, et qu’encombre une cuvette sans écoulement, est rendue stérile
par la salure des terres ; ce sel, arraché a des gisements situés sur le
rebord de la plaine, est charrié par les eaux et vient s’amasser dans le lac.
Plus à l’Est, deux rivières importantes, le Sig et l’Habra, se réunissent et forment,
dans la plaine de la Macta,
des marécages que les alluvions comblent peu a peu. Dans l’antiquité, le sol
humide devait être presque partout impropre à la culture. On ne trouve guère
de ruines que sur la lisière méridionale de ces deux plaines, le long d’une
voie qui parait avoir marqué, pendant plus d’un siècle et demi, la frontière
militaire de l’Empire romain. En arrière d’Alger, la Mitidja, que la
colonisation française a rendue si prospère, fut jadis un golfe, puis un lac,
qu’un bourrelet de collines séparait de la mer et que les apports des
rivières qui viennent du Sud ont lentement comblé : l’écoulement des eaux y
est encore imparfait. Le centre de la plaine était probablement marécageux
aux premiers siècles de notre ère. Des ruines romaines ne se rencontrent que
sur les bords ; de la
Mitidja, au pied des montagnes qui l’enserrent de tous les
côtés. A l’extrémité orientale de l’Algérie, une autre grande plaine s’étend
prés de la
Méditerranée, derrière Bône. Elle est aussi occupée en
partie par des marécages.
Parmi les pays montagneux qui bordent les côtes, le Dahra
limité au Sud parla vallée du Chélif, offre des plateaux dénudés, favorables
à la culture des céréales, pourvus de sources abondantes, et des chaînes
encadrant plusieurs vallées, dont les parties les plus fertiles ont été
exploitées par les anciens. A l’Est du Dahra, la région schisteuse de Miliana
est très ravinée et en général stérile, avec de maigres pâturages dans les clairières
des forêts et quelques sols cultivables sur les lisières du massif.
La grande Kabylie est constituée au centre par un plateau
de terrains anciens, gneiss, schistes, micaschistes, et bordée au Sud par la chaîne
calcaire du Djurdjura, aux cimes dentelées, dont la plus haute dépasse 2.300 mètres.
Des vallées très encaissées coupent le plateau et forment
de véritables fossés entre les tribus dont les innombrables villages
couronnent les crêtes[7]. Le sol est peu
fertile, mais l’eau abonde, grâce aux condensations que provoquent les hautes
altitudes et aux réserves de neige que le Djurdjura garde jusqu’au mois de
mai. C’est un pays d’arboriculture, où, dans l’antiquité, la population
devait être déjà dense, mais où la colonisation romaine no semble pas avoir
pénétré. Au Nord, s’étend, de l’Est à l’Ouest, la vallée de l’oued Sebaou,
propice aux céréales ; puis, entre ce fleuve et la mer, une chaîne de grès,
au pied de laquelle des ruines de cités s’échelonnent le long du rivage. L’angle
oriental de la Kabylie
est aussi occupé par des grès, qui portent de belles forêts de chênes.
A l’Est de la grande Kabylie et jusqu’à Bône, la Méditerranée
est bordée presque partout par des massifs très tourmentés, où les rivières
se fraient péniblement un chemin. Les grès couvrent de vastes espaces,
revêtus de magnifiques boisements de chênes. Les terres, siliceuses, se
prêtent mal à la culture des céréales, sauf dans les vallées, d’ailleurs
étroites, où des alluvions argileuses se sont déposées. Mais, dans cette
région élevée et bien exposée aux vents humides, les pluies entretiennent de
belles prairies et des vergers prospèrent autour de nombreuses sources. En
dehors des forêts, elle parait avoir été assez peuplée aux temps antiques.
A l’intérieur du Tell, des vallées, de hautes plaines, des
plateaux séparent ou pénètrent les massifs montagneux.
Des plaines, d’une altitude moyenne de 400 mètres, se
succèdent à l’Est de la
Moulouia jusqu’au delà de Mascara. Celle des Angads, qui
fait partie du Maroc, est sèche et stérile. Celles qui s’étendent au Nord de
Tlemcen et de Lamoricière sont mieux partagées. La plaine de Sidi bel Abbés
est couverte de terres légères, friables, dans lesquelles sont incorporées
des parcelles de phosphate de chaux et qui n’ont pas besoin de beaucoup d’humidité
pour porter de belles moissons. Les pluies, bien réparties il est vrai,
atteignent à peine une hauteur annuelle de 40 centimètres
à Sidi bel Abbés. La plaine d’Egris, au Nord de laquelle se trouve Mascara,
en reçoit moins encore et la constitution du sol y est moins bonne : aussi n’a-t-elle
que peu de valeur agricole.
Ces plaines sont bordées au Midi par une série de grands gradins, formés de grès, de
dolomies, de calcaires[8]. Des rivières
assez importantes prennent naissance dans cette région accidentée et la
traversent pour se diriger vers le Nord, coulant dans des gorges ou dans des
vallées étroites ; elles débouchent brusquement sur le pays plat,
quelques-unes par des cascades. Les sources nombreuses à la lisière des
plaines, permettent la création de beaux jardins. Tlemcen, admirablement
située à plus de 800 mètres
d’altitude, tournée vers la mer, dont elle reçoit, les brises rafraîchissantes,
défendue des vents brillants du Sud par le vaste talus auquel elle est
adossée, s’appelait à l’époque romaine Pomaria
(les Vergers), et ce nom serait encore
très justifié. Sur les gradins, il y a des forêts étendues, mais clairsemées
; quelques zones marneuses sont propres à l’agriculture. Une frontière militaire,
établie parles Romains vers le début du troisième siècle, longeait, par Lalla
Marnia, Tlemcen, Lamoricière, Chanzy, le rebord septentrional de ce haut
pays, qu’elle coupait ensuite, passant vers Franchetti, Tagremaret, Frenda,
et traversant, sur une partie de son parcours, des bandes de terrains fertiles.
Au delà même de cette frontière, une population assez dense s’est installée,
soit dans l’antiquité, soit plus tard, sur les sols favorables à la culture,
en particulier aux alentours de Saïda.
Le Chélif, fleuve qui naît dans l’Atlas saharien, traverse
les fertiles plaines de l’Algérie centrale ; s’étant soudé à un cours d’eau
méditerranéen, il entre dans le Tell à Boghari. Bientôt, il tourne vers l’Ouest,
direction qu’il garde jusqu’à la mer. La vallée qu’il suit forme une longue dépression
entre le mussif de Miliana et le Dahra, au Nord, le massif de l’Ouarsenis, au
Sud. Elle était parcourue par une voie militaire romaine, qui a sans doute
été faite aussitôt après la conquête de la Maurétanie et qui a
développé la colonisation. Cette vallée n’est cependant pas un couloir
largement ouvert : des étranglements, formés par des collines, la divisent en
trois parties[9].
Les terres alluviales, compactes et profondes, sont très fertiles quand elles
sont arrosées. Mais la barrière du Dahra arrête les pluies qui, souvent,
tombent en trop petite quantité pour assurer la bonne venue des céréales et
qui s’infiltrent mal dans un sol peu perméable. C’est par une irrigation bien
comprise ou par le choix d’autres cultures que la vallée du Chélif peut
prospérer.
Le massif de l’Ouarsenis est formé de plissements
confusément entassés autour d’un grand dôme calcaire et coupés par des
affluents du Chélif. Il offre de belles forêts, mais, sauf dans quelques
vallées, où l’on trouve des ruines antiques, les terrains, schisteux ou
gréseux, ne se prêtent guère qu’à l’élevage.
Ce massif est bordé à l’Ouest par la Mina, qui, avant de
rejoindre le Chélif dans une large plaine, facilement irrigable, descend un
couloir donnant occis au plateau de Tiaret, au Sud de l’Ouarsenis. La région,
d’une altitude de 1.000 à 1.200 mètres, située au Sud et au Sud-Est de
Tiaret, se distingue par sa fertilité des plaines élevées du centre de l’Algérie,
qui la continuent sans transition. Grâce aux pluies qu’elle reçoit du Nord-Ouest
par la vallée de la Mina,
les terres d’alluvions, riches en phosphate de chaux, qui la couvrent peuvent
porter de belles moissons. En grande partie incorporée par les Romains dans
leur frontière militaire du IIIe siècle, elle a été très peuplée dans l’antiquité, et même
dans les temps qui ont suivi l’invasion arabe. Cette zone fertile se continue
au Nord-Est, le long du Nahr Ouassel, qui se dirige vers le Chélif. La
frontière romaine dont nous venons de parler passait par là, sur la lisière
méridionale de l’Ouarsenis, pour aller couper le Chélif vers Boghari.
Au delà des montagnes abruptes et ravinées qui dominent au
Sud la plaine de la Mitidja,
le plateau, argileux et nu, de Médéa, au relief tourmenté, découpé par les profonds
sillons des rivières qui s’éloignent vers l’Ouest, le Nord et l’Est, a de
nombreuses sources et n’est pas dépourvu de terres propices aux céréales.
Il forme un passage, d’ailleurs assez difficile, entre la
vallée du Chélif et les trois plaines des Beni Slimane, des Aribs et de
Bouira, qui se suivent de l’Ouest à l’Est, représentant une ancienne vallée,
à une altitude de 600-500 mètres. La première de ces plaines
souffre de la sécheresse ; plus à l’Est, la région d’Aïn Bessem a de bonnes
terres et reçoit assez d’eau de pluie : les ruines antiques y abondent. La
plaine de Bouira conduit à la vallée de l’oued Sahel, appelé plus bas oued
Soummane, qui borde la grande Kabylie au Sud et à l’Est. Comme celle du
Chélif, cette vallée est coupée par des obstacles : sur deux points[10], le fleuve a dû
se frayer un passage a travers des barrières rocheuses. Le sol d’alluvions
est très fertile. Mais, là encore, les pluies sont souvent insuffisantes : la
chaîne du Djurdjura les arrête. La culture des céréales est aléatoire ; l’arboriculture,
qui craint moins la sécheresse, court moins de risques. L’extrémité de la
vallée, prés de la mer, jouit pourtant de conditions plus favorables. Les
ruines s’y pressent et une colonie importante, Tubusuptu, y fut fondée dés l’époque
d’Auguste.
La voie militaire romaine, venant de la vallée du Chélif,
ne passait pas par Médéa, ni par les plaines qui se suivent jusqu’à l’oued
Sahel. Elle filait plus au Sud, par Berrouaghia, Sour Djouah et Aumale,
établie sur une large bande calcaire[11], dans la partie
septentrionale d’une région accidentée, que parcourent d’Ouest en Est des
chaînes parallèles. Les intervalles ravinés sont occupés çà et là par des
marnes, mêlées de phosphate de chaux, qui constituent des terres fertiles, ou
par des argiles d’où sortent des sources et qui portent de beaux pâturages.
Ce pays montagneux fut enfermé dans la frontière militaire du IIIe siècle, qui en
suivait la lisière méridionale, depuis Boghari jusqu’à Sidi Aïssa, au Sud d’Aumale.
Dans le Nord de la province de Constantine, derrière la
chaîne calcaire qui borde le massif ancien, les montagnes de grés ou de
calcaire se succèdent, généralement en rangs compacts, jusqu’aux hautes
plaines de la zone centrale. Les rivières suivent d’étroites vallées, ou se
faufilent avec peine dans des gorges étranglées. Cependant, Ies pluies sont
abondantes, et, là où les terres conviennent aux céréales, à l’arboriculture,
à l’élevage du gros bétail, les établissements antiques ont été nombreux.
Deux bassins compris dans cette région furent surtout très peuplés. Celui de
Constantine est un ancien lac, long d’environ 80 kilomètres
de l’Ouest à l’Est, large d’une vingtaine de kilomètres, comblé par des
argiles et des poudingues, d’un aspect tourmenté. Quoiqu’il ne soit pas
particulièrement fertile, il a été cultivé d’une manière intense, formant en
quelque sorte la banlieue de la ville de Cirta (Constantine) ; qui, bien avant la conquête
romaine, a dû son importance à une incomparable position défensive, sur un
roc abrupt. Le bassin de Guelma, parcouru par la Seybouse, qui en sort
en rompant une barrière, offre des marnes favorables à la viticulture et aux
céréales. On rencontre partout des ruines romaines au Sud de ce bassin, dans
le pays montagneux sillonné par l’oued Cherf, une des branches de la Seybouse, et par ses
affluents, par d’autres riviéres qui vont se jeter plus loin dans la Seybouse, enfin par le
cours supérieur de la
Medjerda : des terres fertiles, argileuses, saturées
de phosphate de chaux, y couvrent de grandes étendues.
— IV —
Au Sud du Tell, s’allonge, dans les provinces d’Oran et d’Alger,
une région de steppes, qui commence dès le Maroc, entre le Moyen et le Haut-Atlas,
et qui va se rétrécissant et s’abaissant de l’Ouest à l’Est, avec une
altitude de 1.200 à 800
mètres. Elle se compose de vastes plaines, séparées
par des rides légères et parsemées de grands lacs, à cuvettes peu profondes,
presque à sec en été, réceptacles en hiver d’eaux qui charrient des sels. Le
sol des steppes est formé d’alluvions d’ordinaire siliceuses, meubles ou
agglomérées, recouvertes a peu prés partout par une sorte de croûte calcaire,
qui empâte des cailloux et des graviers, et dont l’épaisseur varie de
quelques centimètres à plusieurs mètres[12]. L’existence de
cette, carapace, la nature salée de beaucoup de terres rendraient la région
impropre à la végétation arbustive et à l’agriculture, môme si les pluies y tombaient
en quantité suffisante. II n’y pousse que d’humbles plantes, qui résistent à
la sécheresse et se plaisent dans les terrains salés. C’est un pays de
maigres pâturages qui ne durent même pas toute l’année.
Entre ces steppes et les hautes plaines de la province de
Constantine, s’intercale le Hodna, bassin fermé, qui offre au centre un grand
lac, alimenté par les eaux du pourtour. Région effondrée ou cuvette d’érosion[13], le Hodna n’a qu’une
altitude moyenne de 400
mètres, très inférieure a celle des pays qui le
flanquent. Il reçoit peu de pluie et ne pourrait être qu’une steppe, malgré
la fertilité de ses terres d’alluvions, s’il n’était le déversoir de rivières
qui naissent dans les hautes montagnes de la bordure septentrionale du
bassin, ou qui les franchissent, permettant des irrigations sur de grands
espaces, au Nord du lac. Au Sud, des dunes forment une sorte de désert, avec
la belle oasis de Bou Saada. Le Hodna a été incorporé au territoire romain.
Le centre de lit province de Constantine est occupé par de
hautes plaines, qui se prolongent dans la Tunisie occidentale. Ça et là, surgissent des
chaînons, le plus souvent calcaires, morcelés et ravinés pur les érosions,
aux flancs nus ou portant une maigre végétation de pins d’Alep, de thuyas, de
genévriers, d’oliviers sauvages. Dans la partie Nord-Ouest de cette vaste
région, ils se dirigent de l’Ouest à l’Est, comme les plissements du Tell de
l’Algérie orientale. Les autres, beaucoup plus nombreux et qui se rencontrent
déjà dans le voisinage du Hodna, sont orientas du Sud-Ouest au Nord-Est,
comme l’Atlas saharien ; ils se présentent souvent sous l’aspect de dûmes il
base circulaire ou elliptique : type caractéristique de l’orographie tunisienne,
mats qu’on observe déjà en Algérie. A l’Est, les érosions ont parfois découpé
des tables, plates-formes aux pans abrupts, dont la plus remarquable est la Kalaa es Senam, entre
Tébessa et le Kef[14].
Les plaines, mamelonnées dans la Medjana et aux alentours
de Sétif, plus unies a l’Est, sont situées à des altitudes de ï00 a 1000 mètres.
Celle de la Medjana
s’incline vers le Sud et c’est la direction des cours d’eau qui vont
rejoindra l’oued Ksob, avant soit entrée dans le Hodna. Les autres plaines
septentrionales de la région dont nous parlons appartiennent au versant
méditerranéen et sont parcourues par des rivières qui contribuent a la
formation de la Soummane,
de l’oued et Kébir, de la
Seybouse. Ait Sud, il y a des plaines à cuvettes centrales,
où viennent s’amasser en hiver des eaux souvent salées, absorbées en été par
l’évaporation : nous retrouvons là, niais dans de petites proportions, la
nature des stoppes des provinces d’Oran el d’Aker. Mais l’Algérie orientale
et doits la Tunisie
occidentale, d’autres plaines ont leur écoulement par l’affluent principal de
la Medjerda,
l’oued Mellègue, qui prend sa source au Nord de l’Atlas saharien, non loin de
Khenchela, et se dirige du Sud-Ouest an Nord-Est, ainsi que par les affluents
de cette rivière. Enfin, en Tunisie, des eaux s’écoulent vers le Sud-Est.
Cette zone n’est pas partout fertile. Les sols, imprégnés
de sel, qui s’étendent autour des cuvettes des bassins fermés, et même
ailleurs, en particulier entre Souk Ahras et Tébessa, ne conviennent guère qu’à
l’élevage du mouton ; leur superficie est du reste assez restreinte. De
vastes espaces, couverts de limons et de marnes riches en phosphate de chaux,
se prêtent au contraire fort bien à la culture des céréales. Mais les pluies
sont parfais insuffisantes dans les plaines du Nord ; elles le sont souvent
dans celles du Sud, sauf en avant de l’Aurès et des monts de Batna, dont les
masses provoquent des condensations. Toutes ces plaines sont entièrement
dénudées et il est probable que le défrichement n’a fait disparaître que des
broussailles, la nature du sol n’étant pas favorable aux arbres[15]. Abandonnées en
général aux pasteurs avant la conquête romaine, elles ont été ensuite habitées
par une population agricole très dense, surtout autour et au Sud du Kef, sur
la lisière de l’Aurès, bien pourvue de sources et où une forte occupation
militaire a donné l’essor à la colonisation, enfin au Sud-Est et au Sud de
Sétif.
— V —
La zone centrale de l’Algérie est bordée au Midi par l’Atlas saharien,
prolongement oriental du Haut-Atlas marocain. Au Sud des hautes plaines des
provinces d’Oran et d’Alger, comme au Sud du bassin du Hodna, s’allongent des
plissements parallèles, orientés du. Sud-Ouest au Nord-Est, crêtes étroites
et nues, formées surtout de grès friables. Les intervalles sont remplis par
les débris infertiles de ces chaînes et l’on retrouve les maigres plantes des
steppes. Cependant, le massif du djebel Amour, qui présente dans sa partie
orientale de brandes tables aux flancs verticaux, est mieux partagé. Il a de
beaux pâturages, entre des forêts de thuyas, de pins d’Alep et de genévriers
; les sources, assez nombreuses, servent à irriguer des vergers et alimentent
des villages, qui sont sans doute très anciens.
Dans le Sud de la province de Constantine, s’étend le
massif de l’Aurès, auquel on peut rattacher, au Nord-Ouest, les monts
calcaires dits de Batna, qui dépassent 2000 mètres et
portent des forêts de chênes, de genévriers et de cèdres. Entre ces monts et
l’Aurès, un long passage s’ouvre vers le Midi, commandé aujourd’hui par Batna : et dans l’antiquité
par Lambèse, le grand camp de l’Afrique romaine. Cette voie de communication
importante entre les hautes plaines et le désert suit l’oued et Kantara, qui
a coupé une barrière transversale par une courte gorge, au delà de laquelle
on rencontre aussitôt une oasis saharienne.
Les plissements calcaires, minces et abrupts, de l’Aurès,
qui culmine à plus de 2.300 mètres, séparant des vallées étroites,
inclinant vers le Sud-Ouest. Une érosion très intense a profondément creusé
ces dépressions et entraîné jusqu’au Sahara des masses énormes de débris.
Dans ce massif, où la population indigène était dense aux premiers siècles de
notre ère, les sources abondent et les rivières peuvent servir à des
irrigations. C’est surtout, nomme la grande Kabylie, un pays d’arboriculture.
De belles forêts de chênes verts, de genévriers, de pin d’Alep, de cèdres
couvrent les flancs des montagnes.
A l’Est de l’oued el Arab, le djebel Chechar, très
tourmenté, coupé de ravins que des cailloux encombrent, fait suite à l’Aurès.
Plus loin, les plissements serrés de l’Atlas saharien disparaissent. Le pays
des Némenchas, situé au Sud-Ouest de Tébessa, se partage en deux régions
distinctes. Au Nord, de vastes dames elliptiques ont été décapés, aplanis
parles érosions et transformés en plaines, d’une altitude moyenne de 1.000 mètres,
dont les rebords saillants indiquent le pourtour d’anciennes montagnes et
donnent naissance à des sources. La région est sans arbres ; il n’y pleut pas
assez pour la culture des céréales ; l’élevage du mouton est à peu prés la
seule ressource des indigènes. A l’époque romaine, ces plaines furent, en
grande partie, plantées d’oliviers et bien peuplées. Au Midi, une série de gradins caillouteux,
dirigés de l’Ouest à l’Est, descendent vers le désert, sillonnés ou ravinés
par des oueds. L’orientation de ces terrasses et du bourrelet qui les termine
au Sud se retrouve dans le relief de la Tunisie méridionale.
Les eaux abondantes qui dévalent du Haut-Atlas font, nous
l’avons dit, prospérer de belles oasis au Sud du Maroc, En Algérie, les oasis
de la lisière du désert ont beaucoup moins d’importance. Elles doivent leur
existence aux oueds qui sortent de l’Atlas saharien, ou aux nappes
souterraines qui sont alimentées par des eaux de même provenance. Les
principales sont celles de Laghouat, au Sud-Ouest des monts des Ouled Naïl et
à la tête de l’oued Djedi, qui, s’avançant de l’Ouest à l’Est, creuse un long
sillon dans le Nord du désert ; celles des Zibans, dans la région de Biskra ;
enfin celles qui se sont formées aux points où des rivières débouchent de l’Aurès,
du djebel Chechar et des terrasses des Némenchas. Au Sud du Hodna, entre des
plissements des monts des Ouled Naïl, les Romains ont établi, bien au delà de
leur frontière, une ligne de postes militaires, qui ne s’arrêtait qu’à peu de
distance de Laghouat et gardait un passage reliant le Hodna et le Sahara. Ils
ont occupé les oasis des Zibans et, de ce côté, la limite de l’Empire
longeait l’oued Djedi ; puis elle suivait le bord méridional du massif de l’Aurès.
— VI —
La
Medjerda naît dans les montagnes qui s’élèvent au Sud du
bassin de Guelma et va déboucher dans le golfe de Tunis. Elle pénètre en
Tunisie après s’être glissée dans une cluse, limitée par deux plissements d’un
massif, dont les chaînes cou virent l’angle Nord-Est de l’Algérie, entre la
plaine de Bône, la Calle
et Souk Ahras, et se continuent dans la Tunisie septentrionale, au Nord du cours moyen du
fleuve, en Khoumirie et en Mogodie.
Cette région très accidentée offre des suites de croupes
allongées, orientées, comme l’Atlas saharien, du Sud-Ouest au Nord-Est,
coupées par de profonds ravins, séparées par des vallées courtes et étroites.
Des falaises à pic dominent la Méditerranée, entre la plaine de Bône et le cap
Blanc, voisin de Bizerte. Elles sont interrompues par des dunes à l’Est de
Tabarca, le point du littoral qui communique le plus facilement avec la
vallée de la Medjerda.
Les grès du massif, de même nature que ceux qui s’étendent
plus à l’Ouest jusqu’à la grande Kabylie, portent de magnifiques forêts de
chênes. Les pluies sont très abondantes, les sources nombreuses. Il y a de
beaux pâturages dans les vallées et les clairières. Mais le sol siliceux se
prête mal à la culture des céréales.
Au Sud d’une bonne partie de cette zone montagneuse,
depuis la frontière algérienne jusqu’au confluent de l’oued Réja, la Medjerda traverse deux
plaines, celle de Ghardimaou et celle de la Dakhla, qui furent autrefois des lacs. La
première a une vingtaine de kilomètres de longueur, l’autre est beaucoup plus
étendue ; une barrière, coupée par le fleuve, les sépare. A l’extrémité
opposée de la Dakhla,
la Medjerda
se heurte à des chaînes qu’elle franchit avec peine, par des défilés
tortueux, et qu’elle longe ensuite jusque vers Tébourba. Là, commence sa
basse plaine, accrue dans le cours des siècles, par les alluvions glue ses
eaux entraînent vers lamer et souvent encore inondée.
Comblées par les limons fertiles qu’ont apportés la Medjerda, l’oued Mellègue
(qui rejoint ce fleuve
dans la Dakhla)
et d’autres rivières, les plaines de Ghardimaou et de la Dakhla, les Grandes Plaines
des anciens[16],
sont d’admirables terres à céréales. Elles ont été exploitées dès l’époque
punique.
Le centre de la
Tunisie est occupé, au Sud de la Medjerda, par un vaste
plateau, d’une hauteur moyenne de 800 mètres[17]. C’est, en
réalité, un immense dôme, très surbaissé, parsemé de bosses irrégulières,
découpé par les érosions en tables, dont les flancs tombent à pic sur des
vallées profondes[18]. De là, des
rivières s’échappent dans toutes les directions. Au Nord, ce sont l’oued
Tessa, l’oued Khalled et la
Siliana, affluents de la Medjerda ; à l’Ouest,
des oueds qui se jettent dans l’oued Mellègue ; au Sud et à l’Est, des cours
d’eau qui vont converger vers la sebkha Kelbia, près de Kairouan ; au Nord-Est,
l’oued el Kébir, appelé plus bas oued Miliane, qui apporte en toute saison de
l’eau au golfe de Tunis. Les vallées, plus ou moins larges, que ces rivières
parcourent et qui s’étoilent autour du plateau central, ont un sol formé d’alluvions
épaisses et fertiles. Sur le plateau, dominent des marnes, mélangées de phosphate
de chaux et propres à la culture des céréales. Les sources ont, pour la
plupart, un débit médiocre, mais elles abondent. D’ordinaire, il tombe assez
de pluie, grâce à l’altitude. Tout ce pays fut jadis très peuplé, très
prospère, même avant la conquête romaine.
Du plateau se détache, à l’Est, la chaîne Zeugitane,
formée de calcaires gris ou bleus, aux crêtes dentelées[19]. On y retrouve des
séries de dômes, souvent morcelés, séparés par des cuvettes : en particulier
au djebel Zaghouane, haut de près de 1.300 mètres, massif
riche en sources, dont les Romains ont tiré l’eau nécessaire à l’alimentation
de la grande ville de Carthage. Cette chaîne se dirige d’abord du Sud-Ouest
au Nord-Est, comme toutes les montagnes de la Tunisie septentrionale
et centrale ; puis, elle s’oriente vers le Nord et aboutit au fond du golfe
de Tunis, près de Hammam Lif. Des plissements secondaires la flanquent et
encadrent avec elle, au Nord, la fertile vallée de l’oued Miliane, cultivée
partout dans l’antiquité ; au Sud, la longue plaine de l’oued Nebaane,
rivière qui se détourne ensuite vers le Sud-Est pour rejoindre la sebkha
Kelbia. Deux autres plis se prolongent jusqu’à l’extrémité de la péninsule du
cap Bon.
Dans la
Tunisie orientale, Ies cotes plates qui courent du golfe de
Hammamet au golfe de Gabès précèdent la région dite du Sahel, bande de
plaines basses, comme l’Enfida (entre la chaîne Zeugitane et la mer), ou de plateaux très peu
élevés, comme celui d’El Djem. Au delà s’étendent des bassins, dont la
cuvette est légèrement concave et que limitent de faibles bourrelets. Des
lacs à fond argileux se forment en hiver au centre de ces plaines, ne
laissant guère sur le sol, pendant l’été, que des efflorescences salines. Le
plus important, mais non le plus étendu, est la sebkha Kelbia, au Nord-Est de
Kairouan, où convergent de nombreux oueds, qui viennent du Nord-Ouest, de
l’Ouest, du Sud-Ouest, et prennent leur origine soit dans la chaîne Zeugitane,
soit dans le plateau central. Ils ne sont pas grossis en route par des affluents,
car il n’y a que fort peu de sources dans cette région, où il ne pleut guère,
et ils n’alimentent que très médiocrement la sebkha, leur eau étant absorbée
par l’évaporation, ou s’infiltrant dans des sols très perméables. La sebkha Kelbia
n’est cependant jamais tout à fait a sec. Elle a un émissaire qui la relie
quelquefois, après de fortes pluies, à une lagune du littoral, la sebkha d’Hergla.
On rencontre d’autres lacs plus au Sud : le plus grand est la sebkha
Sidi et Hani, au Sud-Est de Kairouan.
La
Tunisie orientale a des espaces salés, qui ne comportent
que l’élevage du mouton. Mais, en général, les terrés, légères, sont
composées d’éléments fertiles. Les blés des environs de Sousse étaient fameux
dans l’antiquité pour la grosseur de leurs épis. Par malheur, les pluies sont
très souvent insuffisantes pour la bonne venue des céréales : la chaîne Zeugitane
et la masse du plateau central les arrêtent du côté du Nord-Ouest. Si les
récoltes sont assez régulières autour de Sousse, elles deviennent très
aléatoires plus au Sud et à l’intérieur du pays. Mais, comme l’a montré M.
Bourde[20], la constitution
du sol se prête très bien à l’arboriculture. Sous la couche supérieure, où le
sable absorbe rapidement la pluie et que les racines des céréales ne
dépassent pas, existe, à une profondeur assez faible, une couche de tuf
calcaire, peu perméable. Alors que la surface est complètement desséchée, le
sous-sol reste humide c’est là que se développent les racines des arbres.
Ainsi, dans des campagnes où les oueds ne traînent que de misérables filets d’eau,
taris en été, où les sources sont très rares, une population nombreuse peut
vivre par les cultures fruitières. A l’époque romaine, des plantations d’oliviers
couvrirent une grande partie des steppes que parcouraient auparavant les
troupeaux des nomades.
A l’Ouest de cette zone, au Sud du plateau central et des
plaines qui continuent celles de la province de Constantine[21], s’étend une
région bordée au Midi par
une vaste dépression, vers laquelle elle s’abaisse. Cette dépression n’a
jamais été, comme un l’a soutenu, un bassin maritime, communiquant avec le
golfe de Gabès. Elle est remplie par le chott el Djerid, qui projette au
Nord-Est un long bras, appelé chott el Fedjedje, par le chott Gharsa et, plus
à l’Ouest (au Sud de
l’Algérie), par une suite de sebkhas aux contours capricieux, dont la
principale est le chott Melghir.
Dans la
Tunisie méridionale, les plissements qui s’allongent vers
la latitude de Gafsa et plus au Sud, jusqu’aux chotts, sont généralement
orientés de l’Ouest à l’Est. Ces chaînes hérissent le pays, limitant des
vallées ou des plaines à profil courbe, dont le centre est occupé, pendant
une partie de l’année, par des mares. Au Nord de Gafsa, courent, dans
diverses directions, de petites arêtes, isolées ou soudées entre elles,
dominant de larges plateaux.
Cette région est presque entièrement dénudée. Les pauvres
pâturages des steppes sont broutés par des moutons, des chèvres et des
chameaux. Cependant, en maints endroits, le sol n’est les infertile beaucoup
de terres sont riches en débris de phosphate de chaux. Mais la pluie tombe
trop rarement pour assurer les récoltes de céréales. Les cultures arbustives,
qui résistent mieux à la sécheresse, se sont développées, aux premiers sicles
de notre ire, dans Ies lieux où des aménagements hydrauliques pouvaient
procurer aux hommes l’eau nécessaire pour cirre et faire quelques
irrigations. Autour des rares sources, se sont formées des oasis, arec leurs
palmiers, accompagnés d’autres arbres fruitiers. Ce pays de transition
produit a la fois des dattes et des olives[22].
A la lisière même du Sahara, que la domination romaine a
atteinte, il y a de belles oasis dans le Djerid, entre le chott el Djerid et
le chott Gharsa ; dans le Nefzaoua, à l’Est du chott et Djerid et au Sud du
chott el Fedjedje ; enfin, sur la mer, à Gabès.
— VII —
Comme nous l’avons dit, nous rattachons il l’Afrique du
Nord, pour des raisons tirées, de l’histoire, les terres qui bordent au Sud
le caste golfe des Syrtes. A l’Est de la grande Serte, s’étend la Cyrénaïque,
contrée à physionomie bien distincte, sorte d’île qui appartient a la
Méditerranée orientale. Une colonisation prospère en fit un
pays grec ; plus lard, la Cyrénaïque, devenue romaine, ne forma qu’une
province : avec la Crète. Géographiquement et historiquement, elle
appartient à un monde tout différent de ce que nous appelons l’Afrique du
Nord.
Entre Gabès et le cap Misrata, le littoral, bas, bordé de
dunes derrière lesquelles des lagunes s’étalent çà et là[23], semé d’oasis
que séparent des espaces déserts, précède un pays de plaines légèrement
ondulées, qui s’élire en pente très douce vers l’intérieur. C’est la Djeffara des indigènes,
dont la profondeur atteint 100 kilomètres à la frontière tunisienne et
diminue vers l’Est. Sablonneuse et sèche, elle n’est pas habitée. Elle ne l’était
pas davantage à l’époque antique, sauf dans sa partie Nord-Ouest, en Tunisie,
où elle est très étroite : la proximité du bourrelet dont nous allons parler
la fait, de ce coté, bénéficier de quelques pluies et permet d’utiliser
jusque dans la plaine les oueds qui descendent des hauteurs, pour des
cultures exigeant peu d’eau.
La Djeffara
est dominée à pic par une longue suite de falaises calcaires, qui se dressent
a une altitude moyenne de 300
mètres, formant un vaste demi-cercle, tourné vers le
Sud, depuis les environs de Gabès jusqu’au voisinage du cap Misrata. Cette zone[24], que les
indigènes appellent le Djebel (la Montagne),
n’est que le rebord d’un immense plateau saharien. Elle est loin d’avoir l’aspect
régulier à un rempart continu. Sur une largeur variable, elle a été découpée,
déchiquetée, démantelée par les érosions. Parfois, elle se présente en
gradins. Certaines parties ont été détachées de la masse, elles constituent
des avant chaînes dans la partie Nord-Ouest du Djebel[25]. Au Nord-Est, ce
qu’on nomme le djebel Tarhouna est un plateau raviné, qui forme une sorte de
grand bastion, en saillie sur la bordure, et qui se prolonge, dans la
direction de Khoms et de Lebda, par des collines s’élevant au-dessus du
littoral[26].
Le brusque obstacle du Djebel contraint les vents humides qui soufflent
quelquefois de la mer à se décharger de la vapeur d’eau qu’ils contiennent ;
les pluies, quoique peu fréquentes, permettent à une population assez
nombreuse de vivre dans cette région. Des ruisseaux se précipitent en
cascatelles à travers les crevasses, les couloirs tortueux, et servent à des
irrigations ; sur les pentes, ont été constituées des terrasses élevées, que
bordent des murs de soutènement et qui portent des champs d’orge ou des
arbres fruitiers, surtout des oliviers et des figuiers. Au pied même des
falaises, au delà des éboulis de la frange saharienne, l’irrigation rend la
culture possible. Mais les oueds s’épuisent très vite ; ils n’ont pas la
force de traverser la
Djeffara. Derrière le Djebel, commence le désert, immense
champ de pierres.
Le littoral occidental de la grande Syrte, au Sud-Est du
cap Misrata, est bordé par la longue lagune, aujourd’hui desséchée, de
Taorga, vers laquelle convergent de nombreux oueds, venant de l’Ouest. Ces
ravins sillonnent le plateau saharien qui, de ce coté, s’incline vers l’Orient
et qui n’est qu’une vaste solitude. Mais les fonds plats et souvent assez
larges des oueds sont imprégnés de quelque humidité, circulant par un
parcours souterrain, et ne se refusent pas à de pauvres cultures. Ces
thalwegs ont été peuplés dans l’antiquité, comme ils le sont encore aujourd’hui.
Dans les intervalles pierreux qui les séparent, la vie a toujours été
impossible.
Au Sud de la grande Syrte, le désert s’avance jusqu’au
rivage. Il n’y a rien à tirer de cette région ; il a suffi aux anciens d’établir,
le long de la côte, une route assurant les communications avec la Cyrénaïque.
— VIII —
Cet aperçu géographique montre combien l’Afrique du Nord
manque de cohésion.
Si les régions que renferme la France sont très différentes,
elles se groupent autour d’un noyau central, elles se succèdent sans violents
contrastes, elles s’ouvrent et se parcourent par des voies faciles,
terrestres et fluviales. La
France est un pays d’harmonie et d’équilibre. Il n’en est
pas de même de la Berbérie.
S’étendant sur une longueur de plus de quatre cents lieues,
depuis l’océan Atlantique jusqu’au golfe des Syrtes, mais n’ayant qu’une
largeur médiocre, elle se prête mal à la formation d’un empire unique, au
développement d’une civilisation uniforme. À l’Ouest, il est vrai, la contrée
fertile comprise entre l’Océan, le Rif et l’Atlas forme un ensemble assez
bien agencé[27] ;
à l’Est, un grand plateau, d’ailleurs tourmenté, occupe le contre de la Tunisie, et de nombreuse,
vallées en rayonnent. Mais même à proximité de ces deux régions, il en est d’autres
que la nature a isolées : au Nord du Maroc, le Rif, hérissé de chaînes
compactes ; au Sud, le Sous, qui s’enfonce entre deux hauts remparts ; au
Nord de la Tunisie,
le massif boisé de la
Khoumirie. Dans l’intervalle, l’Algérie est obstruée par
des montagnes le long de la Méditerranée, en grande partie occupée par des
steppes à l’intérieur des terres.
Dans ce corps long et mince, mal conformé, les cours d’eau
n’assurent pas la circulation. La navigation n’est possible que sur deux ou
trois fleuves de l’Ouest du Maroc[28], qui sont
séparés de la mer par une barre dangereuse. Les autres rivières se dessèchent
presque toutes ou n’ont qu’un débit insignifiant pendant l’été ; en hiver, ce
sont pour la plupart des torrents, se précipitant dans un lit encombré de
rochers, par de fortes pentes. Leurs vallées mêmes n’offrent que rarement des
voies d’un accès facile. Pour gagner la Méditerranée,
de nombreux oueds coupent transversalement des chaînes parallèles à la mer ;
ils se fraient avec peine un passage par des gorges profondes et tortueuses,
ou par de brusques cascades ; d’autres, dont le cours s’adapte à l’orientation
générale du relief, sont parfois resserrés entre deus plissements, ou doivent
rompre çà et là des obstacles, par des défilés étroits. Le fleure le plus
important de l’Afrique septentrionale, la Medjerda, traverse, en amont et en aval des
Grandes Plaines, deus régions tourmentées, où sa vallée se réduit à un
couloir. Dans le Tell algérien, les longues vallées du Chélif et de la Soummane s’étranglent
en deux endroits. Entre les plaines de Guelma et de Bône, la Seybouse est un fossé à
parois rocheuses. Plus loin vers l’intérieur, des oueds vont se perdre dans
des cuvettes sans issue.
Les rivières de la Berbérie ont quelquefois servi de limites
politiques. Mais leur rôle économique a toujours été très modeste. Beaucoup
changent de nom, selon les pays qu’elles parcourent : ce qui prouve qu’on ne
les suit guère. Au delà du littoral, les villes du Tell se sont élevées
auprès de sources abondantes et dans des lieux faciles à défendre ; elles n’ont
pas été, comme tant de cités gauloises, des carrefours fluviaux.
Parmi les régions naturelles de l’Afrique du Nord,
certains massifs montagneux sont trias peuplés, malgré la médiocrité du sol,
car les hommes s’y sentent plus en sécurité qu’ailleurs tels l’Aurès, la
grande Kabylie, le Rif[29]. Il s’y est
formé de petites sociétés, jalouses de leur indépendance, n’occupant que des
territoires restreints.
La valeur des pays plats est, nous l’avons vu, fort
inégale. Les uns ne reçoivent pas assez de pluie, d’autres sont marécageux, d’autres
stérilisés par la forte proportion de sel qui se mêle à la terre. Sauf
quelques régions étendues, surtout le centre de la Tunisie et l’Ouest du Maroc,
les espaces fertiles ne forment que des îlots, qui contrastent arec la
pauvreté et la rudesse des pays environnants, et qui communiquent difficilement
entre eux, par des passages dont les montagnards sont les maîtres.
Cette vaste contrée était-elle donc destinée a n’avoir d’autre
histoire que les annales monotones d’une foule de cantons, agités par des
ambitions vulgaires et de mesquines querelles de voisinage ?
Il est certain que les Berbères ont trop souvent dépensé
leur énergie dans des luttes, sans grandeur et sans intérêt, d’individus, de
familles, de coteries, de villages, de tribus. Ils ont presque toujours
manqué des sentiments de large solidarité qui constituent les nations[30].
Cependant des rapports se sont établis de bonne heure
entre les habitants des diverses régions de l’Afrique septentrionale. Une
seule longue s’est répandue partout, celle dont dérivent tous les dialectes
berbères. Dans les stations qui remontent à la civilisation de la pierre, on
trouve déjà des indices de lointains échanges. La domestication de certains
animaux dut rendre les relations plus fréquentes et plus régulières : le
climat obligeait, en effet, beaucoup de pasteurs à transhumer. Les nomades du
Sud eurent besoin des céréales moissonnées par les agriculteurs du Tell,
auxquels ils apportèrent les laines de leurs troupeaux et les dattes des
oasis.
Des groupements, que nous appelons des tribus, naquirent
sans doute des besoins de la défense et de l’attaque. Plus tard, des États se
formèrent, unissant des régions naturelles, distinctes, mais coupant en
tronçons la longue bande nord africaine. Carthage s’annexa une grande partie
de la Tunisie,
un royaume se constitua dans le Maroc, d’autres royaumes s’étendirent sur l’Algérie
et la Tunisie
occidentale. Enfin, Rome fit, en plusieurs étapes, la conquête de tout le
pays. Mais chacune des provinces qu’elle créa vécut de sa vie propre. Tandis
que Lyon fut véritablement la capitale des Gaules, Carthage, redevenue aux
premiers siècles de notre ère une des plus grandes villes du monde, ne fut
que le chef-lieu d’une de ces provinces.
Dans l’antiquité, l’Afrique du Nord n’a jamais eu une
entière unité politique et administrative, comme la vallée du Nil et les plaines
ouvertes de la Mésopotamie[31]. Ses maîtres n’ont
jamais pu faire accepter leur domination d’une manière définitive et
complète. Les souverains des grands royaumes maures et numides ne paraissent
pas avoir été aussi absolus qu’ils prétendaient l’être ; ils eurent souvent,
comme Carthage, à réprimer des soulèvements de leurs sujets. La paix romaine
fut fréquemment troublée par des révoltes d’indigènes, dont les moins graves
ne furent pas celles qui éclatèrent sous le Bas-Empire, après plusieurs
siècles d’occupation.
La structure du pays maintenait chez ses diverses
populations le contraste des mœurs et des intérêts. La civilisation et la
barbarie vivaient côte à côte : l’une, dans les plaines et les plateaux
fertiles ; l’autre, dans les régions déshéritées des steppes, dans les
massifs montagneux qui dominaient et isolaient les riches campagnes, et d’où
elle guettait les occasions favorables pour se précipiter au pillage. Cette
opposition a empêché la formation d’une nation berbère, maîtresse de ses
destinées, et, quand la conquête étrangère a pu imposer à l’Afrique
septentrionale une apparence d’unité, elle n’a pas réussi à fondre dans une
harmonie durable des éléments aussi disparates.
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