RECHERCHES HISTORIQUES SUR LES LOTERIES DES ROMAINS

 

PAR J.-G.-HONORÉ GREPPO.

VICAIRE GÉNÉRAL DE BELLEY, DES ACADÉMIES DE LYON ET DE MÂCON, DE L'INSTITUT HISTORIQUE, ETC.

BELLEY — IMPRIMERIE VERPILLON - 1835

 

 

On ne peut faire remonter bien haut cette institution immorale à laquelle nous avons donné le nom de LOTERIE, et prostitué le titre auguste de royale, plus convenable, ce semble, à des établissements de bienfaisance, ou d'utilité publique. Si elle ne date pas en France du siècle dernier, c'est alors, du moins, qu'elle reçut à peu près l'organisation que nous lui voyons aujourd'hui[1]. Plus heureux que nous, les anciens ne connurent pas cette plaie de nos sociétés modernes : cette turpitude manqua aux turpitudes de leurs siècles les plus dégradés. La cupidité et la passion du jeu sont des vices de tous les temps[2], et s'il y avait eu à Athènes, à Corinthe, à Rome surtout, quelque chose de semblable à la Loterie, sans doute les classes si misérables des esclaves et des pauvres y eussent porté, avec empressement, le fréquent tribut de leurs épargnes. Les gouvernements d'alors n'avaient pas su l'inventer. A Rome même, les empereurs, si avares pour la plupart, au milieu de leurs prodigalités, et toujours disposés à faire argent de tout, purent bien accorder une prime à la délation, et livrer à la hache du licteur, ou au poignard du centurion, les citoyens opulents dont ils convoitaient les trésors. Mais on ne les vit pas, spéculant sur la crédulité populaire, ouvrir un gouffre dévorant, pour engloutir la dernière ressource du pauvre et de sa famille.

Il n'en fut pas de même de ces loteries sans conséquence qui se tirent quelquefois parmi nous, entre un petit nombre de personnes, sans que le léger intérêt qu'on attache à leur résultat soit fait pour exciter la cupidité, et dans lesquelles personne ne court les chances, ni de s'enrichir en un instant, ni d'éprouver une perte qui lui serait onéreuse. Quelque chose de semblable, quant au fonds, quoique varié dans les détails, exista à Rome au temps des empereurs ; et les écrivains de cette époque nous ont conservé à cet égard d'assez nombreuses particularités. Elles sont de nature à intéresser la curiosité des, lecteurs modernes qui aiment à étudier les coutumes anciennes, et à comparer ce qui fut jadis, avec ce qui existe aujourd'hui. Reconnaître tes faits divers, les mettre en regard, pour les éclairer les uns par les autres, c'est l'objet unique de ce petit travail : on ne l'a point encore fait ex professo, et d'une manière suivie, que je sache du moins.

I. La première indication d'un tel usage chez les Romains, se trouve dans le biographe des douze Césars. Il raconte d'abord que, durant les Saturnales, et même dans d'autres temps, quand la fantaisie lui en prenait, Auguste faisait des présents assez singulièrement diversifiés. C'étaient, tantôt des objets précieux, ou du moins convenables, comme on a coutume d'en offrir, tantôt des bagatelles sans prix, ou même ridicules, et qui n'avaient de mérite que par le sens énigmatique qu'il y attachait ; telles que des étoffes grossières, des éponges, des outils d'artisans, et autres choses de même valeur. Saturnalibus, et si quando alias libuisset, modo munera, dividebat, vestem et aurum, et argentum ; modo nummos omnis notœ, etiam veteres, regios ac peregrinos ; interdurn nihil prœter cilicia, et spongias, et rutabula, et forcipes, atque alia id genus, titulis obscuris et ambiguis[3]. Suétone ajoute, ce qui a plus de rapport à mon sujet, que ce prince avait coutume, dans les festins qu'il donnait, de faire tirer au sort par ses convives des choses de nature fort disparate, ou bien de mettre en vente des tableaux retournés ; il aimait à être témoin de ces jeux du sort, et à voir couronnées ou frustrées les espérances de ceux qui achetaient ainsi, sans avoir vu l'objet de leur marché. Solebat et inœqualissimarum rerum sortes, et aversas tabularum picturas in convivio venditare, incertoque casu spem mercantium, vel frustrari, vel explere[4]. Il faut se rappeler ici que les Romains et d'autres peuples de l'antiquité ne mangeaient pas assis comme les modernes, mais couchés sur des lits qui entouraient la table de trois côtés, d'où vint le nom de triclinium[5], et que chacun de ces lits pouvait contenir un plus ou moins grand nombre de convives, ordinairement trois. On entendra alors ce que l'historien ajoute, que cette licitation[6] avait lieu non par personnes, mais par lits, en sorte que les convives qui occupaient le même, partageaient entre eux, comme associés, les bénéfices ou les pertes : Ita ut per singulos lectos licitatio fieret, et seu jactura, seu lucrum communicaretur[7].

Ce tirage au sort, par suite duquel les uns devenaient possesseurs de quelque objet à leur convenance, d'autres peut-être n'avaient rien, ceux-ci enfin n'obtenaient que des lots insignifiants, faisait bien une véritable loterie ; mais elle était moins monotone que les nôtres. On peut en dire autant de cette vente d'objets qui étaient adjugés sans avoir été vus, comme les tableaux retournés, dont, quelques-uns peut-être, on peut le supposer, en avaient seulement la forme, et n'étaient peints sur aucune de leurs faces. Ce genre de chances avait quelque chose de piquant lorsqu'arrivait la péripétie de ce petit drame : c'est ce qui en faisait le charme aux yeux de l'Empereur.

Tout ceci ressemble assez à un jeu moderne, qui n'est guère connu que des enfants, et qu'ils appellent la Loterie, ou le Commerce : en voici la description exacte, si ma mémoire me sert bien. On commence par écarter d'un premier jeu, sans les laisser voir, un certain nombre de cartes qui doivent former les lots, ct on répartit inégalement sur elles les enjeux de chacun. Un jeu de cartes pareil est ensuite distribué aux joueurs, à l'exception de quelques cartes qu'on étale à découvert, et qu'on nomme le talon. Cela fait, on tire successivement celles du jeu qui a fourni les lots, et à mesure qu'elles sortent, chacun place à côté les cartes semblables que le sort lui avait données. Il s'en forme ainsi deux piles parallèles, jusqu'à ce que toutes les cartes étant épuisées, il n'en reste qu'un nombre égal à celui des lots. On découvre alors les cartes sur lesquelles on les avait placés, et chacun appartient au joueur qui a conservé la carte correspondante. D'autres particularités donnent à ce jeu de nouveaux rapports avec le récit de Suétone. Au commencement de la partie on vend à l'enchère, et au profit des lots, les cartes qui étaient restées au talon ; chaque joueur peut vendre aussi, tant que dure le jeu, quelques-unes ou la totalité de ses cartes, dont la valeur putative s'élève, à mesure que le dénouement approche, parce qu'elles ont plus de chances d'être celles des lots. Mais parmi celles-ci, plus on moins chargées de fiches, de jetons ou de pièces de monnaie, il en est une, restée nue, et qui, par conséquent, ne rapporte rien. Dans nos contrées, on l'appelle le nigaud, expression naïve du désappointement qu'éprouve celui auquel elle échoit, et qui excite parmi les jeunes joueurs un rire inextinguible. Ces cartes achetées, qui s'envolent comme les autres, cette carte vide et improductive, trompant l'espérance d'un joueur qui s'est cru fortuné, ne rappellent-elles pas les tableaux retournés du festin d'Auguste ?

On connaît la passion effrénée de Néron pour les spectacles. Ce n'était pas assez pour lui de n'en manquer aucun, et d'abandonner pour cela les soins les plus importuns ; on le vit pousser l'oubli de la dignité impériale jusqu'à remplir lui-même un rôle dans les jeux de la scène ou de l'amphithéâtre, et rechercher les applaudissements de la plus vile populace. Suétone parle fort au long des spectacles dont il fit jouir ce peuple romain, alors si dégradé, qui ne connaissait que deux besoins, le pain et les jeux du Cirque[8]. Un biographe de Néron ne pouvait omettre de semblables faits : avec des débauches dégoûtantes, et les actes de la plus révoltante cruauté, ils composent toute la vie de ce monstre. L'historien s'étend particulièrement sur les jeux que Néron fit célébrer pour l'éternité de l'empire : quos pro æternitate imperii susceptos appellari MAXIMOS voluit[9]. Une des circonstances les plus curieuses, que Suétone nous ait conservées, est celle d'une maison livrée aux flammes sur la scène, dans la représentation de la pièce intitulée l'INCENDIE : le pillage en fut abandonné aux acteurs ; singulier mode de largesses, il faut eu convenir. Inducta est Afranii togata quæ INCENDIUM inscribitur, concessumque ut scenici ardentis domus suppellectilem diriperent, ac sibi haberent[10]. Les libéralités que l'Empereur fit au peuple dans cette circonstance, furent poussées jusqu'à la profusion. Pendant plusieurs jours on lui distribua des dons de toute espèce, à raison, à ce qu'il paraît, de mille lots pour chaque jour, C'étaient de nombreuses variétés d'oiseaux destinés pour la table, des rations de blé, des habits, de l'or, de l'argent, des pierres précieuses, des perles, des tableaux, des esclaves, des bêtes de somme, des animaux sauvages, que l'art avait apprivoisés, des navires, des îles[11], des terres. Sparsa et populo missilia omnium rerum, per omnes dies, singula millia : avium cujus que generis multiplex penus, tesserce frumentarice, vestis, aurum, argentum, gemmœ, margaritœ, tabulæ pictœ, mancipia, jumenta, atque etiam mansuetœ ferœ, novissime naves, insulæ, agri[12].

Ici l'histoire ne dit pas formellement, il est vrai que ces divers objets fussent distribués au peuple par la voie du sort. Mais c'est le sens naturel de ce passage ; et il est ainsi entendu par les critiques les plus judicieux. Ce nombre de mille, fixé pour chaque jour, pendant la durée des jeux, est à lui seul une raison suffisante de l'expliquer ainsi. Bien certainement, celui des compétiteurs était infiniment plus considérable, et tout le monde ne pouvait se ressentir de la libéralité du prince ; mais personne ne devait avoir lieu de se plaindre : la moindre injustice eut soulevé l'indignation d'un peuple fier et jaloux, tout avili qu'il était. Il n'y avait donc que le sort qui pût assigner la part de chacun, et c'était un moyen usité comme on l'a vu, et comme on le verra encore. L'extrême inégalité des lots est un nouveau motif d'admettre le tirage au sort, comme le seul mode de distribution possible en pareil cas. Par ce moyen tout le monde était également traité dans ce partage inégal, parce que tous y couraient des chances égales.

Néron, comme on voit, faisait grandement les choses : certes, des vaisseaux, des terres, des îles étaient d'assez jolis pressens, et plusieurs des spectateurs durent se retirer de ces jeux avec une fortune faite. Les classes inférieures qui mettaient le plus d'intérêt à ces distributions, parce qu'elles devaient y avoir la principale part[13], étaient sans doute fort satisfaites de la libéralité de leur empereur. C'était bien là ce qu'il se proposait, et tout son étalage de générosité avait certainement pour but essentiel de se concilier l'affection du peuple. Mais Néron était un prodigue, le besoin de remplir son trésor, souvent épuisé par de semblables profusions, le mit dans la nécessité d'ajouter de nouveaux crimes à ceux.qui en avaient fait déjà un objet d'exécration, pour toutes les âmes honnêtes ; et cette masse de cruautés, soulevant enfin ce même peuple, hâta pour lui cette mort violente, dont la justice divine fait sur la terre la punition de la plupart des tyrans.

On a souvent observé, et avec raison, que les auteurs de vies particulières sont plus riches en détails de mœurs et de coutumes que des historiens d'un ordre, supérieur : l'archéologie romaine doit bien plus à Suétone, et aux écrivains peu estimés de l'HISTOIRE AUGUSTE, qu'à Tite-Live, et à Tacite. C'est à l'un de ces biographes, à Lampride, que j'emprunterai de nouveaux faits plus circonstanciés, et non moins curieux. Ceux-ci sont d'une époque de beaucoup postérieure, puisqu'ils appartiennent à la vie d'Antonin Elagabale, cligne successeur de Néron, qu'il laissa loin derrière lui en fait d'extravagance et de débauches, s'il ne l'égala pas en cruauté. Ce prince voluptueux et prodigue, qui portait des pierres gravées sur sa chaussure ; qui nourrissait ses chevaux avec des fruits rares, ses chiens, avec des foies d'oies, et des animaux féroces, avec des faisans et d'autres oiseaux plus recherchés encore ; qui faisait inonder de parfums tous ceux qui assistaient aux spectacles ; qui servait à ses convives des mets assaisonnés avec des perles, et leur prodiguait tellement les roses effeuillées, que plusieurs en furent étouffés[14] ; cet insensé, dis-je, faisait aussi des pressens splendides et inusités à ceux qu'il flétrissait du titre de ses amis. C'étaient des eunuques, des quadriges, des chevaux avec leurs équipages, des mules, des voitures de différentes espèces, de fortes sommes en or, ou des poids considérables en argent. Il faisait aussi tirer au sort des objets précieux, et d'autres ridicules : en-sorte, dit son historien, que l'un avait pour lot dix chameaux, un autre dix mouches, celui-ci dix livres d'or, celui-là dix de plomb ; l'un recevait dix autruches, un autre dix œufs de poule ; ce qui en faisait de véritables sorts, puisque tous tentaient la fortune. Eunuchos pro apophoretis dedit ; dedit quadrigas, equos stratos, mulos, basternas et rhedas ; dedit aureos millenos, et centena pondo argenti, sortes sane conviviales scriptas in cochlcaribus habuit, tales ut alius exhiberet (al. exiret) decem camelos, alius decem muscas, alius decem libras auri, alius decem plumbi, alius decem struthiones, alius decem ova pullina, ut verœ sortes essent, et fata tentarentur[15].

Il agissait de même avec le peuple, ajoute l'historien, dans quelques- uns des spectacles qu'il lui donna ; on le vit ainsi faire tirer au sort, dix ours, dix loirs, dix laitues et dix livres d'or Les acteurs eurent part aussi à de semblables largesses, et il mit au sort, en leur faveur, des chiens morts, une livre de bœuf, cent pièces d'or, mille pièces d'argent, cent pièces aussi de la plus petite monnaie. Et le peuple charmé de ce nouveau spectacle, et avide d'en, retirer quelque chose, trouvait cela admirable, et se félicitait d'avoir un tel empereur : bassesse incroyable, si l'histoire n'en offrait pas malheureusement de trop fréquents exemples. Quod quidem et ludis suis exhibuit, quum et ursos decem, et decem glires, et decem lactucas, et decem auri libras in sorte habuit. Primusque hunc morem sortis instituit quem nunc videmus. Sed vere ad sortem scenicos vocavit, quum et canes mortuos, et libram bubulæ carnis haberet in sorte ; et item centum aureos, et mille argenteos, et centum folles æris, et dia taria, quæ populus tam libenter accepit, ut eum postea imperare gratularetur[16].

Il y a dans le récit de Lampride deux circonstances particulières, qui méritent quelque attention. Je reviendrai bientôt sur la première, ce que j'aurai à en dire devant se trouver mieux à sa place un peu plus loin. Mais je dois m'arrêter ici à son observation, que ce fut Elagabale, qui, le premier, introduisit cet usage de tirer au sort, tel qu'il existait encore au temps où lui-même écrivait : Primusque hunc morem sortis instituit, quem nunc videmus. Cette observation n'offre, après tout, rien d'embarrassant. Il est bien évident qu'elle ne peut s'appliquer à la chose en elle-même, c'est-à-dire, à l'usage de faire tirer au sort différents lots, soit par les convives dans les festins, soit par le peuple aux fêtes publiques : nous l'avons vu pratiqué longtemps avant le règne du fils de Sœmias. Il faut qu'elle regarde la manière dont se faisait ce tirage, comme semblent l'indiquer les expressions hunc morem sortis ; ou qu'elle se rapporte à toute autre circonstance, sur laquelle l'auteur ne s'explique pas suffisamment. Du moins il nous apprend ici un nouveau fait important à constater : c'est que ces loteries étaient encore en usage au temps de Lampride, c'est-à-dire sous Dioclétien, auquel nous voyons qu'il dédia ses ouvrages. Mes recherches n'ont pu réussir à me faire trouver, dans les écrivains de ce siècle, aucune donnée plus positive sur cette époque, et ici se terminent les renseignements proprement historiques. Nous en retrouverons quelques autres, plus généraux, chez les auteurs qui se sont attachés davantage, par la nature même de leurs écrits, à peindre, ou à signaler les mœurs et les coutumes de leurs contemporains.

Ainsi qu'on vient de le voir, Suétone et Lampride fournissent de nombreux détails sur les loteries des Romains. Ils se sont étendus principalement sur la nature des lots qu'on mettait au tirage, et qui pourraient donner lieu à des commentaires intéressants ; mais nous avons à regretter qu'ils aient gardé un silence presque absolu sur la nature des procédés employés, en pareilles circonstances, pour obliger le sort à s'expliquer. On ne peut donc former, à cet égard, que des conjectures, plus ou moins vraisemblables, selon qu'elles seront plus ou moins en rapport avec d'autres faits, ou d'autres usages. Il est possible que le sort rendit ses arrêts par l'organe des divers instruments dont on se servait dans les jeux de hasard, sous les noms de tali, tesseræ, taxilli, etc., et qui étaient tous des espèces de dés[17]. Divers faits, que nous fournissent les écrivains de cette époque, nous font connaître que cette manière de jeter les dés pour consulter le sort était fort en usage dans plusieurs circonstances assez semblables à celles qui font l'objet de ces recherches, et même dans d'autres d'une nature plus grave et plus solennelle[18]. Peut-être, dans ces loteries, tirait-on d'une urne autant de billets qu'il y avait de concurrents ; soit que ces billets fussent tous numérotés, et que les premiers, jusqu'à tel nombre, dussent gagner, selon la quantité et l'ordre des lots ; soit que les uns fussent blancs, et que les autres portassent inscrite l'indication des objets qui devaient leur échoir. Bien que tout cela, je le répète, soit purement conjectural, cette dernière supposition me paraît assez probable.

Une circonstance mentionnée par Lampride a mis sous nos yeux quelque chose d'analogue : Sortes sane conviviales, scriptas in cochlearibus habuit, a-t-il dit plus haut, en parlant des festins d'Elagabale. Ce mot cochlear a plusieurs significations : c'était le nom d'une mesure pour les liquides, qui formait la quatrième partie du cyathus ; on a pu, d'après quelques autorités, en faire une espèce de coquetier, semblable à ceux dont nous nous servons pour les œufs frais, mais c'est mal entendre ces passages ; de Moulines y a vu des coquilles, et je ne puis me rendre compte d'une telle version. Il est le plus souvent le synonyme, ou à peu près, de ligula[19] ; on le rend alors par notre mot CUILLER, et je crois que c'est ici son véritable sens[20]. Un tel billet dans une loterie qui accompagnait un festin, était bien approprié à la circonstance.

II. D'autres écrivains vont nous montrer maintenant que ces sortes conviviales n'étaient pas un luxe particulier aux Césars ; mais qu'ils tenaient à un usage qu'on peut croire généralement établi à cette époque ; et que l'Amphitryon qui donnait un festin, pouvait, dans une sphère moins vaste, amuser aussi et rendre heureux les convives qu'il réunissait à sa table, en leur offrant des lots, plus modestes. Ici, si les faits sont moins solennels et peu multipliés, on en sera dédommagé peut-être par l'abondance des détails.

Les présents, comme on sait, étaient fort usités chez les anciens. A Rome, parmi ceux qui étaient en quelque sorte consacrés dans des circonstances déterminées, on doit signaler particulièrement ceux des Saturnales, jours de joie, d'abandon, et même de licence. On appelait ces présents apophoreta : on les donnait à ses convives, on les envoyait à ses amis absents ; et c'est de là qu'ils avaient tiré leur nom. Tels étaient sans doute ceux dont nous a parlé Suétone, dans la vie d'Auguste, quoiqu'il ne leur ait pas donné leur dénomination spéciale. ll les caractérise plus positivement, lorsqu'il nous apprend que Vespasien avait coutume d'en envoyer aux hommes, durant les Saturnales, aux femmes, pendant les Calendes de Mars[21] ; et ce trait, de la part d'un prince avare, prouve bien la généralité de cet usage. Dabat sicut Saturnalibus viris apophoreta, ita et per Kalendas Martii feminis[22]. Nous avons vu Lampride donner aussi ce nom aux présents qu'Elagabale distribuait si bizarrement à ses convives ; et d'autres auteurs l'emploient également. Nous retrouvons encore, et la chose même, et sa dénomination au siècle de saint Ambroise, qui en fait l'objet d'une gracieuse comparaison. Qui ad convivium magnum invitantur, dit-il, apophoreta secum referre consueverunt. Ego ad Bononiense invitatus convivium, ubi sancti martyris celebrata translatio est, apophoreta vobis plena sanctitatis et gratice reservavi[23].

Or, nous savons d'ailleurs que ces présents étaient souvent assignés par le sort ; et qui plus est, qu'on y mettait alternativement dés objets de quelque prix avec d'autres de peu de valeur, ainsi que nous l'avons vu faire par Auguste et par Elagabale. C'est à Martial surtout que nous devons la connaissance de cette coutume, qu'il signale dans son livre XIV :

Divitis alternas, et pauperis accipe sortes :

Prœmia convivæ det sua quisque suo.

L'épigramme dont ces vers font partie est la première de ce livre, et lui sert, pour ainsi dire, de préface. Mais le livre tout entier constate, l'existence de cet usage. Il est intitulé : APOPHORETA : tous les distiques dont il se compose, au nombre de deux cent vingt-deux, sont censés accompagner ces sortes de présents, et chacun a pour titre le nom de l'objet auquel il se rapporte[24]. Dans une grande variété de lots, on y voit figurer en effet, presque toujours alternativement, comme l'annonce l'auteur, les dons du riche, élégants ou précieux et ceux du pauvre, dans leur extrême simplicité qui peut paraître quelquefois affectée. Nous trouverions la preuve d'une véritable loterie dans cette seule expression du poète, s'excusant en quelque sorte de la modicité d'un de ces présents.

Alea parva nuces . . . . . . . . . . . . . . . . . .[25]

Ce ne sera pas m'écarter de mou sujet que d'indiquer brièvement ici, parmi les lots du poète, quelques-uns des plus remarquables, comme documents archéologiques, ou des plus piquants par leur originalité. Je commence par les divers objets qui servaient à l'art d'écrire ; ce sont des tablettes de formes variées, et de différentes matières, en citronnier, en ivoire, en vélin, et ce que nous appellerions aujourd'hui du grand papier, et du papier à lettre[26] ; un style, pour tracer les caractères sur la cire, un paquet de ces roseaux qui, taillés en pointe, tenaient lieu de plumes, et l'étui destiné à les contenir[27]. Je dois signaler encore cette boîte, si utile et si précieuse alors, dans laquelle on plaçait, pour les préserver des insectes, les livres, qui chez les anciens n'étaient que des rouleaux[28] ; un instrument qui paraît avoir servi à conserver les livres pendant qu'on les lisait[29] ; ensuite les ouvrages de plusieurs écrivains de la Grèce et de Rome, Homère, Ménandre, Virgile, Cicéron, Tite-Live, Salluste, Lucain[30] etc. ; d'autres objets appartenant, aux beaux arts, plusieurs instruments de musique, dont l'insuffisance des données que nous possédons, ne permettrait pas toujours de traduire les noms[31] ; des tableaux, des statues ou des figurines, en marbre, en airain de Corinthe, en argent, en terre cuite. On y trouve des meubles en bois., plus ou moins rares, entre autres une de ces tables de citronnier, si estimées chez les Romains, différentes sortes de cassettes ou de coffrets[32] ; des vases, des coupes, des candélabres, et autres ustensiles de ménage, ou de table ; des objets utiles à la toilette, comme des rasoirs, des strigiles, un cure oreille, une brosse, ou quelque chose d'analogue, pour nettoyer les dents[33], un peigne de buis, des savons propres à teindre les cheveux[34] ; des armes, des harnais, des instruments de chasse, de pêche, ou de jeu ; une nombreuse collection de vête-mens ; beaucoup de bagatelles à l'usage des femmes, telles que des bijoux, différentes ceintures, une ombrelle, un instrument destiné à gratter les épaules, pour en soulager la démangeaison[35]. On voit encore dans ces présents si variés plusieurs espèces d'animaux domestiques, et des esclaves de différentes classes, qui, à la honte de l'humanité, étaient regardés alors, comme une sorte de bétail : il en est quelques-uns dans ce nombre, dont la destination était un outrage à la nature, qui fut malheureusement trop commun au centre de la corruption romaine[36] ; le luxe ou la mode donnaient un grand prix à quelques autres, tels qu'un cuisinier, un pâtissier confiseur, diverses espèces de nains[37], etc. J'ai cité peu de ces lots auxquels conviennent les expressions du poète : pauperis accipe sortes ; ils y sont presqu'aussi nombreux que les autres : parmi les plus mesquins, ou les plus ridicules, on peut remarquer des noix, des fouets, un balai, une éponge, un flambeau de cire et une chandelle[38], une lanterne faite d'une vessie[39], et jusqu'au vase immonde que les Romains demandaient à leurs esclaves, en faisant claquer leurs doigts[40].

J'ai peut-être prolongé outre mesure cette énumération des apophoreta de Martial, et cependant, je n'ai indiqué qu'une faible partie des lots si variés qu'on y voit figurer. Ce quatorzième livre, et le treizième, relatif à un autre genre de présents, et intitulé, de leur nom XENIA[41], sont un trésor immense de richesses archéologiques ; accompagnés d'un commentaire suffisamment étendu, dans lequel on s'attacherait surtout à rapprocher les autres passages des auteurs anciens qui se rapportent aux mêmes objets, ils formeraient un traité presque complet sur les usages domestiques des Romains, aux premiers siècles de l'ère chrétienne.

Une scène du festin de Trimalcion, clans Pétrone, rappelle encore cet usage de faire tirer au sort les apophoreta. Le texte est fort obscur, évidemment altéré, et il demanderait un long commentaire ; mais on ne saurait se méprendre sur l'intention de l'auteur, ni méconnaître le sens de son récit, quelques difficultés que puis-rom ha sent présenter les détails. Je le rapporte ici, qu'on le trouve dans l'édition cum notis variorum de 1669. Jam etiam philosophos de negotio dejiciebat, cum pittacia in scypho circumferri cœperunt. Puerque super hoc positus officium apophoreta recitavit : Argentum sceleraturn : adlata est perna, supra quam acetabula erant posita, cervical, offla, colaris. Adlata est serisapia, et contumelia ærophagiæ, simul datæ sunt et cenchrides cum malo, porri, et persica, flagellum, et cultrum. Accepit passeres, et muscarium, uvam passam, et mel Atticum, cœnatoria et forensia, offlam, et tabulas accepit canalem, et pedale : lepus, et solea est adlata : murœnam, et litoralem murem cum rana adligatum,fascemque betæ, diu risimus : sexcenta hujusmodi fuerunt, quæ jam ceciderunt memoria mea[42].

Je n'ai pas la prétention d'expliquer les obscurités de ce texte, qui a embarrassé tous les commentateurs, bien moins encore, celle de le rétablir dans' sa pureté originelle, à l'aide d'ingénieuses conjectures ; ceux qui l'ont entrepris n'ont point obtenu de résultats bien satisfaisants. Je dois me borner à signaler quelques expressions fort intelligibles, qui nous font reconnaître ici les mêmes sortes conviviales, que nous avons vu figurer déjà dans d'autres passages des auteurs anciens. Nous retrouvons d'abord le nom spécial apophoreta, que les précédentes pages de ce mémoire nous ont rendu familier. Ici, cependant, il ne se rapporte plus aux objets eux-mêmes, mais à la désignation des objets, inscrite sur des billets, et lue à haute voix par un esclave chargé de cet emploi, ainsi que nous l'apprend l'auteur ; ce qui semble prouver combien étaient fréquentes les répétitions de semblables largesses : Puerque super hoc positus officium apophoreta recitavit. Nous voyons ces mêmes billets désignés encore ici sous une nouvelle dénomination, celle de pittacia, dont la signification fut assez variée[43]. Cette particularité, nouvelle aussi, du vase à boire, scyphus, qui les contenait, nous révèle un autre mode de tirage, non moins convenable dans un festin que pouvaient l'être les cuillers d'Elagabale. Il est probable que chaque convive y puisait tour à tour, et que les billets ainsi amenés étaient lus, à mesure qu'ils sortaient, par l'esclave chargé de cette fonction.

J'ai peu à dire sur la nature des lots que Pétrone nous a fait connaître. Dans l'état présent de cette portion du texte, les noms de plusieurs sont à peu près inintelligibles ; quelques-uns ont assez d'analogie avec les apophoreta de Martial, par exemple, le couteau, le chasse-mouche, les vêtements, les tableaux, etc. ; d'autres enfin renferment sans doute des allusions mystérieuses, et rappellent les énigmes d'Auguste. Au reste, le sybarite qui présidait à ce banquet, n'est qu'un enrichi de mauvais ton ; fastueux, mais étalant sans goût son luxe de parvenu ; visant à l'esprit, mais ridicule, et faisant assaut de sottises avec quelques-uns de ses parasites. Les conceptions de son esprit grossier, ne valent guère la peine qu'on pourrait se donner pour les comprendre. Un de ces lots, cependant, fort singulier de sa nature, semble fait pour exciter la curiosité du lecteur : c'est le rat lié à une grenouille, qui provoqua si fort l'hilarité des convives ; des commentateurs ont cru y voir une représentation de la Batrachomyomachie qui figure aussi, comme les autres poèmes d'Homère, parmi les présents de Martial[44]. On croit communément que l'ouvrage de Pétrone, qu'il envoya à Néron, en se donnant la mort, est une satyre contre ce tyran et son siècle ; s'il en est ainsi, ne serait-on pas fondé à voir, dans toute cette scène, une parodie des profusions qu'il mêlait à ses jeux, et que Suétone nous a décrites ?

Si ces loteries des Romains furent plus brillantes et plus riches que les nôtres, celles-ci ont sur les premières un avantage bien plus 'estimable, par le but utile et bienfaisant qu'elles se proposent le plus souvent. C'est celui d'associer un certain nombre de souscripteurs à quelque bonne œuvre, à laquelle une personne seule ne pourrait suffire ; et si cette œuvre n'est pas purement gratuite, c'est bien moins pour intéresser les bienfaiteurs, que pour éviter la rougeur de l'humiliation à celui qui reçoit le bienfait. Dans tout ce que nous venons de voir chez les Romains, nous n'avons remarqué rien de semblable, et ceci fait naître une observation, dont l'intérêt plus grave donnera quelque chose de moral à des recherches qu'on pourrait juger futiles.

On vit toujours beaucoup de pauvres à Rome, même aux jours de la simplicité primitive, quand les Cincinnatus et les Curius traçaient eux-mêmes les sillons de leurs champs, et vivaient des légumes qu'avaient fait croître leurs mains victorieuses. Il y en eut bien davantage dans les derniers temps de la République, et sous l'Empire, car l'excès du luxe, d'une part, et la misère de l'autre, marchent toujours ensemble chez les peuples. S'il fallait prouver ces faits, les autorités ne manqueraient pas ; les écrivains de cette époque nous fourniraient d'abondantes données, sur les habitations, la nourriture, les vêtements, la sépulture même de cette classe, et sur l'ilotisme auquel elle se voyait condamnée. Que faisait-on pour soulager ses besoins ? L'état d'abord, et ensuite les empereurs, qui pouvaient dire aussi : L'état, c'est moi, accordaient, soit régulièrement, soit dans quelques circonstances extraordinaires, des distributions de blé, ou des libéralités d'un autre genre : tout le peuple y avait droit, et les plus nécessiteux n'étaient pas mieux partagés que les autres. Mais nous ne voyons pas d'établissement de bienfaisance publique ; rien à Rome ne ressemblait à nos hôpitaux, à nos dispensaires, à nos bureaux de charité, où les secours sont distribués avec tant d'ordre, d'intelligence et de sollicitude. La bienfaisance particulière ne paraît pas avoir été plus étendue, malgré les belles phrases des moralistes. Les nombreuses notions de la vie privée, éparses clans les auteurs contemporains, nous montrent aussi des largesses faites au peuple avec ostentation, dans des occasions solennelles, des services rendus à des amis, des distributions de comestibles accordées à des clients, ou à des parasites de bas étage, mais bien peu de véritables aumônes versées dans le sein de l'indigence. C'était le vice des mœurs, et il ne saurait étonner celui qui a fait une étude un peu suivie de ces siècles dégradés. On pouvait bien jeter dédaigneusement une obole au mendiant importun, qui tendait la main sur le pont Sublicius[45], ou vers les portes de la ville[46]. Mais ces orgueilleux patriciens, rendus féroces par les spectacles sanglants dont ils se repaissaient, ces fières matrones, non moins cruelles, qui sévissaient avec tant de rigueur contre leurs esclaves en défaut, et demandaient avec une horrible naïveté s'ils étaient bien des hommes[47], devaient-ils, au sein des honneurs, de l'opulence et des plaisirs, avoir des entrailles pour les souffrances du pauvre ? La langue des maîtres du monde paraît même avoir manqué d'une expression propre à caractériser d'une manière spéciale l'action, si naturelle à un homme, de soulager un autre homme dans le besoin ; et, si je ne me trompe, on chercherait vainement dans les écrivains des bons siècles, un mot tout-à-fait équivalent au terme eleemosyna, qui fut emprunté plus tard aux chrétiens.

L'honneur de régénérer des mœurs si monstrueuses, et de ramener un monde égoïste à l'obligation sacrée de l'aumône, était donc réservé à cette religion bienfaisante et divine, qui a fait de l'amour de nos semblables le second de nos devoirs, ou, pour mieux dire, l'a lié inséparablement au premier : qui promet une récompense au verre d'eau donné à un frère ; qui nous montre le mauvais riche enseveli dans l'abyme éternel, et le pauvre humble et résigné, porté par les anges dans le sein d'Abraham ; qui, enfin, a relevé les classes des indigents et des esclaves, autrefois méprisées et proscrites, en proclamant la véritable égalité, la seule possible sur la terre, celle qui fait de tous les hommes les entons d'un même père qui est dans les cieux.

 

FIN DE L'OUVRAGE

 

 

 



[1] Voici ce qu'on trouve à ce sujet dans le Dictionnaire des Origines, par Noël. C'est sous le cardinal Mazarin que s'établirent chez nous les premières loteries publiques ; que le règne de Louis XV vit pulluler à un excès inouï jusqu'alors. — La Loterie des enfants trouvés avait été établie par arrêt du conseil du 9 décembre 1754 ; la Loterie de piété, par arrêt du conseil du 7 septembre 1762 ; et celle de l'École militaire, inventée, dit-on, par les Génois, avait été introduite en France en 1758. Par arrêt du conseil d'état, donné à Marly, le 30 juin 1776 ; le roi supprima les loteries de l'Hôtel-de-Ville de Paris, de l'École royale militaire, et créa une nouvelle loterie, sous le nom de Loterie a royale de France, dont le premier tirage s'est fait le 1er septembre 1776. Supprimée de nouveau en 1795, et recréée en vendémiaire an VI (septembre 1797), sous le nom de Loterie nationale de France, cette loterie, la seule qui existe aujourd'hui, a ensuite été appelée Loterie impériale, et en dernier lieu, Loterie royale de France.

[2] Nous voyons dans Horace (III Od., 24, v. 58) que les lois romaines défendaient les jeux de hasard :

Seu malis vetita legibus alea.

Cela n'empêchait pas qu'on ne fréquentât les tripots, où l'on trouvait l'occasion de jouer ; on lit dans Martial (V, Epigr. 84, v. 3 et seq.) :

Et blando male proditus fritillo,

Arcana modo raptus e popina,

Ædilem rogat udus aleator.

Ces joueurs de profession connaissaient bien dès lors l'art de corriger la fortune ; le même poète nous l'apprend (XIV, Epigr. 16) :

Quæ scit compositos manus improba mittere talos.

L'histoire rapporte que l'empereur Verus passait les nuits à jouer : Fertur et nocte perpeti alea lusisse, quum in Syria concepisset id vitium (Jul. Capitol., Verus Imp., 4.). L'expression alea pernox qu'on trouve dans Juvénal (Sat. VIII, v. 10), prouve que ce n'était pas une chose rare. Sénèque parle de gens qui faisaient du jeu l'occupation de toute leur vie. Persequi singulos longum est quorum aut latrunculi, aut pila, aut excoquendi in sole corporis cura, consumpsere vitam (De brev. vit., 13.). Chez les Germains, la passion du jeu allait jusqu'à se jouer eux-mêmes, quand ils avaient tout perdu : Aleam, quod mirere, sobrii inter seria exercent, tanta lucrandi perdendive temeritate, ut cum omnia defecerunt, extrento ac novissimo jacta, de libertate et de corpore contendant. Victus voluntariam servitutem adit : quamvis junior, quamvis robustior, alligari se ac venire patitur (Tacit., Germ., 24.). St. Ambroise raconte des Huns quelque chose de semblable, et même de plus fort. Frequenter autem, dit-il, tanto ardore rapi, ut, cum ea, quæ sola magni æstimant, victus arma tradiderit, ad unum aleæ jactum, vitam suant potestati vel victoris, vel fœneratoris addicat. (de Tobia II, 39.)

[3] Suétone, Auguste, LXXV, 2.

[4] Suétone, Auguste, LXXV, 3.

[5] Ces lits étaient garnis de coussins, ou de matelas, aussi bien que ceux destinés pour le sommeil. On poussa fort loin à Rome le luxe de ce genre de meuble, comme de tous les autres. Les lits furent ornés de sculptures, revêtus d'ivoire, ou d'écaille de tortue, matière préférée à l'argent : on en fabriqua aussi de ce métal ; on les couvrit d'étoffes de pourpre, ou brochées d'or, etc. On peut voir sur ce sujet, Ciacconius, de Triclinio ; Stuckins, Antiquitates convivales, etc.

[6] Cette expression, dont l'origine est fort obscure, est restée dans le langage de notre jurisprudence moderne. Dans le passage de Suétone, elle indique assez que la vente se faisait aux enchères.

[7] Suétone, Auguste, LXXV, 3.

[8] Tout le monde connaît ces vers de Juvénal (Sat. X, v. 78 et sqq.) :

. . . . . . . . . . . . . . . . . Nam qui dabat olim

Imperium, fasces, legiones, omnia, nunc se

Continet, atque duas tantum res anxius optat,

Panem, et Circenses. . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ce sont, dit-on, également les deux besoins d'une capitale moderne, et il faut que tout un royaume lui fournisse, aux dépens de ses sueurs, du pain à bon marché, et des spectacles.

[9] Suétone, Néron, XI, 4. L'éternité de l'empire était un vœu fréquent, et en quelque sorte une croyance. On trouve sur les médailles, presque à-tous les règnes la légende : ROMAE. ÆTERNÆ. ; on lit aussi sur plusieurs : ÆTERNIT. IMPERI.

[10] Suétone, Néron, XI, 4.

[11] Peut-être ce mot doit-il s'entendre de ces masses de maisons entourées de rues, et appartenant au même propriétaire, auxquelles on donnait aussi le nom d'Insulæ. Cicéron en possédait plusieurs ; il appelle leur revenu merces insularum (XV, Epist. ad Attic., 17.). Il y avait des esclaves appelés Insularii. (Pignor., de Servis, p. 504).

[12] Suétone, Néron, XI, 4.

[13] Il est probable, cependant, qu'il en fut de ces largesses solennelles comme des distributions ordinaires qui se faisaient régulièrement. Celles-ci étaient destinées, dans le principe, à soulager la misère du petit peuple ; mais on vit y prendre part, dans la suite, bien des gens au dessus du besoin, même des sénateurs et des hommes consulaires. V. Contareni, de frumentaria Romanorum largitione, cap. VI. Juvénal, avec sa verve satyrique, nous donne de semblables détails sur les distributions de comestibles que faisaient chez eux de simples particuliers, auxquelles on donnait le nom de sportula, de la corbeille ou du cabas destiné à contenir des vivres. (Sat. I, v. 94. — 127).

[14] Pour ces faits, et nombre d'autres semblables, on peut voir Lampride, dans la vie de ce prince, 21, 22, 23 et passim.

[15] Lampride, Héliogabale, 21, 22.

[16] Lampride, Héliogabale, 22.

[17] Avec le peu de données que nous tenons des anciens écrivains, il est bien difficile d'assigner son véritable sens à chacune de ces expressions. Mais parmi les objets antiques épargnés par le temps, qui n'ont pu servir qu'aux jeux de hasard ; trois classes se présentent à nous, bien différenciées par leurs formes : 1° des osselets, qu'on croit être les tali ; 2° des dés de forme cubique, et marqués comme les nôtres, sur leurs six faces, il y en a même de pipés : on pourrait y voir les taxilli ; 3° d'autres, dont la longueur excède de beaucoup leur largeur et leur hauteur : ceux-ci ne pouvant tomber sur leurs bouts, ne sont marqués que sur les quatre faces principales ; ils sont bien certainement des tesseræ, dénomination qui eut, du reste, une signification très étendue. Les petits instruments qui appartiennent aux deux premières classes sont assez communs, à moins que leur matière ne les rende plus précieux. La troisième forme est beaucoup plus rare ; je possède un objet de ce genre, trouvé à Lyon : il est en ivoire, et réduit à l'état de turquoise ; ses faces portent trois, quatre, cinq et six points : ces deux derniers nombres devaient sortir moins souvent que les deux plus faibles, parce que les quatre faces ne sont pas tout-à-fait égales.

[18] On s'en servait quelquefois pour les différents tirages au sort qui avaient lieu dans les repas, et qu'on nommait aussi sortes convivales, notamment celui qui devait élire le roi du festin, coutume usitée chez les Romains comme chez les Grecs, et qui parait s'être conservée jusqu'à nous, car c'est l'origine la plus vraisemblable du gâteau des Rois. Je ne citerai que Tacite, qui dit, en parlant de Néron : Festis Saturno diebus, inter alia æqualium ludicra, regnum lusu sortientium, evenerat ea sors Neroni (Tacite, Annal., XIII. 153. On les employait même dans le genre de divination qui s'appelait sortes consultoriæ ; et Suétone nous apprend qu'on jetait ces dés dans une fontaine sacrée. Et mox, dit-il, cum Illyricum petens juxta Patavium adisset Geryonis oraculum, sorte tracta, qua monebatur ut de consultationibus in Aponi fontem talos aureos jaceret, evenit ut summum numerum jacti ab eo ostenderent ; hodieque sub aqua visuntur hi tali (Suétone, Tibère, XIV, 4.). Sur les médailles relatives aux congiaires et aux libéralités des empereurs, on voit figurer un instrument marqué de plusieurs points, et dans lequel les antiquaires reconnaissent la tessera : ces points sont souvent visibles également sur le suggestus, ou estrade, qu'occupe le prince. Serait-on fondé à supposer quelque tirage au sort, même dans les distributions régulières ? Je n'oserais adopter cette hypothèse, qui n'est point admise, et qui souffrirait peut-être plus d'une difficulté ; cependant elle me semble avoir quelque chose de plausible.

[19] Martial semble cependant établir une différence entre ces deux objets, peut-être pour la grandeur, ou pour la forme, quand il dit (VIII, Epigr. 71, v. 9 et 10.)

Octavus ligulam misit sextante minorem.

Nonus acu levius vix cochleare tulit.

On donnait encore le nom de ligula ou lingula, comme prononçait le peuple (Martial, XIV, Epigr. 120), à une espèce de spatule, à une partie de certaines flûtes, qui semblerait répondre à l'anche de quelques instruments modernes, etc.

[20] On a dit souvent que les anciens ne se servaient pas de fourchettes dans leurs repas. Mais cette assertion, trop générale, semble être démentie par plusieurs ustensiles antiques qui n'ont pu servir qu'a cet usage. Caylus a donné une fourchette en argent, à deux pointes, avec un manche terminé en pied de biche, et qui fut trouvée sous la voie Appienne (Recueil d'antiq., tom. III, pl. LXXXIV, n° 5, et p. 312.). Grivaud de la Vincelle en a publié une semblable, avec une autre moins ornée, toutes deux en argent (Antiquités recueillies dans les jardins du sénat, pl. II, n° 1 et 2, p. 103.). On s'est montré plus libéral envers les anciens, quant à l'usage des cuillers, qui paraît avoir été plus commun, et qui était même indispensable pour les sauces, et pour tous les mets liquides. Il n'est pas de cabinet d'antiquités qui ne possède plusieurs de ces petits ustensiles, en argent, en bronze, en ivoire, en os, etc. Mais il s'est formé des avis différents sur leur destination probable. Beaucoup d'antiquaires, trop portés à ne voir partout que des instruments du culte religieux, ont voulu qu'ils servissent à prendre l'encens dans l'acerra, ou coffret destiné à le contenir. Comme la plupart de ces cuillers ont leurs manches terminés en pointes, d'autres en ont fait des styles à écrire, et ont prétendu que la partie concave servait pour étendre la cire sur les tablettes, ce qui eût été bien peu facile avec un tel instrument. Sans prétendre assigner à ces cuillers une destination spéciale, je crois du moins qu'on pourrait rendre raison de cette pointe, en supposant qu'elle était faite pour les placer symétriquement dans quelque petit meuble percé de trous, à cet effet, à peu près comme nous plaçons nos cuillers à café autour de certains sucriers en argent. Il est certain que les cuillers sont souvent désignées dans les auteurs, sous les noms de cochlear, ou de ligula, comme des ustensiles servant à la table. Martial a dit (VIII, Epigr. 59. v. 7 et 8.) :

Pocula solliciti perdunt ligulasque ministri,

Et latet in tepido plurima mappa sinu.

Il nous apprend ailleurs (XIV, Epigr. 121), qu'elles servaient pour manger les œufs et les escargots, cochleæ, et qu'elles tiraient leur nom autant de cette dernière destination que de leur forme :

Sum cochleis habilis, sed nec minus utilis ovis :

Numquid scis potins cur cochleare vocor !

Nous lisons aussi dans Pétrone (Satyr., ed. var. p. 107) : Accipimus nos cochlearia non minus sex libras pendentia, ovaque ex farina pingui figurata pertundimus. L'idée du coquetier a été conçue d'après ces deux passages. Pline fait aussi mention de la coutume de briser les coquilles des œufs et celles des escargots, et de les percer avec la cuiller ; mais il l'explique par une croyance superstitieuse. Defigi quidezn diris deprecationibus nemo non metuit. Huc pertinet ovorum, ut exsorbuerit quisque, calices, cochlearumque protinus frangi, aut eosdem cochlearibus perforad (XXVIII, 2). Bien des personnes parmi nous brisent encore la coquille de l'œuf frais qu'elles viennent de manger ; est-ce un reste de cette vieille superstition romaine ? Dans une note du joli poème de la Gastronomie, on trouvera une anecdote piquante au sujet de cet usage.

 

[21] Les Calendes de Mars étaient les Saturnales des femmes ; Martial a dit (V, Epigr. 84. v. 10 et 11) :

Scis certe puto vestra jam venire

Saturnalia, Martias Kalendas.

Elles y observaient des usages semblables à ceux des hommes, notamment celui de servir à table leurs esclaves. Servis cænas apponebant Matronæ, ut Domini Saturnalibus (Macrobe, Saturn., I, 12.).

[22] Suétone, Vespasien, XIX, 4.

[23] Exhort. virg., I, 1.

[24] Il ne faudrait pas croire que les apophoreta de Martial aient été des billets d'envoi pour des présents donnés réellement par lui. Les poètes furent rarement riches ; et, tout lâche adulateur de l'infâme Domitien qu'était Martial, lui-même nous avoue (V, Epigr. 13, v. 1) qu'il était peu fortuné :

Sum, fateor, semperque fui, Callistrate, pauper.

L'intention de l'auteur nous est révélée, par ce qu'il dit dans la seconde épigramme de ce même livre, sur les titres de ces dons fictifs :

Lemmata si quæris cur sint adscripta, docebo :

Ut, si malueris, lemmata sola legas.

On retrouve une semblable idée (XIII, Epigr. 5, v. 5 et 6) sur des distiques d'un genre analogue :

Hæc licet hospitibus pro munere disticha mittas,

Si tibi tam rarus, quam mihi, nummus erit.

[25] XIV, Epigr. 18.

[26] Pugillares citrei, — eborei, — membranei, — vitelliani Triplices, Quincuplices, Chartæ majores, — epistolares.

[27] Graphiarium, Fasces calamorum, Theca calamaria.

[28] Scrinium. Ce meuble parait avoir été de forme ronde : on en voit la figure sur plusieurs peintures d'Herculanum et de Pompéi. Mazois en a dessiné un dans son Palais de Scaurus, pl. VIII ; et M. Peignot en donne un autre, pl. 1, n° 8, de son savant opuscule, intitulé : Essai historique et archéologique sur la reliure des livres, et sur l'état de la librairie chez les anciens.

[29] L'usage de cet objet, appelé par l'auteur, Manuale, n'est pas très clairement exprimé pour nous. Il faut comparer cette épigramme, qui porte le n° 84, avec la 67e du premier livre. Peut-être avait-il quelque rapport avec la tablette sur laquelle sont attachés nos journaux, dans les cabinets de lecture.

[30] Notre poète parait n'avoir pas aimé beaucoup l'auteur de la Pharsale, quoiqu'il fût Espagnol comme lui ; il lui décoche ici ce trait satyrique :

Sunt quidam, qui me dicunt non esse poetam

Sed qui me vendit, bibliopola putat.

[31] Tibiæ, Fistula, Cithara, Plectra, etc.

[32] Loculi eburnei, — lignei ; Narthecium, Dactyliotheca.

[33] Dentifricium ; le distique rappelle l'usage, déjà connu alors, des dents artificielles :

Quid mecum est tibi me puella sumat.

Emptos non soleo polire dentes.

[34] Sapo, Mattiacæ pilæ. Ce dernier don est adressé à une vieille femme chauve, qui voulait encore paraître jeune. Le peigne avait une semblable destination, et il a inspiré au poète cette mauvaise plaisanterie :

Quid faciet, nullos hic inventura capillos,

Multifido, buxus, quæ tibi dente datur !

[35] Le nom de cet instrument, scalptorium, nous apprendrait peu de chose, si son usage n'était indiqué ainsi, dans le distique ;

Defendet manus hæc, scapulas mordente molesto

Pulice, vel si quid pulice sordidius.

[36] Je me hâte d'ajouter que ce sont les deux seules taches de ce livre, bien plus chaste que les autres écrits de ce poète licencieux, qui reflète avec trop de vérité la démoralisation de son siècle.

[37] Cocus, Pistor dulciarius, Morio, Pumilio.

[38] Cereus, Candela.

[39] Laterna ex vesica : serait-ce l'origine de notre proverbe : prendre des vessies pour des lanternes ?

[40] Matella fictilis.

[41] Les Xenia de Martial, distiques dont les titres font connaître les objets, roulent presque tous sur des comestibles, et contiennent beaucoup de détails curieux sur la cuisine et la table des Romains. On y voit figurer des vins de l'Italie, de l'Espagne et des Gaules, ainsi que d'autres boissons fermentées ; des aromates et des sauces ; une grande variété de volailles, de gibiers, de poissons et de tons les animaux propres à nourrir l'homme ; de nombreux produits des laiteries, des céréales, des fruits, des légumes et d'autres végétaux. Parmi ceux-ci, on remarque les truffes, tuberes, qui devaient être chères déjà aux gastronomes romains, mais qui n'avaient pas alors l'influence politique qu'elles possèdent aujourd'hui.

[42] Page 210.

[43] Celse donne ce nom à une application contre les maux de tête : Deinde habere duo pitacia, quæ latitudinem frontis, longitudinemque æquent : etc. (De médic., III, 10). Dans un autre passage de Pétrone (p. 113), il est donné aux étiquettes qu'on attachait aux bouteilles, pour indiquer l'âge du vin, par la date du consulat qui l'avait vu mûrir. Statim adlatæ sunt amphoræ vitreæ diligenter gypsatæ,quarum in cervicibus pittacia erant adfixa, cum hoc titulo, FALERNUM OPIMIANUM ANNORUM CENTUM. Il semble désigner des tablettes à écrire, ou des registres, dans la vie de Sévère Alexandre, par Lampride (21) : De promovendis etiam (militibus) sibi annotabat, et perlegebat cuncta pittacia ; ce pourraient être aussi des placets. Ce mot exprime donc ordinairement, une note, un titre, une étiquette, un billet. Dans le texte qui donne lieu à cette observation, il ne saurait y avoir de doute.

[44] XIV, Epigr. 183.

[45] C'est à Sénèque (De vit. beat., 25.), que nous devons cette particularité. In Sublicium pontent me transfer, dit-il, et inter egentes abjice : non ideo tamen me despiciam, quia in illorum numero consideo, qui manum ad stipem porrigunt. Juvénal, dit aussi (Sat., XIV, v. 134), en parlant d'un repas dégoûtant :

Invitatus ad hæc aliquis de ponte, negabit.

[46] Plaute fait dire à l'un de ses personnages dont la bourse est dégarnie (Capt., l. I, v. 22, 23) :

Vel extra portant ire Tergeminam ad saccum licet,

Quod mihi ne eveniat nonnullum periculum est.

[47] Juvénal met cette question dans la bouche d'une femme de ce caractère (Sat., VI, v. 221) :

O demens, ita servus homo est !. . . . . . . . . . .