Hillel, président du Synédrium. Son caractère, ses doctrines, son action législative et son école. — Schammaï et son école. — Extermination de la famille 'hasmodéenne. — Massacre des innocents. — Mort d'Hérode. — Démembrement de la Judée. — Les Zélateurs. — Juda, le Galiléen. — La Judée, province romaine. La chaire du Synédrium était devenue vacante. Les anciens présidents. Schemaja et Abtalion, s'en étaient sans doute démis à la suite du procès scandaleux d'Hyrcan, si toutefois ils n'en avaient été éloignés plus tôt..Avant d'aller plaider sa cause désespérée auprès d'Octave César, Hérode, ne voulant pas s'aliéner le Synédrium et le peuple, confirma l'élection d'un président que les membres du haut sénat avaient librement choisi, tout en faisant nommer un second président qui, par des circonstances dont nous parlerons ultérieurement, avait acquis sa confiance. Le premier était Hillel ; le second, l'Essénien Manahem. Avec de tels hommes, aussi conciliants que populaires, une révolution n'était guère à craindre pendant l'absence d'Hérode. Hillel, dont la résignation, la douceur et la patience sont devenues proverbiales en Israël, joignait à une piété profonde et à la morale la plus pure un esprit logique et des connaissances étendues. Sa seule passion était l'étude de la loi. Il avait déjà dépassé probablement l'âge de trente ans, lorsqu'il vint de Babylone, où il était né d'une famille dont l'arbre généalogique remontait, du côté maternel, à la maison royale de David, s'établir à Jérusalem pour profiter de l'enseignement des célèbres docteurs qui présidaient le Synédrium. — Indifférent aux biens terrestres, il est resté pauvre, malgré son origine royale. Il gagnait sa vie par le travail, employait la moitié de son gain journalier, plus que modeste, à l'entretien de sa famille, et suffisait seul aux frais de ses études avec l'autre moitié. Sa confiance en Dieu était illimitée : Que Dieu soit béni jour par jour (pour le pain quotidien qu'il nous donne), disait-il, pour expliquer son insouciance de l'avenir[1]. On sait que la prière dominicale contient un passage analogue. — Hillel a fait ressortir du judaïsme cet élément de résignation et de confiance divine, dont la douce consolation a pénétré le cœur des peuples, après avoir été l'apanage du peuple juif. S'inspirant lui-même de l'esprit de la loi, tant écrite qu'orale, il avait une si grande vénération pour les doctrines du judaïsme, qu'il s'indignait de les voir servir à l'appétit du lucre ou à la satisfaction de l'amour-propre ; Quiconque, disait-il dans son langage laconique, cherche la renommée (dans l'étude de la loi), se dégrade ; qui n'y avance pas, recule ; qui ne s'y applique pas, ne mérite pas de vivre ; qui s'en sert, se perd[2]. — Mais cet homme, dédaigneux de la renommée, est devenu le plus illustre et le plus populaire de tous les docteurs. La légende a' entouré son nom de la plus pure auréole, sans mélanger sa vie d'aucun miracle ; chose étonnante à une époque qui confondait si souvent la force morale avec la force physique, ou plutôt métaphysique. Du reste, ses maximes qui nous sont parvenues en plus grand nombre que celles des autres docteurs, justifient l'admiration qu'a ajoutée à ses mérites réels une postérité reconnaissante. Nous avons déjà cité quelques-unes des maximes de Hillel. En voici d'autres : Si je ne me charge pas moi-même de mon salut, qui s'en chargera ? Mais si ce n'est que pour moi, quelle est la portée de mes efforts ? Et si ce n'est actuellement, quand donc ?[3] En vrai disciple d'Aaron, aime la paix et cherche toujours à la rétablir ; aime les hommes, et tu les rallieras à la loi[4]. Lorsqu'un païen lui disait qu'il adopterait bien la loi si elle pouvait être condensée dans une seule maxime, il lui répondait : Ne fais pas à autrui ce qu'il te serait désagréable d'éprouver toi-même. Voilà le commandement principal de la loi, tout le reste n'en est que l'application[5]. Cette maxime fut saluée plus tard par le monde comme une nouvelle révélation. En opposition avec les Esséniens, qui se retiraient de la
vie publique, il disait : Ne te sépare pas de la communauté,
et il ajoutait : Méfie-toi de toi-même jusqu'au jour de ta mort, et ne juge pas ton
prochain jusqu'à ce que tu te trouves à sa place[6]. Comme il faut,
pour s'y trouver, non-seulement être dais la même position que lui, mais
aussi avoir les mêmes antécédents, il s'ensuit que sa maxime se réduit à dire
: Ne juge
point ton prochain. Ce qui semblait, en effet, en être la restriction,
n'en était que la raison. On en a donné plus tard une autre : Ne jugez point,
lisons-nous dans le sermon
sur la Montagne, pour que vous ne soyez point jugés[7]. Nous préférons
celle de Hillel. On comprend qu'un homme, rempli d'une telle indulgence
envers les autres, était à l'abri de tout sentiment haineux. Aussi
raconte-t-on maintes légendes qui prouvent que rien ne pouvait exciter sa
colère. Même dans les discussions, il ne s'emportait jamais, malgré toutes
les contradictions opposées à ses opinions les plus arrêtées[8]. Pour donner un
exemple de sa confiance absolue en Dieu, on raconte qu'un jour, en rentrant
chez lui, il entendit dans sa maison des lamentations : Je suis certain, aurait-il dit, que ces cris de douleur ne sont pas poussés
par un membre de ma famille[9]. II savait que
les siens étaient habitués, par lui, à supporter le mal avec résignation, et
de bénir Dieu dans les épreuves qu'il inflige aussi bien que dans ses bienfaits,
ainsi qu'il est proscrit, peut-être par lui-même, dans la Mischna. On lui
attribue aussi la prescription du Talmud, qui veuf que la charité ne se borne
pas à procurer le nécessaire à celui qui, par un revers immérité, a perdu sa
fortune, mais qui ordonne de le restituer dans son état primitif[10]. Hillel n'a pas seulement enseigné et prêché d'exemple une morale sublime, il a aussi perfectionné l'étude et l'application de la loi. Sous ce rapport, la postérité lui a décerné encore la palme, en le regardant comme l'un des restaurateurs du judaïsme légal[11]. D'un côté, il avait enrichi la législation d'anciennes traditions qu'il avait apportées de Babylone et qu'on faisait remonter aux premiers exilés ; de l'autre, il donnait des règles pour déduire logiquement les lois traditionnelles des lois écrites. Il voulait, au moins dans le domaine de la spéculation, frayer le chemin d'une réconciliation entre le parti pharisien et le parti saducéen, qui s'étaient autrefois combattus avec tant d'acharnement, et dont la lutte, désormais paisible, s'était transformée en querelle d'école. Il voulait fondre les opinions différentes qui s'étaient produites au sujet des lois traditionnelles, en leur donnant pour base la loi écrite elle-même. Suivant lui, ces premières lois ressortaient du texte biblique, et pouvaient en être déduites au moyen de sept règles logiques (Midoth) : 1° par une conclusion a fortiori (Kal va-'Homer) ; 2° par l'analogie (Guezéra Schave) ; 3° par un principe fondamental, contenu dans un seul verset biblique (Binyan-ab mi-Kathab e'had) ; 4° par un principe déduit de plusieurs versets bibliques (Binyan-ab mi-schné Ketoubim) ; 5° par le rapport du général au particulier (Kelal ou-Pherat) ; 6° par leur homogénéité avec d'autres prescriptions de la loi (Ka-yozé-bo mi-Makoum a' her) ; enfin, 7° par le contexte biblique (Daber halamed me-Inyana)[12]. Ces règles, qui faisaient jaillir l'esprit de la lettre, ne donnaient pas seulement un moyen de justifier la loi traditionnelle par la loi écrite, mais facilitaient encore le développement de la législation d'après l'intention du législateur. Les conservateurs qui redoutaient la liberté donnée par ces règles à l'interprétation de la loi, s'opposèrent d'abord à la doctrine de Hillel. Mais en définitive, elle fut adoptée par les docteurs qui en tirèrent parfois des conséquences arbitraires. Ce sont les règles de Hillel qui ont jeté les fondements de cette dialectique subtile, désignée plus spécialement sous le nom de la dialectique Talmudique. Mais si l'on a abusé plus tard de l'exégèse libre, introduite par le grand docteur, elle a permis à son inventeur de décider des cas imprévus à la satisfaction de tout le monde. Ainsi fut-il élevé à la haute position de premier président du Synédrium, grâce à cette nouvelle méthode et à ses connaissances approfondies de la loi traditionnelle. Parmi les ordonnances attribuées à son initiative, il y en a plusieurs qui prouvent que cet homme, si peu soucieux de ses propres affaires, n'était pourtant point indifférent aux intérêts matériels du peuple. Sous plus d'un rapport, il a amélioré la législation civile. Citons-en quelques exemples qui donnent la mesure de sa capacité législative et de sa liberté d'interprétation. L'année sabbatique, antique loi agraire, inspirée par un esprit égalitaire et fraternel, mais en vue d'une société agricole et toute primitive, avait entraîné de grands inconvénients économiques à mesure que l'état social avait pris en Judée plus de développement. On ne sait pas au juste comment cette loi fut exécutée jusqu'à la destruction du premier temple. Aux temps du second temple, lorsque la loi mosaïque eut repris toute son autorité, on l'avait rétablie autant que faire se pouvait. L'année sabbatique amenait l'annulation des dettes, et l'on tenait à exécuter à la lettre cette partie de la loi. Mais au lieu d'atteindre son but primitif et d'être utile aux déshérités de la fortune, cette pratique leur portait, au contraire, le plus grand préjudice ; ils ne trouvaient plus de crédit chez les détenteurs de capitaux. Voyant que la lettre de l'antique loi tournait contre son esprit, Hillel trouva moyen de l'abolir, au moins dans ses effets désastreux, en permettant aux créanciers, à l'approche de l'année sabbatique, de faire cession de leurs créances aux tribunaux[13]. On appelait la loi nouvelle du nom grec Prosboul (de πρός βουλή πρεσβευτών), parce que la dette pouvait être transmise au Conseil des anciens. Une autre ordonnance analogue concernait le rachat de maisons dans les villes entourées de murs, D'après la loi mosaïque, le vendeur de la maison avait la faculté d'exercer le droit de réméré dans le courant de la première année. Ce n'était qu'après l'expiration de cette année que la vente était définitive.. Or, il arrivait souvent que l'acheteur, pour rester en possession de la maison, se rendait invisible à l'approche de la fin de l'an. Hillel permit, dans ce cas, au vendeur de déposer l'argent chez le trésorier du temple et de se remettre. en possession de la maison[14]. Nous avons dit qu'à côté de Hillel, un Essénien ; Manahem, avait été nommé second président du Synédrium sur la demande d'Hérode. On a donné plus tard de l'amitié du tyran pour cet Essénien l'explication suivante Manahem aurait prédit à. Hérode encore enfant sa future élévation an trône, en ajoutant que son règne aurait un grand éclat, mais qu'il violerait la justice et la religion. Devenu roi, Hérode se serait rappelé la prophétie de l'Essénien, l'aurait fait venir chez lui et lui aurait demandé combien de temps durerait son règne. Ne pouvant faire parler Manahem, Hérode nomma plusieurs séries d'années, depuis dix jusqu'à trente, et voyant que l'Essénien ne manifestait aucun signe de dénégation, il en conclut qu'il régnerait au moins trente ans. Depuis lors, il aurait pris en affection le saint homme, et voilà la cause qui l'aurait déterminé à le placer dans le Synédrium. Mais ce qui est certain, c'est que Manahem quitta bientôt un poste où il ne se trouvait pas à son aise, et se retira dans la solitude[15]. Son successeur fut le célèbre docteur Schammaï[16], homme sévère, toujours en opposition avec son indulgent collègue, et formant en quelque sorte son complément. Schammaï était un Palestinien, patriote zélé, se faisant de la loi une arme contre les adversaires politiques d'Israël. Homme d'action plutôt que de spéculation, sa sévérité ne l'empêchait pourtant pas de recommander l'affabilité envers le prochain : Applique-toi assidument à la loi, disait-il, parle peu, mais agis efficacement et fais à tout le monde un bon accueil[17]. Hillel et Schammaï avaient formé deux écoles (Beth-Hillel et Beth-Schammaï), qui différaient l'une de l'autre sur beaucoup de questions morales, religieuses et légales, et exercèrent plus tard, dans la dernière crise de la Judée, une puissante influence sur la marche des événements. Les Pharisiens, amis de la paix, qui voulaient alors transiger avec les Romains, et à la tête desquels se trouvait Rabbi Yo'hanan ben Zaccaï, étaient de l'école de Hillel ; le parti opposé, les Zélateurs, étaient de celle de Schammaï. Tandis que des éléments si hétérogènes se formaient dans la retraite de l'école, Hérode atteignait à l'apogée de son pouvoir et se préparait à commettre de nouveaux crimes. Mariamne, sa femme, avait été instruite par Sohem de l'ordre cruel qu'il avait renouvelé une fois encore avant son départ, et elle ne cachait pas la haine qu'elle éprouvait contre le meurtrier de son père et de son frère. Hérode, excité par sa sœur Salomé, qui calomniait la vertueuse Mariamne, vengea d'abord.sur son ancien confident Sohem l'indiscrétion qu'il avait commise envers Mariamne. Puis ; celle-ci fut accusée d'avoir voulu empoisonner Hérode et d'avoir entretenir avec Sohem des relations coupables. Traduite devant un tribunal composé des plus vils courtisans du tyran, elle fut condamnée à mort. Salomé pressa l'exécution de la sentence, dans la crainte que son frère, rentré dans son sang-froid, ne mît obstacle au meurtre de la femme qu'il aimait. A cet effet, elle fit apparaître devant ses yeux le danger imminent d'une révolte populaire en faveur du dernier rejeton de la famille 'hasmonéenne. Mariamne fut conduite à l'échafaud. Sa fière dignité confondit son bourreau. A peine était-elle exécutée, qu'il sentit renaître tout son amour pour elle. Une sombre mélancolie s'empara de son âme. Il se retira des affaires et se rendit en Samarie, où il tomba malade. Pendant son absence, Alexandra, la mère de la malheureuse Mariamne, crut le moment propice pour accomplir des projets de vengeances depuis longtemps médités. Mais son complot fut trahi, et elle alla rejoindre les autres membres de sa famille immolée. A partir de cette époque, le règne d'Hérode n'est plus qu'une suite de basses flatteries envers Octave, devenu empereur sous le nom d'Auguste, de folles dépenses en constructions et en fêtes romaines, d'insultes aux mœurs nationales, occasionnant de nouvelles conspirations et de nouveaux crimes. Ne se croyant plus en sûreté au milieu de son peuple, Hérode s'entoura d'une nombreuse garde, fortifia Samarie et d'autres villes, en fonda de nouvelles, et les fit toutes occuper par des troupes étrangères à sa solde, pour se ménager une retraite en cas de révolution. La passion de bâtir lui fit oublier enfin Mariamne ; il épousa une autre femme du même nom, fille d'un prêtre nommé Siméon, qu'il éleva à la dignité de Pontife, en remplacement de Josué, qu'il avait fait auparavant succéder à 'Hananel, après le meurtre commis sur Aristobule, son beau-frère. Pour conquérir une popularité qui lui faisait toujours défaut, il résolut d'élever un nouveau temple sur l'emplacement de l'ancien, qui avait cinq siècles d'existence, et qui était d'une apparence assez mesquine à côté des somptueux monuments élevés à Jérusalem. Les représentants de la nation, qu'il convoqua pour leur communiquer son projet, furent d'abord consternés, craignant qu'il n'y eût là un piège tendu à la nation pour la priver de son sanctuaire. Mais Hérode leur promit de ne faire démolir l'ancien temple qu'après avoir préparé tous les matériaux pour le nouveau. Dix mille ouvriers, parmi lesquels mille prêtres instruits dans l'art de l'architecture, se mirent à l'œuvre pour exécuter les travaux. L'intérieur du nouveau temple fut achevé en dix-huit mois. L'extérieur de l'édifice demanda bien plus de temps. Les principales parties étaient pourtant achevées l'an 14. Ceux qui ont vu le temple d'Hérode vantent beaucoup sa magnificence[18]. L'inauguration, qui eut lieu à la date que nous venons de nommer, fut pompeuse et dépassa de beaucoup en splendeur celle du temple de Salomon, dont la Bible nous donne la description. Au milieu d'hécatombes sans nombre, des repas publics furent servis au peuple. Mais la même main qui élevait le temple avait aussi allumé la torche qui devait y porter la dévastation. Le sanctuaire fut mis sous le patronage de Rome un aigle d'or, symbole de la puissance romaine, fut placé au-dessus de son entrée principale, au grand scandale des fidèles. Son existence dépendait des caprices de Rome, et un siècle n'était pas écoulé que le superbe édifice était transformé en un monceau de cendres. Les crimes engendrent toujours d'autres crimes. Hérode avait désigné les fils de l'infortunée Mariamne pour lui succéder au trône, parce que, en raison de leur origine 'hasmonéenne du côté maternel, ils étaient plus populaires qu'Antipater, le fils de son premier mariage avec Doris. Mais plus ils avançaient dans la faveur du peuple, plus la haine de Salomé se réveillait contre eux. De leur côté, ils ne pouvaient pardonner, ni à leur tante, ni à leur père, d'avoir immolé leur mère. Salomé parvint enfin à persuader à Hérode qu'ils voulaient attenter ses jours. Antipater fut rappelé à la cour, d'où il avait été banni avec sa mère Doris lors du mariage d'Hérode avec Mariamne. Il fut comblé d'honneurs par Hérode et envoyé à Rome avec Agrippa qui était venu à Jérusalem. Salomé continua ses intrigues contre les fils de Mariamne. Sur les aveux de leurs domestiques, aveux qui leur avaient été arrachés par la torture, Hérode fit enchaîner et conduire ses fils devant un tribunal pour les faire condamner à mort. Ils furent décapités à Samarie (l'an 6). Le crime qu'on leur avait imputé était aussi imaginaire que celui qu'on avait inventé contre leur mère. Peu de temps après la mort de ces innocentes victimes d'une conspiration imaginaire, une conspiration autre, qui n'était que trop réelle, fut tramée contre la vie d'Hérode par son fils Antipater. Assuré maintenant de succéder au trône, le digne fils ne pouvait pas attendre la fin des jours de son père. Quel terrible châtiment pour celui qui avait versé tant de sang innocent au profit de ce fils dénaturé ! — La rage dans le cœur, Hérode dut encore feindre de la tendresse pour Antipater, afin de le déterminer à revenir ; car il se trouvait à Rome, pour obtenir d'Auguste la confirmation de ses droits à la succession du trône de son père. Dès son arrivée à Jérusalem, il fut arrêté, accusé de parricide et condamné à mort. L'empereur devait confirmer la sentence du tribunal. Mais avant que la confirmation arrivât à Jérusalem, Hérode tomba dangereusement malade, se fit transporter à Jéricho, et amena avec lui son fils enchainé, qu'il tint prisonnier dans son palais. Un jour, les douleurs occasionnées par sa maladie dégoûtante, avaient tellement exaspéré Hérode, qu'il voulait attenter lui-même à-ses jours à l'aide d'une arme tranchante. Ce ne fut pas sans efforts que son parent Achiab parvint à la lui arracher. Le bruit qui s'en était répandu dans le palais, arriva aux oreilles d'Antipater. Il conjura alors son geôlier de lui donner la liberté, afin de pouvoir se mettre en possession du trône de son père agonisant. Le prudent geôlier voulut s'assurer d'abord de l'état du malade, et comme il le trouva hors de tout danger immédiat, il lui découvrit la demande de son fils. Hérode donna aussitôt l'ordre à ses gardes de le tuer dans sa prison, quoique la confirmation de l'arrêt de mort ne fût pas encore arrivée de Rome. Le mythe du massacre des innocents a pris sa source dans le meurtre accompli par Hérode sur la plupart de ses enfants. Des pensées sanguinaires remplirent l'âme du tyran jusqu'au dernier moment. Pour que sa mort ne devint pas une cause de joie publique, il fit venir à Jéricho les hommes les plus distingués de la Judée, les fit surveiller dans l'hippodrome et chargea sa sœur et Alexas, son dernier mari, de les faire sabrer par sa garde au moment de sa mort. Il mourut cinq jours après l'exécution d'Antipater, au printemps de l'an 3, dans la soixante-dixième année de sa vie, après avoir régné trente-sept ans. Nous ne pouvons mieux terminer cette esquisse rapide du règne du dernier roi de la Judée, qu'avec les paroles éloquentes de l'illustre auteur que nous venons de citer pour la description du temple. Hérode avait travaillé toute sa vie à s'assurer le nom d'un grand
souverain, et il ne mérita que celui d'un tyran exécrable ; à un vain éclat
extérieur il avait sacrifié la liberté de son pays, ainsi que sa propre
indépendance. Incapable de secouer le joug étranger, il se vengea de son dur
esclavage sur ses propres concitoyens, en bravant leurs coutumes et leurs
lois, en imitant servilement les coutumes étrangères et en se mettant
au-dessus de l'antique loi sociale et religieuse, qui seule devait dominer
sur le peuple juif. Il foulait aux pieds les pouvoirs nationaux ; le
Synédrium n'était plus qu'une ombre, et le pontificat dépendait du caprice du
tyran. Sachant bien que toute réconciliation était impossible entre l'esclave
des mœurs païennes et les zélés partisans de la loi de Jéhova, il ne voyait
partout que des ennemis ; 'ses lâches confidents lui en faisaient voir jusque
dans ceux qui devaient lui être les plus chers, et il déchirait ses propres
entrailles en cherchant vainement le repos qui le fuyait sans cesse. Sa
prodigalité, qui parfois empruntait les
dehors de la bienfaisance, avait également sa source dans son ambition démesurée. Il opprimait son
peuple pour perpétuer son nom par de magnifiques monuments, qu'il faisait
élever jusque dans les pays étrangers ; et la brillante restauration du
sanctuaire national n'était elle-même qu'un calcul ambitieux et un moyen de
faire oublier, pour un moment, sa
tyrannie et ses crimes. L'épithète de Grand, que l'histoire lui a
donnée, est une amère dérision ; sa grandeur consistait à être un magnifique esclave
portant des chaines d'or ; elle aboutit à le faire mourir dans le désespoir
et à détruire entièrement l'indépendance de son peuple, devant lequel il
ouvrit l'abîme qui devait l'engloutir[19]. Hérode légua à la Judée l'anarchie et le démembrement. Les quelques enfants qui lui restaient encore de ses neuf femmes, se disputèrent et se partagèrent les provinces que le roi défunt n'avait pas réunies dans l'intérêt de la nation, mais dans des vues d'intérêt personnel. Dans son testament il fit bon marché de son royaume. Conquérant au petit pied, il disposa des provinces de la Judée au profit de ses héritiers. Sauf la confirmation de l'empereur romain, qu'il avait institué l'arbitre de sa dernière volonté, il léguait à Archélaüs, fils de sa femme samaritaine, les provinces de Samarie et de la Judée proprement dite, avec le titre de roi. Un autre de ses fils, Hérode Antipas, reçut la Galilée et la Pérée ; un troisième, quelques provinces dans le nord de la Palestine. Antipas, envia l'héritage de son frère Archélaüs ; il fut soutenu par Salomé, légataire elle-même, en vertu du testament de son frère, des revenus de trois villes. Les prétendants cherchaient à s'assurer les sympathies du peuple, pour s'en faire un titre auprès de l'empereur. A cet effet, Salomé et son mari ne firent pas exécuter l'ordre sanguinaire du roi mourant. Avant que sa mort fût connue, ils firent relâcher les prisonniers du cirque de Jéricho. Archélaüs, de son côté, se rendit à Jérusalem, donna des festins au peuple et lui fit de belles promesses. Mais le peuple formula ses propres désirs et en exigea la réalisation immédiate. Il insista notamment sur la destitution du dernier pontife, nommé par Hérode, et sur la punition de ceux qui lui avaient conseillé de faire exécuter deux célèbres Pharisiens, Juda et Matthieu, avec leurs disciples, exécution qui avait eu lieu pendant la dernière maladie du roi, parce qu'on avait arraché l'aigle romain de l'entrée du temple. — Archélaüs ne voulait pas, ou ne put pas satisfaire aux vœux du peuple, avant d'être confirmé dans son pouvoir par Auguste. Il s'ensuivit une insurrection, qu'il dut réprimer par les armes romaines, et dans laquelle trois mille hommes du peuple perdirent la vie. — Voilà de quelle façon Archélaüs inaugurait son règne. Ses parents et rivaux profitèrent de ces événements pour l'accuser auprès d'Auguste. Toute la famille hérodienne se rendit à Rome. Pendant son absence, la Judée donna le tableau d'un vaste champ de bataille, où les uns combattaient pour s'arroger le pouvoir, les autres pour soustraire le peuple au joug des Romains. Dans la chronique juive, on appelle l'année qui suivit la mort d'Hérode : époque de la guerre de Varus, du nom du gouverneur contemporain de la Syrie qui défendait les Hérodiens avec ses légions contre le soulèvement populaire. Toute la Judée était en feu. Si, à cette époque, les Juifs avaient eu à leur tête un chef capable de réunir leurs forces dispersées l'anarchie, provoquée par les querellés des successeurs d'Hérode, aurait bien pu se tourner contre eux-mêmes. Mais n'ayant ni centre d'action, ni but commun, ni direction intelligente ; ces luttes dévastaient le pays sans amener aucun profit pour son indépendance. Un seul chef de partisans était dévoué à la cause nationale : Juda, le Galiléen, de Gamala, fils du patriote Ézéchias, contre lequel Hérode avait gagné ses premiers éperons. Élevé dans l'amour de la patrie, le cœur plein de haine contre les bourreaux de son père, Juda créa ce parti de Zélateurs, qui s'étendit peu à peu sur tout le pays et devint le cauchemar des Romains. Grâce à ce second Judas digne du Maccabéen, les maîtres du monde eurent plus de peine à soumettre le 'petit peuple juif que les plus grands peuples de l'Europe. C'est à l'époque de la guerre de Varus que Juda, dans la vigueur de l'âge, commença son agitation et se fit beaucoup de partisans parmi les habitants de la Galilée. Il prit à l'improviste Séphoris, la capitale et le dépôt d'armes de la province, et devint la terreur de tous les amis de l'étranger[20]. Ce soulèvement populaire obligea le gouverneur de Syrie à voler au secours des troupes romaines. Varus ne se contenta pas de faire marcher toute l'armée qui était sous ses ordres, mais il appela aussi sous les armes les troupes auxiliaires des princes alliés, voisins de la Judée. Arétas, le roi d'Arabie, trop content de l'occasion qui se présentait de prendre sa revanche contre les Juifs, s'empressa de mettre ses troupes à la disposition du gouverneur. Il forma l'avant-garde de l'armée romaine, dévasta la Judée par le pillage, et l'écrasa sous les impôts forcés : Varus pouvait envoyer, grâce à ces secours, la plus grande partie de son armée en Galilée pour opérer contre Juda. Ne pouvant autrement s'emparer de Séphoris, les Romains incendièrent toute la ville ; les habitants, forcés de se rendre, furent vendus comme esclaves ; mais Juda échappa à ses ennemis. — Varus lui-même marcha sur Jérusalem. A l'approche de son armée, les révoltés se dispersèrent. Mais bien qu'il ne trouvât plus de résistance dans la capitale, il fit crucifier deux cents Juifs. Tandis que ces luttes se Passaient en Judée, là famille d'Hérode mendiait au pied du trône d'Auguste. La servilité rampante et les récriminations réciproques des membres de cette famille, apprenaient à l'empereur leur égale indignité du pouvoir qu'ils ambitionnaient. Auguste n'avait pas encore fait connaître sa résolution, lorsque cinquante notables de la Judée vinrent à Rome, sur l'invitation de Varus, pour porter plainte contre les Hérodiens et demander la réduction de la Judée en province romaine, sous la garantie du libre exercice de son culte. Soutenus par leurs coreligionnaires de Rome, qui y formaient alors une population de 8.000 âmes ; les membres de l'ambassade de Jérusalem furent présentés à l'empereur qui, après avoir entendu toutes les demandes, ne trouva rien de mieux à faire que de confirmer dans presque toutes ses parties le testament d'Hérode. Il y mit une seule restriction : Archélaüs ne devait pas porter le titre de roi, mais celui d'Ethnarque. Auguste avait probablement déjà l'arrière-pensée de déclarer la Judée province romaine, mais il ne voulut pas se montrer ingrat envers le roi défunt qui avait été son fidèle serviteur. Archélaüs, après avoir gouverné son ethnarchie durant neuf ans, fut destitué par Auguste et exilé à Vienne dans la Gaule. La Judée, déclarée province romaine, fut réunie à la Syrie et gouvernée par un représentant de l'empereur qui avait le titre de gouverneur (procurator, έπίτροπος) et siégeait à Césarée. Il avait à maintenir l'ordre et la tranquillité du pays, et à prendre les mesures nécessaires pour l'acquittement régulier des impôts. Il avait, en outre, la faculté de prononcer la 'peine de mort et de contrôler la justice criminelle du Synédrium[21]. Il avait enfin le droit de nommer les Pontifes, de les instituer et de les destituer à son gré, et il usa et abusa de ce droit, en ayant égard, non-seulement aux intérêts de Rome, mais aussi aux siens propres. Il tenait sous clef les ornements pontificaux. Aux trois grandes fêtes, de même que le jour du grand pardon, ces ornements étaient remis à un employé du temple qui devait, la cérémonie passée, les faire renfermer par les employés romains dans une salle de la citadelle Antonia. Une lampe perpétuelle était suspendue devant l'armoire qui contenait le dépôt sacré. |
[1] Tract. Yom Tob., p. 16a.
[2] ABOTH, I, 13.
[3] ABOTH, I, 14.
[4] ABOTH, I, 12.
[5] SABBATH, 30b.
[6] ABOTH, II, 5.
[7] MATTHIEU, VII, 1.
[8] Tosifta 'Haguiga, c. 11. — Yom Tob,
20a.
[9] Berachoth, fin. — Cf.
pour cette légende : ibid. 60a, et Jérus. Berachoth,
c. I, p. 14.
[10] Tosifta Péa, fin.
[11] Succa, 10a.
[12] Thorath Kohanim, au
commencement. — Tosifta Synhédr., c. VII. — Aboth de R. Nathan,
c. XXVII.
[13] SCHEBIITH, IX, 3-4.
[14] ÉRACHIN, 31b.
[15] Jérus., 'Haguiga, II, p. 87. — Babi.,
ibid., 46b.
[16] Jérus., 'Haguiga, II, p. 87. — Babi.,
ibid., 46b.
[17] ABOTH, I, 15.
[18] Une description détaillée du
temple d'Hérode est donnée dans la Mischna, Midoth, et dans JOSÈPHE, Antiq., XV, XI, 3 ; Guerres, V, V, 1-6. — Voir le résumé des
deux sources dans MUNK, Palestine, p. 551 et suivantes.
[19] Palestine, par S. MUNK, p. 560.
[20] JOSÈPHE, Antiquités, X, 4, 8. —
TACITE,
Histoires, V, 9.
[21] JOSÈPHE, Antiquités, XVIII, 1-1. XX, 9-1. — Guerres, II, 8-1. — Matthieu, XXVII, et suivants.