Les Juifs romains et Cicéron. — Schemaja et Abtalion, présidents du Synédrium. — Crassus pille le temple. — Jules César. — Hérode devant le Synédrium. — Les Parthes en Judée. — Règne d'Antigone. — Sac de Jérusalem. — Règne d'Hérode. A Rome et dans d'autres villes italiennes, il y avait des Juifs avant la prise de Jérusalem par Pompée. Ils n'étaient pas arrivés en Italie comme prisonniers de guerre ; c'étaient des négociants qui faisaient le commerce de blé entre Rome et l'Égypte, remplissaient les fonctions de fournisseurs de l'armée ou de fer fiers d'impôts, et avaient même à ce titre dos relations avec les hommes d'État de l'empire. Mais comme il n'y avait pas parmi eux de docteurs de la loi, ils n'avaient pu former une communauté religieuse avant l'arrivée des prisonniers de guerre de la Judée. Ceux-ci, qui comptaient dans leurs rangs beaucoup de savants, furent recherchés par leurs compatriotes de Rome et invités à se fixer dans cette capitale. Eux et leurs descendants étaient connus sous le nom de Libertini[1]. Ils s'établirent dans les quartiers occupés par leurs coreligionnaires sur la rive gauche du Tibre, au pied du mont Vatican, et sur une ile de ce fleuve, quartiers favorables au commerce et à la navigation. Un pont du Tibre porta encore longtemps après le nom de Pons-Judæorum[2]. Les Juifs romains n'étaient pas sans influence sur les affaires publiques ; ils avaient le droit de vote dans les assemblées populaires, et en usaient largement, à ce qu'il parait. — Cicéron, aussi timide qu'éloquent, hésita un jour à donner un libre cours à ses ressentiments contre eux. Il avait à défendre le proconsul Flaccus qui s'était rendu coupable de concussion dans sa province de l'Asie-Mineure. On lui reprochait, entre autres méfaits, de s'être emparé des offrandes que les communautés juives avaient consacrées au temple de Jérusalem, et qui s'élevaient à deux cents livres d'or[3]. Les Juifs romains, présents aux débats, intimidèrent le grand orateur qui baissait la voix au point de n'être entendu que des juges. Dans son discours, on lit le passage suivant qui jette une étrange lumière sur la morale de l'auteur des Devoirs : Il faut une grande force de caractère, pour s'opposer aux préjugés barbares et oser exprimer, dans l'intérêt de Rome, son mépris à l'égard des Juifs qui s'agitent tant dans nos assemblées populaires. Certes, si Pompée n'a pas fait usage de son droit de conquête, s'il a épargné le trésor du temple, il ne faut pas l'attribuer à la vénération que lui inspirait le sanctuaire juif, mais à un sentiment de prudence qui lui conseillait de ne fournir aucun grief à cette nation ombrageuse et calomniatrice ; prudence sans laquelle il n'aurait guère épargné les objets sacrés d'un peuple étranger, et surtout du peuple juif[4]. L'état incertain et précaire dans lequel se trouvait la Judée après la conquête de Pompée était pire qu'une sujétion complète. Combe elle n'était pas province romaine, elle était livrée à l'arbitraire des vainqueurs, et ne trouvait pas d'appui dans le sénat qui regardait la Judée comme un pays étranger placé en dehors de sa protection. — Le ministre tout-puissant d'Hyrcan, Antipater, se plut à laisser subsister cet état de choses qui lui permettait d'augmenter son influence en se rendant utile aux Romains. Scaurus, qui allait succomber dans une expédition contre Arétas, lui en fournit bientôt l'occasion. Grâce à l'intervention d'Antipater, la paix fut conclue à des conditions avantageuses pour les Romains. Après le rappel de Scaurus, Antipater entretint aussi avec ses successeurs de bonnes relations. Le fils aillé d'Aristobule, Alexandre, était parvenu à s'évader pendant qu'on le transportait à Rome avec sa famille. A peine fut-il rentré en Judée, que dix mille patriotes, se mettant sous ses ordres, s'emparèrent de trois forteresses : Alexandrion, Hyrcanion et Machérus, et menacèrent Jérusalem. Antipater appela à son secours le proconsul Gabinius, successeur de Scaurus. Accompagné de Marc-Antoine, qui commandait la cavalerie, Gabinius entra en Judée. Antipater vint le rejoindre avec des troupes juives sous la conduite de quelques chefs indigènes, entre autres de Malich, qui devint plus tard son ennemi le plus dangereux. Dans le combat qui s'engagea près de Jérusalem, les patriotes furent vaincus à forcés de se replier sur leurs forteresses. Après quelques mois de lutte, ils furent contraints de se rendre. Ce n'est qu'aux supplications de la reine-mère, femme d'Aristobule, que son fils dut son salut. Gabinius introduisit des changements dans l'administration intérieure de la Judée ; il divisa le pays en cinq districts, administrés chacun par un grand conseil ou Synédrium. En politique habile, il avait voulu briser l'importance de ce corps illustre en le morcelant. Mais son attente fut trompée : à peine s'était-il éloigné que ces divers petits conseils disparurent et vinrent se fondre dans l'ancienne assemblée centrale. Après la mort de Siméon-ben-Schétach, ses deux disciples les plus distingués, Schemaja et Abtalion, devinrent présidents du Synédrium. Les maximes qu'ils ont laissées à la postérité reflètent toute la désolation de cette époque. L'un recommandait à ses disciples d'apprendre un métier manuel et de se tenir éloigné du-pouvoir ; l'autre avertissait les siens d'être circonspects dans leurs paroles pour ne pas s'exposer à l'exil[5]. Ces deux docteurs eux-mêmes paraissent avoir vécu longtemps loin de leur patrie, à Alexandrie, en Égypte, auprès de leur maitre Juda-ben-Tabbaï, le collègue de Siméon. Pendant leur administration, qui dura près de vingt-cinq ans (60-35), le pouvoir politique du Synédrium allait s'affaiblissant de jour en jour ; aussi déployèrent-ils tous leurs efforts pour favoriser le développement de la loi religieuse air point de vue théorique seulement. Leur autorité fut si grande dans la suite, que des usages et des interprétations douteuses obtinrent force de loi, aussitôt qu'on pouvait les faire remonter jusqu'à eux. C'est à ces docteurs que remonte l'origine de ces discussions plutôt spéculatives que pratiques qui, après la destruction de la nationalité juive, sont devenues le trait d'union et la consolation des Israélites. La Judée n'offrait déjà plus que le triste spectacle d'une suite de révoltes aussitôt comprimées que commencées. Aristobule était parvenu, probablement avec le concours de ses compatriotes de Rome, à s'échapper de cette capitale avec son fils Antigone et à gagner la Judée, où il fut accueilli et salué comme le sauveur de la nation. On accourut avec un empressement général sous ses drapeaux ; le pays n'eut bientôt plus assez d'armes pour tous ses partisans, désireux de secouer le joug odieux des proconsuls. Malheureusement Aristobule, qui ne brillait pas par ses talents stratégiques, attaqua immédiatement les armées romaines en bataille rangée, et leur livra un grand combat, au lieu.de les harceler par une guerre de guérillas, que la nature montagneuse du sol de la Judée eût favorisée. Son armée fut taillée en pièces. Il essaya néanmoins de résister encore, en se repliant avec ces débris sur Machérus, ancienne forteresse rasée, dont il releva les murs à la hâte. Les Romains l'y suivirent avec leurs machines de siège, et deux jours leur suffirent pour détruire les retranchements. Aristobule et son fils furent pris et renvoyés à Rome. Une autre révolte, conduite par le second fils d'Aristobule, Alexandre, eut une issue aussi funeste que les précédentes. Après le rappel de Gabinius, ce fut Crassus qui devint le gouverneur de la Syrie. Son premier soin fut de se rendre à Jérusalem pour enlever le trésor du temple que Pompée avait laissé intact. Pour sauver ce dépôt sacré, Éléazar, préposé à sa garde, lui offrit une barre d'or du poids de trois cents mines, qu'il tenait cachée dans le temple, à la condition qu'il renonçât à son dessein. Crassus accepta la barre d'or et s'empara ensuite du trésor au mépris de son serment. Mais alors même sa cupidité ne fut pas encore assouvie ; tous les vases sacrés, qui, d'après Josèphe, représentaient une valeur de 8.000 talents, devinrent la proie du riche et insatiable Romain. Chargé de son butin, il se dirigea vers l'Euphrate pour faire la guerre aux Parthes. Il y périt avec toute son armée. Cassius, le même qui figura plus tard parmi les meurtriers de César, parvint à en ramener les débris en Syrie (53) et à étouffer dans ses germes la révolte qui éclata en Judée à la nouvelle de la défaite de l'armée romaine. Il y fit dix mille prisonniers juifs et les vendit comme esclaves. Les événements qui se préparaient parurent un instant favorables au rétablissement du pouvoir des 'Hasmonéens. Jules César avait rompu avec Pompée et jeté le gant au sénat. Pour combattre l'influencé de ses ennemis, il avait mis en liberté l'ex-roi Aristobule et lui avait confié deux légions, avec lesquelles il devait se rendre en Judée. Mais les amis de Pompée surent-prévenir le danger qui les menaçait, en faisant empoisonner Aristobule, tandis que Scipion faisait décapiter son fils Alexandre à Antioche (48). Sa femme, son fils Antigone et sa fille Alexandra trouvèrent un refuge chez Ptolémée, prince de Chalcis, dont le fils Philippion épousa Alexandra qu'il aimait. Mais Ptolémée, devenu lui-même amoureux de sa belle-fille, fit mourir son fils et épousa Alexandra. Tant que Pompée vécut, Antipater lui resta fidèle. Après la bataille de Pharsale et la mort de Pompée, le ministre d'Hyrcan se rangea du côté de César, vainqueur des partisans de Pompée. Arrivé en Syrie, César, par complaisance pour Antipater, confirma Hyrcan dans sa dignité et lui permit de rétablir les fortifications de Jérusalem. En général, César se montra favorable aux Juifs. Il rétablit ou confirma l'ancienne institution du Synédrium, que Gabinius avait vainement essayé d'altérer, permit aux Juifs de tous les pays d'envoyer leurs offrandes au temple, confirma les droits civils et politiques des Juifs d'Alexandrie, et semble avoir aussi favorisé ceux de Rome, si l'on en juge par la fidélité qu'ils lui conservèrent jusqu'à la fin. Mais si les Juifs établis au dehors de la Judée se montraient reconnaissants envers César, ceux de la Judée ne voyaient en lui que le dominateur étranger et restaient insensibles à ses bienfaits. Des débris de l'armée d'Aristobule s'étaient réfugiés dans les montagnes et les cavernes de Galilée, sous un chef de partisans nommé Ézéchias. Ils inquiétaient les Romains et les Syriens, et n'attendaient que le moment propice pour lever l'étendard de la révolte. Les Romains les traitaient de brigands ; mais les Juifs les regardaient comme les vengeurs de leur honneur et de leur liberté ; car ils voyaient avec dépit le ministre d'Hyrcan profiter de la faiblesse du roi pour agrandir sa propre maison. C'est ainsi qu'il avait fait nommer son fils aîné, Phasaël, gouverneur de Jérusalem et de la province de Judée, tandis qu'il avait fait confier à son fils cadet, Hérode, le gouvernement de la Galilée. Ce jeune homme, âgé à peine de vingt ans, était le mauvais génie de la Judée, qu'il devait livrer un jour pieds et poings liés à la domination romaine. Le premier acte de sa vie publique était une complaisance honteuse pour les étrangers et une trahison à l'égard des patriotes. Il entreprit une campagne contre Ézéchias, le vainquit, et le fit décapiter avec ses partisans. Sextus César, parent du dictateur romain, combla de bienfaits l'exterminateur des brigands. Mais les patriotes le maudirent, et virent avec effroi poindre en lui le tyran de la nation. A Jérusalem, l'acte du jeune Hérode et la faiblesse d'Hyrcan soulevèrent l'indignation générale. Les mères des patriotes immolés par Hérode vinrent dans la capitale, et firent retentir les rues et les places publiques de leurs lamentations. Hyrcan ne pouvait plus se laisser voir sans être assailli de reproches, parce qu'il avait permis au fils d'Antipater de violer impunément la loi, en faisant périr, sans jugement, des citoyens coupables de patriotisme. Le roi fut enfin forcé de faire citer Hérode devant le grand Synédrium. Hyrcan lui-même reçut du Synédrium l'invitation d'assister au procès. C'était un affront sanglant infligé à Hérode, qu'on mettait ainsi au rang des esclaves, dont la loi n'autorisait pas le jugement sans la comparution des maîtres. Antipater ne manqua pas d'informer son fils de l'orage qui s'amoncelait sur sa tête, et l'invita à se faire accompagner d'une bonne escorte en se rendant à Jérusalem. Hérode se présenta devant le Synédrium, revêtu de pourpre et entouré de satellites armés. En même temps Sextus César, le gouverneur romain, avait envoyé à Hyrcan mie lettre, dans laquelle il prenait sous sa protection la vie de son protégé. Un morne silence régnait dans l'assemblée ; personne n'osa accuser le coupable. Le président Schemaja prit alors la parole, et prononça, sans colère ni crainte, d'un air impassible, un discours dont l'histoire nous a conservé le fragment suivant, qui fait tant d'honneur à son courage civil : L'accusé ne semble-t-il pas être venu nous dévouer au glaive de ses satellites, si nous prononçons contre lui l'arrêt de mort ? — Et pourtant, malgré son insolence, il me semble moins blâmable que vous et le roi, qui souffrez que la justice soit ignominieusement outragée. Sachez donc que celui devant lequel vous tremblez vous livrera un jour, vous et le roi, à la hache du bourreau, si vous laissez son crime impuni[6]. Les paroles du président réveillèrent le courage et la conscience des membres du tribunal. Hyrcan, s'apercevant des mauvaises dispositions des juges à l'égard d'Hérode, ordonna de surseoir au jugement jusqu'au lendemain. En attendant, Hérode, sur le conseil du roi, quitta Jérusalem et se rendit à Damas. Sextus César le nomma gouverneur de la Célésyrie (46). Hyrcan, dès ce moment, aurait déjà expié par la perte de sa couronne et peut-être de sa vie, l'humiliation qu'il avait fait encourir à Hérode, si le protégé du gouverneur romain, cédant aux instances de son père et de son frère, n'eût ajourné son projet de marcher sur Jérusalem. Cependant César avait succombé sous le poignard des conjurés (44), et l'un d'eux, Cassius, revint en Syrie pour combattre les partisans du dictateur, qui était encore redoutable même après sa mort. Mais pour arriver à ses fins, il lui fallait avant tout de l'argent. Le souvenir du pillage du temple par Crassus lui faisait considérer la Judée comme une mine inépuisable, ouverte a l'avidité des Romains. Il exigea d'Hyrcan une somme de 700 talents. Antipater dut infliger aux provinces du royaume un impôt forcé. Ses fils, et surtout Hérode, redevenu gouverneur de la Galilée, s'empressèrent d'extorquer à leurs provinces les sommes demandées. Malich, général juif et ami d'Hyrcan, montra moins de zèle à dépouiller les habitants de sa province. Mais Cassius ne supporta pas un retard qui pouvait lui devenir funeste ; il fit vendre comme esclaves les habitants de quatre villes de la Judée méridionale : de Gophna, Emmaüs, Lydda et Thamna. Pour sauver Malich, le seul ami sur la sincérité duquel il pouvait compter, Hyrcan offrit au général romain une rançon de 100 talents. Ce faible monarque s'aperçut enfin que les Iduméens ne poursuivaient que des projets ambitieux. Et pourtant, il n'avait pas encore connaissance de la conspiration tramée contre lui par Hérode et Cassius, dans le but de le détrôner. Mais Malich en fut instruit et prit ses mesures pour déjouer ce plan. N'ayant pas assez de forces à sa disposition pour combattre ouvertement les ennemis de Hyrcan, il se servit de leurs propres armes en faisant empoisonner Antipater, -l'âme de la conspiration, tout en feignant la plus grande douleur quand se répandit la nouvelle de sa mort. Mais Hérode, mieux avisé que Malich, fit semblant de croire à la sincérité des larmes du meurtrier de son père, et lorsque Malich tomba entre ses mains, il le fit assassiner par quelques légionnaires romains, faisant croire à Hyrcan que c'était sur l'ordre de Cassius que l'ami du roi avait été exécuté. Le faible roi n'osa rien entreprendre pour venger son ami ; mais le peuple de Jérusalem courut aux armes. En même temps, un frère de Malich s'était emparé de plusieurs forteresses, et le général romain Félix, commandant des troupes de Jérusalem, gagné par les habitants et soutenu par Hyrcan, faisait cause commune avec les adversaires d'Hérode. Celui-ci était malade à Damas. Cassius avait été rappelé par Brutus, pour combattre avec lui les héritiers de César. L'un et l'autre, après la bataille de Philippes, se donnèrent la mort. le seul soutien qui restât à la cause des Iduméens était Phasaël, le frère d'Hérode. Il résista seul à tous ses ennemis. Hérode, après avoir recouvré la santé ; avait encore à combattre un autre ennemi avant de pouvoir marcher sur Jérusalem. Antigone, fils d'Aristobule, appuyé par son beau-frère, lé prince de la Chalcide, et par Marion, prince de Tyr, était sur le point de ressaisir la couronne de son père. Ce n'est qu'après avoir remporté une victoire décisive sur cet ennemi, qui était en même temps celui de Hyrcan, qu'Hérode put entrer en triomphe à Jérusalem, où le roi lui-même devait le recevoir à bras ouverts, et lui offrir la palme de la victoire qu'il avait gagnée sur Antigone. Hérode et Phasaël firent au roi d'amers reproches. On se réconcilia cependant. Hérode demanda en mariage la petite-fille de Hyrcan, Mariamne, fille d'Alexandra. Elle lui fut promise par le roi. La mère elle-même intervint en faveur d'Hérode, pour le réconcilier avec son père. L'ère impériale avait commencé à Rome. La république était définitivement vaincue. Hérode et Phasaël devaient s'empresser de gagner la faveur des vainqueurs. Après avoir fait la cour aux républicains romains tant qu'ils les croyaient mitres de la situation, ils furent les Premiers à chercher les bonnes grâces du parti contraire. En ces temps de corruption générale, les plus impudents étaient toujours sûrs de se maintenir au pouvoir. Hérode avait déjà gagné par de riches présents la faveur d'Antoine, lorsqu'une députation juive se présenta à lui, pour accuser les Iduméens. Les patriotes ne furent pas écoutés. Une nouvelle députation de cent personnes fut jetée en prison. Une troisième, composée de mille hommes, eut mi sort plus terrible ; Antoine fit écraser ces hommes sans armes sous les pieds des chevaux de quelques régiments de cavalerie. — Les deux frères iduméens, Hérode et Phasaël, furent nommés Tétrarques de la Judée (41). Antoine alla, passer l'hiver en Égypte auprès de Cléopâtre. Les réfugiés romains du parti républicain excitaient les Parthes à fondre sur la Syrie dont les populations ne demandaient pas mieux que de s'affranchir de l'oppression romaine. Lysonias, prince de la Chalcide, qui venait de succéder à son père Ptolémée, promit aux généraux parthes de grandes sommes d'argent, s'ils venaient secourir Antigone contre Hyrcan et les Iduméens. Les Parthes y consentirent et marchèrent sur Jérusalem. Les habitants de la Judée se réunirent à l'armée des Parthes, et avant même que celle-ci fit arrivée à Jérusalem, cette capitale était entre les mains du peuple insurgé. Le parti d'Hérode et celui de Hyrcan se réunirent contre les partisans d'Antigone. Des torrents de sang furent versés inutilement ; la victoire resta indécise. Antigone avec ses partisans occupa la montagne chi temple ; Hérode, le château de Baris. La fête de la Pentecôte, qui attira beaucoup de monde à Jérusalem, ne fit qu'augmenter le carnage ; les uns se déclaraient pour Hyrcan, les autres pour Antigone. Lorsque Paccorus, le fils du roi parthe, arriva avec quelques troupes dans la capitale, il affecta les dehors de l'impartialité, se posa en médiateur entre les partis et engagea Hyrcan et Phasaël à se rendre auprès du général parthe Barzaphane, en Galilée, pour traiter avec lui. Malgré les avertissements d'Hérode qui s'aperçut du piège, Hyrcan et Phasaël partirent pour la Galilée. Arrivés auprès du général parthe, ils furent faits prisonniers. Hérode ayant appris cette nouvelle, quitta aussitôt Jérusalem furtivement pendant la nuit, emmenant avec lui sa famille, sa fiancée Mariamne et les hommes qui lui restaient fidèles. Il fut poursuivi par des troupes juives et parthes et, sur le point de tomber dans leurs mains, il était résolu à mourir, s'il ne parvenait à s'échapper, Mais la fortune lui était favorable, et il gagna la forteresse de Masada, y laissa sa famille sous la garde de son frère Joseph, lui remit le commandement de huit cents hommes choisis, congédia le reste de ses troupes, pour ne pas encombrer la place, et partit lui-même pour l'Arabie Pétrée, où il espérait attirer à sa cause le roi Malchus, successeur d'Arétas. Se voyant frustré dans les espérances qu'il avait fondées sur le roi arabe, qui refusa de le recevoir, parce qu'il craignait les Parthes, il se rendit à Alexandrie en Égypte, et de là à Rome, auprès de son protecteur Antoine. Avant de quitter l'Égypte, il apprit que son frère Phasaël s'était donné la mort dans sa prison, et qu'on avait coupé les oreilles à Hyrcan, pour le rendre impropre au pontificat. Tandis qu'on envoyait ce malheureux vieillard en captivité sur les bords de l'Euphrate, Antigone se fit proclamer roi-pontife à Jérusalem. Les Romains furent chassés de la ville. Les Parthes s'en retirèrent également. La Judée, délivrée de la présence des armées étrangères, put un instant caresser l'espoir de retrouver son ancienne indépendance. Les circonstances, en effet, semblaient être assez favorables aux patriotes. D'un côté, les maîtres de Rome étaient divisés entre eux et se faisaient la guerre ; l'Orient était sous la domination d'Antoine, qui oubliait les affaires politiques dans les' bras de Cléopâtre. D'un autre côté, les Parthes, qui avaient repris courage, inquiétaient les Romains et devenaient redoutables. Si Antigone avait été tant soit peu diplomate ou guerrier, s'il avait su se faire aimer du peuple ou s'il avait possédé seulement l'esprit militaire de son aïeul Alexandre Jannée, les Romains auraient recherché son amitié, pour avoir en lui un allié contre les Parthes. Certes, ils n'auraient pas hésité à lui sacrifier Hérode, du moment que celui-ci ne leur aurait plus présenté les mêmes avantages que son rival. La Galilée s'était déjà soulevée en faveur d'Antigone, dont les partisans avaient converti Séphoris en place d'armes, et le pays était couvert de guérillas, toujours prêts à se mettre sous les ordres d'Antigone. Mais celui-ci n'était pas plus guerrier qu'homme d'État ; il ne sut pas même rétablir une communication entre les deux centres du soulèvement populaire, la Galilée au nord et les contrées méridionales de la Judée. Pendant un règne de trois ans et demi (40-37) il n'entreprit rien de décisif, quoique les officiers romains, en attendant que la fortune se déclarât pour lui, soutinssent son rival Hérode avec assez de mollesse et une sympathie plus apparente que réelle. Mais la fortune ne sourit qu'aux hommes énergiques qui la dirigent à leur gré. Tel était Hérode. Soit rival, au contraire, se consumait en petites rancunes contre ses adversaires, sans même pouvoir s'emparer de la forteresse de Masada, leur dernier refuge, défendue seulement par huit cents hommes. A l'intérieur, Antigone ne sut pas non plus rallier autour de lui les hommes influents. Les présidents du Synédrium, Schemaja et Abtalion, quoique hostiles à Hérode, n'aimaient pas Antigone. Le peuple, qui suivait toujours les illustres chefs pharisiens, s'éloignait également de l'incapable roi-pontife. Ces dispositions se manifestèrent clairement un jour de kipour. En ce jour du grand pardon, il était d'usage que le peuple en masse accompagnât à sa demeure le pontife qui venait de célébrer le service divin au temple. C'est au milieu d'une procession pareille que le peuple, rencontrant sur sa route les deux présidents du Synédrium, abandonna le pontife pour accompagner à leur demeure.ces chefs vénérés[7]. L'impopularité d'Antigone, jointe à son incapacité militaire et politique, n'était pas inconnue des Romains ; ils comprirent qu'ils ne pouvaient attendre aucun secours de la part de ce prince. Hérode, bien plus fortement trempé, ne se laissa pas décourager par sa mauvaise fortune. Retenu en voyage par une tempête, il arriva a Rome au moment où les triumvirs s'étaient réconciliés. Il lui fut facile de faire comprendre à Antoine les services qu'il pouvait rendre aux Romains contre les Parthes, leurs ennemis, qui d'ailleurs avaient élevé au trône son propre rival, Antigone. Appuyé par Antoine, il fut nommé par le sénat roi de Judée et couronné solennellement au Capitole, tandis qu'Antigone fut déclaré l'ennemi du peuple romain : Sans perdre de temps, il partit pour prendre possession de son royaume. Un Juif opulent de Syrie, nommé Saramalla, lui procura les moyens d'enrôler des troupes. Il se rendit d'abord au sud de la Judée et fit lever le siège de Massada, où son frère Joseph était, enfermé par les partisans d'Antigone. Ensuite il marcha sur Jérusalem. Mais comme les officiers romains ne lui prêtaient qu'un faible appui, il ajourna le siège de la capitale et se tourna vers la Galilée, où il prit Sephoris et dispersa les guérillas. Pour se procurer des secours plus efficaces, il se rendit de nouveau auprès d'Antoine qui assiégeait alors Samosate. Antoine ordonna à son lieutenant Sosius, gouverneur de Syrie, de combattre avec énergie Antigone, ennemi déclaré des Romains. Au commencement du printemps de l'an 37, Hérode put enfin diriger une armée sur Jérusalem. Avant d'en entreprendre le siège, il célébra son mariage avec sa fiancée Mariamne, après avoir répudié sa première femme Doris, qui lui avait déjà donné un fils, nommé Antipater. L'armée assiégeante se composait de onze légions, sans compter les troupes d'Hérode. On évaluait cette armée formidable à cent mille hommes et six mille cavaliers. Elle prit la même position devant Jérusalem que Pompée avait occupée vingt-six ans auparavant. Les assiégés se défendaient comme d'habitude avec beaucoup de courage, faisant de fréquentes sorties et détruisant les travaux de l'ennemi. L'armée s'épuisa pendant cinq mois en vains efforts pour devenir maîtresse de là place, et elle ne serait pas parvenue même au bout de ce temps à la prendre, si la ville n'avait été divisée par de déplorables dissensions. Les présidents du Synédrium s'étaient prononcés pour la reddition de la capitale, et ils avaient un grand nombre de partisans. Grâce à ces dissensions, le temple tomba dans les mains d'Hérode le même jour (en sivan, ou juin 37) où Pompée s'en était emparé. Un carnage non moins atroce signala aussi cette catastrophe. À la vue de ces scènes de massacre, de pillage et de ruines, Hérode demanda à Sosius, si les Romains voulaient le faire régner sur un désert. Co ne fut qu'en promettant à chaque soldat des récompenses de sa cassette particulière, que le fils d'Antipater parvint enfin à arrêter la dévastation et à sauver la capitale d'une complète destruction. Antigone fut jeté dans les fers et envoyé à Rome, où il fut crucifié sur la demande d'Hérode. C'était le dernier des princes-pontifes. La dynastie 'hasmonéenne en avait donné huit à la Judée dans une période de cent vingt-six ans. Hérode, maître du pouvoir qu'il avait tant ambitionné, sut le conserver à travers les obstacles qui s'amoncelaient devant lui. Esprit positif, il était doué d'une rare énergie ; orgueilleux et plein d'ambition, il trouva sa ligne de conduite politique toute tracée par les circonstances qui l'avaient élevé au trône ; et il la suivit avec une opiniâtreté inflexible, qui ne recula devant aucun crime, devant aucune bassesse, depuis le premier jour de son arrivée au pouvoir jusqu'au dernier moment de sa vie ; durant les trente-quatre années de son règne. S'appuyer sur les Romains, pour écraser au besoin ses sujets-révoltés à l'aide de leurs légions ; gagner chez les Juifs eux-mêmes le plus grand nombre possible de partisans par la corruption et par des concessions illusoires ; abattre ceux qu'il ne pouvait gagner : telle fut la marche suivie par cet usurpateur. — Peut-être son règne eût-il été moins sanglant, s'il n'avait eu auprès de lui un mauvais génie, sa sœur Salomé, jalouse de Mariamne, qu'Hérode aimait jusqu'à la folie. Animée d'une haine implacable contre toute la famille 'hasmonéenne, surtout contre la mère de Mariamne, aussi habile qu'elle-même à nouer des intrigues, Salomé avait à essuyer les dédains que la famille d'un usurpateur éprouve toujours de la part de princesses légitimes. Elle avait aussi à s'en venger. Grâce aux soupçons qu'elle sut éveiller dans l'esprit ombrageux de son frère, elle parvint à faire immoler à sa haine tous les descendants des 'Hasmonéens, y compris la femme et les propres enfants d'Hérode. Dès la prise de Jérusalem, au milieu des ruines qui s'amoncelaient autour de lui, Hérode avait eu soin de ne laisser sortir personne de la ville. Tous les partisans d'Antigone furent pris et mis à mort ; mais il fut en même temps assez prudent pour épargner les présidents du Synédrium, quoique l'un d'eux eût eu la hardiesse d'être son accusateur, lorsqu'il s'était présenté en armes devant le tribunal suprême sous le régime de Hyrcan II. Ces chefs du Synédrium, prévoyant, ainsi que nous l'avons déjà fait remarquer, la fin de l'indépendance nationale, bornaient leur tâche à conserver intacte la religion, et se contentaient de l'enseignement et du développement théorique de la loi. La perte de l'indépendance politique, disaient-ils, devait être supportée comme un châtiment du ciel. On se rappelle qu'ils avaient conseillé d'ouvrir les portes de Jérusalem à l'armée assiégeante, et que ce conseil suivi à temps eût empêché le sang de couler. — Faut-il en conclure que ces docteurs pacifiques aient été des traîtres ou des lâches, qui voulaient se ménager le pardon du vainqueur ? Non, certes ; ce qui le prouve, c'est que le même président du Synédrium qui avait conseillé la reddition de la capitale, avait bravé la colère d'Hérode et exposé sa vie à un danger imminent pour sauver l'autorité de la loi et-la dignité du tribunal. Mais de même que le prophète Jérémie, dont le patriotisme ne saurait être contesté, avait prêché la soumission aux conquérants babyloniens, pour empêcher la destruction complète de la nationalité juive, de même les derniers successeurs des prophètes, les docteurs de la loi, enseignaient la résignation et recommandaient l'abandon du pouvoir politique pour conserver au moins la loi religieuse. L'on entrevoit déjà dans cette doctrine la maxime qui formera l'un des principes fondamentaux du christianisme : Rendez à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu. — En effet, la toute-puissance matérielle de César, la domination écrasante des princes du monde, date pour la Judée du temps d'Hérode. C'est sous son régime que se développèrent tous ces principes religieux du judaïsme qui furent propagés plus tard dans le monde païen par les apôtres du christianisme. Nous en trouverons les preuves les plus concluantes dans les doctrines du plus illustre disciple de Schemaja et Abtalion, dans celle de Hillel, devenu également président du Synédrium sous le règne d'Hérode. Les avertissements donnés par le président Schemaja à Hyrcan lors du procès d'Hérode, se réalisèrent à la lettre : Hyrcan tomba sous la hache du bourreau. Quoique la mutilation qu'il avait subie l'éloignât pour toujours du pontificat, et que son caractère pacifique et débonnaire l'éloignât bien plus encore de la pensée de ressaisir un pouvoir qui n'avait jamais été qu'illusoire entre ses mains, ce faible vieillard inspirait pourtant des craintes à l'usurpateur. Sous le prétexte de témoigner son amitié au bienfaiteur de, son père, Hérode l'invita à rentrer à Jérusalem. Hyrcan, ne pouvant résister au désir de revoir sa patrie, revint auprès d'Hérode qui lui fit un gracieux accueil et lui rendit les plus grands honneurs, mais le tint sous sa surveillance. Les illusions du vieillard furent bien vite dissipées. Un an ne s'était pas écoulé depuis ion arrivée à Jérusalem, qu'il vit périr son petit-fils Aristobule III, frère de Mariamne et beau-frère d'Hérode lui-même. Par conséquent Hérode, voulant déjouer les intrigues de sa belle-mère Alexandra, avait d'abord fait nommer Aristobule pontife ; puis, peu après, et pendant un festin préparé à cet effet, il le fit précipiter dans le Jourdain. Dénoncé par Alexandra à Cléopâtre, Hérode nia sa complicité et alla se justifier à Rome aux yeux d'Antoine. Avant de partir, il donna l'ordre à Joseph, mari de sa sœur Salomé, de surveiller Mariamne et Alexandra, et de les tuer toutes les deux, si lui-même venait à perdre la vie. — Antoine, gagné par Hérode, lui pardonna son crime, et lorsqu'à son retour il apprit de sa sœur que Joseph avait livré son secret à Mariamne, il le fit décapiter et jeta sa belle-mère en prison. — Ce n'étaient là que les préludes du drame sanglant qui allait s'accomplir un peu plus tard. On était à la veille de la bataille d'Actium. Cléopâtre fit de suprêmes efforts auprès d'Antoine pour détrôner Hérode, afin de pouvoir annexer à l'Égypte la Judée et l'Arabie Pétrée. N'ayant pu obtenir que quelques villes de la Palestine, elle provoqua une guerre entre Hérode et le roi d'Arabie, et envoya à celui-ci des troupes auxiliaires qui mirent, l'armée juive en déroute. A la même époque, un tremblement de terre dévasta la vallée de Saron et remplit de terreur la nation juive[8]. Il fallut toute l'énergie d'Hérode pour ranimer le courage de ses soldats et prendre sa revanche contre le roi d'Arabie. A peine avait-il déjoué les intrigues de Cléopâtre, qu'un danger bien plus terrible encore faillit lui coûter le trône, en lui enlevant son seul appui, la faveur des maîtres de Rome. Son protecteur Antoine avait succombé. Octave venait de réunir l'empire entier sous son pouvoir. Hérode espérait difficilement obtenir le pardon de celui qu'il avait combattu. Ses ennemis ne doutaient pas qu'il ne fût entraîné dans la chute d'Antoine. Il était préparé à tout ; mais dans le cas où il succomberait, il voulut se donner la satisfaction de voir périr en même temps le dernier rejeton de la dynastie dont il avait usurpé les droits légitimes. Il accusa l'octogénaire Hyrcan de conspiration avec le roi d'Arabie, et le fit condamner à mort par le tribunal suprême où régnaient ses créatures. Avant d'entreprendre un nouveau voyage à Rome, il fit emprisonner sa femme et sa belle-mère dans la forteresse d'Alexandrion, les plaça sous la surveillance d'un Iturien, nommé Sohem, et renouvela l'ordre de les tuer à la première nouvelle de sa mort. |
[1] PHILON, Ambassade à Caïus, II,
568 ; TACITE, Annales, 2-85 ; Histoire des Apôtres, VI,
9.
[2] PHILON, Ambassade à Caïus, II,
568. BASNAGE,
Hist. des Juifs, t. IV, p. 1047 et suivantes. FRANKEL, Rev. mensuelle, an. 3,
p. 437.
[3] Ces offrandes étaient
désignées sous le nom de aurum Judæorum.
[4] CICÉRON, pro Flacco, chap. 28.
[5] ABOTH, I, 10-11.
[6] JOSÈPHE, Antiquités, XIV, 9-4. Synhédr.,
19a.
Cf. Graëtz, Histoire des Juifs, t. III, not. 17.
[7] YOMA, 71b.
[8] Il nous en reste un témoignage dans la prière prononcée par le Pontife au grand jour du pardon. — Et, pour les habitants de Saron, lisons-nous dans le Rituel de ce jour, il priait Dieu que leurs maisons ne devinssent pas leurs tombeaux.