Première époque — Le recueillement après la chute
Peu de temps après la clôture du Talmud, alors que
plusieurs des docteurs qui avaient pris part à ce travail de coordination
enseignaient encore à Sora et à Pumbadita et que le souvenir des persécutions
de Peroz vivait encore dans toutes les mémoires, les Juifs furent assaillis
en Perse, sous le règne de Kavadh (Cavadés, Cobad), le
deuxième successeur de Peroz, par de nouveaux malheurs. Kavadh (488-531), qui ne
manquait pas de qualités, était très faible de caractère ; sous l’influence
de quelques fanatiques, il persécuta tous les hérétiques. Le principal
instigateur de ces violences fut Mazdak, prêtre du culte du feu, qui
voulut réformer la religion des mages. Partant de ce principe que la cupidité
et la concupiscence sont pour les hommes la source de tous les maux, il
croyait assurer la victoire de la lumière sur les ténèbres, d’Ahura-Mazda sur
Angro-Mainyus, en faisant disparaître ces deux passions ; en
conséquence, il établit la communauté des biens et la communauté des femmes,
il permit même les relations entre proches parents. A ses yeux, le communisme
était la voie la plus sûre pour amener le triomphe de la doctrine de
Zoroastre. Se montrant très désintéressé et menant une vie d’ascète, Mazdak
acquit bientôt une grande influence sur une partie des Perses, et vers 501,
il comptait de nombreux partisans. Ceux-ci avaient pris le nom de Zendik,
c’est-à-dire vrais sectateurs du Zend, la religion de la parole sacrée. Le
roi Kavadh protégea Mazdak et préconisa ses réformes, il décréta que tous les
habitants de Mar-Zutra (né vers 496) était le fils de ce savant Huna qui, à la mort
de Peroz, fut élevé à la dignité d’exilarque (488-508). Quand son père mourut, il était
encore tout jeune. Dès qu’il eut atteint l’âge d’homme, il prit les armes
pour défendre les droits de la famille et de la propriété. Aidé de quatre
cents vaillants compagnons, il attaqua les partisans de Mazdak, et réussit,
selon toute apparence, à les chasser de la partie de L’indépendance de cet État subsista pendant sept ans. Au
bout de ce temps, la petite troupe juive fut battue par un corps d’armée
perse et l’exilarque fait prisonnier. Ce dignitaire et son vieux grand-père,
Mar-Hanina, furent exécutés et leurs corps mis en croix prés du pont de
Mahuza (vers 520).
Les habitants de cette ville furent dépouillés de leurs biens et emmenés en
captivité, la famille de l’exilarque s’enfuit en Judée, emmenant le jeune
fils de ce dernier, qui était né après la mort de son père et portait également
le nom de Mar-Zutra. Cet enfant était l’unique représentent de l’exilarcat, il
grandit en Judée, où il se distingua plus tard par son enseignement. Ainsi,
par suite des persécutions de Kavadh, la dignité d’exilarque demeura pendant
un certain temps sans titulaire, Ies écoles furent fermées et les docteurs
contraints de s’enfuir. Parmi les fugitifs se trouvaient Akunaï et Guiza ;
ce dernier s’établit près du fleuve Zab. D’autres se rendirent sans doute en
Palestine et dans l’Arabie. Les persécutions ne semblent pas avoir sévi dans
toute A la mort de Kavadh, les persécutions contre les Juifs babyloniens cessèrent. Son successeur, Kosroès Nuschirvan (531-579), imposa aux Juifs comme aux chrétiens une taxe dont les enfants et les vieillards seuls étaient exempts, mais il n’en agissait pas ainsi par haine ou par intolérance, il cherchait seulement à remplir les caisses de l’État. Pendant son long règne, les Juifs vécurent tranquilles, les communautés se réorganisèrent, les écoles se rouvrirent et les docteurs qui avaient pris la fuite revinrent en Babylonie. Guiza, qui avait cherché un refuge prés du fleuve Zab, fut placé à la tète de l’école de Sora, et Simuna à la tête de l’école de Pumbadita. Ces docteurs s’appliquèrent à attirer dans les écoles de nombreux disciples, à relever l’enseignement religieux et à reprendre l’étude du Talmud ; ils continuèrent aussi, selon l’ancien usage, à réunir autour d’eux des auditeurs, pendant les mois d’Adar (mars) et d’Ellul (septembre), pour leur transmettre la tradition, les initier à l’enseignement et leur indiquer quelques questions à élucider par leurs propres recherches. Mais la force créatrice était épuisée chez les disciples des derniers Amoraim; ils n’ajoutèrent presque plus rien à la partie déjà existante du Talmud, ils fixèrent seulement d’une façon définitive de nombreux points du rituel, du droit civil et du droit matrimonial qui n’avaient pas encore été résolus ou sur lesquels les diverses écoles n’étaient pas d’accord. Les juges avaient besoin de lois certaines pour les appliquer dans les cas donnés, et les particuliers de prescriptions claires pour pouvoir les mettre en pratique. Les docteurs de cette époque s’efforcèrent de satisfaire à cette nécessité en établissant des règles fixes là où régnaient l’indécision et l’incertitude. De là, leur nom de Saboraïm, c’est-à-dire ceux qui examinent le pour et le contre pour fixer les lois religieuses et les lois civiles. Les Saboraïm, qui poursuivirent un but tout pratique, commencèrent leur tâche immédiatement après la clôture du Talmud ; leur œuvre fut continuée par Guiza, Simuna et leurs collègues. Guiza et Simuna mirent tout d’abord le Talmud par écrit ; ils utilisèrent, pour ce travail, et ce qu’ils avaient appris par la tradition et les notes écrites qu’ils avaient rédigées pour aider leur mémoire; quand un passage leur semblait obscur, ils y ajoutaient des explications. Ce sont eux qui ont donné au Talmud la forme sous laquelle l’ont reçu les communautés contemporaines et les générations postérieures. A cette époque naquit une science sans laquelle Les inventeurs babyloniens ou perses des signes voyelles
ont aussi introduit dans le texte biblique un système très simple de signes
pour indiquer la fin des versets et des paragraphes. Ce système, resté ignoré
pendant plus de dix siècles, n’est connu que depuis une cinquantaine d’années ;
il est appelé le système babylonien ou assyrien. Il a été supplanté par un
autre système, plus récent, qui a pris naissance à Tibériade. On sait que pendant
les persécutions de Kavadh, le représentant de l’exilarcat, Mar-Zutra, s’était
réfugié en Judée ; plus tard, il fut nommé chef d’école à Tibériade. Ses
descendants continuèrent à diriger cette école pendant plusieurs
générations ; ils se considéraient comme les seuls exilarques légitimes,
les vrais descendants de la maison de David, tandis qu’ils regardaient ceux
qui occupaient de leur temps la dignité d’exilarque en Babylonie comme des
usurpateurs. De là, une sourde hostilité entre les chefs religieux de Ni la chronique ni la tradition n’ont conservé les noms des successeurs immédiats des Saboraïm Guiza et Simuna ; ils ont été oubliés au milieu des persécutions qui avaient alors repris contre les Juifs, sous le successeur de Nuschirvan, Hormisdas IV (579-589). A cette époque les mages et les ecclésiastiques rivalisèrent d’intolérance envers le judaïsme ; les prêtres de deux religions dont l’une poursuivait la victoire définitive de la lumière sur les ténèbres et l’autre prêchait l’amour des hommes abusaient de la faiblesse de certains rois pour maltraiter les sectateurs d’un autre culte. Hormisdas IV ne ressemblait en rien à son père Nuschirvan, il avait les instincts cruels d’un Néron. Tant qu’il resta sous l’influence de son précepteur et conseiller Buzurg-Mihir, un Sénèque perse, qui inventa, dit-on, le jeu d’échecs pour prouver à son maître que tout roi est dépendant de l’armée et de la nation, Hormisdas domina ses mauvaises passions. Une fois son précepteur retiré de la cour, il ne garda plus aucun ménagement. A l’instigation des mages, qui croyaient retarder la chute imminente de leur religion en persécutant les autres croyants, il tourna toute sa colère contre les Juifs et les chrétiens. Les écoles de Sors et de Pumbadita furent fermées et les docteurs obligés, comme sous Peroz et Kavadh, d’émigrer dans d’autres contrées (vers 581). Une partie d’entre eux s’établit à Peroz-Schabur, près de Nehardéa ; cette ville leur offrait un refuge plus sûr, parce qu’elle était gouvernée par un chef arabe. Plusieurs écoles s’organisèrent à Peroz-Schabur, une d’elles a laissé un certain renom, c’est celle de Mari. Détesté de ses sujets, qu’il maltraitait, vaincu par les
ennemis de Kosru II (590-628) ressemblait plus à son grand-père Nuschirvan qu’à son père Hormisdas. D’un caractère très doux, il pardonna aux Juifs leur fidélité envers Bahram et laissa subsister les deux écoles de Sora et de Pumbadita. A la tète de la première se trouvait d’abord, à cette époque, Hanan, et ensuite Mari bar Mar, à la tête de la seconde, Mar bar Huna (de 609 jusque vers 620). Ils eurent pour successeurs : Haninaï, à Pumbadita, et Hanania à Sora. Ces deux docteurs assistèrent encore à la chute de la puissance perse et au triomphe des Arabes. Dans les dernières années de la domination des Perses, la tranquillité des Juifs ne fut pas troublée, les derniers rois sassanides, dont cinq se succédèrent au trône dans un espace de cinq ans, étaient trop préoccupés de leur propre sécurité pour songer aux Juifs ; ils laissèrent ces derniers diriger leurs affaires comme ils l’entendaient. Aussi le judaïsme babylonien continua-t-il à avoir à sa tête un exilarque. Pendant le demi-siècle qui s’écoula depuis la réouverture des écoles religieuses, sous Bahram, jusqu’à la domination des Arabes (589-640), il y eut trois exilarques dont le nom a été conservé et dont le dernier, Bostanaï, fit briller la dignité dont il était revêtu d’un vif éclat. Les Juifs de Pendant qu’on cherchait noise aux anciens maîtres de Mais si les Juifs de Cette loi perfide n’eut pas les conséquences qu’en
attendait l’empereur. La nécessité d’entendre à la synagogue la traduction de
Les Juifs paraissent encore avoir eu à subir une autre ingérence
de Justinien dans leur liturgie. Il leur fut interdit de réciter dans les
synagogues la prière si importante du rituel qui proclame l’unité de Dieu (le Schema) ;
les chrétiens considéraient peut-être cette prière comme une protestation
contre Justin le Jeune, gui succéda à Justinien, maintint toutes les lois restrictives édictées par son prédécesseur contre les Juif et les Samaritains, mais il n’en ajouta pas de nouvelles. Sous les empereurs Tibère et Maurice, il n’est pas question de la population juive. Mais pendant le règne de l’usurpateur Phocas, qui essaya de renouveler les exploits de Caligula et de Commode, survint un événement qui jette une vive lumière sur la triste situation des Juifs. A Antioche, où de tout temps les chrétiens haïssaient profondément les Juifs, ceux-ci se jetèrent un jour sur leurs ennemis, en tuèrent un grand nombre et brûlèrent les cadavres. Ils s’acharnèrent surtout contre le patriarche Anastase, nommé le Sinaïte, lui infligèrent les plus cruels traitements et le traînèrent à travers les rues avant de lui donner la mort. Quelles effroyables souffrances les Juifs doivent ils avoir endurées de la part des fonctionnaires impériaux et du clergé pour se porter à de tels excès ! Dès que Phocas fut informé de ces troubles, il nomma Bonosus gouverneur de l’Orient et chargea le général Kotys de châtier les émeutiers. Les Juifs se défendirent avec vigueur et repoussèrent les troupes impériales. Des forces plus considérables furent envoyées, et les Juifs durent déposer les armes. Le châtiment fut terrible, une grande partie d’entre eux furent tués, d’autres furent mutilés, les autres enfin furent envoyés en exil (septembre et octobre 608). Les Juifs, exaspérés contre leurs oppresseurs, trouvèrent bientôt
une occasion inattendue de se venger. Phocas avait usurpé le trône de l’empereur
Maurice ; le gendre de ce dernier, Kosru II, roi des Perses, résolut de châtier
Phocas et de s’emparer de l’empire byzantin. Il envahit l’Asie Mineure et Appelés par leurs coreligionnaires de Tyr, des Juifs de Jérusalem, de Tibériade, de Galilée, de Damas et même de Chypre marchèrent sur cette ville, au nombre de près de 20.000, dans l’espoir de surprendre les chrétiens et de les massacrer dans la nuit de Pâques. Les chrétiens, informés de ce projet, prirent les devants, ils s’emparèrent des Juifs de Tyr, les jetèrent en prison, fermèrent les portes de la ville et attendirent l’arrivée de leurs ennemis. Ceux-ci, trouvant les chrétiens prêts à se défendre, se mirent à dévaster les églises construites aux environs de Tyr. Chaque fois que les chrétiens de cette ville apprenaient qu’une église avait été détruite, ils tuaient cent de leurs prisonniers juifs et jetaient leurs têtes par-dessus les murs ; 2.000 Juifs, dit-on, furent ainsi massacrés. Les assiégeants, effrayés des terribles représailles des chrétiens, se retirèrent. Pendant quatorze ans, les Juifs furent de nouveau maîtres
de Cependant, les espérances que les Juifs avaient fondées
sur le triomphe des Perses ne se réalisèrent pas. Les vainqueurs ne rendirent
pas à leurs alliés la ville de Jérusalem, comme ceux-ci y avaient compté, ne
leur permirent pas d’organiser leurs communautés en associations
indépendantes, et les chargèrent probablement d’impôts. Par suite de ces
déceptions, un certain mécontentement se fit jour parmi les Juifs de Grâce à ses victoires, grâce aussi à la révolte de Siroès
contre son père Kosru, Héraclius reconquit toutes les provinces dont l’armée
perse s’était emparée. A la suite du traité que l’empereur romain avait
conclu avec Siroès, qui détrôna et fit assassiner son vieux père, les Perses
se retirèrent de À son entrée dans Jérusalem, Héraclius fut instamment prié
par les moines et le patriarche Modeste d’exterminer tous les Juifs de
En Europe, les Juifs n’eurent réellement une histoire qu’à partir de l’époque où un heureux concours de circonstances leur permit de développer leurs forces et de donner un libre cours à leur activité. Jusque-là, il n’y a à noter chez eux qu’une série de persécutions que le christianisme victorieux dirigea contre le judaïsme et qui se répétèrent dans tous les pays avec une triste monotonie. Dispersés dans le monde entier, dit un écrivain célèbre de ce temps, les Juifs gémissent sous le joug des Romains, mais n’en restent pas moins fidèles à leurs croyances. Dans les différents États européens où ils s’étaient établis, ils avaient d’abord entretenu avec les autres habitants les plus cordiales relations, ils n’y devinrent malheureux que lorsque la religion chrétienne y eut définitivement triomphé. Ce phénomène se présenta dans l’empire byzantin comme chez les Ostrogoths de l’Italie, dans le pays des Francs et des Burgondes comme chez les Visigoths de l’Espagne. Le peuple, les princes et les barons ne manifestaient ni intolérance, ni antipathie pour les Juifs ; c’était le clergé qui ouvrait partout les hostilités. A ses yeux, la prospérité des Juifs était un outrage au christianisme, il résolut donc de les maltraiter, afin de voir se réaliser la malédiction que le fondateur du christianisme avait prononcée contre eux. Les conciles et les synodes se préoccupaient aussi vivement de la question juive que des attaques dirigées contre les dogmes et de la corruption des moeurs, qui, en dépit de la sévérité de l’Église et du redoublement de la dévotion (ou peut-être à cause de cette dévotion), sévissait alors avec une dangereuse intensité parmi les ecclésiastiques et les laïques. A l’origine, les évêques romains, qui s’arrogèrent peu à peu le titre de chefs suprêmes de la chrétienté, se montrèrent assez bienveillants pour les Juifs. Plus tard, les papes tinrent à honneur de les protéger contre les ecclésiastiques et les souverains et défendirent qu’on les convertît de force. Au fond, c’était une inconséquence ; car l’Église, telle qu’elle s’est constituée à la suite du concile de Nicée, devait nécessairement être intolérante et, par conséquent, ennemie implacable de toutes les autres religions, elle ne pouvait laisser aux Juifs, aux Samaritains et aux hérétiques d’autre alternative que la conversion ou la mort. Mais combien la généreuse inconséquence de saint Grégoire n’est-elle pas supérieure à la logique impitoyable des rois Sisebut et Dagobert, ces cruels persécuteurs des Juifs ! Cependant, la tolérance des évêques les plus équitables était toute relative. Ils ne voulaient pas, il est vrai, qu’on contraignît les Juifs sous peine d’expulsion ou de mort à accepter le baptême, parce qu’ils savaient que les conversions forcées ne donneraient à l’Église que de faux chrétiens qui, dans leur cœur, la haïraient profondément ; mais, ils n’hésitaient pas à les soumettre à des mesures vexatoires et à des lois d’exception, et à les traiter en serfs. Chez les peuples qui suivaient la doctrine d’Arius, la condition des Juifs était supportable ; les catholiques, au contraire, manifestaient à leur égard une animosité violente, qui grandissait avec la résistance que les Juifs opposaient aux tentatives des convertisseurs, ils voyaient en eux des maudits et des réprouvés dont l’humiliation contribuerait à la grandeur de l’Église. Dans le coup d’œil que nous allons jeter sur les Juifs d’Europe, nous rencontrons d’abord, tout près de l’Asie, ceux de l’empire byzantin, qui étaient déjà dans ce pays avant que le christianisme ne s’y fût établi en maître. A Constantinople, les Juifs habitaient un quartier spécial, appelé le marché d’airain, où s’élevait une grande synagogue ; ils firent expulsés de ce quartier par Théodose II ou Justin II, et la synagogue devint l’église de la mère de Dieu. Les Juifs de Byzance virent avec une profonde douleur qu’entre autres trophées, Bélisaire, le vainqueur des Vandales, avait rapporté de Carthage, où ils se trouvaient depuis près d’un siècle, les vases sacrés du temple de Jérusalem, et qu’il les exposait, sur son char de triomphe, aux regards de la foule, à côté du roi des Vandales, Gélimer, petit-fils de Geiseric, et du trésor de ce prince. Ne pouvant contenir le chagrin que lui causait cette profanation, l’un d’eux déclara à un courtisan qu’il ne conseillerait pas à l’empereur de garder ces vases au palais, parce qu’ils pourraient lui porter malheur ; que Rome, pour les avoir détenus, avait été ravagée par Geiseric, et que ce dernier s’en étant emparé, à son tour, son descendant Gélimer venait d’être défait et sa capitale pillée par l’armée ennemie ; qu’il lui paraissait donc plus prudent de les déposer dans l’endroit auquel le roi Salomon les avait destinés ; au temple de Jérusalem. À peine infirmé des paroles du Juif l’empereur Justinien eut peur et fit immédiatement transporter les vases sacrés dans une église de Jérusalem. Dans On sait que l’Italie renfermait déjà des Juifs du temps de
Les Juifs italiens étaient régis par le code de Théodose
II, ils avaient le droit de juger eux-mêmes leurs différends et étaient maîtres
de l’administration intérieure des communautés, mais il leur était interdit d’élever
de nouvelles synagogues, d’occuper quelque fonction judiciaire ou quelque
emploi militaire et de posséder des esclaves chrétiens. Dans la pratique, ces
lois restrictives restaient souvent lettre morte, les évêques qui occupaient
le siège apostolique et avaient appris des hommes d’Etat romains l’art de
gouverner étaient trop habiles pour se montrer fanatiques ; ils
fermaient souvent les yeux pour ne pas avoir à punir les Juifs qui enfreignaient
les prescriptions que l’Eglise avait édictées contre eux. Le pape Gelasius
avait pour ami un Juif de Télésine, qualifié de clarissime,
dont il recommanda chaleureusement un parent à l’évêque Secundinus. Ce
même pape acquitta un Juif, Basile, qu’on avait accusé d’avoir acheté
des esclaves chrétiens de Telle était la situation des Juifs en Italie au moment où ce pays tomba au pouvoir de Théodoric, chef des Ostrogoths. Sous le règne de ce prince, il se produisit quelques troubles contre les Juifs ; mais ces attaques étaient plutôt dues à l’animosité excitée par les croyances ariennes de Théodoric qu’à la haine des Juifs. Ces derniers n’avaient cependant pas trop à se louer de Théodoric, qui désirait vivement les convertir. Un jour, sur son ordre, son ministre et conseiller Cassiodore écrivit à la communauté juive de Milan ce qui suit : Tu cherches, ô Judée, le repos sur cette terre, et, dans ton aveuglement, tu ne te préoccupes pas de t’assurer le repos dans l’éternité ! Et quand les Juifs de Gênes lui demandèrent l’autorisation de restaurer leur synagogue, il leur donna cette réponse : Vous recherchez ce qu’au contraire vous devriez fuir ! Nous vous accordons la permission que vous nous demandez, mais nous blâmons le vœu que vous avez formé dans votre folie. Néanmoins, nous ne voulons imposer à personne notre religion ni contraindre les hérétiques d’agir contre leur conscience. Théodoric défendit aux Juifs de construire de nouvelles synagogues ou d’embellir les anciennes, il leur permettait seulement de restaurer celles qui menaçaient ruine. Mais si Théodoric n’accorda aux Juifs qu’une liberté assez restreinte, du moins les protégea-t-il contre toute agression. Dans leur haine contre les ariens, les catholiques saisissaient toutes les occasions pour offenser le plus illustre représentant de l’arianisme, le chef des Ostrogoths. Lorsqu’un jour, quelques esclaves se soulevèrent à Rome contre leurs maîtres juifs, la foule, dans le but de manifester son hostilité pour Théodoric, incendia les synagogues, maltraita les Juifs et pilla leurs maisons. Informé de ces troubles, Théodoric en fit des reproches très vifs au sénat et le mit en demeure de punir les coupables et de faire rebâtir les synagogues à leurs frais. Comme on ne découvrit pas les coupables, ce fut la municipalité qui fut condamnée à reconstruire les synagogues. Les Juifs d’Italie ne paraissent pas avoir connu les mœurs
grossières et corrompues qui régnaient alors dans ce pays, car la littérature
politique et ecclésiastique d’alors, qui ne les ménageait pas, ne leur
reprochait que leur entêtement et leur incrédulité. L’ancien ministre de
Théodoric, Cassiodore, qui s’était fait moine et avait composé, entre autres
ouvrages, un commentaire homilétique sur les Psaumes, apostrophé souvent les
Juifs dans cet écrit ; il voulait à toute force les convertir à sa
religion. Quand il vit que ses tentatives restaient infructueuses, il les
accabla d’injures, les appelant scorpions, lions, ânes sauvages,
chiens et licornes. Malgré ces diverses vexations, les Juifs
italiens furent relativement heureux sous Théodoric, et, après lui, sa fille,
la belle et savante Amalasunthe, et son époux et meurtrier Théodat
les traitèrent également avec équité. Les Juifs témoignèrent leur
reconnaissance à Théodat en montrant pour sa cause un sincère attachement.
Bélisaire, le vainqueur des Vandales, le vaillant héros, qui tremblait devant
son maître Justinien et le servait avec un dévouement absolu, s’était emparé
de toute Cette situation ne tarda pas à se modifier. Sous le successeur de Justinien, une grande partie de l’Italie tomba au pouvoir des Lombards (589), peuple mi-païen, mi-arien, qui se soucia peu des Juifs et les laissa vivre à leur guise. Il est vrai que les Juifs italiens n’eurent pas trop à souffrir même après que les Lombards eurent embrassé le christianisme ; car, les chefs de l’Église catholique se montraient rarement intolérants. Le pape Grégoire Ier (590-604), surnommé le Grand et le Saint, posa comme principe qu’il fallait chercher à convertir les Juifs, non de force, mais par la persuasion et la douceur. Lui-même employa souvent ce dernier moyen, spéculant même sur les sentiments les moins élevés pour faire des prosélytes. Ainsi, il promit d’exempter d’une partie de l’impôt foncier les fermiers ou propriétaires juifs qui se convertiraient au christianisme. Certes, il ne se dissimulait pas que de tels prosélytes ne seraient pas de bien fervents chrétiens ; mais si nous ne les gagnons pas eux-mêmes au christianisme, disait-il, nous aurons, du moins, leurs enfants. Ayant appris qu’un Juif de l’île de Sicile, du nom de Nassas, avait élevé un autel d’Élie (probablement une synagogue qui portait ce nom) et que de nombreux chrétiens s’y rendaient pour prier, il ordonna au préfet Libertinus de faire démolir cet édifice et d’infliger à Nassas un châtiment corporel. Il défendit très sévèrement aux Juifs d’acquérir ou de posséder des esclaves chrétiens. Chez les Francs, qui ignoraient encore le fanatisme et l’intolérance, les Juifs pouvaient, en toute liberté, acheter et vendre des esclaves. Pour faire cesser cet état de choses qui l’indignait, Grégoire écrivit à Théodoric, roi des Burgondes, à Théodebert, roi d’Austrasie, et à la reine Brunehaut, pour les exhorter à porter un prompt remède à ce mal et à délivrer les croyants des mains de leurs ennemis. Dans l’Europe occidentale, en Gaule et en Espagne, où l’Église
eut de la peine à établir son pouvoir, les Juifs furent d’abord bien plus
heureux que dans l’empire byzantin et en Italie, mais leur sécurité fut
troublée dans ces pays dès que le christianisme y fut devenu prépondérant. Le
premier établissement des Juifs en Gaule remonte au temps de Les Juifs de Chez les Francs commis chez les Burgondes, les Juifs
pouvaient pratiquer librement l’agriculture, professer des métiers ou se
livrer au commerce ; les fleuves et les mers étaient sillonnés de leurs
vaisseaux. Ils exerçaient aussi la médecine, et bien des ecclésiastiques qui
n’avaient pas une confiance absolue dans l’intervention miraculeuse des
saints ou la vertu curative des reliques recouraient à leurs conseils. Le
métier des armes leur était également familier, et ils prirent une part active
aux combats que Clovis et les généraux de Théodoric se livrèrent près d’Arles
(508). Outre
les noms bibliques, les Juifs de Sigismond trouva bientôt des imitateurs parmi les rois francs. Le troisième et le quatrième concile d’Orléans (538 et 545) ayant interdit aux Juifs de se montrer en public pendant les fêtes de Pâques, sous prétexte que leur présence était une offense au christianisme, Childebert Ier, de Paris, inscrivit cette prohibition dans sa Constitution (554). Heureusement, le royaume des Francs était gouverné par plusieurs chefs, et lorsque l’un d’eux persécutait les Juifs, les autres ne leur imposaient ni contrainte, ni restriction. Même des princes de l’Église continuaient à entretenir d’excellentes relations avec les Juifs, sans craindre qu’il en résultât un danger pour le catholicisme Mais le fanatisme est contagieux, dès qu’il commence à exercer ses ravages, il se propage immédiatement avec une dangereuse rapidité. Ce fut Avitus, évêque de Clermont, qui donna, chez les Francs, le signal des persécutions contre les Juifs ; d’autres suivirent bientôt cet exemple funeste. A maintes reprises, Avitus engagea les Juifs de son diocèse à se convertir, mais ils se montrèrent peu disposés à suivre son conseil. Irrité de leur résistance, il prononça contre eux des discours enflammés. Ses paroles produisirent l’effet désiré, les chrétiens attaquèrent les synagogues et les rasèrent jusqu’au sol. Cet exploit ne suffit pas à Avitus, il mit les Juifs dans l’alternative d’accepter le baptême ou de quitter la ville. Un seul embrassa le christianisme, et devint, après sa conversion, un objet de raillerie et de mépris pour ses anciens coreligionnaires. Comme il traversait la rue, pendant la fête de Pentecôte, dans son vêtement blanc, de néophyte, un Juif lança de l’huile sur ses habits. Cette offense faite à un prosélyte exaspéra la foule, qui se rua sur les Juifs et en tua un grand nombre. Devant le danger qui les menaçait, cinq cents Juifs demandèrent Avitus de les baptiser ; les autres se réfugièrent à Marseille (576). L’Église considéra la conversion de ces cinq cents affolés comme un remarquable succès, et Grégaire de Tours chargea le poète Venantius Fortunatus [Fortunat] de célébrer cet éclatant triomphe. Encouragé par le fanatisme d’Avitus, le concile de Macon (581) arrêta plusieurs dispositions qui étaient toutes humiliantes pour les Juifs. Il est interdit aux Juifs d’exercer les fonctions de juge ou de fermier des impôts, afin que la population chrétienne ne paraisse pas placée sous leurs ordres ; ils sont contraints de témoigner du respect aux prêtres chrétiens, et ils ne peuvent s’asseoir, en leur présence, que sur leur autorisation. Enfin, le concile de Mâcon renouvelle l’interdiction pour les Juifs de se montrer dans les rues pendant Pâques. Chilpéric Ier lui-même, auquel on ne peut certes pas reprocher d’être un fanatique, suivit l’impulsion donnée par Avitus, il obligea les Juifs de son royaume de se faire baptiser, et à tenait lui-même les néophytes sur les fonts baptismaux. Il est vrai qu’il se contentait de conversions apparentes et permettait aux Juifs, après leur baptême, d’observer le sabbat ainsi que toutes les autres prescriptions du judaïsme. Sous les derniers rois mérovingiens, la situation des Juifs s’aggrava encore. Clothaire II, qui, tout en ayant assassiné sa mère, est présenté par l’Église comme un modèle de piété, et qui réunit sous son sceptre tout l’empire des Francs, sanctionna les décisions du concile de Paris défendant aux Juifs d’exercer aucune fonction supérieure ou de servir dans l’aracée (615). Son fils Dagobert manifesta également une violente haine pour les Juifs. Craignant de paraître moins dévot que le roi des Visigoths Sisebut, dont l’atroce persécution avait chassé des milliers de Juifs d’Espagne en France, il ordonna que tous les Juifs de son royaume acceptassent le baptême ou fussent traités en ennemis, c’est-à-dire tués (vers 629). La situation des Juifs s’améliora avec le déclin de la puissance des rois mérovingiens et l’accroissement de l’influence des maires du palais. Les prédécesseurs de Charlemagne comprirent combien l’activité et l’intelligence des Juifs pouvaient être profitables à l’État. Les Juifs d’Allemagne venaient probablement de France, ils étaient établis en grande partie en Austrasie et subirent, par conséquent, pendant quelque temps, la même destinée que leurs frères des Gaules, car l’Austrasie se trouvait placée sous l’autorité des Mérovingiens. D’après un chroniqueur, les plus anciens Juifs des provinces rhénanes auraient été les descendants des légions germaines qui avaient pris part à l’incendie du temple et à la destruction de Jérusalem. Ces soldats auraient choisi, parmi les prisonniers juifs, les captives qui leur plaisaient, pour les emmener dans leurs cantonnements, sur les bords du Rhin et du Mein. Les enfants nés de ces unions auraient été élevés par leurs mères dans la religion juive et seraient ainsi devenus les fondateurs des premières communautés juives établies entre Worms et Mayence. En tout cas, il est certain que dans la ville de Cologne il y avait des Juifs longtemps avant que le christianisme ne fût devenu la religion officielle de l’empire romain. Les prédécesseurs de Constantin avaient accordé aux chefs et aux notables de la communauté juive de Cologne le privilège de n’avoir à supporter aucune des charges municipales, privilège qui leur fut enlevé par le premier empereur chrétien ; deux ou trois familles seules continuèrent à en jouir. Les Juifs de Cologne avaient aussi le droit, qu’ils conservèrent jusque vers le milieu du moyen âge, de juger eux-mêmes leurs procès. Un chrétien, fut-il ecclésiastique, qui avait un différend avec un Juif, était obligé de comparaître devant un juge (évêque) juif. Si l’histoire des Juifs de Byzance, d’Italie et de France
ne présente le plus souvent qu’un intérêt particulier, celle des Juifs de la
péninsule ibérique est, au contraire, d’un intérêt général. Les habitants juifs
de cette heureuse contrée, qu’ils aimaient comme leur patrie, ont contribué à
sa grandeur, pris part à tous les événements importants qui y sont survenus
et se sont ainsi trouvés mêlés à son histoire. D’un autre côté, l’Espagne
juive a exercé sur le judaïsme une influence presque aussi considérable que A en juger par les noms de quelques villes de l’Espagne, les Juifs ont dû être fort nombreux dans certaines parties de ce pays. Ainsi, Grenade s’appelait la ville des Juifs, parce que toute sa population était juive. Tarracona (Tarragona), la vieille cité fondée par les Phéniciens, portait le même nom avant qu’elle ne fût conquise par les Arabes. A Cordoue, s’élevait autrefois une Porte des Juifs, et prés de Saragosse, existait une forteresse que, pendant la période arabe, on nommait Ruta al Yahud. — Un monument funéraire découvert à Tortose prouve que les Juifs s’étaient avancés jusque dans le nord de l’Espagne. Sur ce monument, élevé à la mémoire d’une jeune femme juive qui portait le nom profane de Belliosa et le nom biblique de Miriam, est gravée une inscription trilingue, en hébreu, en grec et en latin. On peut conclure de cette inscription que les Juifs espagnols étaient originaires de pays où l’on parlait le grec, qu’ils avaient appris le latin sous la domination romaine, et qu’ils n’avaient pas oublié la langue sacrée de leur première patrie. Les Juifs espagnols, semblables sous ce rapport aux autres habitants de l’Espagne, se vantaient d’être d’une très ancienne noblesse. Non contents de ce fait que leurs ancêtres avaient déjà joui, dans la péninsule ibérique, des droits de citoyens avant qu’elle ne fût envahie par les Visigoths et autres hordes germaniques, ils faisaient remonter leur arrivée en Espagne à l’époque de la destruction du premier temple. Quelques familles, telles que les Ibn-Daud et les Abrabanel, déclaraient même descendre de la maison royale de David ; leurs aïeux, disaient-ils, étaient établis de temps immémorial aux environs de Lucena, de Tolède et de Séville. La famille judéo-espagnole Nassi traçait également son arbre généalogique jusqu’au roi David. Les Ibn-Albalia, plus modestes, se contentaient de dater leur immigration de la destruction du second temple. On racontait dans cette famille que, sur la demande du gouverneur romain de l’Espagne, Titus lui avait envoyé quelques-uns des plus nobles Juifs de Jérusalem, parmi lesquels se trouvait un nommé Baruch, artiste habile à tisser les rideaux du sanctuaire. Ce Baruch, qui s’établit à Mérida, serait le père des Ibn-Albalia. Le christianisme avait rapidement pris racine en Espagne, puisque avant la conversion de Constantin, il y eut une assemblée de prêtres catholiques à Elvire (Illiberis), près de Grenade. Néanmoins, les Juifs continuaient à jouir auprès de la population chrétienne, comme auparavant auprès des païens, d’une très grande considération. Pour les chrétiens espagnols, pas plus que pour les chrétiens romains, les Juifs n’étaient encore des réprouvés dont il fallait éviter le contact ; les croyants des deux religions vivaient ensemble en parfaite harmonie. Les habitants chrétiens, qui ne savaient pas quel abîme séparait le christianisme du judaïsme, faisaient bénir les récoltes de leurs champs indistinctement par les rabbins juifs ou les prêtres chrétiens. Juifs et chrétiens se mariaient souvent entre eux, comme cela avait lieu dans les Gaules. Aux yeux du haut clergé, ces bons rapports entre les adeptes des deux religions constituaient un danger pour l’Église encore mal affermie. Ce sont les chefs de l’Église catholique d’Espagne qui, les premiers, tracèrent une séparation entre les chrétiens et les Juifs. Le concile d’Elvire (vers 320), présidé par Osius, évêque de Cordoue et conseiller intime de l’empereur Constantin, défendit aux chrétiens, sous peine d’être exclus de la communauté, d’entretenir des relations d’amitié avec les Juifs, de contracter mariage avec eux et de faire bénir par eux les fruits de leurs champs. Cependant, ces germes de haine que le concile d’Elvire sema en Espagne ne portèrent pas immédiatement leurs fruits empoisonnés. C’est que les Visigoths, qui avaient définitivement pris possession de l’Espagne après que ce pays eût été successivement envahi et ravagé par divers peuples barbares, suivaient l’hérésie arienne. Peu leur importait, au fond, que le fils de Dieu fût égal ou semblable au père et que l’évêque Arius fût hérétique ou orthodoxe, mais ils haïssaient profondément les catholiques, anciens habitants du pays, parce qu’ils voyaient dans tout catholique un Romain, c’est-à-dire un ennemi. Les Visigoths faisaient donc peser lourdement leur joug sur les catholiques, mais ils laissaient les Juifs en possession de leurs droits civils et politiques, les admettaient aux fonctions publiques et leur permettaient de circoncire leurs esclaves païens et chrétiens. Cette situation prospère des Juifs d’Espagne dura plus d’un siècle, tant que l’Espagne fut une province de l’empire tolosano-visigoth, et plus tard encore, quand ce pays fut devenu, sous Theudès (531), le centre de la puissance wisigothe. Les Juifs de la province de Narbonne et de la région de l’Afrique qui faisait partie de l’empire Visigoth jouissaient également de l’égalité civile et politique. Plusieurs d’entre eux rendirent aux rois Visigoths d’importants services. Ainsi, ceux qui habitaient au pied des Pyrénées défendaient vigoureusement les passages de ces montagnes contre les attaques des Francs et des Burgondes. Ils étaient regardés comme les plus vigilants gardiens de la frontière, et leur vaillance leur valut de flatteuses distinctions. Avec le triomphe de l’Église catholique en Espagne commença pour les Juifs de ce pays une ère de vexations et de persécutions. Ce fut le roi Reccared qui, d’accord avec le concile de Tolède, où il avait abjuré la foi arienne, commença à restreindre les droits des Juifs. Il leur interdit de se marier avec des chrétiens, de posséder des esclaves chrétiens et d’occuper des emplois publics ; les enfants nés d’unions mixtes étaient baptisés de force (589). Parmi toutes ces mesures, si pénibles pour des hommes qui avaient joui jusque-là des mêmes droits que leurs concitoyens, la plus dure était certainement la défense de posséder des esclaves. Tous les habitants aisés avaient des serfs et des esclaves pour cultiver leurs champs et s’acquitter de divers travaux domestiques ; seuls, les Juifs me pouvaient plus en employer. Ils cherchèrent à faire lever cette interdiction en offrant à Reccared une forte somme d’argent ; Reccared refusa le présent et maintint la prohibition. Le pape Grégoire loua hautement la conduite du roi visigoth. Vers la même époque, Reccared confirma une résolution du concile de Narbonne qui défendait aux Juifs de chanter des psaumes aux enterrements ; ils avaient sans doute emprunté cet usage à l’Église. Grâce à la constitution particulière de l’Espagne wisigothe, les Juifs pouvaient assez facilement tourner les lois édictées contre eux par Reccared. Le roi n’avait qu’une puissance fort limitée ; les seigneurs Visigoths, qui élisaient leur souverain, étaient maîtres absolus sur leurs terres, et, pas plus que le peuple, ils ne haïssaient les Juifs. Ils continuaient à leur permettre de posséder des esclaves et de les nommer à des fonctions publiques. Au bout de vingt ans, les lois de Reccared étaient totalement tombées en désuétude. Ses successeurs n’en tinrent nul compte et se montrèrent, en général, favorables aux Juifs. Cette situation, relativement heureuse, cessa à l’avènement
de Sisebut. Ce roi, contemporain de l’empereur Héraclius, était, comme
lui, un ennemi acharné des Juifs. Héraclius pouvait, à la rigueur, justifier
ses persécutions par le soulèvement des Juifs de A la mort de Sisebut, ces persécutions cessèrent. Le nouveau roi, Swintila, homme bienveillant et équitable, que les opprimés appelèrent le père de la patrie, abrogea les lois de Sisebut. Les exilés revinrent dans leur pays et les convertis retournèrent au judaïsme (621-631). Bientôt la condition des Juifs fut de nouveau modifiée. A la suite d’une conjuration des seigneurs et des ecclésiastiques, Swintila fut détrôné, et Sisenand nommé à sa place. Sous ce roi, le clergé reconquit son ancienne influence, et, de nouveau, les assemblées ecclésiastiques s’occupèrent des Juifs. En 633, se réunit un concile à Tolède, sous la présidence d’Isidore, archevêque de Hispalis (Séville). Ce prélat était instruit, intelligent et modéré, mais il subissait l’influence des préjugés de son temps. Il faut rendre cette justice au concile qu’il établit comme principe qu’il ne fallait amener les Juifs au christianisme ni par la violence, ni par les menaces ; il ne renouvela pas moins les lois iniques de Reccared. Il prit surtout des mesures très rigoureuses contre les Juifs qui, baptisés de force sous Sisebut, étaient revenus plus tard à leur ancienne foi. Bien que le clergé blâmât lui-même les conversions forcées, il croyait cependant de son devoir de retenir dans le christianisme ceux qui avaient reçu les sacrements de l’Église, afin que la religion ne fût point outragée. Aussi le concile décida-t-il que les Juifs précédemment baptisés seraient empêchés par la force d’observer les prescriptions du judaïsme et d’avoir des rapports avec leurs anciens coreligionnaires et que leurs enfants des deux sexes leur seraient arrachés pour être élevés dans des couvents. Les prosélytes qu’on verrait observer le sabbat et les fêtes juives, se marier d’après les rites juifs, pratiquer la circoncision ou s’abstenir des aliments prohibés par la loi juive, seraient privés de leur liberté ; on les placerait comme esclaves chez des chrétiens orthodoxes. D’après cette même législation canonique, ni les Juifs convertis de force ni leurs descendants ne devaient être admis à témoigner en justice, car, dit le synode avec une singulière logique, qui est devenu traître envers Dieu ne peut être sincère envers les hommes. Comparé à ces rigueurs, le traitement appliqué aux Juifs restés fidèles à leur foi parait bénin. Le clergé, qui protestait contre l’emploi de la violence
pour baptiser les Juifs, essayait de les convertir par la persuasion. Isidore
de Séville écrivit deux livres dans lesquels il cherchait à prouver la vérité
du christianisme par les textes de l’Ancien Testament. Les Juifs espagnols,
autant pour se raffermir eux-mêmes dans leur foi que pour réfuter les
raisonnements du prélat, répondirent à cette attaque et opposèrent arguments
à arguments. A cette assertion, à laquelle le polémiste chrétien attachait
une grande importance, que le sceptre était sorti
de Juda et que les chrétiens, qui avaient leurs rois,
constituaient le vrai peuple d’Israël, les Juifs répliquèrent en montrant
dans l’Extrême-Orient un royaume juif gouverné par un descendant de David.
Ils avaient sans doute en vue l’empire judéo-hymiarite, au sud de l’Arabie,
dont les chefs appartenaient à une famille convertie au judaïsme. Toutes ces
controverses étaient probablement écrites en latin. La connaissance
approfondie que les Juifs avaient de Protégés par la noblesse hispano-visigothe, les Juifs convertis n’eurent pas trop, à souffrir des mesures que le quatrième concile de Tolède et le roi Sisenand avaient prises contre eux. Mais, un nouveau roi monta sur le trône qui haïssait cordialement les Juifs. Ce prince, nommé Chintila, réunit un nouveau concile à Tolède, renouvela toutes les anciennes lois d’exception relatives aux Juifs et décréta, en autre, que nul ne pourrait demeurer dans l’empire visigoth, s’il ne professait la religion catholique. Chintila était tout à fait un prince salon le cœur de l’Église, elle accorda à ses actes une approbation pleine et entière, elle était heureuse qu’il fût fermement résolu à mettre fin à l’incrédulité des Juifs. Ceux-ci durent reprendre le chemin de l’exil. Les Juifs convertis furent obligés de signer un acte (placitum) par lequel ils s’engageaient à conserver, et à observer la religion catholique. Dans le fond de leur cœur, ces malheureux, secrètement attachés à la foi de leurs pères, nourrissaient l’espoir que les temps deviendraient meilleurs et qu’une de ces révolutions si fréquentes chez les Visigoths modifierait leur situation. Leur attente ne fut pas trompée ; après le règne de Chintila, qui durant quatre ans (638-642), leur condition s’améliora. |