Alors qu'elle était encore au berceau, l'Église de Lugdunum n'avait pas trop de peine à cacher son existence modeste et son action latente. Le petit nombre des chrétiens faisait leur sécurité ; ils pouvaient passer inaperçus dans une grande ville, tout entière au mouvement des affaires, aux jouissances offertes par la civilisation romaine. Mais ce bénéfice du petit nombre ne devait pas durer longtemps ; il allait diminuant tous les jours dans la proportion des prosélytes qui venaient augmenter le troupeau de Pothin. A raison même de leur importance, les conquêtes du bienheureux évêque devaient attirer l'attention de la multitude, éveiller la jalousie des collèges sacerdotaux. La vie chrétienne tranchait trop vivement sur celle des païens pour échapper aux regards /es moins attentifs ; les disciples du Christ se séparaient sur trop de points des adorateurs de Rome et d'Auguste, de Jupiter et de Mercure, pour que cette séparation ne les mit pas en évidence. Suivant la belle expression de Tertullien, le glorieux insigne des vertus distinguait les fidèles de tout ce qui les entourait dans la vie publique et privée[1]. Ces femmes chrétiennes que l'on voyait ornées de la modestie comme d'un voile, de la pudeur comme d'un vêtement[2], formaient un contraste frappant avec les vierges et les matrones païennes de Lugdunum. Ces chrétiens d'une gravité plus que romaine, dont les regards s'élevaient vers le ciel avec une expression singulière ; ces fidèles s'empressant aux demeures de l'indigence, traitant avec les plus humbles comme avec les personnages de race sénatoriale ; ces Hellènes portant les cheveux rasés à la manière des esclaves[3], bien qu'ils fussent de condition libre, il suffisait d'avoir des yeux pour apercevoir tout cela, un peu d'intelligence pour en saisir la signification. Les chrétiens de Lugdunum ne se faisaient pas moins remarquer par leur éloignement des cérémonies païennes et des spectacles publics. Jamais on ne les voyait entourer l'autel de Rome et d'Auguste, porter leurs vœux aux autres divinités officielles de l'Empire. Ils évitaient même de passer devant les statues des dieux, devant leurs temples et leurs édicules. S'ils ne pouvaient prendre ailleurs leur chemin, du moins ils détournaient la face en passant, pour ne point souiller leurs regards. Le théâtre de la colline, insuffisant à recevoir une foule avide, ils s'en éloignaient comme d'un lieu où le démon tenait école de tous les vices[4]. Ils fuyaient avec une égale horreur les jeux de l'amphithéâtre ; leur conscience leur eût fait un crime de repaître leurs yeux du sang qui rougissait l'arène[5]. Cette double désertion que l'on taxait d'impiété, que l'on interprétait à mépris pour les objets du culte et les usages de la vie romaine, signalait les chrétiens comme des hommes vivant à part, faisait planer sur leur tête les plus graves soupçons. La présence du christianisme se révélait d'une manière non moins évidente dans la vie privée. L'épouse chrétienne ne pouvait cacher longtemps son secret à un époux païen, et réciproquement. Que si l'un et l'autre avaient donné leur nom à la religion du Christ, il leur était malaisé d'en faire mystère à leurs parents, à leurs esclaves, aux habitués de la maison. En s'installant dans une famille, le christianisme en bannissait les dieux lares, les amulettes, tous les symboles entachés de superstition et d'idolâtrie ; et, à la place, il introduisait les symboles et les pratiques du culte chrétien. Il suffisait de pénétrer dans une maison chrétienne, pour reconnaître immédiatement la présence de la religion qui présidait à la vie de ses habitants. Ensuite, le signe de la croix dont les fidèles faisaient un usage si fréquent et si universel[6], les prières auxquelles ils s'adonnaient dans leurs demeures, leur attitude et la direction de leur corps en priant[7], l'exquise pureté qui respirait dans leur extérieur et toutes leurs paroles, leur charité réciproque, phénomène inconnu aux sociétés antiques, ces indices étaient assez parlants pour révéler la religion des chrétiens lugdunais à leurs parents, à leurs amis, à tout leur entourage. Vainement eussent-ils espéré s'abriter dans l'ombre, leur existence à l'état de société religieuse ne pouvait rester longtemps un mystère. Bien avant l'année 177, la prédication de l'Évangile et la pratique de ses enseignements avaient mis en grande évidence la présence d'une communauté chrétienne dans la cité de Plancus. La religion du Christ commençait à fleurir à Lugdunum,
elle s'y posait en adversaire des religions de l'Empire ; c'était une société
nouvelle qui venait, sur les bords de L'an 177 de Jésus-Christ, rien ne semblait devoir faire
obstacle à une démonstration de ce genre. Le gouverneur de la province se
trouvait alors absent de Lugdunum. A Rome, le parti de Crescent et de Fronton
n'avait rien perdu de son ascendant sur l'esprit de Marc-Aurèle. D'autre part,
trois ans déjà passés depuis le miracle de L'émeute qui éclata contre les chrétiens de Lugdunum ne fut pas un fait isolé ; la persécution s'étendit, en dehors des Gaules, à plusieurs autres parties de l'Empire : En ce temps-là, dit Eusèbe, les poursuites exercées en quelques lieux contre les chrétiens ayant allumé une violente persécution, des troupes innombrables de martyrs brillèrent dans le monde entier, comme il est facile de le conclure par ce qui arriva dans une seule province[8]. Le martyre du bienheureux Pothin et de ses compagnons a été détaché de l'ensemble par l'évêque de Césarée, afin de nous donner une idée des scènes qui se passèrent ailleurs qu'à Lugdunum. A quelle cause rattacher la crise religieuse dont parle
Eusèbe dans ce passage ? Marc-Aurèle prit-il, par un édit, l'initiative de
cette persécution ? La demande adressée à l'empereur par le président de Le moment est venu d'aborder ce monument vénérable ; nous
allons le dérouler page par page, en présenter la traduction au lecteur par
fragments successifs. Cette méthode nous donnera la facilité d'encadrer les
différentes parties de Les serviteurs de Jésus-Christ
qui habitent Vienne et Lugdunum de Ces premières lignes, qui constituent l'adresse de Les hypercritiques du XVIIe siècle ont fait grand bruit d'un passage inacceptable de Grégoire de Tours[11] et d'un texte mal interprété de Sulpice-Sévère[12]. Sur ces autorités, Lannoy, Baillet et autres se flattaient d'avoir clos définitivement le débat, mis à néant l'origine apostolique de plusieurs Églises des Gaules. Cette question, faussée par une science incomplète et des préjugés de secte, a été reprise en sous-œuvre, étudiée à nouveau par l'érudition contemporaine. Des critiques se sont mis courageusement à l'œuvre afin de retrouver les anneaux de la tradition sur ce point ; ils ont remonté aux sources, fouillé dans les trésors des bibliothèques et des archives. Pères de l'Église, Actes des martyrs, Vies des saints, livres liturgiques, ouvrages antérieurs au XVIIe siècle, aucun monument de la tradition n'a été négligé par eux. Le succès a répondu à ces efforts. Après d'actives et patientes recherches, ces critiques ont trouvé de quoi prendre Lannoy et son école en flagrant délit d'ignorance ou de mauvaise foi ; ils ont pu justifier les croyances de nos pères sur l'origine apostolique des Églises gallicanes, enfin déterminer un salutaire retour de l'opinion, d'abord indécise ou égarée. En ce qui concerne la sainte Église de Vienne, un trait de
plume donné par Lannoy[13], Baillet[14] ou Tillemont[15], ne saurait
effacer les premiers noms inscrits par l'antiquité sur la liste des pontifes
viennois. La mention expresse faite de ces premiers évêques par Après Crescent, envoyé par saint Paul, comme nous allons le prouver, l'Église de Vienne vénérait, dans leur ordre de suc-' cession, les évêques Zacharie, Martin, Verus, Justus, ce dernier contemporain du bienheureux Pothin. Les difficultés qui se rapportent à la durée de leur épiscopat, à l'année précise de leur élévation au siège de Vienne ou de leur mort, ne sauraient évidemment atteindre l'existence de ces pontifes. Autrement que deviendrait l'histoire, si, pour rejeter des faits d'ailleurs incontestables, il suffisait de ne pouvoir les rattacher à un jour fixe, à une date certaine ? Saint Crescent, disciple de l'apôtre saint Paul, ouvre la
série des pontifes viennois. Le premier titre de son origine apostolique,
l'Église de Vienne le trouve dans La tradition des siècles postérieurs se trouve en parfaite
concordance avec ces conclusions. Qu'il nous suffise de citer Adon, le
représentant le plus autorisé de cette tradition. Cet auteur, fort au courant
des origines de l'Église viennoise, dont il était évêque, s'exprime ainsi
dans son Martyrologe, pour le V des
calendes de juillet : En Galatie[28], le bienheureux Crescent, disciple de l'apôtre saint
Paul. Étant venu dans les Gaules, sa parole convertit bon nombre de fidèles à
la foi du Christ. Il siégea pendant quelques années à Vienne, cité des
Gaules, et il y ordonna évêque, pour lui succéder, Zacharie, son disciple[29]. Dans sa Chronique, le même Adon écrit : En ce temps-là (vers l'an 83), on croit que saint Paul passa en Espagne, et laissa, pour y prêcher l'Évangile, Trophime à Arles, Crescent à Vienne[30]. Un peu plus loin, après avoir mentionné le martyre de Zacharie, successeur de Crescent, il ajoute : Crescent, disciple des apôtres, siégea le premier à Vienne[31]. Adon, évêque de Vienne, figure parmi les plus savants et les plus illustres prélats du ixe siècle ; son témoignage tire de sa science et de sa position une autorité décisive. Aussi a-t-il été généralement suivi par les martyrologes et les auteurs occidentaux qui ont parlé après lui de saint Crescent. L'Église de Vienne pouvait donc se glorifier d'être de fondation apostolique. Après saint Crescent, son premier évêque, vinrent successivement Zacharie, Martin, Verus et Justus, quatre pontifes qui donnèrent leur vie pour Jésus-Christ. Cette succession sur le siège de Vienne de quatre évêques martyrs prouve combien tourmentés furent les commencements de cette Église. D'après ce que nous venons de dire, il n'est pas difficile
de rendre compte de l'adresse qui ouvre Comme on l'a remarqué, dans l'adresse de cette Lettre,
l'Église de Vienne occupe le premier rang. Cette particularité, si minime
qu'elle paraisse, a pourtant sa signification historique ; elle s'explique
autrement que par une humble déférence des frères de Lugdunum, ou bien par
une primauté hiérarchique qui n'existait pas et n'a jamais existé. L'Église
de Vienne était de fondation apostolique, elle avait vu naître celle de
Lugdunum ; il était donc convenable qu'elle eût le pas sur celle-ci ; que, née
la première, elle inscrivît son nom en tète de Nous l'avons dit, l'Église de Lugdunum n'avait pu se
produire au grand jour sans froisser des passions de tout genre. Les
chrétiens de cette ville furent bientôt signalés à l'animadversion publique
par les prêtres des idoles et tous les gens intéressés au culte des dieux. De
sourds murmures se firent d'abord entendre ; aux murmures succédèrent les
menaces : c'étaient les préludes de l'orage. Dans l'intention des principaux
meneurs, ces manifestations, plus bruyantes qu'offensives, avaient pour but
de monter les tètes, d'irriter les masses, de les préparer aux derniers
excès. Après avoir fermenté dans les conciliabules secrets, s'être répandu en
furieuses déclamations an forum et sous les portiques des édifices publics,
le fanatisme populaire ne se contint plus, il éclata contre les saints de
Lugdunum avec une violence inouïe. Les premières lignes de La violence de la persécution déchaînée contre nous, la fureur des païens contre les saints, la variété des tourments endurés par les bienheureux martyrs, il nous serait impossible d'exprimer cela de vive voix, ou de le retracer par écrit. En effet, l'ennemi se jeta sur nous avec une violence extrême, préludant ainsi aux maux qui marqueront son futur avènement. En attendant, il n'oublia rien pour dresser d'avance, pour former ses ministres à la guerre contre les serviteurs de Dieu. Ainsi on nous interdit l'entrée des maisons, des bains et du forum ; on alla jusqu'à nous défendre de paraître en public, quelque part que ce fût. C'était réduire les chrétiens au domicile forcé. Tout d'abord les martyrs signalent le chef invisible de la
persécution, le démon, l'ennemi de Dieu et de son Christ, celui qu'ils
appellent en d'autres endroits le dragon, l'adversaire. Le président, les
prêtres des idoles, les bourreaux et la multitude, aveugles instruments de sa
fureur, exécutèrent les ordres de celui qui fut homicide dès le commencement.
De son côté, le Seigneur ne pouvait abandonner les siens dans un combat
engagé pour sa gloire. Semblable à un habile général, qui n'oppose à l'ennemi que
des troupes d'élite, Dieu avait fait choix pour le martyre des fidèles les
plus généreux. Pour les chrétiens ordinaires, il leur avait fait comprendre
qu'ils devaient se tenir à l'écart et ne pas se commettre avec l'ennemi. Suivant
la parole du Sauveur[32] et l'exemple des
saints, plusieurs donc s'étaient dérobés au danger par la fuite ; Or, disent les martyrs, la grâce de Dieu combattit pour nous. D'abord le Seigneur tira les faibles à l'écart ; ensuite il opposa au démon des chrétiens, colonnes inébranlables, capables par leur fermeté d'attirer à eux tout l'effort de l'ennemi. Malheureusement, quelques uns comptèrent trop sur leurs propres forces. Au lieu de fuir, comme les y invitait le sentiment de leur faiblesse, ils s'exposèrent aux coups de l'ennemi, et tombèrent victimes d'une aveugle confiance. Bien différent fut le sort des confesseurs qui, se défiant humblement d'eux-mêmes, s'appuyèrent uniquement sur le secours du ciel. Les martyrs, dit Connivence des magistrats ou impuissance de leur part, les fidèles de Lugdunum se trouvèrent exposés sans défense aux emportements d'une vile populace. Les lois protectrices des biens, de l'honneur, de la liberté des citoyens, furent lettre morte à leur égard. Aux yeux des païens, le nom seul de chrétien constituait un crime qui légitimait tous les excès[34]. Ennemis des dieux, dont ils désertaient les temples ; de l'empereur, pour lequel ils refusaient d'offrir de l'encens et des sacrifices ; de leurs concitoyens, dont ils se séparaient pour vivre à part, appartenait-il aux sectateurs du Christ d'invoquer la protection des lois, d'en appeler à César, de revendiquer à leur profit le bénéfice des institutions de l'Empire ? Voilà ce que l'on pensait généralement sur le compte des chrétiens. Aussi le champ demeura-t-il libre à la populace de Lugdunum ; elle put se ruer impunément sur les fidèles de cette ville, se donner contre eux libre carrière, s'abandonner aux mille inspirations de la haine. Cette liberté laissée aux masses de se jeter sur les
chrétiens, de piller leurs biens, de les réduire au domicile forcé, de se
livrer contre eux à tous les excès, donne une triste idée de l'ordre public
chez les Romains, pendant la période impériale. Dans les soulèvements
religieux de cette époque apparaissent des symptômes de défaillance politique
que les historiens n'ont pas assez fait remarquer. Des scènes pareilles à
celles que décrit Cette influence du peuple ne manquait pas de se faire
sentir, lorsque le vent soufflait à la persécution ; c'est de quoi les Actes
des martyrs, et spécialement Mais poursuivons la lecture de cette Lettre. Ensuite, les fidèles furent conduits au forum par le chiliarque et les magistrats de la ville. Aux questions qui leur furent posées en présence du peuple, ils répondirent en confessant leur foi ; après quoi ils furent mis en prison, en attendant l'arrivée du président. La force publique intervenait bien tard au milieu de ces désordres ; elle avait laissé à la populace tout le temps nécessaire pour assouvir sa fureur contre les chrétiens, mettre leurs biens au pillage. Cette lenteur pouvait avoir été calculée par les duumvirs de Lugdunum ; elle pouvait tout aussi bien avoir été imposée par une multitude assez redoutable pour arrêter ces magistrats dans l'exercice de leurs fonctions légales. Le chiliarque qui arrêta les chrétiens de Lugdunum était un tribun militaire, un officier supérieur qui commandait, comme son nom l'indique, une cohorte de mille hommes. Au temps de Marc-Aurèle, le cadre régulier de la légion romaine comprenait six mille soldats, répartis en dix cohortes. La première de ces cohortes, plus forte que chacune des neuf autres, comptait mille hommes ; elle était commandée par un tribun militaire nommé chiliarque, à raison de ce nombre. Les légions romaines campaient sur les bords du Rhin et sur les autres frontières de l'Empire, afin de tenir en respect les Barbares et de les repousser au besoin. Des cohortes étaient détachées des légions pour tenir garnison dans les grandes villes de l'intérieur. Ces détachements de troupes étaient chargés de faire la police dans les cités, de maintenir leurs habitants dans le devoir. En deux endroits de ses écrits, Tacite nous parle d'une cohorte cantonnée à Lugdunum[35]. Dans les Actes des apôtres, nous voyons un chiliarque accourir avec ses légionnaires et arracher saint Paul aux mains des Juifs de Césarée[36]. Le chiliarque dont il est question dans Saisis par le chiliarque, les chrétiens furent traduits devant les duumvirs et interrogés par ces magistrats. Pour se rendre compte du rôle rempli par ces juges municipaux, il importe d'indiquer le cercle tracé par la loi autour de leur autorité judiciaire. En matière civile, ces magistrats exerçaient une juridiction limitée, qui ne dépassait pas une certaine somme d'argent[37]. De plus, il est vraisemblable qu'ils pouvaient imposer des amendes modérées. Mais ils avaient les mains liées dans toutes les causes qui dépendaient de l'imperium, c'est-à-dire en matière criminelle ; par conséquent, ils ne pouvaient prononcer aucune peine afflictive. Aussi n'avaient-ils point de tribunal, signe caractéristique de l'imperium ; ils jugeaient sur des sièges moins élevés, ce qui les plaçait dans la catégorie des juges nommés judices pedanei. Il entrait dans leurs attributions de sévir modérément contre les esclaves ; ils pouvaient même, après information préalable, mettre en prison les personnes de condition libre, sans toutefois les condamner à une peine quelconque[38]. En vertu de leur charge, les duumvirs de Lugdunum
veillaient au bon ordre de la cité ; il leur appartenait donc de connaître de
tout ce qui pouvait le troubler, ou seulement le compromettre. Ainsi, au
point de vue de la stricte légalité, ces magistrats n'excédaient pas leur
pouvoir en traduisant devant eux des hommes qu'ils estimaient être la cause,
ou du moins l'occasion d'un soulèvement populaire. Ici, la conduite à tenir
par les duumvirs était toute tracée par la loi municipale. Interroger les
chrétiens accusés par le peuple, commencer à instruire leur cause, rédiger un
rapport qu'ils présenteraient au président, à son retour dans la ville, et,
en attendant, s'assurer des prévenus en les mettant sous bonne garde, leur
pouvoir n'allait pas plus loin, cette action préliminaire épuisait leur compétence.
Les duumvirs de Lugdunum ne sortirent pas de ces bornes légales. Comme on le
voit par le texte de Dans les Actes des martyrs, nous voyons les magistrats des cités attentifs à respecter ces limites. Ainsi le curateur de Tibiure, en Afrique, dit à Félix, évêque de cette ville : Vous comparaîtrez devant le proconsul, et là vous rendrez compte de votre conduite[39]. De même les martyrs d'Abitine sont déférés, non aux magistrats de la ville, mais au proconsul Anolin[40]. Quel était ce président de |
[1] Quid insigne præferimus nisi primam sapientiam, qua frivola humanæ manus opera non adoramus ; abstinentiam, qua ab alieno temperamus ; pudicitiam, quam nec oculis contaminamus ; misericordiam, qua super indigentes flectimur ; ipsam veritatem, qua offendimus ; ipsam libertatem, pro qua mori novimus ? (Ad nationes, l. I, c. IV.)
[2] S'adressant aux femmes chrétiennes, Tertullien leur dit : Vestite vos serico probitatis, byssino sanctitatis, purpura pudicitiæ... Taliter pigmentatæ Deum habebitis amatorem. (De cultu feminarum, l. II, c. XIII.)
[3] Dans les premiers siècles, les clercs ne portaient pas encore la couronne : cette marque distinctive eût été imprudente au milieu des persécutions ; elle aurait désigné les prêtres de Jésus-Christ à la haine des païens. En général, les clercs portaient les cheveux courts et coupés ras. Cette coupe de cheveux n'offrait alors aucun inconvénient, puisque les pauvres, les esclaves, les prêtres d'Isis et de Sérapis, les initiés de plusieurs mystères avaient aussi la tète rase. On attribue l'adoption de cet usage à saint Pierre, qui, par humilité et pour ressembler aux esclaves, avait coupé ses cheveux. Dans les Actes de saint Bénigne, nous lisons : Vidi quemdam hominem (Benignum) peregrinum caput habere tonsum. (Apud Surium, 1er novembris.)
[4] Impudicitiam amoliri jubemur. Hoc igitur modo ac theatro separamur quod est privatum consistorium impudicitiæ, ubi nihil probatur quam quod alibi non probatur. (Tertullien, De spectaculis, c. XVII.)
[5] Si sævitiam, si impietatem, si feritatem permissam nobis contendere possumus, eamus in amphitheatrum. (Tertullien, De spectaculis, XIX.)
[6] Tertullien nous apprend que, dans les premiers siècles, les chrétiens faisaient le signe de la croix dans une multitude de circonstances ; qu'ils se signaient an commencement de toutes leurs actions. Voici ses paroles : Ad omnem progressum atque promotum, ad omnem aditum et exitum, ad calciatum, ad lavacra, ad mensas, ad lamina, ad cubilia, ad sedilia, quœcumque nos conversatio exercet, frontem crucis signaculo terimus. (De corona militis, c. III.)
[7] Illuc (in cœlum) suspicientes christiani manibus expansis, quia innocuis, capite nudo, quia nec erubescimus. (Tertullien, Apol., XXI.)
Les premiers chrétiens avaient coutume de prier debout, les mains étendues, un peu élevées vers le ciel, la face tournée vers l'orient. Les fresques, les sarcophages, les pierres sépulcrales, les catacombes, les verres historiés, offrent des fidèles des deux sexes dans cette attitude. On donne à ces figures le nom d'orantes. La liturgie de Lyon a conservé ce rite des premiers siècles. Immédiatement après l'élévation, le prêtre déploie les deux bras, à la manière des orantes.
[8] Eusèbe, Hist. ecclés., l. V,
in proœmio.
[9] Nous traduisons sur le texte grec donné par l'abbé Migne. (Patrol. græc., t. V, c. 1409 et sequent.)
[10] Il est ici question de l'Asie proconsulaire, dont Éphèse était la capitale.
[11] Voici le texte de Grégoire de Tours qui a été le grand champ de bataille des hypercritiques :
Hujus (Decii) tempore, septem viri ordinati ad prædicandam in Gallias missi sunt, sicut historia passionis sancti martyris Saturnini denarrat. Ait enim : Sub Decio et Grato coss., sicut fideli recordatione retinetur, primum ac summum Tolosa civitas sanctum Saturninum habere cœperat sacerdotem. Hi ergo missi sunt : Turonis Gatianus episcopus ; Arelatensibus, Trophimus episcopus ; Narbonæ Paulus episcopus ; Tolosæ Saturninus episcopus ; Parisiacis, Dionysius episcopus ; Arvernis, Stremonius episcopus ; Lemovicinis, Martialis est destinatus episcopus. (Hist. Franc., l. I, c. XXVIII.)
On a démontré que ce texte est sans valeur, 1° parce qu'il s'appuie sur une citation inexacte, 2° parce qu'il est en contradiction avec des écrivains antérieurs à Grégoire de Tours, 3° parce qu'il est facile de démontrer la fausseté historique des faits mentionnés dans ce passage, 4° parce que Grégoire de Tours y est en contradiction avec lui-même, 5° parce que les partisans de cet historien reconnaissent eux-mêmes que ce passage est très-défectueux.
Voir l'abbé Arbelot, Dissertation sur l'apostolat de saint Martial.
[12] Sub Aurelio Antonino visa primum in Galliis martyria, Dei religione trans Alpes serius suscepta. (Sulp. Sev.) Sulpice-Sévère ne dit pas qu'il n'y eut point de martyrs dans les Gaules avant Marc-Aurèle, mais il veut dire qu'avant cette époque il n'y eut point de persécutions qui auraient fait un grand nombre de martyrs, martyria. Il ne dit pas non plus que la religion fut prêchée, mais il dit qu'elle fut embrassée plus tard dans les Gaules, ce qui cet fort différent.
[13] Lannoy prétend que saint Crescent n'est jamais venu dans les Gaules. (De Dionysio.)
[14] Baillet renvoie à Tillemont pour la mission de saint Crescent ; il souscrit à tout ce qu'en a écrit l'auteur des Mémoires pour servir à l'histoire ecclésiastique.
[15] Sans aller si loin que Lannoy, Tillemont élève difficulté sur difficulté ; pourtant il n'ose pas conclure. (Mém., t. III, p. 614.)
[16] Lelièvre, Histoire de l'antiquité et sainteté de l'Église de Vienne.
[17] Maupertuy, Histoire de la sainte Église de Vienne.
[18] Charvet, Histoire de la sainte Église de Vienne.
[19]
Epist. IIe, ad Timoth.,
c. IV, v. 10.
[20] Ex reliquis Pauli comitibus, Crescens quidem ab eo missus in Gallias Pauli ipsius testimonio declaratur. (Hist. ecclés., l. IV, c. IV, vers. Val.)
[21] Huic (Lucæ) prædicandi Evangelii munus est creditum ; idque ipse primum in Dalmatia, Gallia, Italia, Macedonia præstitit ; sed in Gallia præ cæteris, ut de nonnullis comitibus suis Paulus in Epistolis testatur : Crescens, inquit, in Galliam. Non enim in Galatiam legendum est, ut quibusdam placuit immerito, sed in Galliam. (Adversus hæreses, hæres. 41.)
[22] Chron. Alex., CCXX olymp.
[23] Crescens in Galliis prædicavit Evangeliam. (De vitis apost., Patr. lat., édit. Migne, t. XXIII, p. 722.)
[24] Crescens in Galatiam. Gallias sic appetlavit ; ita eum appellabantur antiquitus ; ita etiam nunc eas nominant qui sunt externæ doctrinæ participes. (Patrol. græc., t. LXXXII, c. 834, éd. Migne.)
[25] De bellis hispan.
[26] Ammien Marcellin, l. XV.
[27] Antiquités, XII, XVII.
[28]
D'après Adon, saint Crescent ne mourut pas à Vienne. Après avoir séjourné
plusieurs années dans cette ville, il se rendit dans
[29] Martyr., V kal. julii.
[30] Chron.
[31] Chron.
[32] Matthieu, c. X, v. 24.
[33] Ad Roman., VIII, 18.
[34] Tertullien, Apolog.
[35] Annal., l. III, XLI. Hist., l. I, LXIV.
[36] C. XXI.
[37] Paulus.
[38] Roth, De re municipali.
[39] D. Ruinart, Acta sincera, p.
377. In-4°,
[40] D. Ruinart, Acta sincera,
p. 409.
[41] Annotat. ad Eus.
[42] Die 2e junii.
[43] In Severo.
[44] C'est par erreur qu'un historien de Lyon voit le président de cette année 177 dans Sextus Ligurius Marinas, de la tribu Galeria.