LOUIS XVIII

 

LIVRE VI. — VILLÈLE ET L'INTERVENTION EN ESPAGNE.

 

 

SOMMAIRE

I. — Villèle : son passé : distribution des partis dans la Chambre.
II. — Nouvelle législation sur la presse (loi des 17 et 25 mars 1822).
III. — Comment deux objets détournent un peu Villèle de sa tâche d'administrateur et de financier : les complots militaires : la guerre d'Espagne. — Les complots militaires ; où ils éclatent ; leur misérable issue.
IV. — L'Espagne : événements de juillet 1822 ; craintes pour Ferdinand Ier. — Projets de congrès à Vérone. — Le vicomte
de Montmorency est désigné pour y représenter la France ; quelles instructions il emporte ; comment la France craint à la fois les excès de zèle de la Russie et la malveillance de l'Angleterre. — Montmorency à Vienne puis à Vérone.
V. — Le congrès de Vérone : Mathieu de Montmorency ; comment il se fait un peu trop, contrairement à ses instructions, le rapporteur de l'affaire d'Espagne ; comment, par compensation, il s'assure l'appui des puissances.
VI. — Villèle. — Ses soucis. — Comment il voudrait maintenir la paix. — Suggestions belliqueuses de Chateaubriand. — Retour de Mathieu de Montmorency à Paris (30 novembre 1822).
VII. — Ce que Mathieu de Montmorency rapporte de Vérone : succès et sujétion ; intervention du roi ; comment il engrange le succès et se dérobe à l'asservissement. — Démission de Mathieu de Montmorency. — Chateaubriand, ministre des Affaires étrangères. — Comment, à l'ouverture des Chambres (28 janvier 1823), le roi annonce l'intervention.
VIII. — Comment les puissances accueillent la nouvelle de l'intervention : hostilité en Angleterre.
IX. — Impression en France : les Chambres ; débat sur les crédits ; discours de Manuel ; comment il est exclu de la Chambre jusqu'à la fin de la session.
X. — Embarras pour les approvisionnements ; tentative d'embauchage ; comment ce double danger est conjuré.
XI. — Entrée en Espagne ; au début nulle résistance. — Entrée à Madrid.
XII. — Comment les Français ont surtout à redouter leurs amis ; multiples embarras politiques.
XIII. — Le roi Ferdinand emmené à Cadix : exaspération des royalistes ; Villèle et Chateaubriand ; leurs conseils.
XIV. — Bordesoulle atteint Port-Sainte-Marie en face de Cadix. — Ses préparatifs. — Marche du duc d'Angoulême vers Cadix. Ordonnance d'Andujar (8 août 1823).
XV. — Prise du Trocadéro (31 août 1823). Soumission de Cadix (30 septembre) et délivrance de Ferdinand. — Retour du duc d'Angoulême. — Sa rentrée dans Paris (2 décembre 1823).
XVI. — Ce que fut l'expédition d'Espagne ; en quoi elle se justifie malgré l'indignité de notre protégé.
XVII. — Villèle : La gestion financière. — Dissolution de la Chambre (24 décembre 1823). — Les élections : succès pour le ministère. — La septennalité.
XVIII. — Rejet de la loi sur la conversion. — Disgrâce de Chateaubriand.

 

I

Celui qui, pendant six années, devait gouverner la France, apparut d'abord, non à la première place, mais confondu au milieu de ses collègues. Aux Affaires étrangères était appelé le vicomte Mathieu de Montmorency, de gland nom et de grande droiture. M. de Peyronnet, un magistrat plus présomptueux que capable, devenait garde des Sceaux. Le ministère de la Guerre était confié au maréchal Victor, duc de Bellune, et celui de la Marine à M. de Clermont-Tonnerre. Le portefeuille de l'Intérieur était attribué à M. de Corbière, l'ami de Villèle. Villèle, ministre des Finances, ne figurait qu'au dernier rang. Ce ne sera que le 4 septembre 1822 qu'il sera investi de la présidence du Conseil.

Cette prééminence que l'ordonnance royale s'appliquait à voiler, le public et le monde parlementaire la pressentirent aussitôt. Villèle lui-même se garda de démentir ce jugement, car il estimait que son heure était venue. Plus de six années s'étaient écoulées depuis qu'il était arrivé de Toulouse, non' dégagé des passions qui agitaient alors le Midi — car son premier écrit avait été une brochure contre la Charte — mais trop sensé pour s'attarder en cette ambiance et pour verser dans aucun excès. Peu instruit, il avait appris les affaires en les maniant, et à certains jours, on l'avait vu, ainsi qu'il l'écrivait lui-même, travailler huit heures de suite à l'étude du budget. Il s'était appliqué à clarifier ses idées plutôt qu'à les étendre, car il était de ces hommes à la tête bien faite qui n'emmagasinent dans leur cerveau que ce que leur cerveau peut contenir. De la demi-publicité des commissions, il avait passé à la publicité de la tribune. Il s'y était montré, non éloquent mais lucide, ni présomptueux ni timide, exprimant avec une autorité simple et un accent véridique ce qu'il avait à dire ; en un mot l'un de ces députés rares qui sont dans les assemblées non une parure, mais une force, et qui les dirigent d'autant mieux, qu'en les suivant on n'aperçoit point la main qui conduit.

En grandissant, Villèle avait achevé de s'assagir. Bien qu'il hésitât à se détacher de l'extrême droite, sa clairvoyance en réprouvait les intempérantes ardeurs ; surtout il désavouait toute velléité de retour à l'ancien régime. C'était chez lui bon sens ; n'était-ce pas aussi réflexion : qu'eût-il été dans le moule de la société ancienne ? Marin sur les vaisseaux du roi, propriétaire rural à Morvilles, tout au plus membre des États de Languedoc. Or, aujourd'hui, il est député à la Chambre législative ; il a été ministre d'État sous le duc de Richelieu ; il touche à l'heure de saisir le pouvoir. Bien qu'il n'aime pas l'ordre nouveau, pourrait-il sans ingratitude se dresser contre lui ?

J'hésite à souligner dès ce début ce qui se marquera mieux plus tard. Cet homme ne conçoit le plus souvent que des idées communes, mais les applique avec un bon sens supérieur. Nul étalage, nulle réclame, bien qu'avec un soin assez affiné de ne pas se laisser distancer. Bien que religieux, il n'est pas dévot. Laborieux et ennemi du faste, il se tient en garde contre les grands seigneurs et leur présomptueuse inexpérience. A Toulouse, en 1814, comme le baron de Damas qui arrive de Russie essaie de lui suggérer ses conseils sur l'administration : Il est étonnant, lui dit-il, qu'ayant vécu si loin de nous, vous prétendiez déjà nous connaître. Lui, il se découvre déjà sous l'aspect qu'il gardera toujours, ministre aux allures d'intendant, mais d'intendant probe, sagace, passionné pour l'ordre, invariablement fidèle.

C'est dans la Chambre qu'il a grandi : c'est par entente avec elle qu'il gouvernera. Mieux que personne il la connaît. Au Palais-Bourbon deux groupes lui échappent, fort diminués l'un et l'autre par les élections de 1820 et de 1821 : c'est la gauche ; c'est le parti doctrinaire. En outre, en une certaine portion du centre droit, la fidélité au duc de Richelieu et à ses collègues entretiendra pendant quelque temps une malveillante méfiance. Le reste, près de 280 membres, formera la majorité ministérielle. Mais dans cette majorité elle-même, il y a une coupure. D'un côté l'extrême droite, très bruyante, se sentant soutenue à la Cour, très résolue à mettre à haut prix son appui et à se tourner contre qui voudra la contenir. De l'autre, la droite et la portion ralliée du centre droit qui se reconnaissent à des traits communs : entière fidélité au roi, correcte soumission à la Charte, esprit d'économie, probité à toute épreuve, passion de la paix ; avec cela des vues un peu ternes, l'horreur de toute aventure et une prudence qui, à force de ne voir que le présent, engourdit parfois la prévoyance. A ce portrait ne reconnaît-on pas le portrait même de Villèle ? Ces modérés de la droite et du centre droit, propriétaires ruraux, gens de loi, gentilshommes de province, il les tiendra dans ses mains. Il est bien à leur taille, point au-dessous, point trop au-dessus non plus. Il a juste sur eux le degré de supériorité que requiert sa qualité de conducteur. Il fera mieux que les dominer, il les incarnera et eux-mêmes suivront avec d'autant plus de docilité que se sentant en pleine communion avec un chef à leur niveau, ils garderont, en obéissant, l'illusion de se gouverner eux-mêmes.

En cette distribution des forces parlementaires, voici pourtant le très réel embarras. Pour garder la majorité, il faut maintenir l'union entre l'extrême droite, et cette niasse modérée et tranquille qui se reflète et, pour ainsi parler, se mire en Villèle. Or, l'extrême droite bien que Villèle y ait siégé et conserve un très apparent contact avec elle, garde toutes les passions dont Villèle s'est dépouillé, et porte en elle le germe des desseins violents que le reste de la majorité réprouve. Ici, chez les ultras, on médite de refondre, au rebours de l'ordre nouveau, la législation civile, la législation religieuse aussi : là, en inclinant vers le centre, on ne veut de réactions que ce qu'il en faut pour consolider le trône. Le permanent et malaisé travail de Villèle sera de prévenir tout brisement entre les deux fractions de sa majorité. Il devra se servir de ses amis d'hier les ultras et pourtant les contenir. Il devra, sans se brouiller avec eux, essayer de les rendre raisonnables. Il devra feindre de partager les passions depuis longtemps refroidies en lui et en même temps étouffer les desseins que ces passions suggéreraient.. Que s'il ne peut ajourner les motions jugées dangereuses, son art sera de les dégrader jusqu'à les rendre inoffensives. Toute cette politique n'est pas au-dessus de son habileté. Ne sera-t-elle pas au-dessus de son énergie ? Tant que son autorité pourra s'appuyer sur l'autorité royale, il réussira à maintenir toutes choses de niveau. Mais que, sous un nouveau règne, les influences de cour prévalent, alors il sera débordé ; et tout son effort se réduira à essayer de contenir, par un travail de plus en plus impuissant, le courant qui à la longue le submergera.

 

II

Le premier gage de réaction fut la refonte de la législation sur la presse. Cette réforme avait déjà été élaborée par l'ancien ministère ; et le 3 décembre 1821, un projet avait même été déposé. On ressaisit le dessein, mais en lui communiquant plus d'ampleur et en assurant à l'autorité des garanties plus fortes encore. De là deux projets, qui, s'ils étaient adoptés, modifieraient jusqu'à la transformer presque complètement, la loi libérale de 1819.

Tout d'abord aucun journal politique ne pourrait se créer sans l'autorisation du gouvernement C'était la consécration du régime établi à titre exceptionnel après l'assassinat du duc de Berry. La censure était en principe abolie. Toutefois elle pourrait être rétablie par ordonnance royale dans l'intervalle des sessions, mais cesserait de plein droit un mois après la réunion des députés, à moins que ceux-ci ne convertissent l'ordonnance en loi. Une série de délits nouveaux étaient introduits dans la législation : excitation à la haine et au mépris du gouvernement, excitation à la haine et au mépris contre une ou plusieurs classes de personnes, infidélité ou mauvaise foi dans les compte rendus des débats parlementaires. La plupart des pénalités édictées en 1819 étaient aggravées. Le droit de prouver vis-à-vis des fonctionnaires la vérité des faits diffamatoires était aboli. En cas d'offense envers les Chambres, celles-ci pouvaient appeler le prévenu à leur barre et le juger elles-mêmes. Enfin, par une innovation capitale non insérée dans le projet primitif mais due à l'initiative de la commission de la Chambre, la connaissance de la plupart des délits de presse était enlevée au jury et transférée à la - magistrature. A la magistrature une autre attribution était réservée où se retrouvait une réminiscence des anciens parlements : si, en une série d'articles, un journal, sans être légalement coupable, portait atteinte au respect dû au roi et aux institutions, la cour royale, en audience solennelle de deux Chambres, pourrait prononcer une suspension, d'un mois d'abord, de deux mois en cas de récidive, et enfin ordonner la suppression[1].

Bien qu'affaiblie par les renouvellements partiels de 1820 et de 1821, l'opposition demeurait puissante. Plus d'une fois au Palais-Bourbon, la véhémence des passions contraires provoqua de véritables déchaînements ; par exemple, le jour où Manuel osa parler des répugnances qui avaient accueilli le retour des Bourbons. Plus d'une fois aussi, l'image du passé s'interposant à travers le présent, les députés s'interpellèrent de banc à banc : Vous voulez l'ancien régime ! s'exclamait-on à gauche. — Et vous la Révolution ! répliquait-on à droite. Cependant on entendit avec une attention religieuse Royer-Collard se constituant l'avocat de la liberté de la presse, d'autant plus indispensable, disait-il, que dans la désuétude ou la destruction de toutes les coutumes, de toutes les magistratures locales, de toutes les institutions anciennes, les citoyens n'avaient plus d'autre recours contre les abus. La compétence du jury en matière de presse était la thèse favorite de M. de Serre. Il était alors malade ; et à tel point que bientôt il succomberait. Un de ses amis lut son discours qu'on écouta avec une émotion silencieuse. La vérité, c'était qu'une crainte, qui se réaliserait plus tard, obsédait déjà quelques esprits prévoyants : si la magistrature cédait à l'esprit d'indépendance, presque de fronde, familier aux parlements d'autrefois, que ferait la Royauté ? Et ne regretterait-elle pas, fût-ce avec ses entraînements, le jury qui passe, quand elle trouverait en face d'elle, non seulement désapprobateurs mais presque ennemis, des juges constitués à vie ? — Au Luxembourg, l'opposition eut pour principaux organes le comte Molé, déjà habile dissolvant de tous les ministères où il ne figurait pas, puis le duc de Broglie grave, éloquent, prévoyant, mais déjà trop déviant vers la gauche pour garder son entière sérénité. — Quand on procéda au vote, le nombre des suffrages hostiles étonna : chez les députés, 93 suffrages contraires pour la première loi sans compter une quarantaine d'abstentions, et 137 pour la seconde chez les pairs plus de 80 voix défavorables. C'est que l'opposition groupait plusieurs éléments : la gauche, les doctrinaires, puis au centre droit quelques-uns des amis du duc de Richelieu. A l'extrême droite elle-même, il y eut trois ou quatre défections : en effet, les plus combatifs répugnaient, en diminuant les franchises de la presse, à émousser une arme qu'ils entendaient retourner contre le ministère lui-même, si jamais le ministère devenait suspect de modération.

Villèle avait suivi ces longs débats, non sans déplorer le temps perdu. Il avait hâte d'aborder son programme : ordre dans l'administration, économie dans les finances, perfectionnement de la comptabilité publique. Mais les débats parlementaires seraient-ils sa seule diversion et ne serait-il pas entraîné bien vite hors de la sphère où il eût souhaité s'absorber ? A travers son programme de labeur réglé et paisible, deux événements s'intercalèrent : les complots militaires, puis la guerre d'Espagne. Ainsi arriva-t-il que, presque malgré lui, il fut d'abord transformé en répresseur de troubles, puis jeté dans grande politique européenne, tandis qu'il n'aspirait qu'à être le parfait régisseur de la monarchie restaurée.

 

III

On a décrit ailleurs par quelles coalitions, libéraux et bonapartistes s'étaient liés. Avec le temps on s'était enhardi. Pendant l'été de 1820, diverses dénonciations avaient mis la police parisienne sur la trace d'un complot. Le principal siège des menées était un magasin connu sous le nom de Bazar français, où se groupaient, sous prétexte d'opérations commerciales, beaucoup d'officiers en demi-solde. A ceux-ci s'était joint un avocat du nom de Rey. Le projet était de renverser la royauté. Par quoi la remplacerait-on ? On ne le savait pas bien. Le 19 août 1820, des arrestations avaient été opérées, mais sans un plein succès ; car les plus résolus des conjurés, tels le capitaine Nantil et l'avocat Rey, avaient réussi à se dérober. Le procès avait été déféré à la Chambre des pairs constituée en cour de justice. Après une très longue instruction, elle se réunit pour juger les accusés. Plusieurs motifs l'inclinèrent à l'indulgence : d'abord les plus coupables étaient en fuite : puis le complot avait été surpris avant tout commencement d'exécution : enfin un souci dominait, celui de sauver les hommes politiques, tels que La Fayette, d'Argenson et d'autres, qui avaient eu l'imprudence coupable de recevoir les confidences et d'encourager les desseins factieux. L'arrêt, rendu le 16 juillet 1821, surprit par sa débonnaireté : six condamnations à l'emprisonnement, l'acquittement pour les autres inculpés.

Jusque-là le danger était minime. Ne deviendrait-il pas plus réel si les agitateurs, bonapartistes ou révolutionnaires, et tous à face de libéraux, 'réussissaient à enrôler leurs partisans dans les cadres d'une société secrète, puissante par sa discipline, malaisément saisissable tant elle se dissimulerait, attirante pour les imaginations par le mystère même où elle s'envelopperait ?

Or, peu de temps auparavant, deux ou trois jeunes Français, partis de leur pays par prudence, puis rassurés par la mansuétude de la cour des pairs, avaient apporté de Naples les statuts d'une association, créée jadis en Italie, sous le nom de carbonarisme, dans un but de résistance patriotique à l'étranger, et transformée plus tard en instrument de révolution. En un petit conciliabule d'étudiants, on lut le règlement. La faveur fut extrême. Comme cette organisation vaudrait mieux que la franc-maçonnerie où les bourgeois s'incrustaient ! Sans plus tarder on traça les cadres. Chaque groupement de vingt membres formerait une association particulière à laquelle on donna le nom de vente, emprunté à l'Italie. Au-dessus il y aurait les ventes centrales, puis au-dessus encore la vente suprême. Les affiliés étaient tenus de garder le secret, de se pourvoir d'un fusil et de vingt-cinq cartouches, de payer une cotisation mensuelle d'un franc. Rapidement les affiliations se multiplièrent parmi les étudiants, les commis, les employés. Puis, de Paris, la propagande s'étendit en province, en Alsace d'abord, puis dans d'autres régions. La mort de Napoléon, connue à Paris le 5 juillet 1821, stimula loin de décourager. Le grand Empereur, quelque soin qu'on eût pris à lui appliquer un masque libéral et humanitaire, ne laissait pas que d'inquiéter et, perçant sous tous les camouflages, la véritable face de despote apparaissait. Avec son fils, enfant débile, nul espoir n'était chimérique. Constitution de 1791, consultation nationale, Empire avec une régence et des institutions démocratiques, tout flottait ; et à travers ces vagues perspectives chacun voyait, croyait voir tout ce que sa passion lui montrait. Pour accréditer l'association, il fallait qu'elle se recommandât de quelques noms connus du public. Au seul mot de conspiration, La Fayette vibrait. Il embrassa chaleureusement l'entreprise et, en cas de succès, serait le chef dont on se parerait ! A l'association se rattachèrent un certain nombre de personnalités formant à côté et même au-dessus de la haute vente, une sorte de comité directeur. Tels Cor-celle et Kœchlin, tel Manuel très hostile aux Bourbons mais de zèle circonspect, tel d'Argenson fort soupçonneux lui aussi et enclin à voir partout des agents provocateurs ; tel enfin l'avocat Mérilhou, très mêlé en ce temps-là aux agitations politiques.

Le plus important serait d'attirer les militaires. Le travail était ancien. On le poursuivit avec un redoublement d'ardeur. Contre les Bourbons quels n'étaient pas les griefs ! Aux menues largesses des cafés succédèrent des sortes de banquets, pauvres de mets, riches d'eau-de-vie. Sous la boisson on s'excita. Oui, on relèverait le drapeau tricolore ; oui, on épurerait les régiments ; oui, on se débarrasserait des prêtres ; oui, on chasserait ce gros Louis XVIII. Cependant parmi ces militaires au cerveau faible, à l'imagination surexcitée, quelques-uns — les plus exaltés à l'heure présente — se réveilleront tout dégrisés. Demain, ils réfléchiront ; après-demain ils s'affoleront ; encore quelques jours et tout terrifiés de ce qu'ils ont entendu, tout éperdus du châtiment qui peut-être les attend, ils s'abaisseront, par espoir de se sauver, jusqu'à se transformer en' délateurs.

Entre toutes les provinces de France, celles de l'Est et celles de l'Ouest étaient les mieux préparées pour la rébellion.

On a déjà décrit cette longue bande frontière qui s'étend de Grenoble à Strasbourg. Nulle part l'esprit public ne s'y est modifié, ni dans l'Isère qui a élu Grégoire, ni dans le Rhône qui a élu Corcelle, ni dans la Saône-et-Loire tout imprégnée de bonapartisme révolutionnaire et qui vient d'élire trois députés de l'opposition, ni dans la Côte-d'Or administrée naguère par M. de Girardin qui maintenant siège à la gauche de la Chambre, ni surtout dans l'Alsace où d'Argenson est influent par ses forges et Kœchlin plus influent encore par ses manufactures, où les garnisons, quoique nombreuses, n'offrent qu'une demi-sécurité tant elles ont été travaillées !

Et à l'Ouest, voici — avec une assez forte dose d'illusion à la vérité — des chances à peu près pareilles. En ces régions, autant les paysans sont imprégnés de royalisme, autant les bourgeois gardent à travers les années le cuisant souvenir de ce qu'ils ont souffert par les Vendéens, de ce qu'ils ont enduré par les Chouans. Ainsi apparaît Nantes menacée si longtemps par les soldats de Charette campés de l'autre côté de la Loire ; Saumur qui a vu les gens du Bocage s'avançant jusqu'au pied de son château fort, et campés sur la place de la Bilange ; Rennes où tout est à l'opposition, magistrature, barreau, école de droit ; Brest enfin, sorte de forteresse jacobine au bord de l'Océan, Brest qui naguère a conspué Bellart, l'accusateur de Ney, et a chassé hors de ses murs les prêtres de la Mission. Et jusque dans les plus petits recoins du Bocage ou du Marais, la même rivalité règne, campagnards et citadins s'obstinant pareillement dans leurs souvenirs. On a même là-bas devancé les carbonari ; car, sous le nom de chevaliers de la liberté, une association secrète, devenue très puissante, a enrôlé dans la vallée de la Basse-Loire les tenants les plus ardents de la coalition bonapartiste et libérale.

Il n'entre pas dans le plan de ce livre de retracer le détail des conspirations qu'enfanta la propagande des sociétés secrètes. Ce qui passionna les contemporains, ce qui dans ma jeunesse semblait aux vieillards chose digne de mémoire, n'apparaît plus que comme tentatives misérables où quelques pauvres gens, enfiévrés et crédules, s'engagèrent follement, tandis que les hauts chefs, parlementaires ou autres, se contentaient de jouer la vie d'autrui.

A Belfort et à Saumur dans les derniers jours de décembre 1821 un double soulèvement devait éclater. — A Belfort, les conjurés, gens des ventes ou officiers en demi-solde, comptaient sur la défection du 29e de ligne ainsi que sur le concours de La Fayette, de Kœchlin, de d'Argenson qui, en cas de succès, formeraient un gouvernement provisoire. Au dernier moment La Fayette tarda, d'Argenson, à ce qu'il semble, se renferma chez lui, et l'exécution dut être ajournée. Sur ces entrefaites, la divulgation inconsciente d'un sous-officier découvrit tout. Les plus compromis réussirent à s'enfuir : les comparses furent arrêtés. — A Saumur le plan de conspiration ne rencontra pas meilleure fortune, et une fortuite saisie de papiers révéla tout le projet. — Pour comble de mauvaise chance, deux autres essais de complots échouèrent dans le même temps, l'un à Nantes où l'on comptait de nombreuses intelligences dans la garnison, l'autre à Marseille où fut arrêté un ancien officier de la garde impériale, le capitaine Vallée.

Tel fut l'échec des premières tentatives.

Dans l'Ouest, carbonari et chevaliers de la liberté ne voulurent point demeurer sous le poids de l'insuccès. Le dessein fut repris, cette fois avec des proportions plus vastes et qui donneraient à l'entreprise un aspect d'insurrection. Le chef fut un ancien général de l'Empire, le maréchal de camp Berton, militaire de jugement médiocre mais ardent et brave. Ses principaux complices furent le médecin Caffé, le lieutenant Delon, le chef de bataillon Gauchais, et un ancien maire de Saumur nommé Fournier. Le 24 février fut le jour fixé pour la prise d'armes. Le lieu de rassemblement serait la petite ville de Thouars où l'on espérait de nombreux concours. Berton s'y rendrait avec quelques fidèles. C'est de là qu'on se dirigerait vers Saumur qui n'était qu'à la distance de sept lieues. En route on se flattait de recueillir tous ceux qu'attireraient les promesses, que tromperaient les fausses nouvelles, qu'électriserait le drapeau tricolore déployé. — A l'aube du 24, Berton, sortant de la maison Saugé où il avait reçu l'hospitalité, parut en uniforme. Il mit la main sur les cinq gendarmes, seule force de la petite ville, et annonça la déchéance des Bourbons, ainsi que la formation d'un gouvernement provisoire avec La Fayette, Foy, Kératry, Voyer d'Argenson, Benjamin Constant ; puis il notifia par voie de proclamation qu'il était le général en chef de l'armée de l'Ouest. C'était un dimanche. La population rassemblée regardait, ahurie. Après avoir pillé une boutique d'armurier, on se mit en route. En tête un tambour et un ancien soldat du nom de Jaglin qui portait un drapeau tricolore ; puis les gendarmes enrôlés moitié de gré, moitié de force ; enfin une bande de 140 hommes environ. On passa à Montreuil-Bellay où l'on fit une vingtaine de recrues. De temps en temps on poussait les cris : Vive Napoléon II ! Vive le peuple ! Vive la liberté ! En cette marche singulière, n'eût-on pas saisi une réminiscence des guerres civiles qui jadis s'étaient déroulées en ces mêmes lieux ? Cette même route, les Vendéens l'avaient suivie — mais avec quelle autre ardeur et quelle autre foi ! — quand le 9 juin 1793, sous la conduite de Cathelineau, ils s'étaient, eux aussi, portés vers Saumur. En chemin, on s'était attardé, et plusieurs, en un retour de sagesse, avaient abandonné le cortège. La nuit était venue quand on atteignit le pont Fouchard, ce pont sur le Thouët, par où l'on accède à la ville. Cependant un gendarme qui s'était échappé avait donné l'alarme à Saumur. Les gardes nationaux furent requis, pareillement les élèves de l'école de cavalerie, et tous ensemble garnirent les abords du pont. La lutte s'engagerait-elle ? Le maire survint, et d'une rive du Thouët à l'autre, puis dans la cabane du receveur d'octroi, parlementa avec les rebelles. Le sous-préfet, lui aussi, répugnait à l'immédiat emploi de la force, ne voulant pas exposer la vie des gardes nationaux qui étaient, disait-il, pères de famille. Les gens de Montreuil, de Thouars, fatigués de la marche et déjà désillusionnés, avaient eu le temps de réfléchir qu'ils étaient pères de famille aussi. Berton semblait lui-même avoir perdu son ordinaire assurance. De l'intérieur de la ville où il comptait pourtant beaucoup d'amis, nul encouragement ne lui venait. Il sentait sa petite bande toute fléchissante et prête à se disperser, sous la première attaque qui ne pourrait tarder. Vers le milieu de la nuit, il donna le signal de la retraite ; et les manifestants se débandèrent, n'ayant d'autre souci que d'effacer leurs traces.

Cependant l'entreprise eut son épilogue. Tandis que le lieutenant Delon s'embarquait pour l'Espagne, Berton était resté en France, caché d'abord à La Rochelle, puis à Rochefort, enfin aux environs de Saumur, et tout possédé du désir de venger son échec. En mai 1822, un nouveau complot est tramé. Mais l'issue est encore plus misérable qu'à la précédente tentative. Berton se confie à un sous-officier du nom de Wœlfeld qui le trahit, l'assaille, le terrasse et le livre à la justice.

Belfort, à la fin de 1821, avait ourdi son premier complot, en même temps que Saumur préparait le sien. Le même effort, qui fut repris en Anjou au mois de février 1822, puis quatre mois plus tard, se renouvela aussi à l'est de la France. Mais peut-on donner le nom de coin-plot à une entreprise que l'autorité découvrit aussitôt et qu'elle conduisit elle-même, en tenant tous les fils, jusqu'au point où elle put saisir en flagrant délit les rebelles ? Voici — car je n'ose le négliger tout à fait — le misérable épisode. Les inculpés de la première conspiration étaient en prison à Colmar. Un lieutenant-colonel du nom de Caron résolut de les délivrer. C'était un militaire d'une simplicité remarquable, au moins si l'on en juge par le piège où il se laissa engluer. Il s'ouvrit de son dessein à un officier en demi-solde du nom de Roger et à un sous-officier nommé Delzaine. Delzaine, allant trouver ses supérieurs, leur révéla tout. Ceux-ci, au lieu d'arrêter Caron, imaginèrent de le laisser s'enferrer. Ils prescrivirent à quelques sous-officiers de feindre une chaleureuse adhésion, et quand le fait de la conspiration serait bien authentiqué, de se jeter sur le conspirateur. Ainsi fut fait. Le crédule Caron, émerveillé d'être si bien soutenu, transforma son projet de délivrer les captifs en un vrai plan d'insurrection. A quelques jours de là, le 2 juillet 1822, un fort détachement de chasseurs à cheval sortit de Colmar sous la conduite de sous-officiers. On avait commandé aux hommes l'entière obéissance. Hors de la ville, on rencontra Caron qui, se mettant en uniforme, prit le commandement de la colonne. Un drapeau tricolore fut déployé ; on cria : Vive l'Empereur. On prit la route de Belfort, puis celle de Mulhouse, avec l'espoir de propager, chemin faisant, le soulèvement. Nulle méfiance chez le naïf conspirateur. Bien loin de là, en chemin, il raillait la sottise de Berton qui, lui, s'était laissé surprendre. A quelques lieues de la ville, on fit halte en une auberge. La comédie ayant assez duré, les sous-officiers se jetèrent sur Caron, le ligotèrent, le ramenèrent à Colmar ; et ainsi finit, bien menée quoique avec un singulier aspect de traîtrise, une aventure où le conspirateur se montra trop candide et l'autorité militaire pas assez.

J'ai abrégé, j'aurais voulu abréger plus encore le récit de ces échauffourées. Après les arrestations les procès. Mais n'était-ce pas en dehors du prétoire qu'il fallait chercher les vrais responsables ? Dans le procès du Bazar français, la Cour des pairs, attentive à ne point voir, s'était appliquée à laisser hors de cause les députés. Dans le procès de Berton, qui se déroula à Poitiers, le procureur général Mangin se dégagea de ces timidités. C'était un magistrat passionné, mais de remarquable courage. Il osa démasquer, comme complices de la conspiration, entre autres personnages, La Fayette. Nul doute en effet que La Fayette n'eût connu et encouragé les complots. Son voyage dans l'Est et ses menées, à l'époque de la première affaire de Belfort, prouvent qu'il lia alors partie avec les conjurés. Un témoignage très net, bien que rétracté ensuite, atteste qu'il y eut entente entre lui et l'un des conjurés de la dernière affaire de Saumur, le chirurgien Grandmesnil. Que dire des autres députés ? Le nom de Kœchlin est inséparable de la première' conspiration de Belfort. Manuel et d'Argenson furent pareillement mêlés aux desseins factieux ; mais, soit pressentiment de l'échec, soit crainte des délateurs, ils évitèrent de s'engager à fond. Quant à Benjamin Constant, Laffitte, le général Foy, s'ils connurent les projets d'attentat, rien n'établit qu'ils les aient aidés ni même approuvés.

Après les procès les exécutions : le 2 mai le sous-officier Sirejean, bon militaire au dire de ses chefs, mais compromis dans le premier complot de Saumur ; le 10 juin le capitaine Vallée, fusillé à Toulon ; le 1er octobre le lieutenant-colonel Caron ; le 4 et le 7 octobre Berton et trois de ses complices. C'était peu si l'on songe au nombre des accusés. Mais parmi les fauteurs de complots, plusieurs des plus coupables avaient réussi à se cacher ou à quitter la France ; d'autres s'étaient sauvés par des révélations ou bénéficièrent de la clémence royale.

 

Dans le même temps, un autre procès se déroula qui mérite un peu plus d'attention, non par lui-même, mais parce qu'il excita dans Paris et dans les provinces une émotion qui fut lente à s'apaiser.

Le 45e de ligne qui tenait garnison au Havre avait été, vers la fin de 1820, transféré à Paris et avait été caserné dans le quartier des Écoles. Là, un sous-officier du nom de Bories fut affilié par un étudiant au carbonarisme et se transformant lui-même en chef de vente, recruta pour l'association, soit par lui-même, soit par des complices, quelques-uns de ses camarades, entre autres les sergents Pommier et Goubin et un peu plus tard le sergent Raoult. Ces pauvres gens, à la fois ardents et simples, s'exaltèrent à l'envi, et à tel point, prétend-on, que d'eux, ayant entendu une nuit battre le tambour à l'occasion d'un incendie, se leva et descendit de la chambrée avec les hommes de son escouade, persuadé que c'était le signal de la prise d'armes. Le gouvernement s'efforçait en ce temps-là de remédier par de fréquents changements de garnison à l'influence dissolvante de l'élément civil. Le 45e de ligne, à la fin de 1821, fut dirigé sur La Rochelle. Avant le départ, Bories emmena les affiliés de son régiment en une auberge portant cette enseigne Au roi Clovis. On y banqueta en compagnie de deux délégués de la haute vente : un chef d'institution nommé Hénon, un avocat du nom de Baradère. Hénon vanta en paroles enflammées les exploits des anciens républicains, proposa en exemple l'armée espagnole révoltée et parla aussi, à ce qu'on assure, de la Constitution de 1791. Les soldats ne connaissaient ni la Constitution de 1791 ni aucune autre ; mais de confiance, ils applaudirent. On, se promit de garder contact, et sans rien préciser l'on s'encouragea pour l'action prochaine. Pendant la route, Bories n'omit aucune imprudence. A Orléans il se querella avec les soldats d'un bataillon suisse ; puis il rassembla à l'auberge de la Fleur-de-lys les affiliés de son régiment et leur annonça qu'ils seraient bientôt appelés à concourir à de grands desseins. Le complot éclaterait, disait-il, avant qu'on n'eût atteint La Rochelle. C'eût été merveille que de ce conciliabule rien ne transpirât. Déjà suspect, bientôt dénoncé, Bories fut pour le reste de la route mis en étroite surveillance. A son défaut, les chefs de la petite vente régimentaire étaient Pommier et Goubin. Eux aussi, ils ne négligèrent rien de ce qui pouvait les perdre ; car à Niort, ils entrèrent en conférence avec les carbonari de la ville. On arriva à La Rochelle. Bories fut déposé à la prison. Sur ces entrefaites, un autre sous-officier nommé Goupillon fut agrégé à la secte. Les semaines qui suivirent se consumèrent en d'obscures menées que l'instruction ne devait éclaircir qu'à demi. Cependant l'autorité poursuivait son enquête. Pommier et Goubin furent arrêtés. Goupillon terrifié découvrit tout ce qu'il savait. Soit excès de trouble, soit espoir de se sauver, Goubin et Pommier se laissèrent aller à divulguer l'organisation des ventes. A Paris, l'instituteur Hénon fut arrêté aussi et, non moins atterré, fit pareillement des aveux. La justice tenait toute la trame et n'avait plus qu'à s'armer de la loi.

A raison des complices civils, la juridiction compétente fut la juridiction ordinaire. Le 21 août 1822, les débats s'ouvrirent devant la Cour d'assises de la Seine. Les autres procès s'étaient jugés au loin. C'était au cœur de Paris que celui-ci allait se dérouler. Les accusés étaient au nombre de 25. Une attention nuancée de sympathie se fixa aussitôt sur les quatre sergents du 45e de ligne, Bories, Pommier, Goubin, Raoulx. Ils étaient jeunes. Hormis les menées coupables où ils s'étaient laissé entraîner, aucune tache ne pesait sur leur vie. Il y avait eu propos échangés, propositions concertées, mais sans que les bras se fussent armés et sans que l'ordre matériel eût été troublé. Puis. les vrais responsables n'étaient-ils pas plutôt les prêcheurs de troubles qui avaient surexcité ces pauvres gens jusqu'au délire et bientôt se pareraient de leur mort, après avoir assuré leur propre sécurité !

Le dessein du gouvernement était de frapper, à travers les accusés, le carbonarisme lui-même. L'avocat généra ! M. de Marchangy s'appliqua par-dessus tout dans son réquisitoire à en retracer l'origine, les développements, les funestes résultats. A certains moments, il sembla que Bories et ses compagnons fussent oubliés. Ils ne reparurent que pour rendre plus sensible par une réalité concrète la thèse du ministère public et pour montrer par leur exemple où peuvent conduire les sociétés secrètes.

Ces sociétés secrètes, dénoncées avec tant de solennité, avaient beaucoup d'affiliés dans l'auditoire et surtout au banc des défenseurs. Tel en particulier Mérilhou à qui Bories avait confié ses intérêts. Les noms des avocats ne laissent point d'être suggestifs : Barthe, Delangle, Mocquart, Chaix d'Est-Ange. Ils plaident à deux fins, pour leurs clients et pour leur propre renommée. A plusieurs la renommée vint. On les retrouvera sous une autre monarchie ; on les retrouvera aussi sous le Second Empire, comblés de faveurs et guéris de liberté.

On a essayé après coup de dramatiser l'attitude et les -réponses des accusés. La vérité, c'est que par un arrière-espoir de se sauver, ils rétractèrent leurs aveux et s'engluèrent assez piteusement dans les contradictions et les mensonges. Pourtant, tout à la fin du débat, Bories se releva par une déclaration très fière : On m'a dénoncé, dit-il, comme le chef du prétendu complot ; j'accepte ce rôle ; mais que mes camarades soient sauvés ! Le 5 septembre le verdict fut rendu. Sur 25 accusés, 13 étaient acquittés, 7 condamnés à l'emprisonnement ; un autre, Goupillon, était épargné comme révélateur. Les quatre sergents étaient condamnés à la peine capitale.

Projets d'évasions, tentative de corruption sur le directeur de la prison, tout fut tenté pour les soustrairé au supplice. Eux-mêmes auraient peut-être racheté leur vie en dénonçant ceux qui les avaient précipités à leur perte. Pauvres martyrs d'une cause qui ne valait pas le martyre, ils gardèrent jusqu'au bout le silence. Ils furent guillotinés tous quatre, le 21 septembre à quatre heures de l'après-midi.

La Cour manquait rarement l'occasion d'être maladroite. Il devait y avoir ce jour-là une fête aux Tuileries. L'esprit le moins inventif eût trouvé un prétexte pour l'ajourner. On ne saisit point l'opportunité, et il y eut le soir représentation de gala au château. A quelques jours de là, M. de Marchangy, magistrat très méritant d'ailleurs, reçut un avancement qui semblait trop une immédiate récompense : Il a reçu le prix du sang, écrivait à ce propos M. de Barante. Pendant tout le procès, La Fayette et ses amis avaient tremblé. Quand ils surent que les condamnés étaient morts sans qu'aucune pression déliât leurs lèvres, ils respirèrent. A Manuel on prêta ce mot : Ils ont su bien mourir. Beaucoup, même parmi les royalistes, regrettèrent que le roi n'eût pas exercé son droit de grâce. Le gouvernement, plus sensible à la raison d'État qu'à l'humanité, jugea que la rigueur d'un jour garantirait peut-être pour bien des jours l'entière sécurité. Le vrai, c'est que le terrible exemple porta ses fruits et qu'on n'eut à réprimer désormais aucun complot militaire. Quant au peuple de Paris, il garda fidèlement l'image des quatre jeunes gens qui s'étaient, disait-il, sacrifiés pour la liberté. Des lithographies les popularisèrent, des chansons, des poésies les célébrèrent. Il y a des appellations qui se perpétuent même quand tout ce qu'elles commémorent semble voué à l'oubli. Aujourd'hui encore, à l'entrée du cimetière Montparnasse, on peut, sur la porte d'un débit de vin, lire cette enseigne : Aux quatre sergents.

 

IV

Après le souci des complots militaires, le grand souci de l'expédition d'Espagne.

On a vu[2] comment le roi Ferdinand VII, en 1820, s'était résigné à convoquer les Cortés et à subir la constitution — plus républicaine que monarchique — de 1812. En pliant sous la contrainte, il n'avait point désespéré de ressaisir la pleine autorité. Il avait contre lui les classes éclairées, niais pour lui le peuple. Au printemps de 1822, diverses manifestations en Biscaye, en Navarre, en Catalogne, au cri Vive le roi absolu l'avaient encouragé à oser. Au commencement de juillet, sa garde royale essaya, par une sorte de contre-révolution militaire, de l'arracher à sa servitude. Mais elle fut battue par les miliciens. Ferdinand vaincu dut choisir ses ministres parmi ses ennemis ; et désormais presque prisonnier quoique entouré des hommages extérieurs de la royauté, il fut replacé sous un joug pire que celui qu'il avait tenté de secouer.

A moins de trente ans de distance, l'image de Louis XVI était présente à tous les yeux. Son destin ne serait-il pas celui de Ferdinand ? Tout pénétré de la solidarité des couronnes, le tsar s'exalta en une émotion ardente. Metternich devint attentif, autant du moins qu'il pouvait l'être aux disgrâces des autres. L'Angleterre se tint aux aguets, aussi froide qu'Alexandre était chaud, hostile en principe à toute intervention, et prête d'ailleurs à vouloir le contraire de ce que voudrait la France. L'impression fut surtout vive à Paris : le roi Ferdinand était un Bourbon, et c'était près de nos frontières que les événements se déroulaient.

Ce temps était celui des Congrès. Il y avait eu, moins de quatre ans après le Congrès de Vienne, le Congrès d'Aix-la-Chapelle, puis celui de Troppau, puis encore celui de Laybach, continuation de celui de Troppau. A Laybach on s'était promis de se réunir en l'automne de 1822 à Vérone. L'objet était de régler d'une façon définitive le sort de l'Italie. Mais voici que l'affaire d'Espagne se jetait à la traverse ; et sûrement elle reléguerait tout le reste au second plan.

A qui la France confierait-elle le soin de la représenter ? Louis XVIII avait songé à Villèle. Celui-ci se récusa : il se jugeait plus utile à Paris ; il n'avait jamais été mêlé aux affaires diplomatiques ; puis il sentait qu'il serait — lui gentilhomme de petite maison — peu décoratif en une assemblée de princes et de souverains. Le vicomte Mathieu de Montmorency, ministre des Affaires étrangères, convenait à la fois par son nom, ses fonctions, sa droiture. Le 26 août, à la suite d'une "délibération du Conseil, il fut désigné, bien que le roi eût peu de penchant pour lui. Cependant Chateaubriand, ambassadeur à Londres, brûlait d'envie qu'on pensât à lui. On l'adjoignit à Montmorency ; et du même coup on décida d'appeler aussi à Vérone M. de Caraman qui était ambassadeur à Vienne et M. de La Ferronnays qui l'était à Saint-Pétersbourg.

Quelles instructions donnerait-on au représentant de la France ? Villèle qui serait dans quelques jours président du Conseil, ne l'était pas encore officiellement, et par suite n'avait d'autre droit que celui de suggérer des avis. Son vœu le plus cher, comme celui du roi lui-même, était le maintien de la paix, et tous les efforts devaient tendre à la sauvegarder. Que si par malheur, l'intervention devenait nécessaire, il importait que la France agit à son heure, en pleine liberté, et non comme mandataire de l'Europe. Dans cet esprit, notre représentant devrait exprimer des vœux pour une solution pacifique, observer pour tout le reste la plus extrême réserve, ne rien dire qui pût lier ou compromettre son gouvernement et surtout se garder, c'était l'expression de Villèle, de se faire le rapporteur de l'affaire d'Espagne. — En stipulant pour son pays une place à part et une entière liberté quant au mode d'action, Villèle n'entendait pas se dégager des autres gouvernements, au point de ne leur rien demander. Le représentant de la Cour des Tuileries devrait consacrer tous ses soins à obtenir d'eux le réconfort d'un traité, portant promesse d'appui moral, d'appui matériel même, si nous le réclamions jamais. De la sorte, la France, tout en agissant seule, n'agirait qu'en se sentant soutenue, et particulièrement serait gardée contre l'Angleterre, si le gouvernement britannique dont on soupçonnait la malveillance s'égarait jamais jusqu'à l'hostilité.

Telles étaient les vues du gouvernement français, vues très sages mais un peu subtiles et qu'il serait malaisé d'interpréter sans déviation. Le plénipotentiaire français devait dire au Congrès : Nous entendons agir à notre heure, en toute indépendance, et en même temps devait ajouter : Soyez derrière nous. Si on l'interrogeait, pourrait-il se taire, sans fournir aux puissances un prétexte pour décliner tout appui, même moral ? Que s'il parlait, ne serait-il pas entraîné par la force des choses à se faire plus ou moins, comme le redoutait Villèle, le rapporteur de l'affaire d'Espagne ? Là résidait un double écueil, celui de provoquer par trop de réserve une réserve pareille, celui de se découvrir par trop d'abandon ; et cette attitude, toute en délicates nuances, aurait eu de quoi embarrasser, même un diplomate plus exercé que ne l'était le loyal Mathieu de Montmorency.

Mathieu de Montmorency quitta Paris le 31 août. Il se dirigea vers l'Italie en prenant la route de Vienne. En cette ville s'était ouverte une conférence sur les affaires de Grèce, et il avait chance, en y faisant halte, de prendre un premier contact avec ceux qui conduisaient la politique européenne. Il s'éloigna, laissant Villèle fort soucieux. Celui-ci pressentait des complications. Il se désolait à la pensée d'une guerre qui interromprait le long repos réparateur qu'il eût souhaité pour son pays. Quelle maudite affaire ! disait-il en parlant de l'affaire d'Espagne. En homme méthodique, tout absorbé dans ses comptes, il calculait la dépense. Par-dessus tout, sa perspicacité lui montrait parmi les puissances, une adversaire, l'Angleterre, qu'il faudrait braver sans la rendre tout à fait hostile ; puis une amie trop zélée, la Russie, qu'il faudrait contenir sans en décourager la précieuse amitié.

Le suicide de Castlereagh venait de faire passer le pouvoir aux mains de Canning. Quels que fussent les hommes, on ne pouvait mettre en doute les sentiments de la Grande-Bretagne. Le souvenir des anciennes luttes était trop vivant encore pour qu'elle pût voir sans dépit la rentrée de la France dans la grande politique européenne. En outre, sous Napoléon, elle avait par ses armes sauvé l'Espagne : or, il lui déplaisait que la France affaiblît, en se montrant dans la Péninsule, le souvenir de sa propre intervention. Enfin, la prolongation de l'anarchie espagnole laissait entrevoir à l'Angleterre une source de profits : à la faveur des troubles, elle réussirait peut-être à s'implanter dans les colonies révoltées de l'Amérique du sud, et peut-être aussi à se faire attribuer par traité avec l'Espagne elle-même de notables avantages. Si Villèle avait pu ignorer ces dispositions, un entretien avec le duc de Wellington les lui aurait découvertes, au moins en partie. C'était le 20 septembre. Le duc passait par Paris, se rendant à Vérone. Il eut une longue entrevue avec le ministre français qui venait d'être appelé à la présidence du Conseil. En cette conversation, il s'appliqua à développer, avec la double autorité de son expérience et de ses souvenirs, le danger d'une intervention en Espagne. Les difficultés, dit-il en substance, sont énormes à cause de l'étendue du territoire, de la difficulté de vivre, de l'esprit des populations. L'entreprise serait folie si on la tentait avec moins de cent mille hommes. Pouvez-vous recevoir des secours de vos alliés ? Par mer, c'est impossible. Par terre, il faudrait laisser traverser votre territoire et le voudriez-vous ? Villèle avait écouté sans interrompre. Quand Wellington se fut tu, il répondit que la France n'avait qu'une pensée, celle de se garder contre des troubles dont elle pourrait subir la répercussion. Dans cet ordre d'idées, il détailla tout ce qu'il savait sur l'état de l'Espagne, à savoir les déportations de Barcelone, les exécutions, les combats journaliers tout près de la frontière des Pyrénées, les menaces envers les résidents français, l'alliance certaine des révolutionnaires espagnols avec les révolutionnaires français. Si, continua Villèle, nous étions appelés, ce qu'à Dieu ne plaise, à intervenir, ce ne serait ni sur l'invitation ni surtout sur l'injonction des puissances, mais de nous-mêmes, et seulement en cas d'atteinte à la sûreté du roi d'Espagne ou d'insultes à notre roi, à nos nationaux, à notre territoire. L'entretien dura deux heures, toujours courtois, amical même. Le lendemain le duc fut reçu par le roi ; le soir, il dîna chez Villèle et se répandit en témoignages de sympathie pour la France. Quelles que fussent ces protestations, il était aisé de découvrir sous ces apparences la contrariété des vues comme des intérêts ; et cette opposition se manifesterait sans déguisement si jamais la France déviait vers l'intervention.

A coté de l'Angleterre, aujourd'hui réservée, demain malveillante, voici la Russie dont il faut retenir les ardeurs. Pendant sa halte à Vienne, Mathieu de Montmorency fut reçu deux fois par Alexandre, le 14 septembre et le 1er octobre. Dès le début de l'entretien, le prince proclama la maxime fondamentale de sa politique qui était de subordonner les intérêts particuliers des États aux grands intérêts de l'Europe. Sur cette idée, il revint à plusieurs reprises et, nous dit la dépêche à laquelle nous empruntons ces détails, avec l'air d'une profonde conviction. Tout à l'inverse de l'Angleterre, le tsar jugeait, au point de vue de la justice internationale, l'intervention nécessaire : Nous n'interviendrons que si nous y sommes forcés, répliqua Montmorency un peu déconcerté par cet excès de zèle. Votre droit est incontestable, reprit l'Empereur. En sa hâte, il eût voulu offrir incontinent son secours et que les troupes russes pussent passer sur le territoire français. Sur les objections de notre plénipotentiaire, il se résigna quoique avec un peu de peine : Aucune de mes troupes, dit-il, ne bougera que sur votre désir ; mais, ajouta-t-il aussitôt, pensez à la grande distance et que vous pouvez avoir besoin de nous. Alexandre était doué d'une éloquence communicative ; et quand il voulait séduire, nul ne le surpassait en prévenances enlaçantes. Surtout son âme, à la fois subtile et mystique, savait s'élever jusqu'à des hauteurs où se fondaient, en un magnifique programme de solidarité pour la justice, toutes les misérables contingences de la politique. Or, Mathieu de Montmorency était fait plus que personne pour recueillir et s'approprier ces pensées magnanimes. Comme Alexandre, il aimait à monter vers les sommets ; comme lui, il se nourrissait de conceptions un peu vagues, car il avait plus de générosité dans l'âme que de lumières précises dans l'intelligence. Jadis, aux jours lointains de 1789, il avait été libéral ; de l'avoir été il se repentait, mais avec des retours moitié inconscients, moitié voulus, vers l'idéal qui avait passionné sa jeunesse. Cet état d'esprit n'était-il pas celui d'Alexandre, champion des trônes, mais se souvenant par intervalles qu'il avait été naguère, dans la lutte contre Napoléon, le défenseur des peuples opprimés ? Alexandre portait en lui des aspirations religieuses : en quoi il se rapprochait du diplomate français qui, lui, ne se contentait pas des aspirations, mais après tous les désabusements de la politique, s'était reposé dans les certitudes de la foi. Est-il étonnant qu'au premier contact Montmorency se soit enflammé ? Alexandre parlait de la solidarité des couronnes, de la Sainte-Alliance. Quel ne serait pas la grandeur du dessein si cette Sainte-Alliance, devenant sainte vraiment au lieu de ne l'être que de nom, pouvait s'appeler cité de Dieu ! Ainsi pensait le chrétien fervent, l'homme au cœur magnanime qu'était Montmorency. Seulement, par ces pensées mêmes, ne déviait-il pas déjà du programme que s'était tracé le positif Villèle, insensible aux apparences, fussent-elles magnifiques, et concentré dans la conception, étroite jusqu'à être exclusive, de l'intérêt national ? Cette déviation, presque insensible aujourd'hui, n'irait-elle pas en se marquant davantage ? En rendant compte de sa seconde conversation avec le tsar, Montmorency laissait percer une extraordinaire ardeur de sympathie. Ce souverain, écrivait-il[3], a quelquefois, dans les entretiens, des moments d'une effusion éloquente et affectueuse sur les grandes idées de moralité appliquées à la politique, sur les avantages de ce système tout nouveau de bon accord et de sacrifices mutuels ; il descend ensuite à des manières si aimables d'abandon et d'obligeance personnelle qu'on a besoin pour se défendre d'émotion et même d'enthousiasme, de se rappeler certaines inconséquences de son cabinet qui malheureusement tiennent à une trop grande flexibilité ou même faiblesse de caractère cachée sous les apparences de la force.

 

V

Depuis la fin de l'été, Vérone se préparait pour le Congrès. On vit arriver les journalistes — peu nombreux encore, car le reportage n'était pas entré dans les mœurs, — puis les artistes dramatiques, appelés en ces lieux pour l'amusement des souverains. L'empereur d'Autriche fit son entrée le 15 octobre, un peu désabusé de toutes choses et se reposant sur Metternich, alors à l'apogée de son crédit. Le lendemain survint Alexandre, accompagné de ses conseillers Nesselrode et Pozzo di Borgo. En même temps que l'empereur d'Autriche était arrivé le roi de Prusse ; mais ennuyé de son rôle secondaire, il quittera bientôt Vérone pour Venise et voyagera en Italie où mourra à Gênes son chancelier M. de Hardenberg. A défaut de George IV, Wellington représentait l'Angleterre. A cette réunion de souverains, le roi de France manquait, mais on se montrait dans un faubourg de Vérone la petite maison où il avait vécu sous la Révolution, jusqu'à l'époque où le gouvernement de Venise l'avait chassé de la République. Parmi les plénipotentiaires français, Chateaubriand était arrivé le premier. Ambassadeur à Londres, il y avait, affirmait-il, réussi au delà de toute espérance et ne doutait point que son rôle au Congrès ne consacrât sa renommée d'homme d'État. Sa vanité, très en éveil, ne trouverait-elle point là-bas quelque occasion de se mortifier ? Vous êtes M. de Chateaubriand, lui dit un jour une princesse ; puis, comme exhumant de vagues souvenirs : N'est-ce pas vous, monsieur, qui avez fait des livres ? On ignore quelle fut la réponse. Cependant, au programme officiel du Congrès figurait le règlement des affaires d'Italie. Donc on vit arriver à Vérone — et accompagnés de leurs ministres — plusieurs des petits souverains qui se partageaient la péninsule. Quelques-uns de ces princes ou de leurs conseillers rappelaient de mémorables souvenirs : tel le cardinal Spins, jadis l'un des négociateurs du Concordat : telle surtout, l'ex-impératrice Marie-Louise. Elle était très gaie, a écrit d'elle Chateaubriand, et il ajoute : L'univers s'étant chargé du souvenir de Napoléon, elle n'avait plus la peine d'y songer[4].

Pendant ce temps, Montmorency, parti de Vienne, franchissait les dernières étapes qui le séparaient de Vérone. Chemin faisant, un peu de mauvaise humeur le travaillait. Bien qu'il eût pu pressentir avant son départ de Paris la prochaine élévation de Villèle, il n'avait pas lu, sans en être froissé, l'ordonnance royale qui conférait à son collègue la présidence du Conseil ; si humble chrétien qu'il fût, il se façonnait mal à l'idée que, lui Montmorency, lui pair de France, devint le subordonné du petit gentilhomme venu naguère de Toulouse et préposé aux Finances. Puis, dans les longues méditations de la route, il se pénétrait des chaleureuses suggestions d'Alexandre. Emporté par ces pensées, Montmorency cédait à des ardeurs qui contrastaient avec les temporisations de Villèle. Non, il ne se ferait pas à Vérone le rapporteur des affaires d'Espagne. Cependant le 9 octobre, en une lettre, datée d'Insprück, il traçait ces lignes[5] : Il est difficile ou plutôt impossible que je ne prenne pas le premier la parole dans la première conférence où sera traitée l'affaire d'Espagne. La nature même des choses semble l'exiger. C'est un devoir qui nous est imposé ; c'est en même temps un droit qu'on nous reconnaît de nous exprimer franchement sur notre situation actuelle vis-à-vis d'un pays qui nous touche de si près et nous intéresse si vivement.

Mathieu de Montmorency arriva le 19 octobre à Vérone et trouva bien vite celui qui le provoquerait à parler. Pour l'intervention la Russie était toute de feu, l'Angleterre toute de glace. Si l'on exceptait la Prusse qui ne comptait guère, restait l'Autriche. On m'interrogera, avait dit Montmorency. L'interrogateur serait Metternich.

Le plan général de Metternich était d'assurer la domination autrichienne en Italie et pour tout le reste d'assoupir l'immense foyer que la Révolution avait allumé. Pour cela, il faudrait surveiller toute initiative trop hardie des princes, décourager — fût-ce même au prix d'une répression sévère — toute effervescence des peuples, et engourdir toutes choses en un universel repos. Or, les événements de Madrid venaient bien malencontreusement déranger tout ce programme. Les troubles espagnols pourraient fournir à la Russie un prétexte pour s'immiscer dans les affaires de l'Europe méridionale, à l'Angleterre une tentation de se dégager de la Sainte-Alliance en se disant libérale, à la France une occasion de rentrer dans la grande politique en déployant son drapeau au delà des Pyrénées. En ces conjonctures, l'effort principal du gouvernement autrichien serait de prévenir tout accord trop intime — et par suite inquiétant entre la Russie et la France, de se maintenir lui-même en contact étroit avec l'Angleterre et de la prémunir contre toute complaisance révolutionnaire. On ferait tout pour éviter la guerre. Que si on ne pouvait l'empêcher, l'extrême habileté serait de transformer le rôle de la France, de façon à ce qu'elle n'intervînt que comme déléguée de la Sainte-Alliance. Elle serait, non le soldat qui combat à ses risques et se grandit, mais le gendarme qui est commandé pour une opération de police ou le pompier qui éteint un incendie.

Dès le 20 octobre au soir, une réunion tout intime se tint, à laquelle n'assistaient que les cinq ministres des grandes puissances. Metternich prit aussitôt la parole et s'adressant au représentant de la France : Quelles sont, lui dit-il, les vues de votre gouvernement sur l'affaire d'Espagne ? Mis de la sorte en demeure, Montmorency répondit en termes moins vagues que ne l'avait conseillé Villèle. Pour préciser ses propres idées, il les avait fixées par écrit : ce n'était pas, observait-il, une note, mais, pour employer sa propre expression, son dire. De ce document il donna lecture ; et ainsi commença-t-il à se livrer. Bientôt, s'avançant davantage et tout en protestant des intentions pacifiques de son gouvernement, il se hasarda à poser trois questions : 1° Dans le cas où la France se verrait forcée à rappeler de Madrid son ambassadeur, les autres puissances prendraient-elles une mesure semblable ? 2° Si la France était engagée dans la guerre, pourrait-elle compter sur le concours moral des grandes puissances et de quelle façon se traduirait ce concours moral ? 3° Quelle serait enfin l'intention des hautes puissances quant au fond ou à la forme du secours matériel qu'elles seraient disposées à donner à la France si celle-ci le demandait ?[6] — A cette communication, la Russie applaudit parce qu'on allait vers l'intervention, et l'Autriche parce que la France avait l'air de se lier. Puis Montmorency fut prié de donner copie de sa proposition et de sa note afin que celles-ci fussent soumises aux souverains. Il hésita d'abord, sentant bien qu'il s'engageait un peu trop, mais il finit par consentir.

La réponse tarda. On l'annonça pour le 23 octobre, puis pour le 24, enfin pour le 26. Cette journée s'écoula sans que rien n'arrivât. Pour justifier les délais, on invoqua la nécessité d'attendre les ordres des souverains. L'Autriche s'appliquait à calmer les ardeurs de la Russie et à vaincre la froide réserve de l'Angleterre. Quant à Montmorency, il ne laissait pas que d'être inquiet, et ce n'était pas sans embarras que le 25 octobre, en une lettre à Villèle, il se défendait d'avoir été le rapporteur de l'affaire d'Espagne. Cependant Wellington proposait à Montmorency la médiation de l'Angleterre entre la France et l'Espagne. Mais, répondait avec à-propos notre représentant, rien dans nos rapports avec l'Espagne n'appelle une médiation. Nous ne demandons que la paix.

Enfin la réponse des puissances arriva. On savait par avance celle de la Russie : J'adhère à ce que vous ferez, avait dit le 14 octobre le tsar à Montmorency. Tout à l'inverse, Wellington, se séparant nettement de la Russie, se prononçait pour la non-intervention. Quant à l'Autriche et la Prusse, elles se déclaraient disposées à rappeler de Madrid leur ambassadeur si la France rappelait le sien. Elles promettaient en cas de guerre leur appui moral. Pour l'appui matériel, elles se réservaient et estimaient qu'il y aurait lieu d'en délibérer plus tard si les circonstances l'exigeaient.

Les jours suivants, et comme pour confirmer l'accord de la Russie, de la France, de l'Autriche, de la Prusse, des notes séparées furent élaborées qu'on tint prêtes pour le jour où elles seraient envoyées au cabinet de Madrid. Elles exprimaient, quoique point tout à fait sous la même forme, la réprobation des puissances pour les désordres de l'Espagne et annonçaient le rappel des ambassadeurs si un ordre meilleur ne se substituait à l'anarchie présente. Cependant Montmorency qui, par son initiative, avait provoqué ces actes diplomatiques, sentait croître son trouble. N'avait-il pas dénaturé les intentions de son gouvernement ? N'avait-il pas trop lié la France aux puissances signataires de la Sainte-Alliance ? Bientôt deux lettres de M. de Villèle, l'une du 4, l'autre du 6 novembre, confirmèrent ses craintes. A travers les ménagements de langage, on y pouvait discerner une désapprobation très nette : Quoi que vous en disiez, lui mandait le président du conseil, vous vous êtes fait le rapporteur de cette affaire épineuse d'Espagne. Une appréhension surtout agitait Villèle, celle que la France parût avoir sollicité à Vérone une sorte de permission ou réclamé un secours éventuel, comme si l'entreprise était au-dessus des forces nationales.

Très peiné du blâme, un peu froissé aussi, Montmorency s'appliqua, non à ressaisir ses paroles, mais à ôter à son attitude tout aspect d'une sollicitation indigne de la France. Qu'il soit bien entendu, répétait-il, que ce n'est pas la France qui a fait appel aux puissances, mais que ce sont les puissances qui ont provoqué la France à s'expliquer. Puis il ajoutait que ses propres déclarations demeuraient subordonnées à la ratification du Roi.

Montmorency avait-il raison de s'affliger ou de se repentir ? Sans doute, il avait trop entremêlé les intérêts français et ceux des puissances. Mais, du moment où il figurait au Congrès, pouvait-il s'y cantonner dans une réserve absolue ? et s'il avait suivi à la lettre les suggestions de Villèle, ne se fût-il pas exposé à ce qu'on lui dît : Qu'êtes-vous venu faire à Vérone ? Au surplus si, par dégradations successives, il avait glissé hors de ses instructions, la faute elle-même aurait, à certains égards, des résultats heureux. Le 19 novembre, les trois puissances continentales consignèrent, sous la forme d'un protocole équivalent à un traité, toutes les circonstances dans lesquelles elles se considéreraient comme obligées à agir en commun avec la France. Ces circonstances ou — pour employer le langage diplomatique — ces casus fœderis seraient au nombre de trois : le cas d'une provocation ou d'une attaque à main armée de la part de l'Espagne, celui de la déchéance prononcée contre le roi d'Espagne ou d'un procès contre sa personne ou l'un des princes de sa famille, celui d'un acte portant atteinte aux droits de succession légitime dans la famille royale. Le protocole ajoutait que d'autres cas pourraient se présenter qui entraîneraient l'action commune et que, dans ces conjonctures, les ministres des hautes puissances accrédités à Paris seraient appelés à délibérer sur ces objets. Ainsi le plénipotentiaire français, en engageant son gouvernement pins qu'il ne convenait, avait, par compensation, obtenu des puissances qu'elles se liassent par des stipulations, éventuelles mais positives, à la France. Que celle-ci fût condamnée à intervenir, et nos troupes pourraient sans arrière-souci franchir les Pyrénées. Elles n'auraient à craindre des puissances continentales ni objections ni résistance et au contraire les sentiraient derrière elles ; en outre — et ce résultat était le plus précieux — cet accord paralyserait la mauvaise volonté de l'Angleterre qui, intimidée par le faisceau de l'alliance, serait réduite à une neutralité boudeuse et pourrait agir à côté de nous, parallèlement à nous, non contre nous. Là résidait, quelles que fussent ses déviations, le succès de Montmorency ; et ce fut avec ces garanties précieuses que, le 22 novembre, il quitta Vérone pour regagner Paris.

 

VI

A Paris, les deux derniers mois avaient été pour Villèle féconds en soucis. Il épiait avec anxiété les nouvelles d'Espagne. Son attention se portait surtout sur la région des Pyrénées, la plus voisine de nos frontières. Là-bas, une régence s'était formée à la Seu d'Urgel et qui s'était attribué, disait-elle, le pouvoir pendant la captivité du roi. Ses principaux membres étaient le marquis de Matta-Florida, l'archevêque de Tarragone, le baron d'Éroles. Mais pourrait-elle subsister ? Dans la Navarre et la Biscaye, les royalistes étaient refoulés. Ils ne tenaient plus que dans une partie de l'Aragon et en Catalogne. En ces lieux mêmes, ils étaient mis en échec par Mina, le chef de guérillas que la guerre de l'Indépendance avait rendu si fameux. Cependant à Madrid, les modérés luttaient contre la faction violente, celle des communeros, mais sans réussir à la vaincre ou à la maîtriser.

Plus les désordres s'aggravaient, plus apparaissait la nécessité de l'intervention ; et c'est de quoi Villèle se désolait. C'était avec un mélange d'impatience et d'inquiétude qu'il se prêtait aux mesures qui conduiraient à la guerre. Une épidémie qui régnait en Espagne l'avait amené à échelonner, sous le nom de cordon sanitaire, quelques troupes le long des Pyrénées ; ces effectifs fort accrus avaient été convertis en corps d'observation. Mais l'armée était-elle bien sûre, bien aguerrie contre les tentatives d'embauchage ? Et à cette pensée, le président du Conseil tremblait.

Ce fut en ces conjonctures qu'il reçut de Vérone les dépêches de Montmorency. On a dit le désaccord de vues entre le président du Conseil et le plénipotentiaire français. Une considération d'ordre intérieur accroissait .les craintes de Villèle. Il jugeait, non sans raison, que l'idée de la guerre était impopulaire. Pour la faire accepter il faudrait que la France apparût, agissant à son heure, de sa pleine initiative et en toute indépendance. Alors, à la vue de l'armée entrant en campagne, le sentiment national s'éveillant ferait peut-être taire les répugnances. Mais quel ne serait pas le discrédit pour le ministère, pour la dynastie elle-même, si les soldats français se montraient au delà des Pyrénées, camouflés en huissiers à verge de la Sainte-Alliance !

Cependant, de Vérone, d'autres lettres arrivent, celles de Chateaubriand. Au Congrès, Chateaubriand ne se console pas d'avoir un rôle subordonné : Je ne vaux rien en sous-ordre, écrira-t-il un peu plus tard ; et en une attitude un peu rogue, il se tient à l'écart de son supérieur hiérarchique qui lui-même ne fait rien pour l'attirer. En de longues dépêches à Villèle, il se dédommage. Combien son langage n'est-il pas différent de celui de son chef ! Montmorency rêve une sorte de guerre sainte pour l'affermissement de la légitimité, pour le meilleur service de Dieu ; et son mysticisme est encore réchauffé au contact d'un autre mysticisme, celui d'Alexandre. Chateaubriand pousse aussi à la guerre, mais à une guerre toute française rapidement résolue, rapidement conduite, rapidement terminée. C'est à vous de voir, mon cher ami, écrit-il à Villèle le 31 octobre, si vous ne devez pas saisir une occasion, peut-être unique, de replacer la France au rang des puissances militaires et de réhabiliter la cocarde blanche... Il ne s'agit pas de l'occupation de la péninsule, mais d'un mouvement rapide qui remettrait le pouvoir aux véritables Espagnols et vous épargnerait les soucis de l'avenir... Détruire un foyer de jacobinisme, rétablir un Bourbon sur le trône par les armes d'un Bourbon sont des résultats tels qu'ils l'emportent sur les considérations d'importance secondaire[7]. Villèle lit, relit, l'ardent message, mais demeure très froid. Le vague idéalisme de Montmorency lui a déplu. Maintenant il juge Chateaubriand bien imprudemment impulsif. Bien qu'il se sente de plus en plus acculé à l'intervention, il s'use à chercher un compromis, un arrangement, fût-il médiocre, qui ne sera pas la guerre.

A travers les soucis s'intercale un peu de joie. En cette fin d'automne 1822, eut lieu le renouvellement partiel de la Chambre des députés. Ce fut pour le gouvernement un triomphe. Sur 86 sièges, la gauche n'en obtint que 8 : Nous n'avons pu éviter Manuel et La Fayette, écrivait Villèle[8], mais nous n'avons plus Benjamin Constant.

Bon gré, mal gré, on était ramené vers l'affaire d'Espagne : C'est la diabolique question, disait Villèle. On ne sait vraiment par quel bout la prendre, ajoutait-il. Dans quelle mesure Montmorency s'était-il lié aux puissances ou avait-il tracé sa voie en dehors d'elles ? Bien qu'on eût reçu ses dépêches, on attendait sa venue pour être tout à fait fixé. Il arriva le 30 novembre à Paris.

 

VII

De Vérone, il rapportait à la fois un succès et une sujétion. Le succès — et très notable — c'était le protocole du 19 novembre en vertu duquel les trois grandes puissances continentales se rangeaient derrière la France et s'engageaient, non seulement à ne rien empêcher, mais à se transformer éventuellement en auxiliaires. La sujétion, c'était le lien de quasi-solidarité entre la France d'une part, et, de l'autre, la Russie, la Prusse, l'Autriche. Louis XVIII récompensa incontinent le succès ; et le 1er décembre, une ordonnance insérée au Moniteur conféra le titre de duc à Mathieu de Montmorency. L'extrême habileté serait, après avoir enregistré l'important avantage, de desserrer le lien de solidarité et surtout de le dissimuler aux yeux du public qui eût jugé incompréhensible et surtout humiliant que la France, victime en 1815 de la coalition, partît en guerre comme déléguée de cette même coalition.

Les conjonctures étaient délicates ; car il fallait authentiquer l'une des résolutions de Vérone et se dégager doucement de l'autre. Le gouvernement français imagina de demander que le départ des notes fût différé et que le rappel des ambassadeurs ne fût décidé qu'après entente avec lui. Telle fut la résolution adoptée le 5 décembre par le conseil des ministres. Ici se révélait la double pensée de Villèle : il voulait avant tout ménager les dernières chances de paix, et c'est pourquoi il- redoutait l'envoi simultané de notes comminatoires qui pourraient tout précipiter : que si la guerre s'imposait, il voulait que la France ne parût subordonnée à personne, et dans cet esprit il souhaitait que la question du rappel des ambassadeurs fût traitée et résolue à Paris. La proposition arriva à Vérone, au moment où le Congrès, ayant réglé les affaires italiennes et discuté diverses autres affaires, était sur le point de se séparer. La réponse des trois puissances fut qu'elles comprenaient fort bien que la France préférât attendre, mais que, quant à elles, elles  ne jugeaient pas opportun de retoucher leurs notes ou d'en différer l'envoi. Chateaubriand, demeuré à Vérone après le départ de Montmorency, fut chargé de notifier la résolution.

On était arrivé au moment décisif. Ici intervint le roi. Louis XVIII, assez disposé à s'abandonner pour le reste à ses ministres, jugeait que la diplomatie était fonction royale et que, dans les grandes circonstances, il avait, comme par vocation héréditaire, grâce d'état pour discerner l'intérêt national. Il a dans ses conseils deux hommes tout en contrastes, Montmorency et Villèle : le premier monte très haut au risque de s'égarer ; le second, pour mieux voir, rétrécit le champ de sa vision : celui-ci caresse le magnifique rêve chrétien d'une Europe unie pour la justice ; celui-là, tout positif, se contente de regarder la France. Ces deux conceptions risquent de s'entrechoquer, à moins qu'un arbitre souverain n'emprunte à chacune d'elles ce qui peut le mieux s'adapter au bien du pays. Cet arbitre, c'est le roi. D'un geste souverain il fait à chacun sa part. Montmorency a rempli sa tâche qui était de rallier l'Europe à la France ; de cette tâche accomplie il vient d'être récompensé par le titre de duc dont il n'a d'ailleurs pas besoin ; et le roi a engrangé le succès. Seulement l'œuvre exige une retouche : il faut éviter que l'accord avec les puissances prenne jamais un caractère de subordination ou d'asservissement. Et maintenant le roi recourt à Villèle. Chateaubriand vient d'apporter la réponse des puissances. Les ministres en délibèrent. Villèle combat l'idée d'une note simultanée ; car cette note, tombant à Madrid, pourrait imprimer un surcroît de violence à la révolution, et cela avant qu'aucune force étrangère ne puisse protéger ce qui reste là-bas d'ordre public et garantir la sécurité de Ferdinand ; puis la France, entrant en guerre sur la remise d'une note collective des puissances, semblerait l'instrument de ces mêmes puissances. Le président du Conseil n'est pas moins opposé au rappel des ambassadeurs avant que l'intervention soit prête, toute prête ; autrement, la Légation anglaise, demeurant seule, aurait trop beau jeu pour glisser sa main dans les affaires espagnoles. Qui s'exprime ainsi ? Villèle. Mais n'est-ce pas le roi qui parle par sa bouche ? — Cependant le 25 décembre, jour de Noël, un conseil très solennel se tient aux Tuileries. Soit souci de dignité, soit conviction, Montmorency se refuse à répudier les actes qu'il a, sauf la ratification royale, consentis à Vérone. Villèle reproduit les arguments qu'il a déjà développés. Louis XVIII prend alors la parole et pour parler comme Villèle. Avec beaucoup d'autorité il marque la condition spéciale de la France tenue, à raison de ses devoirs particuliers, à agir en toute indépendance : car elle est voisine de l'Espagne, liée à elle par les liens dynastiques, astreinte au devoir de mettre en garde le gouvernement espagnol contre le double péril de la révolution et de l'influence exclusive de l'Angleterre.

Sur ces paroles le conseil fut levé. Désormais la politique française apparaissait nettement sous son double aspect : accord général avec les États du continent : pleine indépendance d'action. Pouvait-on garder beaucoup d'illusions sur la paix ? Tout poussait à l'intervention. D'abord l'état de l'Espagne : la régence d'Urgel a succombé et ses membres demandent un asile à la France ; partout les violents l'emportent sur les modérés, et l'on peut appréhender les pires calamités si une force étrangère ne ramène l'ordre là-bas. A ces craintes s'ajoutent, en France même, les excitations des ultras, qui, par haine pour la révolution, par sollicitude pour Ferdinand, prêchent bruyamment Ventrée en campagne. Cependant Mathieu de Montmorency a donné sa démission, en haut gentilhomme qui trouve tout naturel d'entrer aux affaires, tout naturel aussi d'en sortir. Qui lui succède ? Chateaubriand, l'homme qui a écrit la dépêche enflammée du 31 octobre, l'homme qui souhaite la guerre, non comme Montmorency à la manière d'une croisade, mais comme une occasion de déployer le drapeau blanc.

Maintenant tout se précipite. On a décidé d'envoyer au gouvernement espagnol une note séparée. Elle est expédiée le 26 décembre et, contre les usages, parait le jour même dans le Moniteur. Dans la forme, elle est d'une modération remarquable ; mais elle finit par une menace : celle de l'entière rupture si le gouvernement espagnol ne se dégage des influences anarchiques qui pèsent sur lui. A Madrid le ministre des Affaires étrangères est San-Miguel. A une dépêche courtoise il répond par une dépêche, courtoise aussi. Mais aux griefs français il oppose ses propres griefs, et prenant l'offensive à son tour, réclame que le corps d'observation formé aux frontières des Pyrénées soit disloqué, que les menées factieuses des émigrés espagnols réfugiés en France soient réprimées. La réplique française est l'ordre à notre ambassadeur de quitter Madrid.

C'était la guerre. Il restait à la publier. La session législative devait s'ouvrir au Louvre le 28 janvier 1823. Le roi annonça dans son discours que cent mille Français étaient prêts à marcher pour conserver le trône d'Espagne à un petit-fils d'Henri IV, préserver ce beau royaume de la ruine et le réconcilier avec l'Europe. A ce langage l'extrême droite applaudit avec frénésie, et la droite avec une suffisante chaleur. Le roi, roulé dans son fauteuil, regagna les Tuileries, charmé de son discours, mais un peu troublé de sa propre politique, car plus que personne il eût souhaité la paix. Quant à Chateaubriand, il exultait. Soyons belliqueux puisqu'il le faut, répétait de son côté Villèle ; et il contemplait avec une résignation mélancolique le tableau de la rente qui, depuis un mois, avait baissé de 10 francs. Deux jours plus tard, l'ambassadeur français, M. de la Garde, qui avait soutenu autant qu'il l'avait pu, la politique de paix[9], quitta Madrid avec toute la légation.

 

VIII

A la nouvelle de la guerre, Alexandre se réjouit. A Vienne, à Berlin, on approuva, mais avec une arrière-pensée un peu soucieuse : on avait toléré à Vérone que la France sortît de sa torpeur ; elle s'était réveillée, mais trop, et apparaissait toute alerte, toute indépendante, libérée des traités de 1815 jusqu'à paraître les avoir oubliés. En ces conjonctures, la grande mécontente fut l'Angleterre.

Elle s'était séparée à Vérone des puissances continentales et s'était confinée dans l'abstention. En son isolement, elle s'était flattée du rôle de médiatrice entre la France et le gouvernement des Cortés. Comme à Paris, on ne réclamait point ses bons offices, elle les avait offerts, et s'était désolée que les Français feignissent de ne point entendre. Jusqu'à la fin elle avait espéré un recul. Canning dirigeait le Foreign-Office. Il avait connu Chateaubriand à Londres. En des lettres instantes, pleines d'objurgations et de prédictions pessimistes, il avait tenté de l'ébranler. Quand la politique d'intervention eut décidément prévalu, sa colère devint exaspération Vous avez, écrivait-il à Chateaubriand le 7 février, uni contre la France les opinions de tout notre peuple. Vous avez retourné contre le roi de France les sentiments qu'inspirait jadis l'Usurpateur. A défaut de titulaire, l'ambassade de France à Londres était gérée par un jeune chargé d'affaires, M. de Marcellus. Canning acheva de décharger sur lui sa mauvaise humeur : Jeune homme, lui dit-il d'un ton plus familier que diplomatique, vous allez entrer en Espagne ; mais savez-vous quand et comment vous en sortirez ? Dans Londres des caricatures circulaient, dérisoires ou insultantes pour les Français. Le langage de la presse n'était pas moins injurieux. Le 4 février, le Parlement se réunit, et, à la Chambre des Lords comme aux Communes, les discours furent presque aussi amers qu'étaient violents les articles des journaux. C'est que la politique française froissait à la fois l'Angleterre dans ses maximes traditionnelles et clans ses intérêts. L'Angleterre professait le principe de non-intervention : or, voici que nous intervenions en Espagne. Elle proclamait — non sans une forte part d'illusions ou de complaisance — que le gouvernement des Cortés représentait les institutions libérales auxquelles elle-même était attachée : or, nous partions en guerre contre ce même gouvernement des Cortés. Elle jugeait qu'ayant par ses armes sauvé le peuple espagnol, elle puisait dans ce souvenir une sorte de droit de patronage vis-à-vis de l'Espagne : or, à ce patronage d'origine nouvelle, nous substituions un patronage antique, celui que nous conférait l'acte de Louis XIV. Enfin l'Angleterre entretenait, fût-ce à l'état de visées encore mal précisées, l'espoir d'avantages commerciaux, soit en Espagne, soit dans les colonies espagnoles du Nouveau Monde ; or, nous arrivions en fâcheux, faisant évanouir le rêve. De là les ressentiments. Cependant la Grande-Bretagne ne participe activement aux affaires continentales que si un devoir primordial d'honneur ou de sécurité l'exige. Quand elle eut exhalé sa colère, elle se déclara neutre. Elle se prononça avec fureur, a écrit Chateaubriand, pour une neutralité forcée.

 

IX

Les mêmes reproches qui s'étaient formulés au Parlement britannique se reproduisirent, quelques jours plus tard, dans les Chambres françaises. L'opposition avait écouté, silencieuse, la harangue royale. Elle n'avait pas renoncé à son droit de critique. Elle l'exerça deux fois.

La première fois, ce fut dans les débats de l'Adresse, en réponse au discours de la Couronne. On entendit, entre autres orateurs, M. de Barante et le comte Daru au Luxembourg ; M. Duvergier de Hauranne et le général Sébastiani au Palais-Bourbon. A la Chambre des pairs, on crut, on feignit de croire qu'une espérance subsistait encore de conjurer la crise. Le roi avait proclamé que si la guerre était inévitable, il mettrait tous ses soins à en resserrer le cercle, à en restreindre la durée ; il avait pris l'engagement solennel qu'elle ne serait entreprise que-pour conquérir la paix que l'état de l'Espagne rendait impossible. Ce langage ne permettait-il pas une suprême insistance ? Dans cet esprit, l'un des pairs, M. de Ségur, imagina un amendement ainsi conçu : Nous sommes assurés que le plus vif désir de votre cœur paternel est d'éviter à votre peuple les calamités de la guerre. Cette rédaction, par son tour confiant et vague, par sa forme presque suppliante, était propre à rallier, non seulement les hostiles, mais les indécis, les scrupuleux, les craintifs. Elle réunit 53 voix contre 90. Et ce vote marqua les répugnances de ceux qui, à l'inverse des ultras, auraient jugé peu séant de se réjouir et se contentaient de se résigner.

Une occasion s'offrit bientôt de reprendre le débat avec plus d'ampleur. Le 10 février 1823, le ministre des Finances déposa à la Chambre des députés un projet ouvrant un crédit éventuel de 100 millions pour dépenses extraordinaires de l'année courante. Bien que le nom de l'Espagne ne fût point prononcé, la motion visait — et nul ne s'y méprit — les dépenses de l'expédition. La discussion s'ouvrit, non sur la question financière, — car le chiffre était modeste et devait encore être atténué par les excédents des années précédentes — mais presque uniquement sur la question politique. La Commission s'était montrée à l'unanimité favorable au crédit. Elle avait désigné pour être son organe, M. de Martignac. Comme celui-ci achevait son rapport, l'hostilité de la gauche éclata. Toute l'Europe se soulève contre la pensée de cette guerre, s'écria avec son ardeur ordinaire, Casimir Périer.

Cette véhémence révélait la surexcitation des esprits. Les jours suivants, on assista à l'une de ces grandes luttes oratoires qui passionnaient alors le public ; car elles gardaient tout l'attrait de la nouveauté. Royer-Collard rendit un hommage éclatant au roi qui avait recueilli dans la Charte tout ce que la Révolution contenait de principes salutaires. Partant de là, il présentait l'expédition espagnole comme le désaveu de cette sage politique : Jugez, continuait-il, l'entreprise elle-même. Si cette guerre que vous allez faire contre l'indépendance de la nation espagnole est juste, celle que nous fit l'étranger il y a trente ans, l'était donc aussi, et nous avons eu tort de battre les Autrichiens. Après le philosophe le soldat après Royer-Collard le général Foy. Celui-ci avait longtemps combattu dans la péninsule, et on l'écouta avec un redoublement d'attention comme on écoute celui qui a vu : Avant de subir la guerre, dit-il, je demande où elle nous conduira. Et il dépeignit ce que deviendrait, au milieu d'un immense territoire, l'armée française, harcelée de tous côtés par les guérillas. Ainsi parla-t-il sous l'empire de ses propres souvenirs, mais avec plus de véhémence que de justesse ; car le même parti qui nous avait combattus en 1808, était précisément celui qui nous appelait.

Ce qui fortifiait l'opposition, c'était la sympathie qu'elle sentait dans le pays. Agriculteurs, commerçants, industriels se dépitaient de leur tranquillité troublée. Les journaux dépensaient toute leur habileté à transformer l'intervention en une revanche des doctrines absolutistes. Puis dans la Chambre même, sur certains bancs du centre droit, on pouvait noter des silences qui semblaient presque encouragements pour l'opposition. Les ultras voulaient la guerre avec tant d'ardente furie que les modérés — fussent-ils chauds royalis-tes — ne pou-vient la vouloir autrement qu'avec tiédeur. Enfin le chef du gouvernement, Villèle, était, au fond de son âme, désolé de la paix interrompue ; et comme il ne savait pas feindre, il donnait beau jeu à ses adversaires pour exploiter sa façon mélancolique d'être belliqueux.

Ce qui affligeait le sage Villèle transportait Chateaubriand. Le 24 février, il parut à la tribune de la Chambre des députés. C'était la première fois qu'il y montait. Son discours, quoique lu, résonna avec un tel éclat qu'il eut le retentissement d'un coup de clairon. On sait, dit-il en substance, ce qu'a fait la Convention ; les Espagnols seront-ils plus sages que l'a été la France ? L'enjeu, c'est la sécurité de Ferdinand. On condamne l'intervention : mais n'avons-nous pas le droit d'intervenir quand la révolution sévit tout près de nous et menace de s'étendre sur notre propre territoire comme par contagion ? — Si nous n'intervenons pas, il faudra au moins garder une armée d'observation : si nous la maintenons longtemps, ne sera-ce point aussi onéreux que la guerre ? — On dit que nous sommes les instruments de la Sainte-Alliance : nous agissons de concert avec elle, mais de notre propre initiative. Nous avons un devoir : sauvegarder l'œuvre de Louis XIV ; notre frontière est ouverte au nord ; au moins qu'elle soit assurée au midi. — Ayant parlé de la sorte, Chateaubriand prit à son tour l'offensive : tous les révolutionnaires, dit-il, veulent la paix ; c'est qu'ils craignent d'être débusqués de leur dernier asile ; et tel qui dénonce nos périls craint plus nos succès que nos revers. En terminant, le ministre des Affaires étrangères revint à l'idée maîtresse qui l'obsédait : quelque chose manque peut-être à la fusion de la France ancienne et de la France nouvelle ; la réconciliation s'achèvera sous la tente.

Ainsi parla Chateaubriand, magnifiant toutes choses et ne pouvant se persuader que la guerre d'Espagne ne fût pas une très grande guerre puisque c'était sa guerre à lui. On a entendu l'avocat passionné, aussi entraînant en une simple lecture qu'aucun autre en une improvisation. Voici que nous touchons à l'incident qui, dans les souvenirs des contemporains, domina tout le reste, et jusqu'à la guerre elle-même.

Entre tous les députés de la gauche, Manuel tenait une place à part. On le haïssait, et il haïssait pareillement. De vrai, ce n'était pas un adversaire négligeable : il avait la clarté, le sang-froid, le trait cruel, et cette aisance singulière de l'homme étranger à tout souci de retenir ou de tempérer ses coups. Rien qu'en paraissant à la tribune il exaspérait ; et c'était de cette exaspération même que son éloquence s'alimentait. Ses discours se poursuivaient au milieu d'une double colère : colère bruyante de ses adversaires ; puis la sienne propre, toute rentrée et d'autant plus attentive à s'envelopper de froideur qu'il sentait que sa parole soulevait plus d'orages. Le surlendemain du jour où Chateaubriand avait parlé, il gravit la tribune. Les plus ardents bouillonnaient d'avance, et lui-même savourait par anticipation la volupté d'irriter. Villèle avait dit qu'il eût pu se rendre plus populaire en donnant sa démission. Manuel saisit le mot au bond. Par ces paroles, observa-t-il, le président du Conseil a lui-même reconnu l'impopularité de la guerre. Qu'est-ce, continua-t-il, que cette guerre qui a pout but de soustraire le pays à ce qu'on appelle la contagion morale ? Il ajouta : Le seul résultat de l'intervention, ce sera la contre-révolution... Vous vaincrez, je le veux bien ; mais un jour viendra où vous serez obligés de partir ; et alors comment empêcherez-vous un nouveau soulèvement ? — D'instant en instant les murmures croissaient et aussi chez l'orateur l'irrésistible attrait de les exciter. Vous voulez, dit-il, sauver les jours de Ferdinand. Eh bien ! ne renouvelez pas les circonstances qui ont traîné à l'échafaud ceux qui, en ce moment, nous inspirent un si vif intérêt. Avez-vous oublié que c'est parce que les puissances étaient venues en France que Louis XVI a été précipité ?... A ces mots l'orage qui couvait éclata. Les paroles qui suivirent achevèrent de déchaîner les fureurs. Ai-je besoin de dire que le moment où, en 1792, les dangers de la famille royale sont devenus les plus grands, c'est lorsque la France, la France révolutionnaire, a senti qu'elle avait besoin de se défendre par des forces et une énergie toutes nouvelles ?

Pour qui juge à distance, et surtout avec nos habitudes actuelles, ce langage, bien que volontairement provocant, n'a que la valeur d'une constatation historique et semble inconvenance plutôt qu'outrage. Tombant sur une assemblée déjà toute enfiévrée, il produisit une impression que nous ne comprenons pas, mais dont le témoignage des contemporains fait foi. Une tempête de protestations surgit, et de toutes parts on cria, avec toute l'intempérance de la colère, à l'apologie du régicide. En vain Manuel tenta-t-il de s'expliquer. Sa voix se perdit dans l'orage qu'il avait soulevé. On sait le reste : la proposition d'expulsion ; six jours de discussions exaspérées ; l'expulsion elle-même transformée, en vertu d'un amendement in extremis voté par la droite et le centre droit, en une simple exclusion jusqu'à la fin de la session[10] ; Manuel exclu arrivant à son banc en costume officiel, se cramponnant à sa place, résistant aux invitations des huissiers et aux prières des questeurs ; la garde nationale appelée ; un sous-officier du nom de Mercier refusant de porter la main sur un élu du peuple ; un colonel de gendarmerie appelé et accomplissant avec ses hommes l'œuvre de police ; les députés de la gauche faisant cortège à Manuel, et de toute la session ne reparaissant plus. On était alors dans toute la ferveur du régime représentatif. Qualifiant de coup d'État ce qui n'était que très coupable emportement, les libéraux, non blasés, se signèrent comme un dévot au récit d'un sacrilège. La démocratie a son étiquette comme les Cours, et dresse comme l'Église ses autels. Elle canonisa Manuel et du même coup béatifia Mercier, de sa profession paisible passementier, mais devenu l'homme à la désobéissance glorieuse. Qu'on ne se prenne pas à railler. De l'incident la royauté sortit plus meurtrie que d'une défaite. Toute une génération a vécu de ce récit, — transformé en manière de légende, — et de deux ou trois autres pareils. On pourrait tracer de la Restauration deux histoires. L'une, probe, sévère et sans grand éclat apparent, est celle de ses services accomplis au jour le jour, obscurément, sans réclame et même avec trop peu de réclame ; car nul gouvernement n'ignora davantage l'art de se faire valoir. L'autre histoire est celle qui s'est créée par l'image : Ney couché sous la fusillade, Hudson Lowe, le tombeau de Sainte-Hélène, les Quatre sergents immolés, surtout Manuel expulsé. Plus tard la collection s'enrichira de quelques autres lithographies très voyantes : Voltaire sorti de sa tombe et chassant les Jésuites ; des nuées de gros moines, tous armés d'éteignoirs ; Charles X, à l'époque du Jubilé, suivant, l'air hébété, les processions Ces grossières images, on les retrouvait encore, au temps de ma jeunesse, dans les cabarets de village, dans les chambres d'auberge, dans les cantines des villes de garnison. C'était l'histoire populaire des Bourbons, la seule qu'on savait, celle qui s'était si bien fixée dans les yeux, si bien enfoncée dans les cerveaux qu'aucune des catastrophes survenues plus tard ne réussirait à la faire oublier.

 

X

La négociation diplomatique avait été laborieuse et les débats parlementaires tumultueux. La guerre elle-même si toutefois l'entreprise mérite ce nom, — pourra en peu de pages être racontée.

Le cordon sanitaire, grossi par envois successifs, avait été converti en corps d'observation. Le corps d'observation, considérablement accru lui-même, devint l'armée d'opérations. La force totale approcha bientôt de 80.000 hommes. La désignation des chefs n'avait pas laissé que d'être malaisée. Il convenait de faire la part la plus large aux généraux de l'Empire ; mais parmi ceux-ci, quelques-uns étaient comme Macdonald de santé précaire, ou trop engagés dans l'opposition pour qu'on les employât ; d'autres avaient laissé en Espagne de si fâcheux souvenirs qu'il eût été inopportun de les y renvoyer. L'un des corps fut confié au maréchal Oudinot, un autre au général Molitor. Un corps spécial, destiné à opérer en Catalogne, fut placé sous les ordres du maréchal Moncey. Pour le commandement du corps de réserve, on nomma le général Bordesoulle, un autre soldat de l'Empire. Le chef d'état-major fut le général Guilleminot. Parmi les commandants de corps, un seul fut pris en dehors de l'ancienne armée, ce fut le prince de Hohenlohe, très mêlé jadis à l'émigration et passé depuis au service de la France. Cependant le commandement en chef avait été confié au duc d'Angoulême. Dans les cantonnements entre Bayonne et Toulouse, ce nom avait été accueilli d'abord avec un peu de dédain : c'était, disaient les vieux grognards, un général d'église. Être précédé d'un renom médiocre comporte parfois quelques avantages. Quand on vit le prince et surtout quand on le connut, l'impression fut d'autant meilleure qu'elle était plus inattendue. Il était actif, accessible à tous, ne ménageant point sa peine, bienveillant jusqu'à la coquetterie vis-à-vis des anciens serviteurs de l'Empire. Sans doute il ne serait jamais un entraîneur d'hommes ; mais il serait un chef sage, modeste, irréprochable de moralité et d'honneur ; en un mot, fait juste au point de l'expédition qu'il était appelé à conduire.

Dès le début de l'entreprise, on se heurta à un très grand embarras, et l'on eut à conjurer un très réel péril.

L'embarras fut celui de faire vivre l'armée. L'intendance avait rassemblé de grands approvisionnements, mais avait négligé d'assurer les transports. L'émoi fut extrême. Ajourner l'entrée en territoire espagnol, c'était peut-être compromettre une expédition qui vaudrait surtout par la célérité : d'un autre côté, franchir les Pyrénées sans avoir pourvu au ravitaillement des colonnes, c'était se livrer aux pires hasards. L'administration était aux abois, et le prince s'en prenait naturellement au ministre de la Guerre qui, naturellement aussi, s'en prenait à ses subordonnés. Où les médecins sont impuissants, les empiriques réussissent quelquefois. L'empirique s'offrit sous les traits du munitionnaire Ouvrard. C'était un de ces aventuriers de finance, à l'esprit plein de ressources, à l'imagination prodigieusement inventive, au flair presque génial, à l'âme inscrupuleuse, en un mot l'un de ces hommes que les gouvernements appellent dans 'les heures de crise et qu'ils mettent le plus souvent en prison quand le péril est passé. Ouvrard avait l'expérience des grandeurs, l'expérience de la prison aussi, ayant sous Napoléon connu l'une et l'autre fortune. Justement il rôdait autour du quartier général, et on le trouva d'autant plus aisément qu'il se plaçait sur la route où on le rencontrerait. Le duc d'Angoulême le reçut, un peu comme un fils de famille reçoit un juif en un jour de détresse. Dans l'entre-temps, Ouvrard avait interrogé les résidents espagnols, s'était enquis des provinces à traverser, de l'état des récoltes, des ressources qu'il pourrait réunir. Il éblouit aisément le prince ; n'avait-il pas ébloui Napoléon ? Dans la nuit du 5 au 6 avril, entre l'intendant en chef et le munitionnaire, un traité fut signé, à la fois dur et - sauveur. Ouvrard ou plutôt son prête-nom — car il était en faillite — était autorisé à puiser dans les magasins de l'État, moyennant un prix stipulé, tous les approvisionnements qui lui seraient nécessaires. Quant aux achats à faire en territoire espagnol, il devait être couvert des dépenses présumées de chaque mois jusqu'à concurrence des onze douzièmes dans les cinq premiers jours du mois commencé. A la nouvelle du contrat, il y eut deux mécontents le duc de Bellune, ministre de la Guerre, qui se révolta qu'on l'accusât d'incurie ; puis Villèle. Lui, l'homme de la comptabilité régulière, il ne pouvait se figurer cette convention bâclée ; en outre, il voyait l'argent de l'État coulant comme l'eau par une écluse ouverte et sans qu'il lui fût possible d'abaisser la vanne ; enfin, il ne demeurait pas sans inquiétude sur les comptes que demanderaient les Chambres, bien résolu qu'il était à couvrir son prince comme doit faire un sujet fidèle. Quant au duc d'Angoulême, tout glisserait sur lui, colères de Bellune, respectueuses remontrances de Villèle. Il avait le moyen d'entrer en Espagne ; et pour l'heure cela lui suffisait.

Y entrerait-il sans obstacle ? J'ai dit l'embarras. Voici maintenant le danger. Parmi les inculpés des complots militaires, beaucoup avaient réussi à passer à l'étranger. Un certain nombre d'entre eux résidaient dans le nord de l'Espagne et s'y trouvaient mêlés à quelques Italiens compromis dans les troubles de leur propre patrie. Les uns et les autres s'étaient naturellement rangés parmi les révolutionnaires en révolte contre Ferdinand. Dès le mois de janvier, une dépêche de notre consul à Barcelone avait signalé leurs agissements[11]. Quand ils surent que l'armée du duc d'Angoulême se préparait à franchir les Pyrénées, une grande excitation les souleva. Combattre deux Bourbons à la fois, ce serait vraiment trop de bonheur. De là, le dessein de provoquer les défections, au passage même de la frontière. — L'espoir eût été tout à fait chimérique si un travail correspondant ne se fût exercé dans l'armée envahissante. Or, en France même, sur les pas de nos soldats, les appels à l'indiscipline n'avaient point manqué. Aux gîtes d'étapes, des journaux, rapportant les débats des Chambres, se glissaient dans les cantonnements. Des feuilles manuscrites se répandaient qui invitaient à la désobéissance Parmi les modes de propagande, l'un des plus efficaces était les chansons : l'une d'elles, œuvre de Bérenger et intitulée le Nouvel ordre du jour, constituait un véritable appel à la désertion. Dans le même temps, au bureau des diligences, se pressaient des officiers en demi-solde, retenant leur place pour Bayonne. La police prit l'alarme : les perquisitions firent découvrir des caisses contenant des objets suspects ou des emblèmes factieux, armes, shakos ornés de l'aigle, drapeaux tricolores. Une intrigue, jamais bien éclaircie, et qui provoqua dans les sphères officielles un véritable imbroglio, tenta même de compromettre, par une expédition d'uniformes et de drapeaux à son adresse, l'un des officiers de l'état-major général, le lieutenant-colonel de Lostende. — Toutes ces menées, en propageant l'esprit d'indiscipline, ne faciliteraient-elles pas, au passage même de la frontière, une vaste tentative d'embauchage ? Ainsi pensèrent les réfugiés qui, en territoire espagnol, épiaient la marche de l'armée. Réfugiés français et italiens, au nombre de plus de cent, se rassemblèrent sur la rive gauche de la Bidassoa, le petit fleuve qui sépare l'Espagne de notre territoire, et que devait franchir l'armée française. C'était le 6 avril. L'avant-garde française parut. Les réfugiés — quelques-uns revêtus de l'uniforme — déployèrent le drapeau tricolore, entonnèrent la Marseillaise, crièrent les uns : Vive la République, les autres : Vive l'Empereur ! et d'une rive à l'autre, — car la distance était faible — exhortèrent par signes les soldats à fraterniser. Que fût-il advenu si, à la vue du drapeau aux trois couleurs, un seul des chefs avait hésité ? Le général Valin, commandant l'avant-garde, était un ancien combattant de Waterloo. Il s'inspira de son loyalisme et refoula ses souvenirs. Il avait une pièce de canon et ordonna de tirer. Vive l'artillerie, crièrent les réfugiés. Un premier coup demeura sans résultat. Un second coup, puis un troisième, abattirent quelques hommes. Les manifestants se dispersèrent. Parmi les Français du corps expéditionnaire, pas un signe d'ébranlement ou d'hésitation. A la veille d'entrer en campagne, l'esprit de fidélité militaire avait absorbé l'esprit de parti ; et tout danger était conjuré.

 

XI

Le 7 avril, l'armée franchit la Bidassoa et entra dans Irun. Le 16 avril, elle était à Vittoria où elle attendit ses renforts. Le 9 mai on atteignit Burgos. Pendant ce temps Molitor descendait la vallée de l'Èbre et marchait sur Saragosse, tandis que Moncey pénétrait en Catalogne.

Nul obstacle du côté des populations. Nous avions pour nous le peuple, le clergé, les moines. c'est-à-dire tous ceux qui, en 1808, s'étaient levés contre Napoléon. Les constitutionnels raisonnables nous accueillaient eux-mêmes sans trop de défaveur. C'est qu'ils craignaient par-dessus tout le triomphe des violents, de ceux qu'ils appelaient les communeros ; puis la parfaite discipline de l'armée et le langage du duc d'Angoulême les rassuraient.

Nulle sérieuse résistance militaire non plus. Ce n'était pas que le gouvernement constitutionnel ne se fût ingénié à organiser des armées. A ces armées il avait assigne des chefs : Mina pour la Catalogne ; Morillo, très modéré d'opinion, pour la Galice et la vieille Castille ; Ballesteros pour l'Aragon et le royaume de Valence ; le comte de l'Abisbal, un peu suspect à tous les partis, pour la Nouvelle-Castille et l'Estramadure ; le marquis de Villacampa enfin, pour l'Andalousie. Mais partout l'ennemi se dérobait : tel Ballesteros que poursuivait le général Molitor à travers l'Aragon. Cependant, même avant que les hostilités fussent commencées, les Cortés, entraînant moitié de force, moitié de gré, le roi Ferdinand, avaient transféré le siège du gouvernement à Séville. Et c'est ainsi que le 24 mai 1823 le duc d'Angoulême entra sans coup, férir dans Madrid.

 

XII

Cette marche, si aisée en apparence, ne se poursuivrait pourtant pas sans difficulté. La plus grande serait de souffler un peu de sagesse à ceux qu'on venait sauver.

Il apparut bientôt, en effet, que le prince aurait surtout à redouter, non ses ennemis, mais ses amis.

Il y avait, à côté de l'armée française, les corps royalistes ; et c'était un premier embarras. Il faudrait les payer ; car ils n'avaient pas d'argent. Il faudrait par surcroît les modérer ; car en eux bouillonnaient les passions des guerres civiles ; et tandis que nous n'ambitionnions que le rôle d'arbitre, ils ne méditaient que de se venger.

Il y avait aussi à contenir, en chaque ville où l'on entrait, le bas peuple assoiffé de réactions farouches. A Saragosse, après le départ des autorités constitutionnelles et avant l'arrivée de Molitor, toutes sortes de violences s'exercèrent sur les libéraux. A Madrid, le duc d'Angoulême fut salué par des acclamations ; mais sur divers points de la ville des clameurs inquiétantes s'élevaient : Vive l'inquisition ! Vive le roi absolu !

Avant de franchir les Pyrénées, le duc d'Angoulême avait annoncé par une proclamation que les provinces traversées par les troupes françaises seraient administrées au nom de Ferdinand par des autorités espagnoles. Ce langage était généreux et de plus semblait habile. Mais, du même coup, un autre embarras surgissait, celui d'organiser un pouvoir indigène qui fût en même temps régulier et raisonnable.

Le duc d'Angoulême avait, à son entrée en Espagne, désigné une Junte provisoire. Aussitôt les membres de la régence d'Urgel, se jugeant dépossédés, protestèrent ; et pour mettre fin à leurs entreprises, il fallut les interner — le plus poliment possible, recommandait le prince — dans les départements de la Gironde et du Lot-et-Garonne ; puis on songea à les appeler à Paris ; ce qui était, disait-on, le seul moyen qu'ils ne fissent pas de sottises en Espagne. — Cependant le commandant en chef, une fois arrivé à Madrid, décida de substituer à la Junte provisoire elle-même une autorité plus stable qui, sous le nom de Régence, gouvernerait jusqu'à la délivrance de Ferdinand. Toujours soucieux de ménager la fierté espagnole, il ne voulut pas procéder lui-même aux nominations, mais se confia pour ce soin à deux conseils, très puissants dans l'antique monarchie, le Conseil des Indes et le Conseil de Castille. Il ne se réserva que le droit de ratification. Les choix tombèrent sur le duc de l'Infantado, le duc de Montemar, l'évêque d'Ossuna, le baron d'Êrole, M. Calderon. On avait laissé entendre qu'ils étaient d'opinion modérée, qu'en particulier, le duc de l'Infantado, président de cette régence, était faible et d'humeur facile. Le prince fut bien vite désabusé. Comme il conseillait l'oubli du passé, ainsi qu'on l'avait pratiqué en France : On eût mieux fait de punir les coupables, lui répliqua brièvement le duc de l'Infantado. Comme il insistait sur les institutions constitutionnelles, les deux Chambres, les ministres responsables, le président de la Régence se contenta de répondre : Tout cela ne convient pas dans notre pays. Comme on parlait de convoquer une assemblée des grands d'Espagne : Je veux savoir, dit le duc de l'Infantado, avec qui je me trouverai ; car je ne veux pas me rencontrer avec ceux qui ont déshonoré leur titre.

Décidément ces messieurs sont tous des exclusifs, écrivait, dès le 2 juin, le duc d'Angoulême. Il ne se trompait pas ; et les actes répondirent aux paroles. Les Régents étaient d'ailleurs aussi âpres à réclamer des subsides qu'obstinés à mépriser les conseils : Ils sont, écrivait le duc d'Angoulême, hautains et entêtés même en demandant de l'argent. De l'argent, il en donnait, mais le moins possible : Je crains, disait-il, que ce soit des fonds bien mal employés. Le plus souvent il se renfermait chez lui et il en donnait la raison : J'évite de traiter avec ces messieurs parce que je me fâcherais.

Une extraordinaire revendication compliqua tous ces ennuis. Le roi de Naples était, si l'on exceptait les princes royaux retenus dans Séville, le parent le plus proche de Ferdinand VII. A ce titre, il réclama le Pouvoir souverain jusqu'à la délivrance du roi[12]. On eût été tenté de juger pure folie cette prétention. Ce qui obligea à la discuter sérieusement, ce fut le patronage que lui accorda l'Autriche. Certes M. de Metternich se résignait d'avance à l'insuccès. Mais, en s'associant à Vérone à notre politique, il n'avait pas renoncé à complaire à son intime amie, l'Angleterre ; et un procédé peu amical vis-à-vis de nous prenait vis-à-vis d'elle un air de coquetterie. Tel était le sens de l'encouragement accordé au roi des Deux-Siciles ; puis Metternich était trop pénétré du souvenir de la Sainte-Alliance pour voir sans un peu de dépit notre drapeau déployé loin de notre frontière ; et tout en restant ostensiblement notre allié, il ne résistait pas au plaisir de glisser doucement un petit obstacle sous nos pas.

En cette situation emmêlée, le duc d'Angoulême, — honnêtement obstiné et en sage écolier qui se transforme en maître, — s'appliquait à répéter de temps en temps ses leçons de droit constitutionnel. A ce jeu, il risquait de s'aliéner les royalistes sans conquérir les libéraux. C'est ce qu'insinuait, sous des formes respectueuses, le commissaire civil adjoint à l'armée, M. de Martignac, plus souple, plus habile, plus en rapports continus avec les autorités madrilènes. Cependant, pour fournir à la France un semblant de satisfaction, les Régents trouvèrent — ou l'on trouva pour eux — une ingénieuse échappatoire. Ils se refusaient aux institutions imitées de la France ou de l'Angleterre, mais jugeaient qu'il pourrait y avoir avantage à restaurer les anciennes Cortès. Il semble que la formule ait été répétée à Paris. Villèle, qui d'ailleurs ne connaissait pas plus les anciennes Cortés que les nouvelles, en fut tout à fait séduit et la recommanda fort. N'avait-il pas raison ? L'heureuse fortune du mot était, par son imprécision même, de se prêter à toutes les gloses. Anciennes Cortès ! le terme avait à la fois un sens archaïque et un sens moderne, l'un et l'autre également vague, l'un et l'autre propre à abriter les desseins des absolutistes en laissant aux libéraux l'espérance. Ce mot était vraiment trouvaille. C'est qu'il y a des heures — et l'on en était là en Espagne — où le seul moyen de marcher d'accord est de ne point s'expliquer.

 

XIII

Tandis que le duc d'Angoulême se consumait en son rôle de modérateur, deux colonnes françaises — la principale aux ordres du général Bordesoulle — marchaient vers Séville. Dans le même temps, le général Molitor continuait à poursuivre Ballesteros et le contraignait à se réfugier en la province de Valence. Le 15 juin, Bordesoulle entra dans Cordoue. Il n'était plus qu'à trente lieues de Séville.

Il n'y trouverait plus le gouvernement des Cortès. Celui-ci, se sentant débordé de tous côtés, avait pris la résolution d'entraîner le roi à Cadix et de s'y transporter avec lui. Ferdinand VII avait d'abord refusé de partir et avait même été déposé, puis s'était résigné à l'obéissance. Le 14 juin, il était arrivé dans Cadix. En récompense de sa soumission, on l'avait affublé de nouveau des attributs de la souveraineté ; et une députation était même venue solennellement pour le féliciter sur l'heureuse issue de son voyage.

Le transfèrement à Cadix fut connu à Madrid le 17 juin, à Paris le 19 au soir[13]. A Madrid quand on sut que les Cortès avaient osé — fût-ce provisoirement — déposer Ferdinand, l'exaspération des royalistes ne connut plus de bornes. La régence déclara coupable de lèse-majesté les députés qui avaient voté la suspension de l'autorité royale. Des arrestations de suspects furent opérées en masse dans la capitale et plus encore dans les provinces. Vainement on eût essayé de tempérer les rigueurs. Plus s'accentuait la violence, plus le bas peuple applaudissait ; car là-bas, c'était lui qui criait surtout : Vive le roi absolu ! en sorte que la réaction prenait les formes brutales de la démagogie.

A Paris, deux hommes suivaient surtout avec sollicitude les affaires d'Espagne : Villèle, Chateaubriand. Pour arracher Ferdinand à ses périls, chacun d'eux avait sa solution. Villèle, en ses lettres au duc d'Angoulême, suggérait le dessein de délivrer le roi, soit par le paiement d'une rançon, soit par évasion. On assurerait, disait-il, toute sécurité, soit dans notre armée, soit sur nos vaisseaux, à ceux qui se seraient compromis pour cet objet. Toute négociation, à cet effet, avec les Cortès serait dangereuse et humiliante. Mais on pourrait, ajoutait Villèle, donner suite aux propositions qui seraient faites par les généraux pour délivrer le roi ou livrer la place. On peut leur payer en argent, continuait-il, le prix qu'ils voudraient[14]. — Tandis que Villèle caressait ce plan, Chateaubriand, en une dépêche enflammée, stimulait l'activité du major-général Guilleminot, traçait le rôle que pourrait remplir la marine, s'attachait surtout à l'idée qu'on bombardât Cadix. Il y aurait bien, observait-il, le danger qu'une des bombes atteignît Ferdinand ; mais à l'accident il se résignait avec une impassibilité remarquable : En temps de guerre, disait-il, un roi n'est plus qu'un soldat. Revenant à l'attaque par terre, il ajoutait : Je vois qu'on dit à Bordesoulle d'aller doucement et cela me désole... Il faut arriver brusquement devant Cadix avant que ces gens-là aient eu le temps de regarder autour d'eux... Tout peut être emporté en un tour de main... Votre gloire, général, et votre avenir sont là[15].

A l'heure où Chateaubriand traçait ces lignes, Bordesoulle, venant de Cordoue, achevait sa marche vers le sud. A la fin de juin, il était établi autour de la petite ville de Port-Sainte-Marie située à l'extrémité nord de la baie de Cadix. Du côté opposé, à la pointe extrême d'une très mince langue de terre, apparaissait, tout émergeant des flots, la ville même de Cadix.

Pouvait-on, comme l'imaginait Chateaubriand, tout emporter en un tour de main ? On touchait à l'acte décisif de la campagne, le seul qui aurait, au point de vue militaire, une réelle importance. Si une attaque trop brusquée était suivie d'échec, quel ne serait pas le dommage ! Il fallait avant tout rassembler les renforts, réunir le matériel, s'assurer s'il était possible le concours de la marine, et de la sorte se prémunir contre tout risque.

A ces soins furent employées les semaines suivantes. Ce ne fut que le 28 juillet que le duc d'Angoulême quitta Madrid pour présider à l'attaque contre Cadix. Il partit pleinement rassuré, du moins au point de vue militaire, sur l'état du reste de l'Espagne. — Dans le nord-ouest, Morillo venait de faire sa soumission. Quelques places fortes tenaient encore : telles la Corogne en Galice, Pampelune en Navarre, mais il suffisait de les bloquer. — Au sud-est, la situation de Ballesteros, toujours poursuivi par Molitor, était désespérée. Le jour même où le duc d'Angoulême quitta Madrid, il tenta une dernière fois la fortune à Campillo de Arenas, moins pour le succès que pour l'honneur. Il fut battu après un combat assez vif et qui, avec un peu de complaisance, eût pu être considéré comme une bataille. Six jours plus tard, il se rendit comme Morillo aux autorités françaises. — De la Catalogne seule les rapports étaient un peu moins favorables : En cette province Mina tenait bon, mais sans qu'il pût élargir sensiblement le foyer où il avait concentré la résistance.

Cette condition des choses permettait que tous les efforts se concentrassent sur Cadix. Ici se place un incident qui mérite d'être rapporté tant il a ému les contemporains.

Souvent les miliciens de l'armée constitutionnelle, mis en liberté à la suite des capitulations avec la France, étaient, à leur retour dans leurs foyers, molestés ou emprisonnés. Quelques-uns d'entre eux ayant été à Burgos arbitrairement arrêtés, le commandant français de cette place avait réclamé leur élargissement et, faute de l'obtenir, avait, par un procédé non moins arbitraire, forcé les portes de la prison. De là des réclamations très vives de la part de la Régence, et une demande presque insolente de réparation. Cette protestation fut transmise au duc d'Angoulême alors en route vers Cadix. C'était le 8 août. Le prince, très bon à l'ordinaire, était sujet à des transports de colère qu'il ne maîtrisait pas. Incontinent et sous le coup de l'exaspération, il rendit une ordonnance connue, à raison du lieu d'où elle fut datée, sous le nom d'ordonnance d'Andujar. Par cet acte, il interdisait aux autorités espagnoles toute arrestation en dehors de l'autorité française ; puis il prescrivait l'élargissement de tous les miliciens qui avaient déposé les armes. A Madrid, la Régence s'indigna, sans que les constitutionnels fussent ramenés. A Paris, l'opposition applaudit, tout en jugeant que le prince avait, une façon bien autoritaire d'être libéral. Quant aux ultras, le respect contint à peine leur réprobation. Mon fils est vif, dit en manière d'excuses le comte d'Artois, mais il revient vite. En effet, le duc d'Angoulême se calma, avoua même qu'il pouvait s'être trompé, nul, disait-il, n'étant infaillible. Pour atténuer les mutuels ressentiments, il fut convenu que le maréchal Oudinot qui commandait à Madrid ne ferait pas afficher l'ordonnance, que de son côté la Régence retirerait sa protestation. Puis l'ordonnance elle-même fut retouchée et adoucie. Ce fut au milieu de ces rumeurs mal apaisées que le prince, rejoignant le général Bordesoulle, atteignit le 16 août la petite ville de Port-Sainte-Marie.

 

XIV

En face était Cadix. Là était enfermé Ferdinand. Là étaient rassemblés les plus ardents parmi les membres des Cortés, les chefs les plus compromis dans la révolution, les miliciens les plus résolus. Le gouverneur de la place était l'amiral Valdez, le même qui avait assumé la régence pendant la courte déposition du roi.

Le général Bordesoulle avait repoussé avec succès une attaque de l'ennemi. Mais la position ne laissait pas que d'être malaisée à emporter. Non bloquée par mer, la place avait pu s'approvisionner. Puis elle était défendue par divers ouvrages. Le principal était un fort, appelé fort du Trocadéro. Ce fort était situé sur un promontoire avancé qui dominait à la fois la baie et le fond du port ; d était protégé en outre par une large coupure ouverte à la mer. Ce serait cet ouvrage qu'il faudrait avant tout conquérir.

Dès le lendemain de son arrivée, le duc d'Angoulême somma la place de se rendre et de libérer Ferdinand. La sommation, rédigée par avance à Paris, fut adressée, non aux autorités constitutionnelles, mais au roi lui-même. Ce fut le roi qui répondit, ses geôliers conduisant sa plume. Il ne se croyait pas, disait-il, captif du tout et faisait retomber la responsabilité de tous les maux sur les envahisseurs de l'Espagne. Cette lettre, écrivait quelques jours plus tard Chateaubriand, est un insigne monument de la servitude du roi. Et il ajoutait : Nous ne voulons pas la publier pour l'honneur des monarchies[16].

Ce fut le 22 août que le message arriva à Port-Sainte-Marie. Il ne restait plus qu'à combattre. Le Trocadéro, dont la possession nous rendrait maîtres de la baie de Cadix, ne pouvait être enlevé de vive force. On décida de procéder par siège régulier et d'ouvrir la tranchée. Ainsi s'approcha-t-on de la coupure. Le 30, les batteries entamèrent contre la place une violente canonnade. Cependant ce n'était qu'à marée basse que le canal pouvait être franchi. Le 31, vers deux heures du matin, comme la mer s'était retirée, les colonnes d'attaque se formèrent en un profond silence. Puis les assaillants, ayant de l'eau jusqu'aux aisselles, franchirent la coupure.

Avec un remarquable entrain, ils abordèrent à la baïonnette les positions espagnoles et prirent possession de la forteresse. L'action n'avait point duré une heure. A neuf heures, tous les ouvrages environnants étaient entre nos mains. Notre perte était d'une quarantaine de tués, d'une centaine de blessés. Du côté de l'ennemi, quatre cent cinquante hommes environ étaient hors de combat. Le reste de la garnison s'était sauvé dans les barques ou avait été fait prisonnier[17]. C'est, je crois, l'opération la plus vigoureuse de la guerre, écrivait le duc d'Angoulême à son père le comte d'Artois. L'hommage était mérité ; car le succès faisait honneur à l'intrépidité des troupes et à la sagesse du commandement.

Si importante que fût la prise du Trocadéro, elle n'assura pas l'immédiate reddition de Cadix. Ce n'était pas qu'aucun espoir demeurât aux assiégés. Mais leur grand souci était d'obtenir des sûretés contre les vengeances de Ferdinand délivré. Aux propositions d'accommodements, le duc d'Angoulême, humain par-dessus tout, répondait qu'il était disposé à conseiller une amnistie, mais qu'il fallait tout d'abord que le roi fût mis en liberté et arrivât à Sainte-Marie au milieu de l'armée française. Ce langage ne calmait qu'à demi les chefs constitutionnels. Ce qui les tourmente, écrivait le 3 septembre le duc d'Angoulême, c'est l'article des garanties, parce 'qu'ils disent qu'il n'y a rien de plus faux que le roi et que, malgré toutes les promesses, il serait capable de les faire tous pendre. Pendant un mois encore, les opérations se poursuivirent quoique sans aucune incertitude sur l'issue. Tout démontrait l'inutilité de la résistance. Autour de la baie, plus de trente mille hommes étaient rassemblés. Après de longs retards et quelques à-coups, notre marine était entrée en action. Du reste de l'Espagne, des bulletins arrivaient, presque tous favorables. Seul, Mina luttait encore dans la Catalogne. En ces conjonctures, qui eût pu douter du prochain et complet succès ? Le 20 septembre, le fort du Santi-Petri fut emporté. Dix jours plus tard, les défenseurs de la place se décidèrent à se rendre et à livrer Ferdinand.

C'était le 30 septembre. Le lendemain fut marqué par l'un de ces subits ressauts de fortune qui sont l'une des surprises de l'histoire. Dans le port de Cadix, une chaloupe attendait, ornée de drapeaux, de guirlandes et de fleurs. Le roi y descendit, accompagné de la reine, des infants, des infantes. Au gouvernail l'amiral Valdez prit place, naguère régent pendant la suspension du souverain et maintenant déguisé en sujet fidèle. A Cadix, Ferdinand VII avait complaisamment parlé d'oubli, de clémence, de réformes ; et la sécurité eût été permise, si l'on n'eût appris par expérience que ce que le prince savait le mieux, c'était mentir. Sur les eaux calmes de la baie et sous un soleil radieux, l'embarcation s'avança. Sur le littoral opposé, c'est-à-dire à Port-Sainte-Marie, se trouvait le duc d'Angoulême, entouré de son état-major. Comme la chaloupe atteignait la terre, le monarque jeta, dit-on, sur Valdez un regard sinistre, regard du prisonnier libéré, bien résolu à se souvenir. L'étiquette voulait que les deux princes s'embrassassent ; ainsi firent-ils. Le long du rivage, des gens du bas peuple, ouvriers, pêcheurs, mendiants, stationnaient, fiers autant que déguenillés et acclamant celui qui leur était rendu. Pendant ce temps, sur la chaloupe, Valdez s'éloignait à toute vitesse, sentant bien que l'exil seul le sauverait. — A Port-Sainte-Marie, la journée se passa en congratulations, en fêtes, et sans que le duc d'Angoulême pût glisser les avis que sa sagesse l'invitait à suggérer. Le lendemain, un Te Deum et de nouvelles réceptions absorbèrent la matinée. Le roi devait à quatre heures partir pour Xérès. Le prince saisit les courts instants qui restaient. Il était gauche et assez médiocre à l'ordinaire, mais savait être persuasif quand sa haute et chrétienne conscience lui commandait de parler. Il alla chez le roi, l'engagea à étendre le plus possible l'amnistie, à donner des sécurités pour l'avenir, à formuler des déclarations tranquillisantes. Il fit aussi allusion aux colonies révoltées de l'Amérique et exprima l'avis qu'on envoyât là-bas l'un des infants. Le roi écouta distraitement : Je verrai, dit-il, je verrai. En ce moment, autour du logis royal, quelques hommes — quatre pelés et quatre tondus, dit le duc en une lettre à Villèle — se mirent à crier : Vive le roi absolu !Vous voyez bien, dit Ferdinand, quelle est la volonté du peuple. — Que Votre Majesté, reprit le duc, ne s'expose pas à ce que les événements de 1820 se renouvellent. Le roi s'éloigna, avide d'échapper à celui qui n'était plus qu'un importun. J'ai la conscience déchargée, écrivait le jour même le prince[18] ; je ne dirai plus rien, mais je vous certifie que toutes les sottises qui peuvent être faites le seront.

On vit alors une chose singulière, c'est-à-dire la France employant tous ses efforts à protéger ceux qu'elle avait combattus contre les vengeances de celui qu'elle avait délivré. Les navires français recueillirent à leur bord plusieurs des hommes qui, comme Valdez, s'étaient le plus compromis dans la défense de Cadix. Une protection non moins efficace s'étendit à Ballesteros, à Morillo. Mina qui fit le dernier sa soumission réussit à gagner l'Angleterre ; en quoi il fit preuve de prudence ; car il avait commis bien des excès, et un châtiment rigoureux n'eût été que légitime. Le patronage français s'étendit au général Vigo, bien que, si nous en croyons l'ambassadeur de France M. de Talaru, il en fût peu digne[19]. Quant à Riego, il avait été capturé par les Espagnols ; l'autorité française ne le revendiqua point ; car il s'était rendu odieux par les plus criminels excès. Il fut pendu le 7 novembre.

Le duc d'Angoulême n'avait plus qu'une pensée, liquider au plus vite l'entreprise. On décida qu'une grande partie de l'armée serait de suite rapatriée : 37 ou 38.000 hommes demeureraient en Espagne jusqu'à l'entière consolidation de l'ordre. Ferdinand conféra au duc le titre de prince du Trocadéro : Je lui ai répondu très poliment, écrivit celui-ci à Villèle, mais par un refus formel. Il ajoutait avec une belle fierté : Un fils de France est au-dessus de cela, et jamais je n'accepterai rien d'un souverain étranger... C'est peu connaître les convenances, continuait-il ; mais comme je lui passerais tout cela s'il voulait bien gouverner son royaume ! C'est en cette disposition désabusée que le prince quitta Madrid. Le 24 novembre, il était à Bayonne. Il eût souhaité qu'aux étapes de la route, aucun honneur ne lui fût rendu. Il eût désiré surtout qu'au retour à Paris, on s'abstînt de lui ménager la réception grandiose qui est réservée aux chefs des armées victorieuses. Son vœu ne fut point exaucé ; et à la pensée d'une entrée solennelle où il se montrerait aux Parisiens, il fut ressaisi de la timidité gauche et maussade qu'il avait dépouillée en tenue de campagne, au milieu des soldats. Aux préparatifs de la fête se mêlaient les flatteries des courtisans. Entre toutes les adulations, la plus ridicule était de dire que le duc d'Angoulême avait réussi là où Napoléon avait échoué. Le pauvre prince s'exaspérait de ces extravagances et ne se consolait point de n'avoir échappé aux sottises que Ferdinand faisait en Espagne que pour retrouver d'autres sottises qui se disaient à Paris. Le 2 décembre fut le jour de la grande fête militaire. Avec une docilité obéissante, le prince se résigna à figurer en triomphateur. Mais au moment de monter à cheval, il ne put se défendre de dire à l'un des officiers de son état-major : Quelle Don Quichotterie on nous fait faire aujourd'hui !

 

XV

Je me hâte, de peur de paraître développer les raisons qu'il y aurait eu de ne point entreprendre l'expédition d'Espagne.

Tel n'est pourtant point mon dessein. Notre faiblesse, ce fut l'indignité de notre protégé. Seulement on ne doit point oublier que, sir nous sommes intervenus, ce fut moins pour Ferdinand que pour la sauvegarde des intérêts français.

Depuis deux ans, l'Espagne était livrée à la révolution. Ce n'était pas que, parmi les adversaires de Ferdinand VII, on ne rencontrât beaucoup d'hommes aux intentions droites ; mais ils étaient débordés. Le pire, c'était que les révolutionnaires espagnols fournissaient à l'envi des modèles aux révolutionnaires français. On a raconté les séditions militaires à Belfort, à Saumur, ailleurs encore. Or, quels noms tentateurs, à évoquer que ceux de Riego, de Quiroga, des autres généraux rebelles ! Parmi les conspirateurs français, plusieurs s'étaient réfugiés en Navarre, en Catalogne. Pour se perfectionner dans l'art des complots, l'Espagne leur offrait une merveilleuse école d'application. Une fois leur éducation complétée, ne seraient-ils pas tentés de répéter dans leur patrie ce qu'ils avaient appris de l'autre côté des Pyrénées ?

Le gouvernement français se refusa — eut-il tout à fait tort ? — à laisser grossir à ses portes un tel foyer de révolte. Les hommes d'État d'alors, qui étaient en général lettrés, connaissaient le vers fameux :

Mea res agitur paries quum proximus ardet.

Et ils estimèrent que, quand la demeure voisine, l'Espagne, était en flammes, ils avaient le droit d'aller éteindre là-bas l'incendie, avant que celui-ci ne gagnât leur propre demeure, la France.

De là l'intervention. Ce fut moins une guerre qu'une vaste opération de police. On remarquera avec quelle prudence l'entreprise fut conduite. , Utilisant à la fois Montmorency et Villèle, le roi se servit du premier pour s'assurer l'Europe et du second pour dégager l'indépendance de la France. Le même esprit avisé inspira la désignation des chefs militaires. Après les incidents de la Bidassoa, une enquête, même non poussée à fond, eût sans doute révélé, à la charge de certains officiers, des intelligences avec les rebelles qui avaient tenté d'embaucher nos soldats ; le duc d'Angoulême se garda de toutes recherches et, avec une générosité habile, estima que tous les mauvais ferments s'élimineraient dans les diversions de la vie en campagne. En politique, le prince pratiqua la même sagesse et, en des efforts méritoires quoique rarement couronnés de succès, s'ingénia à n'être que le serviteur de la justice. En route, les troupes donnèrent partout le bon exemple, s'abstenant de maraude, et déployant même, en de longues marches sous la chaleur, une extrême endurance : tel se montra surtout le corps de Molitor, lancé à la poursuite de Ballesteros depuis les rives de l'Èbre jusqu'à l'extrémité méridionale de la péninsule. Nulle opération de grande envergure ; et Chateaubriand seul a pu se persuader, avec ses grossissements de poète, et de poète vaniteux, que la guerre d'Espagne eut un air d'épopée. Mais l'expédition elle-même prouva que notre armée n'avait rien perdu de sa cohésion, de sa solidité, de sa discipline. Cela même constituait un succès moral non négligeable. Anglais, Prussiens, Autrichiens, tous un peu jaloux quoique sous des formes et à des degrés divers, jugèrent que nous nous étions guéris un peu trop vite ; et de ce petit dépit nous pûmes nous réjouir comme d'une preuve de nos forces réparées.

Je n'ignore pas que le langage tenu en ce temps-là dans les Chambres ou dans les discours officiels déconcerte nos idées modernes. A prendre les paroles dans leur sens littéral, on dirait qu'un intérêt dynastique a été le mobile presque unique de notre politique. Il faut ici restituer aux mots leur véritable sens. Où nous écrivons nationalisme, nos pères écrivaient royalisme. A travers les expressions différentes, le même souci dominait en eux, celui de la sécurité française. S'ils poursuivaient la délivrance de Ferdinand, c'était que ce prince, même médiocre ou indigne, figurait en lui l'œuvre de Louis XIV maintenue et perpétuée. A l'Espagne enchaînée à l'Autriche, Louis XIV avait substitué une Espagne liée à la France. Désormais entre Paris et Madrid plus d'antagonisme, mais au contraire, au delà des Pyrénées, un roi Bourbon, habitué par tradition de race à regarder vers la France et à incliner vers elle ses sujets eux-mêmes ; dans Madrid des princes peu ambitieux, se jugeant assez haut placés pour n'avoir plus rien à revendiquer ou à conquérir, disposés à s'endormir en une vie inactive, à la condition que les splendeurs de la cour et les pompes de l'étiquette masquassent de décorum toute cette indolence. Après les visées de Charles-Quint, après les coalitions du dix-septième siècle, quel n'était pas le bienfait d'un tel voisinage ! Quel n'était pas, en cas de conflit avec l'Europe, l'avantage inappréciable de notre frontière méridionale assurée ! De là l'opportunité de soutenir le trône d'Espagne, non pour l'Espagne, mais pour la France.

Cette opportunité apparaîtra plus visible encore si l'on mesure les conséquences éventuelles que notre abstention eût peut-être entraînées. Si sujette à l'erreur que soit l'histoire conjecturale, ne peut-on pas imaginer, en contraste avec notre effacement, d'autres interventions s'exerçant en dehors de nous et contre nous ? La puissance dangereuse n'est pas l'Autriche, bien que, dans la dépêche où elle a annoncé le rappel de son ambassadeur à Madrid, elle ait, non sans affectation, évoqué le nom de Charles-Quint et le souvenir de l'alliance intime entre l'Empire et l'Espagne. Ce n'est pas encore la Prusse, toute recueillie dans la secrète préparation de sa future grandeur. Mais une autre puissance, l'Angleterre, tout en proclamant la non-intervention, n'aurait-elle pas réussi à mettre doucement la main dans les affaires espagnoles ? Elle pouvait, pour glisser ses conseils, s'autoriser de la longue lutte soutenue jadis par elle pour l'indépendance de la péninsule. A ses diplomates ne manquait ni l'habileté ni la persévérance. Tandis que nous nous réduisions au rôle d'impassibles témoins, n'auraient-ils pas, par un patient et subtil travail, réussi à gagner la confiance du gouvernement constitutionnel, puis de proche en proche insinué l'utilité et enfin fixé le prix de la protection anglaise ? L'Angleterre est à Gibraltar. N'y a-t-il pas à sa convenance quelque autre point sur la côte ? Il y a aussi les avantages commerciaux à obtenir. Il y a enfin l'immixtion progressive qui se dissimule, opère sans bruit, se traduit par des traités secrets où, sous l'apparence de l'amitié, se cache le vasselage. Quelles autres combinaisons n'auraient point pu naître qui eussent relevé la barrière des Pyrénées jadis abaissée par Louis XIV !

Sur l'heure, l'expédition d'Espagne écarta le danger. Quarante-sept ans plus tard le péril renaîtra. Ce sera en 1870. Plus de Bourbons en France, plus de Bourbons non plus en Espagne : plus de traces de cette alliance de famille dont on a pu justement médire, mais qui comportait bien quelques avantages : au contraire des vues aventureuses, incohérentes, qui se libèrent du passé pour poursuivre un décevant avenir : en ces conjonctures la Prusse aux aguets, tenant en réserve son candidat et brusquant l'occasion d'encercler la France. C'est alors que la France se retourne, par instinct de salut, vers la vieille politique, jugée désuète ou abandonnée, et au point de braver pour la soutenir, la Prusse toute-puissante. Mais ce réveil subit, cette patriotique angoisse, n'est-ce pas la justification de cette sage politique royale qui, poursuivie à petits risques il y a un siècle, en une expédition opportune et facile, s'appliqua, en assurant notre frontière méridionale, à maintenir intact ce que le traité d'Utrecht nous avait conféré ?

 

XVI

La guerre d'Espagne avait entraîné Villèle hors de sa voie. Ses soucis d'homme d'État n'allaient pas jusqu'à le distraire de son département ministériel. Grand financier, il ne l'était ni par l'esprit d'invention, ni par la rapidité de coup d'œil, ni par l'audace ; et il est douteux, qu'en de suprêmes embarras, il eût su découvrir et appliquer les moyens sauveurs. Mais s'il n'était pas de ceux qui dominent les crises, il était de ceux qui par leur prudence au jour le jour les empêchent d'éclater. Ses ressorts étaient simples : une bonne politique génératrice de confiance, une économie sévère, de l'ordre surtout. Il n'est pas de bon commis qui ne, soit bon comptable. C'est à établir les principes d'une comptabilité rigoureuse que Villèle, le plus admirable des commis, consacra tous ses soins. Dans cet esprit, une ordonnance du 14 septembre 1822 décida que toutes les dépenses, relatives à un exercice, devraient être liquidées et ordonnancées dans les neuf mois qui suivraient la clôture de cet exercice : si parmi les dépenses d'un exercice, il s'en trouvait qui n'eussent pas été liquidées, ordonnancées et payées avant l'époque de la clôture des comptes, ces dépenses ne pourraient être acquittées qu'au moyen d'une ordonnance royale, qui autoriserait l'imputation sur le budget de l'exercice suivant[20]. Ces règles furent appliquées plus tard à la comptabilité des communes et des établissements de bienfaisance Une autre ordonnance en date du 10 décembre 1823[21] prescrivit pour chaque ministère l'établissement d'un compte général annuel : une commission composée de membres du Conseil d'État et de la Cour des comptes serait appelée à vérifier la concordance de ces comptes avec les écritures courantes du trésor.

Pour l'homme de détail qu'est Villèle, ces occupations arides sont comme la diversion de la politique et lui apparaissent presque délassantes tant elles répondent à sa nature ! — Puis son attention se porte sur les affaires économiques. Toutes les sources de richesse sont captées ; il n'y a qu'à les développer jusqu'à plein rendement. On les développera suivant l'esprit du temps en affermissant, et jusqu'à l'excès, le régime protecteur. Il faut favoriser l'agriculture : de là des droits élevés sur le bétail, sur les laines. Il faut favoriser l'industrie nationale : les droits à l'entrée sont modérés sur les matières premières ou les objets légèrement ouvrés ; ils sont presque prohibitifs sur les produits manufacturés. — Cependant Villèle se livre à un travail qui étonnerait aujourd'hui chez un ministre des Finances. En 1816, on a été forcé d'accroître les charges : aujourd'hui il recherche quels impôts peuvent être diminués. Sur son initiative, une loi réduit dans une très large mesure les droits d'enregistrement sur les baux à terme ou à loyer. En vue de combattre, en matière de partage, l'excessif morcellement de la propriété, les taxes sur les échanges d'immeubles sont abaissées de deux à un pour cent : ces taxes sont même ramenées à un droit fixe d'un franc quand il s'agit de propriétés contiguës. Le même souci de faciliter les arrangements familiaux fait diminuer de plus de la moitié pour les immeubles, des quatre cinquièmes pour les meubles, les droits en matière de donations ou partages entre vifs en ligne directe. Timbre des obligations ou des livres de commerce, amendes fiscales, tout est diminué[22]. La règle générale, c'est qu'il convient de rendre au pays en allégements de contributions ce qu'il fournit en excédents de recettes. Ainsi pense ce ministre modeste dont le renom d'habileté s'étend en Europe : C'est une grande lumière qui brille à peu de frais, dit Canning de Villèle. Et l'éloge est tout à fait justifié, bien qu'il comporte une légère réserve. Cet homme sage eut peut-être un défaut : celui d'avoir trop peu d'imagination en un pays qui en avait trop.

Pour assurer une longue tranquillité, il faut tout apaiser et en particulier les disputes de tribune. Villèle s'est forgé un rêve, autant du moins qu'un personnage si réaliste peut rêver. Il rêve, non un pays sans parlement — car son bon sens lui a depuis longtemps démontré les avantages du régime représentatif, — mais une Chambre nommée en bloc pour une longue durée, soustraite par conséquent à l'aiguillon des préoccupations électorales, et qui sera sa collaboratrice soumise, laborieuse et fidèle. Et alors, il se liera à elle, à la façon d'un propriétaire rural qui contracte un long bail avec un locataire qui plaît.

Tout présage que le rêve est réalisable. La prospérité générale, l'excellent état des finances, la répression des complots militaires, l'heureuse issue de la guerre d'Espagne rendent malaisée l'opposition. Que si on craint quelque hostilité, il y a à la Chancellerie l'âpre et ardent Peyronnet qui ne demande qu'à pratiquer la candidature officielle. Le 24 décembre 1823, Villèle obtient du roi une ordonnance de dissolution de la Chambre.

En cet acte, il y a bien quelque ingratitude ; car cette Chambre qu'on brise a bien servi l'ordre et la monarchie. Mais les scrupules s'apaisent par la double pensée qu'on peut obtenir mieux encore, et que les plus fidèles, les seuls vraiment désirables, reviendront. Les élections ont lieu le 20 février 1824 dans les arrondissements, le 6 mars dans les grands collèges. C'est l'entier succès. La Fayette, d'Argenson, Dupont de l'Eure échouent, et pareillement Manuel que son propre parti ne soutient qu'à demi, le jugeant compromettant. La gauche est réduite à 19 membres. Le centre gauche ne subit pas une moindre défaite, et les doctrinaires, se sentant éliminés de la politique, n'ont plus qu'à se réfugier dans les lettres. Ils s'y replongent, et avec une seule consolation, celle de se dire — car ils n'ignorent rien de l'histoire — qu'il n'y eut qu'un seul membre de l'opposition dans le Parlement de Jacques II.

Décidément, tout prospère à souhait. Au Palais-Bourbon un seul péril, mais qu'on ne veut pas voir encore : celui qui pourra naître des exigences de l'extrême droite. Cette Chambre qu'on juge si maniable, on ne songe plus qu'à la garder longtemps. Un projet se prépare qui, en supprimant les renouvellements partiels,

lui assurera une durée ferme de sept années. C'est ce que, dans le langage du temps, on appelle le système de la septennalité. Deux mois plus tard la loi sera présentée, et elle sera votée à une forte majorité[23].

 

XVII

A travers la solidité, quelques fissures se montrent pourtant dans l'édifice ministériel.

Il y a d'abord dans le cabinet lui-même un germe de division. Villèle et Chateaubriand y siègent côte à côte. C'est un de trop. Chateaubriand, follement vain de la guerre d'Espagne, ne veut pas plus reconnaître une supériorité hiérarchique que Villèle ne veut abdiquer la primauté. Pour qui se prononcera le roi ? C'est un beau diamant, dit-il de Chateaubriand ; mais quel dommage qu'on ne puisse le tailler ! Avec une lucidité froide, il juge ses conseillers assis autour de lui à la table des délibérations. Il trouve Corbière bien rustique, Peyronnet bien âpre ; quant à Villèle, il lui voudrait plus de lettres et plus de promptitude à lui donner la réplique quand lui-même il cite Horace ou dévide ses souvenirs. Cependant comme il lui inspire confiance ! Comme il préfère ce terne et gris Villèle qui n'a pas assez d'esprit, à ce magnifique Chateaubriand qui en a trop et qui surtout se mêle d'en avoir plus que son roi.

Un autre souci, ce sont les pairs. Parmi eux Villèle a beaucoup d'adversaires. C'est d'abord Talleyrand, l'homme à la malveillance glacée et, depuis qu'il n'est plus au pouvoir, ennemi de tout ce qui n'est pas lui. Ce sont les anciens serviteurs de l'Empire. Ce sont les hommes du centre gauche : Broglie, Pasquier, Barante, Molé. Ce qui accroît l'embarras, c'est le nombre des tièdes, point opposants par eux-mêmes, mais disposés à seconder, avec une douceur un peu traîtresse, l'opposition des autres : tels sont les anciens ministres, recueillis presque tous dans la Haute-Chambre et contemplant avec une impassibilité exempte de déplaisir les ennuis de ceux qui occupent leur place. Il y a enfin un groupe qui n'est nullement hostile, mais très accessible à toutes les tentations d'indépendance : c'est le groupe que, du nom de son inspirateur, le cardinal de Bausset, on appelle le groupe des cardinalistes. Là sont rassemblés beaucoup de pairs, teintés d'un léger, très léger libéralisme, très attachés jadis au duc de Richelieu, lui demeurant fidèles bien que depuis deux ans il soit mort, et qui, en glissant quelques menus obstacles sous le char triomphant de Villèle, croiront rendre un hommage posthume au ministre qu'ils ont aimé.

 

XVIII

En cette année même, cette opposition de la Haute-Chambre se révéla par un vote qui émut fort les contemporains et qui mérite d'être rappelé.

En février 1824, la rente 5 pour 100 avait atteint 100 francs. Villèle crut l'heure favorable pour la convertir. On offrirait au porteur l'option entre le remboursement au pair ou la conversion en 3 pour 100 à 75 francs. L'opération procurerait au trésor une économie annuelle de 28 millions, et c'est en quoi elle charmait Villèle. Elle plaisait encore plus au roi : celui-ci caressait depuis longtemps une combinaison qui, en dédommageant les émigrés, mettrait un terme à leurs doléances et qui, du même coup, calmerait les dernières craintes des acquéreurs de biens nationaux. Le bénéfice de la conversion, si on l'appliquait à l'indemnité, viendrait à point pour réaliser ces pensées, sans surcharge sensible pour les finances publiques. Louis XVIII, qui se, sentait près de sa fin, avait pris fort à cœur ce projet ; et le 23 mars, en ouvrant les Chambres, il avait annoncé l'opération par laquelle seraient fermées, disait-il, les dernières plaies de la Révolution.

La motion, déposée le 5 avril au Palais-Bourbon, y fut votée le 5 mai, mais avec une opposition de 145 voix, ce qui était considérable pour une Chambre qu'on croyait acquise. Le résultat ne laissa pas que de surprendre Villèle ; son inquiétude s'accrut quand le projet fut porté au Luxembourg.

C'est que, dans l'entre-temps, l'émotion publique avait grandi. Les propriétaires de rentes 5 pour 100 étaient pour la plupart des Parisiens, et beaucoup de petite condition, sensibles par suite à tout amoindrissement de revenus. Ils remplirent les journaux de leurs plaintes, se disant spoliés. Ce fut sous cette impression que le débat s'ouvrit dans la Haute-Chambre. Le projet rencontra des adversaires d'autant plus redoutables qu'ils se paraient de la plus courtoise modération. Tels se montrèrent M. Roy et le baron Pasquier. Ils ne nièrent point la légitimité et les avantages de l'opération, mais observèrent qu'à la hausse des rentes ne correspondait pas, dans les transactions courantes, une baisse proportionnée du taux de l'intérêt. Tandis que Villèle, et après lui Corbière, défendaient le projet, on remarqua que Chateaubriand gardait obstinément le silence et que beaucoup de ses amis combattaient la proposition ministérielle, sans que lui-même fit rien pour les ramener. Sur ces entrefaites, on persuada à M. de Quélen, archevêque de Paris, qu'il devait prendre en main la cause des petits rentiers ses diocésains, atteints par la conversion. Il ne résista pas à la suggestion et, en un discours très pathétique, se fit, comme il le disait lui-même, l'avocat des pauvres. La loi était déjà mal en point. La bénissante homélie du pontife acheva ce que les arguments des hommes d'affaires avaient commencé ; et le 3 juin, par 120 voix contre 105, la disposition principale qui contenait tout le projet fut rejetée.

Le vote eut presque aussitôt sa répercussion sur le ministère. Pendant la discussion, Chateaubriand, comme on l'a.dit, s'était tu. Ce que ses collègues jugèrent abandon parut au roi trahison. Le 6 juin était jour de la Pentecôte. Le matin, Chateaubriand s'apprêtait à se rendre aux Tuileries pour y offrir ses hommages au monarque. A ce moment, un bref et froid message l'avertit qu'il était relevé de ses fonctions. De qui partait le coup ? Villèle a toujours affirmé — et le témoignage de cet honnête homme suffit — qu'il n'avait connu le renvoi de son collègue que par l'ordonnance qu'il avait été chargé de notifier. La disgrâce était l'œuvre du roi. Conversion de la rente, indemnité des émigrés, les deux opérations se liaient à ses yeux ; de là un vif ressentiment de l'échec. La vanité de Chateaubriand lui avait toujours déplu. Une nervosité de malade altérait un peu chez lui son ordinaire sang-froid. Ainsi s'explique cette mesure brutale qui contraste si fort avec tout le reste du règne. L'indignation de Chateaubriand ne connut point de bornes. Il ne perdit pas une heure pour la vengeance, car s'il avait de la grandeur dans l'imagination, il avait de la petitesse dans le cœur. Il était tout-puissant au Journal des Débats. Incontinent il le tourna contre le pouvoir, et avec une ardeur proportionnée à l'âpreté de ses rancunes. Ce serait le sérieux embarras, et presque le seul embarras que Louis XVIII, ce prince si avisé à l'ordinaire, léguerait à son successeur.

 

 

 



[1] Lois des 17 et 25 mars 1822. (DUVERGIER, Collection des lois, t. XXIII, p. 479 et 481.)

[2] Voir supra, livre V, § 4.

[3] Lettre du vicomte de Montmorency à M. de Villèle, 1er octobre 1822. (Souvenirs et correspondance de Villèle, t. III, p. 88.)

[4] CHATEAUBRIAND, Congrès de Vérone, t. I, p. 69.

[5] VILLÈLE, Mémoires et correspondance, t. III, p. 105.

[6] Archives des Affaires étrangères, France et divers États, Congrès de Vérone.

[7] CHATEAUBRIAND, Congrès de Vérone, t. I, p. 147-149.

[8] VILLÈLE, Correspondance et Souvenirs, t. III, p. 218.

[9] En plus d'une occasion, écrivait-il, j'ai exposé les motifs qui me faisaient répugner à la guerre. (Dépêche du 10 janvier 1823, Affaires étrangères, vol. 721.)

[10] Amendement Hyde de Neuville.

[11] Lettre du 25 janvier 1823. (Affaires étrangères, Espagne, vol. 721, f° 85.)

[12] Mémoire du prince de Castelciala, ambassadeur du roi de Naples à Paris (6 juin 1823). (Affaires étrangères, Espagne, vol. 722, f° 25.)

[13] Lettre de M. de Villèle au duc d'Angoulême, 20 juin 1823. (Mémoires et correspondance, t. IV, p. 99.)

[14] Dépêches des 23 et 24 juin. (VILLÈLE, Mémoires et correspondance, t. IV, p. 127, 135.)

[15] Dépêche du 25 juin 1823. (Congrès de Vérone, t. II, p. 65, 66.)

[16] Chateaubriand à Polignac, 1er septembre 1823. (Congrès de Vérone, t. II, p. 143-144.)

[17] Rapport du lieutenant général Bordesoulle. (Moniteur, 12 septembre 1823.)

[18] Le duc d'Angoulême à Villèle, 2 octobre 1823. (Mémoires et correspondance, t. IV, p. 437-439.)

[19] Dépêche de M. de Talaru, 26 octobre. (Affaires étrangères, Espagne, vol. 724, f° 136.)

[20] DUVERGIER, Collection des lois, t. XXIV, p. 80-83. Voir aussi CALMON, Histoire des finances de la Restauration, t. I, p. 340 et 480.

[21] DUVERGIER, Collection des lois, t. XXIV, p. 420-421.

[22] Loi du 16 juin 1824. (DUVERGIER, Collection des lois, t. XXIV, p. 509 et suiv.)

[23] Loi du 9-16 juin 1824. (DUVERGIER, Collection des lois, t. XXIV, p. 508.)