LOUIS-PHILIPPE

1830-1848

 

LIVRE DEUXIÈME. — MENACES DE GUERRE ET PÉRILS ÉVITÉS.

 

 

SOMMAIRE

I. — Union en 1815 des provinces bataves et des provinces belges en un seul royaume. — Incompatibilité d'humeur entre Belges et Hollandais. — Comment éclate la révolte des Belges ; comment et après quels incidents cette révolte est victorieuse.
II. — Impression que produit en France la révolution belge. A quelle sage conduite s'arrête le roi Louis-Philippe. — Comment s'affermit chez lui l'idée de l'alliance anglaise.
III. — L'ambassade de Talleyrand à Londres (septembre 1830), son double but : régler l'affaire de Belgique, nouer l'alliance anglaise. — La conférence de Londres. — Protocole du 4 novembre et armistice entre Hollandais et Belges. — Protocole du 20 décembre, et proclamation de l'indépendance de la Belgique : comment cette décision marque un grand succès pour la politique française.
IV. — Les embarras intérieurs : comment le roi essaie d'apaiser les résistances en constituant (2 novembre 1830) le ministère Laffitte. — Le procès des ministres de Charles X (décembre 1830).
V. — De quelques mesures prises par le roi pour affermir son pouvoir. — Comment, un peu rassuré sur l'état des affaires intérieures, il peut reporter son attention sur la Belgique. — Protocole du 20 janvier 1831 proclamant la neutralité de la Belgique. — De l'importance de ce succès et comment le roi et Talleyrand s'en réjouissent.
VI. — Encore la Belgique : quel en sera le souverain. — Le duc de Nemours : hostilité de l'Angleterre, et comment Louis-Philippe se refuse à compromettre la paix pour assurer un trône à son fils. — De diverses candidatures, le duc de Leuchtenberg. Les frontières du nouveau royaume. — Mécontentement des Belges. — Débat au Congrès national. — Incidents divers. Élection du duc de Nemours (3 février 1831). — Dépêches alarmées de Talleyrand. — Comment le roi confirme son refus. Arrière-espoir des Belges et sur quoi il se fonde. — Leurs délégués à Paris : comment ils sont témoins du sac de Saint-Germain-l'Auxerrois et de l'archevêché. — Ils sont reçus au Palais-Royal — Scène émouvante. — Le roi décline définitivement le trône pour son fils ; ses vœux pour la Belgique.
VII. — Le ministère Casimir Périer (13 mars 1831) : comment le nouveau ministre absorbe tout en lui : ses exigences, son tempérament, sa politique à l'intérieur. — Politique extérieure : démonstration contre le Portugal : triple souci pour le gouvernement français : Pologne, Belgique, Italie.
VIII. — La Pologne : sympathies françaises pour les Polonais et sur quels motifs elles sont fondées. — Après quelques essais de pourparlers, le soulèvement général éclate. — Lutte sanglante ; nouvelles contradictoires. — Le duc de Mortemart renvoyé comme ambassadeur à Saint-Pétersbourg : ses vains efforts ; nombreuses et inutiles dépêches de Sébastiani. — Capitulation de Varsovie, et fin de l'insurrection.
IX. — Encore la Belgique : de quelques signes de mésintelligence entre les Belges d'une part, et, d'autre part, la France et surtout l'Angleterre et la conférence de Londres. — Candidature de Léopold de Saxe-Cobourg : encore la question des limites. — Le traité des dix-huit articles. — Élection de Léopold ; son entrée à Bruxelles (juillet 1831). — Comment le roi de Hollande rompt l'armistice : entrée des troupes françaises en Belgique (août 1831) ; retraite du roi de Hollande. — Traité des vingt-quatre articles. Comment Palmerston repousse toute rectification des frontières au profit de la France. — Comment l'établissement du royaume de Belgique comporte, pour la France, de mémorables avantages.
X. — L'état de l'Italie : contre-coup de la révolution de 1830. Révolution à Modène, Bologne, Parm6 : restauration des souverains de Modène et de Parme par les troupes autrichiennes. — Éveil de la France et vœu pour que l'intervention de l'Autriche ne s'étende point dans les États pontificaux. — Comment les Autrichiens, en dépit de ce vœu, occupent les Légations (fin mars 1831)
XI. — Menaces de conflit entre Paris et Vienne. — Mémorandum français du 31 mars 1831 : les réformes dans les États pontificaux. — M. de Saint-Aulaire. — Évacuation des Légations par les Autrichiens (juillet 1831) ; réformes édictées par le Saint-Siège, et comment cela constitue pour la politique française un double succès.
XII. — Objets divers : insurrection â Lyon (fin novembre 1831). — Encore les affaires italiennes. — Comment les concessions pontificales sont impuissantes. — Nouvelle intervention autrichienne dans les Légations (janvier 1832) ; seconde menace de conflit entre la France et l'Autriche.
XIII. — Idée de l'occupation d'Ancône. — Avec quelle extraordinaire brutalité l'entreprise est exécutée.
XIV. — Le choléra : ravages extraordinaires de l'épidémie, et comment elle absorbe toutes les pensées.
XV. — Funérailles du général Lamarque : insurrection républicaine (5 et 6 juin 1832).
XVI. — Les carlistes : la duchesse de Berry. — Essai de soulèvement en Vendée, insuccès de la tentative : la princesse à Blaye et ce qui suivit.
XVII. — Comment le roi de Hollande s'obstine à ne pas reconnaître les décisions de la conférence de Londres. — Mesures coercitives. — Expédition française et prise des ouvrages fortifiés d'Anvers (décembre 1832).

 

I

On sait que les traités de 1815 avaient attribué les provinces belges à Guillaume d'Orange déjà roi de Hollande. En créant cet État relativement étendu, la pensée des Alliés avait été de contenir au nord les ambitions françaises. Un savant système de forteresses, qui s'échelonneraient depuis la mer du Nord jusqu'aux limites du. Luxembourg, avait achevé de marquer ce dessein.

L'expérience avait montré la précarité d'une conception jugée, sur l'heure, très sage. Ce n'était pas que, sous la Maison d'Orange, les Belges eussent à se plaindre de leur sort matériel. La Hollande et ses colonies offraient à leurs produits manufacturés de très profitables débouchés ; et depuis 1815 ils s'étaient notablement enrichis. En outre, le roi Guillaume était un prince instruit, d'intentions droites quoique sujet parfois à de regrettables obstination, ami du progrès quoique peu assoupli aux institutions modernes, et désireux de justice envers ses nouveaux sujets. Malgré tout, le temps n'avait pas réussi à opérer entre les deux peuples la fusion ou, comme on disait en langage officiel, l'amalgame. En dépit de toutes les précautions contraires, l'arrangement laissait aux Hollandais un arrière-aspect de dominateurs, aux Belges un arrière-aspect d'annexés. Un tact exquis chez les premiers, une résignation tranquille chez les seconds eussent seuls prévenu ou adouci les heurts. Par malheur la souplesse n'était point la vertu des Hollandais pas plus que l'endurance n'était celle des Belges. La différence de langue était un autre obstacle à l'union. Ce qui séparait le plus, c'était la religion : dans les provinces bataves, le calvinisme ; dans les provinces belges, et surtout en Flandre, le catholicisme le plus ardent.

Ce fut en cet état de conflit latent que l'on apprit à Bruxelles les événements de Juillet. A cette nouvelle, tout ce qu'il y avait de mécontents parmi les Belges s'agita. Un incident futile inaugura les troubles. Le 25 août, on jouait à Bruxelles, au théâtre de la Monnaie, la Muette de Portici. Aux accents de l'air fameux : Amour sacré de la patrie, les spectateurs se levèrent et, en une sorte de griserie, unirent leur voix à celle de l'acteur. Puis beaucoup de jeunes gens sortirent ; autour d'eux, des bandes populaires se formèrent, et avec une si surprenante promptitude qu'on ne peut douter que la manifestation n'ait été préparée. On - se porta, pour y mettre le feu, sur la demeure du ministre van Maanen, le plus décrié des agents néerlandais. On pilla les boutiques d'armuriers. On se mit à abattre les écussons orangistes. A ces patriotiques explosions s'ajoutèrent de regrettables excès, et à tel point que les plus considérables des habitants se hâtèrent d'improviser une garde bourgeoise pour assurer l'ordre compromis.

En face de cette révolution commençante, le roi Guillaume ne sut ni intimider par répression rapide, ni ramener par promptes concessions. Il dirigea des troupes sur Bruxelles, mais elles n'y pénétrèrent pas ; son fils le prince d'Orange y entra seul et entama avec les notables des pourparlers qui n'aboutirent point. Pendant quelques jours, on parla d'autonomie administrative avec le maintien de la dynastie ou, comme on disait, de séparation du Nord et du Midi. Cependant, sur divers points du territoire, notamment à Liège, des corps de volontaires s'organisaient. En beaucoup de lieux, se substituaient aux couleurs orangistes les couleurs brabançonnes. Dans les premiers jours, on s'était exalté aux notes de la Marseillaise ; maintenant on chante un hymne nouveau qu'on appelle la Brabançonne. La hardiesse s'accroît par la stupeur et l'incroyable inertie des autorités hollandaises. D'ailleurs, parmi les insurgés, nulles vues d'ensemble, et ils n'agissent que par efforts individuels qu'aucune discipline ne coordonne encore.

Le roi Guillaume se flatta que cet état de désordre lui permettrait de rétablir — fût-ce par force — ses affaires compromises. Le 21 septembre, un corps d'armée bien organisé, de quatorze à quinze mille hommes, quitta Anvers et, deux jours plus tard, parut devant Bruxelles. Qui n'eût cru à l'entière défaite des révoltés, mal pourvus d'armes, de munitions et de tout ce qui assure à la guerre le succès ? L'imprévu dominant tout le reste, ceux-ci parvinrent derrière leurs barricades à briser le choc de l'ennemi. Le 27 septembre les troupes néerlandaises se décidèrent à la retraite. Dans les temps qui suivirent, les Hollandais, évacuant les places qu'ils avaient occupées jusque-là, se replièrent vers le nord : quelques courts combats, et ce fut tout. Déjà, dans Bruxelles délivrée, s'était organisé un gouvernement provisoire. Encore quelques semaines, et de toute la Belgique les Hollandais n'occuperont plus que la citadelle et l'arsenal d'Anvers.

 

II

On se figure aisément quel trouble, mais aussi quelle griserie d'exaltation ambitieuse éveillèrent d'abord en France les courriers de Bruxelles. Le démembrement du royaume des Pays-Bas, ce serait la première grande brèche introduite dans les traités de 1815. Quelle magnifique consécration pour le régime nouveau que la réunion, totale ou partielle, des provinces belges à notre territoire ! Serait-il impossible, avec beaucoup de hardiesse, beaucoup de promptitude, en devançant toutes les résolutions des autres, de saisir la superbe proie ? Révolution de Juillet, révolution belge, l'une et l'autre, si l'on pénètre le fond des choses, ne se ressemblent guère : à Paris, un mouvement politique : à Bruxelles un soulèvement national ; à Bruxelles, une insurrection presque religieuse et à laquelle le clergé applaudit : à Paris, une révolution qui s'accomplit au cri : A bas les prêtres ! Mais une logique simpliste nivelle tout et confond deux événements qui, Se succédant à un mois de distance, semblent s'être engendrés. C'est au chant de la Marseillaise qu'on chasse les Hollandais. Aux insurgés belges sont mêlés des agitateurs venus de France, maîtres en barricades et tout frais émoulus des journées de Juillet. Du Hainaut, d'une portion du Brabant, du pays wallon, beaucoup nous appellent.

Est-il téméraire de croire que Louis-Philippe lui-même ait, pendant quelques instants fugitifs, retenu devant ses yeux la vision tentatrice ? A l'exaltation du patriotisme Se joint pour lui la magie des souvenirs. Ce prince d'esprit positif, presque terre à terre, est sujet, à de rares intervalles, à des envolées d'imagination singulières : alors il caresse ou plutôt il frôle des conceptions aussi hardies que n'est prudente et cauteleuse sa conduite de tous les jours. C'est ainsi que ses regards se tournent avec une extraordinaire puissance d'attraction vers ces plaines belges où il a combattu dans sa jeunesse et où peut-être un rôle lui est encore réservé.

Ce fut la bonne fortune de la France que ce sage roi, tout en étant très capable de rêver, savait abréger ses rêves. La raison lui montra aussitôt l'opportunité de ne rien brusquer. D'abord l'état des effectifs militaires n'autorisait aucune témérité ; le licenciement de la garde royale et des suisses, de nombreuses démissions dans les corps d'officiers, de nombreux changements dans le haut commandement, l'indiscipline qui suit presque toujours une révolution, tout cela avait affaibli nos forces ; il convient d'ajouter que beaucoup de nos meilleurs régiments étaient immobilisés en Algérie. Belliqueux, le roi n'aurait pu l'être sans se mentir à lui-même. Quelques jours auparavant, il avait, par ses envoyés, attesté son désir de paix et sollicité l'amitié des puissances. L'Angleterre venait de le reconnaître, et presque en même temps la Prusse. L'Autriche allait suivre et, enfin, quoique avec une visible mauvaise grâce, la Russie. Était-ce le moment de fournir un prétexte d'hostilité à qui peut-être en cherchait un. Que si les puissances se résignaient à tolérer une mutilation du royaume hollando-belge, elles ne souffriraient que la France devînt la grande, presque l'unique bénéficiaire du changement. Toutes s'uniraient dans la résistance, l'Autriche par respect pour les arrangements conclus jadis dans Vienne même, la Russie par joie de nous humilier, la Prusse par crainte de notre immédiat voisinage, l'Angleterre par ombrage de notre extension le long de la mer du Nord.

Donc la prudence l'emportera, mais une prudence qui ne sera point l'effacement. Le roi ne fait pas difficulté de renouveler des déclarations pacifiques, mais il ajoute une réserve où se marque sa volonté de ne pas laisser se reformer le royaume des Pays-Bas, jadis créé contre la France. Il n'interviendra pas, dit-il, en Belgique, mais à la condition qu'aucune autre puissance n'intervienne. Il précise par un exemple : que la Prusse, à la sollicitation de Guillaume d'Orange, fasse entrer un corps de troupes dans les provinces belges, et aussitôt l'entrée des troupes françaises suivra. Et cette déclaration se transformera plus tard en une règle générale de conduite : Non, répétera par la voix de ses agents le roi Louis-Philippe, non, la France ne s'immiscera pas dans les affaires des autres États : en revanche, elle considère comme sacré, non seulement son propre territoire, mais une certaine zone autour de ses frontières, zone qui, dans l'intérêt supérieur de sa sécurité, de sa dignité, devra toujours demeurer inviolée. Telle est, non seulement la Belgique où ne devront jamais pénétrer les armées prussiennes, mais aussi la Savoie, le Piémont, où toute occupation autrichienne serait suivie d'une occupation française. Ainsi s'affirment les maximes qui guideront la politique extérieure du règne.

Cependant le règlement de l'affaire belge demeure sujet à bien des complications, et il importe que, de ces éventualités futures, la France sorte, non seulement indemne, mais, s'il est possible, avec avantage. Comment échappera-t-elle au péril de l'isolement, au risque d'être sacrifiée ? Elle ne peut compter sur les trois grands États continentaux qui, pour des motifs divers et avec plus ou moins d'empressement, viennent de resserrer leurs liens un peu relâchés depuis 1815. En cette condition des choses, une seule alliée, l'Angleterre, demeure possible, alliée peut-être incommode, exigeante certainement, mais que les circonstances imposent. C'est vers elle que se tourne le gouvernement français ; et incontinent, une démarche éclatante atteste ce dessein.

 

III

Le 24 septembre vers le soir, une foule inaccoutumée se pressait au pied de la falaise de Douvres, à l'arrivée du paquebot venant de France. Les autorités britanniques se portèrent au-devant du bateau, tandis que tonnaient les canons de la forteresse. Un personnage descendit, très vieux, très cassé, paraissant n'avoir que le souffle, de regard terne, mais qui s'allumait par instants, ainsi qu'il arrive aux grands ambitieux quand la fortune leur ménage, tout au déclin de leur carrière, une rentrée inattendue sur la scène publique. Cet homme était Talleyrand que le roi venait de nommer ambassadeur à Londres.

La désignation était non seulement habile, mais presque coup de génie. Aux yeux des puissances, Louis-Philippe apparaissait, tout marqué de sa tache originelle. Quelle réponse que de choisir pour représentant un personnage de la plus haute naissance, qui avait siégé au Congrès de Vienne aux côtés des hommes d'État les plus fameux et qui était connu de tous les souverains de l'Europe. Que ce diplomate fût envoyé à Londres, et l'opportunité était double, car le public anglais verrait dans une ambassade si illustre un hommage particulier pour la Grande-Bretagne. Et si l'on avait pour soi l'Angleterre, on échapperait à tout danger d'une coalition reformée contre nous.

Si le roi avait discerné ces avantages, Talleyrand les avait démêlés mieux encore. Il se sentait ambassadeur à deux fins : pour régler l'affaire belge, pour nouer l'alliance anglaise, et les deux objets lui plaisaient pareillement. Séparer la Belgique de la Hollande, c'était, à ses yeux, défaire à Londres ce que, quinze ans auparavant, il avait été contraint de subir à Vienne, et ce retour de fortune ne laissait pas que de lui paraître délectable revanche. Il se jugeait, en outre, plus qualifié que personne pour mener l'œuvre à bien : en effet, le maintien ou le démembrement du royaume des Pays-Bas était affaire, non seulement française, mais européenne ; or, qui mieux que le vieux diplomate connaissait l'Europe, ses hommes d'État, les influences qu'il convenait de mettre à profit, les imprudences qu'il importait d'éviter ? La même intensité d'efforts qui s'appliquerait à émanciper les provinces belges s'emploierait à rapprocher les deux cours de Paris et de Londres : des deux côtés même degré de civilisation, mêmes institutions libérales, même intérêt au maintien de la paix, en sorte que l'avantage de s'unir triompherait, selon toute apparence, du long antagonisme qui avait séparé les deux nations. — Ainsi pensait Talleyrand quand, le lendemain de son arrivée à Douvres, ses chevaux de poste l'emportaient à travers les plaines et les basses collines du comté de Kent. A mesure qu'il approchait du terme de son voyage, il se sentait ressaisi, ainsi qu'il l'a lui-même rapporté, par l'emprise de ses souvenirs. Il était venu autrefois à Londres au temps de la Révolution, inconnu, de crédit médiocre, n'ayant d'autre ressource que son incroyable savoir-faire et sa merveilleuse souplesse d'esprit. Depuis, il avait monté au faîte des grandeurs, en attendant que, sous la Restauration, Louis XVIII, après s'être servi de lui, l'immobilisât, non sans quelque malice, dans la vaine et honorifique fonction de grand chambellan. Maintenant il se sent tout heureux d'avoir échappé à la somptueuse inutilité d'une charge de cour. Il a l'air d'un lion mort, disait de lui M. Guizot qui l'avait vu quelques années auparavant. Aujourd'hui le lion mort se redresse tout galvanisé, à la pensée du rôle où s'emploieront ses derniers jours.

Une si exceptionnelle importance parut s'attacher à cette grande ambassade que Louis-Philippe en voulut suivre, par ses informations personnelles, toutes les péripéties. Il avait, comme tous les Bourbons, le goût de la politique extérieure, e sa sagesse garantissait qu'il saurait la bien conduire. Des lettres toutes confidentielles, adressées pour la plupart par Talleyrand à Madame Adélaïde, sœur du roi, lui feraient connaître jusqu'en ses moindres incidents les succès et les mécomptes de la politique française. Et incontinent cette correspondance s'inaugura, non sans déplaisir pour le ministre des Affaires étrangères M. Molé, réduit à la banalité des dépêches officielles.

Dès son arrivée, le prince de Talleyrand put mesurer les obstacles que rencontrerait sa mission. Ils étaient plus grands qu'il ne l'eût imaginé. On avait reconnu le gouvernement de Juillet, mais en un acte tout politique qui était concession de fait plutôt que sympathique empressement. Les membres du cabinet britannique appartenaient au parti tory. Talleyrand vit le chef du cabinet, lord Wellington, et celui-ci, avec sa brusque franchise, ne lui cacha pas qu'il considérait la révolution de Juillet comme un événement fort malheureux[1]. Le chef du Foreign office, lord Aberdeen, ne parlait pas autrement : il ajoutait même, en un ton très soucieux, que l'établissement du royaume des Pays-Bas avait été l'un des principaux objets du Congrès de Vienne et qu'il était difficile que le démembrement de ce royaume s'opérât sans trouble pour la paix de l'Europe[2]. L'aristocratie de cour ne se laissait qu'à demi ramener, et les égards personnels dont le prince était entouré soulignaient l'expectante réserve où l'on entendait se tenir : Tout de même, c'est un usurpateur, tel était le mot qui se murmurait dans les salons, à propos de Louis-Philippe. A ne considérer que le talent, les relations, l'expérience des grandes affaires, quelle n'était pas la supériorité de Talleyrand sur les ambassadeurs qui, comme le duc de Laval, avaient à Londres représenté le gouvernement déchu ! Et pourtant combien la situation de l'illustre homme d'État n'était-elle pas moins assurée que celle de ses prédécesseurs ! C'est que son prestige ne tenait qu'à sa personne tandis que ses devanciers — fussent-ils médiocres ou de petit relief — avaient puisé leur propre autorité dans l'autorité même de leur gouvernement. Et cela seul montrait tout ce que la France avait perdu en laissant s'altérer la tradition monarchique.

Une Conférence, composée des représentants des grandes puissances, avait jadis été réunie à Londres à l'occasion des affaires de Grèce. Elle n'était pas encore dissoute. Ce serait, pensa-t-on, simplification heureuse que de l'utiliser pour le règlement du différend hollando-belge. Voici donc, le 4 novembre, les diplomates qui se rassemblent au Foreign office. Les documents français permettent de recomposer, au moins en partie, la physionomie des acteurs : Esterhazy, Hongrois d'origine et ambassadeur d'Autriche, presque fixé à Londres où il est accrédité depuis quinze ans, personnage d'esprit assez libéral, de caractère aimable et plus disposé à aplanir qu'à soulever les difficultés : le baron de Bülow, ministre de Prusse, tout occupé à concilier les vues pacifiques de son vieux roi et les envolées belliqueuses du prince royal : le prince de Liéven, ambassadeur de Russie, lui aussi d'humeur assez débonnaire, plus embarrassé que fier des incartades de son souverain, un peu éclipsé d'ailleurs par la princesse de Liéven, sa femme, qui possède jusqu'à la passion le goût de la politique. A côté des représentants des grands États, le ministre de Hollande, M. de Falk, a été admis à la table des conférences, avec le rôle ingrat de limiter, s'il se peut, les sacrifices qu'on demandera à son roi. Cependant les Anglais, Wellington, Aberdeen, président aux délibérations, mais pas pour longtemps. Une crise parlementaire, en provoquant leur retraite, fera, quinze jours plus tard, passer le pouvoir aux whigs. Sera-ce bénéfice pour nous ? On pourrait le croire, les whigs représentant l'élément libéral. Mais tout autre sera le résultat. Pour la direction du Foreign office, lord Palmerston sera désigné, et le ministre whig, ainsi qu'on le dira dans la suite, se montrera, en diverses circonstances, plus malveillant pour la France que ne l'avait été jamais aucun ministre tory.

Avec l'appui des Anglais, Talleyrand obtient aussitôt un notable avantage. On pouvait tout craindre de l'ardeur téméraire des Belges ; déjà ils avaient procédé à des élections, et l'assemblée des élus devait, sous le nom de Congrès, se réunir le 10 novembre. D'un autre côté, l'obstination exaspérée du roi Guillaume d'Orange, privé de la moitié de ses États, n'était guère moins à redouter. Un choc imprévu des forces adverses amènerait sans doute les puissances à sortir de leur réserve et risquait de précipiter l'Europe dans la guerre. Usant de son autorité, autorité moitié de médiatrice, moitié d'arbitre, la conférence des ambassadeurs proposa, dès sa première séance, un armistice provisoire aux deux parties. Les Belges acceptèrent avec empressement, les Hollandais sous la contrainte. C'est que les uns' et les autres étaient de condition fort inégale, les premiers travaillant pour tout gagner, les seconds pour ne pas tout perdre. Et Talleyrand de noter avec joie le résultat : c'était à ses yeux le gage presque certain que la paix ne serait point troublée.

L'avantage serait incomplet si un autre succès ne s'y ajoutait. On avait obtenu l'armistice. Ne pourrait-on pas faire proclamer l'indépendance des provinces belges ? Du même coup serait brisé en deux le royaume dressé jadis contre la France : du même coup aussi, un État se formerait, plus ou moins lié à notre fortune, puisqu'il nous devrait en partie son existence. Cependant Talleyrand avait bien vite compris qu'il ne pourrait, pour ce dessein, compter sur les représentants des grandes puissances continentales. Aux yeux des Autrichiens, des Prussiens, des Russes, les Belges gardaient un air de rebelles ; le roi Guillaume d'Orange, au contraire, semblait personnifier le droit fondé sur les traités. En ces conjonctures, la seule conduite pour la France était de s'appuyer sur l'Angleterre, sans trop rechercher sur l'heure ce que cette alliance comporterait plus tard de désagréments ou de servitudes. En poursuivant ce dessein, il était sage de ne pas trop le découvrir, ce qui surexciterait les défiances, et, loin de le mettre en relief, de le présenter comme chose naturelle et presque négligeable. Le 17 décembre, Talleyrand écrivait au ministre des Affaires étrangères : Après avoir mûrement réfléchi, j'ai pensé qu'il n'y avait qu'un moyen de mettre un terme à nos incertitudes, c'était.de demander la prompte déclaration de l'indépendance de la Belgique. Lord Palmerston avait depuis un mois succédé à lord Aberdeen. Mon projet, continuait Talleyrand, est de lui parler avant la conférence, et de faire ensuite la proposition aux commissaires des puissances. Ayant tracé ces lignes, il se reprenait et ajoutait qu'il vaudrait peut-être mieux que l'initiative vînt de Palmerston lui-même qui aurait plus d'influence sur le roi des Pays-Bas. La séance était fixée au 20 décembre. Qui parla le premier ? Nous l'ignorons. Ce qui est certain, c'est la perplexité, ce sont les répugnances des plénipotentiaires d'Autriche, de Prusse, de Russie. Il semble qu'il y ait eu plusieurs séances ; l'une d'elles se prolongea pendant sept heures. Ce ne fut qu'après ces longs débats que les représentants des puissances continentales se décidèrent, y compris même les Russes, à signer le protocole. Nous avons fait un grand pas, écrivait Talleyrand. Et il ajoutait : J'espère que le roi sera content. En escomptant l'approbation de son souverain, il ne se trompait pas. Elle arriva dès le 23 décembre, en une lettre de Madame Adélaïde, lettre chaleureuse jusqu'à l'enthousiasme[3] : Je vous félicite de tout cœur, mon cher prince, de l'heureux résultat de vos conférences ; c'est un beau et bien satisfaisant succès. Le roi en est dans la joie. Il me charge de mille et mille choses pour vous, et il est fier de l'ambassadeur de son choix.

 

IV

Si attentif que Louis-Philippe fût aux affaires belges, il lui était interdit de s'y appesantir trop longuement, tant la condition intérieure du royaume réclamait sa vigilance !

L'agitation fiévreuse ne se calmait pas. Qui exerçait l'autorité ? Était-ce le chef officiel de l'État ? N'étaient-ce pas plutôt les combattants des trois glorieuses journées, les professionnels de l'émeute, les jeunes gens des écoles, tous se jugeant propriétaires exclusifs du nouvel ordre de choses. Nulle insurrection ouverte, mais une continuelle attitude de rébellion, les armes étant chargées et prêtes à faire feu. Les rues de Paris, perpétuellement sillonnées de cortèges, offrent en ces temps-là un spectacle aussi pittoresque que peu rassurant. Le Panthéon vient d'être désaffecté : or, le 20 septembre, une foule de jeunes patriotes rassemblent pêle-mêle tous les bustes qu'ils prétendent y porter. Le lendemain, 21, une procession expiatoire s'organise en l'honneur des quatre Sergents de La Rochelle. Rue Montmartre, un club siège, celui des Amis du peuple, mais tellement violent que les gens du quartier le dispersent un soir de leur propre initiative. Le gouvernement se flatte de retenir, à force de gages, un reste d'autorité. Le 30 août, une loi alloue des récompenses aux blessés de Juillet, des pensions aux veuves des morts. Le 14 septembre, un exposé de la situation du royaume énumère complaisamment les remplacements, les destitutions par lesquels le pouvoir a marqué sa volonté de créer un régime vraiment renouvelé. Puis voici d'autres lois : loi qui rappelle en France les régicides ; loi qui soumet au jury les procès de presse. Le premier ministère, formé le 11 août, compte parmi ses membres des hommes suspects, à bon droit, d'irréductible attachement aux doctrines d'ordre : tels Molé, Guizot, Broglie. Le 2 novembre, le roi, dans l'espoir d'apaiser par concessions, se décide à former un nouveau cabinet sous la présidence de Laffitte. Il se contente, par prudente précaution, de placer aux Affaires étrangères le général Sébastiani qu'il dirigera[4] et à l'Intérieur M. de Montalivet qui est son ami personnel. Cependant, aux premiers jours de décembre, on apprend que les Polonais, ces clients de la France, viennent de se soulever ; de là de nouvelles manifestations.

Entre toutes les causes de troubles, la plus inquiétante est le procès des ministres de Charles X.

Trois d'entre eux avaient réussi à sortir de France. Les quatre autres, Polignac, Peyronnet, Chantelauze, Guernon-Ranville, avaient été dénoncés par la clameur publique et jetés en prison. Nul mandat de justice : une rigueur toute arbitraire, mais pourtant sauveuse, car sans les barreaux d'une maison d'arrêt, on ne sait à quels excès l'exaspération populaire se serait portée. Le 13 août, un député de la gauche, M. de Salverte, avait proposé que les conseillers du roi déchu fussent mis en accusation. Après enquête et sur le rapport de M. Bérenger. la mesure avait été votée le 27 septembre, et l'affaire avait été renvoyée devant la Chambre des pairs, seule compétente en matière de complots ou de trahison.

Si comminatoire que fût cet appareil, il s'en fallait que, dans les classes éclairées, les dispositions fussent impitoyables. La majorité de la Chambre avait jugé plus fâcheux qu'opportun le zèle de M : de Salverte et n'avait suivi que contrainte et forcée. Si on souhaitait un châtiment pour des fautes lourdes et d'impardonnables témérités, c'était une répression proportionnée à la douceur des mœurs, et qui surtout n'irait pas jusqu'à l'effusion du sang. Cette inclination à la mansuétude se traduisit par un signe très manifeste. Au moment même où elle votait l'accusation, la Chambre des députés, reprenant un projet de M. de Tracy, déposa entre les mains du roi un vœu pour l'abolition de la peine de mort, spécialement en matière politique. Avec le plus vif empressement, Louis-Philippe accueillit la suggestion. Combien ne se fût-il pas senti le cœur allégé s'il avait su les malheureux prisonniers en sûreté dans quelque ville d'Allemagne ou sur le sol de l'Angleterre !

Par malheur, autant l'esprit de Modération dominait dans les sphères gouvernementales ou la haute bourgeoisie, autant un impérieux désir de vengeance soulevait une portion du peuple de Paris. On avait encore dans l'oreille le crépitement de la fusillade, sous les yeux les blessés ou les morts ; et une maxime se répétait : le sang doit se payer par le sang. Ainsi pensaient, non seulement les artisans ordinaires de séditions, mais un très grand nombre d'ouvriers honnêtes ou de paisibles boutiquiers, tous mal remis de la lutte et ne pardonnant pas les périls qu'ils avaient courus. A ces hommes se joignaient quelques dogmatiques farouches qui, nourris dans la tradition de 1793, jugeaient qu'il n'est pas de bonne révolution si elle n'a pour épilogue l'effusion du sang. D'autres enfin, quoique en petit nombre, calculateurs à froid, poursuivaient, en réclamant dés répressions impitoyables, un but plus savant et plus raffiné : ils estimaient que la royauté, si elle tolérait que l'échafaud se dressât pour les ministres, s'interdirait à jamais tout retour vers le parti de l'ordre et demeurerait si bien prisonnière de la révolution qu'elle n'en pourrait plus briser les liens.

Sous un régime à l'autorité bien établie, on eût pu, sans trop de péril, braver ces menaces ou ces colères. Telle n'était pas la condition de la royauté. Peu de troupes, et plus ou moins gagnées d'indiscipline : une garde nationale peu sûre, surtout l'artillerie, et habituée à discuter les ordres ; puis, pour imprimer l'impulsion, des hommes comme La Fayette ou comme le préfet de la Seine, Odilon Barrot, personnages incapables de pactiser sciemment avec le mal, mais toujours disposés à entrer en composition avec ceux qu'ils étaient censés commander.

Tandis que l'instruction du grand procès se continuait au Luxembourg, tout ce que Paris contenait d'exaltés ou de criminels pesait sur les pouvoirs publics pour que le verdict fût sans pitié ! Le 17 et le 18 octobre. des bandes se portèrent vers le Palais-Royal pour y déposer leurs vœux ou plutôt leurs sommations. Impuissants à forcer l'entrée, ces hommes se rappelèrent que les accusés étaient détenus au château de Vincennes. A Vincennes ! crièrent les plus hardis. La forteresse était commandée par le général Daumesnil, un vieux soldat qui avait connu d'autres assauts : Plutôt que de livrer les prisonniers, répondit-il aux chefs de l'attroupement, je ferai sauter le fort. Ce langage plut comme plaît en France toute bravoure, et l'on cria : Vive Daumesnil ! Ce ne fut qu'une courte accalmie. Il était près de minuit. Ceux qui paraissaient conduire les bandes résolurent de se porter de nouveau vers le Palais-Royal. Ils arrivèrent vers deux heures et demie du matin. Un simple poste à l'entrée, et c'était tout. Aux vociférations des factieux, quelques gardes nationaux fidèles se rassemblèrent en hâte et ainsi fut préservée d'un suprême affront la résidence royale.

Le 10 décembre, les accusés furent transférés au Petit-Luxembourg. Le 15, les débats s'ouvrirent. Le dégradant spectacle de la rue ne fit que mieux ressortir la sereine majesté de l'audience. On eût dit que les accusés, à l'heure où se jouait leur vie, et les juges menacés dans leur privilège d'hérédité, peut-être bientôt dans leur existence politique, se fussent piqués d'émulation pour finir en beauté. Par suite des démissions et des déchéances, les pairs étaient réduits à 163. Tel fut le chiffre que l'appel nominal constata[5]. Il n'y eut guère d'absents que ceux que M maladie ou un service public retenait loin du Luxembourg. Chez le président, M. Pasquier, beaucoup de sang-froid, chez ses collègues beaucoup de dignité et de courage. Tout au plus quelques-uns, dans leurs entretiens intimes, émirent timidement l'avis que, pour épargner les autres accusés, il faudrait se montrer impitoyable envers Polignac. Ce fut la seule marque de faiblesse, le seul signe de concession aux fureurs de la multitude. Pendant que se déroulaient les débats, plusieurs se rappelaient un autre procès fameux, celui du maréchal Ney : Nous avions alors à lutter contre les passions de la cour comme aujourd'hui contre l'exaspération du peuple. Ainsi s'exprimait le duc de Broglie qui, en ces temps lointains, s'était honoré par un vote de clémence. Sur les malheureux ministres pesait le faix accablant de leurs fautes. L'excès de leur infortune excita d'abord la pitié ; puis ce qu'ils déployèrent de franchise et de courage ramena sur eux l'estime et, chose presque incroyable, une sorte de faveur. Entre eux, nulles récriminations, une sincérité dédaigneuse de tout mensonge, un ferme dessein de garder le secret sur les délibérations du conseil. On lut la lettre où Chantelauze, en entrant au ministère, répétait que ce jour était le plus malheureux de sa vie et que l'obéissance seule l'avait guidé. Guernon-Ranville, ennemi résolu de toute infraction aux lois, n'avait signé les Ordonnances qu'avec douleur et pressentiment qu'il se perdait. Peyronnet, aux jours de sa prospérité, avait souvent indisposé et, à juste titre, par sa hauteur ; cette déplaisante suffisance prit, dans l'excès de son infortune, des airs de noble fierté. Entre tous les accusés, celui qui éveillait le plus l'attention était Polignac. Incroyable d'inconscience, prodigieux de naïveté, imprévoyant à un point qui confond, tel il s'était montré pendant la crise. Autant qu'il pouvait se relever de son discrédit, il se releva à l'audience, tant il se montra sincère, tant il déploya de sang-froid et fit bonne figure à la mort, en homme qui mérite tout, excepté toutefois d'être méprisé !

Après les interrogatoires, après les dépositions des témoins, les avocats. Ils furent dignes de la cause, deux surtout : M. Sauzet, un jeune Lyonnais qui, en défendant M. de Chantelauze, devint tout à coup fameux : puis, plus encore Martignac qui s'était noblement offert pour assister Polignac. Ce fut, plus que jamais, le même charme de parole, la même harmonie de voix, le même art d'insinuation suppliante, et avec tout ce que comportait de tragique l'arrêt suspendu sur l'accusé. Tout concourut à graver l'impression, et en particulier la condition de ces deux hommes, naguère adversaires, en sorte que le secours généreux prêté à l'un par l'autre, semblait un appel symbolique à la clémence. Un accent un peu lassé, d'une tristesse et d'une douceur infinie, ajoutait à la puissance persuasive de la plaidoirie. C'est que Martignac était déjà malade et qu'on assistait au dernier effort d'une voix qui, pour demeurer au niveau d'elle-même, luttait contre l'épuisement. Les pairs écoutaient tout émus, gravant dans leur mémoire le souvenir de la scène ; et, de fait, entre tous les épisodes du procès mémorable, c'est celui-là surtout que la postérité a retenu.

Les débats, commencés le 15 décembre, duraient depuis six jours, la rue étant aussi agitée que l'enceinte du Luxembourg était calme. Ce n'était que promenades tumultueuses, cris de mort contre Polignac. Le 21, l'arrêt serait, selon toute apparence, rendu. Au Palais-Royal, on n'envisageait pas l'issue sans effroi ; car les factieux s'enhardissaient jusqu'à proclamer que, si la décision des pairs était entachée de clémence, ils sauraient s'emparer des accusés et s'ériger eux-mêmes en justiciers. En constituant le ministère Laffitte, le roi avait, comme on l'a dit, confié le ministère de l'Intérieur à M. de Montalivet, jeune, énergique, courageux. Ce fut lui qui se chargea d'arracher aux hommes de sang leurs victimes. Le 21, vers 3 heures de l'après-midi, comme, les débats étant clos, les pairs délibéraient, il réussit à faire sortir les accusés par l'une des portes du Luxembourg. Une voiture attendait, on les y jeta ; autour de la voiture un escadron de chasseurs prestement s'encadra ; montant le cheval d'un sous-officier, Montalivet dirigea à bonne allure le cortège vers Vincennes. Une heure encore, et les prisonniers se trouvaient sous l'abri de la forteresse. Ce fut là qu'ils reçurent la notification de l'arrêt rendu vers dix heures du soir. Ils étaient condamnés à la déportation, aggravée pour Polignac par la mort civile. Ce mot de mort, vaguement répandu au dehors, donna, dit-on, le change à la multitude qui attendait sous les ténèbres. Le lendemain la vérité fut connue, et ce fut parmi les hommes de proie un rugissement de colère. Peu importait. Les condamnés étaient saufs ; et la royauté avait détourné d'elle une tache de sang que de longues années de sagesse n'eussent point effacée.

 

V

En assurant l'ordre au dedans, le roi travaille à la sécurité au dehors ; car notre politique extérieure est tributaire de notre politique intérieure, et chaque manifestation factieuse, notée par les diplomates, diminue la confiance de l'Europe, amoindrit les chances de paix.

Très pénétré de cette solidarité, Louis-Philippe s'applique, bien qu'avec des ménagements et des euphémismes infinis, à se soustraire aux complaisances et aux complicités révolutionnaires. Ainsi qu'on se dégage d'un défilé plein d'embûches, il a franchi l'épreuve du procès des ministres. Maintenant il se décide à un acte d'énergie : La Fayette, depuis la révolution de Juillet, exerce la plus redoutable des autorités : il est chef de toutes les gardes nationales de France, ce qui soumet à son pouvoir toute une portion de la population virile et lui confère des attributions parallèles, sinon supérieures à celles du souverain. Une loi, en supprimant cette débordante fonction, ne lui laisse que le commandement de la garde nationale parisienne. Irrité d'une décision qui lui apparaît sous un aspect de disgrâce, La Fayette donne sa démission. Avec hardiesse, bien que d'une hardiesse un peu tremblante, le roi l'accepte ; et le voici du même coup affranchi de celui qui, plus d'une fois, avait pris des airs de maître. Engagé dans cette voie, le gouvernement licencie l'artillerie de la garde nationale, très gagnée par les éléments révolutionnaires. Le roi garde encore son premier ministre Laffitte, de tout temps son ami : mais en même temps il se défie de son inconsistance, de sa légèreté volontiers souriante au désordre, et déjà, très secrètement, il médite de le remplacer. Ainsi s'achève l'année 1830. Le souverain peut, d'un esprit plus libre, reporter son attention sur la Belgique.

Il a obtenu à la conférence de Londres un double succès. Le protocole du 4 novembre, en stipulant un armistice entre Hollandais et Belges, a supprimé ou tout au moins grandement diminué les chances de conflit. Puis le protocole du 20 décembre, en proclamant la Belgique indépendante, a dissous le royaume des Pays-Bas. Un autre et inappréciable avantage sera remporté si le nouvel État, au lieu d'être, comme dans le plan de 1815, un poste avancé contre la France, se transforme, par stipulation internationale, en une barrière protectrice pour nous.

Ce fut dans la conférence du 20 janvier 1831 que fut atteint ce résultat mémorable. Talleyrand fut en cette circonstance chaleureusement soutenu par lord Palmerston dont il loue, dans sa dépêche au ministre des Affaires étrangères, la droiture et les dispositions pacifiques. — Nous sommes parvenus, écrivait le 21 janvier notre plénipotentiaire, à faire reconnaître en principe la neutralité de la Belgique. Cette dérogation capitale aux arrangements de 1815 ne pouvait que déplaire aux représentants des puissances continentales, Autrichiens, Prussiens, Russes. Aussi la dépêche ajoutait : Je n'ai pas besoin de vous dire que la lutte a été longue et difficile. L'importance de cette résolution était sentie par tous les membres de la conférence, ce qui fait que notre séance a duré huit heures et demie. Talleyrand eût même souhaité que la neutralité s'étendit au Luxembourg et cela dans l'espoir d'élargir la ligne frontière pour laquelle la France, en cas de guerre, serait libérée de toute inquiétude. Pour cet objet, si nous en croyons le témoignage de Palmerston[6], il se débattit comme un lion. Il échoua sur ce point ; mais comme l'observait le chef du Foreign office, la seule neutralité belge était un assez beau résultat pour qu'il fût satisfait. Il l'était, en effet, et, dans la suite de sa dépêche, s'appliquait à mettre en relief l'importance du succès. La neutralité reconnue de la Belgique, écrivait-il[7], renverse le système politique adopté en 1815 par les puissances. Les treize forteresses de la Belgique à l'aide desquelles on menaçait sans cesse notre frontière du Nord, tombent pour ainsi dire à la suite de cette résolution, et nous sommes désormais dégagés d'entraves importunes. Les conditions humiliantes proposées en 1815 décidèrent alors ma sortie des affaires et j'avoue qu'il m'est doux aujourd'hui d'avoir pu contribuer à rétablir la position de la France de ce côté.

En s'exprimant de la sorte, Talleyrand se rendait un juste témoignage. Vous avez remporté un brave succès, lui écrivait — sans doute de concert avec le roi — Madame Adélaïde[8], et il a fallu tout votre zèle et tout votre talent pour y arriver. Par la neutralité de la Belgique la France se ménageait, de Dunkerque à Luxembourg, une sécurité pareille à celle qu'elle trouvait, de Bâle à Chambéry, par la neutralité de la Suisse, et elle devait, pendant quatre-vingts ans, pour son plus grand profit et celui de l'Europe, garder le bénéfice de cette géniale conception.

 

VI

La Belgique serait à la fois indépendante et neutre mais quel en serait le souverain ?

Depuis le début de la crise, la question défrayait les entretiens des diplomates, et si l'on ne l'a point encore abordée, c'est qu'un souci supérieur d'ordre et de clarté oblige à présenter sous un aspect d'ensemble ce que les documents contemporains ne nous offrent que par fragments.

Il semble que, dans les premiers jours, les Belges n'aient envisagé que deux solutions : ou s'entendre avec la Hollande en stipulant à leur profit une large autonomie, ou se jeter dans les bras de la France. Le premier parti trouvait surtout faveur dans la haute bourgeoisie flamande ou brabançonne, très sensible aux avantages matériels du régime orangiste, et assez effrayée par les excès qui, sur certains points, avaient compromis la révolution. Vers le second parti penchait au contraire la portion la plus remuante de la population, spécialement dans le Hainaut et dans les provinces wallonnes de Namur et de Liége.

Au cours du mois d'octobre, un membre du gouvernement provisoire belge, M. Gendebien, avocat à Mons -- un M. Gendebien comme disait dédaigneusement Talleyrand — avait fait à Paris deux voyages successifs. Le but était de pressentir quelle serait la décision du gouvernement français, dans le cas où le Congrès futur offrirait la couronne de Belgique au second fils de Louis-Philippe, le duc de Nemours[9].

Le 10 novembre, le Congrès s'était réuni. Dès les premières supputations, on constata que les catholiques y avaient la majorité : parmi les élus, treize prêtres[10]. Cette prédominance rendait fort invraisemblable tout accommodement avec la protestante Hollande, fût-ce par l'élection d'un des fils du roi, le prince d'Orange. Et, en effet, le Congrès, après avoir voté le 18 novembre l'indépendance de la Belgique et quatre jours plus tard l'établissement du régime monarchique, décida le 24, à la majorité de 161 voix contre 28, que les membres de la famille d'Orange-Nassau seraient exclus à perpétuité de tout pouvoir en Belgique.

Tout ce qui diminuait le parti orangiste semblait fortifier le parti français. Mais voici où commençait l'embarras des Belges : le duc de Nemours, qui semblait désirable, n'était-il pas en même temps impossible ?

Les Belges ne peuvent compter sur les puissances continentales attachées à Guillaume d'Orange et dont le maximum de bienveillance sera de n'être point ennemies. En revanche ils ont deux grands patrons : la France, l'Angleterre. Or, sur la candidature du jeune duc de Nemours, que leur dit-on à Londres ? Que leur dit-on à Paris ?

Dès le début de novembre, M. Van de Veyer, personnage d'esprit très pondéré — de tous les Belges, le moins mauvais parmi les mauvais, disait de lui le prince d'Orange — s'était rendu à Londres. En cas d'intervention des puissances, dit-il à Wellington, la réunion à la France serait notre planche de salut. — Loin d'être une planche de salut, répliqua Wellington, ce serait le signal d'une guerre européenne. Et Aberdeen, de son côté, ne se montra pas moins péremptoire[11]. La chute des tories amena les whigs au pouvoir, et ceux-ci parlèrent comme les tories.

A Paris, les Belges trouveront-ils plus d'encouragement ? Dès le 16 novembre, le général Sébastiani a écrit à Talleyrand : D'avance, le roi est fermement et sincèrement décidé à n'accueillir l'expression d'aucun vœu en faveur d'un des princes, ses fils. Et le 8 décembre, en une autre dépêche à notre envoyé à Londres, nous lisons ces lignes : Nous ne nous séparerons pas des grandes puissances et nous refuserons la réunion de la Belgique à la France, aussi bien que la couronne de ce pays offerte au duc de Nemours[12]. Cependant M. Gendebien revient une troisième fois à Paris. Le général Sébastiani s'applique à dissiper ses illusions. Nemours, ce serait la guerre avec l'Angleterre, répond notre ministre des Affaires étrangères à M. Firmin Rogier, agent belge à Paris[13]. Le maréchal Gérard, que les Belges ont essayé d'intéresser à leur cause, n'obtient pas plus de succès[14]. Par surcroît, le général Sébastiani notifie le 21 janvier à M. Bresson, agent français à Bruxelles, qu'en cas d'élection du duc de Nemours par le Congrès, le gouvernement français ne ratifierait pas le choix[15].

Ce qui accroît la perplexité des Belges, ce sont les exclusions contre les autres candidats. Le prince d'Orange plairait aux puissances continentales, spécialement à la Russie, et ne déplairait ni à l'Angleterre, ni même à la France ; il a encore des partisans à Anvers, à Gand ; mais après le vote du Congrès, peut-il encore être question de lui ? A Bruxelles, un parti très puissant s'est formé en faveur du duc de Leuchtenberg, fils du prince Eugène, qui est lui-même le fils adoptif de Napoléon. Contre cette combinaison le gouvernement français s'élève avec beaucoup de force : Nous ne reconnaîtrons pas, dit Louis-Philippe, le duc de Leuchtenberg, car nous ne voulons pas tolérer à nos portes un foyer de bonapartismes. Et le roi ajoute : Prenez plutôt Othon de Bavière, mais Othon de Bavière n'a que quinze ans. On parle d'un prince autrichien : mais à Paris on observe qu'il ne faut pas ramener, même par des branches cadettes, les Autrichiens dans les Pays-Bas[16]. Un nom est prononcé, celui du prince Léopold de Saxe-Cobourg, veuf de la princesse Charlotte, Allemand de naissance, Anglais par adoption ; mais sur l'heure on juge — telle est du moins l'opinion de Sébastiani

u que les affaires de Grèce ont perdu le prince politiquement[17]. Cependant la France se rallierait volontiers à la candidature du prince de Naples, frère de la duchesse de Berry. Mais ce dessein éveillera bientôt les défiances de Palmerston : il observera que le prince de Naples est le neveu de la reine Marie-Amélie : qu'il épouse une fille du roi des Français ; et la combinaison ressemblera vraiment trop à la combinaison Nemours[18].

Très gâtés jusqu'ici par la fortune, les Belges calculaient, non l'assistance généreuse dont ils avaient bénéficié, mais les entraves apportées à la manifestation de leurs vœux. A l'embarras de choisir un roi s'ajoutait pour eux un autre souci : la fixation de leurs frontières. Agissant en arbitre plus qu'en médiatrice, la conférence avait, dans ses protocoles, déterminé les limites du nouveau royaume. Le territoire hollandais comprendrait toutes les places, villes et lieux qui, en l'année 1790, appartenaient à la ci-devant République des Provinces-Unies. Le reste du royaume des Pays-Bas, tel qu'il avait été constitué par les traités de 1815, formerait le royaume de Belgique, sauf toutefois le grand-duché de Luxembourg possédé à titre particulier par la Maison de Nassau. Or, contre ce règlement, les Belges n'avaient pas manqué de protester. Ils réclamaient au nom de leur sécurité et comme naturelles frontières, toute la rive gauche de l'Escaut. Ils voulaient pareillement Maëstricht. Ils revendiquaient enfin le Luxembourg qui s'était associé à la révolte contre la Hollande et avait envoyé des députés au Congrès national. Cependant les plénipotentiaires réunis à Londres avaient maintenu leur décision, spécialement pour le grand-duché de Luxembourg. Celui-ci n'avait rien de commun avec la Belgique. Il faisait d'ailleurs partie de la Confédération germanique ; et c'est ce que ne manquait pas d'observer Talleyrand, en signalant le danger de fournir à l'Allemagne un prétexte d'intervention dans les affaires hollando-belges.

On approchait du jour où le Congrès national élirait le souverain. Quiconque connaît les Belges n'ignore pas qu'ils sont susceptibles autant que probes et de commerce sûr. Dans la première ferveur de leur liberté conquise, cette disposition s'était exaltée, et il leur arrivait d'envelopper dans la même défiance la Conférence, l'Angleterre, la France elle-même. Ce qui achevait de les troubler, c'était l'abondance des donneurs d'avis. Il y a à Bruxelles M. Bresson, puis le représentant de l'Angleterre lord Ponsonby, très malveillant pour nous, très pénétré de la vieille rivalité franco-britannique. Il y a à Londres lord Palmerston, les membres de la Conférence, et avec eux Talleyrand très disposé à une bienveillance parcimonieuse envers les Belges, tant il craint un refroidissement de l'alliance anglaise ! Par surcroît, il y a à Paris le général Sébastiani, ministre des Affaires étrangères qui, à part lui, juge Talleyrand bien anglomane ; enfin il y a le roi dont Madame Adélaïde est l'habituelle secrétaire. Tout submergés sous la multiplicité des suggestions, les Belges ne se rappellent-ils pas notre fabuliste : J'en veux faire à ma tête, dit le meunier de La Fontaine. On leur propose des candidats ou inconnus ou impossibles. Deux seuls sont idoines : Nemours, Leuchtenberg, et on leur défend de les élire. A cette défense s'éveille en eux cet esprit de contradiction qui est dans le tempérament de tous les peuples, même les plus sensés. Après tout, se disent-ils, la Belgique est indépendante et les Belges doivent agir en citoyens indépendants. Ainsi arrive-t-il qu'avec une pointe de bravade ils s'affermissent dans le dessein, les uns d'élire Nemours malgré l'Angleterre hostile et la France décourageante, les autres de nommer Leuchtenberg que le roi des Français met en interdit.

Avec toute leur inexpérience parlementaire, mais avec toute la sincérité ardente de leur jeune patriotisme, les Belges, durant six jours, délibèrent. En soutenant la candidature Nemours, déclinée par Louis-Philippe, déclarée par lord Palmerston cause de guerre, ne gardent-ils pas quelque espoir de réussir ? Ce qui est certain, c'est qu'à travers les déclarations françaises, une équivoque vient de se glisser. La France avait, comme on l'a dit, comme agent à Bruxelles M. Bresson. C'était un homme ardent, ne redoutant pas les initiatives, ne craignant point les responsabilités. Très attentif à observer les dispositions du Congrès, il avait vu, non sans alarmes, grandir les chances du duc de Leuchtenberg. Le seul moyen d'enrayer le courant, ce serait de faire circuler de nouveau le nom de Nemours, de laisser entendre à mots couverts, par confidences bientôt divulguées, que la décision du roi des Français était moins irrévocable qu'on ne l'avait cru et que si un vote catégorique lui forçait la main, peut-être sa volonté se laisserait fléchir. M. Bresson, très entreprenant, courut à Paris pour y soumettre ses vues. On ne l'approuva point, on le désapprouva même, mais d'une désapprobation un peu molle qui lui permettrait, quitte à être plus tard désavoué, d'agir à sa guise. Après tout, l'intérêt était grand d'évincer le fils du prince Eugène, et l'enjeu valait bien que de nouveau on mît en vedette Nemours, sans trop rechercher si le choix serait ratifié. Le commissaire anglais, lord Ponsonby, toujours empressé à nous être désagréable, soutenait chaleureusement le duc de Leuchtenberg ; de là, chez M. Bresson, un sentiment d'émulation très excité, et un redoublement de zèle à faire circuler de banc en banc le nom du prince français[19]. Le 3 février dans l'après-midi, les débats furent clos, et sous l'empire d'une intense émotion, on alla aux voix. Au second tour de scrutin, le duc de Nemours fut élu roi des Belges par 97 voix contre 74 au duc de Leuchtenberg.

Quand on connut l'événement, ce fut au Foreign office une grande colère, dans la Conférence un grand tumulte d'entretiens. A Paris, la nouvelle survenait en une heure où le gouvernement français entretenait quelque mauvaise humeur contre la Conférence de Londres et contre l'Angleterre elle-même. On était froissé des protocoles qui, avec une insistance blessante, semblaient soupçonner le désintéressement de la France ; puis on jugeait que ces mêmes protocoles, en déclarant irrévocables les bases de la séparation entre la Belgique et la Hollande, tenaient trop peu de compte des vues des Belges ; et, à cet égard, une certaine mésintelligence régnait entre le ministère français et Talleyrand, préoccupé avant tout de maintenir l'alliance anglaise. Le 4 février dans la matinée, en un entretien avec lord Granville, le général Sébastiani s'était même expliqué sur tous ces points avec quelque amertume : Il s'est montré, mandait Granville à Palmerston[20], ardent, belliqueux, monté sur ses plus grands chevaux. Le même jour, vers cinq heures du soir, on apprit le vote du Congrès. Devant l'offre tentatrice, le roi ne fut-il pas secoué par un suprême tressaillement d'ambition ? S'il subit ce dernier assaut, il en triompha aussitôt. Le soir même, une dépêche envoyée à Londres notifia le refus.

Là-bas, Talleyrand tremblait que la séduction d'un éclatant succès n'ébranlât le roi. Je suis convaincu, écrivait-il dès la première nouvelle du vote[21], que le roi refusera sans aucun retard la couronne offerte au duc de Nemours. Un refus net, spontané, pourra seul retenir l'Angleterre dont l'alliance est sur le point de nous échapper. C'est, ajoutait-il, une question de paix ou de guerre immédiate. Or je trouve, je vous l'avoue, que la Belgique n'est pas assez importante pour lui faire le sacrifice de la paix. Le lendemain, nouveau message non moins insistant. Sur ces entrefaites, la dépêche de Paris arriva, annonçant le refus. Il était sept heures du soir. Délivré de ses craintes, Talleyrand courut au Foreign office. y notifia la nouvelle. Les Anglais charmés déclarèrent en retour qu'ils ne reconnaîtraient pas le duc de Leuchtenberg ; et au lieu de préparer les troupes, au lieu d'armer en guerre les vaisseaux, on se félicita mutuellement pour l'alliance raffermie.

Sur ces entrefaites, arrivèrent à Paris les délégués chargés d'offrir la couronne. Ils étaient dix, choisis parmi les plus considérables : M. Surlet de Chokier, président du Congrès, M. Charles de Brouckère, M. Gendebien et avec eux le comte Félix de Mérode, placé si haut dans l'estime de ses concitoyens que plusieurs d'entre eux l'avaient jugé digne du rang suprême. Comme ils ignoraient encore les communications échangées entre les chancelleries, ils gardaient un reste d'espoir. On leur offrit une hospitalité somptueuse, comme pour adoucir par avance la déception qui les attendait. Cette splendeur d'accueil ne fit que mieux ressortir, par contraste, le spectacle honteux de la rue, car ils arrivèrent juste à point pour assister à l'une des scènes les plus hideuses du règne.

C'était le 14 février. Les légitimistes avaient décidé de célébrer ce jour-là un service anniversaire à Saint-Germain-l'Auxerrois en mémoire du duc de Berry, Le choix de l'église, située au centre même de Paris, le fastueux éclat de la cérémonie, l'attitude hautaine et légèrement provocante de quelques-uns des assistants, tout cela communiquait à cet acte de piété un arrière-aspect de manifestation, mais de manifestation qui, renfermée dans l'enceinte du temple et d'ailleurs silencieuse, ne troublait en rien l'ordre public. Comme le service s'achevait, des bandes, composées non seulement de gens du peuple, mais aussi de bourgeois, envahirent l'église, saccagèrent les autels, foulèrent aux pieds les croix, brisèrent les vitraux et, s'emparant des ornements sacrés, se livrèrent à toutes sortes de profanations. Les dévastations, loin d'assouvir les fureurs, accrurent l'ardeur à détruire ; car le lendemain l'archevêché fut assailli et pillé de fond en comble. Rien ne dépassa le scandale si ce n'est l'inertie de la force publique. Quand enfin elle déploya ses sévérités, ce fut non contre les perturbateurs, mais contre les victimes. Des mandats furent décernés, mais contre qui ? Contre l'archevêque de Paris, contre le curé de Saint-Germain-l'Auxerrois.

Le calme était à peine rétabli quand les délégués du Congrès furent reçus officiellement au Palais-Royal. Ce fut une solennité à la fois pompeuse, cordiale et triste. Après avoir entendu le chef de la députation, le roi invoqua, pour justifier son refus, la rigidité de ses devoirs, l'intérêt supérieur de la paix, nécessaire à la France, à l'Europe, à la Belgique elle-même : Que la Belgique, ajouta-t-il, soit libre et heureuse ! et qu'elle compte toujours sur l'appui de la France pour la préserver de toute attaque extérieure et de toute intervention étrangère. Ainsi s'exprima le roi, avec une émotion qui se communiqua aux assistants, car plusieurs, dit-on, avaient peine à retenir leurs larmes. Dans le langage du roi, vainement eût-on essayé de surprendre un mot qui révélât des hésitations passées. Mais ce qu'il ne livra à personne, ne se le dit-il pas à lui-même ? Roi incontesté et d'hérédité sans brisure, fort d'alliances savamment ménagées, souverain d'un pays non travaillé d'indiscipline et aux forces militaires intactes, peut-être eût-il pu subir à un moindre degré la loi de l'Angleterre, ayant moins besoin d'elle, et réaliser le dessein qui eût marqué la plus éclatante revanche des traités de 1815. La résolution eût-elle comporté l'horrible risque de la guerre ? La chose est peu probable ; car la Russie était occupée à réduire la Pologne, l'Autriche allait être absorbée par les révoltes de l'Italie, et l'Angleterre, privée en partie de l'appui du continent, eût sans doute hésité, se trouvant presque seule, à déployer l'appareil de sa puissance. A Louis-Philippe, mal affermi au dedans, mal assuré au dehors, cette politique de haute allure était interdite, et il devait viser à être sage plutôt qu'à être grand. On doit le bénir d'avoir su proportionner son rôle à sa condition et d'avoir sans déviation, pour le plus grand repos de son peuple, pratiqué jusqu'au bout la sagesse. Mais, en se limitant lui-même avec un sens si juste de sa propre condition, ne sentit-il pas plus d'une fois bouillonner le sang de sa race et n'éprouva-t-il pas, dans le secret de son cœur, l'amer regret que la même conduite qui, sous ses aînés, eût paru simple hardiesse, fût condamnée, sous son gouvernement précaire, à ne se nommer que témérité ?

 

VII

La multiplicité des soucis ne permettait guère les retours rétrospectifs. Se reportant de nouveau vers la politique intérieure, Louis-Philippe s'affermit dans une grande résolution. Il s'est senti plus humilié qu'il ne l'a laissé paraître par le sac de Saint-Germain-l'Auxerrois, par le pillage de l'archevêché. Il vient de remplacer M. Odilon Barrot, préfet de la Seine, M. Baude, préfet de police. Ces actes ne sont que prélude. Maintenant il se sépare de Laffitte et prend pour premier ministre Casimir Périer.

C'est le 13 mars 1831, date à noter dans l'histoire du règne. Casimir Périer, président du Conseil et ministre de l'Intérieur, a des collègues fort distingués : aux Affaires étrangères le général Sébastiani, à la Guerre le maréchal Soult, aux Finances le baron Louis. Mais à quoi bon les nommer ? Affaires du dedans, affaires du dehors, il attire tout à lui.

Nulle équivoque, car il a fait ses conditions, même au roi. Il ouvrira le premier toutes les dépêches ; aucun article ne sera envoyé au Moniteur sans qu'il lui ait été communiqué ; aucune négociation ne s'engagera en dehors de lui ; dans le gouvernement aucune ingérence ne s'exercera venant de la Cour, de la famille royale et en particulier du duc d'Orléans dont par-dessus tout il se méfie. Le roi a écouté un peu ahuri. Son ami Laffitte, l'homme à l'humeur facile et à la séduisante indolence, l'a habitué à un commerce plus doux. Il se résigne pourtant, par patriotisme, par instinct de salut, et dissimulant, s'il en éprouve, ses déplaisirs, il prodigue même, en homme avisé, à son nouveau ministre les marques de confiance et d'affection.

Cette élévation ne provoque aucune surprise, tant le public est familiarisé avec le nom de Casimir Périer ! Sous Charles X, il a siégé dans l'opposition, mais en cette opposition dynastique qui souhaitait, non que la monarchie disparût, mais qu'en attirant à elle les meilleurs éléments du parti libéral, elle s'infusât un sang plus jeune. Les événements de Juillet, quoique favorables à son ambition, l'ont plus troublé que réjoui. Il a jugé, dès le début, que Louis-Philippe ne pourrait s'affermir qu'en contenant la révolution d'où son pouvoir était sorti. Ainsi a-t-il conquis la première place dans le parti que, par opposition au parti Laffitte, on appelait alors le parti de la résistance.

En lui, beaucoup de lacunes, et ses meilleurs amis ne les déguisaient point. Une culture générale médiocre ; peu d'instruction ; peu de lectures ; une parole souvent embarrassée et qui n'atteignait l'éloquence qu'à force d'être impérieuse. En un discours demeuré fameux, Royer-Collard a dit de lui : Il était éclairé de ces lumières supérieures qui sont la partie divine de l'art de gouverner. En ce jugement formulé sur une tombe, n'y a-t-il pas quelque faveur ? Ce qui, dans l'exercice de ses fonctions, manquerait précisément à Casimir Périer, ce serait l'élévation des vues, la sollicitude à restaurer les forces morales affaiblies, Comme s'il eût eu le pressentiment que son passage au pouvoir sera de courte durée, sa vigilance se portera surtout sur l'ordre matériel, et sa principale ambition sera d'assurer l'heure présente.

Mais combien, en cette tâche restreinte, ne déploie-t-il pas d'activité ! S'il néglige de regarder très haut et très loin, comme il excelle à balayer la rue ! Au rôle tout passager mais sauveur que la Providence lui réserve, il semble qu'il soit prédestiné par toutes les tendances de sa nature. Il a l'indomptable volonté qu'aucun obstacle n'arrête, le courage que n'effraie aucun péril, l'esprit de décision que n'alourdit aucune de ces subtilités de raisonnement si funestes aux purs intellectuels quand ils se fourvoient dans la politique. Ses qualités lui servent, et plus encore, ses défauts. Les assemblées politiques sont généralement un peu flottantes, disposées à se dresser contre qui les ménage à l'excès, toutes prêtes à subir l'emprise de qui sait les subjuguer : or, Casimir Périer est dominateur à souhait. Un autre de ses défauts, la colère, n'est pas moins bienfaisant : il a une façon si violente de prêcher l'ordre que jamais on n'a exhorté au désordre en termes plus véhéments ; sous ses objurgations, l'auditoire tremble, et comme les hommes sont à l'ordinaire timides, il réduit par peur ceux qu'il n'entraîne pas par persuasion. Il tire avantage de tout, même de son mauvais caractère : comme il est généralement difficile et cassant, on lui sait gré de ses moindres retours de belle humeur, et il ramène d'autant plus par ses rares prévenances que celles-ci sont plus inattendues. Comment qualifier l'empire qu'il exercera ? Ce n'est point cette autorité souveraine qui naît de la sagesse continue et maîtresse d'elle-même. C'est une sorte d'ascendant à la fois salutaire et brutal, fait d'intimidation, fait aussi du sentiment profond que le bien de la chose publique exige cette énergie. Et cet ascendant, Casimir Périer va l'exercer sur tout le monde, sur la Chambre qu'il fascine, qu'il dédaigne et qu'il pétrit sous sa main, sur les fonctionnaires qu'il malmène et qu'il protège, sur ses collègues que parfois il se hasarde à traiter en commis. Le roi lui-même n'échappe point à l'emprise, et je n'en veux d'autre preuve que l'ardeur, à la fois obstinée et un peu puérile, avec laquelle il se défendra plus tard de l'avoir subie.

Le 18 mars 1831, cinq jours après son entrée aux affaires, voici Casimir Périer, développant devant la Chambre les lignes principales de son programme. Sur les événements de Juillet, il a sa glose à lui. Il n'y faut pas voir, dit-il, une insurrection, mais bien plutôt une protestation armée contre les mesures illégales décrétées par le roi Charles X. La révolution, ajoute-t-il, a fondé un gouvernement, elle n'a pas inauguré l'anarchie. Elle n'a point bouleversé l'ordre social, elle n'a touché que l'ordre politique : elle a eu pour but l'établissement d'un gouvernement libre, mais régulier. Et il résume sa pensée : A l'intérieur, nous voulons l'ordre fondé sur l'observation de la Charte ; à l'extérieur nous voulons sauvegarder, en même temps que la dignité de la France, la paix. Ainsi s'exprime-t-il. Les mêmes pensées ont été souvent développées, mais point avec cet accent de commandement souverain. Et ici l'accent, c'est tout.

Toute la politique de Casimir Périer s'inspire de ces pensées. Pour mieux assurer la paix de la rue, il fait voter, dès le mois d'avril, une loi qui permet, après trois sommations, de disperser par la force les attroupements. Peu confiant dans la garde nationale, il y mêle la troupe de ligne et la police. Le mot d'ordre est la fermeté contre les émeutes, mais avec des moyens proportionnés à leur gravité : c'est ainsi qu'un jour, de simples pompes à incendie noient sous un torrent d'eau un rassemblement tumultueux. Cependant les regards de Casimir Périer ne se détournent pas de la Chambre. Il semble qu'elle figure un mandat périmé ; car elle a été élue quand Charles X régnait encore, et sous une législation aujourd'hui changée par l'abolition du double vote et par la réduction à 200 francs du cens électoral. Le 31 mai, une ordonnance royale la dissout : le 5 juillet les collèges électoraux se rassemblent ; le 23 juillet les élus se réunissent au Palais-Bourbon. Il y a 200 députés nouveaux, et sur leurs dispositions règne quelque incertitude. Dans le discours que le roi doit prononcer à l'ouverture de la session, Casimir Périer insère des paroles inaccoutumées de fermeté : En m'appelant au trône, dit le prince, la France a voulu que la royauté fût nationale, elle n'a pas voulu que la royauté fût impuissante. Un gouvernement sans force ne convient pas à une grande nation. Les députés entendront-ils ce langage ? Il semble que, parmi eux, se manifeste quelque velléité d'opposition. Comme ils ont à choisir un président ils donnent à Laffitte 176 voix contre 181 à Girod de l'Ain qui est le candidat du ministère. Une majorité si précaire semble, non sans raison, à Casimir Périer signe de défiance. Brusquement, brutalement, il donne sa démission et ne la retire que sous la menace d'une complication extérieure qui, en ce moment, surgit. Mais il se trouve que cette politique hautaine a mieux réussi que n'eussent fait les ménagements. La Chambre revient à lui, intimidée par cette intransigeance et sentant d'ailleurs que la vraie sagesse est de subir ce maître à la fois incommode et sauveur. Les débats de l'Adresse s'achèvent : elle est votée par 282 voix contre 73. C'est le triomphe de Casimir Périer et la définitive consolidation de son pouvoir.

Dans la politique extérieure, la conduite du premier ministre n'est pas moins ferme. Son procédé habituel consiste à affirmer la paix, mais à l'affirmer avec une fierté si péremptoire que la politique guerrière n'eût point parlé autrement. Cette manière, quoique un peu insolite, ne déplaît pas aux diplomates qui, sous l'impérieuse énergie des accents, devinent une volonté fermement pacifique. Elle agrée bien plus encore au public français, ravi que le même langage attentif à écarter les risques de guerre, se revête de formes où l'amour-propre national trouve son compte.

Cette politique résolue se révéla bien en un incident, aujourd'hui un peu oublié, mais suggestif. En Portugal, sous la tyrannique domination de Dom Miguel, plusieurs de nos résidents, deux surtout, avaient été victimes d'indignes traitements. A plusieurs reprises, notre gouvernement avait exigé des réparations, semblables à celles qui, pour de pareils griefs, avaient été consenties récemment à l'Angleterre. Comme il n'obtenait rien, une escadre fut armée, força le 8 juillet 1831 l'entrée du Tage, fit prisonnière la flotte portugaise, obligea Dom Miguel à fournir les satisfactions demandées.

Cette démonstration hardie n'est qu'épisode. Dans le même temps, la sollicitude du premier ministre devait se porter sur trois points à la fois : la Pologne, en pleine insurrection, la Belgique, aux destinées non encore fixées, l'Italie où une double tâche s'imposait à nous, celle de contenir l'influence de l'Autriche sans fournir de gages à la révolution.

 

VIII

A propos de l'insurrection de Pologne qui avait éclaté le 29 novembre 1830, Talleyrand écrivait de Londres, le 21 décembre au général Sébastiani : Les événements survenus en Pologne m'ont rappelé ce que, bien jeune encore, j'avais éprouvé avec toute la France lors du premier partage de ce pays. Il est impossible d'oublier l'impression qu'il produisit dans le siècle dernier. La politique de la France en fut flétrie... Aujourd'hui je crois que, sans troubler la paix, il est possible, avec l'appui de l'Angleterre, de faire, en choisissant bien le moment d'offrir notre médiation, tourner les derniers événements de Pologne à l'avantage de l'Europe[22].

Ce jugement m'a paru bon à rappeler, Si la cause de l'infortunée nation réussissait à émouvoir même le froid et positif Talleyrand, quel ne devait pas être le sentiment des masses !

En France, le seul nom de la Pologne éveillait le souvenir d'une mémorable iniquité non vengée. Au remords se mêlait la reconnaissance pour les soldats valeureux qui, aux bords de la Vistule, s'étaient rangés jadis sous les drapeaux de Napoléon. Peuple français, peuple polonais, se sentaient, par une attraction séculaire, portés naturellement l'un vers l'autre, tant ils se reconnaissaient en leurs qualités, en leurs défauts aussi ; et les sympathies s'étaient accrues par tout ce que l'éloignement, en exaltant les imaginations, prête parfois de chaleur à l'amitié. De nombreux émigrés, chassés de leur pays par les vexations moscovites, s'étaient fixés en France : répandus dans les salons, les bureaux de journaux, les associations politiques, ils ne laissaient rien ignorer de leurs griefs, et le plus souvent y ajoutaient tous les grossissements familiers au malheur et à l'exil. La cause polonaise avait cette singulière fortune de rallier tous les partis : les révolutionnaires par espoir de perturbation, les libéraux par horreur du despotisme, les patriotes par un certain goût — fût-il platonique — de démonstrations belliqueuses, les catholiques par opposition à l'Église schismatique, certains politiques enfin, par la conviction que la Pologne reconstituée serait la meilleure des barrières contre les envahissements russes.

La guerre violente et implacable n'éclata pas tout de suite. Quand le premier feu de l'insurrection se fut un peu refroidi, les moins exaltés des patriotes se flattèrent d'obtenir, par concession bénévole du tsar, ce qu'il serait bien risqué de revendiquer par les armes. On reconnaîtrait l'autorité russe, mais sous le bénéfice d'institutions autonomes, et tout au moins de retour aux stipulations de 1815. Un dictateur fut choisi, le général Chlopicki ; des délégués partirent pour Saint-Pétersbourg. Cette conduite était la modération ; était-elle la sagesse ? L'insurrection n'avait quelque chance que par la soudaineté et la surprise. On l'énervait en en brisant l'élan, tandis qu'on laissait aux Russes le temps de concentrer et d'avancer leurs armées.

Comme on pouvait s'y attendre, les pourparlers furent vains. L'empereur, voyant dans les Polonais des rebelles, voulait avant tout la soumission et n'assurait que de sa clémence. Désespérant de toute négociation, les Polonais publièrent, à la face de l'Europe, leurs griefs ; puis le 25 janvier 1831, la Diète proclama la séparation d'avec la Russie et la pleine indépendance nationale.

Alors la lutte s'engagea, sombre par l'hiver, cruelle par le sang versé, non moins sinistre par le choléra qui bientôt s'étendit de l'armée russe à l'autre armée, impitoyable enfin par l'emportement des passions contraires ; car les Russes détestaient les Polonais autant que les Polonais détestaient les Russes. Ce qu'on pouvait saisir de nouvelles n'éclairait que mal les péripéties des combats, car à Saint-Pétersbourg on supprimait tout ce qui était défavorable aux Russes, et à Varsovie tout ce qui pouvait marquer un déclin dans les chances des Polonais. Le maréchal Diebitsch commandait les forces russes. Le 19 février 1.831 et les jours suivants, de terribles combats se livrèrent autour de Grochow : il n'y eut de certain que la grandeur des pertes. Dans les temps qui suivirent, quelques brillants faits d'armes surexcitèrent le courage des insurgés et beaucoup d'illusion aidant, ils s'abandonnèrent à l'espoir que l'Europe ne les laisserait pas périr.

En prêtant l'oreille du côté de l'Occident, du côté surtout de la France, ils percevaient, en effet, la rumeur de bruyantes sympathies. Dès le 27 janvier, comme le ministère Laffitte durait encore, M. Manguin interpella le gouvernement sur les affaires polonaises. Hélas ! l'ardeur des désirs n'avait d'égale que leur impuissance. J'ai lu la correspondance diplomatique déposée au ministère des Affaires étrangères. Rien de plus décevant.

L'empereur Nicolas ne doute point que la révolution polonaise ne soit, comme il le dit lui-même, fille de la révolution de Juillet : de là une défiance profonde contre toute suggestion venue de France. Le 8 décembre, à l'une de ces parades habituelles sous la monarchie militaire des tsars, il aperçoit notre chargé d'affaires, M. de Bourgoing : Je sais, lui dit-il obligeamment, combien vous êtes affligé de tout ce qui se passe ; mais il ne peut se défendre d'ajouter en un ton de reproche : Voilà ce qui arrive quand on a commencé[23]. Et sur les lèvres de M. de Nesselrode M. de Bourgoing recueille les mêmes impressions : Ne pourriez-vous pas, lui dit le chancelier, imposer le silence à vos journaux ?

A Paris, l'on se persuade que le duc de Mortemart, ambassadeur de France en Russie sous Charles X et très en crédit auprès de l'empereur, aura peut-être plus d'autorité et, au commencement de janvier, on l'invite à rejoindre son poste. C'était pendant cette sorte de trêve entre la première émeute de Varsovie et le grand soulèvement. Avec quels euphémismes de langage, avec quelles précautions raffinées, sont dosées ses instructions, on en jugera par les lignes suivantes : Pour la Pologne, notre seul désir est que la tranquillité puisse se rétablir par des voies de conciliation et sans effusion de sang. Si nous pouvions contribuer à ce résultat par quelques démarches, nous le ferions avec empressement ; mais cette intervention toute amicale ne saurait avoir lieu que si la Russie, non seulement y consentait, mais paraissait la souhaiter. Nous n'avons d'autre désir que celui de l'humanité[24].

Le duc de Mortemart partit — sans grand entrain, semble-t-il. Son voyage fut long et pénible, a travers les neiges parfois si épaisses que lui-même, un jour, dut aider ses gens à dégager sa voiture. Dans l'intervalle, le fugitif espoir d'entente s'était évanoui et la terrible guerre avait commencé. A la frontière du grand-duché de Posen, l'ambassadeur rencontra un émissaire du prince Czartoryski : Les Polonais, dit l'envoyé en un ton de supplication éperdue, demandent à la France sinon des hommes, au moins des armes, de l'argent, des officiers. — Mais ce serait l'intervention, interrompit Mortemart. — C'est l'intérêt de la France de nous soutenir ; nous constituons la barrière contre la Russie ; donnez-nous pour nous commander un des lieutenants de Napoléon. — C'est impossible. — Du moins plaidez notre cause à Saint-Pétersbourg. — Cela, je le ferai volontiers, répliqua l'ambassadeur avec plus de bonne volonté que d'espoir. Et le messager disparut, tandis que Mortemart continuait sa route[25].

Quelques jours plus tard, il était à Saint-Pétersbourg. Le 14 février, il fut reçu par l'empereur. Aussitôt, il put s'apercevoir que si son crédit personnel était demeuré le même, son influence politique s'exercerait en vain. Loin d'écouter, le tsar se plaignit des Polonais et observa, non sans amertume, que l'un des délégués venus à Saint-Pétersbourg en négociateur n'était retourné dans son pays que pour se jeter dans l'insurrection[26].

Soit reste d'illusion, soit déférence pour le vœu public, le général Sébastiani, ministre des Affaires étrangères ne se découragea point. Je note, aux dates des 28 février, 9 mars. 22 mars 1831, trois dépêches où il se fait l'avocat de la Pologne. Mais quel succès pouvait-il espérer quand en France les journaux se refusaient à insérer les bulletins ou les communications d'origine russe, quand les propos tenus dans les lieux publics débordaient de haine pour le gouvernement du tsar. Le 9 mars, sur la rumeur d'un revers polonais, on avait vu des jeunes gens briser des vitres à l'ambassade russe et promener dans Paris un drapeau voilé de crêpe.

Nouvelles dépêches de Sébastiani, le 15 mai, le 5 juin. Celle-ci, un peu moins melliflue qu'à l'ordinaire, parle des stipulations de 1815 qui ont consacré le royaume de Pologne et sont entrées dans le droit public européen. Mais cette insistance ne réussit qu'à blesser. Un jour, le 28 mai, le Journal de Saint-Pétersbourg publie contre la France un article méprisant jusqu'à l'insulte : un peu plus tard, Nicolas, en une sorte de harangue qu'il adresse au peuple amassé autour de sa voiture, confond dans une même réprobation les brouillons de France et les brouillons de Pologne[27]. Cependant Mortemart, découragé, laisse s'accumuler sur son bureau les dépêches de Paris : il aura, dit-il, quelque peine à voir l'empereur qui est à Peterhof. Comme pour faire diversion, il se répand en détails sur le choléra qui vient de fondre sur Saint-Pétersbourg et y répand une terreur indicible. Par obéissance, il hasarde, vers le milieu de juin, une nouvelle communication, mais qui ne fait — ce sont ses propres expressions qu'exciter l'humeur. Pendant ce temps la guerre fait rage entre les Russes exaspérés et les Polonais héroïques, mais à bout de force et qui, sentant la France impuissante, l'Angleterre froide, l'Autriche hostile, la Prusse ouvertement complice du tsar, ne combattent plus que pour retarder leur inévitable destin.

En France, dans l'entrefaite, la Chambre a été dissoute. Les électeurs sont convoqués pour le 5 juillet, la session s'ouvrira le 23 ; et à tout prix, il faut se donner l'air d'avoir fait quelque chose d'efficace pour l'infortunée nation amie. Cette fois, le gouvernement français imagine d'associer dans une médiation amicale l'Angleterre à la France. A Londres, on ne refuse pas positivement, mais avec la conviction qu'il n'y a rien à tenter. Et cette indifférence glacée, qui se dissimule encore au Foreign office sous un semblant de sympathie, se traduit sans déguisement à Saint-Pétersbourg dans le langage de lord Heytesbury, l'ambassadeur britannique : Il n'y a rien à faire, dit-il au duc de Mortemart ; et plus tard il parlera de même en un entretien avec M. de Bourgoing.

Mortemart n'aspire plus qu'à se décharger de son ingrate ambassade. L'empereur l'évite. Quant à Nesselrode, son langage devient presque discourtois. Le 28 juillet, notre représentant, en un long entretien avec lui, lui explique que l'Europe a besoin, pour sa tranquillité, que le ministère Périer se consolide, et qu'il ne se consolidera que s'il peut donner aux Chambres quelques assurances en faveur de la Pologne. Et Nesselrode de répondre : Nous ne voulons ni intervention ni bons offices dans les affaires de Pologne ; elles ne regardent que nous.

Presque à l'heure où M. de Mortemart recueillait sur les lèvres du chancelier ces dures paroles, Louis-Philippe, en ouvrant la session des Chambres, parlait, en s'appliquant à voiler l'échec, de ses efforts pour assurer à la Pologne cette nationalité qui a résisté au temps et à ses vicissitudes. Et les députés, à leur tour, inscrivaient le même vœu dans l'Adresse en réponse au discours de la Couronne. On discuta même avec beaucoup d'ardeur si le vœu se formulerait sous la forme d'une certitude, d'une assurance ou d'un simple espoir, et, après de très vifs débats, le mot d'assurance prévalut. Mais pour qui combattait sur les rives de la Vistule, qu'importaient ces querelles de mots et ces vaines consolations ? Je n'ai pas le courage de raconter ce qui suivit : les Polonais héroïques, mais épuisés, l'excès du malheur provoquant entre eux la désunion, leur capitale ensanglantée par la guerre civile avant de l'être par les proscriptions, les Russes sur la rive gauche de la Vistule, les derniers combats, et, le 8 septembre, Varsovie capitulant. Des antiques institutions polonaises, des stipulations même de 1815 presque rien ne resterait ; et une amnistie serait proclamée qui ne rassurerait tout à fait que les innocents.

 

IX

Tous les efforts en faveur de la Pologne avaient été vains. Tout autre en Belgique était notre condition, et la même politique, vouée à Saint-Pétersbourg à un échec inévitable, pouvait s'exercer efficacement sur notre frontière du Nord.

Si digne de sollicitude que fût l'entreprise, elle ne se poursuivait ni sans à-coups, ni sans mécomptes.

Les délégués envoyés à Paris étaient revenus en leur pays, confirmant l'échec de la combinaison Nemours. Le Congrès de Bruxelles avait nommé pour régent son président, M. Surlet de Chokier. C'était une mesure toute provisoire qui ne marquait rien autre chose que l'embarras où l'on se débattait. Les Belges, si confiants jusque-là envers la France, commençaient à se détacher d'elle. Ils observaient, non sans amertume, que le gouvernement français, en frappant d'interdit la candidature Leuchtenberg et en déclinant la candidature Nemours, leur nuisait par ses volontés négatives presque autant qu'il n'eût pu le faire par une malveillance ouverte. — Que si, de Paris, ils se tournaient vers Londres, leur mécontentement était plus vif encore. Là-bas, entre le Congrès de Bruxelles et la conférence qui siégeait au Foreign office, un vrai conflit se prolongeait pour la fixation des frontières. Avec obstination et en dépit des protocoles, les Belges réclamaient la rive gauche de l'Escaut, le Limbourg, le Luxembourg.

Il eût été inouï que cette disposition chagrine et désabusée n'entraînât point à Paris et à Londres des dispositions pareilles. — A Paris, le roi et ses ministres estimaient. en dépit de leurs sympathies, qu'ils avaient à Bruxelles des clients bien exigeants. — A Londres, la désapprobation se déguisait moins encore. et c'était dans le monde diplomatique une clameur générale contre ces Belges qui, ayant été si favorisés par la fortune et si chaleureusement secondés par leurs amis, se montraient vraiment insatiables. Un homme d'État de ce pays, le comte d'Arschot, étant venu de Bruxelles à Londres avec des lettres de créance du régent, Palmerston le reçut avec des formes presque discourtoises Tant que vos compatriotes, lui dit-il, continueront à traiter la conférence d'une façon aussi peu convenable, il me sera impossible de vous recevoir à titre officiel au Foreign office[28]. Ayant cherché auprès de Talleyrand un peu de réconfort, M. d'Arschot trouva, bien qu'avec plus de ménagements, à peu près le même accueil. La Belgique d'aujourd'hui, lui dit Talleyrand[29], est la Belgique de 1790, plus le territoire de l'évêché de Liège ; qu'elle se contente de ces avantages inespérés et qu'elle ne trouble pas le repos de l'Europe.

Les Belges poursuivaient un double but : se pourvoir d'un roi : fixer, suivant leur ambition, leurs frontières. Par lequel de ces deux objets convenait-il de commencer ? Ils se persuadèrent que le plus pressé était de s'assurer un chef qui serait, pensaient-ils, l'organe autorisé de leurs vœux.

Dès le mois de décembre, un nom avait été prononcé, celui du prince Léopold de Saxe-Cobourg, veuf de la princesse Charlotte et naguère candidat au trône de Grèce. A Paris, la suggestion avait d'abord été accueillie sans faveur, le prince étant trop lié à l'Angleterre et étant d'ailleurs protestant, ce qui convenait peu pour gouverner la catholique Belgique. Il pourrait épouser une des filles du roi, avait observé, toujours flegmatique, M. de Talleyrand. Découragés de leurs démarches inutiles, les Belges se tournèrent vers lui. Au mois d'avril 1831, quatre délégués du Congrès se rendirent à Londres pour sonder ses dispositions. A l'offre du trône Léopold fut loin de répondre par un refus ; mais une objection s'échappa de ses lèvres : Qu'on me dise d'abord sur quel territoire je dois régner. Et, en effet, disait ironiquement Palmerston, ce qu'on propose au prince de Saxe-Cobourg, c'est moins une couronne qu'une querelle avec l'Europe entière[30].

Donc on se remit à débattre de nouveau dans la Conférence cette fastidieuse question des limites. Les délégués venus à Londres s'étaient montrés très raisonnables ; mais dans le Congrès de Bruxelles s'agitaient toutes les passions d'un peuple jeune, susceptible, inexpérimenté, et jaloux avant tout de ne paraître obéir à personne. Le 10 mai, les plénipotentiaires de la Conférence impartirent au gouvernement belge un délai jusqu'au le juin pour accepter les bases de séparation fixées par les protocoles. Le 4 juin, le Congrès belge élut le roi Léopold, mais sans se plier encore aux décisions formulées à Londres. La Conférence rédigea alors un projet de traité entre la Belgique et la Hollande, traité en dix-huit articles[31], qui reproduisait à peu près le protocole du 20 janvier, mais en laissant aux Belges l'espoir d'obtenir, par arrangement ou échange, quelque amélioration dans l'État territorial. C'était le 26 juin. Après de longs débats, les Belges se résignèrent et le 9 juillet, à la majorité de 126 voix contre 70, adoptèrent le traité. Il ne restait plus à Léopold qu'à prendre possession de ses États. Il fit le 21 juillet 1831 son entrée solennelle à Bruxelles.

La France avait avec le plus loyal dévouement aidé le nouveau royaume. Elle n'était pas au bout de ses services, car elle allait le sauver d'une crise où peut-être il eût péri.

Le roi de Hollande avait espéré jusqu'au bout que les divergences entre les plénipotentiaires de Londres et le Congrès ne permettraient pas en Belgique un établissement durable. Il ne pouvait se persuader que le tsar Nicolas et le roi de Prusse, l'un et l'autre ses parents, le laisseraient dépouiller. Dans cet esprit, il S'appliquait, à tout événement, à entretenir, à accroître même ses forces militaires ; et, non sans complaisance, il les comparait aux troupes et aux gardes civiques belges qui n'étaient qu'embryon d'armée. L'élection de Léopold l'avait cruellement déçu. L'entrée triomphale du prince à Bruxelles avait achevé de l'exaspérer. De là chez lui une résolution brusquée plutôt que brusque — car il la méditait depuis longtemps — celle de recouvrer par force les belles provinces détachées de son empire. L'armistice qui durait depuis huit mois n'était que provisoire. Le fer août, en une dépêche à la Conférence de Londres, le roi de Hollande le dénonça ; puis il fit connaître aux autorités belges que le 4, il rouvrirait les hostilités.

Léopold était à Liège quand lui parvint la grave nouvelle. Sa condition apparaissait singulière. Il avait failli être associé comme prince consort à la royauté d'Angleterre, et la mort de la princesse Charlotte avait dissipé cet espoir. Il avait failli être roi de Grèce et avait laissé échapper la couronne. Il venait d'être élu roi des Belges ; si de ce haut rang à peine conquis, il devait tout à coup descendre, ce serait le signe que son destin l'appelait à frôler, sans pouvoir les retenir, les suprêmes grandeurs. Il était — bien qu'au début quelques-uns eussent jugé le contraire — homme d'expérience, de résolution et de sagesse. Sentant sa propre faiblesse, il s'adressa à la Conférence ; il s'adressa à l'Angleterre, sa patrie d'adoption ; mais surtout — par-dessus tout — il s'adressa à la constante, à la fidèle amie de la Belgique : la France.

Sa confiance en nous ne fut pas trompée. Le 4 août, au point du jour, le message arrivait aux Tuileries. La nouvelle ne surprit qu'à demi ; car depuis quelque temps, on craignait une incartade du souverain hollandais[32]. Le roi convoqua ses ministres. Il était grave, mais résolu. Dès son avènement, il avait proclamé comme règle qu'il n'interviendrait pas dans les affaires des autres États, mais que certaines contrées telles que la Belgique, la Savoie, le Piémont lui apparaissaient comme zone neutre et que toute occupation de ces territoires par une force étrangère serait suivie d'une occupation pareille de la part de la France. C'était l'heure d'appliquer ces maximes. Avec une calme hardiesse et dans le haut sentiment de sa souveraine responsabilité, Louis-Philippe décida que, sans perdre une heure, la France se porterait au secours de la Belgique[33]. A l'unanimité les ministres approuvèrent. Casimir Périer venait, à la suite de l'élection à la présidence de la Chambre, de donner sa démission. Devant le péril, il la retira aussitôt. Une armée, forte de quatre divisions, sous le commandement du maréchal Gérard, franchirait immédiatement la frontière belge. A quatre heures du soir, un supplément du Moniteur annonça la grave nouvelle.

Un incident faillit encore tout gâter. Au dernier moment, les plus chatouilleux parmi les Belges s'avisèrent que la Constitution défendait l'entrée de troupes étrangères sur le territoire national, et ce malencontreux formalisme engendra des retards plus malencontreux encore. L'urgence du danger dissipa ce scrupule, fait tout ensemble de jactance et de superstition légale. Les Belges, mal armés, dépourvus de toute expérience militaire, ne réussirent pas, bien que très braves, à se défendre contre leurs ennemis, et ceux-ci arrivèrent à quelques lieues de Bruxelles. Alors se renouvela — et cette fois avec quelle énergie — l'appel à la France. Heureusement notre armée était prête et, le 9 août, avait franchi la frontière. Devant la perspective d'une lutte avec la France, devant les avis comminatoires de la conférence de Londres, le roi de Hollande se décida à ramener ses troupes sur son propre territoire. Il se retira, cruellement mortifié de l'entreprise avortée, mais gardant une satisfaction, celle d'avoir vu fuir devant lui ceux qu'il appelait les misérables Belges.

La crise était conjurée, et beaucoup plus vite qu'on eût pu l'espérer. Jamais plus qu'en ce temps-là on ne parla de guerre, mais jamais avec un plus vif désir de ne point s'y engager. On eût dit des grondements de tonnerre suivis presque aussitôt de rassurants arcs-en-ciel. Ayant accompli leur tâche, les troupes françaises se replièrent, ainsi qu'il avait été convenu avec la Conférence de Londres ; et celle-ci de se remettre au travail avec une méritoire patience pour chercher les termes d'un compromis qui ne révolterait point l'amour-propre belge, qui ne déplairait pas trop à la Prusse et à la Russie, qui réaliserait les vœux de la France et de l'Angleterre. De ces patients remaniements sortit un nouveau projet de traité. Il se développait en vingt-quatre articles, au lieu de 9C resserrer en dix-huit comme le précédent. Il s'offrait sous un aspect un peu moins avantageux pour les Belges, en ce sens que ceux-ci ne retrouvaient plus les perspectives d'arrangement ou d'échange propres à entretenir de séduisantes espérances. Malgré tout, il ne laissait pas que d'être fort acceptable pour eux : car, s'ils perdaient Maëstricht et une partie du Limbourg, ils obtenaient une partie du Luxembourg. Le 15 novembre, le Parlement belge accepta le traité[34]. A l'adhésion de. la France et de l'Angleterre s'ajoutèrent, mais plus tard, celle des trois empires centraux. Quant au roi de Hollande, il se refusa à rien ratifier et, jugeant inexistants vis-à-vis de lui les arrangements de Londres, continua à occuper la citadelle d'Anvers.

Une convention du 14 décembre 1831 décida le démantèlement d'une portion des forteresses élevées en 1815 contre nous. A la suite de ses actives démarches et de ses longs efforts, la France n'obtiendrait-elle pas à Bon profit quelque autre révision des traités ? Talleyrand, obéissant aux suggestions de son gouvernement plus encore qu'à ses sentiments personnels, avait plus d'une fois sondé à cet égard lord Palmerston. Avec une dureté péremptoire, le chef du Foreign office avait repoussé ses insinuations. Il ne faut pas, écrivait-il à Granville, que la France reprenne un nouveau système d'agrandissement et de conquête. Cependant Louis-Philippe eût souhaité que la France recouvrât tout au moins la frontière de 1814, c'est-à-dire Philippeville et Marienbourg. La cession de ces deux places en 1815, écrivait-il à Talleyrand le 16 décembre, est une plaie toujours saignante pour nous. — Marienbourg, ajoutait-il dix jours plus tard, n'est qu'une misérable bicoque dont la superficie est la même que celle du parterre des Tuileries (2)[35]. A ces ouvertures, Palmerston avait déjà répondu : Nous ne céderons rien, pas même la dimension d'une vigne ou d'un potager. Ainsi se manifestait un avant-goût des dispositions que cet homme d'État devait si souvent manifester envers la France. Talleyrand n'insista pas, jugeant qu'il y aurait peu de dignité à discuter pour ces misères et voulant avant tout maintenir l'accord avec Londres. Quels que fussent ces froissements, l'affaire de Belgique se terminait pour nous avec assez d'avantages pour que nous puissions en être fiers. Les traités de 1815 avaient reçu, par le démembrement du royaume des Pays-Bas, une mortelle atteinte. La création d'un État neutre assurait notre frontière du Nord. Pour gouverner cet État, un prince sage venait d'être élu, et qu'une alliance de famille rattacherait bientôt à la France. Les nations, a-t-on dit, sont rarement reconnaissantes la Belgique le fut et, quatre-vingts ans plus tard, en une circonstance inoubliable, elle se rappela que, dans le laborieux enfantement de sa nationalité, nous avions été les premiers, les plus zélés coopérateurs de son affranchissement.

 

X

En même temps que la Belgique et la Pologne, l'Italie s'agitait.

Ramenés en 1815 sous la domination de leurs princes, les Italiens ne s'étaient replacés ni sans regrets ni sans révoltes secrètes dans le cadre désuet où ils avaient si longtemps vécu. La Révolution française avait déposé en eux des germes d'émancipation qui ne s'étaient point éliminés. Puis l'administration napoléonienne, à la fois régulière et centralisée, leur avait communiqué un certain goût d'ordre et d'unité qui s'harmonisait mal avec la routine des régimes restaurés et avec l'extrême morcellement des territoires. Enfin un sentiment s'était éveillé qui bientôt s'exalterait jusqu'à la passion, celui de l'indépendance nationale de là une antipathie profonde contre l'Autriche, maîtresse du royaume lombardo-vénitien, et étendant par ses alliances de famille son patronage sur toute l'Italie centrale.

Les plus ardents s'étaient enrôlés en des sociétés secrètes. Celles-ci n'étaient point en elles-mêmes très redoutables, et les vrais conspirateurs n'étaient que poignée. Mais partout régnaient, à l'état plus ou moins latent, l'aspiration au changement, et par-dessus tout le reste, le désir, bien vague encore, de transformer en nation ce qui n'était que poussière d'États. Il arriverait donc que, si une révolte éclatait, elle triompherait non par ses propres forces, mais par la complaisance de tous ceux qui, attirés — fût-ce à leur insu — vers l'avenir, laisseraient tomber, sans les défendre, des institutions périmées.

En cet état des esprits, la révolution de Juillet agit à la manière d'une vive étincelle sur un foyer sommeillant. Tout concourut à surexciter : les discours belliqueux prononcés à la tribune française par les orateurs de la gauche ; les correspondances des émigrés italiens très nombreux à Paris et promettant, en cas de révolte dans la péninsule et d'intervention autrichienne, le secours de la France ; les suggestions mêmes de quelques-uns de nos agents consulaires très inféodés au parti de la révolution.

En dépit des excitations, la Toscane demeura paisible et pareillement le Royaume des Deux-Siciles. Même calme en Piémont, bien qu'en ce pays un singulier contraste régnât entre les habitudes d'ancien régime qui rapprochaient de Vienne et les aspirations patriotiques qui soufflaient la haine contre l'Autriche. En revanche, dans cette partie de l'Italie centrale qui s'étend au sud du Pô et à l'est des Apennins, tout était prêt pour l'insurrection.

Elle éclata le 3 février 1831 à Modène et contraignit le duc François d'Este à se réfugier à Mantoue. Quelques jours plus tard, elle se propagea dans Parme où régnait l'ex-impératrice Marie-Louise. C'était, a dit d'elle M. de Barante, une excellente femme, aimant une vie tranquille et qui se souvenait seulement que, dans sa jeunesse, elle avait passé quelques années en France. La princesse eut, quoique ne le méritant pas, le sort du duc de Modène. Cependant l'État pontifical, taillé de forme bizarre, et coupant en deux l'Italie, s'allongeait du sud-ouest au nord-est depuis les rivages de la Méditerranée jusqu'aux bords du Pô et jusqu'à Ferrare. A Rome, le peuple, quoique murmurant parfois contre la domination des papes, jouissait, somme toute, d'un sort enviable : très peu d'impôts, nulles charges militaires, des fêtes religieuses incomparables, l'orgueil d'une cité sans pareille, en outre, tous les bénéfices provenant des étrangers : ainsi arrivait-il qu'à chaque crise de désaffection succédait, pour les souverains pontifes, un retour de popularité. Tout autre était la condition à l'est des Apennins, c'est-à-dire dans les Romagnes et les Marches. En ces contrées gouvernaient, comme mandataires du pape, des légats, — de là le nom de Légations, — personnages ecclésiastiques souvent très inaptes aux affaires séculières, très dépouillés du prestige qu'exerçait dans la ville éternelle le Souverain Pontife, et appelés, par surcroît de malchance, à régir des populations qui étaient parmi les plus indociles de l'Italie. Dans ces provinces, l'esprit de révolte régnait à l'état endémique. Le lendemain du jour où Modène avait accompli sa révolution, Bologne consomma la sienne ; de là le soulèvement, gagnant de proche en proche, se propagea dans les Marches et jusque dans la cité d'Ancône.

L'Autriche veillait. Le triomphe des révolutionnaires en Italie, ce serait l'ébranlement de son propre empire lombardo-vénitien. Elle ne pouvait d'ailleurs, sans diminution de son propre crédit, laisser sans secours ses clients, François d'Este et Marie-Louise. Elle avait massé des forces considérables sur la rive gauche du Pô. Les portant au delà du fleuve, elle occupa d'abord Modène, un peu plus tard Parme. Mais irait-elle plus loin et étendrait-elle sa mission de police jusque dans les Légations où l'appelait le pape Grégoire XVI, tout récemment élu ?

A Paris presque autant qu'à Vienne, on suivait avec sollicitude le cours des événements. Que l'Autriche déployât son drapeau à Modène ou à Parme, la France le pouvait tolérer. Mais qu'elle le montrât dans les États pontificaux, et par là elle affirmerait une sorte de patronage souverain dans la péninsule. En outre, n'était-il pas à craindre qu'en prêtant son concours au Saint-Père, elle ne réclamât le prix moral de cette assistance, en sorte que la papauté deviendrait sa protégée presque à l'égal des princes minuscules de Modène ou de Parme ?

Dès le milieu de février, dans ses dépêches au maréchal Maison, notre ambassadeur à Vienne, le général Sébastiani s'appliqua à développer ces considérations. Il semble que le maréchal ait conçu d'abord quelque espoir de réussir, tant M. de Metternich affectait de le traiter avec un amical abandon ! Nous ne ferons rien sans vous, lui avait-il dit ; et un autre jour il avait ajouté sur un ton familier : Ici nous sommes tous Philippe de la tête aux pieds[36]. L'un des thèmes ordinaires du chancelier était de représenter les tentatives des révolutionnaires italiens comme toutes factices : Ce sont, disait-il, des mouvements qui se propagent, non de ville en ville, mais de club en club. D'autres fois, pour refroidir nos sympathies, il s'appliquait, non tout à fait à tort, à mettre en relief l'élément bonapartiste qui se mêlait aux insurrections de la péninsule ; à l'appui il citait, parmi les fauteurs de troubles, les deux fils de la reine Hortense et le comte Pepoli, gendre de Murat. Le maréchal Maison avait ordre d'insister. Il insista, mais ce fut en vain. Le 21 mars 1831, les troupes autrichiennes entrèrent dans Bologne. Les jours suivants, elles se répandirent dans les Légations. Le 29 mars, elles étaient à Ancône.

 

XI

A Paris, dès le 10 mars, une ordonnance royale avait appelé à l'activité 80 000 hommes sur la classe 1830. Entre l'Autriche couvrant de ses troupes la moitié de l'Italie, et la France jalouse de son crédit dans la péninsule, la rivalité d'influence n'entraînerait-elle pas un conflit ? Dans les premiers moments, Louis-Philippe s'abandonna, dit-on, à des pensées belliqueuses[37]. Bien vite il se maîtrisa. On n'avait point risqué la guerre quand l'enjeu était la Belgique ; était-il raisonnable de la risquer pour l'Italie ?

Le ministère Casimir Périer venait d'être formé. Le 27 mars, le président du Conseil, inaugurant une pratique à laquelle il recourrait plus d'une fois, réunit chez lui les ambassadeurs. Sous une forme très péremptoire qui cachait des intentions très pacifiques, il leur notifia ses vues. Si l'on voulait écarter toute éventualité de guerre, il convenait que l'Autriche évacuât les États de l'Église : quant aux différends entre le Saint-Siège et ses sujets, tout un système de réformes pourrait être conseillé au Saint-Père en vue d'apaiser et de désarmer les mécontents.

Les actes suivirent. Le 31 mars, un mémorandum remis au comte Apponyi, représentant de l'Autriche, réclama l'évacuation des Légations[38]. Restaient les réformes à introduire dans les États pontificaux. Dès la fin de février, notre ministre des Affaires étrangères avait entretenu de cette question le comte Apponyi[39] et avait, en outre, invité le maréchal Maison à attirer sur ce point l'attention de M. de Metternich[40]. Celui-ci avait accueilli la suggestion sans grande confiance dans la réussite, mais sans formuler d'objection. Après tout, disait-il, nous ne risquons rien en acceptant d'offrir des conseils au Saint-Père par l'intermédiaire de l'ambassade de France[41].

Tout présageait une solution amiable. Cependant à Vienne on ne doutait pas que les agitateurs italiens n'eussent pour complices les agents français. Choisir pour représentant à Rome un personnage placé par ses sentiments notoires au-dessus de pareils soupçons, c'était aider tout à la fois à l'évacuation par l'Autriche, à l'acceptation de nos conseils par le Souverain Pontife. Le gouvernement français, même avant la formation du ministère Périer, avait eu cette prévoyante sagesse. Il avait nommé ambassadeur auprès du Saint-Siège M. de Saint-Aulaire, libéral éclairé, patriote avisé, chrétien sincère, et d'autant plus propre à bien servir la monarchie de Juillet qu'il réprouvait les passions d'où le nouveau régime était sorti. Le 13 mars, M. de Saint-Aulaire était à Turin auprès de son ami M. de Barante, ministre accrédité à la cour de Sardaigne. Le 19, il était à Florence, le 20 à Rome.

Six jours après son arrivée, il écrivait au ministre des Affaires étrangères : Rome est un terrain neutre où il pourrait y avoir à négocier encore quand, pour le malheur du monde, on se battrait dans le reste de l'Europe[42]. Tout pénétré de ces pensées conciliantes, il se traça bientôt sa ligne de conduite qui se résumait en quelques directions précises : ne point invoquer le principe de non-intervention, ce qui irritait et ne souffrait pas, disait-il, cinq minutes de discussion ; s'exprimer sur l'Autriche avec fermeté mais avec mesure ; surtout témoigner au Saint-Père d'autant plus de déférence qu'il était plus faible. Dans cet esprit, il arriverait à M. de Saint-Aulaire de reprendre les formules anciennes, de se rappeler et de rappeler aux autres que la France était la Fille aînée de l'Église, de proclamer qu'il était le représentant du roi très chrétien ; et par ce langage, il ne laisserait pas que d'étonner, d'embarrasser même Casimir Périer qui, après s'être plaint que ses agents se souvinssent trop de la révolution de Juillet, se prendrait à craindre que celui-là ne s'en souvînt point assez.

Le gouvernement autrichien répondit avec courtoisie au mémorandum du 31 mars : l'occupation des États pontificaux était pour lui, disait-il, une charge plutôt qu'un avantage, mais il n'était intervenu que sur la demande du Saint-Père et ne pouvait retirer ses troupes que si celui-ci y consentait. Quant au projet tout français de réformes à introduire dans les États du Saint-Père, M. de Saint-Aulaire, dès son arrivée à Rome, y apporta tous ses soins. A la suite des derniers soulèvements, une amnistie, mais conçue en termes très étroits, avait été, le 14 avril, consentie par le pape ; sur les instances du corps diplomatique, un nouvel édit fut rendu le 30 avril, qui laissait une part beaucoup plis large à la clémence. Cependant il importait de préciser les réformes. M. de Saint-Aulaire s'entendit avec M. de Lutzow, ambassadeur d'Autriche, puis avec les représentants de la Russie et de la Prusse et enfin avec l'agent anglais, M. Brook-Taylor, qui n'arriva qu'un peu plus tard : Nous nous sommes réunis en petite conférence, écrivait le 14 avril notre ambassadeur[43]. Il n'y aura pas de protocole, mais nous nous sommes mutuellement promis d'agir et de parler de concert. Le 19 mai, à la suite d'une réunion chez M. de Lutzow, un mémorandum fut adopté et fut remis le surlendemain au cardinal Bernetti secrétaire d'État. Toutes sortes de réformes étaient proposées. On réclamait l'admissibilité des laïques aux fonctions administratives et judiciaires, l'application du principe électif pour le recrutement des municipalités, l'organisation d'assemblées provinciales, une révision du système financier et des institutions judiciaires, enfin la création d'une Consulte d'État[44]. On ne doutait pas, on affectait de ne pas douter que ces innovations n'inaugurassent une ère nouvelle pour les sujets de Sa Sainteté et n'excitassent une vive reconnaissance chez les gens des Légations, à moins que ceux-ci ne fussent tout à fait ingouvernables.

Sur ces entrefaites, le Saint-Père, se faisant scrupule que sa sécurité fût acquise au prix d'un conflit possible entre la France et l'Autriche, déclara ne point s'opposer à ce que les troupes impériales se retirassent de ses États. Le 15 juillet l'évacuation s'acheva. Le pape déféra d'ailleurs, plus qu'on n'eût osé l'espérer, aux vœux des plénipotentiaires. Un édit pontifical du 5 juillet décida que chaque commune serait dotée d'un conseil issu de l'élection et que chaque province aurait une assemblée dont les membres seraient nommés par le Saint-Père sur une liste de présentation. Plus tard, le 5 octobre, un autre édit aurait pour objet de redresser les abus de l'ordre judiciaire.

 

XII

Un double avantage, au moins apparent, avait couronné les efforts de notre diplomatie. Nous avions obtenu à la fois la retraite des Autrichiens et de notables réformes dans les États de l'Église. Dès le 23 juillet 1831, en ouvrant les Chambres, le roi avait, non sans quelque ostentation, et au risque de blesser un peu à Vienne, annoncé le mouvement rétrograde des forces impériales : Ainsi que je l'avais demandé, dit-il, les troupes autrichiennes ont évacué l'Italie.

Cependant des objets fort divers portaient ailleurs l'attention de Casimir Périer. C'était l'heure où les Polonais se consumaient en leurs suprêmes efforts. Votre Italie, écrivait la duchesse de Broglie à M. de Barante, paraît bien pâle auprès de cette admirable Pologne. Le 16 septembre, on connut à Paris la chute de Varsovie, et tel fut l'émoi qu'on put se croire à la veille d'une insurrection. — Un autre souci pour le premier ministre était de garder, d'accroître même, s'il se pouvait, sa majorité au Palais-Bourbon. Au mois d'août, la Chambre, dans le vote de l'Adresse, avait marqué par une majorité de plus de deux cents voix sa confiance en lui. Mais l'opposition n'avait point désarmé ; de là, la nécessité d'une continuelle vigilance. — Presque en même temps se déroulait au Palais-Bourbon, à propos de l'hérédité de la pairie, une des plus mémorables discussions qui aient jamais agité l'enceinte d'un parlement[45]. — Ainsi s'acheva l'automne, mais non sans une nouvelle alerte. Dans la seconde quinzaine de novembre, le bruit se répandit d'une grave insurrection à Lyon. Une question d'ordre économique avait, bien plus que la politique, armé les ouvriers. Une réduction de salaire suivie d'un tarif qui rétablissait les anciens prix, puis l'abolition de ce même tarif, telle était la cause qui avait soulevé les travailleurs de la soierie. Pendant plusieurs jours, ils furent maîtres de la ville, et ce ne fut que par l'arrivée de forces imposantes que la paix put être rétablie.

On revint à l'Italie. On avait obtenu un succès, mais précaire, juste assez pour qu'on pût orner d'une phrase triomphante le discours de la Couronne. Dès qu'eut dis0 paru le dernier soldat autrichien, l'esprit de révolte se réveilla dans les Légations. Des édits pontificaux, nul n'eut cure, ni les réactionnaires qui les jugeaient concessions inopportunes, ni les révolutionnaires qui n'aspiraient qu'à tout bouleverser. La désaffection à l'égard du pape et des cardinaux légats parait même si irrémédiable que de Turin M. de Barante hasarde, en une de ses dépêches, une combinaison bonne à noter, car elle sera reprise plus tard sous le Second Empire, et qui consisterait à laisser se miner le domaine pontifical dans les Légations, à agrandir de ces provinces le royaume de Piémont et à obtenir en échange pour la France la Savoie et Nice[46]. En d'autres dépêches, le même diplomate suggère que, pour éviter une nouvelle intervention autrichienne, on fasse occuper les États de l'Église par des forces moitié sardes, moitié napolitaines. Et il semble que cette idée d'une occupation sarde ait été aussi celle de Casimir Périer. Les diplomates multiplient les notes, les exhortations, et durant quelques jours on entretient l'espoir d'un certain retour au calme. Cependant le Saint-Père s'est décidé à lever quelques troupes. Il les a levées à la hâte, en sorte qu'on y a enrôlé bon nombre de vagabonds et de gens sans aveu. Le pire serait d'employer inconsidérément ces bataillons indisciplinés. De sa propre autorité, le cardinal Albani, légat du pape, déchaîne ces bandes qui se livrent, notamment à Cézene et à Forli, à toutes sortes d'excès : de là une exaspération d'où naît un redoublement de révolte. Perdant alors tout sang-froid, le cardinal appelle les Autrichiens. Ceux-ci franchissent le Pô. Le 28 janvier 1832, ils entrent à Bologne.

 

XIII

Ainsi, deux fois en un an, la France et l'Autriche se trouvaient en conflit à propos de l'Italie. C'est alors qu'une idée déjà caressée s'affermit, celle de marquer par un acte très voyant que nous n'entendions être distancés par personne dans la Péninsule. Le drapeau autrichien était arboré à Bologne : nous ferions -flotter le nôtre sur Ancône.

Ce dessein répondait bien au tempérament impérieux de Casimir Périer. Une maladie du général Sébastiani lui livrait la direction des Affaires étrangères. Même avant la seconde intervention autrichienne, il avait rassemblé les ambassadeurs accrédités à Paris, leur avait fait connaître que la France ne pourrait souffrir un règlement de la question italienne par une seule puissance ; puis il n'avait pas dissimulé que l'occupation d'Ancône serait la réplique à toute nouvelle avance des troupes impériales. A cette communication, les ambassadeurs s'étaient bornés à répondre qu'ils prendraient les ordres de leur Cour.

Plus la résolution était osée, plus il convenait d'y apporter tous les tempéraments d'une souplesse consommée. Or, l'exécution fut si incorrecte que les plus cruels ennemis du ministère n'eussent pas conduit autrement l'opération s'ils avaient été chargés de la diriger.

A moins que l'indépendance du Saint-Siège ne fût un vain mot, il convenait de s'assurer l'assentiment, au moins tacite, du gouvernement pontifical. Tout au début de janvier, M. de Saint-Aulaire vit deux fois le cardinal Bernetti et, non sans quelque embarras, fit allusion à Ancône : Je vous entends, interrompit le secrétaire d'État, vous demandez à entrer dans Ancône pour vous assurer que les Autrichiens sortiront de Bologne. Saint-Aulaire se tut, tant l'argument portait ! Puis se ressaisissant, il continua : Que pense le Saint-Père de notre occupation éventuelle ?Il juge la chose bien grave, reprit d'un ton soucieux le cardinal. — Si l'événement se réalisait, repartit M. de Saint-Aulaire, je me considérerais comme personnellement responsable de la conduite de nos troupes et je prendrais au besoin l'engagement de me rendre de ma personne à Ancône. En un ton de bonne grâce, Bernetti remercia. L'entretien se poursuivit, le diplomate français s'ingéniant à pénétrer l'impression que produirait sur Grégoire XVI notre occupation. Le cardinal était devenu plus silencieux : Vous pouvez, dit-il, écrire à Paris que le Saint-Père a une grande habitude de la résignation[47]. De ces paroles M. de Saint-Aulaire conclut, peut-être un peu vite, que, si le Saint-Père se plaignait, ce rie serait qu'en une débonnaire protestation. Telle fut l'information qu'il transmit à Paris. A Paris l'on enchérit sur cet euphémisme, et dans la phrase du cardinal-secrétaire d'État, on discerna, on crut discerner un consentement tacite.

Deux bataillons, sous les ordres du colonel Combes, étaient rassemblés à Toulon. Quand l'entrée des Autrichiens à Bologne devint certaine, ce petit corps de troupes fut embarqué sur une flottille commandée par le capitaine de vaisseau Gallois, et, sans plus tarder, on mit à la voile. Le général Cubières, chargé du commandement supérieur, devait s'embarquer sur un navire à vapeur, aborder à Civita-Vecchia, voir à Rome notre ambassadeur, régler avec lui les formes de l'occupation, afin que celle-ci ne fût pas trop blessante pour le Saint-Siège.

Tel était le dessein général qui ne comportait aucune surprise ni surtout aucune déloyauté. Mais on vit bien dans cette occurrence que les conceptions politiques ou militaires ne valent que par la prévoyante sagesse qui se garde de prendre le silence pour un consentement, qui sait tenir compte des accidents de route, et surtout ne se confie qu'à des agents dignes de confiance.

On avait escompté à Paris, sur la foi d'un propos un peu vague, la silencieuse résignation du Saint-Siège. Or, quand l'entreprise sur Ancône devint certitude, la Cour de Rome ne perdit pas un instant pour protester : telle fut la première déception. Cependant la flottille, partie de Toulon, avait été poussée par des vents si favorables que déjà elle était passée de la Méditerranée dans l'Adriatique. Ceux qui commandaient étaient, comme on l'a dit, le colonel Combes et le capitaine de vaisseau Gallois, tous deux les moins propres du monde à une entreprise où la coercition — si l'on devait en employer un peu — devrait se voiler sous les formes les plus raffinées. Vieux soldats, tout pénétrés des traditions de l'Empire, tout nourris des journaux de l'opposition, ils détestaient les Autrichiens. les papalins, et ne se sentaient pas d'aise à la pensée d'être, ainsi qu'ils l'imaginaient, les fourriers d'une guerre qui commençait. Sans doute on avait compté sur le général Cubières. Lui-même était-il bien choisi ? En outre, par un retard demeuré inexpliqué, le général, même en empruntant la navigation à vapeur, s'était montré aussi lent qu'avaient été rapides les navires à voiles. Le 24 février seulement, il était arrivé à Rome.

Il eût été extraordinaire qu'une entreprise, explicable en son principe, mais si mal coordonnée dans ses détails, s'accomplît sans quelque à-coup. A cet égard la réalité dépassa toute attente.

Le 22, la petite escadre était arrivée en rade d'Ancône et s'y était présentée en amie. Cependant, à bord, un conseil s'était tenu où l'on avait résolu, comme on eût fait en pleine guerre, de s'emparer de la ville par force pendant la nuit. Et, en effet, entre 2 et 3 heures du matin, les bâtiments étaient entrés dans le port. Les deux bataillons avaient silencieusement débarqué ; puis les envahisseurs — peut-on les appeler autrement ? — avaient brisé à coups de hache la porte de la ville, désarmé les postes, surpris dans leur lit le commandant militaire et le prolégat. Sur l'assurance que toutes choses se faisaient d'accord avec le gouvernement pontifical, le commandant de la citadelle se rendit. Et dans la journée, une proclamation aux habitants annonça que les Français n'étaient que l'avant-garde des forces destinées à combattre les Autrichiens et à libérer l'Italie.

A Paris, quand Casimir Périer sut par quel coup de main ses intentions venaient d'être dénaturées, sa première pensée fut de voiler aux yeux du public le scandale du droit des gens violé. Le 5 mars, le Moniteur annonça, mais très brièvement, le débarquement à Ancône. Il ajouta : La plus parfaite intelligence est établie en ce moment entre nos troupes et les autorités locales. La Chambre discutait en ce moment le budget des Affaires étrangères. Sur les événements d'Ancône, Casimir Périer[48], sans entrer dans les détails, se borna à protester de son respect pour le Saint-Siège, de son désir d'en assurer le domaine temporel.

C'était en vain qu'on se flattait d'éviter l'éclat. A Vienne, à Berlin, à Saint-Pétersbourg, à Londres même, la nouvelle avait provoqué dans les cercles diplomatiques une indignation unanime. Les uns disaient : Bonaparte ne se fût pas permis de pire violence. Les autres ajoutaient : les Sarrasins n'eussent pas fait mieux.

En ces conjonctures, le plus embarrassé, le plus mortifié aussi, était notre ambassadeur à Rome, M. de Saint-Aulaire. Il eut à subir, quoique fort innocent, les reproches du cardinal Bernetti et plus encore le courroux de Grégoire XVI qui se jugeait trahi par la France. Ses collègues du corps diplomatique le fuyaient : J'ai bien besoin, écrivait-il à M. de Barante, de conserver le sang-froid dont une mauvaise cause a encore plus besoin qu'une bonne... Les officiers, ajoutait-il, ont tout à fait méconnu leur position. Ils se croyaient en état de guerre. Je crois que le Saint-Père, qui est très monté, se calmera ; mais comment persuader aux populations que nous ne sommes pas les alliés des révolutionnaires ? Ce qui désolait le plus notre ambassadeur, c'était la popularité qui, soudain, s'était faite autour de lui parmi les fauteurs de troubles. Je suis bien attristé, écrivait-il, bien en colère. J'ai fait un grand sacrifice à mon pays en ne quittant pas Rome dans les vingt-quatre heures[49].

Beaucoup de dextérité serait nécessaire pour restituer à l'entreprise son vrai caractère. Il fallait s'expliquer sans s'humilier ; il fallait affirmer l'opportunité de la politique gouvernementale et n'en désavouer que les agents ; il fallait surtout garder Ancône, quelle qu'eût été la brutalité de l'occupation. La nature impérieuse de Casimir Périer le rendait plus propre à pousser de hardies offensives qu'à se ménager des échelons de retraite. Comme il recevait les ambassadeurs venus pour se plaindre et comme le ministre de Prusse lui demandait, non sans quelque hauteur, s'il y avait encore un droit public en Europe, il se leva brusquement, et s'avançant vers lui, il lui jeta ces paroles : Le droit public européen, monsieur, c'est moi qui le défends. Croyez-vous qu'il soit facile de maintenir les traités et la paix. Il faut aussi que l'honneur de la France soit sauvegardé. Il commandait ce que je viens de faire. J'ai droit à la confiance de l'Europe, et j'y ai compté[50]. Ce ne fut qu'un premier mouvement, et Casimir Périer recouvra bien vite plus de maîtrise de lui-même que sa nature ne semblait le comporter. Très nettement il désavoua le commandant Gallois et annonça qu'il était appelé à Paris pour y rendre compte de sa conduite. Puis, en un mémorandum adressé aux puissances, il refit l'histoire des derniers événements, et s'appliqua à montrer par quelle série d'accidents imprévus les intentions du gouvernement avaient été méconnues.

A Rome, M. de Saint-Aulaire poursuivait sa tâche d'apaisement. Au fond, personne ne souhaitait pousser les choses à bout, et moins que tout autre le saint pape Grégoire XVI qui ne se fût pas consolé que ses injures personnelles devinssent cause de conflit. La grande force de la Cour de Rome est de savoir se -résigner et de se confier au temps. Qu'on lui prodigue les égards respectueux, et l'on est à peu près assuré que toutes les tempêtes se calmeront, même celles qui auront amoncelé le plus de nuages. Aussi patient que Casimir Périer était impétueux, notre ambassadeur avait compris en quel milieu il était appelé à évoluer, et il réussit plus vite qu'on ne l'eût espéré, non seulement à tempérer les colères des premiers jours, mais à préparer un accord qui régulariserait la récente occupation. Concédant les formes pour obtenir le fond, il donna à sa demande le caractère d'une supplique et obtint de la sorte un acte par lequel le Saint-Père daignait autoriser — ce sont les propres termes du document pontifical — le séjour temporaire des troupes françaises à Ancône. La convention, signée le 16 avril, stipulait au profit du pape diverses conditions : Les troupes seraient placées sous l'autorité supérieure de l'ambassadeur ; l'effectif n'en pourrait être augmenté. Elles ne pourraient construire aucun ouvrage de fortification autour d'Ancône. Elles devraient demeurer étrangères à l'administration et à la police. La bannière pontificale flotterait seule sur la citadelle. Enfin l'occupation cesserait le jour où les troupes autrichiennes évacueraient les Légations[51].

Dans le recul des temps, ce coup de main, en pleine paix et à l'encontre d'un souverain désarmé, offre un vague aspect de banditisme et semble mériter le plus sévère jugement. Les contemporains furent plus indulgents que nous ne le serions aujourd'hui. L'occupation d'Ancône succédant immédiatement à l'occupation de Bologne, c'était la réplique de la France à l'Autriche, et l'éclatante affirmation de notre influence au delà des Alpes. Dès le premier jour, les débats de la Chambre des députés avaient souligné cette pensée. Quand on connut sous quelle forme s'était accompli l'événement, la désapprobation fut moindre que la surprise. L'opération, par sa célérité, avait cet air d'audace et de bien joué qui ne déplaît pas aux masses ; et tout ce qui sommeillait de réminiscences révolutionnaires ou impériales se réveilla. Le fait que la victime était le pape rallia dans une adhésion de bonne humeur tous ceux — et ils étaient nombreux — qui détestaient la domination des prêtres. J'observe, même parmi les diplomates les plus mesurés, de singulières indulgences. A la nouvelle de l'occupation, Barante écrivait : Je trouve l'événement bon, sauf à rajuster par des formalités et des politesses ce qu'il peut avoir d'irrégulier. La vérité c'est que, toute moralité mise à part, l'occupation, si brutale qu'elle fût, comportait pour nous un bénéfice. Elle prouvait combien notre puissance s'était affermie depuis deux ans. Quel n'eût pas été le tumulte en Europe si, au lendemain de 1830, le gouvernement de Juillet s'était permis pareille audace ! En une lettre à Barante, M. de Saint-Aulaire traduisait ce sentiment sous une forme un peu ironique. Après avoir constaté que nous avions perdu pour longtemps le droit de donner des conseils au pape, il ajoutait : Je conviens cependant que c'est un avantage que d'avoir prouvé à l'Europe que nous pouvions faire une injustice impunément.

 

XIV

Le public s'était ému pour l'affaire d'Ancône. Maintenant, un mal terrible, le choléra, distrait de toute autre pensée.

Il est venu de l'extrême Orient, a gagné la Russie, de là la Pologne, puis s'est répandu en Hongrie, en Autriche. En février 1832 il a sévi à Londres. Le 26 mars, les premiers cas furent signalés à Paris.

C'était pendant les fêtes de la mi-carême. Les salles de bal, les théâtres, les lieux de plaisir ne désemplirent pas, et il sembla tout d'abord qu'on eùt à cœur de braver le fléau. Bientôt la terreur fut aussi grande qu'avait été imprévoyante la sécurité. Tout accrut l'effroi : la soudaineté et les symptômes terrifiants du mal qui détruisait, pour ainsi dire, à vue d'œil l'organisme humain ; le chiffre des décès qui, à certains jours, par exemple le 9 avril, dépassa 850 ; la marche capricieuse de la maladie qui frappait, quoique inégalement, tous les âges, tous les quartiers, toutes les conditions sociales ; l'inexpérience des médecins désarmés en face d'une affection aussi peu connue qu'effrayante. Le choléra était-il contagieux ? Où avait-il son siège ? Quel était son mode de propagation ? Par quels remèdes réussirait-on à en triompher ? Autant de questions devant lesquelles la science demeurait impuissante ou perplexe. Au mal qui n'était que trop réel deux éléments s'ajoutèrent : la peur qui, en abattant les énergies, livrait au fléau des corps déjà à demi terrassés : puis la crédulité publique qui s'obstina à chercher des traces de crime ou de maléfice là où il n'y avait que terrible épidémie. Des bruits tenaces coururent de substances vénéneuses mêlées aux aliments ou d'empoisonnement des eaux. On vit des hommes du peuple, impitoyables à force d'épouvante, se mettre en faction, guetter, fouiller les passants, maltraiter, et parfois jusqu'à la mort, quiconque avait le malheur de s'attarder auprès des étalages de denrées ou était porteur de fioles ou de poudres jugées suspectes.

On assista à des départs précipités ; et aux barrières, à certains jours, les voitures qui fuyaient furent plus nombreuses que le défilé des cercueils acheminés en hâte vers les cimetières. Cependant, chez ceux qui avaient la charge de l'exemple, le sentiment du devoir fut, en général, plus fort que la panique. Le roi et sa famille ne quittèrent pas un seul instant la capitale et, avec une belle vaillance, le duc d'Orléans visita les hôpitaux. Les services de police et de salubrité publique fonctionnèrent avec régularité. Le cours de la justice ne fut point suspendu. Les médecins déployèrent leur habituel dévouement. Depuis 1830, les prêtres n'osaient plus se montrer en soutane dans Paris. Dans le grand deuil public, ils sortirent des retraites où ils vivaient à demi cachés, et s'efforcèrent de s'introduire dans les hôpitaux pour y assister les mourants. Ce fut pour eux un ministère d'autant plus méritoire qu'il fut souvent inconsolé, tant ils avaient à vaincre les préjugés des uns, l'indifférence des autres, et surtout la dédaigneuse malveillance des pouvoirs publics ! Parlant de l'épidémie, M. de Rémusat écrivait : Il y a du dévouement, mais si professionnel, si administratif, qu'il touche peu. Il ajoutait : C'est dans de pareilles situations que l'absence de sentiment religieux se fait le plus sentir. Il finissait par ce mot cruel : Sous ce rapport tout ceci a plus l'air d'une épizootie que d'une épidémie[52]. Et il est curieux de noter ce jugement sous la plume du plus sceptique des doctrinaires. C'était au plus fort de l'épidémie, le 15 avril, que M. de Rémusat traçait ces lignes. Le mal ne décrût qu'au mois de mai et ne disparut qu'en septembre, après avoir causé, rien qu'à Paris, plus de dix-huit mille décès.

 

XV

C'est surtout aux heures des grandes calamités, déchaînées soit par la nature, soit par les passions des bommes, que les peuples ont besoin de s'abriter sous un chef vigoureux qui soit mainteneur d'autorité et d'énergie. Par un rare bonheur la France avait rencontré ce chef ; mais il devait être, lui aussi, la victime — et la plus illustre — de l'épidémie. Le 16 mai, Casimir Périer mourut.

Un grand ébranlement suivit. Pour remplacer Périer, nul homme qui parût au niveau de l'héritage : en outre, une population jetée par l'épidémie en une sombre fièvre et disposée à la révolte par l'excès de ses maux : avec cela, tous les ferments d'indiscipline déposés depuis deux années dans les âmes et soigneusement entretenus par la presse : enfin une sorte d'alliance entre tous les groupes de l'opposition, depuis les affiliés des sociétés secrètes jusqu'aux dynastiques, sans compter ceux qu'on appelait alors les réclamants de Juillet, gens qui, se trouvant mal récompensés de leurs services, haussaient leurs rancœurs au niveau de leurs espérances déçues. Par une vague réminiscence des 221, les députés de l'opposition publièrent le 28 mai, sous le nom de compte rendu, un résumé de leurs griefs contre le gouvernement qui avait, disaient-ils, traqué les journalistes au lieu de les favoriser, dissous les gardes nationales les plus dévouées à la liberté, perpétué à l'extérieur un état d'anxiété qui n'était ni la paix, ni la guerre, considéré enfin comme ses pires ennemis ceux qui avaient fondé le régime de Juillet. On ne lira pas aujourd'hui sans fatigue cet acte d'accusation à la fois prolixe et imprécis, au bas duquel 135 députés opposèrent leur signature. De quel nom l'appeler ? Avertissement austère et solennel, a écrit Louis Blanc ; Cantate politique en prose, a rectifié plus tard M. Guizot.

Pour l'émeute, il ne manquait qu'une occasion. Elle ne tarda pas. Le 2 juin, on apprit que la même épidémie qui avait ravi à la France Casimir Périer venait d'enlever le général Lamarque.

Tous ceux qui ont étudié l'histoire du dix-neuvième siècle savent combien les cérémonies funèbres furent propices aux agitations. Les rassemblements prohibés en toute autre circonstance se justifient ici par hommage à la mort ; si quelque désordre surgit, la répression est paralysée ou du moins retardée par la crainte de violences autour d'un cercueil. Or nul homme, en ce temps-là, plus que le général Lamarque, n'était propre à rallier dans la cérémonie de ses obsèques toutes les forces opposantes. Brillant soldat de l'Empire, il portait un nom cher aux bonapartistes ; orateur à l'éloquence déclamatoire et tribunitienne, il avait fait vibrer plus d'une fois la fibre populaire. Patriote, quoique avec plus de fougue que de sagesse, il avait flatté tout ce que la bourgeoisie, très pacifique au fond. portait en elle de réminiscences belliqueuses.

Le 5 juin avait été fixé pour les funérailles. Le cortège devait suivre la ligne des boulevards et gagner le pont d'Austerlitz ; là seraient prononcés les discours ; puis la dépouille mortelle serait conduite hors Paris, sans appareil, jusqu'au lieu de la sépulture. Tel était l'ordre réglé. L'extraordinaire affluence et l'ardeur sombre de certains groupes présagèrent bientôt, non une solennité paisible, mais une journée d'émeute. A la manière d'une procession qui se dirige vers un reposoir, on se détourna pour défiler autour de la colonne Vendôme. Ce fut à la fois l'acte de dévotion bonapartiste et l'hommage au valeureux soldat qu'avait été Lamarque. Quand, en suivant les boulevards, on pénétra dans les quartiers populaires, quelques rixes avec les sergents de ville furent comme les signes avant-coureurs de plus graves désordres. Près du pont d'Austerlitz on fit halte, et des discours se prononcèrent que personne n'entendit. A ce moment les meneurs, jeunes gens, étudiants, réfugiés polonais et italiens, agitateurs des sociétés populaires, se répandirent dans la foule et réclamèrent à grand renfort de cris, de menaces aussi, que le corps fût transporté au Panthéon. Ils ne parvinrent pas à s'emparer de la dépouille, mais réussirent à déchaîner l'insurrection. Elle se développa suivant le rite classique du temps : appel aux armes, coups de feu, déplacements de pavés, érection de barricades. Et tels furent les progrès de la sédition qu'elle gagna bientôt, sur la rive gauche le quartier du jardin des Plantes et le versant oriental de la Montagne Sainte-Geneviève, sur la rive droite toute la partie est de la ville depuis la pointe Saint-Eustache jusqu'à la Bastille.

Serait-ce, à deux ans d'intervalle, la réédition des journées de Juillet ? Parmi les manifestants, plusieurs l'espérèrent. Pour que la répétition fût complète, on vit même, comme en 1830, arriver, en rupture de grille, une soixantaine d'élèves de l'École polytechnique. Cependant le général de Lobau commandait la force publique. Avec fermeté il prit les mesures qui resserreraient par degrés la sédition dans un cercle où l'on pourrait l'étouffer. Les troupes, sentant une direction ferme, furent fidèles ; la plupart des gardes nationaux aussi. La grande majorité des ouvriers demeura sourde aux appels de révolte. Des chefs les plus populaires de l'opposition, nul signe d'encouragement n'arrivait, ni de La Fayette qui se contenta de prononcer un discours sur le cercueil, ni de Mauguin qui n'était bon que pour la tribune, ni de Carrel qui, en sa qualité d'ancien militaire, gardait le sens intime de l'ordre. A l'aube du 6 juin, les insurgés étaient refoulés dans les quartiers Saint-Denis et Saint-Martin.

Ils étaient vaincus, non réduits. Jusque dans l'après-midi, les plus ardents prolongèrent la résistance dans ces petites rues étroites et enchevêtrées qui formaient alors une sorte de labyrinthe autour de Saint-Merry. Là, de maison en maison, ils disputèrent le terrain avec un courage digne d'une meilleure cause. Celui qui semblait coin-mander était un homme obscur du nom de Jeanne. Cet épisode jeta sur l'insurrection expirante un reflet d'héroïsme, et dans les temps qui suivirent, la légende républicaine célébra, comme on eût fait pour des martyrs, les combattants du cloître Saint-Merry. A la fin du jour, le calme était rétabli partout. Il ne l'avait pas été sans pertes : soit parmi les insurgés, soit parmi les défenseurs de l'ordre, on comptait, en tout, près de 800 tués ou blessés[53].

 

XVI

En même temps qu'éclatait l'insurrection républicaine, la nouvelle se répandait d'un soulèvement royaliste ou, comme on disait alors, d'un soulèvement carliste.

Courbés d'abord sous leur défaite, les plus ardents des légitimistes n'avaient pas tardé à reprendre courage. Tout au début de 1832, un complot, le plus singulier du monde et dont on n'a jamais pu saisir complètement les fils, avait été ourdi. Le dessein était de s'introduire dans le palais des Tuileries, de s'emparer du roi et de la famille royale. La nuit du ter au 2 février était le moment fixé pour l'exécution. Cependant la police avait pénétré la naïve conspiration. Le 1er février à onze heures du soir, elle surprit les conjurés assemblés dans une maison de la rue des Prouvaires. De là le nom de complot de la rue des Prouvaires sous lequel fut désignée l'étrange tentative... Une courte lutte suivit dans laquelle un sergent de ville fut tué. Des poursuites furent engagées devant la cour d'assises et vingt-sept accusés furent condamnés à des peines diverses, déportation, détention, emprisonnement[54], mais sans que la justice réussit à saisir, au-dessus des comparses, les véritables inspirateurs de l'entreprise.

Cependant Charles X et le duc d'Angoulême étaient en Écosse, à Holyrood, sans autre pensée désormais que de porter avec dignité leur malheur. Bien différente était Marie-Caroline, duchesse de Berry. Jeune, ambitieuse, toute travaillée d'ardeurs inemployées, elle étouffait sous le ciel lourd de l'exil. Plus dominée par l'imagination qu'apte à calculer les chances de la fortune, hardie moitié par tempérament, moitié par ignorance des obstacles, elle se laissait emporter par la perspective d'une prise d'armes chevaleresque qui, si le succès ne la couronnait pas, aurait du moins toute la poésie d'un roman vécu. Des avis empreints d'un singulier optimisme lui persuadèrent qu'elle trouverait dans le Midi de la France tout un parti prêt à se soulever pour elle. De Londres, elle passa en Italie. Le duc de Modène lui donna l'hospitalité au château de Massa. Son dessein était de débarquer de là sur les côtes de Provence. Charles X lui fit transmettre des conseils de prudence qui l'ébranlèrent peut-être, mais qu'elle ne suivit pas. Elle avait d'ailleurs trouvé des partisans et quelques-uns très considérables : tel le maréchal de Bourmont. A la fin de mois d'avril 1832, elle réussit à aborder près de Marseille. On avait noué dans la ville quelques intelligences et l'on se flattait d'un soulèvement. L'espoir fut trompé. En Vendée, dit la princesse avec toute l'obstination de son âme ardente et dans la griserie d'une chevauchée, telle qu'elle en avait lu dans Walter Scott. Elle traversa la France, gaie, infatigable, s'accommodant de tous les sites et protégée dans ses asiles divers par un secret qui prouve l'inviolable fidélité de ses partisans. En Vendée, en Anjou, dans le Maine, plusieurs de ceux qui lui étaient le plus attachés essayèrent d'ébranler sa résolution en lui affirmant que le pays ne se soulèverait pas. Il y eut des ordres, des contre-ordres ; ce qui, en provoquant la confusion, ravit à l'entreprise le peu de chances qui restaient. Un seul combat digne de mémoire, celui de la Pénissière où une cinquantaine d'hommes, militaires, gentilshommes ou paysans, se sacrifièrent, avec un héroïsme aussi magnifique qu'inutile, pour la cause de Marie-Caroline et de son fils.

Je n'ai pas le courage de détailler ce qui suivit : la princesse traquée se réfugiant à Nantes chez les demoiselles du Guigny, y trouvant pendant cinq mois un impénétrable asile ; puis en novembre 1832, trahie et livrée par un juif du nom de Deutz : le gouvernement embarrassé de sa prisonnière et n'osant ni la mettre en liberté en la conduisant hors de France, ni la traduire devant un jury comme on eût fait pour un accusé subalterne : la captive internée en la citadelle de Blaye ; puis tout à coup la chevaleresque aventure tournant en vulgaire histoire d'amour. A la suite d'une enquête conduite en partie par un soldat destiné à jouer plus tard un rôle plus glorieux, on a obtenu de la princesse l'aveu qu'elle est enceinte. Le 26 février 1833, à la stupéfaction de tous, amis ou ennemis, le Moniteur publie une déclaration de la prisonnière qui confesse s'être mariée secrètement pendant son séjour en Italie. La nouvelle est annoncée bien en évidence en tête du journal, comme on eût fait d'un succès. Et en effet c'en est un, car Marie-Caroline n'est plus, ainsi qu'elle le déclarera bientôt, que l'épouse du comte Lucchesi-Palli, gentilhomme napolitain. Cependant il faut bien authentiquer la grossesse, ne serait-ce que pour confondre les légitimistes, incrédules ou indignés. Ici l'inquisition se teinte d'un peu de goujaterie : Faites quérir des médecins en quantité, dit un des personnages de Molière. Vers Blaye des médecins accoururent, — en quantité aussi, — tous ayant commission de constater l'état de la duchesse ; de bien étaler sa déchéance. Cependant l'infortunée princesse, si diminuée soir-elle, est la nièce de la reine Marie-Amélie, est alliée à la plupart des maisons royales d'Europe. Qu'importe ? La joie d'abaisser fait taire tout le reste. Le 10 mai, la pauvre femme accouche. Qu'ajouterai-je ? La prisonnière n'est plus à craindre. Devant elle les portes de la citadelle de Blaye s'ouvrent. De l'entreprise chevaleresque rien ne demeure. Et bientôt elle débarquera à Palerme, courbée sous la défaite, reniée par la famille royale ; désormais simple comtesse de Lucchesi-Palli, et portant dans ses bras une fille qui ne vivra point.

 

XVII

J'ai hâte d'échapper à cette aventure au dénouement inglorieux, où une noble princesse compromit sa renommée, où le toi lui-même se montra moins chevaleresque qu'il ne convenait à un Bourbon. Dans ce temps-là même, une démonstration, à la fois hardie et opportune, s'intercala à travers nos divisions intérieures et permit de mesurer tout ce que le gouvernement de Juillet avait, depuis deux années, gagné en crédit.

Une fois encore, le théâtre de notre action fut la Belgique. On se souvient que le roi de Hollande avait refusé d'adhérer au traité du 15 novembre 1831, dit Traité des vingt-quatre articles, qui consacrait l'indépendance de la 13018-igue et en fixait les limites. Ni les avis de l'Angleterre et les nitres, ni les instances amicales des grandes puissances continentales n'avaient pu vaincre son obstination. Il se refusait à évacuer la citadelle d'Anvers. Cette occupation était à la fois, pour la Belgique une menace, et, à l'égard de la conférence de Londres, un hautain défi, Après de longs pourparlers. une convention signée à Londres le 22 octobre 18U décida que, si le roi de Hollande n'avait point, le 2 novembre, obtempéré aux décisions de la conférence, d y serait contraint par mesure coercitive.

L'exécution militaire appartiendrait à la France. Déjà une armée, forte de plus de 50.000 hommes et placée sous les ordres du maréchal Gérard, était massée dans le département du Nord. Sur un nouveau et définitif refus du roi de Hollande, elle entra en Belgique. Cependant notre condition ne laissait pas que d'être délicate. Les puissances continentales ne voyaient pas sans ombrages notre expédition. La Prusse surtout s'inquiétait, comme si notre entreprise doit être une menace pour elle ; dominée par ente appréhension, elle s'appliquait à rassembler des farces considérables dans les provinces rhénanes en sorte que, des rivages de l'Escaut à ceux du Rhin, tout prit l'aspect d'un camp. L'Angleterre elle-même, après avoir adhéré à nos vues, ne nous soutenait qu'à demi, tant elle craignait qu'un succès n'accrût notre crédit. Chose plus extraordinaire, il n'était pas jusqu'aux Belges qui n'accueillissent notre intervention avec plus de mauvaise humeur que d'empressement. Pour que l'entreprise ne parût que l'exécution des volontés de la conférence de Londres, il avait été décidé que leurs troupes ne seraient point employées : de là une vive irritation chez ceux mêmes dont nous venions compléter la délivrance.

Ce fut en ces conjonctures que se prépara l'acte décisif de la campagne, c'est à-dire le siège des ouvrages fortifiés d'Anvers. Le 29 novembre, la tranchée fut ouverte. Le commandant de la place assiégée était le général Chassé qui, sans se faire illusion sur l'issue, avait à cœur de répondre à la confiance de son roi et d'accomplir jusqu'au bout son devoir militaire. Le siège ne fut pas sans difficulté, par l'importance des ouvrages à conquérir, par l'opiniâtreté de nos adversaires et surtout par les pluies d'hiver qui gênaient nos travaux d'approche et noyaient nos tranchées. Le souci d'épargner la ville elle-même ajoutait un embarras à toutes les autres difficultés. Enfin le 23 décembre 1832, le général Chassé se résigna à capituler. Doit-on dire, comme l'a écrit Louis Blanc, que ce siège fut mémorable entre ceux qu'a enregistrés l'histoire ? Toute ridicule exagération écartée, l'opération, bien combinée, bien conduite, méritait d'être considérée comme un noble fait d'armes. A la hardiesse et au courage notre gouvernement ajouta le désintéressement le plus entier. Nos troupes quittèrent la Belgique sans rien demander, au milieu des acclamations des Belges, revenus enfin de leur passagère mauvaise humeur. Quant au roi Guillaume d'Orange, rien ne put vaincre son obstination, et ce ne sera que six ans plus tard qu'il se décidera à reconnaître le fait accompli.

 

 

 



[1] TALLEYRAND, Mémoires, t. III, p. 336.

[2] Talleyrand à Molé, 1er octobre 1830.

[3] Lettre de Madame Adélaïde à Talleyrand. (Mémoires de Talleyrand, t. III, p. 428.)

[4] Il avait d'abord été désigné pour le ministère de la Marine.

[5] Duc DE BROGLIE, Souvenirs, t. IV.

[6] Lettre de lord Palmerston à lord Granville, 21 janvier 1831. (The Life of Viscount Palmerston by Sir Henri Lytton BULWER, t. II, p. 29.)

[7] Talleyrand à Sébastiani, 21 janvier 1831. (PALLAIN, l'Ambassade de Talleyrand à Londres, p. 181-185.)

[8] Lettre du 28 janvier 1831. (TALLEYRAND, t. IV, appendices p. 489.)

[9] Congrès belge, séance des 16 novembre 1830 et 11 janvier 1831. (HUYTTENS, Discussions du Congrès national belge, t. Ier et t. II, p. 8.)

[10] PIRENNE, Histoire de Belgique, t. VI, p. 439.

[11] Séance du Congrès belge, 16 novembre 1830. (HUYTTENS, t. Ier, p. 151.)

[12] Sébastiani à Talleyrand, 16 novembre, 8 décembre 1830 et 8 janvier 1831. (Archives des Affaires étrangères, vol. 631 bis, f° 119 et 238 ; vol. 632, f° 34.)

[13] Séance du Congrès belge, 8 janvier 1831. (HUYTTENS, t. II, page 64.)

[14] Congrès belge, 11 janvier 1831. (HUYTTENS, t. II, p. 81-83.)

[15] Congrès belge, 23 janvier 1831. (HUYTTENS, t. II, p. 241.)

[16] Sébastiani à Talleyrand, 8 décembre 1830. (Affaires étrangères, vol. 631 bis, f° 233.)

[17] Sébastiani à Talleyrand, 8 janvier 1831. (Affaires étrangères, Angleterre, vol. 632, f° 34.)

[18] Palmerston à Granville, 15 février. (BULWER, The life of Viscount Palmerston, t. II, p. 42.)

[19] Voir séance du Congrès belge, 1er juin 1831. (HUYTTENS, t. III, p. 206 et suiv.) — Voir aussi : lettre de M. Bresson à M. Guizot, septembre 1844. (GUIZOT, Mémoires, t. VIII, p. 206 et 218.)

[20] Lettre du 4 février 1831. (BULWER, Life of Palmerston, t. II, p. 38.)

[21] Dépêche, 6 février 1831. (PALLAIN, l'Ambassade de Talleyrand, p. 203.)

[22] PALLAIN, Correspondance diplomatique de Talleyrand, p. 143.

[23] Affaires étrangères, Russie, vol. 181, f° 188.

[24] Instructions du 9 janvier 1831.

[25] Dépêche du duc de Mortemart, 26 janvier 1831. (Aff. étr., vol. 182, f° 124 et suiv.)

[26] Affaires étrangères, Russie, vol. 182, f° 148.

[27] Affaires étrangères, Russie, vol. 183, f° 56 et 65.

[28] Lettre de lord Palmerston à Granville, 24 mars 1831. (BULWER, Life of Palmerston, t. II, p. 57.)

[29] Talleyrand au comte Sébastiani, 25 mars 1831.

[30] Palmerston à Granville, 13 mai 1831. (BULWER, t. II, p. 77.)

[31] Voir le texte de ce traité dans Frédéric DE MARTENS, Supplément au Recueil des traités, tome X, p. 288 et suiv.

[32] Lettre de Louis-Philippe à Casimir Périer, 17 juin 1831 (Revue des Deux Mondes, 15 mars 1931).

[33] Voir MONTALIVET, Souvenirs, t. II, p. 414.

[34] Voir le texte du traité dans Frédéric DE MARTENS, Supplément au Recueil des traités, t. XI, p. 59 et suiv.

[35] Lettre de Louis-Philippe à Talleyrand. 16 et 26 décembre 1831. (TALLEYRAND, Mémoires, t. IV, p. 363 et suiv.)

[36] Maison à Sébastiani, 14 février 1831. (Aff. étr., Autriche, vol. 414, f° 15.)

[37] Comte DE MONTALIVET, Souvenirs, t. II, p. 39.

[38] Affaires étrangères, Autriche, vol. 414, f° 193.

[39] Dépêche du comte Apponyi au prince de Metternich. (Vicomte DE GUICHEN, la Révolution de 1830 et l'Europe, p. 330.)

[40] Affaires étrangères, Autriche, vol. 414, f° 64.

[41] METTERNICH, Mémoires, t. V, p. 125.

[42] Affaires étrangères, Saint-Siège, vol. 968, f° 174.

[43] Dépêche du 14 avril. (Aff. étr., Saint-Siège, vol. 968, f° 239.)

[44] Voir le texte de ce mémorandum, Correspondance de M. de Barante, t. IV, appendice, p. 559.

[45] On aura l'occasion de revenir plus loin (livre III, paragr. V) sur cet important débat.

[46] Correspondance de M. de Barante, t. IV, p. 436.

[47] Dépêche 12 janvier 1882. (Aff. étr., Rome, vol. 970, f° 48.)

[48] Séance du 7 mars 1832.

[49] Souvenirs et Correspondance de M. de Barante, t. IV, passim.

[50] Guizot, Mémoires de mon temps, t. II, p. 302 (d'après le récit du comte Pozzo di Borgo).

[51] Convention du 16 avril 1832. Aff. étr. Rome, vol. 971, f° 192.

[52] Souvenirs et Correspondance de M. de Barante, t. IV, p. 510.

[53] J'emprunte ce chiffre à la très belle et très consciencieuse histoire de M. THUREAU-DANGIN (Monarchie de Juillet, t. II, p. 130).

[54] Cour d'assises de la Seine, arrêt du 25 juillet 1832.