CHARLES X

 

LIVRE VII. — POLIGNAC, ALGER, LES ORDONNANCES.

 

 

SOMMAIRE

I. — Le nouveau ministère : Polignac et ses collègues.
II. — Comment, au début du ministère Polignac, les affaires extérieures tiennent la première place. — Guerre russo-turque. — Vaste conception de remaniement européen dans la prévision de la chute de Constantinople ; instructions au duc de Mortemart : un peu do sagesse, beaucoup de chimères ; comment la paix d'Andrinople fait évanouir le rêve. — Comment l'alliance intime avec la Russie subsistera jusqu'à la fin de la Restauration.
III. — Alger : premiers démêlés avec la régence. — L'incident du 30 avril 1827.Demande de réparations : comment ces réparations sont refusées. — Nouveaux incidents.
IV. — La question d'Alger et le ministère Polignac. — Idée bizarre de confier à Méhémet-Ali le soin de combattre et de châtier le dey d'Alger. — Comment cette combinaison, longtemps entretenue, est abandonnée.
V. — Comment la France se décide à agir elle-même. — Le plan adopté. — Ordres définitifs pour la flotte et pour l'armée (février 1830).
VI. — L'éveil de l'Angleterre : quelles défiances fait naître chez elle l'entreprise algérienne. — Les entretiens à Londres et à Paris. Comment les pourparler se résument en un double effort : effort de la Grande-Bretagne pour obtenir de nous un engagement écrit ; effort de la France pour réserver l'avenir.
VII. — Les affaires intérieures : Polignac président du Conseil ; les journaux et l'opposition : le National.
VIII. — L'ouverture des Chambres (2 mars 1830). — Discours de Charles X. — L'adresse en réponse au discours de la couronne. — Les 221. — La Chambre prorogée, puis (16 mai 1830) dissoute.
IX. — Contraste entre la politique extérieure et la politique intérieure. — Comment se prépare l'expédition d'Alger : comment Polignac publie les desseins de la France. — L'Angleterre : irritation croissante du gouvernement britannique ; comment cette irritation se traduit par des conversations diplomatiques très vives à Paris et à Londres.
X. — Comment Polignac s'applique à garder à la France dans l'avenir toute liberté d'action. — La presse et l'expédition d'Alger.
XI. — Les derniers préparatifs de l'expédition. — Le corps expéditionnaire : sa composition. — L'Angleterre : remontrances très vives de lord Aberdeen à Londres, de lord Stuart à Paris. — Comment le gouvernement anglais finit par s'apaiser à demi.
XII. — Les élections (23 juin et 3 juillet 1830). — Dispositions publiques. — Incidents divers. — Victoire de l'opposition.
XIII. — Le débarquement de l'armée française (14 juin). — Le dey d'Alger. — Bataille de Staoueli (19 juin). — Quelles causes retardent de quelques jours l'attaque contre Alger. — Prise du Fort-de-l'Empereur (4 juillet 1830). — Reddition de la ville.
XIV. — Le lendemain de la prise d'Alger. — Victoire et péril de la monarchie. — Délibérations ministérielles ; l'article 14 ; plans divers. — Comment est arrêté le texte des Ordonnances.
XV. — Le dimanche 25 juillet. — Dernière réunion des ministres : signature des Ordonnances.

 

I

Le 9 août, le Moniteur publia les noms des nouveaux ministres. Les Affaires étrangères étaient confiées au prince Jules de Polignac qui, bien qu'il n'y eût pas de président du Conseil, parut aussitôt, au double titre de sa haute naissance et de la faveur du roi, l'homme le plus important du cabinet. Le portefeuille de l'Intérieur fut remis à M. de la Bourdonnaye, personnage d'humeur violente, de commerce difficile qui, après 1815, avait scandalisé le gouvernement et la Chambre introuvable elle-même par sa soif de réaction. Pour la Guerre, on avait choisi le général de Bourmont, militaire capable, énergique, d'esprit délié, mais sur qui pesait le plus fâcheux souvenir ; car il avait abandonné l'armée à la veille de Waterloo. M. de Chabrol, seul conservé du ministère Martignac, reçut le portefeuille des Finances. Un procureur général, M. Courvoisier, fut préposé à la Justice, et un ami de Villèle, M. de Montbel, à l'Instruction publique. Pour la Marine, on avait désigné l'amiral de Rigny ; sur son refus, on se rabattit, un peu au hasard, sur le préfet de la Gironde, M. d'Haussez, qui reçut par estafette l'ordre de se rendre incontinent à Paris pour y être ministre.

A la lecture du Moniteur, les esprits les plus sensés ne comprirent pas ou craignirent de comprendre trop bien. Je n'aurais jamais cru Jules si audacieux, écrivait M. de Barante. — Je m'attends aux pires aventures, mandait de son côté le duc de Broglie. Le Journal des Débats fulmina. Malheureuse France, malheureux roi ! écrivait-il dès le 10 août. Il n'y eut de satisfait que les hommes des partis extrêmes, les uns se flattant que la Charte serait réformée, les autres espérant que la monarchie, par ses provocations, aiderait à son propre renversement.

Les jours suivants se consumèrent dans l'attente, mais une attente vaine autant qu'enfiévrée. Jamais le Moniteur ne fut plus banal. Le gouvernement reçut un assez grand nombre de démissions ; mais aussi débonnaire par sa conduite que provocant par son étiquette, n'infligea guère de disgrâces : nulle ordonnance se substituant aux Mis ; quelques destitutions de préfets, et ce fut à peu près tout. Dans la stupeur des premiers moments, le ministère eût pu tout tenter. Mais décidément : Jules n'était pas audacieux du tout, en sorte qu'à la surprise de tant de témérité s'ajouta la surprise de tant d'inertie. Cependant, même dans l'immobilité des choses, on refusa de se rassurer : ce fut, suivant l'expression d'un contemporain, un trouble-plat.

L'inquiétude s'expliquait ; car les nouveaux conseillers du roi n'avaient de raison d'être que s'ils nourrissaient l'arrière-pensée d'usurper. Pourtant, si illogique que fût cet état d'esprit, ni Charles X, ni Polignac n'entretenaient à cette heure aucun dessein arrêté de révoquer la Charte ou d'y porter atteinte.

Qu'on descende dans l'âme du roi. Il n'a réussi, ni en renforçant l'autorité avec Villèle, ni en la relâchant avec Martignac. Le double échec le libère vis-à-vis des Chambres représentatives que décidément rien ne peut satisfaire, et vis-à-vis de la presse, de cette presse diaboliquement hostile, que rien ne peut apaiser. En ce désabusement, une image un peu effacée, non oubliée, celle de Versailles, a repris consistance et s'est dressée devant lui. N'était-ce pas le bon temps ? On ne gouvernait pas toujours bien, pas toujours mal non plus, et sans subir le contact d'aucun dogmatisme ennuyeux. Or, tout près de lui, le roi a depuis longtemps discerné Polignac, l'homme qui, par son nom, représente le mieux l'ancienne Cour. Polignac, c'est pour lui l'ami de jeunesse, celui qu'il tutoie, qu'il appelle Jules, celui dont il a éprouvé le dévouement sans limites. Polignac est constitué en dignité ; par surcroît on le dit studieux, ce que le roi constate avec un agréable étonnement. Pourquoi ne ferait-il pas, aussi bien qu'un autre, un ministre, et même un premier ministre ? Le pire, ce serait qu'il échouât ; en quoi il aurait le sort des autres. Puis cet acte hardi serait une plaisante réponse à qui veut tenir la monarchie en lisière ; et de cette petite représaille, Charles X s'est réjoui comme d'une malice bien trouvée. Plus l'excellent prince a réfléchi — autant du moins qu'il peut réfléchir, — plus il s'est affermi dans le dessein d'élever jusqu'à lui un ministre, non plus gourmé, exigeant, susceptible comme les parlementaires ou les doctrinaires, mais de la dernière commodité ; un ministre à allure de favori, quoique de favori vertueux et intègre ; un ministre en présence de qui il pourra se détendre comme en famille et railler librement toutes choses, même la Charte. Cette évolution cache-t-elle un arrière-projet de violence ? En introduisant M. Courvoisier dans le conseil, Charles X lui dit : Un coup d'État est à mille lieues de ma pensée[1]. En s'exprimant de la sorte, le prince est très sincère, quoique d'une sincérité qui exige une mise au point. Quand il affirme sa fidélité aux institutions établies, Charles X tient loyalement le langage que lui dicte sa conscience, mais une conscience qui ne rend qu'un son incomplet, parce qu'elle ne se connaît point tout à fait elle-même et ne s'est interrogée qu'en un superficiel examen. Si, avec une pénétration plus affinée, le roi scrutait jusqu'aux plus intimes replis de sa nature, il y retrouverait, engourdis mais non morts, les instincts de pouvoir absolu qu'ont accumulés toutes les influences ancestrales. Ces tendances originelles, Louis XVIII, à force de raison, les a maîtrisées. Contre elles, Charles X est moins armé, parce qu'avec sa pénétration médiocre, il les porte en lui à son insu, sans les deviner ; ce qui lui permet de s'en défendre de très bonne foi.

Là est le danger, mais danger d'avenir ; car, pour l'heure présente, les intentions du roi sont assez peu combattives et pareillement celles de Polignac.

En ce personnage se rassemblent tant de contradictions troublantes qu'il déconcerte quiconque essaierait de le peindre. Il était le fils de cette belle comtesse de Polignac que Marie-Antoinette avait aimée, et son visage, d'une distinction accomplie, gardait le reflet de la grâce et de la séduction maternelle. Il avait grandi dans le culte de la royauté, et au point de frôler le rôle de conspirateur ; car il avait été compromis dans le complot de Cadoudal, et avait subi un emprisonnement de neuf années. En 1814, il était devenu pair de France, mais sans participer au maniement direct des affaires ; car il était de ceux que Louis XVIII évitait pour les grands emplois publics autant qu'il les jugeait flatteurs pour la décoration de sa Cour. L'intime amitié du comte d'Artois l'avait classé parmi les familiers du pavillon de Marsan. Pourtant on se serait fort mépris si on l'eût confondu avec le commun des émigrés. Les émigrés étaient frivoles : il était austère ; les émigrés étaient paresseux : il aimait le travail ; sur l'esprit des émigrés, la philosophie du dix-huitième siècle avait étendu une couche légère, mais tenace, de scepticisme : lui, il était dévot, et à tel point qu'il avait hésité à prêter serment à la Charte, de crainte qu'elle ne rendît pas un hommage assez explicite à la religion catholique. En 1823, comme les influences d'extrême droite commençaient à prévaloir, il était devenu, sur la proposition de Chateaubriand et malgré Villèle qui se défiait, ambassadeur à Londres. Là-bas il avait réussi ; car il arrivait souvent que ces grands seigneurs portaient en eux, comme par vocation, un sens très affiné de l'intérêt national au dedans, ils comprenaient mal leur pays ; au dehors, ils le servaient bien. Dans les loisirs que lui laissaient ses fonctions, Polignac mûrit en lui le programme qu'il avait jadis ébauché pendant sa captivité. Au sommet de la hiérarchie était le roi, non le roi absolu, mais le roi assisté d'un Parlement, et d'un Parlement très libre, investi d'attributions très larges. Seulement, le pouvoir royal étant le plus ancien, celui qui avait fait la France, il était entendu, de par un droit supérieur qui n'avait pas besoin d'être écrit, que le prince, en cas de suprême péril, pourrait en toute sécurité de conscience et après avoir invoqué Dieu, saisir et manier l'épée de justice. Au-dessous de la royauté, Polignac aspirait à créer une aristocratie, nullement semblable à la frivole noblesse de jadis, mais faite pour conseiller le pouvoir avec indépendance et, suivant l'occasion, le consolider ou le contenir. Cette aristocratie, à forme terrienne, serait un contrepoids à la féodalité industrielle que l'on voyait déjà poindre. Les familles, fortifiées par des lois protectrices de la stabilité des foyers, seraient comme les cellules génératrices de cette aristocratie. Entre temps, Polignac s'affermissait dans ses idées par l'étude de l'Angleterre. Par intervalles, il lui arrivait, comme peut faire un ambassadeur à un ministre, de communiquer à Villèle ses vues favorites. Celui-ci remettait doucement au point les pensées de son noble correspondant, et lui montrait, avec son réalisme pratique, la fragilité des cadres où pourrait se développer en France une aristocratie. Cependant Polignac, qui était entêté, ne se laissait pas démonter du tout. Cette œuvre de reconstitution sociale qui, au moment de la loi du double vote, avait torturé jusqu'à l'angoisse la grande âme de de Serre, lui paraissait, à lui, presque facile et tout à fait à sa portée. Avec une belle sérénité, il poursuivait ses recherches de législation comparée, discutait sur les juges de paix anglais, les comtés anglais, les coutumes héréditaires de la Grande-Bretagne, le tout en cette confusion qui est incorrigible parce qu'elle se croit science et profondeur. C'est qu'il y a quelque chose de pis que d'ignorer les institutions anglaises, c'est de les étudier sans les comprendre, et surtout sans les adapter.

Je touche ici aux faiblesses qui pourraient, si le malheur le voulait, faire de cet honnête homme le plus funeste des conseillers. Il méditait trop pour son intelligence. Il était instruit, mais de cette instruction qui donne envie d'élever des autels à l'ignorance. On eût dit que son cerveau se divisait en deux cases ; l'une où s'élaboraient des idées sages, l'autre qui, en recueillant ces mêmes idées, les altérait par subtilité, surchauffement ou complications, et ne les livrait que stériles ou faussées. Par surcroît de mauvaise chance, si quelque notion s'échappait que n'eût point viciée cette anormale gestation, il arrivait souvent que ces notions elles-mêmes se discréditaient par leurs formes désuètes ou archaïques, en sorte que le public lisait privilège, là où il eût convenu de lire tradition ou même liberté. Ce qui ajoutait aux lacunes de cet homme de bonne volonté, c'était son ignorance de la France. Il l'avait vue de Versailles en sa jeunesse, et plus tard de l'exil ; plus tard encore, en sa captivité, il n'en avait observé que ce qu'on pouvait contempler du donjon de Vincennes ou du château de Saumur. Maintenant il s'applique fort à la bien connaître : dans les réunions mondaines, on le voit écoutant avec attention et emmagasinant tout ce qu'il peut, mais un peu à la manière d'un voyageur qui poursuit une enquête sur un pays étranger. Telle est la condition de Polignac, bien qu'il appartienne à la plus pure race de France. Et le même sort est celui de beaucoup de hauts gentilshommes, que le malheur des temps a trop éloignés de leur pays pour qu'ils n'éprouvent pas un certain besoin de s'y naturaliser de nouveau.

Je ne m'excuse qu'à demi d'insister sur cet homme singulier. C'est qu'en lui se personnifie, comme en un exemplaire presque unique, le terrible malentendu qui sépare le monde ancien et le monde nouveau. Ce personnage, qui est déjà impopulaire et va le devenir plus encore, se recommande d'ailleurs par les plus estimables qualités personnelles. Quoique très pieux, il est tolérant. Il écoute la contradiction avec une aménité parfaite, bien que parfois avec un sourire de présomptueuse confiance où se révèle son entêtement. Il est désintéressé, large, hospitalier, accueillant pour tous et en particulier pour ses adversaires. Comme diplomate, il a recueilli les plus flatteurs témoignages ; tel celui de son chef La Ferronnays qui le considérait comme l'un des meilleurs agents du roi. Seulement les plus sages bornent là l'éloge et jugent que la plus haute imprudence a été de transplanter Polignac, de l'Angleterre où il sert bien, dans la politique intérieure où peut-être il se fourvoiera. Ils redoutent en ce personnage qui n'est pas de nature vulgaire, mais pas non plus de nature tout à fait saine, toutes les témérités de l'inexpérience, tous les entraînements d'une infatuation à la fois candide et obstinée. Ce qui accentue leurs craintes, c'est le crédit dont le nouveau ministre jouit auprès du roi. Et alors ils se sentent glacés de terreur en songeant aux prodiges d'inhabileté qui pourront sortir de la collaboration du monarque et de son favori.

On ne saurait trop le répéter, le péril, quoique réel, n'est point immédiat. Ce qui peut aussi rassurer, c'est l'aspect qu'offre le conseil du roi. L'apparence est celle d'hommes plus embarrassés de leur rôle qu'en gestation de violences. Un seul, Chabrol, personnage très pondéré, a déjà été ministre, et c'est lui qui enseigne les usages. Point de président. Courvoisier, un ancien membre du centre gauche, est appelé au fauteuil en sa qualité de garde des Sceaux. Les autres se groupent autour de la table : Montbel, modéré de nature et qui ne cessera de l'être qu'avec désolation et sur l'ordre itératif de son roi : d'Haussez qui a les opinions que doit avoir un préfet capable, dévoué, et jaloux de faire son chemin sans trop se compromettre : Bourmont ! celui-là est homme d'action ; mais justement il ne sera pas là le jour où il pourrait servir. Restent les deux hommes les plus importants du cabinet : Polignac, La Bourdonnaye, mais tellement différents l'un de l'autre que le désaccord de leur caractère est un gage de leur commune impuissance. Les ministres délibèrent le mardi et le samedi entre eux, le mercredi et le dimanche en présence du roi. Celui-ci se montre presque toujours bon, bienveillant, et d'humeur assez débonnaire. A ces réunions assiste en général le Dauphin, réservé, gauche, presque timide. Je vais peut-être avancer une bêtise, dit-il souvent en commençant. Et en parlant de la sorte, il ne se calomnie pas toujours. Qu'on ne se fie pas trop aux apparences ; car par intervalles il s'emporte, devient cassant, discourtois ; puis, tout à coup, il s'apaise et au point de descendre aux excuses, car, chez lui, l'humilité du chrétien tempère presque aussitôt les incartades du prince.

 

II

Ce qui tient la première place dans les sollicitudes du gouvernement, c'est la politique extérieure. Tandis que le public et les journaux s'appliquent à découvrir et à dénoncer les indices d'un coup de force, l'attention de Charles X et de Polignac se concentre sur deux objets : la guerre turco-russe, l'affaire d'Alger.

La guerre turco-russe d'abord. Elle a éclaté l'année précédente, et la première campagne a été mêlée pour le tsar de succès et de revers. Maintenant les armées moscovites, reprenant l'offensive, débordent de toutes parts. Elles ont, en Europe, franchi les Balkans et en Asie conquis Erzeroum. Elles occupent Bourgas ; elles menacent Andrinople qui bientôt leur sera livrée. Les Turcs découragés ne tiennent plus nulle part, écrit de Saint-Pétersbourg notre ambassadeur, le duc de Mortemart. Et il ajoute quelques jours plus tard : Rien n'empêche le général Diebitsch, qui a reçu des renforts, de marcher sur Constantinople.

En transmettant ces nouvelles, le duc de Mortemart en pressent toute la portée. Il écrit dès le 10 août 1829 : Je ne demande pas des instructions spéciales pour chaque cas, mais je voudrais connaître au juste ce que le roi veut obtenir à la suite de tous ces événements qui s'accomplissent. M. de Mortemart compte d'ailleurs sur toute la bonne volonté de Nicolas. Celui-ci ne lui a-t-il pas dit la veille : Tout m'attache à la France. Aussi les lignes qui suivent sont comme une invite à l'ambition française : La volonté du roi, écrit l'ambassadeur, ne pouvant être que la justice, nous sommes en mesure de l'obtenir dès que Sa Majesté nous la fera connaître[2].

On devine combien ce langage dut exciter le cerveau de Polignac. Il avait en excès de confiance tout ce qu'autres avaient eu en excès de réserve. Au Congrès de Vienne, le gouvernement français avait agi suivant la prudence en paraissant ne pas entendre les suggestions russes et prussiennes, et en se liant à l'Angleterre et à l'Autriche qui représentaient le respect de la légitimité et la politique conservatrice. Les Bourbons n'ayant alors d'autre force que celle de leur droit, la sagesse était de se ranger aux côtés de ceux qui, précisément, proclamaient le droit. Mais quinze ans de conduite avisée avaient rendu à la France une place si haute qu'elle avait reconquis toute liberté pour ses alliances et pouvait caresser l'espoir de réviser par d'opportunes retouches ce qui, en 1815, avait été combiné pour l'enserrer. Cette évolution de notre politique s'était affirmée, dès le 30 novembre 1828, en un mémoire adressé de Rome par Chateaubriand à M. de la Ferronnays[3]. Tout préoccupé des complications nées des affaires grecques, Chateaubriand prévoyait la ruine entière de la Turquie. Dans cette attente, il appelait la sollicitude du ministre sur les éventualités d'un avenir peut-être prochain. Il jugeait que l'alliance avec l'Angleterre et l'Autriche avait fait son temps, la France ne pouvant obtenir ni de l'une ni de l'autre la seule chose qui lui manquât, c'est-à-dire une bonne frontière au nord. Au contraire, la Russie, désintéressée en Occident, pourrait, moyennant d'équivalents avantages, assurer à la France ce complément de sécurité et de grandeur. Polignac s'inspira-t-il de ce document tout récent ? Ce qui est certain, c'est qu'il le reproduisit, mais non sans y ajouter des précisions inattendues, et en élargissant encore le cadre que Chateaubriand avait tracé. Le duc de Mortemart avait sollicité des instructions : elles lui arrivèrent, datées du 4 septembre[4], mais si vastes, si étendues, qu'après avoir éprouvé l'embarras d'être sans directions, il dut éprouver un embarras plus grand encore de ce qu'on lui expédiait.

Le gouvernement français commençait par exprimer le vœu que la Turquie pût être sauvée. Mais il n'était pas invraisemblable que le sultan se refusant à toute concession, les Russes entrassent à Constantinople. L'Empire ottoman une fois détruit, il serait vain de le reconstituer : de là un ample partage de dépouilles, et par accord avec la Russie. On doutait d'autant moins du succès que les suggestions d'Alexandre en 1821, celles plus récentes de Nicolas, attestaient à Saint-Pétersbourg le désir d'une entente de plus en plus intime avec la cour des Tuileries. Cependant la négociation était délicate, et pourrait, si elle n'était prudemment conduite, tourner à la confusion de celui qui l'engagerait. Aussi était-il recommandé au duc de Mortemart de garder le plus absolu silence, à moins que la Turquie ne fût irrévocablement condamnée. Même dans ce cas, il s'abstiendrait de prendre l'initiative, mais s'appliquerait à provoquer adroitement, en des entretiens intimes, les ouvertures du tsar, de façon à ce que notre langage ne parût que réponse aux confidences impériales. Dans l'éventualité de remaniements territoriaux, l'ambassadeur aurait soin de marquer bien nettement, dès l'abord, le seul péril que la France pût courir, le seul accroissement qu'elle pût souhaiter. Lorsque la guerre, disait le ministre en sa dépêche, se faisait par de lentes combinaisons et que la rigueur des saisons en suspendait chaque année la poursuite, le roi pouvait voir sans inquiétude, entre les mains d'une puissance étrangère, une province telle que la Belgique, aussi rapprochée de notre capitale, mais qui était alors ouverte, sans défense, séparée par de longs intervalles du centre de l'Empire dont elle dépendait. Aujourd'hui tout est changé. La guerre se fait par des invasions subites, dirigées contre les capitales. A la place d'une province détachée de l'Autriche, se trouve un royaume compact, guerrier, défendu par tous les travaux de l'art militaire. La Belgique et l'Allemagne se sont couvertes de forteresses qui augmentent la confiance d'une armée envahissante, en lui offrant un refuge en cas de revers. Une armée prussienne campe à soixante-dix lieues de Paris ; une armée belge, qui peut, en quelques instants, devenir une armée anglaise, et être soutenue de toutes les forces de l'Angleterre, n'en est qu'à soixante lieues. En cet état de choses, le roi rie peut penser à des conquêtes éloignées. Sa Majesté ne peut que vouloir sortir de la condition très défavorable où le Congrès de Vienne l'a placée.

Dans ce but de sécurité, la France serait mise en possession de la Belgique et du Luxembourg, ce qui nous assurerait le cours de l'Escaut et la vallée de la Meuse. Il restait à se garder du côté du Rhin, là où dominaient, au lieu des paisibles électeurs de jadis, la belliqueuse Prusse. Pour se prémunir contre ce dangereux contact, on n'imaginait rien de mieux que de reprendre une combinaison déjà débattue au Congrès de Vienne et de faire glisser de Dresde dans les provinces rhénanes le roi de Saxe, allié à la maison de Bourbon et qui deviendrait le chef d'une sorte d'État tampon entre la Prusse et la France ; quelques parties de ces territoires seraient d'ailleurs attribuées à la Bavière qu'il importait de se concilier. Cependant il fallait satisfaire la Prusse, et la satisfaire largement, de peur que, mécontente, elle ne se portât du côté de Vienne ou de Londres, au lieu de se rallier aux combinaisons de Saint-Pétersbourg. On la dédommagerait avec la Saxe, conception assez naturelle, et en outre avec la Hollande, ce qui commençait à imprimer au plan d'ensemble un, aspect tout à fait surprenant. Que faire du roi Guillaume d'Orange ? Polignac qui ne doutait de rien l'envoyait sans plus de façons régner à Constantinople. La Russie aurait la Valachie, la Moldavie, et en outre ce qu'elle voudrait de territoires en Asie Mineure. Restait l'Angleterre et l'Autriche. L'Angleterre, depuis 1815, s'était montrée, vis-à-vis de nous, disgracieuse dans l'affaire d'Espagne, défiante dans l'affaire de Grèce : aussi se contentait-on de lui attribuer en tout ou en partie les colonies néerlandaises. Quant à l'Autriche, on lui concédait la Serbie, la Bosnie, l'Herzégovine où elle se débrouillerait comme elle le pourrait avec les sujets qu'on' ajoutait à son empire.

La dépêche était accompagnée d'un mémoire qui en offrait le commentaire. Il semble que l'un et l'autre documents aient été débattus à plusieurs reprises en conseil et aient subi en particulier quelques critiques de la part du dauphin qui eût voulu pour la France, non la Belgique mais la souveraineté directe des provinces rhénanes[5].

Ce plan recélait tant de chimères qu'on ose à peine louer ce qu'il marquait de clairvoyance. Des vues très judicieuses, des réalisations déconcertantes à force d'être extraordinaires, tout Polignac tient en ce contraste. Peut-on se figurer sans stupeur le chef de la vieille maison d'Orange, attaché depuis tant de générations à la Hollande, transféré, en vertu d'un simple protocole, des bords du Zuyderzée à ceux du Bosphore ? A côté de ce qui stupéfie, voici ce qui provoque l'inquiétude : pour se concilier la Prusse, on l'accroît jusqu'à la rendre la véritable bénéficiaire de la combinaison ; on l'éloigne de la France, mais on l'arrondit par la Saxe, on la prolonge par la Hollande ; elle devient ainsi puissance maritime, mais puissance maritime sans colonies ; ce qui lui communiquera toutes les avidités de ceux qui ne possèdent pas et ont besoin d'acquérir. La Hollande, toute chargée de sa glorieuse histoire, se résignera-t-elle à devenir simple province prussienne ? Ce plan pourra-t-il se poursuivre sans déchaîner la guerre ? L'Autriche se prêtera-t-elle à ce que la Prusse, maîtresse de la Saxe, tienne les défilés de l'Elbe ? Et l'Angleterre pourra-t-elle supporter que la France domine aux bouches de l'Escaut, la Prusse sur la mer du Nord ?

Le rédacteur de la dépêche semble avoir eu le sentiment des surabondantes critiques que sa combinaison soulèverait. Comme effrayé de son gigantesque programme, il s'appliquait lui-même à le restreindre. Ce n'était, disait-il, qu'une ébauche, un canevas ; mais, ajoutait-il, le roi verrait avec plaisir qu'on s'en rapprochât. On prévoyait le cas où la Russie tiendrait à ce que les nouveaux arrangements fussent soumis à une Conférence. Le gouvernement français n'y mettait pas un obstacle absolu, mais à la condition qu'une entente préalable entre Paris et Saint-Pétersbourg assurât, en tout état de cause, la Belgique à la France. Ce qui, aux yeux de Polignac, était de beaucoup préférable à un Congrès, c'était que les deux cours s'entendissent secrètement et entraînassent dans leur accord la Prusse et la Bavière. Alors, en présence d'une alliance compacte, l'Autriche, pressée entre la Russie, la France, l'Allemagne, serait heureuse d'accepter ce qu'on lui offrirait, et l'Angleterre toute seule n'entrerait pas sans alliés dans la guerre. La Prusse était le pivot nécessaire, et à tel point que sans son concours formel, rien ne se devait entreprendre. Il semblait qu'on prévît à Paris une exécution peut-être prompte, car on annonçait que la France pourrait, en trois mois, mettre sur pied deux cent mille hommes. En finissant, le ministre insistait sur le caractère essentiellement confidentiel de la communication. L'ambassadeur du roi devrait s'en réserver pour lui seul la connaissance ; et la dépêche elle-même ne devrait pas être classée dans les archives afin qu'il n'en restât point de trace en Russie. Une dernière crainte était que le tsar ne jugeât bien considérables les demandes de la France. Mais Polignac désavouait, au nom de son souverain, toute pensée d'ambition. Avec une anxiété qui n'était pas feinte, il insistait sur notre frontière si découverte, si mal gardée. Le roi, affirmait-il, n'a qu'une pensée : pourvoir à la sécurité de son peuple, de sa capitale, de son trône.

Le duc de Mortemart était un esprit avisé, et il n'eût point été sans intérêt de recueillir son jugement sur ce projet si grandiose et si risqué. Les circonstances lui épargnèrent l'embarras de la critique ou de l'approbation : Dans le cas de la paix signée, lui mandait Polignac, vous n'auriez aucun usage à faire de ce que je vous écris. Or, quand la dépêche arriva à Saint-Pétersbourg, la paix avec la Turquie était conclue. Le 14 septembre, elle fut signée à Andrinople. Nicolas usa de la victoire avec modération. La restitution à la Valachie et à la Moldavie de leurs anciens privilèges, la cession de quelques districts en Asie, la reconnaissance des droits des sujets moscovites dans l'Empire ottoman, la liberté des détroits pour les navires marchands russes, tels furent avec la reconnaissance du nouvel État grec, les seuls sacrifices demandés à la Porte[6] : Après tout, disait Nicolas au duc de Mortemart en songeant à la faiblesse du sultan, je n'imagine pas de voisins plus commodes que les Turcs.

Ainsi s'évanouit, avant d'avoir pris corps, le vaste et périlleux dessein. Le tsar n'eut point à le débattre ; n'en devina-t-il point quelque chose ? Du projet français on peut rapprocher un curieux entretien du souverain russe avec le duc de Mortemart. C'était le 3 novembre. En une conversation tout intime et abandonnée, Nicolas fit connaître à l'ambassadeur que, quelque temps avant la paix d'Andrinople, l'Autriche lui avait proposé un partage de la Turquie avec l'exclusion de la France. Le roi peut compter, observa le monarque, que jamais je n'entrerai dans une pareille combinaison sans mon fidèle allié. Puis il ajouta ces paroles significatives : J'engage le roi à s'occuper des suites de la chute de l'Empire ottoman. Malgré mon désir de le conserver, il peut périr d'un moment à l'autre. La suggestion se compléta par les paroles suivantes : Je suis sûr de la coopération de la Prusse pour l'accomplissement des vues sages que je concerterais d'avance avec le roi de France[7]. En se dégageant des chimères de Polignac, ne faut-il pas voir en ce langage le signe d'une entente tacite à l'affût des occasions, d'une négociation, indéfiniment ajournée, non tout à fait close. Et cet accord, très intime quoique latent, très capable de se traduire moyennant sagesse et patience par des résultats tangibles, cet accord durera jusqu'à ce que la chute de Charles X rejette brusquement Nicolas vers la vieille politique de la Sainte-Alliance, et la France elle-même vers l'Angleterre.

 

III

Après l'affaire russe l'affaire d'Alger, celle-ci non plus stérile comme l'autre, mais destinée, sans qu'aucun des contemporains en eût sur l'heure la vue claire, à transformer tout un continent.

La régence d'Alger, qui s'étendait depuis la frontière du Maroc jusqu'à celle de la Tunisie, groupait sur son territoire des éléments ethniques très différents : Berbères qui formaient la race primitive ; Arabes descendant des anciens conquérants ; Juifs adonnés au négoce ; Maures, négociants eux aussi, massés dans les villes et issus du mélange des diverses populations ; enfin Turcs arrivés dans le pays aux jours de la grande extension ottomane. Ceux-ci, bien que minorité, s'étaient arrogé la domination et reconnaissaient eux-mêmes, quitte à le déposer à l'occasion ou même à lui faire un sort pire, un chef qui, sous le nom de dey, gouvernait sous la suzeraineté, au moins nominale, de la Porte.

Les gens de l'intérieur, agriculteurs ou nomades, n'avaient guère d'histoire. Bien différents étaient les Algériens des côtes, depuis longtemps redoutés de quiconque exerçait le commerce ou naviguait dans la Méditerranée. C'est que la piraterie était pour eux une industrie, la plus florissante de toutes. Vrais tyrans de la mer, ils poursuivaient et capturaient les navires marchands, faisaient main basse sur les cargaisons, réduisaient à l'état d'esclaves équipage et passagers. A ces excès, tantôt les États européens avaient opposé des remontrances généralement vaines, tantôt ils s'étaient résignés à acheter par des tributs, sorte de primes d'assurance contre la piraterie, la sécurité de leur navigation ; quand les insultes étaient trop fortes ou les demandes de réparations accueillies avec trop d'insolence, on se fâchait tout à fait. Alors des expéditions maritimes s'armaient, s'approchaient des côtes africaines, procédaient par mesures de rigueur. Tels avaient été les bombardements de Duquesne en 1682, de d'Estrées un peu plus tard, et tout récemment, en 1816, de lord Exmouth.

Il était plus facile de châtier ces barbares que de les réformer. Comme le Congrès d'Aix-la-Chapelle avait, en 1818, proclamé la suppression de la course et de l'esclavage, le dey Hussein n'avait répondu à la notification que par un refus. Avec la France surtout, les rapports avaient pris un caractère singulier d'âpreté. Le principal sujet de querelle était né d'un différend pécuniaire. Hussein se plaignait fort que certaines sommes qui lui étaient dues par la France ne lui fussent pas remises. C'est qu'à la suite d'oppositions, les fonds avaient été versés à la Caisse des dépôts et consignations ; mais le dey, très ignorant de toute cette procédure, imputait ces retards à la mauvaise foi du débiteur. Sur ces entrefaites, divers incidents accrurent les désaccords. La maison de notre consul à Bône fut envahie et pillée : deux bâtiments pontificaux furent capturés, bien que la France eût demandé et obtenu l'affranchissement du tribut ; deux navires qui portaient à Toulon le courrier de Corse furent arrêtés et visités[8]. Tout s'envenima par le mécontentement du dey, de plus en plus irrité de ne pas toucher le montant de sa créance. Une lettre écrite par lui au ministre des Affaires étrangères ne reçut qu'une réponse indirecte : de là chez lui un surcroît d'irritation. Sa mauvaise humeur fut portée au comble quand les dépêches de France, au lieu de lui annoncer l'argent espéré, lui réclamèrent des satisfactions.

Un agent diplomatique avisé et en crédit eût peut-être réussi à calmer Hussein. Telle n'était pas la condition de notre consul à Alger, M. Pierre Deval. Il avait encouru à tel point la défaveur du dey que celui-ci attribuait à ses menées hostiles tous ses propres déboires et menaçait même de le renvoyer si on ne le rappelait. La double accumulation des griefs réels et des froissements personnels rendait vraisemblable un éclat. Le 30 avril1827, M. Pierre Deval fut reçu en audience. Hussein, qui était fort excité, se plaignit derechef, et avec un surcroît de véhémence, qu'on ne lui eût pas répondu ; il laissa entendre que peut-être la réponse avait été détournée et que peut-être aussi l'auteur de la suppression était l'homme qui était devant lui. On accorde, dit-il, tout aux autres et à moi rien du tout. Ce fut alors que, la discussion s'échauffant par degrés, Hussein s'oublia jusqu'à frapper de trois coups de chasse-mouches l'envoyé français. Telle est du moins l'affirmation que celui-ci a consignée dans son rapport[9].

Il ne semble pas que, sur l'heure, notre consul se soit redressé sous l'insulte ; car il poursuivit la discussion avec une endurance remarquable, et ce ne fut que par réflexion qu'il se jugea outragé. En revanche, à Paris l'on s'émut fort. Le capitaine de vaisseau Collet fut envoyé devant Alger, avec ordre d'exiger que le dey vînt à son bord ou y envoyât une députation pour présenter ses excuses ; en même temps, toutes les batteries des forts salueraient le pavillon français. En outre, on profita de l'occasion pour faire masse de tous les griefs passés et les énumérer sans en oublier aucun, comme on ferait d'une grosse note arriérée. Hussein, qui venait de montrer son inhabileté à se contenir, céda une seconde fois à la colère et jugeant avec sa persistance obstinée qu'il avait, non des réparations à fournir mais de l'argent à recevoir, il refusa tout.

Une réponse si péremptoire exigeait qu'on y répliquât par des mesures coercitives. Les ports de la régence furent déclarés en état de blocus. L'opération serait très coûteuse et risquerait d'être peu efficace, les Algériens ayant peu de commerce et l'étendue des côtes à surveiller étant immense. C'est ce que ne manqua pas d'observer le capitaine de vaisseau Collet. A ses yeux, une démonstration navale ne pouvait être que diversion, et la seule entreprise sérieuse serait une attaque combinée par terre et par mer avec un corps important de débarquement[10]. Ainsi naquit le premier projet de l'expédition. Plein de ces pensées, le commandant Collet envoya à Paris un jeune capitaine de frégate, M. Dupetit-Thouars qui, avec une puissance de conviction singulière et malgré les objections de beaucoup de vieux amiraux, développa les avantages de ce plan. L'affaire fut portée en octobre 1827 devant le conseil du roi. Le ministre de la Guerre, M. de Clermont-Tonnerre, soutint l'opportunité de l'expédition et en souligna les chances de succès. Mais une portion de nos forces navales était alors employée dans l'Archipel ; puis les complications nées des affaires de Grèce pouvaient appeler ailleurs notre vigilance ; tel fut le sentiment de Villèle, et son opinion prévalut. On dit que Charles X ne se rallia qu'avec peine à la majorité de son conseil : J'ajournerai, conclut-il avec regret. Puis il ajouta : C'est égal, t'eût été une belle chose de se présenter devant les Chambres les clefs d'Alger à la main.

Donc le blocus continua, mesure qui avait un aspect de punition, mais un aspect seulement. Beaucoup de dépenses, peu de captures, peu de dommages pour les Algériens. Les rigueurs pesaient à ceux-là mêmes qui les exerçaient. De là des projets d'accommodement, et à des conditions de plus en plus adoucies pour l'amour-propre du dey. Hussein se montrait intransigeant dans la mesure même où nous nous amollissions. Ainsi s'écoula l'année 1828. Collet, devenu contre-amiral, mourut et eut pour successeur le capitaine de vaisseau La Bretonnière. Derechef, en 1829, on tenta de négocier. Un capitaine de frégate, M. de Nerciat, fut envoyé à Alger ; puis sur des indices un peu meilleurs, M. de la Bretonnière se décida à s'y rendre lui-même. Les exigences françaises s'étaient encore atténuées. On ne réclamait plus que l'envoi à Paris d'un officier de marque qui porterait au roi des explications franches et satisfaisantes tant sur le passé que sur l'avenir. Dès qu'il serait parti, le commandant français conclurait une convention préliminaire de la paix. La Bretonnière demeura quatre jours à Alger, et deux fois fut reçu par le dey. Celui-ci protesta qu'il n'avait jamais voulu offenser le roi de France ; mais pour le reste il se montra inflexible, jugeant humiliant l'envoi d'un messager à Paris, et ajoutant que la paix ne devrait se conclure que dans Alger même. C'était l'échec. Le 3 août 1829, La Bretonnière s'éloigna, monté sur le navire la Provence qui portait pavillon parlementaire, et confiant dans son sauf-conduit. Comme le vent le poussait vers le littoral, il fut forcé de passer sous les batteries de la côte, en longeant le rivage de plus près que ne l'autorisaient les règlements. Un coup de canon tiré à poudre l'avertit ; puis, tandis que, luttant contre le vent et les courants, il naviguait pour sortir de la baie, une canonnade à boulets commença, dirigée contre le bâtiment français. Près de quatre-vingts coups de canon furent, dit-on, tirés. Heureusement les projectiles se perdirent pour la plupart dans la mer ou passèrent entre les mâts sans autre préjudice que quelque dommage dans la voilure ou le gréement. Avec un sang-froid remarquable, La Bretonnière s'abstint de répondre et, après avoir essuyé pendant une demi-heure ce tir aussi insolent que peu efficace, se trouva enfin hors de portée[11].

On aurait pu juger avec quelque indulgence le coup d'éventail du pacha, les mœurs turques n'ayant rien de commun avec les raffinements du point d'honneur occidental. Mais le droit des gens de tous les peuples, fussent-ils les moins civilisés du monde, proscrivait les coups de canon. Et ce furent ces nouvelles, destructrices de tout espoir de paix, qui réclamèrent dès son avènement la sollicitude du ministère Polignac.

 

IV

Sous quelle forme interviendrait-on ? Le gouvernement français s'arrêta d'abord à une suggestion qui n'eût mérité que d'être rejetée sans examen.

Méhémet-Ali, après avoir régénéré l'Égypte, aspirait à fonder un empire qui égalerait, surpasserait même celui du sultan son suzerain. Ni l'échec de Navarin, ni l'expulsion d' Ibrahim poussé hors du Péloponnèse, ne Pavaient découragé de la France. Par elle seule, il pourrait réaliser son dessein de grandeur. Dans cet esprit, il avait surveillé avec un soin attentif le développement de la crise algérienne. Au commencement de l'automne 1829, jugeant les choses à point, il transmit à Paris, par l'intermédiaire de M. Drovetti, consul de France, l'offre de prendre à sa charge, comme par délégation, l'entreprise d'Alger et le châtiment du dey. Il demandait vingt millions et le don de quatre vaisseaux de ligne.

Comment Polignac s'égara-t-il jusqu'à s'approprier une solution si singulière ? On ne le comprendrait guère si l'on ne considérait que la paix d'Andrinople elle-même n'avait point dissipé son rêve d'agrandissement de la France par entente avec la Russie et par dissolution de l'Empire ottoman. Il rassemblait, il collectionnait pour ainsi dire toutes les informations qui semblaient présager la ruine prochaine de la Turquie ; de ces indices que son imagination grossissait, il rapprochait les marques de faveur que Nicolas prodiguait au duc de Mortemart ; puis fondant toutes ces choses, il croyait toucher, saisir presque, des réalités magnifiques et prochaines. Tout obsédé de ces pensées, il jugeait peu prudent de dégarnir la France de ses meilleures troupes. Cependant il fallait, sous peine de discrédit pour notre politique, pourvoir à l'affaire d'Alger. En ces conjonctures, l'offre de Méhémet-Ali parut tout à fait opportune. Faussant encore son esprit qui était déjà assez faux par lui-même pour ne pas avoir besoin de se fausser davantage, Polignac finit même par découvrir à l'appui des offres égyptiennes, des arguments qu'il jugea tout à fait victorieux. Il serait, disait-il, peu digne de la France de se mesurer avec un barbare ; mais ce serait besogne tout à fait à la portée d'un autre barbare, tout récemment civilisé. L'économie serait grande pour nous, et d'hommes et d'argent. En outre, nous pourrions stipuler avec Méhémet-Ali de notables avantages, par exemple la consolidation et l'extension de nos anciens établissements sur la côte d'Afrique, depuis Alger jusqu'à la frontière tunisienne. Polignac ne doutait pas que Méhémet-Ali, fondateur d'un grand empire arabe qui s'étendrait sur les trois régences de Tripoli, de Tunis et d'Alger, ne fût tout dévoué à notre politique : Ce sera, pensait-il, un lieutenant de la France.

Les collègues de M. de Polignac étaient peu familiarisés avec les hautes conceptions de la politique. Mais quand le dessein, d'abord enveloppé de mystère, transpira dans le conseil, les objections éclatèrent. Quelle n'était pas la singularité de se confier à un tiers pour venger nos propres injures ! Était-on sûr de l'amitié de Méhémet-Ali et surtout de ses successeurs ? Puis était-il digne de la France de concourir à la fondation d'un grand État musulman au lieu d'ouvrir à la civilisation chrétienne les régions qui semblaient s'offrir à 'nous ? En outre, on observait qu'une distance de deux mille kilomètres séparait Alexandrie de la régence d'Alger : une si longue marche à travers des contrées en partie désertes pourrait-elle se poursuivre sans que l'armée égyptienne se fondît ou se décourageât ? Enfin, chemin faisant, ne trouverait-on pas à Tripoli, à Tunis, des résistances qu'il faudrait vaincre par force ou apaiser par négociation ?

La combinaison fut modifiée, notamment pour le chiffre du subside et pour les vaisseaux qui seraient prêtés, non donnés. Mais l'ensemble du projet subsista. Derechef il fut débattu le 19 décembre et subit de nouveau les plus vives critiques. Mais, toujours dominé par l'espoir d'une grande politique de compte à demi avec la Russie[12], Polignac s'obstina, et au risque de rompre toute unité dans le cabinet car déjà Bourmont et d'Haussez ébauchaient les préparatifs d'une expédition toute française. Vers le milieu de janvier 1830, en une dépêche officielle, le ministre des Affaires étrangères publia le dessein de la France qui était de châtier le dey, mais par les mains du vice-roi d'Égypte[13].

Certaines conceptions bizarres et mal venues peuvent garder une apparence de cohésion tant qu'elles s'ourdissent dans l'ombre ; qu'on les expose à la lumière, aussitôt elles se décomposent et se réduisent en poudre. Il en fut ainsi de la combinaison égyptienne. Les journaux, dès qu'ils la pressentirent, la jugèrent avec une raillerie mêlée de dédain. Les militaires firent valoir les difficultés de cette longue marche qui, par la Libye et la Tunisie, irait atteindre la régence. Chez les Russes, alors nos amis et qui se jugeaient liés à notre fortune, la désapprobation le disputa à la surprise ; le duc de Mortemart, dans les réunions mondaines de l'hiver, en put recueillir le témoignage, et à tel point qu'il écrivit à Polignac en un ton qui frisait la mercuriale : Cela devient humiliant, et nous commençons à nous discréditer sérieusement[14]. Entre toutes les puissances, la plus hostile fut l'Angleterre, tout émue à la pensée d'un grand empire arabe qui dominerait au bord de la Méditerranée et deviendrait un rival pour l'Empire ottoman, ce client traditionnel de la Grande-Bretagne. Dès qu'il avait pressenti le projet, le gouvernement anglais avait mis en œuvre, pour le prévenir, toutes les ressources de sa diplomatie. Dans cet esprit, il avait agi sur le sultan pour qu'il refusât à Méhémet-Ali, son vassal, l'autorisation de tenter l'entreprise. En outre, il avait pesé par intimidation sur le vice-roi d'Égypte, en le menaçant, s'il persistait dans ses vues, de tout le courroux de la Grande-Bretagne. Qu'ajouterai-je ? La sagesse triompha, quoique tardivement. La Turquie ne délivra point le firman qui eût permis à Méhémet-Ali de tenter l'aventure sans révolte contre son suzerain. Méhémet-Ali ne laissa pas que de réfléchir lui-même sur le danger d'encourir les colères de l'Angleterre. Polignac, de son côté, comprit, finit par comprendre que la paix d'Andrinople, tout en marquant une nouvelle étape dans la décadence de la Turquie, l'avait pourtant prémunie contre toute catastrophe immédiate. Ainsi tombèrent à terre, comme d'eux-mêmes, les fils de la combinaison égyptienne, et sans avoir été jamais bien solidement noués. Après un crochet malencontreux, la France, se décidant à être grande, mais sans deviner jusqu'à quel point elle le serait, allait s'engager dans la voie droite où Dieu lui-même semblerait son guide, tant il la conduirait glorieusement et loin !

 

V

Ce fut dans les derniers jours de janvier et au début de février que le Conseil des ministres, décidément libéré de chimères, débattit le plan de l'intervention directe, avec les forces et sous le drapeau national.

Tout naturellement, un souvenir revint en mémoire, celui des délibérations de 1827 et du projet conçu alors d'une attaque par terre, combinée avec une démonstration de la flotte. On ne manqua pas de rappeler aussi le nom de M. Dupetit-Thouars, ce simple capitaine de frégate qui, fort de sa connaissance du littoral algérien, avait développé les avantages de ce plan. Derechef il fut mandé et, dans une commission composée d'amiraux et de hauts fonctionnaires de la marine, répéta ce qu'il avait dit. Il indiqua comme point de débarquement la presqu'île de Sidi-Ferruch, située à cinq lieues environ à l'ouest d'Alger. Cette presqu'île, facile à fortifier et qui pourrait servir de dépôt pour l'artillerie et les vivres, faisait saillie entre deux petites baies qui offriraient aux navires un sûr abri. En s'exprimant de la sorte, M. Dupetit-Thouars pouvait s'appuyer sur l'autorité du commandant du génie Boutin qui, en 1808, avait reconnu la côte algérienne et dont le rapport, conservé aux archives, aboutissait aux mêmes conclusions. De Sidi-Ferruch à Alger, la route n'offrait pas d'obstacles insurmontables. Devant Alger, la seule opération importante serait la prise du château de l'Empereur. Cet ouvrage une fois emporté, la ville serait obligée de se rendre.

Cet avis, développé dans la commission, fut débattu de nouveau en une réunion plus importante tenue au ministère des Affaires étrangères. Le général de Bourmont suggéra qu'on s'emparât d'abord d'Oran. Dupetit-Thouars, devenu malgré la modestie de son grade le vrai conseiller du gouvernement, s'éleva fort contre cette conception, en invoquant la longue distance qui séparait Oran d'Alger. Les vieux amiraux, hostiles à toute expédition par terre, ne se laissaient pas tout à fait convaincre ; de plus, ils ressentaient quelque dépit qu'un de leurs subordonnés prît une autorité si prépondérante. En revanche, l'opinion de Dupetit-Thouars trouva une confirmation très précieuse dans le suffrage d'un officier du génie, le maréchal de camp Valazé, qui insista sur la faiblesse des défenses d'Alger du côté de la terre. A l'issue de cette conférence, les ministres se réunirent en conseil et adoptèrent définitivement le plan Dupetit-Thouars. On débarquerait à Sidi-Ferruch, et de là on marcherait sur Alger. Le 7 février, après une dernière délibération en présence du roi, les ordres définitifs partirent pour la flotte et pour l'armée.

 

VI

La France venait de publier ses desseins. A cette nouvelle, une opposition éclata, celle de l'Angleterre.

Depuis le rétablissement de la royauté, elle avait, dans ses rapports avec la France, éprouvé plus d'un mécompte. Elle jugeait qu'ayant recueilli les émigrés, donné asile aux Bourbons, aidé à la restauration de la monarchie, elle avait droit que notre politique suivit, sans trop s'en écarter, le sillage qu'elle-même tracerait. A défaut de notre gratitude, elle comptait sur notre faiblesse, faiblesse de malade qui recouvre lentement la santé et se traîne en une longue convalescence. Or, l'événement avait trompé ses prévisions. L'indépendance de notre politique s'était affirmée deux fois : en 1823 par l'expédition d'Espagne ; puis tout récemment dans les affaires de Grèce. En outre, on avait à Londres observé, non sans jalousie, les progrès de notre intimité avec la Russie. Que, dans ces conjonctures, la France prit une nouvelle initiative ; qu'elle la prît surtout dans cette région de la Méditerranée où les Anglais avaient jalonné les étapes de leur puissance, à Gibraltar, à Malte, à Corfou ; que nos vues se portassent non sur une île, mais sur un continent dont les territoires inexplorés tenteraient peut-être un jour nos armées ; alors le déplaisir serait tel qu'il aurait peine à se déguiser sous les formes courtoises de la diplomatie ou à se concilier avec le langage persistant de l'amitié.

Polignac, encore ambassadeur à Londres, avait, dès 1828, prévu ce choc éventuel. Un jour, en un entretien avec Wellington, il s'était appliqué à bien marquer, comme principe général, que certaines acquisitions hors d'Europe ne pourraient être considérées comme altérant l'équilibre entre les puissances : En entrant dans ces explications, écrivait-il à La Ferronnays, mon but a été de ménager au gouvernement du roi une plus grande liberté d'action dans l'accomplissement de ses vues sur Alger. Et il ajoutait : On ne peut se dissimuler que l'acquisition de cette ville et de son territoire serait aussi utile que glorieuse[15].

L'heure est venue où, entre Paris et Londres, va éclater la rivalité. C'est une joute serrée où sous les raisonnements se dissimulent les menaces, menaces qui s'insinuent, se gravent, puis, en un retour de modération, se désavouent, quitte à reparaître encore. Et voici maintenant les acteurs : à Paris, l'ambassadeur britannique, lord Stuart, d'un zèle souvent maladroit, et prompt à exagérer dans ses dépêches les avantages qu'il croit avoir remportés : puis, en face de lui, Polignac, opposant aux insistances déplaisantes toute sa bonne grâce, courtois toujours, obstiné toujours aussi, attentif à ne rien promettre, à ne rien livrer, à ne rien signer surtout, et fort de ce même entêtement qui est bénéfice vis-à-vis de l'étranger autant qu'il sera funeste dans la politique intérieure. — Et à Londres la même lutte se poursuit dont l'enjeu est l'influence française : du côté britannique deux redoutables antagonistes : le chef du Foreign Office, lord Aberdeen, droit, intègre, mais à la façon des Anglais qui commencent par se tailler une large part, quitte à comprendre qu'on leur résiste ; puis Wellington, le chef du cabinet, droit lui aussi, mais avec des vivacités qui ne se contiennent pas toujours. En face d'eux l'adversaire semble de qualité un peu inégale : c'est le duc de Laval-Montmorency, de médiocre savoir, ne se recommandant par aucun don supérieur, mais ayant contracté en ses précédentes ambassades à Madrid, à Rome, à Vienne une certaine expérience des grandes affaires, puisant dans une habitude raffinée du monde l'art de se dérober, d'éluder, d'ajourner doucement les solutions importunes, diplomate par grâce ancestrale quoique sans beaucoup d'envergure, et exerçant dans la société aristocratique de Londres un prestige non négligeable, celui de son grand nom.

Le dépit de l'Angleterre se traduit d'abord par des boutades. Quelques détachements n'ont point encore été rappelés de Morée, et lord Aberdeen s'en plaint avec une aigreur qu'un si mince objet ne saurait justifier. Vers la même époque, le chef du Foreign Office laisse entendre que toute difficulté eût été écartée 8i, dès le début, la France avait pris la Grande-Bretagne pour confidente, et surtout si l'intervention eût pu être concertée en commun.

Cependant les nouvelles du continent dissipent tous les doutes : il ne s'agit pas d'une simple démonstration, comme en 1816 celle de lord Exmouth, mais d'une grande expédition. De Paris lord Stuart mande tout ce qu'il sait des préparatifs de la marine ou de la flotte. Le 3 mars, lord Aberdeen, en un entretien de deux heures avec le duc de Laval, s'efforce de provoquer une explication à fond. Si le gouvernement français, dit en substance lord Aberdeen, déclare qu'il n'a pour but que la réparation de ses injures, nous n'avons rien à objecter, si formidables que soient les préparatifs. Mais, s'il forme des projets plus étendus et médite de détruire la puissance du dey, l'Angleterre désire savoir au profit de qui tournera sa conquête. — Nos vues sont désintéressées, répond l'ambassadeur ; nous ne souhaitons que le bien général de l'Europe, de la civilisation, de l'humanité. — Je le crois, reprend lord Aberdeen, et d'autant mieux que le prince de Polignac tient le même langage à lord Stuart... Mais, ajoute-t-il, des explications verbales sont insuffisantes ; et précisant sa pensée, il poursuit en ces termes : Nous avons besoin d'avoir entre les mains un document qui nous mette en mesure de répondre au Parlement que nous pouvons être pleinement rassurés sur les intentions de la France[16]. Ainsi parle lord Aberdeen, tout travaillé de soupçons ; et son inquiétude se traduit deux jours plus tard en une nouvelle dépêche à lord Stuart : Les formidables effectifs sur le point d'être embarqués semblent, écrit-il, indiquer l'intention, non de châtier, mais de détruire. Et il presse l'ambassadeur de voir de nouveau Polignac, d'obtenir de lui une communication officielle dont puisse s'autoriser l'Angleterre[17].

Le 12 mars, en une dépêche-circulaire, Polignac développa ce qu'il lui plaisait de faire connaître de la politique de son pays : Notre but, dit-il, est un but d'humanité ; nous poursuivons, outre la vengeance de nos propres injures, l'abolition de l'esclavage des chrétiens, la destruction de la piraterie, la suppression des humiliants tributs que les États européens paient à la régence. Quant aux suites possibles de l'entreprise, le ministre des Affaires étrangères se gardait de toute précision prématurée et se bornait à dire que, dans ce cas, la France se concerterait avec ses alliés pour le règlement du nouvel ordre de choses[18].

Qu'on rapproche le langage d'Aberdeen au duc de Laval ou à lord Stuart de celui de Polignac en sa dépêche, et l'on verra se développer en sens contraire deux habiletés. D'abord celle de l'Angleterre. Avec la traditionnelle clairvoyance de ses hommes d'État, elle pressent que la France ne se résignera pas à avoir mobilisé sa flotte, à avoir équipé 35.000 hommes, uniquement pour obtenir du dey une formule d'excuses ou des engagements presque aussitôt rompus que contractés. Elle devine une grandeur naissante à côté de sa propre grandeur. De là l'idée persistante de nous enchaîner, et non par une déclaration générale qu'un autre gouvernement pourra désavouer, mais par un de ces actes écrits qui restent et font foi. Toute la politique anglaise, si variées que soient les formes qu'elle revêtira, n'aura pas d'autre objet. — Et, en face, voici l'autre habileté, l'habileté française. Elle consiste à se tenir dans le vague, autant qu'à Londres on souhaiterait se fixer dans la précision. Que fera-t-on d'Alger ? Parmi les conseillers de Charles X, nul ne le sait bien. Mais on s'obstine, on s'obstinera, malgré toutes les obsessions, à se garder les mains libres. C'est qu'à travers l'obscurité des desseins et l'incohérence même des conceptions, le regard perçoit, par instants tout à fait fugitifs, des perspectives glorieuses. Et Polignac, moitié par sentiment de la dignité nationale, moitié par prévoyance instinctive, se refuse à limiter par stipulations ce que l'avenir réserve peut-être à la France.

Cette obstination de la France à se dérober, cette persistance de l'Angleterre à réclamer des précisions ne laisse pas que de rendre malaisés les rapports entre les deux gouvernements. Le différend, qui peut se transformer en conflit, défraie à Londres les entretiens des cercles politiques. Tous les lieux sont bons pour les conférences. A quelques jours de là, comme Wellington se promène à cheval dans le parc de Saint-James, il rencontre, à cheval aussi, l'ambassadeur de France ; et entre l'un et l'autre la conversation s'engage. Votre circulaire est insuffisante, remarque Wellington avec son ordinaire et un peu rude franchise. Telle a été, ajoute-t-il, l'opinion du conseil. La promesse que la France se concerterait avec ses alliés n'a pas paru assez rassurante. Dans une réunion des grandes puissances siégeront la Russie et la Prusse, à qui il importe peu que la France se taille une colonie dans le bassin de la Méditerranée. L'Angleterre a une situation particulière ; elle a le droit de réclamer un engagement, particulier aussi. Devenu exigeant, presque impérieux quoique toujours courtois, Wellington poursuit en ces termes : L'Angleterre a besoin d'être fixée, avant le départ de l'expédition, sur le sort réservé à Alger[19]. Et le langage qu'il tient, en un entretien familier, dans les allées de Saint-James, Aberdeen le reproduit le 28 mars en une dépêche à lord Stuart. Il ajoute que la régence d'Alger n'est point terre libre, mais qu'elle demeure sous la suzeraineté du sultan qui n'a point abdiqué son droit de souveraineté[20].

 

VII

Au milieu de leur inquiétude, les Anglais essaient de se rassurer. La France ne sera-t-elle point entravée dans ses projets par l'embarras de ses affaires intérieures ?

C'est à la politique intérieure qu'il faut en effet revenir. Une incroyable passion de la part des journaux, une incroyable maladresse de la part du gouvernement, en ces deux traits se résume, au dedans, l'histoire de l'année 1830.

Pour l'attaque, la presse n'a point perdu une heure. Elle a gravé dans l'oreille du public les noms des ministres et en enveloppant chacun d'eux d'impopularité. Puis, montant plus haut, elle a dénoncé avec une insolence tranquille l'aveuglement royal : M. Roux, chirurgien en chef de l'hôpital de la Charité, devra dans peu, écrit le Figaro, opérer de la cataracte un auguste personnage. Nul souci de vérité : le 11 septembre, le Journal du Commerce annonce qu'il s'est formé à Rennes une association pour le refus de l'impôt ; l'avis est reproduit par le Courrier français, le Constitutionnel, les Débats ; or, nulle association jusque-là, ni à Rennes ni ailleurs, et dans la nouvelle il n'y a de vrai que la passion qui l'a forgée. La manœuvre n'a qu'un succès médiocre, peu de gens se souciant d'afficher sur des listes leur opposition ; cependant quelques comités se forment ; et dans le public circule le nom, jusque-là presque inconnu, d'Hampden. Une chose gêne, c'est l'inertie du pouvoir. On raille son immobilité comme on eût flétri ses actes. : De sa personne, dit-on, M. de Polignac est très décidé ; seulement il ne sait pas à quoi. Dans la pénurie de griefs positifs, la malveillance saisit comme au passage les moindres mesures pour les travestir : le 21 octobre, une ordonnance paraît qui augmente les pensions militaires ; et aussitôt la même presse qui a signalé tant de fois la détresse des soldats de l'Empire, dénonce cette largesse comme une tentative pour séduire l'armée.

Les ministres se défendent faiblement, et pour des conspirateurs font, en vérité, figure un peu terne. Jusqu'ici, la principale provocation semble être le choix que le roi a fait d'eux. D'assez nombreuses poursuites judiciaires, mais parfois sans succès ; c'est ainsi que le Journal des Débats, condamné en première instance, est, au grand scandale des gens de cour, acquitté en appel. Cependant la paix est loin de régner parmi les conseillers du roi. La Bourdonnaye surtout déplaît à ses collègues : on l'a cru homme d'action et il n'est qu'homme de violence verbale, impuissant hormis dans la critiqué : Oncques ne fut plus mauvais coucheur, dira de lui Chateaubriand. Un jour, vers le milieu de novembre, l'un des ministres — M. Courvoisier, semble-t-il — demande que, pour l'unité des délibérations, le roi désigne un président du Conseil. A cette motion, La Bourdonnaye, aussi incapable de subir que d'exercer une supériorité, quitte la salle et se déclare démissionnaire. Montbel le remplace au ministère de l'Intérieur et est remplacé lui-même par M. de Guernon-Ranville. Polignac devient chef du cabinet. La Bourdonnaye était surtout violent, Polignac est surtout dévot : Le ministère, disent les journaux, sera un peu moins agressif, en revanche un peu plus jésuite. Et sur cette appréciation sommaire, l'impitoyable polémique continue.

Elle continue avec des forces renouvelées. Il y a, d'ancienne date, le Constitutionnel, le Courrier français, le Journal du Commerce et avec eux le Journal des Débats qui, bien. que très âpre contre le ministère, se pique de respect, de vénération mémo pour la monarchie. Maintenant le Globe, ce journal de haute spéculation intellectuelle, devient feuille politique et se laisse pénétrer par toutes les passions que jusqu'ici il a raillées ou désavouées. Plusieurs s'affligent qu'il se soit transformé de la sorte : Jadis on se recueillait pour le lire, écrit avec regret Augustin Thierry. Cependant le 3 janvier 1830, un nouveau journal paraît : le National, non alourdi par la richesse ou usé par une longue durée comme le Constitutionnel, non entravé comme les Débats par scrupule royaliste, mais armé à la légère pour le combat ; assez pauvre pour n'avoir rien à perdre ; assez hostile pour ne rien ménager ; assez résolu pour ne reculer devant aucune témérité et fonctionnant avec la puissance tranchante d'un outil qui n'a point servi. Jeune, il a des rédacteurs jeunes aussi : Carrel, Thiers, Mignet. Il vise non seulement le ministère, mais la dynastie. Pour l'atteindre au plus sensible endroit, il exploite un rapprochement perfide. L'exemple — et combien suggestif ! — se puise dans l'histoire : on montre comment, en un pays voisin, la couronne a pu passer d'une famille royale à une autre famille royale, sans danger pour l'ordre, et avec tout profit pour la liberté. On déplore l'aveuglement des Stuarts, on célèbre la révolution de 1688, et le thème se répétera, se ressassera sous toutes les formes jusqu'à ce que le public, dressé à point, lise Charles X là où on écrira Jacques II et, quand on lui parlera de Guillaume d'Orange, regarde vers tin autre prince, de race royale aussi.

 

VIII

Les Chambres étaient convoquées pour le 2 mars. Tandis que les députés s'acheminaient vers Paris, les ministres réunis en conseil débattaient les termes du discours du trône. Puisqu'ils s'étaient abstenus jusqu'ici de toute mesure provocatrice, la sagesse eût été de persévérer dans la même attitude, de donner à la déclaration royale un tour volontairement terne, de ne porter au Palais-Bourbon que la loi du budget et quelques lois d'affaires, et de laisser aux députés l'initiative des hostilités, s'il leur plaisait de les engager. Parmi les ministres M. Courvoisier, M. de Chabrol eussent désiré un langage modéré, et pareillement M. de Guernon-Ranville si nous en croyons ses souvenirs[21]. Tel n'était pas l'avis du roi. Ne comprenant pas que les noms de ses ministres comportaient à eux seuls tout un programme, il s'était étonné et irrité qu'on les attaquât avant de les avoir vus à l'œuvre. Les violences de la presse et l'acquittement du Journal des Débats lui avaient paru injure personnelle. De là, chez lui, une sensible déviation. La Charte, il persistait à la vouloir ; mais il la voulait tout entière, avec cet article 14 dont il scrutait anxieusement le sens et qui semblait lui conférer, en cas de péril public, un pouvoir discrétionnaire. De cette disposition exceptionnelle il espérait bien n'avoir pas à user. Mais dominé par l'antique conception de la monarchie paternelle, il se jugeait le père de ses sujets ; et à ce titre il les avertirait comme un père admoneste, en termes comminatoires, des enfants suspects d'indocilité ou enclins à la rébellion.

Le 2 mars, la session s'ouvrit dans la grande salle du Louvre. Jamais plus somptueux appareil ne cacha plus d'inquiétude. Le monarque commença son discours en précipitant les mots comme si, à la fois irrité et nerveux, il eût eu hâte d'en finir. Dans son trouble il laissa tomber son chapeau. Le duc d'Orléans le ramassa et le lui remit avec une profonde révérence. Quand Charles X arriva au passage relatif aux affaires intérieures, l'attention redoubla : Pairs de France, députés des départements, dit-il, je ne doute pas de votre concours pour opérer le bien que je veux faire. Vous repousserez avec moi les perfides insinuations que la malveillance cherche à propager... Si de coupables manœuvres suscitaient à mon gouvernement des obstacles que je ne peux, que je ne veux pas prévoir, je trouverais la force de les surmonter dans ma résolution de maintenir la paix publique, dans la juste confiance des Français et dans l'amour qu'ils ont toujours montré pour leur roi.

En prononçant ces paroles, le prince s'était appliqué à scander les mots pour en marquer la valeur, mais sans y parvenir tout à fait ; car son tempérament, inhabile à la vraie fermeté, ne connaissait que les entraînements de la bonté ou les excitations de l'impatience. De vrai, si l'on méditait quelque entreprise extra-légale, la maladresse de se découvrir était grande, et elle n'était pas moindre si l'on ne méditait encore rien du tout. Au Palais-Bourbon, les jours suivants furent pleins de trouble. Sauf dans les groupes extrêmes, un intense désir régnait, celui de ramener le gouvernement dans les voies de la prudence et de prévenir un conflit qui aurait pour enjeu, non le ministère, mais la dynastie. En ce patriotique souci, beaucoup de députés, royalistes très résolus, se persuadèrent que le meilleur service à rendre à leur prince serait de lui parler un langage énergique jusqu'à la rudesse, afin que l'avertissement, dût-il être importun, fût assez clair pour dissiper toute équivoque. Tandis qu'au Luxembourg les pairs se contentèrent de répondre au discours royal par une déclaration banale qui ne compromettait rien, une conduite tout autre prévalut dans la Chambré élective. Là-bas, la plupart des modérés se joignant aux opposants, la commission de l'Adresse fut uniquement composée de députés antiministériels. Le rapporteur fut M. Gautier, un négociant de Bordeaux, jadis ardent royaliste et demeuré très monarchiste, mais passé à l'opposition. Il n'est pas douteux que le texte de la réponse n'ait été fourni, au moins en partie, par Royer-Collard, président de la Chambre, et, de droit, membre de la commission. On s'était encouragé à être ferme, sans songer que Charles X, l'homme du monde le moins façonné aux fictions constitutionnelles, verrait dans cette énergie de paroles un défi, et se croirait obligé, en bon gentilhomme, de répondre par un autre défi. En vérité, la fermeté fut ce qui manqua le moins. Après d'abondants témoignages de fidélité et de respect, les rédacteurs de l'Adresse s'exprimaient en ces termes : Sire, au milieu des sentiments unanimes de respect et d'affection dont votre peuple vous entoure, il se manifeste dans les esprits une vive inquiétude... Notre conscience, notre honneur, la fidélité que nous vous avons jurée et que nous vous garderons toujours nous imposent le devoir de vous en dévoiler la cause. Sire, la Charte que nous devons à la sagesse de votre auguste frère et dont Votre Majesté a la ferme volonté de consolider le bienfait, consacre comme un droit l'intervention du pays dans la délibération des intérêts publics. Cette intervention devait être, elle est en effet indirecte, sagement mesurée, circonscrite dans des limites exactement tracées et que nous ne souffrirons jamais que l'on ose tenter de franchir : mais elle est positive dans son résultat ; car elle fait du concours permanent des vues politiques de votre gouvernement avec les vues de votre peuple la condition indispensable de la marche des affaires publiques. Sire, notre loyauté, notre dévouement nous condamnent à vous dire que ce concours n'existe pas.

La discussion ne tint que deux séances, celles du 15 et du 16 mars. La Chambre s'était formée en comité secret, autant du moins qu'une délibération peut être secrète en présence de quatre cents députés. Polignac était à son banc, mais peu entouré, dépaysé, et promenant autour de lui des regards étonnés comme sur des lieux nouveaux pour lui. Une question sur les affaires étrangères l'amena à la tribune. Il répondit gauchement, en déguisant son trouble sous une affectation d'assurance. Ce fut tout à fait réjouissant, a noté le duc de Broglie, impitoyable. Montbel et Guernon-Ranville parlèrent l'un et l'autre, le premier non sans habileté, le second non sans vigueur. Avec une opportunité malicieuse, Montbel opposa au dogmatisme nouveau de Royer-Collard son dogmatisme ancien. Royer-Collard, au temps de la Chambre introuvable, n'avait-il pas prononcé ces paroles : Le jour où il sera établi en fait que la Chambre peut repousser les ministres du roi et lui en imposer d'autres, ce jour-là, c'en sera fait non seulement de la Charte, mais de la royauté héréditaire qui a protégé nos pères ; ce jour-là nous serons en république. L'attention se fixa un instant sur deux députés nouvellement élus, Guizot qui soutint l'Adresse, Berryer qui la combattit. Cependant un arrière-espoir d'entente suggéra un amendement qui, sans modifier beaucoup le texte de la commission, déguisait sous une forme adoucie le refus de concours et par suite ménageait l'amour-propre royal. L'auteur, M. de Lorgeril, était un ami de Martignac. L'instigateur secret était, à ce qu'on a prétendu, M. Courvoisier : il n'était pas, ce jour-là, au banc des ministres, ayant pris soin d'être indisposé. Par malheur, l'amendement, présenté à la dernière heure, et défendu par un seul député, M. Pas de Beaulieu, se perdit dans le tumulte des passions contraires. Le 16 mars, à une heure avancée de la soirée, on procéda au scrutin, et le texte de la commission fut voté par 221 voix contre 181.

L'usage était qu'une députation, dite grande députation, portât aux Tuileries la réponse au discours royal. Le 18 mars, dans la matinée, les délégués, ayant à leur tête Royer-Collard, se présentèrent au château. Quelques députés, mais peu nombreux, s'étaient joints au cortège. Le chiffre était de 46, a écrit M. Guizot qui a raconté la scène. Le roi était à la messe. On l'attendit dans le Salon de la paix. La Dauphine, se rendant à la chapelle, passa, silencieuse et ne regardant rien. Dans les embrasures, des pages, des gens de cour, curieux, chuchotant, presque impolis. Les députés se taisaient ou causaient à voix basse, plus intimidés qu'ils ne voulaient le laisser paraître. Quand ils eurent été introduits dans la salle du Trône, Royer-Collard lut l'adresse, d'une voix où se trahissait son émotion, car, en royaliste fidèle, il tremblait pour la monarchie. Le roi écouta en une attitude glaciale, quoique sans hauteur. Puis il répondit en quelques mots sévères et brefs. Ce n'était plus le langage d'un père qui avertit ses enfants, mais celui d'un monarque offensé qui relève un défi.

Le lendemain, la Chambre fut prorogée jusqu'au 1er septembre. Proroger n'est pas dissoudre. Ainsi se bercèrent encore d'espoir ceux qui aspiraient à éviter un conflit. Tout troublés du vote récent et travaillés d'un repentir inavoué, les plus modérés du centre droit, du centre gauche, se tournaient vers ceux qui, comme Casimir-Perier, Royer-Collard, Roy, Humann, semblaient figurer l'expérience et la sagesse. Ils allaient jusqu'à placer leur confiance dans Villèle que naguère la Chambre avait flétri et qui, maintenant, par comparaison, semblait presque désirable. Celui-ci s'apprêtait à repartir pour Toulouse quand, le 31 mars, il reçut la visite de deux députés, l'un du centre gauche, M. Humann, l'autre du centre droit, M. du Marhallach. Tous deux se faisaient fort, s'il rentrait aux affaires, de lui assurer une majorité pour le vote du budget. De la sorte, on gagnerait une année ; ce qui donnerait aux passions le temps de s'apaiser. Villèle ne fut pas insensible à la démarche ; car il n'avait pas renoncé à ressaisir le pouvoir. Mais il avait vu le roi la veille et ne pouvait solliciter une nouvelle audience sans paraître s'offrir ; ce qu'il jugeait contraire à sa dignité. Il n'osa donc donner suite à la suggestion et, à quelques jours de là, quitta Paris.

Si la clairvoyance inspirait en beaucoup d'âmes des regrets, Charles X, lui, ne se repentait pas. On l'entendait répéter qu'il ne céderait pas, qu'il n'imiterait pas son frère Louis XVI, qu'il saurait contenir la Révolution. Cependant, si le prince avait décidé de dissoudre la Chambre, la conduite la moins judicieuse était de tarder ; car alors on laisserait aux adversaires le temps de revenir de leur surprise et de se préparer. Cette faute ne manqua pas de s'ajouter à toutes les autres ; car l'ordonnance de dissolution ne parut que le 16 mai.

Quand la mesure fut irrévocablement décidée, Courvoisier se retira. Chabrol le suivit dans la retraite, non sans avoir eu la satisfaction de soumettre au roi un rapport d'ensemble qui constatait le haut degré de la prospérité publique[22]. Montbel qui avait détenu le portefeuille de l'Instruction publique, puis celui de l'Intérieur, passa docilement aux Finances, en ministre dévoué qui sent les périls, mais ne refuse rien à son roi. Il fallait compléter le cabinet. On désigna pour la Justice un ancien procureur général, M. de Chantelauze, et l'on appela pour l'Intérieur un autre procureur général, M. de Peyronnet : ce qui faisait, avec Guernon-Ranville, trois procureurs généraux. C'est qu'en fixant de plus en plus les yeux sur l'article 14, on ne laissait pas que de ressentir quelque trouble. En s'ornant de tant de hauts magistrats, on se rassurait la conscience. Ainsi agit un dévot qui, au moment d'un acte douteux, fait quérir en quantité des théologiens qui lui persuaderont qu'il ne commet aucun péché et que, si d'aventure il en commettait un, ce péché, changeant incontinent de nom, s'appellerait vertu.

 

IX

Politique extérieure, politique intérieure, le contraste est complet, et vraiment on ne sait à quoi le pouvoir réussit le mieux, à bien servir la France ou à l'exaspérer.

C'est au milieu des polémiques nées de l'Adresse que s'organise l'expédition d'Alger.

On a cru d'abord qu'il faudrait huit mois pour la préparer ; puis le délai a été réduit à six mois ; maintenant on espère être prêt en trois mois. La tâche la plus urgente, qui est celle de la marine, ne laisse pas que d'être laborieuse. On craint que la terre où l'on abordera n'offre que peu de ressources : de là la nécessité d'une immense flotte de transport où l'on accumulera les vivres, les approvisionnements, le matériel, les munitions. Il faut rallier dans la Méditerranée nos bâtiments dispersés. L'emploi des moteurs pour la navigation est encore tout récent, et l'on ne pourra réunir que six bâtiments à vapeur ; le reste, c'est-à-dire presque tout, sera armé à la voile, et cela sur des côtes réputées pour l'inconstance des vents. Cependant beaucoup d'amiraux, doublement défiants par l'âge et par souvenir de la Révolution et de l'Empire, pratiquent cette prévoyance chagrine qui, à force d'être la prudence, cesse d'être la sagesse. Le vice-amiral Duperré, appelé au commandement des forces navales, a subi lui-même ces influences ; et il faut combattre le pessimisme jusque dans l'âme du chef qui devrait communiquer l'ardeur. En dépit de ces embarras ou de ces prévisions un peu sombres, une activité réglée hâte les préparatifs. Tandis qu'on travaille sans relâche dans les ports, dans les arsenaux, l'administration de la guerre déploie un zèle égal. Pour le commandement, on a hésité entre deux hommes : le maréchal Marmont, le général de Bourmont, tous deux bons militaires, tous deux aussi un peu suspects, l'un par les souvenirs de 1814, l'autre par la défection de 1815. Au grand dépit de Marmont, Bourmont a été choisi. Le corps expéditionnaire se composera de trois grosses divisions pourvues de tous leurs éléments de combat et s'élevant à un effectif réel de trente-trois mille hommes environ. Et maintenant les régiments s'acheminent vers la Provence où ils auront, en attendant l'embarquement, leurs points de concentration à Toulon, à Marseille, à Aix.

Ce que la France prépare, elle le publie. Le 7 avril, en une circulaire diplomatique, Polignac indique le chiffre des effectifs, les noms des chefs. Il annonce, avec un peu de complaisance pour notre marine, que les mouvements de la flotte seront favorisés par un grand nombre de bâtiments à vapeur : Les préparatifs, dit-il, seront terminés dans un mois. Il ajoute, non sans optimisme que, malgré les troubles intérieurs, tous les partis, se sont toujours trouvés d'accord pour soutenir l'honneur du trône et les intérêts de la nation. Il termine en marquant les mobiles qui ont guidé depuis quinze ans la politique royale : en Espagne, dit-il, nous avons conjuré les désordres de la Révolution ; en Grèce, nous avons arraché à la ruine toute une population chrétienne ; en Algérie, nous voulons délivrer l'Europe du fléau de la piraterie[23].

Jusqu'ici, on avait gardé à Londres l'arrière-espoir que la France se laisserait intimider, qu'elle se contenterait d'une simple démonstration navale qui ne laisserait pas plus de traces que le passage d'une escadre sur les flots. La circulaire abattit ce qui restait d'illusions. L'Angleterre est une grande, noble et glorieuse nation ; mais vraiment elle montra trop en cette occurrence combien elle aime peu les colonisations des autres.

A Paris et à Londres, les entretiens se poursuivent, mais qui ne demeurent courtois qu'avec effort et où perce chez les hommes d'État britanniques une croissante irritation. Nous recherchons, disent les Français, un but général qui est l'abolition de l'esclavage, la suppression de la piraterie, la suppression des tributs payés aux Barbaresques. Puis ils ajoutent — et ici on devient du côté anglais fort attentif : Nous recherchons aussi un but particulier qui est la réparation de nos injures personnelles. Ils continuent : En cas de renversement du dey, nous nous engageons à nous concerter avec nos alliés pour le régime futur de la régence. A ce langage, les Anglais se dressent tout méfiants : c'est que parmi les alliés il y a les Russes, les Prussiens, fort désintéressés dans la Méditerranée et qui, par suite, seront tout de glace quand il s'agira des revendications de la Grande-Bretagne. Poursuivant leurs explications, les Français observent et ils sont en ce moment très sincères — qu'ils n'ont aucun désir de conserver Alger ou la régence. Toutefois ils ne laissent pas ignorer qu'ils entendent se payer de leurs frais et créer un gouvernement qui sauvegarde leurs intérêts. Or, cette seule réserve éveille chez lord Aberdeen tout un monde de soupçons. Ces demandes d'indemnités, ce contrôle sur le gouvernement futur, c'est, dit-il, le prétexte à une occupation qui peut se prolonger, devenir indéfinie, se transformer en conquête. Et d'un ton brusque, un peu emporté, il ajoute : Nous ne pourrions admettre une occupation qui se prolongerait pendant plusieurs années. Le chiffre du corps expéditionnaire accroît les inquiétudes : Trente ou quarante mille hommes, observe lord Aberdeen, ne sont pas faciles à rappeler. Et il ajoute sur un ton de plus en plus exempt de bienveillance : Nous l'avons bien vu par les peines qu'il a fallu pour faire évacuer la Grèce. Cependant le 21 avril, à Londres, un conseil des ministres se tient, et une nouvelle dépêche est adressée à lord Stuart pour qu'il réclame de Polignac une déclaration écrite attestant le désintéressement de la politique française[24].

En ce duel de paroles qui peut devenir un autre duel, Polignac ne laisse pas que de sentir sa force. Il peut compter absolument sur la Russie. De Saint-Pétersbourg, Mortemart mande que le tsar souhaite à Alger un établissement assez formidable pour assurer à jamais la sécurité de la Méditerranée[25]. La Prusse n'est guère moins favorable, tant elle est intéressée à ce que l'activité française se tourne vers le Midi ! Même du côté de l'Autriche, si intimement liée à l'Angleterre, nul sujet sérieux d'inquiétude, et de Vienne, quelques jours plus tard, M, de Rayneval pourra écrire[26] : Quant à l'affaire d'Alger, nous sommes en mesure de la mener comme nous voudrons. Il y aura des intrigues mais rien de plus... Avec prudence et habileté, on arrivera à un résultat avantageux et honorable. C'est donc avec une sécurité raffermie que Polignac subit les assauts répétés de lord Stuart. Passant des instances à de vagues menaces, celui-ci parle d'une communication au Parlement qui pourrait jeter le trouble eu Europe. Polignac ne s'émeut pas : Nous avons manifesté, réplique-t-il, la volonté de nous concerter avec nos alliés sur le sort futur d'Alger. Nous n'irons pas plus loin et nous ne donnerons pas plus d'explications à l'Angleterre que nous n'en avons donné aux autres puissances[27].

Sur ces entrefaites, une nouvelle se répand qui ajoute à l'émotion des Anglais. Bourmont est arrivé le 25 avril à Marseille. Là-bas règne une grande excitation par la perspective des nouveaux débouchés que pourront offrir les États barbaresques. Influencé par le milieu ambiant, le général en chef, en un discours à la Chambre de commerce, annonce, semble annoncer, des projets de colonisation et d'établissement durables[28]. Le gouvernement sent l'imprudence et, dans une note du Moniteur, remet au point la harangue. Mais déjà lord Stuart à Paris, lord Aberdeen à Londres, ont recueilli la nouvelle. Lord Stuart réclame derechef des explications, et avec une insistance presque violente : Si vous les refusiez, dit-il, vous prendriez sur vous toute la responsabilité des conséquences qu'un pareil refus peut entraîner. Polignac répond froidement : Sa Majesté m'a ordonné de m'en tenir aux informations que j'ai eu l'honneur de vous transmettre[29]. De la part de lord Aberdeen l'insistance n'est pas moindre. Il se sert, d'après le témoignage du duc de Laval, d'expressions fortes et peu ménagées. Les explications écrites, dit-il, sont nécessaires pour inspirer la confiance que ne peuvent donner les paroles. Dédaigneux de tout ménagement, il laisse entendre que, dans l'instabilité des choses, une évolution est possible en France et que la prudence oblige la Grande-Bretagne à se pourvoir d'un engagement positif. Ainsi s'exprime-t-il, dit le duc de Laval, en un trouble, en un malaise inexprimable. De l'audience d'Aberdeen, notre ambassadeur passe dans le cabinet de Wellington, mais il le trouve — ce sont les termes même de son rapport — en des dispositions encore plus arrêtées[30].

Visiblement les relations se tendent, et jusqu'aux limites de la rupture. Les Anglais, devenus tout à fait impérieux, demandent qu'on leur communique les instructions données à Bourmont. Comment voulez-vous, répond Polignac, que nous communiquions un document tout confidentiel sur le lieu du débarquement, sur le mode et les suites de l'attaque. Ce qui exaspère à Londres, c'est qu'on s'est persuadé, sur les assertions de lord Stuart, que la France a promis un engagement écrit ; ce qui communique à notre langage un certain aspect de manque de foi. Le 9 mai, nouvel entretien d'Aberdeen avec l'ambassadeur de France. Il engage, presse, assiège, 80148 toutes les formes imaginables, le duc de Laval dans le but d'obtenir ce que l'obstination de lord Stuart n'a pu emporter. Nous sentons bien, continue-t-il, que si la France veut profiter de cette guerre pour s'établir en Afrique, elle ne sera pas plus arrêtée dans son dessein par des explications écrites que par des explications orales. Mais pour nous, ministres de Sa Majesté britannique, nous avons besoin d'une pièce qui nous mette, aux yeux du Parlement, à l'abri du reproche de négligence ou d'imprévoyance. — Le gouvernement français sera entraîné, poursuit lord Aberdeen ; nous pouvons invoquer le témoignage de personnes haut placées à Paris et du commandant en chef lui-même. Et voici maintenant, très vague encore mais transparente, la menace : Malgré la persuasion que vous serez entraîné, dit lord Aberdeen, nous avons eu, jusqu'ici, la modération de ne point adresser d'ordres à notre escadre dans la Méditerranée. Nous aurions pu l'envoyer croiser vers les côtes menacées et prendre position à Gibraltar. Quant à Wellington, il déclare qu'il ne peut souffrir de nouveaux établissements qui porteraient atteinte à l'influence anglaise. Nous devons nous attendre, écrit le duc de Laval tout à fait effrayé, à une demande officielle pour nous forcer à entrer en explications. Les ministres anglais seront probablement interrogés un de ces jours, peut-être ce soir, sur la question d'Alger.

 

X

Il n'est pas rare que les mêmes dispositions d'esprit soient, suivant l'objet auquel elles s'appliquent, bienfaisantes ou funestes. La même obstination qui, chez Polignac, aurait à l'intérieur de si déplorables effets, tournerait au dehors au plus grand profit de la France. Ce qui n'est ici qu'entêtement s'appellera là-bas énergie.

Qu'on se figure un homme politique, d'intelligence plus souple, plus fertile en combinaisons, plus en fond d'habileté. Il est à craindre qu'au lieu de se retrancher dans une volonté intangible, il ne se laisse entraîner à la suite de l'adversaire et par fatigue de lutte, par désir de conciliation, ne finisse par adopter une formule qui entame un peu l'intégrité des choses. Tout autre est Polignac. Son esprit étroit et absolu sert mieux ici que tous les raffinements. Aux instances, aux objurgations, aux menaces, il oppose, avec cette douceur tranquille assez familière aux entêtés, son non possumus diplomatique. Non, il ne promettra rien, il ne s'engagera à rien, surtout il ne signera rien. Que compte-t-il faire de l'Algérie ? Il l'ignore. Mais, averti par une sorte de divination obscure, il sent que, ministre tout à fait passager d'une monarchie permanente, il ne doit à aucun prix engager l'avenir. Et c'est en quoi, à cette heure, cet homme, si justement critiquable pour le reste, mérita bien de son pays.

Sa conduite fut d'autant plus digne d'éloges qu'il dut, pour s'y tenir, non seulement braver l'opposition de l'Angleterre, mais celle de la France elle-même.

Ce qui fortifiait les critiques, c'était l'attitude des chefs de la marine. Presque tous, comme on l'a dit, étaient hostiles. Le 8 mars 1830, à la Chambre des pairs, l'amiral Verhuel, l'un des plus anciens de son grade, avait énuméré, dans le langage le plus troublant, les dangers de l'entreprise. En termes très figurés, il avait dépeint les rivages d'Afrique : point de ports, point d'abris, de brusques mouvements de mer ; puis, même en été, des coups de vent tellement violents qu'ils pourraient disperser tous les bâtiments de transport et exposer l'armée à la plus affreuse détresse. Ce qui prêtait crédit à ces prévisions pessimistes, c'était que l'amiral, parlant en témoin, invoquait le souvenir d'une terrible tempête qu'il avait essuyée jadis dans les parages d'Alger.

Quelle excitation pour la presse opposante ! Journaux dynastiques comme les Débats, feuilles plus violentes comme le Courrier français ou le National, petites gazettes satiriques comme le Corsaire ou le Figaro., tous s'unirent dans la critique. Nos finances, dit-on, sont engagées en dehors des Chambres. Le seul profit, ajoute-t-on, sera celui de quelques spéculateurs ; après l'expédition d'Espagne, l'argent alla aux fournisseurs ; une fois de plus il en sera de mémé. L'entreprise n'est qu'une diversion pour masquer sous une couche de gloire la liberté compromise ; et l'on ne va en Afrique que pour détruire plus sûrement la Charte en France. Un autre argument, non moins répété, est de dire que Polignac, par une honteuse faiblesse, s'est engagé envers l'Angleterre à ne créer aucun établissement sur la côte algérienne. Les journaux, poursuivant la campagne, ajoutent : On va chercher la gloire ; mais l'aura-t-on ? Et alors, en monnayant le discours de l'amiral Verhuel, l'homme qui sait, l'homme qui a vu, en puisant pêle-mêle dans les récits des voyageurs, on détaille les obstacles du débarquement : que si l'on débarque en des conditions favorables, on ne sera qu'au début des difficultés, Alger étant pourvue de fortifications redoutables : par surcroît, on affirme que la terre est là-bas infertile, déserte, malsaine, tout infestée de bêtes féroces. — Et ces journaux s'infiltrent dans les casernes où s'équipent les régiments, dans les cantonnements où ils attendent l'heure de s'embarquer. Puis la critique se fait railleuse. Il est beau, observe-t-on, de se venger d'un coup de chasse-mouches. Mais trente-deux mille hommes, n'est-ce pas beaucoup pour donner une leçon à un barbare ? Et l'on conclut que : l'affaire est une des plus sottes que le gouvernement ait encore imaginée.

 

XI

C'est à cette entreprise jugée sotte que le gouvernement consacre tous ses soins, comme s'il eût eu le pressentiment qu'elle serait la rançon de ses fautes.

Vers la fin d'avril, presque toute la flotte est réunie : une dizaine de vaisseaux, une vingtaine de frégates, soixante-dix embarcations de moindre importance, tel est le contingent de la marine royale ; à cela s'ajoutent plus de cinq cents bâtiments ou embarcations diverses, empruntés au commerce. Les immenses préparatifs s'expliquent par une sollicitude dominante, celle d'être surabondamment pourvu ; et ce souci de ne rien oublier contraste avec ce dédain des bagages ou, comme on dit, des impedimenta, qui prévaudra dans l'âge suivant. En attendant l'embarquement, l'infanterie n'est point laissée inactive. On l'exerce surtout en des simulacres de combats contre la cavalerie ; car les imaginations demeurent hantées par le souvenir de l'expédition d'Égypte ; et l'on a à cœur d'aguerrir nos soldats contre les chocs impétueux de ces Arabes aux chevaux agiles qu'on appelle, dans le langage figuré du romantisme, les coursiers du désert. Depuis le 25 avril, Bourmont est à Marseille. Autour de lui ses divisionnaires, Berthezène, Loverdo, le due des Cars ; puis Valazé et Lahitte commandant, le premier le génie, le second l'artillerie. Toutes les excitations des journaux se sont fondues dans la perspective de l'entrée en campagne. Armée impériale, nouvelle armée, les deux éléments ont été fusionnés, et, entre les anciens et les jeunes, c'est une noble émulation à qui servira le mieux. Le 1er mai, le dauphin arrive et, un peu moins gauche que de coutume, ayant même presque bon air, passe en revue les troupes. L'accueil est enthousiaste à Marseille et est bon aussi à Toulon, quoique moins chaleureux. L'excellent prince salue de son mieux, sans que sa physionomie puisse s'éclaircir tout à fait ; c'est qu'il est obsédé par les complications intérieures qui, à la manière d'un cauchemar, gâtent la vision glorieuse : Je crains fort, dit-il, que parmi ceux qui m'acclament, il y ait bien peu d'électeurs[31].

Tout a l'aspect d'une grande entreprise que couronnera l'installation sur une terre nouvelle : au quartier général, des officiers affluent qui sollicitent de participer, fût-ce à titre de simples volontaires, à l'expédition ; des peintres arrivent pour fixer sur la toile les paysages, les aventures, les combats ; on recherche des interprètes qui parlent les langues du pays où l'on abordera[32]. Cependant ceux qui gouvernent — et là réside le contraste — ont l'instinct, non le dessein de ce qu'ils vont accomplir. On ébauche des plans, mais pour les abandonner, les reprendre, les délaisser encore. Je trouve aux archives un mémoire présenté au conseil du roi : on y hésite entre cinq solutions. Les instructions générales données à Bourmont se ressentent de cette incertitude. A des conditions très dures pour le dey, on l'autorise à traiter, mais en même temps on lui rappelle que l'objectif principal est la prise d'Alger. On dirait qu'en une disposition qui ne se connaît point elle-même, on demeure partagé entre l'ardeur et la crainte de saisir la proie.

Les Anglais ne réussissent point à se figurer que cette perplexité soit sincère. C'est pourquoi ils persistent dans leurs protestations ; protestations grondeuses, mais qui se retiennent au moment d'éclater. Ils sont menaçants sans oser se montrer tout à fait hostiles, tout de même que les Français sont travaillés d'ambitions vagues qu'eux-mêmes contiennent, dissimulent ou désavouent. A ses deux communications officielles du 12 mars et du 7 avril, Polignac ajoute le 12 mai une troisième circulaire. Il proclame, comme il l'a déjà fait plusieurs fois, le but général de l'expédition. Puis il laisse entendre que le renversement du dey est peut-être très prochain, et, dans cette prévision, il convie les puissances à donner des instructions à leurs ambassadeurs à Paris pour que le sort futur de la régence d'Alger soit réglé d'un accord commun. Mais de l'autre côté du détroit, cette suggestion déplaît, tant on craint que l'appui de la Russie et de la Prusse n'assure la prépondérance à la politique française ! A Londres ; on ne désespère point encore d'arracher à la cour des Tuileries un engagement particulier. Cependant le duc de Laval s'inquiète à l'excès. Le 17 mai, saisissant au passage un bruit qui court, il annonce que des ordres ont dû être donnés pour renforcer l'escadre anglaise dans la Méditerranée, que deux vaisseaux de ligne ont déjà mis à la voile, que deux autres vont suivre[33]. Aberdeen ne tarde pas à démentir la nouvelle, et l'on peut se fier à sa loyauté ; mais il ajoute en un accent qui n'est pas tout à fait rassurant : N'allez pas vous figurer que nous ne serions pas bientôt prêts si nous n'étions point apaisés sur les desseins des trente-cinq mille hommes qui vont aborder en Afrique[34].

Ce langage, dépourvu d'aménité, ne sera-t-il pas la dernière explosion de la mauvaise humeur britannique ? Dans les papiers diplomatiques, on peut relever encore quelques remontrances assez aigres ; par exemple une note de lord Stuart en date du 3 juin où il rappelle le droit de suzeraineté de la Porte sur les États barbaresques ; d'où il conclut que toute occupation de la régence d'Alger serait une violation du droit public[35]. Mais c'est l'un des traits distinctifs de l'Angleterre de savoir s'adoucir aussi bien que gronder et de suspendre ses colères sans entêtement d'amour-propre quand elle sent que ses colères seront vaines. Elle était arrivée à ce point où il fallait entrer en guerre ou s'apaiser. Tout bien considéré, s'apaiser parut le plus raisonnable. Et c'est ainsi que Polignac, chaudement soutenu par le roi, sut par sa calme obstination, user tous les assauts de la mauvaise humeur britannique. Aussi bien, l'attention de Wellington et de ses collègues se partageait en de multiples soucis : le roi George IV se traînant en une lente agonie et les intrigues ministérielles se nouant en vue de la vacance du trône ; les affaires du Portugal ; la recherche d'un roi pour la Grèce à défaut du prince Léopold dont on venait de connaître le désistement ; avec cela, à l'intérieur, une crise industrielle, les manifestations ouvrières, le paupérisme. Tandis qu'en Angleterre une résignation mêlée de déplaisir se substituait aux éclats des derniers temps, notre flotte, quoique retardée par le mauvais état de la mer et obligée de faire relâche à Palma, s'approchait des côtes algériennes. Le 14 juin, à la pointe du jour, le débarquement commença dans la baie de Sidi-Ferruch. Quand à Londres le 21 juin, on apprit l'événement, lord Aberdeen en fit compliment en ces termes au duc de Laval : Je vous félicite, monsieur le duc, pour l'heureuse arrivée de votre flotte, mais je vous féliciterai bien plus cordialement de son retour.

 

XII

Pendant ce temps à Paris, une autre bataille se livre celle des élections.

Elles ont été fixées au 23 juin pour les collèges d'arrondissement, au 3 juillet pour les grands collèges. Dans une vingtaine de départements où de nombreux procès pour l'inscription sur les listes sont encore en suspens, le scrutin a été reporté au 12 et au 19 juillet.

Les périodes électorales sont, en tout temps, celles où chôment le plus la raison et la sagesse. Tout se rassemble ici pour surexciter les passions. Une longue préparation par la presse a rendu réelle, violente même, une hostilité d'abord factice. La lutte s'offre sous l'aspect d'un double défi, défi du roi au peuple, défi du peuple au roi. Certains incidents très suggestifs marquent l'ardeur à la fois sombre, crédule et enfiévrée où les âmes se consument. Des incendies, dont la cause est inexpliquée, ont, dans ces derniers temps, désolé la Normandie : or, une atroce calomnie s'accrédite qui en accuse le gouvernement, jaloux, dit-on, de créer une diversion. Tandis que s'aiguisent les haines politiques, les préventions religieuses s'exaspèrent : la translation des reliques de saint Vincent de Paul, de Notre-Dame chez les Lazaristes, a fourni naguère l'occasion d'une imposante manifestation pieuse ; or sur le passage du cortège rien que froideur ou hostilité ; et le plus populaire des saints français n'a pas plus trouvé grâce que le plus décrié des jésuites. Nulle trace de l'ordinaire insouciance. Tout dernièrement, le roi et la reine de Naples sont venus à Paris où le duc d'Orléans les a reçus en une fête mémorable. Ils sont l'un et l'autre un peu ridicules par l'aspect extérieur, le costume, les manières. Cependant nul persiflage tant la gravité des choses détourne de toute moquerie ! et le symptôme n'a pas échappé à Charles X. La situation, dit-il, est donc bien sérieuse pour que les Parisiens oublient de railler. Encore quelques jours et voici qu'arrivent les courriers d'Afrique : on annonce le débarquement, les premières escarmouches, puis une vraie bataille, celle de Staouéli. Ces nouvelles se perdent dans une indifférence presque générale, et les conducteurs de l'opposition de dire : Il ne s'agit pas de l'Afrique, il s'agit de nos libertés.

A l'égal de l'opposition, le gouvernement s'obstine. Le roi ne cédera pas, dit le Moniteur du 3 juin. Charles X lui-même descend dans la lice. En une adresse à la nation, il affirme sa volonté de maintenir la Charte, mais il ajoute ces lignes un peu inquiétantes : Pour atteindre ce but, je dois exercer librement et faire respecter les droits sacrés qui sont l'apanage de ma couronne. Et dans le sillage tracé par le roi se précipitent les évêques, le clergé, les préfets, les fonctionnaires.

Non pas tous. La gravité des conjonctures inspire à beaucoup de royalistes le courage de dire la vérité. Il y a les avertissements des courtisans qui, moitié clairvoyance, moitié jalousie contre le favori, dénoncent l'aveuglement de Polignac. Il y a les avertissements des hommes politiques : tel M. de Chabrol qui, au moment de quitter le ministère, a osé dire au roi que si le gouvernement voulait lever l'impôt sans le vote des Chambres, des résistances surgiraient, même parmi les monarchistes les plus fidèles. Il y a les avertissements des militaires, par exemple le général d'Andigné qui signale, notamment en Dauphiné, la toute-puissance des comités électoraux beaucoup plus obéis que le roi. Il y a les avertissements arrivés de l'étranger et en particulier de la Russie, cette intime alliée. En dehors de la Constitution, écrit le duc de Mortemart, il n'y a plus de sécurité pour les Bourbons, plus de tranquillité pour la France. Et, en parlant de la sorte, notre ambassadeur répète l'opinion du tsar. — Combien d'autres se désespèrent de ne pouvoir faire monter jusqu'au trône les avis de leur clairvoyance, le cri angoissé de leur fidélité. Mais comment parvenir jusqu'au roi ? Une étiquette jalouse veut que les paroles soient précédées de tant de révérences que le plus souvent les paroles sont devenues inutiles quand les révérences sont finies. Puis il y a les heures réservées, les moments inviolables et sacrés : tel le matin la messe du roi, dans la journée la chasse du roi, le soir le jeu du roi. Quelques-uns s'adressent à ceux que' leurs fonctions placent au-dessus du cérémonial ordinaire ; c'est ainsi qu'un préfet et deux généraux prennent pour interprète le baron de Damas, gouverneur du duc de Bordeaux. Mais il n'y a rien de plus obstiné qu'un irrésolu quand une fois il a triomphé de ses indécisions. Ainsi en est-il de Charles X, d'autant plus fixé dans la fermeté que la fermeté lui a plus coûté. En outre, une suffisance candide lui persuade qu'il est prêt. Tout a été prévu, répond-il avec une supériorité dédaigneuse. Le roi a l'air satisfait de son ouvrage, écrit — ironique sans le vouloir — le très fidèle et très loyal baron de Damas.

Au milieu d'une agitation croissante, on atteignit le scrutin. Dès le 26 juin, on connut en gros le résultat du vote dans les collèges d'arrondissement. Les deux tiers des. élus appartenaient à l'opposition ; et il n'apparaissait pas que les élections subséquentes pussent changer sensiblement cette proportion. Dans le duel entre la Chambre des députés et le gouvernement, le pays s'était prononcé pour la Chambre et pour les 221.

 

XIII

Battu à l'intérieur, Charles X triomphait en Algérie. Le dey Hussein s'était longtemps flatté que le courroux de la France s'évanouirait en menaces. Tout au plus, pensait-il, il aurait à subir un bombardement. Quand il sut qu'une expédition se préparait pour attaquer Alger par terre, sa demi-sécurité devint inquiétude. Sa milice turque était sa principale ressource. Afin de la renforcer, il envoya dans les provinces de Constantine et d'Oran, ainsi que parmi les tribus kabyles, des émissaires chargés de prêcher la guerre sainte contre les infidèles. Pour général en chef, il choisit son gendre Ibrahim.

La sagesse eût été de masser au plus vite toutes les forces disponibles et de les porter à la rencontre des Français pour s'opposer à leur débarquement. Défaut de temps ou de prévoyance, les Algériens se laissèrent distancer. Quand l'armée aborda le 14 juin dans la petite baie qui est à l'ouest de la presqu'île de Sidi-Ferruch, et à cinq ou six lieues à l'ouest d'Alger, elle ne rencontra qu'une faible résistance : un court combat, quelques tirailleries et ce fut tout. Les jours suivants, rien que des escarmouches ; tantôt les cavaliers arabes, fondant au galop de leurs chevaux, arrivaient jusque dans le voisinage de nos lignes, déchargeaient leur fusil et tournaient court ; tantôt les tirailleurs, se glissant à travers les fourrés ou profitant des accidents de terrain, visaient nos soldats isolés. Le pire danger pour les nôtres, était de s'écarter des bivouacs ; car s'ils tombaient dans un poste d'Arabes, ceux-ci les massacraient impitoyablement, et l'on retrouvait dans les broussailles leur cadavre décapité. Pendant ce temps, dans la presqu'île de Sidi-Ferruch, protégée par un retranchement, et qui serait notre place d'armes, le débarquement continuait ; il se poursuivit sans trop d'à-coups, hormis toutefois une courte mais terrible tempête qui mit un instant notre flotte en péril.

L'armée du dey, rassemblée enfin quoique un peu tard, parut sur les hauteurs de Staouéli, à cinq ou six kilomètres au sud de la presqu'île de Sidi-Ferruch. L'élément le plus solide était la milice turque, puis venaient les contingents de Constantine et d'Oran ; quant aux Kabyles, ils offraient, semble-t-il, des dispositions moins sûres. Ibrahim avait conçu un plan qui ne laissait pas que d'être assez bien imaginé pour un barbare. Notre droite et nôtre centre étaient protégés par des épaulements et quelques plis de terrain ; notre gauche au contraire, voisine de la baie qui était à l'est de la presqu'île, se développait en terrain presque découvert. C'est vers ce point que l'ennemi tenterait son principal effort, de façon à nous couper du rivage, puis à nous prendre à revers et à nous enserrer. Le 19, à la petite pointe du jour, l'exécution commença. Les Turcs, aidés de leurs auxiliaires les plus solides, fondirent sur notre gauche, et avec une telle impétuosité qu'un de nos régiments, le 28e de ligne, se trouva en grand péril. Heureusement les secours arrivent : c'est le 20e, le 29e de ligne. Avec une extraordinaire vigueur les Turcs défendent le terrain conquis ; eux-mêmes sont décimés, et enfin contraints à céder. Sur le reste de notre ligne, la brusquerie de l'attaque, engagée sous les ténèbres à peine éclaircies, a provoqué d'abord un peu de confusion, mais bien vite les nôtres se sont ressaisis. Sur ces entrefaites, un secours opportun leur arrive d'un des bâtiments embossés près du rivage et qui concentre son tir sur les colonnes ennemies. De son quartier général installé à Sidi-Ferruch, Bourmont a observé la lutte. Il a cru d'abord à un engagement partiel. Un examen plus attentif l'a désabusé. Maintenant il déploie la meilleure partie de ses troupes. Encore quelques combats assez durs, mais qui tournent à notre avantage. La défection ou la faiblesse des Kabyles, qui, en partie lâchent pied, empire la condition de l'adversaire. Entre dix et onze heures du matin, les redoutes, les batteries ennemies sont emportées. On pénètre enfin dans le camp de Staouéli où l'on trouve un important butin : munitions, bétail,- approvisionnements, sans compter les tentures, armes et objets de luxe que nos soldats contemplent avec une curiosité amusée. Plus tard on fera le compte de nos pertes. Elles ne laissaient pas que d'être sensibles : plus de cinq cents hommes hors de combat.

Dans Alger, les premières nouvelles avaient annoncé la victoire du Croissant. De là une folle joie et un ardent espoir de représailles contre les Infidèles. A la fin de la matinée, le bruit de la canonnade cessa, et l'on se confirma dans la croyance au succès. Vers deux heures arrivèrent les premiers fuyards qui furent les messagers de la défaite.

Ce fut un effarement inouï. Le général en chef aurait-il pu profiter de la consternation universelle pour se porter d'une seule étape sur Alger ? On l'a dit et répété. Bourmont avait contracté dans son aventureuse jeunesse l'habitude des entreprises audacieuses. Mais les années l'avaient assagi. Quel ne serait pas l'éclat d'un coup de main heureux, mais quel ne serait pas le discrédit d'un échec ! Une considération dominait tout le reste : l'artillerie de siège n'était pas encore débarquée. Dans ces conditions, comment réduire la ville si, la panique ayant fait place à un subit retour de sang-froid, la résistance s'organisait !

On se résigna donc à suspendre l'opération décisive. Les jours suivants furent employés à achever la route de Sidi-Ferruch à Staouéli et à la prolonger au delà. Cependant le dey avait confié le commandement en chef au bey de Tittery. Celui-ci, ayant rallié ses troupes, se garda de toute nouvelle action d'ensemble. Mais son plan se découvrit bientôt qui était de nous harceler par d'incessantes tirailleries. L'un de ces engagements, livré le 24 juin en un lieu qu'on appelait Sidi-Khalef, mérita le nom de combat. Là tomba, blessé mortellement, le lieutenant Amédée de Bourmont, l'un des quatre fils que le général en chef avait emmenés avec lui de France. On se battit encore le 26, le 27, le 28, et non sans d'assez grosses pertes. Malgré la chaleur, l'état sanitaire était bon, hormis quelques dysenteries jusque-là peu graves. La plus grande gêne était l'équipement. On avait gardé dans toute sa rigidité l'uniforme des garnisons de France : shakos pesants, tuniques étroitement boutonnées, cols strictement agrafés ; et c'est de quoi les officiers et les soldats se plaignaient à l'envi.

Le 28 juin, le débarquement du matériel, des pièces de siège, des voitures fut complètement achevé. Bourmont, qui avait déjà porté son quartier général de Staouéli à Sidi-Khalef, s'avança plus loin encore. On n'était plus qu'à six kilomètres d'Alger. Soit examen trop rapide des lieux, soit absence de tartes exactes, beaucoup de désarroi s'introduisit en cette dernière étape, dans la direction des colonnes ; et il semble qu'on ait cherché un peu à tâtons la ville fameuse qui était le but de nos efforts. A mesure qu'on avançait, la surprise était grande, tant l'aspect était différent de ce qu'avaient décrit les journaux : un terrain à pentes brusques, des eaux vives, des jardins, des haies serrées, une grande abondance de palmiers et d'arbres de toute sorte. Ces lieux si couverts auraient pu favoriser de redoutables embuscades. Mais l'ennemi ne renouvela point les meurtrières tirailleries des derniers jours ; et la grande difficulté fut de nous orienter.

La principale position à emporter était le Château de l'Empereur, ainsi nommé en souvenir de Charles-Quint. C'était un ouvrage rectangulaire, s'élevant à plus de deux cents mètres au-dessus du niveau de la mer et à proximité des consulats d'Espagne, de Suède, de Hollande. Les murailles étaient percées d'embrasures garnies de canons. Ce fort était dominé par une tour également armée. Les travaux d'approche commencèrent dans la nuit du 29 au 30 juin. La violence du tir ennemi obligea de les interrompre ; puis on les reprit. Dans le même temps, le général de Lahitte, commandant l'artillerie, reconnaissait les emplacements propres à établir les batteries. On résolut d'en installer six, armées en tout de vingt-six pièces. Du 1er au 3 juillet, les travaux se poursuivirent, bien que fort gênés par la canonnade et les tentatives de sortie des assiégés. Le 3 au soir, nos batteries furent armées. Le 4, à la petite pointe du jour, le bombardement commença. Les Turcs résistèrent d'abord avec énergie, rendant coup pour coup, remplaçant les hommes hors de combat et bouchant de leur mieux les brèches, A partir de sept heures leur tir faiblit, à mesure que le nôtre croissait en intensité. A dix heures une terrible explosion retentit, couvrant le sol de pierres et de débris. C'étaient les assiégés qui avaient abandonné la forteresse après avoir mis le feu aux poudres. Un moment de stupeur et de confusion suivit. Puis, débouchant des tranchées, les fantassins escaladèrent la brèche. Le fort était à nous.

Et Alger aussi ; car la prise de cet important ouvrage, bien qu'il fût à une certaine distance de la ville, rendait malaisée toute résistance ultérieure. Dans l'après-midi, divers négociateurs arrivèrent au quartier général. Ce fut d'abord un secrétaire du dey, Mustapha, qui, au nom de son maître, offrit de payer les frais de la guerre et de confirmer tous les privilèges du commerce français. Dédaigneusement le général en chef repoussa la proposition, la jugeant indigne de la France, inégale à nos efforts, disproportionnée à l'effusion de notre sang ; car l'expédition nous coûtait quatre cents tués, deux mille blessés. Deux heures plus tard, deux riches négociants d'Alger se présentèrent, se disant les délégués des notables de la ville. Comme la journée s'avançait, Mustapha revint, accompagné cette fois du consul d'Angleterre. Une convention fut alors conclue d'après laquelle la ville, la casbah, résidence du dey et les autres forts seraient livrés aux Français le lendemain 5 juillet. Le dey serait libre de se retirer avec sa famille au lieu qu'il fixerait. Le général en chef garantissait aux miliciens et aux habitants toute liberté pour l'exercice de leur religion, toute protection pour leurs femmes, toute sécurité pour leurs personnes et leurs biens.

 

XIV

Pour qui voit les choses par masses, l'année 1830 tient tout entière en deux grandeurs : l'une qui commence, l'autre qui se détruit : d'un côté l'empire d'Afrique qui se fonde ; de l'autre, l'antique monarchie qui disparaît.

Les journées des 5 et 6 juillet furent mémorables dans nos fastes militaires. Le 5, l'armée entra dans Alger et le général de Bourmont prit possession de la casbah que le dey venait d'abandonner. Dans cette même casbah, l'administration de la guerre commençait à classer les richesses que le temps et les rapines y avaient accumulées. Or monnayé ou en lingots, pierreries, étoffes précieuses, objets d'art étaient inventoriés, et l'on en estimerait plus tard la valeur à 55 millions environ. A ce trésor s'ajoutait tout le matériel laissé par l'ennemi en armes, projectiles, munitions, approvisionnements. Le 6, une proclamation à l'armée notifia la fin de la guerre. Déjà, sur tous les édifices publics, le drapeau blanc se déployait, triomphant comme s'il eût eu de longs jours à flotter encore.

A côté de la lumière, voici maintenant la grande ombre qui se projette sur la monarchie, à la fois glorieuse et condamnée.

Le 3 juillet ont eu lieu les votes des grands collèges. Ils n'ont pu modifier en leur ensemble les élections des collèges d'arrondissement ; et l'on sait d'avance que les vingt départements qui n'ont point encore émis leur suffrage ne feront que fortifier l'opposition. Le 6 juillet, tandis qu'on se réjouit dans Alger, les ministres se réunissent en conseil.

De très bonne foi, au début de leur ministère, ils ont affirmé leur fidélité à la Charte. Ils proclament encore les mêmes maximes, mais en les accompagnant d'une glose qui les altère singulièrement. Ce qu'ils voudraient, c'est extraire de la Charte même un texte qui leur permette, en toute sécurité de conscience, de se placer temporairement au-dessus d'elle. C'est ainsi qu'ils se sont fixés sur l'article 14 qui confère, semble conférer au roi, en cas de péril public, la faculté d'édicter des ordonnances pour la sûreté de l'État. Cet article, ils n'ont pas eu de peine à le découvrir ; car, depuis quinze ans, il n'est pas d'heure de crise où l'on n'y ait pensé, même quand on n'en parlait pas ; et il figure aux yeux des adversaires du trône une menace, pour les royalistes une soupape de sûreté. Seulement de quelle interprétation est-il susceptible ? Fait-il corps avec la Charte elle-même ou n'y a-t-il été introduit que par surprise, inadvertance ou fraude ? Assis à la table des délibérations, les ministres s'interrogent en casuistes consciencieux, aussi dépourvus des qualités que des défauts qui font les vrais conspirateurs. Ils s'appliquent à marquer le caractère du pouvoir royal : il est le plus ancien, le plus en vue par l'influence et les services, celui d'où sont sortis tous les autres.et qui demeure l'animateur universel. Telle est l'antique coutume française, conservée dans la monarchie nouvelle qui, même en s'inspirant des institutions anglaises, a entendu les adapter, non les copier. A l'appui de cette doctrine, on peut invoquer un souvenir d'une singulière opportunité. C'est en s'autorisant de cette primauté du pouvoir royal que les doctrinaires, les hommes du centre gauche, ont battu en brèche la Chambre introuvable et arraché à Louis XVIII l'ordonnance du 5 septembre 1816. Eux aussi parlaient alors de l'autorité supérieure et suprême du roi. Ainsi s'encouragent Polignac et ses collègues, attentifs à s'abriter sous les paroles de Royer-Collard, ce qui les égaie comme une malice et les rassure comme une justification. Après tout, que veulent-ils eux-mêmes, sinon — en le renforçant beaucoup et en le proportionnant au péril agrandi — un 5 septembre monarchique ? Et alors, à force de se suggestionner eux-mêmes, ils arrivent à se convaincre qu'ils se meuvent dans les limites de leur droit.

Quelles seraient les mesures exceptionnelles adoptées en exécution de l'article 14 ? Dès le 29 juin, le garde des Sceaux, M. de Chantelauze, avait proposé de déclarer nulles les réélections des 221, d'organiser un nouveau système électoral et, en attendant, de gouverner par ordonnances. Les ministres avaient besoin de s'entraîner à l'audace ; cette suspension complète du régime constitutionnel déplut et fut combattue en particulier par M. de Guernon-Ranville. — Dans la réunion du 6 juillet, une deuxième combinaison fut suggérée, et à ce qu'il semble, sous l'inspiration de Polignac. Elle consistait à créer, sous le nom de grand conseil de France, une assemblée consultative composée d'un certain nombre de pairs, députés, magistrats, conseillers généraux, et qui aviserait au moyen de tirer la monarchie d'embarras. Le conseil jugea que cette réunion ne serait qu'une copie de l'assemblée des notables en 1788 et ne ferait qu'aggraver la confusion au lieu de la dissiper. Ce fut alors qu'un troisième plan fut développé par le ministre de l'Intérieur, M. de Peyronnet. Il se résumait en trois dispositions principales : suspension de la liberté de la presse : dissolution de la Chambre des députés dès que les élections seraient terminées : formation d'une nouvelle Chambre d'après des règles établies par ordonnance royale. Ce projet, à l'inverse des autres, rencontra faveur : un seul opposant, Guernon-Ranville, qui eût préféré qu'on attendît à l'œuvre la nouvelle Chambre : si elle s'enhardissait jusqu'à refuser le budget, il serait temps alors d'agir, et en des conditions plus propices ; car on paraîtrait, non engager la lutte, mais répondre à une provocation.

Le 7 juillet, nouveau conseil, cette fois à Saint-Cloud et en présence de Charles X. Le roi se montra favorable au projet présenté par le ministre de l'Intérieur et adopté par la majorité. Une idée maîtresse dominait le souverain, celle de ne pas céder : c'était point d'honneur de gentilhomme, c'était orgueil de monarque offensé, c'était surtout obsession de ne pas imiter Louis XVI : La première reculade de mon malheureux frère a tout perdu, disait-il à ses ministres. C'est ainsi que l'histoire mal comprise, au lieu d'instruire, achevait d'égarer.

Le 9 juillet, un message transmis de Toulon par le télégraphe aérien annonça la prise d'Alger. Ce fut pour Charles X une grande et dernière joie. Comme le ministre de la Marine lui apportait la nouvelle, il l'embrassa. A cette occasion se déploya tout le cérémonial traditionnel qui célébrait les victoires françaises. Le canon tonna aux Invalides. Les édifices publics se pavoisèrent. Puis, le 11 juillet, Notre-Dame se para pour le Te Deum. Charles X s'y rendit radieux, il en revint triste. C'est que sur le passage du cortège, nulle acclamation, mais partout des visages sévères, sombres, irrités ; et entre tous les signes du temps, le plus révélateur était cette froideur du peuple, que la gloire elle-même ne touchait plus.

Il semblait qu'il n'y eût plus qu'à traduire en style officiel ce que, dans les délibérations des 6 et 7 juillet, on avait décidé. Pourtant l'attente se prolongea jusqu'à ce qu'on connût le résultat des élections dans les départements ajournés ; et cela dans le plus singulier état d'esprit qui se puisse décrire.

Charles X et ses ministres sont-ils des hommes de violence ? Avant tout ils se défendent de l'être. Loin de porter atteinte à la Charte, ils sont parvenus à se persuader qu'ils la consolident ; qu'en se prévalant de l'article 14, ils la défendent contre les infiltrations révolutionnaires qui, à la longue, la détruiraient ; qu'en un mot, ils coopèrent à une œuvre de salut.

Œuvre de salut peut-être, tant la monarchie, mise en péril par la passion de ses adversaires et par ses propres fautes, a été acculée à la nécessité de se sauver ! Encore faudrait-il que quelque prévoyance assurât l'entreprise. Or voici ce qui stupéfie. On sursoit à l'action décisive. C'est sans doute pour la mieux préparer. En aucune façon, Polignac, ministre intérimaire de la Guerre depuis le départ de Bourmont, s'est fait remettre les états de troupes et en a, dit-on, accepté les chiffres globaux sans prendre souci de rechercher le nombre des hommes réellement présents. Puis il s'est confiné dans sa béate confiance comme le roi dans son auguste aveuglement.

Ce qui diminue encore les chances, ce sont les dispositions des collègues que Polignac a rassemblés sous lui. La plupart ne s'associent au périlleux dessein qu'avec une morne obéissance et, sans foi. M. d'Haussez a suffisamment pratiqué les affaires pour pénétrer les lacunes de la préparation ; malgré le renom de l'expédition d'Alger, organisée en partie par ses soins, il a échoué aux élections, ce qui n'a pas laissé que de lui paraître mauvais symptôme. Guernon-Ranville, tout à fait hostile à toute application de l'article 14, ne suit que par loyalisme. Chantelauze est maintenant très âpre ; mais il n'a accepté d'être ministre qu'avec tremblement, jugeant que ce coup de fortune était le plus grand malheur 'de sa vie. Montbel sollicite les conseils de Villèle, son ami. Celui-ci, dans ses lettres, se montre de plus en plus désabusé, surtout depuis qu'il a appris l'entrée de Peyronnet dans le ministère. Il juge avec une morne clairvoyance que le point d'honneur est peut-être de rester, mais que la sagesse serait plutôt de s'évader de la maison qui branle. Entre eux, ces honnêtes gens, à la fois vaniteux et terrifiés d'être ministres, échangent des propos soucieux. A travers leur respectueux silence, le roi devine leur état d'âme ; il les ramène par bonne grâce, par appel à leur dévouement. Et tous restent, mais avec des hésitations, des arrière-pensées, des retours anxieux. Et ces ultimes fièvres de conscience, si dissimulées qu'elles soient, ne laissent que d'être cause de faiblesse ; car dans les entreprises un peu douteuses qui requièrent surtout qu'on fonce avec énergie, les hommes échouent moins encore par les qualités qui leur manquent que par les scrupules qui les alourdissent à l'heure de l'action.

L'opposition, très en éveil, pénétrait jusqu'à les deviner les projets du gouvernement ; car, le 21 juillet, le National annonça, avec une remarquable précision de détails, tout ce que le ministère méditait. Tandis que les adversaires s'encourageaient à la révolte, les plus clairvoyants des monarchistes tremblaient de plus en plus pour le trône. Le haut crédit de Polignac augmentait leurs craintes, et ils ne savaient ce qu'on devait le plus redouter, l'imprudente légèreté du maître ou l'étourderie grave et dogmatique du favori. Eux aussi, ils connaissaient le destin des Stuart, et les mêmes comparaisons où se complaisait le National les frappaient comme un avertissement du destin. De la descendance mâle de Louis XIV un seul enfant restait, comme si Dieu eût voulu par là marquer la précarité de la race royale. La confiance dans la durée n'existait plus. On vit des hommes, même très fidèles, qui avaient demandé des services ou des grâces, se désister de leurs sollicitations. Cela n'en vaut plus la peine, disaient-ils. Le baron de Damas, gouverneur du duc de Bordeaux, raconte en ses Mémoires qu'un jour de juillet, il reçut une lettre des duchesses des Cars et de la Force lui annonçant qu'elles viendraient le dimanche suivant déjeuner avec lui. Elles vinrent en effet, et la duchesse des Cars de dire en arrivant Nous avons voulu une dernière fois contempler les traits de notre prince, car bientôt nous ne le verrons plus.

 

XV

Le 25 juillet était un dimanche. Ce jour-là, à Saint-Cloud après la messe, Charles X passa, comme il en avait coutume, dans les rangs des courtisans et leur distribua les paroles gracieusement banales qui sont la menue monnaie des rois. La curiosité était très surexcitée, mais les rigueurs de l'étiquette appliquaient sur les visages le même masque impassible. Pourtant M. de Vitrolles, cet ancien favori du comte d'Artois, prit à part M. de Guernon-Ranville et lui dit à voix basse : Je ne vous demande pas votre secret, mais je vous préviens qu'il règne une grande effervescence dans Paris. Le préfet de police, M. Mangin, était présent. M. de Guernon l'interrogea, et celui-ci de répondre : Vous pouvez être tranquille, Paris ne bougera pas.

Le cercle des courtisans se dispersa. Les ministres demeurèrent ; et peu après, le Conseil s'ouvrit. L'objet de la délibération était de soumettre à l'assentiment du roi le texte définitif des projets ministériels. Le garde des Sceaux, M. de Chantelauze, arrivé un peu après ses collègues, déposa un long rapport où il dénonçait tous les maux que, depuis quinze années, les abus de la presse avait engendrés. La conclusion était qu'aucun journal, soit déjà existant, soit à fonder, ne pourrait désormais paraître s'il ne se pourvoyait au préalable d'une autorisation administrative. — Trois autres ordonnances suivaient, rédigées, semble-t-il, par le ministre de l'Intérieur, M. de Peyronnet. La première prononçait la dissolution de la nouvelle Chambre, élue dans les jours précédents mais ni réunie ni constituée. En congédiant les députés, et avant même toute prise de possession, le roi n'entendait pas renoncer au concours de la nation. De là une deuxième ordonnance, la plus importante de toutes et qui, sur deux points essentiels, reformait notre législation. Tout d'abord, le cens, maintenu à trois cents francs, devait être calculé en ne tenant compte que de l'impôt foncier ou de l'impôt mobilier, et non de l'impôt des patentes, ce qui avait pour conséquence d'exclure en grande partie la classe commerçante. De plus, les électeurs des collèges d'arrondissement, descendant au rang d'électeurs du premier degré, n'exerçaient plus qu'un droit de présentation. En effet, les électeurs des grands collèges de département, composés du quart des plus imposés, avaient seuls le droit de nommer les députés, à charge par eux de prendre la moitié des élus parmi les candidats présentés par les collèges d'arrondissement. Les élections futures soumises à ces règles étaient fixées — et tel était le texte de la troisième et dernière ordonnance aux 6 et 13 septembre.

Quand la lecture fut achevée, un grand silence suivit. Le roi demeura quelque temps absorbé, la tête dans les mains. Puis, prenant la plume : Plus j'y pense, messieurs, plus je demeure convaincu qu'il est impossible de faire autrement ; et il signa. A leur tour les ministres apposèrent leur nom. Un seul, M. d'Haussez hésita, semble-t-il : il redoutait des troubles ; il pressentait l'insuffisance des moyens de répression. Polignac calma ses craintes : Je ne redoute, dit-il, aucun soulèvement ; en tout cas, ajouta-t-il, les forces réunies à Paris sont assez imposantes pour garantir la paix publique.

La suprême résolution était prise. Quand le conseil eut été levé, Montbel et Guernon-Ranville regagnèrent Paris à pied, à travers le bois de Boulogne. Chemin faisant, ces deux honnêtes gens, candidement osés, mais peu faits pour les grands orages, se sentaient tout agités de cette signature qui pourrait un jour être invoquée si terriblement contre eux : Nous venons, dit Guernon-Ranville à Montbel, d'engager une partie où notre tête est en jeu. Il ajouta : Quoi qu'il arrive, notre conscience n'aura rien à nous reprocher ; car nous n'avons eu en vue que le service du roi et le bien de la France. — Advienne que pourra, répliqua brièvement Montbel.

Le soir venu, le garde des Sceaux fit appeler à la chancellerie le directeur du Moniteur, M. Sauvo, pour qu'il livrât à la composition les actes officiels qui devaient paraître le lendemain. Celui-ci, ayant commencé, à lire le texte, pâlit. Comme on l'interrogeait, il répondit : J'ai vu les grands événements de la Révolution et de l'Empire. Jamais je n'ai été plus effrayé qu'aujourd'hui. Dieu sauve le roi, ajouta-t-il, et il se retira, emportant les ordonnances.

 

 

 



[1] PASQUIER, Mémoires, t. VI, p. 190-191.

[2] Affaires étrangères, Russie, vol. 178, f° 66.

[3] Voir le texte de ce mémoire dans les Mémoires d'outre-tombe, t. V, p. 66 et suiv. (Édition Biré.)

[4] Affaires étrangères, Russie, vol. 178, f° 276 et suiv.

[5] Affaires étrangères, Russie, vol. 178, f° 291.

[6] MARTENS, Nouveau recueil de traités, tome VIII, p. 143 et suiv.

[7] Affaires étrangères, Russie, vol. 178, f° 190.

[8] Voir ESQUER, la Prise d'Alger, p. 54.

[9] Voir le texte de ce rapport dans LE MARCHAND, l'Europe et la conquête d'Alger, p. 72.

[10] Rapport du 10 août 1827. (NETTEMENT, Histoire de la conquête d'Alger, p. 148-149.)

[11] Rapport du comte d'Attili, consul de Sardaigne, au ministre des Affaires étrangères à Paris, 4 août 1829. (Aff. étr., Algérie, vol. 4, f°' 119 et suiv.) — Voir aussi BIANCHI, interprète, Récit de l'arrivée dans la rade d'Alger du vaisseau la « Provence », p. 54, 60 et suiv.

[12] Jusqu'au mois de janvier 1830, on trouve la trace de cette préoccupation dans la correspondance du ministre des Affaires étrangères avec le duc de Mortemart. (Aff. étr., Russie, vol. 180, f° 7.)

[13] Polignac au duc de Lavai, 18 janvier 1830 (Aff. étr., Angleterre, vol. 629, f° 62 et suiv.).

[14] Affaires étrangères, Russie, vol. 180, f° 48.

[15] Dépêche du 3 avril 1828. (Aff. étr., Angleterre, vol. 623, f° 382.)

[16] Dépêche du duc de Laval au prince de Polignac. (Aff. étr., Angleterre, vol. 630, f° 29 et suiv.)

[17] Aberdeen à lord Stuart, 5 mars 1830. (Papers relative to the occupation of Algiers by the French.)

[18] Affaires étrangères, Angleterre, vol. 630, f° 54 et suiv.

[19] Laval à Polignac, 19 mars 1830. (Aff. étr., Angleterre, vol. 630, f° 70.)

[20] Papers relative to the occupation of Algiers.

[21] Journal de M. DE GUERNON-RANVILLE, p. 36. — Voir aussi D'HAUSSEZ, Mémoires, t. II, p. 174.

[22] Rapport sur l'administration des Finances du 15 mars 1830 (Système financier de la France par le marquis d'Audiffret).

[23] Affaires étrangères, Angleterre, vol. 630, f° 123 et suiv.

[24] Archives des Affaires étrangères, Angleterre, vol. 630, mars et avril 1830.

[25] Mortemart à Polignac, 16 mars 1830. (Aff. étr., Russie, vol. 180, f° 54.)

[26] Rayneval à Polignac, 10 mai 1830. (Aff., étr., Autriche, vol. 412, f° 189.)

[27] Polignac à Laval, 5 mai. (Aff. étr., Angleterre, vol. 630, f° 204 et suiv.)

[28] Voir le Journal du Commerce, 8 mai 1830.

[29] Polignac à Laval, 8 mai, vol. 630, f° 217.

[30] Laval à Polignac, 8 mai. (Aff. étr., Angleterre, vol. 630, f° 224 et suiv.)

[31] Baron D'HAUSSEZ, Mémoires, t. II, p. 195.

[32] Voir le livre de M. ESQUER, Prise d'Alger, p. 249 et suiv.

[33] Aff. étr., Angleterre, vol. 630, f° 273.

[34] Le duc de Laval à Polignac, 26 mai 1830. (Aff étr., Angleterre, vol. 630, f° 319.)

[35] Papen relative to the occupation of Algiers.