SOMMAIREI. — Retour en arrière. — L'enseignement public : l'Université impériale et son monopole. Politique indécise du gouvernement royal. Comment l'Université est maintenue provisoirement en attendant une loi générale.IL — Deux défenseurs de la liberté d'enseignement : Benjamin Constant, Lamennais. Comment leur double appel n'est qu'à demi entendu. — De quel côté se portent les principales préoccupations de l'Épiscopat. — Les collèges dits de plein exercice.III. — La lutte contre le monopole : Lamennais, Chateaubriand ; les vœux des Conseils généraux. — De l'état des collèges royaux.— Nouvelle intervention de M. de Lamennais ; sa lettre à M. Frayssinous, grand maître de l'Université (23 août 1823) ; procès du Drapeau blanc.IV. — Comment l'Opposition se soustrait à l'embarras de défendre le monopole en déplaçant le terrain de la lutte et en opposant les Jésuites à l'Université.V. — Les Jésuites : comment certains évêques leur confient leur séminaire. — Dispositions du pouvoir. — Le noviciat de Montrouge ; les collèges.VI. — Premier éveil sur l'existence et la condition des Jésuites. — Comment le pouvoir, surtout depuis la formation du ministèreVillèle, s'applique à ne pas pousser à fond les enquêtes. — Comment les journaux de l'Opposition commencent à dénoncer l'Ordre fameux. — Dans quelle voie s'engage, bien différent de son sage prédécesseur, le roi Charles X.VII. — La loi du sacrilège. — A quels mobiles semblent avoir obéi les auteurs du projet. — De l'ensemble des dispositions qui rendent presque impossible la répression. — État d'esprit des pain, et des députés. — La discussion et le vote de la loi. (Loi du 10 avril 1825.)VIII. — Comment la loi du sacrilège porte à l'état aigu la lutte religieuse, — La hiérarchie ecclésiastique : force plus apparente que réelle. — L'épiscopat : les missionnaires : le clergé paroissial. — De quelques physionomies ecclésiastiques. — Prêtres assez nombreux qui, après la Révolution, sont demeurés en marge ou en dehors de l'Église,IX. — La société laïque : le sens des choses religieuses : contraste entre le langage officiel et les sentiments intimes des âmes. La loi sur les ordres religieux de femmes.X. — La cérémonie du sacre (29 mai 1825).XI. — La Congrégation : ses débuts ; ce qu'elle est sous la Restauration. — Comment, en dépit de certaines adhésions inspirées par l'ambition ou l'intrigue, elle devient l'origine de beaucoup d'œuvres charitables qui se développeront plus tard.XII. — Les forces antireligieuses : les journaux ; avec quels artifices ils créent la confusion. — Les réimpressions d'ouvrages du dix-huitième siècle. — Les caricatures. — Béranger et son influence. — Dans quelle mesure l'Opposition peut compter sur l'indulgence des cours royales.XIII. — Quelle place prépondérante prend le Constitutionnel. — Comment et sous quelle forme il attaque la religion. — Comment il est poursuivi. — Son acquittement (3 décembre 1825).I Dès son avènement, Charles X fut aux prises avec une question d'ordre religieux plus encore que d'ordre politique ou moral, celle de l'éducation de la jeunesse. Cette question devint le point de départ de polémiques qui, par déviations successives, se portèrent ardemment et confusément sur toutes choses : épiscopat, clergé, ordres religieux, lois canoniques, pouvoirs du Saint-Siège, à tel point que le cadre prodigieusement agrandi embrassa tous les rapports de la société civile et de la société ecclésiastique. En matière d'enseignement, la Restauration avait trouvé tout établie et marquée de la forte empreinte napoléonienne une corporation laïque qui, sous le nom d'Université de France, détenait un vrai monopole. Le 10 mai 1806, une loi l'avait créée. Le 17 mars 1808, un décret l'avait organisée. Cette organisation même constituait la plus originale des tentatives pour transporter dans la société séculière les règles de la vie monacale. L'entrée dans l'Université comportait un engagement dont le grand maître seul pouvait relever, à la manière d'un supérieur ecclésiastique qui délie un profès de ses vœux. L'agrégation au corps — j'allais dire à l'Ordre — entraînait, suivant le dessein primitif, au moins pour les proviseurs, principaux, censeurs, maîtres d'étude, régents des collèges, l'obligation du célibat et de la vie en commun.. Le mariage n'était toléré que pour les professeurs des lycées. Un costume sévère, d'où toute recherche mondaine était bannie, complétait l'apparence cléricale. Le grand maître lui-même avait un aspect de chef d'ordre, car son serment devait être reçu dans la même forme que celui des archevêques. Comme les instituts monastiques, l'Université avait son statut moral. Quiconque y entrait contractait un double devoir : la fidélité aux principes religieux, la fidélité à l'empereur et à la monarchie impériale. Un privilège exorbitant compensait toutes ces servitudes : L'enseignement public dans tout l'Empire, disait l'article premier du décret de 1808, est exclusivement confié à l'Université[1]. En dehors de l'Université, nulle institution particulière ne pouvait s'établir sans un brevet, toujours révocable, du grand maître. De plus, une rétribution scolaire du vingtième de la pension. était prélevée en tout établissement privé, y compris les séminaires, au profit des lycées et collèges. Un décret du 15 novembre 1811 avait encore resserré les entraves. Créée par l'Empire et pour l'Empire, l'Université ne semblait pas, à première vue, destinée à lui survivre. Elle signifiait monopole, ce qui sonnait mal en une époque de liberté. Par la rigidité de sa discipline, par l'entière confiscation de la jeunesse, elle était œuvre d'absolutisme, en même temps que par l'uniformité égalitaire de ses règles, elle portait en elle un aspect de dur nivellement : à ce double titre elle ne cadrait guère avec l'esprit et les traditions de la monarchie restaurée. Par une déviation naturelle, les lycées, les collèges avaient suivi la pente du régime impérial, en sorte qu'instruction et éducation concouraient presque uniquement à développer les aspirations guerrières ; et là résidait une anomalie de plus en une ère de paix. Enfin la religion qui, d'après les statuts primitifs, était appelée à dominer toutes choses, avait perdu son empire ; et aux yeux de beaucoup de maîtres, le catholicisme n'était plus qu'un peu de lave, bouillonnante jadis, maintenant refroidie, qui achevait de se solidifier. Vis-à-vis de l'Université, la Restauration, à son début, se montre à la fois menaçante et timide. Un arrêté du 8 avril 1814 en flétrit les tendances comme attentatoires à l'autorité paternelle. Voilà la menace. Cependant sur l'heure on se borne à décider que le lycée Napoléon s'appellera collège Henri IV, le lycée Bonaparte collège Bourbon, que le réveil du matin sera annoncé, non par le son militaire du tambour, mais par l'appel plus bénin de la cloche, et voilà la débonnaireté. — Le 12 juillet, l'abbé de Montesquiou, exposant la situation du royaume, proclame que l'éducation nationale a besoin de reprendre une tendance plus libérale, en revenant à des principes trop longtemps oubliés. Et une seconde fois s'insinue la sévérité. Pourtant l'Université a été déclarée maintenue provisoirement, et voilà derechef la tolérance. — Le 5 octobre 1814, une ordonnance importante paraît, qui affranchit les petits séminaires. Ira-t-on plus loin ? Sur l'heure, cette hardiesse suffit et de nouveau on répète : l'Université est maintenue provisoirement. Ce fut seulement le 15 février 1815 qu'une Ordonnance, provisoire elle-même, car elle n'était que la préparation d'une loi générale, entreprit d'innover. A la grande corporation unique créée par Napoléon, dix-sept universités régionales étaient substituées. L'autorité directrice du gouvernement était représentée, non plus par un grand maître, mais par un conseil dit conseil royal. Chaque université serait elle-même placée sous la surveillance d'un conseil particulier. La taxe scolaire était supprimée, et cette recette serait remplacée en partie par une somme d'un million mise à la charge de la liste civile. Cette réforme, toute partielle — car rien n'était changé dans le régime des collèges royaux ou communaux — révélait la pensée, non de revenir à l'ancien régime, mais de ranimer dans les provinces les foyers de lumière qui, jadis, avaient jeté beaucoup d'éclat. Un autre dessein était de fortifier les influences religieuses. Dans cet esprit, l'on stipulait que le clergé serait représenté à la fois dans le conseil royal et dans le conseil particulier de chaque université. Telle était l'ordonnance, préparée en partie, non par des hommes de réaction, mais par deux universitaires : Royer-Collard et Guizot[2]. On remarquera la date : 15 février 1815. Treize jours plus tard, Napoléon débarquait à Cannes. Au milieu des embarras qui suivirent la grande tourmente, on eut d'autres soucis que la refonte de l'enseignement public. Par une ordonnance du 15 août 1815, l'Université fut — c'était pour la troisième fois — provisoirement maintenue ; et des universités régionales on n'entendit plus parler. La seule réforme fut de substituer à la juridiction du grand maître celle d'un conseil royal dont Royer-Collard fut le président. Sur ces entrefaites fut élue la Chambre 'introuvable, aussi ardente en matière religieuse qu'en matière politique. Le 31 janvier 1816, un député, M. Murard de Saint-Romain, dénonça avec cette véhémence déclamatoire qui gâte même la sagesse, la grande fondation napoléonienne. La motion qu'il soumit à la Chambre laissait à l'Université les collèges royaux, c'est-à-dire les lycées ; mais elle lui enlevait les collèges communaux. Ceux-ci relèveraient des évêques qui nommeraient le principal. La proposition fut prise en considération. La Chambre introuvable disparut. L'Université resta, se fortifiant par chaque assaut qu'elle repoussait. L'année suivante, à propos du budget de l'instruction publique, Royer-Collard put devant la Chambre nouvelle justifier, presque glorifier le monopole. Confondant ce qui est de l'ordre moral et ce qui n'est que de l'ordre matériel ou coercitif, il proclama cette maxime : L'Université a le monopole de l'éducation, à peu près comme les tribunaux ont le monopole de la justice, et l'armée le monopole de la force publique[3]. Ainsi s'exprima-t-il, sans présenter toutefois comme définitif l'état de choses existant ; car, officiellement, on était toujours sous le régime du provisoire ; une commission avait même été nommée pour fixer le régime de l'instruction publique ; et l'on attendait une loi. II Quelle serait cette loi ? A distance et avec les lumières que le temps nous a apportées, il semble qu'une solution eût dû prévaloir : la liberté. Dès 1817, la liberté d'enseignement trouva deux illustres défenseurs : Benjamin Constant, Lamennais. Entre tous les hommes de l'opposition, Benjamin Constant
était presque le seul dont l'esprit 8e fût élevé jusqu'à une vraie
compréhension de la liberté. Cette supérieure lucidité de vues, il la devait
à la fois à sa haute culture, aux enseignements de la Suisse où il était né,
à l'influence de Mme de Staël. Quand, par faiblesse ou goût de popularité, il
descendait jusqu'à s'associer aux étroites passions de son parti, c'était très
sciemment qu'il obscurcissait en lui la lumière ; et de cette capitulation il
se vengeait dans l'intimité par des épigrammes où il n'épargnait ni ses
alliés, ni parfois lui-même. En octobre 1817, en un article du Mercure de
France, il développa, avec la pénétrante souplesse qui lui était familière,
ses pensées en matière d'enseignement. C'est un grave péril, disait-il en
substance, que de laisser aux pouvoirs publics le monopole de l'éducation ;
car ce même gouvernement qui est sage peut tomber un jour aux mains des
factieux, et alors, au lieu de façonner les jeunes Aines aux idées de
discipline et de paix, il leur soufflera l'esprit de dispute et de violence.
Benjamin Constant ne dissimulait pas ses préférences pour l'éducation
publique. Mais ce qui est bon, ajoutait-il, n'a point besoin de privilège, et le privilège dénature
presque toujours ce qui est bon. Dans les lignes qui suivaient se précisait
la thèse libérale : Si le système de l'éducation
officielle paraît vicieux à quelques individus, il importe que ceux-ci
puissent recourir à l'éducation particulière ou à des institutions sans
rapport avec le gouvernement. La société doit respecter les droits
individuels et dans ces droits sont compris ceux des pères de famille sur
leurs enfants. Benjamin Constant se flattait que des efforts
concurrents des établissements publics et des établissements privés naîtrait
une émulation féconde : Que le gouvernement,
disait-il en finissant, veille et préserve, mais
qu'il reste neutre et qu'il se contente d'aplanir le chemin ; on peut s'en
remettre aux individus pour y marcher avec succès[4]. Après Benjamin Constant, l'abbé de Lamennais. Benjamin Constant avait développé la thèse libérale, uniquement par hommage à la liberté elle-même. En un écrit publié sous ce titre : Du droit du gouvernement dans l'éducation, Lamennais laissait échapper tout ce que son âme tumultueuse recelait de passion. Avec une singulière ampleur d'éloquence, il affirmait le droit paternel, antérieur à tous les autres, supérieur à tous les autres, et institué par Dieu même. S'obstiner à mettre l'éducation en régie, en fixer le prix par un tarif, dire aux familles : Vos enfants viendront dans nos écoles, ou toute école leur sera fermée, c'est frapper au cœur la liberté, l'équité naturelle et violer les âmes elles-mêmes. Et ce que l'on dit de l'instruction, on peut le dire à plus forte raison des intérêts primordiaux de l'homme. Le gouvernement a-t-il le droit de donner à l'enfant la religion qu'il veut ? la morale qu'il veut ? A-t-il le droit de l'exposer à n'en avoir aucune[5] ? Ainsi s'exprimait Lamennais, et la conclusion, pareille à celle de Benjamin Constant, était la condamnation du monopole. Sur l'heure, le double appel ne fut qu'à demi entendu. Benjamin Constant était un peu suspect pour son passé, Lamennais pour l'intempérance, déjà connue, de ses ardeurs. Puis les évêques, ces guides naturels des catholiques, n'avaient expérimenté que deux états : sous l'ancien régime le privilège, à l'époque révolutionnaire la persécution ; et le mot de liberté ne résonnait à leurs oreilles qu'avec un son équivoque, tant il avait couvert de tyrannies ! La liberté, si on l'obtenait, ne favoriserait-elle pas la création d'établissements pires que les collèges officiels eux-mêmes ? et cette crainte achevait de refroidir. Un souci plus urgent absorbait d'ailleurs en ce temps-là l'attention des évêques, celui d'assurer l'existence et le recrutement de leur séminaire. Ceux-ci — à part quelques exceptions, par exemple Évreux et Rodez — étaient le plus souvent en une condition précaire. En ces conjonctures, le zèle de l'administration diocésaine se dépensait à susciter les vocations, à organiser de petites écoles presbytérales, à briser les dernières entraves des lois impériales, à solliciter les faveurs du pouvoir. Que si l'on s'occupait de l'Université, c'était pour y déverser le plus de prêtres possible, 'soit comme proviseurs ou censeurs, soit comme régents. La vraie lutte, la lutte pour la liberté, ne viendrait qu'après. Ainsi fut retardée toute action d'ensemble. Dans les années qui suivent le double appel de Benjamin Constant et de Lamennais, une seule ordonnance, celle du 27 février 1821, mérite d'être notée. C'était sous l'administration de M. de Corbière, devenu président du Conseil de l'Instruction publique. Son avènement avait marqué un accroissement de crédit pour les catholiques. L'ordonnance stipulait que les établissements privés qui auraient mérité la confiance des familles par leur direction religieuse et la force de leurs études pourraient, sans cesser d'appartenir à des particuliers, être convertis en collèges de plein exercice et à ce titre jouir de tous les privilèges des collèges royaux et communaux. — Très notable était la réforme et très précieuse la faveur. Mais il eût été naïf de trop remercier. On se contentait de tempérer le privilège universitaire par un autre privilège dépendant de la bonne volonté ministérielle, celui du plein exercice. Puis, en desserrant les entraves, on se gardait de les briser : la rétribution scolaire était maintenue : le choix des professeurs était soumis à de très étroites exigences : enfin dans les villes où il existait des collèges officiels, ces collèges particuliers ne pourraient avoir d'externes ; même ailleurs il ne leur était loisible d'en recevoir que moyennant une autorisation[6]. III Tandis que le gouvernement se dépensait en efforts pour
créer, à côté de l'Université, une demi-concurrence que lui-même doserait,
les attaques se poursuivaient contre le monopole. C'est Lamennais qui, dans
un écrit intitulé : L'éducation considérée dans ses rapports avec la
liberté, renouvelle ses objurgations. C'est Chateaubriand qui dénonce à
son tour la grande institution impériale. Certains rapports des magistrats
reflètent, quoique sous une forme plus réservée, les mêmes soucis : Il serait bien à désirer, écrit le procureur
général d'Agen, que l'instruction publique donne à
la jeunesse, qui se forme aujourd'hui par ses soins, une tendance plus
marquée vers les idées d'ordre et de morale[7]. Les
délibérations des conseils généraux sont elles-mêmes très suggestives[8]. Dans le Cher, on
constate que les pères de famille, s'ils tiennent à l'instruction religieuse,
se gardent d'envoyer leurs enfants au collège royal, mais les confient au
petit séminaire. Dans la Mayenne, on se plaint des jeunes professeurs qui ont souvent étalé devant leurs élèves ces principes
destructifs, décorés sous le nom de philosophie. Dans l'Ain, on
déplore que l'institution des lycées n'ait point donné
les résultats qu'on était en droit d'en attendre. Dans la Nièvre, on
insiste sur le peu de confiance que les maîtres
universitaires inspirent. Mêmes doléances dans l'Hérault, le Vaucluse,
la Gironde. De 1816 à 1822, dans une quinzaine de départements sur vingt-cinq
environ dont nous avons les rapports, la méfiance se traduit par une
protestation contre la rétribution universitaire. En même temps, un vœu se
formule en faveur des anciennes congrégations enseignantes, et on le retrouve
dans plus de la moitié des délibérations qui figurent aux Archives.
Toutefois, dans la Haute-Garonne, ce vœu est subordonné à une condition
formelle, celle que ces congrégations se composent
de Français et soient régies par les lois françaises. Dans le recul des temps, ces jugements sévères ne laissent pas que de surprendre. Ce qui ne permet guère de les mettre en doute, c'est qu'ils concordent avec le témoignage presque unanime de ceux qui furent alors des collégiens. Dans leurs lettres, dans leurs Mémoires, ils ont retracé leur vie scolaire : des journaux opposants ou impies introduits par les externes, et lus non en cachette, mais presque sans mystère ; des surveillants glissant aux mains des élèves Parny, Volney, Béranger ; des adolescents se promenant de long en large en discutant sur la religion et mettant un jour aux voix l'existence de Dieu ; le christianisme tombé en un tel discrédit que l'Église n'apparaît plus que comme une officine de mensonge : une obstination extraordinaire de sarcasmes à l'endroit de quiconque demeure fidèle aux pratiques religieuses[9]. Ce tableau est-il noirci à l'excès. Dans leurs discours officiels, les hauts fonctionnaires de l'Université 8e congratulent : combien cette satisfaction de commande n'est-elle pas contredite par certains rapports confidentiels ! Nous y trouvons qu'au collège de Rouen des faits d'immoralité ont été relevés à la charge d'élèves et de maîtres d'étude ; qu'à Versailles une cinquantaine d'élèves, mécontents du changement du proviseur et du censeur, ont forcé les portes du collège et ont porté leurs réclamations à Saint-Cloud ; qu'à Angers de violentes querelles ont éclaté entre le proviseur et le censeur[10] ; qu'à Strasbourg, si nous en croyons le témoignage du recteur[11], il n'y a pas un seul élève qui ne soit vicieux ; qu'à Marseille, des caricatures d'une obscénité révoltante circulent, que des blasphèmes se tracent à la craie sur les murs même de la chapelle[12]. Des révoltes éclatent, de 1814 à 1818, à Rennes, à Bordeaux, à Périgueux, à Caen, à Lyon, à Tournon, à Vannes[13] ; on en signale en 1819 au collège Louis-le-Grand, en 1820 à Orléans. De vraies séditions se produisent en 1821 à Poitiers, en 1822 au collège Henri IV[14]. Après le collège se développent ces ferments d'indiscipline ; et presque partout les grandes écoles — écoles de droit, écoles de médecine — sont foyers ardents d'opposition. La sollicitude du gouvernement s'éveille de plus en plus, mais sans qu'il se façonne encore à l'idée de chercher le remède dans la libre concurrence. Sans varier, il persévère dans la même conduite qui est de développer dans l'enseignement officiel l'élément ecclésiastique. Sur ces entrefaites, une mesure très éclatante atteste cette disposition. La présidence du Conseil royal a été confiée à Royer-Collard, puis à Cuvier, enfin à Corbière. Maintenant la charge de grand maître est rétablie. Le 1er juin 1822, on en investit un prélat, M. Frayssinous, évêque d'Hermopolis. Et M. Frayssinous de se dépenser sans compter pour insuffler à l'Université, comme on ferait d'un sang nouveau, l'esprit religieux. Il recommande aux maîtres de surveiller les élèves et, pour les surveiller avec autorité, de commencer par se surveiller eux-mêmes. Il voudrait plus de décence dans les discours, plus de sévérité dans le choix des livres, une vigilance à la fois plus stricte et plus paternelle. Après s'être adressé aux fonctionnaires de son administration et aux proviseurs, il s'adresse aux évêques et, avec une confiance émue, sollicite leur concours. Surtout il multiplie les aumôniers et les choisit dans l'élite du sacerdoce. Parmi eux l'on peut citer deux prêtres tout jeunes, M. de Salinis et M. de Scorbiac, distingués d'esprit autant que de vertu et bien faits pour plaire à la jeunesse. Ils plaisent en effet. On les écoute pour leur éloquence et même à certains jours on leur fait fête. Mais des semences de foi qu'ils déposent, presque aucune ne lève. Qu'ils proclament le dogme, et les visages se rembrunissent ; qu'ils se hasardent jusqu'à parler des excès de l'époque révolutionnaire, et la réprobation va jusqu'à la menace[15]. De la stérilité de ce ministère — le ministère inconsolé, dira un jour Lacordaire — un témoignage suggestif subsiste. C'est le rapport collectif que neuf aumôniers de collèges adresseront quelques années plus tard à leurs supérieurs ecclésiastiques. Ils constatent que chez les jeunes enfants confiés à l'Université, presque de suite la foi religieuse s'émousse. Elle se ravive un peu à l'époque de la première communion, puis, derechef, s'oblitère, se résorbe dans la grande honte d'être chrétien et de le paraître. Un livre de prières ne se garde qu'en cachette, un signe de croix est un acte de courage. Pourtant, jusqu'à quatorze ans, quelques vestiges subsistent. Mais à partir de cet âge, toute croyance s'élimine. La proportion des jeunes gens qui demeurent fidèles aux pratiques catholiques est, en seconde et en rhétorique, de 7 à 8 pour 100, à la sortie de collège de un pour 100[16]. Une troisième fois, Lamennais prend la plume. Dans le Drapeau blanc, le 22 août 1823, il dénonce, sous forme de lettre à Frayssinous[17], les tendances de l'Université et, avec une véhémence oublieuse de toute mesure, fait monter jusqu'au grand maître ses accusations : Quel obstacle, dit-il, arrête votre zèle ? Quelle force inconnue vous lie les mains ? N'a-t-on voulu que placer le désordre sous la protection d'un nom respecté ? — En beaucoup d'établissements, continue Lamennais, et nous en avons les preuves, non seulement on ferme les yeux sur les plus énormes excès, mais on les excuse, on les justifie ou du moins on les tolère comme inévitables. Les faits cités sont peu nombreux, mais suggestifs : c'est un proviseur, obligé par le maire à se retirer, sous la menace de poursuites criminelles ; ce sont des vexations odieusement mesquines contre un aumônier chargé du ministère de la confession ; ce sont surtout — et cet étalage d'impiété a défrayé bien des polémiques — ce sont surtout trente enfants allant ensemble à la table sainte. puis gardant l'hostie et s'en servant pour cacheter leurs lettres. Tout abasourdi sous la violence, Frayssinous jugea que son
devoir de chef lui imposait de défendre l'Université attaquée : Je tâcherai toujours, dit-il en une lettre insérée
au Moniteur, de marcher avec force et mesure
entre les cris de ceux qui jugent que j'en fais trop et de ceux qui trouvent
que je ne fais pas assez. On traduisit en police correctionnelle, non
Lamennais qu'on voulait encore ménager, mais l'éditeur du Drapeau blanc
qui fut condamné à quinze jours de prison pour diffamation envers le corps
universitaire. Et ainsi fut frappé l'accusateur, mais sans que l'accusation
fût convaincue de calomnie, et sans que Frayssinous lui-même se sentit
rassuré sur la grande corporation qu'il couvrait de son nom. IV Il est souvent plus aisé d'attaquer que de se défendre. Ainsi pensèrent les journaux de l'opposition qui avaient adopté l'Université pour cliente. Pour qui se disait libéral, l'apologie non déguisée du monopole offrait un choquant aspect de contradiction. En ces conjonctures, la véritable habileté serait de prendre l'offensive et de porter la lutte dans le camp adverse. Cette conduite serait surtout facilitée si, en face de l'enseignement officiel, un enseignement rival commençait à poindre, puissant déjà et Be développant à l'abri d'un subterfuge qui Aidait la loi. Que les maîtres voués à cet enseignement portassent un nom impopulaire, qu'ils fussent, en outre, suspects de complaisance pour les maximes absolutistes, et alors on paraîtrait en soutenant le monopole servir la liberté. Or, les libéraux eurent ce rare bonheur d'accomplir presque sans risque cette diversion qui les transformerait d'accusés en plaignants. A qui dénonçait l'Université, ils répondirent en dénonçant les Jésuites, et ils échappèrent à l'embarras de défendre le monopole en attaquant ceux qui, s'ils dominaient, revendiqueraient sans doute le monopole aussi. V Une bulle pontificale du 7 août 1814 avait révoqué l'acte de Clément XIV et rétabli la Compagnie de Jésus dans le monde entier. A la fin de l'année, rue des Postes, en une dépendance du couvent de la Visitation, soixante et onze novices se trouvèrent rassemblés. Trente d'entre eux étaient déjà prêtres. Beaucoup étaient d'anciens Pères de la Foi[18]. Le supérieur — car on n'osait encore reprendre l'ancienne appellation de provincial — était le Père de Clorivière, un vieillard presque octogénaire, sévère pour lui-même, pour les autres aussi, absolu de nature, et acceptant malaisément les conseils, mais de vertu admirable, et protégé par le souvenir d'un héroïsme qui jamais ne s'était démenti ; car, pendant la Révolution, il avait tout enduré hormis le martyre. Précaire était le sort des anciens jésuites reconstitués. Ils avaient contre eux la loi, contre eux aussi le préjugé public. Mais ils n'avaient pas été gâtés par la fortune, et jugeaient déjà victoire qu'on les supportât. Deux ministères s'offraient à eux : les Missions, l'Enseignement. Ils furent missionnaires, surtout dans l'Ouest, et plusieurs d'entre eux, anciens Pères de la Foi, s'associèrent, avec un remarquable succès, aux prédications du Père Rauzan. Mais l'apostolat par l'enseignement les attira plus encore. Il semblait qu'ici leur zèle dût se heurter à un invincible obstacle. Le régime du monopole leur interdisait d'ouvrir aucun collège sous leur responsabilité propre. En outre, ils étaient proscrits à double titre, en tant que jésuites par les anciens édits, en tant que religieux par les lois nouvelles. Cependant beaucoup d'évêques les voyaient avec faveur. Plusieurs manifestèrent le désir de leur confier leur séminaire. Ce que les jésuites ne pouvaient faire par eux-mêmes et comme congrégation enseignante, ils le feraient comme délégués de l'évêque, choisis à titre individuel par lui, révocables pareillement par lui. Ainsi furent-ils préposés à la direction des petits séminaires de Bordeaux, de Saint-Acheul près d'Amiens, puis de Sainte-Anne d'Auray, de Montmorillon, de Forcalquier. En l'automne de 1817, ils possédaient en outre deux résidences, celle de Paris, celle de Laval. Quelles seraient vis-à-vis de cet institut fameux, très reconnaissable quoique dissimulé, les dispositions des pouvoirs publics ? Le roi Louis XVIII inclinait à la tolérance, à la bienveillance même, à la condition qu'on ne lui causât aucun embarras. Parmi les ministres, le plus important à conquérir était le ministre de l'Intérieur, qui était alors M. Lainé. C'était un homme excellent, droit, intègre, mais très imbu des doctrines gallicanes. Il n'était pas hostile à ce que les jésuites fussent reconnus légalement, mais à la condition qu'ils changeassent leur nom, qu'ils n'eussent pas de chefs à l'étranger, que les statuts subissent quelques modifications, en d'autres termes qu'ils consentissent à se démarquer. Cette opinion était partagée par quelques membres du clergé, notamment par le cardinal de La Luzerne. Au printemps 1817, l'un des religieux de la Compagnie, le Père de Grivel, mettant à profit d'anciennes relations de famille, se rendit chez le ministre. Celui-ci lui parla aussitôt de la maison de Saint-Acheul qui était déjà très prospère : Saint-Acheul, lui dit-il, jette un peu trop d'éclat et est jalousé par l'Université. — Peut-on nous reprocher, reprit le Père de Grivel, la confiance que nous témoignent les familles ? — Vous devriez vous faire autoriser, continua le ministre. La suggestion resta sans réponse. L'entretien se poursuivant, Lainé parla des préventions contre les jésuites : J'en ai moi-même beaucoup, ajouta-t-il moitié souriant, moitié sérieux. La conversation se prolongea pendant près d'une demi-heure, courtoise, bienveillante, amicale même, mais avec des réserves, des réticences qui révélaient les désaccords. A l'issue de l'audience, le Père de Grive ! en une lettre au père Rozaven, résumait ainsi ses impressions : On est plein d'intentions excellentes et de fausses idées. Certes on ne nous fera pas de mal, mais point de bien non plus, tant on craint le parti qui nous est opposé ![19] On atteint l'année 1818. Le ministère de la prédication et surtout le développement des collèges exigent un plus nombreux personnel : de là, un surcroît de sollicitude pour le recrutement de l'Ordre. Le noviciat agrandi est transféré de la rue des Postes à Montrouge. Il est installé en une maison assez vaste, mais presque misérable et où la pauvreté se pratique au delà même de ce qu'exige la règle. Une discipline sévère ; une sollicitude incessante et presque dure pour assouplir les volontés sans toutefois les briser ; un soin constant à se garder contre toute nouveauté, fût-ce les nouveautés de la dévotion. L'usage est chez les jésuites d'éprouver les novices, en les employant au dehors à des œuvres de charité et d'apostolat. Ces pratiques pieuses s'exercent dans les paroisses voisines et surtout à l'hospice de Bicêtre. En leur condition précaire, la sagesse était pour les jésuites de s'envelopper de silence, en sorte que s'ils avançaient, on n'entendît point le bruit de leurs pas. Mais était-il possible que cette maison de Montrouge demeurât ignorée ? Elle abrite des novices, mais de quelle qualité ? Beaucoup sont prêtres, d'âge déjà mûr, déjà connus comme prédicateurs. Aux Français se mêlent des étrangers : c'est ainsi qu'à partir de 1822 cette même maison reçoit les novices d'Angleterre et d'Irlande. Au seuil de la demeure, si pauvre soit-elle, descendent d'illustres visiteurs : un jour M. de Quélen, qui vient d'être nommé archevêque de Paris ; un autre jour le duc de Rohan, qui vient d'entrer dans les ordres, puis, plus tard, M. de Clermont-Tonnerre, archevêque de Toulouse. Il y a aussi des renoncements au monde qui ne peuvent laisser le monde indifférent : à Montrouge, arrive à la fin de 1822 un jeune magistrat qui, après six mois passés à Issy, a voulu se sanctifier par un sacrifice plus complet : il sera plus tard célèbre sous le nom de Père de Ravignan. Ce n'est pas tout. Au noviciat, des retraites se prêchent : retraites pour les prêtres, retraites pour les laïques. Comment cette maison de Montrouge fût-elle demeurée inaperçue ? Les catholiques commencent à la connaître ; quant aux autres, ils l'ignorent moins encore ; ils l'ignorent si peu qu'ils s'apprêtent même, comme on le dira bientôt, à créer autour d'elle une légende. Les collèges, eux aussi, se révèlent par une vie extérieure très voyante. Les jésuites sont gens de tradition. Dans leurs maisons ils remettent en honneur la discipline, les exercices, les jeux, les programmes d'étude, en un mot tous les usages d'autrefois. Donc on voit revivre les solennités de jadis : séances littéraires, concertations, pièces de théâtre dont les élèves sont les acteurs. L'évêque est invité ; et on le complimente en vers latins, agréablement mêlés de mythologie et de dévotion. Il y a aussi les processions et en particulier celle de la Fête-Dieu. Elle se déroule avec une pompe que le clergé paroissial s'efforcerait en vain d'égaler. On accourt de la ville et des environs ; et c'est à qui admirera le plus le somptueux décor du culte : à Saint-Acheul il y a 20 fleuristes, 20 thuriféraires, en tout, nous dit-on, plus de 200 figurants[20]. A d'autres jours, tous les élèves partent pour de longues promenades. Dans les rues, puis dans la campagne ils se développent dès l'aube en longues files, très nombreux, trop nombreux même au dire de ceux qui, d'un œil jaloux, les observent et les recensent. Parfois à ces excursions un but pieux est assigné. Ainsi arrive-t-il que les collégiens de Bordeaux vont en pèlerinage à Notre-Dame du Verdelet, ceux de Saint-Acheul à Notre-Darne d'Albert. Nous ne faisons pas de bruit, mais nos amis en font trop, écrivait le Père de Grivel. Le respectable religieux qui a tracé ces lignes n'aurait-il pas pu adresser le reproche à ses propres confrères ? Si abrités qu'ils fussent derrière les évêques, les bons Pères faisaient trop de bruit. Ils progressaient trop pour ne point exciter l'envie. Ils dirigeaient des séminaires qui ressemblaient trop à des collèges pour qu'on ne supputât pas qui en sortait pour la vie cléricale, qui en sortait pour la vie séculière. Ils différaient trop du clergé paroissial pour qu'on ne s'informât point du vrai nom qu'ils portaient. De là, sur la légalité de leurs établissements, un double éveil : celui du gouvernement, celui de l'Opposition elle-même. VI Dans les régions officielles, la défiance se voila sous l'aspect de constatations qui s'appliquaient à n'être point malveillantes et se contentaient de rassembler les indices d'infraction à la loi. Les élèves sortent pour la promenade : on observe que nul d'entre eux, même parmi les plus grands, ne porte la soutane, ainsi que le commandent les règlements sur les écoles ecclésiastiques. Puis on s'avise qu'à Bordeaux, à Saint-Acheul et ailleurs, on joue des pièces de théâtre, ce qui n'est pas du tout dans les habitudes des petits séminaires, mais au contraire tout à fait conforme aux traditions d'un ordre très fameux. Un autre jour, on réussit à saisir des prospectus qui annoncent des leçons d'escrime — est-ce exercice pour jeunes lévites ? — ou bien encore des leçons de danse, ce qui est de plus en plus laïque[21]. Que si l'on pénétrait dans les collèges eux-mêmes, on y découvrirait deux divisions distinctes : l'école cléricale et le pensionnat, celui-ci débordant beaucoup sur celui-là. Cependant les enquêtes sont débonnaires et entamées uniquement sous la pression de l'autorité universitaire. On les poursuit mollement, avec une seule crainte, celle de les pousser trop à fond. Voici d'ailleurs que Decazes a été renversé, que le duc de Richelieu lui a succédé, qu'avec Villèle, successeur de Richelieu, le pouvoir a passé à droite. Du côté du gouvernement, que peuvent désormais craindre les Pères ? Aux jours de leurs séances littéraires, le préfet vient parfois s'asseoir à côté de l'évêque. Ils ont des protecteurs plus puissants encore : à Bordeaux, leur distribution des prix est présidée en 1822 par la duchesse de Berry, en 1823 par la duchesse d'Angoulême. Ils fondent deux nouveaux établissements, l'un à Aix en 1821, l'autre à Dôle en 1823 ; un peu plus tard, ils en fondront un troisième, à Billom, en Auvergne. Au noviciat de Montrouge ils ont ajouté un autre noviciat, organisé dans Avignon. Ils ont 300 pensionnaires à Bordeaux et à Montmorillon, près de 400 à Sainte-Anne d'Auray, presque le double à Saint-Acheul où ils sont contraints de multiplier à la hâte les annexes. Ainsi vivent-ils, un peu surpris qu'on ne les persécute point et qu'on leur fasse même bon visage, bien résolus d'ailleurs à mettre à profit le temps d'accalmie et à ne s'enquérir de la loi que le jour où on la retournera contre eux ! On ne tarde point à l'invoquer. Tandis que le gouvernement passe de la tolérance à la faveur, l'opposition achève de découvrir tout ce que le nom de Jésuite recèle de ressources pour qui voudra l'exploiter. Quel autre mot dans la langue offrirait la même souplesse et se prêterait aux mêmes équivoques ! Les jésuites ! Ils ont été frappés par la royauté, en sorte que la royauté ne pourra les soutenir qu'en paraissant se déjuger. Ils ont été condamnés par le Saint-Siège ; ce qui fournit aux catholiques une sorte de licence pour s'absoudre eux-mêmes en les combattant. Ils ont été proscrits par les arrêts du Parlement, de telle manière que s'ils se présentent à la barre des tribunaux, toute une vieille jurisprudence, à la fois tenace et passionnée, les fera par avance considérer comme ennemis. Ils ont leurs chefs hors de France et une organisation internationale, à tel point qu'ils apparaissent sous un double aspect, interdits par les lois françaises, mais en revanche esclaves de statuts étrangers. Par surcroît, ils s'offrent sous l'aspect d'une corporation, en une époque où toute la tradition révolutionnaire juge suspect quiconque s'associe. Enfin ils recueillent dans leurs collèges beaucoup d'enfants au nom aristocratique ; ce qui permettra à l'envie une comparaison fructueuse avec les anciens lycées impériaux nivelés et patriotes, démocratiques et militaires. Qui n'eût saisi l'opportunité ? Et voici la presse qui, vers la fin du règne de Louis XVIII, se fait violemment dénonciatrice. C'est le Constitutionnel, c'est le Courrier français ; à la meute se joindra un peu plus tard le Journal des Débats. Puis voici la nuée des brochures. Jésuite ! le mot est jeté en pâture au peuple. Et le peuple le ramasse, l'adopte comme le symbole de toute la lutte religieuse et, dans son ignorance simpliste, appelle Jésuite tous ceux qu'une langue moins déformée se contenterait d'appeler catholiques. Si habilement choisi que soit ce terrain de combat, le succès sera plus ou moins facile suivant l'orientation du gouvernement royal. Que, tout en soutenant la religion, il évite de la compromettre et de se compromettre lui-même par des complaisances trop visibles ; et l'opposition déconcertée sera réduite à porter ses coups à vide. Telle a été la conduite de Louis XVIII. Tout autre est Charles X, aussi peu exercé en l'art des nuances que son prédécesseur s'y est montré maître consommé. S'assagira-t-il dans l'exercice du pouvoir ? Ses amis les plus éclairés l'espèrent sans y compter beaucoup. Sur ces entrefaites, un projet de loi, le plus inopportun qui se pût concevoir, montra dans quelle voie il était disposé à s'engager. VII Le 3 janvier 1825, à la Chambre des pairs, le garde des Sceaux, M. de Peyronnet, se leva de son banc et lut une proposition qui fixait les peines pour les délits ou crimes commis dans les églises ou dans l'enceinte des édifices consacrés aux cultes reconnus par l'État. En outre, le vol des vases sacrés serait, suivant les cas, puni des travaux forcés ou même de la peine capitale. De ces dispositions, destinées à atteindre des infractions humainement tangibles, un article se détachait qui communiquait au projet son véritable caractère. Il avait pour but de frapper — et de la peine de mort — quiconque. volontairement et par haine ou mépris de la religion, profanerait les vases sacrés ou les hosties consacrées, c'est-à-dire quiconque se rendrait coupable de sacrilège, même en dehors de toute appropriation matérielle. M. de Peyronnet, en lisant son exposé de motifs, réussit-il à déguiser quelque embarras ? En présentant la motion, il se déjugeait ; car l'année précédente, les ministres s'étaient refusés à introduire dans la législation un crime, le plus horrible sans doute aux yeux des croyants, mais qui, par sa nature et jusque par son énormité, semblait échapper aux lois terrestres pour ne relever que du tribunal divin. Les répugnances que ressentait le garde des Sceaux, Villèle les éprouvait plus encore. Il était peu dévot et, par surcroît, le plus positif des hommes. Commençons, disait-il, par restaurer la religion dans les âmes, et alors seulement nous pourrons songer à l'introduire dans nos institutions. Quelles influences avaient fait prévaloir cette politique mystique, et au point de l'imposer aux ministres ? Parmi ceux qu'on appelait les ultras, beaucoup gardaient un regret, celui que la Charte n'eût point, sous forme de préambule, rendu un solennel hommage à la religion catholique ; et sans préciser leurs vues, ils déploraient que la loi fût athée. Ces pensées un peu vagues, mais inquiétantes par l'obscurité même où elles s'enveloppaient, avaient dans les Chambres des interprètes autorisés ; tel M. de Bonald ; tel M. de Marcellus, très respecté de tous ses collègues et habituel organe des revendications religieuses. En outre, un argument déjà formulé l'année précédente se répétait avec une certaine apparence de logique : dans ces derniers temps, un grand nombre de vols dans les églises avaient été constatés ; de là l'urgence de renforcer la répression. Or quelle ne serait pas l'inconséquence si, en frappant ceux qui, par cupidité, dérobaient des ornements ou des objets précieux, on laissait impunis, ou l'on atteignait de peines moindres, ceux qui porteraient la main, non sur les objets du culte, mais sur les hosties elles-mêmes. On rappelait enfin que ces profanations de vases sacrés ou d'hosties n'étaient point chose inouïe : on avait eu à en déplorer en 1821 et en 1824 dans le Bas-Rhin, le Lot, l'Indre et-Loire. Toutes ces considérations avaient pénétré l'esprit de Charles X. Cet excellent prince, très libertin autrefois, avait formé le ferme propos de réparer ses erreurs en faisant refleurir la religion dans son royaume : ainsi pensait-il, en un élan de piété aussi mal dirigé que sincère, et sans songer que les manifestations inconsidérées de son repentir pourraient être plus funestes à la France que tous les écarts où sa folle jeunesse s'était jadis abandonnée. La presse opposante, fixée dans une malveillance invariable, s'appliquait à passer au crible toutes les mesures gouvernementales, même les plus sages. jusqu'à ce qu'elle pût en extraire la critique. A l'annonce de la proposition, elle éclata, indignée en apparence, au fond ravie : eût-elle écrit autre chose si elle eût conduit la main du roi ? Le projet, d'aspect farouche, était en même temps débile ; et là résidait le trait le plus curieux. Je voudrais retrouver, à travers les années, les dispositions intimes des auteurs de la loi. Une idée très élevée les domine, celle d'un hommage public à la divinité, représentée par la Sainte Eucharistie ; mais ils ne portent en eux ni les ardeurs des dévots — car ils sont souvent de pratique fort tiède — ni le fanatisme des sectaires — car ils sont en général de mœurs fort douces. Aussi, après avoir déployé tout l'appareil d'une répression sans pitié, les voici qui s'humanisent, se ressaisissent et, redevenant presque à leur insu les hommes de leur siècle, tempèrent leur œuvre comme on adoucit, par retouche, des traits jugés trop rudes. Qu'on lise l'article premier et l'article 4. La profanation des vases sacrés est punie de mort et, s'il y a profanation des hosties consacrées, la peine sera celle des parricides. Voilà le châtiment, et qui s'étale avec ostentation. A ce point, il semble que les rédacteurs de la loi aient été gagnés par le sentiment d'un extraordinaire anachronisme. Pour ressusciter les édits de saint Louis, il faudrait ressusciter saint Louis lui-même, c'est-à-dire, en une époque d'unité de foi, un roi très saint, autorisé à imposer une loi dure à son peuple parce qu'il s'impose à lui-même toutes les austérités de la plus sévère pénitence. Quoi de commun avec le dix-neuvième siècle tout pétri de philosophisme, tout imprégné de la Révolution ! Aussi, par dégradation insensible on corrige, on émascule, on efface presque les mots terribles qu'on vient de tracer. Le dur principe demeure, mais subordonné à des conditions qui le réduisent presque à l'état d'épouvantail. Pour que le sacrilège simple soit puni, il faut qu'il ait été commis volontairement. Il faut en outre qu'il ait été commis en haine ou par mépris de la religion. A ce double tempérament, la commission de la Haute Chambre ajoute une troisième condition : il faut que l'acte ait été commis publiquement. Or, qui ne discerne une arme émoussée par avance entre les mains de qui voudra la manier ? Qu'on se figure à la cour d'assises un accusé de sacrilège. Qui pourra établir la pleine volonté, c'est-à-dire une volonté que n'a égarée ni la surexcitation de la passion, ni une fureur momentanée ? Qui pourra prouver que la profanation des hosties, cet acte extraordinaire, n'est pas l'œuvre d'un misérable déséquilibré, d'un pauvre maniaque plutôt que d'un homme agissant sciemment en haine de la religion ? A tout cela s'ajoute la condition de publicité. Quelle habileté ou quelle ardeur de poursuite réussira à rendre applicable une loi qui multiplie comme à dessein les paliers où pourra s'accrocher la défense ! Telle, apparaît, dès l'ouverture de la discussion, le projet sur le sacrilège. Et ce mélange d'outrance et de faiblesse est le signe auquel on peut reconnaître presque toutes les initiatives des royalistes extrêmes. Quand ils se sont compromis, ils reculent, soit qu'ils cèdent au retour de leur douceur naturelle, soit qu'essayant presque inconsciemment de ressusciter les âges anciens, ils se sentent enveloppés, non moins inconsciemment, par l'ambiance des âges nouveaux. Et sur l'heure cette faiblesse est, par quelques-uns, percée à jour. Tandis que toute la presse de gauche flétrit l'intolérance, Lamennais. cet intempérant organe de l'intransigeance religieuse, n'est point lui-même satisfait. Il remarque que le projet, en punissant de peines exceptionnelles les vols dans les églises, étend ses rigueurs aux vols dans les temples réformés ; et cette assimilation lui déplaît. Puis, s'attachant à la motion elle-même, il en pressent, il en dénonce par avance l'inanité[22]. Le 10 février, au Luxembourg, les débats s'ouvrirent.
Contre le projet s'élevèrent plusieurs des plus notables d'entre les pairs :
le comte Molé, le duc de Broglie, Chateaubriand. Nul ne contestait l'énormité
de l'attentat, attentat contre la divinité elle-même incarnée dans l'hostie
consacrée. Seulement le crime, pour s'offrir sous son véritable aspect
d'horreur, impliquait la foi en la présence réelle. II pouvait donc y avoir
disproportion entre le forfait qui était inouï et le criminel qui, s'il était
incroyant, n'était coupable à ses propres yeux que d'un outrage
exceptionnellement odieux à la religion de l'État. Les adversaires du projet
insistèrent sur le danger de confondre le domaine séculier et le domaine
sacré. En cette voie où s'arrêtera-t-on ? A quand une loi sur le blasphème ?
La réglementation des matières religieuses est du ressort du droit canonique.
La législation civile, si elle entreprend de pénétrer dans le domaine
spirituel, devra donc s'asservir aux interprétations des canonistes. Un
dernier argument se puisa dans la grandeur même de Dieu qu'aucun châtiment
humain ne vengerait dignement, et qui planait au-dessus de toute vengeance,
étant Dieu de mansuétude et de pitié. A cette considération Chateaubriand
prêta toute la magie de son éloquence : La religion,
dit-il, doit ses victoires à ses miséricordes.
Il ajouta, en une image d'ailleurs plus brillante que solide : L'homme sacrilège, conduit à l'échafaud, devrait y marcher
seul et sans l'assistance du prêtre. Que lui dirait ce prêtre ? Il lui dirait
sans doute Jésus-Christ vous pardonne, et que répondrait le criminel : La loi
me condamne au nom de Jésus-Christ. Les ministres ne pouvaient garder le silence, et M. de Peyronnet répondit aux opposants. Mais le véritable avocat de la loi fut Bonald. Il rappela quelles peines terribles avaient frappé chez tous les peuples quiconque bravait les dieux. Il proclama l'urgence d'opposer une digue aux progrès de l'impiété. Avec hardiesse il écarta tous les arguments qu'inspirait une fausse sensibilité : Osons, dit-il, proclamer des vérités fortes ; si les bons doivent leur vie à la société comme service, les méchants la doivent comme exemple. On dit : le sacrilège n'est pas un crime, c'est un péché. Mais l'homicide, le vol, qui sont autant de péchés, cessent-ils pour cela d'être des crimes ? La religion sans doute ordonne à l'homme de pardonner, mais en prescrivant au prince de punir ; et ce n'est pas pour rien que, selon l'expression de l'apôtre, il porte le glaive. Ainsi s'exprima Bonald. Prononça-t-il la phrase impitoyable qui lui a été si souvent reprochée et qu'on cite encore : En punissant de mort le sacrilège, les magistrats ne feront que le renvoyer devant son juge naturel. Ce qui est certain, c'est que ces paroles ne se retrouvent point dans le compte rendu officiel. Pendant sept séances, devant la haute Chambre transformée en Concile, les débats se prolongèrent. Le plus instructif n'eût pas été d'écouter les discours, mais de recueillir de banc à banc les entretiens privés. On y eût surpris la cruelle perplexité d'hommes à l'esprit sensé et sage, qui répugnaient tout ensemble à l'indulgence tant ils sentaient énorme le crime, et à la sévérité tant cette sévérité même ressuscitait des pratiques abolies ! L'obstination des répugnances se traduisit par divers amendements. L'un d'eux, qui substituait à la peine de mort celle des travaux forcés, recueillit 104 voix contre 108. Le 18 février le projet fut adopté par 127 suffrages contre 92. Au dépouillement du scrutin on remarqua quatre bulletins blancs : c'étaient ceux de quatre prélats — entre autres M. de Quélen, archevêque de Paris, — qui, se séparant de leurs collègues ecclésiastiques, avaient jugé que la mansuétude évangélique leur recommandait l'abstention. Au Palais-Bourbon la proposition, défendue par Frayssinous et Peyronnet, fut combattue par Royer-Collard, en l'un de ses discours les plus fameux. En cette enceinte. le succès du gouvernement ne paraissait point douteux. Cette Chambre n'était-elle pas celle que le ministère avait façonnée et d'où toute opposition sérieuse semblait bannie ? Pour la première fois, elle osa s'émanciper et, au scrutin d'ensemble, la désapprobation se marqua par 95 voix hostiles contre 210 voix favorables. Si telles étaient les répugnances en une assemblée si docile, quelle ne devait pas être au dehors l'intensité des critiques ! Villèle, le sage Villèle décidément entraîné hors de ses voies, constatait en ses notes intimes la précarité du succès et l'impopularité qui s'attachait à ce succès même. Cette discussion, écrivait-il tristement et sans doute avec un secret repentir de sa propre faiblesse, a produit un bien mauvais effet dans le public et dans les Chambres[23]. VIII Combien cette appréciation n'était-elle pas fondée ! La loi du sacrilège est entre toutes digne de mémoire ; car elle marque l'heure où l'opposition peut, avec un spécieux aspect de raison, dénoncer le parti qu'elle appelle le parti prêtre. Désormais la lutte atteint l'état aigu : lutte contre l'Église ; lutte aussi contre la monarchie, en sorte qu'en déroulant l'histoire religieuse on retrace du même coup l'histoire politique. Pour cette lutte, demeurée sous Louis XVIII à l'état latent, ardente maintenant au point de tout absorber, quelles sont les forces des deux partis, et tout d'abord celles des catholiques ? L'apparence est celle de la puissance, tant se multiplient les faveurs du pouvoir ! En réalité, cette puissance cache la faiblesse. Magnifique est, dans son aspect extérieur, la hiérarchie sacrée. A la fin de l'Empire une vingtaine de diocèses étaient privés de leur chef, faute d'institution par le pape, alors captif à Savone ou à Fontainebleau : depuis longtemps tous les sièges sont pourvus, sauf un seul, celui de Lyon, dont le titulaire, le cardinal Fesch, onde de Napoléon, a été frappé par les lois d'exil. En outre, trente nouveaux évêchés ont été créés. De l'ancien clergé constitutionnel, toujours un peu suspect, trois prélats seulement survivent ; et l'un des trois, M. Montault des Iles, est un saint. Sur les hauts dignitaires de l'Église, les témoignages de la bienveillance royale se sont répandus, sous Louis XVIII avec libéralité, sous Charles X avec profusion. A la Chambre des pairs siègent treize archevêques ou évêques ; encore trois ans, et ils y atteindront le nombre de dix-huit. Trois évêques sont membres du Conseil privé. Pour plus des deux tiers, les chefs des diocèses appartiennent à l'ancien ordre de la noblesse, et quelques-uns portent les plus grands noms : tels à Toulouse le cardinal de Clermont-Tonnerre ; à Rouen, le prince de Croy ; à Reims, le cardinal de Latil, successeur de M. de Coucy, et très avancé dans la confiance de Charles X ; à Sens, le cardinal de la Fare, très mêlé jadis aux conseils de l'émigration ; à Paris, Mgr de Quélen qui a succédé en 1821 au cardinal de Périgord. Qu'on ne se laisse pas éblouir par cette somptueuse façade. Très grands seigneurs ou de moindre lignage, les évêques sont en général pieux, bienfaisants, simples dans leur vie intime quoique avec un certain goût de faste extérieur. Ils ne sont point dépourvus de lumière et plusieurs ont même, au début de la Révolution, ébauché quelques révérences à la liberté ; s'ils sont gallicans, c'est moins par raison théologique, ou par irrévérence envers le Saint-Siège, que par une sorte de point d'honneur qui ne leur permet de rien opposer au droit divin des rois. Beaucoup d'entre eux ont connu l'exil et s'y sont épurés. Mais en dépit de leur vertu et de leur droiture, ils ne se meuvent qu'avec gêne, timidité ou hauteur au milieu d'une société qui leur échappe et qui, elle-même, ne les comprend pas. C'est que, façonnés par les doctrines d'un autre âge, ils n'ont pas réussi à s'adapter à l'âge nouveau. Ils ne se figurent pas, ils ne peuvent se figurer une Église qui ne soit point propriétaire, qui ne préside point à l'enseignement, qui n'enregistre pas comme par vocation naturelle l'état civil des citoyens. De là, malgré leur plus honnête bonne volonté, une communion imparfaite entre eux et leurs ouailles ; de là, le plus souvent, une action toute superficielle qui se réduit aux gesticulations d'un culte très solennel et à une grande abondance de bénédictions qu'une main blanche distribue avec une grâce infinie. Le plus fâcheux, ce sont les anciennes pratiques qui, par intervalles, hantent la mémoire de ces vénérables personnages et qu'ils rappellent dans le langage le plus inopportun du monde : ainsi est-il arrivé en 1823 à M. de Clermont-Tonnerre ; ainsi arrive-t-il un peu plus tard au prince de Croy, archevêque de Rouen, qui se hasarde à évoquer l'antique coutume d'afficher les noms des paroissiens réfractaires au devoir pascal. On devine la joie des ennemis de l'Église, perpétuellement attentifs à observer leurs adversaires et à marquer tous leurs faux pas. Au-dessous de l'épiscopat s'échelonne toute la hiérarchie ecclésiastique. La Restauration a, dès le début, beaucoup fait pour le clergé. A la chute de Napoléon, beaucoup d'églises en ruines, de presbytères détruits ou inhabitables[24] : avec cela une grande pénurie de prêtres ; car il n'y a eu que six mille ordinations durant tout l'Empire[25]. On a dit ailleurs[26] les lois ou ordonnances promulguées sous le gouvernement royal pour mettre en état les édifices cultuels, améliorer la condition matérielle des ministres du culte, favoriser le recrutement sacerdotal. En dehors de ces mesures, le gouvernement a autorisé, sous le nom de Société des missions de France, une association, tolérée pendant quelques années sous l'Empire, puis dissoute, et qui, sous la direction de l'abbé Rauzan, était destinée à réveiller par de solennelles prédications les pratiques religieuses engourdies. Depuis dix ans, cette association, composée en grande partie d'anciens Pères de la Foi, étend à travers la France son apostolat. Les Pères — ainsi appelle-t-on les missionnaires — s'abattent en vrais conquérants d'âmes, sur les villes, grandes ou petites, et s'appliquent à capter les foules par des cérémonies très voyantes, trop voyantes même : prédications en plein air, conférences dialoguées, processions au long et pompeux cortège, plantations de calvaire. Souvent ils ont réussi à entraîner les masses, par exemple en 1817 à Bordeaux où leur succès a été complet ; en 1819 à Toulouse où ils sont partis au milieu de témoignages enthousiastes ; en 1820, à Marseille où ils ont pris un extraordinaire ascendant. En d'autres lieux ont éclaté des manifestations hostiles. Ainsi est-il arrivé à Brest, où les violences ont été telles que les missionnaires sont partis sans inaugurer les exercices. Malgré l'appui et les encouragements officiels, l'ensemble du clergé, tout de même que l'épiscopat, offre moins de ressources qu'on ne pourrait le croire pour la lutte qui s'annonce et grandit. C'est que des origines diverses à l'excès rendent malaisée, notamment pour le clergé des paroisses, l'action commune pour la défense de la foi. La Révolution a légué à l'époque suivante des,, prêtres admirables, plus forts que toutes les persécutions ; mais ils sont vieux, et bientôt il ne restera plus d'eux que leur souvenir. — A côté de ces prêtres vaillants, en voici d'autres très corrects dans leur ministère, pieux, bienveillants, très zélés pour tous les rites du culte et la parure de l'autel. Mais plusieurs, dans les mauvais jours, ont, soit en prêtant le serment, soit en s'effaçant jusqu'à s'annihiler, plus ou moins compromis leur dignité de chrétien. Sous l'obsession de ces souvenirs, ils ne souhaitent qu'une chose, ensevelir leur vie, se confiner dans le temple, tout assourdir autour d'eux, de crainte qu'une attitude militante attire sur eux l'attention et qu'une main indiscrète ne soulève, au moment où il commence à s'épaissir, le voile du passé. — Tout à l'opposé, de jeunes prêtres apparaissent, ardents jusqu'à l'intempérance, osés jusqu'à la témérité. Autant que leur goût d'émancipation leur permet de reconnaître un maître, ils suivent la voie où Lamennais les conduit. Ils ont appris par cœur l'Essai sur l'indifférence religieuse et en oublient Bossuet ainsi que les Pères de l'Église. Ils sont très pieux, mais surtout par accès. De ton tranchant par jeunesse et par imitation de leur chef, ils se confient volontiers en eux-mêmes, avec un curieux mélange d'inexpérience candide et d'orgueil. Surtout ils sont ultramontains ; ils le sont par doctrine ; ils le sont aussi par un calcul bien humain et presque inconscient ; car en professant une soumission presque idolâtrique envers le pontife suprême qui est loin, ils s'amnistient de ne pratiquer qu'une obéissance discuteuse ou contrainte envers l'évêque qui est tout près. Comment discipliner des éléments si divers et les rassembler en un seul faisceau ? C'est un tableau d'une variété infinie que celui de la société religieuse en ce temps-là, mais il s'offre sous un aspect curieux bien plus qu'il n'est révélateur de force. Çà et là, sur toute la surface du pays, apparaissent les débris dispersée du sacerdoce ou de l'épiscopat. — Il y a les saints, par exemple à Poitiers M. de Vareille, évêque sous l'ancien régime, non replacé sous le régime nouveau ; presque nonagénaire, il assiste au chœur à tous les offices ; pauvre, il visite les pauvres ; il aide autant qu'il le peut à toutes les fonctions épiscopales, et on ne le connaît que sous un nom : le bon monseigneur. — A côté de ceux qui vieillissent sans autre souci que leur salut, il y a ; il y a eu surtout des prélats tout absorbés dans la politique, par exemple le cardinal de Beausset qui vient de mourir. Tout perclus d'infirmités et pouvant à peine se mouvoir, il a rallié autour de lui à la Chambre des pairs les anciens amis du duc de Richelieu et formé le groupe qu'on appelle encore le groupe cardinalice. — Ailleurs, je discerne d'autres personnages qui appartiennent à la société séculière bien plus qu'à la cléricature. Faut-il ranger parmi les hommes d'Église cet abbé de Pradt que l'Empereur nomma jadis archevêque de Malines et que le pape refusa d'instituer : Homme au bavardage brillant, écrit Barante ; esprit vain et faux, dit Pasquier ; saltimbanque mitré, ajoute Chateaubriand qui complète le portrait. — Cependant, du milieu de l'ancien clergé, émerge un jeune ecclésiastique, très en évidence par son nom et que l'époque contemporaine ne comprendrait guère : c'est l'abbé de Rohan, l'abbé-duc comme on dit autour de lui. Il a servi dans l'armée, est devenu veuf en des circonstances tragiques, est entré dans les ordres. Sa dévotion est extrême ; mais en se consacrant à l'autel il n'a ni déserté son château de la Roche-Guyon, ni renoncé — en apparence du moins — à ses aises, ni congédié le cortège, à la fois pieux et mondain, de ses amis. Il a organisé dans le goût italien une chapelle toute surchargée d'ornements et qu'il pare avec une coquetterie à deux fins, pour sa satisfaction personnelle et pour la gloire de Dieu. Nul, dit un contemporain, ne dit la messe avec plus de grâce et aussi avec plus de recueillement. Puis, quand les cierges de l'autel ont achevé de se consumer, on commence à préparer les lumières pour la fête du soir. La faveur aplanira pour lui la carrière, sans que d'ailleurs il cesse d'être modeste, charmant, irréprochable de mœurs ; et comme il sied à un Rohan qui se mêle d'être d'Église, il deviendra promptement cardinal. Quelles que soient ces variétés, c'est encore parmi les évêques ou les prêtres constitutionnels, insoumis ou mal réconciliés, que se rencontrent les types les plus curieux de la société ecclésiastique. Quelques-uns sont rassemblés à Paris et, autant qu'ils peuvent se subordonner, se groupent autour de Grégoire. Ils se défendent d'être des révoltés, protestent de leur attachement au Saint-Siège, déclarent ne réprouver que les extensions abusives de la puissante romaine. Ils vivent de leur maigre pension, se logent en de petites chambres pleines de papiers et de livres, refont leurs vieux sermons, en composent à tout hasard de nouveaux qu'ils ne prononceront jamais, se repaissent à satiété de toutes les vieilles formules jansénistes ou gallicanes. A la manière de vieux sangliers solitaires, défiants et têtus, ils se tiennent perpétuellement en garde, prêts à foncer contre quiconque essaierait de les adoucir. Le plus souvent l'oubli les submerge bien avant que la mort les saisisse. Parfois, au jour des funérailles, quelque affilié demeuré fidèle veut poser sur leur cercueil les marques de leur dignité : alors un faible bruit de dispute s'élève pour l'enlèvement ou le maintien de ces insignes ; et cette rumeur seule rappelle pour un instant le nom de ceux que le monde ne connaît plus. Et à côté de ces obstinés, combien ne rencontrerait-on pas, dans toutes les provinces, d'existences cléricales qui se débattent entre l'impuissance à remonter et la honte de déchoir tout à fait ! Un peu partout on découvre de ces prêtres qui ont cessé leurs fonctions, ne les ont pas reprises et demeurent fixés en une retraite désabusée. Ils portent non la soutane mais un costume austère, c'est-à-dire cet habit à la française que prescrivaient les articles organiques. Par habitude on les appelle encore monsieur l'abbé. Souvent la Révolution qui les a roulés dans ses flots les a reportés, à la manière d'épaves, au lieu même où elle les a pris. Là, près de leur ancienne paroisse, ils vivent de leurs souvenirs : celui-ci a composé jadis une oraison funèbre de Mirabeau ou flétri dans ses prônes civiques les perfides conseillers du roi ; celui-là fut jadis instituteur et se souvient avoir, il y a vingt-cinq ans, enseigné aux enfants le catéchisme républicain, philosophique et moral de La Chabeaussière ; cet autre a été juge de paix, secrétaire de mairie, commis aux vivres. Ils sont en général secourables aux humbles, soit par bonté naturelle, soit que, mal pourvus du côté de la foi, ils veuillent se racheter du côté de la charité. Le plus souvent ils se repentent quoique en un silencieux repentir qu'un reste d'orgueil enchaîne. Des lèvres de quelques-uns l'aveu finit pourtant par s'échapper. Tel est, pour ne citer qu'un exemple, le cas d'un prêtre des Hautes-Alpes, l'abbé Pellegrin. A soixante-six ans, il reprend le culte, prêtre habitué qui aide son curé, sorte de vicaire qui s'efforce d'être vicaire tout court, bien que tout de même il demeure un peu le vicaire savoyard. Il ne dit point la messe quotidiennement, mais toujours avec une remarquable piété. Il lit, en y mettant cette fois son cœur, l'Évangile que, dans sa jeunesse, il a tenté d'épurer. Les enfants l'aiment bien, les pauvres aussi. Quand il meurt, un ami survient qui compose pour sa tombe cette inscription très laïque : Ici repose l'abbé Pellegrin, ami de l'humanité et de la nature. Heureusement une main pieuse grave en dessous en très petites lettres ces mots : Priez pour lui[27]. IX La faiblesse des catholiques ne résulte pas seulement de toutes les perturbations qui ont désorienté le sacerdoce ou l'épiscopat. Elle s'accroît par l'état même du monde laïque. Qu'on lise les Correspondances ou les Mémoires contemporains. On a le sentiment d'une société qui a beaucoup évolué, mais en tournant sur elle-même et sans s'éloigner beaucoup de son point de départ. Le grand laboratoire où les intelligences s'approvisionnent, c'est toujours le dix-huitième siècle. Les mêmes philosophes auxquels l'opposition libérale dédie des temples conservent, au plus pur faubourg Saint-Germain, des autels domestiques où un encens discret brûle en leur honneur. Tel grand seigneur, tandis qu'il déplie la Quotidienne ou le Drapeau blanc, laisse sa pensée flotter au gré de ses souvenirs. Ce qu'il revoit, c'est, en ces douces années qui ont précédé 1789, l'académie de province où se récitaient des vers impies ou grivois, la loge des francs-maçons où l'on démolissait avec une furie élégante. En dépit des épreuves qui ont suivi, l'emprise subsiste. Et tous ces souvenirs revivent, tentateurs, obsédants, tout de même que, dans les jours d'une vie conjugale apaisée, se dresse par instants, en une vision capiteuse, l'image d'une maîtresse mal oubliée. De là le plus singulier contraste entre le langage officiel, tout imprégné de pompe dévote, et le langage intime qui détruit doucement, sans aucune fausseté préméditée d'ailleurs, tout ce que l'autre vient d'affirmer. Les mêmes hommes qui sont ardents dans leurs opinions sont tout de glace en leurs croyances. En général le sens des choses religieuses manque. Guizot a raconté que, dans les réunions mondaines, par exemple chez Mme de Rumford ou Mme d'Houdetot, on ne laissait pas que de railler ses principes rigides et sa haute sollicitude pour les intérêts chrétiens[28]. Chose étrange, entre tous les salons, le plus pénétré d'influences religieuses est celui d'une protestante, la duchesse de Broglie, cette noble femme dont la correspondance révèle une vie intérieure si intense. — Des faits très suggestifs attestent un état d'esprit, fait de frivolité, de préventions héréditairement transmises, de honte de paraître chrétien. Un jour, un ministre de la Guerre très zélé tente, en organisant des prédications, de restaurer parmi les jeunes élèves de Saint-Cyr les pratiques catholiques négligées. L'école se recrutait en ce temps-là dans les familles les plus dévouées au trône et à l'autel. Pourtant le succès fut presque nul ; on laissa parler le prédicateur, et ce fut à peu près tout. Il y avait en chaque régiment un aumônier : son existence n'était tolérable qu'à la condition que, sans rien faire, il se contentât de toucher sa solde de capitaine qui le faisait vivre, et par surcroît sa ration du fourrage qui le rendait un peu ridicule. Un ami du jeune Montalembert, alors adolescent, ayant séjourné à Lyon, observe avec stupeur que, dans la pieuse cité, il a vu des familles où l'on disait la prière en commun, et des salons où était accroché le crucifix. A Paris, ajoute-t-il[29], verrait-on chose pareille ? On persifle sans pitié le très digne et très loyal baron de Damas qui, étant ministre des Affaires étrangères, se rend souvent le matin à la chapelle de l'Assomption pour y communier et plus tard organise chez lui un oratoire[30]. Le duc Mathieu de Montmorency, ce chrétien humble et magnifique, n'échappe pas lui-même à des appréciations un peu railleuses. Aux Tuileries, ou dans les autres résidences royales, les courtisans ne vont guère à la messe si le roi est empêché de s'y rendre. La bourgeoisie, même royaliste, a lu aussi les philosophes et s en souvient ; en sorte que les journaux opposants, quand ils tenteront d'attaquer, sous le couvert de la religion, la royauté, trouveront des lecteurs complaisants jusque parmi les amis de la monarchie. A un signe se reconnaît la survivance du dix-huitième siècle. On respecte la hiérarchie des évêques et des curés, telle que le Concordat l'a constituée. A la seule évocation des ordres religieux, les défiances s'éveillent. L'Assemblée constituante les a supprimés ; et la législation intermédiaire a confirmé l'abolition. Ces lois sévères n'ont pas cessé de plaire, même dans certains milieux monarchistes ; et de tout l'héritage révolutionnaire ou impérial, c'est la partie que l'on voudrait le moins répudier. C'est que toute une littérature, grossissant jusqu'à la plus cruelle calomnie des désordres très réels, s'est acharnée à flétrir en bloc les monastères et les congrégations. Puis l'horreur des révolutionnaires contre toute agrégation a gagné, comme par contagion ; et la malveillance est double pour toute association qui s'offre sous une apparence confessionnelle. Les préventions, presque universelles contre les ordres d'hommes, s'étendent jusqu'aux ordres de femmes. Ceux-ci se sont fort multipliés, au moins sous la forme de congrégations hospitalières et enseignantes. En ces conjonctures, le gouvernement, dans une pensée de faveur pour les catholiques, a demandé en 1824 que, pour les religieuses, l'autorisation légale entraînant capacité de posséder et de recevoir, pût résulter, non d'une loi, mais d'une simple ordonnance royale. Or le projet a soulevé aussitôt, particulièrement à la Chambre des pairs, des objections obstinées. Il n'a été voté qu'en 1825 et avec un très notable amendement ; car il a été décidé que l'ordonnance ne serait suffisante que pour les maisons nouvelles des congrégations déjà existantes. Pour tout ordre à créer, une loi demeurerait nécessaire. Puis on s'est appliqué à répéter que ces règles ne s'appliquaient point, ne sauraient s'appliquer aux ordres d'hommes ; car de ceux-ci décidément on ne veut pas. Ce n'est qu'avec ces retouches que la loi vient d'être votée[31]. Ce n'est pas que pour restaurer dans son intégrité le catholicisme, les apologistes aient manqué ; mais des causes diverses ont restreint ou limité leur action. Chateaubriand, dans le Génie du christianisme, n'a labouré qu'à fleur de sol le terrain que les philosophes ont, pendant cinquante ans, travaillé et retravaillé. Maintenant il semble un peu désuet. De son livre la duchesse de Broglie écrit : Cela me semble l'œuvre la plus frivole qu'on puisse lire ; il n'y a rien là pour une âme sérieuse[32]. Plus tard, dans ses conférences de Saint-Sulpice, Frayssinous a développé en un très beau catéchisme l'ensemble des vérités chrétiennes ; mais combien de semences n'ont.-elles pas séché sur le sol ou été emportées par le vent ! Dans les exercices des missions, deux prédicateurs ont émergé : le père Guyon, doué, comme personne, de tous les dons extérieurs ; le père Mac-Carthy, merveilleux dans l'improvisation et ne se pliant qu'avec des sursauts de révolte à la préparation écrite en usage dans l'ordre des jésuites où il est entré. Mais tous les deux, en leurs courses apostoliques, s'adressent aux masses plus encore qu'ils n'atteignent l'élite. Cependant, en cette époque de la Restauration, le catholicisme peut revendiquer trois grands noms : Joseph de Maistre qui achève sa carrière, puis Bonald et Lamennais. Mais aucun des trois n'attire et ne retient tout à fait. Joseph de Maistre revêt souvent la vérité de formules provocantes, ce qui est à la fois la marque et l'écueil de son génie. Bonald, pour être bien connu, exige qu'on pénètre patiemment la couche d'obscurité où ses doctrines s'enveloppent ; or, le siècle, habitué à la clarté un peu factice de Voltaire, n'aime pas à acheter, au prix de l'ennui, la lumière ; ce sera le sort de ce maître penseur d'être lu dans l'avenir plus que par les contemporains. Que dire de Lamennais ? A la fin de 1817, le premier volume de son Essai sur l'indifférence religieuse l'a classé si haut qu'une admiration aveugle a prononcé, à propos de lui, les noms de Pascal et de Bossuet. Maintenant on persiste à le trouver grand, mais d'une grandeur mal proportionnée qui effraie. Sa théologie, à la fois tranchante et peu sûre, inquiète ses amis et fournit des arguments à ses adversaires. Il surprend, .tantôt par ses violences, tantôt par les accès d'un mysticisme aride, amer et sombre. Où il faudrait persuader, il trouble ; où il faudrait échauffer, il porte l'incendie ; et ne pourra-t-on pas bientôt' lui appliquer ce mot de Voltaire sur La Harpe : Son génie est comme un four où tout brûle et rien ne cuit. X Tandis que les esprits continuent à subir l'emprise du dix-huitième siècle, on voit le pouvoir royal — et là réside le frappant contraste entre l'apparence et la réalité — multiplier les hommages officiels à l'Église. Entre toutes les pompes où se déploya cette vénération, la plus mémorable fut, à la fin de mai 1825, celle du sacre. C'était une tradition de la monarchie française que les princes, après leur avènement, vinssent demander à Dieu de bénir leur règne. Reims, doublement auguste par le souvenir de saint Rémy et la conversion de Clovis, était le lieu fixé pour une sorte d'investiture qui, par l'intermédiaire de l'Église, faisait du roi l'élu du ciel. Une série d'onctions, tracées avec une huile consacrée, tel était le rite mystique de la cérémonie. La solennité, primitivement toute militaire, s'était, avec les siècles, entourée de toutes les formes féodales ; et ces formes s'étaient perpétuées jusque dans les derniers temps de la monarchie, alors qu'il ne restait de la féodalité que des vestiges. Louis XVIII ne s'était point conformé à la coutume. L'occupation étrangère avait été pour lui un premier motif d'ajournement. Puis sa santé se fût mal pliée aux fatigues d'un cérémonial prolongé. Peut-être aussi le monarque, jugeant du scepticisme des autres par son propre scepticisme, avait-il estimé qu'en une société toute fraîchement sortie de la Révolution cette pompe surannée éveillerait plus la raillerie qu'elle n'affermirait le respect. Tout autre était Charles X. Il aspirait doublement au sacre par dévotion sincère et par désir de renouer la chaîne du passé. Il importait, en ressuscitant une coutume archaïque, de ne fournir aucune prise à l'Opposition. La cérémonie avait un certain aspect d'obédience envers l'Église qui, en posant la couronne sur la tête du prince, semblait lui conférer la permission d'être vraiment roi un mandement du cardinal de Latil, archevêque de Reims, démentit par avance cette interprétation en proclamant l'hérédité comme la vraie source du droit monarchique. Du serment que les rois prêtaient à Reims, on retrancha l'engagement d'extirper l'hérésie ; en revanche, on y ajouta l'obligation d'être fidèle à la Charte. Le serment de maintenir l'Ordre du Saint-Esprit et l'Ordre de Saint-Louis s'étendit pareillement à l'Ordre de la Légion d'honneur. Une coutume, remontant au moyen âge, conférait aux grands vassaux le privilège de présenter au roi, au jour du sacre, l'épée, le sceptre, la main de justice, la couronne. Quatre maréchaux de l'Empire furent désignés pour cet honneur. A l'époque de la Révolution, un représentant du peuple avait brisé l'ampoule qui contenait l'huile sainte. Par bonheur, on découvrit, avec un à-propos remarquable, qu'une main pieuse avait réussi à en dérober quelques gouttes ; et dès lors, sans trop approfondir, on se persuada que rien ne manquait pour l'accomplissement des rites traditionnels. Le 29 mai, à sept heures du matin, le portail de la cathédrale s'ouvrit devant le cortège royal. Les annalistes contemporains ont retracé tous les détails de la cérémonie : aux piliers de l'église les portraits des rois sacrés à Reims ; dans les deux transepts, les pairs, les députés ; dans une tribune à gauche du chœur, les membres du corps diplomatique, tous luttant de magnificence ; puis les ministres, les grands dignitaires, les princes, les princesses ; enfin sous un dais, près de l'autel, Charles X entouré de ceux de ses grands officiers chargés de figurer au cérémonial. L'archevêque traça les onctions traditionnelles sur la tête, la poitrine, les deux épaules, la jonction des deux bras. Le roi prêta le serment de maintenir la religion, de rendre bonne justice à tous ses sujets, de rester fidèle à la Charte. Alors l'officiant posant la couronne sur la tête du monarque : Vivat Rex ! s'écria-t-il. Aussitôt de toutes parts s'éleva le cri : Vive le roi ! Suivant l'usage séculaire, une volée d'oiseaux fut lâchée en signe d'affranchissement et de joie ; les trompettes sonnèrent ; le canon tonna, tandis que le chant du Te Deum marquait l'allégresse du peuple et l'action de grâces de l'Église. Sur l'heure, l'imposante beauté de la cérémonie conquit l'admiration et commanda le respect. Les jours suivants, sur l'enthousiasme refroidi la critique s'exerça. On s'amusa de la tunique du monarque, ouverte à six endroits pour permettre les six onctions ; on s'égaya de Talleyrand chaussant au roi, en sa qualité de grand chambellan, les bottines de velours violet semées de fleurs de lis. Ceux qui eussent blâmé Charles X s'il s'était uniquement entouré de grands seigneurs, ne le blâmèrent pas moins d'avoir appelé à ses côtés les maréchaux ; et la raillerie ne tarit point sur Jourdan, le vieux soldat de la République portant devant le Roi la grande couronne de Charlemagne. Puis une double plainte, discrète mais très perceptible, surgit : celle des ultras, celle des indévots, les uns reprochant au roi d'avoir juré la Charte, les autres de s'être abaissés devant l'Église. Cette impression à la fois moqueuse, malveillante et un peu déçue, se traduisit par un accueil remarquablement froid quand Charles X, le 6 juin, rentra dans Paris. C'est que les formes symboliques, même les plus augustes, ne valent que dans une société capable de s'y reprendre et de s'en pénétrer encore. Empruntés au moyen âge, les minutieux rites du sacre, à la fois pompeux et naïfs, avaient déjà un aspect désuet au déclin de la monarchie. Que serait-ce après les bouleversements de la Révolution ? Chateaubriand a, dans ses Mémoires, décrit ce qu'eût pu être la cérémonie du sacre : Je n'aurais voulu, dit-il[33], aucun faste : le roi arrivant à cheval, l'église nue, ornée seulement de ses vieilles voûtes et de ses vieux tombeaux ; les deux Chambres présentes ; le serment de fidélité à la Charte proclamé à haute voix sur l'Évangile. L'admirable écrivain, qui excella toujours à montrer après coup ce qu'on aurait dû faire, n'eut-il pas cette fois raison ? Cette simplicité eût, selon toute apparence, plus impressionné qu'aucune pompe ; et dans la vaste cathédrale, l'imagination eût recomposé, en une vision bien plus puissante qu'aucun décor archaïque, toute la grandeur de la monarchie s'inclinant sous la grandeur souveraine de Dieu. Aujourd'hui, de cette cérémonie royale, la dernière que Reims ait vue, il ne reste qu'un seul vestige. Il n'est guère de Parisiens qui n'aient conduit un jour leurs enfants à Versailles et, poussant jusqu'à Trianon, ne leur aient montré une magnifique voiture fouillée comme par la main du plus habile des sculpteurs et tout éclatante de dorures. C'est, disent-ils, la voiture du sacre de Charles X. Et le soir, les enfants rentrés dans Paris, rêvent de ces splendides carrosses dorés qu'on ne refera plus jamais. XI Surabondance de cérémonies religieuses officielles, tiédeur réelle de beaucoup d'âmes, tel est l'état général. Cependant, en cette ambiance, une association s'est fortifiée où se sont réfugiées les pratiques chrétiennes ailleurs négligées ou dédaignées. Cette association mérite qu'on S'y arrête, ne fût-ce qu'à raison des hostilités qu'elle a soulevées. On l'appelle la Congrégation. L'institution était ancienne. Elle avait été fondée en 1801, sous l'invocation de la Vierge Marie et sous les auspices d'un ancien religieux, le père Delpuits. L'objet était la prière, les bonnes œuvres et le développement de la vie intérieure par l'édification mutuelle. Au début, peu d'adhérents : quelques étudiants, quelques hommes jeunes parmi lesquels Laënnec et Cauchy ; puis au-dessus d'eux, et déjà d'âge mûr, Mathieu de Montmorency. Quand Napoléon eut décidément rompu avec le Saint-Siège, il s'appliqua à découvrir, pour les supprimer, toutes les institutions pieuses tolérées jusque-là. Donc la Congrégation fut dissoute. N'avait-elle pas mérité son destin ? C'était par les soins de quelques-uns de ses membres qu'avait été répandue en France la bulle d'excommunication de l'Empereur. Les associations religieuses sont malaisées à détruire, parce que ceux qui les composent, même frappés par les lois ou séparés par les distances, peuvent toujours se rejoindre par l'union en Dieu. Ainsi renaissent-elles malgré tous les édits, comme le lierre coupé repousse dans les bois. La Congrégation subsista, atteinte mais non jus qu'à mourir, et gardant en secret ses règles, ses registres, les noms de ses adhérents. En 1814, elle reparut. On la retrouve, tenant tous les quinze jours ses réunions au Séminaire des missions étrangères. La direction a passé du père Delpuits à l'abbé Legris-Duval, qui, lui-même, sera bientôt remplacé par le Père Ronsin, un ancien Père de la Foi devenu jésuite. Les affiliations se multiplient, mais dans des milieux très divers : beaucoup de hauts personnages, beaucoup d'hommes obscurs aussi ; un jour an reçoit le prince Jules de Polignac, mais vers le même temps un fabricant de bronze, un petit employé, un dentiste. Cependant le nombre des congréganistes, qui était de 395 au moment de la première dispersion, s'élève en 1815 à 467 ; en 1822 il a atteint mille ; maintenant il monte à douze cents, chiffre qu'il ne dépassera guère[34]. En se développant, l'association n'a-t-elle pas dévié ? Je parcours la liste de ses membres. J'y vois des évêques ; j'y vois, à côté de beaucoup de noms plébéiens, des hommes de la plus haute naissance qui s'appellent Clermont-Tonnerre, Levis-Mirepoix, Croy, Contades, Foresta, sans compter le duc de Rivière qui sera bientôt gouverneur de l'héritier du trône. L'espoir de tels patronages ne provoque-t-il pas des affiliations, inspirées par esprit d'intrigue plus que par piété ? Et la tentation ne s'est-elle pas accrue depuis qu'à Louis XVIII a succédé le dévot Charles X ? De cet esprit d'intrigue la presse opposante semble
persuadée. A l'envi elle grossit le chiffre des affiliations et estime en un
jugement sommaire que l'association n'est qu'un marchepied pour atteindre aux
honneurs. Je ne doute pas que certaines adhésions n'aient été dictées par des
vues très humaines et le désir de se pousser dans les fonctions publiques ou
la faveur des grands. Cependant la sagesse commande d'écarter les
exagérations où les contemporains se sont complus. L'avènement de Charles X a
eu beau fortifier les influences religieuses. Dans l'administration, les
finances, l'armée, les cadres créés sous le Consulat et sous l'Empire ont été
conservés en grande partie ; or, ces sphères officielles sont demeurées assez
impénétrables aux ingérences catholiques ; et, si l'on est contraint d'y
céder, on s'applique à ressaisir, dès qu'on le peut, les concessions
consenties à regret. Certains chiffres sont suggestifs : dans l'armée les
congréganistes, au moins ceux de Paris, sont cinquante-deux en tout[35]. Dans les corps
judiciaires, il semble que l'élément clérical ait tenté de s'introduire
davantage ; mais comme les vieux magistrats des cours royales, notamment à
Nancy et à Amiens, réagissent aussitôt et se révoltent ! Pour le clergé, nous
avons le témoignage très positif de Frayssinous, ministre des Affaires
ecclésiastiques. Le 25 mai 1826, à la Chambre des députés, il s'exprimera en
ces termes : Je puis défier toute congrégation
quelconque de prouver qu'une seule de mes propositions m'ait été dictée par
elle. Trouve-t-on du moins, dans les Chambres, la trace de l'influence
des congréganistes ? Voici le témoignage que leur rend Villèle[36] : Je dois à la vérité de déclarer que, pendant mon
ministère, ils n'ont jamais montré la moindre exigence, soit comme individus,
soit comme corps, pour obtenir des faveurs particulières ou imposer des
mesures générales. A côté des solliciteurs intéressés ou des intrigants, combien de jeunes hommes n'ayant en vue que Dieu, l'Église, leur pays ! A l'inverse des générations précédentes, ils ne se contentèrent point d'honorer la religion, mais s'appliquèrent à discerner et à remplir les devoirs que leur imposait leur titre de chrétien. Ainsi formèrent-ils, dans la grande association, de petits groupements comme la Société des bonnes études où ils s'exercèrent à devenir, par la parole ou la plume, les utiles propagateurs de leur foi. Les yeux fixés sur l'Évangile, ils en dégagèrent l'enseignement souverain, c'est-à-dire la perpétuelle exhortation à la charité ; et de tous côtés ils amorcèrent des œuvres, œuvres pour les prisonniers, pour le patronage des libérés, pour les malades des hôpitaux, pour les enfants abandonnés. Ce ne furent souvent que des ébauches, parfois viciées par inexpérience ou présomption, mais que d'autres ressaisiront et transformeront en vraies fondations. Nous sommes en 1825 ; et tout ce travail de rénovation chrétienne n'apparaît qu'à l'état de gestation. Encore quelques années, et l'on pourra saisir les premiers fruits d'un apostolat qui se continuera pendant tout le dix-neuvième siècle. En se continuant, il se modifiera. Ce ne sera plus l'ancienne congrégation du temps de Charles X, servante et auxiliaire — quoique plus indépendante qu'on ne l'a cru — du trône et de l'autel. Mais, sous des apparences différentes, soue un programme élargi et désormais teinté de liberté, le zèle sera le même et en outre plus efficace, parce que nulle malveillance, si attentive soit-elle, n'en pourra suspecter l'entière pureté de vues. Douloureusement atteints dans leurs espoirs monarchiques, mais non découragés du travail et de l'effort, les ouvriers du relèvement chrétien ne feront que changer une grandeur contre une grandeur plus grande et, simplifiant toutes choses, ils iront des rois à Dieu. XII Contre cette société religieuse dont je viens de décrire les éléments se dresse l'autre France, la France voltairienne, étonnamment vigoureuse encore, et forte de tout ce qu'un siècle de prédications philosophiques lui a inoculé. Pour cette lutte, la presse est l'instrument, instrument manié avec la plus infatigable persévérance, et aussi avec la plus inscrupuleuse habileté. Qu'on parcoure la collection des journaux opposants. En matière politique, on se contient encore ; en matière religieuse, on s'étale. Ce n'est pas qu'on ne se colore de modération. Quand on dénonce — sans le définir d'ailleurs — l'ultramontanisme, on se hâte de rendre hommage à l'essence de la religion, de rendre hommage aussi aux rois, qui, comme Louis XIV et saint Louis, ont limité les prétentions romaines, en telle sorte qu'aucun vrai catholique, qu'aucun vrai monarchiste ne peut se dire atteint. On attaque les jésuites ; mais n'est-on point en règle avec le pouvoir civil qui les a proscrits, avec la papauté elle-même qui les a supprimés ? : Après avoir flétri l'intolérance sacerdotale, on ne manque pas de découvrir — quitte à l'inventer — quelque pasteur patriote, affranchi des liens du fanatisme, bienfaisant comme le curé du Dictionnaire philosophique, doux rêveur comme le vicaire de l'Émile ; et une révérence à ce prêtre tolérant permet de calomnier, avec une apparence d'impartialité, tous les autres. Par intervalles, on juge qu'un peu d'étalage théologique ne saurait nuire. On s'avise alors de commenter la déclaration de 1682 : ici le langage est grave, édifiant même, et une autre révérence, cette fois à Bossuet, absout tous les sophismes et toutes les ignorances ; car rien n'égale le profit qu'on extrait de Bossuet si ce n'est toutefois les avantages qu'on tire de Tartufe. Ainsi sape-t-on la religion sous couleur de gallicanisme, comme on ébranle la monarchie en criant : Vive la Charte ! A ce degré, la confusion est complète ; car on arrive à ce point d'inconséquence qu'en invoquant les édits de Louis XIV ou de Louis XV, on croit faire échec à l'ancien régime ; et qu'en sollicitant l'intervention du pouvoir dans les affaires religieuses, on se donne l'air de servir la liberté. Nul scrupule pour grossir les nombres : ainsi affirmera-t-on bientôt que la Congrégation compte 48.000 membres. On est au début du romantisme, et l'on s'en aperçoit bien à la façon de dramatiser toutes choses. Un calvaire a été érigé au mont Valérien : ce calvaire où les fidèles viennent prier est dénoncé comme symbolisant l'emprise de la société religieuse sur la société civile. Le noviciat des jésuites ne s'appelle que l'antre de Montrouge. On annonce un jubilé pour 1826 ; et déjà l'on croit voir surgir de tous côtés les hommes noirs. Cependant quand on sent que la mesure est dépassée, bien vite, en une évolution opportune, on se couvre de l'intérêt national, de l'intérêt même de la couronne. Ce qu'on veut, c'est replacer la France en ses véritables voies ; c'est arracher le roi aux conseillers aveugles qui le perdent. Et ce qui achève de rendre dangereuse cette opposition, c'est que parfois elle se pare de sagesse et glisse même quelques avis très raisonnables. Si puissant que soit le journalisme quotidien, l'opposition ne dédaigne pas d'appeler à son secours. des forces auxiliaires. C'est d'abord le livre. Pour composer une littérature à souhait, on réimprime les œuvres du dix-huitième siècle ; un ancien militaire du nom de Touquet se spécialise même dans cette industrie. A l'époque où nous sommes, l'Ami de la religion établit, d'après un rapport adressé au ministre de l'Intérieur, la nomenclature des ouvrages réédités : douze éditions de Voltaire, treize de Rousseau, trois de Diderot. Voltaire, plus ou moins abrégé, est approprié à l'esprit et aux loisirs de toutes les conditions : il y a le Voltaire de la grande propriété, le Voltaire de la moyenne propriété, le Voltaire des chaumières. Il y a aussi les éditions de Tartufe à trois sous. On réédite en outre le Système de la nature de d'Holbach, l'Origine des cultes de Dupuis, les Ruines de Volney. On assure que, tout compte fait, plus de 2.700.000 volumes ont été en sept années jetés de la sorte dans la circulation[37]. Un autre moyen de conquérir le public, c'est la caricature. J'en ai sous les yeux plusieurs : celle-ci représente un interminable défilé de moines rentrant en France ; celle-là figure Minerve protégeant contre le fanatisme Voltaire et Rousseau ; une troisième se contente de montrer — sans commentaire, mais c'est au public à comprendre — une collection d'éteignoirs. Paul-Louis Courier vient de mourir ; mais Béranger bat son plein ; et entre tous les ennemis de l'Église et de la monarchie, c'est le plus dangereux. Il vient de faire paraître le troisième recueil de ses Chansons. Il a moins de talent que ses contemporains l'imaginent ; il en a beaucoup plus qu'on ne le croit aujourd'hui. Son lyrisme calculateur a jaugé le sentiment public afin d'y accommoder sa muse. Il chante l'Empereur, non l'empereur couronné, mais l'empereur démocratique, l'homme à la redingote grise. Il est libertin en ses vers, mais d'une licence prudente, juste à la mesure d'un commis voyageur qui, le soir sous la tonnelle, embrasse une fille d'auberge. La même réserve madrée l'inspire quand il touche à la religion. Est-il impie ? Son habileté est de ne pas le paraître à fond. Il marche en avant, mais pas trop vite, et en se retournant fréquemment pour s'assurer qu'on le suit. Il raille ; il ridiculise ; il insinue le doute ; il déverse le mépris, mais sans être jamais l'osé négateur qui se dresse en son incroyance. Or, ce qui lui communique dans le recul des temps un certain aspect subalterne, est précisément ce qui lui assure l'empire sur les contemporains. Il ne les dépasse pas ; il leur persuade qu'ils ont de l'esprit, en ayant le même esprit qu'eux ; il les interprète, et en une langue non sans éclat, quoique propagatrice d'idées vulgaires. Quand il a bien joué l'incroyance, il s'arrête, se ravise à demi et accroche à un palier un dieu débonnaire, sorte de roi d'Yvetot à l'usage de l'autre vie, et qu'il appelle le Dieu des bonnes gens. Sa force consiste à se fixer lui-même à la portée de tout le inonde, du villageois qui n'aime pas son curé, du bourgeois esprit fort quoique non foncièrement, du militaire que l'aumônier importune, du commis voyageur qui aime à charmer d'un peu de grivoiseries les longs voyages en diligence, de certains gentilshommes qui, si royalistes qu'ils soient, aiment à s'amuser après boire. De là, pour lui, une innombrable clientèle ; de là, une influence immense, quoique factice et passagère. Il est le porte-parole à la fois hardi et timide de toute une foule, hardie et timide aussi, qui raille toujours, blasphème parfois, mais qui, tout en badinant joyeusement avec Dieu, s'effraierait de l'effacer tout à fait. En leurs écarts, les journalistes ressentent bien par intervalles une crainte, celle des cours royales à qui la loi de 1822 a transféré le jugement des affaires de presse. Mais, en matière religieuse, trop d'appréhension serait excessif. Parmi les magistrats, beaucoup appartiennent à la Révolution et à l'Empire. D'autres, quoique très royalistes, sont demeurés incrédules. Quelques-uns se rencontrent encore que l'ambiance janséniste a saisis dès la jeunesse et qui, au cours de leurs études, se sont pénétrés de gallicanisme jusqu'aux moelles. Ils persistent à résider au Marais, en ces demeures qu'ont habitées leurs ancêtres du Parlement. Ils sont sévères de doctrines, solennels de manières, austères de mœurs. Chaque dimanche, un très gros livre d'heures à la main, on les voit assister avec une piété rigide aux offices de leur paroisse, à Saint-Paul ou à Saint-Louis-en-l'Île. On ne peut douter qu'ils ne se soient fixés dans la ferme résolution d'être impartiaux ; mais le seul nom de jésuite, le seul nom d'ultramontain ne réveillera-t-il pas chez eux, fût-ce à leur insu, toutes les haines ancestrales engourdies ? XIII Journalistes et écrivains n'ont pas tardé à pénétrer cette heureuse condition. Aussi comme ils exploitent jusqu'à plein rendement la mine anticléricale ! Cependant le plus habile à en utiliser les moindres filons est le Constitutionnel. C'est le grand journal de l'Opposition et une vraie puissance. Il a eu des débuts difficiles. Maintenant tous les obstacles sont surmontés. Il a, ce qui est considérable pour le temps, 20.000 abonnés. Ses actions rapportaient 4.000 francs sous le ministère Decazes, 12.000 sous le ministère Richelieu ; sous le ministère Villèle elles rapportent 28.000 francs[38]. Ses rédacteurs s'appellent Étienne, Gay, de Jouy, Tissot, écrivains aujourd'hui oubliés, mais non sans talent et propres à donner un certain aspect de tenue littéraire au journal qu'ils servent de leur plume. Ce qui fait le succès du Constitutionnel est précisément ce qui devrait le vouer à l'échec. Il n'a ni doctrines, ni hautes règles directrices ; il est vulgaire de pensées, hardi par intervalles, mais avec des retours prudents et cauteleux comme il arrive à ceux qui commencent à devenir riches. En quoi il ressemble à sa clientèle qui s'habitue à le suivre parce qu'elle s'incarne en lui. A qui le comparer ? Les vieillards qui ont connu sous le Second Empire le journal le Siècle, pourront se faire une idée de sa manière. Il est démocratique, mais d'une démocratie qui ne descend pas jusqu'aux pauvres et ne s'éclaire d'aucun rayon de charité sociale. Par instants, il fait sortir à demi de sa gaine le drapeau tricolore, juste assez pour conquérir les militaires ; et de fait il réussit ; car on cite tel régiment où il compte parmi ses abonnés le colonel, un chef de bataillon, dix capitaines[39]. Est-il libéral ? Il s'indignerait qu'on le soupçonnât de ne pas l'être, mais la liberté ne vaut pour lui qu'à la condition d'être une arme à tourner contre le parti prêtre. Entre tous les articles qu'il offre à sa clientèle, le rayon de choix est, en effet, l'article irréligieux. C'est à partir de cette année 1825 que le débit est le plus abondant. Nul scrupule ni même aucune prétention à en paraître avoir, mais juste une petite poussière de vérité pour saupoudrer le mensonge. On dénonce les missionnaires, ces prédicateurs ambulants ; on insiste avec des sous-entendus perfides sur leur vie aventureuse, sur les repas succulents qui les attendent, sur la caravane mondaine qu'ils traînent après eux[40]. Puis on oppose à ce clergé voyageur les vertueux curés qui n'ont pour vivre que leur modeste casuel et les produits de leur jardin. Que les curés, si vertueux qu'ils soient, ne se hâtent pas de s'attendrir. Des missionnaires à eux la transition est aisée : celui-ci est accusé pour refus de sépulture chrétienne ; celui-là pour avoir, du haut de la chaire, invectivé une de ses auditrices. En général ni lieu, ni nom, ni date ; ce qui ne permet ni de rechercher ni de confondre la calomnie. Un jour on publie une longue lettre — d'où vient-elle ? on ne le dit pas — d'un groupe de commis voyageurs — on ne cite aucun nom — qui rassemblent une poignée de faits à la charge de l'autorité ecclésiastique : un premier curé n'a point voulu agréer pour marraine une jeune fille qui n'avait point suivi les exercices de la mission ; un second curé a privé des honneurs funèbres un avocat qui avait appelé un autre prêtre à ses derniers moments ; un troisième curé a refusé d'entendre la confession d'un jeune homme qui s'obstinait à vouloir se rendre à Paris, la nouvelle Babylone[41]. Des curés, il arrive parfois qu'on se hausse jusqu'aux évêques : M. de Quélen va partir pour Rome. Ne serait-ce pas, dit-on, pour négocier un arrangement qui assurerait au clergé une dotation en terres ou du moins en rentes, ce qui l'affranchirait du gouvernement[42]. Rien n'est trop sot pour le public ; aussi pourquoi s'arrêterait-on ? Voici qu'on dénonce dans la région de Lyon des coteries de convertisseurs organisées pour engager ou contraindre les protestants à se faire catholiques[43]. Un autre jour, le 15 mai, on se hasarde à préciser : les protestants de Nérac au nombre de 2.600 ont été, affirme-t-on, expulsés du temple qu'ils possédaient en cette ville ; le curé a pris possession de ce temple et a chanté le Te Deum ; puis il est monté en chaire et a jeté l'anathème sur les hérétiques que le doigt de Dieu venait de chasser[44]. L'intolérance serait manifeste si les faits, ainsi qu'on l'apprendra un peu plus tard, n'étaient de pure invention. Deux ans auparavant a été créée à Lyon l'œuvre — destinée à devenir fameuse — de la propagation de la foi. Comme on ferait d'une sensationnelle découverte, le Constitutionnel dénonce cette ténébreuse société de fidèles des deux sexes qui a pour objet d'aider les missionnaires par des prières et surtout des aumônes. Chaque affilié est tenu de donner un sou par semaine. Les chefs de section, c'est-à-dire de dix personnes, recueillent les aumônes de leur section ; dix sections forment une centurie. Le journal poursuit en ces termes : Pour connaître l'esprit de l'association, il suffit de dire que parmi les invocations prescrites se trouvent celle-ci : Saint François-Xavier, priez pour nous. Puis, soit pour éclairer les lecteurs peu instruits, soit pour rendre l'information plus savoureuse, on ajoute : On sait que ce saint était un jésuite[45]. Les jésuites ! c'est par eux que tout bon libre penseur est tenu en ce temps-là de commencer et de finir. Le 27 avril on dénonce les frénétiques de Montrouge. Le 4 mai, on proclame que les jésuites sont les maîtres et les instigateurs des Jacques Clément, des Châtel, des Ravaillac. Le jugement se condense enfin en une phrase : Les jésuites sont les ennemis éternels du trône, du peuple et de l'autel du vrai Dieu[46]. On dit que, dans les bureaux même du Constitutionnel, ces articles étaient appelés les articles bêtes. Il ne suffit pas d'être bête pour être inoffensif. Ainsi en jugea Charles X. Il estima que sa charge de roi très chrétien lui commandait d'intervenir. Des poursuites pour outrages contre la religion de l'État furent ordonnées contre le Constitutionnel et aussi contre le Courrier français qui s'était associé aux mêmes attaques. On touchait aux vacances judiciaires, en sorte que le procès ne vint à l'audience qu'après la rentrée des tribunaux. La juridiction compétente était celle de la cour royale jugeant, deux chambres réunies, en audience solennelle. Le 21 novembre 1825, les magistrats de la première et de la deuxième chambre, tous en robe rouge, entrèrent en séance sous la présidence du premier président Séguier. Dans la grande salle, pas une place vide tant ce débat, à l'issue depuis si longtemps attendue, passionnait ! Au fauteuil du ministère public, M. de Broé, avocat général, homme de sagesse et de savoir au dire des contemporains, mais voué au ridicule par l'impitoyable raillerie de Paul-Louis Courier. A la barre, deux avocats : Dupin aîné pour le Constitutionnel, Mérilhou pour le Courrier français. La prévention établit sans peine que, sous le voile de l'ultramontanisme ou du jésuitisme, se cachait le dénigrement systématique de la religion. A l'audience suivante, le 26 novembre, Dupin aîné se leva : une physionomie commune mais non sans originalité ; une parole vulgaire mais familière et lucide ; beaucoup d'adresse et d'autant plus dangereuse qu'elle se cachait sous la brusquerie ; quelque chose d'abrupt et de retors, une érudition rare, des bons mots et jusqu'aux lazzis ; un esprit frondeur mais sachant s'assouplir jusqu'à devenir presque servile, tout en se parant toujours de bonhomie et d'indépendance. Tout l'art serait de dégrader la cause, de la trans former, de telle sorte que la religion parût sauve, plus encore la monarchie, et que les seuls ennemis dénoncés par le journal fussent les ultramontains que les magistrats détestaient et les jésuites que leurs devanciers avaient proscrits. Dupin commença par un ample hommage aux libertés gallicanes chères à son client, comme elles l'avaient été aux anciens Parlements. Il parla de Charles X comme l'eût fait le meilleur des courtisans et devenu tout à coup de brusque, adulateur, l'appela le roi chevalier. Puis il prit sa revanche sur les ministres, mais en un langage prudent qui ne cessait jamais de se surveiller. A ce point du discours, une parole du président de Harlay s'enchâssa avec beaucoup d'à-propos. Les sujets les plus courageux, avait-il dit à Henri IV, sont aussi les plus fidèles. Après cet appel à l'indépendance judiciaire, le défenseur abordait le procès lui-même : C'est, dit-il, un procès de tendances, c'est-à-dire un procès qui crée un délit avec quarante fractions de choses non délictueuses. Il poursuivit : Nous avons, prétend-on, attaqué la religion. Est-ce l'attaquer que de signaler les abus qui la déshonorent ? Ayant parlé de la sorte, Dupin prit l'offensive : La religion n'est pas menacée, mais l'État l'est peut-être. Il l'est par le réveil de l'ultramontanisme, par les associations non autorisées qui pullulent sur tout le territoire ; et la plaidoirie finit par un appel à Bossuet. Le 28, ce fut le tour de Mérilhou. Même affluence dans la
salle, même attente passionnée autour de l'enceinte. Dupin avait parlé de la
religion avec déférence. Comme jaloux de surenchère, Mérilhou, naguère l'un
des chefs du carbonarisme, tint un langage presque dévot. Il s'appliqua à
marquer tout ce que le Courrier français n'avait jamais attaqué : Nous n'avons méconnu ni l'existence de Dieu, ni la
révélation du christianisme, ni la mission divine de Jésus. Qu'avons-nous
dénoncé ? De faux miracles, certains ordres religieux, les fautes de certains
prêtres. Comme Dupin, le défenseur s'éleva contre les procès de
tendance : Vous prenez, dit-il, des articles innocents ; voue les incriminez par les intentions
que vous leur supposez ; puis vous vous autorisez de ces intentions mêmes
pour constituer le délit. En la plaidoirie, un seul aveu : la haine
des jésuites. Oui, dit Mérilhou, nous les avons attaqués avec persévérance. Comme
Dupin, Mérilhou finit en flétrissant l'ultramontanisme ; et tout de même que
son confrère s'était autorisé de Bossuet, il invoqua saint Louis. L'audience fut remise pour statuer. Le 3 décembre 1825, la cour rentra en séance, et le premier président Séguier prononça l'arrêt. Les deux journaux étaient acquittés. Toutefois ils étaient invités, en une débonnaire mercuriale, à se montrer à l'avenir plus circonspects. Dans tout le parti libéral, la joie éclata, une joie que nous ne comprenons plus et qui fut poussée jusqu'au délire. Séguier devint populaire, et à la façon des parlementaires d'autrefois quand, sous l'ancien régime, ils avaient donné une leçon à la monarchie. On cria : Vive la cour royale ! Vive la Charte ! et naturellement aussi : A bas les jésuites ! Charles X, piqué au vif, ne contint point son dépit. Nous avons une bien sotte magistrature, écrivait-il à quelque temps de là à Villèle. |
[1] Voir lois du 10 mai 1806, du 17 mars 1808, du 17 septembre 1808 (DUVERGIER, Collection des lois, t. XV, p. 440, et t. XVI, p. 269 et suiv., p. 842).
[2] GUIZOT, Mémoires, t. I, p. 51 et 416. — POUTHAS, Guizot sous la Restauration, p. 61 et suiv.
[3] Chambre des députés, séance du 25 février 1817.
[4] Mercure de France, octobre 1817, p. 53 et suiv.
[5] Œuvres complètes de Lamennais, t. VI, p. 356 et suiv.
[6] DUVERGIER, Collection des lois, t. XXIII, p. 306.
[7] Rapport du 28 octobre 1820 (Archives nationales, BB30, carton 237).
[8] Voir Archives nationales, série F17, liasse 1748. — On sait qu'en ce temps-là, les conseillers généraux n'étaient point élus ; mais ils étaient choisis en général avec grand soin, parmi les hommes les plus notables du département, et à ce titre une très réelle autorité s'attache à leur témoignage.
[9] Voir GRATRY, Souvenirs de ma jeunesse, p. 22. — MONTALEMBERT, Lettres à un ami de collège, passim. — Abbé BAUNARD, Vie du vicomte Armand de Melun, p. 14. — Abbé DE LADOUE, Vie de Mgr de Salinis, p. 51. — Armand DE PONTMARTIN, Mémoires, t. I, p. 37. — Voir aussi dans la Confession d'un enfant du siècle, 1re partie, chap. II, le témoignage d'Alfred de Musset.
[10] Archives nationales, série F17, liasses 5639, 5644, 5604.
[11] Rapport cité par l'abbé GARNIER, Frayssinous, son rôle dans l'Université, p. 57.
[12] GARNIER, Frayssinous, p. 268 et suiv.
[13] Déclaration de Royer-Collard à la Chambre des députés, 10 juillet 1819.
[14] Archives nationales, série F17, liasses 5618 et 5634.
[15] DE LADOUE, Vie de Mgr de Salinis, p. 55.
[16] Voir Henri DE RIANCEY, Histoire de l'instruction publique en France, t. II, p. 379-381.
[17] On trouvera le texte de cette lettre dans les Œuvres complètes de Lamennais, t. VIII, p. 355.
[18] On appelait ainsi une congrégation religieuse, proscrite par Napoléon après une assez courte existence, congrégation très distincte des Jésuites, mais animée du même esprit, et tendant à rapprocher ses règles de celle de saint Ignace.
[19] Père BURNICHON, la Compagnie de Jésus en France, t. I, p. 139, note.
[20] BURNICHON, la Compagnie de Jésus en France, t. I, p. 285.
[21] Papiers de Cuvier, n° 285. (Bibliothèque de l'Institut de France.)
[22] Voir Œuvres complètes de Lamennais, t. VIII, p. 423 et suiv.
[23] Cette malheureuse loi non seulement ne fut pas appliquée, mais provoqua, par réaction, une série d'acquittements systématiques, par exemple (jury de la Creuse) acquittement d'une femme qui avait volé une botte en argent destinée à contenir les Saintes Huiles ; acquittement (jury de la Seine) d'un homme qui. avait ouvert avec effraction le tronc de l'église Saint-Merry ; acquittement (jury de la Corrèze) d'une femme qui avait volé un tapis et une nappe d'autel. (Archives nationales, F19 5599.)
[24] Rapports des préfets, 1er juin, 22 juin, 29 juillet 1819. (Archives nationales, F19.)
[25] Chambre des députés, 4 février 1816, rapport de M. Roux de Laborie.
[26] Voir Louis XVIII, livre VII, § 7.
[27] Joseph CHAUVET, l'Abbé Pellegrin, véritable vie et carrière d'un vicaire savoyard, passim.
[28] GUIZOT, Mémoires de mon temps, t. I, p. 19.
[29] Lettres à un ami de collège, p. 45.
[30] Baron de DAMAS, Mémoires, t. II, p. 111-112.
[31] Loi du 24 mai 1825. (DUVERGIER, Coll. des lois, t. XXV, p. 159.)
[32] BARANTE, Souvenirs, t. II, p. 461.
[33] Mémoires d'outre-tombe, t. IV. p. 307 (édit. Biré).
[34] Voir GEOFFROY DE GRANDMAISON, la Congrégation, p. 314. — Il y eut en outre une soixantaine d'associations établies en province, parmi lesquelles vingt à vingt-cinq dans les collèges Ou petits séminaires. (GEOFFROY DE GRANDMAISON, la Congrégation, appendice p. 382.)
[35] GEOFFROY DE GRANDMAISON, la Congrégation, p. 288.
[36] VILLÈLE, Mémoires et Correspondance, t. I, p. 197.
[37] Ami de la religion, 4 juin 1825.
[38] Discussion de la loi sur les tarifs postaux ; Chambre des députés, 2 et 3 février 1827.
[39] Commandant BARRÈS, Souvenirs d'un officier de la grande armée, p. 224.
[40] Constitutionnel, 19 mai 1825.
[41] Constitutionnel, 3 mai, 6 juin, 11 juin 1825.
[42] Constitutionnel, 16 juin.
[43] Constitutionnel, 9 juin.
[44] Constitutionnel, 6 mai.
[45] Constitutionnel, 6 mai 1825.
[46] Constitutionnel, 4 et 8 mai 1825.