I Les traités de 1815 avaient conféré à l'Autriche la souveraineté de la Lombardie et de l'ancienne république de Venise. Des conventions particulières et des alliances de famille lui avaient assuré, en outre, une sorte de protectorat sur les États secondaires de la Péninsule. L'Italie avait subi plutôt qu'accepté cette combinaison de la politique. Ce n'était pas que le Gouvernement de Vienne prit plaisir à opprimer ses sujets d'au delà des monts : bien au contraire, il avait de leurs intérêts matériels un juste souci. Mais la langue, les mœurs, les goûts, les traditions, tout séparait les deux peuples. Le dédain et la raillerie sont la ressource des faibles. L'Italien railla le Tudesque : le Tudesque à son tour, poussé à bout, alourdit le poids de sa domination. Dans cette rivalité où l'amour-propre tenait plus de place encore que le patriotisme, on s'exaspéra de part et d'autre. L'Italien naturellement doux, affable, poli jusqu'à l'obséquiosité, s'ingénia avec un art infini à froisser ceux qu'il appelait ses oppresseurs. L'Autrichien, naturellement bon et de commerce facile, devint tracassier et hautain. Le temps accrut, loin de l'adoucir, cette incompatibilité d'humeur : et la lutte parfois aiguë jusqu'à la violence, le plus souvent sourde et dissimulée, ne tarda pas à lasser le peuple dominateur presque autant que le peuple conquis. En quête de protecteurs, le peuple italien se tourna vers la France. La communauté d'antipathie noua les liens de l'alliance. L'Autriche apparaissait comme la principale bénéficiaire des traités de 1815, et, à ce titre, l'esprit public français lui était hostile. En outre, elle était restée, aux yeux d'un grand nombre, l'ennemie héréditaire ; et l'on ne calculait guère que. si elle détenait encore la puissance, les vues ambitieuses déjà germaient ailleurs. On voyait enfin dans le cabinet de Vienne l'adversaire constant non moins que passionné des principes de la Révolution française, et cette raison, s'ajoutant à toutes les autres, entretenait chez nous la malveillance. Ce qui acheva de sceller l'union, c'est que le nom de l'Italie était aussi populaire en France que celui de l'Autriche l'était peu. L'Italie était pour les catholiques le siège de la religion ; pour les âmes éprises du beau, la patrie des arts ; pour les esprits méditatifs, la terre des grands souvenirs ; les uns l'avaient visitée aux jours bénis de leur jeunesse, et leurs impressions s'étaient encore embellies de tout ce que les joies du cœur ajoutent à la beauté des lieux ; les autres y étaient revenus après de poignantes épreuves et, au milieu de ces grandes ruines, avaient trouvé la paix. On aimait tout dans ce beau pays, son climat qui était si doux, ses monuments qui étaient si merveilleux, sa langue qui était si mélodieuse ; on aimait cette terre privilégiée ; on l'aimait d'autant plus qu'elle semblait comme voilée par la servitude et que le malheur lui imprimait une grâce plus touchante. L'Italie est la poésie de la liberté, avait dit lord Byron. Chez nous phis que partout ailleurs, cette parole avait trouvé de l'écho. C'était en France une opinion commune que les peuples de la Péninsule devaient être indépendants et libres. nul ne pressentait alors que, si l'avenir réalisait cette pensée, l'Italie, obéissant au courant de ses intérêts, deviendrait pour nous une rivale, non une alliée. Pendant longtemps, l'Italie, par ses imprudences, justifia les rigueurs de ses maîtres et lassa les sympathies de ses amis. C'est par les insurrections ou les complots qu'elle se flatta d'accomplir sa libération. En 1820 et en 1831, des soulèvements éclatèrent, soit dans le nord de la Péninsule, soit dans les États pontificaux. En 1843 et en 1845, des mouvements partiels se produisirent dans le gouvernement de Bologne, et spécialement à Rimini. En 1844, quelques aventuriers, parmi lesquels deux jeunes officiers de marine, les frères Bandiera, débarquèrent en Calabre dans l'espoir d'y propager la révolte. Ces tentatives, œuvre d'esprits criminels ou chimériques, furent étouffées dans le sang ou couvertes d'un dédaigneux pardon. Elles fournirent aux adversaires de l'Italie l'occasion de proclamer l'excellence de leur politique, et elles rejetèrent dans les bras de l'Autriche les princes tremblants pour leur couronne. Cependant, à l'heure même où se tramaient, dans le royaume de Naples et dans les Romagnes, ces stériles conspirations, un parti nouveau se formait qui prêchait, non la destruction des trônes, non le nivellement des classes, mais la conquête pacifique et patiente de la liberté politique et de l'indépendance nationale. Ce mouvement fut inauguré par trois publications considérables. En 1843, l'abbé Vincent Gioberti, prêtre piémontais, que les vicissitudes de la politique avait obligé à quitter son pays et qui avait vécu de la vie d'exil à Paris et à Bruxelles, faisait paraître son livre : De la prééminence morale et politique des Italiens. Sa pensée maîtresse était que le salut de sa patrie se rencontrerait dans la formation d'une ligue italienne, dont le Pape serait le chef honoraire et dont le roi de Piémont serait l'épée. Un an plus tard, un grand seigneur, le comte César Balbo, publiait les Espérances de l'Italie. Dans ce livre, il proclamait en principe que l'Autriche devait être expulsée de la Péninsule ; il laissait, d'ailleurs, aux complications de l'avenir le soin d'accomplir cc vœu ; pour le présent, il se contentait de convier la jeunesse au respect de la loi, à la pratique de la vertu et surtout à l'exercice du métier des armes. En 1846 enfin, Massimo d'Azeglio, gentilhomme comme Balbo, comme lui très en faveur à la cour de Turin, s'attaquait plus directement au parti révolutionnaire. Dans une brochure sur les Événements des Romagnes, il n'hésitait pas à affirmer l'inefficacité des conspirations et à conseiller l'agitation légale comme le seul moyen sûr de conquérir la liberté. C'était un spectacle nouveau que de voir des publicistes notables, des hommes d'illustre naissance, se détacher hardiment du parti des cours, désavouer non moins hardiment le parti révolutionnaire, se placer entre les deux factions extrêmes, au risque d'être broyés entre toutes deux. L'effet produit fut grand, et il devait l'être. En Toscane et dans le nord de l'Italie, les doctrines nouvelles trouvèrent faveur. Gioberti, Balbo, d'Azeglio étaient tous trois Piémontais ; ils ne furent pas seulement entendus de leurs concitoyens, ils le furent aussi de leur gouvernement, de leur gouvernement qui affecta de les désavouer, mais, en les désavouant, les écouta. Charles-Albert, alors roi de Piémont, appartenait à cette vieille maison de Savoie qui, resserrée d'abord dans les hautes vallées des Alpes, avait grandi de siècle en siècle par la patience, par la ruse et par l'épée. Presque tous les traits de ses ancêtres se retrouvaient en lui : l'esprit de dévotion poussé jusqu'à l'austérité ; un mélange de bravoure et d'astuce, assez ordinaire aux races de montagne habituées à tourner les obstacles aussi bien qu'a les affronter ; l'ignorance on le dédain des lumières nouvelles ; l'insatiable avidité des territoires ; un souci presque exclusif de la politique et de la guerre ; le goût d'une vie rude et simple ; avec cela les traditions d'un gouvernement absolu, populaire cependant et national. Quand ce prince fut monté sur le trône, une grande perplexité s'empara de lui. D'un côté, le principe de la solidarité des couronnes, les scrupules d'une piété exaltée parfois jusqu'an mysticisme, la crainte de déchaîner la révolution qui, cinquante ans auparavant, avait détrôné ses aïeux, tous ces sentiments lui conseillaient la prudence. D'un autre côté, un vague instinct l'avertissait que l'heure viendrait bientôt pour la maison de Savoie de tenter une évolution hardie, de favoriser, en le contenant, le mouvement libéral et national, et de ceindre, non la couronne d'Italie qu'on n'entrevoyait point, mais l'antique couronne des rois lombards. Le Roi, tour à tour retenu par la peur ou poussé par l'espérance, ébloui et effrayé tout à la fois par la vision de l'avenir, tantôt craignant de tout perdre, tantôt résolu à tout risquer, caressait ces vues ambitieuses, les repoussait, puis les accueillait encore. De là ses velléités libérales suivies de véritables accès de despotisme ; de là ses revirements qui surprenaient tous les partis et qui étaient taxés d'inconstance ou de trahison. De tout temps, la maison de Savoie Fut encore plus avide que chevaleresque. A la fin, l'ambition l'emporta dans le cœur de Charles-Albert, non cependant sans de fréquents retours qui ressemblaient à de la duplicité. On vit le monarque mêler dans ses conseils les personnages attachés à la politique rétrograde, comme Solar de la Margherite, et les hommes imbus des idées nouvelles, comme M. de Villamarina. Tout en repoussant encore les réformes politiques, il se montra attentif à réaliser quelques améliorations dans l'ordre civil et matériel. A Turin se fondèrent des clubs ou cercles imités de l'Angleterre, des associations agricoles, industrielles, économiques, où l'on préludait par l'esprit de progrès à l'esprit de liberté. Soit indécision, soit repentir de ses propres témérités, Charles-Albert raillait volontiers ces associations, mais, tout en les raillant, les tolérait. Enfin, dès le commencement de 1846, les dissentiments commerciaux, surgissant à propos du transit des sels du Tessin et de l'introduction des vins piémontais en Lombardie, révélèrent un commencement de froideur entre Turin et Vienne. M. de Metternich, qui gouvernait alors la monarchie autrichienne, saisit tout de suite la gravité de ces symptômes ; ils lui échappèrent si peu qu'ii n'hésita pas à prendre, vis-à-vis de la cour de Sardaigne, une attitude comminatoire : Nous avons besoin de savoir avec précision, écrivait-il à M. de Buol, ministre de l'Empire à Turin, ceux qui marchent avec nous et ceux sur qui nous ne pouvons pas compter[1]. C'est sur ces entrefaites que parurent les livres de Gioberti, de Balbo, de d'Azeglio. On ne pouvait demander à Charles-Albert qu'il les approuvât. C'était déjà un signe des temps qu'il ne les interdit pas. Dès ce moment, le parti libéral et national eut ses publicistes ; non seulement il eut ses publicistes, mais il put espérer, malgré d'étranges ambiguïtés de conduite, sur le prochain concours du gouvernement piémontais. Il allait enfin trouver au centre de l'Italie, à Rome même, un point d'appui plus puissant que tous les autres et qu'il n'eût osé ambitionner. II Le 1er juin 1846, Grégoire XVI mourut. Prêtre vertueux, théologien savant, Grégoire XVI n'avait touché que d'une main timide à l'organisation intérieure des États romains, soit que le rôle de réformateur ne le tentât guère, soit. que sa clairvoyance même lui en montrât les dangers. Sa mort, dès qu'elle fut connue dans Rome, émut vivement les esprits. On ne s'attendait pas à une fin si prompte ; de plus, la vacance du Saint-Siège survenait dans des conjonctures difficiles ; enfin, aucune candidature fortement indiquée ne s'imposait au choix du Sacré Collège : Si vous demandez quels seront les cardinaux papegianti, écrivait l'ambassadeur de France à M. Guizot, chacun nommera sept ou huit noms ; ce sont, pour la plupart, des hommes peu connus ou absents de Rome. Chacun sait ce qu'il ne veut pas, non ce qu'il veut[2]. La Providence précipita le dénouement. Le conclave se réunit le 14 juin. Le 16 juin, le cardinal Mastaï, évêque fut élu au souverain pontificat. Il prit le nom de Pie IX. Le nouveau pape était peu connu à Rome. Vivant dans sou diocèse, il n'avait été mêlé que de loin aux affaires du monde et à la politique : aussi son nom, murmuré dans la foule, n'éveilla tout d'abord que l'étonnement. Mais quand, suivant le cérémonial traditionnel, le Pontife se présenta au balcon du Quirinal pour bénir la multitude, la beauté de sa physionomie encore illuminée des derniers rayons de la jeunesse, la sainte douceur de son regard, l'harmonie de sa voix, tous ces dons de la personne qui n'étaient que le reflet de l'âme séduisirent et charmèrent tous les cœurs. Les jours suivants, l'impression grandit. On se plaisait à raconter la vie du nouveau chef de l'Église, sa première jeunesse écoulée dans le métier des armes, son entrée dans les Ordres, les prémices de son sacerdoce consacrés aux enfants des humbles et des pauvres à l'hospice de Tata-Giovanni, sa mission au Chili, puis son épiscopat à Spolète et à Imola : on ne se lassait pas de vanter sa charité, de redire son esprit de tolérance, de rappeler surtout sa douceur à l'époque des troubles civils. Les premiers actes du prince, ses libéralités, son langage plein de mansuétude accrurent encore les sympathies. Le peuple romain, si impressionnable et mobile, se prit d'un amour passionné pour son pontife, et l'enthousiasme ne connut plus de bornes quand, un mois après son avènement, Pie IX, par une amnistie presque plénière, rouvrit aux proscrits des derniers règnes les portes de la patrie. Il y a, dans la vie des nations comme dans celle des hommes, des jours de pur bonheur que l'on voudrait retenir et fixer à jamais. La première année du pontificat de Pie IX fut un de ces moments bénis. Partout où le Pontife se montrait, le peuple se portait en foule. Souvent des corporations entières se pressaient aux portes de son palais, attendant qu'il parût et les bénît. Ce n'étaient qu'illuminations improvisées, ovations, cris de joie. Le moindre bruit d'une indisposition du Pape suffisait à assombrir les visages. Tous les contemporains, tous les étrangers qui résidaient alors à Rome ont conservé le fidèle souvenir de cette popularité sans égale dans ce siècle. On eût dit que les Romains voulussent étourdir et enivrer leur prince par les bruyantes démonstrations de leur tendresse, comme pour voiler le péril des réformes qu'ils réclamaient. Pénétré de ses devoirs de souverain, plus jaloux du bien de ses sujets que de ses prérogatives, nullement insensible, d'ailleurs, à ces témoignages d'amour, Pie IX était tout disposé à souscrire au vœu public. Le gouvernement pontifical était saris doute loin de mériter les reproches répandus contre lui dans la presse européenne. C'était un gouvernement paternel, d'ordinaire très doux, vexatoire seulement par accès, attentif à ménager les forces du peuple, gouvernement où les abus eux-mêmes étaient tempérés par la mansuétude du souverain et de la plupart de ses conseillers. Les esprits les plus éclairés s'accordaient cependant à réclamer de promptes réformes, surtout en ce qui concernait l'administration des finances et le service de la justice : on souhaitait de plus que les fonctions diverses fussent mieux délimitées et que l'élément laïque y fut plus largement représenté : on désirait, en outre, l'établissement à Rome d'un conseil représentatif appelé, non à gouverner comme les Chambres des pays constitutionnels, mais à éclairer le Saint-Père de ses avis : on était enfin unanime à demander certaines améliorations matérielles depuis longtemps nécessaires. — Pie IX se mit courageusement à l'œuvre. Un décret régla les attributions des divers départements ministériels. Un autre adoucit les rigueurs de la censure en matière de presse. La ville de Rome fut dotée de franchises municipales plus étendues. Une commission fut nominée pour redresser les abus de l'ordre judiciaire. La garde civique fut instituée. Les chemins de fer, les tarifs de douane, les établissements d'instruction, les établissements de bienfaisance appelèrent toute la sollicitude du pouvoir. Une innovation plus importante s'ajouta à toutes les antres. Le Pape décida qu'une assemblée de notables, choisis par lui sur une triple présentation des conseils provinciaux, se réunirait à Rome et serait appelée à donner son avis sur toutes les grandes affaires temporelles de l'État. — Non content de ces mesures, le Saint-Père s'attachait avec une bonne foi touchante à mériter le titre de prince réformateur ; il nommait des commissaires enquêteurs pour rechercher les abus ; il donnait des audiences à tous ; il s'ingéniait en mille manières pour connaître les besoins du peuple ; il se prodiguait surtout aux humbles et aux petits ; sa tolérance et sa bonté s'étendaient même à ses sujets juifs qu'il faisait participer à ses aumônes et qu'il assurait de sa protection. Il y eut un moment — moment bien fugitif, hélas ! — où la cause libérale et nationale, dégagée des anciennes conspirations et pure encore des excès qui devaient de nouveau la souiller, sembla cligne de toutes les faveurs de la divine Providence. Elle avait à son service des publicistes, à la vérité un peu chimériques, mais considérables par le talent et la droiture. Elle pouvait espérer que la bonne volonté jusque-là ondoyante et incertaine de Charles-Albert s'affermirait de plus en plus. Elle comptait par-dessus tout sur Pie IX, qui avait, disait-on, trouvé du génie dans sa conscience[3]. Le peuple de Rome, sincère au moins dans les premiers jours, s'attachait aux pas du Pontife et l'accompagnait de ses acclamations : Courage, Saint Père, s'écriait-il, courage ! Quelle était, en face de cette évolution soudaine, l'attitude des puissances européennes et en particulier de la France et de l'Autriche ? La France, dont les conspirateurs italiens avaient si longtemps lassé la bonne volonté, n'avait point vu sans une extrême satisfaction ce retour inespéré aux idées de sage liberté et était prête à le favoriser. Le Saint-Père, dès le début de son pontificat, avait, d'ailleurs, comblé d'attentions flatteuses l'ambassadeur du roi Louis-Philippe, voulant marquer par là que, dans son œuvre de réformation, il chercherait à Paris son principal point d'appui. Ces témoignages avaient d'autant plus de prix que l'envoyé du cabinet des Tuileries était alors M. Rossi, Italien de naissance, ancien carbonaro, jeté dans l'exil à la suite des révolutions de sa patrie, naturalisé en France après un long séjour en Suisse, aussi propre à la diplomatie par la finesse de son esprit qu'il y était peu préparé par sa naissance on son passé, représentant par un singulier caprice de la fortune son pays d'adoption dans son pays d'origine, personnage, en un mot, moins désigné qu'aucun autre aux faveurs de la cour romaine. Dans de fréquents entretiens que la communauté de langue facilitait, M. Rossi, fidèle aux instructions de son gouvernement, s'attacha à affermir les intentions généreuses du Saint-Père. On se tromperait cependant si l'on croyait que la France envisageât avec une sécurité entière ce qui se passait à Rome. M. Rossi était un esprit trop perspicace et trop délié pour ne pas discerner bien vite que la tentative du Pontife était aussi difficile que glorieuse et n'exigeait pas moins de fermeté que de libéralisme : il apercevait d'autant mieux le péril qu'étant Italien lui-même, il savait à merveille combien ses compatriotes étaient peu accoutumés aux tempéraments de la politique. Ses dépêches au ministre des affaires étrangères, M. Guizot, trahirent ses craintes presque autant que ses espérances. Il se plaignait que les idées du Saint-Père ne fussent pas suffisamment mûries, qu'il portât de tous côtés son esprit d'innovation sans le fixer nulle part. Les vues du Pape sont excellentes, ajoutait-il, mais les connaissances positives lui font défaut. Il pousse, en outre, trop loin le désir de ne déplaire à personne. — Éclairé par ce langage, M. Guizot n'hésitait pas à y conformer ses conseils. Il importe, écrivait-il, que le Saint-Père dirige l'opinion et ne se laisse pas diriger par elle ; il est essentiel qu'il circonscrive le champ des réformes, qu'il les accomplisse promptement et qu'il rentre ensuite dans le rôle d'un souverain régulier[4]. — M. Rossi soumettait ces avis au Pontife et, tout en le félicitant de son initiative, l'engageait à régler cette initiative elle-même. Pie IX, presque aussi effrayé que charmé de son œuvre, louait fort cette sagesse, mais ne réussissait guère à la mettre en pratique, tant est difficile, même pour les consciences les plus droites, le rôle de réformateur ! — Telle était, un an après l'avènement du Saint-Père, l'attitude de la France, attitude d'une sympathie un peu inquiète : elle voulait tout ensemble précipiter le mouvement et le limiter. Ajoutons que cette politique, à cause de sa sagesse même, ne parvenait à contenter personne : les amis du passé la jugeaient trop accentuée, et elle était taxée de timidité par les libéraux de jour en jour plus hardis. L'Autriche n'avait point de tels ménagements à garder. Les
tendances qui se révélaient en Italie menaçaient son établissement dans la
Péninsule : or elle n'était pas disposée à renoncer sans lutte aux avantages
que les traités de 1815 lui avaient conférés et que sa politique avait
accrus. M. de Metternich, qui gouvernait depuis plus de trente ans cette
antique monarchie, avait donc accueilli avec une extrême mauvaise grâce les
velléités des libéraux italiens. Dès l'avènement de Pie IX, il s'efforça de
détourner le Pontife de toute amnistie, et, lorsque l'amnistie fut proclamée,
il s'empressa de prédire que les graciés
deviendraient des meneurs incorrigibles[5]. Son action étant
inefficace à Rome, il se retourna vers le cabinet des Tuileries dont il
s'était un peu rapproché depuis l'arrivée de M. Guizot aux affaires, et, dans
de nombreuses dépêches à M. Apponyi, ambassadeur d'Autriche à Paris, ne se
lassa pas de répéter que le parti du juste milieu, si puissant en France,
n'existait pas au delà des Alpes. Il flétrissait dans M. Rossi l'ancien chef
de carbonari. Quant au roi Charles-Albert, il n'avait pas assez de dédain
pour ce pauvre prince qui avait pris au sérieux l'utopie de Gioberti. — Plus le
mouvement s'accentuait, plus ses avertissements se multipliaient. Tantôt il
s'adressait directement aux souverains des États secondaires et en
particulier au grand-duc de Toscane, et, par la perspective des prochains
périls, s'efforçait de ressaisir la vieille influence de l'Autriche[6]. Tantôt,
dédaignant les intermédiaires diplomatiques, il écrirait à M. Guizot et le
conjurait de ne point couvrir de sa protection les tentatives du libéralisme
italien[7]. Le libéralisme, disait-il, n'a
pas besoin d'être recommandé, il est assez puissant par lui-même[8]. D'autres fois,
il renaissait à l'espoir d'éclairer le gouvernement pontifical. Les amnistiés, écrivait-il à son ambassadeur à Rome,
M. de Lutzow, n'étaient en quittant Rome que des
écoliers de libéralisme : ils sont aujourd'hui des révolutionnaires consommés[9]. — Les améliorations matérielles, les chemins de fer,
l'éclairage au gaz, les écoles leur importent peu, ajoutait-il : ce qu'ils veulent, c'est agir par la presse et par les
clubs, désarmer les Suisses, armer la garde civique, finalement dominer.
Ainsi se déployait, en d'interminables dépêches, l'activité du vieil homme
d'État, attentif à sauvegarder l'ancien ordre européen. La clairvoyance de M. de Metternich était, hélas ! plus grande encore que son dépit. Un changement ne tarda pas à se révéler dans les dispositions du peuple romain. Ce n'était pas que les acclamations eussent cessé sur le passage du Pontife : mais leur caractère ne fut plus le même. A la joie du pèsent se mêla la colère contre le passé. On accusait, non sans quelque raison, les amis de l'ancien pape d'opposer aux vœux de Pie IX urne résistance d'inertie que celui-ci n'osait briser : aussi l'on se mit à comparer perfidement Pie IX à Grégoire XVI. Les grégoriens, les gens attachés à l'ancienne police pontificale, furent recherchés, menacés, parfois poursuivis par la clameur populaire. Les amnistiés rentrèrent, non en sujets reconnaissants, mais en triomphateurs : non seulement on les accueillit, mais on les acclama : dans tonte la Péninsule, on ouvrit des souscriptions à leur profit : eux pourtant, avec cette indépendance du cœur qui a précédé de beaucoup chez certains Italiens l'indépendance nationale, ils se mirent à conspirer contre le gouvernement qui les avait rappelés. Les dimostrazioni in piazza, les démonstrations préparées, succédèrent aux démonstrations spontanées, démonstrations froides ou enthousiastes suivant que le Pontife inclinait à la résistance ou aux concessions. On continuait à crier : Vive Pie IX ! mais on ajoutait : A bas les Jésuites ! On dressait des arcs de triomphe au Pape, mais on empêchait les prélats de sa maison d'y passer à sa suite. On acclamait les réformes réalisées, mais on feignait de ne les accueillir que comme autant d'acomptes, et l'on réclamait aussitôt les réformes qui devaient suivre. Le régime de la presse ayant été adouci, les journaux ne se servirent de leurs franchises récentes que pour solliciter d'irréalisables innovations. Le cardinal Lambruschini, ancien conseiller de Grégoire XVI, ayant été remplacé par le cardinal Gizzi, on applaudit d'abord le nouveau secrétaire d'État, puis on le trouva tiède : le cardinal Gizzi fut à son tour remplacé par le cardinal Ferretti, qui ne devait pas être plus heureux que son prédécesseur. La garde civique ayant été créée, sa fidélité parut bientôt douteuse. Le cri : Vive Pie IX ! d'abord expression d'amour, devint pour la multitude ignorante et enfiévrée l'excuse de toutes les folies : on rapporte que, dans une petite ville de la Calabre, la foule, à ce cri, se porta vers la prison pour y délivrer les détenus[10]. La faction révolutionnaire, cheminant à l'ombre du parti libéral, visait à gouverner sous le contreseing du Pape. Tout contribua à accroître la confusion. Les Autrichiens ayant caserné quelques troupes dans la ville de Ferrare dont ils occupaient déjà la citadelle, le cardinal légat protesta contre cette mesure : et cet incident, peu important en lui-même, surexcita encore les esprits. En même temps, une agitation, patriotique et libérale par certains côtés, mais mêlée d'éléments impurs, éclatait sur tous les points de la Péninsule. Dans les États sardes, en particulier à Gênes, on réclamait l'expulsion des Jésuites et l'armement de la garde civique : M. de Cavour et quelques-uns de ses amis, ayant essayé de substituer à ces demandes un vœu plus politique en faveur d'une constitution, ne purent se faire écouter. En Toscane, l'effervescence n'était pas moindre, et, à Livourne surtout, se révélait sous la forme la plus bruyante. Mazzini, le fondateur de la Jeune Italie, sorte de société qui, sous l'affectation de symboles politiques ou religieux, poursuivait le renversement de tous les trônes, Mazzini, jusque-là dissimulé, démasquait ses desseins : dans des lettres rendues publiques, il raillait avec dédain le parti modéré, le parti des Balbo et des Orioli, et proclamait l'unité italienne conquise par la révolution et par la guerre. L'Angleterre enfin, se séparant tout à la fois de la France et de l'Autriche, prêtait sort appui moral aux plus exaltés des novateurs : vers la fin de 1841, lord Minto, parcourant la Péninsule, se faisait l'interprète de cette politique imprudente ou intéressée ; il prodiguait les encouragements ; il laissait crier sous ses fenêtres : Vive l'indépendance italienne ! il recevait en retour les ovations de ce peuple enfiévré qu'il aurait fallu contenir, non exciter, qu'il aurait fallu surtout ne pas Flatter, car il était déjà, de tous les peuples, le plus enclin à bien juger de lui-même. C'est sur ces entrefaites que, le 15 novembre 1847, le Pape ouvrit la Consulte d'État. Elle se composait de membres nommés par le pouvoir exécutif sur la présentation des conseils provinciaux, et n'avait qu'une autorité consultative. L'opinion publique ne négligea rien pour grandir cette assemblée naissante et lui donner les apparences d'un corps souverain. Au jour de l'inauguration, les princes romains mirent leurs équipages d'apparat à la disposition des délégués. Chaque député fut accompagné de citoyens de sa ville natale qui lui formaient escorte. Il y eut, comme toujours, grand déploiement de bannières, et il fallut tous les efforts du cardinal Ferretti pour en faire disparaître quelques-unes qui étaient presque factieuses. C'est dans cet appareil qu'on se rendit au Quirinal. Le Pape, contre son ordinaire, tint un langage très ferme et mit un soin extrême à circonscrire les attributions de la Consulte. Cette fermeté n'arrêta ni n'effraya personne. Déjà le gouvernement n'était plus au Quirinal, mais dans les cercles, dans les cafés, dans les débits de tabac où s'organisaient les manifestations. Le peuple s'habituait à se grouper autour de quelques tribuns de bas étage : parmi eux, on commençait à distinguer un certain Angelo Brunetti dit Cicernacchio. Les artisans de sédition s'unissaient pour surveiller le Pape tout en affectant encore de l'acclamer. Pie IX ne pouvait recevoir un Jésuite sans exciter les mineurs. Les cardinaux attachés au régime précédent étaient journellement dénoncés à la malveillance. Enfin, le 1er janvier 1818, des scènes tumultueuses attristèrent la ville, et les cris : A bas la police ! plus de prêtres au gouvernement ! dominèrent les acclamations en faveur du Pontife. On en était là quand des nouvelles inattendues arrivèrent du royaume des Deux-Siciles. On apprit coup sur coup que Palerme se soulevait, que toute la Sicile imitait cet exemple, que la sédition gagnait la terre ferme, s'étendait aux Calabres, arrivait jusqu'à Naples. On sut enfin que le roi Ferdinand, prince plus inféodé qu'aucun autre aux idées absolutistes, venait, sous la pression populaire, d'octroyer une constitution à ses sujets. Ces événements imprévus accrurent encore l'effervescence. A Rome, les nouvelles des Deux-Siciles furent fêtées par des banquets : des attroupements hostiles se portèrent au Gèsu et à l'ambassade d'Autriche : les femmes se montrèrent au Corso, parées des couleurs italiennes. A Florence et à Turin, on ne se contenta pas de ces manifestations. Le grand-duc, imitant le roi de Naples, promulgua une constitution. Le roi Charles-Albert, après de longues hésitations, fit de même et réalisa ainsi le vœu naguère exprimé par Camille de Cavour. Au milieu de cet ébranlement, les cabinets de Vienne et de Paris persistaient dans leur attitude, attitude justifiée par leurs principes et par leur intérêt. L'Autriche n'était pas seulement inquiète pour l'ordre public européen, mais encore et surtout pour ses possessions italiennes. A Milan, l'opinion publique saisissait avidement tous les prétextes pour proclamer son antipathie contre la domination étrangère. Un nouvel archevêque ayant été installé, cette cérémonie donnait lieu à une manifestation en l'honneur de Pie IX, devenu, presque malgré lui, le porte-drapeau de l'indépendance italienne. Comme le gouvernement autrichien tirait d'abondantes ressources de l'impôt sur le tabac, une sorte de ligue patriotique se formait pour proscrire l'usage des cigares. Bientôt, les esprits ne pouvant plus se contenir, des rixes éclatèrent, et elles furent sanglantes. Venise, de son côté, n'était guère plus tranquille. Là, Tommaseo, Daniel Manin surtout propageaient l'agitation. Les congrès scientifiques, les représentations théâtrales, tout devenait matière à démonstrations. — Témoin de ce spectacle, M. de Metternich, tantôt gourmandait la mollesse du vice-roi, l'archiduc Régnier, plus ami de la conciliation que des mesures répressives, tantôt, cédant aux tristes pressentiments de l'avenir, écrivait au vieux maréchal de Radetzky, qui commandait les forces autrichiennes en Italie, ces lignes découragées[11] : Nous étions destinés par la divine Providence à ne pas passer nos vieux jours dans le repos. D'autres fois, la stupeur l'emportant dans son esprit sur tout autre sentiment : Il était donc réservé au monde, s'écriait-il, de voir un pape faire du libéralisme ! — Pie IX, ajoutait-il, est dénué d'esprit pratique, sans esprit de gouvernement, chaud de cœur, faible de conception. Si les choses suivent leur cours naturel, il se fera chasser de Rome... Il ne peut plus ni avancer ni reculer. Quant à Charles-Albert, il ne veut pas nous faire la guerre, mais il y sera peut-être amené. Il est plus despote encore que libéral : mais l'encens des litterati lui monte à la tête (a)[12]. — Au mois de janvier 1848, le chancelier de l'Empire jugeait la situation si grave qu'il songeait à une intervention des puissances et s'en ouvrait à l'ambassadeur de France, M. de Flahaut. Mais, ajoutait-il afin de sonder les intentions de son interlocuteur, comment se fera cette intervention ? L'Autriche peut-elle agir seule ? vous ne le voudriez pas. Si la France et l'Autriche agissent en commun, on criera à la résurrection de la Sainte-Alliance. Si la France intervient seule, elle se heurtera à la malveillance, peut-être à l'hostilité de l'Angleterre[13]. Le gouvernement du roi Louis-Philippe était Inn par des vues plus libérales et surtout plus désintéressées. Mais là aussi, la crainte l'emportait sur la confiance. A Rome, M. Rossi persistait à chercher les bases d'une entente entre le Saint-Père et ses sujets. Aux plus hardis des novateurs il prêchait l'apaisement ; il s'attachait à décourager les folles espérances. La France, disait-il dans un langage un peu trivial, ne saurait être un caporal au service de l'Italie. Puis, s'adressant au Pontife. il le conjurait d'accomplir au plus vite les réformes possibles, d'introduire, en particulier, dans une plus large mesure l'élément laïque dans son gouvernement, de chercher ensuite un point d'arrêt pour sa politique. — Ces efforts étaient malheureusement plus honnêtes qu'efficaces. Ce n'était pas que la résistance vînt du Saint-Père : il était décidé à toutes les innovations raisonnables : il se prêtait surtout avec une bonne grâce parfaite à séculariser une portion des fonctions publiques : mais l'opinion, insatiable dans ses demandes, n'écoutait plus aucun avertissement. — Lorsque la discussion de l'Adresse, en janvier 1848, amena au parlement français un débat solennel sur les affaires italiennes, M. Guizot, instruit par les dépêches de M. Rossi, ne dissimula pas ses alarmes. Son langage révéla une double crainte, d'abord que la question de remaniement des territoires n'entraînât la guerre, ensuite que la démagogie italienne ne s'emparât du mouvement, et que, sous prétexte de remettre l'ordre et la lumière dans le monde, on y mît le chaos[14]. Ces inquiétudes n'étaient pas feintes : elles l'étaient si peu qu'au moment même où M. Guizot s'exprimait de la sorte, le cabinet des Tuileries se préoccupait, comme M. de Metternich, de l'éventualité d'une intervention. Des ordres étaient donnés pour que 5.000 hommes fussent tenus disponibles à Port-Vendres et à Toulon : le général Aupick était désigné pour prendre, en cas de besoin, le commandement de ces troupes : ce petit corps d'armée, prêt à être embarqué, avait pour mission d'assurer au Pape, s'il était nécessaire, un appui efficace. Ces mesures furent notifiées le 27 janvier 1848 à M. Rossi[15]. III Quatre semaines plus tard la révolution de Février éclatait. Elle ne produisit pas tout d'abord en Italie une impression aussi vive qu'on l'aurait cru. Il arriva même que les riches propriétaires lombards, craignant un mouvement socialiste, furent plutôt intimidés qu'excités par les premières nouvelles de Paris. Mais lorsque, quinze jours plus tard, on apprit l'émeute de Vienne, la chute de M. de Metternich, les concessions arrachées à l'empereur Ferdinand, la passion nationale, longtemps contenue par la crainte de l'étranger ou par l'appréhension du désordre, éclata avec une force irrésistible. Le 18 mars, Milan se souleva d'un élan unanime : après cinq jours de lutte, Radetzky fut obligé d'abandonner la ville et de replier sur Vérone ses troupes frappées de stupeur et diminuées par les désertions. Venise, elle aussi, s'insurgea, délivra les prisonniers politiques, obligea le gouverneur autrichien à une sorte de capitulation, et plaça à sa tête l'avocat Daniel Manin, Manin qui, dans de longs jours de gloire et de deuil, devait incarner en lui rame même de la patrie. De Venise, l'insurrection gagna la terre ferme : de Milan, elle s'étendit à toute la Lombardie. Radetzky s'enferma dans le quadrilatère, unique refuge qui lui restât. Il importait que ces forces insurrectionnelles, puissantes, mais un peu désordonnées, fussent encadrées dans une force régulière qui leur prêtat sa discipline et sa cohésion. 'fous les regards se tournèrent vers le Piémont, seule puissance militaire de l'Italie. L'heure était solennelle pour la dynastie de Savoie. S'engager dans la lutte, c'était sacrifier peut-être, en cas de revers, toutes les laborieuses conquêtes du passé. A ne considérer que le droit international, rien d'ailleurs n'autorisait l'entrée en campagne, et tous les griefs des années précédentes, même groupés et réunis avec un art extrême, ne pouvaient justifier la guerre. Tout récemment encore, le cabinet sarde n'avait pas hésité à assurer le gouvernement autrichien de ses vues pacifiques et de son respect des traités. Ces considérations parurent. d'abord dominantes dans l'esprit de Charles-Albert. Mais il y a des jours où le sentiment public brise et fait éclater toutes les fictions des traités. A Turin, la presse prêcha avec ardeur l'intervention. On répéta que l'occasion ne se retrouverait plus pour la maison de Savoie de créer à son profit un royaume de la haute Italie. Cet appel fait à son ambition ne pouvait laisser le prince insensible. Tout en se défendant encore de tout projet belliqueux, il décréta un camp d'observation, il toléra le départ des volontaires. Sur ces entrefaites, on apprit le triomphe des Milanais. Cette nouvelle, en rendant le succès possible, dissipa les incertitudes du Roi. La guerre fut décidée. Le 24 mars, le comte Buol, envoyé d'Autriche, demanda ses passeports. Le 25 mars, Charles-Albert quitta sa capitale. Le 29, il franchit le Tessin. Dès ce moment, l'incendie, qui couvait depuis si longtemps, embrasa toute la Péninsule. En Toscane, le grand-duc, devançant Charles-Albert, avait déjà cédé à l'opinion publique. Florence, Pistoie, Sienne, Lucques, Livourne, les Maremmes, fournirent leur contingent de volontaires. Les étudiants de l'Université de Pise, sous la conduite de leurs professeurs, formèrent un bataillon. Parme et Modène chassèrent leur prince. De Naples même partit un corps d'armée, placé sous le commandement d'un ancien proscrit, le général Pepe. Quant à la ville de Rome, elle participa plus bruyamment que tout le reste de l'Italie à l'agitation générale. Déjà, à la nouvelle de la révolution de Février, le Pape, cédant aux événements, avait accordé à ses sujets une Constitution. Lorsqu'on connut l'insurrection triomphante de Milan, les meneurs des cercles et des cafés, qui se substituaient de plus en plus au gouvernement, s'écrièrent avec de grands transports qu'il fallait chasser les Barbares. Ce ne furent qu'illuminations, ovations, étalage de bannières comme si déjà l'on eût triomphé. Quelques prêtres, sortes de Lafayette en soutane, se mirent à prêcher la lutte sainte. Un corps de troupes se forma sous les ordres du général Durando et quitta Rome au cri de : Vive Pie IX ! Vive l'indépendance italienne ! Cependant une certaine équivoque régnait sur la destination de ce corps d'armée : le Saint-Père se flattait encore de le maintenir comme un corps d'observation aux frontières septentrionales de ses États : les chefs de la révolution, bien différents dans leurs desseins, se réservaient de le pousser en avant et d'amener ainsi le Souverain Pontife à la guerre ouverte contre l'Empire. A l'heure on l'Italie se soulevait contre l'Autriche, sa vieille ennemie, n'allait-elle pas réclamer le secours de la France, de la France, sa traditionnelle alliée ? A ne considérer que les apparences, il semblait que l'Italie dût solliciter instamment l'appui de la France et que la France, dans la crainte d'une guerre générale, dût réserver son concours ou du moins le mettre à prix. Par une singulière bizarrerie des choses, ce fut le contraire qui arriva. La France offrit son assistance ; l'Italie s'y déroba. Charles-Albert, en attaquant l'Autriche, avait épuisé toute son audace. Il ne lui plaisait pas d'ajoutera cette témérité celle de s'allier à une république. Sa nature, soupçonneuse à l'excès, lui faisait craindre que le gouvernement né le 24 février ne propageât au delà des Alpes les principes démocratiques. Il redoutait, en outre, que le prix des bons offices de la France ne fût la cession de la Savoie ; or, fidèle en cela aux traditions de sa race, il caressait l'espoir de tout acquérir sans rien abandonner. Cette pensée de défiance jalouse dicta toute la conduite du prince. Au moment de quitter sa capitale, il adressa une proclamation aux peuples de la Lombardie et de la Vénétie, et prit soin d'affirmer que l'Italie serait en état de se suffire à elle-même[16]. Lorsqu'il notifia aux cabinets de l'Europe sa résolution de prendre les armes, il excepta de cette communication le gouvernement français qu'il n'avait, d'ailleurs, point encore reconnu. Dans ses entretiens avec les ambassadeurs étrangers et particulièrement avec le ministre d'Angleterre, sir Abercromby, il laissait volontiers entendre qu'il n'entrait en Lombardie que pour y prévenir l'établissement de la République[17]. Dans sa dernière dépêche au comte Buol, représentant de l'Autriche, M. de Pareto, ministre des affaires étrangères de Sardaigne, n'hésita même pas à invoquer cette considération pour justifier l'intervention piémontaise[18]. A Paris, la plupart des émigrés italiens imitèrent cette réserve[19]. Au commencement d'avril, l'incursion sur le territoire savoisien de quelques bandes insurrectionnelles, venues de Lyon, confirma encore les appréhensions du Roi. — Italia fara da se, tel fut le mot d'ordre qui, partant de Turin, se répandit dans toute la Péninsule. Le gouvernement provisoire de Milan avant voté une adresse à la République française et ayant envoyé un agent pour négocier un achat de fusils à Toulon, le cabinet sarcle n'hésita pas à blâmer ces démarches[20]. A la vérité, Manin, esprit essentiellement politique, ne partageait point ces illusions du patriotisme ou ces inspirations de la défiance : il notifia au cabinet de Paris la révolution de Venise : il sollicita de lui des armes et quelques navires : il laissa même clairement entrevoir que des secours plus directs et plus efficaces seraient accueillis avec Gratitude : mais l'opinion publique et la presse s'élevèrent aussitôt avec beaucoup de force contre cette sorte d'appel à l'étranger[21]. A la nouvelle des événements de Milan et de Venise, Lamartine, qui dirigeait alors notre politique extérieure, n'avait pas douté que la France ne fût appelée à une prochaine intervention en Italie. Il en avait si peu douté que, sur sa demande, une armée de 30.000 hommes, prête à entrer en campagne, fut aussitôt réunie au pied des Alpes. Aussi sa surprise fut-elle extrême lorsque l'envoyé de Sardaigne, M. de Brignoles, lui apporta, au lieu des témoignages de gratitude qu'on attendait, les protestations de Charles-Albert, et réclama avec une vive insistance la dislocation ou l'éloignement de ce corps d'observation[22]. Si ce langage eût pu laisser quelques illusions à Lamartine, les nouvelles venues de Piémont les auraient dissipées. La France avait pour représentant à Turin M. Bixio, personnage qui, à la différence de la plupart des diplomates républicains, était un esprit ferme, sagace et avisé. M. Bixio pénétra aussitôt les dispositions du cabinet sarde et mit un soin extrême à en instruire son gouvernement. Il règne ici, écrivait-il, les plus dangereuses illusions... Le caractère essentiel du mouvement, c'est qu'il est avant tout italien. Personne n'a l'idée de substituer la France à l'Autriche. On ne vent pas de l'intervention française, on n'en voudra qu'après la défaite[23]. En recevant ces étranges dépêches, Lamartine ne pouvait contenir son étonnement : il ne pouvait comprendre que la France, puissance libératrice, fit traitée connue l'Autriche, puissance oppressive. Dans le cas d'une marche d'un corps français sur la Savoie, écrivait-il, dès le 11 avril, à M. Bixio, les forts qui se trouvent sur la route de la Maurienne feraient-ils feu sur nous[24] ? M. Bixio n'hésita pas à répondre que les Français seraient reçus en ennemis. — Pourtant la République française ne se rebuta point : elle persista dans sa bonne volonté, sinon pour Charles-Albert qu'elle n'aimait Guère, du moins pour l'Italie qu'elle aimait et dont elle se croyait aimée. La persistance de nos voisins à refuser notre secours n'eut d'égal que notre obstination à l'offrir. L'Assemblée constituante, lorsqu'elle se réunit, se crut obligée de comprendre dans le programme de sa politique extérieure l'affranchissement de l'Italie. Dans aucun cas, s'écriait Lamartine du haut de la tribune, l'Italie ne retombera sous le joug qu'elle a si glorieusement secoué[25]. Lamartine ne se contenta pas de ces assurances. A quelques jours de là, dans un des conseils de la commission exécutive, il proposa, assure-t-on, l'intervention immédiate dans la Péninsule malgré les Italiens eux-mêmes, et il fallut toutes les objections de ses collègues, plus sages ou moins hardis, pour prévenir cet excès de dévouement[26]. Ce qui affermissait les Italiens dans leur infatuation, c'étaient les embarras de leurs adversaires. A la fin d'avril et en mai 1848, l'antique empire d'Autriche parut un instant abandonné de la Providence. Radetzky avait ramené à grand'peine son armée au milieu des forteresses du Quadrilatère. Cette armée, d'après des calculs qui paraissent exacts, atteignait à peine 50.000 combattants. Placé entre Milan et Venise, l'une et l'autre soulevées, le vieux maréchal pouvait craindre, en outre, que ses communications avec le Tyrol fussent coupées. L'armée piémontaise était nombreuse, aguerrie, bien armée : parmi les contingents italiens, plusieurs, à la vérité, offraient peu d'éléments de résistance ; mais d'autres étaient courageux, bien disciplinés, d'organisation assez solide. Avec cela, l'anarchie régnait au cœur de l'Empire. Vienne était en proie à des agitations permanentes : les ministères s'y succédaient sans qu'aucun pût se fixer : la Hongrie préludait par des mouvements partiels à la guerre civile : la Bohème n'était pas plus tranquille. Cette situation ne permettait guère d'envoyer en Italie des renforts suffisants, et Radetzky était réduit à se tenir sur la défensive ou à livrer des combats qui ne furent pas toujours heureux. Un événement imprévu révéla combien étaient grands les périls de l'empire d'Autriche. On apprit tout à coup que l'empereur Ferdinand, désespérant de faire respecter son autorité dans sa capitale, avait, le 17 mai, quitté furtivement Vienne et avait cherché à Insprück un abri contre les factieux. On vit alors un étrange spectacle. Tandis que l'Italie, dans sa présomptueuse assurance, dédaignait tout secours étranger, la maison d'Autriche — tant était grande alors sa détresse ! — se mit à chercher un médiateur entre elle et les Italiens soulevés. Déjà l'envoyé d'Autriche à Paris n'avait pas dissimulé à M. de Lamartine que son souverain serait disposé au sacrifice d'une partie de ses possessions italiennes. Mais le gouvernement français était trop lié à l'Italie et était, d'ailleurs, trop peu stable pour qu'une négociation suivie pût s'ouvrir à Paris. C'est à Londres que le cabinet de Vienne chercha un intermédiaire favorable à ses vues. Le 6 mai 1848, quelques jours avant la fuite de l'Empereur, un diplomate autrichien, M. de Hummelauer, reçut du baron de Lebzeltern, directeur intérimaire de la chancellerie d'État, l'ordre de partir pour l'Angleterre. Le plus grand désarroi régnait alors dans les cercles officiels de l'empire. Deux jours auparavant, M. de Fiquelmont, lié à un certain degré à M. de Metternich, avait été contraint, sous la pression de l'émeute, d'abandonner ses fonctions de ministre des affaires étrangères, et il n'avait pas encore été remplacé. Aussi M. de Hummelauer demanda-t-il en vain des instructions précises. M. de Lebzeltern n'osa lui en donner. M. de Fiquelmont, déjà tombé du pouvoir, se contenta de lui remettre la copie d'une note qu'il avait rédigée avant sa chute. M. de Pillersdorf, président du conseil, se borna à de vagues recommandations sur la nécessité de trancher promptement les affaires italiennes. Voyez, dit-il au diplomate, les intentions du cabinet anglais et faites-nous un rapport sur la situation. M. de Pillersdorf paraissait surtout préoccupé de faire transférer aux territoires italiens qu'on céderait une notable portion de la dette de l'Empire. En outre, comme l'opinion publique en Autriche était fort surexcitée contre M. de Metternich, il engagea son envoyé à s'abstenir de tontes relations avec ce personnage qui était alors à Londres. M. de Hummelauer ne put rien obtenir de plus et partit pour la Grande-Bretagne. L'Angleterre n'aime pas les faibles. Le représentant de l'Autriche s'était attendu à un dédaigneux accueil. La réalité dépassa ses appréhensions. On s'exagérait encore les périls de l'empire. Le cabinet britannique se montrait unanime à souhaiter la formation d'un royaume de la haute Italie, royaume qui comprendrait le Piémont, la Lombardie, la Vénétie, les duchés de Parme et de Modène, réunis sons le sceptre de Charles-Albert. Aussi, quand, le 23 mai, M. de Hummelauer. s'inspirant des pensées de M. de Fiquelmont, parla de la création d'un royaume lombardo-vénitien, doté d'institutions nationales, mais placé sous la suzeraineté de l'Autriche, cette première ouverture fut repoussée sans hésitation. Sentant hi nécessité de plus amples concessions, l'envoyé autrichien s'avança davantage. Il proposa le lendemain la renonciation de l'Autriche à tout droit de souveraineté sur la Lombardie et une administration séparée pour la Vénétie. Si larges que fussent ces sacrifices, il ne parut pas que le gouvernement britannique les jugeât encore suffisants. Sir Abercromby, ministre d'Angleterre à Turin, ne cessait de répéter que l'abandon par l'Autriche de toutes ses possessions italiennes était le seul moyen de terminer la guerre et de prévenir l'intervention française : comme il était sur le théâtre même des événements, on l'écoutait volontiers. Tant de mauvaise volonté découragea M. de Hummelauer. Il songea même un instant à s'adresser à la République française, qui, si malveillante qu'elle fût, ne le serait pas plus que l'Angleterre : il alla jusqu'à s'ouvrir de ce projet à M de Metternich, qu'il voyait malgré la défense de ses chefs : M. de Metternich lui représenta qu'il n'avait pas d'ordre en ce sens, qu'il assumerait, en agissant de la sorte, une responsabilité grave, et le détourna d'un pareil dessein. Cependant, de tous les ministres anglais, lord Palmerston, qui dirigeait les affaires extérieures, était le moins défavorable. On savait aussi que la Reine et surtout le prince Albert ne voyaient pas sans quelque sympathie les revers de la monarchie autrichienne. M. de Hummelauer mit à profit cette dernière chance de succès. Dans une note confidentielle, mais plus tard rendue publique, il pressa instamment le chef du Foreign-Office d'employer en faveur de l'Autriche son influence auprès de ses collègues. — La Vénétie, disait dans cette note l'envoyé du cabinet de Vienne, la Vénétie nous est nécessaire pour couvrir nos possessions du Tyrol : nous voulons la conserver, non par esprit d'ambition, mais pour notre propre sécurité Les Italiens, ajoutait-il, aiment à nous croire morts ; mais nous pourrons donner encore des preuves de notre vitalité. —A l'appui de ce langage un peu plus fier, le négociateur faisait valoir les nouvelles du théâtre de la guerre, nouvelles qui, depuis deux jours, étaient meilleures pour l'Autriche. Ces efforts ne furent pas tout à fait perdus. Le 3 juin, lord Palmerston, déclara à M. de Hummelauer que l'Angleterre pourrait se porter médiatrice si le cabinet de Vienne consentait à la cession, non de la totalité, mais d'une portion de la Vénétie. L'homme d'État anglais, avec son ordinaire clairvoyance, ne se faisait, d'ailleurs, pas illusion sur l'efficacité de ces négociations : Ce qu'il vous faut, disait-il à M. de Hummelauer, c'est une bonne bataille gagnée. Ce mot était, à cette heure, le véritable mot de la situation. Si la monarchie autrichienne était victorieuse, elle se relèverait d'elle-même ; si le sort des armes lui était contraire, nulle médiation n'aurait assez de vertu pour prévenir son amoindrissement, peut-être sa dislocation. M. de Hummelauer quitta Londres, et avant la fin de juin était de retour dans son pays[27]. Là, il apprit que, pendant son absence, M. de Wessenberg, successeur de M. de Fiquelmont, avait, dans son impatience de tout terminer, offert au Gouvernement de Milan de reconnaître son indépendance, mais que les Lombards, soit excès de confiance, soit désintéressement, n'avaient pas voulu séparer leur sort de celui de la Vénétie et avaient refusé ce bien suprême qui leur venait de la main d'un ennemi[28]. Quelquefois les résolutions viriles naissent de l'excès même des disgrâces. L'Angleterre mettait à des conditions bien dures une médiation bien incertaine. Milan refusait le clou même de la liberté. L'Autriche était résignée à reculer jusqu'au Mincio : lorsqu'elle vit qu'il lui faudrait reculer jusqu'à l'Adige, peut-être céder Venise elle-même, sa fierté se révolta : par une réaction assez naturelle, quoique inattendue, elle se demanda s'il ne serait pas possible de ne rien sacrifier du tout. C'est dans ces dispositions d'esprit que M. de Hummelauer trouva sa cour : il l'avait laissée éperdue, il la retrouva, non pas confiante, mais revenue à elle-même ; aussi les propositions dont il était porteur furent-elles, non pas rejetées, mais laissées sans suite. — Tout favorisa ce retour a la politique de résistance. L'empereur Ferdinand, déconcerté par les manifestations factieuses des Viennois, avait été réconforté par les acclamations de ses fidèles Tyroliens qui se pressaient autour de lui à Insprück. Déjà le Saint-Père, par une encyclique solennelle, avait désavoué toute pensée d'hostilité contre l'Autriche : et cette publication, sans affaiblir matériellement la cause italienne, lui avait enlevé cette force qu'elle puisait dans le concours présumé de Pie IX. Quinze jours après l'encyclique du Pape, le roi des Deux-Siciles, soit frayeur de sa hardiesse, soit jalousie contre Charles-Albert, avait donné aux troupes napolitaines l'ordre de rétrograder. A mesure que le temps avançait, l'intervention armée de la France devenait de moins en moins probable. On se flattait que les légions de volontaires, brûlantes d'ardeur an début, finiraient par se fondre sous les fatigues d'une campagne prolongée. Les bataillons toscans, malgré leur vaillance, avaient été presque anéantis à Curtatone. A la vérité, les Piémontais avaient remporté, le 30 mai, un éclatant avantage à Goito, et la prise de Peschiera avait encore ajouté à ce succès. Mais, malgré cet échec, Radetzky promettait la victoire, à la condition qu'on lui expédiât des renforts. Sous l'empire de ces impressions plus rassurantes, on recouvra le sang-froid un instant perdu et, l'espoir renaissant dans les cœurs, on songea à conquérir la paix, non à Londres, mais sur le Tessin. Dès ce moment, la fortune de l'empire se releva. Durando avec les troupes romaines capitula à Vicence : Padoue, Trévise, Palma-Nuova tombèrent entre les mains des soldats de Radetzky. A là fin de juin, toute la Vénétie, à part Venise, était au pouvoir de l'Autriche. Effrayé de ces revers, toujours ardent à poursuivre ce royaume de la Hante-Italie, rêve de son ambition, Charles-Albert précipita l'œuvre des annexions. Déjà Milan et les duchés avaient voté leur réunion au royaume de Sardaigne : le 4 juillet, la République de Venise, par un grand sacrifice à l'union commune, abdiqua à son tour ses vieux souvenirs de gloire et se prononça pour la fusion avec le Piémont. Mais ces provinces ne se donnaient à Charles-Albert que pour lui échapper aussitôt. Bientôt les défaites succédèrent aux défaites. L'armée piémontaise, vaincue à Somma-Campagna, à Custozza, à Volta, fut obligée de repasser l'Oglio et l'Adda : à la fin de juillet, elle était en pleine retraite sur Milan. C'est seulement après une défaite éclatante que l'Italie acceptera notre secours, avait dit M. Bixio. On touchait à l'heure où cette prévision se réaliserait. Pendant la période des succès faciles et même après les premiers revers, on s'était complu à répéter qu'on se suffirait à soi-même. Cela était si vrai que, Manin avant consulté au mois de juin les gouvernements italiens sur l'opportunité d'un recours il la France, cette proposition avait été écartée par un vœu presque unanime[29]. Quand Radetzky, maitre de la Vénétie, eut envahi le Milanais, l'approche qui péril inspira une tardive sagesse. Charles-Albert expédia à Paris M. Ricci pour solliciter laide de son puissant voisin, à M. Ricci se joignit un délégué de Milan, M. Guerrieri. Le 3 août, l'un et l'autre furent reçus par le général Cavaignac, chef du pouvoir exécutif. Jusque dans cette demande d'assistance se trahissaient les incurables méfiances du roi de Sardaigne. M. Ricci, tout en sollicitant le secours de la France, affecta de considérer que ce secours n'était pas urgent, que les troupes sardes pouvaient résister longtemps encore : ce que le roi de Piémont réclamait, ce n'était pas que la République française intervint directement, niais seulement qu'un corps d'année et un général français fussent mis ii sa disposition. Plus sensé et plus politique, M. Guerrieri s'efforça de réparer cet imprudent langage : à plusieurs reprises, il répéta que l'intervention était nécessaire, que la résistance ne pouvait se prolonger, que les heures étaient précieuses. Mais M. Guerrieri n'avait pas de caractère officiel ; il n'était que le délégué d'une ville déjà réunie au Piémont. M. Ricci seul était le ministre accrédité d'un État régulier. Une telle attitude lassa la bonne volonté de notre gouvernement. L'Italie victorieuse avait repoussé dédaigneusement notre secours : vaincue, elle ne le réclamait qu'avec mauvaise grâce. On considéra que l'intervention, facile quelques mois auparavant, serait d'un succès douteux en face de l'Autriche réconfortée par ses récentes victoires. Les républicains français, d'ailleurs, n'aimaient pas Charles-Albert ; ils lui reprochaient ses anciennes trahisons envers les libéraux ; ils le jugeaient trop empressé à surprendre en vue de ses annexions les suffrages des peuples ; ils craignaient qu'une fois pourvu des territoires convoités, il ne s'entendit avec le cabinet de Vienne ; ils se disaient enfin, non sans raison, qu'une monarchie de douze millions de sujets, créée au nord de la Péninsule, ne serait pas un voisinage moins incommode que l'Autriche. M. Bastide, qui avait succédé comme ministre des affaires étrangères à M. de Lamartine, partageait autant que personne ces antipathies et ces soupçons. Il v était d'alitant plus accessible, qu'il entretenait, à cette époque-là même, avec les radicaux italiens et notamment avec Mazzini des relations assez singulières chez un personnage officiel ; or, ceux-ci le conjuraient, s'il croyait devoir intervenir, d'intervenir en faveur des peuples italiens, non en faveur du roi de Piémont[30]. Pour toutes ces raisons, on décida de repousser la demande du cabinet sarde. Cependant on avait trop encouragé l'Italie pour qu'on pût la laisser sans espérance. A défaut d'intervention, on songea à une médiation. Dans ce dessein, on imagina de reprendre la proposition Hummelauer qui consacrait l'indépendance de la Lombardie et accordait à la Vénétie une administration séparée. Le 9 août, M. Bastide sonda les intentions du cabinet britannique, et il fut entendu que les deux gouvernements provoqueraient l'ouverture de conférences pour cet objet[31]. Une telle médiation permettait encore de stipuler quelques garanties pour l'indépendance italienne. Mais tout conspira d'avance à rendre vaine et dérisoire cette négociation elle-même. On savait Charles-Albert vaincu : on ne connaissait point l'étendue de son désastre. On ne tarda pas à apprendre toute la vérité. Non seulement le roi de Sardaigne s'était replié sur Milan, mais il avait livré à Radetzky cette ville qui s'était naguère donnée à lui : il avait évacué la Lombardie, avait repassé le Tessin, était rentré dans ses États héréditaires. Le 9 août, à l'heure même ou lord Normanby et M. Bastide débattaient ensemble à Paris les termes de la médiation prochaine, il consentait à un armistice qui consacrait une sorte de statu quo ante bellum, qui, par conséquent, livrait à l'Autriche la Lombardie et la Vénétie, la Vénétie y compris Venise même, Venise qui pourtant résistait encore ! Il fut dès lors aisé de prévoir le sort des pourparlers diplomatiques. Comment amener l'Autriche à se dessaisir des provinces qu'elle avait reconquises et dont un récent armistice venait de lui reconnaître la possession au moins provisoire ? A demi victorieux, le cabinet de Vienne eût sans doute repoussé la proposition Hummelauer. Victorieux sur tous les champs de bataille de l'Italie, il devait à peine souffrir qu'on en reparlât la proposition Hummelauer ne pouvait plus être pour lui qu'un souvenir importun, désavoué, enseveli dans l'oubli : car les nations, comme les hommes, changent de langage avec la destinée, et, quand le succès est revenu, elles ne souffrent guère qu'on leur rappelle les jours où elles se sont humiliées sous la mauvaise fortune. Comme si les difficultés n'eussent pas été assez grandes du côté de l'Autriche, il se trouva que les dispositions personnelles du roi de Sardaigne furent plus propres à entraver qu'à aider l'œuvre de la médiation. Dès que le malheureux prince eut accepté l'armistice auquel le général piémontais Salasco avait attaché son nom, deux sentiments absorbèrent son âme. Le premier de ces sentiments, ce fut un immense regret des territoires entrevus et perdus : la Lombardie surtout tenait à cœur à Charles-Albert ; il la convoitait avec cet esprit d'âpre avidité qu'il tenait de ses aïeux. Bien qu'il eût été impuissant à la défendre, il ne comprenait pas qu'on la lui contestât : il ne cessait d'insister par l'organe de son chargé d'affaires à Paris, M. de Brignoles, pour que l'adjonction de cette magnifique province à ses États fût une stipulation invariable du traité définitif. Une exigence si absolue chez un vaincu était à elle seule un obstacle à l'entente. Notre ministre des affaires étrangères, M. Bastide, le sentait : aussi ne négligeait-il aucune occasion de faire entendre à l'envoyé sarde que les bases d'une médiation doivent être débattues et qu'on ne peut les poser d'avance sans s'exposer à un échec certain. — Un autre sentiment, d'un ordre plus élevé, mais encore plus contraire au rétablissement de la paix, dominait Charles-Albert, c'était l'humiliation de ses revers et le désir de les venger. Milan, qu'il avait livrée à Radetzky, le maudissait. Venise, qui venait de se donner à lui, avait rétabli une seconde fois la République et avait juré de s'ensevelir dans ses lagunes plutôt que de se rendre à l'Autriche. Les démocrates de Turin et de Gênes n'avaient pas eux-mêmes ménagé au prince vaincu l'expression de leur mépris. Le roi de Sardaigne n'était pas moins chevaleresque qu'avide ; il avait ressenti vivement ces injures imméritées. Malgré l'inégalité de ses forces, il nourrissait la pensée de reprendre les armes : peut-être aussi un secret instinct l'avertissait qu'une défaite, pourvu qu'elle fût embellie par l'héroïsme, servirait, mieux que tout le reste, l'avenir de sa maison. Comme on le voit, le Piémont ne se prêtait guère plus que l'Autriche aux vues conciliantes des médiateurs. Une médiation, d'ailleurs, n'est vraiment efficace que si l'on sent que la force des armes viendra au besoin l'appuyer. Or, la France sortait de l'insurrection de Juin ; elle ne songeait qu'à panser ses propres blessures ; elle était jalouse, non de bruit, mais d'apaisement ; elle était gouvernée, non plus par Lamai. tine, âme poétique et facile aux entraînements, mais par un militaire à l'esprit plus sensé qu'étendu et peu accessible aux illusions. Si l'on avait pu conserver quelque doute sur nos intentions pacifiques, Cavaignac se fût chargé de les dissiper. Le 25 août 1848, il monta à la tribune et exposa avec une netteté qui ne laissait place à aucune incertitude sa politique à l'égard de l'Italie. Il commença par rappeler que, même après les premiers revers, les peuples de la Péninsule avaient repoussé plutôt que réclamé le secours de la France : Dans cette situation, continuait-il, nous ne pouvions être que médiateurs... Je suis convaincu, ajoutait-il, que la première pensée de la nation est de conserver une paix honorable, de satisfaire aux intérêts de notre honneur, sans troubler, s'il est possible, la paix du monde. Le général terminait par ces mémorables paroles, singulièrement touchantes dans la bouche d'un soldat : Dans notre pays, messieurs, dans un pays aussi facile à s'inquiéter sur toutes les questions qui touchent à son honneur, il faut souvent plus de courage pour plaider en faveur de la paix que pour conseiller la guerre. Si, dans l'histoire du pays, je vois plus d'un homme qui s'est fait un grand nom par la guerre, j'en vois aussi beaucoup qui ont fini obscurément pour n'avoir voulu servir que les intérêts pacifiques de leur pays..... Quant à moi, je le déclare, ma pensée s'est toujours portée avec plus de respect sur ceux-ci que sur les autres. Je pense que la République ne sera fondée en France que lorsque l'éducation républicaine du pays sera faite, que lorsque les hommes qui disposent de la puissance du pays se réduiront à un rôle modeste et à ne pas trop penser à eux-mêmes. Si la ligne de conduite que je suis bien décidé à suivre, tant que l'Assemblée le permettra, doit assurer au pays une paix honorable, une paix digne de la République, je ne demanderai pas d'avoir rendu au pays un plus grand service ; je me croirai assez digne de son estime[32]... On ne pouvait répudier avec une modestie plus fière la
politique d'entrainements et d'aventures. Ce que le général disait dans un
langage empreint de la grandeur de son aine, M. Bastide le disait avec toute
la franchise de sa mauvaise humeur. Il est curieux de surprendre dans les
dépêches de ce diplomate improvisé l'expression naïve de ses mécomptes et de
son dépit : Le gouvernement de la République,
écrivait-il le 29 août au ministre de France à Florence[33], ne croit pas plus aujourd'hui qu'il ne croyait il y a un mois
à l'enthousiasme et à la prédilection des Italiens pour la France. Il ne
croit qu'à leur mobilité et à leur impuissance. L'Italie a compromis, pour ne
pas dire perdu sa cause par un vaniteux entêtement à repousser une assistance
généreusement offerte. Aux jours de la prospérité, la liberté italienne n'a
pas dit un mot, n'a pas accompli un acte qui ne fût désobligeant ou même
hostile à notre égard ; il n'entre aucune pensée de rancune ou de vengeance
dans notre esprit ; mais nous sommes avertis et nous devons agir en
conséquence. L'Italie doit s'estimer heureuse que la République consente à
oublier l'accueil qui a été fait à ses manifestations généreuses. Ces paroles amères révélaient assez la pensée du gouvernement français, et, bien que, dans la même dépêche, on pût lire ces mots : Si la médiation échoue, la voie de l'intervention restera ouverte, et c'est l'intervention qui décidera, il était évident que cette restriction n'était, sous la plume de Bastide, qu'une vaine satisfaction à l'amour-propre national. Pendant les mois de septembre et d'octobre, le langage du ministre des affaires étrangères ne cessa de trahir le même découragement. Son ambition se bornait à prévenir toute attaque contre Venise que l'armistice Salasco livrait à l'Autriche, à empêcher, s'il était possible, toute occupation des duchés et des Légations par les troupes impériales. Un seul événement lui apparaît comme un casus belli, c'est le cas où les troupes autrichiennes franchiraient le Tessin. Sur ce point seul, son langage est net et catégorique : Nous défendrons, dit-il, la frontière du Tessin comme nous défendrions celle du Var[34]. Pour tout le reste, on sent que l'Italie sera désormais abandonnée à elle-même. M. Bastide surtout ne se lasse pas de répéter que si le Piémont dénonce l'armistice et reprend les hostilités, ce sera à ses risques et périls, et qu'il ne trouvera aucun secours de l'autre côté des Alpes[35]. Il y a, dans la diplomatie comme dans toutes les affaires humaines, certaines négociations qu'on ne peut mener à bonne fin, qu'on ne veut abandonner officiellement et qu'on laisse traîner en longueur jusqu'à ce que le temps ou quelque autre préoccupation les fasse oublier. Tel fut le sort de la médiation anglo-française. L'Autriche ne s'y prêtait point : le Piémont ne s'y prêtait guère : l'Angleterre ne s'en souciait que faiblement : la France, cette amie naguère si chaude, avait été rebutée dans toutes ses offres, déçue dans boutes ses espérances. On déploya, sans rien résoudre, tout le luxe de la procédure diplomatique. On discuta sur l'ouverture des conférences : on délibéra sur le lieu où les conférences se tiendraient. Après bien des pourparlers, on fixa Bruxelles : on désigna ensuite les plénipotentiaires ; puis on s'arrêta là, et on laissa l'Autriche et le Piémont vivre sous la loi de l'armistice Salasco, dans un état qui n'était ni la paix ni la guerre. — Est-ce à dire toutefois que l'Italie cessât d'éveiller l'attention de l'Europe et surtout de la France ? En aucune façon. A l'heure même où la question de l'indépendance italienne entrait dans une courte phase d'apaisement, nos regards étaient attirés vers Rome, où les intérêts les plus graves de l'ordre social, politique et religieux, sollicitaient notre propre action. Nous n'échappions à la question italienne que pour tomber dans la question romaine. IV L'année 1848 avait été féconde en épreuves pour Pie IX, en agitations pour la ville de Rome, en déceptions pour les amis de la liberté. Ainsi qu'on l'a vu, le Saint-Père, sous la pression des événements, avait, au mois de mars, accordé une Constitution à son peuple. De plus, il avait toléré la formation d'un corps de troupe qui avait été placé sous les ordres du général Durando et qui s'était acheminé vers le nord de l'Italie. Ce corps d'armée, comme on l'a dit, n'était destiné, dans la pensé du Pape, qu'à la défense des frontières pontificales : mais le parti de la révolution ne l'entendait point ainsi et voulait qu'il fût employé à la guerre immédiate contre l'Autriche : une proclamation de Durando à ses soldats leur annonça même la lutte prochaine. Il ne pouvait convenir à Pie IX de laisser subsister celte équivoque : son caractère sacré répugnait à l'effusion du sang : l'Autriche était une puissance catholique : l'hostilité contre elle pouvait entraîner, dans l'ordre religieux même, de graves conséquences. Le Pontife, dans une encyclique du 29 avril, désavoua toute pensée belliqueuse ; en même temps, pour bien témoigner les sympathies de son cœur, il conjura l'Empereur dam : les ternies les plus touchants de mettre fin à une lutte à outrance et de se faire le bienfaiteur plutôt que le dominateur de l'Italie. — Cet acte du 29 avril consacra la rupture entre le Pape et le parti révolutionnaire qui, jusque-là, avait affecté de se couvrir du nom de Pie IX. Un grand tumulte éclata dans la ville de Rome. Le Saint-Père céda sous les violences. Le comte Mamiani, homme modéré, mais ancien proscrit, fut appelé au ministère. Pour calmer les scrupules du Pontife, on décida, par un étrange subterfuge, que le gouvernement romain ne déclarerait point la guerre à l'Autriche, mais que les troupes du général Durando seraient placées sous les ordres de Charles-Albert. On a vu comment Durando avait capitulé à Vicence. Cependant le Pape subissait son ministre plutôt qu'il ne l'acceptait. Mamiani, désavoué par son souverain, ne gouvernait, d'ailleurs, pas plus que Pie IX : ce qui gouvernait, c'étaient les cercles, les clubs, la presse surtout qui soufflait les passions. Le 19 juillet, Mamiani lui-même tomba du pouvoir. Une longue crise ministérielle suivit, longue période d'anarchie, où Rome ne fut plus qu'une véritable Babel, et où il n'y eut plus dans la ville ni ordre, ni sécurité, ni liberté. Dans ces tristes conjonctures, Pie IX tourna les yeux vers la France Ce n-était pas que la nouvelle République lui inspire une grande confiance : même il avait mis peu d'empressement à la reconnaître, et le cabinet français n'avait pas remarqué sans déplaisir cette réserve voisine de la froideur[36]. Cependant, de toutes les puissances catholiques, c'était celle dont le Saint-Père pouvait invoquer le plus utilement l'appui. Dans les premiers jours du mois d'août, il s'adressa directement au général Cavaignac et sollicita de lui l'envoi à Rome de quelques milliers 3e soldats. On se souvient que, dès le mois de janvier, alors que les périls étaient beaucoup moins graves, M. Guizot s'était préoccupé de préparer un pareil secours. La République, alors moins prévoyante, repoussa ce premier appel de Pie IX. Elle estima qu'une véritable intervention serait incompatible avec le rôle de médiatrice qu'elle s'était imposé vis-à-vis de l'Italie. Quant à l'envoi de trois ou quatre mille Français à Rome pour protéger le Pape contre ses ennemis de l'intérieur, le ministre des affaires étrangères jugeait ce service de police bien au-dessous de la dignité de notre gouvernement. Telles furent les raisons qui colorèrent notre refus[37]. Opprimé par ses propres sujets, se croyant délaissé par la France, Pie IX ne perdit point courage. Il aurait pu se livrer à la révolution dans l'espoir de l'apaiser à force de sacrifices : il aurait pu se rejeter brusquement en arrière et demander aux puissances absolutistes la consolidation de sou trône. Loin de tomber dans l'un ou l'autre excès, il voulut, en dépit de ses mécomptes, tenter un dernier effort pour l'établissement d'un régime régulier, libéral et durable. Pour le seconder dans cette entreprise généreuse et hardie, il jeta les veux sur l'ancien ambassadeur du roi Louis-Philippe, M. Rossi. M. Rossi, après la révolution de Février, était demeuré dans les Etats de I Église, soit qu'il lui répugnât de revoir la France d'où ses protecteurs étaient exilés, soit que, arrivé au déclin de l'âge, il se reprit d'affection pour la première patrie de sa jeunesse. Il s'était retiré à Frascati, d'où il suivait d'un œil attentif les vicissitudes de l'Italie. La lutte engagée pour l'indépendance ne l'avait point laissé indifférent : même le plus jeune de ses fils s'était enrôlé dans l'un des bataillons qui partaient pour les bords de l'Adige. Lorsque le Pape, au mois d'avril, sonda pour la première fois ses dispositions, il hésita d'abord devant les difficultés de la tâche. Il n'ignorait pas que la République française verrait avec un dépit extrême un ami de M. Guizot saisir la direction des affaires pontificales : il l'ignorait d'autant moins que notre ambassadeur M. d'Harcourt, obéissant aux instructions de M. Bastide, avait vivement insisté auprès du Saint-Père sur l'inconvenance de ce choix[38]. Il savait, d'ailleurs, que, dans l'exercice de sa charge, il ameuterait contre lui les deux partis contraires : ancien carbonaro aux yeux dés uns, champion de l'ordre aux yeux des autres. Son expérience enfin lui montrait clairement que, si les réformes sont toujours difficiles à réaliser, elles deviennent presque impossibles à reprendre et à accomplir quand une fois l'esprit révolutionnaire s'en est emparé pour les exploiter. Sur de nouvelles instances, il céda cependant. Le 16 septembre, il entra dans les conseils du Pape. Une fois qu'il se fut donné, il se donna tout entier, fier d'être associé à une de ces œuvres ardues qui sauvent rarement les peuples, mais qui consacrent la mémoire de ceux qui s'y dévouent. Lés Chambres s'étaient séparées le 26 août et ne devaient se réunir que le 15 novembre. Il fallait utiliser ces deux mois pour restaurer le pouvoir désorganisé ou affaibli, et pour préparer uni programme de gouvernement. Dans le nouveau ministère, M. Rossi se chargea de trois portefeuilles : celui de l'intérieur, celui de la police et, par intérim, celui des finances. Son activité fut au niveau de cette lourde tâche. L'anarchie régnait partout. Les Légations étaient presque séparées de fait du reste des États de l'Église : Bologne levait des impôts et créait du papier-monnaie ; Ancône venait de former un comité de salut public. A Rome, la police était impuissante à réprimer les désordres quotidiens[39]. Le premier soin de M. Rossi fut de concentrer entre ses mains l'autorité et de rendre à ses subordonnés l'énergie et la confiance. Pour remédier à la détresse du trésor, il parvint à obtenir du clergé et des corporations religieuses une avance de 4 millions d'écus ; cette avance devait lui permettre de retirer de la circulation une portion des bons du trésor émis l'année précédente. Le nouveau ministre fit venir de Suisse le général Zucchi, vieux soldat qui avait fait les guerres de l'empire dans les rangs de l'armée française, et qui était à la fois peu favorable au Piémont et très hostile à l'Autriche : il lui confia le portefeuille de la guerre et le chargea de la réorganisation de la force publique. Sa sollicitude se porta ensuite sur les abus de l'ordre administratif, et, pour les détruire, une série de projets furent élaborés par ses soins. Économiste non moins qu'homme d'État, M. Rossi ne pouvait être indifférent ces progrès de l'ordre matériel et scientifique que le gouvernement pontifical avait parfois été accusé d'ignorer ou de négliger. Il s'occupa d'organiser des écoles professionnelles ; il institua des chaires nouvelles à l'Université de Bologne ; il créa des bureaux de statistique ; il décréta la construction de deux lignes télégraphiques, l'une vers Ferrare, l'autre vers Civita-Vecchia ; il songea à traiter avec une compagnie pour l'établissement d'un chemin de fer de Rome à Naples. Dans l'ordre politique, le président du conseil ne négligea aucune occasion d'affirmer tout à la fois son respect pour le statut constitutionnel et sa ferme volonté de réprimer le désordre. Sa vigilance s'étendit enfin au delà des limites des États de l'Église. Reprenant un projet déjà tenté, il négocia avec les gouvernements de la Péninsule pour l'établissement d'une Confédération italienne. Seulement, à la différence de Gioberti, le ministre du Saint-Père se refusait à reconnaitre à la Sardaigne une place prépondérante dans l'union commune. Sa perspicacité lui révélait d'avance les convoitises piémontaises ; en outre, il jugeait injuste que Florence et Naples fussent sacrifiées à Turin : il voulait une ligue d'États égaux en droits, non subordonnés. Ainsi se déployait, dans les plus humbles détails de l'administration comme dans les plus hautes questions de la politique, la sollicitude du nouveau chef du gouvernement pontifical. On vit alors combien était exécrable la faction révolutionnaire. L'indépendance nationale avait été compromise tant par la présomption folle que par la désunion des peuples italiens. Même après cet échec, il restait à détendre la cause de la liberté civile, du progrès régulier, de l'ordre légal. Un homme d'État avait surgi, capable de comprendre ce rôle et, par là, de réparer le passé, de consolider le présent, de préparer l'avenir. Cette dernière faveur de la Providence demeura vaine. Se rejetant brusquement en arrière, le peuple italien recula jusqu'aux traditions les plus sinistres des républiques du moyen âge. Un complot fut ourdi contre la vie de Rossi. Il éclata le 15 novembre, jour de la rentrée du Parlement. Depuis quelque temps, on craignait des troubles pour ce jour-là des troupes que l'on croyait fidèles avaient même été appelées à Rome. Cependant M. Rossi se préparait à exposer à la Chambre le programme de sa politique : il se flattait que la sagesse de ses mesures éclatant à tous les yeux, une majorité gouvernementale se formerait autour de son nom. Dans cet espoir, il repoussa avec une hauteur un peu dédaigneuse les avis qui lui furent donnés de pourvoir à sa sûreté. Soit indiscrétion, soit remords de quelques-uns des conspirateurs, ces avis ne lui manquèrent pas. Le 15 au matin, la femme d'un de ses collègues, la duchesse de Rignano, lui écrivit pour le conjurer de ne pas quitter sa demeure. Un peu plus tard, pendant qu'il déjeunait avec sa famille, un inconnu lui transmit, sous la forme la plus pressante, le même avertissement. A midi, M. Rossi se rendit au Quirinal. Pie IX avait appris les bruits terribles qui couraient dans la ville. Il accueillit son conseiller avec plus d'affection que de coutume, et, après l'avoir béni : Je n'ai qu'un ordre à vous donner, lui dit-il, c'est de prendre toutes les précautions possibles pour épargner à vos ennemis un grand crime : votre vie est menacée. — Ils sont trop lâches, répondit le ministre, ils n'oseront pas. Et il sortit. Au moment où il quittait les appartements du Saint-Père, un prélat l'aborda, lui fit part de confidences sinistres qu'il venait de recevoir et le supplia de ne pas se rendre à la séance d'ouverture du Parlement. Rossi parut ébranlé ; mais se remettant aussitôt : La cause du Pape est celle de Dieu, dit-il ; j'irai où m'appelle le devoir. Accompagné du sous-secrétaire d'État des finances, M. Righetti, il monta en voiture et se dirigea vers le palais de la Chancellerie où siégeaient les députés. Comme on approchait, on entendit un coup de sifflet et l'on vit un homme courir en avant comme pour annoncer l'arrivée du ministre. Le cocher, surpris, arrêta ses chevaux, puis, sur l'ordre de son maitre, poursuivit. On arriva en face du palais. La garde civique occupait la place, mais non la cour intérieure ; aussi la voiture s'était a peine engagée sous le portique qu'un groupe nombreux l'entoura pour rendre toute retraite impossible. M. Righetti descendit, et, après lui, le président du conseil. Au silence glacial qui avait régné jusque-là succédèrent des huées, des sifflets, des cris de mort. M. Rossi promena sur la foule hostile un regard assuré. Il montait les premières marches du péristyle, lorsqu'un homme le frappa de sa canne sur l'épaule ; il se retourna aussitôt vers son agresseur et, dans ce mouvement, découvrit son cou ; au même instant, un coup de stylet l'atteignit à la gorge. Il gravit encore quelques degrés, puis s'affaissa. M. Righetti, aidé d'un homme de service, le transporta dans les appartements du cardinal Gozzoli. La blessure était mortelle, l'artère carotide ayant été tranchée. Le curé de San Lorenzo in Damaso accourut et donna l'absolution au mourant, qui expira presque aussitôt. Il y eut quelque chose de plus odieux que le crime, cc fut la scélératesse qui l'acclama et ce fut la lâcheté qui se tut. La garde civique qui occupait la place demeura impassible et ne fit aucune tentative pour saisir les assassins. La Chambre des députés était réunie : le président Sturbinetti ne sut ni lever aussitôt la séance, ni trouver un mot pour flétrir l'assassinat ; il passa à l'ordre du jour, et, comme un murmure d'étonnement s'échappait des tribunes : Qu'y a-t-il ? s'écria un des députés, cet homme était-il donc le roi de Rome ? A ces paroles cruelles, les membres du corps diplomatique, trouvant que la mesure était comble, se levèrent : Sortons, dit l'ambassadeur de France, nous n'avons plus rien à faire ici. Le soir, les meurtriers et leurs complices parcoururent les rues et organisèrent des illuminations ; les troupes, sortant de leurs casernes, fraternisèrent avec la foule : du sein des groupes, on entendait partir ce cri : Béni soit le poignard qui a tué Rossi ! Quelques bandes se portèrent même jusqu'au palais où demeuraient la veuve et les enfants de la victime, et insultèrent à leur douleur. Le directeur de la police, invité à prendre des mesures de répression, s'y refusa. Le langage des journaux démagogiques vint ajouter à toutes ces hontes un nouveau scandale ; les plus ardents louèrent le crime ; les plus modérés, craignant de l'approuver ouvertement, osèrent cependant écrire que le stylet qui avait frappé Rossi était l'instrument d'une Providence terrible autant que juste[40]. Cette journée eut le lendemain son épilogue. Dès le matin, les membres des clubs, la garde nationale, les corps de la garnison se réunirent sur la place du Peuple. A midi, ils se formèrent en cortège, s'engagèrent sur le Corso, puis se dirigèrent vers le Quirinal. Il s'agissait de faire accepter au Pape un programme politique rédigé la veille au Cercle populaire, et qui consistait dans la reconnaissance de la nationalité italienne, la convocation d'une Constituante, la formation d'un ministère démocratique. Lorsqu'on fut arrivé sur la place Monte Cavallo, une députation, composée de membres des cercles et de représentants du peuple, pénétra dans le palais et fut reçue par le cardinal Soglia, qui répondit que le Saint-Père aviserait. Cette réponse n'ayant pas satisfait les manifestants, les délégués tentèrent une seconde démarche. Le Pape, cette fois, les reçut lui-même. Il était entouré des ambassadeurs de France, d'Espagne, de Russie, de Bavière, venus pour lui prêter le concours de leur autorité et aussi pour le protéger : car le Quirinal n'était défendu que par une centaine de Suisses et quelques gardes du corps. Pie IX refusa tout d'abord d'accepter le programme qu'on lui imposait. Dès ce moment, l'audace des factieux ne connut plus de bornes. On se mit à construire des barricades. Les meneurs se répandirent dans la ville en appelant aux armes. La garde civique, la gendarmerie, la ligne, la légion romaine, musique et tambours en tête, vinrent se ranger en bataille sur la place du Quirinal et se joignirent aux émeutiers. Comme les Suisses, qui faisaient bonne contenance, avaient fermé la grande porte du palais, on amena une pièce d'artillerie pour en forcer l'entrée. Des coups de feu furent tirés sur les fenêtres, et l'un des prélats de la maison pontificale fut mortellement atteint. Chaque heure apportait des forces nouvelles à la sédition. Pas un des commandants de la force publique, pas un des grands personnages romains ne venait offrir ses services au Pape[41]. Abandonné de tous, n'ayant autour de lui que le corps diplomatique, le Saint-Père, pour éviter l'effusion du sang, céda aux rebelles. Vers huit heures du soir, il annonça qu'il acceptait une liste ministérielle où figuraient Mamiani, Galetti, Sterbini. On vit alors se reproduire toutes les scènes de la veille, les cris d'allégresse, les retraites aux flambeaux, les promenades tumultueuses, manifestations d'un peuple égaré qui célébrait sa honte comme il eût célébré une victoire. V Nous avons raconté ailleurs[42] combien fut grande l'émotion publique en France, quand on apprit l'assassinat de Rossi, l'émeute du 16 novembre, les dangers courus par le Pape. Nous avons dit comment M. de Corcelles reçut aussitôt la mission de se rendre à Rome pour y offrir au Saint-Père l'hospitalité du sol français, comment un corps de troupes fut embarqué à Toulon, comment l'Assemblée, par un ordre du jour solennel, approuva ces résolutions. Il se trouva que l'événement ne répondit point tout à fait à cet élan généreux et spontané. Soit crainte d'engager l'avenir, soit respect pour l'indépendance du peuple romain, le gouvernement avait pris soin d'annoncer qu'il entendait protéger la personne du Saint-Père, non se mêler des questions politiques qui s'agitaient entre le Souverain Pontife et ses sujets. Les instructions données à M. de Corcelles furent, à cet égard, très précises ; les déclarations de l'Assemblée ne le furent pas moins. Or, on ne tarda pas à apprendre que, le 24 novembre, Pie IX, trompant la vigilance de ses gardiens, était parvenu à quitter sa capitale, qu'il s'était réfugié à Gaëte sur le territoire napolitain, et qu'il avait trouvé auprès du roi des Deux-Siciles un accueil aussi respectueux qu'empressé. — Dès lors, à ne considérer que les ternies stricts de notre programme, notre but était atteint. Le Pape était sain et sauf, de plus entouré d'hommages et sur une terre amie. Que pouvait-on souhaiter de plus ? Les troupes, déjà embarquées, pouvaient regagner leurs cantonnements de Marseille et de Toulon ; il était inutile que M. de Corcelles passât la mer, ou, s'il se rendait à Gaëte, ce ne pouvait être, comme il le disait plaisamment lui-même, que pour porter au Saint-Père la carte de visite de nos soldats[43]. Notre rôle était accompli avant même d'avoir commencé. Cependant cette attitude un peu étroite et mesquine, quoique loyale, ne devait pas suffire longtemps au vœu des catholiques. L'amour-propre national lui-même n'y trouverait guère son compte. N'y avait-il pas quelque chose de beaucoup plus précieux que la personne du Pape ? C'était la papauté elle-même. Le souci de la liberté des Romains pouvait-il faire oublier les intérêts dont la France était à Rome la gardienne ? La France, naguère si émue des nouvelles de Rome, n'avait-elle porté sa sollicitude que sur le Pontife ? N'avait-elle pas voulu pourvoir à son indépendance spirituelle et aussi à son pouvoir temporel, garant de cette indépendance ? Toutes ces questions s'imposèrent bientôt, non au général Cavaignac, qui, à cette heure-là même, descendait du pouvoir, mais à Louis Bonaparte et à ses conseillers. L'histoire diplomatique des mois qui vont suivre est contenue tout entière dans les mesures successives, souvent ambiguës, presque contradictoires, par lesquelles le ministère Barrot élargira, transformera le programme de Cavaignac et sera conduit, parfois malgré lui et comme par la force des choses, non seulement à protéger la liberté matérielle du Pape, mais à assurer sa liberté morale et, en fin de compte, à restaurer son trône lui-même. Il n'est pas téméraire d'affirmer que cette politique d'initiative hardie se heurta tout d'abord à bien des obstacles. Ces obstacles se rencontraient à l'Élysée, — dans le ministère, — au sein même de l'Assemblée. Louis Bonaparte, en 1831, avait pris les armes contre le gouvernement pontifical ; on pouvait conjecturer sans invraisemblance qu'il n'avait pas tout à fait abjuré, dans son tige mûr, les tendances de sa jeunesse. Lorsque l'Assemblée, dans son ordre du jour du 30 novembre, avait approuvé la généreuse initiative de Cavaignac, il s'était abstenu. A la vérité, quelques jours plus tard, il avait désavoué, avec une netteté extrême, la conduite de son cousin, le prince de Canino, très mêlé alors aux agitations romaines ; mais cc désaveu, à la veille du scrutin présidentiel, avait semblé au plus grand nombre une manœuvre électorale plutôt que l'expression d'une pensée bien sincère. Depuis son élection, le nouveau chef de l'État s'exprimait, sur les affaires italiennes, avec une modération réservée qui ne décourageait les espérances d'aucun parti. A la réception du 1er janvier, on avait vu le prince s'avancer vers le nonce et lui adresser, avec beaucoup de courtoisie, un vœu en faveur d'une prochaine restauration pontificale. D'un autre côté, on affirme que, vers le même temps, Louis Bonaparte, dans un entretien avec l'envoyé de la république de Venise, M. Tommaseo, se montrait disposé à réduire plutôt qu'à fortifier le pouvoir temporel da Pape[44]. A quelques jours de là, le président de la République, recevant M. de Corcelles, qui revenait de Gaëte, exprimait la pensée que la révolution italienne demeurerait peut-être triomphante[45]. Comme on le voit, l'incertitude régnait sur les sentiments réels du nouvel hôte de l'Élysée, et peut-être lui-même ignorait-il encore à quelle inspiration il s'arrêterait. Au sein du conseil, trois des ministres avaient surtout mandat pour débattre et résoudre la question romaine : c'étaient M. Barrot comme chef du cabinet, M. Drouyn de Lhuys comme ministre des affaires étrangères, M. de Falloux comme ministre des cultes. — M. Barrot ne se dissimulait pas que le triomphe de la révolution à Rome serait un grave échec pour la cause conservatrice : il s'effrayait de l'alliance étroite qui existait entre les démagogues de l'Italie et les démagogues de France : en outre, il comprenait à merveille que le parti catholique, alors plein de bonne volonté, deviendrait hostile si le Pape n'était restauré dans ses États. En dépit de ces considérations, il hésitait : il craignait les responsabilités devant l'Assemblée ; il redoutait les complications qui surviendraient ; son esprit, peu ouvert aux choses religieuses, ne lui montrait pas distinctement la grandeur des intérêts à sauvegarder. — Familiarisé avec les traditions diplomatiques, M. Drouyn de Lhuys sentait qu'il fallait empêcher à tout prix, soit le triomphe de la démagogie dans la Péninsule, soit la restauration du Saint-Père par les armes de l'Autriche : mais il se flattait encore qu'on pourrait, sans intervention directe, échapper à l'une et à l'autre éventualité : il nourrissait l'espoir qu'une entente finirait par s'établir entre les Romains, jaloux de revoir le Pape, et le Pape, désireux de revoir Rome : dans la pensée que les événements épargneraient l'embarras d'une décision, il opinait, comme M. Barrot, pour la politique d'atermoiement. — Seul, M. de Falloux, inspiré par ses propres convictions comme par les conseils de ses amis, poussait résolument à l'intervention. Il ne cessait de combattre les ajournements et les demi-mesures derrière lesquels s'abritait la timidité de ses collègues. La hardiesse contenue de son langage, la netteté de ses aperçus lui assuraient une influence peu en rapport avec sa jeunesse et la nouveauté de ses services. Il s'appliquait surtout à conquérir à ses vues le président de la République, et à lui démontrer combien une initiative résolue profiterait à sa cause et à son nom. Si les dispositions du président et de ses ministres étaient obscures ou indécises, celles de l'Assemblée constituante étaient moins favorables encore. A la nouvelle du meurtre de Rossi, tous les cœurs honnêtes s'étaient soulevés d'indignation : sous cette impression, une majorité parlementaire s'était rencontrée pour offrir à Pie IX l'appui de nos soldats et l'hospitalité du sol français. Mais il ne fallait pas tirer de ce vote des conséquences qu'il ne comportait pas. Autre chose étaient ces avances à un pontife vénérable et malheureux, autre chose eût été une restauration du pouvoir pontifical. Contre une telle entreprise, on eût rencontré non seulement l'extrême gauche, mais le parti républicain presque tout entier : les membres de la droite et, dans les autres groupes, quelques représentants isolés eussent seuls applaudi à ce dessein. L'anarchie qui régnait à Rome fournit bientôt un premier argument aux partisans de l'intervention. A la nouvelle de la fuite du Saint-Père, le premier sentiment des Romains avait été l'embarras. On aimait à gouverner en dehors des vues du Pontife, mais on était accoutumé à s'abriter sous son contreseing. Les ministres avaient imaginé d'administrer sous le nom du Pape, connue s'il eût été présent dans sa capitale. De Gaëte, Pie IX avait protesté contre cet abus qu'on faisait de son autorité. Il avait fait plus, et avait désigné une commission exécutive de sept membres, chargée de pourvoir en son absence à tous les besoins de la chose publique. Les Chambres, à leur tour, refusèrent de reconnaitre cette commission et créèrent une Junte d'État, sorte de triumvirat dont faisaient partie M. Corsini, sénateur de Rome, M. Zucchini, sénateur de Bologne, M. Camerata, gonfalonier d'Ancône. Sur ces entrefaites, des pétitions commencèrent à circuler, demandant la convocation d'une Constituante : ces pétitions étaient revêtues de peu de signatures, mais se colportaient bruyamment et se donnaient comme l'expression d'un vœu populaire unanime. La Junte d'État, réduite à deux membres par la démission de M. Zucchini, niais reformée peu après par l'adjonction de M. Galetti, proposa à la Chambre des députés d'obéir aux pétitionnaires. La Chambre des députés, répugnant à cette dernière violation du statut, allégua qu'elle n'était point en nombre et se déroba à la discussion. La Junte prononça alors la dissolution du Parlement, fixa au 2 t janvier les élections pour la Constituante, puis, privée du concours de M. Corsini, qui avait refusé de s'associer à de tels actes d'arbitraire, elle résigna son autorité entre les mains d'une Commission de gouvernement où dominait Sterbini. Dans la ville, privée de son pontife, les pouvoirs changeaient rapidement. Mais déjà ce qui gouvernait, ce n'était plus la Commission, ce n'étaient même ni les cercles, ni les clubs, ni la garde civique, c'étaient les étrangers venus de tous les points de l'Italie et attirés vers Rome par l'espoir des troubles prochains. C'est au milieu de ce désordre que se préparèrent les élections. Pie IX avait interdit à ses sujets fidèles d'y prendre part. Cette interdiction eut pour conséquence d'écarter du scrutin tous les amis de la papauté : les autres seuls ayant voté, on devine ce que fut l'ensemble des choix. L'Assemblée se réunit le 5 février : le 9, après quinze heures de délibération, elle proclama la déchéance du pouvoir pontifical et l'établissement de la République. Les Montagnards de notre Assemblée nationale s'empressèrent d'envoyer une adresse à leurs frères de la Constituante romaine, comme pour bien marquer l'alliance entre les démagogues des deux pays. Ces nouvelles, transmises, soit par les correspondances des journaux, soit par les dépêches de nos agents, ne pouvaient manquer d'émouvoir le cabinet français. L'idée d'une intervention prochaine commença à s'accréditer dans les esprits. Tout en jugeant cette intervention nécessaire, on persistait à en redouter les conséquences : on aurait voulu en recueillir les bénéfices sans en assumer la responsabilité. Une combinaison imaginée à Turin entretint quelque temps cet espoir. A la fin de 1848, Gioberti avait été appelé à la présidence du conseil dans le ministère sarde. C'était, on s'en souvient, l'auteur du Primato. Une fois au pouvoir, il songea à exécuter le plan que sa plume avait autrefois tracé. Les circonstances lui parurent propices. Le Pape avait été contraint de quitter Rome. Pourquoi le gouvernement de Charles-Albert ne s'emploierait-il pas à ménager une entente entre ses sujets et lui ? Pourquoi ne se ferait-il pas, en outre, dans toute la Péninsule, le restaurateur de l'ordre constitutionnel ? Par cette initiative, le Piémont consacrerait sa prééminence sur tous les États de l'Italie. Au-dessus de Turin qui représenterait la force matérielle, il n'y aurait que Rome qui représenterait la force morale. La liberté serait sauve, et l'ordre aussi. Le ministre enfin aurait réalisé, du même coup, le rêve du publiciste. Plein de ces pensées, Gioberti, dans ses dépêches, laissa clairement entendre que, le Saint-Père étant un prince italien, les gouvernements de la Péninsule avaient seuls qualité pour élever la voix en sa faveur[46]. Il alla plus loin et fit des ouvertures en ce sens à Gaëte, à Rome, à Naples. En Italie, cette sorte d'arbitrage intéressé ne plut à personne. Le Pape n'hésita pas à le repousser. Ce n'était pas qu'il n'eût confiance dans les sentiments personnels de Charles-Albert : mais il se défiait de l'avidité piémontaise ; il redoutait l'esprit démocratique qui régnait dans ce pays ; il se rappelait enfin, non sans déplaisir, l'hostilité qu'avait rencontrée à Turin le projet de Ligue italienne conçu par M. Rossi. L'accueil, défavorable à Gaëte, ne le fut guère moins à Rome. Quant à la cour des Deux-Siciles, sa mésintelligence avec la cour de Turin était complète : la diplomatie napolitaine poussait même la malveillance jusqu'à laisser entendre que, si les troupes sardes occupaient jamais les Légations, ce serait, non pour les rendre, mais pour les garder. Dans sou propre pays même, Gioberti n'était pas assuré de l'assentiment de ses amis. Les élections qui venaient d'avoir lieu en Piémont avaient, en effet, grandement fortifié le parti démocratique, et l'on pouvait redouter qu'un essai de restauration du Pape, fût-ce avec toutes les garanties constitutionnelles, ne soulevât les plus vives répugnances. Rebuté de toutes parts en Italie, Gioberti se tourna vers la France. Autant il avait rencontré de froideur auprès des gouvernements italiens, autant il trouva de sympathies à l'Élysée Louis Bonaparte fut séduit par l'apparente grandeur du dessein de Gioberti. Un règlement de la question italienne par les Italiens eux-mêmes devait plaire à son esprit, dès lors possédé de la théorie des nationalités. L'intervention piémontaise avait, d'ailleurs, au point de vue français, le double avantage de satisfaire les vœux des catholiques sans braver les volontés de l'Assemblée constituante, et de rétablir le Pape sans faire de la France le gendarme de la papauté. A la vérité, au sein du ministère, cette conception rencontra dans M. de Falloux un adversaire résolu : Vouloir cacher la France derrière le Piémont, répondait-il à M. Gioberti, c'est cacher un géant derrière un roseau[47]. Puis, s'adressant à ses collègues, il raillait, non sans justesse, cette monarchie piémontaise, hier vaincue, obligée de s'abriter derrière la protection de la France et de l'Angleterre, et s'avisant aujourd'hui de protéger les autres : De quel droit, disait-il, s'arrogeait-elle ce rôle, sinon du droit de ses défaites ? La France, continuait le ministre, en se dissimulant derrière la Sardaigne, assume sur elle, en cas d'échec, la responsabilité de l'insuccès et, dans le cas contraire, se prive de l'honneur de la réussite. — Ce langage de M. de Falloux impressionnait, mais n'entraînait pas les convictions. Il était visible que le plan de M. Gioberti, peu goûté en Italie, faisait chez nous son chemin dans les esprits. On en eut bientôt la preuve. Ledru-Rollin, le 20 février, ayant interrogé le cabinet sur le bruit d'une prétendue intervention piémontaise qui se produirait dans les Romagnes avec la complicité de la France, le ministre des affaires étrangères, M. Drouyn de Lhuys, ne démentit pas ces rumeurs, mais se contenta d'observer, avec une réserve ironique, que le territoire sarde ne confinait point au territoire pontifical[48]. Deux jours plus tard, le même ministre, dans une dépêche à notre représentant à Gaëte, M. d'Harcourt[49], n'hésitait pas à considérer qu'une intervention des gouvernements sarde et napolitain serait la meilleure des combinaisons. Cette solution, aux yeux de M. Drouyn de Lhuys, rendrait inutile l'action des grandes puissances et rattacherait la Sardaigne à la politique conservatrice. C'est pourquoi il recommandait à son envoyé de travailler de tout son pouvoir à vaincre les répugnances du Saint-Père contre le Piémont. On ne peut, ajoutait le ministre[50], exclure la Sardaigne, sans la rejeter dans les rangs ennemis. Les événements firent bientôt justice de cette conception, séduisante à première vue, mais, dans l'état de l'Italie, tout à fait chimérique. A l'heure même où M. Drouyn de Lhuys expédiait à Gaëte les instructions que nous venons de rappeler, la faction démagogique, très puissante dans la nouvelle Chambre piémontaise, renversait Gioberti. Avec lui s'évanouissait le dessein dont il avait été l'inventeur et le patron[51]. — Cette solution intermédiaire étant écartée, il ne restait plus qu'il opter franchement entre la politique d'effacement et la politique d'action. Or, les nouvelles de Rome polissaient à l'action : les dispositions des puissances n'y poussaient pas moins. Les anciens sujets du Pape avaient pu voter la République romaine, mais non ressusciter les souvenirs que ce grand nom rappelait. Le nouveau gouvernement avait été proclamé au Capitole : des salves d'artillerie avaient été tirées en signe de réjouissance : des porteurs de torches, moyennant quelques baïoques, s'étaient répandus dans le Corso pour simuler les illuminations absentes : on s'était empressé d'enlever partout les écussons pontificaux : on avait beaucoup parlé d'enrôlements volontaires et de levées en masse : on s'était promis, avec de grands élans d'indignation, de chasser de l'Italie les Barbares. Mais ce mélange de parodie guerrière et de comédie politique était plus propre à exciter la risée qu'à conquérir l'estime de l'Europe. A ces manifestations puériles, mais inoffensives, succédèrent des mesures qui l'étaient moins. Un décret du 21 février déclara propriété de la République tous les biens ecclésiastiques de l'État romain. Quatre jours plus tard, un autre décret frappa les riches d'un emprunt forcé qui, suivant le chiffre des fortunes, variait entre le cinquième et les deux tiers du revenu annuel[52]. Ces décrets joignaient au tort d'être iniques celui d'être inefficaces. Les biens ecclésiastiques se composaient, soit d'églises ou d'objets d'art, soit de vastes domaines d'une réalisation difficile : les nations catholiques avaient, d'ailleurs, en vertu d'anciens titres, des droits sur un grand nombre de convents ou de sanctuaires. Quant à l'emprunt forcé, la fuite de la plupart des familles notables en rendait la perception presque impossible : il fallait, pour qu'il produisit quelque chose, recourir à l'expropriation ; et l'expropriation, dans l'état du crédit public et privé, ne pouvait elle-même donner que des résultats dérisoires. En attendant l'effet de ces violences inutiles, la misère croissait dans la ville : les bons du Trésor, mis en circulation, s'escomptaient à près de 15 pour 100 : les fêtes de Pâques approchaient, et les commerçants, déjà en proie à de cruels embarras, voyaient avec terreur que cette saison, si fructueuse d'ordinaire par l'affluence des étrangers, n'apporterait cette année aucun supplément de ressources. Ce qui était plus grave que tout le reste, c'est que l'élément indigène s'absorbait de plus en plus dans l'élément italien ou cosmopolite. M. Mamiani, si populaire un an auparavant, s'était effacé ; plusieurs des chefs les plus acclamés avaient vu leur influence décliner. Mazzini en revanche était arrivé à Rome. on l'avait revêtu du titre de citoyen romain : il avait été accueilli avec les plus grands honneurs à l'Assemblée, et on l'v avait fait asseoir à côté du président. Rome allait devenir le quartier général des révolutionnaires européens, et il était aisé de prévoir qu'ils s'efforceraient de prolonger la résistance, alors même que la fatigue des agitations et la ruine des fortunes inclineraient au repentir toutes les âmes honnêtes. L'état de la ville de Rome légitimait l'intervention ; les dispositions des puissances obligeaient de s'y décider promptement si l'on ne voulait être devancé. Pie IX, réfugié à Gaëte, avait groupé autour de lui le corps diplomatique tout entier et avait aussitôt protesté contre les récentes violences. Après la proclamation de la République romaine, le cardinal Antonelli, devenu secrétaire d'État du Saint-Père, avait, de plus, adressé un solennel appel au concours de toutes les puissances et spécialement de la France, de l'Autriche, de l'Espagne et de Naples. Cet appel avait été accueilli avec une extrême faveur. L'Espagne se déclarait prête il l'action : elle n'avait, d'ailleurs, pas attendu cette demande de secours pour se prononcer : dans son zèle, elle avait, dès le 21 décembre, convié les États catholiques à ouvrir des conférences en vue de travailler à la restauration du Saint-Père. Le gouvernement napolitain ne montrait guère moins d'ardeur que l'Espagne. Le Piémont, comme on l'a vu, avait offert ses bons offices qu'on avait dédaignés. L'Autriche s'offrait aussi, et sou assistance était vivement désirée par le parti rétrograde dont les derniers événements avaient ravivé le crédit. En dehors des puissances catholiques, les nations schismatiques ou protestantes, telles que la Russie et l'Angleterre, se croyaient elles-mêmes obligées à témoigner de leur bonne volonté. En un mot, Pie IX, dans son exil, rencontrait les sympathies universelles des cabinets européens. Cette unanimité ne laissait pas que d'embarrasser notre gouvernement. En mettant à trop haut prix son concours, alors que tout le monde l'offrait, il s'exposait à ce qu'on se passât de lui et surtout à ce qu'on recourût à Vienne. Sous l'empire de cette crainte, on vit les diplomates français sortir peu à peu de leur réserve et s'acheminer, quoique d'un pas encore indécis, vers une solution. L'intervention piémontaise étant écartée, nos envoyés proposèrent une action combinée de Naples et de l'Espagne. Ils firent valoir les bienveillantes dispositions de la France. Ils s'attachèrent surtout à éloigner l'idée d'un recours aux urines autrichiennes. Ils insistèrent vivement. sur le maintien des institutions libérales consenties par Pie IX. Telle était l'attitude de M. d'Harcourt et aussi de M. de Rayneval, ministre de France a Naples, qui lui avait été adjoint. Au langage de nos représentants, le cardinal Antonelli répondait avec cette réserve prudente et polie où la diplomatie romaine excelle. On ignorait, disait-il, les projets de l'Autriche... Sans doute, ajoutait-il, le cabinet impérial ne manquerait pas de concerter ses résolutions avec les autres cabinets. A travers ces ménagements et ces réticences, on devinait la pensée de la, cour romaine. Le secours de la France était préféré à tout autre ; mais si elle persistait à le différer ou à le marchander, on chercherait ailleurs, et peut-être à Vienne, une bonne volonté moins exigeante[53]. C'est ainsi que le gouvernement de Louis Bonaparte était entraîné peu à peu, et comme malgré lui, vers la politique d'intervention. VI On était dans ces dispositions encore un peu expectantes, lorsque de graves événements surgirent tout à coup dans le nord de la Péninsule. Les élections du mois de janvier 1849 avaient introduit dans le Parlement piémontais de nombreux représentants de l'opinion démocratique. Cette faction n'avait cessé de réclamer la reprise de la guerre contre l'Autriche, et, surtout depuis la chute de Gioberti, elle était devenue tout à fait dominante. A ne considérer que les chances militaires, l'entreprise était insensée. La France avait d'avance déconseillé la lutte : en outre, on ne pouvait compter sur l'assistance des États italiens, les uns, comme Naples, rendus à leur prince ; les autres, comme Florence et Rome, en pleine anarchie. Malgré l'inégalité des forces, Charles-Albert favorisa, loin de la combattre, la politique guerrière. Les reproches de l'année précédente pesaient sur son cœur. C'était avec une ardeur aveugle et désespérée qu'il se précipitait vers le combat : n'ayant pu être le libérateur de l'Italie, il ne lui déplaisait pas d'en être le martyr ; et cette sorte de sombre héroïsme qui l'animait lui-même animait aussi son armée. L'armistice Salasco avait été conclu d'abord pour six semaines, puis renouvelé de huit jours en huit jours. Le 14 mars, M. Ratazzi, ministre de l'intérieur, monta à la tribune et déclara que l'armistice avait été dénoncé. Dès la veille, Charles-Albert avait quitté sa capitale. Les Autrichiens et les Piémontais se disposèrent à la lutte, les premiers avec joie, dans l'espérance d'une prochaine victoire ; les seconds avec résignation, détestant les démagogues qui les envoyaient à la mort sans y aller eux-mêmes, retenus pourtant dans le devoir par l'honneur militaire et les yeux fixés sur leur roi. La campagne s'ouvrit le 2l mars : elle dura trois jours : le troisième jour, l'armée piémontaise fut écrasée à Novare. Le soir même de la bataille, Charles-Albert, qui avait combattu en chevalier plus qu'en souverain, craignit que sa présence ne l'Ut un obstacle à une paix devenue nécessaire ; il déposa la couronne ; puis il quitta presque en fugitif ce royaume qu'il avait su honorer, non défendre. On apprit bientôt qu'il s'était dirigé vers le Portugal, où, quelques mois plus tard, il devait mourir. Son jeune fils, Victor-Emmanuel, fut proclamé roi au milieu d'une armée vaincue, et ayant derrière lui la démagogie qui grondait. C'est le 27 mars, dans la soirée, qu'on apprit, à Paris, le désastre de Novare. L'impression fut d'abord très vive. — Si nous en croyons des révélations autorisées, Louis Bonaparte, cédant aux entraînements de sa race, se prononça aussitôt pour la guerre contre l'Autriche. Il s'obstina même tellement dans cette pensée, qu'il fallut, assure-t-on, toute l'influence de M. Thiers pour modérer cette intempestive ardeur. On n'était pas prêt à entrer en campagne, objecta M. Thiers : il fallait négocier un emprunt, reconstituer le matériel, concentrer et mobiliser des troupes : même avec un sage emploi de ces ressources, l'entreprise était difficile et le succès incertain. L'illustre homme d'État parla, dit-ou, longtemps de la sorte avec cette abondance de vues qui lui était ordinaire et avec ce luxe de détails pli éblouissait son interlocuteur, peu familiarisé avec les réalités de la politique. Malgré de si chaudes instances, il craignit de n'avoir pas convaincu le prince. Ses appréhensions étaient même si vives qu'il prévint aussitôt le chargé d'affaires d'Autriche, M. de Hübner, et le pressa d'expédier un courrier à Vienne pour y recommander la modération : autrement, affirmait-il, on ne serait pas assuré de contenir les impatiences de Bonaparte. — Dans le comité des affaires étrangères comme à l'Élysée, certaines velléités guerrières se firent jour, et quelques voix demandèrent qu'on occupât, sans plus tarder, soit la Savoie et les passages des Alpes, soit même Gênes. — Enfin, au sein de la représentation nationale, la politique belliqueuse trouva deux interprètes : l'un était Ledru-Rollin, qui parla au nom de la Montagne ; l'autre, M. Billault, organe d'une sorte de tiers parti qui se tenait à égale distance de l'extrême gauche et de l'Élysée. Heureusement, M. Thiers, qui avait été l'avocat de la paix auprès de Louis Bonaparte, le fut également auprès de l'Assemblée. Il fit ressortir avec beaucoup de force la gravité de la détermination à prendre. Il rappela que, pour vaincre autrefois l'Autriche, il avait fallu Marengo et Hohenlinden. Aujourd'hui l'Autriche ne serait pas seule, elle aurait derrière elle la Confédération germanique et la Russie : ce que l'on veut, c'est donc la lutte d'un contre trois, et cela pour une question non de territoire, mais d'influence. M. Ledru-Rollin et ses amis, continuait l'orateur avec une logique irrésistible, poussent aujourd'hui à la guerre ; mais il y a un an, quand l'anarchie régnait à Vienne, ils ont reculé devant cette responsabilité suprême : comment veulent-ils aujourd'hui que le gouvernement entreprenne, vis-à-vis de l'Autriche rendue à elle-même, ce qu'ils n'ont pas osé entreprendre vis-à-vis de l'Autriche affaiblie ? Ainsi parla M. Thiers. L'Assemblée, le 31 mars, vota, à la majorité de 444 voix contre 320, un ordre du jour ainsi conçu : L'Assemblée nationale déclare que si, pour mieux garantir l'intégrité du territoire piémontais et mieux sauvegarder les intérêts et l'honneur de la France, le pouvoir exécutif croit devoir prêter à ses négociations l'appui d'une occupation partielle et temporaire de l'Italie, il trouvera dans l'Assemblée nationale le plus entier concours. Cet ordre du jour, à ne considérer que ses termes stricts, semblait donner au ministère une sorte de blanc-seing pour négocier ou pour combattre ; mais, pour quiconque allait au fond des choses, ce langage un peu ambigu n'était qu'une satisfaction à l'amour-propre national et un artifice pour grouper une plus importante majorité. Il était évident que la politique du bon sens l'emportait sur la politique d'illusions et d'aventures. Ces alarmes excessives, ces velléités Guerrières révélaient, au surplus, dans le chef de l'État, peu de sang-froid, et chez les représentants, une imparfaite connaissance des faits. Dès le IG mars, le prince de Schwarzenberg, ministre des affaires étrangères de l'empire, avait déclaré à notre ambassadeur que, quelles que fussent les éventualités de la lutte prochaine, le cabinet de Vienne ne demanderait au Piémont aucun sacrifice de territoire et se contenterait d'une indemnité de guerre : le 21 et le 22 mars, alors que les hostilités étaient déjà ouvertes, il avait réitéré à notre envoyé les mentes assurances[54]. Il avait, en outre, tenu le même langage au représentant de l'Angleterre, lord Ponsomby : Nous ne cherchons aucune extension de territoire, lui avait-il dit : bien plus, nous sommes disposés poursuivre, dans le royaume lombardo-vénitien, nos projets d'améliorations et de réformes[55]. — Après la victoire, l'Autriche ne se départit pas de cette ligne de conduite modérée. Le vieux Radetzki, qui, avant l'entrée en campagne, avait tenu contre le Piémont un langage d'une violence excessive, se piqua de générosité envers le jeune roi à qui la défaite venait de donner prématurément une couronne et que la fortune des armes mettait à sa discrétion. Il l'entoura de toutes sortes d'égards, ne se doutant guère qu'il dût être un jour si fatal son pays. Le 26 mars, il traita directement avec lui. Lorsque, quelques heures plus tard, les envoyés de France et d'Angleterre, M. Bois-le-Comte et sir Abercromby, se présentèrent au camp des vainqueurs pour demander la suspension de la marche sur Turin, ils apprirent de la bouche même du généralissime que l'armistice venait d'être conclu. Radetzki, qu'on accusait de desseins impitoyables, reçut avec empressement les deux diplomates et leur tint le langage le plus conciliant. Il leur annonça qu'il y aurait une amnistie, que, s'il était le maitre, la paix serait bientôt faite, qu'il ne demandait qu'à quitter le Piémont et à retourner dans les États de l'Empereur[56]. Il ajouta, à la vérité, qu'il demanderait l'occupation temporaire d'Alexandrie, mais il expliqua cette exigence même par le besoin d'assurer la sécurité de ses propres troupes. Ces nouvelles, transmises à Paris, calmèrent les alarmes des premières heures, et firent tomber la fièvre belliqueuse qui avait exalté quelques têtes. Sans doute, plusieurs points restaient à débattre entre Turin et Vienne. La fixation de l'indemnité de guerre et l'occupation d'Alexandrie pouvaient, en particulier, soulever bien des contestations ; mais c'étaient là de ces questions secondaires que la diplomatie est appelée à résoudre et qui ne mettent pas aux peuples les armes à la main. Cette rapide campagne de trois jours ne souleva donc pas les complications qu'on aurait pu craindre. Il serait cependant inexact de dire qu'elle n'influa en rien sur nos résolutions. Elle eut un résultat imprévu, quoique fort naturel, ce fut d'imprimer une allure décisive à notre politique vis-à-vis de Rome. On pouvait deviner que l'Autriche victorieuse ne résisterait pas à la tentation d'ajouter à ses succès celui de ramener le Saint-Père dans sa capitale. Or, si un tel événement se réalisait, c'en était fait de notre influence en Italie : c'en serait fait également de l'œuvre libérale que la France avait conseillée et que Pie IX avait essayé d'accomplir. On avait pu laisser l'Autriche vaincre à Novare ; mais la laisser intervenir au lendemain de Novare dans la capitale du monde chrétien, c'était pousser trop loin la politique d'effacement. Il importait de se hâter, si l'on ne voulait être devancé. Dès ce moment, l'expédition de Rome fut décidée. VII La résolution une fois prise, il fallait solliciter, sous la forme d'une demande de crédit, la ratification de l'Assemblée. C'était, pour la politique d'intervention, une dernière épreuve, et non sans danger. Si l'on révélait le but et toutes les conséquences possibles de l'expédition, il était à craindre que les républicains modérés, s'unissant à la Montagne, ne fissent échouer le projet. Si, au contraire, on atténuait le caractère de l'entreprise, le succès présent était assuré ; niais une équivoque subsistait qui pèserait peut-être lourdement sur l'avenir. Le cabinet sut se garder du premier écueil ; il fut moins habile à éviter le second. Le 16 avril, l'Assemblée discutait le budget des finances, lorsque M. Barrot monta à la tribune pour y faire une communication du gouvernement. Il rappela tout d'abord le vote du 31 mars, qui avait autorisé, en cas de nécessité, une occupation temporaire et partielle en Italie. Depuis ce vote, ajoutait-il, la situation s'est nettement dessillée. L'Autriche poursuit les conséquences de sa victoire. D'un autre côté, les informations qui nous arrivent annoncent dans les États romains une crise imminente. Dans ces conditions, concluait le président du conseil, le protectorat de nos nationaux, le soin de maintenir notre légitime influence en Italie, le désir de contribuer à faire obtenir aux populations romaines un bon gouvernement, fondé sur des institutions libérales, tout nous fait un devoir d'user de l'autorisation que vous nous avez accordée. En terminant, M. Barrot lut un projet de décret portant ouverture d'un crédit de 1.200.000 francs pour l'entretien, pendant trois mois, d'un corps dit corps expéditionnaire de la Méditerranée. L'urgence ayant été demandée, l'Assemblée se réunit aussitôt dans ses bureaux pour y élire une commission. Parmi les quinze commissaires élue, quatre appartenaient à la droite et étaient nettement favorables au projet ; cinq appartenaient à la Montagne et y étaient nettement hostiles ; cinq autres appartenaient au parti républicain modéré et réservaient leur adhésion. Le quinzième commissaire, M. Jules Favre, flottait entre les modérés et les Montagnards, sorte d'allié douteux, beaucoup plus redoutable qu'un ennemi. La première pensée fut de provoquer des explications plus claires. Ce désir n'était pas superflu. A la vérité, le nom de corps expéditionnaire de la Méditerranée semblait indiquer une intervention dans le centre ou dans le midi de l'Italie ; et l'allusion faite par M. Barrot à une crise imminente dans les États romains ne laissait guère de doute sur la destination des troupes qu'on embarquerait. Mais s'il paraissait certain que l'expédition aurait Rome pour objectif, l'obscurité régnait sur tout le reste. Quel serait le caractère de l'entreprise ? Dans quelles limites se renfermerait-elle ? Quel serait l'esprit qui l'inspirerait ? Sur tous ces points, on était avide de nouvelles lumières. Le président du conseil et le ministre des affaires étrangères furent appelés dans la commission. Les ministres convinrent sans peine que c'était sur la
situation des États romains que se portait leur sollicitude. Ils affirmèrent
avec beaucoup de netteté que la France ne lierait son action à celle d'aucun
autre État. Ils ajoutèrent non moins clairement que notre expédition aurait
le double but de prévenir l'intervention autrichienne et d'empêcher que
l'esprit de réaction ne ravît aux Romains les libertés conquises. Sur tous
ces points, la communauté d'idées fut entière entre le cabinet et les
commissaires. Les susceptibilités commencèrent à s'éveiller quand M. Barrot
et M. Drouyn de Lhuys firent observer que jamais la France n'avait reconnu la
République romaine ; elles se calmèrent toutefois quand les ministres eurent
annoncé que, d'après les renseignements de leurs agents, l'intervention
serait accueillie à Rome comme un bienfait, non comme une menace. Aux yeux
des membres de la droite et même des républicains modérés, ces explications
étaient suffisantes : cependant les représentants de la Montagne voulurent pousser
la discussion à bout. Si la République romaine,
dirent-ils, se refuse à recevoir les troupes de la
République française, que fera le Gouvernement ? Rétablira-t-il le Pape sur
son trône temporel malgré la volonté du peuple romain ? A cette
question indiscrète à force d'être catégorique, les ministres répondirent-ils
affirmativement, comme l'ont prétendu M. Germain Sarrut et M. Schœlcher ?
Formulèrent-ils, au contraire, comme d'autres l'ont déclaré, une réponse négative
ou simplement évasive[57] ? Entre ces
dires contradictoires, la vérité n'a pu se faire jour. — Après cette
conférence, M. Odilon Barrot et M. Drouyn de Lhuys se retirèrent, assurés
d'une majorité dans la commission. Jules Favre fut nominé rapporteur : à la séance du soir, il monta à la tribune et, au milieu de la curiosité générale, donna lecture de son travail. Malgré les explications des ministres, une certaine
équivoque régnait déjà sur les vues du gouvernement. Le rapport de Jules
Favre, involontairement ou à dessein, accentua cette équivoque, loin de la
dissiper. L'expédition romaine était une de ces entreprises qui se présentent
avec une double face. Si l'on prévenait l'action de l'Autriche, si l'on était
bien accueilli à Rome, si, en rétablissant le Pape, on stipulait de larges
Garanties pour le peuple romain, c'était une œuvre de libéralisme. Si, au
contraire, Rome fermait ses portes à nos soldats, ce pouvait être par la force
des choses, et quoiqu'on smilla ; tat le contraire, une œuvre de répression.
Soit désir de grouper une majorité, soit conviction qu'aucune résistance ne
serait opposée à nos troupes, le cabinet n'avait mis en lumière que le côté
libéral de son projet. M. Jules Favre amplifia, au point de les transformer,
les déclarations gouvernementales. Les assurances ministérielles devinrent,
sous sa plume, une véritable garantie en faveur de la République romaine :
par un de ces artifices où il excellait, il enregistra solennellement cette
prétendue garantie afin de pouvoir, s'il en était besoin, la retrouver un
jour. Des explications de M. le président du conseil
et de M. le ministre des affaires étrangères, il est résulté,
disait-il, que la pensée du Gouvernement n'est pas
de faire concourir la France à l'asservissement
de la République qui existe actuellement à Rome, mais d'agir dans sa liberté,
dégagé de toute solidarité avec d'autres puissances... Il faut donc que le gouvernement n'abdique pas ses
principes pour concourir à l'anéantissement d'une souveraineté indépendante.
Il faut empêcher l'Autriche d'user des droits de la guerre et des privilèges
de la victoire. La commission, dans la pensée unanime que la France ne fera
pas flotter son drapeau à côté de celui de l'Autriche et que le gouvernement
n'abusera pas du droit que vous lui donnerez d'occuper momentanément un point
de l'Italie, vous propose de déclarer l'urgence et de passer immédiatement à
la délibération sur les articles. Ainsi parla Jules Favre. Les discours qui suivirent n'apportèrent au débat aucune lumière nouvelle. M. Emmanuel Arago et Ledru-Rollin, organes de la Montagne, défendirent à l'aide des déclamations ordinaires la République romaine, qui avait, à leurs yeux, le double mérite d'être une république et d'avoir détrôné le Pape. Le général Lamoricière, dans un langage ferme et sensé, fit observer que le plus pressé était de prévenir l'Autriche, et qu'il y avait quelque chose de plus sacré que la République romaine, c'était la liberté des Romains. Quant à M. Barrot, il parla longtemps, et non sans énergie, au milieu des furieuses interruptions de l'extrême gauche. Il dit très clairement ce qu'il ne voulait pas. — Nous ne voulons pas, dit-il, unir notre drapeau à celui de l'Autriche... Nous ne voulons pas d'une restauration dans les États romains en dehors des principes libéraux... Nous n'irons pas en Italie pour imposer un gouvernement aux Italiens. — Mais le président du conseil mit moins de netteté à dire ce qu'il voulait : il eut soin surtout de laisser dans l'ombre l'éventualité d'une résistance de la part des Romains ; et, sur ce point, les pressantes interpellations de M. Schœlcher, à la fin de la séance, ne purent vaincre sa réserve. Cette réserve s'expliquait par les exigences de la tactique parlementaire. Il y avait dans l'Assemblée trois partis : la droite absolument favorable, la Montagne absolument hostile, les républicains modérés enfin, qui se prêtaient à une entente entre le Pontife et ses sujets, mais qui auraient reculé devant la perspective de la République romaine écrasée. Il fallait ménager ce dernier parti si l'on voulait une majorité, et, pour le ménager, il fallait présenter l'expédition comme un arbitrage plutôt que comme une opération militaire. Ajoutons que, dans ce rôle, M. Barrot était sincère ; il était convaincu, comme le plus grand nombre, que jamais les Romains ne pousseraient la folie jusqu'à résister à nos armes. Après bien des clameurs de la Montagne, l'article premier du projet fut adopté par 395 voix contre 283. L'article 2 fut voté par assis et levé. Quand on arriva au vote sur l'ensemble de la loi, l'extrême gauche essaya d'amener, par son abstention, l'annulation du scrutin. Cette manœuvre réussit tout d'abord ; mais, le lendemain, un nouveau scrutin ayant été ouvert, 388 voix contre 161 se prononcèrent pour le crédit. Dès le 14 avril, M. d'Harcourt avait laissé pressentir aux plénipotentiaires des puissances catholiques qui venaient de se réunir en conférence f Gaëte les résolutions de son gouvernement[58]. Quelques jours plus tard, obéissant aux instructions venues de Paris[59], il annonça au cardinal Antonelli, ministre du Saint-Père, ainsi qu'aux diplomates, ses collègues, l'intervention prochaine de l'armée française. Cette communication fut accueillie par Pie IX avec une joie mêlée de surprise et peut-être aussi avec un peu d'appréhension : car il dut se demander quel serait le prix de cet appui si longtemps marchandé et si soudainement offert. Quant aux puissances, elles s'étonnèrent, elles aussi, de ce zèle subit succédant à tant de lenteur. Jusque-là, le cabinet français avait paru surtout préoccupé de confier aux États secondaires, à Naples, à la Sardaigne, à l'Espagne, le soin de ramener l'ordre dans les États pontificaux : le 30 mars, dans la première séance de la conférence de Gaëte, nos représentants n'avaient rien négligé pour faire prévaloir ces vues. On avait peine à s'expliquer une si brusque évolution. Le dépit se mêlait, d'ailleurs, à l'étonnement ; car à l'action combinée des États alliés se substituait l'action isolée de la France. Ni l'Autriche, ni l'Espagne, ni Naples, ne voulurent pourtant retirer l'assistance qu'elles avaient promise. Chacune d'elles, séparément et sans concert, se montra jalouse de travailler à l'entreprise. Déjà les Autrichiens étaient entrés dans les Légations : les troupes napolitaines allaient pénétrer dans le sud des États pontificaux : les Espagnols allaient bientôt débarquer à Terracine. Mais c'était à la France qu'il était réservé de se présenter devant Rome pour traiter ou pour combattre. C'était à elle qu'incombaient le principal rôle et aussi la principale responsabilité. VIII Des troupes assez nombreuses avaient été depuis longtemps rassemblées, soit à Toulon, soit à Marseille, et n'attendaient que l'ordre du départ. Elles devinrent le noyau du corps expéditionnaire, qui se composa de treize bataillons d'infanterie, un régiment de chasseurs à cheval, trois batteries d'artillerie et deux compagnies du génie. Ces troupes furent distribuées en trois brigades, placées sous les ordres des généraux Mollière, Levaillant et Chadeysson. Ces trois brigades formèrent elles-mêmes une division qui fut concentrée entre les mains du général Regnaud de Saint-Jean-d'Angély. Enfin le général Oudinot, duc de Reggio, fils de l'illustre maréchal de ce nom, fut investi du commandement supérieur, avec le titre de général en chef. L'escadre, forte de sept frégates et de six bâtiments de moindre dimension, fut confiée au contre-amiral Tréhouart. La plupart des dispositions ayant été prises avant le vote des crédits par l'Assemblée, l'embarquement put S'effectuer aussitôt. Le 22 avril, le général en chef monta à bord du Labrador : il emmenait avec lui les brigades Levaillant et Mollière. La brigade Chadeysson, qui devait partir quelques jours plus tard, resta provisoirement à Toulon. On se dirigea vers Civita-Vecchia[60]. M. Barrot, au cours des débats parlementaires, n'avait pas
mis en doute que les Romains ne nous reçussent en amis. Les préparatifs de
l'expédition se ressentirent de cette dangereuse confiance. Les deux brigades
Mollière et Levaillant atteignaient un effectif de sept mille cinq cents
hommes à peine, et tout le corps d'armée, en y comprenant la brigade
Chadeysson, ne dépassait guère dix mille hommes. On se disposait à se
présenter devant une ville de deux cent mille finies, garnie d'une enceinte
fortifiée, et l'on n'avait embarqué d'autre matériel de siège que quelques
engins destinés à vaincre, en cas de besoin, la résistance de Civita-Vecchia.
En outre, les troupes spéciales, artillerie ou génie, étaient tout à fait
insuffisantes. — Les instructions du ministre des affaires étrangères an
général Oudinot, bien qu'elles fussent un peu plus miettes que les
déclarations faites à l'Assemblée, se refusaient, elles aussi, à admettre
l'hypothèse d'une lutte à main armée et ne dictaient aucun plan de conduite
en prévision de cette éventualité. Le général était invité à se présenter
dans les États romains comme médiateur, non comme adversaire. Il ne devait
sous aucun prétexte reconnaître la République romaine. Il importait qu'il
marchât sur Rome, après s'être assuré toutefois qu'il y serait bien
accueilli. Le ministre se flattait que l'apparition des troupes françaises,
en rendant courage aux honnêtes gens, susciterait un retour d'opinion, favorable
au Souverain Pontife[61]. — L'ordre du
jour du général en chef, au moment du départ, avait reflété fidèlement l'incertitude
de ce programme. Le gouvernement, disait-il à
ses soldats, n'a pas voulu que les destinées du
peuple italien pussent être à la merci d'un parti en minorité ou d'une
puissance étrangère. Il nous confie le drapeau de la France pour le planter
sur le territoire romain comme un éclatant témoignage de sympathie... Vous prendrez en toute occasion pour règle de conduite les
principes d'une haute moralité ; par vos armes, par vos exemples, vous ferez
respecter la dignité des peuples. L'Italie vous devra ainsi ce que la France
a su conquérir pour elle-même, l'ordre dans la liberté. Ces assurances
banales, mêlées de sages conseils, n'eussent laissé deviner à personne au
service de quelle cause nous entendions marcher. Le 23, dans l'après-midi, l'escadre arriva à la hauteur du cap Corse. A la suite d'un conseil tenu sur le Labrador, on décida d'envoyer en parlementaire le chef d'escadron Espivent, accompagné d'un capitaine, M. Durand de Villiers, et d'un secrétaire d'ambassade attaché à l'expédition, M. de la Tour d'Auvergne ; tous trois passèrent à bord du Panama, qui les transporta à toute vitesse à Civita-Vecchia. On se préoccupait, depuis quelque temps, dans les États romains, de l'éventualité d'une intervention française. Les crédits récemment votés par l'Assemblée constituante avaient confirmé cette rumeur. Mais nul ne pensait que l'exécution suivit le vote de si près. Aussi le gouvernement romain n'avait-il donné à ses agents aucune instruction en vue d'accueillir ou de repousser un débarquement. Le gouverneur de Civita-Vecchia était un jeune avocat attaché aux idées républicaines, M. Manucci. On devine quelle fut sa surprise à l'arrivée des envoyés du général Oudinot. Il eût volontiers résisté, et quelques-uns des chefs de la garnison l'y encourageaient. Mais la place n'était point en état de défense. Quant à demander des instructions à Rome, il n'y fallait pas penser ; car une réponse immédiate était exigée. Intimidé par la soudaineté de l'événement, M. Manucci prit le parti de consulter le conseil municipal : c'était, ou peu s'en faut, renoncer à la lutte ; car les conseils municipaux, quand il s'agit d'éviter un siège à leur ville, sont rarement belliqueux. L'attitude de M. Espivent acheva de lever toute incertitude. Fidèle à la pensée conciliante de son gouvernement, il protesta que le vœu de la majorité des populations romaines serait respecté ; que le gouvernement de la République française n'avait d'autre but que de maintenir sa légitime influence ; que toutes les denrées seraient payées en argent comptant. Une déclaration fut même rédigée en ce sens. Le conseil municipal décida que le général en chef et ses troupes seraient reçus en amis. Le Panama, reprenant aussitôt la mer, se porta au-devant de l'escadre, la rejoignit, l'invita à Bâter sa marche et annonça en même temps l'heureux succès de cette première négociation. Le 25 avril, à dix heures du matin, la flotte française
arriva devant Civita-Vecchia. Presque en même temps entraient dans le port
deux bâtiments italiens qui transportaient un millier de chasseurs lombards ;
placés sous les ordres d'un certain Manara. C'étaient des volontaires qui
accouraient au secours de la République romaine. Le général Oudinot les
empêcha de débarquer à Civita-Vecchia ; il les laissa libres, d'ailleurs,
d'aborder sur tout autre point de la côte et se contenta d'exiger d'eux la
promesse qu'ils ne pénétreraient pas dans Rome avant le 4 niai : les Lombards
se dirigèrent vers Porto d'Anzio : le 29 avril, ils étaient à Rome. Quant aux
troupes françaises, leur débarquement commença aussitôt, au milieu d'une
population sympathique plutôt qu'hostile. Le général en chef, ayant mis pied
à terre, fut reçu par la municipalité. Son langage fut propre à ne décourager
aucune espérance. Dans une proclamation aux habitants
des États romains, il affirmait que la
République française voulait donner un éclatant témoignage de sa sympathie
envers la nation romaine. Accueillez-nous en frères, nous justifierons ce
titre..... Nous sauvegarderons l'honneur militaire
de vos troupes en les associant aux nôtres pour assurer l'ordre et la
liberté. Romains, mon dévouement personnel vous est acquis. Si vous écoutez
ma voix, si vous avez confiance dans nies paroles, je nie consacrerai sans réserve
aux intérêts de votre belle patrie. En même temps, les soldats
français se répandaient dans les rues, fraternisant avec la population. Des mâts
étaient élevés, au sommet desquels flottait le drapeau tricolore associé au
drapeau italien. Un peu plus tard, deux envoyés de la cour de Gaëte étant
arrivés en toute hale pour prendre possession de la ville au nom du
Saint-Père, le général Oudinot refusa de se prêter à cette restauration
prématurée et invita même les légats du Pape à se rembarquer. Tandis que le général en chef, s'inspirant des instructions de son gouvernement, tenait cette conduite ambiguë, que se passait-il à Rome ? Après la bataille de Novare, le pouvoir exécutif avait été concentré entre les mains d'un triumvirat composé de MM. Armellini, Saffi, Mazzini. Bientôt après, on avait connu la répression des troubles de Gènes et la restauration du grand-duc de Toscane. Ces nouvelles, loin de provoquer un retour vers l'ordre, avaient accru l'agitation. La démagogie, chassée de toutes ses places de refuge, reflua vers Rome comme en un dernier asile. Aux démagogues se joignirent les patriotes sincères, mais égarés, qui voyaient dans la République romaine le dernier boulevard de l'indépendance. Émeutiers expulsés de Gênes, Lombards privés de leur patrie, Bolonais redoutant la réaction autrichienne, tous se dirigèrent vers la cité pontificale, la remplirent de tumulte et se mirent à y réorganiser les cadres de leurs légions. Avezzana, l'ex-commandant de la garde nationale génoise, fut nommé ministre de la guerre. L'influence de Mazzini, déjà grande, devint tout à fait dominante et effaça celle de ses deux collègues. Tel était l'état de la ville quand, le 24 avril, à une heure avancée de la soirée, on apprit l'arrivée de M. Espivent à Civita-Vecchia et le prochain débarquement des troupes françaises. Les triumvirs convoquèrent d'urgence l'Assemblée constituante, qui, en termes énergiques, protesta contre l'intervention. Le 25 au matin, la nouvelle, déjà connue dans les cercles, se propagea dans Rome. Parmi les libéraux constitutionnels et même dans les rangs des républicains modérés, beaucoup jugèrent que la médiation française, acceptée franchement, serait le meilleur moyen d'éviter la réaction autrichienne. Mais cette opinion, timidement exprimée, fut bientôt couverte par les clameurs des clubistes et des démagogues étrangers qui se répandirent dans les lieux publics en prêchant la résistance. Le triumvirat, par une proclamation au peuple et par une circulaire aux gouverneurs des provinces, s'associa à cette attitude guerrière. La journée s'achevait an milieu de ces agitations lorsqu'un envoyé du général Oudinot arriva de Civita-Vecchia, c'était le lieutenant-colonel Leblanc. M. Leblanc, accompagné de l'un des secrétaires de la légation française resté à Rome, M. de Forbin-Janson, fut introduit devant les triumvirs. M. Armellini, le plus modéré des trois, était absent. MM. Mazzini et Saffi reçurent les deux négociateurs. Le colonel Leblanc se prévalut de l'accueil que les troupes françaises avaient trouvé à Civita-Vecchia. Il ajouta que notre but était de prévenir les desseins de l'Autriche, de rechercher le vœu des populations, d'établir un accord sincère entre Pie IX et les Romains. Ce langage ne différait en rien de celui que M. Espivent avait tenu deux jours auparavant à Civita-Vecchia : mais ces assurances qui avaient déconcerté M. Manucci ne provoquèrent chez les triumvirs qu'une incrédulité dédaigneuse. Mazzini, qui se substituait volontiers à ses collègues, se chargea de répondre aux envoyés français. La menace d'une intervention autrichienne est, dit-il, sans fondement : d'ailleurs, intervenir soi-même à l'improviste pour empêcher l'intervention d'autrui, c'est apporter un mal immédiat, sons prétexte de conjurer un mal éloigné. Cette prétendue protection ressemble fort à une servitude. Quant à une conciliation entre le Pape et les Romains, ajoutait Mazzini, il n'en faut plus parler, le peuple ayant manifesté sa volonté de vivre en République. Un langage si hautain ne permettait guère d'espérer une entente. Les délégués insistèrent de nouveau sur les sympathies qu'avaient rencontrées nos troupes à leur débarquement. Civita-Vecchia a été trompée, interrompit Mazzini. La discussion s'échauffant, le colonel Leblanc et M. de Forbin-Janson parlèrent des malheurs qu'entraînerait la résistance : puis, rompant l'entretien : En résumé, dirent-ils, les Français seront-ils reçus à Rome en amis ou en ennemis ? Mazzini ne dissimula pas que tous ses sentiments personnels le portaient à la résistance : il ajouta cependant que l'Assemblée serait consultée. Elle le fut, en effet. Le 26 avril, elle rendit un décret par lequel elle confiait aux triumvirs le soin de sauver la République et de repousser la force par la force[62]. Dès ce moment, le parti de la guerre l'emporta. A la vérité, l'Assemblée constituante ayant tenu une seconde séance dans la soirée, le triumvir Armellini, moins ardent que ses collègues, osa émettre l'avis qu'on traitât avec le général Oudinot. Il vaut mieux, dit-il, avoir à Rome les républicains français que les Croates ou les bombardeurs de Messine. Mais ce sage conseil fut accueilli par les huées des tribunes. L'esprit de résistance s'affirmant de plus en plus, on travailla à couvrir de barricades la partie occidentale de la ville par laquelle on supposait que les Français pourraient arriver. Des décrets mirent en réquisition les chevaux et les armes de guerre. Des bandes parcoururent les rues en criant : Mort aux Français ! D'autres, plus politiques, proposaient au contraire de rédiger une adresse qu'on répandrait parmi nos soldats pour les détourner de leur devoir militaire. Cette agitation belliqueuse, se propageant au dehors, amena un revirement jusque dans la population de Civita-Vecchia. Les dispositions, si bienveillantes le 25, devinrent défavorables les jours suivants. Elles le furent même tellement que le général en chef décréta l'état de siège, fit occuper la citadelle, désarma la garnison, mit sous le séquestre un convoi de fusils dirigé sur Rome, interdit à la commission municipale de se réunir. Le préfet M. Manucci ayant protesté, on l'arrêta : et en vérité, l'infortuné préfet jouait de malheur ; car, au moment même où l'autorité française punissait ses protestations par l'emprisonnement, le triumvirat le décrétait d'accusation pour avoir capitulé ! Il semble que le général Oudinot, éclairé par ces indices, aurait dû s'abstenir de tout mouvement offensif jusqu'à ce que les renforts arrivés de France lui eussent permis une action certaine et décisive. La prudence militaire lui conseillait, en effet, cette conduite. D'un autre côté, ses instructions l'invitaient à se hâter vers Rome, dans l'espoir que son approche rendrait courage au parti de l'ordre et provoquerait une réaction contre les démagogues étrangers, oppresseurs de la cité. Ce parti de l'ordre existait-il et était-il capable d'un pareil effort ? Le général Oudinot put le croire, tant étaient affirmatifs les rapports qui lui parvenaient ! Le 26 avril, M. de Forbin-Janson lui écrivait de Rome que la garde civique s'abstiendrait de prendre part à la résistance, que les carabiniers souhaitaient le retour du Pape et gardaient en poche la cocarde pontificale, que la légion romaine n'était guère plus belliqueuse. Ces informations venaient, disait-on, de M. Sturbinetti, que le Père Ventura avait interrogé. La force publique à Rome ne dépassait pas, affirmait-on, huit à neuf mille hommes. Mazzini et son parti, continuait notre envoyé, n'avaient d'autre appui que trois ou quatre cents étrangers et les énergumènes du Cercle populaire : la population ne seconderait pas leurs efforts désespérés : mais, timide par sa nature, elle ne manifesterait ses vrais sentiments qu'alors qu'elle apprendrait que l'armée française marche sur Rome. Ainsi parlait M. de Forbin-Janson, appuyant son opinion sur celle du colonel Leblanc. La sécurité des nationaux et des établissements français, ajoutait-il comme pour faire taire les derniers scrupules, est fort intéressée à la prompte arrivée des troupes[63]. A la vérité, à l'heure même où le secrétaire de la légation française parlait de la sorte, le consul de France à Civita-Vecchia tenait un tout autre langage, annonçait que tout était à la résistance et faisait parvenir jusqu'au ministre des affaires étrangères l'expression de ses alarmes[64]. Mais il était naturel de croire M. de Forbin-Janson qui était dans Rome même plutôt que le consul qui était loin. M. de Forbin-Janson, d'ailleurs, ne se trompait qu'à demi. Les renseignements recueillis par lui les 23, 24, 25 avril étaient, à ces dernières dates, parfaitement vrais ; ils ne l'étaient déjà plus qu'à moitié le 26 au moment où il écrivait : ils étaient tout à fait inexacts le 27, au moment où ils parvenaient au quartier général. C'est qu'entre le 25 et le 27 la faction démagogique avait grandi singulièrement en force et en audace. Armellini et les modérés, se sentant débordés avaient cédé eux-mêmes au mouvement. On annonçait l'arrivée prochaine de Garibaldi, des Lombards de Manara, d'autres corps de partisans ; et l'annonce de ces renforts encourageait les dispositions guerrières. Il est juste enfin d'ajouter que cette invasion, qu'aucun avertissement n'avait précédée, avait froissé dans sa fierté une partie de la population romaine. De son quartier général, le commandant en chef ne pouvait saisir ce revirement de l'opinion. Rapprochant les avis de la légation française de ses propres appréciations, il n'imaginait pas que la population romaine résistât à nos armes. Il conçut donc le dessein de marcher sur Rome. En cela, il n'eut d'autre tort que de penser en politique plutôt qu'en militaire ; car, s'il eût pensé en militaire, il eût prévu, à tout événement, la résistance ; il se fût dit surtout qu'il était déjà trop tard pour tentez un coup de surprise, et qu'on était trop peu nombreux pour risquer une attaque de vive force. Le général en chef laissa à Civita-Vecchia une garnison de dix-sept cents hommes. Puis, avec le reste de son corps d'armée qui ne dépassait guère cinq mille hommes, il partit le 28 avril à la pointe du jour, se dirigeant vers Rome. Le soir, après une étape de près de neuf lieues, on campa à Palo. Le lendemain 29, on atteignit Castel-di-Guido. Comme l'heure était encore peu avancée, le commandant en chef envoya en reconnaissance un de ses officiers avec une quinzaine de chasseurs à cheval : ceux-ci s'aventurèrent jusqu'à deux lieues de Rome ; là, ils se heurtèrent à un poste qui les accueillit par une décharge. Cette escarmouche parut de mauvais augure pour le lendemain, et en cela on ne se trompait pas : car, d'heure en heure, les résolutions belliqueuses s'affermissaient chez nos adversaires. Garibaldi était arrivé, ainsi que le bataillon lombard de Manara. Des décrets avaient établi l'état de siège, interdit toute publication de bulletins, créé une commission martiale. Les barricades avaient été fortifiées, les ambulances organisées. Des orateurs avaient été désignés pour enflammer l'ardeur populaire. Comme si l'on eût voulu donner à la lutte l'apparence d'une guerre sainte, ou avait même décidé que le Saint Sacrement serait exposé dans les églises pour implorer Dieu pendant la bataille[65]. Le 30 avril, à quatre heures du matin, l'armée se remit en marelle. On suivait cette route de Civita-Vecchia par laquelle, avant la construction des voies ferrées, presque tous les touristes de France arrivaient dans la ville éternelle. A la Maglia-Della, on déposa les sacs dans la prévision d'un combat. Déjà l'on approchait de Rome ; mais on ne rencontrait personne sur le chemin, et les maisons étaient désertes : de distance en distance, on apercevait sur les murs des écriteaux qui rappelaient le texte de l'article 5 de notre Constitution : La République française respecte les nationalités étrangères, et n'emploie jamais ses forces contre la liberté d'aucun peuple. Malgré ces symptômes hostiles, on continua à marcher en avant. De ce côté, Rome est défendue par une enceinte bastionnée percée de cinq portes : la porte Portese au sud tout près du 'fibre, la porte Saint-Pancrace près du Janicule, la porte Cavallagieri et la porte Fabrica qui aboutissent à la place Saint-Pierre, enfin la porte Angelica tout à fait au nord et de l'autre côté du saillant du Vatican. La tête de colonne n'était plus qu'à sept ou huit cents mètres de la porte Cavallagieri, et l'on n'avait encore rencontré aucun ennemi, lorsque soudain deux coups de canon à mitraille tirés sur notre avant-garde ne laissèrent plus aucun doute sur l'accueil qu'on nous ménageait. Immédiatement, plusieurs compagnies d'infanterie et de chasseurs à pied se développèrent en tirailleurs sur les mamelons à droite et à gauche, et ripostèrent avec vigueur. En même temps, quelques pièces d'artillerie, installées sur un petit plateau à droite de la route, se disposèrent à répondre au feu de la place. Par malheur, nos adversaires étaient abrités derrière les remparts, les nôtres au contraire tiraient à découvert. Le tir de l'ennemi s'étant mi instant ralenti, une colonne d'attaque, composée d'une partie du 20e et du 33e de ligne, et dirigée par le général Mollière, s'avança jusqu'auprès du mur d'enceinte : mais bientôt tut feu si meurtrier accueillit ces braves troupes qu'elles furent obligées de rétrograder et de se reformer sur un point moins exposé. Cette tentative fut renouvelée plusieurs fois sans plus de bonheur. Sur la foi de cartes surannées, on chercha une ancienne porte qui, depuis longtemps n'était plus qu'une poterne bouchée. La porte Cavallagieri était la plus rapprochée : mais pour y arriver et pour essayer de pénétrer dans la ville, il fallait franchir sous le feu direct de la place une assez longue distance, en sorte que cet effort même n'aurait abouti qu'à une plus grande effusion de sang. L'insuccès de cette première opération devait-il faire renoncer à la lutte ? Le capitaine Fabar, officier d'ordonnance du général Oudinot, qui avait été à Rome peu de jours auparavant, proposa de tenter une diversion vers la porte Angelica. On espérait intimider l'ennemi par ces attaques tentées sur divers points. On persistait, d'ailleurs, malgré toutes les apparences contraires, à compter sur les bonnes dispositions de la population transtévérine. Le capitaine Fabar fut écouté et fut chargé de servir de guide à la brigade Levaillant, qui se composait du 36e de ligne, d'une faible partie du 66e et de deux pièces d'artillerie. Deux routes conduisaient à la porte Angelica, l'une plus longue, mais abritée ; l'autre plus directe, mais aussi plus découverte. Ce fut la seconde qu'on choisit. Chemin faisant, la tête de colonne fut accueillie par le feu des remparts, à cent cinquante mètres seulement de distance. Le capitaine Fabar fut tué : les chevaux de la première pièce furent renversés : l'infanterie se jeta derrière quelques abris et continua longtemps la fusillade. C'est seulement à la tombée de la nuit que ces troupes ainsi aventurées purent rejoindre le reste du corps d'armée. Du côté de la porte Angelica, comme du côté de la porte Cavallagieri, l'attaque avait échoué. Un incident malheureux vint s'ajouter à ce double échec. Le commandant Picard, avec quelques compagnies du 20e de ligne, avait été dirigé vers la droite du côté de la porte Saint-Pancrace, afin de contenir les tirailleurs qui, sortant des murs, essayaient d'inquiéter les derrières de l'armée. Il réussit facilement dans cette tâche, et les troupes romaines qui s'étaient avancées hors de leurs murailles furent bien vite ramenées vers l'enceinte. Ce premier succès obtenu, le commandant Picard imagina de menacer la porte Saint-Pancrace elle-même : il se flattait d'attirer sur ce point les défenseurs de la ville et de faciliter par cette diversion la besogne du général en chef. Déjà la fusillade s'était engagée, lorsque tout à coup on entendit sur les remparts et de l'autre côté de la porte le chant de la Marseillaise : de plus, on vit un grand nombre de soldats ennemis s'avancer vers nos tirailleurs avec de grandes démonstrations d'amitié et en criant : La pace ! La pace ! Siamo fratelli ! Le commandant Picard, séparé du gros de l'armée, crut que le général en chef avait pénétré dans la ville. Les Romains n'hésitèrent pas à le confirmer dans cette croyance On l'invita à entrer, et il se laissa persuader. Une fois entré, il fut entouré par les volontaires de Garibaldi, qui l'assaillirent le désarmèrent et le conduisirent au château Saint-Ange. Ses soldats qui, imitant sa confiance, avaient franchi la porte Saint-Pancrace sur l'invitation réitérée des Romains, furent aussi faits prisonniers. Ils étaient environ deux cent cinquante. Ils furent échangés quelques jours plus tard contre un bataillon de la garnison de Civita-Vecchia. Cette journée du 30 avril nous avait coûté quatre-vingts morts et deux cent cinquante blessés. Le général Oudinot, définitivement éclairé sur les dispositions qui régnaient à Rome, fit rétrograder ses troupes. Le 1er mai, il regagna Castel-di-Guido ; le surlendemain, il établit son quartier général à Palo. On s'occupa d'évacuer les blessés vers la Corse ; puis on attendit de nouvelles instructions, on attendit surtout des renforts de France[66]. IX Le 3 mai, le bruit d'un échec de l'armée d'Italie se répandit à Paris ; d'un autre côté, un journal annonça l'entrée des Français à Rome. Les mauvaises nouvelles trouvèrent plus de créance que les bonnes : car le 5 pour 100 baissa d'un franc. Les jours suivants, des correspondances particulières, arrivant en grand nombre de Marseille et de Toulon, confirmèrent les fâcheuses rumeurs. Le 7 mai enfin, le Moniteur, dans sa partie non officielle, annonça que le général Oudinot s'était mis en marche sur Rome, mais qu'ayant rencontré une résistance plus sérieuse qu'il ne s'y attendait, il avait pris position à quelque distance de la ville. C'est le propre de l'opinion publique en France de transformer parfois en désastre certains revers, regrettables sans doute, mais faciles à réparer. Tout contribua à grandir le combat du 30 avril. Les passions antireligieuses et les passions révolutionnaires s'unirent pour réprouver cette entreprise tentée au profit du Saint-Père et contre une république. L'amour-propre national s'indigna que notre armée, réputée invincible, eût été battue, et l'eût été par des Italiens. Dans les cercles parlementaires, on rappela le vote récent des crédits, et plusieurs affirmèrent qu'en donnant leur voix au ministère, ils avaient entendu que l'armée fût employée à une mission, non de guerre, mais d'arbitrage. Il n'était pas jusqu'à la note si brève du Moniteur qui n'accrût les alarmes feintes ou réelles : il fallait, disait-on, que l'échec fût bien grave pour que le gouvernement fût si avare de détails. A défaut d'informations officielles, on se passait de main en main les correspondances privées, inspirées pour la plupart par l'esprit de parti et qui grossissaient comme à plaisir le chiffre des prisonniers, des blessés et des morts. Jules Favre se fit l'interprète de ces craintes et de ces
rancunes. Le 7 mai, il monta à la tribune. Son langage presque toujours
acerbe n'avait jamais été plus amer. Se sentant soutenu par la majorité, il parla
moins en adversaire qu'en accusateur : Je le dis
avec douleur, s'écria-t-il, je le dis avec la
rougeur au front, le sang français a coulé ; il a coulé pour le Pape, il a
coulé pour l'absolutisme. Que la responsabilité en retombe sur les imprudents
qui nous ont joués, car nous l'avons été. (Acclamations et applaudissements prolongés à gauche.) J'ai été trompé, et l'Assemblée l'a été avec moi par la
parole d'honneur donnée dans le sein de la commission, réitérée en pleine Assemblée, que l'expédition n'avait pas
pour but d'attaquer la République romaine... l'Assemblée,
je l'espère, prendra en main cette déplorable affaire. Il faut qu'elle
intervienne pour imposer son autorité et sa volonté, et, puisque cette
volonté a été si malheureusement exécutée par le ministère, elle ne doit plus
avoir confiance qu'en elle-même. Jules Favre conclut en demandant le
renvoi des ministres, la destitution du général Oudinot, l'envoi de
commissaires à l'armée. M. Odilon Barrot se refusa, non sans dignité, à condamner le Général en chef : il s'opposa à l'envoi de commissaires ; ces missions extraordinaires rappelaient, dit-il, les plus tristes souvenirs de la Convention, elles constituaient, de plus, un véritable empiétement du pouvoir délibérant sur le pouvoir exécutif. Le président du conseil se déclara, d'ailleurs, prêt à communiquer à une commission parlementaire tous les documents qui pourraient éclairer l'Assemblée. La commission fut aussitôt nommée. Elle se composa en majorité de républicains. Après examen des pièces produites, elle choisit M. Sénard pour son rapporteur. On ne pouvait opposer au cabinet un plus redoutable adversaire. Plus modéré dans la forme que Jules Favre, M. Sénard excellait mieux que personne à trouver ces rédactions vagues et ambiguës qui, dans les corps délibérants, rallient les indécis et les faibles. A la suite d'un rapport très bref, il proposa à l'Assemblée d'inviter le gouvernement à prendre sans délai les mesures nécessaires pour que l'expédition d'Italie ne fût pas plus longtemps détournée du but qui lui avait été assigné. Cette résolution, ayant rallié la plupart des républicains modérés, fut adoptée par 328 voix contre 241. D'obscure qu'elle était, l'affaire de Rome devenait tout à fait inintelligible. Le 16 avril, le ministère, soit souci de grouper une majorité, soit confiance dans un succès facile et non sanglant, avait laissé planer quelque incertitude sur le caractère de sa politique en Italie. Mais que dire de cet ordre du jour qui demandait que l'expédition ne fût pas plus longtemps détournée de son but ? Que voulait-on ? que la France s'alliât à la République romaine ? personne n'eût osé le demander. Qu'on rapatriât les troupes ? c'est alors que le cri du patriotisme blessé eût éclaté. On n'aurait pu, en vérité, infliger aux coalisés du 7 mai un plus cruel châtiment que de les obliger à appliquer eux-mêmes le programme qui avait rallié leurs suffrages. Ils n'eurent ni ce triomphe ni cet embarras. En un temps régulier, UP vote si nettement hostile eût entraîné la chute du ministère et peut-être une évolution considérable dans notre politique. Mais la proposition Rateau avait, on s'en souvient, parcimonieusement compté les jours de l'Assemblée. Trois semaines séparaient de la dissolution, et les mourants ont peu de chance d'être obéis. Le président de la République manifesta sans détour son sentiment. Il fit insérer au Moniteur une note déclarant que les ministres ne se retireraient pas. Il alla plus loin et écrivit au général Oudinot pour l'assurer de ses sympathies et lui annoncer de prompts renforts. Le général Changarnier s'empara de cette lettre assez peu constitutionnelle et, comme pour la souligner davantage, la mit à l'ordre du jour de l'armée de Paris. Quant aux ministres, ils se montrèrent plus réservés, mais non plus disposés à l'obéissance. Leur unique souci fut de temporiser jusqu'aux élections prochaines. Si la nouvelle Assemblée reflétait les tendances de l'ancienne, il serait temps d'aviser ou de songer à la retraite. Si, au contraire, les nouveaux élus, comme tout le faisait espérer, ne partageaient ni les défiances ni les préjugés de leurs devanciers, on pourrait alors reprendre sans péril la politique de netteté et de franchise qu'on était obligé de voiler jusque-là X Il y avait alors à Paris un agent politique dont on vantait l'esprit de décision, le savoir-faire et le libéralisme, c'était M. de Lesseps. Le conseil des ministres résolut de l'envoyer à Rome pour y ouvrir une dernière négociation, négociation presque sans espoir de succès, mais destinée à endormir jusqu'au dernier moment la vigilance soupçonneuse de la Constituante A première vue, cette désignation paraissait habile. M. de Lesseps, comme consul général à Barcelone, avait montré, en des circonstances difficiles, un courage justement remarqué : un long séjour dans la péninsule Ibérique l'avait, pensait-on, familiarisé avec les habitudes et l'esprit des populations méridionales : on lui attribuait enfin des convictions républicaines accentuées, en sorte que son nom paraitrait à lui seul une concession à l'ordre du jour du 7 mai. Néanmoins, l'événement ne justifia qu'à demi la sagesse de ce choix. Il s'agissait d'une mission presque sacrifiée d'avance, imaginée surtout en vue de gagner du temps, convenant à tous ces titres à quelque diplomate désabusé, un peu sceptique, rompu depuis longtemps aux longues pratiques des chancelleries. Or, M. de Lesseps, comme l'avenir l'a prouvé, était propre à toutes choses, hormis à l'inaction. Dès le 8 mai, le ministre des affaires étrangères reçut le
nouveau plénipotentiaire, qui accepta avec empressement son mandat et offrit
même, s'il le fallait, de partir dans deux heures. M. Drouyn de Lhuys, un peu
étonné d'une telle ardeur, calma doucement son agent et lui remit ses
instructions écrites. Celles-ci indiquaient moins la conduite à suivre que
les périls à éviter. Ces périls étaient nombreux, tellement nombreux qu'ils
eussent découragé une bonne volonté moins robuste L'envoyé français devait se consacrer aux négociations et aux rapports à établir
avec les autorités et les populations romaines, mais, en même temps,
il devait s'abstenir de tout ce qui pourrait faire croire à ces autorités qu'on les considérait comme un gouvernement régulier.
Les arrangements à conclure avec la République romaine ne devaient être que
des arrangements partiels. Le nombre des choses et des personnes à ménager
était infini. Il fallait se garder d'éveiller les
susceptibilités du Saint-Père. Il importait de ne pas déplaire aux
diplomates réunis en conférence à Gaëte. Il était essentiel de soustraire les
États de l'Église à l'anarchie qui les désolait
et d'éviter que l'avenir ne fût compromis par une
aveugle réaction. Le négociateur devait, en outre, entretenir avec le général Oudinot des rapports intimes et confiants.
Il lui était de plus recommandé de se concerter avec M. d'Harcourt,
ambassadeur près du Saint-Père. Il ne devait pas négliger enfin de s'entendre
avec le ministre accrédité près la cour de Naples, M. de Rayneval. Telles sont, disait M. Drouyn de Lhuys, les seules instructions que je puisse en ce moment vous
donner... Votre jugement droit et éclairé,
ajoutait-il obligeamment, vous inspirera suivant les
circonstances. Il ne parait pas que l'entretien du ministre et de son
subordonné ait éclairé de beaucoup de lumières ces vagues recommandations. Un
diplomate vieilli dans le métier eût aussitôt apprécié l'inanité réelle de
cette mission : suivant son tempérament, il l'eût déclinée comme indigne de
lui, où il l'eût acceptée comme un de ces rôles sacrifiés qui exigent surtout
de la résignation et du dévouement. Soit qu'il se flattât de vaincre tous les
obstacles, soit qu'à l'imitation de beaucoup d'anciens agents consulaires, il
fût jaloux d'entrer dans la grande politique, M. de Lesseps ne formula aucune
objection. Dans la journée, il vit le président du conseil, qui lui parut
surtout soucieux du vote parlementaire de la veille et désireux de s'Y
conformer. Il fut reçu en outre par le président de la République, qui lui
recommanda d'éviter par-dessus toutes choses que notre action se confondit
avec celle de l'Autriche ou de Naples : ayant pris connaissance des
instructions du ministre des affaires étrangères, le prince les trouva peu
précises, et il eût en vérité poussé trop loin l'indulgence s'il les avait
jugées autrement. Le soir, M. de Lesseps revit M. Drouyn de Lhuys ; mais
c'était l'heure de sa réception, et, comme son salon était plein de
visiteurs, il ne put l'entretenir que peu d'instants. Quelques heures plus
tard, le nouveau plénipotentiaire roulait en chaise de poste sur la route de
Toulon[67]. Le 15 mai, à une heure du matin, il arriva à Castel-di-Guido, où résidait alors le général en chef. Il le trouva occupé à réparer l'échec du 30 avril et à préparer un prochain retour offensif. Il avait réuni des approvisionnements, accumulé des munitions, construit des fours. Par l'occupation de Fiumicino, il s'était rendu maître des bouches du Tibre. Le débarquement de la brigade Chadeysson avait porté son corps d'armée à près de dix mille hommes, et de nouveaux renforts étaient attendus. Dans cette situation, le général, d'accord en cela avec son état-major, était plus disposé à combattre qu'à traiter. Il accueillit cependant avec une entière cordialité l'envoyé qui lui arrivait de Paris ; et c'est avec une parfaite correction, sinon avec une grande confiance, qu'il se prêta aux négociations qui allaient s'ouvrir. Quant à M. de Lesseps, sa confiance était grande et son ardeur aussi. A peine arrivé à Castel-di-Guido, il partit pour Rome, accompagné de M. de la Tour d'Auvergne. La cité était encore sous l'émotion du combat du 30 avril, et les nombreux volontaires étrangers qui sillonnaient les rues lui donnaient un aspect tout à fait belliqueux. Ce spectacle frappa la vive imagination de notre envoyé. Je vois, écrivait-il le 16 mai au ministre des affaires étrangères[68], une ville entière en arme : habitué à juger des cités en révolution, je trouve ici au premier abord l'aspect d'une population décidée à la résistance : en rejetant tous les calculs exagérés, on peut compter au moins 20 à 25.000 combattants sérieux. Si nous entrons de vive force dans Rome, non seulement nous passerons sur le corps des aventuriers étrangers, mais nous laisserons sur le carreau des bourgeois, des boutiquiers, des jeunes gens de famille, toutes les classes enfin qui défendent l'ordre et la société à Paris. M. de la Tour d'Auvergne et M. de Gérando, chancelier de l'ambassade, partagent mon sentiment, ajoutait le plénipotentiaire. Sons cette impression, M. de Lesseps se hâta de rendre visite aux triumvirs : il conclut même avec eux une suspension d'armes dont les Romains s'empressèrent de profiter pour envoyer un corps de troupes contre les Napolitains. En même temps, il visitait les blessés français qui, au nombre de vingt-six, étaient encore dans les hôpitaux de Rome : il s'entretenait avec le prince de Canino : il entrait en relation avec Mazzini et recevait de lui un longue dépêche qu'il communiquait à M. Drouyn de Lhuys, tant il la trouvait, disait-il, remarquable[69]. C'est ainsi que le remuant diplomate s'employait en mille démarches qui, suivant ses propres expressions, ne lui laissaient aucun repos. Les Romains ne savaient que conclure de cette incessante activité : ne comprenant rien à ce revirement inattendu, ils laissaient volontiers entendre que sans doute l'envoyé français agissait d'après ses propres inspirations, et que son langage ne reflétait ni la pensée du général Oudinot, ni celle du cabinet de Paris. Cependant tout ce zèle risquait de demeurer vain si l'on ne s'occupait de poser les bases d'une négociation sérieuse. M. de Lesseps le sentit. Le 17 mai, s'étant rendu à Castel-di-Guido, où se trouvait le général en chef, ainsi que M. d'Harcourt, arrivé de Gaëte, il leur soumit une proposition d'arrangement qui lui paraissait ménager toutes les susceptibilités. Aux termes de cet accord, Rome devait accueillir l'armée française comme une armée de frères. Le triumvirat devait cesser ses fonctions et être remplacé par un pouvoir exécutif provisoire qui consulterait les populations sur la forme définitive du gouvernement. Ce projet reçut l'approbation du général et celle de M. d'Harcourt. Il restait à le faire accepter des Romains, et ici les difficultés commencèrent. Les Italiens sont gens très fuis, tellement fins qu'il y a à négocier avec eux plus de plaisir que de sûreté : lorsqu'ils virent que nous étions disposés à les traiter d'égal à égal, leurs prétentions s'accrurent dans la mesure même de notre condescendance. Trois délégués furent désignés pour examiner la convention préparée par M. de Lesseps : c'était Audinot, Sturbinetti, Cernuschi : ce dernier étant Milanais fut remplacé par un citoyen romain, M. Agostini. M. de Lesseps fut enchanté de ces choix ; mais sa satisfaction ne fut pas longue : car son projet fut aussitôt rejeté. — Infatigable dans sa bonne volonté, le plénipotentiaire français le remplaça par une proposition nouvelle qui différait de la première en ce qu'elle ne comportait pas la démission du triumvirat. Ce sacrifice même fut inutile. Les trois commissaires avant soumis le nouveau traité à l'Assemblée constituante romaine, celle-ci n'hésita pas à le repousser. Le 19 mai, les triumvirs, dans une lettre assez hautaine, notifièrent ce refus à M. de Lesseps. L'Assemblée constituante, disaient-ils en substance, a remarqué que les mots de République romaine étaient soigneusement évités, et cette omission lui a paru l'indice d'intentions défavorables. Somme toute, le projet nouveau n'assure pas plus de garanties que n'en offraient les proclamations du général Oudinot avant le 30 avril. Rome, ajoutaient insolemment les triumvirs, n'a pas besoin de protection ; on n'y combat pas ; et si quelque ennemi venait se présenter sous ses murs, elle saurait lui résister par ses propres efforts. C'est à la frontière toscane, c'est à Bologne qu'on peut protéger Rome aujourd'hui[70]. A cette dépêche, Mazzini ajoutait une note confidentielle qui reproduisait, sous une forme plus familière, les mêmes arguments. A quoi bon, disait Mazzini, consulter les populations, puisqu'elles ont déjà fait connaître leur vœu ? Que le cabinet de Paris reconnaisse notre République, et alors le général Oudinot pourra être admis dans nos murs, non comme un maître, mais comme un hôte. — A la vérité, en rejetant les propositions françaises, les triumvirs annonçaient qu'ils reprendraient les négociations sur une nouvelle base. Mais trois jours s'écoulèrent sans qu'ils transmissent autre chose qu'une sorte de projet dérisoire communiqué par le chargé d'affaires des États-Unis. — En même temps les exigences du gouvernement romain s'accroissaient. Un jour il se plaignait que les courriers partis de la ville eussent été arrêtés hors de la Porta Angelica : un autre jour, il dénonçait avec beaucoup de vivacité le passage du Tibre près de San Paolo par un détachement de soldats français. La population, à l'exemple des triumvirs, devenait elle-même plus arrogante. C'est ainsi que, le 21 mai, des groupes malveillants se portèrent vers l'ambassade de France ; l'une des voitures de l'ambassade fut même accueillie par des huées et des insultes. Telle fut la première récompense des intentions généreuses de M. de Lesseps. Tout autre se fût découragé et eût attendu avec patience,
soit de nouvelles instructions, soit un ordre de rappel. M. de Lesseps était
déjà l'homme tenace que notre génération a connu. Le 22 mai, dans une dépêche
au ministre des affaires étrangères, il insistait pour que la suspension des
hostilités fût prolongée. Il demandait qu'on envoyât au général Oudinot des
renforts, ruais surtout pas de matériel de siège : autrement nous paraîtrions
décidés à foudroyer Rome pour lui prouver notre amitié. Il convenait, avec
une ingénuité qui n'était pas sans malice, qu'il était en désaccord avec ses
collègues. M. d'Harcourt, disait-il, proteste contre l'inaction de l'armée !... moi, je vais toujours !
vous jugerez qui des deux a raison ! Nous sommes, d'ailleurs, dans les
meilleurs termes de cordialité, sinon d'entente cordiale[71]. Les avis
répétés du général Oudinot ne parvenaient pas à vaincre les robustes
espérances du diplomate. M. de Lesseps mettait à défendre ses idées une insistance
mêlée de bonne grâce qui manquait rarement son effet. Un incident montra
combien était déjà grande alors sa puissance persuasive. Le général Vaillant,
chargé du service du génie, était arrivé le 19 mai au camp français et
s'était élevé avec beaucoup de vivacité contre l'ajournement des opérations
militaires ; il offrit même de se rendre à Rome, afin, disait-il, de ramener
M. de Lesseps à une plus juste appréciation des choses. Il s'y rendit, en
effet ; mais, loin de convaincre le négociateur, il se laissa entraîner par
lui. C'est seulement le lendemain que, de retour au camp, il échappa au
charme qui l'avait un instant enveloppé. C'est à cet incident que le général
Oudinot faisait allusion lorsqu'il écrivait le 23 mai au plénipotentiaire
français : Vous êtes, Monsieur, très séduisant.
Personne ne le sait plus que moi. Le général Vaillant a été, lui aussi, sous
le charme en vous écoutant. Mais, à la réflexion, il reste très convaincu que
le statu quo porte la plus grave atteinte aux intérêts de la France et
à l'honneur militaire... Nous vous supplions de ne pas enchaîner plus longtemps
notre liberté d'action... Je suis en cela
l'interprète de tous mes compagnons d'armes. L'insinuante habileté de M. de Lesseps semblait, hélas ! se consumer en pure perte. En s'aliénant peu à peu l'armée française, il ne se conciliait pas davantage les bonnes dispositions du peuple romain. Le parti modéré, soit timidité, soit impuissance, ne lui apportait aucun secours. Les membres du triumvirat tenaient un langage de plus en plus acerbe. Quant aux clubs, ils signalaient dans notre envoyé un nouveau Rossi et le désignaient déjà au poignard. Cette situation devint même tellement intolérable que, le 24, M. de Lesseps quitta Rome, et s'installa à quatre kilomètres de la ville, à la villa Santucci, où le général Oudinot et son état-major venaient eux-mêmes d'établir leur résidence. Le ministre plénipotentiaire rencontra à la villa Santucci une courtoisie pleine d'égards pour sa personne. Mais il put se convaincre que nul ne partageait ses vues ; et si confiante que fut sa nature, cet isolement finit par l'effrayer. De Paris, il ne recevait aucune instruction ; en vain il envoyait dépêches sur dépêches. M. Drouyn de Lhuys s'obstinait à se taire comme M. de Lesseps s'obstinait à parler. Le plénipotentiaire s'étonnait et s'irritait un peu de ce silence. Que le gouvernement décide sans retard, écrivait-il le 26 mai dans son langage familier, que le gouvernement décide et qu'il ne me laisse pas plus longtemps entre l'enclume et le marteau[72]. Privé des instructions de son chef, M. de Lesseps avait peine à contenir les murmures de plus en plus vifs de Farinée. On avait reçu au camp français la lettre du président de la République au général Oudinot ; un encouragement venu de si haut avait surexcité le désir d'une prompte revanche. I es plus prévoyants d'entre les chefs militaires redoutaient l'approche de la saison des fièvres, si dangereuse dans la campagne romaine, et, dans leur sollicitude pour la santé de leurs soldats, insistaient pour qu'on précipitât le dénouement. Les nouvelles des Autrichiens, dont on signalait la marche offensive, fournissaient un argument de plus aux partisans de l'action. Pour empêcher qu'ils ne pénètrent dans Rome, disait le général Oudinot, il faut que nous y entrions nous-mêmes sans tarder. L'effectif des troupes s'était, en outre, tellement accru que le succès semblait assuré. De nombreux officiers, appartenant aux armes spéciales, et, à leur tête, les généraux Vaillant et Thiry, étaient arrivés : quatre régiments d'infanterie et un régiment de cavalerie avaient été débarqués. Vers le 25 mai, le corps expéditionnaire s'élevait à près de vingt mille hommes, distribués en trois divisions commandées par les généraux Regnaud de Saint-Jean-d'Angély, Rostolan et Gueswiller. L'état moral des troupes n'était pas moins satisfaisant que leur état matériel ; et de toutes parts on se disait que ce serait pitié si, pour tenter d'impossibles conciliations, on laissait de si braves soldats se consumer dans l'attente ou se fondre peu à peu sous l'influence de la malaria. Dans un conseil de guerre tenu le 24, ces considérations avaient été exposées avec une extrême chaleur, et il avait fallu toute l'influence du général Mollière pour calmer un peu l'impatience universelle. M. de Lesseps n'avait pas seulement à lutter contre l'ardeur des chefs militaires. Il n'ignorait pas le mécontentement que sa conduite excitait parmi les diplomates réunis en conférence à Gaëte. Ce mécontentement était si vif que le représentant de l'Autriche, M. Esterhazy, n'hésitait pas à demander si la conférence existait encore[73]. Notre plénipotentiaire se heurtait enfin à la désapprobation des deux ambassadeurs français accrédités près le Saint-Siège et la cour de Naples. Cette désapprobation, d'abord contenue, n'avait pas tardé à se manifester sous une forme très énergique. Le 28 mai, M. de Rayneval se rendit à la villa Santucci, et, dans un long entretien où les témoignages de l'estime mutuelle et les souvenirs d'une ancienne amitié déguisaient mal la profonde divergence des vues, il s'attacha à convaincre son collègue de l'inutilité de ses efforts. Plus accoutumé que M. de Lesseps à la circonspection diplomatique, M. de Rayneval était confondu de cette audace téméraire qui ne connaissait aucun obstacle. Vous ne suivez que vos propres inspirations, disait-il ; vous vous autorisez de cette circonstance que, venu le plus récemment de Paris, vous êtes le dépositaire de la dernière pensée du gouvernement ; mais je ne dois pas vous cacher que vous êtes en complet désaccord, soit avec la cour de Gaëte, soit avec M. d'Harcourt et moi. — Mais Gaëte est un véritable Coblentz ! s'écriait, non sans quelque humeur, M. de Lesseps. Ce que je veux, ajoutait-il, c'est éviter à tout prix le siège de Rome et les horreurs qui pourraient suivre. — Soit, répliquait M. de Rayneval ; mais sous prétexte d'éviter la lutte, il ne faut pas faire avec la République romaine une alliance offensive et défensive ! ne l'oubliez pas d'ailleurs, les Romains seront d'autant moins disposés à nous ouvrir les portes de leur ville qu'ils verront notre armée moins disposée à agir. Vous oubliez la maxime : Si vis pacem, para bellum. Vous paralysez l'action militaire ; vous exposez les troupes à la démoralisation et aux maladies. — Nullement, repartait avec beaucoup de vivacité M. de Lesseps, mais je ne veux pas que l'admirable ardeur de nos a soldats soit détournée de son véritable but : il y a d'autres ennemis à vaincre que ceux qui sont à Rome. Abandonnant la question militaire pour revenir à la question politique, M. de Rayneval s'appliquait à démontrer à son interlocuteur l'imprudence de sa conduite : En vous unissant aux ennemis du Pape, vous le ramenez sous l'influence de l'Autriche. Vous a jetez le gant aux cabinets de Vienne, de Madrid, de Naples ! Vous adoptez une politique non seulement indépendante de la leur, mais empreinte d'hostilité. En particulier, en ce qui concerne le royaume de Naples, vous l'exposez à l'invasion des bandes que notre inaction rend à la liberté. M. de Lesseps, comme on pense, n'était pas en reste d'arguments. L'entretien se prolongea longtemps de la sorte sous une forme vive, quoique toujours courtoise, niais sans résultat décisif ; et M. de Rayneval retourna à Gaëte sans avoir pu convaincre son entreprenant et obstiné collègue[74]. Cependant il fallait en finir, et M. de Lesseps, sans l'avouer encore, le sentait lui-même à merveille. Le 29 mai, le plénipotentiaire français, de concert avec le général Oudinot, adressa aux autorités romaines une dernière proposition d'arrangement qui se résumait en quatre articles ainsi conçus : ARTICLE PREMIER. Les Romains réclament la protection de la République française. ARTICLE 2. La France ne conteste point aux autorités romaines le droit de se prononcer librement sur la forme du gouvernement. ARTICLE 3. L'armée française sera accueillie par les Romains comme une armée amie. Elle prendra les cantonnements qu'elle jugera convenable tant pour la défense du pays que la salubrité de ses troupes. Elle restera étrangère à l'administration du pays. ARTICLE 4. La République française garantit contre toute invasion étrangère le territoire occupé par ses troupes. Après un échange de notes, le triumvirat romain proposa le contre-projet suivant : ARTICLE PREMIER. Les Romains, pleins de foi aujourd'hui comme toujours dans l'amitié et dans l'appui fraternel de la République française, réclament la cessation des apparences même d'hostilité et l'établissement des rapports qui doivent être l'expression de cet appui fraternel. ARTICLE 2. Les Romains ont pour garantie de leurs droits politiques l'article 5 de la Constitution française. ARTICLE 3. L'armée française sera regardée par les Romains comme une armée amie et accueillie comme telle. Elle prendra, d'accord avec le gouvernement de la République romaine, les cantonnements qu'elle jugera convenables... Rome est sacrée pour ses amis comme pour ses ennemis : elle n'entre pas dans ces cantonnements. La lecture seule de ce contre-projet suffisait à en montrer le caractère. La France ne reconnaissait pas seulement la République romaine, elle s'en constituait la protectrice et la garante. L'armée française n'était plus qu'une sentinelle destinée à protéger la démagogie contre les forces de l'Autriche, de l'Espagne et de Naples. C'était, d'ailleurs, une sentinelle dont on se défiait ; car on lui refusait expressément l'entrée de la ville, comme si sa présence à Rome eût été une menace ou une humiliation. Comment M. de Lesseps fut-il d'avis d'accepter, ou au moins de discuter cet étrange traité ? Il était dominé par la pensée que Rome était plus malsaine encore que la campagne qui l'entourait ; que l'occupation de la ville serait le signal de quelque acte de vandalisme ou de folie de la part des démagogues étrangers ; que les rapports entre les autorités françaises et les autorités romaines deviendraient la source de mille difficultés. Ces considérations expliquent sans la justifier son adhésion ft une convention si extraordinaire. Quant au général Oudinot, il refusa aussitôt de signer un pareil acte et exprima même, dit-on, en des termes d'une regrettable violence sa désapprobation. Il déclara avec beaucoup de netteté qu'il ne retarderait pas plus longtemps les hostilités. M. de Lesseps, de son côté, répondit qu'il allait partir pour Paris afin de solliciter de son gouvernement la ratification du projet voté par l'Assemblée romaine. La rupture entre le quartier général et la légation française était, comme on le voit, complète. Cette situation pénible ne dura guère. Le cabinet de Paris, longtemps silencieux, s'était enfin décidé à parler. Le 1er juin, comme M. de Lesseps, revenu à Rome, se préparait à partir pour la France, le chancelier de l'ambassade lui remit une dépêche du ministre des affaires étrangères qui mettait fin à sa mission. Le même courrier venait d'apporter an quartier général français l'ordre d'attaque ardemment désiré. M. de Lesseps partit tout de suite. Il avait dès cette époque contracté l'habitude de voyager vite. Le 5 juin, il était à Paris : il y trouva une nouvelle Assemblée installée au Palais-Bourbon et très différente de sa devancière. Ce changement put mieux que tout le reste lui expliquer sa disgrâce. L'ordre de son rappel était parti de Paris le 29 mai : or, c'est le 28 que l'Assemblée législative avait siégé pour la première fois. L'Assemblée nouvelle étant en majorité disposée à l'action, on avait besoin, non plus d'un diplomate pour négocier, mais d'un général pour combattre, et la politique de temporisation devenait inutile. M. de Lesseps ne fut pas seulement rappelé, il l'ut déféré au conseil d'État qui le blâma. Mais il y a parfois des disgrâces heureuses ; et le négociateur, détourné de la carrière diplomatique, acquit plus tard, dans une voie toute différente, la plus durable des célébrités. |
[1] Dépêche de M. de Metternich à M. de Buol, 29 mai 1846.
[2] Dépêche de M. Rossi à M. Guizot, 1er juin 1846.
[3] MASSIMO D'AZECLIO, Correspondance politique, p. 2.
[4] M. GUIZOT, Mémoires, t. VIII, p. 349, 353 et 354.
[5] Dépêche de M. de Metternich à M. de Lutzow, à Rome, 6 août 1846.
[6] M. DE METTERNICH, Mémoires, t. VII, p. 405 et suiv.
[7] M. DE METTERNICH, Mémoires, t. VII, p. 394-403.
[8] Dépêche de M. de Metternich au comte Apponyi, 25 mai 1847.
[9] Dépêche de M. de Metternich à M. de Lutzow, 15 mai 1847.
[10] MONTANELLI, Mémoires, t. Ier, p. 355.
[11] M. DE METTERNICH, t. VII, p. 476.
[12] M. de Metternich au comte Apponyi, 7 octobre 1847. — M. de Metternich à M. de Ficquelmont, 23 janvier 1848. — M. de Metternich au comte Apponyi, 29 janvier 1848.
[13] Dépêche de M. de Metternich à M. le comte de Colloredo, 13 janvier 1848.
[14] Moniteur de 1848, page 231.
[15] M. GUIZOT, Mémoires, t. VIII, p. 403.
[16] Proclamation du 23 mars.
[17] Correspondence respecting the affairs of Italy, partie II, passim.
[18]
Dépêche de M. de Pareto à M. de Buol, 23 mars. (Correspondence respecting the affairs of
Italy, partie II, p. 328.)
[19] Voir Moniteur du 28 mars, p. 702 et 703.
[20]
Dépêche de sir Abercromby à lord Palmerston, 14 avril 1848. (Correspondence respecting the affairs of
Italy, p. 353.)
[21] Documents laissés par Manin et publiés par M. PLANAT DE LA FAYE, t. Ier, p. 160, 174 et passim.
[22] M. de Brignoles se conformait en cela aux strictes instructions de son gouvernement. (Voir dépêche de M. de Pareto à sir Abercromby, 30 mars 1848, Correspondence respecting the affairs of Italy, partie II, p. 278.)
[23] Dépêches des 7 et 20 avril 1848.
[24] Dépêche du 11 avril 1848. — GARNIER-PAGÈS, Histoire de la Révolution de 1848, t VI, p. 213 et 214.
[25] Séance de l'Assemblée constituante du 23 mai 1848. (Moniteur de 1848, p. 1141.)
[26] GARNIER-PAGÈS, Histoire de la Révolution de 1848, t. VI, p. 391, et t. X. p. 6.
[27] Dans une note détaillée adressée à M. de Metternich, M. de Hummelauer lui a rendu compte de sa mission à Londres. C'est à cette note que nous avons emprunté les principaux éléments de ce récit. (Voir Mémoires de M. DE METTERNICH, t. VIII, p. 449 et suivantes, p. 20, 22, 23.) — Voir, en outre, dépêches de M. de Hummelauer à lord Palmerston, 23, 24 et 26 mai 1848. (Correspondence respecting the affairs of Italy, partie II, p. 470, 476, 480.)
[28] Voir dépêche de lord Ponsomby à lord Palmerston, 12 juin 1848 ; dépêche du baron de Wessenberg à M. Casati, 13 juin 1848 ; dépêche de M. de Wessenberg à lord Ponsomby. (Correspondence respecting the affairs of Italy, partie II, p. 596 et 609 : partie III, p. 32 et 33.)
[29] Documents laissés par MANIN, t. Ier, p. 283.
[30] Lettre de Mazzini à M. Bastide, du 31 juillet 1848. (BASTIDE, La République française et l'Italie, p. 44.)
[31]
BASTIDE, La
République française et l'Italie en 1848, p. 92. — M. Bastide à lord Normanby,
10 août 1848 ; lord Normanby à M. Bastide, 11 août 1848. (Correspondence respecting the affairs of
Italy, partie III, p. 122 et 126.)
[32] Moniteur de 1848, p. 2095.
[33] Dépêche de M. Bastide à M. Benoît-Champy à Florence, 29 août 1848.
[34] M. Bastide à M. Bois-le-Comte, à Turin, 10 octobre. — M Bastide à M. de Perrone, président du conseil des ministres du roi de Sardaigne, 23 octobre.
[35] M. Bastide à M. Bois-le-Comte, à Turin, dépêches des 10 et 19 octobre.
[36] Dépêche de M. Bastide à M. d'Harcourt, 7 juillet 1848.
[37] M. Bastide à M. d'Harcourt, 25 août 1848.
[38] Dépêche de M. d'Harcourt à M. Bastide, 4 septembre 1848. — Il est juste d'ajouter que M. d'Harcourt ne partageait pas les préventions mesquines du ministre des affaires étrangères et ne combattait l'entrée aux affaires dé M. Rossi que pour se conformer aux ordres de son chef : Nous n'aurions qu'à gagner, écrivait-il, à l'arrivée de M. Rossi au pouvoir, il n'est pas obscurantiste comme l'entourage : le seul danger est que la situation soit plus forte que lui.
[39] J'ai été obligé d'avoir recours au ministre de la police à l'occasion de quelques délits, écrivait, le 4 septembre, M. d'Harcourt à M. Bastide, et il m'a déclaré naïvement qu'il n'avait pas moyen d'en connaître, à plus forte raison de les réprimer.
[40] L'Epoca, du 16 novembre, citée par M. DE GAILLARD, dans son Histoire de l'expédition de Rome, p. 81.
[41] Dépêche de M. d'Harcourt à M. Bastide, 17 novembre.
[42] Voir supra, t. Ier, l. X.
[43] M. DE CORCELLES, Souvenirs de 1848 ; première intervention à Rome.
[44] Documents laissée par Manin et publiés par M. PLANAT DE LA FAYE, t. II, p. 63 et 64.
[45] Documents et papiers inédits.
[46] Voir Correspondence respecting the affairs of Italy, partie IV, p. 70.
[47] M. DE FALLOUX, Question romaine : Antécédents de la situation actuelle, 1860. (Mélanges politiques, t. II, p. 178.)
[48] Moniteur de 1849, p. 577.
[49] M. Drouyn de Lhuys à M. d'Harcourt, 22 février 1849.
[50] M. Drouyn de Lhuys à M. d'Harcourt, 22 février 1849.
[51] Le cabinet français ne renonça qu'avec peine à l'idée d'une intervention piémontaise, ou au moins purement italienne. Le 27 février, six jours après la chute de Gioberti, M. Drouyn de Lhuys, dans une dépêche à notre représentant à Madrid, exprimait le regret que cette combinaison n'eût pu être adoptée : Nous avions pensé, disait-il, que le meilleur moyen de prévenir les inconvénients d'une intervention étrangère, s'exerçant dans le but d'assurer la restauration pontificale, serait qu'elle s'effectuât par des puissances italiennes, et vous avions proposé en conséquence d'adjoindre la Sardaigne à Naples dont le Pape accepte le concours....
[52] Recueil des actes officiels de la République romaine, p. 9 et 15.
[53] Les Quatre ministères de M. Drouyn de Lhuys, par M. D'HARCOURT, p. 16.
[54] Déclaration de M. Drouyn de Lhuys, ministre des affaires étrangères, séance du 30 mars. (Moniteur de 1849, p. 1157.)
[55]
Dépêche de lord Ponsomby à lord Palmerston, 20 mars 1849. (Correspondence respecting the affairs of
Italy, IV, p. 221.)
[56] Dépêche de M. Bois-le-Comte, 27 mars. — Dépêche de sir Abercromby, 27 mars.
[57] Voir Moniteur du 17 avril 1849.
[58] Procès-verbaux des conférences de Gaëte, séance du 14 avril 1849
[59] Dépêche du ministre des affaires étrangères à M. d'Harcourt et de Rayneval, 17 avril.
[60] Le général VAILLANT, Siège de Rome, p. 2, 3 et 165-166.
[61] Voir Moniteur de 1849, p. 1795.
[62] Séance de l'Assemblée constituante romaine du 26 avril.
[63] Dépêche de M. Forbin-Janson au général Oudinot, 26 avril 1849. (Histoire de l'expédition de Rome, par M. Léopold DE GAILLARD, p. 169 et 170, 434.)
[64] Voir Moniteur de 1849, p. 1708.
[65] Recueil des actes officiels de la République romaine, p. 78, 81, 85.
[66] Rapport du général Oudinot au ministre de la guerre, 3 mai. (Moniteur, p. 1749.) — Dépêche du général Oudinot au ministre des affaires étrangères, 4 mai. (Moniteur, p. 1750.) — Rapport du commandant Picard. (Moniteur, p. 1923.) — VAILLANT, Siège de Rome, p. 6 et suiv.
[67] M. DE LESSEPS, Ma mission à Rome, p. 17 et suiv.
[68] Dépêche de M. de Lesseps à M. le ministre des affaires étrangères, 16 mai 1849.
[69] M. de Lesseps à M. le ministre des affaires étrangères, 18 mai.
[70] Le triumvirat à M. de Lesseps, 19 mai.
[71] M. de Lesseps à M. le ministre des affaires étrangères, 22 mai.
[72] M. de Lesseps à M. Drouyn de Lhuys, 26 mai.
[73] Procès-verbaux des conférences de Gaëte, séance du 20 mai.
[74] M. de Rayneval et M. de Lesseps ont résumé dans deux notes leur entretien ; c'est à ces notes que j'ai emprunté le récit ci-dessus. (Ma mission à Rome, par M. DE LESSEPS, p. 143 et suiv.)