STEENSTRAËTE

UN DEUXIÈME CHAPITRE DE L'HISTOIRE DES FUSILIERS MARINS (10 NOVEMBRE 1914-20 JANVIER 1915)

 

— X — À L'ASSAUT DE LA GRANDE-REDOUTE.

 

 

Le quartier général avait en effet décidé la continuation de l'offensive : le bel allant de nos troupes lui semblait un gage de succès et, après le grignotage auquel nous soumettions l'ennemi depuis un mois, le moment semblait venu de tailler à larges pans dans ses lignes. Ni le général Hély d'Oissel, ni l'amiral Ronarc'h ne partageaient peut-être cette illusion. Les marins sans doute n'avaient rien perdu de leur mordant. Mais cet état d'exaltation, qui les arrachait à eux-mêmes et à leurs misères, pouvait-il longtemps se soutenir ? Dans une seule ambulance, le docteur Taburet note qu'il a, tous les jours, une centaine de malades, sans préjudice des blessés. La perspective de crever dans la boue démoralisait les hommes, qui se seraient abandonnés, sans le magnifique exemple d'endurance qu'ils trouvaient chez leurs officiers, et le réconfort qu'ils y puisaient[1]. L'expérience venait de montrer cependant qu'affaiblis par la dysenterie, les bronchites, ils renaissaient subitement dès qu'une attaque se déclenchait. L'approche seule de cette attaque les transformait ; dans la tranchée, ils tracassaient avec impatience la détente de leurs fusils et imploraient la permission de canarder les ombres ennemies qui commençaient à se découper sur le gris du ciel.

— Je les retenais, dit un gradé[2], car il fallait surprendre.

Au cours même de l'attaque, leur pétulance ordinaire, une vanité bien excusable chez des hommes qui avaient prouvé tant de fois leur supériorité sur l'ennemi, les emportaient à toutes sortes de démonstrations imprudentes[3]. Encore fallait-il, avant de les rejeter dans l'action, boucher les brèches ouvertes dans leurs rangs ; or, toutes les compagnies étaient à peu près disloquées, sauf celles des bataillons Conti, Bertrand et de Kerros. C'étaient les seules troupes intactes qui nous restaient, et tout ce que put faire l'amiral fut de mettre le premier de ces bataillons à la disposition du 20e corps, chargé de pousser à fond l'offensive. Mais, bien que l'artillerie du secteur eût bombardé toute la journée les tranchées ennemies et que l'artillerie allemande répondit assez faiblement, il arriva que notre droite ne put marquer aucune avance, et le bataillon Conti resta sur ses positions. Les hommes n'eurent à supporter qu'une légère contre-attaque de l'ennemi, qui voulut profiter de la relève pour essayer de leur reprendre à la grenade les tranchées perdues[4]. L'amiral avait obtenu pour cette relève un appoint de 200 cavaliers à pied : une mousqueterie bien dirigée et quelques tirs de barrage obligèrent l'ennemi à rentrer dans ses trous.

Il riposta le 19, pendant toute la matinée, jusqu'à deux heures de l'après-midi, par un marmitage en règle du plateau à l'ouest du Kemmelbeke, où nous avions nos réserves, et de la ferme Mouton, où se trouvait le poste de commandement de la défense[5]. La précision de ce bombardement ajouta aux présomptions que l'on avait de la mort du commandant Geynet, qui portait sur lui le plan du secteur et qui l'aurait détruit immanquablement, s'il n'avait été que blessé ; mais elle pouvait être aussi le fait de l'espionnage local qui ne s'était jamais montré plus actif, repérant tous nos mouvements, coupant nos fils téléphoniques et se glissant en blouse de colporteur, voire en cotteron de pastoure, jusque sous l'auvent des âtres hospitaliers où se séchaient les Jean Gouin[6]. Il fallut modifier l'aménagement du secteur. L'amiral dut songer aussi à refondre le 1er régiment, si éprouvé, et envisager dès ce moment la suppression d'une de ses compagnies : le manque de gradés et d'officiers se faisait de plus en plus sentir et déjà l'on pouvait prévoir le moment où la Marine, très capable encore de nous alimenter en hommes, ne pourrait plus compléter les cadres, trop longs à former et dont elle avait besoin pour ses bateaux.

La nuit du 20 décembre ne fut troublée que par le chuintement des fusées éclairantes dont l'ennemi commençait à régulariser l'emploi ; les deux journées suivantes furent surtout employées par lui en reconnaissances d'avions qui jetèrent des obus sur Woesten et Oostvleteren ; mais le bombardement consécutif à ces reconnaissances nous causa peu de pertes, bien qu'il fût sensible que l'artillerie allemande eût reçu des renforts. On avait dû laisser sur le canal une partie des unités qui devaient être relevées, les chasseurs cyclistes envoyés pour cette relève n'étant pas en nombre et la reprise de l'offensive semblant imminente.

Elle avait été annoncée d'abord pour le 91 au matin. La veille, qui était un dimanche, les hommes en réserve avaient eu l'autorisation d'assiste4' à la messe, dans une ferme du voisinage. Le soir, ils repartaient pour les nouvelles tranchées de la rive droite, organisées vaille que vaille dans la boue d'un champ de betteraves. Le génie n'avait pu fournir les sacs à terre demandés : pas de parapet ; aucun écoulement pour l'eau, le fond des tranchées affleurant la nappe inférieure. Les hommes étaient obligés de rester accroupis dans la vase. Patiemment ils vidaient l'eau avec des gamelles ou des marmites en guise d'écopes, mais elle reparaissait à mesure qu'on la vidait. Travail de Danaïdes ! Rien à faire, écrit un officier[7]. Ici, l'eau est à fleur de sol et remplit la trace des pas. De jour, si l'on ne veut pas se faire voir, il faut bien se résoudre à se mettre dans l'eau jusqu'aux genoux. Certains de mes hommes y sont jusqu'aux hanches. Les postes de commandement, établis sur la rive gauche du canal, dans de petits blockhaus souterrains, étaient à peine plus confortables : un obus avait aux trois quarts démoli la veille celui du commandant Conti, manquant de tuer le commandant et blessant son cycliste. Mais le commandant Bertrand, qui remplaçait le commandant Conti aux tranchées du secteur Sud, emmenait avec lui des sapeurs et du matériel[8]. L'attaque fut remise, du reste, au grand dépit des malheureux qui l'attendaient comme une délivrance. Le baromètre, descendu la veille à 3 degrés au-dessous de zéro, avait remonté légèrement, mais il pleuvait, et c'était cette pluie de neige fondue, plus froide encore que la vraie neige. Les couvertures étaient trempées ; les officiers s'étaient fait des sièges avec des seaux renversés. Défense de fumer par surcroît : les figures blêmissaient ; des guetteurs s'affaissaient aux créneaux. Le commandant s'inquiétait et se demandait comment, après...trente-six heures d'un pareil régime, ses compagnies pourraient partir à l'assaut[9]. On les fit serrer dans la nuit du 21, à quatre heures du matin, pour céder la place à des troupes fraîches appartenant au bataillon de Kerros.

Ce n'était que prudence. Par ordre du général d'Urbal, commandant la VIIIe armée, le groupement Hély d'Oissel devait reprendre l'offensive le matin du 22, à six heures quarante-cinq, après dix minutes de préparation d'artillerie, sur les objectifs, primitivement indiqués pour l'attaque du 17. Celui de la brigade était toujours la grande tranchée allemande située dans l'axe du pont, à 500 mètres environ de Steenstraëte. Le 2e bataillon du 1er régiment et les deux sections de mitrailleuses à qui revenait l'honneur de l'enlever occuperaient dans la nuit, avant six heures, face à l'objectif d'attaque, les tranchées du nouveau front, qui leur serviraient de parallèles de départ ; le bataillon Conti se porterait en réserve pour la même heure sur le-plateau ouest du Kemmelbeke ; le bataillon. Bertrand formerait le soutien dans les tranchées du canal ; une fraction de la 11e division territoriale agirait sur le front du 208 corps en liaison avec la brigade ; le colonel Delage prendrait la direction de l'attaque.

La nuit avait été calme, sauf les inévitables fusées éclairantes, qui n'avaient pas-empêché les bataillons désignés de se-rendre sur leurs emplacements. Il tombait de la neige fondue ; un terrain boueux, glacial[10]. Les officiers, l'œil sur leurs montres, attendaient la fin de la préparation d'artillerie. Elle s'était déclenchée à l'heure convenue : de six heures trente à six heures quarante, toutes les pièces du secteur se concentrèrent sur la grande tranchée allemande et les maisons qui l'avoisinaient[11] ; les gros canons continuèrent encore le feu pendant cinq minutes. Mais l'obscurité empêchait de vérifier les effets du tir, et c'est une tendance assez fréquente chez les techniciens de croire qu'une préparation d'artillerie ayant été exécutée dans telle condition, en tel laps de temps, il s'ensuit nécessairement, mathématiquement, tel effet donné. Nombreux ont été au cours de cette guerre, et aussi cruels que nombreux, les démentis infligés à cette théorie par l'expérience : nous ne connaissions pas encore toutes les ruses de l'ennemi ; nous ne savions pas quels perfectionnements il avait su apporter à l'organisation de ses tranchées et comment, par des boyaux de branchement communiquant avec de solides abris provisoires d'où il surgissait sitôt la préparation d'artillerie terminée, il pouvait procéder à l'évacuation immédiate des points bombardés. Mais, en l'espèce, pour quelques parapets détruits, pour quelques éléments de tranchée bousculés, il semble que l'artillerie n'ait même pas endommagé les chevaux de frise et les barricades de treillis qui hérissaient les abords de la Grande-Redoute sur 20 mètres de largeur et dont les fils de fer barbelés défiaient tous les ciseaux. La plupart des blockhaus étaient intacts, les mitrailleuses à leur poste sous les coupoles blindées des flanquements. C'est contre cette formidable organisation que se lançaient nos hommes. Mais il est vrai que, trompé par les renseignements des reconnaissances aériennes, l'état-major était persuadé que la tranchée allemande de Steenstraëte formait une redoute isolée, alors qu'elle se prolongeait sans interruption vers Bixschoote, avec des coudes, des pointes, des redans qui allaient permettre à l'ennemi de nous prendre à la fois de face, d'écharpe et de flanc.

Il est possible d'ailleurs que cette organisation formidable fût une œuvre toute récente et que le reliment des tranchées eût été exécuté dans la nuit même. On se doutait bien de quelque chose dans nos rangs : pour ne pas déconforter leurs troupes les officiers gardaient le sourire, le commandant de Kerros haussait d'un ton sa belle voix métallique, mais la plupart se sentaient perdus. Des souvenirs classiques s'éveillaient en eux à cette minute suprême de leur destinée. L'un d'eux, tourné vers l'ouest, dans la direction de la patrie, prononçait en partant : Ave, Gallia, morituri te salutant. Son ordonnance lui demandant s'il fallait apprêter la cantine : Ne t'en occupe pas, répondait comme Léonidas le lieutenant de vaisseau Feillet. Ce soir nous souperons chez Pluton. Et le capitaine Barthal, plus sombre, à un de ses camarades qui lui souhaitait bonne chance, répondait évasivement : On verra !

Mais les hommes, avides de s'élancer, visitaient fiévreusement les magasins de leurs lebels. Le tir de l'artillerie, très violent et bien réglé, semblait-il, les avait mis en belle humeur ; ils croyaient qu'après cette préparation méthodique, la prise de la Grande-Redoute ne serait qu'un jeu ; ils pensaient tomber sur les premières lignes ennemies avant que les Allemands les eussent regarnies. Leur illusion fut courte : le bataillon de Kerros, soulevé comme une vague hors de la tranchée, dès que notre artillerie avait allongé son tir, était accueilli par une décharge générale. Prise sous cette fusillade, la 8e compagnie (capitaine Ravel), qui attaquait de front, appuyée à droite par la section de mitrailleuses de l'officier des équipages Noblanc, sa gauche (enseigne Bastard) sur la route de Dixmude, s'arrêta au bout de deux bonds et se défila dans un fossé aménagé la veille par son chef, où elle attendit que les progrès de la 5e et de la 7e compagnie lui permissent de faire un nouveau bond. Aussi bien lui avait-il été recommandé de ne pas s'engager à fond, car on savait par expérience la Grande-Redoute inabordable de ce côté, et de ne faire qu'une simple démonstration pour tromper l'ennemi sur les intentions des compagnies Barthal et Feillet chargées de couper l'ouvrage en s'emparant du boyau qui le reliait à Bixschoote. Une quatrième compagnie restait en réserve d'attaque au bord du canal avec l'enseigne Goudot ; mais son chef provisoire, l'enseigne Lartigue, qui remplaçait le capitaine Pinguet, exempt de service, et qui possédait une connaissance approfondie du terrain, avait été joint à l'aile marchante de la compagnie Feillet avec mission de la guider et de retourner aussitôt près du commandant de Kerros pour lui rendre compte de la situation.

Tout de suite elle fut grave : à peine les compagnies déployées, des centaines de fusées éclairantes convergent des tranchées allemandes, en même temps qu'une fusillade nourrie s'allume, et le pis est que cette fusillade ne part pas seulement des tranchées de Steenstraëte et de Bixschoote, mais de tout le boyau qui les relie et qui a été fortement organisé par l'ennemi. L'enseigne Lartigue, avec la section de droite de la compagnie Feillet, se lance le long de la petite route pour occuper une maison isolée qui prendrait l'attaque de flanc à courte distance, si elle recélait une mitrailleuse. Les balles, à cet endroit, sont si denses qu'on a l'impression physique de refouler un courant. La section parvient cependant jusqu'à la maison, qui est vide, mais battue d'un tel feu qu'il faut l'évacuer aussitôt et revenir vers le gros de la compagnie. La fausse attaque de Ravel avait eu du moins pour résultat de soulager un peu nos ailes qui étaient arrivées en quelques endroits jusqu'aux fils de fer ; la compagnie Feillet avait même fait quatre prisonniers dans un poste d'écoute, — des Mecklembourgeois très proprement vêtus et non couverts de boue, preuve que l'ennemi s'était tout nouvellement renforcé[12] — et, un moment, de nos lignes, on put croire que l'attaque avait réussi : sur le parapet de la tranchée allemande, des silhouettes de marins venaient de surgir qui semblaient faire signe aux nôtres. Par quel coup d'audace ces hommes étaient-ils entrés là ? On se le demandait. Et déjà les marins qui rampaient dans la direction de la Grande-Redoute commençaient à se lever et à crier : Victoire ! A ce moment, suivant certains témoignages[13], du groupe énigmatique partit une voix : — N'approchez pas, les gars, nous sommes prisonniers !

C'était un piège des Boches, qui avaient gardé ces hommes dans la tranchée depuis l'attaque du 17.

S'il fallait accepter cette version, l'histoire regretterait de ne pas connaître le. nom du héros qui prévint ainsi ses camarades et qui paya sans doute de sa vie cet acte à la d'Assas. Mais il semble bien que les choses se soient passées moins dramatiquement et que la 5e et la 7e compagnie, qui avaient fait presque sans pertes un bond de 200 mètres, soient tombées tout à coup sous des feux violents de front et de flanc : la Grande-Redoute, qu'elles espéraient tourner, était continue[14]. Avec la folie du désespoir, nos hommes se jetèrent quand même à l'assaut : presque partout ils se heurtaient à un inextricable réseau barbelé. Dans la cendre du petit jour, à coups de crosse, ils essayaient de s'ouvrir un chemin au travers de ces fils résistants, gros comme le doigt, et que notre artillerie avait à peine endommagés, sauf sur la droite, où des fils avaient été coupés et par où quelques-uns d'entre eux pénétrèrent dans la tranchée. Mais, pris en enfilade par une mitrailleuse qui se démasqua, ils furent tués ou faits prisonniers, et ce sont ces prisonniers que l'ennemi, pour nous tromper[15], aurait fait monter sur le parapet. Le commandant de Kerros lui-même, qui se trouvait avec l'adjudant-major Lefebvre dans la maison la plus avancée de la tête de pont, d'où il dirigeait l'attaque, donna dans le piège et venait d'envoyer l'ordre à la compagnie Ravel de se déployer, quand il reconnut son erreur : des casques à pointe étaient apparus derrière les bérets. Il fit crier à Ravel par son adjudant-major : Ne bougez pas. Ce sont des prisonniers. Ravel s'en était aperçu déjà. La prétendue victoire tournait au désastre : la plupart des assaillants, qui n'avaient pu pénétrer dans la tranchée, s'étaient empêtrés dans le réseau des fils de fer ; Barthal, l'enseigne Sol, blessés, avaient disparu. L'officier des équipages Le Bolès ramena en arrière comme il put les débris de la 7e compagnie. De celle du lieutenant de vaisseau Feillet, il ne restait plus que 35 hommes et lui-même, quand une balle, à huit heures du matin, le frappa à la tête en rentrant dans la tranchée. Outre les chefs des deux compagnies, l'enseigne Sol, l'officier des équipages Raoul, les sous-officiers Julia et Ruet, tués ou portés comme disparus, les lieutenants de vaisseau Lartigue — blessé pour la deuxième fois — et Ravel — atteint de quatre balles —, le premier maitre Laurent, faisant fonction d'officier des équipages, étaient hors de combat et devaient quitter la brigade[16]. Nos ambulances regorgeaient : en moins de deux heures, nous avions perdu presque entièrement deux compagnies[17]. Seule, la compagnie Ravel s'en tirait avec quatre tués et douze blessés.

Dès huit heures du matin, l'attaque était enrayée, l'échec complet. Mais ce ne fut qu'à la nuit que la compagnie Ravel, terrée tout le jour dans son fossé, put regagner nos lignes. La 9e compagnie, à son poste de soutien, était elle-même copieusement arrosée d'obus et de balles. Ses pertes restaient faibles cependant : deux tués et quatre blessés. Mais les hommes exténués, grelottant de froid, n'en pouvaient plus. Il pleuvait. Stoïques, pour se réchauffer, le lieutenant de vaisseau Béra et l'enseigne Poisson avaient engagé un débat philosophique ; mais, de leur aveu, la chaleur de la discussion constituait un calorique insuffisant : Zénon n'avait pas prévu les tranchées de Steenstraëte.

Dès qu'il le put, l'amiral[18] fit rentrer tous ses hommes. Les bataillons de Kerros et Bertrand regagnèrent leurs cantonnements. Une tristesse pesait au souvenir de tant de camarades dont le sacrifice, sans doute glorieux, n'avait servi qu'à révéler la formidable organisation des tranchées allemandes. Résumant l'impression générale sur ces tranchées, le docteur Taburet écrivait : Ce sont de véritables places fortes, contre les pare-balles d'acier desquelles l'artillerie ne peut rien ou à peu près. Et le pessimisme héroïque de l'enseigne Boissat-Mazerat se confirmait : J'ai l'impression que la guerre telle qu'on la fait présentement peut durer indéfiniment. Le premier qui s'ennuiera, abandonnera. Quant à la brigade, ce dernier coup semble l'avoir achevée : Elle va périr d'inanition. Son effectif est déjà réduit de moitié et, ces temps-ci, nous perdons de 2 à 300 hommes tous les trois jours. Les malheureux sont d'ailleurs exténués. Dans un mois la brigade aura vécu, après avoir dévoré le total au moins de son effectif en hommes et deux fois ou plus en officiers. Mais elle aura rendu des services énormes que nul ne peut lui contester. Et, si Dieu nous prête vie, c'est encore sur quelque bateau que nous continuerons la guerre.

 

 

 



[1] Si la discipline est la force principale des armées, écrivait le 16 décembre l'enseigne Bioche, la confiance et l'attachement aux officiers sont les seules raisons pour lesquelles les marins se battent bien.

[2] Maître Donval. Cité par l'abbé Bruno. (Petit Écho Vaucellois d'août 1915.)

[3] Nous approchions des premières lignes, et j'ordonnai le silence à mes hommes, etc. (Petit Écho Vaucellois.)

[4] Cette nuit, un peu de grabuge. Au cours de la relève, une belle fusillade s'est déclenchée sur ma droite. Des shrapnells s'en mêlent. Légère panique dans une compagnie qui arrivait. Renseignements pris, il y a eu ébauche de contre-attaque allemande. Même quelques Boches ont pu dépasser la tranchée française, mais mal leur en a pris : ils ont été nettoyés. Il parait qu'ils avaient des grenades, et c'est ce que j'ai pris pour des shrapnells. Voilà encore une nouveauté... (Enseigne D..., Impressions de guerre.)

[5] Ici, nous écrit-on, il y aurait lieu de signaler le sang-froid du docteur Ziegler et de son aide-major, le docteur Pierre, qui firent évacuer sous le feu le poste de secours voisin de la ferme Mouton et s'établirent près de Pypegrale.

[6] Dans la journée un marchand de papier à cigarettes était passé parmi les cantonnements et, le soir, les obus pleuvaient sur le village. (Journal du fusilier Maurice Oury. — Un matin, au petit jour, dans les arbres à 100 mètres en arrière de mon poste, trois flammes étaient hissées. Je les fis abattre immédiatement. Qui les avait hissées ? (Carnet du lieutenant de vaisseau D...) — Cette nuit, étant de faction devant la porte d'une ferme où était enfermé un espion, j'ai failli tirer sur mon ombre que je croyais être mon espion fichant le camp. Nous faisons la chasse aux espions... Ils signalent l'emplacement des troupes, et les marmites arrivent ; ils coupent nos téléphones de campagne, etc. (Lettre du fusilier Maurice Faivre.)

[7] Enseigne D..., Impressions de guerre.

[8] Les sapeurs du génie finissent de réparer le gourbi, mais notre ligne téléphonique est cassée en plusieurs endroits. Enfin, au jour, nous finissons par obtenir quelques communications, mais avec l'artillerie qui a dû brancher une de ses lignes sur la nôtre... (Carnet du commandant B... à la date du 21.) Les six compagnies de marins sous les ordres du commandant Bertrand étaient ainsi disposées : A la tête de pont, la 11e (capitaine Roux), ayant deux sections en avant du pont et une en réserve derrière ; puis, dans les tranchées de la rive droite, allant de la tête de pont jusqu'à la liaison avec le 20e corps (26e de ligne) : la 9e compagnie (capitaine Béra), la 12e (capitaine Duponey) et la 10e (capitaine de Monts) ; sur la rive gauche, le long [du canal] de l'Yser, d'abord la 11e du 2e régiment (capitaine Meyrouse), puis la 4e du 1er régiment (capitaine Pitons).

[9] La journée (par suite du bombardement intensif) a été dure pour nous : 2 tués et 15 blessés. En outre, nos hommes sont fourbus : depuis trente-six heures ils sont dans l'eau glacée, car nos tranchées sont de véritables fossés pleins d'eau. (Carnet du commandant B...)

[10] Carnet de route du docteur T... à la date du 22.

[11] Le colonel [Delage] m'emmène au poste d'observation de l'artillerie d'où il croit pouvoir mieux diriger son attaque. 75, 90, 120 font rage, aussi bien dans le groupement Hély d'Oissel (le nôtre) que dans le 200 corps. Les Allemands y répondent avec une furie qui m'implante de plus en plus dans mon idée qu'ils ont reçu des renforts d'artillerie. C'est un spectacle merveilleux de voir éclater les obus au-dessus de nous dans la nuit, car le jour n'est pas encore levé. Je me tenais derrière le commandant Delage, causant avec son officier adjoint, le lieutenant de vaisseau Lorin, quand, un obus éclatant près de nous, un éclat vient le frapper près de la tempe gauche. J'ai craint un moment que ce ne fût grave, mais la blessure semble légère. On lui met immédiatement son pansement individuel, et il veut rester avec nous. (Carnet du commandant B...)

[12] Carnet du commandant B...

[13] Dans une tranchée boche se trouvaient des marins prisonniers. On les avait forcés à se lever, tandis que les Boches se cachaient. L'un d'eux eut le courage de crier : N'approchez pas, les gars, nous sommes prisonniers. Ils avaient été faits prisonniers le 17 et gardés à cet effet dans les tranchées boches. (Jean Cavan : Note sur l'attaque du 22.)

[14] En avant du pont de Steenstraëte notamment, la route était prise d'enfilade par des mitrailleuses, installées dans la Grande-Redoute boche qui la barrait à 300 mètres de là. Pour les contrebattre, j'essayai de me porter avec une mitrailleuse dans un fossé parallèle, qui était vraisemblablement une ancienne tranchée boche. Je parvins jusqu'au fossé, mais la plupart de mes hommes étaient tombés en route, et la mitrailleuse avec eux. (Récit du quartier-maître Alain Bothorel.) Ajoutons que ce quartier-maître, promu second maître à cette occasion pour être allé installer seul sa mitrailleuse sous le feu ennemi et l'avoir ramenée avec son pivot, appartenait à la compagnie des mitrailleuses du 2e régiment commandée par le lieutenant de vaisseau Michel qui, le 10 novembre, par une habile manœuvre, avait sauvé sa compagnie en la faisant se porter à 50 mètres en deçà du cimetière : partie avec lui, partie avec le maître Cocheril, dans une maison où elle mit en batterie au premier étage et eut le temps, avant de se défiler par un trou pratiqué dans le mur, de faucher trois sections ennemies, la compagnie rentra dans nos lignes sans avoir fait aucune perte en hommes et en matériel, à l'exception du deuxième maître Caroff, disparu.

[15] Ou, plus probablement et suivant l'odieuse -coutume boche, pour arrêter le feu de notre artillerie qui commençait à devenir gênant. Les prisonniers en effet, d'après le lieutenant de vaisseau D..., étaient promenés bien en évidence sur le parapet, sans armes et sans capote.

[16] Lartigue, appelé par l'amiral, revenait à son poste, quand il fut frappé d'une balle qui lui cassa un bras. Un artilleur qui l'accompagnait et réparait la ligne téléphonique, Dupont, fut tué en même temps. (Carnet du commandant B...) — Ravel m'arrive à huit heures le soir. Blessure au ventre rien de grave, quoique ce soit une belle plaie de sortie. Balles dans la main droite... Il a passé la journée à plat ventre dans la boue avec sa compagnie. Toujours gai, il est très content. (Carnet du docteur T... à la date du 22 décembre.) — L'officier des équipages Raoul est tombé grièvement blessé. On le voit de nos tranchées. Mais pourra-t- on le ramener ? (Carnet du commandant B...) — Le premier maitre Laurent (Édouard), déjà blessé au genou gauche le 10 novembre, décoré de la médaille militaire le 20, avait passé à la 12e compagnie en qualité d'officier des équipages à titre temporaire. Blessé de nouveau à l'œil droit le 22 décembre, il était évacué et si peu guéri cependant de sa première blessure qu'on devait procéder à la résection du genou et à l'ablation de la rotule.

[17] Boissat-Mazerat, lettre du 23 septembre 1914.

[18] L'amiral, accompagné du commandant d'infanterie Louis et d'un enseigne de vaisseau, se tenait pendant l'attaque au poste de commandement situé dans le nord-ouest de Steenstraëte, dans les ruines d'un moulin marmité, près d'une autre ruine qui avait été une auberge à l'enseigne d'In den Herberg Molen, et c'est là qu'il comprit la vanité de ces tentatives, exécutées avec des moyens insuffisants. (Carnet du lieutenant de vaisseau D...)