SAINT-GEORGES ET NIEUPORT

NIEUPORT

 

— VIII — LA GARDE SUR L’YSER.

 

 

Ce fâcheux lendemain de la triomphale journée du 9 mai n’eut pas de répercussion sur le moral de la brigade[1]. Il suffisait à l’amour-propre des marins que l’ennemi n'eût pas pris les fermes W et de l'Union et que nous les eussions abandonnées volontairement après les avoir fait sauter[2]. Jusqu’à la dernière minute, l’ennemi avait été tenu en respect et n’avait pu placer une seule passerelle sur le bourbeux fossé d’eau qui le séparait de l’Union ; à la ferme W, les mitrailleuses de l’enseigne Domenech l’avaient empêché de déboucher du fortin. Enfin l’échec des Belges sur les fermes Terstyle et Violette expliquait trop bien que nous n’eussions pu demeurer sur des positions que battait de toutes parts le feu ennemi, sans qu’il fût possible à nous-mêmes de le contrebattre. La brigade sortait donc à son honneur de l’aventure, qui n’avait pas tourné au gré de ses désirs, mais n’avait porté aucune atteinte à l’affirmation de sa supériorité. Longtemps encore après la journée du 9 mai, le sentiment de cette supériorité demeurait en elle.

Combien vous trouveriez de changement, si vous reveniez parmi nous, écrivait, le 3 juin 1915, au lieutenant de vaisseau Cantener, le colonel Delage, quelle différence dans l’attitude de nos ennemis depuis novembre 1914 ! Nous avons l’impression qu’il n’y a devant nous aucune force capable de nous résister en pleine campagne. C’est le siège sans conteste et nous sommes les assiégeants, moins par la situation que par le moral. Ce moral, son niveau s’est encore remonté à la suite des attaques furieuses des Allemands, le 9 mai, qui n’ont abouti qu’à leur jeter par terre des milliers d’hommes [lesquels] n’ont même pas pu approcher de nos défenses accessoires. Nous tenons de cette façon un front énorme, ce qui nous interdit toute velléité d’augmentation ; ceci est réservé à d’autres, mais patience ! Le moment viendra où nous aurons notre tour. Jean Gouin prendra sa revanche et, les 200 kilomètres faits en retraite, il espère bien les refaire en avant, avec d’autres, consciencieusement jalonnés sur la route.

Cet espoir ne devait se réaliser qu’en partie et seulement pour le bataillon d’élite constitué, après la dislocation de la brigade, sous les ordres successifs des commandants Lagrenée, de Maupeou, Monnier et Martel et qui prit une part si brillante à l’offensive de l’armée Anthoine, en août et octobre 1917, et à celle de l’armée Mangin, en septembre 1918. Poësele, Driegrachten, le Moulin de Laffaux seront des faits d’armes aussi grands que Melle, Dixmude, Saint-Georges et le journée du 9 mai. Pour la brigade Ronarc’h, cependant, cette journée, où elle s’est élevée jusqu’à la cime de l’héroïsme, marque la fin de la période proprement offensive, et son histoire n’est plus désormais que celle d’une troupe quelconque chargée à la vérité d’un secteur important du front, mais à qui les circonstances infligent une attitude presque continûment passive[3]. Nous voilà promus factionnaires, écrit, avec une nuance de dépit, un officier. Le mot est juste. C’est la garde sur l’Yser, une garde coupée d’alertes et de brefs corps à corps, de cheminements souterrains et de détentes brusques sur de petits postes avancés qui nous gênent et que nous réussissons quelquefois à neutraliser. Tout chauds encore de leur victoire du 9 mai, les marins conservaient leur mordant irrésistible, leur belle gaieté héroïque. On a fait un assaut à la baïonnette, écrit le 22 mai le fusilier Spinec[4]. Je suis sorti le troisième. On avait 50 mètres à faire, mais, avant d’arriver dans la tranchée allemande, les mitrailleuses faisaient pleuvoir les balles sur nous. Malgré tout ce bruit, croyez-moi, je n’ai pas pu m’empêcher de rire en descendant dans la tranchée boche. Il arrive même que l’opération prenne une certaine envergure, comme celle que le général Rouquerol, qui avait succédé le 22 mai au général Hély d’Oissel, promu commandant du 36e corps d’armée[5], prescrivit pour la nuit du 11 au 12 juin dans tous les secteurs du groupement afin d’aider les Belges dans leur nouvelle tentative sur Terstyle[6], les zouaves opérant contre la Grande-Dune, les marins attaquant le fortin de la route de Plaschendaele et lançant une forte reconnaissance sur W pour achever d’en démolir les ruines. Mais, après comme avant ces démonstrations, ainsi qu’on les appelle d’un joli euphémisme militaire qui en couvre la parfaite vanité, la ligne restait sensiblement la même de part et d’autre. L’artillerie boche continue à bombarder avec du gros calibre Nieuport, Dunkerque, Fumes, les Cinq-Ponts, les villages, les routes, les cantonnements, les parcs, les tranchées, et nous ne nous faisons pas faute de lui répondre, sans avoir encore à notre disposition un matériel aussi nombreux et aussi puissant que le sien, surtout un stock aussi inépuisable de munitions[7]. Cependant un appui efficace nous avait été apporté, vers la mi-juin, par la 1re batterie des canonnières fluviales — de vraies canonnières celles-là — du capitaine de vaisseau Schwerer à qui le capitaine de frégate de Saint-Liénard, qui servait à la brigade, fut adjoint pendant quelque temps comme second[8]. Ces canonnières, armées chacune d’un canon dé 138,6, de deux canons de 47 et de deux mitrailleuses et dont l’échelon était organisé dans des chalands[9], devaient rechercher de préférence les positions allemandes de Middelkerke, Leffinghe, Slype, Mannekensvere, etc., où leur feu se conjuguerait avec celui des monitors britanniques embossés sur les bancs de Flandre et du long tom de 9 pouces tapi sous les halliers du Bois-Triangulaire. Deux d’entre elles — A et B, construites à Brest sur les plans de l’ingénieur Dislère retouchés — étaient arrivées à Calais le 10 juin avec le commandant de la batterie (capitaine de frégate Ferlicot) et, dès le 8, installées sur le canal de Nieuport, elles entraient en action contre Tempelholf ; les deux autres canonnières (C et D, construites à Lorient) étaient attendues le 21 à Dunkerque, où elles arrivèrent en effet tout à point pour recevoir le baptême du feu qui leur fut administré par la nouvelle Bertha mise en batterie près de Langenboom et dont c’étaient justement les débuts[10].  Peu à peu aussi notre matériel de tranchées se complétait : nous avions maintenant des fusées éclairantes, des ballons-saucisses, des grenades à main, des masques contre asphyxiants[11], des fusils de chasse pour patrouille nocturne tirant à petite distance et avec chevrotines[12], des stéthoscopes et des géophones pour surprendre dans les postes d’écoute les bruits souterrains, même, depuis le 9 mars, date mémorable où le colonel Delage vint procéder en personne dans les tranchées du capitaine Béra à l’installation d’un vieux crapouillot asthmatique, des mortiers de siège presque capables de répondre aux minnenwerfer du voisin. On faisait à Dunkerque, le 7 août, l'essai d’un bouclier roulant pour mitrailleuse, système Barbière ; on faisait, à Saint-Georges, le 18, devant un de nos petits postes où l’on se flattait d’attirer les Boches, l’essai d’un linoléum électrique, système Detœuf[13] ; entre temps on ouvrait, par ordre du général Rouquerol, une nouvelle route entre Oost-Dunkerque et Coxyde-Bains ; on scrutait les soubassements de la tour des Templiers, où nous avions un de nos observatoires, pour y découvrir l’entrée du souterrain qu’un négociant d’Anvers réfugié à Londres prétendait y avoir remarqué dans son enfance et qui aboutissait, d’après ses dires, à 4 kilomètres de la tour, en pleines lignes allemandes, dans l’étable d’une métairie ; on travaillait surtout à la réfection des écluses, continuellement démolies par l’artillerie ennemie et dont on bouchait les brèches à grand renfort de sacs de sable et de bâtardeaux.

Travail de Danaïdes, toujours à recommencer. Nous n’étions pas les maîtres absolus de l'inondation, nous ne tenions pas seuls la clef des eaux, pour parler comme l’officier des équipages Dévissé, qui, depuis le départ du génie belge, avait assumé avec ses pionniers, sous la direction du commandant Delage, la manœuvre des écluses : l’entrée du canal de Plaschendaele et la majeure partie de son cours appartenaient aux Allemands en sorte que, quand ils vidaient d'un bout, nous étions obligés de remplir par l’autre ou réciproquement, ce pourquoi nous avions construit des barrages dans tous les canaux avec des poutrelles en fer garnies de bois, entre lesquelles nous avions placé des vantaux qui pouvaient se manœuvrer au jusant ou au flot. Nous arrivions ainsi à maintenir un niveau moyen et nous pouvions lâcher ou capter l'eau que nous voulions.

Aux champs matin et soir, trottinant sous les obus avec l’air placide d’un petit employé qui se rend à son bureau, le commandant Delage, sans cesse à l’affût d’un nouveau perfectionnement, aurait souhaité faire davantage et, pour éviter l’écroulement continuel des berges[14], les surélever au moyen de blocs en béton reliés entre eux et garnis de terre : on aurait pu de la sorte assécher, à l’arrière de nos premières lignes, la majeure partie du terrain et y obtenir une île sur laquelle il eût été possible de circuler et d’exécuter les travaux de défense désirés. Le haut commandement recula devant l’entreprise, qui paraissait trop gigantesque, mais qui fut cependant amorcée, pendant quelques centaines de mètres, sur les berges du Noord-Vaart. L’intérêt du commandant Delage et de son fidèle adjoint Dévissé se portait également sur les ponts, qui étaient de deux modèles, supportés par du liège ou par des barriques. Les premiers étaient formés de grandes caisses en fil de fer grillagé remplies de morceaux de liège et rassemblées deux à deux formant piles ; des travées de pont étaient appliquées dessus et maintenues par des trésillons en filin. Il suffisait d’en lâcher deux pour les ouvrir ou les fermer. Pendant le jour, ces ponts restaient ouverts et appliqués aux berges : de cette façon les avions ennemis ne pouvaient les repérer. De même, les ponts en barriques, construits de telle sorte qu’ils pouvaient s’immerger à volonté : il suffisait de laisser emplir les barriques au petit jour et, le soir, pour les faire émerger, de les vider avec une pompe à main. Mais la grande préoccupation, c’étaient les tranchées elles-mêmes. Visitant les travaux du sous-secteur nord, auxquelles nos corvées nocturnes ne cessaient de s’employer, le commandant Mauros constatait, le 21 août, que, partout notre système de défense est bien organisé, mais qu’en général les boyaux sont insuffisants pour se protéger des vues et des coups de l’ennemi là où le remblai des routes et des digues ne leur fait pas écran. Mais comment creuser des boyaux vraiment protecteurs dans cette tangue grisâtre où l’eau du sous-sol affleure dès les premiers coups de pioche ? Du moins les tranchées elles-mêmes ne laissent rien à désirer. Pour se rendre compte de la protection qu'elles peuvent offrir, Luc Platt, une nuit d’octobre, s’est glissé sur le ventre près d’une sentinelle isolée en plein champ. On entend en face les barbares planter des piquets, transporter des madriers ou des barres de fer, mais nos hommes non plus ne restent pas inactifs[15]. Au delà d'un ruisseau large et profond, la tranchée dresse son glacis. Pour aborder celui-ci, il faut donc que le Boche emporte d’abord le ruisseau. Ce ne sera pas facile, car la profondeur de ses eaux cache un réseau de fils enroulés et le Boche qui tombera dans le ruisseau ne pourra remonter ni d’un côté ni de l’autre. En outre nos parapets sont solides, fortement gabionnés, avec des banquettes de tir, des parados, des abris individuels creusés de place en place. Bref, c’est du beau travail.

Et voilà, de la bouche d’un témoin compétent — Luc Platt, dans le civil, était adjoint technique des services de la Ville de Paris —, la meilleure des réponses aux observations un peu sottes des parlementaires de journaux qui, depuis quelque temps, se mêlent de faire la leçon à nos chefs et de vouloir leur apprendre comment on organise un secteur. Derrière ces tranchées, ces lignes d’eau, qui, en certains endroits, s’élargissent jusqu’à ressembler à des bras de mer, nos hommes, appuyés par une artillerie qui, après un moment de crise assez inquiétant, ne cessera plus de se renforcer, peuvent se croire, comme Luc Platt, à l’abri de toute surprise ennemie. Puis, s’ils restent eux-mêmes l’arbre au bras, lé front autour d’eux est loin de somnoler. L’offensive d’Arras n’a pas donné tout ce qu’on en attendait ; mais une autre offensive, montée avec des moyens moins sommaires, est en préparation sur le front de Champagne. Elle se démusellera dit-on, en septembre, et, cette fois, ce sera peut-être la fin — ou le commencement de la fin.

Car, malgré tout, on n'ose plus se montrer trop optimiste. Cette guerre nous a causé déjà tant de déceptions ! Elle a démenti les prévisions de tant de chefs, à commencer par Joffre lui-même ! Quand un coup de téléphone, le soir du 20 mai, annonça aux tranchées l’entrée en scène de l’Italie, ce fut une joie sans pareille chez les officiers comme chez les hommes : on se serrait les mains, on s’embrassait. Mais le moins emballé n’était pas l’excellent commandant Delage qui, ce soir- là précisément, visitait les travaux du secteur.

— Eh bien ! La Fournière, vous avez vu : l’Italie déclare enfin la guerre ! C’est superbe ! 117 voix de majorité à la Chambre, un enthousiasme fou, les trains bondés de militaires chantant la Marseillaise. Épatant ! Épatant !...

Et les hommes répètent après leur colonel : Épatant !... Guillaume va en rester comme deux sous de frites. L’Italie avec nous, c’est la guerre gagnée : les Boches n’ont plus qu’à plier bagages et à f... le camp de France, où il est notoire qu’on les a assez vus. On exulte, on crie : Vive l’Italie ! A la baïonnette ! Défoncez-les ! Et la Marseillaise roule sur tout le front, de Nieuport aux Vosges, comme une grande vague prête à déferler. Les Boches, qui croient à une attaque brusquée[16], sautent sur leurs fusils et font jouer leur barrage. Pendant une demi-heure ils nous assourdissent à leur tour avec les calibres les plus divers. On met cette réaction assez vive sur le compte de l’ignorance ou du dépit. Quand le Boche saura, dit- on, tout changera. Mais le lendemain l’ennemi est à la même place ; le surlendemain encore et les jours suivants jusqu’au 6 juin, où l’on apprend que, sur le front oriental, il a emporté Pzremyl et que l’armée russe, le fameux rouleau compresseur, fait machine en arrière sur toute la ligne.

Si quelque scepticisme finit par se glisser dans le cœur de ces hommes, comment s’en étonner ? Le 27 août, dans la tranchée, un capitaine lit à sa compagnie un communiqué du grand état-major et il ajoute qu’à la moindre secousse de notre part, les Boches sont f.... Les hommes sourient. Si c’était vrai, dit Maurice Oury, comme nous irions de bon cœur ! C’est que, pour des Français en général, mais surtout pour des marins, il n’est pire supplice que l'immobilité. Dans l’espoir que ce supplice n’aurait qu’un temps, ces hommes ont appelé de tout leur cœur la fin de l’hiver. Elle est venue, annoncée par d’étranges phosphorescences du sinistre Yser, des millions d’étincelles bleuâtres qui dansaient, la nuit, comme des feux follets, à la pointe de ses vagues et dans les remous de ses écluses. Sont-ce les fées du Nord qui, en rasant ses eaux, y secouent cette traîne de paillettes ? Est-ce l’effet des gaz accumulés en lui par tant de cadavres qu’il retient prisonniers dans ses herbes ou qu’une lente dérive, au flux et au reflux, promène à sa surface en un perpétuel va-et-vient[17] ? Le ciel de Flandre, si lourd aux épaules, presque continuellement pluvieux ou brumeux, s’est lavé ; les oyats ont commencé à verdir sur la dune ; la mer est moins grise. C'est le printemps, ce printemps amollissant des poderlies, toujours un peu humide et qui porte à la langueur. Et, tout d’abord, on le salue comme un ami. Ses moindres sourires sont un délice. Dans ces charniers effroyables, au milieu du tonnerre de l'artillerie, un lilas oublié qui bourgeonne, une pâquerette qui s’ouvre au bord d’un cratère, des colzas qui se remettent à balancer leurs petites fleurs blondes, tout étonne, tout ravit, comme au sortir d’un naufrage, d’une nuit de la Création. Le premier brin d’herbe qu’aperçut Noé au sortir de l’arche ne dut pas lui causer plus de joie. Il semblait que la nature fût morte, que la terre elle-même eût été tuée, et la voilà qui renaît plus forte que la barbarie des hommes. Le 16 mai, dans le jardin de sa maison, qui est dans la Marketstraat (rue du Marché), Luc Platt trouve un pied de muguet. Les deux escortes se sont jetées dessus en poussant des cris de sauvages comme si c’étaient des pièces de 20 francs. Tout le monde était heureux et il y en a eu un brin pour chacun. — Le temps est doux et tiède, écrit encore Luc Platt le 1er juin, et nous quittons les caves pour aller aux tranchées ; le jour s’en va lentement et, sous un ciel qui prend toutes les teintes des jolis crépuscules de printemps, nous marchons lentement, comme à pas comptés. Notre route est délicieuse : c’est un joli petit sentier tracé entre deux haies ; il y a de l'herbe, il y a des fleurs. L’aubépine y répand ses effluves si agréablement odorants et qui se mêlent à des odeurs de menthe, de fleurs d’acacia. Un vrai chemin d’amoureux !

Premiers troubles d'une sensibilité qui s’ignorait ou ne se connaissait plus et toute surprise de s'éveiller à son tour au contact de cette nature convalescente ! Il n'en faut plus douter : la terre de Flandre n’est pas seule à sortir de son engourdissement ; héroïque ou résignée jusque-là, trempée par les eaux amères de la défaite ou grisée des rudes vins de la gloire, aux environs de mai 1915 la brigade devient sentimentale — sans en devenir beaucoup plus fashionable, bien qu’on ait créé à son intention deux piscines dans le voisinage de la Roseraie. Une jolie Anglaise, raconte Maurice Faivre, miss Dorothée, vient tous les jours, avec sa voiture, chercher les blessés de chez nous. Elle a un culot inouï et fait de véritables acrobaties avec son auto, au milieu des trous de marmites. On la signala le 14 mai dans un jardin de la rue X... à Nieuport. Immédiatement départ de Jean Le Gouin — représenté en la circonstance par cinq types de ma compagnie — qui, sale comme un cochon, se mit à cueillir des lilas en cachette, puis vint m’extirper de ma cave en m’expliquant ce qu’il attendait de moi. J’écrivis sur une carte militaire au crayon : From French Tars, for you. Puis, comme des voleurs, les cinq marins allèrent poser sur le marchepied de l’auto abandonnée par miss Dorothée leur énorme gerbe de lilas, avec la carte dans les fleurs. Ensuite ils se sauvèrent et se dissimulèrent dans les ruines, pour voir ce qu’il allait advenir de leur présent. Miss Dorothée et son vieux mécanicien anglais sortirent du jardin avec des fleurs qu’ils placèrent par derrière dans la voiture. Puis le mécanicien alla tourner la manivelle et miss Dorothée s’arrêta net en voyant les lilas, lut la carte, la mit dans son grand water-prouf, et, la gerbe dans les bras, chercha du regard les French Tars. C’était une très jolie vision. Un vent d’enfer agitait son grand water-proof. Elle était debout au milieu des ruines. Enfin elle monta dans l’auto. Un petit nuage blanc en l’air et une détonation : c’est un shrapnell. L'auto démarre sous le bombardement commençant et nous revenons à nos caves. Kermarec et Le Gall étaient émus et rouges comme des pivoines. Et les shrapnells n’étaient pour rien dans leur émotion.

Miss Dorothée, c’est lady Feilding. Elle est la fille d’un lord, d’un général qui commande là-bas, quelque part en Égypte. Elle n’est pas attachée officiellement à la brigade, mais elle l’a quasi adoptée ; elle suit nos marins depuis Gand ; elle a été avec eux à Dixmude, à Steenstraëte, à Saint-Georges, à Nieuport. On ne voit qu’elle et son auto dans les heures graves ; on la vit même un jour, avec un grand personnage, dans les tranchées de première ligne, et l’aventure fit scandale en haut lieu, mais parut toute naturelle à la brigade qui l’avait nommée fusilier honoraire et dont elle portait depuis lors le ruban sur sa casquette. Ce n’était d’abord qu’un simple ruban de matelot sans spécialité : de grade en grade et après que l’amiral l’eut citée officiellement à l'ordre du jour de la brigade le 31 décembre 1914[18] — pour ses étrennes — le ruban de matelot est devenu un ruban d’enseigne de vaisseau. Tous les carnets, d’officiers ou de simples fusiliers, parlent d’elle avec une admiration respectueuse et lui donnent communément dix-huit ans, tant elle paraît jeune. Et, bien entendu, elle a sa légende qui fait rêver les Jean Gouin, lesquels se connaissent en bravoure et ne trouvent pas naturel qu’une jeune fille de cet âge, riche, titrée et jolie comme un cœur, fût-elle Anglaise, soit aussi brave qu’eux et fasse exprès de se trouver toujours juste où il y a le plus de danger. On dit que son fiancé a été tué à Ypres et qu’elle-même, depuis lors, ne tient pas à la vie. Roman sans doute que tout cela. Mais Jean Gouin, romanesque déjà par nature, l’est devenu un peu plus depuis que le printemps des Flandres met du mauve sur les dîmes et du bleu dans son âme. Un confus besoin de tendresse le fait se pencher sur les êtres et les choses : il adopte les chats errants ; il a recueilli un pauvre âne abandonné, Isidore, qui va partout avec lui, aux vivres, aux munitions, aux lettres, à l’eau, et même à la bataille pour recueillir les blessés. Lui et Rip, un chien colley, trouvé au commencement des opérations et qui a fait toute la campagne, sont les deux mascottes de la brigade. On les choie, on les dorlote, on les pomponne pour les revues et les prises d’armes. Mais, de l’autre côté de l'Yser, les Boches ont aussi leurs bêtes familières, troubles et hypocrites comme eux, un chien noir entre autres qui, au brun de nuit, chaque soir ou presque, se faufile entre nos tranchées et disparaît à la nage vers la ligne ennemie. On a tiré plusieurs fois sur lui sans l’atteindre. Ses allures furtives de chien de contrebandier prêtent à tous les soupçons, tandis que Rip est si brave, si franc, si loyal, — un amour !

Et puis l’inévitable se produit : ce printemps si tiède, plein de chuchotements, de sollicitations furtives, après l'avoir accueilli comme un ami, on lui en veut maintenant comme à un tentateur qui prend mal son moment pour essayer de séduire les gens. Le front est toujours aussi morne. Pas d’actions. C’est l’existence de bureau-tranchée, suivant l’amusante expression de Maurice Faivre. Et, avec la chaleur, voici des émanations pestilentielles qui commencent à monter de l’immense fosse bourbeuse où flottent tant de vieux morts. Par vent d’est, les bouffées roulent jusqu’à Oost-Dunkerque, à Coxyde ; elles vous poursuivent au fond des cantonnements. Et des oiseaux qu’on ne connaît pas, noirs comme des corbeaux, mais deux fois plus volumineux[19], s’abattent à la tombée du jour sur les cadavres. L’air s’emplit de bourdonnements : taons aux dards aigus, grosses mouches vertes formant de vrais nuages et dont les piqûres sont très mauvaises (Maurice Oury). Il n’est pas jusqu’à la vermine qui ne s’en mêle, et les poux, les goths, comme les appellent les marins, ont acquis une telle dimension dans les caves de Nieuport, qu’au dire du premier maître Monguérard on pourrait leur coller un coup de fusil à chacun[20].

Aigrissement des tendresses comprimées, langueur énervante de l’atmosphère, avec son odeur de marécages et de charnier, pouillerie, spleen, malaria physique et morale, comment combattre tous ces maux qui s’abattent à la fois sur la brigade ? Une seule trêve à ces fléaux : l’heure du courrier qui, pour un moment, sort l’homme de lui-même, l’arrache à son marasme grandissant. Les plus gais, les plus jeunes sont touchés : Je ne sais pas pourquoi, ce soir, je me sens un peu triste, écrit Maurice Faivre le 3 juin. Et Luc Platt, le 21, dans une lettre à ses parents : Je pense beaucoup à vous, ce soir, et j’y pense trop même, beaucoup trop ; je vous avouerai que j’ai vaguement le cafard. Il voyage, ce soir. Toute cette monotonie, cette régularité dans les relèves et ce calme du front vous font pencher vers les rêveries, les attentes. Si seulement il y avait du nouveau ! Du nouveau ! On y aspire par tous les pores. Mais rien ne vient. Alors, chez les faibles, chez ceux qui n’ont pas le ressort d’un Monguérard, d’un Maurice Faivre ou d’un Luc Platt et qu’un vieux penchant héréditaire pousse à chercher l’oubli, la divine illusion au fond des verres, c’est le recours à l’alcool, vainement interdit par l’amiral et dont la vente clandestine se fait journellement dans les fermes voisines du front[21]. Impossible de fermer ces fermes : la police locale n’est pas à nos ordres. Tout ce qu’on peut faire, c’est les consigner et placer des factionnaires à leur porte, mais, comme dit le lieutenant Poisson, qui est d’Église : Quis custodiet ipsos custodes ? A bout de patience, l’amiral finit par retenir la paye des hommes qui ne toucheront plus que 2 francs par mois, le reste, transformé en délègue, devant prendre la direction des familles. Mesure énergique, trop explicable par l’accroissement de l’alcoolisme, mais qui, pour dix ivrognes incorrigibles par compagnie, avait l’inconvénient de frapper cent cinquante innocents.

— C’est bon, disent les mauvaises têtes quand on les commande de corvée, puisque c’est ainsi, nous allons faire pour quarante sous de travail !

Il faudra bientôt rapporter la mesure, reconnue inefficace d’ailleurs, les hommes se faisant renvoyer par leurs familles l'argent des délègues — avec un petit supplément. Conseils de guerre, mois de prison, rien n’y fait. A Nieuport, un jour, trois fusiliers de la 4e section, Vitourne, Hamel et Kervennec, demandent à entretenir en particulier l’enseigne Poisson et lui remettent un coffret contenant 2.650 francs d’argent et des bijoux. Le lieutenant s’étonne : pourquoi ne se sont-ils pas adressés au capitaine Béra plutôt qu’à lui ? Un peu gênés, ils répondent :

— Parce que vous êtes le curé[22], tandis que, lui, il aurait pu nous gronder, vu que nous avons trouvé cela en cherchant s’il n’y avait pas du vin caché...

Comment garder rancune à de pareils hommes ? Le fait est qu’on ne gagne rien à employer avec eux la manière forte. Il vaut mieux les prendre par les sentiments, comme ce lieutenant, nouveau à la 5e du 2e bataillon (Jeannin ? Lepoitevin ?), dont le verbe, un peu marin, cache tant d’humanité, d’affection sincère pour ses hommes et qui, le 6 août, après la paye de la compagnie, leur tient ce langage :

— Il y a des andouilles qui vont rentrer saouls ce soir. Ceux-là ne sont pas mes amis et nous ne serons pas bien ensemble. Ils se disent : J'm’en fous pas mal ! Mais ce n’est pas vrai : ils ne s’en foutent pas (émotion). A présent, s’il y en a qui veulent se saouler, qu’ils me préviennent, je les mettrai dans une petite cabane où ils pourront dormir sans faire de scandale (rires).

Résultat : pas un type saoul. Et le fait est à souligner, dit Maurice Faivre, car, les soirs de paiement, c’était généralement des trente demandes de punition.

Le même jeune quartier-maître ajoute : Avec des officiers comme ça, on est paré pour faire la guerre. Mais est-ce la guerre que cette stagnation perpétuelle, ce piétinement sur place qui peut durer indéfiniment et où des jours, des semaines passent quelquefois sans qu’il y ait rien du tout, pas un coup de fusil, pas une alerte, rien ! (Luc Platt). Par surcroît d’infortune, l’été sombre dans la boue. Quand on n’est pas de tranchée, il faut rester au cantonnement, où l’on s’ennuie à périr. Quelques prises d’armes par-ci, par-là, comme celle du 25 juillet, où l’amiral remit les cravates de commandeur au général Hély d’Oissel et au général Rouquerol ; des modifications dans la composition du groupement, comme la relève de la 81 e division territoriale dirigée sur Béthune au moment de la grande offensive de Champagne et remplacée à Nieuport, le 31 août, par cette 87e division territoriale (général Juppé), mi-bretonne, mi-normande, surnommée l'Immortelle pour avoir été citée la première de toutes les divisions territoriales à l’ordre de l’armée, mais qui ne gardait plus de sa première formation que la 174e brigade (général Couillaud) à laquelle on adjoignit le 11e et le 6e territorial ; des coups heureux de notre artillerie lourde, comme ceux du 19 et du 26 mai où nous mîmes le feu à des dépôts de munitions boches qui sautaient avec un bruit formidable ; la continuation, plus méritoire que lucrative, des opérations nocturnes sur le fortin de Plaschendacle, contre lequel on essaya successivement ou en même temps et avec le même insuccès du canon, de la sape, des nappes de pétrole enflammé, voire d’un lance-chatte inédit pour l’arrachement des chevaux de frise qui couvraient la position ; enfin, dans la vie au cantonnement, les concerts du soir à l’hôtel Terlinck, les offices dominicaux, les descentes à terre de 6 à 8 et, quelquefois, des bordées moins orthodoxes jusqu'à la Panne et à Furnes, des chasses sans permis dans la dune foisonnante de lièvres et de perdreaux[23], des pêches à la grenade ou au filet dans le canal[24], des baignades en costume d’Adam sur la plage, des visites de parlementaires en tournée ou d’anciens habitants de Nieuport autorisés par exception à faire ides recherches dans les mines de leurs maisons[25] : c’est tout ce que la fortune concède pendant huit mois à ces hommes, ce sont les seuls menus incidents qui viennent broder d’un peu de fantaisie la trame grisâtre de leur vie. Déjà les ordres sont donnés pour la préparation d’une nouvelle campagne d’hiver. On est revenu des illusions du début, on entrevoit que la guerre sera longue et, pour faire prendre patience à ceux qui commencent à s’appeler les poilus, le G. Q. G., au mois d’août, imagine d’établir un roulement de permissions. C’est la grande nouvelle du jour, le sujet de toutes les conversations. Et ce sera aussi, la permission passée, l’occasion d’un retour offensif de cafard particulièrement dangereux.

Le pis est que cette vie de factionnaires, sans gloire, presque sans mérite, tant elle finit par devenir machinale, est presque aussi coûteuse qu’une vie de combats. Continuellement, avec ou sans cause, il arrive à l’artillerie ennemie de se réveiller ; une fringale de bombardement l’empoigne, comme le 14 juin où elle nous démolit, à coups de 105 et de 150, notre poste de Rood-Poort nord — y ensevelissant quatre hommes, qui réussissent heureusement à se dégager — et une des tranchées de l’avancée de Saint-Georges, y tuant le second maître Guillo et blessant plusieurs hommes, dont il faut ligoter l’un, rendu fou furieux ; comme le 4 juillet surtout où elle nous balance une dégelée d’obus de tous les calibres : 380, 210, 105, 77, 57, culbutant un de nos observatoires de Nieuport et rendant impraticable le pont du canal de Furnes, après quoi l’infanterie fait mine de sortir de ses tranchées, mais y rentre presque aussitôt, parce qu’elle sait qu’avec les Jean Gouin et les zouaves il n’y a rien à faire (Oury). Les coquins récidivent pourtant et, pendant plusieurs jours, on croit à une attaque. Le 14 juillet encore, à 4 heures du matin, après un assez long bombardement, l’observateur du poste de vigie téléphone au fortin du Boterdyck que les Boches sont parés à sortir de leurs tranchées... Aussitôt tout le monde au poste de combat. Chacun avait empli son bonnet de cartouches. Mais, pas plus cette fois que l’autre, l’ennemi ne sort de sa bauge. Il ne nous vient pas à l’idée que ces bombardements sans rime ni raison sont peut-être à deux fins, bien loin qu’ils n’en aient aucune, et que leurs auteurs se proposent moins encore de calmer nos fringales d’offensive, de se couvrir contre les retours périodiques de la furia française, que de gagner du temps pour achever l’organisation du vaste camp retranché dont ils sont en train d’envelopper la Belgique. Alors que nous répugnons aux entreprises de longueur, aux calculs à longue échéance, l’Allemand ici, et partout ailleurs sans doute, envisage une guerre de durée illimitée et pour laquelle il ne craint pas de faire tous les sacrifices. Comme il ne peut pas plier à ses volontés ce terrain des Flandres, bas, plat, sans masque, où l'eau affleure dès qu’on creuse le sol à plus de 30 centimètres, il s’adapte à lui, il l’épouse, il cherche dans la superstructure ce qu'il ne peut obtenir par l’approfondissement. Des semaines, des mois, des années passent. Il semble que rien n’ait changé devant nous. Mais, qu’il nous prenne quelque jour fantaisie, comme aux Anglais en juin 1917, de dépasser le champ du barbelé et de nous lancer contre la ligne boche, nous aurons la stupeur de nous heurter partout à un rempart inexpugnable et continu en bétons de ciment armé de 10 à 12 mètres d'épaisseur, dont les agglomérés ont été fabriqués sur place avec des graviers et du sable de Silésie transbordés par la Hollande et que desservent des voies ferrées et des chaussées de communication empierrées avec des cailloux du Rhin. La Grande-Dune elle- même, truquée, machinée, camouflée d’oyats artificiels, a été évidée, cuirassée de béton et recèle en ses profondeurs des pièces à longue portée montées sur des plates-formes mobiles qui se manœuvrent comme les plates-formes des tourelles de dreadnoughts. Et, pour compléter cette organisation formidable de première ligne, un câble en acier, actionnant des fougasses dissimulées de place en place et chargé lui-même à haute tension par les dynamos d’une usine électrique installée à Lombaertzyde, dans les caves de la Villa Scolaire, court tout le long du front depuis la mer jusqu’au canal d’évacuation.

Les avantages d’une organisation défensive de cette envergure et de cette solidité sont de plusieurs sortes : elle permet de réduire au strict minimum les effectifs de la garnison qui en a la charge et elle n’exige même pas de cette garnison des qualités de premier ordre. De fait, les cinq régiments de marins et les trois régiments de soldats d’infanterie de marine qui, avec quelques troupes de landwerh, assumaient la défense du front de Nieuport, dans l’été de 1915, sous la direction du vice-amiral von Schrœder, passaient pour fort médiocres, et l’un de leurs éléments même, le 2e d’infanterie de marine, surnommé le hason-regiment ou régiment des lièvres, en raison de la rapidité avec laquelle il détala devant nous en novembre 1914, avait dû être renvoyé à l’arrière où on l’affecta à des travaux de terrassement. Enfin la protection efficace qu’offraient aux hommes ces lignes ininterrompues d’abris bétonnés diminuait singulièrement les risques, qui restaient au contraire presque aussi grands chez nous qu’au premier jour avec nos simples abris en gabionnade et nos parapets en sacs de terre. Il s’en fallait encore sans doute, dans le second semestre de l’année 1915, que l’organisation de la ligne allemande fût complètement achevée. Nous savons pourtant, par les révélations d’un déserteur allemand, qu’à la date du 7 juillet tous les P. C. d’officiers étaient déjà blindés et à l’abri des bombardements. Ces officiers vivaient fort peu avec leurs hommes, tandis que les nôtres continuaient à fréquenter les tranchées. Aussi les cadres, chez nous, n’étaient-ils pas moins éprouvés que la troupe. Tant en tués qu'en blessés, nous perdions chaque jour, en moyenne, une trentaine d’hommes. Quelquefois le chiffre montait au double, quelquefois il tombait à deux ou trois, mais il était rare qu’il n’y eût point un officier ou un gradé parmi les victimes. Le 4 juin, l’enseigne Jacques Bonnet, le héros du Boterdyck, mourait à l’hôpital de Zuydscoote des suites d’une blessure reçue dans un boyau où il installait une mitrailleuse. Perte irréparable pour la brigade et que rendit plus sensible encore la succession de nos efforts infructueux sur le fortin de Plaschendaele. Il est beau de mourir avec l’espérance. Nous les aurons ! avait dit Bonnet en expirant. Le 3 juillet, l’officier des équipages Gaite était tué dans son gourbi par l'explosion d’un obus ; le 12 juillet, l'enseigne Opigez était mortellement blessé d’une balle à la tête au moment où, après avoir pansé un de ses hommes, il se redressait derrière le parapet. Le 25 juillet, c’était le tour de l’enseigne Bernard, atteint d’un éclat d’obus dans les tranchées de la Briqueterie ; le 12 septembre, celui du lieutenant de vaisseau Marc Legrand, blessé mortellement, alors que, d’une position à moins de 100 mètres, il observait les tranchées ennemies ; le 15 octobre, celui de l’enseigne Maillol, tué aux avancées de Saint-Georges. Blessés plus ou moins grièvement pendant la même période (du milieu de mai au 1er novembre) : 29 mai, le lieutenant de vaisseau Labaunère, adjudant-major du 2e bataillon du 2e régiment ; 30 mai, le capitaine de frégate Petit ; 4 juin, le lieutenant de vaisseau Saint-Jean de Prunières, qui, frappé à la tête dans la tranchée, étonna par son magnifique courage des hommes qui n’avaient pas l'étonnement facile ; 7 juin, l’enseigne de vaisseau Richy ; 3 juillet, l'enseigne de vaisseau Gérardin ; 25 juillet, l’officier des équipages Fichoux ; 14 septembre, le lieutenant de vaisseau Perlemoine[26] ; 24 septembre, l’officier des équipages Salaun ; 7 octobre, le lieutenant de vaisseau de Rodellec du Porzic, les deux cuisses traversées et l’avant-bras droit emporté qui, en quittant sa tranchée le dernier, dit au commandant : Je ne vous demande qu’une chose : c’est de me promettre que je reviendrai à ma compagnie[27] ; 11 et 17 octobre, les enseignes de vaisseau d’Hallewyn et Denoix, blessés tous les deux à la Briqueterie. Parmi les gradés : le premier maître Ballouard, la tête, le bras, le genou gauche et la cuisse droite déchiquetés par un obus le il mai et qui, voyant ses hommes se porter à son secours, leur intime l’ordre de rester dans l’abri où il les a fait mettre pendant le bombardement ; les maîtres Mingam, qui, atteint d’un éclat d’obus le 13 septembre, refuse de se laisser transporter pour ne pas mettre en péril la vie d’autres hommes et, malgré la gravité de sa blessure, se rend seul au poste de secours ; Cossic, qui, blessé le 23 septembre, demande à revenir au front aussitôt guéri ; Charant, qui, blessé très grièvement le 9 octobre, continue à maintenir ses hommes dans un poste avancé sous un bombardement des plus violents et est atteint d’une deuxième blessure ; le second maître Doucet, qui, blessé le même jour, dans le même poste, ne veut être évacué qu’après les autres blessés et dit en partant à son capitaine : Je suis content, c’est pour la France ; le quartier-maître Maurice Faivre, le plus aimable, le plus allant, le mieux doué de ces jeunes volontaires, dont la brigade contenait quelques spécimens et qui, ses études de droit terminées, préparant le commissariat de marine, avait repris à la mobilisation le col bleu dont il était si fier et qu’il portait si crânement. Le 13 octobre au matin, dans une des rues de Nieuport, un éclat d’obus le frappait à la tempe au moment où il rentrait des tranchées. Il mourut sur le coup, pareil, dit un de ses biographes, à cette fleur de cerisier sauvage dont les guerriers japonais ont fait leur symbole et qui étoile en tombant la poussière à laquelle elle va retourner[28].

Cependant le malfaisant cerveau de l’ennemi a enfanté un nouveau monstre, une torpille dont les effets meurtriers passent tout ce qui s’est vu jusque-là. Calibre, poids, nature et dose dé la charge, tout en est anormal. Une de ces torpilles, le 25 octobre, tombe dans la tranchée sans éclater, broyant de sa masse le second maître de manœuvre Ludovic Le Chevalier[29]. Luc Platt en fait le croquis qu’il envoie à ses parents : Voyez, leur dit-il, quelle grandeur par rapport aux sacs de terre ! C’est un genre d’obus de 240 millimètres de diamètre, d’un mètre dix de long, pesant 105 kilogrammes, lancé des deuxièmes lignes par des minnenwerfer à recul et qui monte très rapidement, très droit, sous un angle d’au moins 60 à 90 degrés. Parvenue au point culminant de sa parabole, la torpille redescend en chute libre ; les 80 kilogrammes de lyddite dont elle est chargée éclatent en touchant le sol et la déflagration est telle que l’on sent le courant d’air à 200 mètres. On voit, vous entendez, on voit l’air se déplacer. Des rais de feu, d’au moins 30 à 40 mètres de long, partent du centre d’explosion, pendant qu’un panache de fumée noire s’élève à vingt mètres de haut. C’est fou !

Par bonheur, sur ces masses énormes, le vent a beaucoup de prise et leur course est assez lente pour qu’on puisse la suivre à l'œil nu. Quoi qu’il en soit, nanti d’un nombre suffisant de ces formidables engins, dont il avait fait des essais restreints au cours des semaines précédentes, l’ennemi décida de procéder à une expérience en grand dans le secteur de la Geleide où, par hasard, pendant un regroupement du front, la brigade avait été appelée à remplacer pour vingt-quatre heures une troupe voisine dont on faisait la relève. L’expérience réussissant, il se flattait de déclencher une attaque facile et de pouvoir occuper, l'arme à la bretelle, nos tranchées désorganisées et muettes. Et peu s’en fallut, en effet, que les choses ne se passassent comme il l’avait rêvé.

 

 

 



[1] Le communiqué officiel oublia cependant de l’enregistrer après avoir signalé le 10 la prise de la ferme de l'Union et de Californie. Il avait constaté le 11 l'échec de la contre-attaque boche de la nuit.

[2] Des mines sont placées en différents endroits par les pionniers ; la mise de feu est reliée à la tranchée jumelle ; on fait évacuer morts, blessés et matériel. On va attendre que les Allemands veulent bien venir réoccuper pour faire sauter ce qui reste... Vers minuit (?) on entend un bruit. Je donne l’ordre de mettre le feu aux mines à la mélinite ; elles explosent avec un fracas énorme... Au matin il ne reste plus rien. Les ouvrages ne seront plus utilisés par aucun des deux partis, au moins pendant quelque temps. Quinze mois de brigade, par M. Dévissé, officier des équipages, qui ajoute un peu plus loin : Au bout de quelques jours le fortin W a été réinstallé par l'ennemi. Souvent notre artillerie lourde en démolit une partie, mais elle n’a jamais réussi à le détruire complètement. Les tranchées jumelles et Navet (c’est-à-dire Colza) deviennent nos premières lignes sur ce front ; c’est là le seul résultat de l’opération. On les prolonge dans la plaine et on les relie aux lignes par des boyaux...

[3] Il avait bien été question d’abord de reprendre à nouveaux frais l’opération sur W et l'Union. Amiral voit général Putz chez général Hély d'Oissel avec aide de camp de Koch. Décision : on continuera à marcher sur Union, mais méthodiquement, en creusant des boyaux le long des routes. On commencera dès ce soir. Les ordres sont donnés en conséquence. (Commandant Louis.) Mais ils furent révoqués par la suite, encore qu’à plusieurs reprises nous ayons envoyé des reconnaissances à W et à Union, mais qui n’y laissaient pas de garnison.

[4] Lettre communiquée par l’abbé X... Il s’agit sans doute des petites affaires du 17 et du 21 mai à l’occasion desquelles le lieutenant de vaisseau d’Estienne de Saint-Jean de Prunières, qui devait être grièvement blessé le 4 juin suivant, fut cité pour le courage montré par lui en entraînant sa compagnie à l'assaut.

[5] En même temps que le général Hély d’Oissel était promu commandant du 36e C. A., le détachement d’armée de Belgique était supprimé par ordre du général commandant en chef. Il est constitué un 36e C. A. comprenant les 38e, 45e divisions et la 87e D. T. ainsi que l'artillerie lourde et les services qui étaient affectés au D. A. 13. Seront temporairement rattachés au 30e C. A. : la 152e D. (du 9e corps), la 153e D. (du 2e corps) et la 31e D. T. dont une partie continuera, comme actuellement, à constituer la garnison de Dunkerque. Le commandement du 36e C. A., opérant isolément, exercera vis-à-vis des troupes et services placés sous son commandement les attributions d’un commandant d’armée et aura sous ses ordres la place de Dunkerque.

[6] Les Belges, ne voulant pas rester sur leur échec de la nuit du 9 mai, avaient d’abord décidé de reprendre l’attaque dans la nuit du 5 au 6 juin. Le général Michel, commandant la 4e D. A. belge, s’était entendu à cet effet avec le général Rouquerol, l’amiral Ronarc’h et le colonel Ancel. 4 juin. Démonstration : 20 coups par pièce de 75. Le colonel Ancel fera sauter une mine ; les marins prendront le fortin de Plaschendaele ; l’armée belge (qui a installé une section de deux pièces dans le sud du cimetière de Nieuport pour battre la région de Terstyle) poussera de l’avant (4e D. A. sur Terstyle, Violette et Groot- Hemme). Opération retardée. — 8 juin. Général Michel vient voir amiral. Progression vers Violette dans la soirée du 9 au 10. Artillerie à partir de 17 heures. Reconnaissance à 21 h. 30. Les A (alliés) ont construit trois vannes dans la berge gauche de l'Yser à hauteur de Groot-Hemme. Comme ils mettent de l’eau dans Plaschendaele et Viel Yser, ont-ils l’intention de tendre des inondations en vue de dissimuler la densité de l’occupation ? C’est l’idée du général Michel. — 10 juin. Belges progressent vers Violette et canonnent Terstyle. — 12 juin, 23 heures. Les Belges avancent sur Terstyle. Allemand ne répond pas. Aucune réaction, 0 heure : Belges sont à Terstyle. — Une heure : ils évacuent et rentrent dans les tranchées de départ. (Commandant Louis.) D’un autre carnet du même, cette explication du brusque repli des Belges : Ayant constaté qu’en arrière de Terstyle, les ouvrages allemands étaient intacts et puissamment défendus, les B. ne sont pas restés sur les positions conquises et sont rentrés dans leurs tranchées.

[7] 29 août. Pénurie de munitions. Nous n’avons plus que 2.000 coups pour 20 pièces. (Commandant Louis.) En outre un groupe d'artillerie nous avait été enlevé le 24 (2e groupe du 29e) et les marins restaient avec 5 batteries pour un front de 5 kil. 800, tandis que la 76e brigade, avec un front inférieur à 3 kilomètres, disposait de 7 batteries.

[8] Le capitaine de frégate de Belloy de Saint-Liénard commandait le 2e bataillon du 2e régiment. Il y fut remplacé par le capitaine de frégate Petit, puis, après la blessure de celui-ci, le 29 mai, par le capitaine de frégate Martel.

[9] Une péniche portant les munitions et une péniche-ambulance portant les approvisionnements et vivres. C’est ce qu’on appelait le train de la batterie. Ce train était commandé par un enseigne de vaisseau ; chacune des canonnières par un lieutenant ou un enseigne de vaisseau de 1re classe.

[10] L'idée de ces canonnières avait peut-être été suggérée au général en chef par le général Foch, qui avait dû, on le sait, recourir à des canonnières de fortune, lors de l’expédition Le Voyer sur Saint-Georges. A la suite de cette expédition qui avait révélé une fâcheuse lacune de notre marine, la construction de canonnières, destinées à opérer sur les rivières et canaux de France, fut décidée au début de l’année 1915. Pour éviter la perte de temps qu’aurait entraînée l’élaboration de nouveaux plans, M. Ferlicot, alors lieutenant de vaisseau, chargé des premières études, reprit les plans dressés en 1870 par M. Lisière, ingénieur en chef des constructions navales et conseiller d’État, en les adaptant aux exigences de l’armement moderne. En mars, le capitaine de vaisseau Schworer fut désigné pour organiser et commander ces canonnières, qui devaient comprendre originellement deux batteries : l’une destinée à opérer dans les Flandres sous le commandement du capitaine de frégate Ferlicot ; l’autre sur le canal de l’Aisne à la Marne, sous le commandement du lieutenant de vaisseau Gignon. Les quatre canonnières de cette seconde batterie (F. G. H. I.) étaient à Condé-sur-Mame dès le 20 juillet. Une troisième batterie, dont la construction avait été décidée dans l’intervalle et menée tambour battant (ses 4 canonnières, un peu différentes des autres, étaient armées chacune de deux canons de 100, au lieu d'un canon de 138,6), put, avec la précédente et une péniche armée d’un canon de 160, participer, dès le début, à l’offensive de Champagne (22 septembre). En annonçant au général Foch l’arrivée des deux premières canonnières, le général J offre lui écrivait le 8 juin : Deux canonnières de rivières, armées chacune d’un canon de 14, sont prêtes à partir de Brest pour Calais : deux autres pourront partir de Lorient pour la même destination dans trois jours. Leur mise en route étant subordonnée à l’état de la mer, la date exacte d’arrivée ne peut être prévue. Je vous prie d'appeler l’attention des autorités à la disposition desquelles seront mises les canonnières sur ce fait que chacun de ces bâtiments porte à la fois un canon de grande portée et des organes de défense rapprochée formant un ensemble qui ne doit pas être dissocié. Aucun de leurs éléments ne devra donc être débarqué pour un emploi à terre. Je vous rappelle que les canons de 14 ne comportent qu’un approvisionnement on munitions de 500 coups par pièce, qui ne pourra être renouvelé avant un délai de deux mois au moins. Ces munitions devront par suite être ménagées et réservées pour des objectifs éloignés qui ne pourraient être battus par des calibres à moins grande portée. — Signé : Joffre.

[11] 19 mai. Distribution aux compagnies de masques contre les gaz. (Journal du commandant Bertrand.)

[12] Conformément aux prescriptions de la note du général commandant en chef n° 989, en date du 3 mars 1915, on avait fourni à certains corps des fusils de chasse. Le groupement de Nieuport est invité à faire connaître si l'emploi de ces armes la nuit et à très petite distance est avantageux et en particulier si le calibre des fusils et le diamètre des chevrotines conviennent aux conditions d’emploi.

[13] Le capitaine Detœuf, de la compagnie du génie, avait été mis à la disposition de l’amiral pour l'étude des communications à établir sur l’Yser, dans le secteur de Saint-Georges. Il avait été chargé ensuite (5 juillet) de la direction des travaux de renforcement des caves et de construction des abris en béton à Nieuport-Ville.

[14] L’écroulement d’une de ces berges donna lieu à un amusant épisode que rapporte ainsi l'officier des équipages Dévissé : Une des berges du canal de Plaschendaele, sous la poussée des eaux du canal latéral, vient à partir sur une certaine longueur. Il ne faut pas songer à la réparer avec des sacs : il y a un courant de 7 à 8 nœuds ; il faut étudier un autre moyen. Le commandant Delage décide d’aller y mouiller une péniche : tout est réparé. On profite d’une montée du canal pour faire cette opération. Avec beaucoup de peine on arrive enfin à y monter la péniche. Je dis avec beaucoup de peine, d’abord matériellement et ensuite par le bombardement, l'endroit étant complètement à découvert. Enfin on y réussit. La péniche est en place, on la remplit de briques pour la faire couler. On arrive à obturer les extrémités avec des madriers garnis de sacs de terre, il en faut des milliers, enfin on est assez satisfait des résultats. Mais cela ne doit pas durer longtemps. Au bout de quelques jours une des écluses du canal est démolie à coups de canon : à la marée montante, il se forme un raz de marée qui soulève la péniche. Cette dernière se met dans le lit de la rivière et remonte en vitesse ; il ne fallait pas songer à l'aller arrêter, car elle était complètement à découvert. Les Allemands croient à une attaque par eau, déclenchent dessus une avalanche de coups de canon, de mitrailleuses d’infanterie, font des barrages avec l'ensemble de leurs pièces. C’est hilarant. Nous passons là un moment agréable. Pauvre péniche ! Elle ne répond pas, monte toujours et encaisse, mais ne coule pas. Le feu continue et ne cesse que quand la péniche a dépassé la hauteur des lignes allemandes en face la ferme Bamburg. Les Allemands s'aperçoivent de leur erreur, mais cela nous a amusés un instant. La quantité de munitions dépensées par eux a été considérable ; en voilà que nous ne recevrons toujours pas ! Les Allemands avaient garni leurs tranchées croyant à une attaque, ce qui a permis à l'état-major de faire faire par les 75 un arrosage général de leurs lignes, et cela n’a pas été sans pertes, car les brancards ont circulé par la suite. Mais la brèche est toujours là et grandit toujours ; il faut y remédier rapidement. Des bâtardeaux sont construits et mis on place. Cette opération délicate réussit parfaitement, mais clic a été coûteuse : près de 50.000 sacs ont été employés, sans compter l’énorme quantité de madriers et autres matériaux.

[15] Dans la nuit, ce ne sont que corvées silencieuses, que chantiers en plein travail... Et toute cette activité calme fait une étrange impression. Des détonations sonores partent des flingues boches, et la balle vient marquer son point sur la route dans une étincelle rouge, mais le travail patient continue. Ce sera ou un fortin ou un boyau de dégagement ou une tranchée de bombardement qui sortira mystérieusement de terre en huit nuits... (Maurice Faivre, 10-11 juin.) — V. aussi Maurice Oury : ... Nous avons été creuser des tranchées de quatrième ligne sur les bords de l'Yser. Devant la ville, c’est une véritable forteresse. Une tranchée épaisse de 4 mètres, avec un canal devant et 40 mètres de fil de fer barbelé. (15 juillet.)

[16] Hier soir, scène tordante : le téléphone a annoncé le vote belliqueux de l’Italie. Les marins se sont mis à hurler aux Boches, outre les invectives habituelles : Vive l'Italie ! tellement fort que les Boches ont cru à une attaque à la baïonnette et tout fut déclenché eu un clin d’œil : tirs de mitrailleuses et de fusils, fusées éclairantes, tir de barrage de l’artillerie. Cette plaisanterie leur a valu une chaude alerte, probablement de l’émotion, car ils doivent savoir nous craindre et, en tout cas, quelques milliers de francs de fumée. (Maurice Faivre, lettre du 21 mai.)

[17] Toutes les crêtes des rides formées par le vent sur la Surface de l’eau brillaient comme des vers luisants. (Luc Platt, au 4 avril.) L’Yser est toujours phosphorescent. C’est magnifique : les cascades des écluses éclairent dans la nuit noire. Quand un obus tombe, le remous devient lumineux intensément et l’on révérait de voir émerger le Nautilus de Jules Verne avec tous ses fanaux. (Maurice Faivre, au 5 avril.) Item l'enseigne Poisson à la date du 9.

[18] Le contre-amiral commandant la brigade des fusiliers marins cite à l'ordre du jour de la brigade : lady Dorothée Feilding, dame ambulancière de la Croix-Rouge anglaise, pour avoir assuré l’évacuation de très nombreux blessés de la brigade, à Gand d’abord, puis à Dixmude et jusque dans la ville même, en donnant à tous, presque journellement, le plus bel exemple de mépris du danger et du dévouement. Par le présent ordre, la brigade tout entière adresse à lady Feilding le témoignage de sa reconnaissance et de son admiration. — Oostleteren, le 31 décembre 1914.

[19] Luc Platt.

[20] Lettre à M. Georges Julien.

[21] Le soir, comme je fais la ronde de surveillance dans le camp, constaté un cas de delirium tremens chez un petit matelot de l'active de ma compagnie. Il s’est absenté une heure pour aller boire dans une de ces maudites fermes que l’on n’arrive pas à faire fermer, peut-être parce qu’elles ne paient pas de patente. Quel alcool a-t-on donné à ce pauvre garçon, je ne sais. Mais il serait temps qu’on intervienne pour faire cesser ces ventes clandestines. Malheureusement nous sommes en terre belge, avec une police de gendarmes belges (Poisson).

[22] Nous rappelons que l'enseigne Poisson était jésuite.

[23] Mon métier de pionnier demande que je circule sur les lignes pendant le jour. Aussi j’en profite pour approvisionner quelquefois les postes d’officiers. Il n’est pas rare que j’arrive à tuer douze à quatorze lièvres dans une heure et des perdreaux en masse. Le pays est très giboyeux. (Quinze mois de brigade, par l’officier des équipages DEVISSÉ.)

[24] Les hommes barrent les ruisseaux qui bordent le canal de Vulpen au moyen de filets trouvés à Nieuport. Puis, le ruisseau ainsi barré, une section entière se met à l’eau ; la moitié marche dans chaque direction jusqu’aux filets. On relève : c'est une pêche miraculeuse ; 60 ou 80 kilogrammes de poisson à chaque fois, tanches, carpes, etc. (Dévissé, ibid.)

[25] L’abbé de Wulf, vicaire à Nieuport, cinq personnes civiles et un militaire de l’armée belge les accompagnant sont autorisés à se rendre à Nieuport-Ville le 16 juillet pour y chercher du mobilier et des objets personnels. (V. sur ces visites Maurice Faivre ou Luc Platt.)

[26] Revenu au bataillon des fusiliers marins et tué à Hangard-en-Sauterre.

[27] Ces paroles étaient touchantes, dit le fusilier Maurice Oury qui rapporte le propos. Tous ses hommes le regrettent, car jamais nous n'avons eu un capitaine comme celui-là. Mais le vœu du capitaine de Rodellec fut exaucé et, revenu au bataillon des fusiliers dans l'armée Mangin, il a ou l’honneur de commander jusqu'à la victoire finale une des compagnies de cette troupe d'élite.

[28] Maurice Faivre était l’arrière-petit-fils du général Leydet, le petit-fils du général Faivre, le neveu du colonel Wilfrid Faivre.

[29] Blessé déjà le 19 octobre 1914, Ludovic Le Chevalier, jeune homme d’une bravoure simple et raisonnée, qui avait le pressentiment de sa fin, faisait son devoir sans phrase en toute circonstance. C’est ainsi qu'on l’avait vu, malgré sa blessure, aidant un homme de la 4e compagnie, qui ne pouvait se mouvoir seul, à gagner la plus proche ambulance.