SAINT-GEORGES ET NIEUPORT

NIEUPORT

 

— VII — LE REVERS DE LA MÉDAILLE.

 

 

L’amiral faisait bien de se réjouir quand il en était temps encore et nous allions voir très vite le revers de la médaille. Dès 5 heures du matin, aussitôt la brume dissipée, les Allemands avaient commencé à bombarder la ferme W et la ferme de l’Union, visant de préférence la première et son fortin qui tombaient d’ailleurs plus directement sous leur feu. Néanmoins, de l’aveu du second maître Laniel, ce bombardement tout d’abord ne gêna guère les hommes : C'était du 57 millimètres seulement[1]. Et le capitaine de Roucy écrira de son côté que, bien que le bombardement eût été très violent, jusqu’à 5 heures du soir nos pertes n’avaient pas été trop fortes.

Déjà pourtant, au 57 millimètres du début, avait succédé du 135, tiré par salves de trois et dont la précision donnait à réfléchir. Le téléphone est coupé, nos mitrailleuses mises hors de service l’une après l’autre, et le lieutenant de vaisseau Ferrât en est avisé à la Vache-Crevée par un homme de liaison[2]. Il y a un peu d’accalmie vers midi. Mais, vers 4 heures du soir, le vacarme recommence. Notre artillerie tente une timide riposte. Il faut se représenter cette lutte sans analogue sur aucun autre point de notre front, dans des carcasses de fermes à demi noyées par l’inondation, qui ne laisse subsister entre les hachures des canaux que quelques minces langues de terre, tremblantes chaussées où le pied hésite à s’engager. Nul défilement naturel. A chaque instant un obus crève le mince parapet de briques et de gravats dont on a essayé de garantir les pseudo-tranchées ouvertes le long des watergangs ; un projectile plus puissant défonce ce qui restait du fortin dont les sacs de sable coulent à l’eau, comme des entrailles qui se vident. La position, face au pont de l’Union et sous son feu, serait complètement intenable, si les Boches, nos prédécesseurs, n’y avaient creusé un abri de bombardement. L’enseigne Rollin, qui y avait déjà fait descendre ses blessés, y entasse à la hâte ses hommes valides.

Lui reste près de l'ouverture, dit le lieutenant de vaisseau Cayrol[3], tant pour mieux surveiller les mouvements de l’ennemi que par simple devoir d’officier, toujours au poste le plus dangereux. C’est à cet endroit qu’il fut frappé, à 4 heures du soir, par les éclats d’un obus qui explosa près de lui : trois blessures à la poitrine, une blessure aux deux yeux. L’enseigne Rollin était aveugle. Il voulut néanmoins garder son commandement. Du coin de mur où on l’avait adossé, il continuait à donner des ordres et ne pliait pas quand tout avait cédé. Le tir ennemi, qui s’était étendu peu à peu à toute notre ligne, devenait de plus en plus rapide et précis. A 6 heures du soir, dans la tranchée A, où se tenait l’enseigne Boissat-Mazerat avec sa section, trois gros obus tombent coup sur coup, couvrant les hommes de boue, de mitraille et d’eau : trois éclats atteignent Boissat-Mazerat aux reins et au cœur dans le moment où, doucement ironique, comme à son habitude, il plaisantait avec ses hommes pour les réconforter. Le second maître Laniel, qui lui a fait un oreiller de ses mains posées sur son genou, l’entend qui murmure : Un peu de morphine... maman... mourir. Puis, plus fort : Et, quand même, vive la France ! On couche le corps dans la tranchée, la tête sur un havresac. Les hommes osent à peine parler, dans le saisissement que leur cause cette mort d’un de leurs chefs les plus aimés. Jusque-là cependant l’ennemi n'a manifesté son effort qu’à distance et s’est contenté de nous prendre sous le feu de ses canons. On le croit loin encore quand des mitrailleuses, dont les servants, complètement nus, ont passé l'eau à la nage[4], se dévoilent brusquement, tirant sur quelques éclopés des tranchées W et A qui ont tenté de revenir vers nos lignes, et une attaque en forme se déclenche : les hommes de veille signalent au capitaine de Roucy et aux chefs de section les infiltrations de l’ennemi qui s’engage le long des canaux et des bas côtés de la route. Ce qui reste de la garnison prend son fusil ou celui des camarades blessés ; l’attaque est refoulée, mais on sent qu’elle va rebondir et que ce n’est plus pour les défenseurs des deux fermes qu’une question d’heures, peut-être de minutes, s’ils ne sont pas renforcés.

Malheureusement aucun des hommes de Maison dépêchés au colonel Delage n’arrive à destination. Celui-ci s’inquiète de cette absence de nouvelles et prescrit au lieutenant de vaisseau Ferrât d’envoyer à tout hasard aux fermes W et de l’Union une section de renfort avec un officier[5]. La précaution était bonne. Nos deux derniers officiers venaient de tomber : Roucy atteint d’une balle dans la poitrine au moment où il quittait son abri pour préciser certains ordres et ramener une partie de ses hommes dans la tranchée Colza ; l’enseigne Albert[6] atteint moins grièvement dans la tranchée même de la ferme W, qu’il occupait avec sa section. Notre ligne n’était plus garnie que par de faibles détachements composés pour la plupart d'invalides : une douzaine d’hommes de la 5e compagnie à la ferme de l’Union, avec le second maître Lamette, et une autre section à peu près complète de la même compagnie à la tranchée A, avec le maître Don val. Et ces hommes allaient avoir à soutenir une nouvelle attaque allemande qui se déclenchait à 10 heures du soir, un peu avant que la section Leborgne (de la compagnie Béra) ne fût arrivée sur les lieux, suivie de deux sections de la 6e compagnie (lieutenant de vaisseau Michel), que le colonel Delage, de plus en plus inquiet, s’était décidé à lui adjoindre vers 9 h. 45. Les Allemands attaquaient en tirailleurs sur W et sur l’Union. Nos mitrailleuses étaient démontées et ; pour recevoir l’ennemi, nous n’avions que nos fusils. L’attaque, cependant, put être contenue jusqu’à l’arrivée des renforts, qui avaient dû traverser un terrible tir de barrage exécuté avec du 77 sur la route de Bruges et la chaussée de l’Union. Sur Saint-Georges, le tir, plus dispersé, bien qu'exécuté avec du 150, n’avait heureusement pas la même efficacité. Béra et Michel prirent aussitôt leurs dispositions : dans la tranchée A, une section de la 9e compagnie, avec le maître Leborgne, fut adjointe à la section du premier maître Donval ; à la ferme de l’Union, une section de la 6e compagnie, avec l’enseigne Goudot, fut adjointe aux quelques hommes de la 5e compagnie qui étaient restés là avec le second maître Lamette[7]. Ces dispositions eurent un effet presque immédiat et, vers 11 heures, l’ennemi se désistait complètement. On en profita pour procéder à une relève presque impossible à faire jusqu’alors sous le feu des mitrailleuses allemandes de Terstyle et du pont de l’Union et dont les troupes avaient le plus pressant besoin. Une réserve avait été constituée pour le sous-secteur avec la 1re compagnie du 1er bataillon nouvellement reformé, et ce fut elle qui fut chargée de relever les garnisons épuisées de W et de l’Union. Ces malheureuses n’en pouvaient plus : la seule 5e compagnie avait perdu dans la journée 46 hommes blessés, tués ou disparus (Laniel). Sans la suspension du feu ennemi, elle en eût vraisemblablement perdu d’autres en descendant des tranchées et faute de cheminements pour traverser dans la nuit cette zone nue, coupée de canaux débordés, où les escouades qui ramenaient avec elles, sur des civières, les corps de leurs officiers tués ou blessés, manquèrent à plusieurs reprises de s’enliser. Il fallut abandonner ainsi jusqu’à 2 heures du matin, au bord d’un arroyo, le corps de Boissat-Mazerat. Le capitaine de Roucy et l’enseigne Albert ne tardaient pas à se remettre de leurs blessures. Mais l’enseigne Rollin, transporté encore vivant, des lisières du pont de l’Union qu’il avait défendu avec l’héroïsme d’un nouveau Bayard, au poste de secours de Nieuport, devait y mourir le lendemain. La nuit, qui couvrait ses yeux, n’était pas descendue sur son âme qui se dorait des feux d’une aurore éternelle. Peu après s’être confessé à l’abbé Bouchard, il avait reçu la visite du lieutenant de vaisseau Cayrol, commandant la compagnie des mitrailleuses. Rollin le remercia avec un bon sourire, puis, prenant sa voix de chef, et, avant de mourir, songeant qu’il avait un devoir à remplir vis-à-vis de ses hommes :

— Commandant, dit-il, je demande que vous félicitiez la 8e section de la compagnie des mitrailleuses pour sa belle tenue au feu dans la journée d'hier.

L’abbé Pouchard, au nom du commandant Cayrol, qu’on venait d’appeler près du capitaine de Roucy, l’assura qu’ainsi serait fait, et, la conscience en règle avec Dieu et avec ses hommes, l’enseigne sans peur et sans reproche se remit à son destin...

Dès son arrivée sur les lieux, la 1re compagnie avait occupé les ouvrages avec ses trois sections, puis, avec deux sections de pionniers, elle avait travaillé à la réorganisation du front complètement bouleversé par le bombardement du jour. La 9e et la 6e compagnie avaient été relevées après l’attaque en même temps que les débris de la compagnie de Roucy ; mais la compagnie Michel, en se repliant sur le front de Saint- Georges, avait laissé des petits postes de liaison dans les tranchées DD’ et Colza.

La journée du 11 fut relativement tranquille. L’ennemi, dit le rapport officiel, ne se montre pas. Il lance quelques projectiles sur Saint-Georges. Vers la fin de l’après-midi seulement, les Allemands bombardent avec du 210 et du 150 W et Union. Notre artillerie est impuissante. Nuit assez calme. Bombardement intermittent de Saint-Georges. On pousse le plus possible les travaux d’organisation de W et de la ferme de l’Union, mais l’état de fatigue de la 1re compagnie oblige le commandant Delage de la relever à une heure du matin par la 6e compagnie (lieutenant de vaisseau Michel) qui occupe W et la ferme avec deux sections : la 2e section (maître Robic) dans la tranchée sur la route ; une demi-section de la 1re (second maître Lucas) dans les ruines de W et dans un trou avoisinant ces ruines ; l’autre demi-section avec l’enseigne Goudot à la ferme de l’Union[8]. Dans la matinée du 12 mai, les Allemands bombardent par intermittence W et Union et tous les ouvrages avancés de Saint-Georges. Vers 13 heures, le bombardement devient intense. Il est exécuté avec tous les calibres. Tir très précis. Les points de chute se groupent à quelques mètres les uns des autres. Ainsi tout l’après-midi.

Ce fut terrible, dit l’officier des équipages Dévissé. Et le second maître Boullaire précise : sur un espace de 400 mètres, nous n’avons pas reçu moins de 4.000 obus de tous calibres. Pendant sept heures consécutives, nous sommes restés couchés à plat ventre dans la boue sous cette mitraille qui, malheureusement, faucha une grande partie des défenseurs, — dont le chef de ces braves et l’un des meilleurs officiers de la brigade, le lieutenant de vaisseau Michel, qu’un coup de 57 à la jambe, qui lui avait coupé l’artère fémorale et fait une trentaine d’autres blessures, obligea, vers 4 heures de l’après-midi, de passer son commandement au premier maître Robic[9].

Ce bombardement anormal semblant présager des mouvements d’infanterie, le commandant du sous-secteur fit avancer dans les tranchées Doris et de la Source (entre la Vache-Crevée et Saint-Georges) les deux sections de la 1re et de la 6e compagnie qu’il tenait en réserve. Vers 7 heures du soir, le bombardement diminue d’intensité et l’arrosage par shrapnells commence sur tout le terrain entre W, Union et Saint-Georges. A 7 h. 15, une attaque allemande, forte de 250 hommes environ, débouche du pont de l’Union et des berges nord et sud de ce pont et s’engouffre sur la route de Bruges, courant vers W. On fait aussitôt jouer le barrage d’artillerie, et la garnison de l’Yser sud (1re section de la 2e compagnie, enseigne Constantin), ainsi que la section de mitrailleuses de ce poste avancé (enseigne Domenech) ouvrent le feu sur les Allemands à partir du milieu de leur colonne d’attaque, comptant sur les défenseurs du fortin pour anéantir sa tête. Mais de l’ouvrage W part une très faible fusillade. Il fait jour encore. L’enseigne Constantin regarde, étonné (l’Yser sud a vue sur W), et constate que la garnison du fortin est réduite à quelques marins, blessés pour la plupart. On distingue, en effet, leurs pansements. Plus tard les survivants ajouteront, pour expliquer cette faiblesse de leur mousqueterie, que beaucoup de fusils étaient brisés ou remplis de terre. C’est ainsi qu’en dépit des pertes que la garnison de l’Yser sud et les mitrailleuses de l’enseigne Domenech lui avaient fait subir, l'ennemi, refoulé par ses propres mitrailleuses d'ailleurs, quand il faisait mine de reculer[10], put arriver à la baïonnette, au nombre de 30 ou 40, sur le fortin W et s’en emparer assez facilement. Après avoir fait le tour du fortin, les assaillants cherchent à se rabattre sur les ruines de la ferme W où le premier maître Robic s’obstine encore avec une poignée d’hommes. Trois heures durant, ce gradé indomptable tint l’ennemi en respect par ses salves. Mais l’ennemi avait réussi à installer une mitrailleuse dans le fortin.

— Nous allons nous faire zigouiller, dit un marin à Robic.

— Mon garçon, répond le premier maître, nous sommes précisément ici pour ça.

Tous ses hommes tombent l’un après l’autre. Il n’en reste que trois. Robic est atteint à son tour d’une balle dans la tête. A ce moment-là seulement et par crainte d’être cerné, il consent à se replier sur la ferme de l’Union. Mais son farouche entêtement a permis aux blessés les plus valides de se traîner jusqu’à la tranchée Colza d’où ils sont conduits à l’arrière. L'ennemi céans n’aura pour butin que des mourants ou des morts.

Plus heureuse que le fortin et la ferme W, la ferme de l’Union, attaquée vers la même heure, mais protégée par une ligne d’eau où l'ennemi ne parvenait pas à jeter de passerelle, continuait à résister. Mais nos pertes, là encore, avaient été grandes. L’un des premiers, tout au commencement de l’attaque, vers 6 heures du soir, l’enseigne Goudot tombait frappé d’une balle en plein cœur ; le premier maître Mével était blessé gravement. Blessé aussi d’une balle au cou, le second maître Boullaire, qui avait pris le commandement de la 4e section et qui le conserva jusqu’au bout malgré sa blessure. Il n’avait plus avec lui qu’une vingtaine d’hommes sur cinquante-cinq fusils, le reste tué, blessé ou enseveli sous les décombres de la ferme. Ce petit carré de défenseurs irréductibles et qu’un même souffle anime[11] suffit quelque temps à contenir l’ennemi. Mais il se réduisait de minute en minute et son feu faiblissait sensiblement. Alors, disent les témoins, pour faire croire au Boche qu’il a encore devant lui une force capable de lui tenir tête, les hommes, se voyant perdus, s’avisent d’un stratagème inspiré du siège de Sidi-Brahim : ils ramassent les baïonnettes des morts et des blessés et les plantent dans la tranchée, de façon que les pointes dépassent le parapet (2)[12]. L’ennemi croit que le ralentissement du feu cache une ruse, que les défenseurs ont été renforcés, et s'arrête. Ce temps de répit qu’il nous accorde est mis à profit par le commandement, qui dirige à la tombée de la nuit le second maître Bayon, avec une demi-section de la 6e compagnie, sur la ferme de l’Union, qu’il faut tenir à tout prix. Il ne s’agit d’ailleurs que d’une simple avant-garde et, peu après (8 heures), apprenant que tous les officiers du front W-Union sont hors de combat, le colonel Delage charge le lieutenant de vaisseau Gamas d’aller prendre sur place le commandement de la défense. Gamas, en arrivant à l’Union avec deux sections de la 1re compagnie du 1er régiment, n'y trouve plus qu’une poignée d’hommes dont les munitions mêmes commencent à s’épuiser. Son premier soin est de fortifier nos antennes menacées par la chute du fortin. Cependant, sur le rapport d’un blessé qui arrive des ruines de W et qui prétend qu’il y a encore là de nos hommes qui tiennent, il envoie aux renseignements dans cette direction l’enseigne Fouqué, avec une escouade et huit pionniers. Exploration délicate le long d’un arroyo qu’il faut passer sur une planche, à la file indienne. Fouqué n’avance qu’avec précaution. Découvert par une fusée éclairante et reçu à coups de fusil, il craint une méprise et crie : Ne tirez pas ! Nous sommes des Français. La fusillade redouble et Fouqué, renseigné, se replie par la passerelle, perdant au cours de l’opération le quartier-maître Gamion[13]. Toute notre résistance doit se ramasser pour le moment autour de la ferme de l'Union : il faut empêcher le Boche de franchir le fossé d’eau, qui est notre meilleure sauvegarde contre ses assauts ; s’il parvient, malgré tout, à le franchir et à prendre pied dans un élément de nos tranchées, la section Fouqué l’en chassera par une contre-attaque énergique.

Toutes dispositions étant ainsi prises, l’évacuation des blessés vers l’arrière se poursuit régulièrement. Il n’est pas encore question d’abandonner l’Union. De nouveaux renforts viennent même d’arriver de Nieuport : une section de la 1re compagnie, qui touche Saint-Georges à 10 h. 25 ; deux de la 5e, qui la suivent vers 11 heures. Le bombardement ennemi, qui a repris avec une nouvelle intensité sur les tranchées avancées de Saint-Georges, s'efforce de leur interdire le passage. Et il menace même de compromettre notre ravitaillement. Sans le dévouement du maître Lafouillade qui, vers 11 heures du soir, voyant l’hésitation de son escouade, prend les devants et se faufile avec un seul de ses hommes à travers les mailles du barrage pour nous apporter une caisse de cartouches, les munitions auraient fini par manquer. A minuit cependant, le plus gros du péril semblait conjuré ; l’ennemi, solidement contenu, ne donnait plus signe de vie. Mais, en raison, dit le rapport officiel, d'une part, de la situation très critique de la garnison de la ferme de l’Union prise sous les feux de W, de l’Yser, de Terstyle et sans communication d’aucune sorte avec nos tranchées ; en raison, d’autre part, des difficultés d’une reprise de W par nuit noire et, en cas de reprise, de l’impossibilité, vu l’heure tardive, de refaire une organisation sérieuse de W-Union, l’amiral décide d’évacuer la ferme de l’Union et de se replier sur les avancées de Saint-Georges, avec des petits postes à DD’ et Colza.

Ce mouvement de décrochage, particulièrement malaisé en zone inondée, sur de fragiles passerelles ou des isthmes larges comme la main, s'opéra sous la protection des mitrailleuses de l’enseigne Domenech et d'une demi- section de la 5e compagnie, commandée par le maître Donval. Blessés, matériel, tout fut ramené. Et, à 2 h. 15 du matin, le 13, les derniers défenseurs de la ferme W et de l’Union étaient rentrés dans nos lignes. La journée nous avait coûté 72 hommes : 19 tués, dont un officier (Goudot), 29 blessés, dont deux officiers — l’un grièvement : Michel ; l'autre légèrement : Fouqué —, et 24 disparus[14]. Nos pertes totales du 9 au 13 mai étaient de 57 tués, 204 blessés et 42 disparus.

 

 

 



[1] Du 67, dit le commandant Bertrand.

[2] Le commandant Bertrand dit par un deuxième maître mitrailleur et un homme de la 5e compagnie. Les autres mitrailleurs arrivent bientôt, blessés : l’un d’eux est fou. (Journal du commandant Bertrand.)

[3] Lettre à la famille Rollin.

[4] Par des contre-attaques l’ennemi cherche à reprendre pied, mais ne réussit pas. J’ai vu des mitrailleurs ennemis tout nus pour passer les rivières essayer de rapporter leurs mitrailleuses : aussitôt tués, ils sont remplacés... (Quinze mois de brigade, ms. par l'officier des équipages Dévissé.)

[5] Le lieutenant de vaisseau Béra est désigné à cet effet avec une section de sa compagnie (la 9e). Le maître Leborgne, qui était à Saint-Georges à la 3e section de la 6e compagnie (Michel), le remplace. Le commandant Bertrand dit au contraire que c’est la compagnie Poulain qui fut désignée.

[6] L’enseigne Albert avait déjà été blessé le 31 mars dans la tranchée 17 d’une balle qui lui avait traversé le bras. Aussitôt guéri, il était revenu à la brigade. Le capitaine de Roucy, privé de connaissance pendant deux heures, put être ensuite ramené dans nos lignes.

[7] Dans la tranchée Colza se trouvait une autre section de la 6e compagnie et l’on sait en outre que la 3e section de cette compagnie était restée dans les tranchées de Saint-Georges à la place de la section de la 9e compagnie, emmenée par Béra.

[8] La 3e section de cette compagnie restait en réserve à Nieuport, cependant que les tranchées avancées de Saint- Georges étaient tenues par la 1re section de la 1re compagnie (enseigne Fouqué) et par la 3e section de cette même compagnie (officier des équipages Le Bollès).

[9] Récit du second maître Boullaire et rapport du lieutenant de vaisseau Gamas. Rappelons que c’est le lieutenant de vaisseau Michel qui commandait la section de mitrailleuses au cimetière de Dixmude, le fatal jour du 10 novembre, et que c’est son habile manœuvre qui sauva les mitrailleurs menacés du même sort que la compagnie Lucas.

[10] On apprend que les Allemands, débouchant du pont de l’Union vers W, ont d’abord été repoussés. Revenant en arrière, ils sont mitraillés par leurs propres mitrailleuses. Ils reviennent alors vers W. Reçus par la fusillade, les mitrailleuses de l'Yser sud, retournent en arrière ; mitraillées par α, reviennent enfin sur W, où ils entrent. (Commandant Louis.)

[11] Rapport du commandant Lefebvre.

[12] Liberté du 22 mai 1915 et récit du second maître Boullaire, d’Erquy. Les braves qui restaient, une poignée, se voyant perdus, usèrent d’un artifice qui réussit : ils relevèrent les fusils de leurs camarades morts, mirent les baïonnettes au bout des canons et en dressèrent les pointes brillantes au-dessus des tranchées. Les Allemands, croyant la tranchée encore garnie de défenseurs, n’osent plus avancer, et la position est maintenue grâce à ce stratagème et aux renforts qui purent arriver à temps (3e section de la 6e compagnie) pour nous protéger, permettant l’évacuation des blessés et notre repli sur les tranchées de défense. Il y a pourtant une certaine ambiguïté dans le récit de Boullaire et l’on ne sait pas très exactement si cet épisode se passa à la ferme W ou à l'Union. Mais l’épisode lui-même est confirmé par un autre passage du journal de l'officier des équipages Dévissé, malheureusement aussi peu précis quant aux lieux : Les hommes ont placé tous les fusils disponibles, baïonnette au canon, le long des ruines qui servent de parapets pour faire croire à une nombreuse garnison. Ce stratagème réussit, car les Allemands n’osent avancer...

[13] Le quartier-maître Fouré se distingua particulièrement par son courage et son sang-froid au cours de l’opération. (Rapport Gamas.)

[14] La demi-section du fortin faite prisonnière ?