SAINT-GEORGES ET NIEUPORT

NIEUPORT

 

— I — L’ATTAQUE DE LA GRANDE-DUNE.

 

 

Par un ordre du général Foch à la date du 8 janvier 1915, la brigade de fusiliers marins, dont le gros cantonnait depuis la veille dans la région Fort-Mardyck- Saint-Pol, avait cessé de faire partie de la 8e armée : sans lui donner encore d’affectation spéciale, Foch la gardait à sa disposition[1]. La brigade est en rafraîchissement, écrivait le 14 janvier l’enseigne Boissat-Mazerat. Le mot est joli, prometteur. Mais la chose est moins drôle, pour les officiers surtout..., car remettre au point une compagnie, l'équiper, la chausser, la déverminer, etc., est une chose bien plus pénible et déprimante que l’existence en première ligne.

Ce travail fastidieux n’avait pas encore pris fin le 18 janvier, quand Foch avisa l’amiral Ronarc’h que, les circonstances l’obligeant de prélever pour le groupement de Nieuport un nouveau bataillon de fusiliers marins, il eût à s’entendre séance tenante avec le général de Mitry, commandant le groupement, sur les conditions dans lesquelles pourrait se faire le déplacement de cette unité. On ne savait encore si ce bataillon serait employé du côté de Lombaertzyde ou du côté de Saint-Georges, comme le bataillon de Jonquières qui nous avait été rendu le 17, et, avant d’arrêter son choix, l’amiral voulait attendre les renseignements du général de Mitry. Dès qu'ils lui parvinrent, il donna l’ordre au 3e bataillon du 1er régiment (commandant Bertrand) de tenir prêtes deux de ses compagnies à embarquer en autobus le 21 janvier, à 9 h. 30, dans la direction d’Oost-Dunkerque, avec une section de mitrailleuses et l’ambulance, les deux autres compagnies devant embarquer le lendemain dans les mêmes conditions, à la même heure et pour la même destination[2].

Au P. C. du général de Mitry[3], le capitaine de frégate Bertrand, qui avait précédé ses échelons, apprit que le cantonnement avait été changé, Coxyde- Bains substitué à Oost-Dunkerque, mais que ce changement n’en impliquait aucun autre dans l’affectation et le mode d’emploi du bataillon : une opération sur Lombaertzyde et la Grande-Dune était en préparation dans le secteur de Nieuport, et le général de Buyer, qui en était chargé, destinait les marins à servir de soutien aux tirailleurs et aux cavaliers à pied composant, avec quelques territoriaux, l’effectif ordinaire du secteur. C’est qu’en effet, sans avoir rempli les espoirs démesurés qu’on avait placés en elle, l'offensive générale prise par nos troupes le 17 décembre 1914, sur un ordre de Joffre daté de ce jour et dont les troupes seules eurent connaissance[4], n'avait pas été aussi infructueuse que le prétendaient les communiqués allemands. En ce qui concerne la brigade, elle nous avait valu, à Steenstraëte, le gain de quelques tranchées (17 décembre) et, plus au nord de l’Yser, dans la boucle de l’Union, la conquête du village de Saint-Georges et de ses défenses avancées (28 décembre). En même temps les autres troupes du groupement de Nieuport, sous l'habile direction du général de Mitry, élargissaient nos positions vers Lombaertzyde et la Grande- Dune. Nous ne tenions jusque-là, sur la rive droite de l’Yser, qu’une tête de pont très étroite. Du 22 décembre au 8 janvier, le général de Buyer, commandant le secteur de Nieuport, mordait fortement dans les positions ennemies et s’y assurait la possession d’un débouché de 5 kilomètres environ qui était aussitôt relié à nos positions de la rive gauche par un pont solide auquel nos hommes donnèrent le nom du général en chef[5]. Lombaertzyde résistait encore sans doute, mais nous occupions la majeure partie de son polder. D’autre part, chassé du Mamelon-Vert, dont les zouaves s’étaient emparés le 7 janvier, l’ennemi avait reporté tout son effort défensif sur la Grande-Dune ou Dune 17, qui flanquait le village vers la mer et dont l’arête[6] sablonneuse de quelque trente mètres de haut continue de l’autre côté de l’Yser le système de la Hooge-Duynem. Inférieure aux massifs de la rive gauche — le Deleugeunar, le Hoogenblekker, le Zeebern, le Plaets-Burg — et moins puissamment articulée, la Grande-Dune se présente sous la forme d’un piton ou plus exactement d'un mu- soir qui aurait été coupé de son môle. Nos troupes avaient pu pousser jusqu’à ses premières pentes où elles se cramponnaient. La légende prétend même que les goumiers, certaine nuit, avaient réussi à s’emparer par ruse de la totalité du piton. Un matin, six beaux chevaux arabes erraient à l’aventure entre les lignes françaises et les lignes allemandes. Comme ils n’avaient pas de cavaliers, ce fut un jeu pour l’ennemi de les capturer. Le lendemain soir, la fortune le servit encore mieux : tout une harde, vingt-quatre bêtes, piaffait et s’ébrouait à 200 mètres de la Grande-Dune. L’ennemi pensa les prendre aussi aisément que les premières. Mais, quand elles furent à proximité, vingt-quatre formes humaines, collées sous leur ventre, à la manière arabe, et qui avaient échappé à l’œil des sentinelles, bondirent dans la tranchée, mousqueton au poing, sabre aux dents : à 10 heures du soir, les goumiers étaient maîtres de la Grande-Dune. Ils en furent donc assez vite chassés, si tant est que ce stratagème ait porté les fruits qu'on assure. A la date du 21 janvier, l’ennemi tenait plus fortement que jamais la Grande-Dune et Lombaertzyde, d’où le général de Mitry projetait de le déloger avec l’appui des fusiliers marins du bataillon Bertrand. En attendant ce grand jour et quand ils eurent pris leur cantonnement dans les villas de Coxyde-Bains[7], dont ils partageaient les logements avec de pauvres réfugiés belges accrochés à cette dernière frange de la patrie, le commandant Bertrand les occupa tour à tour à des exercices de maniement d’armes ou à des i travaux de terrassement.

Un groupe de pionniers — création nouvelle de l’amiral — lui avait été adjoint sous les ordres de l’officier des équipages Dévissé ; des goumiers en grand manteau rouge, la djebira en peau de lynx pendue à l’arçon de la selle, caracolaient sur l’immense plage de sable jaune découverte par le retrait du flot et dont les relais supérieurs étaient tendus de fils de fer et garnis de mitrailleuses ; une batterie de 75 et un groupe d’autos-canons attaché au régiment des goumiers et commandé par le lieutenant de vaisseau Guette, complétaient l’armement de la plage, mais ne la mettaient point à l’abri des obus de gros calibre qui la prenaient de temps à autre pour cible. Un de ces obus tombait le matin du 22 aux abords du Quartier-Margot sur un parc de cavalerie dont il éventrait trois chevaux promptement convertis en beefsteaks par leurs propriétaires. Le 24, qui était un dimanche, les hommes qui le voulurent bien purent entendre la messe dans l’estaminet de l’hôtel Terlinck qui servait à la fois de chapelle, de salle de concert et de salle de conseil de guerre à la 81 e division territoriale. Le temps était beau, propice, malgré les taubes et la menace du canon, à la flânerie par les rues, où débits de tabac, estaminets, pâtisseries, magasins de comestibles, faisaient un cordon d’avenantes devantures. Un peu après midi, le commandant Bertrand fut appelé à la villa Hurlebise, P. C. du chef de bataillon de tirailleurs Jacquot, qui commandait le secteur septentrional de Nieuport, subdivision du secteur de Nieuport commandé par le général de Buyer. Le résultat de cette entrevue fut qu’à la nuit tombée, dans la même après-midi, le 3e bataillon du I er régiment de marins au grand complet, mitrailleuses et poste de secours compris, pliait bagages et se mettait en mouvement vers la rive droite de l’Yser : trois compagnies (9e , 10e , 11e) y allaient relever un bataillon de tirailleurs dans lés tranchées du sous-secteur nord ou secteur des Dunes, et une quatrième compagnie (la 12e) y allait renforcer les escadrons de cavalerie à pied dans les tranchées du sous-secteur sud ou secteur de la Geleide.

Le premier de ces sous-secteurs se trouvant au bord même de la plage qui, de Dunkerque à Ostende, suit une ligne presque rigide, et le second n’en étant séparé que par le ruisselet qui, sous le nom de Geleide, descend de Lombaertzyde et se jette dans l’Yser au- dessous du vieux phare, le bataillon emprunta pour s’y rendre le chemin de la mer, l’estran, comme on dit dans les Flandres. Une bise aigre soufflait et la marche des hommes en pleine nuit, dans ces sables inconsistants, sous le lourd barda qui chargeait leurs épaules, fut une des plus fatigantes de la campagne. Il fallut à plusieurs reprises gourmander les traînards. Par delà Nieuport-Bains, entre les jambages d’une longue et tremblante passerelle, l’Yser ouvrait ses bouches mélancoliques. Et, tout de suite, le pont franchi — le fameux pont Joffre construit récemment par l’armée de Mitry — on entrait dans une zone étrange et qui sentait la mort : berges écroulées, estacades disloquées, grands bancs de tangue grise et squameuse, bombant entre les chenaux, comme des sauriens en dérive, leur dos criblé de trous d’obus... A la pointe d’une de ces vasières, vers le sud, un éboulis de briques blanches signalait le Vierboek, le plus ancien phare des Flandres, que Guy de Dampierre avait élevé au treizième siècle et qui s'éclairait primitivement avec des feux de roseaux. Il gardait les passes de l’Yser, à la sortie des écluses. Mais depuis longtemps son foyer ne s’allumait plus au secours et sollagement des pescheurs et poissonniers batans et passans au long des costes de la mer de Flandre[8]. Un autre phare, pourvu de tous les perfectionnements modernes, l’avait remplacé à quelque cinq cents mètres dans l’est. Nous l’avions enlevé à l’ennemi le mois précédent, avec la station du canot de sauvetage et le château d’eau, et tous trois gisaient au pied de la dune, dont le bourrelet onduleux, mais assez bas encore, faisait immédiatement suite aux vasières. Sur deux kilomètres environ, jusqu’à l’escarpe du piton dont nous poursuivions l’investissement et qui semblait jaillir d’elle comme une grande lame de fond, la dune conservait la même altitude moyenne. L’artillerie des deux armées y avait ouvert de nouveaux sillons et, à vif presque partout, dépouillée de ses bouleaux nains et des pâles houppes de ses oyats, elle déroulait dans la nuit sa chaîne de crêtes chauves pareilles à une écume pétrifiée. Le chemin pavé qui la coupait en direction de Westende-Bains s’était ensablé peu à peu : il était pris en enfilade d’ailleurs par les mitrailleuses allemandes. La grève elle-même, tendue de fils barbelés, hérissée de chevaux de frise, cachait un immense piège. Et la mer, qui reculait au loin et que cherchaient, comme une amie, au milieu de ces dunes traîtresses, les regards vacillants des hommes, ne se révélait qu’à une barre couleur de plâtre et à son râle éternel...

Un dédommagement attendait cependant les nouveaux venus, assez fâcheusement impressionnés par la longueur de leur traite et l’âpre tristesse du décor : pour la première fois depuis leur entrée en campagne, ils trouvaient sur le front des tranchées à peu près confortables. Plus de boue, plus d’eau, écrit un officier[9]. Partout des tranchées sèches. C’est un plaisir d’être ici. Le P. C. est à côté du phare et de la station du bateau de sauvetage. De là partent des boyaux, conduisant aux tranchées de première et de deuxième ligne occupées par les tirailleurs tunisiens avec qui Jean Le Gouin a vite fait de fraterniser. Comme tous les grands enfants, Jean Le Gouin ou Jean Gouin ne voit d’abord que le beau côté des choses. Et d’ailleurs il ne hantera pas assez longtemps ce secteur des dunes pour en éprouver les trop réels inconvénients : le moindre souffle qui passe sur ces fragiles monticules en dérange la structure et il faut continuellement étayer les boyaux et les tranchées avec des fascines, des pieux et des sacs. Par les grands vents, c’est bien pis : le sable, soulevé en tourbillons, mobilise sa grenaille ; gare aux épidermes un peu tendres, aux prunelles trop sensibles ! La vue se brouille ; les fusils, les mitrailleuses s’encrassent. Aucun entoilage, aucun capuchon n'est capable de les protéger contre cette poussière volatile qui pénètre partout et s’insinue jusque dans le boîtier des montres et le mécanisme des armes. L’ennemi y en a bon. S’en f..., mais li vent, y en a pas bon, disent les tirailleurs[10]. Enfin, si la dune est étanche, elle n’en est pas beaucoup plus tiède : on y gèle tout franc, mais ici du moins on peut battre la semelle et l’engourdissement ne va pas, comme à Steenstraëte, jusqu'à provoquer la mortification complète des muscles.

Telles quelles, le bataillon Bertrand, comme avant lui le bataillon de Jonquières, eût trouvé à ces tranchées toutes les qualités du monde, si la satisfaction qu’éprouvaient les hommes à s’y sentir au sec n'avait pas été gâtée par l’entrée en scène des minnenwerfer, engins nouveaux pour eux et auxquels ils n’avaient à opposer que les inutiles décharges de leurs lebels. En même temps qu'il avait modifié la figure de la guerre et nous avait imposé la stagnation des tranchées, le Quartier Général allemand s’était inquiété d’adapter à ce régime transitoire des engins appropriés[11]. Et, si ces engins n’étaient pas toujours inédits, si l'ennemi, de cerveau peu inventif, se bornait, la plupart du temps, à puiser dans l’arsenal des vieilles découvertes, il n’en est pas moins vrai qu’on éprouvait là une fois de plus les effets de cet esprit de guerre, de cette coordination des efforts et de cette convergence de toutes les pensées vers un but unique, qui ont fait si longtemps la supériorité de notre adversaire. Il semblait y avoir dans ses services un département de la poliorcétique qu’on eût vainement cherché dans les nôtres et dont le titulaire devait être quelque her professor de Berlin ou d'Iéna qui, pour l’organisation et la défense des tranchées, avait déjà exhumé des anciens textes les treillages en fil de fer[12], les chevaux de frise, les pals en quinconce, les fusées éclairantes et les grenades à main. C’était maintenant, en attendant les fougasses[13], au tour d’un autre vieil engin de siège, le minnenwerfer[14], espèce de mortier dont là portée variait entre 60 et 1.050 mètres et utilisable donc, suivant son calibre, dans les zones les plus différentes du front, celles où les tranchées des deux partis étaient séparées par des intervalles assez considérables comme celles où l’on voisinait d’une tranchée à l’autre.

A peine les fusiliers avaient-ils achevé leur relève que les minnenwerfer entrèrent en danse.

Fait connaissance cette nuit avec les crapouillots boches, écrit à la date du 25 l’enseigne Poisson. Ils nous crachent, en fait de bombes, des cylindres de laiton de 0 m. 50 de long sur 0 m. 10 de diamètre, sans pointe, qui tournoient en l’air comme des bâtons. Leur vitesse initiale est assez réduite pour qu’on puisse les suivre des yeux (la nuit, à cause de la mèche) ; on les voit tomber et on a le temps de se garer, car ils mettent en moyenne quatre secondes à éclater après la chute. Il semble bien, d’ailleurs, que ces cylindres étaient de dimension variable, car, dans un autre carnet d’officier, on leur donne de 0 m. 75 à un mètre de longueur et on les y appelle des bombes-torpilles. Mais le nom seul et le calibre diffèrent. La bombe-torpille est une sorte de tuyau de cheminée, rempli d’explosifs, terminé à l’une de ses extrémités par une mèche qu’on allume avant de le lancer dans les tranchées ennemies, qui part en imitant le bruit d’une fusée, qui tournoie dans l’air et dont la trajectoire est très visible par suite de cette mèche qui fuse, laissant derrière elle une traînée d’étincelles[15].

Ce fut surtout la 10e compagnie (de Monts de Savasse) qui fut éprouvée par ces bombes-torpilles dans les tranchées qu’elle occupait au pied de la Grande-Dune. Prévenus par les tirailleurs, nos hommes se tenaient bien aux aguets. Jean Gouin veille, voit partir, regarde la direction et aurait le temps de se garer, si les bombes n’étaient lancées de plusieurs endroits à la fois. Mais il faut compter avec la curiosité du grand enfant, l’effet de la surprise aussi, car ces bombes, dont le déplacement d’air est formidable, font, en éclatant, des nuages de fumée et de sable qui aveuglent les hommes. Dans la nuit du 26, l’enseigne mitrailleur Bellay, grièvement blessé aux jambes par l’une d’elles, devait passer le commandement de sa section au deuxième maître Laletton et subissait par la suite l’amputation de la cuisse gauche[16]. Tuyaux de cheminée, pots de fleurs, cacaouettes, Jean Gouin, riche en sobriquets, avait déjà baptisé ces coquines qui ne sévissaient ordinairement que la nuit et que quelques volées de 75 réduisaient au silence dès que paraissait le jour. Mais c’était alors la grosse artillerie allemande qui donnait de la voix. Elle cherchait surtout le pont Joffre, sans réussir à l’atteindre, bien qu’un aviatik, planant au-dessus de la ligne ennemie, appréciât les écarts et signalât par fusées les rectifications nécessaires. Ce pont de fortune, jeté à l’embouchure de l’Yser, était notre seul trait d’union avec les tranchées des dunes. Un obus, le 26 au soir[17], tomba dans un groupe d’officiers qui y faisaient un relevé des positions, blessa trois d’entre eux et endommagea le pont. Cela jeta quelque trouble dans nos plans : l’assaut de la Grande-Dune et, du même coup, l’attaque sur Lombaertzyde, qui était la grosse affaire, furent renvoyés au surlendemain.

Les 9e, 10e et 11e compagnies du bataillon Bertrand, dans l’intervalle, étaient retournées à Coxyde, où les avait rejointes la compagnie Dupouey, détachée sur la Geleide, et le bataillon s’y était reposé de ses deux jours de tranchée. Alerté le 28 à 3 heures 30, rassemblé une heure plus tard, il se défilait dans la nuit, par l’estran, jusqu’au camp du Grœnendyck et y attendait, à l’abri des dunes, que se déclenchât la préparation d’artillerie. Mais l’ennemi était sur le qui-vive et, au feu roulant de nos pièces, il répondit par un tir serré sur nos batteries, dont quelques-unes se trouvaient précisément derrière le bataillon. Deux ou trois obus perdus tombèrent dans nos rangs sans éclater. Le général de Buyer, qui dirigeait l’attaque, laquelle devait se faire simultanément sur la Grande-Dune par une compagnie de tirailleurs et sur les polders de Lombaertzyde par trois compagnies de tirailleurs et deux pelotons de cavaliers à pied formant la première vague d’assaut, avait mandé le commandant Bertrand à son P. C. de la villa Hurlebise[18] pour qu’il fût plus à portée de recevoir ses ordres. Autour du général et de son chef d’état-major se tenaient déjà le colonel Cros, commandant la brigade de tirailleurs, le lieutenant-colonel de Metz, commandant le 7e tirailleurs, le colonel d’artillerie Guillemin et divers autres officiers supérieurs appartenant aux unités qui participaient à l’attaque — cuirassiers, dragons, hussards, chasseurs cyclistes —. Les témoins ne s’accordent pas très bien sur la durée de la préparation d’artillerie qui s’engagea, suivant les uns, à 8 heures et demie et, suivant les autres, à 9 heures. Elle fut fort sérieuse, quoi qu’il en soit : les quatre-vingts bouches à feu, déployées en arc de cercle du Grœnendyck à Nieuport, crachaient sans discontinuer à raison de quatre obus par minute. Puis un silence, lourd d'attente. Sans doute l’assaut avait commencé. Mais dix minutes s'étaient à peine écoulées que nos batteries rentraient en action. Toute la ligne s'alluma de nouveau[19]. Chez les fusiliers, on se perdait en conjectures sur la raison de ce réveil anormal de l’artillerie, dont il n’y avait pas d’exemple jusqu’alors, et l’on se demandait si l’ennemi n’avait pas pris les devants en se jetant à l’arme blanche sur nos tranchées. Les notes de la charge, portées par le vent, répondirent à cette question : baïonnette haute, tendant âprement vers l’objectif leurs têtes basanées de sémites aux nez immenses ou de métis nègres aux nez aplatis, les étranges tirailleurs africains en turban jaune, capote bleue et pantalon de velours à côte, se lançaient à l’assaut de la Grande-Dune et des tranchées du polder[20]. Il était 10 heures du matin. Une fusillade nourrie avait succédé au tapage du canon. Des hurlements sauvages arrivaient par bouffées, avec le roulement de la mousqueterie, aux oreilles du bataillon qui, à mesure que l’attaque progressait, était rapproché du théâtre de l’opération.

Nous partons à la file indienne, écrit un officier[21], en nous dissimulant le plus possible dans les plis des dunes ; les aéros boches surveillent tous nos mouvements. Pas trop de malencombre cependant jusqu’à Nieuport-Bains, où nous stoppons un moment. Les pignons des villas, les monticules de sable nous procurent des abris provisoires que nous utilisons de notre mieux, car l’artillerie boche crache dur et fait des barrages au pont Joffre et sur toute la ligne de l’Yser. Nous voici enfin sur la place, devant la barricade, où s’amorce l’entrée du boyau qui fait communiquer avec le pont. Nous passons devant un général de brigade (de Buyer), qui a établi son poste de commandement sur la terrasse du casino, à l’endroit le plus bombardé. A ce moment, et comme nous attendons l’ordre de franchir le pont, les premiers prisonniers débouchent, preuve que l’attaque va bien. Il y en a une douzaine, dont deux officiers[22]. Ce sont des fusiliers marins allemands qui portent sur leur béret : Matroseuregiment. Leurs convoyeurs nous confirment que l’attaque a réussi. Nos pertes sont assez faibles : une cinquantaine d’hommes hors de combat, entré tués, blessés ou disparus, contre le triple au moins de Boches expédiés ad patres par les tirailleurs, car les coupe-cabèches, comme on les appelle, sont moins sujets à l’attendrissement que nos Jean Gouin. L'artillerie a ouvert six brèches dans les tranchées du polder, par lesquelles nos hommes sont passés ; la Grande-Dune est prise, et c’est le moment de faire donner nos réserves pour organiser la position.

De fait, vers midi, l’ordre parvient à la 9e compagnie de se porter sur la rive, droite de l’Yser. Opération délicate sous ce bombardement intense qui menace à tout instant d’effondrer le pont. Des obus l’encadrent à droite, à gauche, devant, derrière ; d’énormes geysers d’eau et de boue rejaillissent sur les hommes qui passent en courant, la tête dans les épaules, le sac sur la tête... Petit à petit cependant, toute la compagnie a pris pied sur la rive droite et s'est massée dans les tranchées du phare, où elle relève les tirailleurs du capitaine Delorme qui n’attendaient que sa présence pour décoller ; la 12e compagnie, qui l’avait remplacée contre le talus d'Hurlebise, traverse à son tour l’Yser et se masse dans les tranchées du château d’eau, suivie peu après de la 11e compagnie qui doit renforcer la compagnie Béra le long de la mer, où l’on craint un mouvement tournant de l’ennemi. Celui-ci réagit à peine depuis quelque temps. Mais nous-mêmes semblons marquer le pas. Pourtant la 9e section de mitrailleuses a pris la file et est venue se mettre près du phare aux ordres du commandant Socquet, des tirailleurs. On sait en outre que le 1er bataillon du 2e régiment (commandant de Jonquières), appelé d’urgence de Dunkerque, vient de débarquer au Grœnendyck en autobus. Tous ces mouvements semblent présager une continuation de l’offensive, et le front s'assoupit de plus en plus. Que se passe-t-il ? Des blessés qu’on mène au poste de secours des tirailleurs, voisin de nos tranchées, nous l'apprennent vers 3 heures : la Grande-Dune a bien été emportée ; une escouade est même parvenue sur le revers opposé et a tenté de retourner la position. Mais une réaction violente de l’ennemi nous a repris tout le terrain. Le bataillon n’interviendra donc pas et c’cst peut-être dommage. Les marins, dit l’officier dont nous avons suivi le récit, ne demandaient qu’à marcher. Peut-être, si on les eût fait donner à temps, la position eût-elle pu être conservée.

Il semble bien en effet qu’en cette occasion, comme en tant d’autres, notre échec ait été dû pour une part à un emploi mal combiné du jeu des réserves. Le renouvellement de la préparation d’artillerie, après dix minutes d’interruption, était bien la ruse la plus propre à tromper les Allemands, qui, d'habitude, au premier bruit du canon, abandonnent leurs tranchées de première ligne et les regarnissent, .la préparation terminée : surpris par cette seconde préparation, l’ennemi n’avait pas eu le temps d’évacuer les tranchées de la Grande-Dune qu’il venait de regarnir ; nos obus en avaient fait un véritable carnage[23]. Mais, derrière la Grande-Dune et séparée d’elle par une coupure de quelques mètres, se révélait une position presque aussi formidablement défendue et d’une altitude sensiblement égale à celle de la première : c’était le môle dont nous avons parlé, vaste redan fortifié qui se développait parallèlement à une autre échine sablonneuse bordant la mer et pareillement organisée. La Grande- Dune, en somme, commandait beaucoup moins ces deux massifs, qui pouvaient agir sur elle à la façon des branches d’une tenaille, qu'elle n’était commandée par eux ; elle était comme une noix entre leurs pinces ; les feux convergents de leurs mitrailleuses l’écrasaient et il n'était possible de s’y maintenir qu’à la condition de la déborder. Ainsi fut rendu vain l’état merveilleux[24] des tirailleurs du lieutenant Thouret, qui y avait fait les premiers prisonniers, mais qui avait été tué presque aussitôt. Il eût fallu que cette première vague fût immédiatement suivie par une autre et celle-ci par d’autres encore, dont la marée eût tout emporté. Mais le boyau d’accès vers la Grande-Dune ne permet d'y envoyer les hommes que par petits paquets : au lieu d’une marée, c’est une infiltration au compte-goutte. Le commandant Jacquot, vieux colonial à la barbe de fleuve, qui conduit l’attaque dont il a tout fait pour dissuader ses chefs, ne peut la nourrir avec des effectifs suffisants[25]. En quelques minutes les tirailleurs ont près de 300 hommes hors de combat, dont presque tous leurs officiers : le capitaine Duret, le lieutenant Barachet, etc. Six tirailleurs, qui se feront tuer l’un après l’autre et qu’entraînait un héros sans armes, le capitaine de cavalerie de Juignac, attaché à l’état-major[26], résistent encore dans une espèce de fortin sur le revers sud- ouest de la Grande-Dune. Leurs camarades, disent les Principaux faits de guerre, pour les soutenir, aménagent un boyau entre le fortin et nos anciennes tranchées. Par ce boyau, à 13 heures, ils tentent un nouvel effort et, vigoureusement soutenus par nos canons, parviennent à atteindre le fortin. Mais une contre-attaque considérablement renforcée le leur enlève quelques instants après. Un autre petit groupe de tirailleurs, section de la compagnie Delorme, résiste dans un bout de tranchée d’où le lieutenant Guyot, du 2e hussards, qui s’est lancé spontanément à son secours, réussit à le dégager, après qu’on a éprouvé l’inutilité de toute résistance. De la compagnie, il ne reste, avec le capitaine et un sergent-major, qu’une trentaine d’hommes presque tous blessés. Nos mitrailleuses, dès le début de l’action, avaient été démontées. Une plus longue obstination n’eût servi de rien, d’autant qu’à notre droite, sur le polder de Lombaertzyde, la situation n’était pas sensiblement meilleure : par les six brèches que notre artillerie avait ouvertes dans les courtines allemandes, nos hommes avaient pénétré dans la première ligne de défense ennemie, inondée et en partie évacuée, et, sans prendre le temps de souffler, ils avaient foncé à la baïonnette, par la route pavée, sur les abris de seconde ligne. L’attaque, comme sur la Grande-Dune, avait réussi du premier coup ; mais, comme sur la Grande-Dune aussi, elle n’avait pas été suffisamment et assez rapidement appuyée : des mitrailleuses se dévoilaient, prenant nos hommes d’enfilade ; une première contre-attaque ennemie échouait sous nos feux, mais la seconde nous rejetait jusqu’à nos tranchées de départ, sauf au centre de la ligne où, derrière un parapet de fortune, quelques isolés parvenaient à se cramponner jusqu’au soir. Le chef d’escadron de Lucet, des cuirassiers, qui commandait l’attaque du polder, était tué dû même obus qui blessait à côté de lui son adjoint, le capitaine de Villemaré. Tués encore le lieutenant Escoffier, des dragons, commandant une section de mitrailleuses, et quantité d’autres[27], ensevelis dans leur sacrifice anonyme par l’inflexible et jalouse consigne de silence imposée à nos communiqués officiels. Ce ne fut pas sans peine, malgré tout, que le général de Mitry, à qui le général de Buÿer avait envoyé son chef d'état-major, le commandant de Metz, pour lui rendre compte de la situation, se résigna, vers 3 heures de l'après-midi, à donner l’ordre de la retraite. Déjà illustré par son raid du 16 octobre sur Roulers, où la hardiesse de sa pointe avait trompé l’ennemi sur l’absence de notre organisation et donné le temps à nos territoriaux et aux Britanniques de garnir les lignes de l’Yser et de la Lys, Mitry avait apporté la même fougue heureuse dans ses opérations sur Saint-Georges et la Geleide. C’était essentiellement un attaqueur, comme d’Urbal, son chef, comme Grossetti, Humbert et Balfourier, qui opéraient, sous ce chef, dans un secteur voisin : il croyait comme eux, comme Foch lui- même, expression la plus haute de cette école et par qui elle a finalement triomphé, à la toute-puissance de l’offensive. Et seule, en effet, l’offensive peut amener la décision. Mais il y a, dit Napoléon, des vices et des vertus de circonstance, et l’offensive n’est peut- être pas une vertu de toutes les heures ni de tous les terrains. En l’espèce, outre la faiblesse des effectifs engagés et le trop long espacement des colonnes d’assaut, la grande cause de notre échec fut incontestablement l’ignorance où le commandement avait été laissé par ses services aérostatiques de l’organisation du double massif qui faisait suite à la Grande-Dune et que celle-ci nous masquait. C’est sur ce massif qu’il eût fallu porter l’effort principal, l’issue des opérations générales dépendant de sa conquête qui eût fait tomber instantanément les tranchées du polder. Et, dans la pensée du commandement, il n’avait été que l’objectif secondaire. Pour pallier notre échec, les Principaux faits de guerre expliquaient que l’attaque que nous avons prononcée le 28 janvier avait pour objet de reconnaître exactement les défenses ennemies dont l’ensemble seul nous était connu. Et ils se félicitaient, en terminant, que ce résultat eût été atteint : Nous ne conservons que la partie extérieure de la dune, mais nous sommes exactement fixés sur l'organisation défensive de l’ennemi.

On ne peut se montrer d’esprit plus accommodant. Encore fallait-il conserver les quelques mètres de sable que nous avions enlevés à l’ennemi. Le bataillon Bertrand fut porté à cet effet, la nuit venue, aux abords de la première ligne, où il renouvela connaissance avec les cacaouettes et les tuyaux de cheminée[28]. Mais l’habitude était déjà prise ; l’excellent officier des équipages Dévissé avait eu l’idée d’utiliser contre ces engins les treillages en fil de fer des tennis de Nieuport-Bains, et les pertes du bataillon, ce soir-là, furent légères[29]. Le lendemain, avant l’aube, il relevait en première ligne les tirailleurs du bataillon Socquet épuisés[30]. Une des sections de la 9e compagnie — commandée par le maître Godard — occupait l’avancée de la Grande-Dune, à 25 mètres des lignes ennemies ; deux escouades d’une autre section, avec l’enseigne Poisson et le deuxième maître Clément, l’intérieur et les parois du cratère, petit cirque sablonneux au pied même de la Grande-Dune. Tout le jour les balles grêlèrent sur ces deux sections : la nuit fut pire. Les torpilles n’arrêtaient pas et bouleversaient les tranchées de fortune que nous avions hâtivement creusées à la pointe du saillant demeuré entre nos mains.

On travaille ferme à les réparer avec des sacs à terre, écrit l’enseigne Poisson. Vers 23 h. 30, le commandant Bertrand vient lui-même au cratère — que déjà nos hommes appellent le trou de la mort — pour apporter des chevaux de frise que nous allons tâcher d’interposer entre nos petits postes et ceux des Boches, distants d’à peine une douzaine de mètres. Par malheur les sapeurs territoriaux qui portent les appareils ne savent pas s’astreindre au silence, d’où dégelée de bombes qui provoque un peu d’émoi. Le capitaine (Béra) intervient pour rétablir l’ordre et activer le travail. Quatre blessés. Travaillé, un peu fébrilement jusqu’à 1 h. 30. Les hommes sont harassés de fatigue, énervés par les bombes. Je sens qu’ils commencent à m’échapper. Heureusement l’autre peloton, qui n’a pas souffert, vient nous remplacer vers 1 h. 30 du matin. Le premier maître Finolleau prend ma place au cratère ; le premier maître de Kersauzon celle de Godard à l’avancée.

La 9e compagnie n’était pourtant pas au bout de ses peines et le petit jour lui réservait une pénible surprise. Tout en criblant nos hommes de bombes et de grenades à main d’un nouveau modèle, plates, allongées, munies de pattes sur les côtés, ce qui les faisait comparer à des crabes par les loustics, l’ennemi avait travaillé lui aussi pendant la nuit et réussi à surélever ses postes de tir. Au matin on s'aperçut qu’un de ses créneaux tenait directement sous son feu l’unique boyau d’accès au cratère. Toute communication devenait ainsi impossible ou du moins singulièrement difficile. Nous sommes cernés, fit dire par un agent de liaison le maître Finolleau. Huit hommes de la 3e escouade, avec l’enseigne Poisson et le capitaine Béra, prévenu au passage, coururent aussitôt vers le cratère. Comme le maître Finolleau leur expliquait la situation, un coup de feu partit du créneau, qui était à 50 mètres à peine, et le tua raide. Le boyau, à demi effondré déjà, s’en trouva complètement obstrué. Il était à craindre que l’ennemi ne profitât de cet incident pour enlever le cratère où le deuxième maître Le Glas était bloqué avec sa demi- section : le capitaine Béra partit donc chercher du renfort, cependant que, sous un déluge de bombes, de grenades et de balles, les huit hommes demeurés avec l’enseigne Poisson travaillaient au dégagement et à l’approfondissement du boyau, seule manière de le soustraire aux vues de l’ennemi. Sur ces huit hommes, sept étaient par bonheur, comme leur lieutenant, des anciens de Dixmude, et aucun d’eux, dit celui-ci, n’aurait voulu lâcher pied. Besogne peu commode cependant. A chaque instant il faut bondir à droite, à gauche, ou se coucher lorsque la bombe arrive. Ce manège dure une heure un quart pendant laquelle on a la sensation d’une vie intense, décuplée pour ainsi dire. Au bout de ce temps le corps est dégagé, le boyau approfondi, la communication rétablie. Contrairement à l’attente générale, les Boches n’ont pas attaqué ; le maître fusilier Thomas, qui remplacé provisoirement le premier maître Finolleau, prend le commandement de la demi-section terrée dans le cratère. Le reste de la journée se passe dans un calme relatif. A la nuit seulement les bombes et les grenades recommencent leur charivari. Les bombes démolissent plusieurs gourbis, renversent des piles de sacs ; un homme est pris sous un éboulement. Plus de peur que de mal au demeurant et, à 3 heures du matin, le 31 janvier, quand la 9e compagnie, la plus exposée du bataillon, fut relevée par les tirailleurs, elle s’en tirait au total avec 3 tués et 14 blessés.

Ce devait être d’ailleurs, jusqu’en novembre, l’unique contribution des fusiliers marins aux opérations contre la Grande-Dune et, le 1er février, en rentrant à Coxyde, où ils cantonnaient, le bataillon Bertrand et le bataillon de Jonquières avaient la surprise d’y retrouver les autres éléments de la brigade qui venait d’être affectée, à titre définitif, au groupement de Nieuport.

 

 

 



[1] Elle restera au repos, disait cet ordre signé Weygand, dans la région de Fort-Mardyck-Saint-Pol-sur-Mer, à la disposition du général Foch, adjoint au général commandant en chef. Pour la discipline et le service général, elle sera sous les ordres du général gouverneur de Dunkerque (Bidon) ; en ce qui concerne les ravitaillements, elle continuera à être rattachée à la D. S. de Dunkerque, à qui elle adressera ses demandes. Ajoutons qu'on avait songé d’abord à envoyer dos navires à Dunkerque pour loger les fusiliers marins. Par lettre du 7 janvier à l’amiral Ronarc’h, le général d’Urbal, commandant la 7e armée, faisait connaître de la part du général en chef qu’il était impossible de donner suite à ce projet.

[2] Désigné les 9e et 11e compagnies pour le premier départ ; les 10e et 12e pour le second. L'amiral passe en revue, à 14 h. 30, les 9e et 11e compagnies en tenue de campagne. Reçu dans la soirée un complément d'effets d'habillement et d’objets d’équipement. Le lieutenant de vaisseau de La Fournière, arrivant de Paris, est adressé au bataillon pour prendre le commandement de la 11e compagnie en remplacement du lieutenant de vaisseau Roux, évacué pour raisons de santé. (Journal de marche du commandant Bertrand.)

[3] Aimable accueil du général que je trouve en conférence avec le général de division Hély d’Oissel, que je connais déjà, puisque nous étions sous ses ordres à Steenstraëte, et le général de brigade de Buyer, sous les ordres directs duquel je vais me trouver. (Journal de marche du commandant Bertrand.)

[4] Ordre général n° 32, du 17 décembre 1914 :

Depuis trois mois, les attaques violentes et désespérées des Allemands ont été impuissantes à nous rompre. Partout nous leur avons opposé une victorieuse résistance.

Le moment est venu de profiter des faiblesses qu'ils accusent, alors que nous sommes renforcés en hommes et en matériel.

L'heure des attaques a sonné. Après avoir contenu l’effort des Allemands, il s’agit maintenant de le briser et de libérer définitivement le territoire national envahi.

Soldats ! La France compte plus que jamais sur votre valeur, votre énergie, votre volonté de vaincre à tout prix. Vous avez déjà vaincu sur la Marne, sur l’Yser, en Lorraine et dans les Vosges ! Vous saurez vaincre encore jusqu'au triomphe définitif.

Signé : J. JOFFRE.

P.-S. — L’ordre général ci-dessus doit être porté à la connaissance de toutes les troupes, mais il ne doit pas être communiqué à la presse ni divulgué dans le public.

[5] Principaux faits de guerre du 5 janvier au matin au 15 janvier au soir.

[6] Expression du commandant Louis, chef d’état-major de l’amiral Ronarc’h.

[7] Le major du cantonnement est un fort aimable chef d’escadron de cuirassiers, le commandant Lambert de Sainte-Croix, qui se met en quatre pour nous aider. Il nous lait conduire aux villas où devront être logés nos hommes, car ce sont des villas sur la plage, Coxyde-Bains étant, comme son nom l’indique, une station balnéaire qui doit être charmante l'été. Nos hommes occupent les rez-de-chaussée des villas dont les .étages supérieurs sont réservés aux fusiliers belges. (Journal de marche du commandant Bertrand.)

[8] Henri MALO, les Corsaires dunkerquois.

[9] Carnet du docteur L. G...

[10] V. les Principaux faits de guerre.

[11] V. dans Avec nos troupes de l’Ouest, du Dr Vaux, le passage sur les engins dits bouteilles dont les Boches commencent à se servir contre nous dès septembre 1914.

[12] C'est le 17 octobre 1914 (circulaire du G. Q. G. n° 3911, signé Belin) qu’on s'aperçoit officiellement pour la première fois que l’ennemi tire un excellent parti décisif des treillages en fil de fer, hauts de deux mètres environ, etc. Nos troupes (5e A. Attaque du bois de la Ville-au-Bois) se sont heurtées à une organisation de ce genre (treillages cloués aux arbres) et on en recommande l’emploi à nos officiers.

[13] D'un document allemand trouvé sur un prisonnier capturé à Hooge et communiqué par l’armée britannique (29 septembre 1915), il semble que les fougasses aient commencé seulement d'être employées vers cette époque en avant des tranchées allemandes où on les faisait exploser par une mise de feu électrique (câbles enterrés au fond des boyaux).

[14] Au début de la guerre de position, nous ne disposions que d’un petit nombre de minnenwerfer et ni les cadres inférieurs, ni les cadres supérieurs de notre infanterie n'étaient bien fixés sur leur utilisation. Les français, qui en étaient complètement dépourvus, ont eu naturellement fort à souffrir des violents effets de ces engins... (Document allemand du 4 juillet 1915.) Ces minnenwerfer divisés en lourds et légers, rayés ou lisses, et fabriqués spécialement pour la guerre de position, avaient une portée maxima de 1.050 mètres ; les minnenwerfer de fortune (behel famessige), fabriqués par les armées elles-mêmes, portaient de 60 à 450 mètres.

[15] Carnet du docteur L. G...

[16] Cité à l’ordre de l'armée avec ce motif : Enseigne de première classe Bellay (L.-B.), officier consciencieux et capable, affecté à la brigade de fusiliers marins, a été grièvement blessé le 26 janvier 1915. A subi l’amputation de la cuisse gauche.

[17] L’opération devait avoir lieu le 27, mais, le 26 au soir, sur le pont Joffre, le commandant de tirailleurs M... et deux de ses capitaines furent gravement touchés : ils devaient conduire l'attaque. Tout semblait remis sine die. Le lendemain arrivait l’ordre impératif : on attaquerait malgré tout, le 28, à la première heure. (Henri CHÉRON, Témoignage d'un converti.)

[18] Ancien P. C. du commandant Jacquot, que le général avait emprunté pour la circonstance.

[19] Quatorze mille coups au total, d’après le commandant Louis, 6.400 d’après le commandant Bertrand (4 coups à la minute par pièce, 80 pièces et deux fois dix minutes de tir).

[20] Les tirailleurs de la brigade marocaine chargent. Ils bondissent baïonnette haute, tendant vers la Grande-Dune leurs faces étranges, brûlantes d’ardeur, leurs têtes basanées de sémites aux nez immenses ou de métis nègres aux nez aplatis : leurs turbans bizarres, aux couleurs imprévues, jauno-safran, contrastent avec leurs capotes gris-bleu qui tournent au verdâtre ; les fourreaux rouillés de leurs baïonnettes battent leurs pantalons de velours à côte... (André FRIBOURG, Croire.)

[21] Carnet du docteur L. G...

[22] Parmi eux deux officiers, l’un en casque à pointe, l’autre en casquette d'officier de marine. Il paraît que ce dernier a traîné sur ses épaules son premier maître blessé. C’est plus marin et moins boche que la tradition suivie jusqu’ici. (Poisson.)

[23] V. les chiffres officiels donnés par les Principaux faits de guerre.

[24] Quinze mois de brigade, manuscrit par M. Dévissé, officier des équipages, qui des tranchées du phare assistait à l’attaque.

[25] Je l’ai vu un jour dans sa cave, ce vieux colonial à la barbe de fleuve... Lui qui connaissait le terrain, il considérait, paraît-il, cette attaque comme une folie. Dupoucy le montre au téléphone, recevant d'instant en instant les bonnes et mauvaises nouvelles, réclamant des renforts qu’on lui refusait ; la mort dans l’âme, ordonnant de tenir ; enfin prenant sur lui de faire replier ses hommes. Il a pleuré ses pauvres tirailleurs. (Henri Ghéon, ibid.)

[26] Un joli Gascon de la vieille France... Il n’était pas là pour combattre ; il n’a pu se tenir au moment de l’assaut : c’est lui que j’ai vu sur la crête... — ... J’ai vu cinq ou six (tirailleurs), au moment de passer la crête, conduits par un héros sans armes qui les appelait et les pressait... Il n’est pas mort, mais peu s’eu faut. (Henri Ghéon, ibid.) Le capitaine de Juignac expira en effet dans la soirée. Le matin de l'attaque, M. Ghéon l’avait rencontré dans la Grand'Rue de Nieuport se rendant aux tranchées de la dune pour surveiller l'exécution de notre plan ; il était drapé dans une toile jaune serin et tenait en guise d’épée ou de canne, une de ces petites bêches munies d'une poignée de bois, telle qu’on en voit aux mains des enfants sur les plages. Moins d’une heure après, le capitaine à la petite bêche tombait dans le combat, victime de son enthousiasme.

[27] Journal du commandant Bertrand.

[28] Pendant ce temps, le bataillon de Jonquières ôtait porté dans les tranchées du sous-secteur sud que commande maintenant le commandant Jacquot, tout le secteur étant commandé par le lieutenant-colonel de Metz, du 7e tirailleurs. (Journal du commandant Bertrand.)

[29] Sauf cependant à la section de mitrailleuses. ... Réveillé à 3 heures, on vient me dire que les armements de notre section de mitrailleuses ont été décimés : un fusilier tué, les deux quartiers-maîtres chefs de pièce blessés, un autre homme blessé. (Journal du commandant Bertrand.)

[30] Troupes occupant le sous-secteur nord : les quatre compagnies du bataillon, une section de chasseurs cyclistes, une compagnie d’infanterie territoriale et trois sections de mitrailleuses (marins, dragons et hussards). (Journal du commandant Bertrand.)