HISTOIRE DES PERSES

LIVRE SIXIÈME. — LES ARSACIDES. SIXIÈME FORMATION DE L'IRAN.

CHAPITRE IV. — NOMENCLATURE DES GRANDS ROIS ARSACIDES.

 

 

C'est seulement après avoir apprécié le sens de ce qui précède que l'on peut estimer à sa juste valeur le rôle des Grands Rois dans l'Iran tel que les Parthes l'avaient reformé. L'empire, considéré en lui-même dans cette sixième formation, s'étendait depuis l'Hyphase jusqu'à l'Asie Mineure dans la direction de l'est à l'ouest ; il embrassait tout aussi bien la Susiane et les cantons arabes avoisinants que l'Arménie et le Pont, et étendait son influence, sinon son action directe, jusque sur les colonies grecques de la Propontide ; au nord il longeait la rive caucasienne et remontait au delà du Palus-Méotide jusque dans les régions du bas Volga, et contournant la Caspienne, redescendait vers la Sogdiane en touchant encore à des lieux très-éloignés dans la direction de la frontière chinoise. Assurément cette dilatation ne fut pas permanente ni simultanée ; elle n'implique pas non plus l'idée d'une unité territoriale ; et les Grands Rois furent très-indirectement intéressés dans cette extension extraordinaire du pouvoir de la race. Aux époques les plus brillantes, ils ne furent ni les maîtres ni même les gouvernants de ce grand nombre de régions qui à peine peuvent être considérées comme formant une réunion fédérative, en tout cas très-peu homogène, et par conséquent ce qu'il y eut de moins considérable dans l'Iran à l'époque arsacide, ce fut le suzerain arsacide.

Ce chef nominal, placé dans une situation incertaine, précaire, ne possédant pas une hérédité légale régulièrement définie et ne pouvant que désigner, non pas toujours déterminer son successeur, il en résulta que plusieurs noms royaux n'acquirent jamais une consécration complète ; de là l'incertitude du catalogue sur beaucoup de points. Comme les souverains, alors même qu'ils avaient été reconnus par le parlement, dépendaient toujours de fidélité et de l'inconstance d'une foule de rois secondaires, ils cessaient assez souvent d'être des Grands Rois pour tomber au rang de dynastes comme leurs associés, se trouva aussi que le Grand Roi de tel groupe de princes ne fut pas le Grand Roi de tel autre, et la guerre presque permanente entre les prétendants ne se termina pas toujours à l'avantage de celui qui d'abord avait été le plus en vue. Il est donc impossible de décider de la valeur comparative des droits et même des situations dans un pays et dans un temps ou il n'existait pour légitimer l'occupation du trône suprême que deux conditions valables, possédées par bien des compétiteurs à la fois : être issu de race arsacide et se faire admettre pour le plus fort. Les historiens varient donc sur le nombre des Grands Rois, il n'en saurait être autrement.

Le Shah-nameh donne une liste royale extrêmement courte :

Ashek, issu de Kobad

Aresh, issu des Kéyaniens

Shahpour, issu de Key-Khosrou-Cyrus

Kow, issu des Kéyaniens

Kouderz, issu des Ashkans

Kezry, issu des Kéyaniens

Byjen, issu des Kéyaniens

Ardévan, issu des Kéyaniens

Nersey, issu des Kéyaniens

Behram, issu des Ashkans

Ourmouzd le Grand, issu des Kéyaniens

Ardévan le Grand, issu des Ashkans

Ferdousy fait d'ailleurs observer qu'outre ces douze princes il en a encore existé d'autres ; mais, ajoute-il, comme on ne connaît pas exactement leur filiation et que leurs actions n'ont rien eu de mémorable, il n'y a pas lieu de les mentionner. Il sait leurs noms, mais les Annales des rois n'en disent rien.

Cette déclaration n'a d'autre portée que de montrer le peu de goût du poète pour un sujet monotone ; les Arsacides avaient certainement laissé leurs noms et même quelque chose de leur histoire dans les livres existants au temps

e Ferdousy, puisque les historiens en prose sont plus complets sur cette matière que le Shah-nameh.

Ce livre ne se fait aussi aucun scrupule d'intervertir l'ordre de la succession des princes. Cette licence est indiquée par le pêle-mêle des descendants des Kéyaniens et des Ashkans. Ce qui vaut cependant la peine d'être remarqué, c'est la façon dont les deux dynasties arsacides sont expliquées. La première est donnée pour la continuation des anciens rois iraniens, la seconde seule est vraiment Arsacide. Les annalistes, qui distinguent aussi avec soin des deux branches, nomment d'ordinaire la première celle des Ashkans et la seconde celle des Ashghans.

Le Rouzet-Esséfa constate l'existence de nombreuses contradictions dans cette partie des chroniques iraniennes, et propose avec hésitation la liste que voici :

Ire DYNASTIE. — ASHKANS.

Ashek.

Fyrouz, fils d'Hormouz.

Shahpour, fils d'Ashek,

Balash II, fils d'Hormouz.

Behram, fils de Shahpour.

Khosrou, fils de Balash II.

Balash Ier, fils de Behram.

Balash III, fils de Balash II.

Hormouz, fils de Balash.

Ardévan Ier.

Anoush, fils de Balash.

 

IIe DYNASTIE. — ASHGHANS.

Ardévan II.

Byjen, fils de Kouderz.

Balash, issu d'Ashghan.

Kouderz II, fils de Byjen.

Kouderz Ier, fils de Balash.

Ardévan III, fils de Nersy.

Ainsi, au dire de Myrkhond, il y eut à peu près dix-sept rois. Le Tarykh-è-Djéféry indique le même nombre un peu différemment, et ne tient pas compte de la division en deux branches. Voici sa liste :

Ashek, fils de Dara ou Darius Codoman.

Ardévan Ier.

Shahpour.

Ardévan II.

Behram.

Khosrou II.

Khouderz Ier.

Bahféryd.

Houroumouzd.

Béloush.

Khouderz II.

Khouderz III.

Fyrouz.

Nersy.

Hormezdan ou Hormouz II.

Ardévan III.

Amourdou-Khosrou Ier.

 

17 rois.

L'Habyb-Oussiyer de  Khondemyr offre des variantes :

Ire DYNASTIE — ASHKANS.

Ashek, fils de Dara ou Darius Codoman, ou d'Ahskan, fils de Dara.

Fyrouz, fils d'Hormouz.

Shahpour, fils d'Ashek.

Balash, fils de Fyrouz.

Behram, fils de Shahpour.

Khosrou Ier, fis de Balash, fils de Nersy.

Balash, fils de Behram.

Balashan, fils de Fyrouz.

Hormouz, fils de Balash.

Ardévan Ier, fils de Balashan.

Nersy, fils de Balash, appelé aussi Anoush.

 

IIe DYNASTIE — ASHGHANS.

Ardévan II, fils d'Ashegh.

Byjen, fils de Kouderz Ier.

Khosrou II, de la même famille

Kouderz II, fils de Byjen.

Kouderz Ier fils de Balash, id.

Ardévan III, fils de Nersy.

18 rois.

Le Kholasset-è-Akhbar présente un autre système :

Ire DYNASTIE. — ASHKANS.

Ashek, fils de Dara

Nersy-Anoush II, fils de Balash

Shahpour, fils d'Ashek

Fyrouz, fils d'Hormouz II

Behram, fils de Shahpour

Balash II, fils de Fyrouz

Balash Ier, fils de Behram

Khosrou, fils de Balash, fils de Nersy

Hormouz Ier, fils de Balash

Balashan IV, fils de Fyrouz, fils d'Hormouz

Balash II, fils de Behram

Ardévan Ier, fils de Balashan

Hormouz II, fils de Balash

 

IIe DYNASTIE. — ASHGHANS.

Ardévan II, issu des Ashghans

Byjen, fils de Kouderz Ier

Ferd, issu des Ashghans

Kouderz II, fils de Byjen

Balash V, issu des Ashghans

Nersy III, fils de Byjen

Kouderz Ier, fils de Balash V

Ardévan III, fils de Nersy

22 rois.

L'ordre suivant est donné par le Tarykh-è-Tégéry sans distinction de branches :

Ashek Ier, fils de Darab ou Darius Nothus

Ashek II, fils de Behram

Behram, fils d'Ashek

Khouzer Ier le Grand, issu d'Ashghan

Hormouz, fils de Balash

Djouderz, fils de Fyrouz

Fyrouz, fils de Wahès

Hormezdan, fils de Balash

Khosrou Ier, fils de Marhezdan

Khosrou III, fils de Fyrouz

Ardévan Ier le Grand, fils de Ryzdévan

Ardévan II, issu d'Ashegh

Khosrou II, issu d'Ashghan

Khouderz III, issu d'Ashegh

Balash II, issu d'Ashghan

Ardévan III, issu d'Ashegh

Résy, issu d'Ashghan

 

17 rois.

Le Bedjdjet-Attéwarykh propose un catalogue moins étendu :

Ashek, fils de Dara ou Darius Codoman

Khosrou

Ashek II, issu des Ashkans

Balash

Shahpour, idem

Hormouz, fils de Fyrouz

Bézar

Kosrou II, fils de Fyrouz

Djoudrez Ier le Grans

Azdéran Ier

Tersy, issu d'Ashkan

Kezry

Khouderz le Jeune

Azdéran II

Hormouz

 

15 rois.

Enfin, pour terminer, le Tjéhar-è-Tjémen, qui se réserve surtout à l'autorité d'un ancien livre parsy intitulé Bastan-nameh, présente la série suivante :

Ire DYNASTIE. — ASHKANS.

Ashek Ier, fils de Dara-Darius Codoman

Noush, fils de Pélash

Ashek II, fils d'Ashek Ier

Fyrouz, fils d'Hormouz

Shahpour, fils d'Ashek II

Pélash II, fils de Fyrouz

Behram, fils de Shahpour

Khosrou, fils de Pélash II

Pélash Ier, fils de Behram

Pélash II, fils de Fyrouz

Hormouz, fils de Pélash

Pélash IV, fils de Pélash III

Nersy, fils de Pélash

Ardévan Ier, fils de Pélash IV

IIe DYNASTIE. — ASHGHANS.

Ardévan II

Kouderz II, fils de Byjen

Pélash V

Nersy Ier, fils de Kouderz Ier

Kouderz Ier, fils de Pélash V

Nersy II, fils de Nersy

Byjen, fils de Kouderz

 

21 rois.

La chronologie latine fixe à quatre cent quatre-vingt-trois ans la durée de la domination des Parthes. Le Tarykh-è-Djéféry, s'éloignant également de l'assertion de Ferdousy, qui borne ce laps de temps à deux siècles, et de celle du Bedjdjet-Attéwarykh, qui le porte à cinq cent quatre-vingt-sept années, se rapproche assez de la vérité, en admettant qu'entre la mort d'Alexandre et la fin des Arsacides il y ait cinq cents et quelques années. Ce calcul peut passer pour exact si l'on compare à ce chiffre les deux hypothèses de Justin qui donne quatre cent quatre-vingt-trois ans, de Moise de Khoren et de Samuel d'Arie qui en présentent quatre cent soixante-seize, et il faut y ajouter le temps écoulé entre la mort d'Alexandre et l'avènement d'Arsace Ier, c'est-à-dire soixante-treize ans : on a en effet dès lors pour la supputation de Justin cinq cent cinquante-six ans et pour celle des auteurs arméniens cinq cent quarante-neuf, ce qui ne s'éloigne pas beaucoup de la date de cinq cents et quelques années approximativement fournie par le chronographe arabe, et celui-là me parait avoir d'autant plus raison qu'il est plus vague, car j'ai déjà dit qu'il était impossible d'assigner un moment exact à la révolte et au triomphe du premier Arsace sur Antiochus Théos ; et j'ajoute maintenant que d'une part on n'est pas d'accord sur la date de la mort d'Alexandre ; que de l'autre on ne l'est pas davantage sur le début de l'ère séleucide, et enfin que l'avènement d'Ardeshyr-Babegan et la fin de la dynastie arsacide ne sont pas moins impossibles à déterminer rigoureusement. Nous nous bornerons donc à admettre que la durée totale de la monarchie parthe fut de quatre cent soixante ans environ.

Parmi les auteurs orientaux que nous avons cités, quatre fixent le nombre des Grands Rois à dix-sept. Ferdousy en nomme douze, mais en ajoutant qu'il y en eut davantage. Le Bedjdjet-Attéwarykh en admet quinze, le Tarykh-è-Tébéry vingt-deux, et le Tjéhar-è-Tjémen vingt et un. C'est là le maximum. Moïse de Khoren ne connaît que quatorze Grands Rois. Il faut se rappeler que cet auteur a puisé ses renseignements dans les archives d'Édesse, dans l'histoire composée par le fameux hérésiarque syrien Bardesanes, qui écrivait au deuxième siècle ; dans les écrits de l'évêque de Cappadoce Firmilianus, qui est de la fin du troisième ; dans l'ouvrage d'Agathangelos, secrétaire du roi saint Tiridate, et dans d'autres sources également pures abondantes et bonnes, et très-rapprochées des faits.

Évidemment la vérité est dans ces chiffres restreints, de quelque manière que l'on veuille se l'expliquer, et on n'a pas le droit de mettre de côté l'opinion d'auteurs inspirés à des sources contemporaines pour y substituer des combinaisons hypothétiques qui aboutissent a la construction de listes royales portant trente noms et même davantage. On essaye de justifier cet excès en assurant d'une part que si quatorze rois ont rempli un intervalle de quatre cent soixante ans environ, chacun d'eux aura régné en moyenne trente-deux ans, ce qu'il est difficile d'admettre ; puis, et c'est là le grand argument, on présente la série des monnaies des Arsaces, et l'on assure que l'examen des effigies révèle beaucoup plus de souverains que nous n'en voulons admettre ici.

Il y a deux réponses à faire. Prenons d'abord la première objection. De l'aveu de tous les numismates, six ont eu des règnes d'une longueur considérable ; ce sont :

Tiridate, 37 ans

Phraate II, 37 ou 41 ans

Mithridate Ier, 30 ou 37 ans

Pacore, 30 ou 31 ans

Mithridate II, 32 ou 36 ans

Vologèse III, 42 à 44 ans

Ce qui remplit déjà une période de deux cent huit ou deux cent vingt-six ans sur les quatre cent soixante. Il ne resterait donc plus que deux cent trente-quatre ans à partager entre huit rois, si l'on s'en tenait rigoureusement au chiffre de Moïse de Khoren, et la moyenne du règne de ces princes tomberait à vingt-neuf ans. Or, parmi eux, ceux qui paraissent tout à fait incontestables ont régné :

Arsace Ier, 2 (?) ans

Orode, 17 ans

Artaban Ier, 5 ou 20 ans

Artaban III, 27 ans

Phraate Ier, 10 ou 8 ans

Vologèse IV, 17 ans

Artaban II, 6 ou 9 ans

Vologèse V, 18 ans

On obtient donc pour total de ces huit règnes cent deux ou cent treize ans, ce qui, retranché de deux cent trente-quatre ans, ne laisserait plus que cent trente et un ans à peu près à partager entre les interrègnes extrêmement fréquents et longs dans l'empire arsacide, et pendant la durée desquels il n'y avait pas de Grand Roi, précisément parce qu'il y avait trop de compétiteurs et pas assez de résolution parmi les rois secondaires. Ainsi le chiffre quatorze donné par Moise de Khoren, en supposant qu'on voulût rigoureusement s'y tenir, et qui, par la nature des choses, n'est d'ailleurs pas nécessaire, n'aurait en lui-même rien d'inadmissible.

Ensuite, en ce qui concerne la grande diversité des effigies sur les médailles arsacides, on peut en induire seulement que le nombre des prétendants battant monnaie a été considérable. On le savait déjà certainement ; mais ce qu'un prince se donnait les prérogatives d'un souverain établi et reconnu, dès le premier moment où il affichait ses intentions, il ne s'ensuivait nullement que le fait se trouvât conforme à l'apparence. Tel s'est dit Grand Roi, en a pris le titre, a battu monnaie, qui n'a jamais été avoué par les assemblées constituantes, et qui partant ne l'a jamais été régulièrement et ne saurait figurer aux catalogues. Ici donc la numismatique ne prouve rien, battre monnaie étant la première action de tout chef asiatique revendiquant une couronne, mais cette action ne suppose pas nécessairement le succès. Je vais maintenant m'efforcer de déterminer par les faits, autant que cela est possible, le degré de légitimité de chacun des personnages présentés par l'histoire avec le titre de Grand Roi.

Dans Ashek on reconnaît facilement Arsace Ier. Les annalistes gréco-romains le disent fils d'un autre Arsace et petit-fils de Phraapate. Les Asiatiques donnent à ces deux descendants directs et immédiats les noms de Shahpour et d'Ardévan. Suivant eux, Ashek s'insurgea contre les Séleucides cinquante ans après la mort d'Alexandre, tandis que les Occidentaux veulent que ce soit soixante-sept ans et même soixante-treize ans. Pour les Orientaux il régna douze ans, et deux seulement pour nos auteurs. Cependant, d'après Justin, il mourut dans une vieillesse très-avancée, ce qui permet de croire qu'il fit longtemps la guerre contre ses rivaux. Comme il n'y a jamais eu de royauté iranienne sans monnaies, il faut attribuer à ce roi les drachmes portant à l'avers une tête coiffée du bonnet parthe que l'on donne ordinairement à son successeur. Plusieurs ont la physionomie d'un homme de vingt-cinq à trente ans, d'autres celle d'un vieillard.

A Arsace succéda Tiridate. Les listes orientales placent presque toutes Shahpour à ce rang. Deux seulement y mettent un Ashek II. Il est vraisemblable pourtant que si le prince ainsi désigné ne porte pas seulement son nom de famille, il faut l'écarter. Le Tjéhar-è-Tjémen, de son côté, ne considère pas le nom de Shahpour comme un nom véritable. Il ait remarquer que c'est seulement un titre signifiant fils de roi. Ainsi il admet que le prince régnant alors avait encore un autre nom, que d'ailleurs il ne produit pas.

L'histoire de Shahpour est brillante. Il était fils d'Ashek et monta sur le trône désigné par lui. Sa vertu était grande et sa valeur incomparable. C'était un astrologue excellent. Il avait épousé une Juive descendant du patriarche Joseph. Il lutta avec bonheur contre les rois de Syrie, les battit et leur enleva une partie des trésors d'Alexandre. Hamdoullah-Moustofy le fait régner six ans, Hafez-Abrou quarante-deux. Dans le cours de ses conquêtes, il fonda Modayn ou Ctésiphon.

Au dire des Grecs, Tiridate, qu'il faut évidemment identifier avec le fils de roi, était frère d'Arsace Ier. Il fut vainqueur des Séleucides et occupa le trône pendant quarante-deux ans d'un règne prospère.

Les Orientaux disent que Behram, successeur de Shahpour, était son fils. Il fonda Embar dans la Mésopotamie etun pyrée d'une grande magnificence. Il régna quinze ans ou onze ans.

Les Grecs sont également d'avis qu'Artaban Ier était fils de Tiridate-Shahpour. Il fit une campagne contre Antiochus le Grand, fut battu, bien que les rois secondaires lui eussent fourni une armée de cent mille hommes d'infanterie et de vingt mille cavaliers, et cessa dès lors d'être mentionné en Occident. Il mourut après un règne de quinze ans environ.

C'est vers l'époque d'Artaban Ier-Behram, et peut-être même un peu auparavant, qu'il faut placer une persécution des Juifs dans l'empire arsacide. Les auteurs musulmans ne l'expliquent qu'en faisant naître et mourir saint Jean-Baptiste à cette date un peu prématurée ; en considérant ses enfants d'Aresh comme les vengeurs du prophète, et une fois lancés sur cette pente, ils concluent à l'attaque, à la prise, à la ruine complète de Jérusalem et à un massacre général de Juifs beaucoup plus épouvantable, disent-ils, et plus complet que celui de Nabuchodonosor. Le récit d'ailleurs est embelli de menus détails : le ciel prit le parti des pieux Arsacides, et plusieurs des assassins du Précurseur, changés en singes, ne recouvrèrent leur forme naturelle qu'au bout de sept jours et moururent aussitôt.

Les historiens arméniens réduisent cette légende à des proportions très-petites en racontant qu'il y eut en effet une persécution dirigée contre les Juifs, et que le supplice de quelques-uns de ces religionnaires en fut la conséquence. Ce qui reste caché, c'est le motif d'une telle mesure dans un temps d'indifférence ordinaire de la politique pour la religion.

Le quatrième Arsacide des catalogues gréco-romains, est Phraapate. Justin rapporte qu'après un règne de quinze ans ce prince mourut en laissant deux fils qui parvinrent successivement à la couronne.

Le Rouzet-Esséfa donne la même durée au règne de Balash, fils de Behram-Artaban Ier. La différence de nom est ici moins importante qu'ailleurs, car le nom de Balash, écrit aussi Pélash, Balashan, Bélas, Wahès, et certainement identique à Vologèse, a été porté comme simple surnom par un grand nombre de rois Parthes.

Le Tarykh-è-Djéféry appelle Djouderz le père de Mithridate Ier ou Hormouz, et le suppose fils ou frère de Behram-Artaban Ier. Ainsi, suivant les Orientaux, le prince nommé Phraapate ou Priapate par les Grecs aurait été Djouderz-Balash, autrement dit Gotarzès-Vologèse.

Après Phraapate vient Phraate Ier. Tout ce que les Occidentaux en racontent se réduit à quelques victoires remportées sur les Mardes, et la durée de son règne, fort incertaine, a été calculée par les uns à dix ans, par les autres à sept. Le Tarykh-è-Djéféry est le seul livre qui place ici un Djouderz ou Gotarzès, fils de Pélash-Phraapate. Il le dit frère d'Hormouz ou Mithridate Ier. Seulement il le fait successeur et non prédécesseur de ce roi, ce qui pourrait s'expliquer par une lutte entre les deux frères et des alternatives de succès et de revers. La durée de ce règne est également incertaine ici comme chez Justin.

Mithridate Ier est incontestablement l'Hormouz, Houroumouzd ou Hormezdan, des généalogies asiatiques. Le Tjéhar-è-Tjémen donne à ce nom la signification de Seigneur des seigneurs, et le soleil est, dit-il, le seigneur du premier jour de chaque mois. Le soleil est aussi Mithra. Mithradata et Ormezdan ont la même signification : donné par le dieu Soleil.

Les Orientaux ont une très-haute opinion des exploits d'Hormouz ; ils se bornent cependant à en dire que ce Grand Roi était surnommé Salar ou le général par excellence. Un jour qu'il était à la chasse, il rencontra une gazelle, et l'ayant poursuivie très-loin dans des montagnes désertes, il arriva avec sa suite à l'entrée d'une caverne où l'animal se réfugia. Il mit pied à terre, et pénétrant dans l'antre qui s'ouvrait devant lui, il trouva à une portée de flèche quatre tables. Sur chacune était un vase, sur chaque vase un bassin d'or, au milieu de chaque bassin une coupe de diamant, et au centre du tout était posée une tablette portant une inscription en caractères hébraïques qui signifiait que là était le trésor de Férydoun.

Hormouz, après avoir considéré ces choses, quitta la caverne, et ayant rejoint son armée, raconta à ses soldats ce qu'il avait vu, les amena auprès des richesses de l'ancien monarque et leur partagea le tout généreusement. Hormouz régna quarante ans.

Moïse de Khoren donne pour frère à Mithridate un certain Vagharshak, qui fut le premier roi arsacide de l'Arménie. Son opinion parait préférable à celle de Jean Catholicos, pour lequel Vagharshak était le frère d'Arsace Ier. Du temps de ce premier des Arsacides, la famille n'était pas encore assez puissante pour songer à de telles conquêtes.

Les annalistes de l'occident font de Mithridate un très-illustre souverain ; auquel ils attribuent, les uns trente, les autres trente-sept ans de règne. Son frère, avant de mourir, l'aurait désigné comme son successeur à cause des grandes et belles qualités qu'il lui avait reconnues, et l'aurait pour ce motif préféré à ses propres fils ; ainsi s'expliquerait le titre de Philadelphe que prend Phraate Ier sur les monnaies. Mais, à part l'estime que Phraate Ier pouvait faire du mérite incontestable de Mithridate Ier, il n'est pas impossible non plus qu'il ait montré pour lui une affection plus forte, et qu'il l'ait même indiqué comme devant porter la couronne après lui, par la raison plus péremptoire que Mithridate était en situation de se passer de son consentement.

Ce roi fut le premier des Arsacides qui donna réellement de la puissance à la confédération des princes. Il battit les Séleucides d'une façon plus décisive que ses prédécesseurs. Il poussa ses conquêtes dans les provinces indiennes, annexa la Médie, la Perside, la Susiane et l'Arménie, fief de son frère Vagharshak, prit Séleucie et étendit les frontières de l'Iran jusqu'à la ligne du haut Euphrate. Il s'occupa aussi de l'administration civile, fit codifier les lois des différentes parties de l'empire, et, dans toutes ses opérations, usa d'autant de modération et de retenue que de vigueur. Il parait qu'il ne chercha en aucune façon a changer la constitution de l'empire, et exerça son activité dans le cercle légal sans essayer de le franchir et de se créer un pouvoir plus étendu. L'Élymaïde et l'Hyrcanie conquises gardèrent leurs dynasties nationales.

Nous avons dit tout à l'heure que Phraate Ier passait chez quelques auteurs asiatiques pour avoir été le successeur et non le prédécesseur de son frère Mithridate, et nous avons cherché à expliquer cette confusion. Moïse de Khoren rapporte un fait qui semble s'y rattacher. Il dit que lorsque Mithridate Ier fit la guerre à Antiochus VII, il ne commandait pas les troupes parthes en personne, mais qu'il employait contre le Séleucide un chef parthe nommé Pourad ou Phraate. Ce général a dû passer aux yeux des Grecs pour le roi suprême de l'empire arsacide ; et donner cours à l'opinion que Mithridate Ier, qu'ils ne connurent que plus tard, avait été son successeur.

A Mithridate Ier succéda, suivant les occidentaux, Phraate II, fils du prédécesseur, doué de grands talents militaires, d'une ambition effrénée, et qui fut massacré par des transfuges grecs après un règne de quatorze ans.

Le Tarykh-è-Djéféry, ainsi qu'on l'a vu tout à l'heure quand il a été question de Phraate Ier, nomme à cette place un certain Djouderz, fils de Pélash, et le dit frère de Mithridate Ier et son successeur. Tout en lui conservant ces qualités, le Rouzet-Esséfa le nomme Anoush ; la Chronique de Tébéry l'appelle Nersy. Le premier de ces ouvrages le fait régner onze ans, le second quatorze, le troisième dix-sept. Il est peu douteux, d'après ces concordances approximatives, qu'il s'agit d'un seul et même souverain, parent très-proche de Mithridate Ier, son frère vraisemblablement, et, dans ce cas, la phrase de Justin qui affirme que ce frère a régné à son tour trouve sa justification sans qu'il soit besoin d'admettre l'existence d'un Phraate prédécesseur de Mithridate.

Ce frère ou fils de Mithridate que l'on voit ainsi appelé Djouderz, Anoush ou Nersy, a encore un autre nom dans les Annales de Djéféry : c'est Iran. L'annaliste ajoute qu'il conquit la Syrie, c'est-à-dire les provinces de l'Euphrate, et ce fut en effet le théâtre des victoires du Pourad de Moïse de Khoren.

Outre tout ce qui semble établir que Djouderz, Anoush, Nersy, Iran sont identiques à Phraate Ier, il reste encore un personnage à comprendre dans cette identification, et le nom de ce nouveau venu va consolider les arguments qui précèdent.

C'est Fyrouz. Ici on a Phraate bien clairement. Le Rouzet-Esséfa fait de ce prince non plus le frère ni le fils, mais le neveu de Mithridate et son successeur pour une durée de dix-sept ans que le Tarykh-è-Djéféry réduit à quinze. Fyrouz fut détrôné par ses peuples, exaspérés de la cruauté des gens de guerre. On lui creva les yeux, et il mourut bientôt après.

Après Phraate Ier se présente Artaban II, qui, suivant les Grecs, aurait été un troisième fils de Phraapate et n'aurait possédé le trône que pendant cinq ou six ans, employés à guerroyer contre un prince parthe nommé Hymérus et contre les tribus scythes du Nord.

Le Rouzet-Esséfa met ici Balash, fils d'Hormouz-Mithridate Ier. Il le montre agrandissant les États arsacides, mais surtout établi dans l'Elbourz et occupé à peupler le pays. Balash régna douze ans, et, ce qui est un point de repère, il laissa la régence de l'empire à un de ses cousins qui n'est pas nommé ; ce cousin pourrait bien avoir été Hymérus.

En effet Artaban II, déjà vieux lorsqu'il arriva à la couronne, puisqu'il était fils de Phraapate, après lequel avaient régné Phraate Ier et Mithridate Ier, dans quelque ordre que l'on veuille admettre la succession de ces deux princes, Artaban II, dis-je, trouva son compétiteur Hymérus reconnu dans les provinces du Sud et dans une partie de celles de l'Est. M'accepta pour collègue. Ce fut, à ce qu'il semblerait, le premier exemple d'un partage qui se renouvela dans ce gouvernement tourmenté.

Le Tarykh-è-Djéféry apporte son témoignage à l'existence d'Artaban II en qualité de Grand Roi. Il l'appelle tantôt Khosrou, fils d'Hormezdan, tantôt Amardou ou Mardou, ce qui peut très-bien n'être qu'une faute de copiste pour Ardévan. L'annaliste ajoute, et ceci à son prix, que plusieurs auteurs donnent cet Artaban non pas pour le fils d'Hormezdan-Mithridate Ier, mais pour son frère, et il aurait régné après son neveu, ce qui rentre dans la donnée gréco-latine.

Mithridate II succède à Artaban II et règne trente-deux ans. C'est l'Hourmouz II du Bedjdjet-Attéwarykh, l'Hormezdan du Tarykh-è-Djéféry. Suivant l'usage trop répété des Orientaux, ce règne parait s'être confondu, pour la plupart des historiens, avec celui de son glorieux homonyme.

Ici se présente une série de quatre princes généralement admis par les numismates modernes dans le catalogue royal, mais certainement sans aucun droit. Ce sont Mnaskyrès, Synatrokès, Phraate III et Mithridate III. Il est impossible de voir dans ces personnages autre chose que des prétendants.

Mnaskyrès porte un nom qui n'a rien d'iranien. Jamais la Perse ne l'a connu. S'il était vrai qu'il eût été fils de Phraate Ier, il faudrait voir en lui le Khosrou du Bedjdjet-Attéwarykh, également donné comme fils de Fyrouz ; mais à la façon dont les faits relatifs à ce prince se présentent dans les auteurs occidentaux, on ne saurait même tenter une pareille assimilation. Mnaskyrès n'a pas de monnaie certaine. Il ne fit que passer, après avoir, dit-on, guerroyé contre son rival Synatrokès. Lucien raconte de lui qu'il parvint au trône à l'âge de quatre-vingt-seize ans et qu'il régna onze ans, ce qui le ferait mourir à cent sept ans. Tout ce qu'on peut induire de pareils renseignements, c'est que Mnaskyrès a pu exister en effet et jouer un rôle quelconque dans l'Iran, mais comme membre d'une dynastie secondaire non iranienne, et jamais il ne fut considéré comme Grand Roi.

Son compétiteur Synatrokès est le prince arménien Sanadroug, chef de la partie méridionale des territoires conquis par Vagharshak, et qui lui-même s'était emparé d'une partie importante de la Mésopotamie. Il se mêla avec ardeur aux troubles de l'empire, mais ne fut jamais Roi des Rois. On ne saurait, pas plus qu'à Mnaskyrès, son ennemi, lui assigner des monnaies certaines.

On doit dire la même chose du prétendu Phraate III. Tous les efforts tentés pour lui assigner des médailles restant très-hypothétiques, et l'on semble avoir cherché dans ce but parmi les médailles d'Orode Ier. Cependant ce personnage a vécu. On le connaît par une lettre que le roi de Pont lui adressa pour l'engager à agir contre les Romains. Il ne se laissa pas tout a fait entraîner et passa le temps à négocier, sauf en quelques occasions où il parut en Arménie, sans rien tenter de considérable, ce qui n'indique pas qu'il ait eu une grande puissance. Pompée, en lui écrivant, ne lui donnait pas le titre de Roi des rois, et aux yeux de Plutarque, ceci passe pour un trait d'orgueil de la part du Romain, surexcité par ses succès dans l'Arbélitide. Cette raison n'est pas bonne ; car si Phraate III avait été réellement le chef de la confédération parthe, il n'était que simple de lui accorder le titre officiel qui seul le distinguait, et Pompée, vainqueur si récemment des feudataires de la Médie et de l'Élymaïde, tandis que son lieutenant Afranius Guerroyait encore contre, les seigneurs gordyens, devait savoir à quoi s'en tenir à cet égard. Puisque Pompée ne donnait pas a Phraate la qualification par laquelle seule était désigné le magistrat suprême de la république arsacide, c'est qu'il en contestait la légitimité, et s'il la contestait, comme on ne voit nulle part que Pompée ait soutenu un autre prétendant, c'est que Phraate ne la possédait pas.

Sans donc retirer à ce dernier la qualité de prince arsacide, ni même celle de roi d'une partie quelconque des territoires unis, il n'y a pas lieu de considérer ce personnage comme successeur de Mithridate II, et j'en dirai autant de Mithridate III.

Les listes persanes n'admettent nullement ce prince, et ce que l'histoire romaine raconte de lui justifie pleinement leur silence. A peine était-il parvenu au trône, disent les auteurs de l'Occident, que son frère Orode s'empara du pouvoir. Orode, à la vérité, fut battu ; mais le sénat des Parthes, c'est-à-dire le parlement des feudataires, déposa immédiatement Mithridate, dit Justin, ce qui signifie que ce prétendant ne réussit pas à se faire reconnaître par la nation. Cependant on lui abandonna la Médie en fief, et comme il cherchait à reprendre la première place, il fut chassé et contraint de s'enfuir en Syrie auprès de Gabiénus, puis chez les Arabes.

Il y forma de nouveaux plans, et subitement s'empara de Séleucie et de Babylone au moyen des belliqueux amis qu'il s'était faits dans le désert ; mais là se termina sa carrière. Attaqué vigoureusement par Orode, il fut mis en déroute, pris et tué. Ces événements s'accomplirent dans un espace de temps qui ne saurait dépasser six années. Assurément le Mithridate dont il est ici question ne faisait pas mentir son sang ; mais ses constants efforts suivis d'aussi constants revers prouvent qu'il n'obtint jamais cette couronne sans laquelle il ne pouvait vivre, et qu'il ne doit pas figurer sur la liste des Grands Rois.

J'ajouterai que Justin confirme ce qui précède. Après Mithridate Ier, il place Phraate, puis Artaban II, puis Mithridate II, et passe immédiatement, comme nous le disons, à Orode.

Celui-ci est un des Arsacides les plus certains. Les numismates le font régner de l'an 54 à l'an 37 avant notre ère, par conséquent dix-sept ans. C'est l'Aresh de Ferdousy, le Khosrou II du Tarykh-è-Djéféry, qui lui accorde cinquante ans de domination ; mais si l'on observe que l'on répartit ordinairement trente-deux ans entre Mnaskyres, Synatrokès, Phraate III et Mithridate III, et que les trente-deux ans, retirés aux règnes inadmissibles de ses quatre prétendants pour être ajoutés aux dix-sept ans d'Orode, donnent à la durée de la souveraineté de ce dernier quarante-neuf ans, on aura, à peu de chose près, le chiffre attribué par le Tarykh-è-Djéféry au règne de Khosrou II.

Orode eut de grandes occasions de se signaler, et les mit à profit. Le secours que Gabinius avait fourni à Mithridate et les intrigues fomentées par les Romains lui donnaient tous les droits à attaquer les armées proconsulaires. Quand il eut repris Séleucie et Babylone et qu'il fut débarrassé de son frère, il fit front à l'ennemi, qui, de son côté, multipliait les préparatifs.

Gabinius avait remis son commandement à Crassus, qui, de sa propre autorité et sans autorisation de Rome, franchit l'Euphrate et ravagea la Mésopotamie. Un chef parthe nommé Silliké, gouverneur de la province, fut battu près du fort d'Ichnias, blessé et contraint de fuir. Crassus alla en avant, bien accueilli, dit-on, par les Grecs du pays, et cependant non sans exception, car Apollonius, seigneur de Zénodotia ; lui tua une centaine d'hommes, ce qui amena la destruction de la ville coupable ; puis, s'étant fait décerner par ses soldats le titre d'Imperator, Crassus rentra en Syrie au lieu de pousser plus loin ses avantages, et fut cause ainsi du désastre de Mithridate III, qui comptait sur lui.

Il revint l'année suivante. Orode lui fit demander si c'était en vertu d'un ordre de son gouvernement qu'il rompait les trêves, ou bien s'il n'agissait que de sa tête ; et ses envoyés ajoutèrent que si le général romain voulait se tenir en repos, on lui rendrait les garnisons laissées par qui l'année précédente dans quelques places de la Mésopotamie, et dont le chiffre total montait à sept mille hommes d'infanterie et mille de cavalerie.

Crassus répondit qu'il ferait savoir sa volonté dans Séleucie même, où il allait marcher tout droit. Avant que tu y arrives, répliqua Vagès, un des envoyés d'Orode, il poussera du poil dans le creux de ma main.

Cependant le proconsul se mit en route, et quelques-uns de ses soldats de Mésopotamie échappés des mains des Parthes vinrent le rejoindre, faisant des récits effrayants de la puissance de l'ennemi. Pourtant l'Arsacide d'Arménie, Artavasde, fils de Tigrane, arriva comme auxiliaire avec six mille cavaliers, annonçant qu'il allait fournir encore dix mille cuirassiers, appelés cataphractes, et trente mille fantassins ; de plus, tous les vivres nécessaires à armée romaine. Il recommanda à Crassus d'attaquer Orode par l'Arménie, terrain plus favorable aux manœuvres de l'infanterie occidentale. Mais Crassus préféra son premier plan, qui consistait à traverser la Babylonie, et Artavasde n'ayant pu le convaincre, rentra dans ses États en promettant de faire une diversion du côté du pays des Mèdes.

Orode avait divisé ses forces en deux. Avec une de ses armées, il fit face à son cousin d'Arménie ; avec l'autre, il envoya le souréna, ou général en chef de la confédération, pour arrêter Crassus, qui, ayant été rejoint par les troupes d'Abgar d'Édesse et par celles d'un prince arabe nommé Alchandonius, continuait à s'avancer dans les plaines. Il avait qu'Abgar n'avait pas la moindre intention de le servir, et au contraire le poussait de son mieux à compromettre son armée. IL lui persuada qu'Orode était en fuite et cherchait à gagner l'Hyrcanie ou le pays des Scythes, que le souréna et Silliké, dont on apercevait de temps en temps les escadrons, ne tentaient autre chose que de courir la déroute de leur souverain, et enfin qu'il fallait se hâter, afin d'arriver à temps pour prendre Orode et s'enrichir de ses dépouilles. Crassus, sensible à cette perspective, négligeait toute précaution et courait en avant. Il fut attaqué sur les bords du fleuve Babissen, affluent de l'Euphrate, et perdit du monde, son fils entre autres. Alors il s'effraya. Voulant battre en retraite, il fut poursuivi par toute la cavalerie parthe, fut détruit en détail et vint tomber lui-même près de Carrhes ou Harran. Son armée fut complètement détruite ; très-peu d'hommes réussirent à gagner la Syrie sous la conduite de Cassius. Ce qui ne fut pas massacré alla mourir captif dans la Margiane, à l'autre bout de l'empire ; comme je l'ai déjà raconté ailleurs, la tête de Crassus, séparée du tronc, figura dans la tragédie des Bacchantes jouée devant Orode et sa cour, au moment où arriva le messager qui apportait la sanglante dépouille.

Mais en même temps que Crassus périssait victime de ses imprudences, Orode lui-même avait attaqué Artavasde, qui, instruit de la mauvaise position de son allié, s'était empressé de faire la paix. Il donna sa fille en mariage Orode. Celui-ci, inquiet d'ailleurs de la grandeur du service que venait de lui rendre le souréna, fit mettre à mort ce général. Il avait d'ailleurs recouvré tout le pays situé à l'est de l'Euphrate. L'année suivante, il envoya en Syrie quelque peu de troupes pour la ravager ; Cassius les repoussa assez facilement ; mais en 51 avant notre ère, Pacore, fils d'Orode, avec une armée plus solide, passa le fleuve. Il avait pour conseiller un vieux chef parthe, nommé Osakès, qui donnait confiance aux soldats. Les gens du pays prirent le parti des Parthes contre les Romains, et toute la Cyrrhestique fut dévastée. Cicéron, alors commandant en Cilicie, se maintint assez bien. Cassius, enfermé dans Antioche, sauva la ville, que des corps presque uniquement composés de cavalerie ne pouvaient guère enlever. Dans une des sorties heureuses qu'il exécuta, Osakès fut tué. Cependant arriva Bibulus, nommé proconsul de la province ; il se fit battre dans le mont Amanus, et n'eut d'autre ressource que de se tenir à l'abri derrière les murs d'Antioche. Enfin les Parthes se retirèrent, Pacore ayant été rappelé comme devenu suspect à son frère, auquel Bibulus avait fait insinuer des soupçons sur la fidélité du jeune prince par l'entremise d'un certain Ornodapantès. Ainsi se termina d'une manière peu glorieuse pour Rome la première guerre que la république ait soutenue contre l'empire d'Iran.

Mais il en était résulté que les partis qui s'agitaient en Italie avaient conçu une estime assez haute d'une puissance capable de couper la tête à un proconsul et d'en forcer un autre à ne pas oser sortir d'une ville. En conséquence, lorsque Pompée commença à faire la guerre à Jules César, il envoya des ambassadeurs à Orode pour lui demander son appui. Orode voulut bien y consentir, mais la condition que la république lui céderait la Syrie. Cette concession étant impossible, on ne conclut rien ; cependant on ne se brouilla pas, car les Parthes se montrèrent toujours, dès cette époque, favorables au parti pompéien, et celui-ci en était si persuadé que son chef avait pensé un instant, après Pharsale, à se réfugier à Ctésiphon sûr d'y être bien accueilli. César, de son côté, eut l'idée d'attaquer les Parthes, et il avait même envoyé à Antioche Sextus César, son parent, avec une légion pour étudier le terrain. Ce projet fut pourtant écarté par d'autres soins plus graves, bien que le Grand Roi eût cédé, en 46 avant Jésus-Christ, aux sollicitations du Pompéien Cecilius Bassus et que ses soldats fussent rentrés en Syrie, d'où l'hiver les fit sortir, après qu'ils s'y furent comportés en maîtres.

Pourtant César supportait impatiemment l'attitude ouvertement hostile du gouvernement arsacide, et il venait d'obtenir un décret du sénat qui le mettait à la tête d'une armée contre les Parthes, quand il fut assassiné. Dolabella, son lieutenant, devenu consul après lui obtint pour le décret la confirmation du peuple, malgré le sénat qui ne s'en souciait plus, et se hâta d'arriver en Asie dans une tout autre idée que celle d'attaquer Orode. En effet, il surprit dans Smyrne Trébonius, qu'il fit massacrer. Déclaré immédiatement ennemi du peuple romain par le parti aristocratique triomphant, il fut attaqué par Cassius, que le sénat lui avait donné pour successeur, et qui marcha contre lui à la tête des légions de Cecilius Bassus et de Statius Murscus, soutenus par un corps auxiliaire d'archers parthes. Cerné dans Laodicée et réduit par la famine il se tua.

Pendant la guerre contre les triumvirs Brutus et Cassius sollicitèrent l'appui de Pacore, commandant au nom de son père en Syrie. T. Labienus ayant négocié cette affaire avec succès, leur envoya quatre mille archers arabes, mèdes et parthes. Il était encore au quartier général de Pacore quand arriva la nouvelle de la bataille de Philippes. Il se rendit alors à Ctésiphon et persuada à Orode de faire définitivement la conquête de la Syrie. Les vues qu'il présenta ayant été -approuvées, une nouvelle armée parthe sous les ordres de Pacore, accompagné par Labienus, passa l'Euphrate, pénétra jusqu'à la Phénicie et s'empara d'Apamée. Comme la garnison de cette place était composée d'hommes de Brutus et de Cassius enrôlés de force par Marc-Antoine, ils reconnurent volontiers l'autorité de Labienus, qui avec eux battit Décidius Saxa et le força à se réfugier à Antioche. Ne s'y trouvant pas assez en sûreté, celui-ci sortit de la ville, cherchant à gagner la Cilicie, fut pris en route par les soldats de Labienus et tué. Florus dit qu'il se tua lui-même.

La Syrie tomba tout entière aux mains des Parthes, excepté Tyr, imprenable, puisque Pacore n'avait pas de flotte. Le vainqueur marcha vers la Palestine, enlevant sur sa route Sidon et Ptolémaïs. Lysanias, roi de l'Iturée, envoya de grands présents au général parthe Barzapharne, le suppliant de chasser du trône de Judée Hyrcan, qui l'occupait alors, pour y placer Antigone. Beaucoup de Juifs du parti de ce dernier vinrent grossir l'armée envahissante, Pacore entra dans Jérusalem et donna la couronne à Antigone. Cependant la ville sainte ainsi que tous les pays d'alentour furent pillés et Hyrcan déposé, puis on lui coupa les oreilles et on l'emmena prisonnier dans l'Iran. Quant à Labienus, il poursuivait des succès pareils dans l'Asie-Mineure, pénétrait jusqu'en Carie, mettait en fuite Plancus, gouverneur pour Antoine, massacrait les populations, dépouillait les temples, faisait de l'argent et se frappait des médailles au titre d'Imperator et de Parthicus, ce qui, suivant l'observation très-judicieuse de Saint-Martin, aurait extrêmement embarrassé les numismates, si on ne savait assez sûrement d'ailleurs cette partie de l'histoire ; car l'usage romain était de ne prendre un titre tiré du nom d'un peuple que lorsqu'on avait triomphé de ce peuple, et Labienus au contraire ne triomphait que par ce peuple. Hybrias, qui, de son côté, commandait dans Mylassa de Carie lorsque Labienus avait occupé la province, ayant appris que son vainqueur se donnait si singulièrement le titre de Parthicus, disait en s'en moquant que, pour sa part, il allait se nommer désormais Caricus imperator.

Antoine fit cependant mine d'aller délivrer la Syrie de la présence des Parthes. Il se rendit même à Tyr ; mais l'entrevue de Brindes, où l'attendait son beau-frère Auguste, dominant toute autre question, il remit à un meilleur temps les affaires d'Asie, et ce ne fut qu'en 39 avant Jésus-Christ que son lieutenant P. Ventidius Bassus reçut l'ordre d'aller reprendre les hostilités. Les talents de ce nouveau général relevèrent les intérêts et le prestige de Rome, si gravement compromis. Labienus s'empressa de fuir dans les défilés du Taurus, en appelant les Parthes à son aide, et ceux-ci ayant attaqué avec leur impétuosité ordinaire, mais sans précaution, les retranchements du lieutenant d'Antoine, furent battus. Ventidius manœuvra de telle sorte qu'il les empêcha de faire leur jonction avec Labienus, et tandis qu'il les rejetait du côté de la Cilicie, il pressait l'ancien républicain, qui enfin, abandonné de ses soldats et traqué de place en place, se sauva en Chypre, où Démétrius, affranchi de César et gouverneur pour Antoine, le découvrit et le mit a mort.

La Cilicie fut reconquise, et les défilés du mont Amanus, où Bibulus avait jadis été battu, attaqués cette fois par Upédius Silo et Ventidius, virent la défaite de Pharnapate, qui n'avait que très-peu de monde avec lui et qui fut tué dans la retraite. Toute la Syrie était retombée au pouvoir des Romains. Un renfort de quatre légions envoyées d'Afrique vint mettre Ventidius en état de consolider son œuvre.

L'année suivante, Pacore revint vers son ancienne conquête avec une forte armée ; mais trompé par de fausses confidences que Ventidius lui avait fait transmettre par le chef arabe Alchaden, il perdit quarante jours en marches inutiles et laissa le temps à son adversaire de concentrer ses forces. Quand il l'eut atteint, il renouvela la faute commise aux défilés du Taurus et attaqua les Romains dans leur camp. Tourné par une partie des légions, il fut battu, malgré une résistance très-vigoureuse, et tué dans la mêlée. Justin prétend que jamais les Parthes n'éprouvèrent une pareille défaite. Il en périt plus de vingt mille tant dans la bataille que dans la déroute. La tête de Pacore fut promenée dans toutes les villes de Syrie, qui menèrent grand deuil pour ce prince, dont la douceur et les belles qualités étaient chères à tout le monde. Marc-Antoine obtint les honneurs d'un triomphe qui fut le premier décerné pour une victoire remportée sur les Parthes ; mais Ventidius eut aussi son nom sur les médailles.

La mort de Pacore jeta le désespoir dans l'âme d'Orode. Le vieux roi ne se remit jamais de cette douleur. Il appelait Pacore à grands cris et ne pouvait croire qu'il ne le verrait plus. Forcé cependant de désigner un successeur au choix des feudataires, il prit Phraate, un de ses puînés, et découragé, désolé, atteint d'ailleurs d'une hydropisie causée par le chagrin, il se retira des affaires. Ce n'était pas assez pour Phraate, qui voulait régner seul et qui débuta par faire égorger ses frères, nés d'une fille d'Antiochus, roi de la Commagène. Peu après il empoisonna son père, qui, n'ayant pas succombé assez promptement par le poison, tomba sous le couteau. Phraate s'annonçait comme l'antithèse du magnanime Pacore.

Phraate est certainement le Kkosrou du Rouzet-Esséfa, qui le fait descendre à la quatrième génération de Mithridate II. Suivant la Chronique orientale, ce fut un prince extrêmement adonné aux femmes et qui ne respecta pas même sa propre sœur. Il s'était fait construire un palais à sept étages, où il célébrait ses orgies. Quand il voulait mettre quelqu'un à mort, il le faisait monter sur la plus haute terrasse de sa résidence et le précipitait en bas. Son règne fut de quarante ans.

Au dire des Romains, Phraate régna trente-sept ans, montra beaucoup de talent dans ses négociations et dans ses guerres, et devint en quelque sorte l'esclave d'une esclave italienne nommée Mousa, dont il mit l'image sur ses monnaies. Sa passion pour cette étrangère le porta à livrer aux Romains quatre de ses fils, afin de rassurer l'ambition dont Mousa était dévorée pour son propre fils. On voit que les traits principaux concordent assez avec ceux de l'histoire de Khosrou. Entrons maintenant dans le détail de ce qui concerne Phraate II.

Non content de s'être débarrassé de son père et de ses frères, le Grand Roi ne se crut pas en sûreté s'il ne sacrifiait pas son fils encore enfant. Il le fit tuer, et ne ménageant pas les princes de l'empire, il se débarrassa de tous ceux qu'il put saisir ; un grand nombre se mirent à l'abri de ses sanglantes précautions, et parmi ceux-là un certain Monésès, ancien compagnon et ami de Pacore, qui se réfugia sur les terres romaines auprès d'Antoine. Celui-ci lui promit le trône, ce qui prouve que Monésès était de la maison royale, et en attendant que le triumvir eût renversé Phraate II, il assigna à son protégé les revenus de trois villes syriennes, Larisse, Aréthuse et Hiérapolis, afin que celui-ci pût s'entretenir suivant son rang. Phraate entra alors en relations avec Monésès d'une part et Antoine de l'autre. Il persuada au premier de se réconcilier avec lui et de revenir à Ctésiphon ; quant à Antoine, il le fit consentir à cet arrangement, et probablement ce fut pour prix de sa complaisance qu'après la mort d'Antigone de Judée, exécuté par l'ordre d'Antoine, et l'intronisation d'Hérode, il laissa sortir Hyrcan de son exil et lui permit de retourner à Jérusalem. Antoine voulait plus, il réclamait les enseignes enlevées à Crassus et les nombreux prisonniers retenus par les Parthes. Comme on lui refusa ces demandes, il marcha contre l'empire et fit des démonstrations sur la ligne de l'Euphrate ; mais la trouvant bien gardée ; il entra en Arménie et se proposa d'attaquer par les montagnes d'Ecbatane.

C'était une idée favorite du roi arménien Artavasde, qui voulait ainsi jeter le poids de la guerre sur son ennemi personnel, le roi des Mèdes, nommé comme lui Artavasde. L'armée romaine était considérable. Elle comptait, au dire de Plutarque, soixante mille légionnaires, dix mille cavaliers espagnols et gaulois, trente mille alliés, plus six mille cavaliers arméniens et sept mille fantassins de la même nation.

Antoine commença par perdre beaucoup de monde dans la contrée difficile de l'Atropatène, et comprenant que ses bagages et ses machines le gênaient, il les laissa derrière lui sous la charge d'Oppius Statianus, et alla assiéger une ville mède nommée Phraata par Plutarque, Vera par Strabon, et Praaspa par Dion Cassius. Pendant qu'il s'épuisait en efforts impuissants, Phraate écrasa Oppius Statianus, lui tua dix mille hommes, s'empara des bagages et brûla les machines. Le roi de Pont, Polémon, qui était avec les Romains, fut fait prisonnier.

Antoine continua cependant le siège jusqu'à l'automne ; mais n'ayant plus de vivres et ne sachant comment s'en procurer, il envoya des députés auprès du roi des Parthes pour lui demander la paix. Phraate traita les Romains avec le dernier mépris. Il les reçut assis sur un trône d'or et tenant un arc à la main ; il leur accorda dédaigneusement la retraite, à la condition qu'ils partiraient immédiatement, ce que le triumvir s'empressa de faire, laissant ses machines de siège et ses retranchements intacts ; tout cela fut détruit par les Mèdes. Le retour fut des plus pénibles, car si Phraate avait permis aux Romains de s'en aller, il n'avait pas conclu de paix, et il harcela les légions de la façon la plus cruelle jusqu'au passage de l'Araxe, où il cessa de les poursuivre. Vingt mille fantassins et quatre mille cavaliers périrent dans cette retraite. En somme, Orose prétend que lorsque le triumvir eut regagné la Syrie, il n'avait plus que le tiers des soldats qu'il en avait emmenés. Antoine retourna auprès de Cléopâtre, cherchant une distraction à un si rude échec.

Mais l'Arsacide de Médie, qu'il n'avait pu abattre, s'était brouillé sur ces entrefaites avec Phraate, parce qu'il avait trouvé sa part de butin trop petite, et comme d'ailleurs il en voulait déjà à l'Arsacide d'Arménie, devenu suspect à Antoine, qui l'accusait de ne l'avoir pas assez soutenu, il fit faire des ouvertures au triumvir par Polémon, le roi prisonnier de la région pontique, ce qui éveilla chez le Romain le goût d'une revanche pour le printemps de l'année 35 avant notre ère. A cette époque, en effet, il reparut à Nicopolis, sur le Lycus, invitant Artavasde d'Arménie à venir le trouver. Artavasde eut peur et obéit ; Antoine le fit arrêter, charger de chaînes d'argent et promener autour de quelques citadelles arméniennes, espérant que les commandants se rendraient pour délivrer leur roi. L'effet produit fut tout contraire. L'Arménie entière courut aux armes, et les populations mirent à leur tête Artaxès, fils aîné d'Artavasde ; pourtant le jeune prince fut vaincu et se réfugia auprès de Phraate. Antoine s'empara du pays, donna la Petite Arménie à Polémon, maria la fille de ce prince à un fils que lui-même avait eu de Cléopâtre, et retourna en Égypte avec un butin énorme et toute la famille royale d'Arménie enchaînée. Son intention était de continuer la guerre, et à cet effet il avait réuni des forces considérables, renouvelé son alliance avec le roi des Mèdes, obtenu l'assurance de son appui contre Auguste, et il lui avait cédé la haute 'Arménie. De son côté, Artavasde lui avait restitué les aigles prises à Oppius Statianus et donné sa toute jeune fille Jotape pour Alexandre, fils de Cléopâtre et du triumvir. Le jeune couple devait monter sur le trône des Parthes quand on l'aurait pris.

Mais les hostilités entre Octave et son beau-frère ayant commencé sur ces entrefaites, Phraate se jeta sur les Mèdes, qui lui opposèrent leurs auxiliaires romains, lesquels furent enfoncés. Artavasde battu ; son pays conquis, l'Arménie envahie, Artaxès restauré, tout semblait lui réussir, quand soudain un autre Arsacide, appelé Tiridate, vint faire diversion. Il se révolta contre Phraate et attira à lui tous les mécontents, qui étaient fort nombreux, car le Grand Roi avait l'esprit dur et la main lourde. Obligé de se défendre, Phraate quitta la Médie, immédiatement reprise par Artavasde, lequel eut peu de temps après la nouvelle de la bataille d'Actium et reçut de Cléopâtre la tête de son ancien ennemi le roi d'Arménie, comme un présent qui devait l'engager à se tenir fidèlement dans l'alliance d'Antoine. On comptait sur lui pour changer la marche des affaires romaines. Il parait qu'il les connaissait assez bien pour ne pas s'attacher à une cause perdue, et il embrassa le parti d'Auguste, qui, arrivé à Alexandrie, prit l'attitude la plus conciliante envers tous les partis en lutte dans l'empire arsacide. Il renvoya Jotape à son père, lorsque celui-ci, battu par Phraate une seconde fois, se réfugia auprès de lui. Auguste refusa cependant de rendre a Artaxès d'Arménie ses frères, parce que les Arméniens avaient égorgé tous les Romains qu'ils avaient pu saisir ; mais la se borna sa vengeance. Cependant Phraate avait énergiquement renoué ses affaires. Tiridate n'avait pu tenir contre lui, et en moins de deux ans ce compétiteur, chassé de toutes parts, écrasé dans une dernière bataille, avait été obligé de s'enfuir en Syrie. Auguste promit de ne lui accorder aucun secours ; mais il refusa de le livrer.

Les faits ne prouveraient pas absolument qu'il ait tenu parole dans la première partie de son engagement, car Tiridate revint bientôt dans l'Iran avec des forces assez considérables pour chasser Phraate, dont le joug devenait intolérable. Il semblerait, d'après les paroles de Justin, qu'un parti puissant déposa le roi. Mais il n' eut certainement pas unanimité dans cette mesure, car Phraate, retiré dans l'est de l'Iran et soutenu par des auxiliaires scythes, reparut bientôt, rendit la position intenable pour Tiridate, reprit le trône, et son rival s'enfuit de nouveau sur les terres romaines, emmenant avec lui un jeune fils de Phraate, dont il avait pu s'emparer.

Les Arsacides ne se lassaient jamais de lutter. Tiridate courut supplier l'empereur, qui était alors en Espagne, tandis que Phraate, de son côté, envoyait a Rome une ambassade pour réclamer son fils et son esclave Tiridate. Cette affaire fut traitée avec solennité. Auguste consulta le sénat, qui s'en remit à son jugement. L'extradition de Tiridate fut refusée, mais le fils de Phraate renvoyé sans rançon, et on se borna à solliciter la remise des aigles perdues dans les expéditions de Crassus et d'Antoine, ainsi que la délivrance des prisonniers.

Sur ces entrefaites, il s'était opéré un revirement considérable dans la politique et dans les vues de Phraate II. Celui-ci avait jadis reçu en présent de Jules César cette esclave italienne appelée Mousa, qui a déjà été nommée plus haut, et dont la beauté merveilleuse avait pris sur le terrible Arsacide une influence d'abord très-grande et enfin absolue. Phraate, livré tout entier à cette femme, devint un ami passionné d'Auguste. Il lui sut gré de lui avoir rendu son fils ; il ne s'irrita pas de ce qu'il lui avait refusé la vengeance sur Tiridate ; il lui rendit bénévolement toutes les enseignes et tous les prisonniers, et poussa si loin l'affection, la confiance aveugle dans son ami, qu'il imagina de demander une entrevue à Titius, gouverneur de Syrie, pour remettre lui-même à ce fonctionnaire ses propres fils, Séraspadane, Rhodaspe, Phraate et Boone ou Vononès, afin que l'enfant qu'il avait eu de Mousa fût à l'abri de toute compétition de famille. Ainsi le redoutable Phraate, le chef qui faisait trembler l'Asie, était devenu le jouet d'une fille romaine, et par suite le plus fidèle ami d'Auguste, auquel rien n'était refusé à Ctésiphon. Celui-ci se rendait parfaitement compte de cet avantage et savait que la crainte n'avait aucune part dans les sentiments de l'Arsacide à son égard. Il dit dans son testament que si Phraate lui livra ses fils, ce ne fut pas que le Parthe eût été vaincu, mais par pure affection pour lui.

Du reste, la remise des enseignes et des prisonniers causa à l'empereur une joie immodérée. On remercia les jeux par des sacrifices solennels ; on éleva sur le Capitole un temple à Mars Vengeur, qui n'avait rien à faire dans la question, pour y déposer les aigles rendues. Des médailles furent frappées en grand nombre. On n'osa pas dire dans les légendes que les trophées avaient été repris : on inscrivit sur les unes qu'ils avaient été reçus, RECEPT. ; sur les autres qu'ils avaient été recouvrés, RECUP. Sur l'une de ces pièces, on voit un Parthe, un genou en terre, présentant une enseigne, et à l'avers un arc de triomphe surmonté d'un quadrige portant Auguste couronné par deux Victoires. C'était« beaucoup trop de bruit pour célébrer une complaisance, mais probablement Auguste y trouvait soli compte vis-à-vis de l'opinion publique.

Il n'était guère possible cependant, malgré les efforts de Mousa et la bonne volonté de Phraate II, que les deux grands empires vécussent absolument sans conflits. L'Arménie était entre eux une pomme de discorde. Il y eut encore de ce côté quelques mouvements. Des prétendants se mirent en campagne ; Phraate soutint les uns, Auguste les autres ; mais au fond l'empereur et le Grand Roi, fort âgés l'un et l'autre, ne se souciaient pas de rompre. Il fallut cependant envoyer Caïus César en Orient avec M. Lollius. Il y eut une correspondance assez aigre échangée entre les deux amis, et Auguste s'étant permis dans une de ses lettres d'appeler l'Arsacide Phraate tout court, sans lui donner aucun titre, le prince parthe répondit à l'empereur en ne le nommant que César. En somme, bien que  les Romains eussent battu quelques Arabes, les Parthes s'étaient rendus maîtres de l'Arménie. Ils finirent par la céder momentanément à un prince mède nommé Ariobarzane, qui plaisait à Auguste ou plutôt à ses représentants. Il semble que vers le même temps des troubles étaient suscités dans l'Iran par un Arsacide nommé Vologèse, lequel prétendit, mais sans plus de succès que Tiridate, détrôner Phraate II. Cette affaire ne laissa pas de grandes traces, et passa comme tant d'autres qui se renouvelaient sans cesse sur un terrain si bien disposé pour des entreprises de ce genre.

Phraate II mourut vers l'an Ier de notre ère, suivant quelques numismates, vers l'an 4, suivant d'autres, et en l'an 9, d'après Saint-Martin. Dans l'opinion de cet érudit, le fils d'Orode aurait régné quarante-six ans. Il est difficile de se prononcer entre ces dates d'une manière bien certaine ; ce qui reste assuré, c'est que la domination du Grand Roi dura longtemps, et, quelque violente qu'elle ait été, ne fut ni sans habileté ni sans gloire. Mousa, qui avait dominé dans les dernières années, plaça sur le trône son fils Phraatakès. On accusa le nouveau roi d'entretenir un commerce incestueux avec sa mère et d'avoir, d'accord avec elle, fait périr le vieux monarque. Rien n'est moins prouvé ; cependant, quelques mois après la mort de Phraate, Phraatakès fut tué avec Mousa. Il ne semble pas qu'il ait jamais été reconnu par les feudataires, et on ne doit pas le compter au nombre des Grands Rois. Aucune médaille ne saurait être attribuée d'une manière certaine à ce prince, et les auteurs asiatiques ne le connaissent pas.

Orode II est dans le même cas. C'était un Arsacide dont on ignore la filiation. Il réclama la couronne à la tête d'un parti trop faible pour la lui assurer. Ses adversaires se plaignirent de son humeur intraitable, et on l'assassina dans une fête au bout de quelques mois. Il n'eut donc ni le temps ni les moyens de se faire accepter.

Vononès, l'aîné des fils de Phraate II, élevé à Rome depuis que son père l'avait donné en garde à Auguste, fut réclamé par les Parthes, qui envoyèrent à cet effet une ambassade solennelle à l'empereur. Ce fut sans doute pendant le temps que mirent ces mandataires pour se rendre à leur destination, y traiter le sujet dont ils étaient chargés et revenir à Ctésiphon, que se produisirent Phraatakès, Orode, et, suivant Tacite, quelques autres encore. Vononès seul était désiré et avoué par les électeurs légaux.

L'empereur accueillit très-bien la légation parthe ; il accorda ce qu'on lui demandait, fit des présents somptueux à Vononès et le laissa partir. Le nouveau Grand Roi porte dans les généalogies persanes le nom d'Ardévan et règne treize ans, ce qui est à peu près identique avec le calcul assez vague des auteurs latins et des critiques modernes. Il se glorifie sur la légende de ses médailles d'avoir vaincu un compétiteur probablement plus sérieux déjà à cette époque que Phraatahès et Orode, et qui régna après lui sous le nom d'Artaban.

Vononès, en arrivant dans son empire, avait été reçu avec beaucoup d'enthousiasme par les Iraniens. On aimait en lui l'héritier de la branche régnante et un prince dont la destinée avait été jusqu'alors peu heureuse et propre à exciter les imaginations à la pitié. Mais il se trouva par malheur que celui qu'on supposait avoir porté l'exil comme un fardeau s'y était au contraire très-bien accoutumé et avait pris les mœurs italiennes et les habitudes du grand monde romain. Ces mœurs déplurent, et d'une manière d'autant plus absolue que tout ce qu'on savait de l'Italie, c'était ce qu'on avait vu faire à Mousa ; naturellement on confondait dans une égale horreur et l'étrangère et les habitudes de son pays. Vononès était un élégant et un habitué des soupers du Palatin. Il n'aimait ni à passer ses journées à cheval ni à mener des chasses de plusieurs semaines ; en revanche il se faisait porter partout en litière. On déclara que ce n'était pas un roi, que ce n'était pas un Arsacide, mais l'esclave corrompu de l'ennemi, et que sous lui l'empire ressemblait une sorte de province romaine. Ces réflexions prirent de plus en plus faveur ; enfin les feudataires, honteux d'avoir été chercher un pareil souverain et de se l'être imposé, se réunirent, le déposèrent et reconnurent à sa place cet Artaban vaincu et chassé au début du règne, et qui revint prendre la place de son rival. Vononès essaya de résister. Vainqueur une première fois, il fut battu une seconde, et se sentant abandonné, il quitta Ctésiphon, où il avait d'abord espéré se maintenir et s'enfuit en Arménie.

Il trouva le trône vacant par la mort d'Ariobarzane, qui avait eu pour lui succéder une femme nommée Érato, bientôt chassée par les merzebans. On le choisit pour roi et il demanda des secours à Tibère ; mais cet empereur, ne se souciant pas d'engager une guerre avec les Parthes, refusa toute intervention. Vononès voyait déjà se tourner contre lui une partie des seigneurs arméniens qui acceptaient l'allégeance d'Artaban. Il quitta donc sa royauté éphémère et gagna les provinces syriennes, où Creticus Silanus le reçut avec les plus grands respects et lui permit de séjourner avec une suite convenable à son rang.

Artaban ayant conquis l'Arménie, avait donné ce royaume à son fils Orode. Germanicus arriva et le donna à son tour à Zénon, fils de Polémon qui prit alors le nom national d'Artaxias pour faire plaisir a son peuple. Artaban demanda une entrevue au général romain, insista pour ce maintien des traités, l'internement de Vononès dans une partie de l'empire romain autre que la Syrie, et l'abstention complète des proconsuls dans les affaires des petites principautés arsacides. Germanicus parait avoir acquiescé dans une mesure assez large aux prétentions d'Artaban, car une paix fut conclue qui dura dix-huit ans.

Vononès demeurait alors à Antioche, mais il y était en quelque sorte gardé à vue. Germanicus le fit sortir de Syrie et le relégua à Pompéiopolis de Cilicie. Cette captivité luxueuse d'ailleurs, ennuya à la fin l'Arsacide, qui corrompit ses gardes, et, sous prétexte d'une partie de chasse, prit la fuite avec l'intention de se retirer chez un roi scythe, probablement un Arsacide comme lui. Malheureusement il fut poursuivi aussitôt. que son évasion fut connue, et tous les passages du fleuve Pyrame et tous les ponts ayant été gardés, il tomba entre les mains des cavaliers de Vibius Fronton, qui l'arrêtèrent. Dans ce moment, un officier nommé Remmius, chargé de sa garde et qui craignait d'être compromis par ses révélations, lui passait son épée au travers du corps et le tua sur le coup. A Rome, on parla beaucoup de cette affaire. Suétone prétend que Tibère avait dirigé le bras de Remmius dans l'intention de s'emparer des trésors que possédait encore Vononès. Je suis plus frappé de voir que les Romains mettaient évidemment une grande attention à ne pas mécontenter Artaban, et tenaient bien les conditions de la paix. De son côté, le nouveau Grand Roi arsacide entretenait les meilleures relations avec la puissance occidentale. Quand Germanicus mourut, Artaban ordonna un deuil officiel et fit suspendre les banquets et les grandes chasses.

Germanicus cessa de vivre en l'an 19 de notre ère. Après cette époque, Artaban, tranquille du côté des Romains, parait avoir fait la guerre dans le nord et le nord-est de l'empire iranien et y avoir été constamment victorieux. C'est pendant cette période qu'eut lieu une révolte des Juifs ou mieux de quelques populations juives établies sur les territoires occidentaux de la confédération, et dont parle Josèphe. J'ai dit ailleurs que les enfants d'Israël, successivement favorisés par les Achéménides, par Alexandre et par les Parthes, jouissaient de grandes libertés, avaient des communautés puissantes et comptaient parmi eux de véritables princes. Une fois déjà, au commencement de la dynastie arsacide, ils avaient donné lieu à des sévérités que, sans nul doute, leur esprit remuant et agressif leur avait attirées. A l'époque d'Artaban ils étaient concentrés en Grand nombre dans Séleucie, à Nisibe, dans toute la Babylonie, et notamment dans les marais formés par les rameaux canalisés de l'Euphrate et du Tigre. Néhardéa, leur capitale et le centre de leurs écoles, avait pris beaucoup d'importance. Deux frères, appelés Asinée et Anilée, de basse extraction et ouvriers tisserands, s'imaginèrent de se mettre à la tête d'une bande de brigands, Juifs comme eux, et d'aller bâtir une forteresse près de l'Euphrate. De là ils faisaient des expéditions, levaient des tributs, pillaient les villages. Le gouverneur parthe de Babylone voulut les réduire. Il fut battu. Artaban frappé du courage des deux Juifs, au lieu de les punir, les fit venir auprès de lui, les traita bien, et leur accorda sa protection. Ils en usèrent pour établir en Mésopotamie une sorte de domination qui dura une quinzaine années.

Au bout de ce temps, Anilée étant devenu amoureux de la femme d'un chef parthe, tua le mari. Comme cette dame n'était pas juive de religion, les brigands et Asinée lui-même furent choqués et crièrent au scandale. La nouvelle épouse fit empoisonner son beau-frère et Anilée, devenu seul chef des bandes, ne ménagea plus rien et se permit même de ravager les terres de Mithridate, gendre du Grand Roi. Mithridate se fâcha ; mais il fut saisi, promené sur un âne, ignominie intolérable pour un noble parthe, et renvoyé chez lui.

Il revint peu après et défit Anilée, qui n'en continua pas moins ses déprédations ; mais les Babyloniens excédés finirent par le serrer de près et le tuer. Ils expulsèrent ensuite tous les Juifs de leur ville, et ceux-ci se retirèrent à Séleucie, où les communautés grecques et syriennes étaient en guerre. Les réfugiés s'unirent avec les Syriens, qui dès lors devinrent le parti prépondérant, mais furent bientôt dégoûtés de leurs alliés. Au bout de six ans, ils s'entendirent contre eux avec les Grecs, et on en fit un massacre général. Dans toute la Syrie et la Babylonie, les populations pourchassèrent les Juifs et ce qui ne réussit pas à gagner Ctésiphon, ou Néhardéa, ou Nisibe, fut mis à mort. Ainsi cette race antipathique a partout semé le vent pour recueillir à la fin la tempête, et l'on peut voir de plus ici quelles agitations incessantes formaient la vie des nations si diverses comprises dans l'empire parthe.

En l'an 34 de notre ère, Artaban s'empara encore une fois de l'Arménie, où le protégé des Romains, Zénon-Artaxias, venait de mourir. Il mit à sa place Arsace, son fils aîné. Il voulait évidemment rompre avec Tibère. Il lui envoya redemander les trésors et la succession de Vononès, et sans attendre la réponse, attaqua et battit les légions dans un mouvement qu'il exécuta du côté de la Cappadoce.

Il n'était cependant pas très-assuré sur son trône. Un prince parthe, Sinnakès, et l'eunuque Abdus travaillaient contre lui à Ctésiphon. Ils firent demander à Tibère de leur envoyer un second fils de Phraate vivant à Rome et portant le même nom que son père. Artaban, averti de cette intrigue, gagna Sinnakès a prix d'argent et tua Abdul. Phraate vint jusqu'en Syrie ; mais il s'était efféminé comme jadis son frère Vononès, et quand il voulut prendre les habitudes parthes, il ne put les supporter et mourut bientôt à la peine. Tibère ne se laissa pas décourager et envoya Tiridate pour remplacer le malheureux prince ; en même temps il poussa Mithridate, frère de Pharasmane, roi d'Ibérie, à faire la conquête de l'Arménie, et Vitellius fut chargé de conduire ces affaires.

Le roi parthe intronisé par Artaban fut d'abord assassiné par les grands de l'Arménie, et Mithridate, bien reçu, s'empara de la capitale, Artaxate. Orode, frère du prince tué, accourut ; Pharasmane, frère de l'usurpateur, se présenta aussi. Les Albaniens du Caucase le soutenaient, ainsi qu'une partie des Sarmates venus des plaines du Palus-Méotide ; mais d'autres Sarmates s'étaient loués aux Parthes ; ils arrivaient de leurs pays à grandes marches par le passage de Derbend sur les bords de la Caspienne, Orode voulait les attendre avant de risquer une, bataille. Cette prudence scandalisa la chevalerie parthe, qui fit observer combien il était honteux de paraître hésiter devant un misérable Ibérien et qui exigea l'action immédiate. Orode céda, tomba dans la mêlée, et les Parthes subirent une complète déroute. Artaban, accouru à cette nouvelle, ne put venger son frère ; forcé d'abandonner l'Arménie, il lui fallut faire face à Vitellius, qui manœuvrait avec toutes ses forces pour entrer dans la Mésopotamie ; et d'autre part Sinnakès et son père Abdagèse, unis a beaucoup d'autres, travaillaient de nouveau pour le renverser. Se voyant dans une situation si critique, Artaban céda a la fortune et se retira dans l'est de l'empire.

Vitellius invita alors Tiridate à venir prendre la couronne. Celui-ci passa l'Euphrate. Ornospade, ancien gouverneur de la Mésopotamie, qui venait de servir avec les Romains dans les guerres de Dalmatie, lui amena un gros corps de cavalerie. Sinnakès et Abdagèse lui remirent les ornements royaux. Toutes les villes grecques et les villes Parthes, Valus et Artémita, ouvrirent leurs portes. Séleucie en fit autant ; mais Vitellius n'osa pas se risquer loin, et repassant l'Euphrate, rentra sur les terres romaines.

Cependant Tiridate gagna Ctésiphon et s'y fit couronner par le souréna. Cette précipitation mécontenta deux seigneurs, Phraate et Hiéron, qui avec toutes leurs forces allèrent rejoindre Artaban dans l'Hyrcanie, et le Grand Roi revenant brusquement avec eux, suivi d'alliés Scythes, arriva presque inaperçu jusqu'aux environs de Séleucie. Tiridate perdit la tête, s'enfuit derrière le Tigre, appela à son aide les Élyméens, les Arméniens, les Romains, fut abandonné par les Arabes, et enfin Artaban reprit l'empire sans avoir eu besoin de livrer un seul combat.

Il ne perdit pas de temps ; il envahit l'Arménie, et menaçait d'entrer en Syrie quand la nouvelle de la mort de Tibère lui parvint. Peu de temps auparavant il avait adressé à cet empereur des lettres hautaines dans lesquelles il lui reprochait ses manœuvres hostiles, ses débauches et ses crimes de toute sorte ; mais bien qu'assez fort et en relations avec Hérode Antipas, tétrarque de la Galilée, il se montra disposé à traiter avec Caligula en souvenir de l'estime que les Parthes avaient eue pour Germanicus, père du nouvel empereur. Vitellius reçut des pleins pouvoirs pour la paix, qui fut conclue au milieu d'un pont jeté sur l'Euphrate à cette occasion, et Darius, un des fils du roi, alla habiter Borne comme otage. On fit de grandes réjouissances pour célébrer le retour de l'amitié entre les deux empires, et Hérode Antipas donna un festin magnifique au Grand Roi et au proconsul de Syrie ; mais on trouva du côté des Romains que le Juif s'était montré trop partial pour les Parthes, et dépouillé de sa principauté, on le relégua dans la Gaule. Vitellius fut également accusé de faiblesse et rappelé. Pourtant.la guerre ne recommença pas, mais les intrigues continuèrent. Les ennemis d'Artaban furent encouragés sous main, et les choses en vinrent à ce point que le Grand Roi, obligé de céder à l'orage, se réfugia chez Izate, feudataire de l'Adiabène, tandis qu'un prétendant, appelé Cinname, occupait momentanément sa place.

Cette révolte ne dura pas. Cinname se soumit de lui-même et déposa son diadème d'emprunt aux pieds d'Artaban. Quant à Izate, il fut récompensé de sa fidélité par le don de la ville de Nisibe et le privilège, réservé jusqu'alors aux Grands Rois, de se servir d'un trône d'or. Peu de temps après, Artaban mourut dans un âge très-avancé, et son fils Gotarzès lui succéda.

Il parait que ce ne fut pas sans quelques difficultés. Artaban laissait un autre fils appelé Bardane, qui eu aussi des prétentions à la couronne et les soutint les armes à la main, de sorte qu'après la mort d'Artaban il y eut un interrègne qui dura plusieurs années.

Les Asiatiques sont embarrassés de Bardane. Ou bien ils le suppriment tout à fait, ou bien, comme le Tarykh-Djéféry, ils le font régner après Gotarzès et lui donnent le nom de Béhaféryd. Les auteurs latins avouent que Bardane ne posséda jamais la partie orientale de l'empire, et d'ailleurs il se maintint quatre ans tout au plus. D'après tous ces faits, il n'y a pas lieu de le placer dans le catalogue des Grands Rois. J'ajouterai encore ici, pour mieux déterminer le peu de succès de Bardane dans l'est de l'Iran, que j'ai vu découvrir à Rhagès un vase de terre contenant douze cents drachmes d'argent, la plupart à fleur de coin. Ces pièces étaient des Vononès en petit nombre, quelques Artaban, et la majeure partie des Gotarzès. Il n'y avait pas un seul Bardane.

Gotarzès est bien certainement Gouderz le Grand du Rouzet-Esséfa. Sans rien raconter de précis sur son compte, les Orientaux entourent sa mémoire d'une véritable auréole ; et la présence d'une longue inscription tracée sur un rocher à Hadjy-Abad, dans le Fars, et surtout la grande variété et le nombre incroyable des médailles appartenant à ce roi paraissent établir en effet qu'il eut un règne fort brillant.

Les discussions qu'il eut avec Bardane empêchent de fixer bien sûrement les débuts de son règne, qui paraissent tomber entre 43 et 45 de notre ère. Tout d'abord le gouvernement de Gotarzès fut fort agité par les prétentions de son frère. Le Grand Roi s'était bien débarrassé d'un autre frère nommé Artaban, qu'il avait fait périr avec sa femme et son fils ; mais Bardane, guerrier audacieux et entreprenant, au sentiment de Tacite, attaqua Gotarzès et le rejeta dans l'Hyrcanie. Le roi revint avec une armée principalement recrutée parmi les Scythes Dahæ, et força Bardane à quitter le siège de Séleucie révoltée et à fuir en Bactriane. Puis il y eut une paix où le prétendant, à ce qu'il parait, aurait obtenu le titre royal, Gotarzès se contentant d'être maître dans le nord. Séleucie, attaquée de nouveau par Bardane, fut prise après un siège de sept ans, souvent interrompu à la vérité, et plusieurs feudataires furent successivement battus et soumis, ce qui n'implique pas assurément que Bardane fut reconnu. Il allait même attaquer l'Arménie, quand il en fut détourné par une démonstration hostile de Vibius Marcus sur ses propres domaines. L'empereur Claude avait profité des dissensions de l'empire Parthe pour replacer l'Arménie sous le sceptre de Mithridate l'Ibérien, et il en avait chassé Démonax, gouverneur arsacide. Bardane allait remettre les choses dans leur ancien état, quand, serré de près par Gotarzès, il battit son compétiteur dans l'Artakène, mais fut bientôt après assassiné par ses officiers. Gotarzès respira et pensait se trouver le chef unique de l'empire, quand ses adversaires envoyèrent à Rome chercher Méherdate, un descendant de Phraate IV. Claude consentit volontiers à laisser partir ce prince, et C. Cassius, gouverneur de Syrie, conduisit le jeune homme jusqu'à Zeuma, sur l'Euphrate. Là se trouvèrent Abgar d'Édesse et beaucoup de nobles Parthes qui venaient faire cortège au prétendant. Mais tous les princes arsacides élevés à Rome avaient le même défaut : ils avaient perdu la vigueur et l'activité fébrile de leur famille. Méherdate laissa passer le temps et ne fit rien ; il déplut par ses ménagements. Un des feudataires, nommé Carrhène ou Garen, lui avait amené des troupes. Méherdate voulut, contre tous les avis, suivre la route difficile des montagnes arméniennes. Il prit Ninive et Arbelles, puis se trouva en face de Gotarzès, campé avec peu de monde sur le mont Samboul et refusant la bataille. Pendant qu'on s'observait, Abgar d'Édesse et Izate de l'Adiabène quittèrent Méherdate et passèrent à son ennemi. Méherdate, craignant que cet exemple n'entrainât la défection du reste de son armée, attaqua et fut vaincu. Il tomba dans les mains d'un nommé Parrkakès, qui le remit à Gotarzès, et le Grand Roi déclarant que ce n'était pas un Arsacide, mais simplement un Romain, lui fit couper les oreilles et le laissa vivre. L'expédition du jeune prince avait duré si peu de temps qu'on ne saurait lui attribuer aucune médaillé, et moins que toute autre la série des pièces en bronze dont l'effigie est placée de face, qu'on revendiqué ordinairement pour lui et qui appartient certainement à Orode.

Gotarzès vécut peu de temps après la défaite et la prise de Méherdate, et sa mort, qui parait avoir été violente, tomberait vers l'an 50 ou 51. Les médailles de ce roi, argent et bronze, sont en nombre si considérable encore aujourd'hui qu'il est bien difficile d'admettre que son règne, comme on le veut généralement, n'ait été que de cinq ou six années, et cela ne s'accorde pas d'ailleurs avec le souvenir qu'il a laissé. Il parait donc plus logique de lui attribuer, au moyen des trois ou quatre ans qu'on donne à Bardane et des quelques mois dont on dispose en faveur de Méherdate, dix à onze ans de règne au moins.

Vononès succéda à Gotarzès et régna à peine un an. Il est inconnu aux chroniqueurs persans. Josèphe ne le nomme pas non plus. Tacite, qui seul parle de lui, n'insiste guère à son sujet. On ne saurait- donc le placer avec quelque certitude dans le catalogue royal, et il faut passer de Gotarzès à Vologèse Ier pour trouver un Grand Roi authentique.

Ce prince se retrouve dans le Bélash du Tarykh-è-Djéféry et du Rouzet-Esséfa. Il régna certainement fort longtemps, et entre les huit ans, les onze ans et les trente-huit ans que les numismates lui attribuent tour à tour, il faut choisir cette dernière opinion. Suivant Josèphe, Vologèse était fils d'Artaban III ; Tacite le donne comme fils de Vononès II. Il avait deux frères, Pacore et Tiridate issus d'une femme légitime ; mais lui-même était né d'une courtisane grecque, au dire des Romains. Il entra en 51 en Arménie et y fit proclamer roi son frère Tiridate, après avoir chassé l'Ibérien, protégé de Rome, qui fut étouffé par son neveu et gendre Rhadamiste, mari de sa fille Zénobie. Vinidius Quadratus, gouverneur de Syrie ; Cœlius Pollion, commandant des garnisons romaines en Arménie ; Julius Pélignus, procurateur en Cappadoce, attisaient toutes ces scélératesses et cherchaient à en profiter. Helvidius Priscus crut le moment venu pour s'emparer d'une partie du pays. Mais à Rome on eut peur des Parthes et on désavoua le magistrat trop zélé, qui fut rappelé. Néanmoins la guerre se ralluma, et Corbulon fut chargé par l'empereur de la conduire, en profitant de ce que Vologèse, occupé en Hyrcanie, avait laissé Tiridate à ses propres ressources. Corbulon enleva Artaxata, qu'il détruisit, et Tigranocerte ; et n'ayant pas les moyens de résister, Tiridate se retira en Médie, de sorte que l'Arménie, réduite pour ainsi dire sans combat, passa sous un prince nommé Tigrane, arrière-petit-fils d'Archélaüs, dernier roi de Cappadoce, et d'Hérode, roi des Juifs. Vologèse, fort embarrassé chez lui, négocia, fit une expédition manquée en Arménie et attendit à l'année suivante, où, devenu plus maître de ses moyens, il entra sérieusement en campagne et reconquit tout le royaume de Tiridate, très-attaché à la dynastie arsacide, ainsi que les écrivains romains en conviennent eux-mêmes, ce qui semblerait prouver que ce régime si turbulent, mais si libre, avait de quoi se faire aimer des populations. Corbulon n'eut rien à faire que de traiter ; il tomba d'accord que les Parthes enverraient une ambassade à Néron pour lui demander la cession définitive de l'Arménie au feudataire arsacide. Comme l'empereur n'y voulut pas consentir et que les Parthes étaient maîtres du pays, les hostilités reprirent. Cesennius Pœtus se fit battre et fut contraint de capituler dans son camp, obtenant la liberté de se retirer à la condition de livrer le peu de châteaux forts que tenaient les Romains. Il s'estima trop heureux d'avoir rejoint sans autre encombre les troupes de Corbillon, paralysé en Syrie, où il couvrait de son mieux la ligne de l'Euphrate. On recommença à négocier ; et une nouvelle ambassade alla trouver Néron.

L'empereur céda complètement. Sentant son impuissance, content de sauver les formes, il reconnut Tiridate, et par le fait s'humilia devant la puissance arsacide. Néron avait d'ailleurs des préoccupations d'un autre genre ; il craignait Corbulon, son général ; il sentait déjà que les légions de Syrie jouaient un trop grand rôle dans les questions capitales du moment, et il annonça sa volonté d'aller lui-même en Asie pour observer ce qui se passait sur l'Euphrate. Il cherchait moins à lutter contre l'ennemi qu'à contenir et à abaisser de dangereux serviteurs. Aussitôt son arrivée en Grèce, il donna l'ordre à Corbulon de venir l'y rejoindre. Il aimait mieux le voir en dehors de son cercle militaire. Corbulon obéit et fut rais à mort. La vacuité avec laquelle cette question fut réglée tranquillisa Néron et lui persuada qu'il n'avait pas besoin de prendre d'autre peine ; ainsi, après avoir fait l'artiste à Athènes, il renonça à son voyage et revint à Rome, où il fut assassiné l'année suivante, 68 de notre ère.

Après Vologèse Ier, dont la mort aurait précédé celle de Néron de huit à dix ans selon les numismates, mais qui l'aurait suivie de plusieurs années d'après d'autres écrivains, on place quelquefois an Artaban, inconnu de la plupart des listes orientales, à l'exception de celle de l'Habyb-Oussiyer. Ce prince n'a laissé d'ailleurs aucun souvenir de ses actions. Aussi, sans nous arrêter à cette considération qu'il est nommé sur quelques tétradrachmes de date postérieure à 90, ce qui impliquerait tout au plus pour lui la position et le titre de prétendant, nous passerons à Pacore. Ce dernier est le Pyjen des Asiatiques, qui le font régner vingt ans, tandis que les Occidentaux lui accordent trente ans de domination. Ce prince, très-belliqueux, porte dans les annales persanes le titre de salar, le général, déjà accordé à Mithridate Ier. Il parait avoir régné de 77 à 107 de notre ère. Chosroês lui succéda ; c'est le Kezry de Ferdousy et du Bedjdjet-Attéwarykh, et son règne fut illustré par les événements que détermina l'intervention de Trajan dans les affaires parthes.

Trajan avait du goût pour les conquêtes asiatiques. Il envahit sans grande nécessité des territoires arabes. Alexandre était son modèle ; il ne réfléchissait pas à la différence des temps et des situations. D'autres motifs plus sérieux le poussaient encore contre les Parthes. La politique impériale, inquiète des progrès du christianisme, croyait, à tort ou à raison, que les Arsacides, de bonne heure préoccupés par les nouvelles doctrines, en favorisaient les partisans et se ménageaient ainsi un dangereux moyen d'action. Trajan prit le prétexte toujours usité avant lui ; il revint sur le traité conclu par Néron au sujet de l'Arménie, et ne voulut pas permettre a Khosroès, que les auteurs latins considèrent comme le frère de Pacore, de mettre Énadare, fils de Tiridate, sur le trône de son frère. Il renouvela la prétention d'être le suzerain légitime, et menaça d'intervenir.

Khosroès chercha à détourner l'empereur de toute démarche extrême. II lui envoya des ambassadeurs à Athènes, et s'engagea formellement à refuser son appui à Énadare et même à le renverser du trône. Seulement il proposa de faire tomber le choix des deux puissances sur un autre candidat, Parthamasiris, fils de Pacore comme Énadare, consentant du reste à ce que l'investiture fût faite par le chef du gouvernement romain. Ces propositions étaient raisonnables ; mais Trajan ne songeait pas tant à établir la suprématie romaine en Arménie qu'à humilier le pouvoir des Arsacides, resté au-dessus des prétentions de ses prédécesseurs. Il rejeta donc les ouvertures de Khosroès, répondit avec hauteur qu'il irait lui-même en Asie et aviserait suivant les circonstances.

En 115, il parut en Arménie. Un certain nombre de merzebans apportèrent leur soumission. L'empereur occupa les passages de l'Euphrate à Samosate et à Élégia, et fit sommer Parthamasiris de se présenter devant lui pour expose ses prétentions. Le prince arsacide envoya quelques hommes de sa maison ; mais l'empereur refusa de les recevoir, attendu, dit-il, qu'il ne pouvait admettre les vassaux d'un vassal à conférer avec lui ; Parthamasiris, après quelques hésitations et avec une grande répugnance ; se présenta lui-même et parut devant Trajan, assis sur son tribunal militaire et entoure des légions. Le prince arsacide s'avança dans une attitude assez fière, avec une suite peu nombreuse, ôta son diadème et le mit aux pieds de Trajan. Mais il ne prononça pas un mot et se tint debout en silence, attendant ce que l'empereur avait à dire. Cependant les soldats et les alliés se mirent à pousser des cris de joie frénétiques, saluant Trajan des titres d'Imperator et de Vainqueur. L'Arsacide ne comprit pas la cause de ce tumulte inattendu. Il crut qu'on voulait attenter à sa vie, et fit quelques pas pour s'éloigner. On l'arrêta aussitôt et on le ramena devant Trajan, auquel il dit que si l'on voulait exiger de lui, dans la cérémonie de l'hommage, quelque formalité plus humiliante que celle à laquelle il s'était soumis, il demandait au moins qu'on lui épargnât d'en donner le spectacle à ses amis et à ses ennemis.

Sans lui répondre, on le fit entrer dans le prétoire. On exigea sa renonciation à ses droits, et non-seulement sa renonciation mais encore son consentement à d'insultantes humiliations. Il refusa. Alors l'empereur le fit amener en présence de la multitude comme un captif et le somma de se démettre de ses prétentions au trône d'Arménie. Parthamasiris répondit avec hauteur qu'il n'était pas prisonnier, qu'il était venu de plein gré et confiant dans la foi publique pour traiter avec l'empereur comme Tiridate avait fait avec Néron. Trajan déclara que l'Arménie était une province romaine, qu'il y placerait un gouverneur romain, et Parthamasiris fut renvoyé du camp sous escorte. On empêcha ses hommes de le suivre, parce que, dit-on, ils étaient désormais sujets de l'empire. Dion Cassius, en racontant cette affaire très-peu honorable pour Trajan, se montre obscur et embarrassé. Eutrope en donne la raison : Parthamasiris fut assassiné par ses gardes non loin de la présence de Trajan. La grande et la petite Arménie furent alors incorporées à l'empire pour la première fois, et il n'y eut pas de résistance.

Trajan partit de là pour l'Euxin. Il soumit les Hénioches et donna un roi aux Albains, s'allia aux Ibères, aux Sarmates et aux tribus du Bosphore. Cette promenade militaire terminée sans la moindre lutte, il descendit vers les plaines mésopotamiques, reçut la soumission d'Abgar d'Édesse, de Sporakès, prince d'Anthemousia ; traversa le Tigre, tandis que Khosroès était tenu en échec par l'insurrection de deux feudataires, Mann et Manisar, prit Nisibe, et, toujours sans avoir rencontré d'opposition, s'empara de l'Adiabène. Les écrivains de l'Histoire Auguste et Dion font comprendre ces faciles exploits en disant quelques mots des grands embarras que la guerre civile donnait aux Parthes. Avant la fin de cette même année 115, Trajan instituait la province romaine d'Assyrie, allant des rives du Tigre aux montagnes de Choatres et de Zagros, le Kurdistan actuel.

L'hiver fut passé dans un repos parfait à Nisibe et à Édesse. Au printemps de 116, une flottille nombreuse conduisit l'armée à Ctésiphon, où le Grand Roi n'était pas, et qui ouvrit ses portes d'elle-même. Suse fut prise par une colonne mobile, et l'on fit grand bruit de la capture d'une fille de Khosroès et d'un trône d'or. Il est cependant certain, ce qui pourrait contredire cette anecdote, que les rois arsacides ne résidaient pas à Suse, devenue le chef-lieu d'un fief particulier et d'ailleurs fort déchue de sa splendeur. La Chronique de Shouster affirme que sous les Parthes les canaux d'irrigation, jadis si bien entretenus dans toute la province, avaient été coupés ; l'eau ne circulait lus et l'agriculture était en partie détruite. Quoi qu'il en soit, Trajan continua ses succès. Séleucie imita Ctésiphon. Mais tout à coup, et au moment où les choses allaient le mieux, Trajan reçut la nouvelle que les populations se soulevaient sur ses derrières. L'empereur ne s'était occupé jusque-là que de tout annexer à la majesté romaine. Il changea brusquement d'avis. Il s'aperçut alors de l'existence de l'empire parthe et institua un Grand Roi. Un Arsacide, du nom de Parthamaspate, fut investi de cette dignité dérisoire, ce qui n'empêcha pas Séleucie, d'abord si calme, de se révolter. Elle fut, dit-on, repris par Clarus et par Alexandre, mais pas pour longtemps. L'ordre de la retraite générale fut alors donné il était temps de partir. Trajan lui-même attaqua vainement un petit château nommé Atra, sur la route de Ctésiphon à Singara ; il lui fut impossible de le prendre, et un orage arriva à propos pour couvrir la levée précipitée du siège.

Une division romaine avec son légat fut exterminée, dit Fronton, et en somme cette campagne pompeuse, commencée avec tant d'insolence et de brutalité en 115, s'acheva comme un désastre en 117. Il n'en resta absolument rien qui pût faire illusion sur la manière inepte dont elle avait été entreprise et conduite. Les Parthes rentrèrent en possession de ce qui leur avait appartenu, et après la mort de Trajan, Hadrien, en 119, se rendit en personne sur l'Euphrate pour conférer avec Khosroès, le calmer et lui faire oublier les procédés de Trajan. Il en résulta un accord qui ne fut pas troublé tant que vécut le nouvel empereur.

Khosroès semble être mort vers l'an 120 de notre ère, après une existence extrêmement occupée. Il aurait possédé la couronne à peu près pendant douze ans.

Vologèse II lui succéda et, régna vingt-sept ans, suivant les numismates. Il parait devoir être identifié avec l'Hormezdan de la Chronique de Tébéry. On fixe le commencement de Vologèse II à l'année 121 à peu près, et la fin aurait eu lieu en 148, ce qui est assez plausible d'après les dates des tétradrachmes. Dans cette période de vingt-sept ans, beaucoup de faits s'accumulèrent nécessairement. Mais les annalistes persans étant muets à cet égard et les écrivains de l'Histoire Auguste plus que parcimonieux, il est difficile de deviner même la marche des choses. Seulement il est probable que les querelles intestines prirent de plus en plus le dessus dans l'empire arche, et que l'agitation des esprits, si profonde et si soutenue en Syrie et en Judée, se propagea d'une façon menaçante au-delà de l'Euphrate et prépara la révolution mazdéenne. Sous le règne de Vologèse II, la monnaie royale devint de plus en plus mauvaise quant au titre et barbare quant aux types.

Vologèse Hi régna de 148 à 190 suivant les uns, et jusqu'à 192 suivant les autres, ce qui ferait quarante-quatre ans. C'est probablement le Gouderz, fils de Byjen, du Rouzet-Esséfa ; mais cette opinion ne saurait s'élever au-dessus de la simple conjecture. Les actes de Vologèse III ne sont guère mieux connus que ceux de son prédécesseur. On sait seulement que Marc-Aurèle et son collègue Verus ne persistèrent pas dans la politique circonspecte d'Hadrien à l'égard des Parthes, et que le second de ces empereurs fit une campagne au delà de l'Euphrate.

Dès 161, l'éternelle compétition pour l'Arménie avait amené de nouvelles difficultés qu'Antonin avait cherché à écarter, sachant par expérience combien peu les Romains étaient en état de mener à bien un conflit avec la grande puissance asiatique. Jusque sur son lit de mort, le sage empereur était poursuivi par ces appréhensions, au dire de Capitolinus, et il avait donné à cet égard de prudents conseils qui ne furent pas suivis. Les conséquences en furent déplorables. Vologèse battit les légions à Élégia. Severianus, préfet de la Cappadoce, fut mis en déroute et tué dans la mêlée par les Parthes, sous la conduite d'Othryades. Ce général avait cru à la victoire sur la promesse d'un de ces voyants, partie obligée de la suite de tout grand seigneur ou magistrat, soit asiatique, soit romain ; car tous les esprits, en Occident comme en Orient, cherchaient alors le surnaturel. Heureusement Avidius Cassius rétablit un peu les affaires et put attendre l'arrivée de Verus. celui-ci voulut traiter, mais ne trouva pas Vologèse III disposé à lui prêter l'oreille. La guerre continua donc, et cette fois le succès parut être pour les Romains. Avidius Cassius réussit à passer le Tigre et à descendre jusqu'à Modayn, où il surprit et saccagea les deux villes royales Séleucie et Ctésiphon. Statius Priscus, nouveau préfet de la Cappadoce, rentra en Arménie et reprit Artaxate. Furius Saturninus, Claudius Fronton, Martius Verus, Julius Mascianus, Pontius Ælianus, à la tête de différents corps, remportèrent des avantages et firent mieux que leurs devanciers des autres époques. On sait même que leurs succès militaires furent assez étendus pour permettre à la politique romaine d'établir assez loin son action dans l'intérieur de l'Asie, et c'est à cette époque que l'on rapporte l'anecdote plus ou moins certaine, empruntée aux écrivains chinois, d'un ambassadeur romain appelé par eux An-Tun (Antonius ou Antoninus), qui aurait paru à la Cour céleste..

Néanmoins on ne peut pas avoir une confiance trop absolue dans tous ces rapports, et l'opinion contemporaine les accusa hautement d'exagération. C'est ainsi que s'en explique fort clairement Lucien, qui n'épargne pas le sarcasme aux prétendues victoires de Verus et de ses lieutenants. Quoi qu'il en soit, la paix fut faite en 166, et Rome acquit pour quelque temps, pour fort peu de temps, il est vrai, une partie de la Mésopotamie. Malheureusement, elle introduisit en Italie l'horrible fléau de la peste, qui fut apporté par les légions syriennes. La population de Rome, décimée et exaspérée, de ses souffrances, considéra comme certain que ce fléau était dû à Avidius Cassius, qui effrontément avait, en saccageant Séleucie, pillé un temple d'Apollon et laissé échapper le mal d'un coffre fermé où il cherchait de l'or. Non-seulement l'Italie mais le monde occidental tout entier fut si bien occupé par l'épidémie, qu'on fut obligé, faute de soldais, de suspendre la guerre contre les Marcomans.

Sous Vologèse III, on trouve la trace de quelques prétendants, tels qu'un Méherdate, un Synatrokès, un Parthamaspate, suscités et appuyés par les Romains. Il dut certainement y en avoir d'autres. Les habitudes politiques du pays et les circonstances y prêtaient particulièrement.

J'ai avancé tout à l'heure que Vologèse III serait mort vers 190 ou 192 ; il aurait eu alors pour successeur un Vologèse IV, qu'il faudrait retrouver dans le Nersy, fils de Byjen, indiqué par Myrkhond et par Khondemyr comme ayant régné onze ans suivant le premier, douze suivant le second ; les critiques européens disent dix-sept. Les auteurs asiatiques ajoutent qu'en ce temps-là les Romains se proposèrent de conquérir l'Iran ; mais ils furent victorieusement repoussés par Nersy, secondé de tous les feudataires. Ce récit s'applique également à la campagne des généraux de Verus et a celle ou. Septime Sévère surprit et pilla comme eux Ctésiphon, et fut obligé de revenir à son tour sans avoir obtenu aucun avantage solide.

En somme il est difficile de distinguer Vologèse III de Vologèse IV, et l'on peut même se demander s'il y a lieu de le faire, non pas assurément que l'empire parthe se soit trouvé sans gouvernement depuis 148 jusqu'à 208, c'est-à-dire pendant une durée de soixante ans. Il est plutôt à croire que l'empire souffrit d'une surabondance de potentats, et que les feudataires, ne pouvant se mettre d'accord sur le choix d'un chef, en firent subsister plusieurs à la fois, ce qui amena de longues périodes d'interrègne légal. Je ne saurais trop le répéter : le système était poussé à l'excès et donnait désormais ses plus mauvais fruits ; mais la défense contre l'étranger n'en était pas moins énergique.

Il parait que la Mésopotamie fut promptement enlevée aux Romains. Septime Sévère, après la défaite de Pescenius Niger, avait obtenu, comme je viens de le raconter tout à l'heure, des avantages sur l'Arsacide, et les légions qui avaient décerné le double titré d'Adiabénique et de Parthique. Spartian rapporte qu'il supprima tout aussitôt le second, dans la crainte de blesser l'orgueil de ses dangereux voisins. Il ne se considérait donc pas comme suffisamment couvert vis-à-vis d'eux par ce qu'on appelait ses victoires. Il s'en tint là ; ce qu'il avait fait, le pillage de Ctésiphon et de quelques villes parthes, n'eut pas d'autre conséquence pour l'avidité romaine ; l'Iran reprit paisiblement ses frontières, comme un fleuve un instant contrarié rentre dans son lit.

A peu près vers cette époque, on peut faire sur les drachmes ordinairement attribués à Vologèse IV deux observations de quelque intérêt. D'abord le titre de ces monnaies, encore aujourd'hui tellement nombreuses qu'on ne les vend guère qu'à la valeur de leur poids, est excellent. L'argent en est très-fin, et ceci semble indiquer que l'ordre s'était momentanément rétabli dans les finances arsacides et qu'il y eut un temps où le gouvernement prospéra. Ensuite les effigies sont celles d'un roi à physionomie extatique, avec la barbe et les cheveux incultes, ayant la ressemblance de quelque ascète bouddhiste. Il n'y aurait rien d'extraordinaire à ce que dans ce temps le chef de la famille arsacide eût adopté les dogmes indiens, en même temps que ses parents de l'Adiabène se faisaient chrétiens, et ainsi s'expliquerait davantage encore la haine croissante du clergé et du peuple zoroastriens.

Antonin Caracalla retomba dans les errements politiques de ses prédécesseurs. Faire la guerre aux Parthes, faire peser sur l'Arménie cette suprématie romaine si contestée, triompher des Arsacides, c'était l'objectif constant d'un empereur, tout aussi bien que recueillir l'héritage de Valentine de Milan et régner en Italie fut le rêve désastreux des Valois. Les Romains, raconte Spartian, envahirent le pays des Kadules et les frontières babyloniennes. Ils introduisirent une méthode militaire inconnue jusqu'alors en amenant sur les champs de bataille des animaux féroces qu'on lançait sur l'ennemi. C'était une application des jeux du Cirque. Avec ou sans raisons suffisantes car le chroniqueur ne s'explique pas, le prince se hâta de rendre le titre de Parthique, mais fut tué presque aussitôt après à Carrhes par Macrin, préfet du prétoire, avec la complicité de Nemesianus et du frère de celui-ci, Apollinaris Rhetianus, préfet de la légion seconde parthique. En réalité, il n'était encore que sur la frontière assyrienne.

De 209 à 227, époque où la dynastie arsacide succombe devant la révolution conduite par Ardeshyr Babegan, les auteurs européens font régner un Vologèse V, qui ainsi aurait occupé le trône pendant dix-huit ans. Cependant M. de Bartholomæi et M. Lindsay, qui ont traité avec beaucoup d'érudition la numismatique des Parthes, et j'ajouterai avec autant de bonheur que l'étroitesse de leur point de vue le permettait, conviennent l'un et l'autre que ce Vologèse V ne fut jamais reconnu par les feudataires et que son frère Artaban lui disputa le trône.

Ce fut avec assez de succès, puisque les Orientaux ne connaissent et ne célèbrent que ce dernier, auquel ils donnent le titre de Grand. Je crois cependant qu'on pourrait, à la rigueur, identifier Vologèse V avec le Nersy, fils de Nersy de la liste du Tjéhar-è-Tjémen. Quoi qu'il en soit, Ardévan ou Artaban le Grand soutint avec éclat la lutte contre son frère d'abord, probablement contre d'autres prétendants et tels ou tels feudataires indociles, ensuite contre Macrin, enfin contre la sédition générale des mazdéens.

Nous n'avons aucun détail sur les opérations tentées par Ardévan dans le but de supprimer les prétentions de son frère et d'abattre les vassaux. Il est cependant probable qu'il réussit assez pleinement à l'égard du premier et transitoirement à l'égard des autres, dont on peut supposer que la plupart se joignirent ensuite à la révolution. Vis-à-vis de Macrin, il fut tout à fait heureux cet empereur, au dire de Julius Capitolinus, ne voulait pas rester sous le coup du reproche d'avoir empêché, par le meurtre d'Antonin Caracalla, les victoires que se promettait le peuple romain sur son rival séculaire. Il annonça l'intention de continuer la guerre contre les Parthes, et se rendit sur le théâtre des opérations avec un grand appareil et des forces considérables. Il fut battu. Une partie des légions désertèrent au parti d'Héliogabale et l'abandonnèrent. Artaban, déployant beaucoup d'activité, le serra de près, et menaçant de venger sur lui et sur son armée la mort des Parthes tombés depuis le commencement des hostilités, l'effraya tellement qu'il demanda la paix par des députés envoyés auprès du Grand Roi. Il l'obtint, et bien que le chroniqueur n'en révèle pas les conditions, elles ne purent qu'être extrêmement désavantageuses dans  la position où se trouvait l'empereur, et qu'il avait avouée à son adversaire par l'humilité de ses démarches. Nul doute qu'il n'ait été obligé de renoncer non pas à la province de Mésopotamie, déjà perdue pour son prédécesseur, mort sur la frontière mais a l'Arménie. Plus tard, au temps d'Alexandre-Sévère, quand les Parthes avaient disparu depuis longtemps du monde politique, le sénat, félicitant l'empereur de sa campagne heureuse contre Ardeshyr, le loua d'avoir repris là Mésopotamie, ce qui ne constitua pas non plus une conquête sérieuse, et il se déclara par acclamation vraiment parthique, vraiment persique faisant sans doute allusion aux doutes véhéments qui avaient assailli tous les esprits sur la légitimité de ce titre pris à la légère ou plutôt usurpé par tant d'autres avant lui. Mais les Parthes dont on triomphait ainsi en paroles, n'avaient pas même paru devant les Romains, puisque le souffle du temps les avait depuis longtemps emportés. Leur dernier soupir avait suffi pour dissiper les légions de Macrin.

Malgré les grandes qualités d'Artaban, l'établissement des Parthes devait tomber par l'effet de ses dangereux défauts. Il n'en est pas moins remarquable qu'il n'y eut pas ici de décadence ; on ne voit rien dans cette catastrophe qui implique la présence de la honteuse décomposition par laquelle l'empire romain d'alors était scandaleusement travaillé et rongé. Les maîtres qui succombaient allaient tomber dans tout l'honneur de leur force : c'était leur violence, c'était leur folie d'indépendance, c'étaient les exagérations insensées de ce point d'honneur qui ne permettait pas au gouvernement perse de laisser en esclavage le moindre de ses sujets, idée parthe qu'Ardeshyr dut cependant accepter, au dire de Capitolinus ; c'était l'excès de leurs mérites qui tuait les Arsacides, et rien n'est plus rare dans l'histoire.

L'insurrection parait avoir commencé dans le Fars et d'être étendue de là au sein des provinces occidentales. Elle trouva un point d'appui naturel dans les municipes turbulents de Séleucie et de Ctésiphon, et mit à profit les querelles intestines des seigneurs. Ardeshyr-Babegan le sassanide avait, dit-on, débuté par être au service personnel du Grand Roi, ce qui s'explique aisément par les habitudes de la jeune noblesse iranienne. Darius Ier avait de même servi dans les gardes de Cambyse. Graduellement le novateur montra de l'indiscipline, ce qui ne le distinguait pas de ses égaux ; puis il en arriva à conspirer avec les prêtres et les hommes d'origine mixte ou araméenne, et à donner à la révolution un principe, un drapeau, un parti, une armée. On conquit la sympathie des masses en parlant d'organisation régulière, de tranquillité publique, d'ordre en un mot. Il se trouva bien des gens disposés à admettre les déclamations contre l'insolence de la noblesse féodale, ces déclamations étant fondées ; et les prêtres, en parlant des mépris dont le culte national était l'objet, de la nécessité de refréner l'audace des novateurs, ce qui ne pouvait se faire qu'en précipitant du trône le représentant du système d'anarchie, achevèrent de conquérir les bonnes volontés actives. Le soulèvement fut terrible, général, bien servi par les circonstances ; quand on se représente le dernier Arsacide, entouré de tant d'adversaires qui demandaient sa tête, et se défendant jusqu'à la dernière heure contre son frère, contre ses parents, contre ses vassaux, contre les Romains, contre ses peuples, souvent vainqueur, toujours intrépide, accablé, mais point abattu ou se relevant, blessé et ne tombant que mort ; même sans le justifier, on l'admiré. Il fallut des années pour en venir a bout, et avec lui succomba définitivement l'ancien esprit de la race iranienne et cette race elle-même. Désormais il ne fut plus question dans l'Iran que du génie araméen quelquefois tenu en échec par les restes du passé, ce qui a lieu encore aujourd'hui d'une manière assez curieuse ; mais en somme le sang sémitique, grâce à sa surabondance, triompha et triomphe sur tous les points principaux, et l'on peut affirmer, d'accord avec les faits, qu'entre les Sassanides et les khalifes il se découvre, quant aux principes essentiels ; bien plus de rapports qu'entre les premiers et ceux auxquels ils succédaient.

On n'a jamais vu se présenter dans le monde et se balancer sur une aussi grande échelle et avec tant de ressources, de puissance et d'éclat, les avantages et les inconvénients du régime féodal comme on vient de l'observer chez les Parthes. Ce régime était celui de la liberté et des droits individuels poussés jusqu'à l'excès, jusqu'aux dernières limites, et il créa le désordre et l'anarchie. Sous ce rapport il ressemble assez à ce que fut le royaume de Jérusalem sous les princes croisés, et à beaucoup d'égards on peut le comparer encore à la façon dont les États italiens se gouvernèrent au moyen âge et jusqu'au seizième siècle.

Le mal que l'on peut dire de ces trois organisations est patent et les reproches sont sans réplique. Mais d'autre part la justice n'exige pas moins que l'on considère ce qui vaut la peine d'être relevé avec éloge et qu'on se rende à ce qui est admirable. Il ne fut jamais possible à un roi parthe de manquer de valeur et d'intelligence ; jamais dynastie n'a présenté une suite plus remarquable de princes éminents : Arsace Ier, Tiridate, les deux Mithridate, Orode, Phraate, Artaban, Gotarzès, Vologèse Ier, Pacore, Vologèse III, Vologèse IV, et jusqu'au dernier des Arsacides, Artaban, presque tous furent des rois qu'on put appeler Grands ; le rang suprême n'admettait pas la médiocrité dans celui qui l'occupait, et qui, s'il était débile, en tombait aussitôt. L'éducation de ces princes, des membres de la famille arsacide, des Parthes en général, était si forte, et les habitudes acquises devaient les rendre si actifs, si énergiques de corps et d'esprit, si propres à supporter toutes les fortunes, que ceux d'entre eux qui avaient vécu quelque temps à Rome devenaient absolument inaptes à un pareil régime et ne se montraient plus dans l'Iran sans y exciter le mépris ; les prétendants comme Vononès et Méherdate en firent la triste expérience. La société romaine était le résumé. des corruptions et des décadences latine, grecque, syrienne ; la société iranienne au contraire était forte ; vivante, sans cesse ranimée et rajeunie par les infusions dis sang indo-germain qui allaient, quatre siècles plus tard, renouveler le monde occidental, mais que ne coulaient encore que de son côté. De là cette supériorité évidente sur la société romaine ; évidente, dis-je, et qui ressort encore davantage, si l'on observe que celle-ci, aussi fortement centralisée que le permettait l'époque, pouvait mettre en jeu la somme entière de ses forces, tandis que celles de l'empire arsacide étaient constamment disséminées et le plus souvent en lutte. Néanmoins les guerres des Arsacides contre les Romains ne tournèrent jamais à l'avantage de ces derniers qui n'obtinrent que des succès de parade. Sans compter qu'au point de vue moral les intrigues perpétuelles des empereurs et de leurs mandataires en Arménie, ces ruptures sourdes et perfides, de tous les traités et de toutes les trêves, ces liaisons constantes avec les partis opposés au gouvernement de Ctésiphon, ces envois de prétendants, ne constituent pas un trait fort avantageux pour là moralité politique de la Ville éternelle, il faut encore remarquer que tant de désirs et tant de soins pour mal faire n'aboutirent jamais qu'à des échecs. Crassus, Marc-Antoine, Césennius Pœtus ne remportèrent que de la honte de leurs entreprises, et jamais le peu de succès obtenus par les armes romaines ne contrebalança les désastres ; de sorte que tant que les Arsacides régnèrent, et ce fut pourtant l'époque de la splendeur du haut empire, l'Italie ailleurs triomphante non-seulement ne put l'emporter sur l'Iran, mais dans le champ restreint de ses ambitions, c'est-à-dire en Arménie, où elle avait la ruineuse fantaisie de réclamer à perpétuité la suite de l'hérédité séleucide, elle ne réussit à rien faire de durable et dut plier la tête devant son adversaire. Sous les Sassanides ce fut bien pis, mais alors le Bas-Empire avait commencé, et non content de se faire battre par les Perses sur les champs de bataille, il ne trouva plus rien de mieux dans le monde que de les imiter, empruntant aux usages sassanides et l'étiquette de la cour et les symboles politiques, comme l'aigle, le lion, le croissant, le soleil, et les formes administratives, et l'organisation de la police, et jusqu'à l'innovation monétaire des pièces plates une des créations d'Ardeshyr.

On doit encore ici faire une autre remarque. Ce que les Romains ne purent obtenir, c'est-à-dire une suprématie quelconque sur l'empire perse, comment les Grecs, malgré leurs vanteries, l'auraient-ils jamais possédée dans le temps des Achéménides, où les Pays purs ne s'arrêtaient pas à l'Euphrate ; mais venaient jusqu'à la Méditerranée en embrassant l'Égypte, et où l'administration était unitaire ? Il suffit de poser la question pour la résoudre, et c'est une preuve supplémentaire de la fausseté radicale de ce qu'on appelle l'histoire de l'antiquité. Cependant le monde avait marché depuis lors. On se rappelle que nous avons dit qu'à l'époque de Cyrus il n'existait, à parler exactement, qu'un seul grand empire, celui de ce conquérant, sur le pourtour entier de la planète terrestre. Quand régnaient les Arsacides, les intérêts humains s'étaient développés, et après la disparition d'une foule d'États formés à la suite des créations d'Alexandre, et dont chacun avait été plus fort que les plus fortes républiques helléniques du passé, l'univers. était au pouvoir de quelques grandes monarchies dont les influences agissaient avec force et sur les populations qu'elles régissaient et sur celles qui tournaient autour de leurs orbites. La conclusion à tirer de tout ceci, c'est que, dans l'observation du passé, il faut renoncer promptement à ne considérer que la Grèce et Rome. N'enlevons pas à la première son rôle intellectuel, tout en le réduisant surtout aux arts ; ne retirons pas à la seconde son titre légitime de maîtresse de l'Occident ; mais gardons-nous de faire de l'une et de l'autre les uniques aïeules et les éducatrices exclusives des temps qui suivirent. On vient de voir que l'Iran arsacide égalait à tout le moins sa rivale en autorité et en puissance ; il n'était pas moins son émule en étendue. La Chine, alors florissante, commençait à se porter vers l'ouest, et découvrant la Caspienne, entrait en relations avec lui et par lui avec Rome elle-même. Les royaumes de Pinde reprenaient leur activité et devenaient des feudataires considérables dont par lui l'Occident profitait. Les missionnaires bouddhistes, les thaumaturges de toute espèce, comme Apollonios de Tyane et d'autres moins autorisés mais fort écoutés, se levaient de toutes parts et pénétraient partout, et les chrétiens marchaient sur leurs pas. En même temps que les gouvernements traitaient d'égal à égal, et, en cherchant à l'emporter l'un sur l'autre, mettaient en contact les soldats de l'Espagne ou de la Gaule avec ceux de la Bactriane et de l'Inde, les populations n'apprenaient pas moins à se connaitre, et ainsi, par ce contact intime, cet échange fécond de notions, d'impressions, de croyances et 'd'idées, s'opérait un élargissement des esprits qui ne permit plus désormais aux nations d'en revenir aux étroits et grossiers berceaux où Phocion et Publicola les auraient à tout jamais tenues assoupies. C'est donc une nécessité de faire figurer dans la liste de nos aïeux ces Parthes qui nous ressemblaient si fort par la façon dont ils ont compris la dignité personnelle de l'homme, notion très-étrangère aux Romains comme aux Grecs ; ces Parthes qui avaient pris une si haute conception dans l'héritage de nos aïeux communs, les Arians du nord.