HISTOIRE DES PERSES

LIVRE DEUXIÈME. — TROISIÈME FORMATION DE L'IRAN.

CHAPITRE II. — RÈGNE DE FERYDOUN.

 

 

Les annalistes persans attribuent d'un commun accord le renversement de la monarchie de Zohak à des causes religieuses. L'opposition des doctrines amenait pour les populations iraniennes de grandes conséquences, de grandes oppressions civiles. Il n'y a rien là pie de vraisemblable, et l'esprit le plus méfiant ne pourrait s'y refuser. Mais la façon dont le fait est présenté ne saurait non plus être exempte de toutes sortes d'exagérations, et, en effet, elle ne l'est pas.

Les sacrifices humains tenaient une place importante dans les cultes chamo-sémites. Toutes les nations qui habitaient les pays situés au delà de l'Euphrate, toutes les villes syriennes de la côte, Carthage et ses colonies, s'attachèrent même jusqu'aux temps romains avec beaucoup de passion à ces rites féroces, et ne purent jamais se décider à y renoncer. Il en devait être de même dans l'empire assyrien, et c'est à l'usage des boucheries hiératiques qu'on rattache l'origine des tribus kurdes.

On prétend que, dès ce monde, Zohak avait été soumis par le diable, avec lequel il avait contracté un pacte, à l'horrible supplice de porter soudés à ses épaules deux serpents qui se repaissaient de sa chair. Pour en obtenir un peu de relâche, il les nourrissait de cervelles humaines, et ses pourvoyeurs avaient charge de parcourir les pays iraniens, d'en enlever les enfants et les jeunes gens, et de préparer ceux-ci pour les repas des deux reptiles. Mais les officiers du grand Roi, moins intéressés que leur maître à bien nourrir ces monstres, se laissaient toucher de pitié la vue des victimes, et lorsque chaque jour il leur était ordonné d'en immoler deux, ils avaient soin d'en laisser échapper une. Les fugitifs gagnaient les montagnes qu'on nomma plus tard le Kurdistan, ils s'y cachaient, et avec le temps, devenus très nombreux, ils formèrent le noyau des tribus du pays.

On retrouve ici, assez bien exprimée, du mode de formation des peuples dont il s'agit. Les Kurdes ne constituent pas une race homogène, car ils ne se ressemblent nullement entre eux. Ceux qui occupent la région méridionale n'ont que peu de rapports de physionomie avec ceux du nord. Les aïeux des uns et des autres ont été des gens d'extraction différente. Leurs dialectes respectifs se présentent sous des apparences très divergentes, et en connaitre un ce n'est pas avoir la clef des autres. La composition de ces dialectes accuse un mélange des langues iraniennes avec l'araméen, auquel a succédé l'arabe, mais ce mélange s'est exécuté dans des proportions complexes. Tandis qu'au nord l'élément iranien maintient sa prépondérance, au sud c'est tout le contraire. Probablement des nations scythiques ont grossi de leurs déserteurs quelques-uns de ces groupes déjà hétérogènes, car dans les temps plus modernes les invasions arabes, mongoles, tartares, fléaux des pays environnants, ont aussi rejeté leur contingent d'alluvion dans ces montagnes. Ce qui est remarquable et paraît bien garantir le décousu de l'agglomération kurde, c'est que n'imitant pas l'exemple des Parthes descendus de l'Elbourz, des Afghans venus du Gour, et de tant d'autres populations de montagne, les Kurdes n'ont jamais cherché à établir leur domination sur les gens du Hamis. Ils ont fourni des individualités extrêmement fortes et brillantes, Saladin au moyen âge, Nadir-Shah presque de nos jours ; ce sont d'intrépides cavaliers, des gens très intelligents, des agriculteurs très laborieux, mais aucune aptitude générale à leur race ne les porte à se hausser au rang de nation conquérante. La cause en est qu'ils ne sont de toute antiquité que des amas de détritus formés par des peuples très contrastants, dont les circonstances n'ont pas déterminé l'amalgame au sein d'un élément plus abondant et suffisamment énergique.

Quand Férydoun eut pris le commandement après la mort d'Abtyn, il trouva l'indignation et la colère des Iraniens portées au comble. Se voyant solidement établi dans le nord et fort d'une influence plus consentie que ne l'avait été celle de son père, il.lui fut permis de demander aux événements de plus grands résultats. C'est ce qui ne tarda pas à se montrer.

La population d'Ispahan ne supportait qu'avec colère la coutume des sacrifices humains imposée par Zohak.

Ispahan remplit ici, pour la première fois, le rôle de capitale du pays, de résidence du souverain, mais ce n'est pas à croire. Bien que communément on fasse remonter jusqu'à Housheng la fondation de cette ville, la configuration du pays à cette époque, où la vaste étendue de lainer de Khawer arrêtait l'expansion des Iraniens dans la direction du sud, s'oppose tout à fait à ce que cette opinion soit admise. Ensuite, outre qu'il n'y a pas de raison pour que le grand roi ninivite ait jamais choisi Ispahan pour sa métropole et que jusqu'ici toutes les légendes ont placé cette métropole dans l'ouest, ce qui convient beaucoup mieux, un détail présenté par le récit tout à l'heure exposé de l'origine des Kurdes achève de trancher la question. Puisque les malheureux épargnés par les bourreaux assyriens gagnaient aussitôt les montagnes du Kurdistan, il faut que ces montagnes n'aient pas été très éloignées. Or, cette conclusion ne serait pas possible s'il s'agissait d'Ispahan. Au contraire, veut-on parler de Ninive, les montagnes sont extrêmement voisines, et c'est même une opinion répandue dans toutes les tribus kurdes, depuis l'Arménie jusqu'au pays de Shouster, l'ancienne Susiane, qu'autour de Moussoul, c'est-à-dire sur le territoire de l'ancienne capitale d'Assyrie, se parle le dialecte kurde le meilleur, le plus pur, et qui peut être considéré comme le prototype de la langue nationale. Au lieu d'Ispahan, il faut donc entendre ici Ninive, et c'est dans les environs mêmes de cette cité que commença l'insurrection qui vint en aide à Férydoun, ou du moins, si elle n'y commença pas, elle s'y étendit d'abord et de là gagna toute la contrée : ceci, d'ailleurs, nous ramène directement à l'histoire de la révolte d'Arbaces contre Sardanapale.

Quoi qu'il en soit, à Ispahan ou à Ninive, vivait un forgeron appelé Gaweh. Cet homme avait eu deux de ses fils enlevés par ordre du roi. Exaspéré et craignant de perdre encore ses autres enfants, dont l'un, nommé Garen, devait être plus tard un des plus grands hommes de l'Iran, il sortit tout à coup de son atelier en appelant le peuple aux armes, attacha son tablier de cuir à une lance, en fit le drapeau de l'insurrection, et le marteau à la main attaqua les oppresseurs. La population iranienne se souleva sur ses pas. Alors Férydoun descendit comme un torrent des hautes vallées du Larédjan aux montagnes de Demawend, où, suivant Abdoullah-Mohammed, fils de Hassan, fils d'Isfendyar, il avait déjà consolidé sa puissance. Il unit ses bandes aux multitudes révoltées qui suivaient l'étendard de Gaweh, et le roi et le forgeron s'emparant de Zohak, le lièrent, et l'attachant sur un chameau, le conduisirent d'abord à Demawend, puis dans un champ situé à une lieue et demie de cette ville.

J'ai vu ce champ. C'est un endroit stérile, semé de cailloux et de blocs de rochers, an versant d'une vallée immense et d'aspect lugubre. Du côté du nord s'élèvent les cimes de l'Elbourz, et dans une échancrure des montagnes on aperçoit le cône neigeux et très élevé du mont Demawend. C'est un lieu grandiose, triste et sinistre.

Parvenu dans ce champ, Férydoun et Gaweh, aidés de Garen, à ce qu'assure Moslyh-Eddyn-Mohammed-Lary, détachèrent leur captif, le firent descendre du chameau qui le portait, puis, levant leurs épées, se préparèrent à lui donner la mort.

Mais Zohak poussa des cris lamentables, se traîna à leurs genoux et leur dit : Craignez l'injustice ! Je suis roi, et je n'ai pas abusé de mon pouvoir. M'a-t-on jamais vu porter la main sur une femme iranienne ?

Férydoun et Gaweh reconnurent la vérité de ces paroles. Ils épargnèrent leur prisonnier, et se contentant de le conduire jusqu'au cratère du mont Demawend, ils l'y enchaînèrent, là où se forment les exhalaisons sulfureuses qui encore aujourd'hui s'échappent du volcan et le couronnent d'un nuage blanc. Le tyran s'y tient, retiré dans le coin le plus obscur, seul avec les serpents qui rongent ses épaules et sont devenus énormes depuis qu'ils dévorent librement sa chair.

Le sang de son cœur arrose le sol,

dit Ferdousy. Voilà une version asiatique du mythe de Prométhée, et l'Elbourz, où s'élève le Demawend, n'est qu'un prolongement du Caucase incertain de la fable grecque.

Une autre version a cours aussi dans le Seystan, au dire de l'auteur chi Heya-el-Molouk. Zohak n'aurait pas été enchaîné dans le Demawend, mais bien sur une montagne située au sud de la province. Il n'a pas deux serpents attachés à son corps ; il est lui-même un serpent monstrueux, caché dans un autre sur le versant septentrional, tourné du côté du pays des Béloutjes. Quand la fin des jours arrivera, Zohak, identifié avec le Dedjal ou Antéchrist, sortira de sa captivité et régnera de nouveau sur le monde. Cette idée qui fait de Zohak et de Prométhée un même personnage et imagine le séjour de cette personnalité non plus dans le Caucase proprement dit, mais fort loin du côté de l'orient et de l'Inde, est très ancienne, car Mégasthène en fait mention. Il raconte qu'au pays des Parapamisades il existait une caverne dans laquelle vivait le Titan, mis en croix pour avoir dérobé le feu. On peut entendre assez bien que la confusion entre Prométhée et Zohak a dit s'établir par le fait que leur nom et leur action principale se rattachaient en effet au feu. L'un avait profané le feu en le livrant aux humains, l'autre en détournant les hommes de son culte et en propageant une autre religion dans l'Iran[1].

L'aveu d'un mérite quelconque, d'une vertu dans Zohak est en soi assez curieux. La première fois que cette anomalie me fut signalée, ce fut par un cavalier nomade de la tribu des Kourdbatjehs, appelé Mohammed-Taghy. J'en fus étonné. Il m'assura que c'était un point bien connu que l'usurpateur avait toujours respecté la pureté des femmes de l'Iran, et que les habitantes de son harem venaient toutes soit de l'Arabie, soit de la Géorgie ; que, par conséquent, sous ce rapport, il était irréprochable.

Ce que l'on dit ainsi en faveur de ses mœurs s'ajoute aux éloges que Ferdousy et plus encore Asedy, l'auteur du Kershasep-nameh, donnent à l'étendue de sa puissance, à sa grandeur, à sa magnificence incomparables. Ils s'étendent sur ce sujet avec une complaisance singulière, et on en doit conclure qu'il a existé sur Zohak deux traditions aujourd'hui confondues et produisant un ensemble assez incohérent ; l'une toute de haine, provenue des Iraniens purs ; l'autre mêlée de regrets et de souvenirs d'admiration, qui s'est conservée dans ces populations très nombreuses déjà, mêlées de sang sémitique aux temps de la chute du premier empire, et dans ces immigrations ninivites répandues par les monarques assyriens sur toute la face de l'ancien Iran, sauf quelques districts de la Montagne. La révolution de Férydoun ne les fit pas sortir d'un pays tout à fait transformé par leur long séjour, pays qui pouvait bien revenir aux mains des Iraniens, niais non pas tout à fait aux mœurs, aux idées, aux formes exclusives de l'antiquité.

Des villes nouvelles avaient été fondées, (les temples, des palais, des forteresses s'élevaient partout. Des artisans, des artistes, des philosophes, tout l'appareil d'une civilisation fastueuse, tout le mécanisme d'une administration savante, tombait maintenant sous la direction des guerriers, des pasteurs de Férydoun. Une fois vainqueurs, ce prince et ses compagnons n'avaient rien de mieux à faire qu'à baisser la tête devant les vaincus et à leur demander des leçons. C'était de ceux-là seuls qu'ils pouvaient apprendre les moyens de gouverner avec sûreté et avec gloire des nations dont la composition ethnique ne s'accommodait plus des simples procédés dont s'étaient contentés les aïeux.

Le renversement de l'empire ninivite ne tranchait donc pas la question en faveur de l'ancien Iran. C'était un Iran tout nouveau qui allait commencer ; on allait y voir de nombreux compromis. C'est ii cette situation, que les événements développèrent de plus en plus, qu'on doit attribuer la perpétuité de ces souvenirs de sympathie et d'admiration pour Zohak que les entretiens de Mohammed-Taghy me donnèrent lieu de remarquer.

Férydoun poursuivit ses succès en délivrant d'abord d'une manière complète le Kohistan de Bey de l'occupation ennemie. Ce résultat était facile à atteindre. Quelques garnisons étrangères, c'était tout ce qui avait jamais pu s'établir sur ce sol rebelle. C'est là ce qui a constamment assuré à la Montagne une pureté de sang relativement plus grande que dans le reste de l'Iran. Des troupes assyriennes tenaient sans doute le Demawend. La tradition affirme qu'il y en avait à Amal. Une armée gardait le Ghylan pour empêcher les Scythes de secourir les Iraniens. Les auteurs grecs représentent tous ces faits par la mention des entreprises fréquentes des Mèdes contre les Caduses, amis des Parthes. Cette force ninivite, en partie ébranlée déjà par Abtyn, fut définitivement anéantie par. Férydoun, qui, s'étant emparé d'Amol, y établit sa capitale, suivant l'auteur du Koush-nameh. Mais Ferdousy et Abdoullah-Mohammed, fils de Hassan, fils d'Isfendyar, nomment la nouvelle métropole Témysheh et la placent dans le voisinage de la grande forêt de Naroun. Comme c'est nue allusion évidente aux bois étendus du Mazandéran, il ne parait pas qu'il y ait contradiction entre les deux récits ; d'ailleurs le second des écrivains que je cite décrit d'une manière très reconnaissable et qui s'applique bien à la situation d'Amol, ce qui, suivant lui, caractérise le bonlough ou la cité de Témysheh : Elle est située, dit-il, en dehors des Portes Caspiennes. Elle appartient au Taberystan et au Gourgan (l'Hyrcanie), et a toujours servi de résidence aux Merzebans ou feudataires de la première de ces provinces. Son étendue est de quatre farsakhs. Postérieurement au règne de Férydoun, Gourgan, fils de Mylad, roi de Rey, put passer pour son fondateur, parce qu'il s'y établit, et ses bergers, chargés de la garde des troupeaux de mulets qu'il possédait dans les vastes pâturages situés à l'est du district, y construisirent, avec le temps, une nouvelle ville, qui prit le nom d'Asterabad ou la demeure des mulets.

Férydoun, restaurateur de l'empire, au nom de l'ancien principe iranien, ne pouvait se soustraire à la nécessité de subir au moins le plus essentiel de ce principe. Son pays était, à la mort de son père, d'une étendue médiocre, puisqu'il ne comprenait que l'Iran, c'est-à-dire l'Elbourz, la Montagne ; mais, si petit qu'il fût, le représentant des Djems ne le gouvernait pas directement dans son entier. Le fédéralisme, si cher à la race ariane, avait repris toute sa puissance, avec les formes féodales accoutumées. Le roi régnait à Amol ; mais, sous sa suzeraineté, Nestouh résidait à Bey, tandis que Gaweh et son fils Garen tenaient de lui, à fief, le pays de Demawend.

La Chronique persane raconte si expressément que Gaweb avait commencé par être forgeron à Ispahan, qu'il n'y a guère moyen de la démentir. Il est pourtant bien douteux qu'Ispahan ait pu se mettre en relations si intimes avec la Montagne, dont elle était séparée par la nier ; qu'un homme du bas peuple, un artisan, se soit trouvé à la tête d'une insurrection iranienne et s'y soit maintenu ; que ce même homme ait réussi à s'élever au rang de puissant vassal de Férydoun et à devenir le chef et l'ancêtre de la maison la plus considérable de l'Iran occidental ; que ses domaines aient été précisément ceux qui, libres de tout temps, avaient été gouvernés par Selket pendant la jeunesse du Libérateur. De pareilles fortunes sont communes dans moderne et dans les pays où les races sont très mélangées. Elles l'ont toujours été dans les pays chamo-sémites, mais elles sont invraisemblables dans l'Iran de Férydoun, où un homme ne valait que par sa généalogie. Quoi qu'il en soit, il faut se résigner à enregistrer le fait, faute de moyens suffisants pour l'attaquer.

Aussitôt que l'Elbourz fut complètement délivré, le héros s'attacha à la conquête du Khawer, de la Médie. Gaweh s'y employa, mais surtout ses deux fils y brillèrent, Garen et Gobad, qui se montrèrent constamment les conseillers les plus sages et les champions les plus redoutables du camp dé Férydoun. Outre que ces chefs possédaient avec leur père le territoire de Demawend, ils tenaient encore la région occidentale de la Montagne depuis les confins du Demawend à peu près, jusqu'à la rivière appelée aujourd'hui Kizil-Ouzen et que l'on rencontre au passage du Kaflan-Kouh. C'était en partie un territoire dû à la conquête récente. C'est pourquoi Garen est toujours donné comme le voisin des Arméniens et des populations scythiques. On voit que l'Iran s'était déjà étendu, car, aux temps primitifs, sa frontière n'atteignait pas même jusqu'à l'emplacement actuel de Kazwyn.

Après des combats nombreux soutenus par les Mèdes contre les Iraniens, le roi Koush aux dents d'éléphant fut vaincu par Garen et amené dans le Demawend, où on l'enchaîna à côté de Zohak. Ainsi, au rebours de ce que disent les Grecs, la Médie ne prit pas la Parthyène, mais la Parthyène prit la Médie. La tradition iranienne le veut ainsi, et comme elle est aussi suivie, aussi cohérente, et, dans son ensemble, aussi rationnelle que les détails recueillis à Babylone, à Suse, peut-être à Ecbatane par les historiens grecs, se montrent décousus et difficiles à concilier entre eux, la vérité doit être de son côté.

Hamadan ou Ecbatane suivit le sort du pays dont elle était la métropole. Férydoun l'occupa, mais il n'y transporta pas sa résidence. Il resta à Amol, on Témysheh. Il ne donna pas non plus la nouvelle conquête aux Gawides, qui en étaient les héros. Cc fut Nestouh, roi de, Ragha, qui eut l'investiture. Dans le nom de Nestouh se retrouve celui d'Astyages.

L'empire iranien atteignit ainsi du côté de l'occident une limite qui ne fut pas dépassée jusqu'au règne de Cyrus. La guerre, sinon permanente, du moins fréquente contre les Assyriens, put amener des incursions sur le territoire de la Mésopotamie, mais il n'en résulta pas d'annexions jusqu'à l'époque encore lointaine que j'indique. A l'est, les choses se passèrent différemment et exigent un récit détaillé.

Dans cette partie essentielle du premier empire d'Iran, la domination des Zohakides s'était assise avec assez de facilité, du moins beaucoup mieux que dans la Montagne. On peut s'en étonner parce que ces provinces étaient plus éloignées des territoires assyriens ; mais on revient de cette surprise quand on songe que l'état de civilisation toujours plus avancée des pays djemshydites de l'est avait d'abord favorisé la révolution, et ensuite porté les peuples à S'en accommoder, enfin, s'était prêté à ce que des colonisations telles que celles de Kophen ou Kandahar se formassent et devinssent des points d'appui d'une grande ressource pour l'esprit étranger. Si des oppositions survécurent, elles n'eurent point un caractère activement hostile et surtout ne ressemblèrent en rien à la résistance obstinée des montagnards de l'Elbourz, parce que toute civilisation urbaine développe chez les peuples qui s'y abandonnent un degré d'énervement et de démoralisation proportionnel à ses mérites. C'est ainsi que la Bactriane, la Sogdiane, la Margiane et les autres territoires jusqu'à l'Helmend, que nous avons vus travaillés par le luxe et le bien-être matériels, et qui abondèrent dans des idées contraires au génie arian sous le règne des derniers Djems, portèrent sans trop de protestations le joug des Assyriens.

Dans les temps antiques, le rôle d'un pays conquis laissait plus de place à l'indépendance morale que cela n'a lieu actuellement. Le vainqueur ne manquait pas d'introduire son culte, mais il n'avait pas tous les moyens nécessaires pour expulser définitivement les croyances précédentes. L'inquisition était mal dirigée ; féroce quand elle apercevait sa victime, elle avait le plus souvent de la peine à la découvrir. Il fallait paver un tribut plus ou moins lourd ; il fallait dans les guerres du prince figurer comme auxiliaire. Ces conditions remplies, les dynasties locales conservaient presque toujours leur couronne, et c'était seulement au début de la prise de possession que le souverain vaincu payait de sa vie, de sa liberté ou tout au moins de sa puissance, l'audace qu'il avait eue de résister, et le malheur de s'être laissé vaincre. Mais son frère, son fils ou son cousin, profitait de son infortune. Cette politique était universelle et se pratiquait aussi bien dans l'Inde qu'en Assyrie et dans les pays égyptiens. La raison en est fournie par l'impossibilité absolue où les dominateurs se trouvaient d'établir aucune centralisation, non seulement parce que les instruments du pouvoir étaient faibles, que l'administration était imparfaite et les voies de communication peu rapides, mais par ce motif plus profond que les distinctions entre les races se maintenaient si tranchées, si puissantes, si inconciliables, qu'elles opposaient une résistance invincible à toute fusion. En conséquence, les monarques les plus despotiques se voyaient contraints de laisser vivre les vaincus à leur mode, n'aspiraient pas à les transformer, et bornaient toute ambition à tirer d'eux une certaine somme d'avantages et de services.

Il est peu question des rois secondaires qui sous la suzeraineté zohakide régnaient à Kandahar, à Hérat, à Kaboul, à Merw, à Balkh ; mais on connaît assez bien la maison souveraine du Zawoulistan ou Zaboulistan. Cette contrée est située au nord de Kaboul et à l'est de Balkh. C'est un pays scythe et tout à fait notable pour le monde oriental, car c'est de là que sortirent ces Pandavas dont le rôle se montre tellement prépondérant dans l'Inde antique, que le Mahabharata a été composé pour raconter leurs exploits. L'intérêt excité par une telle rare s'accroît encore de cette observation, que les Pandavas sont la dernière grande immigration ariane qui ait traversé les eaux de l'Indus.

La légende généalogique des souverains scythes du Zawoulistan rapporte que dans le temps où Djem-Shed fuyait vers le nord pour se dérober à la poursuite de Zohak, il était arrivé jusqu'à cette contrée. Il v avait épousé la fille du roi régnant, Koujenk, appelée Loulou, la perle, et de ce mariage étaient issues les générations suivantes :

Djem-Shyd et Loulou.

Schem.

Tour ou Touj.

Ezret.

Shydasep.

Kershasep, Kourenk.

Tourek.

 

Ces deux derniers frères étaient contemporains de Férydoun, et pour rester dans les limites du synchronisme et ne pas dépasser l'époque où nous sommes parvenus, il faudrait s'arrêter ici ; mais comme il importe davantage de faire connaître les muses de la sympathie puissante qui attache les Iraniens à la famille du Zawoulistan, je donnerai encore les quatre générations issues de Kourenk, frère de Kershasep. Ce sont

Nériman.

Zal.

Çam.

Roustem et ses frères.

Dans la personne de Roustem, les Persans placent le point culminant de l'héroïsme humain, et ce guerrier est pour eux, ce que Rama est pour les Indiens, Roland pour nous, le Cid pour les Espagnols, Siegfried pour les Allemands.

Il ne faudrait pas jurer qu'une généalogie si importante appartienne tout entière, et telle qu'elle est donnée, aux temps si reculés où on la place. Elle pourrait bien avoir subi des interpolations, et n'être qu'un mélange de noms revenant à des personnages d'époques différentes. Le Zawoulistan et les pays circonvoisins ont été sans cloute, anciennement, le séjour d'une race scythe très belliqueuse, très conquérante, très influente mais depuis la chute des rois grecs de la Bactriane jusque vers le troisième siècle de notre ère, une autre invasion, également scythe, qui n'a pas eu des qualités moins éminentes et qui a fait de non moins grandes choses par ses conquêtes et sa participation au bouddhisme, peut aisément avoir été confondue plus tard avec sa devancière, et n'avoir laissé avec elle qu'un souvenir commun.

Les Indo-Scythes du troisième siècle ont possédé les deux rives de l'Indus, et sont descendus jusqu'à la mer du Syndhy. Ils ont occupé, à l'égard de la Perse d'alors, une position digne d'être remarquée. Cependant les historiens en font peu ou point mention, et il n'y aurait rien d'extraordinaire à ce que, ne les plaçant pas où ils devraient être, ou les ont repoussés avec leurs exploits jusqu'aux jours lointains où d'autres Scythes ayant exercé à peu près la même action, les ont attirés vers eux dans l'éloignement de la perspective. Les noms de Kourenk, frère de Kershasep, et de Koujenk, beau-père de Djem-Shyd, placés à deux points importants du lignage, ont assez de rapports avec celui de Kanerk ou Kanerkès, porté par les rois indo-scythes ou indo-gètes, qui font naitre mes doutes pour justifier les réserves que je propose. Mais il faut pourtant se garder d'aller plus loin que l'idée d'une interpolation possible. La table généalogique en elle-même et l'ensemble des faits auxquels elle se rapporte sont authentiques et d'une ancienneté bien supérieure à l'époque des rois indo-scythes du troisième siècle. Seulement il ne faut pas non plus attacher trop d'importance aux rapports donnés de filiation. Tout ici doit rester en dehors d'une conviction absolue.

Le Zend-Avesta impose à la famille le nom patronymique de Cama, qui dans la suite des temps est devenu la propriété exclusive du père de Zal, aïeul de Roustem. Les Çamas, suivant le Yaçna, ont pour auteur Thrita, le premier des humains qui ait pratiqué l'art de guérir[2]. Il est appelé par le texte sacré « le plus utile des Çamas, et ses deux fils sont Urvakhshya et Kereçaçpa on Kershasep.

Le premier n'est autre que le personnage de la table persane appelé Kourenk. Le Yaçna s'occupe peu de lui : c'est un régulateur de la Loi. Les actions et la personnalité du second sont rendues d'une manière tout à fait mythique. C'était, dit le Yaçna, un jeune homme doué d'une haute efficacité, porteur de la massue Gaeçous ou à tête de bœuf. Ce fut lui qui frappa le serpent Çruvara, fatal aux chevaux et aux hommes, venimeux, de couleur verdâtre, distillant un flot de venin vert de l'épaisseur du pouce. Un jour, Kereçaçpa faisait cuire sa nourriture, à l'heure de midi, sur le dos du monstre, ne le connaissant pas pour ce qu'il était. Tout à coup le feu brûla le dragon, il tressaillit, et, pour se soustraire au chaudron, il se retira vers l'eau courante. Kereçaçpa, stupéfait, s'enfuit. Son sort fut d'être tourmenté par les démons ; car une fée, une païrika, appelée Khnanthaïté, s'attacha à lui cruellement[3].

C'est là tout ce que le Yaçna contient sur les Çamides ; et comme il compte cette race pour la troisième de celles qui ont été vraiment pures et religieuses dans le monde, la première étant celle des Djemshydites, la seconde celle des Abtiyans ou fils d'Athwya, on peut assez comprendre que, mise en parallèle et sur le même rang que, deux lignées si augustes, la légende persane ne saurait être blâmée pour avoir exagéré sa grandeur et son importance. Elle est même beaucoup plus modérée dans ses éloges que le Yaçna, et les traits qu'elle a conservés ne sauraient être considérés comme étant de pure invention, bien que le Yaçna les passe sous silence.

La famille des Çamides est connue aussi des Indiens, dont ses domaines la rendaient voisine. Thrita est pour ceux-ci un guerrier en même temps qu'un médecin, car c'est excellemment un sage. Quant à Çama Kereçaçpa ou Kershasep, c'est Kriçaçva, qui ne parait pas encore dans les Védas, silence très compréhensible, car ce héros est moins ancien que ces hymnes ; mais le grammairien Panini et les poèmes le connaissent, et le rattachent très exactement à la famille dans laquelle il faut le compter. Ainsi l'authenticité et l'antiquité des Çamas se trouvent aussi complètement établies qu'on peut le désirer. Le Yaçna, en nommant cette lignée héroïque après celle d'Abtyn ou Athwya, et avant celle d'où sortirent les Achéménides, s'accorde avec le silence des Védas pour ne pas permettre de la croire antérieure à l'époque de Férydoun, et, par induction, on se trouve en droit d'établir du même coup que la rédaction actuelle du premier chapitre du Vendidad, qui semblerait, superficiellement examinée, placer Kereçaçpa à la source même des migrations iraniennes, se reconnait par là postérieure aux temps assyriens qui ont suivi la chute du premier empire, époque à laquelle remonte réellement l'origine des Çamides. Pour ce qui est de celle des générations de la famille que nous avons en ce moment sous les yeux, elle appartient à l'époque de Férydoun.

La maison du Zawoul ressemblait en ceci à la race royale, qu'elle tirait son extraction des Scythes par le côté féminin. De même que Férareng avait pour père le roi de Bésila, et était née au delà de la Caspienne ; de même Loulou, la fille du roi Koujenk, n'avait rien d'iranien, bien que femme de Djem-Shyd ; mais ce n'est pas là un des détails de la généalogie dans lequel il soit à propos de mettre le plus de confiance. Les Persans eux-mêmes remarquent que les Çamides s'éloignèrent de plus eu plus de la demi-pureté prétendue de leur sang, car, ennemis des Arians sémitisés qui régnaient à Kaboul, ils s'unirent pourtant par mariage à ces constants adversaires. La mère ou la femme de Roustem venait d'eux. Le Tjehar-é-Tjemen l'affirme ; de ce côté les Çamides remontaient à Zohak.

Célébrés comme aventureux, intrépides, toujours guerroyants, ils n'éprouvaient aucun regret particulier de la chute du premier empire et des souffrances de la Foi pure. Jusqu'au règne de Kershasep ils restèrent sous l'influence de la fée Klmanthaïté, et très peu soucieux d'affaires qui n'étaient pas les leurs. Imperturbablement fidèles au roi d'Assyrie et servant ses intérêts, ils avaient leur chaudron placé sur le dos du serpent, mangeaient, et ne s'apercevaient ni que ce fût un serpent, ni de sa bave empoisonnée. De même que le grand monarque de Ninive était l'allié de Mchradj l'Indien, de même Kershasep aussi, ses pères l'ayant été avant lui, et ses plus grands exploits jusqu'à la victoire de Férydoun, ceux qui lui avaient déjà acquis toute sa célébrité, s'étaient accomplis en défendant les Hindous-Sanscrits, les Arians du nord de la Péninsule contre les aborigènes du midi, représentés dans les fables persanes, tout aussi bien que dans le Ramayana, par un roi de Ceylan. Aussi n'y a-t-il rien d'extraordinaire à ce qu'un héros, fort de tant de services rendus à la cause brahmanique, ait trouvé non moins que ses ancêtres quelque gloire au delà de l'Indus, et que son nom ait été conservé avec honneur par les compositions poétiques ou philosophiques de ce grand pays. Indépendamment même de ce que les Hindous savent des faits qui touchent directement à Kereçaçpa, ils ont eu en vue son peuple quand ils ont parlé de certaines émigrations de Çakas ou Scythes établis à l'époque héroïque dans le Pendjab, où la ville de Çakala avait été fondée par ces envahisseurs. Le Mahabharata en dit encore plus lorsqu'il mentionne un empire nommé le Çakaladwipa, qu'il place, divisé en sept provinces, sur la frontière du nord-ouest de l'Inde, ce qui se rapporte bien au Zawoul et à ses dépendances ; et en montrant les Çakas ainsi domiciliés dans l'Inde, le narrateur les rattache aux Sogdiens et les Sogdiens à la grande race héroïque et conquérante des Pandavas, par là reconnus pour avoir été des Scythes véritables[4].

Ce ne fut pas seulement dans la guerre que Kershasep fut puissant. Il apparaît encore comme le colonisateur du Seystan. Il y bâtit des villes, il y étendit les cultures. Ainsi est heureusement commentée l'observation de sir H. Rawlinson sur le nom de cette province. Le savant général retrouve dans la forme arabe Sedjestan une forme primitive, Sekestan, que Pline a d'ailleurs très  bien donnée dans le nom de Sacastania, et l'on doit en induire que les Scythes qui avec Kershasep colonisèrent le pays, se considéraient comme des Saces ou Sakas. La Chronique de Mohammed-Lary confirme cette notion lorsqu'elle raconte que Férydoun accorda l'empire du Turkestan à un certain Keshtasep, de la race de Djem-Shyd, qui fut, dit-il, un des ancêtres des Çamides. Mohammed-Lary recule un peu trop loin dans le nord les domaines de la maison du Zawoulistan ; niais il expose suffisamment le fait principal en montrant cette famille parente des Scythes, et de très près.

L'histoire du Seystan est aussi complète dans son ensemble et remonte aussi haut que celle des pays de l'Elbourz. Elle décrit la contrée avant même le temps de la prise de possession par les premiers Arians, alors line cette terre devint connue sous le nom de Haëtoumat, la lumineuse. C'était une région presque entièrement couverte par les eaux. Sept rivières, l'Helmend, le Fourrahroud, le Khekroud, le Héroud, l'Érendab, l'Érenou et le Nérenk, y portaient leurs tributs dans un vaste réservoir qui, à l'époque des crues annuelles, déversait son trop plein dans le lac Hamoun, c'est-à-dire dans la grande mer intérieure, appelée Pouytika. C'est probablement à cette disposition spéciale du pays que les historiens musulmans se sont rattachés pour dire que lorsque Noé fit sortir la colombe de l'arche, c'est dans le Seystan que cet oiseau prit pied d'abord ; le patriarche descendit aussitôt, et, sur le sol délivré du déluge, fit deux rikaats de prières. Dieu sait avec exactitude ce qui en est ; mais il est certain que le pays était riche en volatiles de toutes sortes, et particulièrement en espèces aquatiques. Un Djemshydite, que l'auteur du Heya-el-Moloak se plaît à confondre avec Salomon, fut séduit par les beautés naturelles du paysage. C'est le moment décrit par le Vendidad comme étant celui où les Arians s'emparèrent de l'Haëtoumat. Le conquérant força les dyws, les aborigènes noirs, à ramasser et à transporter dans leurs immenses marécages les sables qui abondaient dans le Kharizm, c'est-à-dire au nord de Balkh. Ainsi fut formé un terrain solide et d'une fertilité extraordinaire. Les naturels furent ensuite employés à élever des constructions énormes, et comme on ne se fiait pas à eux et qu'on voulait une population plus sûre, le souverain envoya dans les nouveaux établissements quarante mille captifs étrangers. Dès h, temps du premier empire, les habitants de l'Haëtoumat ne passaient donc pas pour être des Iraniens purs. Leur sang avait une base mélanienne comme celui du reste de l'Iran, et de plus il s'était allié à des familles soit sémites, soit scythes, ces dernières arianes sans doute, mais non pas de la migration des Djems.

C'est au milieu des descendants de ces colons qu'arrivèrent les Scythes de Kershasep, sortis du Zawoulistan. Trouvant là des demi-compatriotes, et charmés à l'aspect des grands bois de dattiers et de grenadiers répandus sur le pays, ils s'y établirent en très grand nombre. Le livre intitulé Heya-el-Molouk, auquel j'emprunte la plupart de ces détails, et qui est lui-même une histoire de la province, rapporte que toutes. les anciennes villes du Seystan étaient placées au bord des rivières ou au pied des montagnes, parce que des eaux on retirait du sable d'or et des pierres précieuses, et que dans les vallées de la région hante on exploitait des mines.

Le nom ancien de Haëtoumat s'effaça pour faire place à celui des nouveaux maîtres. Aujourd'hui encore le dialecte persan particulier au Seystan s'appelle le sekhzy. Le Heya-el-Molouk, citant le nom d'un célèbre auteur indigène, l'écrit Abou-Souleyman-Sekhzy, et le Nasekh-Attevarykh dit du Sassanide Dehram III qu'avant de monter sur le trône il portait le titre de Sekan-Shah ou roi du Seystan, parce qu'il avait été investi de la souveraineté de cette province, alors appelée Sekan. Quant au nom de Haëtoumat, j'ai déjà expliqué ailleurs qu'à l'époque des Grecs on l'appliquait au cours d'eau principal qui traverse toute cette région, et qu'on lui donnait la forme Etymander. Le poète du Kershasep-nameh écrit Ermend ; c'est l'Helmend dans la bouche des Persans actuels.

Un dernier trait reste à noter dans ce qui prouve le caractère scythique de la population du Seystan aux temps héroïques. Le Vendidad reproche à l'Haëtoumat d'aimer la violence, les querelles armées, les blessures, les meurtres. Ce sont bien là les signes du tempérament bouillant de la race déjà modifiés par les progrès de la civilisation chez les Arians-Iraniens, mais restés très saillants chez leurs frères du nord.

Les Çamides se voyaient possesseurs d'une vaste étendue de pays ; ils régnaient à la fois sur la contrée située au-dessus de Bamian et sur les plages du lac Hamoun. Ils disposaient d'une grande force, puisqu'ils s'étaient souvent mêlés avec succès aux affaires de l'Inde. Au moyen de leurs ressources, ils tenaient en échec leurs voisins, grands feudataires comme eux, les rois de Kandahar, de Kaboul, de Tubbet, de Merw. Du reste, ils ne jouissaient pas plus que leurs suzerains, les monarques d'Assyrie, d'un pouvoir illimité. Une telle prérogative était inconnue aux princes des pays arians, quel que fût le degré de leur élévation. Kershasep apparaît entouré de chefs avec lesquels il compte. Herbez, Karahoun, Arfesh, Neshwad, Azershen, Bourz, sont des châtelains maîtres dans leurs domaines comme il l'est chez lui, tenus en bride par les chefs de famille comme il l'est lui-même par eux.

Il ne parait pas que, malgré la facilité avec laquelle les Çamides avaient accepté le vasselage de Zohak, ils se soient crus obligés de défendre l'empire assyrien contre les succès de Férydoun. La légende ne marque rien de semblable. Elle a pris soin même de donner à penser tout le contraire, puisqu'elle nous a montré déjà, dans l'entretien du messager de Kershasep avec Abtyn au milieu des bois, que les Seystanys observaient avec un intérêt sympathique les efforts des hommes de la Montagne pour secouer le joug. Cependant elle rie va pas jusqu'à dire que les Çamides aient préparé le triomphe. Il semblerait qu'ils se soient bornés à l'accepter une fois accompli, et que pour transporter leur hommage de Zohak à Férydoun, ils aient attendu que celui-ci frit bien en état d'y prétendre.

Une conduite si passive, un tel manque de zèle est exprimé par le mythe qui rapporte qu'un jour Kereçaçpa osa frapper le feu, parce qu'à son gré il ne flambait pas assez vite, et cette action a paru si énorme que les Parsys l'ont punie en reléguant le héros dans l'enfer. D'autre part, les romans représentent comme éternel l'attachement de ce même prince à la païrika qu'ils appellent Pérydokht, la fille des fées. Enfin, si Kershasep se soumit à Férydoun, il ne renia pas les traditions de sa famille, et conserva toujours ce que l'on peut appeler exactement ses armoiries, c'est-à-dire des étendards noirs semés de serpents, marque de son ancien attachement à la maison de Zohak ; mais il y ajouta un lion d'or surmonté d'un croissant, c'est-à-dire les insignes mêmes de Férydoun et de l'Iran. C'est le Kershasep-nameh qui donne ce détail, d'autant plus curieux que le peine est d'une époque où l'usage du blason commençait à peine chez nous. Quant aux serpents considérés comme symboles de la monarchie assyrienne, j'ai dans les mains deux monuments pour en constater l'existence. Le premier est une agate ou cornaline muge teintée de blanc, de forme ronde et plate, sur laquelle est gravé un dragon ailé entouré d'un serpent. Le second est une épaisse amulette de jade, percée d'un trou pour pouvoir être portée. De deux pouces de large sur trois de haut, elle est taillée en relief assez fort, et on y voit un reptile montrant la tête et la moitié du corps. Cette pierre vient d'Hamadan.

Une fois que Kershasep, et avec lui son neveu Nériman, eut été rattaché au nouvel État, les domaines régis plus ou moins directement par Férydoun présentèrent un ensemble qu'il importe d'examiner, pour bien voir en quoi le troisième empire d'Iran différait territorialement du premier. Ce sera, en même temps, prendre connaissance de certains changements accomplis pendant la longue domination des Zohakides.

Amol ou Témysheh, la capitale, était entourée d'une région allant d'Asterabad à peu près jusqu'aux frontières du Ghylan, peut-être jusqu'au cours inférieur du Kizil-Ouzen. Plus loin, du côté de l'ouest, régnaient les Scythes. C'était le patrimoine royal. Du côté de l'Elbourz, au sud, ce patrimoine était promptement limité par les fiefs des Gawides, puisque ceux-ci possédaient Garen ou Varena, contrée que l'on u appelée plus tard le Ronstemdar. Ils tenaient aussi Demawend et les escarpements prolongés jusqu'aux défilés du Kaflan-Kouh.

Au delà d'Asterabad, dans la direction de l'orient, s'ouvrait l'Hyrcanie, le Vehrkana, le Gourgan actuel, pays très anciennement iranien. Par suite de changements qui devaient avoir à l'avenir de grandes conséquences, cette terre était sortie des mains des Zohakides impuissants à la garder, et les tribus scythiques y dominaient. Cependant l'Hyrcanie continuait à être couverte de villes florissantes et de belles cultures. Les traditions iraniennes, très différentes en cela de celles des Grecs, ne montrent jamais les Scythes, les Sakas, comme des sauvages. On ne saurait trop insister sur cette vérité et la mettre trop fortement en lumière. L'inimitié entre les deux fractions de la race n'a pas commencé, sans doute, à ce moment de la naissance du troisième empire ; mais, alors même qu'elle sera flagrante, les Iraniens ne considéreront encore les Scythes que comme des adversaires et nullement comme des hommes placés en dehors de toute valeur sociale. Il est bien à supposer que les princes scythes devenus possesseurs du Gourgan avaient fini par reconnaître la suzeraineté plus ou moins effective de l'Assyrie, car, après la révolution ils rendirent hommage à Férydoun et s'avouèrent ses vassaux.

Les rois de Merw et de Balkh, de Moourou la sainte et de Bakhdhy la belle aux drapeaux élevés, firent de même, et aussi les rois de Kaboul, rivaux héréditaires des Çamides, et encore les princes du Kandahar. Il n'est pas question du Syndhy. Probablement le Mekran, peuplé par des dyws, par des noirs indigènes mêlés de métis, resta comme ce pays en dehors de la nouvelle monarchie iranienne. Ces territoires avaient accepté la suprématie de Zohak, mais rien ne dit qu'ils se soient soumis à Férydoun ; il n'est cependant question d'aucune guerre entreprise contre eux.

La partie méridionale de 1'Elbourz formait le domaine de la famille de Nestouh, comme le centre et le nord celui des Gawides. Nestouh régissait des États assez dispersés. On a vu qu'outre son fief héréditaire, dont la capitale était Ragha, il possédait Ecbatane et une grande partie de la Médie : Férydoun lui en avait donné l'investiture. De leur côté, les Gawides étaient aussi établis à Ispahan, car, plus tard, cette ville est dans les mains d'une de leurs branches, représentée par Rehham, fils de Kondery, fils de Garen, fils de Gaweh. Ceci pourrait se rattacher à l'opinion qui fait de l'éponyme de cette famille un forgeron de cette cité. L'historien Khondemyr, jaloux de présenter Nabuchodonosor comme un Iranien, le confond avec Rehham, qui aurait ainsi été le destructeur de Jérusalem.

La tradition iranienne s'est de bonne heure laissée aller à oublier les noms du plus grand nombre des familles puissantes réunies certainement autour du trône de Férydoun, pour attribuer les exploits et la gloire de tant de vassaux aux trois grandes maisons d'Abtyn, de Gaweh et de Cam. Nestouh et les siens ont été les victimes de cet esprit de préférence qui frappa plus encore les rois de Balkh, de Merw, de Kaboul, de Kandahar, de Tubbet, de Gourgan, et fit même disparaitre jusqu'à la trace de tous les autres. De sorte qu'il ne faudrait pas donner une créance trop absolue au renseignement qui concède la domination d'Ispahan, c'est-à-dire d'une partie de la Perside, aux descendants de Gaweh. Il est même possible que le désir de revendiquer un rôle considérable pour cette contrée lointaine dans le mouvement qui délivra l'Iran de l'oppression, fût pour quelque chose dans cette version peu probable. Les Perses une fois placés à la tête des nations pures, ont dit vouloir, comme les Mèdes, entrer en partage d'une réputation qui n'était pas la leur. Il leur a paru naturel que tout ce qui avait créé la puissance iranienne ait pris son origine dans leur pays ; mais celui-ci, ne l'oublions pas, n'était pas même iranien quand se passaient les faits que je raconte. De là peut provenir la généalogie gawide attribuée à Rehham.

En ce qui concerne Nestouh, roi d'Ecbatane ou de Médie en inique temps que de Rhagès Ou de la Parthyène méridionale, c'est sans aucun doute l'Astyages, l'Astyages des Grecs qu'il faut reconnaitre en lui. Il représente toute la lignée médique, et il était aussi suzerain de la Per-skie, de la Susiane, des contrées adjacentes, comme le Kerman. Celles-ci avaient subi la suprématie de Koush aux dents d'éléphant, et la nouvelle dynastie du compagnon de Férydoun entrait dans les droits de celle qu'elle détrônait. Une marque certaine qu'il faut l'entendre ainsi, c'est qu'à côté de Nestouh se place un personnage un peu subalterne, nommé Shyrouyeh. Celui-ci prend part il tous les exploits de son seigneur, partage ses conquêtes, et cependant on ne trouve nulle part quel lien l'unit au grand vassal de Férydoun. Nulle part il n'est dit qu'il ait été son frère, ou son fils, ou son neveu, ni qu'il lui ait même tenu par un titre quelconque de parenté. C'est toujours un vassal : à Hamadan ou Ecbatane, comme à Ragha, comme dans toute la Médie, il agit sous les ordres de Nestouh.

Ce personnage si peu indiqué, dont la physionomie se montre à demi effacée derrière celle du roi secondaire, présente cependant un très grand intérêt. Si Nestouh, comme. il ne faut pas en douter, personnifie la famille entière des grands vassaux intronisés à Ecbatane par Férydoun, Shyrouyeh, de son côté, n'est rien moins que l'image de la lignée des arrière-vassaux gouvernant la Per-sicle qui devait un jour aboutir à Cyrus. C'est une forme de ce même nom très ordinaire dans la famille régnante, et, fait digne de réflexion, si Hérodote assure, d'après les renseignements obtenus par lui à Babylone, que Cyrus le Grand était petit-fils d'Astyages par Mandane, Ctésias, se réglant sur ce qu'on lui avait dit à Suse, où il y a lieu de croire qu'on était mieux informé des généalogies royales, soutient de son côté qu'il n'existait absolument aucune parenté entre le conquérant et le roi de Médie. Du reste, ce dernier témoigne dans les pages mêmes d'Hérodote, que l'alliance de Mandane n'était pas un honneur pour sa maison ; en conséquence, c'eût été la première fois qu'un pareil lien se fût formé entre les deux familles, et il n'est pas ici question de Cyrus lui-même, mais de ses ancêtres.

Bien que le Ghylan, où régnaient les descendants du roi scythe Béhek, l'ancien ami d'Abtyn, ne fût, à l'égard du nouvel Iran, dans aucun rapport de vassalité, il doit cependant lui avoir été allié et avoir reconnu une sorte de protectorat. Pour le pays de Bésila, domaine du roi Tyhour, grand-père maternel de Férydoun, comme il était fort éloigné, les relations n'étaient pas très intimes entre l'Iran et lui. Elles l'étaient assez, cependant, pour qu'on ait conservé de ses dynastes les noms de Keshen, fils de Tyhour, et surtout de Garem, son petit-fils, dans lequel on pourrait peut-être retrouver un souvenir du frère de Zeryna ou Férareng, ce roi scythe Kydraios dont parle Ctésias.

J'ai déjà dit que les conquêtes de Férydoun se bornèrent à prendre la Médie et les annexes de ce royaume, la Perside et la Susiane, et que l'Assyrie proprement dite ne fut pas entamée par le Libérateur. Désormais, les frontières 'de l'Iran longèrent le versant occidental du mont Elwend et de la chaîne dont cette montagne célèbre fait partie. Mais la Médie, je le répète encore, resta définitivement rattachée au nouvel empire sous hi domination de la dynastie secondaire connue des annales persanes par le nom de Nestouh, et des Grecs par celui d'Astyages. Avec le temps, quand cette province eût pris une grande place et eut assumé un rôle de premier ordre dans l'agrégation, nouvelle, en raison de sa civilisation plus raffinée, plus savante, moins austère que celle du reste de l'Iran, avantage qu'elle devait à sa parenté avec Ninive et aux leçons qu'elle en avait reçues, elle attira à elle la meilleure part de hi gloire du passé. En la voyant dominante sur la frontière occidentale, les Grecs ne s'imaginèrent pas qu'elle n'avait été jadis que la vassale de ces peuples belliqueux, agriculteurs, simples de mœurs, qui vivaient, leur disait-on, dans cet Elbourz où ils ne pénétraient pas. On leur parla de Férydoun, le héros national ; ils comprirent qu'il avait dû être le roi de la Médie, et, en effet, il l'avait été, mais d'une façon et d'après un système dont la race hellénique avait perdu toute idée depuis les jours lointains d'Agamemnon ; c'est pourquoi, sans trop savoir où le héros avait résidé, où il avait vécu, de quel sang il était sorti, le sachant Iranien et maître suprême de la Médie, ils pensèrent que les Mèdes étant Iraniens eux-mêmes, ce Férydoun, qu'ils appelaient Phraortes, était Mède également et avait régné directement sur la Médie à la manière dont les rois des Lydiens et des Thessaliens régnaient à Sardes et à Larisse.

Cependant la tradition mal comprise qui attribuait aux Mèdes la gloire de Phraortes ne parait pas avoir été générale en Perse au temps des Achéménides. Si Hérodote la rapporte et s'y tient, Ctésias l'ignore ou la méprise, et il supprime toute mention de Phraortes dans son catalogue des rois mèdes. Diodore apprécie sans doute les motifs de ce silence et les trouve bons, car il préfère aussi cette seconde version à celle d'Hérodote, placée également sous ses yeux. En somme, on s'aperçoit que sur beaucoup de points, et j'en ai déjà fait la remarque et j'aurai d'autres occasions de la faire encore, Ctésias, chroniqueur médiocre, a su mieux les choses que son glorieux devancier. Rien n'est plus explicable. Il vivait à la cour, au milieu des sources d'informations les plus complètes ; il y résida longtemps. Le voyageur d'Halicarnasse, au contraire, qu'à Babylone, vit les choses en gros, ne reçut que des renseignements de seconde main, et put aisément en altérer la valeur par des appréciations peu exactes. Quoi qu'il en soit, ce qu'il a dit de Phraortes est précieux, et en laissant à l'écart la question de nationalité de ce prince, on trouve dans les Muses des points de comparaison avec la légende persane qui confirment les assertions essentielles de celle-ci.

Ainsi il faut commencer par diviser ce qu'Hérodote rapporte de la naissance de Phraortes. Il le dit fils de Déjocès. En tant qu'il eût été roi de Médie, Phraortes, eu effet, eût dû avoir un lien de parenté avec Déjocès ou Zohak, et ici Hérodote met Phraortes à la place même que la légende persane attribue à Koush-Héféran, roi d'Ecbatane. Il se trompe de nom et rien de plus ; en outre, puisqu'il voulait absolument introduire Phraortes dans la liste des souverains directs de la Médie, il ne pouvait pas lui choisir un autre rang que celui-là. Le prince dont il parle n'est pas assurément le fils de Déjocès, mais il est bien son successeur ; seulement c'est en vertu de la force et non de l'hérédité naturelle. Ce qu'Hérodote dit de tout à fait vrai, c'est que les rois mèdes étaient alliés à la famille des rois assyriens. Il fait exécuter à Phraortes la conquête de la Perside, et il ajoute qu'il fut le premier qui ait rattaché ce peuple à la monarchie des Mèdes. Présenté ainsi, le récit est erroné, car la Perside avait été dès longtemps une dépendance du pays mède. On en trouve la preuve dans la fable grecque elle-même, qui ne sépare pas la famille de Persée de celle de Médée. Mais tout devient parfaitement véridique si l'on comprend que Phraortes, roi des Mèdes en même temps que du nouvel Iran, a été le premier des rois iraniens qui ait possédé la Perside. A cette affirmation il n'y a rien à objecter, elle est sûre. Ensuite Phraortes se tourna contre les Assyriens, ceux-là qui habitaient à Ninive et étaient déjà affaiblis par la perte des contrées auxquelles ils avaient commandé autrefois. Hérodote ne dit pas quelles sont ces contrées, mais nous savons que c'est la Médie elle-même et tout l'Iran. Ainsi la réalité des choses est fort bien indiquée. Phraortes ne put conquérir le pays de Ninive ; nous avons vu, eu effet, que Férydoun ne s'en rendit pas maitre. Tels sont les détails donnés par Hérodote sur la personnalité de Phraortes. Il ne s'agit que de comprendre les faits tels qu'ils doivent l'être ; pour cela il convient d'invoquer l'autorité sans réplique du Zend-Avesta.

Dans le premier chapitre ou fargard du Vendidad, on lit qu'à Varena la carrée naquit Thraëtaono, qui tua le serpent Dahaka. Ainsi Thraëtaono, Férydoun, Phraortes, naquit dans l'Elbourz, là même où la légende persane place son berceau, et il fut le meurtrier de Zohak et son successeur par droit de victoire. L'épithète que, de son côté, le Yaçna donne au héros, c'est Thraëtaono à la vaillante race. Il le dit fils d'Athwya ou Abtyn. Il dit qu'il frappa le serpent Dahaka aux trois gueules, aux trois têtes, aux six veux, aux mille forces, démon vigoureux né des dyws, redoutable à tous les mondes, méchant, qui avait produit le mauvais esprit et l'avait lancé dans l'univers pour la ruine de toute pureté. Le Yaçna n'est pas partout d'une rédaction très ancienne, et on voit que sous l'influence d'une mysticité religieuse absolue, il ôte aux faits historiques la meilleure part de leur réalité ; mais pourtant le Yaçna, dans ses versets les plus récents, n'est pas postérieur au deuxième siècle de l'ère chrétienne, et c'est assez pour que ses allégations aient du poids. D'ailleurs il concorde avec ce que les Védas racontent, eux aussi, de Thrita, qui est Thraëtaono. Ils le font combattre avec le serpent à trois têtes et à sept queues, et délivrer les vaches sacrées de la servitude. Ainsi, pour ce récit cette fois très antique, comme pour le Yaçna, Thraëtaono est bien toujours le vainqueur des serpents d'Assyrie et le héros religieux qui rend à la foi pure sa splendeur avec sa liberté. Je ne crois pas, d'après les trois témoignages que je viens d'alléguer, qu'aucun fait ancien puisse être déterminé d'une manière plus satisfaisante que l'origine, la personnalité et le rôle de Férydoun viennent de l'être.

Ceci posé, on a remarqué sans doute que parmi les grandes nouveautés de l'ère qui commençait, se trouvait celle-ci, que le sang scythique avait pénétré l'Iran d'une façon très abondante, et cela par plusieurs voies. Au nord et à l'est, la dynastie secondaire des Çamides l'avait introduit au pays de Zawoul et au Seystan ; une autre dynastie vassale en avait inondé le Gourgan ; le lignage de Béhek le maintenait dans l'angle occidental de la Caspienne, et Férydoun lui-même était de race scythique par sa mère. D'ailleurs les masses d'Arians non Iraniens accumulées au nord continuaient à presser dans la direction du midi. Plusieurs de leurs divisions s'étaient fait jour à travers les résistances de leurs anciens frères et avaient acquis le droit de cité dans la société mazdéenne. Mais, très naturellement, à ceux qui avaient réussi et s'étaient établis au milieu des pays qu'ils convoitaient, d'autres essaims voulaient sans cesse s'ajouter, et ceux-ci devaient trouver pour ennemis principaux leurs associés de la veille, redoutant la dépossession. C'est pourquoi Férydoun n'eut pas seulement à lutter contre les Assyriens. Il soutint des guerres considérables contre les Scythes, et, demi-Scythe lui-même, lança contre eux le Scythe Kershasep à la tête de ses Sakas. La tradition iranienne assure que le théâtre des hostilités se plaça surtout du côté du Gourgan, et on doit la croire avec d'autant plus de facilité que ce fut là désormais que les Scythes cherchèrent à faire brèche.

Hérodote raconte que Phraortes périt dans une expédition contre les Assyriens, après avoir régné vingt-deux ans. Il est difficile d'accepter une telle opinion, d'abord parce que l'on a vu que l'identité de Phraortes est très obscure pour Hérodote, et il se peut même très bien qu'un roi des Mèdes de la race de Nestouh ait fini dans une rencontre de ce genre sans que la lignée des grands rois de l'Iran y fût le moins du monde intéressée, et pour une personnalité aussi illustre que celle de Férydoun. Les textes persans ne présentent guère ce souverain dans ses dernières années, combattant en personne et guidant ses armées ; ce soin désormais appartient à ses capitaines, les Gawides, les Çamides et les autres. Ensuite, ces mêmes textes ne disent nulle part que la fin du Libérateur ait été violente. Le Shah-nameh le montre au contraire, après un règne de cinq cents ans, abdiquant en faveur de son petit-fils, qu'il couronna de ses propres mains et recommanda à la fidélité de Çam, fils de Nériman et petit-fils de Kershasep. Après l'accomplissement de cette cérémonie à héros mourut, entouré des siens, et Ferdousy s'étend avec attendrissement sur les regrets dont il fut accompagné an tombeau.

Je préfère beaucoup cette version plus probable, et j'accepte même l'énorme durée du règne de Férydoun, tout en me réservant de la rendre compréhensible, ce qui aura lieu dans le chapitre suivant.

 

 

 



[1] MÉGASTHÈNE, p. 417-21, éd. Didot.

[2] SPIEGEL, Vendidad, l. I, p. 255, et Yaçna, ch. I, 1, 11 ; IX, 30, et p. 71-72. — Il y a là une confusion intéressante à étudier. Les Indiens considèrent aussi 'Mita comme le père des médecins ; mais c'est Thraëtaono ou Férydoun qui existe, dans leur pensée, sous ce nom. Hamza-Isfahany, recueillant cette tradition, l'applique aussi non pas à l'éponyme des Çamides, mais à Férydoun lui-même, et il lui attribue l'invention des enchantements, celle des antidotes, comme la thériaqué, la découverte des premiers principes de l'art de guérir, l'usage des simples, etc.

[3] Vendidad, I, 36.

[4] LASSEN, ouvr. cité, t. I, p. 652-3.