Les Crétois ont eu ce privilège, rare dans l’histoire, de donner à leurs contemporains comme à la postérité l’impression d’un peuple artiste. Ailleurs, à la même époque, surgissaient des œuvres qui méritent aujourd’hui encore l’admiration ; mais, ni en Mésopotamie ni en Égypte, les grands architectes n’avaient d’autre idée, que de satisfaire, l’orgueil d’un roi en matérialisant sa gloire dans une demeure plus belle que celles de ses prédécesseurs, en de contribuer à la majesté des dieux et à l’immortalité des morts en plaçant d’impérissables images dans des monuments éternels. Les Crétois aussi ont construit de beaux palais, de jolies chapelles, des tombes imposantes, et c’est par la description de ces œuvres-là qu’il nous faudrait commencer ce chapitre sur l’art, si nous n’avions pas déjà vu ce qu’était chez eux l’architecture civile et religieuse. Mais ils ont ceci de particulier, que pour eux l’art s’étend à tout et à tous. Aux objets les plus communs, dans les maisons les plus modestes, ils savent donner une expression esthétique, ajouter ces détails de parure qui en font quelque chose de plus que des ustensiles. L’instinct agit sur eux dès l’époque où ils habitent encore de simples huttes : ils y conservent déjà des superfluités à quoi ils attachent un grand prix, une défense d’éléphant, une vertèbre de baleine. Ils ne disposent pas plus tôt du métal, qu’ils façonnent des poignards d’argent et, sans transition, exécutent des bijoux d’une finesse et d’une variété incomparables. Pour loger les huiles et les vins fins, il leur faut des vases précieux. A table, ils veulent des cruches et des coupes élégantes de forme et décorées de peintures brillantes ou de ciselures fines. Autour d’eux, ils aiment à voir le chatoiement de la lumière oblique dans les chambres et, sur les murs, les images vives de tout ce qui leur plait dans la nature et accroît en eux la joie de vivre. Non contents de se parer d’étoffes multicolores et de bijoux, ils désirent que leur corps même, comprimé à la taille, se présente comme une œuvre d’art. Si jamais il a existé un pays où toutes les circonstances favorisaient l’éclosion des dons artistiques, où les industries chargées de pourvoir à des besoins vulgaires devenaient spontanément des industries d’art, c’est bien la Crète du IIIe et du IIe millénaire. Pour que d’authentiques chefs-d’œuvre se conservent dans des habitations souvent bien humbles, il faut qu’une société soit organisée de façon à ne pas réserver à de rares, privilégiés la faculté de s’élever au-dessus des nécessités matérielles. Il en était ainsi dans la période où la Crète était divisée en clans ou en groupes féodaux : entre tous les chefs existait une féconde émulation. Plus tard, quand s’étendit la puissance de Minos, elle ne porta pas atteinte à l’autonomie locale ni à la liberté personnelle. Si Cnosse devient le centre de la Crète, elle ne l’absorbe pas tout entière : Phaistos et Haghia Triada, Tylissos, Mallia, toutes les villes de la Crète orientale continuent de prospérer, et c’est à Gournia, à Pseira, à Palaicastro que se sont trouvés les plus beaux vases du M. M. I. Rien ne montre mieux les droits de l’individu en Crète et l’influence de l’individualisme sur l’art, que l’innombrable quantité de sceaux qu’on a découverts dans les maisons de toutes les bourgades. Ils servaient au roi et aux hauts fonctionnaires, mais aussi aux particuliers, qui tous imprimaient sur des contrats ou des ballots de marchandises la marque de leur personnalité et qui tous la voulaient belle autant qu’originale. Aussi les Crétois surent-ils admirablement tirer parti des ressources que leur offrait leur sol. De marbre, point ; peu de métal. Mais ils avaient de beaux calcaires, dont les uns se taillaient facilement, dont les autres pouvaient être broyés en une chaux propre à la fabrication d’un stuc qui valait le gesso duro des Italiens ; ils trouvaient sur la côte de Mirabello et à Kakon Oros des brèches tachetées ou jaspées dont les bigarrures violentes ou les nuances fondues les invitaient à la polychromie ; ils avaient aussi plusieurs variétés de stéatite, noire ou verte, opaque ou transparente, qui provoquaient le burin, et une argile jaune qui allait bien au feu et prenait bien la couleur. Leur palette était riche de pâtes solides et brillantes, dont l’éclat, quand il n’est pas éteint par la déflagration des palais, est encore aujourd’hui un émerveillement. Avec ces moyens matériels, la technique fit des progrès constants du jour où la Crête connut le métal. L’usage du feu devint une sorte de science qui profita au potier autant qu’au métallurgiste. Tandis que l’un perfectionnait, ses matrices et ses ciseaux, l’autre apprenait à régler la température de son four et obtenait des vases flammés, des barbotines et des faïences. Les inventions se multiplièrent. Le céramiste cessa de façonner à main libre : au XXIe siècle, il se servit d’un tour à rotation lente ; à partir du XVIIIe, le tour à rotation rapide fut d’un emploi général. L’expérience acquise se constituait en tradition sans dégénérer en routine. On se transmettait de père en fils des procédés qui donnaient à la main une étonnante sûreté. Avec de la fibre mouillée et du sable fin ou de l’émeri, on arrivait à convertir un bloc de pierre dure en un vase de forme parfaite. Sans jamais connaître la trempe du bronze, on disposait d’outils délicats, par exemple, de petites scies à chantourner à double dentelure qui n’avaient pas plus de 6cm,5 sur 4 ; on se servait de ces instruments minuscules avec une dextérité infaillible. Le peintre s’aperçut de l’effet produit par l’application des couleurs sur le stuc encore humide : à traits définitifs, sans retouches, se bornant pour plus de facilité à quadriller son champ, il couvrit les murs de grandes fresques. Et, comme il n’y avait pas plus de limites entre les différents arts qu’entre Fart et l’industrie, tout ce qui était gagné par l’un d’eux l’était pour les autres. Le bronzier connaissait les secrets de l’orfèvre et fournissait des modèles au potier ; la peinture murale passait ses sujets de proche en proche à la peinture de vases, à la sculpture, à la glyptique, et, par combinaison avec la plastique, remplaçait la fresque unie par le relief en stuc peint. Conscients de leur parenté naturelle, tous les artistes s’encourageaient et s’entraînaient à l’envi. Par un enseignement mutuel, ils se donnèrent une éducation complète. Pour la parfaire, ils acceptaient avec empressement, surtout dans les débuts, les leçons de l’étranger. L’influence des pays asiatiques fut à peu près nulle. On imita vaguement la forme de quelques cylindres de Babylonie rapportés par des marins, et la coupe à deux anses, spécialité de Troie II, se répandît dans les Cyclades et en Crète. C’est peu. Autrement féconde fut l’influence de l’Égypte. Elle fournit aux lapicides des modèles de vases en pierre ; elle fit connaître l’usage des cachets et la fabrication de la faïence. Plusieurs sujets dérivés de ses traditions religieuses furent reproduits quelque temps ou adoptés pour toujours par la Crète, comme le cynocéphale, la déesse hippopotame, les griffons. Enfin ses peintres transmirent à ceux de Crête l’habitude de représenter tes hommes avec la peau rouge et les femmes avec la peau blanche. La part de l’Égypte dans l’art crétois est donc loin d’être négligeable. Celle des Cyclades également : c’est par leur intermédiaire que la spirale venue de la Grèce septentrionale a passé dans la grande île, pour y jouer un rôle énorme dans la décoration. Mais jamais aucun emprunt n’a entravé la liberté des artistes crétois. Ils prennent leur bien où ils le trouvent, sans qu’il en coûte à leur originalité. Les procédés venus du dehors sont adaptés à des besoins nouveaux. Des motifs consacrés par les siècles, d’une rigidité hiératique, se rajeunissent, s’assouplissent, se métamorphosent. Le griffon de la dix-huitième dynastie, lion qui ne savait que faire de ses ailes, s’élance, emporté par le galop volant, et, quand il retourne aux bords du Nil, on ne l’y reconnaît pas. C’était une pauvre chose que la spirale du continent, avec ses cercles concentriques reliés par une tangente ; elle prend en Crète une ampleur et une richesse insoupçonnées par des enroulements superbes, des entrelacements spirituels et d’heureux mélanges avec des motifs linéaires ou foliacés. La liberté à l’égard de tous les enseignements et de toutes les traditions, voilà le trait le plus caractéristique de l’art crétois. Il a eu ses conventions ; mais aucune n’a jamais été une gêne pour les tentatives personnelles : avant que la règle eût décidé que la peau d’homme serait rouge, les fresques ayant alors un fond de cette couleur, on essaya de tout pour la peindre, même du bleu, et, au temps où le fond bleu mettait en valeur le rouge de la peau, un artiste osa représenter un roi à peau jaune. Recherche de l’étrange ? Non pas, mais recherche du nouveau, d’un nouveau moins conventionnel. L’artiste crétois a la confiance de la jeunesse, une hardiesse ingénue. Il éprouve vivement la joie de créer. Il apporte à son travail cette allégresse qui est une force. Ses fantaisies ne sont pas d’une prétention tumultueuse, mais d’un enjouement naïf et puissant. Longtemps l’art crétois prend plaisir à tâtonner en tous sens et goûte à toutes les jouissances que peuvent donner les formes, et les couleurs. Puis il porte ses efforts sur le dessin et la polychromie : tandis que le sculpteur continue de représenter la vie, le peintre se contente d’unir des éléments floraux au décor géométrique pour faire valoir avant tout un coloris éclatant. Quand les oppositions ou les gradations de nuances n’ont plus de secret pour lui, quand il est capable de combiner les lignes droites et les courbes pour en former des triglyphes, alors il ne lui suffit plus de styliser quelques fleurs très simples, de reproduire des pétales de lis et des nénuphars ; il se tourne, lui aussi, vers la nature entière. L’art crétois va tout entier s’y plonger avec délices. Il apporte avec lui ce don que rien ne remplace, la fraîcheur d’observation. Le aime à regarder la marche balancée du pêcheur sur la plage, les minauderies de la princesse assise dans la loge royale ou l’agitation de la foule aux jours de fête. Il est heureux de suivre des yeux le galop furieux du taureau qu’on excite, ou le chat qui guette sa proie dans les hautes herbes, ou les bonds du chamois dans la montagne. Il est charmé par la nonchalance de la tulipe qui penche, par l’orgueil du lis dressé sur sa haute tige. Nul spectacle ne captive plus cet amant de la mer que le poisson volant quand il replie ses ailes dans l’eau ou les étend dans les airs, les évolutions du dauphin qui plonge et reparaît, les tentacules et les suçoirs de la pieuvre et de l’argonaute, où toutes ces formes étranges, plantes ou animaux, qu’on aperçoit dans les bas-fonds aux heures où le flot est limpide. Toutefois le sentiment de la nature, dans l’art crétois, n’est point un réalisme brutal. Ce n’est même pas toujours un naturalisme qui choisit dans la réalité, mais se fait une loi de lui rester fidèle. L’art crétois cherche la ligne caractéristique. Les hommes de tout rang doivent être é1égants et sveltes : ils ont presque sans exception les membres longs et minces et la taille si exiguë que le torse est quasiment triangulaire. Les dames de haut rang doivent être gracieuses : elles ont souvent des gestes menus où les mains se lèvent et les doigts fluets s’écartent. Avant tout, par conséquent, il s’agît d’exprimer le mouvement. La main l’osa, avant même que l’œil y fût expert. Heureuse audace. Aux débuts du naturalisme, le corps humain et les formes des animaux trahissent l’inexpérience par des fautes de proportions ; mais, si la statique laisse à désirer, la dynamique est déjà remarquable. Il ne faudra pas longtemps pour qu’elle soit parfaite. La saillie des muscles tendus sera saisissante d’exactitude et de minutie. L’action la plus rapide sera prise, ou plutôt surprise, avec une soudaineté de vision et une sûreté d’exécution également impeccables. La plastique du M. M. III nous montre de véritables instantanés. Sur un vase de Vaphio, un toréador vient de saisir le taureau en course à l’oreille et à la naissance des cornes ; il se balance d’une jambe pour arriver avec le jarret de l’autre à faire un rétablissement sur les cornes. Le mouvement a la durée d’un éclair ; il paraîtrait contre nature, s’il n’était criant de vérité. C’est de l’impressionnisme, mais du meilleur, de celui qui traduit un sentiment. Et par le sentiment qu’ils expriment, les mouvements, même ceux des bêtes, même ceux des plantes, acquièrent une puissance pathétique, on pourrait dire un sens moral. Ce sont des scènes de drame, ce combat livré devant des tour% où des femmes éplorées lèvent les bras au ciel, cette chasse où titi lion se retourne contre ses adversaires, en terrasse un et s’élance au-devant des flèches et des javelots. Il y a quelque chose d’élégiaque dans la tristesse de ces arbres qui étendent leurs branchés dénudées au-dessus de flaques hivernales. On peut incriminer l’anatomie de cette vache et de cette chèvre qui allaitent leurs petits ; mais, tandis que l’une se retourne pour lécher le veau qui la tette, tandis que l’autre écoute les bêlements d’un second faon qui attend son tour avec impatience, elles paraissent vraiment symboliser la dignité maternelle. Toutes ces qualités artistiques, les Crétois les ont déployées, en général, sur des objets de petites dimensions. Ils voient juste, ils voient beau, ils ne voient pas grand. On dirait qu’ils ..... [Ici, il mais la page 354 du livre] Déjà vers le milieu du IIIe millénaire, les murs des maisons crétoises recevaient deux couches de plâtre, dont la plus fine était badigeonnée de rouge. Quand on sut purifier le plâtre et que, par la combustion d’un calcaire, on obtint pour la couche supérieure du revêtement une chaux tout à fait pure, un artiste de génie s’avisa de peindre à la détrempe sur le stuc humide. Le nouveau procédé à exécution rapide ne pouvait produire que des œuvres hardies, pleines d’entrain, exubérantes. L’impossible d’assujettir des touches aussi brusques à dis formules d’école. Chacun donna la pleine mesure de sa personnalité. Ce fut une éclosion charmante. Dans les premiers palais de Phaistos et de Cnosse, certains murs avaient été couverts de dessins multicolores qui rappellent par la vivacité des tons la liparite ou la barbotine[1]. Aussitôt on passa à la peinture de personnages. C’est du M. M. II que date le Cueilleur de safran[2]. L’inexpérience est flagrante, le corps tout bleu est trop grêle ; mais le mouvement du jeune homme enjambant les roches est bien saisi, et les touffes de fleurs pâles ne manquent pas de grâce. Au XVIIe siècle, quand s’élèvent les seconds palais, le peintre de fresque est en pleine possession de ses moyens. Non qu’il ait jamais réalisé tous les progrès dont son art est susceptible : il s’en tient aux couleurs conventionnelles pour la peau, il place l’œil de face dans une figure de profil, il ignore les ombres et ne connaît que la perspective cavalière. Mais la facture est bonne, la technique excellente. Sur les panneaux purement décoratifs, sur les frises, il imite le marbre, entrelace les grecques en labyrinthes, renouvelle les enroulements des spirales, aligne les boucliers en 8 et, encadrant les rosaces de triples bandeaux, prépare le triglyphe[3]. Pourtant tous ces motifs sont secondaires. L’essentiel, c’est la représentation des plantes, des animaux, des personnages humains. L’exemple le plus complet que nous en avons, c’est la composition de grandeur naturelle qui décorait tous les murs d’une salle à Haghia Triada[4]. Dans un paysage que dominent des roches tapissées de lierre, s’étendent des touffes de crocus, des lis rouges et des fleurs hybrides d’une grâce exquise. Lourdement s’avance un taureau à peau sombre. Un lièvre détale. Caché par un fourré, tête basse, œil fixe, jambes tendues, un chat sauvage se ramasse, prêt à bondir sur un coq de bruyère qui, sans défiance, fait le beau. Enfin, devant un édicule sacré, parmi des myrtes, une femme revêtue d’un costume somptueux danse un pas mystique, ce pendant qu’une prêtresse à longue robe est agenouillée sur le sol, comme pour cueillir des fleurs. C’est un maître, et l’un des plus grands qu’ait produits la Crète, celui qui a pu imaginer et exécuter au M. M. III une œuvre pareille. Est-ce le même ou d’autres d’égale valeur qui travaillaient vers la même époque pour le roi de Cnosse ? En tout cas, ils puisaient dans la nature et la vie, largement, avec l’ardente liberté de la jeunesse. Les amateurs de la beauté végétale donnent à des rameaux d’olivier en fleurs une noblesse qui reste simple ; par quelques traits d’un pinceau léger, ils font apparaître des roseaux en bouquets d’une finesse délicieuse ; ils parsèment un tapis rouge de lis blancs, en éparpillant de-ci, de-là, des pétales détachés par la brise[5]. Les animaliers ont une forte prédilection pour le taureau ou la faune marine. L’un d’eux représente, dans l’appartement de la reine, deux grands dauphins nageant parmi des poissons plus petits au-dessus de coraux et de coquillages[6]. Mais dans un palais convenaient surtout les scènes empruntées à la vie de cour et aux fêtes publiques. Les dames en bleu[7], étincelantes de bijoux, animèrent le salon où elles étaient assises de leurs propos gracieux et de leur noble mimique. Une grande composition décora l’étage supérieur du sanctuaire occidental : au premier plan est lancé un taureau superbe, et le toréador exécute au-dessus de la bête le saut périlleux en laissant flotter ses longues boucles ; au fond, on aperçoit le sanctuaire de la déesse qui préside aux jeux ; dans l’intervalle, se tient la foule, si dense que les têtes se touchent, si curieuse qu’elles sont tendues toutes dans la même attitude[8]. Au M. R. I, cette effervescence s’apaise. L’expérience a créé quelques traditions. D’un archaïsme exubérant se dégage un classicisme qui n’a, d’ailleurs, ni raideur ni étroitesse. Plus de paysage ; la fresque est presque exclusivement réservée aux scènes où l’homme joue le rôle principal. La Parisienne au corsage agrémenté du pli Watteau a tout l’air d’un portrait, avec ses frisons indociles, ses grands yeux, son nez cabossé, sa bouche sensuelle, son menton pointu et son long cou ; elle faisait partie d’une frise où s’alignaient un grand nombre de personnages assis. La Danseuse, en chemisette collante et boléro, un bras au corps et l’autre étendu, mèches volantes, sourire figé, tourne, tourne éperdument[9]. Plus extraordinaires encore sont les fresques miniatures, qui datent de la même époque. Pour représenter de plus grands ensembles, on eut l’idée d’en réduire l’échelle. Avec ce procédé de sténographie picturale, il fallait une habileté de main surprenante pour donner une expression à d’innombrables personnages. On y réussît brillamment. Dans un de ces tableaux, les dames de la cour, assises près d’une chapelle, regardent à une loge une fête de plein air. En toilette de gala, elles gesticulent et jacassent, toutes avec des poses différentes. Au spectacle qui les passionne se presse une foule qui remplît tout le champ. Une autre fois, on assiste à une cérémonie du haut d’une petite, sans doute celle qui domine la rivière de Cnosse à l’Est du palais : dans le bas, un groupe de femmes exécute la danse rituelle ; par derrière, la masse grouillante des spectateurs s’étend jusqu’à une olivette où quelques dames sont assises à l’ombre[10]. On comprend que ces peintures de genre aient eu titi grand succès et trouvé des imitateurs en province : à Tylissos, l’un d’eux fit des figures plus petites encore et non moins délicates[11]. Cependant, à partir du M. R. II, on sent quelque fatigue chez les peintres. Ils renoncent à la fresque miniature. Dans la grande peinture, ils ont encore des idées nouvelles des trouvailles heureuses. Mais, si le style se maintient, c’est par la stylisation. Le dessin est moins sûr et moins sincère ; on simplifie les détails, et les figures principales ne sont plus variées avec la même finesse. Les deux griffons couchants qui décorent alors la Salle du trône ont une calme majesté, et le paysage qui les encadre n’est pas dénué de noblesse ; mais tout de même ce symbolisme manque de vie, et la répétition du sujet, la continuelle reproduction de hi même plante dénotent une certaine indigence d’imagination. !.a fameuse fresque des Toréadors est au contraire, à la fois harmonieuse et mouvementée. Le taureau en fureur se rue ; au-dessus de sa croupe, au centre, un toréador est en plein saut ; une jeune fille en costume masculin, debout derrière la bête, étend les bras pour recevoir le sauteur au moment où il touchera terre ; une autre vient de saisir les cornes qui la menaçaient et se balance pour atteindre la nuque : la composition est admirable. Mais les proportions de l’animal manquent de justesse ; et, d’une façon générale, l’exécution est archaïque en même temps que décadente, comme si l’auteur s’était borné à recopier un ancien modèle. Voyons encore la grande fresque de la Procession[12]. De taille plus que naturelle, des femmes enrobe longue et des jeunes gens en pagne exotique, tributaires ou hiérodoules, s’avancent au bord de la mer, portant des vases de toutes formes où le marbre alterne avec les métaux précieux. Celui qu’on appelle par excellence le Porteur de vase constitue un morceau de premier ordre. La tête au fin profil, à l’œil intelligent et fier, est couronnée de cheveux bouclés ; les formes souples et pleines sont mises en valeur par le costume ; le torse est gracieusement penché en arrière, pour que les mains puissent tenir droit le grand rhyton. Mais les autres personnages n’ont rien de cette distinction. Ce sont des répliques d’un même type ; les attitudes ont monotones ; la facture est lourde et négligée. Qu’est devenue l’alerte variété de jadis ? Hors de Crète, il n’existe pas de peinture murale dans les pays de l’Égée avant le XVIIe siècle, et les fresques qu’on y voit tout à coup partout à la fois sont d’emblée Sun art avancé. Tout est venu de Crète, la technique, le style et souvent les sujets. Pas de doute pour l’île de Mélos. La plus belle fresque qu’on y ait trouvée représente un groupe de poissons volants[13]. Les uns nagent sur un fond rocheux recouvert de coquillages et d’éponges, les autres sortent de l’eau en déployant les ailes. Les courbes qu’ils décrivent, les tourbillons aux bulles azurées qu’ils laissent dans leur sillage donnent à toute la scène une grâce singulière. Sur une autre fresque, figurent deux femmes, dont l’une porte une robe richement historiée, dont l’autre laisse tomber les bras dans une attitude de prostration[14] : la pureté du dessin n’a d’égal que sa simplicité. L’origine des artistes qui ont exécuté ces deux œuvres est incontestable. On a même pu croire que la marine a été expédiée toute faite sur un panneau mobile ; mais cette hypothèse, est inutile : les deux fresques ont été peintes sur place par des étrangers. Sur le continent, de la Thessalie au Péloponnèse, pas le moindre signe avant-coureur, pas le moindre fragment de plâtre peint, rien qui puisse passer pour l’ombre d’un prototype, n’annonçait les grandes fresques qui allaient décorer les mégara de Mycènes et de Tirynthe, de Thèbes et d’Orchomène. Sans transition apparaît la peinture pleinement évoluée de Crète, celle qui date des dernières années du M. M. III ou des premières du M. R. I[15]. Des peintres crétois viennent à ce moment s’établir en Argolide, et, si l’on remarque tout de suite dans leurs œuvres des faiblesses qui ne frapperont que plus tard en Crète, c’est apparemment que ces émigrés n’étaient pas les plus grands parmi les maîtres. Ils n’en connaissaient pas moins tous les secrets du métier. A Mycènes et à Tirynthe, la technique et le style des fresques portent nettement cette marque d’origine. Quant aux stylets, ils sont empruntés à différemment aux usages crétois ou locaux, mais toujours traités à la manière crétoise avec des couleurs de provenance locale. Sur un panneau en calcaire peint, qui pourrait venir directement de Crète, deux femmes en robes volants adorent la déesse au bouclier en 8 près d’un petit autel incurvé[16]. Une fresque miniature[17], représente des dames assistant à une course de taureaux. Accoudées au rebord d’une loge, elles sont habillées à la dernière mode de Cnosse et prennent les poses voulues ; mais elles ont beau faire, ce sont des princesses de village faisant des mignardises. Ces peintures voisinaient avec des fresques qui respirent un tout autre esprit. Pour plaire aux rois du continent, il fallait des scènes de combat et de chasse. A Mycènes, sur plusieurs frises se pressent les guerriers et les chevaux[18] ; à Tirynthe, les chasseurs marchent l’un derrière l’autre tenant deux javelines sur l’épaule[19]. Les hommes portent le costume indigène, mais souvent avec des ornements exotiques. Ils ont la chevelure longue et bouclée, la figure glabre : pas la moindre ressemblance avec les masques des princes enterrés dans les tombes à fosse. Transplanté sur un sol nouveau, l’art de la fresque avait eu le temps d’y pousser de vigoureuses racines. Sans perdre le contact avec sa patrie d’origine, il y avait prospéré pendant deux siècles. Quand l’invasion achéenne eut détruit les palais de Crète et réduit ses peintres à l’inaction, le tronc mort, le rejeton conserva sa verdeur. Il allait produire encore des fruits savoureux. N’ayant plus de maîtres à suivre, les peintres de Tirynthe, de Thèbes et d’Orchomène vont de l’avant, en pleine indépendance. Ils donnent libre cours, dans le choix des sujets, aux goûts de leurs rudes et fastueux protecteurs et atteignent ainsi à l’originalité. Ils aiment les grandes compositions et savent y mettre de la vie. Quelque temps même, as conservent les bonnes traditions dut style. Les processions qui décoraient les palais de Thèbes et de Tirynthe méritaient vraiment cette vogue : à en juger par les personnages reconstitués, ces défilés de femmes grandeur nature allant à la rencontre les unes des autres autour d’une grande salle, toutes en robes étincelantes, toutes tenant en main un coffret ciselé, un vase précieux ou un bouquet de fleurs, devaient faire un bel effet. Les pavements peints des mégara de Tirynthe[20], surtout celui de la Salle du trône, étaient également des œuvres que n’eût pas désavouées la Crète minoenne. Mais, réduit à ses propres moyens, l’art continental perd la pureté du dessin et renonce à la vérité de la couleur. Le peintre de Tirynthe, désireux de montrer le sein nu sous le corsage, le projette loin en avant de la poitrine et désarticule les bras. Sur des frises où se suivent des cerfs, où se croisent des chars[21], le rendu des formes animales est encore excellent par endroits ; mais ce cerf qui se cabre a le dos rouge et le ventre blanc, ces chevaux à la croupe élégante ont pour queue une lanière, et sont si bien cachés l’un par l’autre que chaque jambe compte pour deux. Le motif favori, la chasse, prend une remarquable ampleur, une vie intense. Une multitude de chasseurs et de chasseresses, des meutes impatientes, des fauves qui s’enfuient, et, au milieu, un sanglier traqué, mordu par des chiens et qui, fou de rage, se fait embrocher par deux javelots : la scène est d’un mouvement extraordinaire. Mais les chiens sont roses avec des touches noires, vermeilles ou bleues ; le sanglier, en se ruant, s’amincit l’arrière-train de façon grotesque ; les roseaux qui se détachent sur le fond sont des espèces de fourches jaunes. La contradiction est flagrante entre ce naturalisme exaspéré et cette stylisation polychrome. La décadence est visible. Quand le peintre perdra Je don de faire vivant, elle sera irrémédiable. Privé de l’air natal, puis de la lumière qui lui venait encore du Midi, le rejeton ne pouvait que s’étioler à la longue et mourir. Avec leur sens aiguisé de la décoration, les artistes de Cnosse combinèrent la peinture avec la plastique : ils créèrent le relief peint[22]. Cet art tout spécial ne se répandit pas hors de Crète ; en Crète même, c’est à peine si l’on a trouvé quelques spécimens ailleurs qu’à Cnosse ; à Cnosse même, il n’a duré que juste le temps où la fresque plate était à l’apogée. Ses débuts datent du XVIIe siècle ; ses plus beaux produits en haut relief sont du XVIe, et du XVe, après quoi il disparaît. Existence courte et brillante. Le modelage se faisait sur deux couches superposées : il était ébauché sur un plâtre argileux et achevé sur un stuc dur et fin. Il n’était pas rare que certains détails, des pendants de collier, même un pagne, fussent peints sur le fond uni. Ainsi exécutées, les fresques à reliefs comptent parmi les plus purs chefs-d’œuvre de l’art minoen. Au Roi fleurdelisé la place d’honneur. Plus grand que nature, il s’avance parmi les roseaux et les lis, le poing droit sur la poitrine, le bras gauche tendu en arrière et levant le sceptre. Sa poitrine nue est ornée d’un large collier de fleurs de lis ; sur la tête il porte une couronne de fleurs de lis, du haut de laquelle partent d’une envolée superbe trois grandes plumes. Tout en lui respire la force et la majesté. Aujourd’hui encore, dans le musée de Candie, c’est une apparition saisissante que cette image de Minos ; vue dans son palais, elle devait frapper les spectateurs d’une terreur religieuse et leur faire porter la main au front. Mais ce n’étaient pas des personnages isolés que représentaient les reliefs peints, c’étaient de grandes scènes. A laquelle appartenait un remarquable fragment qui montre entre des doigts d’homme un collier d’où pendent comme médaillons des tètes d’un type négroïde ? L’homme attachait ce joyau au cou d’une femme : Evans pense à une toilette rituelle, une union sacrée[23]. La seule fresque à relief qui ne provienne pas de Cnosse, celle de Pseira[24], nous est connue par des fragments qui se rapportent à deux personnages au moins : ce sont des femmes, dont les formes sont d’un beau galbe, dont les vêtements et les bijoux sont traités avec une admirable minutie ; elles devaient assister à une course de taureaux. A Cnosse, ces courses fournissaient le sujet préféré pour relief peint. Dans le quartier Nord-Est du palais, on a trouvé en tas des pattes et des cornes de plusieurs bêtes avec des membres humains, entre autres un bras dont la main est crispée sur une corne et qui dénote par la contracture des muscles et les saillies des veines une parfaite connaissance de l’anatomie[25]. Il y avait là déjà une belle composition ; on fit mieux. Dans un portique qui donnait l’entrée septentrionale se dressait, vision fantastique pour le voyageur arrivant parla route de mer, un groupe plus grand que nature, Sur un fond de paysage se détachaient deux taureaux au moins et plusieurs hommes. Une tête de taureau bien conservée est peut-être le plus beau morceau d’art minoen qui nous soit parvenu ; en tout cas, les animaliers de la Grèce antique n’ont jamais rien exécuté de si parfait. Ces yeux proéminents et fixes, ces naseaux ouverts qui reniflent avec force, cette bouche béante qui mugit, cette langue frémissante, ce front qui se relève dans un mouvement de fierté presque humaine, c’est le divin Minotaure dans toute sa puissance. II. — LA SCULPTURE[26]. Par ses procédés techniques, Part du relief peint marque la transition entre la peinture et la plastique ; mais, par son caractère monumental, par ses sujets mêmes, il n’est qu’une variété de la peinture à fresque. Tout le reste de la plastique S’en distingue à première vue. Il n’y a jamais eu en Crète de grande sculpture. Le sculpteur crétois n’applique son talent qu’à des objets menus et mobiles. On ne lui demande ni de décorer les murs des palais, ni de tailler de grandes statues, pour les temples. Il travaille avec plaisir l’argile, la stéatite, la faïence, l’ivoire, le bronze, les métaux précieux ; mais le tuf et le marbre ne le tentent point. Dès la première moitié du IIIe millénaire, au M. A. II, les tailleurs de pierre crétois connaissaient les finesses du métier. L’admirable collection de vases en pierre multicolore qui a été trouvée à Mochlos témoigne de leur sens artistique en même temps que de leur habileté manuelle[27] : des hommes capables de découvrir dans la niasse des roches brutes cette douceur ou cette vivacité de tons, de tailler dans des blocs durs, sans autre aide qu’un peu de sable, des pots à becs et des bols à anse d’une rondeur parfaite, des potiches d’une suprême élégance, des coupes qui ont la minceur et le poli du métal, ces hommes-là sont déjà prêts à traiter des formes naturelles. L’un d’eux choisit dans sels matériaux la pierre la plus homogène et la plus tendre, à stéatite, pour étendre sur un couvercle un lévrier à longues pattes[28]. La ronde bosse fait son apparition sur un sceau d’ivoire façonné en tète d’oiseau et sur des statuettes en albâtre, en stéatite, même en marbre[29]. Bientôt les potiers pétrissent leurs vases en forme de femmes, d’oiseaux, de têtes de taureau où sont accrochés par grappes des acrobates, ou bien ils les décorent de reliefs qui figurent la colombe qui vole ou le bouvier au milieu de son troupeau[30]. Les coroplastes modèlent d’innombrables statuettes d’hommes, de femmes, d’animaux[31] ; les sculpteurs sur ivoire représentent sur les cachets des bêtes, puis des scènes à plusieurs personnages, et d’un manche entier ils font un singe, une, nichée de pigeons[32]. Ainsi la plastique, inséparable du naturalisme, a des origines lointaines. Elle est en progrès continuel jusqu’au début du M. M. II. Si la vogue de la polychromie put un instant retarder son développement, il ne l’arrêta pas. Et, quand la peinture se rapprocha d’elle par sa conversion au naturalisme, elle fut pourvue, par l’intermédiaire de la fresque à relief, de tous les modèles dont elle avait besoin et put ainsi prendre une importance toujours croissante. Par cela même que la plastique se proposait de décorer de petits objets et qu’elle s’inspirait des reliefs peints, elle eut surtout des qualités de pittoresque, qui se déployèrent de préférence sur des reliefs. Les reliefs sur argile ordinaire étaient trop fragiles ; mais la faïence pouvait prendre une consistance suffisante. En Crète, le faïencier ne s’obstina pas, comme en Égypte, à reproduire éternellement des motifs identiques. Il avait beau travailler pour la décoration architecturale et la marqueterie ; dès le début, il ornait ses carreaux de guerriers, d’animaux, de plantes, de maisons dessinées avec une exactitude documentaire[33]. Au M. M. III, quand triompha le naturalisme, il prit résolument ses modèles dans la réalité ; il sut en rendre les couleurs et les formes. Sur des plaques à reliefs destinées à des panneaux décoratifs, il représenta ces chèvres et ces vaches allaitant leurs petits dont nous venons d’apprécier la valeur artistique[34]. Quelquefois les animaux en faïence ou en terre cuite peinte qu’on incrustait dans le stuc étaient traités indifféremment en relief ou en ronde bosse. On exécuta ainsi des marines avec des poissons volants, des crustacés et des coquillages de toute espèce[35]. L’imitation était si parfaite, qu’Evans prit sur le moment une de ces bêtes pour un crabe fossile. Les végétaux aussi tentèrent les faïenciers : ils façonnèrent en haut relief dies fleurs et des fruits. Parmi les jolis vases qui sortirent de leurs fours, se distingue un porte-bouquet dont l’anse est prise dans une branche de rosier retombant à l’intérieur[36]. Il y eut à Cnosse un Bernard Palissy qui ne reculait devant aucune audace : il faisait pour la déesse des robes et des ceintures votives du plus bel effet[37] ; il allait représenter la déesse elle-même en ronde bosse. Les meilleurs exemples de reliefs que nous ayons nous sont fournis par une série de vases en stéatite[38]. Ces vases furent très recherchés au M. R. I. Ils sont divisés en zones ou même composés de parties rentrant les unes dans les autres, technique empruntée aux métallurgistes et aux orfèvres. On les enveloppait parfois d’une feuille d’or sur laquelle on estampait les reliefs ; mais la plupart sont d’une exécution si méticuleuse que le martelage le plus soigné n’en eût pu faire transparaître les finesses, et quelques-uns sont rehaussés d’incrustations que certes on ne voulait pas dissimuler. Avec ou sans or, ces vases sculptés étaient de purs chefs-d’œuvre. De simples fragments suffisent à donner une vive impression d’art[39]. Mais nous avons la bonne fortune de posséder trois exemplaires intacts, trouvés à Haghia Triada. Ils ne sont pas de la même main : le relief est plus ou moins haut, et l’anatomie est différente, ainsi que la façon de traiter l’œil et l’oreille. La maîtrise est égale. — Nous avons déjà décrit la scène représentée sur le gobelet qu’on appelle généralement vase du Chef ou de l’Officier : c’est l’hommage au roi. Seul. un grand artiste pouvait se jouer de la difficulté qu’offrait un champ de forme conique mesurant, sur une hauteur de 8 centimètres, 27 centimètres de tour en haut et 12 seulement en bas, et faire tenir dans des dimensions aussi exiguës et aussi incommodes la majesté du roi, la dignité déférente du vassal et la force cachée derrière des boucliers monstrueux. — Le plus grand de ces vases est un rhyton haut de 47 centimètres. Il est divisé en quatre zones, dont trois sont réservées à des luttes de pugilat et une à des courses de taureaux. Par la précision des détails, c’est un document inestimable pour l’histoire des jeux gymniques, et nous l’avons déjà examiné à ce point de vue ; mais nous devons admirer ici l’habileté de la composition, l’extrême variété des scènes et des attitudes dans l’unité du sujet. Les boxeurs sont répartis par âge et par poids en catégories reconnaissables aux casques. Ils avancent ou rompent, parent, frappent, tombent, roulent, triomphent. Toutes les péripéties du combat, toutes les positions sont indiquées dans une succession de petits drames que les amateurs devaient trouver palpitants. — Le mouvement est aussi intense, quoique bien différent, dans la scène qui se déroule sur la panse du troisième vase. Solennelle et comique, s’avance une procession champêtre. On revient du travail, content, et chacun porte sur l’épaule la fourche à pointes longues qui lui a servi à gauler les olives. En tête, le chef de la bande, plus grand que les autres, le torse couvert d’une casaque rituelle : pénétré de son importance, il sourît. An milieu du cortège marchent quatre chanteurs professionnels. Ils donnent de la voix tant qu’ils peuvent, bouche béante, poitrine saillante, et le chef de chœur brandit le sistre égyptien pour marquer la mesure : la ressemblance est frappante entre ce groupe et celui des musiciens aveugles sculpté sur une tombe de Tell-el-Amarna[40]. Mais, tandis qu’on s’en va deux à deux, coude à coude, voici qu’un homme fait un faux pas et tombe, tout penaud : devant lui on se retourne, et les voisins s’esbaudissent. Il y a là un entrain délicieux, une ironie charmante avec une pointe de caricature, en même temps qu’un savoir-faire de grand style dans le groupement des personnages. — Ne resterait-il de la Crète préhistorique d’autres vestiges que ces trois vases, on y reconnaîtrait encore un peuple de haute civilisation, fortement organisé, ami des jeux et des fêtes, et merveilleusement doué pour les arts. Les vases en stéatite à reliefs n’étaient d’ailleurs pas exclusivement réservés aux images humaines. Ils empruntèrent à la peinture céramique le motif de la pieuvre nageant au milieu des coraux. Un exemplaire, entre autres, représente avec un réalisme admirable le monstre enroulant ses tentacules. Il provient de Mycènes[41] ; mais l’origine en est certifiée par un vase peint de Gournia. Si la sculpture sur bois et sur os, matières fragiles, a laissé peu de vestiges dans l’Égéide, nous voyons pourtant ce dont elle était capable par un beau couvercle et des parois de boîtes découverts en Égypte[42]. L’ivoire a mieux résisté. De Palaicastro parvient un bel oiseau de style héraldique[43]. Une rondelle qui représente un taureau en course retournant la tète est de provenance cypriote, mais de facture incontestablement crétoise[44]. Il en est de même d’un haut relief trouvé à Mycènes, qui figure une femme assise sur une roche[45]. Quant aux manches de miroir sculptés, qu’on a découverts en beaucoup d’endroits, et aux têtes casquées de Mycènes, de Spata et d’Enkomi[46], on n’en connaît pas l’origine. Dédaignant la pierre ordinaire, le sculpteur crétois ne consent à tailler en relief qu’une espèce de gypse pourpre qui ressemble au porphyre, et encore ne l’emploie-t-il que pour des objets usuels. Il entaille de cannelures torses et de feuilles stylisées une colonne de lampadaire, détend autour d’un poids étalon les tentacules d’un octopous ; rien de plus. A Mycènes, au contraire, le relief sur pierre est en faveur. Avant l’expansion de l’art crétois, des imagiers naïfs sculptaient dans le calcaire gris-brun du pays des stèles funéraires d’un travail grossier. L’une d’elles[47] représente un guerrier lançant son char contre l’ennemi. L’homme est trop grand ; des deux chevaux on n’en voit qu’un, et il a deux pattes seulement la queue qu’il tortille est une grosse queue de lion ; enfin, pour remplir le champ, on n’a rien trouvé de mieux que de lourdes spirales. Les Crétois changèrent tout cela. Leur influence se fit sentir immédiatement. Une autre stèle[48] représente une scène de chasse. Les proportions sont plus justes ; le sujet se dramatise : un s’enfuit, un lion se défend, un des chasseurs est étendu près du char et se couvre de son bouclier ; il y a même des traces de paysage. Mais, si les vieux imagiers réapprennent leur métier sous la direction de maîtres étrangers, ces maîtres eux-mêmes, qui ne savaient pas sculpter le calcaire ni faire grand, sont obligés de s’y mettre. Au XVe siècle l’évolution est achevée. Sont-ce des Crétois ou des Mycéniens élèves de Crétois qui sculptèrent la Porte aux Lionnes et d’autres reliefs du même style ? Un point est certain, c’est que le style est celui de la Crète. Les fauves dressés au-dessus de la Porte s’affrontent, les pieds sur des autels incurvés, devant une colonne unique d’un type bien connu à Cnosse, dans l’attitude familière au blason des sceaux minoens. Deux fragments paraissent provenir d’une grande composition : l’un représente un lion à superbe crinière lancé devant un arbre vers la droite : Autre, un pied de taureau tourné vers la gauche ; on n’a qu’à rapprocher deux sceaux insulaires pour reconstituer à peu près la scène[49]. Même les grands reliefs sur pierre, qu’on ne connaissait pourtant pas en Crète, nous montrent que l’Argolide est devenu une province de l’art crétois. La répugnance des sculpteurs insulaires pour la pierre ne se manifestait pas encore quand, vers le milieu du IIIe millénaire, ils firent leurs premiers essais de ronde bosse : les plus anciennes figurines de femme ou de déesse, celles qu’on a trouvées à Haghia Triada et à Koumasa, sont en albâtre et en marbre comme en stéatite. Ces tentatives furent sans lendemain. Pourtant il y a ici une distinction à établir. En ronde bosse, on emploie pour les représentations animales, en même temps que l’argile, la stéatite et même, par exception, un calcaire dur imitant le marbre ; pour les représentations humaines, on ne se sert que de l’argile, de la faïence, du bronze et de l’ivoire. Vers la fin du IIIe et le début du IIe millénaire, les figurines en terre cuite de Chamaizi, de Zacro et surtout de Petsofa dénotent déjà un vif sentiment de la nature et une certaine habileté de main. Nous avons pu les utiliser pour décrire le poignard de l’époque, la chaussure d’homme, le vêtement et le chapeau de femme. Les jambes des personnages n’étaient pas encore détachées ; mais les coudes s’écartaient, et les mains S’élevaient à la hauteur de la poitrine dans l’attitude de la prière. Comme ces figurines étaient offertes en ex-voto, elles représentaient aussi des animaux de toute espèce avec leurs traits caractéristiques[50]. Fabriquées pour les gens du peuple, les terres cuiter, à forme humaine ne marquent guère de progrès par la suite. L’argile servit, au contraire, à faire de beaux rhytons à forme animale. Comme ces vases pour aspersion avaient une destination rituelle, ils représentaient presque toujours le taureau sacré, quelquefois la bête en pied, le plus souvent la tête seulement. On avait de bons modèles[51]. Mais l’argile était une matière trop vulgaire pour les chapelles royales. Du Petit Palais provient une tête de taureau en stéatite noire[52]. De demi-grandeur naturelle, elle est d’excellente facture. Le mufle est incrusté de nacre ; les yeux sont en cristal de roche, les pupilles en une pierre rouge, les cornes en bois plaqué d’or ; quoique le mufle et le poil soient stylisés, l’expression est bien vivante. Dans, un calcaire blanc jaunâtre, qui ressemble au marbre, est taillé un autre rhyton en forme de tête de lionne, grandeur nature. Les narines et les yeux sont émaillés ; les poils, indiqués par des stries. L’œuvre ne manque pas d’allure. On y attachait un grand prix, à preuve la réplique qu’on en a envoyée à Delphes et l’imitation qui en fut faite en or pour Mycènes[53]. La terre cuite est remplacée par la faïence, pour la ronde bosse comme pour le relief, quand il s’agit de représenter l’homme. Les œuvres les plus remarquables de la faïencerie royale, ce sont les statuettes de la Déesse aux serpents et de sa prêtresse. Tout y révèle une liberté qui n’est restreinte par aucune obligation religieuse, par aucun type consacré. La déesse est habillée comme une dame de la cour. Mais de grands yeux noirs, des oreilles énormes, une tiare très haute lui donnent un aspect étrange, surnaturel. Depuis le bas du tablier jusqu’au haut de la tiare, par devant, par derrière, autour de le ceinture, sur les bras, sur les oreilles, partout excepté sur la blancheur laiteuse de la poitrine et du visage, s’enroulent autour d’elle trois longs reptiles verdâtres à taches brunes : c’est bien une déesse. La prêtresse, un peu plus petite, plus humaine, a une toilette plus voyante ; ses seins sont proéminents, sa figure est calme : elle tient deux petits serpents au bout des bras tendus, et sa toque plate est surmontée d’une petite lionne assise. Ces deux chefs-d’œuvre nous montrent la plastique crétoise en pleine possession de ses moyens au M. M. III ; ce sont même les statuettes les plus hautes que nous possédions. Pour apprécier les bronzes en toute justice, il ne faut pas oublier que les pillards qui ont dévasté les capitales crétoises ont surtout enlevé le métal. Nous n’avons conservé qu’un petit nombre de statuettes en bronze de la belle époque du M.M. III et du M. R. I ; aucune ne provient d’un des grands palais, et la plus haute n’a que 25 centimètres, quand la déesse aux serpents en mesure 34. Plusieurs statuettes d’hommes, dont deux trouvées à Tylissos et dans la grotte de Psychro, représentent des adorants, peut-être des prêtres[54] ; une autre, d’après la position des bras et des mains, représente un joueur de flûte[55]. Malgré leur caractère sacré, chacun des personnages a son individualité. Ceux qui font le geste d’adoration ne se ressemblent en rien : l’un, courtaud, trapu, avec un ventre rebondi qui remonte le pagne, apparaît comme le Cheik-el-Beled de Tylissos. Le joueur de flûte en rejetant le torse en arrière, a une attitude de légèreté juvénile que ne dément pas un béret mis à la diable. Ce sont des portraits bien vivants. La meilleure des statuettes féminines, quoique de provenance inconnue, est certainement de facture crétoise : on l’ souvent appelée la Bayadère ; c’est, en réalité, une autre prêtresse de la Déesse aux serpents[56]. La matière n’a pas empêché le sculpteur de draper avec souplesse la jupe à volants ; la chevelure, emmêlée de serpents, n’en est pas alourdie ; la tête est inclinée, tandis que la main droite fait le geste d’adoration et que la gauche va chercher sur l’épaule droite un des reptiles. Le mouvement est gracieux et, progrès considérable, la loi de frontalité a fait son temps. Enfin, on connaît un groupe remarquable par le métier et l’inspiration[57] : au-dessus d’un gros taureau qui galope, un mince acrobate trace un demi-cercle, de ses cheveux qui flottent encore autour des cornes à ses pieds déjà posés sur la croupe. De toutes les œuvres en ronde bosse, les statuettes en ivoire sont, avec les statuettes en faïence, les plus originales et les plus précieuses. On dirait que la délicatesse et la pureté de la matière inspiraient et soutenaient l’artiste. Pour la première fois, nous nous trouvons devant des figurines d’enfant, de jolies figurines des petits garçons nus[58]. Mais rien ne vaut ces deux merveilleux produits de la sculpture chryséléphantine, la Déesse aux serpents de Boston et le Torero. Sujets rebattus, renouvelés par le génie. La déesse raidit les deux bras pour tenir dans chaque main un serpent en or. Rien d’autre ne rappelle le caractère sacré de limage ; tout le reste est pure beauté humaine. La jupe laisse deviner des formes élancées et gracieuses ; la ceinture serre une taille fine sans exagération conventionnelle ; le corsage n’a pas cette rigidité qui déplace les seins nus. La figure est particulièrement soignée, avec quelque chose de très doux et de grave toutefois. Ce n’est pas un type, c’est une femme. Le Torero est pris pendant qu’il exécute le saut périlleux. Le mouvement est admirable de légèreté aérienne. Dans ce corps tout en longueur, tout en action, les muscles sont tendus, les veines en saillie : impossible d’unir plus de minutie à plus de fraîcheur. Quand on pense que ce personnage faisait partie d’un groupe et qu’au-dessous de lui s’élançait un taureau, on a l’impression toute vive que l’art suprême ne se mesure pas à l’ampleur des dimensions. Pendant que la sculpture en ronde bosse atteignait ainsi en Crète les sommets de l’art, elle se traînait misérablement dans les Cyclades. On y avait le marbre, mais on ne savait rien en faire. Tout le progrès consistait à détacher les jambes des petites idoles. Quand on osait traiter des sujets plus complexes, le joueur de flûte, le joueur de lyre, la Déesse Mère portant l’enfant divin sur sa tête, on produisait des monstres[59]. A Cypre, pendant la même période, on pétrissait dans l’argile des divinités horribles[60]. A Troie, les idoles en pierre restaient plates et informes, et la sculpture sur métal ne donnait lieu qu’à des tentatives avortées[61]. Dans l’Hellade, on se bornait à reproduire les figurines des temps primitifs en atténuant leur caractère stéatopyge[62]. Ce n’est qu’après le XVIe siècle, quand toute l’Égéide s’ouvre aux influences crétoises, qu’on constate un changement qui s’opère sans transition. Un artiste d’Amorgos sculpte une tête d’homme qui ressemble étonnamment à certains types de la Grèce archaïque[63] ; un imagier de Mycènes, passant du relief à la ronde bosse, représente en calcaire peint un personnage à figure tatouée ; en Thessalie même, on se met à modeler dans l’argile des statuettes ithyphalliques[64]. Mais la nouvelle école n’eut pas le temps de recevoir une éducation complète : la sculpture en ronde bosse était un art trop difficile, et les maîtres allaient faire défaut. Pour cet art, en effet, la décadence commence plus tôt et se précipite plus rapidement que pour tous les autres. Dès la fin du M. R. I, les petits bronzes de Haghia Triada représentent gauchement des hommes trop minces et des femmes trop épaisses[65]. De vie ou de galbe il n’est plus question ; l’exactitude des formes disparaît. L’allongement progressif des jambes arrive à une exagération telle, qu’au M. R. III, les hommes semblent montés sur des échasses[66]. Quant à la femme qui, la première, dans l’histoire de la ronde bosse crétoise, montre ses pieds, elle eût mieux fait de les cacher[67]. Avec le bronze on n’emploie plus, pour la figure humaine ou animale, que la grossière argile, et le bronze même est quelquefois remplacé par le plomb[68]. Dans la seconde moitié du XVe siècle, les, petites Danseuses de Palaicastro ont encore le mérite de former un groupe et de faire des gestes assez vifs ; mais, à partir du XIVe, la femme enceinte de Gournia, la Déesse à la colombe de Cnosse, le taureau et le cheval de Phaistos sont d’une monstruosité répugnante ou d’une barbarie puérile[69]. C’est la fin de l’art. III. — L’OFÈVRERIE ET LA DAMASQUINERIE. Ce fut une grande surprise jadis, quand Schliemann découvrît dans la deuxième ville de Troie le fameux trésor de Priam. Toute cette vaisselle d’or et d’argent, tous ces joyaux d’un si beau travail étaient-ils vraiment d’un temps où les guerriers avaient pour armes des haches de pierre et des poignards d’obsidienne ? Plus d’incertitude aujourd’hui. A la même époque et plus tôt encore, on faisait en Crète des bijoux semblables : les gens de Mochlos portaient alors des diadèmes ornés de feuilles et de fleurs[70]. L’orfèvrerie crétoise connut à fond le travail de l’or et celui de Argent plus rare et sans doute plus précieux que l’or ; elle tira partie du fer, plus rare encore ; elle incrusta le bronze ; elle sertit toutes les pierres précieuses. Elle ne dédaigna que l’ambre, qu’elle abandonna volontiers aux gens du continent, comme plus tard les Grecs aux Romains. A la belle époque, elle sut donner au bijou un caractère artistique. On pourrait le supposer d’après les images des fresques et des reliefs ; on le sait par quantité de pendeloques et de colliers. Mais il faut attacher un intérêt tout particulier à des petites breloques en or trouvées à Cnosse : elles représentent en ronde bosse un lion debout, un canard, un poisson[71]. Ces objets sont jolis ; mais ce qui importe, c’est qu’ils prouvent l’existence d’une orfèvrerie plastique à Cnosse. La rafle systématique des belles pièces en bronze ou en métal précieux à la suite des invasions nous autorise, nous oblige à penser que cette orfèvrerie était capable de productions infiniment plus artistiques et que, s’il s’en trouve ailleurs- dans l’Égéide, elles peuvent être attribuées aux Crétois. Pour la même raison, nous devons compléter nos renseignements sur l’orfèvrerie par ceux que nous apportent de trop rares reliefs et ciselures sur bronze. Ce que savait faire le bronzier, nous en pouvons juger, malgré tout, par des armes finement décorées et par certains vases dont l’un, orné de lis et de perles, mérite de compter parmi les œuvres les plus pures et les plus nobles de l’art préhistorique[72]. C’est assez pour nous figurer ce que la collaboration du bronzier et de l’orfèvre crétois pouvait réaliser de beauté. Nous avons ainsi un fil conducteur pour parcourir Mycènes, la cité riche en or. Nulle part, pas même à Troie, on n’a trouvé autant de bijoux entassés que dans les tombes à fosse. Il en est qui n’ont pas leurs pareils en Crète, soit pour la forme, soit pour la décoration. D’autres portent manifestement la marque de l’influence crétoise[73]. Celle dualité est visible sur la plus grande et la plus belle des épingles mycéniennes : la tige en argent est d’une longueur telle, qu’elle n’a pu qu’agrafer le costume continental des vieux temps, et cependant la tête en or représente une femme habillée à la mode crétoise[74]. Un fait reste certain, c’est que, dans un intervalle très court, le style de l’orfèvrerie mycénienne s’est crétisé. La même conclusion s’impose pour d’autres objets. Les fameux masques d’or qui conservent les traits des rois enterrés parlent à l’imagination, mais ne sont que d’assez grossiers estampages exécutés par des indigènes. En revanche, un lion couchant, entre autres animaux en or, est d’un style à ne pas craindre la comparaison avec le lion debout de Cnosse[75]. Les reliefs de deux boites en or sont copiés sur d’excellents modèles, dont l’origine est attestée par les arbres dut paysage et des bêtes au galop volant[76]. Il y a bien de l’inexpérience encore dans la plupart des plaques martelées et découpées en forme de femmes[77] ou d’animaux mais les motifs sont presque toujours empruntés au cycle de l’art crétois ; bientôt même la facture s’améliore, et l’on s’explique l’élégance d’un griffon volant et le réalisme d’un argonaute[78] en voyant l’hirondelle traitée sur une de ces plaques comme sur un vase de Mélos[79]. Enfin, s’il n’y a rien de comparable en Crète aux rondelles d’or estampé[80], les motifs linéaires, végétaux ou animaux de leur gracieuse décoration sont du style crétois et du plus pur. Nous arrivons ainsi à des œuvres qui ne dénotent plus seulement l’influence de modèles ou de maîtres étrangers, mais qui ont été proprement exécutées par ces maîtres et presque toutes importées. Il s’agit d’une admirable série de vases qui proviennent pour la plupart de la quatrième tombe à fosse, une des plus anciennes[81]. Très élégants de forme, ils portent une décoration variée : des cannelures en creux, des rameaux élancés, une frise de marguerites, des dauphins, des lions courants. Une coupe en or, avec des colombes perchées sur les anses et trempant le bec à l’intérieur, est le prototype exact du dépas qu’Homère place dans la main de Nestor. Un de ces vases se singularise entre tous : c’est une écuelle en argent dont les incrustations d’or et d’argent soufré répètent la nième tète d’homme avec barbe en pointe[82] ; elle a certainement été faite sur le continent par un Crétois ou un Mycénien de l’école crétoise. Les autres ont pu l’être aussi ; mais lis sont généralement d’un si beau style, qu’il y a plus de chances encore pour qu’ils aient été ciselés par un maître orfèvre en Crète même. Un de ces vases ne laisse point de place au doute. De la troisième tombe à fosse provient une cruche en or à bec, munie d’une anse haute à volute et décorée de spirales : deux cruches identiques ont été trouvées à Cnosse, dont l’une, en argent, est également du M. R. I, et dont l’autre, en faïence, date encore du M. M. III[83]. A plus forte raison, faut-il considérer les célèbres têtes d’animaux en ronde bosse comme de simples variantes des rhytons crétois. Ces œuvres de tout premier ordre datent d’une époque où l’art continental était dans l’enfance. Une tête de taureau en argent, aux oreilles en bronze plaqué d’argent et d’or, aux cornes et au mufle dorés, portant sur le crâne une double hache et sur le front une rosace en or, rappelle par sa taille, par son expression, par la façon même dont est traité le poil, les têtes en stéatite ou en terre cuite de Cnosse et de Gournia[84]. Une tête de lionne en or est du même type que celle en pierre dont Cnosse envoya un exemplaire jusqu’à Delphes[85]. Mais d’autres rhytons de Mycènes ne peuvent pas se ramener à des prototypes connus : ce sont les rhytons en argent dont les fragments conservés représentent des scènes à nombreux personnages. La plus fameuse de ces compositions a pour sujet le siège d’une ville. Dans une plaine plantée d’arbres, s’élève une Acropole. Les maisons sont entourées d’un rempart. Sur une tour, des femmes dont les gestes expriment l’angoisse se penchent, pour suivre les péripéties du combat. Les défenseurs font une sortie : en avant, les frondeurs, puis les archers accroupis ; en arrière, les hommes armés de la lance. Ils sont nus, excepté les lanciers, vêtus d’un costume court et raide qui s’attache sur une épaule. Les assaillants sont armés de massues et de pierres. Dans le bas, une troupe arrive par mer : un homme coiffé du casque conique à long panache et habillé du chiton à manches courtes paraît manier un aviron. Quel est l’événement historique célébré par l’artiste ? L’hypothèse ici a beau jeu ; ce qu’on peut tenir pour à peu près certain, c’est qu’on voit aux prises deux peuplades étrangères et qu’un parti de Mycéniens se porte au secours de l’une des deux. Manifestement, le rhyton, magnifie un exploit du roi qui en a fait la commande et qui l’a emporté avec lui dans la tombe. — Il en était de même d’un autre rhyton en argent[86] qui représentait sur une hauteur de 50 centimètres une scène de bataille. Les personnages, très grands, d’un beau galbe, portent le caleçon ; on voit un torse nu, un chiton, des casques à crête ou à panache, des boucliers du type bilobé ou à angle droit dans le bas. Encore une aventure de guerre qui se racontait en Argos — Après l’Iliade, l’Odyssée : sur un troisième fragment de rhyton[87], figurent des naufragés se sauvent à la nage. Ain‹ toute la légende qui devait être immortalisée par l’épopée achéenne l’était déjà par l’art crétois. Car les auteurs de ces œuvres, ensevelies dans la quatrième tombe à fosse, n’étaient pas des compatriotes de l’imagier qui sculptait d’une main gourde la stèle de la même tombe. Ils étaient venus à Mycènes appelés par un dynaste riche et amoureux de gloire ; on peut se les figurer recevant de lui le métal précieux dont ils avaient besoin, entendant peut-être de sa bouche le récit qu’ils devaient buriner. A chaque instant ils trahissent leur origine. L’un paraît s’inspirer pour toute sa composition d’une marqueterie en faïence de Cnosse, et pourrait avoir copié sa forteresse sur un sceau de Zacro. L’autre donne à ses guerriers cette anatomie soignée, cette démarche légère qui ne trompent pas sur sa patrie. Le troisième montre les nageurs menacés par Scylla, la chienne marine de la légende crétoise. Ce sont là presque des signatures. Les gobelets de Vaphio[88] sont d’un art plus raffiné, plus sûr de soi : on passe des tombes à fosse aux tombes à coupole, du M. M. III au M. R. I. Le premier de ces gobelets représente la capture du taureau sauvage : le second, la vie du taureau apprivoisé. La première scène se passe dans la montagne, au milieu des roches et des palmiers : un taureau pris au filet se tord de fureur impuissante ; un autre, épouvanté, dévale au galop ; un troisième, fou de rage, dédaigne le torero qu’il vient de renverser et fonce sur un autre, qui évite le coup en s’accrochant à une des cornes. La seconde scène se passe dans la plaine, parmi les oliviers : tout respire la paix, un calme idyllique ; un taureau se laisse mener à la corde, tandis qu’un autre fait à une vache d’amoureuses caresses. Le merveilleux ici, ce n’est pas seulement l’expression intense et la vérité de choque mouvement, la netteté des contours, les vives oppositions de lumière et d’ombre, l’habileté qui proportionne la hauteur du relief à la violence des gestes ; c’est, plus encore, la science consommée qui harmonise deux sujets semblables et différents dans des compositions d’une ordonnance parfaite. On ne voit vraiment pas où, ailleurs qu’en Crête, aurait pu s’épanouir à pareille époque un art aussi complet. Nous n’avons guère parlé jusqu’à présent que du bronze ou du métal précieux travaillés isolément. Mais ce que la métallurgie et l’orfèvrerie des Crétois a produit de plus original, c est la combinaison des matières, métaux divers, ivoire et pierres rares. Pour l’incrustation et la damasquinerie on n’a jamais fait mieux. De très bonne heure, les armuriers crétois s’étaient mis à orner leurs dagues. À la fin du M. A., un poignard de Mochlos se termine par un pommeau d’albâtre[89] ; dès le M. M. II, une lame gravée représente une chasse au sanglier et des taureaux lancés l’un contre l’autre[90]. Mais c’est du M. R. I que datent les admirables poignards qui sont la gloire usurpée de Mycènes[91]. Quel plaisir pour les yeux aujourd’hui encore ! Quelle fierté jadis pour le roi qui s’en parait aux jours de fête ! Sur le fond sombre du bronze éclate le métal précieux, plaqué sur des reliefs ou remplissant des creux. L’or et l’argent s’opposent ou offrent, par des alliages savants, une gamme de nuances dégradées. La décoration est d’une finesse extrême. Des lions s’élancent parmi des rochers. Un semis de fleurs de lis étale la grâce des corolles d’électron blanchâtre et des étamines d’or bruni. Au bord d’un fleuve où les poissons nagent dans l’or pâle et d’où émergent sur de fines tiges les gros bourgeons des papyrus en or foncé, des félins à croupe mouchetée se jettent sur des canards sauvages, qui déploient leurs ailes diaprées en un vol éperdu. Sur les deux faces d’une même lame, on voit le lion en chasse et la chasse au lion : d’un côté, une antilope râle entre les griffes qui la déchirent, tandis que le reste de la harde est emporté par la panique ; de l’autre, deux bêtes fuient, mais la troisième se retourne, terrasse un des chasseurs et semble défier les lances et les flèches. Toujours du grand art sur de petits espaces. Des poignards, cette somptuosité s’étend aux épées. Les traces abondent, à Mycènes, du luxe dont elles pouvaient s’orner. Les poignées surtout sont remarquables, souvent taillées tout entières dans une matière précieuse. Nul doute sur la provenance. Une poignée cruciforme en faïence blanche, où sont gravées des chèvres sauvages, a été trouvée avec des plaques de faïence et des vases crétés[92]. Plusieurs poignées en agate et en onyx, toujours de ce type cruciforme qui est comme la marque de Cnosse, en rappellent une autre en cristal de roche découverte à Cnosse même[93]. Aussi bien la Crète seule présente-t-elle des épées comparables aux poignards de Mycènes par le mérite artistique. C’est en Crète qu’étaient forgées et ciselées les pièces qui excitaient au loin la convoitise des rois. Le décor foliacé qu’on voit sur une lame de Mycènes est celui que porte une poignée de Phaistos[94]. La rapière et Pépée courte trouvées dans la tombe du chef à Zafer-Papoura dépassent en beauté tout ce qu’a fourni en ce genre l’âge du bronze. L’énorme rapière montre tout du long, sur la nervure de la lame, sur les rebords de la poignée, sur les ailerons de la garde, des rangées de spirales en relief ; cinq gros clous d’or fixaient de chaque côté les plaques précieuses qui garnissaient la poignée ; le pommeau d’ivoire est maintenu par une bague d’or[95]. L’épée courte[96] est plus magnifique encore. Les spirales y sont d’une exquise finesse ; le large pommeau est en agate. La plaque d’or qui habille la garde et la poignée est divisée en deux champs couverts de ciselures. Deux scènes se suivent dans un paysage de rochers : en bas, s’élancent un lion et un bouquetin ; en haut, le lion a saisi d~une patte la croupe du bouquetin et de l’autre va le clouer au sol. Le talent de l’orfèvre joint à celui du bronzier, la noble simplicité de la composition, une habileté d’exécution qui ne se laisse gêner ni par la divergence et l’inégalité des champs ni par les gros clous qui les encombrent, tout révèle les qualités qui sont le privilège distinctif de l’art crétois. Les ouvrages en matières ingénieusement rapprochées, statuettes chryséléphantines, rhytons ou armes incrustés de pierres ou de métaux précieux, tout ce que les Grecs appelleront daidala, ont pour auteur symbolique le Crétois Dédale. Le lapidaire établi dans le palais de Cnosse, celui, par exemple, qui fut surpris dans son travail par l’irruption des ennemis, avait dans sa caisse à matériaux du cuivre et de l’or, du cristal de roche pur et fumé, du béryl, de l’améthyste et une imitation de lapis-lazuli, le kyanos. Il mariait pierres et métaux dans des mosaïques qui sont des chefs-d’œuvre de joaillerie. On a conservé une table incrustée qui devait servir à un jeu ressemblant au jeu d’échecs. Cet échiquier royal, avait près à un mètre de long et plus de la moitié de large. Le cadre était en ivoire ; la bordure était faite de soixante-douze marguerites au cœur en cristal de roche et aux pétales d’or ; toutes les figures étaient formées des mêmes matières, avec l’argent et le kyanos en plus. Sans doute une pareille pièce n’ajoute rien à ce qu’on sait sur le grand art chez les Crétois ; mais elle montre jusqu’où allait le soin de la décoration et contribue à prouver que, si les plus belles pièces d’orfèvrerie ont été découvertes à Mycènes, elles ont dû y être apportées de Cnosse. IV. — LA GLYPTIQUE[97]. L’habitude, si répandue chez les Crétois, de marquer à leur sceau certains objets et sans doute aussi des actes écrits sur une matière périssable a été de grande conséquence dans l’histoire de leur civilisation et, plus particulièrement, de leur art. C’est elle qui a développé l’usage de l’écriture ; c’est elle qui a de bonne heure poussé les artistes à faire preuve de leur savoir-faire dans des cadres minuscules. La glyptique, c’est-à-dire la gravure et la sculpture des cachets, des chatons et des gemmes, a donc occupé une place considérable en Crète. L’étude en est d’autant plus importante, qu’au nombre des objets réels qui nous sont parvenus s’ajoute une masse d’empreintes sur argile. Dès que les Crétois surent exprimer des idées par des images, ils taillèrent la stéatite, l’os, l’ivoire en lentilles, en prismes, en sceaux à bouton, en cylindres aplatis, et y figurèrent en creux ou en relief des noms, des titres, des formules. Les premiers monuments de l’écriture comptent parmi les plus anciens monuments de la plastique. On pouvait avoir besoin de dessins linéaires, de spirales, de méandres ; mais Ile plus souvent il fallait représenter des plantes, des animaux, des bommes. Il y eut là une éclosion spontanée de naturalisme, avec des maladresses vite corrigées. Des singes accroupis, des chiens en marche, un bateau escorte de poissons, des potiers au travail, une chasse au bouquetin, une scène de fiançailles : voila quelques exemples des sujets traités souvent avec une ri-elle, habileté, toujours avec une fraîcheur naïve[98]. Quand les idéogrammes se figèrent en hiéroglyphes conventionnels, un grand nombre de dessins passèrent à l’état d’emblèmes de signes graphiques : malgré de gracieuses fioritures, la vie i s’en retira. Tout alors était à la polychromie. Ce qui sauva la glyptique et l’empêcha de dégénérer en un simple blason, c’est le travail de la pierre dure. Le tour se répandait chez les potiers ; les lapidaires se servirent du procédé, en le raffinant avec de l’émeri ou du sable très fin. Les cachets s’usaient vite, on en a la preuve par les empruntes[99] ; de même que l’ivoire avait remplacé l’os, la pierre dure remplaça la stéatite. Dès le M. M. I, on s’attaque au cristal de roche, et on taille l’améthyste en forme de scarabée. Au M. M. II, à l’époque même où domine l’écriture hiéroglyphique, ces pierres et bien d’autres (cornaline, calcédoine, agate, etc.) devinrent d’un usage courant dans la gravure. En même temps, le progrès de la puissance royale augmentait sans cesse le nombre des sceaux administratifs. Loin d’être défavorable à la glyptique, la nouvelle période lui fut donc particulièrement propice, et c"est cet art qui conserva les traditions du naturalisme en marasme. Les signes conventionnels, réduits à une position subordonnée, n’empêchaient pas le sentiment de la vie d’éclater en pleine liberté. Des images représentant un homme et son fils, peut-être le roi et le prince roya4 sont les portraits les plus anciens qu’on connaisse, et on les devine d’une bonne ressemblance. Les animaux sont d’une facture souvent élégante ; leurs mouvements sont justes, par exemple celui du sanglier qui s’avance groin baissé ou de l’oiseau qui se lisse les plumes. Dans des scènes animées, on voit le bouquetin accroupi au bord d’une rivière, surpris par un chien, ou fuyant dans un paysage rocheux et boisé. Une chèvre allaite un enfant. Bien avant que la pieuvre paraisse dans le grand art, la gravure la représente dévorée par un gros poisson au milieu de coraux[100]. Au M. M. III, tout poussa la glyptique à persévérer dans lit voie du naturalisme. Les autres arts étaient venus l’y rejoindre. De plus, un nouveau changement, une révolution cette fois, avait substitué aux hiéroglyphes une écriture linéaire. Dénuée de qualités esthétiques, elle fut rejetée par les graveurs. Mais il s’établit alors une démarcation très nette entre les sceaux. Les ; uns, fidèles au passé, gardant de préférence la vieille ferme de prisme, ne sont plus que de vulgaires amulettes, ils sont grossièrement gravés de plantes, de poissons, de masques de lions, qui ont souvent un faux air d’hiéroglyphes. Les autres, des gemmes perforées pour être portées au poignet, sont les sceaux véritables. Deux formes ont la vogue : l’amande, qui ne tarde pas à remplacer la lentille, et le cylindre aplati. Innombrables sont les sujets gravés sur ces intailles dans le beau style de l’époque : à Cnosse, un lot de 160 empreintes présente 50 variétés ; on en compte 144 à Zacro pour 500 empreintes. C’est que les tentatives des faussaires obligeaient les particuliers comme les fonctionnaires à changer constamment leur sceau, les graveurs à constamment varier leurs motifs. Stimulés par les exigences de la clientèle, les lapidaires vont lutter de talent, d’ingéniosité, pour rendre dans le détail le plus poussé tous les aspects des fleurs et des arbres, toutes les attitudes des animaux, tous les gestes des hommes dans les scènes guerrières, gymniques, religieuses ; et, quand la nature ne suffira plus à leur imagination débridée, ils lui emprunteront des éléments épars pour en former des êtres de fantaisie. S’il est vrai que la liste des hiéroglyphes gravés sur les cachets est comme le résumé de la civilisation crétoise avant le milieu du XVIIIe siècle, à plus forte raison le classement des images gravées sur les intailles et les chatons présenterait-il un tableau fidèle et complet de la société minoenne et mycénienne depuis le milieu du XVIIIe siècle jusqu’au XIIe. Tout d’abord on reste en Crète. On en voit les paysages, la montagne, les palmiers, les grands arbres courbés par le vent, les tiges ondulées des tulipes[101]. Mais ces paysages s’animent. Les béliers cheminent d’un pas placide[102]. La chèvre sauvage allaite son faon ou cherche à échapper au mâle ; mais non loin grondent de rudes chiens-loups, et bientôt commence une poursuite mortelle[103]. Quant à l’homme, il fait voir toutes ses façons de vivre, sa maison, son costume[104] ; il dit ses occupations, ses plaisirs, ses croyances. L’élevage et la chasse sont en honneur : un cow-boy saute sur un magnifique taureau qui s’abreuve dans un basin[105] une chèvre sauvage est prise au lasso[106]. La mer surtout attire ces insulaires, et l’un d’eux revient triomphalement de la pêche[107]. A côté des toréadors et des pugilistes, voici, dans l’arène tant aimée, des gladiateurs[108]. Peu de guerriers, et pas une scène de bataille ; le dieu et la déesse de la guerre apparaissent, mais comme des allégories, accompagnés d’une lionne et d’un lion. Cependant le temps est venu des grandes entreprises d’outre-mer : un hardi capitaine se détend contre la monstrueuse Scylla. Aussi, à partir du M. R., les intailles artistiques ne sont-elles plus réservées à la Crète, et le continent détient presque le monopole des chatons. Comme pour annoncer qu’une période nouvelle vient de s’ouvrir, le cheval fait son apparition près d’un navire. Les graveurs crétois ne choisissent plus leurs sujets avec la même liberté, par cela même qu’ils les empruntent au grand art ; mais leurs compositions sont d’une science raffinée ; leur style, moins hardi, est plus pur. C’est aux scènes religieuses que vont leurs préférences. Ils représentent la Déesse au rocher, la Déesse à l’arc, des apparitions divines, des prêtresses[109]. Deux chatons, qui comptent parmi les plus beaux, représentent l’un la déesse gagnant un sanctuaire dans un bateau, l’autre quatre femmes exécutant la danse rituelle dans un champ parsemé de fleurs. On ne renonce pas complètement à figurer des animaux d’après nature, et sur un onyx sont gravées deux exquises libellules[110]. Mais, en général, les animaux eux-mêmes deviennent hiératiques : ce sont des lions affrontés, dans l’attitude qu’ils ont sur la porte de Mycènes[111]. Quand les graveurs voulurent à tout prix varier leurs types, ils 6rent mieux, ils créèrent des monstres composites. C’est ainsi que les empreintes de Zacro montrent par centaines les démons les plus fantastiques. Sur le continent, les intailles et les bagues, importées ou gravées sur place, sont extrêmement nombreuses. Une bonne gravée partie rentre dans la catégorie des sujets religieux. Sur la célèbre bague de Mycènes, la déesse est assise à l’ombre d’un arbre, poux recevoir des offrandes de fleurs. D’autres bagues représentent des prêtresses en adoration, la danse rituelle avec l’arrachage de l’arbuste sacré, des processions de femmes ou de démons[112]. L’affrontement hiératique des animaux se retrouve également : des lions, des griffons, des sphinx sont placés de chaque côté de la déesse, d’une colonne, d’un autel[113] ; des génies irréels arrosent des rameaux sacrés[114] ou sont portés à bout de bras par la déesse dompteuse d’animaux[115]. Mais les seigneurs du continent veulent autre chose, la grande chasse et la guerre. A côté des bêtes héraldiques, il y en a d’autres bien vivantes. Le lion n’apparaît pas seulement dans l’attitude conventionnelle ; on le voit accroupi ou courant, terrassant un taureau ou dressé contre un homme[116]. Une belle composition représente un chasseur tirant une flèche contre un cerf du haut d’un char lancé à toute vitesse[117]. Le Mycénien consulte la déesse lance au poing, avant de partir en campagne[118]. Il part, et le voilà sur son char à deux chevaux[119]. Viennent alors d’admirables scènes de combat : un duel où un guerrier cherche de son épée, derrière le grand bouclier qui lui est opposé, la poitrine de l’adversaire[120] ; une lutte farouche à deux contre deux, où un blessé se redresse et regarde son compagnon défier de la dague l’épée et la lance ennemies. Ou bien c’est une descente de pirates, des femmes arrachées de leur maison et entraînées vers un bateau en partance[121]. Des œuvres aussi belles n’ont pas pu être conçues et gravées par des artistes mycéniens et sans modèles crétois. La preuve en est donnée par une des bagues les plus parfaites et les plus anciennes : c’est une simple réplique d’un sceau à peu près contemporain de Haghia Triada[122]. Même quand les sujets ne sont pas crétois, même quand le travail s’est fait dans un atelier continental[123], les beaux chatons sont des produits de la glyptique crétoise. Aussitôt que l’influence vivifiante de l’île cessa de se faire sentir, ce fut la décadence, et bientôt ce sera le néant : des envahisseurs qui ne connaîtront pas l’écriture n’auront pas besoin de sceaux. V. — LA CÉRAMIQUE[124]. La céramique crétoise avant la période mycénienne.De tous les arts industriels qui firent la gloire de la Crète préhistorique, celui dont on petit le mieux juger aujourd’hui, c’est la céramique. Pour celui-là du moins, les comparaisons ne manquent pas. Tandis que les Cyclades et le continent reproduisaient indéfiniment les mêmes types ou ne les modifiaient qu’à de longs intervalles, sans s’élever au-dessus d’une technique industrielle et d’une décoration platement géométrique, la Crête sut vite donner à la vaisselle ordinaire des qualités supérieures, mais surtout transformer une fabrication utilitaire en un art de luxe. Et les tentatives des céramistes crétois sont tellement nombreuses, leurs réussites tellement diverses, que, si l’on ne peut pas toujours adopter les divisions chronologiques d’Evans, quand on regarde les choses de haut et de loin, on serait obligé au contraire de multiplier les catégories beaucoup plus encore qu’il ne l’a fait, si l’on voulait les examiner en détail. Déjà dans les couches les plus profondes de la Crète néolithique, la poterie est en progrès. La pâte s’affine ; la cuisson donne une couleur uniformément noire, puis jaunâtre ; un vigoureux polissage à la main produit un lustre brillant ; les incisions, souvent disposées en chevrons, quelquefois en branches d’arbres, sont bientôt incrustées d’un pigment blanc, plus rarement rouge. A la fin, la peinture fait son apparition : elle dissimule l’argile sous un engobe noir, qui rappelle les effets de la fumigation ; elle remplace timidement les incrustations par des touches d’un blanc mat. Ce goût de la belle polissure et de la décoration est plein de promesses. Vers le commencement du IIIe millénaire, la métallurgie naissante vient en aide à la céramique. En regardant le métallurgiste pousser ses feux à 1200 degrés, le potier apprend à construire un four où la cuisson est autrement puissante que dans la fosse où jusqu’alors il enfumait ses produits. Il pourra désormais conserver à l’argile son ton naturel ou bien obtenir des effets nouveaux de coloration et de vitrification, se servir de pâtes plus malléables et varier les formes. Les céramistes de Phaistos produisent des vases d’un beau rouge lustré, dont l’engobe liquéfié au feu forme une sorte d’émail[125]. Mais au M. A. II, triomphe la poterie à décor foncé sur fond clair : sur le ton chamois de l’argile ou sur une couverte blanchâtre se détachent des lignes d’un lustre rouge brun ou noir. Le dessin devient plus libre ; le pinceau a une souplesse que ne soupçonnait pas le poinçon : il trace des triangles de hachures qui ressemblent soit à des ailes de papillon, soit à des doubles haches ; il passe de la ligne droite à la courbe. Dans la Crète orientale, les potiers demandent à leur feu de moucheter la couverte rouge et orange de taches noires et bronzées ; ils ont pour spécialité le mottled ware, la poterie bigarrée ou flammée[126]. Les formes sont hardies et dénotent l’influence de la métallurgie : on fait des coupes à pied, des aiguières, des cruches projetant un bec long et haut qui est souvent tubulaire et leur vaut le nom de théières. Au M. A. III, qui ouvre l’âge du bronze, il est bien possible que le tirage du four ait reçut des améliorations dont le souvenir se retrouverait sur un sceau représentant un atelier de poterie[127]. En tout cas, l’aspect métallique de certains engobes indique plus que jamais les rapports établis entre les deux industries du feu. Le potier ne recule devant aucune audace de technique. Il façonne des jarres ou pithoi de hauteur plus qu’humaine ; il adapte à ses cruches des becs énormes, il se fait sculpteur en même temps que peintre et donne à ses vases la forme d’une femme ou d’un oiseau[128]. Des recherches nouvelles amènent, surtout dans la Crète orientale, la réhabilitation du décor néolithique : le light on dark succède au dark on light, avec un dessin blanc, quelquefois jaune ocre, sur un fond lustré d’un brun noirâtre. C’est ainsi que, deux mille ans plus tard, la peinture de vases attique substituera aux figures noires sur fond rouge les figures rouges sur fond noir. Et voici qu’apparaît le noble motif de la spirale. Il venait des Cyclades ; mais le potier crétois, entraîné au dessin curviligne, en tire aussitôt d’inépuisables ressources. Par la simple cuisson en atmosphère neutre, il sait déjà faire produire à ses couleurs des effets que ses héritiers n’auront qu’à rendre plus intenses pour exécuter des chefs-d’œuvre. Les princes qui se firent bâtir des palais au début du M. M. donnèrent une vive impulsion à la céramique d’art. Une grande période se prépare, qui atteint son apogée au M. M. II. Les maîtres les plus réputés sont installés dans le palais même de Cnosse. Une invention mécanique va rendre la main du potier plus habile : la pâte est travaillée sur un disque tournant, mû à la main par une tournette rudimentaire[129]. L’instrument suffit à des ouvriers experts pour donner plus de galbe à la panse, plus de sveltesse et de rondeur au pied et aux anses. Il permet de laminer l’argile avec une sûreté telle, que les parois des vases n’ont parfois que 1 millimètre d’épaisseur. Toute une catégorie de gobelets et de tasses a reçu des archéologues le nom de coquilles d’œuf. Aussi le potier prend-il conseil plus souvent encore que par le passé du bronzier et même de l’orfèvre. On a ‘trouvé à Gournia, avec un canthare en argent, un autre en argile qui en est presque la réplique[130]. Il existe même un vase, provenant de Pseira, dont, l’auteur, par un véritable tour de force, un défi à la matière, a copié un modèle en métal, avec ses cloisons soudées, ses bords ondulés, ses anses et rivets[131]. Si des céramiques de cette époque semblent être les prototypes des coupes en or et en argent de Mycènes, c’est qu’elles étaient elles-mêmes copiées sur des vases en métal. Minceur des parois, courbes des anses, division en panneaux et en zones, effets de couleur pareils à des- jeux de lumière sur des saillies miroitantes, tout donne à chaque instant la même impression. Mais en même temps la découverte de couleurs nouvelles va faire définitivement du céramiste un peintre. Il trouve maintenant sur sa palette un noir onctueux, susceptible de prendre à la cuisson un ton pourpre et un éclat d’émail ; un blanc crémeux remplace le blanc liquide qui ne donnait qu’une couche mince et peu adhésive ; à l’ocre jaune ou rouges ajoutent un jaune pur et toute la gamme des rouges. Tout est prêt pour la polychromie. Pas plus que le clair sur foncé des temps néolithiques n’avait complètement disparu avant le M. A. III, il n’avait, depuis, fait complètement disparaître le foncé sur clair : ce n’étaient que des éclipses. Au début du M. M. I, le céramiste eut donc librement s’exercer au jeu des couleurs. Il imite les pierres bigarrées, il mouchette des gobelets de rouge et de noir, il enveloppe des coupes de bandes blanches et écarlates. Toutes les combinaisons lui deviennent familières. Ainsi naquit le style auquel on a laissé le nom de l’endroit où l’on en a trouvé les premiers spécimens : le Camarès. Tantôt le peintre parsème le fond chamois de décors éclatants ou sombres, avivés de contours à multiples nuancer. Tantôt sur un vernis brun à reflets métalliques il détache vigoureusement des tons mats, blanc, jaune, brun, orange, vermillon, carmin. Souvent même il use des deux manières à la fois : il égaie les couches foncées d’un pointillé blanc ou de rehauts clairs. Puis, des tons crus il passe aux nuances fondues, délicates, et sait donner autant de charme à l’harmonie des couleurs que de puissance à leur opposition. Les motifs linéaires et, de préférence, curvilignes sont d’une variété, d’une maîtrise étonnantes ; par la recherche curieuse de spirales nouvelles, ils atteignent à une élégance originale et raffinée. Les motifs végétaux viennent s’y mêler ; mais, traités par des mains habituées au dessin linéaire et désireuses seulement de le vivifier, ils n’ont pas la prétention de reproduire l’exacte vérité. De magnifiques enroulements s’achèvent en pétales. Quand les fleurs stylisées sont reconnaissables, elles n’ont leur ton naturel — par exemple les marguerites et les lis — que s’il conspire à l’effet général du coloris ; le plus souvent — palmettes, crocus, rameaux d’olivier fleuris — elles sont alternativement rouges et blanches. Chaque trait, chaque nuance conspire à l’effet d’ensemble, à une unité qui chatoie[132]. Le plus caractéristique de ces chefs-d’œuvre, où la couleur se relève d’un léger relief, est une tasse au corps pris dans un calice de nénuphar, dont les sépales noirs veinés de rouge et les pétales blancs s’étalent avec une grâce exquise sur la rouge paroi. Ces artistes amoureux de la ligne et de la couleur ont des émules qui partent d’autres principes. Certains peintres de vases ne peuvent oublier les palais où ils travaillent, et prêtent à leurs motifs un aspect architectural : tel celui qui décore un vase de cannelures en arcade dominées par des fleurs de lis, comme s’il avait eu sous les yeux quelque modèle gothique[133]. D’autres se rapprochent franchement de la nature, peignent des poissons, un héron, des chamois, des coléoptères, des poulpes, ou bien des lis, des crocus, des palmiers blancs aux rameaux couverts de bourgeons roses[134]. Comme toujours en Crète, le naturalisme mène à la plastique. Des bols portent à l’intérieur des figurines, une colombe, des bœufs[135] ; dans une soucoupe s’étale un beau rameau de fougère en or[136] ; sur des parois sont posés un hanneton ou des coquillages[137] ; sur les flancs énormes des pithoi ruissellent des couleurs imitant l’huile et traînent des cordes modelées[138]. Le vase percé de trous pour les aspersions rituelles, le rhyton, apparaît pour la première fois avec la forme du taureau ou de la tête de taureau[139]. Dans cette merveilleuse éclosion, deux nouveautés surgissent qui sont bien d’une époque où la couleur rutile. D’abord la barbotine[140]. Mêmes dessins que sur le Camarès, mais plus tassés ; même coloris, mais plus vif encore : sur un champ sombre éclatent des rouges flamboyants et des blancheurs laiteuses. Puis vient la faïence[141]. Avant le milieu du IIIe millénaire, on pétrissait déjà une pâte blanche à base de silice. Les céramistes cnossiens du M. M. II, avec des pièces égyptiennes sous les yeux trouvèrent le secret d’un émail épais. Ils obtinrent un bleu turquoise, un brun noirâtre ou pourpre, un blanc pur ou nuancé de jaune ou de lilas, enfin une couleur nouvelle, le vert. Dès le M. M. II, la faïencerie de Cnosse fournissait des plaques formant ensemble une grande composition en mosaïque[142]. Il en sortait des vases bleus de Sèvres à monture d’or[143]. Si l’art de la faïence n’arrive à la maturité qu’un peu plus tard, par la plastique, c’est bien à l’époque du Camarès que devait se placer sa vigoureuse jeunesse. Après le M. M. II, le potier de Crète va travailler dans des conditions techniques et sociales qui ne lui sont pas toutes également favorables. Le tour à rotation rapide, qu’on avait sans doute déjà mis à l’essai, devient d’un usage général. Il permet de façonner à la perfection les formes connues, de leur donner des proportions plus fines, un profil plus élégant. Il facilite l’exécution de formes nouvelles, entre autres le vase à anses en étrier qui devait avoir une fortune extraordinaire. Il fait tomber définitivement les excroissances démesurées des becs et oblige à plus de sobriété. Mais, d’autre part, il est fatal aux façons les plus délicates et fait disparaître les coquilles d’œuf. Le four à potier se perfectionne à tel point, qu’on peut en porter la couleur à une température oxydante. Mais ce progrès aussi se paie. La cuisson va brûler ou nuancer diversement les couleurs. Le noir ne résiste qu’en épaisseur ; en couche mince, il se change en un brun extrêmement variable : il disparaît de la décoration et sert à constituer un engobe sans lustre, d’une teinte généralement brun lilas. Le blanc devient poudreux. Les belles touches d’orange, de carmin, de vermillon, ne prennent pas. Voilà donc que le potier, habitué à la polychromie, se trouve devant cette alternative : repousser les facilités de métier qui s’offrent à lui ou livrer des produits de qualité inférieure, satisfaire une clientèle restreinte, opulente et délicate, ou travailler à bas prix pour le grand nombre. Le choix ne dépend pas de lui. C’est l’époque où, entre la ruine du premier palais et la construction du second, les potiers de Cnosse sont privés de la protection royale. Les grands et les riches n’ont plus de passion exclusive pour les beaux vases peints : ils ont les moyens de s’offrir de la vaisselle d’or ou d’argent ; la faïence les tente ; ils prisent la pierre longtemps délaissée et se contentent d’albâtre bien taillé en attendant la stéatite à reliefs. Il faut bien alors que l’industrie céramique s’adresse à des classes moins raffinées et, puisqu’elle commence à répandre ses produits au loin, qu’elle vise surtout à l’exportation. On pourra donc continuer à faire du polychrome au rabais, avec la banalité de la besogne mercantile ; mais, s’il on veut ramener la clientèle des palais à la poterie d’art, on devra lui présenter un style nouveau. Tout annonce la décadence dans le Camarès du M. M. III, qui n’est plus que du post-Camarès[144]. C’en est fait des tours de force et des effets savants. Le façonnage est négligé. La peinture, réduite à un noir et à un blanc sales qui ne sont relevés que par du jaune ou du rouge, n’a plus de brillant, et souvent les couleurs coulent. Le dessin a perdu de sa grâce, et les motifs végétaux tournent parfois au géométrique[145]. Pour donner an coloris un peu de vivacité, on revient à l’imitation des brèches et des conglomérats, ou bien on multiplie les droites, et les courbes en un dessin mièvre, à petits traits rouges et blancs[146]. Ce qu’il y a encore de plus réussi, c’est la poterie ridée (rippled ware) où, par coups de pinceau plus ou moins appuyés, on imite l’écaille de tortue[147]. Pendant que déclinait ainsi un style naguère si fécond, des peintres de génie brossaient sur les murs des demeures princières des fresques où étaient représentés des plantes, des animaux, des hommes. Les céramistes trouvèrent là des modèles qu’ils se mirent à imiter avec ardeur, sûrs d’obtenir pour leurs peintures à eux la vogue qui allait à ces peintures murales. Le post-Camarès n’est qu’une survivance ; le vrai style du M. M. III, c’est le naturalisme. Déjà dans la période précédente, certains artistes dessinaient d’après nature et avaient une tendance à la monochromie. Ce fut la règle désormais. Les couleurs crues n’étaient plus de mise dès l’instant qu’il s’agissait de donner aux objets une apparence de vérité. L’école nouvelle commence par peindre en blanc sur fond brun lilas. Elle rend la beauté des choses sans rechercher une exactitude méticuleuse, à main levée, d’un dessin libre et alerte, souvent dans une manière impressionniste. Ainsi s’élancent, au-dessus d’un sol ondulé, des tiges sveltes de plantes décoratives, des touffes d’herbes, des chaumes minces et pointus de graminées, des fleurs de bois ou de jardin, pois de senteur ou tulipes[148]. Les plus splendides de ces vases sont des jarres où la fleur de prédilection, le lis, détache sur un fond brun pourpre l’éclatante blancheur de sa longue hampe et de ses pointes altières. L’homme n’est jamais représenté : quelques essais faits à la période précédente avaient sans doute découragé les peintres de vases. Même les animaux terrestres sont laissés de côté, Seule, la faune marine est en vogue : on remplace les spirales par les tentacules du poulpe, on figure des dauphins nageant entre des roches[149]. Le relief accentue le naturalisme de la peinture : des vases en terre cuite portent des épis d’orge, comme les beaux vases en faïence portent des tiges de fougère et un rameau de rosier[150]. Le M. M. III avait donc été pour la céramique une période de transition ; mais, tandis que le style s’était transformé, la technique était restée en retard. La décoration en clair sur foncé, consacrée par le succès de la polychromie, avait passé au post-Camarès et au style naturaliste. Il n’y avait pas de raison de s’y attacher du moment qu’on renonçait à l’emploi des couleurs qui en avaient fait la gloire. Déjà vers la fin du M. M. III, on remarque une tendance à une technique nouvelle[151], et, dans la première phase du M. R. I, les zones décorées en blanc sur noir alternent sur le même vase avec les zones décorées en noir sur jaune. Mais bientôt triomphe la technique essentiellement mycénienne à dessin noir sur fond d’argile clair. Ce n’est pas à dire que, même alors, toute trace de polychromie ait disparu. Pour les vases de prix, l’argile était enveloppée d’un engobe chamois qui prenait souvent à la cuisson un ton orangé ou roux et passait quelquefois au mauve et, au rouge violacé. If y a même, au début de la période, toute une classe de vases comptant parmi les plus beaux, où le décor est relevé de filets mats en blanc ou en rouge orange[152]. Bien mieux, jusqu’au M. R. III, certaines poteries qu’on déposait dans les tombes continuèrent de recevoir un décor rouge et noir fortement relevé de motifs bleus[153]. Mais, sauf, exception, on peut dire que, dans la seconde phrase du M. R. I, c’en est fait de toute couleur accessoire, comme de toute peinture blanche sur fond sombre. Le naturalisme, dans la céramique du M. R., fut rarement une étude rigoureuse et poussée de la réalité. Il aime à reproduire mouvements et formes en se jouant : il accentue, il simplifie. Il a vite tourné à l’illusionnisme, à la stylisation, mais en restant près de deux siècles dans les limites du goût parfait, sans rien sacrifier de la vérité que ce qu’il fallait pour augmenter l’effet décoratif. Il y a ainsi, du M. R. I au M. R. II, toute une gradation descendante de styles naturalistes[154]. Le M. R. II n est que le dernier de la série avant la chute de Cnosse, et encore n’a-t-il pas supprimé ceux qui l’avaient précédé. Les écoles se multipliaient, vivant et prospérant côte à côte. Ce sont les marines qui permettent le mieux de suivre la transformation du style. Au début, un naturalisme fougueux produit des merveilles. Le beau vase à relief en stéatite qui représente le poulpe nageant n’est que la reproduction un peu, affadie d’un modèle en terre cuite peinte. Il est effrayant à voit, le monstre tel qu’il apparaît sur un vase à étrier de Gournia. Laissant derrière lui les rocs dentelés et les touffes d’algues flottantes, dédaignant les conques et les oursins, il vient droit sur vous, de tous ses bras tordus que gonflent les ventouses, avec ses gros yeux qui étincellent, fantastique de réalisme. Mais bientôt les enroulements des huit tentacules sont symétriques et les récifs encadrent la bête. Puis, pour laisser plus d’espace à ce cadre, l’octopous est remplacé par l’argonaute aux trois bras recourbés. Il a encore de la vie, tout d’abord, quoique emprisonné entre les pointes rocheuses. Mais sa coquille ne tarde pas à se déformer, et autour de lui traînent dans l’eau des masses indistinctes[155]. Enfin, sur une belle amphore du M. R. II, l’octopous fait pendant par ses tentacules roulées en spires à des spirales mêlées de rosaces et de palmettes. C’est ainsi qu’on voit des dauphins qui frétillent à intervalles égaux dans un quadrillage de roches[156] ou des étoiles de mer étalées près de fucus que remplacent plus tard des bipennes[157]. La flore se prêtait bien plus encore à la stylisation. D’exquis pois de senteur, de jolis crocus, des lis résumés, par des volutes, des palmiers inclinant leurs palmes avec élégance, et surtout de délicieuses tiges d’herbes projetant par couples des feuilles lancéolées[158] : tout cela prépare le céramiste du M. R. Il à peindre de magnifiques plantes d’ornement qui sortent de terre en tiges de roseaux, s’épanouissent en lis et culminent en palmettes[159]. A mesure que les motifs pris dans la nature se schématisent pour devenir purement décoratifs, il est inutile d’en écarter les motifs linéaires, qui peuvent rendre le même service. Il arrive même que des potiers excluent tout décor animal ou végétal pour peindre des spirales entrelacées en tous sens, des demi-spirales terminées avec une fantaisie charmante, des chevrons séparés par des rangs de perles, de rosaces et de bipennes. Mais bien plus souvent les deux sortes d’ornements se mêlent. Sur une amphore d’aspect flamboyant, les zones secondaires renferment des spirales, des feuilles de lierre et des doubles haches, et la zone principale est occupée par des bipennes accotées de rameaux d’olivier et des tètes de taureaux surmontées de bipennes à manche fleurdelisé[160]. Cette division en zones et ce mélange de motif, amenèrent la céramique, en un temps où la fresque s’emparait de tous les murs dans le palais de Cnosse remanié, au style du palais, véritable aboutissement de tout ce qui s’était fait depuis plus d’un siècle. Le décorateur de vases se laisse guider par la peinture murale, comme celle-ci obéît à l’architecture. Il divise résolument les zones horizontales de la panse en panneaux et comprend dans l’ornementation toutes les parties accessoires. Voulût-il donner une grande place aux motifs floraux, il est bien obligé d’y joindre du dessin linéaire et, pour faire le raccord, de les styliser à outrance. Le caractère architectonique de cette décoration éclate aux yeux partout, soit que deux frises superposées aient pour tout ornement des rangées de triglyphes, soit que la tige et les volutes du lis ou de l’iris suggèrent involontairement à l’esprit les lignes de la colonne ionique[161]. Quelquefois, malgré tout, le sentiment de la nature se fait jour dans cette recherche de l’effet décoratif et vient y ajouter une singulière puissance. Rien de plus noble que la jarre, haute de 1m,20 et peinte sur reliefs, qu’on a trouvée dans la villa royale : au-dessus des ondulations qui figurent une eau courante s’étalent harmonieusement de longs rameaux de papyrus. Mais souvent, par la profusion des ornements hétérogènes, par la juxtaposition des formes conventionnelles, par l’enlacement des courbes et des fleurs, le style du palais dernière manière arrive au rococo. La céramique hors de Crète avant la période mycénienne.Pendant, que la céramique faisait ainsi en Crète une ascension triomphale, où en était-elle dans les autres pays de l’Égée ? On va voir que son histoire dans les Cyclades, dans la Grèce, même en Troade et à Cypre, est toute différente selon qu’on la considère avant ou après la fin du XVIIIe siècle. Le seul des pays égéens qui ait eu, comme la Crête, une civilisation néolithique, la Thessalie, soutient aisément la comparaison au début du IIIe millénaire[162]. On y fabrique, à ce moment, une belle poterie à décor linéaire rouge sur argile jaune ou couverte blanche. Les dessins sont variés. Quand la couverte n’est pas fortement polie, c’est le décor qui brille grâce à des éléments vitreux : la Thessalie a connu le secret du vernie bien avant l’époque où Furtwængler plaçait l’Urfinis de Béotie. Mais le type thessalien a beau persister pendant des siècles, il produit des variantes locales, à ne l’ait presque aucun progrès. Vers 2500, la Grèce septentrionale et centrale n’a rien de plus à montrer, à côté de et type, que des poteries décorées de lignes blanches et des vases noirs d’un beau luisant ornés d’incisions. C’est peu, à une époque où la Crète possédait le type foncé sur clair et la poterie flammée. Et voici qu’une invasion isole la Thessalie. Rattachée aux pays du Nord, elle connaît des formes qui ne manquent pas d’élégance ; elle connaît surtout, avant les îles, la spirale. Qu’en fait-elle ? Elle la mêle à des lignes droites avec une in1assable banalité. C’est tout au plus si des peintres en délire osent gribouiller des yeux sur des anses[163]. Et il en fut ainsi jusqu’au milieu du XVe siècle. En Troade et à Cypre, la céramique se développa également en pleine indépendance, du XXXe au XVe siècle, sans obtenir de résultats bien remarquables. A Troie II, les formes se développent et la vague est au gobelet haut à deux anses (dépas amphikypellon) ; mais ce n’est que dans la deuxième période de Troie II que le four à potier et le tour font leur apparition ; ce n’est que dans la troisième qu’on copie la spirale des Cyclades ; ce n’est qu’à Troie VI, après 1500, qu’on arrive à la décoration peinte[164]. — A Cypre, ni l’âge du cuivre (3000-2200), ni le premier âge du bronze (2200-1500) ne connaissent le tour ai la spirale, et la peinture n’y devance pas le travail du bronze. Les meilleurs produits de la première période sont des cruches sphériques à engobe rouge d’un très beau brillant. Faute de tour et de couleurs, la fantaisie du potier s’égaie en des essais, plastiques, donne au vase la forme animale, substitut ou ajoute aux incisions des reliefs. Quand l’introduction de la peinture, fait déchoir ce type, il est remplacé par une poterie dont le décor linéaire, en noir mat sur engobe blanc, est d’une indigence monotone[165]. Détournons-nous des régions lointaines qui ne purent pas avoir de relations régulières avec la civilisation égéenne avant le XVIe ou le XVe siècle ; passons à celles qui eurent de tout temps, directement ou par intermédiaires, des rapports plus ou moins suivis avec la Crète. Dans les Cyclades[166], la poterie de l’âge chalcolithique est mal cuite, grossièrement incisée. Puis la surface noire prend un poli vitreux ; les incisions incrustées dessinent des triangles hachurés, des arêtes de poisson, des cercles concentriques ; l’habitude de travailler le marbre produit des formes spéciales, surtout les pyxides, les saucières, les poêles ou palettes. Un peu plus tard le potier des îles reçoit du continent la spirale[167] et remplace la polissure à la main par un engobe noir ; mais la couleur de son, vernis est mauvaise, son argile boit, il n’obtient qu’un lustre ternie et sans consistance. Quand il se met à peindre sur engobe, il adopte la technique crétoise du foncé sur clair : telle cruche de Syra ressemble en tout à une cruche de Mochlos[168]. Pourtant il ne se risque pas à reproduire la forme hardie de la théière, pas plus qu’il ne tente rien qui rappelle les flammés. Vers le temps où le céramiste crétois arrive par le décor clair sur foncé à la belle polychromie, celui des Cyclades, à son tour, trace des dessins blancs sur couverte lustrée noire ou rouge : il importe, puis copie le Camarès, et là encore un vase de Naxos dénote l’influence crétoise[169]. Mais l’infériorité, cette fois, est flagrante. Après avoir à peu près autant donné que reçu, les Cyclades se bornent à des emprunts tardifs, espacés et peu fructueux. L’importance de leur céramique vient de ce que influences se sont exercées sur elle et de ce qu’inversement elle en a pu exercer d’autres et transmettre plus loin celles qu’elle avait subies. Syra n’importe pas seulement de la poterie crétoise, mais connaît le dépas amphypikellon de Troie et y fait connaître la saucière des îles[170]. D’autre part, la poterie cycladique du type incisé gagne l’Argolide, l’Attique, l’Eubée et pénètre en Phocide. Si les formes et les couleurs du Camarès n’ont pas produit plus d’effet sur les potiers de Phylacopi, c’est qu’ils faisaient venir aussi dut continent des exemplaires du type qu’on a quelquefois appelé le pseudo-Camarès[171]. Ils reviennent sur le tard au mode primitif de peinture, en décorant de noir mat des fonds blanchâtres ; à la même époque, la même technique est appliquée sur le continent[172]. Plus on approche des XVIIIe-XVIIe siècles, plus les Cyclades multiplient leurs relations, nan seulement avec la Crète, mais avec le Péloponnèse et la Grèce centrale. Dans ce rôle d’intermédiaires, à mesure qu’elles reçoivent davantage du Sud, elles apportent plus aus3i à l’Ouest et ait Nord. De 3000 à 2500, la céramique de l’Argolide et de la Corinthie[173] suit la même évolution que celle des Cyclades, mais plus lentement. A Nauplie, à Tirynthe, à Korakou, le polissage à la main persiste plus longtemps, le lustre apparaît plus tard, les incisions sont exceptionnelles[174]. Mais, vers 2500, la Grèce centrale, détachée de la Thessalie et rejetée vers le Sud, donne de l’élan à la céramique du continent. De 2500 à 2000, l’H. A. II et l’H. A. III produisent une poterie d’un type nouveau. On l’appelait jadis Urfirnis, à cause de son engobe lustré, ou quelquefois Camarès béotien, à cause de certains exemplaires à parois très minces ; on lui donne volontiers aujourd’hui le nom de Haghia Marina, localité où l’on en a découvert de nombreux spécimens[175]. C’est un type à vernis foncé, monochrome d’abord, puis orné de lignes blanches. Il est particulièrement répandu en Phocide, en Béotie et en Corinthie. S’il n’est pas impossible d’admettre une influence indirecte du M. A. III sur la technique de cette poterie, il est plus aisé de voir à certaines formes que la tradition cycladique se perpétue dans les régions les plus voisines des îles : par exemple, la saucière est fréquente au Sud, jusqu’en Attique, tandis qu’elle ne paraît pas en Phocide. Il existe même une sorte de vases dont on ne saurait dire s’ils viennent des Cyclades ou d’Argolide[176]. Ainsi, au IIIe millénaire, c’est par le golfe Argien et le golfe Saronique que les pays de l’Hellade étaient en communication avec la civilisation égéenne, représentée pour eux par les Cyclades. De Crète, il ne leur arrivait qu’un reflet bien amorti par la distance. Vers 2000, sans doute à la suite d’une invasion, l’Hellade s’isole, mais pour peu de temps. Quand elle reprend ses anciennes relations, elle dispose du tour et produit le minyen aux formes métalliques, simples et belles. Le minyen gris de l’H. M. I (2000-1750) a pour centre, à l’origine, Orchomène III. Là on le polit sans le décorer. Mais, quand il se répand, les potiers de l’Argolide ornent ces formes septentrionales d’incisions curvilignes. Bientôt, quand ils fabriqueront le minyen jaune de H. M. II, ils reviendront à la couverte, devenue traditionnelle chez eux, et créeront ainsi un vague prototype du mycénien[177]. D’ailleurs, presque aussitôt après que la ville du Nord a lancé le minyen, une ville du Sud, probablement Égine, y oppose le type à peinture mate[178]. Pauvre peinture au début ! Sur de l’argile verdâtre et poreuse est posé, sans fixatif un brun noirâtre inconsistant ; le dessin est purement linéaire. Mais de grands progrès se réalisent : au lieu de faire boire la couleur liquide par une terre absorbante, on l’applique sur une couverte blanche ; le dessin devient curviligne. La ressemblance s’accentue entre la peinture mate du continent et celle qui prévaut dans les Cyclades. Bien mieux, l’influence crétoise devient indéniable. Deux cruches de Drachmani en Phocide sont de la même forme que des cruches contemporaines de Cnosse, et l’une porte exactement le même décor[179]. La peinture mate devient polychrome[180], c’est tout dire. Le minyen lui-même se rapproche de modèles minoens[181]. Au milieu du XVIIIe siècle, l’Hellade est prête, comme les Cyclades, à s’ouvrir toute grande aux émanations bienfaisantes du Sud. Désormais les transformations de la céramique minoenne vont avoir leur contrecoup plus ou moins vite dans la plus grande partie de l’Égéide. La période créto-mycénienne commence. La poterie du continent et celle des Cyclades conservent encore leur individualité, mais témoignent de rapports continuels avec la Crète. Les vases trouvés à Cnosse dans le dépôt du sanctuaire et qui, mieux, que tous autres, caractérisent le M. M. III ont leurs analogues dans les premières tombes à fosse de Mycènes[182], et l’un d’eux provient de Phylacopi[183]. Le résultat de ces relations est visible en Hellade. La peinture mate, qui avait déjà fait des progrès sous l’influence diffuse de la Crète, en fait d’immenses tout à coup, par l’effet des modèles qui affluent. Un nouveau type de peintre male emprunte au M. M. III de nombreux motifs et prépare le mycénien par le décor à deux couleurs, le rouge et noir[184]. Pour la première fois, les périodes de l’Helladique vont correspondre avec celles du Cycladique et du Minoen. — Dans les Cyclades, les céramistes de Thèra et de Phylacopi inscrivent sur certains vases des caractères crétois. Comme s’ils voulaient dire quels sont leurs maîtres[185]. Jusqu’alors le potier mélien usait de couleurs mates et ne dessinait que la ligne droite et la spirale. Il se convertît à la technique lustrée du noir et rouge, au décor floral et animal[186]. Même les vases ornés d’oiseaux dodus, qui sont bien sa spécialité, n’en démontrent pas moins l’emprunt qu’il fait à la Crète du style naturaliste. Il lui suffit, d’ailleurs, de s’essayer à la figure humaine, pour laquelle il était réduit à ses propres moyens, pour prouver et quel point ils sont encore chétifs[187]. C’est pendant les deux siècles des M. R. I et II que s’achève l’éducation du potier dans les Cyclades et sur le continent. L’importation des vases crétois devient de plus en plus active dans toute l’Égéide. En même temps, il se fabrique sur un grand nombre de points des vases qu’on dirait crétois, si certains détails n’en indiquaient l’origine locale[188] ; ceux-là n’ont pu être façonnés et peints que par des Crétois immigrés. Les potiers indigènes continuaient d’avoir leurs types, mais se pénétraient tous les jours davantage d’une technique et d’un style qu’ils jugeaient supérieurs. C’est ainsi qu’on trouve partout des vases du M. R. I et surtout du M. R. II, ce qui n’empêche pas que les Cyclades soient en retard sur la Crète, et l’Argolide sur les Cyclades. Le processus est le même, mais plus ou moins rapide. A Mélos, la poterie noire et rouge resta quelque temps encore en vogue ; c’est même au commencement du M. R. I qu’elle produisit les dessins les plus conformes aux leçons du M. M. III, des crocus, des graminées, des grenades[189]. Elle n’en continuait pas moins à traiter le motif traditionnel de l’oiseau et ne renonçait pas à représenter des personnages, par exemple des pêcheurs. Le noir et rouge marquait donc seulement l’influence générale de la Crète ; le rouge et noir fut une imitation consciente, systématique du crétois[190]. Les formes sont les mêmes ; la technique aussi, avec d’autres couleurs ; quant au dessin, poussant à bout la réaction du M. R. I, il ne se borne pas à styliser le décor floral, niais va droit au décor spiraliforme. Au reste, les potiers de Phylacopi ne purent pas indéfiniment soutenir ce rôle, qui consistait à repousser la concurrence du vase crétois en flattant le goût du jour par d’habiles copies. A la fin du M. R. I, l’île est envahie par l’importation, et le style du palais y est représenté par une masse de vases dont la majeure partie est d’une authenticité certaine[191]. Sur le continent se déverse une grande quantité de M. R. I et II. Et cette poterie crétoise ne gagne plus seulement l’Argolide, la Corinthie et l’Attique : elle se répand en Laconie, sur les rives occidentales du Péloponnèse ; elle pénètre en pleine Étolie[192]. La poterie indigène en est bouleversée. Plus de peinture mate. Le mycénien la remplace définitivement avec son lustre et le décor spiraliforme de son premier style[193]. Le minyen jaune se conforme lui-même à la mode et prend de nouvelles formes. Bientôt l’H. R. Il adopte à son tour le décor naturaliste : l’octopous et la double hache font partie de l’ornementation usuelle ; on se plaît aux motifs foliacés et floraux, et la feuille de lierre obtient un succès qu’elle ne connaissait pas. Déjà l’imitation est libre. La main et le goût se forment. Pendant ce temps, on apprend à connaître le style du palais. De ces vases précieux, il s’en est trouvé, dont l’origine n’est pas douteuse, dans toute l’Argolide, à Kakovatos, à Égine à Chalcis en Eubée, à Thèbes et à Orchomène[194]. Mais d’autres, en plus grand nombre, sont des imitations[195], et ceux-là se répandent plus loin encore, jusqu’en Thessalie[196]. D’où viennent ces imitations ? Elles sont si parfaites la plupart du temps, qu’on a eu grand’peine à les déclasser et qu’on n’y est arrivé que par la comparaison des argiles et du détail ornemental. Ce ne sont pas les potiers indigènes qui ont pu les décorer ; les plus expérimentés en étaient encore incapables. Il faut donc admettre que des maîtres potiers venus de Crète travaillaient sur le continent, dans certains centres Soit leurs produits rayonnaient au loin. Le fait est important. Il explique qu’à Mélos, à Mycènes, dans maints autres endroits, l’éducation des céramistes ait pu s’achever si vite et pourquoi les belles œuvres ne se font plus seulement en Crête. Il explique encore la facilité avec laquelle la poterie, non seulement crétoise, mais égéenne, étend désormais son influence à des régions qui lui étaient naguère presque fermées. Au milieu du XVe siècle, au moment où des vases style du palais arrivent à Iolcos, la Thessalie s’éveille du sommeil où elle était plongée depuis mille ans : toute surprise, elle apprend à se servir du tour. Vers 1500, la sixième ville de Troie importe la poterie continentale à peinture mate et se hâte de l’imiter, employant la couleur pour la première fois. Cypre elle-même ne connaît pas le tour avant de se mettre à copier les décors du mycénien continental ou du M. R. II. Ainsi, au temps même où la céramique crétoise est à l’apogée, la céramique mycénienne lui emprunte ses modèles, lui enlève ses artistes, s’approprie ses procédés, élargît immensément son domaine. Elle va lui prendre sa place. La céramique de la période mycénienne.Quand vient la vraie période mycénienne, celle du M. R. III, l’expansion crétoise, ininterrompue depuis plus de trois cents ans et d’une intensité croissante, cesse parce qu’elle n’a plus rie n à conquérir. L’unité du monde égéen est faite, et la poterie en détermine l’aire. Les différences locales n’empêchent pas l’identité des caractères essentiels. C’est, comme mille ans plus tard, une période de koinè[197]. S’étant assimilé la civilisation crétoise, le monde nouveau n’a plus besoin de la chercher dans sa patrie d’origine. Cnosse perd sa primauté. La céramique n’a plus un centre d’élection ; ses centres sont partout. On a trouvé des fours à Tirynthe et à Thèbes, un atelier à Zygouries en Corinthie[198] : il y a des poteries près des palais et dans les petites bourgades ; il y en a d’actives dans tous les pays. Mais la clientèle n’est plus la même : la multitude demande la marchandise la plus commune, par masses ; les princes et les gens riches qui veulent de la vaisselle peinte sont nombreux, mais n’ont plus le goût affiné. De plus, les manufactures d’art, qui fournissaient les beaux modèles, sont détruites ; les bonnes traditions s’en vont. La poterie devient une pure industrie. La production se fait par quantités. La concurrence s’organise, même en vue de l’exportation : un atelier continental fabrique des coupes troyennes pour les envoyer à Troie[199]. Faire beaucoup et vite, dût-on faire médiocre, telle sera bientôt la règle du métier. Cependant, la technique se maintient et se répand[200]. On continue longtemps de veiller à la finesse de la pâte et de l’engobe, de soigner le façonnage, d’opérer une cuisson uniforme et oxydante. Là où s’était conservé le noir mat, par exemple à Mélos, il cède la place au noir lustré. Il ne s’invente guère de formes nouvelles ; pourtant, avec le vase à étrier, sont en faveur la gourde de pèlerin et une coupe d’une belle venue, le verre à champagne. Mais, s’il n’était pas trop difficile d’apprendre à bien établir un vase, autre chose était de l’orner avec art. Les motifs ne manquaient pas. Le mycénien a un répertoire éclectique. Il ne renonce pas au naturalisme : le décor végétal lui est familier ; les oiseaux, surtout les oiseaux aquatiques, les poissons, les mollusques et les coquillages lui fournissent toujours d’amples ressources ; en Argolide et à Cypre, s’y joignent les grands quadrupèdes et les figures humaines. Sous l’influence de la peinture murale, le peintre de vases représente même des scènes d’ensemble : des chasses, des défilés de guerriers, des hommes montés sur des chars. Enfin on revient aux dessins géométriques de la vieille peinture indigène à couleur mate. Mais quel emploi fait-on de toutes ces richesses ? Tout d’abord, quelque artiste isolé s’ingénie en Crète à trouver du nouveau, comme le mouvement de l’oiseau picorant[201]. Le plus souvent, sans effort personnel, sans inspiration, on recopie correctement les modèles consacrés : sur des vases de Zafer-Papoura et d’Ialysos apparaissent encore des rameaux de papyrus ou des poulpes qui font un certain effet. Mais déjà la stylisation a tué le style. Même en Crète, où cette période de stagnation a duré le plus longtemps, elle ne put que retarder la décadence[202]. Le moment vient, au XIIIe siècle, où une exécution hâtive amène le dessin à une simplification enfantine : les ondulations rehaussées d’étoiles deviennent de flasques zigzags pointés ; le poulpe est représenté par deux yeux ronds d’où partent des séries de courbes symétriques ; la conque et l’argonaute dégénèrent en un simple tire-bouchonnage[203] On supplée à la qualité par la quantité : on mêle les motifs au hasard, pour bourrer le champ. Ailleurs, la décadence est plus rapide encore. Les yeux du poulpe sont des spires, ses bras sont des traits entre lesquels sont semés des mollusques et des poissons, des oiseaux et des quadrupèdes[204]. Le décor floral, de pure convention, tourne au schéma linéaire[205]. Les lignes elles-mêmes sont irrégulières. A la fin dans toutes les parties de l’Égée, le décor se réduit à des bandes horizontales qu’accompagnent misérablement quelques formes vagues, des rosaces méconnaissables. Dès lors même la technique se perd ; sur une argile poreuse, d’un jaune verdâtre, le vernis ne forme plus qu’une couche mince d’un brun à peine lustré. Dernière phase d’un art qui fut glorieux, agonie d’une civilisation. |
[1] MA, XII, 20, pl. VIII, 6 ; XX, pl. I, k.
[2] XX, pl. IV.
[3] Ibid., fig. 255-6, 269-70, 343.
[4] M A, XIII, 55 ss., pl. VII-XI.
[5] XX, fig. 389-90, pl. VI ; cf. fig. 392.
[6] Ibid., fig. 394-5.
[7] Ibid., fig. 397-8.
[8] Ibid., fig. 319, 321, 384-5 ; cf. BSA, X, pl. II.
[9] BSA, VIII, 55, fig. 28.
[10] Cf. LXXI, 10.
[11] XXXVIII, 62 ss., pl. VII-X.
[12] IV, 51-2.
[13] XXI, pl. III.
[14] Ibid., fig. 61.
[15] RODENWALDT, LXX, 199 ss.
[16] LXVII, fig. 440.
[17] XX, fig. 320.
[18] LXVII, fig. 241, 437 ; LXXI, pl. I ss.
[19] LXX, pl. I, 6.
[20] Ibid., pl. XIX-XXI.
[21] Ibid., pl. XV, 6, 1 ; pl. XII.
[22] Voir K. MÜLLER, JAI, 1915, 267-73.
[23] XX, fig. 383 ; cf. BSA, VII, 26 ss.
[24] LXXXI, pl. V.
[25] BSA, VII, 87 ss., fig. 29 ; cf. XX, fig. 273.
[26] Voir K. MÜLLER, l. c., 246-336 ; LXVII, 733 ss.
[27] LXXXII, pl. I-VII.
[28] Ibid., 21, fig. 5.
[29] XXXIV, fig. 25 A ; XXXVII, pl. XIV, 4-6 ; XX, fig. 52.
[30] XX, fig. 84-5, 147, 137 a-d, 130 a, b.
[31] BSA, IX, pl. VIII-X.
[32] XX, fig. 87 n° 8 ; 88 a ; 93 A ; 145 ; 87 n° 1 ; 86.
[33] Ibid., 301 ss.
[34] Cf. pl. IV, 1.
[35] XX, fig. 379-80.
[36] Ibid., fig. 357-8.
[37] Ibid., fig. 364.
[38] Cf. K. MÜLLER, l. c., 258-65.
[39] Voir BSA, IX, 129, fig. 85 ; VII, 95, fig. 31 ; 44, fig. 13.
[40] Voir CAPART, L’art égyptien, pl. CLXXII.
[41] LXVII, fig. 487.
[42] REG, 1899, 176, 178.
[43] BSA, XI, 285, fig. 14 a.
[44] XXXVII, fig. 83.
[45] REG, 1913, 431.
[46] LXVII, 815 ss.
[47] LXVII, fig. 360-1.
[48] Ibid., fig. 359, 364.
[49] Ibid., fig. 291, 100 ; cf. XX, fig. 539, a, c.
[50] BSA, IX, pl. IX-XIII.
[51] LXXXI, pl. IX ; XI, fig. 51.
[52] XVIII, fig. 87-8, 90 ; cf. fig. 70.
[53] Ibid., fig. 91-2 ; PERDRIZET, Fouilles de Delphes, V, III, fig. 13.
[54] Έφ., 1912, pl. XVII ; XX, fig. 501 ; JHS, MA (1921), pl. I.
[55] VAN HOORN, JAI, 1915, 65-73, pl. I ; pour l’attitude voir la statuette de Kéros (IV, fig. 119) et le sarcophage de Haghia Triada (fig. 50 a).
[56] LXVII, fig. 349-50 ; XX, fig. 305.
[57] JHS, 1921, 217 ss.
[58] BSA, Suppl. Paper, n° 1 (1923), fig. 107.
[59] IV, 116, 119, 120. La statuette en bronze trouvée à Phylacopi (XXI, pl. XXXVII) est d’origine crétoise.
[60] X, 379 ss. ; 361, pl. XLIV 5, 6 ; cf. 345, fig. 264.
[61] IV, 118.
[62] LXXXVIII, pl. XXXII ss.
[63] IV, 122.
[64] XCI, fig. 30, 110.
[65] LI, pl. XXVI, 1-3.
[66] IV, 148-50.
[67] Ibid., 151.
[68] XVIII, 75, fig. 84.
[69] BSA, X, 217, fig. 6 ; XL, pl. X, 11 ; BSA, VIII, 99, fig. 56 ; MA, XII, 118, 127.
[70] LXXXII, fig. 8-11.
[71] BSA, VIII, 39, fig. 18, 80, fig. 45.
[72] Ibid., IX, 121-8, fig. 76-83 ; XVI, fig. 116.
[73] Cf. LXVII, fig. 539 ; IV, 231, 234.
[74] AM, 1918, 153 ss.
[75] IV, 236 f, a ; cf. e.
[76] Ibid., 87-9.
[77] Ibid., 237.
[78] Ibid., 237 k, 238 a.
[79] Cf. XI, fig. 73-1.
[80] Cf. LXVII, fig. 540-3.
[81] Cf. LXVII, fig. 524-31 ; IV, 206-212.
[82] LXVII, fig. 384.
[83] IV, 205 ; XX, fig. 356.
[84] LXXVII, fig. 398.
[85] IV, 163.
[86] K. MÜLLER, l. c., 317-25, fig. 31.
[87] XX, fig. 521 a, b.
[88] LXVII, 317-325, pl. XV ; cf. K. MÜLLER, 325-31, pl. IX-XI.
[89] LXXXII, 77-8, XXI 8,22.
[90] XX, fig. 541.
[91] LXVII, pl. XVII-XIX.
[92] Ηρ., 1899. 102 ; cf. XVI, 500-1.
[93] Έφ., 1897, pl. VIII, 5 ; XX, 300.
[94] MA, XIV, 535-6, fig. 20, 20 a ; cf. XVI, 496, n. d.
[95] XVI, fig. 58, 110 a, cf. fig. 66.
[96] Ibid., fig. 59.
[97] PERROT, LXVII, 834-02 ; FURTWAENGLER, XXVIII ; EVANS, XII, XVII, 32 ss., 130 ss. ; XX, 117 ss., 195 ss., 271 ss., 669 ss.
[98] XX, fig. 51, 88 b, 89 b, 87 n° 7, 93 A.
[99] Ibid., fig. fi 410.
[100] Ibid., fig. 147.
[101] Ibid., fig. 519, 518, l.
[102] Ibid., fig. 503, a, b, d ; 518, a, b.
[103] Ibid., fig. 518, d, e ; 539, d, e.
[104] Ibid., fig. 493-500.
[105] Ibid., fig. 271.
[106] Ibid., fig. 503, c.
[107] Ibid., fig. 497-9 ; 518, g, h.
[108] Ibid., fig. 501, 594 (cf. 515, 517, 518, c), 509 ; MA, XIII, 45, fig. 41.
[109] Cf. LXVII, fig. 426, 11 ; XIII, fig. 25, 59 ; BSA, VIII, 102, fig. 59.
[110] Cf. XXXIX, 113.
[111] Cf. XIII, 163 ss.
[112] XIII, fig. 56-8 ; ΑΔ, II, II, 14 ; cf. LXVII, fig. 428, 15 ; 429.
[113] BCH, 1921, 511 ; XIIII, fig. 36-9 ; LXVII, fig. 428, 22 ; 431, 10.
[114] XI, fig. 251.
[115] XIII, fig. 44 ; IV, 243, c ; 248, e ; LXVII, fig. 426, 14 ; 431, 7.
[116] IV, 246, d, f ; 252, a ; 251, g ; 216, a ; 251, e.
[117] Ibid., 251, d.
[118] XIII, fig. 51.
[119] IV, 246, c.
[120] Ibid., 251, f.
[121] ΑΔ, II, II, 15 ss.
[122] XX, fig. 512-3.
[123] JAI, 1911, 259.
[124] Voir HOGARTH-WELCH, JHS, XI (1901), 78-98 ; MACKENZIE, ibid., XXIII (1903), 157-205 ; XXVI (1906), 243 ss. ; Miss E. A. HALL, XXXIII ; FIMMEN, XXIV ; REISINGER, LXIX ; FIMMEN-REISINGER, XXV ; FRANCHET, XXVII ; EVANS, XX, 36 ss., 56 ss., 74 ss., 108 ss., 166 ss., 231 ss., 562 ss.
[125] MA, XIX, 201 ss.
[126] LXXX, pl. XXXIV ; XL, pl. B ; XX, fig. 46.
[127] XX, fig. 93 A, b 2.
[128] Ibid., fig. 81-5.
[129] Cf. XXVII, 22 ss., 38 ss. ; XX, 168, 189.
[130] XL, pl. C, fig. 1, 2 ; cf. LXXX, pl. XXXI, 2.
[131] LXXXI, 20, fig. 5 ; cf. XX, pl. suppl. III, b.
[132] Voir MA, VI, pl. IX-XI ; XIV, pl. XXXVI, XLII ; JHS, XXIII, pl. VI, VII ; XXVI, pl. VIII ; BSA, XIX, pl. IV-XII ; XX, fig. 181, 186, pl. II, III.
[133] XX, fig. 183 a, 1.
[134] Ibid., fig. 131-2, 190-1 ; BSA, XIX, pl. X.
[135] XX, fig. 130.
[136] Ibid., fig. 189 b.
[137] Ibid., fig. 189.
[138] JHS, XXVI, pl. XI, 21-3.
[139] XX, fig. 137 a-d.
[140] Ibid., 179 ss. ; fig. 128 ; 239 ss. ; pl. I, a-j ; pl. suppl. III, a.
[141] Ibid., 486 ss. ; XXVII, 28, 32.
[142] Cf. XX, 301 ss.
[143] XX fig. 189.
[144] XX, 591-602 ; XXV, 137.
[145] XX, pl. VII.
[146] Ibid., fig. 438, pl. VII ; fig. 437.
[147] Cf. Ibid., 592 ss.
[148] Ibid., fig. 445-6.
[149] Ibid., fig. 447 a, b.
[150] Ibid., fig. 299 a, b, 357.
[151] Voir ibid., fig. 447 b, 448.
[152] Voir XXV, 89-90.
[153] XVIII, 26 ss., pl. IV ; XVI, 462, n° 66 h-m.
[154] Miss E. H. HALL, XXXIII, distingue sept classes dans le style naturaliste ; cf. REISINGER, LXIX, 15 ss.
[155] LXVII, fig. 485-6 ; XI, fig. 85 ; LXXXI, fig. 13.
[156] LXXXI, 29, fig. 10.
[157] BSA, IX, 311, fig. 10 ; JHS, XXII, pl. XII, 2 ; IV, 184.
[158] JHS, XXIII, 195 ss., fig. 11-2, 14-7 ; XXII, pl. XII, 1, 3 ; XI, fig. 30 ; LXXXI, fig. 8 ; LXXXII, pl. XI.
[159] XVI, pl. CI.
[160] LXXXI, pl. VII.
[161] XL, pl. G, 1.
[162] LXXXVIII, 137 ss. ; XCI, 13 ss.
[163] LXXXVIII, pl. XXIII.
[164] HUBERT SCHMIDT, X, 243 ss., 253 ss., 279 ss.
[165] MYRES, JHS, XVII, 134 ss. ; XI, 229 ss. ; XLVII, 70 ss.
[166] EDGAR, XXI, 80 ss. ; DAWKINS-DROOP, BSA, XVII, 9 ss. ; XXV, 80-3,134-7.
[167] Έφ., 1889, pl. VIII, 12 ; cf. LXXXV, 219 ss. ; XXV, 135.
[168] Έφ., l. c., 10 ; XX, fig. 12.
[169] XXV, 136.
[170] Ibid., 137.
[171] BSA, XVII, 16 ss. ; cf. XXV, 76, 131.
[172] XXV, 83, 76-7.
[173] FURTWAENGLER-LOESCHCKE, XXIX, XXX ; WACE-BLEGEN, BSA, XXII, 176-89 ; BLEGEN, III.
[174] BSA, XXII, 176 ; III, 4-8, 110.
[175] SOTIRIADIS, REG, 1912, 253-99 ; cf. XXV, 75-6, 132-4 ; BSA, XXII, 176-80 ; III, 8 ss., 112-3.
[176] XXV, 83.
[177] BSA, XXII, 1843 ; III, 15-9, 113-14 ; cf. XXV, 79-80, 140-1.
[178] BSA, XXII, 183-6 ; III, 19-30, 114-5 ; cf. XXV, 76-7, 141-2.
[179] XX, fig. 117.
[180] III, 28-30.
[181] XX, fig. 140.
[182] Ibid., 556 ss. ; XXIX, pl. XI, 55-6 ; cf. XXV, 138.
[183] XX, fig. 404 h, 405 d.
[184] BSA, XXII, 186 ; III, 114.
[185] XXI, 177 ss.
[186] Ibid., 113 ss., 125 ss., pl. XXI, XXIII.
[187] Ibid., pl. XIII, 14, 17, 18.
[188] Voyez K. MÜLLER, AM, 1909, 317 ss. ; cf. XXV, 91-2.
[189] XXI, 126, fig. 96, pl. XXIII ; BSA, XVII, pl. III, 2, pl. VIII, 40 ; IV, 185.
[190] DAWKINS-DROOP, l. c., 10 ss., pl. II.
[191] Ibid., 14, pl. XI.
[192] XXV, 91.
[193] III, 36 ss., 116 ss.
[194] JHS, XXIV, pl. XIII.
[195] AM, 1909, pl. XXI.
[196] Voir XXV, 90-2.
[197] Cf. XXV, 92-100 ; ajouter, pour la Macédoine, L. REY, BCH, 1916, 278 ss. ; 1917-9, 177 ss.
[198] AM, 1913, 338 ss. ; Ηρ., 1911, 48 ss. ; AMJ, 1921, 298.
[199] Cf. XXV, 96, 103.
[200] XXVII, 33.
[201] XXXVII, 103, 106, fig. 36.
[202] MACKENZIE, BSA, XXIII, 198 ss. ; EVANS, XVI, 515 ss.
[203] XVI, fig. 105 A. 116 J.
[204] LXVII, fig. 489 ; cf. XXXIII, 42-5.
[205] POTTIER, BCH, 1907, 137.