Avec ses ressources naturelles et industrielles, la Crète avait largement de quoi subvenir à un commerce étendu et rémunérateur. Elle était obligée de demander à l’étranger des chevaux, des condiments, toutes sortes de pierres dures, de l’ivoire, mais surtout les matières premières de ses métallurgistes et de ses orfèvres. En échange, elle offrait son excédent d’huile et de vin et les ouvrages de ses artisans, vases peints, étoffes teintes, armes et ustensiles de bronze, bijoux et coupes précieuses. Les éléments de transactions fructueuses abondaient et devaient susciter l’esprit d’initiative. Les villes, si nombreuses en Crète, étaient des marchés par leur origine même et devinrent des marchés considérables par le développement de l’industrie et de la navigation. Résidences royales comme Cnosse et Phaistos, bourgades rurales comme Praisos et Palaicastro, agglomérations de petits artisans comme Gournia, centres de marins et d’armateurs comme Pseira et Mochlos, c’étaient des places ou se traitaient d’importantes affaires. Zacro, port qui occupe une belle situation entre la mer Égée et l"Afrique, avait de grandes apaisons d’importation et d’exportation ; les cinq cents empreintes de sceaux trouvées dans l’une d’elles étaient sans doute apposées jadis sur des ballots de marchandises ou des lettres de chargement. Dans toutes ces villes, les ateliers et les boutiques se pressaient, surtout aux environs de la grande place. Les communications y étaient assurées par une voirie bien comprise. Selon le terrain, les rues étaient tortueuses ou se coupaient à angle droit. Elles étaient soigneusement construites et entretenues, pavées de galets ou de dalles de gypse et bordées de trottoirs que longeaient des rigoles. Quand elles avaient une pente à racheter, elles n’étaient pas en plan incliné, mais se composaient de sections horizontales reliées par des marches. En Crète, elles étaient étroites : leur largeur variait de 1m,40 à 2m,50 atteignant 4 mètres par exception. A Mycènes, l’Acropole avait des ruelles de 1m,20 ; mais la grande voie d’accès qui menait au palais était large de 5 mètres, et les rues des quartiers bas s’élargissaient encore davantage à certains carrefours. De ville à ville, s’allongeaient les routes indispensables. Il est à remarquer que celles de Crète et celles qui convergeaient vers les quartiers bas de Mycènes sont conformes au même type et mesurent également 3m,60 de large[1]. A Cnosse, près de l’entrée septentrionale du palais, se trouve la bifurcation de deux voies, l’une qui menait à l’arsenal, l’autre au port. Sur des fondations en pierres brutes, épaisses de 0m,20 à 0m,25, elles présentent une forte couche de béton. Le béton reste à nu de chaque côté, sur une largeur de 1m,10 : ce sont les deux trottoirs. Il est consolidé au milieu par une double rangée de dalles : c’est la chaussée, qui avait donc la largeur règlementaire de 1m,40[2]. an a cru reconnaître des tronçons de route sur plusieurs autres points de la Crète, et l’on date de l’époque préhistorique un pont en pierre construit près d’Éleutherne[3]. Mycènes aux larges routes était le carrefour de l’Argolide : d’un côté, les voies qui gagnaient Argos, Tirynthe et le sanctuaire qui sera un jour 111êraion ; de l’autre, trois voies qui menaient à Corinthe et son golfe. Grimpant les pentes sans détours et taillées dans le roc, elles sont consolidées par des murs de soutènement en blocs bruts ; elles franchissent les torrents par des ponts dont l’arc ogival a pour plafond une grosse dalle. Comme les rues des villes, ces routes rachètent les pentes par des degrés souvent très raides. Telles quelles, elles témoignent d’un sérieux effort pour faciliter les voyages par terre. Les Grecs en hériteront un jour et s’en serviront sans les améliorer. Sur ces routes, les voyageurs allaient presque toujours à pied. Cependant les grands personnages, les femmes surtout, se faisaient sans doute porter en palanquin au temps où le cheval était inconnu[4]. Quand le cheval fut introduit dans le monde égéen, l’usage du char se répandit vite. En Crète, à Cypre et sur le continent, on se servait d’un véhicule semblable aux spécimens qui se sont conservés on Égypte, Très léger, élevé sur deux roues à quatre rais, occupé seulement par deux personnes, le char était attelé de deux chevaux et, sur les routes bien dallées, fournissait un moyen de locomotion rapide ; mais rien ne dît qu’il ait servi au commerce. Le transport se faisait généralement à dos d’âne et, à partir du XVIe siècle, à dos de cheval : une terre cuite représente une haridelle portant une cruche sur chaque flanc[5]. Cependant, on avait aussi dans la Crète du M.M. des chariots à bœufs[6], et le chat à quatre roues qui figure sur une tablette de Tyllissos[7] a bien pu être attelé de chevaux. Il va de soi que les routes de montagne, avec leurs terrasses à escaliers n’étaient pas faites pour le roulage comme les chemins carrossables qu’Homère mentionne aux environs de Troie ; elles n’étaient praticables qu’aux bêtes de bât. Pour commercer au dehors, des insulaires étaient bien forcés de suivre les chemins humides. Ceux de la mer Égée furent de très bonne heure d’insigne navigateurs. Sans doute, la légende crétoise peuplait les flots de monstres horribles : le matelot pâlissait à l’idée de rencontrer au large la chienne Scylla, dont l’œil torve et la gueule énorme cherchaient toujours une victime à happer[8]. Mais ce sont les peuples les plus habitués à la mer qui en parlent avec le plus d’épouvante. Bien avant Ulysse, Minos triompha de Scylla et l’attacha captive à sa nef[9]. Les forêts de Crète fournissaient à la construction navale des matériaux de choix, entre autres du cyprès. Il n’était pas difficile non plus de chercher au loin les essences les plus estimées. En 1467, Thoutmès Ill chargea des Kefti de transporter en Égypte des bois du Liban sur leurs navires construits en bois de cèdre[10] ; c’est donc que les Kefti rapportaient aussi des bois dans leur île. De bonne heure, les Égéens surent se construire des bateaux excellents. Ils créèrent une barque qui est restée en usage dans toute la Méditerranée : différente de celle qui servait à la batellerie du Nil, elle tenait bien la mer, avec une étrave très saillante. Dès le M. A. II, on en faisait des reproductions en terre cuite à Palaicastro[11]. Mais à la même époque apparaît un bâtiment de grande dimension, non pas le vaisseau de charge massif et rond, mais le navire de course long et mince, marchant à la rame et à la voile : c’est la galère subtile. On la voit représentée, sur les vases de Syra et de Phylacopi, avant de la retrouver sur un sceau crétois ; mais, aussitôt qu’elle se montre en Crète, elle y prend place parmi les motifs favoris de la glyptique et les signes d’écriture. Elle a fière allure. La proue fortement relevée est dominée par des ornements symboliques, un poisson et une flamme qui claque au vent ; les bords, bas sur l’eau, sont garnis d’une double rangée d’avirons ; au-dessus de la poupe en queue de poisson se dresse le gaillard Poil le timonier manie le gouvernail, qui est un aviron un peu plus large du mât central partent des étais et des faux-étais attachés à l’avant et à l’arrière et supportant un gréement qui descend presque au niveau des bords. Faute de haubans, un petit croiseur de ce type ne pouvait avancer, avec vent debout, qu’à force de rames ; mais avec vent arrière, il donnait de bonnes vitesses. Suffisant pour le transport des marchandises, il était apte à faire de la piraterie, par conséquent aussi à éviter ou à surprendre les pirates. Il sera capable, quand il le faudra, de faire la police des mers. A ce moment, il reçoit toutes sortes d’améliorations. Le gouvernail devient double ; au lieu d’un mât, il en a deux et même trois[12] ; un pont s’étend sur toute la longueur par-dessus les rameurs assis dans la cale ; Avant est muni d’un éperon ; enfin, il semble qu’on ait possédé l’ancre en bronze[13]. C’est ce bâtiment que les Crétois feront connaître aux Achéens du continent. Il est peint sur un vase trouvé à Tragana, la Pylos de Messénie[14] : la proue est surmontée d’un poisson et d’un pavillon ; l’étrave est protégée par un éperon ; les châteaux à claire-voie sont reliés par usa billait, sous lequel sont aménagées vingt-cinq ouvertures pour les rames. Les Achéens apprirent ainsi des Crétois l’art de la navigation et leur empruntèrent sans doute les mots qui désignent le pont (ΐκριον) et les cordages servant à la manœuvre des voiles (κάλως). Ils n’eurent rien à changer au croiseur égéen pour faire des expéditions fructueuses et conquérir la Crète elle-même. (le sera un jour aux Phéniciens, obligés poux leur trafic à faire de longues traversées sans atterrir, d’imaginer le type de haut bord à proue et à poupe de hauteur égale, plus large et plus creux, plus lent sans doute, mais plue propre à tenir la haute mer et à rouler au souffle des tempêtes. L’aménagement des ports à l’époque préhistorique nous est peu connu, parce que les deux côtes de la Crète ont subi des changements considérables, par affaissement, au N., par exhaussement au S. Cependant, Evans a reconnu sur le littoral voisin de Cnosse des vestiges de travaux qu’il déclare minoens[15]. Dans le port de Candie, où les quais vénitiens sont posés sur des môles plus anciens, bien des blocs minoens restent visibles. A l’E., jusqu’à une distance de 15 kilomètres, on a trouvé, non pas seulement nombre de maisons qui renfermaient des poteries remontant au M. A. et au M.K, mais un môle construit à Nirou-Khani[16]. A l’O., il en est de même jusqu’à Haghia Pélagia, à 12 kilomètres[17]. Mais les marine crétois paraissent avoir affectionné les mouillages des îlots voisins de la grande île % ils s’établirent à Mochlos, à Pseira, dans l’îlot qui fait face à Mallia et, à une dizaine de kilomètres au N. de Candie, à Dia[18]. Peut-être y avait-il là des ports francs où les Crétois trafiquaient librement avec les gens des Cyclades. En tout cas, c’est ainsi qu’ils procédèrent en pays étranger. Il y a des raisons de croire qu’avant les Grecs ils occupèrent l’îlot de Platéa, sur la côte de Cyrénaïque, et celui d’Ortygie, devant la future Syracuse ; on s’est demandé s’ils n’ont pas été les premiers à remarquer l’îlot sur lequel s’éleva la ville de Tyr[19]. Mais on peut tenir pour certain qu’ils s’installèrent grandement sur la côte égyptienne, dans l’île de Pharos où fréquenteront encore les Grecs d’Homère et qui devait faîte un jour la grandeur d’Alexandrie. Là existait, dès la première moitié du IIe millénaire, un port que la mer a submergé, mais qu’une des découvertes les plus étonnantes de notre époque nous a fait connaître[20]. Et quel port ! Un grand bassin s’étendait à l’O. et au N. O. de l’île, protégé d’un côté par une jetée de 70CI mètres, de l’autre par un brise-lames long de il kilomètres et large de 60 mètres sur la moitié de sa longueur : il avait une superficie de 60 hectares. En avant de ce bassin, un autre, aussi long, mais moins large, était protégé de la même façon. Tous les deux étaient encore desservis par un avant-port. Un quai de débarquement a 114 mètres de large. Ce travail colossal n’a pu être exécuté qu’avec la main-d’œuvre égyptienne ; mais ce ne sont pas les Égyptiens qui l’ont conçu : ils n’en sentaient pas le besoin, n’ayant pas de marine. Un seul peuple a pu en avoir l’idée et la réaliser : c’est celui qui a laissé sa marque dans les redans d’un môle fortifié, dans le blocage remplissant l’intervalle des murs, dans le pavement des digues ; celui dont les documents égyptiens révèlent constamment la présence en Égypte : les Kefti. La marchandise voyageait sur mer dans d’excellentes conditions. On savait comment la conserver en bon état, comment la garantir contre les opérations et la fraude. Les cruches de vin étaient bouchées par un couvercle de terre cuite recouverte feuilles de vigne et d’argile et maintenu par des ficelles ; dans la pâte encore franche et sur les ligaments en croix un cachet imprimait la marque d’origine[21]. Les empreintes trouvées par centaines à Zacro, à Haghia Triada, à Cnosse, à Tyllissos sont fréquemment apposées sur des noyaux d’argile perforés, dans les trous desquels on voit parfois encore la trace ou même quelques filaments des cordelettes qu’on y passait : elles devaient servir à marquer des hottes ou des paquets, et ces cols étaient transmis de mains en mains, puisque l’empreinte est souvent surchargée d’une ou de deux contremarques. Comme plus tard, au temps des Romains[22], les exportateurs cachetaient les chargements expédiés par mer. Il n’y a pas de commerce tant soit peu actif sans un système régulier de poids et mesures. De très bonne heure, les Mésopotamiens et les Égyptiens en possédèrent plusieurs, qui passèrent la mer et furent adoptés dans les îles de l’Égée[23]. Le système babylonien, dont les Égyptiens se servaient déjà sous la douzième dynastie, est un système sexagésimal qui a pour unité un sicle léger pesant de 7gr,58 à 8gr,42, en moyenne 8 grammes ; il a pour multiples la mine de Gp sicles et le talent de 60 mines (environ 28kg,800). Le système se répandit en Crète. Un magasin de Cnosse renfermait un tronc de pyramide en calcaire rouge, sur les faces duquel s’enroulaient en relief les tentacules d’un poulpe[24]. Le poids de cet objet est de 28kg,600 ; c’est peut-être l’étalon du talent royal, et les reliefs dont il est marqué avaient pour but d’empêcher toute altération frauduleuse, comme les empreintes des monnaies. Les subdivisions de ce talent sont bien d’un système sexagésimal, c’est-à-dire à la fois décimal et duodécimal. Un cylindre de marbre découvert à Siteia[25] pèse 1140 grammes, le 1/25 d’un talent de 28kg,500, douze douzaines ou une grosse de sicles de 7gr,916. Certaines oies en hématite et en cornaline[26], forme de poids bien connue sur les bords du Nil et en Orient, pèsent 167gr,18, 2gr,6, 1gr,63 : on dirait une unité de 20 sicles avec ses sous-multiples de 1/60 et de 1/100. Un autre étalon, le sicle d’environ 7gr,32 ou le double sicle de 14gr,64, qui existait déjà en Egypte sous la quatrième dynastie, s’est propagé dans les pays d’alentour, d’où le nom de phénicien qui lui est ordinairement donné. On le retrouve aussi en Crète. Un cylindre en diorite à sommet conique[27] pèse 43gr,25, ce qui correspond sans doute à 6 sicles phéniciens de 7gr,208 ; un lingot de Tyllissos[28] pèse 26kg,500, un talent à l’étalon phénicien de 7gr,36. Mais, au temps où se multiplièrent les relations des Kefti et des Égyptiens, sous la dix-huitième dynastie, l’étalon le plus usité en Égypte était le kit. Il pèse de 8gr,812 à 10gr,108, en moyenne 9gr,116, et a pour multiple décimal le deben. Le kit se transmit à toutes les îles. A Enkomi de Cypre, dix olives en hématite[29] ont deux, trois, cinq ou dix fois un poids moyen de 9gr,26. Mais en Égéide les multiples du kit rentrent dans un système duodécimal. Une habitation de Théra renfermait onze cailloux roulés[30] dont les poids accusent des rapports simples et vont régulièrement, par douzaines, de 12 à 144 kit de 8gr,819, poids moyen. A Zacro, en Crète, un cylindre en calcaire[31] pesant 220 grammes est marqué de six points, pour indiquer qu’il pesait six fois une unité de 36gr,66 équivalant à 4 kit de 9gr,165. Dans la grotte de Psychro on a trouvé une tête de bœuf en bronze remplie de plomb[32] ; elle pèse 73gr,62, 8 kit de 9gr,20. Il faut donc se figurer un système où le deben vaut 12 kit et où 12 debenou constituent une grosse. Ce système va-t-il jusqu’au talent ? A Serra- Mixi, en Sardaigne, des lingots de cuivre[33] pèsent 33kg,300, exactement 3600 kit cypriotes. Ainsi, sur la base d’une unité plus forte, le système égéen du kit se conforme au système du sicle. Enfin, un quatrième étalon fut réservé à une fortune singulière : né sur les bords du Nil vers l’an 2000, il dominera longtemps en Grèce à l’époque historique. C’est l’étalon d’or, qui fat d’un usage fréquent en Égypte à partir de la douzième dynastie. Il pèse de 12gr,30 à 13gr,98, en moyenne 13gr,14. Sous la forme d’olives en hématite, les poids de ce système sont répandus en Palestine, à Cypre, en Crète[34]. A Cnosse, un exemplaire représente une unité de 12gr,60, presque identique en poids au statère qui rendra célèbre Égine. Or, à Cumes d’Eubée, on a trouvé 19 lingots de cuivre[35] qui tous, du plus petit au plus grand, de 6kg,930 à 17kg,640, pèsent exactement un certain nombre de fois 630 grammes et 630 grammes, c’est 100 drachmes de 6gr,30, c’est-à-dire une mine. Il est possible que 25 de ces mines aient constitué un multiple assez employé, ce qui assignerait sa place à un lingot de Mycènes[36] qui, avec un poids de 23kg,625, équivaudrait à une fois et demie ce multiple. En tout cas, 60 mines de 630 grammes font un talent de 37kg,800, et il se trouve qu’un lingot d’Enkomi[37] pèse 37kg,094. La communauté des systèmes pond eaux permît aux peuples méditerranéens de transformer les conditions du régime commercial. Le troc, qui aval l’avantage de lester les navires à l’aller et au retour, avait l’inconvénient de ne pas toujours mettre en présence les denrées qui convenaient aux deux parties. Il fallait une marchandise étalon acceptable pour tous. Chez les aryens, on compta longtemps par têtes de bétail. Les Égéens passèrent par la même phase, puisqu’ils donnèrent dans la suite la forme de tête de bœuf ou de veau couchant à certaines unités de poids et de valeur[38] ; mais ils arrivèrent vite à se servir de métaux pour les échanges. Un lingot représentait une grande richesse sous un petit volume ; son homogénéité se prêtait à la subdivision ; sa solidité inaltérable invitait à thésauriser. Partout les premières monnaies tirent des poids fixes de métal, et les noms des valeurs monétaires, talent, mine, statère, drachme, sicle, libra et litra, rappellent la coutume universelle de la pesée. D’un bout à l’autre de la Méditerranée, on employa pendant des siècles (les lingots à Orme de peau de bœuf, des lingots de cuivre qui avaient un poids déterminé, formaient des séries de multiples et portaient souvent des empreintes[39]. Les princes d’Asy et d’Alasia (Cypre) en envoyaient aux pharaons : Thoutmès III se faisait gloire d’en avoir reçu 108 pesant 2040 debonou, et les peintures des tombes égyptiennes représentent les étrangers apportant leurs précieux cadeaux de métal. Ailleurs, nous avons les pièces mêmes sous les yeux. A Haghia Triada, la Chambre du trésor en renfermait 19[40] ; ils pèsent de 27 à 32 kilogrammes, le plus grand nombre entre 29 et 29kg,500, à peu près comme le talent étalon de Cnosse. Les lingots trouvés en Sardaigne sont des talents plus forts, et celui de Tyllissos équivaut à un demi-talent phénicien. Mais on a généralement préféré pour les valeurs de cuivre le système qui devait durer sous le nom d’éginétique : il est représenté par le talent cypriote, par les 2040 debenou envoyés à Thoutmès III, qui font environ 5 de ces talents, par la belle série de sous-multiples trouvés en Eubée, par une série trouvée jusqu’au fond de l’Alsace[41], peut-être aussi par l’exemplaire de Mycènes. Avec toutes les facilités qu’ils offraient, facilités de transport, de contrôle, de divisibilité, de conservation, cessa unions avaient, outre leur valeur intrinsèque, une valeur d’échange. D’après les tablettes de Tell-el-Amarna, les rois d’Alasia recevaient de l’or et d’argent pour le cuivre qu’ils expédiaient aux pharaons. On voit par cet exemple historique que les métaux précieux aussi avaient leur valeur d’échange, comme le métal industriel. Tout naturellement, on établissait un rapport fixe entre l’or et le cuivre. De là vient que les lingots de cuivre sont généralement conformes à l’étalon d’or. Quand les princes de Cypre envoyaient du cuivre aux pharaons contre du métal précieux, en bonne foi une des deux quantités déterminait l’autre. Sur une peinture murale d’Égypte, un officier debout devant une balance met dans un plateau des bagues d’or, dans l’autre des poids à la tête de bœuf. A Mycènes, dans une tombe qui renfermait plus de sept cents disques d’or portant des empreintes variées se trouvaient deux petites balances qui avaient précisément pour plateaux deux disques pareils[42]. Quand le roi de Cnosse faisait inventorier son trésor, ses fonctionnaires convertissaient les talents cuivre en valeur or : une de leurs tablettes mentionne que la balance fixe le prix de 60 lingots à 52 unités plus une fraction de l’étalon monétaire[43]. On finit par débiter l’or en morceaux d’un poids fixe. De Mycènes, de Cypre et de Crète proviennent des séries de rondelles découpées dans des plaques d’or[44] ; ces pièces sont à l’étalon du demi-kit. On ‘a même trouvé à Cnosse des pièces fondues en argent[45], qui portent comme empreinte le signe II ou le signe I, l’un moitié de l’autre. Comme le second désignera un jour la drachme, moitié du statère, et comme la drachme crétoise pèse 3gr,654, on peut conclure à un système monétaire où le statère d’argent a le poids d’un sicle phénicien de 7gr,308. Autant que l’achèvement d’un système pondéral en système monétaire, l’usage de l’écriture donne une haute idée du régime commercial qui s’établit en Crète. Si l’écriture servait avant tout, comme en Égypte, à conserver les actes royaux et les inventaires publics, elle était aussi employée dans le commerce, comme en Chaldée ou plus tard en Phénicie. Les négociants et les industriels faisaient graver sur leur sceau une devise personnelle ; les céramistes apposaient leur marque sur leurs vases ou y inscrivaient à l’encre des caractères cursifs. On peut même dire que, si l’écriture a pris en Crète un développement précoce et rapide, c’est pour la même raison qui lui a permis de se répandre dans tout le bassin oriental de la Méditerranée, parce qu’elle était indispensable à des transactions opérées sur une grande échelle et à de grandes distances. Tous ces signes ont beau rester pour nous des énigmes, les chiffres qui abondent sur les tablettes, à côté de balances, de vases, d’armes ou d’ustensiles, les inscriptions peintes ou incisées sur les poteries en Crète, à Mélos, à Thèra laissent entrevoir les services rendus par l’écriture aux commerçants. |
[1] STEFFEN, Karle von Mykenae, 10.
[2] BSA, X, 45 ss., XI, 1 ss.
[3] S. REINACH, DA, Via, 778 ; PÉTROULAKIS, Έφ., 1914, 230-2.
[4] XX, 421.
[5] MA, XII, 118.
[6] XX, 424.
[7] XXXVIII, 41, fig. 20, 1.
[8] BSA, IX, 58, fig. 36.
[9] APOLLODORE, III, 15, 8, 3.
[10] Annales de Thoutmès III, an 34 (SETHE, Urk. des aeg. Alt., IV, 707).
[11] BSA, X, 197, fig. 1, k ; cf. XXV, 117, n° 3 ; XX, 76 ; LXXXII, fig. 52.
[12] XVII, 204 ; XX, 284.
[13] XXI, pl. XL, 37 ; XX, 616, n. 1.
[14] Έφ., 1914, 108-9, fig. 14-5.
[15] XX, 297-9.
[16] Ibid., 298 ; cf. ΑΔ, II, 168 ss. ; XXV, 20 ; BCH, 1920, 400.
[17] ΑΔ, III, 60 ss. ; XX, 299.
[18] XX, l. c.
[19] RAYWOND WEILL, Bull. de l’Inst. fr. d’arch. orient., XVI (1919) 34 ss. du tirage à part.
[20] JONDET, Mém. de l’Inst. ég., IX (1916) ; cf. R. WEILL, l. c. ; XX, 202-7.
[21] Voir BSA, XVI, 9 ss., pl. III.
[22] PLINE, XXXV, 3, 33.
[23] Voir EVANS, XV, 338 ss.
[24] BSA, VII, 42, fig. 12.
[25] Έφ., 1906, 151 ss., pl. XI, 14.
[26] XV, 351 ss.
[27] Ibid., 347 ss.
[28] XXXVIII, 56-7.
[29] XV, 350-1.
[30] XXVI, 118.
[31] XV, 343.
[32] Ibid., 353, fig. 9.
[33] PIGORINI, BPI, XXX (1904), 91 ss. SVORONOS, Journ. intern. d’arch. numism., IX (1906), 171,
[34] XV, 348 ss.
[35] SVORONOS, l. c., pl. III.
[36] Ibid., pl. IV, VI.
[37] LIX, 15, n° 1537.
[38] AJA, 1921, 312 ; XV, 355 ; XXXVII, 69, fig. 15.
[39] Empreintes à Phaistos, Haghia Triada, Mycènes, Enkomi, Serra-Mixi.
[40] RAL, XIII, 334 ss.
[41] Cf. RA, 1910, II, 436.
[42] SVORONOS, l. c., pl. VIII, IX.
[43] XV, fig. 14.
[44] Ibid., 354-5.
[45] Ibid., 306.